La Via pulchritudinis, chemin privilégié d’évangélisation et de dialogue –
1 octobre, 2015La Via pulchritudinis, chemin privilégié d’évangélisation et de dialogue
document final de l’assemblée plénière
(un extrait)
III. les voies de la beauté.
Trois développements s’offrent à nous comme voies privilégiées de la Via pulchritudinis pour dialoguer avec les cultures contemporaines :
III.1 La beauté de la création
III.2 La beauté des arts
III.3 La beauté du Christ, modèle et prototype de la sainteté chrétienne
La Beauté de Dieu, révélée par la beauté singulière de son Fils, constitue l’origine et la fin de tout le créé. S’il est possible de partir du degré le plus élémentaire, pour ensuite remonter, selon un dynamisme inscrit dans l’Écriture Sainte, de la beauté sensible de la nature à la Beauté du Créateur, celle-ci resplendit d’une manière unique sur le visage du Christ, et sur celui de sa Mère et des saints. Pour le chrétien, la « création » est inséparable de la « recréation », car si Dieu a jugé bonne et belle l’œuvre des six jours (cf. Gn 1), le péché, avec le désordre a introduit la laideur du mal et de la mort dont le Christ ressuscité est vainqueur. « Heureuse faute qui nous a valu un tel Rédempteur ! », chante la liturgie de Pâques : la Grâce qui se répand sur le monde du côté ouvert du Christ Sauveur, purifie et introduit dans une beauté tout autre le monde sauvé qui attend dans les gémissements l’heure de la transformation finale (Rm 8, 22).
III.1 La beauté de la création.
L’Écriture souligne la valeur symbolique de la beauté du monde qui nous entoure, reflet visible de la beauté de son créateur invisible : « Oui, vains par nature tous les hommes en qui se trouvait l’ignorance de Dieu, qui, en partant des biens visibles, n’ont pas été capables de connaître Celui-qui-est, et qui, en considérant les œuvres, n’ont pas reconnu l’Artisan… S’ils les ont pris pour des dieux, qu’ils sachent combien leur Maître est supérieur, car c’est la source même de la beauté qui les a créés. » (Sg 13, 1 et 3). Il est toutefois un abîme entre la beauté ineffable de Dieu et ses vestiges dans la création, aussi l’auteur sacré ne croit pas inutile de préciser le cadre de cette « dialectique ascendante » : « La grandeur et la beauté des créatures font, par analogie, contempler leur Auteur » (v. 5). Il importe de dépasser les formes visibles des choses de la nature, pour remonter jusqu’à leur Auteur invisible, le « Tout Autre » que nous professons dans le Credo : « Je crois en un seul Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible ».
A) L’émerveillement devant la beauté de la création. « La nature est un temple où de vivants piliers laissent parfois sortir de confuses paroles… ». Les poètes sont, avec Baudelaire, particulièrement sensibles aux beautés de la création et à leur mystérieux langage. Ainsi, en son Cantique spirituel, saint Jean de la Croix donne aux créatures de confesser :
« Répandant mille grâces
En hâte il est passé par ces bocages.
Les allant regardant,
par sa seule figure,
il les laissa revêtus de beauté »,
et le poète anglais G.M. Hopkins : « Le monde est pénétré de la splendeur de Dieu ». C’est que de la contemplation d’un paysage au coucher du soleil, des sommets des montagnes enneigées sous le ciel étoilé, des champs couverts de fleurs baignés de lumière, du foisonnement des plantes et des espèces animales naissent une palette de sentiments qui nous invitent à « lire de l’intérieur – intus-legere », pour, du visible atteindre l’invisible et donner réponse raisonnable au questionnement incontournable : qui est cet artisan à l’imagination si puissante à l’origine de tant de beauté et de grandeur, d’une telle profusion d’êtres dans le ciel et sur la terre ?
Voici deux mille ans, Platon avait dit : « Le beau, qui est l’unité d’une diversité, nous fait parvenir au seuil de la réalité suprême, le Bien », c’est à dire Dieu. Et Aristote affirmait que « dans toutes les choses de la nature, il est quelque chose de merveilleux ». L’étude de la nature et du cosmos a, de fait, joué un rôle essentiel dans la philosophie, dès la Grèce antique. De même, en théologie, la cosmologie a constitué un élément fondamental pour comprendre l’œuvre de Dieu et son action dans l’histoire. Ainsi : la vision du Pseudo-Denys l’Aréopagite, tant de fois reprise dans la théologie et la mystique chrétienne, et la cosmologie aristotélicienne reprise par saint Thomas, présente dans ses « preuves de l’existence de Dieu ». Emmanuel Kant reconnaît lui aussi la beauté de la création et sa capacité à provoquer l’émerveillement, dans la Critique de la raison pratique : « Deux choses remplissent le cœur d’une admiration et d’une vénération toujours nouvelles et toujours croissantes, à mesure que la réflexion s’y attache et s’y applique : le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi. »
La contemplation des beautés de la création suscite la paix intérieure et aiguise le sens de l’harmonie et le désir d’une vie belle. Chez l’homme religieux, l’étonnement et l’admiration se transforment en des attitudes intérieures plus spirituelles : l’adoration, la louange et l’action de grâces envers l’Auteur de ces beautés. Ainsi le psalmiste : « Quand je contemple les cieux, ouvrage de tes mains, la lune et les étoiles que tu as créées : Qu’est-ce que l’homme, pour que tu te souviennes de lui ? le fils de l’homme, pour que tu en prennes souci ? Tu l’as fait de peu inférieur à Dieu, et tu l’as couronné de gloire et de magnificence. Tu lui as donné la domination sur les oeuvres de tes mains, tu as tout mis sous ses pieds… Yahvé, notre Dieu, que ton nom est magnifique sur toute la terre ! » (Ps 8, 3-6 et 9). La tradition franciscaine, avec saint Bonaventure et Dun Scot Erigène[15], accorde une dimension « sacramentelle » à la création, qui porte en elle les traces de ses origines. Aussi, la nature est-elle considérée comme une allégorie, et chaque réalité naturelle le symbole de son Auteur.
B) De la création à la recréation. Parmi les créatures, il en est une qui présente une certaine similitude de Dieu : l’homme, créé « à son image et à sa ressemblance » (Gn 1, 27). Par son âme spirituelle, il porte en lui un « germe d’éternité irréductible à la seule matière » (Gaudium et spes, 18). Mais l’image a été altérée par le premier péché, ce poison qui affaiblit la volonté dans son orientation vers le bien et, par là, obscurcit l’intelligence et entache la sensibilité. La beauté de l’âme, assoiffée de vérité et élan vers le bien-aimé, perd de son éclat et devient capable du mal, du laid. Un enfant témoin d’un acte mauvais ne dit-il pas spontanément : « Ce n’est pas beau ». Ainsi la laideur – et donc a fortiori le bien – apparaît dans le domaine de la morale et rejaillit sur l’homme, son sujet. Avec le péché, celui-ci a perdu sa beauté originelle et se voit nu, jusqu’à en éprouver de la honte. La venue du Rédempteur le rétablit dans sa beauté première, plus encore, le revêt d’une beauté nouvelle : la beauté inimaginable de la créature élevée à la filiation divine, la transfiguration promise de l’âme rachetée et élevée par la grâce, son resplendissement dans toutes les fibres du corps appelé à ressusciter avec le Christ (Eph 2, 6).
Si le Christ, Nouvel Adam, « manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation » (Gaudium et spes, 22), le regard chrétien sur la beauté de la création trouve son achèvement dans la bouleversante nouvelle de la recréation : le Christ, parfaite représentation de la gloire du Père, communique à l’homme de sa plénitude de grâce. Il le rend « gracieux », c’est-à-dire beau et agréable à Dieu. L’Incarnation est le centre focal, la juste perspective dans laquelle la beauté prend son ultime signification : « « Image du Dieu invisible » (Col 1,15), le Christ Seigneur est l’homme parfait qui a restauré dans la descendance d’Adam la ressemblance divine, altérée dès le premier péché. Parce qu’en lui la nature humaine a été assumée, non absorbée, par le fait même, cette nature a été élevée en nous aussi à une dignité sans égale. Car, par son incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme. » Nous y reviendrons plus loin, la beauté de la sainteté qui émane de l’homme configuré au Christ sous le souffle de l’Esprit-Saint, est l’un des plus beaux témoignages, capable d’ébranler les plus indifférents et de leur faire ressentir le passage de Dieu dans la vie des hommes.
Dans une action de grâces continuelle, le chrétien loue le Christ qui lui a redonné vie, et se laisse transfigurer par ce don glorieux qui lui est fait. Nos yeux avides de beauté se laissent attirer par le Nouvel Adam, véritable icône du Père éternel, « resplendissement de Sa gloire » et « effigie de Sa substance » (He 1.3). Aux « cœurs purs » à qui il est promis de voir Dieu face à face, le Christ donne déjà d’entrevoir la lumière de la gloire au cœur même de la nuit de la foi.
C) La création, utilisée ou idolâtrée. Nombreux, cependant, sont les hommes et les femmes qui ne voient la nature et le cosmos que dans leur matérialité visible, univers muet qui n’aurait d’autre destin que d’obéir aux froides lois physiques immuables et invariables, sans évoquer nulle autre beauté, encore moins un Créateur. Dans une culture où le scientisme, cette science extrapolée hors de ses frontières, impose les limites de sa méthode d’observation valable dans le domaine des sciences exactes, jusqu’à en faire indûment la norme exclusive de toute connaissance, le cosmos est réduit à n’être qu’un immense réservoir où l’homme puise jusqu’à l’épuiser, en fonction de ses besoins croissants, démesurés.
Le Livre de la Sagesse met en garde contre une telle myopie que saint Paul dénonce comme un « péché d’orgueil et de présomption » (Rm 1, 20-23). Au reste, la création n’est pas muette : les phénomènes naturels extraordinaires, parfois tragiques, enregistrés ces dernières années, et les désastres écologiques qui ne cessent de se multiplier, suscitent une nouvelle compréhension de la nature, de ses lois, de son harmonie. Il s’avère de plus en plus évident pour nombre de nos contemporains que la nature ne peut ni ne doit être manipulée sans respect.
Il ne s’agit pas pour autant de faire de la nature un absolu, voire une idole, comme en certains groupes néo-païens : sa valeur ne saurait surpasser la dignité de l’homme appelé à en être le gardien.