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L’ICONE DE LA TRINITE

1 juin, 2016

http://www.spiritains.org/pub/esprit/archives/art1956.htm

L’ICONE DE LA TRINITE

chemin d’unification

Vie spirituelle

Thérèse Maillard

Thérèse et Philippe Maillard vivent en fraternité. Ils sont entourés par un noyau de personnes qui viennent prier chez eux. Depuis 17 ans, ils ont eu le bonheur d’avoir été initiés à l’icône par Henry Corta, artisan d’icônes, qui a mis au point une pédagogie catéchétique de l’icône. Animatrice en Pastorale scolaire, en collège, depuis 18 ans dans le Nord de la France, je suis de plus en plus sensible à la pauvreté, voire la détresse humaine et spirituelle de certains jeunes. Elles me semblent liées à un manque de repères, à des blessures intérieures profondes qui se manifestent souvent par une violence plus destructrice que libératrice. Comment accompagner ces jeunes, pour que chacun puisse trouver son unité intérieure, si ce n’est d’abord en me laissant façonner par l’amour divin. J’ai très vite été interpellée par l’enseignement spirituel des icônes et par le chemin de conversion auquel je me sens appelée chaque jour, en les regardant. L’opportunité de cette année jubilaire, la demande de la revue Esprit Saint, mon vécu personnel et professionnel, m’invitent aujourd’hui à vous partager ce que j’ai moi-même reçu des icônes et en particulier de l’icône de la Sainte Trinité comme chemin d’unification. A travers quelques clefs de lecture, je vous invite à regarder : – comment cette icône de la Trinité nous révèle la Parole de Dieu et la met en lumière; – comment cette Parole traduite en image nous invite à entrer en relation avec Dieu trinitaire pour y puiser notre identité – comment, dans l’Eglise, nous sommes appelés, chacun et ensemble, à être des témoins de cette communion trinitaire. »La volonté de Dieu, c’est notre sanctification, c’est à dire notre entrée dans la vie trinitaire » L’icône nous révèle le Dieu Trinité. « En celui qui garde fidèlement sa Parole, l’amour de Dieu atteint sa perfection » (1 Jn 2, 5 ) Toute icône est une profession de foi et se contemple dans la foi. Elle est traduction visuelle de la Parole de Dieu, et de la Tradition de l’Eglise. C’est l’Eglise en effet qui, par les conciles et sa liturgie, se porte garante de cette fidélité à la Parole. C’est donc par le regard de la foi que je peux comprendre intérieurement une icône. Le fond or de l’icône, expression de la Lumière divine, révélée en plénitude par la mort et la résurrection de Jésus-Christ, nous plonge dans ce regard de la foi. Appelée aussi Lumière incréée, elle est d’un éclat tout autre que celui des lumières créées: « le quatrième jour, Dieu fit les luminaires majeurs… » (Gn 1, 16.) Elle traverse toute la Bible, à partir de Genèse 1, 3: « Que la Lumière soit » jusqu’à Apocalypse 22, 3: « La nuit ne sera plus… Car le Seigneur répandra sur eux sa Lumière ». C’est cette Lumière, qui nous fait quitter le regard naturel pour entrer dans une vision de foi. Cette réalité est aussi manifestée sur l’icône par l’absence d’ombre. En effet, en iconographie, la technique de la superposition des couleurs fait que la lumière vient de l’intérieur. C’est de l’intérieur aussi que nous sommes invités à entrer dans l’icône . Mais comment est-il possible de représenter la Trinité alors qu’elle n’est pas nommée explicitement dans la Bible ? En effet, la première alliance nous révèle un Dieu d’amour. Et Jésus, par son incarnation, nous laisse entrevoir que cet amour est le fruit d’une communion intense qu’il vit avec son Père par l’Esprit qui les unit et qu’il nous promet. Ce n’est qu’en 325, que l’Eglise, après trois siècles de prière et de maturation, fixe le Credo qui proclame officiellement la Sainte Trinité. En 787, au concile de Nicée II, elle reconnaît le culte de icônes et en indique les conditions. SIZE=2> Les Pères grecs ont toujours interprété le texte de Genèse 18, 1-15 – l’hospitalité d’Abraham – comme une visite de la Sainte Trinité à Abraham. Du IVe au XVIe siècle, de nombreux peintres d’icônes ont traduit visuellement ce thème, en montrant cet épisode avec un certain nombre de détails historiques tel que Abraham et Sara, les objets posés sur la table, le serviteur tuant le veau gras, la tente d’Abraham et Sara, le chêne de Mambré, la montagne du sacrifice d’Isaac. Le génie d’André Roublev (1360-1430) est d’avoir réussi, à partir de la valeur historique de la scène, à nous faire entrer dans une contemplation du mystère de la Trinité par un dépouillement des détails. Il ne reste que trois personnes inscrites dans un mouvement circulaire invisible. La table devient autel et ne porte que la coupe. La montagne, le chêne et la demeure se transforment en symboles. Il a réussi, à partir de la traduction visuelle de l’événement à nous en donner toute son interprétation théologique que nous détaillerons plus loin. Abraham en accueillant ces personnes, s’adresse à eux au singulier et au pluriel. Ils sont un et trois. Il commence, par saluer les trois voyageurs comme s’il ne parlait qu’à une seule personne, au singulier! : « Monseigneur, je t’en prie » (Gn 18, 3). Puis il reprend le pluriel pour s’adresser aux trois: « Vous vous réconforterez. » (Gn 18, 5). Peinte entre 1422 et 1427 par ce moine André Roublev, du monastère de la Trinité, l’icône de la Trinité était destinée à l’iconostase de l’église. Haute de 142 cm et large de 112 cm, elle est actuellement à la galerie Tretiakov à Moscou. Il est étonnant de voir sur l’icône la douceur et la paix des visages des anges, alors que le peuple russe est déchiré par la guerre. Cette icône annonce un Dieu plein de tendresse et de compassion, tel que la Bible le révèle, proche des hommes et de leur souffrance. Assis autour d’une table, les trois anges nous invitent par cette place ouverte devant nous, à entrer, par la foi, dans le mystère de cette communion trinitaire, où « l’amour divin atteint sa Perfection ». L’icône est invitation à entrer dans l’amour du Dieu trinitaire « Si quelqu’un m’aime, mon Père l’aimera; nous viendrons chez lui et nous ferons chez lui notre demeure » (Jn 14, 23). Cette icône nous appelle, selon l’intensité de notre désir, à entrer en relation avec Dieu. En regardant la paix, la douceur, la communion d’amour entre les anges, nous pressentons que c’est cette réalité que nous sommes invités à recevoir de Dieu. Cela est traduit visuellement par la perspective inversée qui, abolissant la distance, montre que Dieu est là, tout proche. Concrètement cette proximité se traduit par les lignes qui, en suivant le mouvement de l’ange de gauche et de droite, sur leur estrade, se rencontrent en notre coeur. Et le coeur, au sens biblique, est le lieu de la présence de Dieu. Les anges, par leur position, sont intégrés dans un mouvement circulaire qui part du pied gauche de l’ange de droite et continue dans l’inclinaison de sa tête. Il passe à l’ange du milieu et se prolonge tout au long de l’ange de gauche jusqu’aux pieds. Le cercle, dans le langage iconographique, représente le monde divin infini et donc sans limite. En son centre se trouve une coupe sur une table ouverte à nous. C’est dans ce monde divin, dans ce cercle, que nous sommes invités à entrer en buvant à la coupe qui nous est offerte. Cette coupe se trouve aussi au coeur d’une coupe plus vaste que forment les deux anges latéraux depuis leur tête jusqu’à leurs pieds. Toute la tradition est d’accord pour voir en cette coupe, la coupe eucharistique. Au cours de la restauration de l’icône, on découvrit différentes couches de peinture sur la coupe : une grappe de raisin, prémices du vin qui renvoie au sang du Christ, et un agneau qui fait allusion à Jésus: « l’Agneau sans défaut et sans tache, prédestiné avant la fondation du monde et manifesté à la fin des temps » (1 P. 1, 19) . Ce mystère transcende le temps. Cette coupe est posée au centre d’une table rectangulaire. La forme carrée ou rectangulaire est le signe de notre terre limitée par quatre cotés. Ces quatre coins nous renvoient aux points cardinaux qui chez les pères de l’Eglise sont symboliques des quatre Evangiles. Cette parole s’est faite chair, et Jésus s’offre à nous dans la coupe. L’autel représente aussi le tombeau du Christ, puis celui des martyrs. L’ouverture rectangulaire sur le devant est typique de l’autel romain. C’est « la fenestrella confessionis », petite cavité par laquelle on pouvait accéder au corps du Saint que l’on vénérait. Il est vrai que très vite en occident on éprouva le désir de célébrer l’eucharistie sur la tombe des martyrs, alors que l’Eglise d’Orient la célébrait sur une table de modeste dimension.D’après Nicolas Greschny, il est sûr que André Roublev connaissait l’occident et qu’il voulait, sur son icône, unir la pensée latine et grecque. L’icône fait allusion deux fois à la croix. D’abord par le chêne de Mambré, qui a ici un sens symbolique. Il fait référence à l’Arbre de vie de qui, selon la tradition, on a tiré le bois de la croix. La deuxième allusion à la croix est dans la composition de l’icône : Son axe vertical part de l’auréole de l’ange du milieu pour descendre sur l’autel, passer par la coupe et traverser le petit rectangle, symbole de notre humanité. Cet axe partage l’icône en deux et se croise avec la ligne horizontale qui unit les cercles lumineux des anges des côtés. La croix est au coeur de la vie divine. Si nous voulons laisser Dieu faire sa demeure en nous, il me semble que cette icône nous oriente par son enseignement. Désirer entrer dans la communion trinitaire et boire à la coupe eucharistique, coeur du mystère du salut, demande un passage, un lâcher prise. L’icône l’exprime visuellement par la croix, symbole de la mort du Christ et de la mort à soi-même pour vivre dans le Christ ressuscité. Par ce chemin d’incarnation, nous pourrons laisser notre être recevoir son identité, unifiée par la présence vivante du Père uni au Fils dans l’Esprit. « La révélation du nom de Dieu et de son visage le plus profond, c’est à dire le secret trinitaire est lié au renoncement. » L’icône appelle à être témoins d’unité « Que tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi » (Jn 17, 21) Notre être, s’il est à l’image de la communion trinitaire ne peut être que relationnel. La communion entre les personnes est soulignée par le cercle divin dans lequel ils sont intégrés. Leurs corps sont élancés: quatorze fois la hauteur de la tête au lieu de sept normalement. Avec leurs ailes et la transparence de leurs vêtements, ils semblent ne pas être soumis à la pesanteur. Cela confirme que la rencontre se vit sur le plan spirituel. Cette communion trinitaire est réelle parce que chaque ange a sa place, signifiée par la couleur des vêtements, les regards, les attitudes, les objets. Il n’y a ni fusion, ni exclusion, mais intégration de ce que l’autre est. Si la couleur bleue sur le vêtement de chacun représente la divinité qui fait leur unité, chacun a une couleur qui l’identifie. Il existe différentes interprétations sur la place des anges. Et cette diversité a le mérite de ne pas enfermer l’infini de Dieu. Aujourd’hui, je suis très interpellée par celle-ci, qui n’en exclut aucune autre. L’intensité du colloque qui relie les anges va nous guider. Ce dialogue semble naître d’un souffle lancé par l’ange de droite vers l’ange du milieu qui suit le mouvement. Ce dernier s’adresse à l’ange de gauche, en le regardant au coeur. De nombreuses interprétations disent que l’ange central représente le Père dont la robe pourpre est l’attribut. Il s’entretient du mystère du salut avec l’ange de gauche qui reçoit ce mystère au niveau du coeur dans le silence. Ce dernier donne sa réponse au Père par le geste de bénédiction de sa main droite : en effet, l’index et le majeur de sa main (légèrement visible sur l’icône) posés sur la table représente son humanité et sa divinité qu’il a assumé par son incarnation. Les couleurs de son vêtement bleu (expression de la divinité) et ocre marron (expression de son humanité), confirment l’incarnation de Jésus jusqu’à sa mort sur une croix. Le blanc de la table est la couleur de la Résurrection. Jésus regarde l’ange de droite au front, lieu de la pensée commune du Père et du Fils. Ce salut, est destiné à toute l’humanité que l’ange de droite désigne par sa main tombante vers l’ouverture de la table. C’est l’Esprit qui donne son souffle et qui nous est promis. Le vert de son vêtement traduit sa fécondité. Les anges ont une coiffe identique. Dans l’art byzantin, les anges sont reconnaissables parce que même s’ils ont les cheveux courts, ils portent un bandeau noué autour de la tête. Les pans des noeuds voltigeant autour de l’oreille prennent une signification : celle de l’écoute, de l’obéissance. Les anges sont des messagers parce qu’ils écoutent les ordres du Seigneur. On perçoit les pans des noeuds de façon très légère dans le nimbe. Les trois anges tiennent un bâton à la main, comme des pèlerins. Ils s’arrêtent dans la demeure d’Abraham et Sara. Chaque bâton désigne un objet ou un lieu. Le bâton porté par l’ange central désigne le chêne de Mambré qui renvoie à l’Arbre de Vie dont parle le livre de la Genèse (2, 9). Cet arbre de vie fait référence à la Parole de Dieu créatrice et donc au Père « créateur du ciel et de la terre ». Le bâton porté par l’ange de gauche désigne la demeure d’Abraham et Sara qui, ici, devient l’Eglise, Corps du Christ, et dont le mystère ne peut se comprendre que dans la lumière de la communion trinitaire. Le bâton porté par l’ange de droite désigne la montagne, qui bibliquement est le lieu de la révélation de Dieu, le lieu de l’expérience spirituelle où nous conduit l’Esprit. L’icône nous oriente sur la visibilité de cette communion trinitaire par la représentation de l’Eglise. Dieu trinitaire se manifeste dans l’Eglise, appelée à cette unité. Pour cela, chaque membre est aussi appelé à vivre pleinement sa vocation de service, nourri par une vie de prière (montagne), centré sur la Parole de Dieu (l’arbre). « Soyez unis, comme le Père et moi sommes un ». Le dialogue entre les trois anges nous montre que la véritable unité se vit en Dieu, vient de Dieu et nous est donnée par l’écoute de l’Esprit, le dialogue du coeur à coeur, le silence, l’acceptation du réel, l’incarnation dans un lâcher prise, l’expérience du salut, le don de soi, l’ouverture. En méditant et en travaillant cette icône de la Trinité d’André Roublev, j’ai été nourrie par son enseignement théologique et spirituel pour ma vie quotidienne et professionnelle. J’y ai trouvé trois clefs de compréhension pour répondre à la question de mon introduction : comment accompagner ces jeunes blessés et sans repères? – Accompagner les jeunes dans leurs blessures, leurs souffrances, c’est d’abord les regarder avec le même regard d’amour que Dieu pour que mes paroles soient ajustées. La douceur et la paix qui émane du regard des trois anges révèle ce Dieu, plein de tendresse et de pitié pour chacun. – Accompagner les jeunes, c’est apprendre à entrer dans mon être profond, dans ce mouvement d’amour divin auquel je suis invitée, pour vivre un coeur à coeur avec les jeunes, au sens biblique. Si mes actions sont ajustées à mes paroles, parce que purifiées par la Parole de Dieu, une vie priante et fraternelle, je leur permets de faire un pas de plus, sur leur chemin d’humanisation et d’unification. Accompagner les jeunes,c’est un travail de conversion de tout mon être qui me relie aux autres. Si j’accepte ce chemin, je peux alors, soutenu par la communauté ecclésiale, prier pour eux. Car le salut est pour tous, comme la coupe est offerte à tous dans la foi.

 

BENOÎT XVI – ANGÉLUS – SOLENNITÉ DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ – 2009

20 mai, 2016

http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/angelus/2009/documents/hf_ben-xvi_ang_20090607.html

BENOÎT XVI – ANGÉLUS – SOLENNITÉ DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ – 2009

Place Saint Pierre

Dimanche 7 juin 2009

Chers frères et sœurs !

Après le temps pascal, dont le point culminant a été la fête de la Pentecôte, la liturgie prévoit ces trois solennités du Seigneur : aujourd’hui, la Très Sainte Trinité; jeudi prochain, la fête du Corpus Domini, la Fête-Dieu qui, dans de nombreux pays dont l’Italie, sera célébrée dimanche prochain ; et enfin, le vendredi suivant, la fête du Sacré Cœur de Jésus. Chacune de ces fêtes liturgiques met en évidence une perspective à partir de laquelle on peut embrasser l’ensemble du mystère de la foi chrétienne : respectivement, la réalité de Dieu Un et Trine, le Sacrement de l’Eucharistie et le centre divin-humain de la Personne du Christ. Ce sont en vérité des aspects de l’unique mystère du salut qui, d’une certaine manière, résument tout l’itinéraire de la révélation de Jésus, de l’incarnation à la mort et à la résurrection, jusqu’à l’ascension et au don de l’Esprit Saint. Aujourd’hui, nous contemplons la Très Sainte Trinité telle que Jésus nous l’a fait connaître. Il nous a révélé que Dieu est amour « non dans l’unité d’une seule personne, mais dans la Trinité d’une seule substance » (Préface) :  il est Créateur et Père miséricordieux; il est Fils Unique, Sagesse éternelle incarnée, mort et ressuscité pour nous ; il est enfin Esprit Saint qui conduit tout, l’univers et l’histoire, vers la pleine récapitulation finale. Trois Personnes qui sont un seul Dieu parce que le Père est amour, le Fils est amour, l’Esprit est amour. Dieu est tout et uniquement amour, amour très pur, infini et éternel. Il ne vit pas dans une splendide solitude, mais il est plutôt source intarissable de vie qui se donne et se transmet sans cesse. Nous pouvons dans une certaine mesure le deviner en observant aussi bien le macro-univers : notre terre, les planètes, les étoiles, les galaxies ; que le micro-univers : les cellules, les atomes, les particules élémentaires. Sur tout ce qui existe est en quelque sorte imprimé le « nom » de la Très Sainte Trinité, car tout l’être, jusqu’à la dernière particule, est être en relation, et ainsi transparaît le Dieu-relation, et en définitive l’Amour créateur. Tout provient de l’amour, tend vers l’amour et avance poussé par l’amour, naturellement avec des degrés divers de conscience et de liberté. « O Seigneur, notre Seigneur, qu’il est puissant ton nom par toute la terre ! » (Ps 8, 2) s’exclame le psalmiste. En parlant du « nom », la Bible indique Dieu lui-même, son identité la plus authentique ; une identité qui resplendit sur toute la création, où chaque être, en vertu du fait même de s’y trouver et du « tissu » dont il est fait, fait référence à un Principe transcendant, à la Vie éternelle et infinie qui se donne, en un mot : à l’Amour. « C’est en [lui] en effet que nous avons la vie – dit saint Paul dans l’Aréopage d’Athènes -, le mouvement et l’être » (cf. Ac 17, 28). La preuve la plus éloquente que nous sommes faits à l’image de la Trinité est la suivante : seul l’amour nous rend heureux, car nous vivons en relation, et nous vivons pour aimer et être aimés. Reprenant une analogie suggérée par la biologie, nous pourrions dire que l’être humain porte dans son propre « génome » l’empreinte profonde de la Trinité, de Dieu-Amour. À travers sa docile humilité, la Vierge Marie s’est faite servante de l’Amour divin : elle a accueilli la volonté du Père et a conçu le Fils par l’œuvre de l’Esprit Saint. En Elle, le Tout-puissant s’est construit un temple digne de Lui, et il en a fait le modèle et l’image de l’Église, mystère et maison de communion pour tous les hommes. Que Marie, miroir de la Très Sainte Trinité, nous aide à grandir dans la foi dans le mystère trinitaire.

 

LA VIE TRINITAIRE DE CHARLES DE FOUCAULD.

5 avril, 2016

http://www.spiritains.org/pub/esprit/archives/art1954.htm

AU COEUR DE LA VIE TRINITAIRE

La vie trinitaire de Charles de Foucauld.

Monique Chavanne

Monique Chavanne du Comité de rédaction illustre comment une spiritualité forte, comme celle de Charles de Foucauld, est toujours marquée d’une dimension trnitaire : avec Jésus, regarder le Père dans l’Esprit.  » Gloire au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit, pour les siècles des siècles. Amen ». Telle est la louange clamée par des milliers de chrétiens adorant ainsi les Trois Personnes de la Trinité. Ce mystère fondamental du christianisme, insondable pour l’intelligence humaine et cependant affirmé par l’Eglise, révèle la nature unique de trois Personnes bien distinctes. De leur union indissoluble jaillit un flot ininterrompu d’amour sur l’univers entier. Que les communautés humaines répondent ou non à cet amour, celui-ci s’offre inlassablement, par l’Esprit qui inspire et fortifie, par Jésus dans l’Eucharistie, par le Père qui attend ses fils prodigues. La communion des Personnes éclate dans le message de l’évangile: « Qui m’a vu a vu le Père…Je suis dans le Père et le Père est en moi (Jn 14, 10)…et moi je prierai le Père, Il vous donnera un autre Paraclet… l’Esprit de vérité que le monde ne peut recevoir parce qu’il ne le voit pas et ne le connaît pas (Jn 14, 16-17). Ce Paraclet exprime l’amour du Père et du Fils qui les unit dans l’identité absolue de Dieu. Jésus, personne qui fut aussi de chair et de sang sans cesser d’être Dieu dans l’unité du Saint-Esprit, est le chemin de l’homme pour entrer dans la communion trinitaire. Cette voie, proposée à tous, choisie par les saints, fut ardemment suivie par Charles de Foucauld. Cet amoureux passionné de Jésus, – ne dira-t-il pas « J’ai perdu mon coeur », à propos du Christ ? – au-delà de l’image de ce coeur bien rouge, cousu sur une pauvre tunique, usera toutes ses forces à imiter son divin modèle. « Ce coeur écrit sur ma robe, il est là pour que je me souvienne de Dieu et des hommes. » Les  » trois vies » de Jésus, vie de Nazareth, vie du désert et vie publique inspireront ce disciple qui aurait voulu ajuster son âme à l’horizon divin. Il s’enfoncera peu à peu dans le mystère trinitaire, jusqu’à la mort infligée, jusqu’à l’échec apparent du témoignage. La vie de Nazareth : avec Jésus, regarder le Père, dans l’Esprit Dès le début de sa nouvelle vie de pécheur repentant, Charles de Foucauld pénètre dans la vie du Nazaréen : « … Regarder Jésus et lui tenir compagnie à son foyer de Nazareth. Avec lui regarder et adorer son Père. Mes actes sont des actes de Jésus dans la mesure où je vis de l’Esprit Saint. Mes actes sont des actes de Jésus dans la mesure où je vis de l’amour divin puisque l’Esprit Saint est l’Esprit d’Amour… » Nazareth! Cet obscur village de Galilée, aux ruelles malpropres, où Jésus vécut et grandit dans l’anonymat…Dès son retour à Dieu, ce jour d’octobre dans le confessionnal de l’abbé Huvelin en l’église St-Augustin, à Paris, Charles brûle du désir de la Terre Sainte. Il y effectue un pèlerinage en 1888-1889. La pauvreté des habitants renforce son ambition de la dernière place. Jésus, Fils de Dieu, a vécu cette vie anonyme et humble. Il veut s’y enfouir. Après sept années passées à la Trappe où il ne réalise pas entièrement ce désir d’extrême pauvreté, il obtient l’autorisation de quitter l’Ordre et frappe à la porte des Clarisses de Nazareth. Il y est engagé comme domestique : « …J’obtins du Général de l’Ordre la permission de me rendre seul à Nazareth et d’y vivre inconnu, en ouvrier, de mon travail quotidien « . Là, bien qu’il juge son existence beaucoup trop douce, il peut, selon sa vocation originale, développer sa contemplation: « … puisque j’ai l’infini bonheur, la grâce incomparable de vivre dans ce Nazareth chéri. Merci! merci! merci! Votre vie était celle du modèle des fils, vivant entre un père et une mère pauvres ouvriers… C’était la moitié de votre vie… C’était la partie visible… La partie invisible, c’était la vie en Dieu, la contemplation de tout instant… Dieu, vous viviez en Dieu  » La simplicité de la vie contemplative découverte et vécue à Nazareth séduit Charles de Foucauld. Il découvre en Jésus l’infini de Dieu. Sa méditation scrute les mystères de la vie du Christ, vrai Dieu et vrai homme dans l’unité du Saint-Esprit: « L’Incarnation, mystère d’amour et mystère d’humilité… Mon Dieu que vous êtes bon! Vous êtes incarné!… Vous avez pris pour sauver vos créatures, entre des millions et des millions de moyens, celui qui vous coûtait le plus…Vous agissez par un amour divin et avec un amour divin, produisant des actes. La Visitation. Que vous êtes bon, mon Dieu!… Vous êtes à peine dans ce monde que vous commencez à le sanctifier. Par l’Incarnation vous avez sanctifié Marie, par la Visitation vous allez sanctifier St Jean et sa famille, à Noël vous sanctifierez les bergers et les mages; à la Présentation vous sanctifierez Siméon et Anne, parmi les docteurs vous sanctifierez ceux d’entre eux qui ne repoussent pas la grâce qui sort de vous… Commençons les actes importants de notre vie par un acte d’humilité. Notre-Seigneur nous en donne l’exemple par son baptême…  » Charles met les paroles qu’il ressent dans la bouche de Jésus: « j’ai été humble en me faisant baptiser par Jean; humble en me disant partout inférieur à mon Père, ce qui était vrai selon mon humanité, moi qui pouvais aussi bien et mieux dire que j’étais son égal comme Personne divine et comme Dieu; humble en proclamant toujours que j’obéissais à mon Père, ce qui était vrai pour mon âme humaine, mais n’était pas vrai pour ma Personne qui était divine, ni pour ma nature divine  » Et Charles de noter les résolutions inspirées par sa réflexion: prière, pénitence, recueillement intérieur: « Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. Ma vocation est de mener, et s’il se peut, de mener à Nazareth une vie qui soit l’image aussi fidèle que possible de la vie cachée de Notre-Seigneur. Acquérir, par la grâce divine, le détachement complet de ce qui n’est pas Dieu, la pauvreté d’esprit qui ne laisse subsister ni petites pensées, ni petits soucis, ni petites inquiétudes, ni pensées d’intérêt personnel soit matériel soit spirituel, ni petites considérations, rien de terrestre, de petit, de vain: vider entièrement l’âme et n’y laisser subsister que la seule pensée et le seul amour de Dieu… Et il ajoute cette phrase aux accents de Gethsémani:  » Me corriger de la peur que j’ai de la croix…  » A l’abbé Huvelin, le père spirituel qui a guidé son retour à Dieu, il écrit: « Ma vie intérieure est très simple: ce n’est qu’une suite de courtes communions spirituelles très répétées… cela est doux… Devant le Saint-Sacrement je ne puis guère faire longtemps oraison: mon état est étrange: tout me paraît vide, vide, creux, nul, sans mesure, excepté de me tenir aux pieds de Notre-Seigneur, et de le regarder,…et puis lorsque je suis à ses pieds, je suis sec, aride, sans un mot ni une pensée, et souvent, hélas, je finis par m’endormir « . Charles est domestique mais les religieuses lui font « la vie trop douce ». Il rêve de fonder une petite communauté, les « Ermites du Sacré-Coeur » pour laquelle il rédige une première règle dont l’austérité effraie l’abbé Huvelin:  » Votre règle est absolument impraticable ». Car cet amoureux veut brûler les étapes pour s’unir au Bien-Aimé. Bientôt il comprend dans sa prière que la vie « à » Nazareth peut se transformer, selon sa vocation particulière, et devenir la vie  » de  » Nazareth:  » Ta vie de Nazareth peut se mener partout, mène-la au lieu le plus utile pour le prochain. » Il veut, comme Jésus enfant au Temple, être aux affaires du Père qui chérit les brebis délaissées. Les Clarisses de Jérusalem, au service desquelles Frère Charles est maintenant entré, lui suggèrent alors de solliciter une ordination sacerdotale. L’abbé Huvelin encourage Charles en ce sens. Celui-ci s’y refusait par humilité. Mais l’obéissance le rassure dans cette voie royale. En outre, Charles comprend que, prêtre, il pourra amener Jésus au milieu des peuples qui ne le connaissent pas. Quelle merveilleuse mission!  » Je pourrai infiniment plus pour le prochain, par la seule offrande au Saint Sacrifice… par la seule présence du Saint-Sacrement « . Par les paroles mêmes de la messe:  » Que l’esprit Saint fasse de nous une éternelle offrande à ta gloire…Père très saint, nous proclamons que tu es grand et que tu as créé toutes choses avec sagesse et par amour… tu nous as envoyé ton propre Fils… lui qui est mort et ressuscité pour nous, il a envoyé d’auprès de toi…l’Esprit qui poursuit son œuvre « .  » Jamais un homme n’imite plus parfaitement Notre-Seigneur que quand il offre le Saint Sacrifice ou administre les sacrements: une recherche de l’humilité qui écarterait du sacerdoce ne serait donc pas bonne car elle écarterait de l’imitation de Notre-Seigneur qui est  » la seule voie  » … rien ne glorifiant tant Dieu ici-bas que la présence et l’offrande de la Sainte Eucharistie, par le seul fait que je célébrerai la Sainte Messe … je rendrai à Dieu la plus grande gloire et ferai aux hommes le plus grand bien « . Charles est donc convaincu. Il quitte les Clarisses chez qui il était, selon ses propres termes, « comme un coq en pâte ». Il arrive, en l’été 1900, à la Trappe de Notre-Dame des Neiges où il avait été reçu dix ans plus tôt. Il y effectue la préparation au sacerdoce, est ordonné prêtre en 1901. Il entre dans le mystère d’amour qui est le secret de son âme : « Et voici que je Le tiens en mes misérables mains! Lui, se mettre entre mes mains !… » Il obtient la permission de s’établir à Béni-Abbès en 1901. Cette oasis au bord de la Saoura, dans l’Erg occidental, près de la frontière marocaine, est peuplée de gens très pauvres, souvent dépouillés par les nomades. Des soldats français y vivent en garnison, loin de tout secours religieux. Ce sont bien les brebis délaissées auxquelles Charles veut amener son Dieu. Après une accueil chaleureux, on lui construit une chapelle de briques sèches et troncs de palmiers. Il y célèbre une première messe le 1er décembre 1901, quinze ans, jour pour jour, avant sa mort : « Je suis bien ému de faire descendre Jésus en ces lieux où, probablement, il n’a jamais été corporellement. …Mes retraites du diaconat et du sacerdoce m’ont montré que cette vie de Nazareth … il fallait la mener … parmi les âmes les plus malades, les brebis les plus délaissées … là où c’est le plus parfait d’après les paroles de Jésus … le plus conforme à l’inspiration de l’Esprit Saint ». Un ermitage est construit pour fonder une Fraternité. Charles rêve d’une vie érémitique… avec des Frères autour de lui, vivant de la même vie. Etroitement uni à Dieu, il va connaître le désert, dans son coeur et sous ses pas.

La vie du désert : il ne prêche pas, il aime Voilà Charles vivant matériellement au désert. Ce désir n’est pas une volonté personnelle de confort spirituel, seul avec son Dieu. Il choisit la vie d’ermite pour y mener librement la vie d’ascèse à laquelle il se sent appelé. Un ermite d’un genre particulier, entouré de pauvres gens, d’esclaves, de malades et d’estropiés. Il va mener une vie apparemment libre mais soumise à une ascèse des plus rudes. Depuis Paris, l’abbé Huvelin, respectueux de l’Esprit, s’efforce de diriger son extraordinaire disciple sans entraver son exceptionnelle vocation. En effet, Charles entre en oraison des heures entières, veille une grande partie de la nuit, mange quelquefois, dort sur le sol, travaille des heures durant… et souhaite que d’autres viennent partager son existence. Il sera cruellement déçu de ne recevoir, de son vivant, aucun compagnon de vie. Cet ermite d’un genre particulier accueille jour et nuit ceux qui ont besoin d’aide, de médicaments, de tissus, d’aiguilles à coudre, toutes choses qu’il fait venir de France. Il ne prêche pas. Il aime. D’abord méfiants, les Touaregs reconnaîtront bientôt dans le  » marabout chrétien « , le Frère universel, brûlant d’amour, qui a entendu Jésus :  » Allez donc, enseignez toutes les nations, baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » (Mt. 28, 19-20). Il cherche pour le compte du Berger les brebis perdues ou isolées. Il se consacre au service du plus pauvre. Il rachète en effet plusieurs esclaves, dont un petit garçon qu’il élève et soigne comme son fils. « Il n’y a pas, je crois, de parole de l’Evangile qui ait fait sur moi une plus profonde impression et transformé davantage ma vie que celle-ci: Tout ce que vous faites à un de ces petits, c’est à Moi que vous le faites. Si on songe que ces paroles sont celles de la bouche qui a dit: ceci est mon corps, ceci est mon sang, avec quelle force on est porté à chercher et à aimer Jésus dans ces petits, ces pécheurs, ces pauvres. » Il est scandalisé de ce que la France, qui a rejeté officiellement l’esclavage, le tolère encore trop souvent par le truchement de ses officiers. Si Charles a pu pénétrer au désert grâce à la présence de l’armée française, il y a longtemps qu’il a démissionné. Il n’est pas colonisateur mais serviteur. Travailleur infatigable, il vit dans une contemplation ininterrompue :  » Réservons à la solitude, à la prière secrète, au tête-à-tête avec Dieu, les heures de la nuit, mais elles seules: tout le reste du jour, passons-le entouré de nos frères, à l’exemple de Notre-Seigneur pour l’inviter, pour obéir à son conseil, pour jouir de l’infini bonheur de sa présence invisible mais absolument certaine au milieu de nous ». Après des tournées dans le Hoggar depuis Béni-Abbès, Charles décide de s’établir définitivement à Tamanrasset en l’été 1905. Dans ce désert de pierre près du village de vingt habitations, dans une petite maison de deux mètres de haut, partie en brique pour l’église et partie hutte de paille pour dormir, manger, cuisiner et …recevoir des hôtes, il sert infatigablement son Epoux. Il vit près de l’Hostie consacrée. Il se laisse, avec quelle ardeur, configurer au Coeur de Jésus: « Cette intimité qui est l’adoration, la contemplation, l’admiration muette qui est la plus éloquente des louanges … qui renferme la plus passionnée des déclarations d’amour… action de grâces de la gloire de Dieu, de ce que Dieu est Dieu … que Dieu soit glorifié par toutes ses créatures ». Cette vie n’est pas une vie béate dans l’abandon à Dieu. Comme Jésus conduit au désert par l’Esprit et tenté par le démon, ( Mt 4, 1) Charles vit aussi des épreuves qui rappellent ces tentations. Le manque de sommeil, les marches harassantes, les longues séances de traductions, les visites aux malades, la faim, provoquent une lassitude extrême. Il manque du nécessaire, d’aliments frais, en particulier, au point de contracter un scorbut très grave. Il s’accuse de gourmandise, lui que la privation de nourriture conduit à de fréquents évanouissements. « Quand on mange peu on a besoin de peu pour vivre; ayant besoin de moins d’argent, de moins de travail, on peut donner plus de temps à la prière, à la lecture de la parole de Dieu; et en outre il reste plus d’argent pour donner aux pauvres ». Charles connaît aussi le découragement devant la tâche énorme qu’il s’est imposée:  » Je n’ai pas fait une conversion sérieuse depuis sept ans que je suis là ». Il voudrait, un peu naïvement, baptiser comme Pierre et ses compagnons au jour de Pentecôte. Mais il n’envisage pas un seul instant d’abandonner cette vie consacrée à Jésus, Fils de Dieu, ainsi qu’aux pauvres qui sont à son image. Il se donnera jusqu’au bout. Si le grain de blé ne meurt, il ne produit pas de récolte.

La Vie publique :  » Père, j’accepte tout  » Ces quinze années passées au désert constitueront sa vie missionnaire, mais également sa vie publique. Charles, que nul disciple ne s’apprête à suivre, que nulle réussite missionnaire ne cautionne, à l’image du Christ, dans une crucifiante solitude d’âme, avait, depuis longtemps, envisagé une mort violente. Il savait, comme Jésus, que la fidélité à sa mission comportait de terribles risques. Il meurt seul, assassiné, le 1er décembre 1916. Jean-Baptiste disait, parlant de Jésus:  » il vous baptisera dans l’Esprit-Saint et le feu « . Charles, purifié par ces années d’identification, est amené, dans l’effusion de l’Esprit et du sang, à partager cette gloire trinitaire qu’il rendait à Dieu depuis de longues années. Jésus apportait la Paix de Dieu, celle qui engendre le glaive pour décapiter le péché. Le péché fut bien décapité, mais à quel prix! Charles, par sa compréhension active du sort des habitants du Sahara, « dérangeait » les partisans de la discorde. Dans l’un et l’autre cas il fut facile de corrompre le coeur de ceux qui auraient pu l’aimer. Après sa mort solitaire dix-huit familles spirituelles actives dans le monde entier, personnes consacrées ou laïcs engagés dans sa spiritualité, témoigneront de l’extraordinaire fécondité de l’échec vécu en Dieu Trinité.

Prière de Charles de Foucauld : « Mon Père, je m’abandonne à toi. Fais de moi ce qu’il te plaira. Quoi que tu fasses de moi, je te remercie. Je suis prêt à tout, J’accepte tout, pourvu que ta volonté se fasse en moi et en toutes tes créatures. Je ne désire rien d’autre, mon Dieu. Je remets mon âme entre tes mains. Je te la donne, mon Dieu, avec tout l’amour de mon cœur, parce que je t’aime et que ce m’est un besoin d’amour de me donner, de me remettre entre tes mains sans mesure, avec une infinie confiance, car tu es mon Père ».

LA TRINITÉ CRÉATRICE

7 janvier, 2016

http://www.france-catholique.fr/La-Trinite-creatrice.html

LA TRINITÉ CRÉATRICE

jeudi 3 décembre 2015

Introduction

Essayons de pénétrer les secrets de Dieu dans son acte créateur. Cela nous conduira à une certaine relecture des textes bibliques, mais surtout, nous retrouverons les problèmes qui ont été soulevés par l’approche du mystère trinitaire, avec les écueils qui l’ont accompagnée. – I – Données bibliques. Nous avons déjà signalé dans la communication précédente, quelques affleurements qui seront exploités dans un sens trinitaire par les Pères de l’Église. Genèse 1,1 : « l’esprit qui plane sur les eaux ». Même s’il ne s’agit pas encore de l’Esprit divin révélé par le Christ, on s’en approche. De même « Dieu dit ». Là, il s’agit bien de la Parole créatrice. Genèse 1,26 : « Faisons l’homme. »introduit une sorte de délibération en Dieu. On n’oubliera pas le verset du psaume 32 : Le Seigneur a fait le cieux par sa parole, l’univers par le souffle de sa bouche. (v.6) De même, les grands textes de Proverbes 8 et de Siracide 24 qui mettent en scène un personnage, la Sagesse, sorte de double de Dieu dans son activité créatrice. C’est une compréhension du monde, avec sa logique intérieure, sa « rationalité », qui est ainsi attribuée au Créateur. On sait qu’à cause de cela, cette Sagesse sera identifiée, dans le Nouveau Testament, soit au Fils, soit à L’Esprit. Le mot « ????s », logos, est à étudier de près. Certains ont voulu qu’il provienne du néo-platonisme. Il est plus vraisemblable que saint Jean, qui est le seul à employer ce mot pour désigner le Christ, se réfère à l’AT, à la Parole créatrice, la Davar. On trouve aussi ce mot dans Philon d’Alexandrie, juif hellénisant un peu antérieur au Christ. Pour lui, le logos est l’image du Dieu créateur transcendant, mais il n’est pas en Dieu. Il conçoit les idées archétypes (héritage de Platon), devient une sorte d’exemplaire dans la création dont il va être médiateur. En particulier, il va devenir l’archétype de l’homme authentique. On s’éloigne de la conception vétéro-testamentaire qui est en arrière-fond dans saint Jean. Il y a plutôt pour celui-ci la perception d’une vie intérieure en Dieu, d’une expression de Dieu à l’intérieur de lui-même. On a fait le rapprochement avec le Timée de Platon. Le démiurge fait passer du monde des idées au monde empirique en regardant le logos. Plusieurs Pères de l’Église, et surtout saint Augustin, y ont vu une affirmation de la création par le logos. D’autres ont tellement valorisé ce discours de Platon qu’ils ont affirmé que c’était un plagiat de la connaissance biblique. En grec, le mot de logos comporte deux aspects : ce qui est pensé, et ce qui est dit. Le premier aspect nous oriente vers la Trinité, le second vers la création. Inconvénient, ce mot de logos, qui a un triple sens : parole, raison et même proportion, a été utilisé par les stoïciens pour signifier la rationalité du monde. On mesure l’audace de saint Jean d’oser prendre ce mot mais en lui donnant plutôt sa consonance de dédoublement de Dieu et de Parole créatrice que de rationalité du monde, même si celle-ci apparaît en fin de compte pour expliquer que l’homme peut comprendre quelque chose au monde car celui-ci est imprégné de cette rationalité donnée par le Logos créateur. Le prologue de l’Évangile de Jean porte : C’est par lui (le Verbe) que tout est venu à l’existence et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui. (1,3) Saint Paul dit, en écho, dans son hymne au Christ, au début de la lettre aux Colossiens : En lui tout fut créé dans le ciel et sur la terre. (1,16) Ailleurs, Paul utilisera beaucoup, mais sans jamais la nommer, la Sagesse, comme archétype du monde créé. Enfin, la Lettre aux Hébreux : Dieu ….. nous a parlé par son Fils qu’il a établi héritier de toutes choses et par qui il a créé les mondes. (1,2)

- II – La Tradition Le credo commence bien par : « Le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre. » Il s’agit de savoir si Père est pris au sens de Dieu, dans sa réalité unique sans distinction des personnes ou comme Père de Jésus-Christ. Ce n’est que saint Thomas d’Aquin qui va distinguer et préciser les deus sens. Origène a une position originale, qui ne sera pas retenue par la suite : le Père est le créateur de tous les êtres, le Fils, logos, celui des êtres raisonnables, « logiques », et le Saint-Esprit, celui des êtres porteurs de l’Esprit, les êtres spirituels. Les choses vont se compliquer avec la querelle arienne. Pour dire la divinité du Fils, saint Athanase, va éviter les termes philosophiques, toujours inadaptés et en discussion, et préférera employer des termes bibliques, par exemple ceux que l’on a vu dans le Prologue de Jean ou dans les Colossiens. D’où cette utilisation des particules pour signifier l’unité d’action créatrice de Dieu, mais aussi la part de chaque personne : « ek », c’est l’action du Père ; « dia », celle du Fils et « ev » celle de l’Esprit. Chaque personne divine agit selon son être propre. Saint Hilaire de Poitiers, un peu après, polémique lui aussi avec les ariens au sujet de la divinité du Christ. Il va reprendre le récit de création pour étayer l’affirmation de foi. Reprenons donc le récit de la création du monde…..Je te le demande : en quoi ce même récit nie-t-il que le Fils de Dieu est vrai Dieu, Car il n’est plus permis d’en douter : tout a été fait par le Fils, selon l’Apôtre (cf Colossiens 1,16).Si tout est par lui, si toutes les créatures ont été tirées du néant, et si rien n’existe, sinon par lui, je voudrais bien savoir pourquoi il ne serait pas « vrai Dieu », celui qui jouit à la fois de la nature et de la puissance de Dieu. Car le Fils a mis en œuvre la puissance propre à sa nature divine, pour donner l’être à ce qui n’existait pas et pour créer toutes choses selon son bon plaisir. ( De Trinitate, livre 5, § 4) On remarquera l’absence de réflexion sur le rôle de l’Esprit créateur, car ce n’est pas son propos. Saint Grégoire de Nysse, dans sa Grande Catéchèse, affirme que le Verbe est créateur, pour affirmer la divinité du Fils, il ne prononce pas le mot Esprit créateur, mais il reprend Psaume 32,6 pour conclure : Qu’il existe un Verbe de Dieu et un Esprit de Dieu, forces douées d’une substance personnelle, créatrices de tout ce qui a été fait et qui contiennent en elles toutes la réalité, les Écritures inspirées de Dieu le montrent clairement ( Chapitre 1, § 4) Mais, ailleurs, il évite d’entrer dans des distinctions d’action, pour ne pas entamer l’unité divine. Manière de montrer que Dieu, dans sa vie trinitaire est vraiment à part. Au contraire, saint Basile, pour mieux affirmer la divinité du Saint Esprit, va multiplier les affirmations de leur union dans l’acte créateur Revenons au point de départ : le Saint Esprit est en toutes choses inséparable du Père et du Fils…On peut apprendre par là qu’en toute action le Saint Esprit est uni au Père et au Fils et n’est est pas divisible (citation de 1 Corinthien 14,4-6, sur la distribution des charismes)… Et à propos de la création des anges : Saisis-donc, dans l’acte qui les a créés, le Père comme cause « principielle », le Fils comme cause « démiurgique », l’Esprit comme cause « perfectionnante »….. Ne me faites pas dire qu’il y a trois principes, ni que l’acte du Père est imparfait. Il n’ y a qu’un seul principe des êtres, qui crée par le Fils et parfait dans l’Esprit. (Traité du Saint Esprit, ch. 16, col.136) Il ne parle donc pas de l’essence divine, comme le feront certains après lui, mais il cerne le rôle des personnes. La théologie médiévale va faire un pas avec le problème des appropriations. Mais celui-ci va susciter bien des remous. Abélard au lieu d’affirmer que Dieu, Père, Fils et Saint Esprit est tout entier puissance sagesse et bonté, juste opposition à toute forme de tri-théisme, va chercher à spécifier les qualités et l’action de chaque personne à l’intérieur de cette unité. Saint Bernard va s’y opposer fortement et réussira à faire condamner Abélard au Concile de Sens, en 1140. Voici les propositions qui furent condamnées : « Le Père est puissance pleine, le Fils a une certaine puissance, l’Esprit saint n’a aucune puissance » (Denzinger 721) et aussi : « Au Père, parce qu’il n’est d’aucun autre, appartient au sens propre et spécial la toute puissance, mais non pas également la sagesse et la bonté » (D. 734) On réfléchit alors sur ce qui est commun aux trois personnes et sur ce qu’on peut attribuer à chacune, en fonction de son rôle à l’intérieur de la Trinité. On attribuera au Père, puisqu’il est l’origine de tout, la puissance, au Fils, la sagesse et à l’Esprit, l’amour. D’autres préféreront dire, pour éviter ce qui pourrait se rapprocher du tri-théisme, que c’est Dieu dans son essence qui est créateur et que les appropriations aux personnes ne sont que des manière de parler. Inconvénient : la disparition de la place et de l’importance des personnes. On ne s’en sortira que si on précise que ce qu’on dit des personnes est de l’ordre de la relation. Le 12° concile œcuménique Latran IV, en 1215, va redonner cette affirmation : (La Trinité) unique principe de toutes choses, créateur de toutes choses visibles et invisibles, spirituelles et corporelles qui, par sa toute puissance, a tout créé de rien dès le commencement du temps. (Au paragraphe suivant) Cette sainte Trinité est indivisible selon son essence commune et distincte selon les propriétés des personnes….(D. 800) On rapporte donc la création à l’ensemble indivisible de Dieu, mais le souci de présenter le rôle de chacune des personnes risque de s’effacer. On ne pourra garder ces appropriations, « le Père créateur, le Fils rédempteur, l’Esprit sanctificateur », que si l’on affirme en même temps que chacune des personnes divines a son rôle dans la création, la rédemption et la sanctification, en fonction de ce qu’elle est dans le jeu d’amour des relations intra-divines.

- III – Essai de synthèse Tout notre discours sur la Trinité créatrice est guetté par les déformations, les hérésies, qui ont jalonné l’élaboration de la juste compréhension du mystère de Dieu en lui-même. Si on insiste sur l’unité d’action, on risque de ne voir qu’un seul sujet en Dieu. Nous versons alors dans le sabellianisme, ou modalisme, qui n’attribue au Fils et à l’Esprit que des manières de parler de Dieu et non une distinction des personnes. Si on force les attributions à chaque personne, on peut tomber dans le tri-théisme, un dieu créateur, un dieu rédempteur, un dieu sanctificateur. En refusant que le Fils soit pleinement participant de la nature divine, l’arianisme a été obligé de donner un rôle secondaire au Fils dans la création. De même pour le Saint Esprit. Le symbole, dit « Quicumque » à cause de son premier mot, est un texte originaire du sud de la France entre 430 et 500. On l’attribue de plus en plus à saint Césaire d’Arles. Il insiste lourdement sur l’unité divine : pas trois Seigneurs, mais un seul Seigneur, pas trois incréés mais une seul incréé. Chose curieuse, il ne pousse pas l’affirmation jusqu’à dire pas trois créateurs mais un seul créateur, tellement c’est sous-entendu. Une autre sorte de récifs nous guette. Nous devons refuser une sorte de nécessité de la création, variante de l’émanation de Dieu : celle par exemple que Hegel présentera. Mais sous prétexte de sauvegarder la transcendance de Dieu, nous ne pouvons pas pour autant éloigner la Trinité, dans la richesse de ses personnes, de toute implication dans la création. En premier lieu, nous devons maintenir l’absolue liberté de Dieu dans l’acte créateur. Dieu n’a pas besoin de la création pour exister. Il n’est pas suspendu à son œuvre au point qu’elle lui soit nécessaire. C’est nous qui devons reconnaître que nous dépendons de Dieu. Pour tenir compte de la distinction des personnes, on peut dire que Dieu crée comme il est. Dieu est amour. La création ne peut se comprendre que comme un acte d’amour. C’est une affirmation chère aux Pères cappadociens du 4° siècle, comme le dit brièvement Grégoire de Nysse dans sa Grande catéchèse : La puissance éternelle de Dieu crée ce qui existe, invente ce qui n’est pas, comprend en elle-même les choses créées et prévoit celles qui ne sont pas encore. Ce Dieu le Verbe, sagesse et puissance, est le créateur de la nature humaine ; aucune nécessité ne l’a amené à former l’homme, c’est la surabondance de son amour qui lui a fait donner naissance à un tel être. (2,5) Voyons comment la création va garder la trace de cette vie intime de Dieu. Le Père, source de tout, donne tout à son Fils pour avoir un vis-à-vis dans son éternité de relation et d’amour. Le Fils lui est semblable, mais pas identique. C’est une première séparation qui annonce celle de la création. Mais la création sera séparation d’avec la source, tandis que le Fils reste dans cette intimité d’amour avec le Père. On voit là l’importance que l’auteur de la Genèse donne à cette action de séparer (1,6 ; 14 ; 18). Il n’y a pas d’existence sans ce premier mouvement de séparation. Et c’est vrai aussi de la génération humaine. De même que la distinction du Père et du Fils va être source de lumière et de fécondité (voir ci-après l’Esprit), de même cette séparation de la réalité créée d’avec son créateur sera source de lumière et de fécondité. Le Fils, est le logos, à la fois parole, raison et proportion. Il va imprimer à la création ces caractéristiques d’intelligibilité, de proportion et d’équilibre : « Mais toi, Seigneur, tu as tout réglé avec mesure, nombre et poids (Sagesse 11,20). » L’union, la communion des personnes divines se fait par la production (procession) de l’Esprit saint, Esprit d’unité et d’amour. Il va insuffler à la création cet élan vers la communion, pour dépasser la dualité et aussi, pour la création humaine, l’orienter vers l’introduction dans la vie divine.

Conclusion Nous retrouvons dans cette étude du lien entre la Trinité et la création, le grand débat entre l’Orient et l’Occident. Il est banal de dire que les Orientaux, la théologie grecque, pour faire court, est plus sensible aux personnes et a parfois du mal à affirmer l’unité divine. La théologie occidentale, disons latine, est partie de l’unité divine et a eu occasionnellement des difficultés à placer la distinction des personnes. Nous retrouvons ces deux pistes avec leurs dangers : à trop insister sur l’unité de l’action créatrice , on a parfois du mal à percevoir le rôle des personnes divines dans la création. Réciproquement, l’attention aux personnes et à leur rôle propre risque toujours de verser dans une mauvaise compréhension de l’unité divine dans l’acte créateur. Mais, comme disait saint Jean-Paul ll, l’Église a toujours eu besoin de ces deux approches complémentaires, de ces deux « poumons » de l’Église et de leur théologie

LA TOUTE PUISSANCE DE DIEU

4 août, 2015

http://www.portstnicolas.org/eglise/la-trinite/article/la-toute-puissance-de-dieu

LA TOUTE PUISSANCE DE DIEU

…Le Puissant fit pour moi des merveilles », chante Marie dans le Magnificat.
En vraie fille d’Israël, elle s’exprime dans des termes habituels à tout lecteur de l’écriture.

Comme Dieu est appelé « le Seigneur », « le Saint » ou « I’éternel », il est aussi appelé « le Puissant ».

La toute-puissance de Dieu est un attribut qui lui est traditionnellement reconnu. Tout naturellement, dans notre prière, nous la supposons, car nous savons que nous pouvons tout demander à Dieu. Pourtant, cette toute-puissance divine est aujourd’hui plus mal comprise qu’hier. Nos ancêtres pensaient sans doute honorer Dieu en l’appelant le « Tout-Puissant ». Aujourd’hui, deux objections tempèrent son usage.
La première est que la toute-puissance de Dieu serait une injure faite à l’homme ; elle le main tiendrait dans une situation infantile, contraire à sa dignité et démentie par les pouvoirs, sans cesse plus grands, qu’il acquiert sur le monde.
La seconde est la difficulté que nous ressentons tous face à la question du mal. Comment un Dieu bon peut-il exister devant le mal ? « S’il y avait un Bon Dieu… il n’y aurait ni guerre, ni famine, ni tremblement de terre… », disons-nous volontiers. Les raisonneurs expliquent que le monde créé est forcément imparfait et que la liberté humaine comporte le risque du mal ; d’autres présentent nos malheurs comme de justes punitions infligées par un Dieu en colère. Mais les premiers ne convainquent guère et les seconds nous scandalisent. Aujourd’hui, la forme aiguë de la question s’exprime ainsi : « Comment peut-on parler de Dieu après Auschwitz ? » Nous ne prétendrons pas résoudre cette question que le croyant portera comme une croix tant qu’il sera ici-bas. Cherchons simplement à comprendre ce que veut dire l’écriture quand elle parle de la puissance de Dieu.

Dieu sauveur de son Peuple
Quand l’Ancien Testament parle de la puissance de Dieu, il faut toujours penser à l’expérience fondamentale de l’Exode. Dieu, « à main forte et à bras étendu », a libéré les Hébreux de la domination égyptienne. D’un « ramassis » de pauvres gens que la Bible est loin de décrire comme des héros, Dieu a fait un peuple, tandis que les chars du tyran ont été engloutis dans la mer Rouge. En libérant les Hébreux de l’esclavage, il les sauve et les crée, car il leur permet d’accéder à leur véritable dimension d’hommes libres. Tout au long de son histoire, Israël s’est tourné vers cette expérience initiale dans laquelle il a vu à la fois le modèle de la libération, du salut, et de la création. Quantité de psaumes la rappellent, pour montrer que Dieu continue de tendre la main à ceux qu’il aime.
En d’autres circonstances, Israël a éprouvé la présence salutaire de Dieu dans sa vie. Mais la toute-puissance dont Dieu fait preuve est souvent paradoxale. Elle s’exerce à travers des êtres considérés comme faibles et petits, comme les femmes ou les enfants.
Une des pages bibliques les plus fameuses est l’histoire de David et de Goliath (1 Samuel 17). Elle ravit les enfants et enchante les adultes qui aimeraient, parfois, prendre leur revanche contre les grands de ce monde. Mais il ne faut pas réduire cet épisode pittoresque à une simple anecdote. Parmi tous les enfants de Jessé, Dieu avait choisi, comme futur roi pour Israël, le plus jeune, tout juste bon à garder le troupeau. Dans des récits plus ou moins romancés, ce sont des femmes certes, belles et courageuses – qui éviteront au peuple d’être anéanti : Judith, face à Holopherne ; Esther, face à Assuérus. La première réussit par ruse à tuer le tyran Holopherne ; la seconde, épouse du roi perse Assuérus, plaide pour son peuple malheureux.
Avant de se rendre chez Holopherne, Judith termine ainsi sa prière : Fais connaître à tout peuple et à toute tribu que tu es le Seigneur, Dieu de toute puissance et de toute force, et que le peuple d’lsraël n’a d’autre protecteur que lui. (Judith 9, 14.)
L’écriture raille volontiers la puissance des rois qui n’est qu’apparence de la puissance. Ainsi, le deuxième livre des Maccabées se moque d’un autre persécuteur du peuple juif, Lysias, « ne tenant aucun compte de la puissance de Dieu, mais pleinement confiant dans ses myriades de fantassins, dans ses milliers de cavaliers et ses quatre-vingts éléphants » (2 Maccabées 11, 4). Dans son Magnificat, Marie rend grâce à Dieu, parce qu’il a « déposé les puissants de leurs trônes ».
Israël réécoute souvent le récit des hauts faits du Seigneur dans son histoire. Il est convaincu que le coeur de Dieu ne peut pas changer : s’il a, une première fois, sauvé son peuple en le faisant sortir d’égypte, il le sauvera toujours, d’une manière ou d’une autre. Sa puissance n’est pas seulement dans le passé. Elle est à espérer dans l’avenir. Comme il y eut l’Exode, il y aura le Nouvel Exode, le Retour d’après l’Exil. C’est « la Bonne Nouvelle » d’lsaïe que la liturgie propose pendant l’Avent :
élève la voix sans crainte, dis aux villes de Juda : « Voici votre Dieu.. »
Voici le Seigneur YHWH qui vient avec puissance, son bras assure son autorité ; voici qu’il porte sa récompense, et son salaire devant lui. Tel un berger il fait paître son troupeau, de son bras il rassemble ses agneaux, il les porte en son sein, il conduit doucement les brebis mères. (Isale 40, 9-11.)
Le peuple, en effet, est rentré en Israël après l’exil. Il a connu sur la Terre promise une restauration matérielle et morale. Mais d’autres difficultés sont ensuite survenues… L’espérance d’lsraël était-elle fausse ? La puissance de Dieu a-t-elle été mise en échec par la destruction du Temple en 70, par la dispersion à travers le monde, puis par la Shoah ?

Dieu qui maintient tout par sa puissance
L’expérience initiale de l’Exode se prolongera dans deux directions : vers l’origine et vers le présent. Comme Dieu a créé son peuple à partir d’hommes qui étaient des moins que rien, il a créé le monde, I’univers entier. Cet acte de foi d’lsraël dans un Dieu qui a tout créé, le cosmos, les éléments, tous les êtres vivants, lui fait comprendre qu’il n’y a pas d’autres dieux sous le ciel. Alors qu’auparavant, selon les croyances habituelles, chaque peuple avait son Dieu qui régnait sur un territoire, désormais, le Dieu d’lsraël devient le seul Dieu, I’unique. La toute-puissance de Dieu prend, dans la conscience d’lsraël, une ampleur nouvelle. Comme il est grand ce Dieu qui règne sur tout l’univers ! Israël affirme aussi que Dieu a créé le monde à partir de rien, sinon de lui-même.
Toutes les forces à l’oeuvre dans le monde sont donc un reflet de sa puissance. Comme le rappelle le livre de la Sagesse, il ne faut pas les confondre avec le Dieu créateur.
Oui, foncièrement vains tous les hommes qui ont ignoré Dieu, et qui, par les biens visibles n’ont pas été capables de connaître Celui-qui-est et n’ont pas reconnu l’Artisan en considérant les oeuvres… Et si leur puissance et leur activité les ont frappés d’admiration, qu’ils en déduisent combien est plus puissant Celui qui les a formés, car la grandeur et la beauté des créatures font, par analogie, contempler leurAuteur. (Sagesse 13,1-5.)
Saint Paul reprendra l’argumentation dans l’épître aux Romains :
Ce qu’il y a d’invisible depuis la création du monde se laisse voir à l’intelligence à travers ses oeuvres : son éternelle puissance et sa divinité. (Romains 1, 20.)
Cette invitation à contempler Dieu dans son oeuvre de création est constante dans les Psaumes :

Le Seigneur règne, vêtu de majesté,
le Seigneur s’est vêtu de puissance,
il l’a nouée à ses reins.
Tu fixas l’univers inébranlable.
Ton trône est fixé dès l’origine.
De tout temps c’est toi, le Seigneur !
(Psaume 93, 1-2.)
Le Seigneur compte
le nombre des étoiles
et il appelle chacune
par son nom.
Il est grand, notre Seigneur,
tout-puissant.
A son intelligence,
point de mesure !
(Psaume 147, 4-5.)

Dans un monde menaçant, le croyant met sa confiance dans le Seigneur. Ce n’est pas le chaos qui l’emportera, car, par étapes, Dieu a fait sortir le monde de son tohu-bohu initial (Genèse 1, 2). Au terme du Déluge, Dieu l’a promis :
Tant que durera la terre, semailles et moissons, froidure et chaleur, été et hiver, jour et nuit ne cesseront plus. (Genèse 8, 22.)
En signe de cette alliance, Dieu suspendit dans les nuées son arc-en-ciel (Genèse 9, 12-17).
Cet arc-en-ciel, signe de l’alliance, de la fidélité de Dieu, est aussi la preuve que la toute-puissance de Dieu n’est pas hostile à l’homme. La Bible le rappelle parfois en précisant : « le Puissant de Jacob ». Elle fait référence au combat de Jacob avec l’ange du Seigneur (Genèse 32, 24-31). étrange combat dont Jacob sortira blessé mais vivant. Dieu s’est montré fort mais Jacob n’a pas été vaincu. Jacob change de nom : il s’appellera désormais « lsraël », ce qui signifie approximativement « fort contre Dieu ». La toute-puissance de Dieu ne consiste donc pas à écraser l’homme.

La puissance de Dieu dans l’évangile
Dans le Nouveau Testament, nous découvrons un lien entre l’Esprit Saint et la puissance. L’Esprit Saint, en effet est venu sur Marie et la puissance du Très-Haut l’a prise sous son ombre (Luc 1, 35) Par l’Esprit qui demeure en lui, Jésus agit avec puissance (Luc 4, 14) : par sa parole qui convertit (Luc 4, 32), qui guérit (Luc 5, 1 7), qui calme la tempête (Luc 8, 25), qui chasse les démons (Matthieu 12, 28). Il est l’homme « plus fort » qui met dehors « I’homme fort et bien armé » qui prétendait nous garder prisonniers (Luc 11, 21-22). En lui, la puissance de Dieu manifeste sa vocation profonde : elle est tournée vers le pardon. Ainsi s’expriment plu sieurs oraisons :D ieu, qui donnes la preuve suprême de ta puissance lorsque tu patientes et prends pitié, sans te lasser, accorde-nous ta grâce… (Oraison du 26ème dimanche ordinaire)

Accepte,
Seigneur, le sacrifice de louange et de pardon,
afin que nos cceurs, purifiés par sa puissance,
t’offrent un amour qui réponde à ton amour._ (Prière sur les offrandes du 12ème dimanche ordinaire)

En effet, I’audace de la foi chrétienne est de voir dans la Passion de Jésus l’expression suprême de la puissance de Dieu. Nul mieux que saint Paul n’a mis en valeur ce renversement évangélique : la puissance de Dieu culminant dans l’extrême dénuement de la Croix.

Le langage de la Croix est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui se sauvent, pour nous il est puissance de Dieu…
Nous prêchons un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés, Juifs comme Grecs, c’est le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes. (1 Corinthiens 1, 18…25.)
Certes, la Croix n’est pas le terme. Mais déjà, en elle-même, elle est une victoire : Jésus a été mis à mort mais l’Amour n’a pas été vaincu. La Croix débouche sur la Résurrection que le Père réalise par sa puissance. Quelque temps avant la passion, dans une polémique avec les Sadducéens qui ne croyaient pas à la résurrection, Jésus leur avait reproché de « méconnaître les écritures et la puissance de Dieu » (Matthieu 22, 29). Il avait promis à ses disciples que certains « ne goûteraient pas la mort avant d’avoir vu le Royaume de Dieu venir avec puissance » (Marc 9, 1). La résurrection de Jésus inaugure cette venue, car elle est une véritable victoire sur la mort et non un simple sursis comme pour Lazare.
Dans le prologue solennel de l’épître aux Romains, saint Paul parle de « Jésus Christ notre Seigneur », « établi Fils de Dieu avec puissance selon l’esprit de sainteté, par sa résurrection d’entre les morts » (Romains 1, 4). C’est par le même Esprit et la même puissance que, nous aussi, nous ressusciterons (Romains 8, 1 1 ; Corinthiens 6, 1 4).
Où est la vraie puissance de Dieu ?
Ce parcours à travers l’écriture nous permet de préciser quel contenu il convient de donner à la toute-puissance de Dieu. Les rois du monde atteindraient-ils une puissance considérable, elle n’équivaudrait jamais à la puissance de Dieu. Car Dieu est d’une autre nature que l’homme. L’homme, en effet, est marqué par la finitude. Il est limité dans le temps : il ne connaît qu’une portion du temps, alors que Dieu est hors du temps. Il naît homme ou femme, mais jamais il n’est homme et femme. Enfin, la mort, terme de toute sa puissance possible atteste de sa faiblesse.
Comme il était annoncé, ce parcours ne résout pas le « problème du mal ». Il veut seulement montrer qu’il faut entendre l’affirmation du Credo – « Dieu, le Père tout-puissant » – dans la langue de l’écriture. Or, dans l’écriture, Dieu n’a jamais promis de mettre en oeuvre sa puissance pour ôter les obstacles qui encombrent le chemin de notre humanité.
Cette puissance-là, le « Fils de Dieu » y a renoncé lors de la Tentation (Matthieu 4, 3-4) et le Père lui-même y renonce à Gethsémani (Marc 14, 36). Pour ne pas être mal comprise, la puissance de Dieu ne se manifeste qu’au-delà de la mort : dans la résurrection du Christ, que la plupart des textes de l’écriture attribuent au Père. C’est lui, la source de la vie.

La providence, dans l’espérance
De nombreux textes bibliques, en particulier les psaumes, invitent le fidèle à mettre sa confiance en Dieu. Dieu, disent-ils, est Providence. Ils s’appuient sur l’expérience d’lsraël au désert, quand le peuple a reçu en nourriture la manne, à la mesure de ce dont il avait besoin pour chaque jour (Ex 16).
Il ne faut pas se tromper sur ce que la Tradition chrétienne appelle la « providence ». Il ne s’agit pas de quelques faveurs que Dieu accorderait, arbitrairement, à certains. La providence est objet de foi et d’espérance. Nul père ne peut dispenser son fils de traverser des épreuves mais nous sommes certains que Dieu, ultimement, fera tout concourir au bien de ceux qui l’aiment (Romains 8, 28). C’est saint Paul qui le dit. Et pourtant, sa route fut, plus que pour d’autres, semée d’embûches (2 Corinthiens 11, 23-27).
Cette espérance n’est pas séparable de notre foi en la résurrection. Les miracles de Jésus dans l’évangile, ceux que les apôtres accomplirent à sa suite (Actes 5, 32) et ceux qui s’accomplissent aujourd’hui sont des signes précurseurs, mais encore temporaires, du monde de la résurrection. Ils nous attestent que Dieu veut le bien de l’homme, de l’homme tout entier, y compris en son corps.
Le Credo, entre l’affirmation de son début (« Dieu, le Père tout-puissant ») et celles qui le finissent (« la résurrection de la chair et la vie éternelle »), énumère tous les actes sauveurs de Dieu. Comme le dernier mot du Credo (« amen ») correspond au premier (« je crois »), il n’est peut-être pas exagéré de voir dans notre résurrection proclamée à la fin – et en elle seule – la toute-puissance efficace de notre Père, proclamée au début. Le Credo irait ainsi de la vie à la vie. Car, en dernier lieu, la puissance créatrice recréera toutes choses. C’est ce qu’affirme le livre de l’Apocalypse :
Il essuiera toute larme de leurs yeux : de mort, il n’y en aura plus ; de pleur, de cri et de peine, il n y en aura plus, car l’ancien monde s’en est allé. (Ap 21, 4.)
En attendant, Jésus ne nous a pas donné une réponse à nos angoisses. Il est venu dans notre angoisse, dans notre nuit. Et il y est toujours, car « j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger… ».
A défaut d’une explication, nous pouvons nous appuyer sur une présence et suivre un commandement : I’amour.

SAINTE-TRINITÉ (31/5) : COMMENTAIRE

29 mai, 2015

http://www.portstnicolas.org/chantier-naval/textes-et-commentaires-des-dimanches-et-fetes/annee-b/article/sainte-trinite-31-5-commentaire

SAINTE-TRINITÉ (31/5) : COMMENTAIRE

PORT SAINT NICOLAS

À une époque où l’on avait un peu oublié que chaque messe (sa prière eucharistique en particulier) était une prière au Père par Jésus dans son Esprit, s’imposa une fête de la Trinité. Elle se répandit à partir de 1030 et fut officialisée pour l’Église universelle en 1334. On ne sait exactement pourquoi elle fut placée au dimanche suivant la Pentecôte ; probablement voulut-on synthétiser l’oeuvre des trois personnes divines après avoir, pendant le Temps pascal, célébré l’action de chacune.
L’intention était bonne : réveiller chez les fidèles le sens d’un Dieu qui s’est révélé de trois manières éminemment personnalisées. Or ce besoin est tout aussi actuel aujourd’hui où les uns s’adressent au dieu plat de Voltaire, le créateur du monde, et où les autres naviguent entre trois dieux dont ils ne savent exactement comment, malgré tout, en faire un seul.
Notre temps a cependant un atout : plus sensible à l’Écriture qu’aux abstractions du moyen-âge finissant, il peut, à l’occasion de cette fête, retrouver Dieu tel que le décrit la Bible et que la liturgie le célèbre : le Père qui envoie son Fils réaliser un plan d’amour que l’Esprit de Jésus nous communique aujourd’hui dans l’Église. Bible et liturgie nous parlent d’un Dieu qui vient à nous de trois manières éminemment personnalisées. Celles-ci, à leur tour, nous font pressentir que Dieu n’est pas le « célibataire qui s’ennuie derrière les étoiles », mais que, à l’intérieur de lui-même, il y a une richesse d vie, un échange, un toi-et-moi qui nous font retenir le souffle avant de nous en faire chanter l’admirable accord. C’est ce que nous appelons le mystère de la Trinité, un seul Dieu en trois personnes, ce mot personne n’ayant pas le sens actuel de trois individus. Tertullien emploie le mot latin « persona » en pensant aux masques utilisés dans le théâtre ancien comme amplificateurs. Mais les mots humains sont tous piégés.
Ce que la liturgie nous donne au long de son année en doses homéopathiques est donc, aujourd’hui, célébré dans toute sa richesse. Même si le peuple chrétien ne saisit pas tout avec précision (et quel théologien oserait y prétendre !), une espèce d’instinct surnaturel lui a toujours fait aimer cette fête qui lui réjouit le cœur.
L’amour est le thème majeur qui parcourt les lectures. Ici pas de vérités abstraites ni de concepts théologiques. Le texte inspiré nous aide à pénétrer avec émerveillement dans ce que l’on appelle le mystère : non le mystérieux, l’obscur, mais l’éclat si violent que notre cœur ne peut le capter entièrement, un peu comme nos yeux ne sauraient sonder le soleil. Laissons-nous prendre par l’amour qui vibre à l’intérieur de Dieu pour, à notre tour, le répandre dans un don de nous-mêmes qui en sera le reflet.

Première lecture : Dt 4,32-34.39-40
Prouver l’existence de Dieu est superflu à Israël, quand il a les preuves éclatantes que Dieu l’a choisi, est venu le prendre au milieu d’autres nations, à travers des épreuves, des signes et des prodiges… par des exploits. Tu as vu le Seigneur faire tout cela pour toi. Vois comme il prend soin de toi. Vraiment, il est ton Dieu.
Compare, interroge. Est-il un peuple qui ait entendu comme toi la voix de Dieu ? Va chercher ailleurs… si tu trouves. Et reviens, fier de ta foi.
D’ailleurs, tous les autres dieux sont des faux : argent, puissance, forces occultes… Le Seigneur est Dieu… et il n’y en a pas d’autre.
Ce n’est pas encore la révélation trinitaire telle que nous la donnera Jésus. Mais ce n’est déjà plus le dieu de Voltaire, l’être suprême perdu dans sa solitude. C’est le Dieu qui t’a choisi, est venu te prendre. Ton Dieu !
Tu lui es lié par tant de bienfaits reçus. Réponds-lui en gardant tous les jours les commandements et ordres du Seigneur, dont le plus grand, l’unique est : Tu aimeras.

Psaume : Ps 32
Toi, peuple choisi, race sacerdotale, chante le Seigneur. Dans la grandeur de la création, vois la puissance du créateur : Il a fait les cieux, l’univers, par la seule force de sa parole, le souffle de sa bouche.
Vois surtout sa sollicitude pour toi : Dieu veille sur ceux qui le craignent (le vénèrent), qui mettent leur espoir en son amour. Il est pour toi un appui sûr, un bouclier qui te protège. Il nous donne mieux que les bonheurs humains – la joie profonde de notre cœur.

Deuxième lecture : Rm 8,14-17
Un des sommets de la Lettre aux Romains. Et une des plus belles explications trinitaires. Sans théorie, là, directement : nous sommes enfants, fils du Père, comme Jésus. Nous pouvons dire à Dieu, comme son Fils : « Abba », mot encore plus audacieux que Père et que l’on pourrait traduire par papa. Et cela est l’oeuvre de l’Esprit, c’est lui qui nous communique ce qu’est Jésus. Il est l’Esprit de communion. Conséquence de cette filiation : plus de religions d’esclaves qui agissent sous le coup de la crainte, des gens qui ont encore peur ou qui se contentent de « ce qu’il faut faire », qui croient acheter Dieu avec leurs prestations de service. Mais une relation à Dieu faite de confiance et de liberté, qui aime sans chercher à capitaliser vertus et mérites, et qui fait plus que ce qui est seulement commandé. Cette filiation nous fait participer à tout ce qu’a le Christ, ciel compris : nous sommes héritiers avec le Christ. En as-tu vraiment conscience, chrétien complexé, traînant les pieds, inodore, incolore ?
Vocation magnifique, mais aussi exigeante : cette filiation doit être prise au sérieux, être fils comme Jésus, c’est aller le même chemin que lui : souffrir avec lui pour être avec lui dans la gloire.

Evangile : Mt 28,16-20
On s’attendrait, en cette année B du cycle où domine l’évangile de Marc, à un extrait de celui-ci sur les trois Personnes divines. Mis à part le récit du baptême de Jésus, on chercherait en vain un passage où elles soient mentionnées. C’est que le plus ancien des évangiles n’a pas encore une théologie très élaborée. On a donc choisi, pour la commodité, la finale de Matthieu qui présente une formule trinitaire explicite.
Les onze disciples (le douzième, Judas, s’était pendu) s’en allèrent en Galilée. A la montagne, celle des béatitudes où Jésus avait exposé son discours-programme, la montagne symbolique de la nouvelle Alliance, le nouveau Sinaï, là même où avait commencé le ministère de Jésus, là aussi commence celui de l’Eglise.
Quand ils virent Jésus glorieux, la divinité transparaissant dans tout son être, ils se prosternèrent, en signe d’adoration.
Mais certains eurent des doutes. Ils n’arrivent pas encore à croire à l’inouï. La petite phrase se perd ensuite dans l’ensemble de récit, mais elle suffit pour nous rappeler que la foi est lente, ardue. Quand l’un nage dans la mystique, l’autre patauge dans les difficultés de croire.
Jésus s’approcha d’eux. Il se fait si proche qu’il va leur communiquer quelque chose de lui-même. Le moment est solennel, indiqué par le « il leur adressa la parole », littéralement « il parla en disant ». Quelque chose d’important se passe. Et, de fait, Jésus donne à ses disciples son testament spirituel. En trois vagues :
Il affirme son pouvoir : tout pouvoir m’a été donné. Depuis sa résurrection, Jésus a une nouvelle « fonction ». Le Père lui a confié le gouvernement du monde. Un pouvoir total. Sur tout : au ciel et sur la terre. Plus loin, il sera encore question de toutes les nations, de tous les jours. Jésus est, par sa résurrection, le Pantocrator, le chef de tout.
Puis il délègue ses pouvoirs à son Église. Allez donc ! De toutes les nations (et non plus seulement du peuple juif) faites des disciples : préparez-les à la foi ; baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit. On reconnaît facilement la formule avec laquelle on baptisait dès les temps apostoliques. Apprenez-leur à garder tous les commandements que je vous ai donnés, à vivre la foi intégralement.
Baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. C’est plus qu’une nomenclature. Le nom désigne la puissance, la force vitale qui se communique. Le Père, au baptême, fait de nous ses fils, nous devenons frères du Fils unique, l’Esprit nous met en communion avec le Père et le Fils, il nous fait « communier » entre nous.
Ce texte atteste que, dès les débuts de l’Eglise, on baptisait selon une formule trinitaire où l’on plongeait trois fois le catéchumène dans l’eau, en lui demandant de « confesser » les Personnes divines. Cette coutume est rapportée par d’autres écrits, la Tradition apostolique, par exemple.
Par le saint baptême, nous entrons dans la « famille divine ». Qui donc le comprendrait sans trembler de vénération et de joie ! Se réalise ce que Jésus disait lors de ses adieux : « Si quelqu’un m’aime, mon Père l’aimera et nous viendrons à lui et nous établirons chez lui notre demeure » (Jn 14,23) – « Moi en eux comme toi en moi » (Jn 17,21.23). Voir, d’ailleurs, tout l’admirable et mystique discours des adieux (Jn 14-17).
Entrant dans la famille divine, nous entrons aussi dans la famille ecclésiale qui voudrait et devrait être une réplique faible, mais réelle, de cet échange amoureux à l’intérieur de Dieu.
Enfin, nos familles et nos communautés peuvent et devraient se voir comme un écho de cette famille divine : plusieurs dans un seul amour.