Archive pour la catégorie 'Temps Liturgiques: Carême'

LA CONVERSION ET LE CARÊME DANS L’ÉGLISE ORTHODOXE

19 février, 2013

http://www.pagesorthodoxes.net/metanoia/metanoia-introduction.htm

LA CONVERSION ET LE CARÊME

DANS L’ÉGLISE ORTHODOXE

Le désir premier, fondamental et permanent de tout chrétien est le désir de Dieu, ce que les Pères appellent la métanoïa, cette unification et ce retournement de notre intellect et notre coeur par lequel nous cherchons à nous tourner vers Dieu, vers les choses d’en-haut, vers la Lumière divine, la Lumière du Christ qui illumine tout homme en venant dans le monde (Jn 1,9), rejetant ainsi les oeuvres des ténèbres, le Diable, le péché.
Les premiers mots de Jésus au début de sa vie publique sont un appel à la conversion : Repentez-vous, car le Royaume des Cieux est proche (Mt 4,17). Ce repentir et cette conversion doivent accompagner la vie chrétienne depuis la naissance par l’Esprit Saint dans le baptême jusqu’au dernier soupir, car sans elle nous retournons vers les ténèbres,  le néant et  la mort. C’est le sens même de la métanoïa, mot grec formé de deux racines : meta, qui veut dire « au-delà, changement, transformation » et noûs, « esprit, intellect ». Le mot français « repentir » est parfois utilisé pour traduire métanoïa, mais l’expression « conversion de l’esprit » transmet mieux la profondeur du sens spirituel qui est entendu lorsque les Pères nous parlent de la métanoïa.
Il est important de distinguer le repentir de la culpabilité. Si le repentir véritable est le retournement de l’esprit vers Dieu, en étant confiant que le Dieu de miséricorde pardonne les fautes, la culpabilité est un enfermement de l’esprit sur lui-même, sur ses manquements et ses péchés. La culpabilité doute de la miséricorde et du pardon divins ; elle mène au découragement et même au désespoir. La culpabilité est une fausse humilité et l’orgueil déguisé par l’Ennemi   : l’humilité véritable est reconnaît sa faute et accepte le pardon de Dieu. Sur le chemin, le chrétien garde le souvenir de ses fautes, c’est-à-dire de sa responsabilité, et non de sa culpabilité ; l’un est salutaire, l’autre diabolique.
C’est donc dans un constant esprit de conversion que le chrétien chemine vers Dieu. La grâce de la conversion est celle du baptême, qui nous transforme en « hommes nouveaux », ayant été purifiés dans le Christ par l’Esprit Saint. Mais en cette vie nous sommes toujours des pèlerins, nous sommes toujours en route. Jusqu’au terme de notre voyage, les obstacles, les détournements, les égarements en dehors du Chemin qu’est le Christ (Jn 14,6), nous guettent de tous les cotés. Nous prenons facilement de faux chemins qui nous  éloignent de Dieu, nous nous perdons sur les routes tortueuses qui mènent tous à la mort, en dépit de leurs apparences parfois attrayantes, non seulement du la mort du corps, mais aussi de l’âme. Car l’âme sans Dieu est déjà « morte », privée de sa Source et de sa Nourriture.
L’Église nous propose à chaque instant, tout au long de l’année, des moyens pour nous rappeler le chemin que nous devons suivre. Ce sont notamment la participation à la vie sacramentelle de l’Église, en particulier l’Eucharistie, la célébration de la Divine Liturgie les dimanches et les grandes fêtes. Il y a cependant une période de l’année liturgique pendant laquelle l’Église nous invite spécialement à lutter contre les ténèbres et le péché, et à purifier l’homme intérieur, dans une longue préparation qui nous permette d’entrer pleinement dans les mystères de la Semaine Sainte, de vivre la Passion de Notre Seigneur, de mourir avec lui, afin de pouvoir, le matin de Pâques, ressusciter avec lui et partager le Royaume préparé pour nous dès avant la création du monde.
Cette période est le Grand Carême, la « Sainte Quarantaine » qui précède Pâques. Deux attitudes fondamentales caractérisent le Carême, attitudes qui trouvent une juste réflexion dans l’expression la « radieuse tristesse ». Nous sommes tristes parce que nous sommes conscients de nos manquements, de nos égarements loin du bon chemin menant à Dieu ; nous sommes tristes parce que nous sommes conscients d’être loin de la perfection en Christ, de la sainteté à laquelle nous sommes appelés (Mt 5,48). Mais en même temps notre tristesse est illuminée par la conscience de l’amour de Dieu, « seul ami des hommes », de la miséricorde divine dans laquelle nous pouvons placer toute notre confiance. Comme le Fils prodigue, nous savons que notre Dieu nous attend avec un vêtement neuf et un anneau pour notre doigt, dès que nous faisons le moindre effort pour retourner vers lui et entrer dans le repentir, la métanoïa (cf. Lc 15,20-24). Notre tristesse est radieuse parce qu’elle est illuminée par la Lumière de la Résurrection du Christ, qui nous ressuscite afin que nous puissions entrer avec lui dans le Royaume du Père.
Ces deux mouvements de l’âme, en apparence contradictoires, doivent animer le chrétien tout au long de l’année et spécialement en vue de sa participation à l’oeuvre du Grand Carême, oeuvre à la fois personnelle et collective. Car si la métanoïa est un geste profondément personnel, il trouve une expression dans les rituels et les conseils de l’Église, dans la communauté chrétienne dont nous faisons partie. Bien que nous devons obligatoirement oeuvrer seul, nous devons aussi partager notre « douloureuse joie » – autre expression chère aux orthodoxes – avec nos frères et nos soeurs qui cheminent avec nous. Nous pouvons tirer inspiration, courage et ressources de ce partage, en particulier le partage de la richesse des moyens que l’Église met à notre disposition pendant le Carême.
Tous ces moyens peuvent se résumer à deux pratiques principales, la prière et le jeûne : Ce genre de démon ne peut s’en aller, sinon par la prière et le jeûne (Mt 17,21). Prière à la fois personnelle et collective : en plus d’un approfondissement de la prière personnelle, l’Église nous propose des périodes de prière – des offices spéciaux – qui nous parlent avec une grande éloquence de paroles et de gestes symboliques et qui nous invitent à entrer l’expérience de cette conversion de l’âme essentielle à la vie chrétienne. Le jeûne qu’elle nous invite à accomplir est à la fois alimentaire et spirituel, car le jeûne auquel nous sommes appelés est aussi un jeûne de l’âme, une purification par l’ascèse des passions, ces habitudes qui nous empêchent d’avancer vers Dieu. C’est aussi un jeûne à la fois personnel et collectif : en plus du jeûne personnel, l’Église tout entière vit le temps de Carême comme période de jeûne. Le Grand Carême, c’est l’Église en tant que préparation et attente de l’accomplissement de l’oeuvre du salut.
Les Pages Métanoïa ont pour objectif de présenter quelques éléments de ce mouvement de la conversion de l’âme, à la fois sur un plan général et plus particulièrement en ce qui concerne le Grand Carême, ce « printemps de l’âme » – ce n’est pas par hasard que le Grand Carême tombe au printemps, cette période du renouvellement de la nature, de l’explosion de la vie nouvelle après le passage sombre de l’hiver.
La métanoïa, comme nous l’avons suggéré, doit être l’attitude fondamentale de tout chrétien, mais le Grand Carême tel qu’il est vécu dans l’Église orthodoxe possède des aspects qui lui sont propres. La présentation de ceux-ci peut servir, nous le souhaitons, de rappel ou d’approfondissement pour nos visiteurs orthodoxes, et d’introduction pour nos visiteurs non-orthodoxes. Car tous sont invités à entrer, avec nous, dans la « radieuse tristesse » de l’âme du chrétien devant son Seigneur et son Dieu.
Nous avons choisi saint Jean Baptiste comme patron de ces Pages Métanoïa : le Précurseur du Christ, le dernier des prophètes, il fait le lien entre l’Ancien Testament et le Nouveau Testament, en appelant les hommes à la repentance, car le Royaume de Cieux est proche (Mt 3,2). Le Christ qui lui-même, « le seul sans péché », vient à Jean Baptiste pour se faire baptiser, mais par son baptême, c’est le Christ qui sanctifie les eaux du Jourdain, qui deviennent les eaux purificatrices et libératrices du baptême chrétien. Et comme patron des pages sur le jeune, nous proposons le prophète Élie, dont l’expérience démontre que c’est Dieu qui nourrit l’homme, et non la nourriture terrestre consommée sans Dieu, comme Adam tenta de le faire (cf. 1 R 17,2-6 ; 19,5-8).
La première des Pages Métanoïa nous présente des textes du Nouveau Testament sur la conversion et le repentir, y compris les Évangiles des dimanches de la période de l’avant-Carême, pendant laquelle l’Église prépare notre esprit pour entrer dans la Grand Carême. La tradition des Pères concernant le repentir est représentée par des Paroles des Pères du Désert, ainsi que par des écrits de saint Silouane l’Athonite.

« EN MARCHE DANS LE DÉSERT », TRIPTYQUE DE FRÈRE SYLVAIN, DE TAIZÉ

18 février, 2013

http://www.paroissefrancaisedemilan.com/page-1224.html

 LES MÉDITATIONS DE FRÈRE ALOIS DE TAIZÉ

LE CARÊME : NOUS TOURNER VERS DIEU

« EN MARCHE DANS LE DÉSERT », TRIPTYQUE DE FRÈRE SYLVAIN, DE TAIZÉ

Le Carême oriente d’abord notre pensée vers l’image du désert, celui dans lequel Jésus a passé quarante jours de solitude, ou celui qu’a traversé le peuple de Dieu en y marchant quarante ans.
Et pourtant, quand revenaient ces semaines précédant Pâques, frère Roger aimait rappeler que ce n’était pas un temps d’austérité ou de tristesse, ni une période pour entretenir la culpabilité, mais un moment pour chanter la joie du pardon. Il voyait le Carême comme quarante jours pour se préparer à redécouvrir de petits printemps dans nos existences.
Au début de l’Evangile de saint Matthieu, quand Jean-Baptiste proclame « repentez-vous ! », il veut dire « tournez-vous vers Dieu ! » Oui, pendant le Carême, nous voudrions nous tourner vers Dieu pour accueillir son pardon. Le Christ a vaincu le mal et son constant pardon nous permet de renouveler une vie intérieure. C’est à une conversion que nous sommes invités : non pas nous tourner vers nous-mêmes dans une introspection ou un perfectionnisme individuel, mais chercher une communion avec Dieu et aussi une communion avec les autres.
Nous tourner vers Dieu ! Il est vrai que, dans le monde occidental, il est devenu difficile pour certains de croire en Dieu. Ils voient son existence comme une limite à leur liberté. Ils pensent qu’ils doivent lutter seuls pour construire leur vie. Que Dieu les accompagne leur semble inconcevable.            
Voici une année, j’ai rendu visite à nos frères qui habitent en Corée depuis trente ans. Sur le chemin, avec un autre frère, nous avons eu des rencontres de jeunes dans plusieurs pays asiatiques. Ce qui m’a frappé en Asie, c’est que la prière semble naturelle. Au sein des différentes religions, les gens ont spontanément dans la prière une attitude de respect, voire d’adoration.                                                                                                                       
Bien sûr, dans ces sociétés il n’y a pas moins de tensions ou de violences qu’en Occident. Mais un sens de l’intériorité est peut-être plus accessible, un respect devant le miracle de la vie, de la création, une attention au mystère, à un au-delà.                                               
Comment renouveler une vie intérieure en découvrant et redécouvrant une relation personnelle avec Dieu ? Il y a en nous tous la soif d’un infini. Dieu nous a créés avec ce désir d’un absolu. Laissons vivre en nous cette aspiration !
Parmi les chants de Taizé, il en est un qui peut porter cette attente, les paroles en sont d’un poète espagnol, Luis Rosales, inspiré par saint Jean de la Croix : « De nuit nous marcherons et, pour trouver la source, seule la soif nous éclaire. » Pour certains, le temps du Carême est celui du jeûne. Non pas que l’ascèse ait une valeur en elle-même, mais il y a en chacun une attente plus profonde que les attentes superficielles, une soif plus essentielle, et cette soif peut illuminer notre route.
Si nous marchons parfois de nuit, ou comme à travers un désert, ce n’est pas pour suivre un idéal, nous suivons une personne, le Christ. Nous ne sommes pas seuls, lui nous précède. Le suivre suppose un combat intérieur, avec des décisions à prendre, des fidélités de toute une vie. Dans ce combat, nous ne nous appuyons pas sur nos propres forces mais nous nous abandonnons à sa présence. Le sentier n’est pas tracé à l’avance, il implique aussi d’accueillir des surprises, de créer avec l’inattendu.
Et Dieu ne se fatigue pas de reprendre le chemin avec nous. Nous pouvons croire qu’une communion avec lui est possible et ne jamais nous fatiguer, nous non plus, d’avoir toujours à reprendre le combat. Nous n’y persévérons pas pour nous présenter à Dieu sous notre plus beau jour. Non, nous acceptons d’avancer comme des pauvres de l’Évangile qui se confient en la miséricorde de Dieu.
Le Carême est un temps qui nous invite au partage. Il nous conduit à pressentir qu’il n’y a pas d’épanouissement sans consentir à des renoncements, et cela par amour. Alors qu’il était une autre fois au désert, Jésus, ému de compassion pour ceux qui l’avaient suivi, multiplie cinq pains et deux poissons pour nourrir chacun. Quels signes de partage accomplir nous aussi ?
L’Évangile met en valeur la simplicité de vie. Il nous appelle à une maîtrise de nos propres désirs pour parvenir à nous limiter, non par contrainte mais par choix. Cet appel prend beaucoup d’actualité aujourd’hui, non seulement au plan personnel mais dans la vie des sociétés. La simplicité librement choisie permet de résister à la course au superflu chez les plus favorisés et contribue à la lutte contre la pauvreté imposée aux plus déshérités.
Pendant ce temps du Carême, osons réviser notre style de vie, non pas pour donner mauvaise conscience à ceux qui en feraient moins, mais en vue d’une solidarité avec les démunis. L’Évangile nous encourage à partager librement en disposant tout dans la beauté simple de la création.

DIMANCHE DES RAMEAUX 2012, HOMÉLIE DE BENOÎT XVI

2 avril, 2012

http://www.zenit.org/article-30516?l=french

DIMANCHE DES RAMEAUX 2012, HOMÉLIE DE BENOÎT XVI

Pour les jeunes, le « jour de la décision »

ROME, dimanche 1er avril  2012 (ZENIT.org) –  Ce dimanche des Rameaux peut être, pour les jeunes, le « jour de la décision » de leur vie pour le Christ : c’est ce que leur souhaite Benoît XVI dans son homélie pour la messe des Rameaux.
C’est en effet la Journée mondiale de la jeunesse qui, en cette année 2012, se célèbre au niveau diocésain. Le pape y a fait allusion à la fin de son homélie pour la messe présidée place Saint-Pierre en présence de dizaines de milliers de personnes du monde entier.
« Que le Dimanche des Rameaux soit pour vous le jour de la décision, la décision d’accueillir le Seigneur et de le suivre jusqu’au bout, la décision de faire de sa Pâque de mort et de résurrection le sens même de votre vie de chrétiens. C’est la décision qui conduit à la vraie joie, comme j’ai voulu le rappeler dans le Message aux Jeunes pour cette Journée – « soyez toujours dans la joie du Seigneur » (Ph 4, 4) ».
Le pape a donné en exemple aux jeunes la décision de sainte Claire d’Assise « qui, il y a huit-cents ans, entraînée par l’exemple de saint François et de ses premiers compagnons, quitta la maison paternelle exactement le Dimanche des Rameaux pour se consacrer totalement au Seigneur : elle avait 18 ans et elle eut le courage de la foi et de l’amour, le courage de décider pour le Christ, trouvant en Lui la joie et la paix. »
Les jeunes ont comme chaque année accompagné le pape en agitant de longues palmes lors de la procession évoquant l’entrée du Christ à Jérusalem,  de l’obélisque jusqu’au pied de l’autel, sur le parvis de la basilique orné d’oliviers séculaires, d’arbustes en fleurs et de gazon printanier.
Homélie de Benoît XVI :
Chers frères et sœurs !
Le Dimanche des Rameaux est le grand portique qui nous introduit dans la Semaine Sainte, la semaine où le Seigneur Jésus s’achemine vers le sommet de sa vie terrestre. Il monte à Jérusalem pour accomplir les Écritures et pour être suspendu sur le bois de la croix, le trône à partir duquel il régnera pour toujours, attirant à lui l’humanité de tous les temps et offrant à tous le don de la rédemption. Des Évangiles, nous savons que Jésus s’était mis en route vers Jérusalem avec les Douze, et que, peu à peu, s’était jointe à eux une foule grandissante de pèlerins. Saint Marc nous raconte que dès le départ de Jéricho il y avait une « foule nombreuse » qui suivait Jésus (cf. 10, 46).
Dans cette dernière étape du parcours, on constate un événement particulier, qui augmente l’attente de ce qui arrivera, de telle sorte que l’attention se concentre encore plus sur Jésus. Au bord de la route, à la sortie de Jéricho, était assis en train de mendier un aveugle, du nom de Bartimée. À peine entend-il dire qu’arrivait Jésus de Nazareth, qu’il se met à crier : « Jésus, fils de David, aie piété de moi ! » (Mc 10, 47). On cherche à le faire taire, mais en vain ; jusqu’à ce que Jésus le fasse appeler et l’invite à s’approcher de lui. « Que veux-tu que je fasse pour toi ? », lui demande Jésus. Et il répond : « Rabbouni, que je voie [de nouveau] » (v.51). Jésus répond : « Va, ta foi t’a sauvé ». Bartimée retrouva la vue et se mit à suivre Jésus sur la route (cf. v. 52). Et, après ce signe prodigieux, accompagné par l’invocation « Fils de David », voici qu’un frémissement d’espérance messianique traverse la foule, faisant naître chez beaucoup de personnes une question : ce Jésus qui marchait devant eux vers Jérusalem, était-il peut-être le Messie, le nouveau David ? Et avec son entrée désormais imminente dans la ville sainte, le temps où Dieu aurait finalement restauré le règne davidique serait-il arrivé ?
La préparation de son entrée, que Jésus fait avec ses disciples, contribue aussi à faire grandir cette espérance. Comme nous l’avons entendu dans l’Évangile d’aujourd’hui (cf. Mc 11, 1-10), Jésus arrive à Jérusalem de Bethphagé et du mont des Oliviers, c’est-à-dire par la route par laquelle aurait dû venir le Messie. De là, Il envoie deux disciples, avec l’ordre de lui amener un petit âne qu’ils auraient trouvé au bord de la route. Ils trouvèrent effectivement le petit âne, le détachèrent et l’amenèrent à Jésus. À ce moment, l’esprit des disciples et aussi des autres pèlerins déborde d’enthousiasme : les uns prennent leurs manteaux et les mettent sur le petit âne ; les autres les étendent sur le chemin devant Jésus qui avance assis sur l’âne. Ils coupent ensuite des branches d’arbres et ils commencent à clamer des paroles du Psaume 118, d’antiques paroles de bénédiction des pèlerins, qui deviennent, dans ce contexte, une proclamation messianique : « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Béni le Règne qui vient, celui de notre père David. Hosanna au plus haut des cieux ! » (vv. 9-10). Cette joyeuse acclamation transmise par les quatre Évangélistes, est un cri de bénédiction, un hymne d’allégresse : elle exprime la conviction commune qu’en Jésus, Dieu a visité son peuple et que le Messie attendu est finalement venu. Et tous sont là, animés par l’attente croissante de l’œuvre que le Christ accomplira une fois qu’il entrera dans sa ville.
Mais quel est le contenu, la résonance la plus profonde de ce cri de joie ? La réponse nous est donnée par toute l’Écriture qui nous rappelle que le Messie accomplit la promesse de bénédiction de Dieu, la promesse des origines, que Dieu avait faite à Abraham, le père de tous les croyants : « Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai [...] En toi seront bénies toutes les familles de la terre » (Gn 12, 2-3). C’est la promesse qu’Israël avait toujours gardée vivante dans la prière, particulièrement dans celle des psaumes. C’est pourquoi, Celui qui est acclamé par la foule comme le béni, est en même temps Celui en qui sera bénie toute l’humanité. Dans la lumière du Christ, l’humanité se reconnaît ainsi profondément unie et comme recouverte par le manteau de la bénédiction divine, une bénédiction qui pénètre tout, soutient tout, rachète tout, sanctifie tout.
Nous pouvons découvrir ici un premier grand message qui nous arrive de la festivité d’aujourd’hui : l’invitation à avoir le juste regard sur l’humanité entière, sur les gens qui forment le monde, sur les diverses cultures et civilisations. Le regard que le croyant reçoit du Christ est le regard de la bénédiction : un regard sage et aimant, capable de saisir la beauté du monde et de compatir à sa fragilité. Dans ce regard transparaît le regard même de Dieu sur les hommes qu’il aime et sur la création, œuvre de ses mains. Nous lisons dans le Livre de la Sagesse : « Seigneur, tu as pitié de tous les hommes, parce que tu peux tout. Tu fermes les yeux sur leurs péchés, pour qu’ils se convertissent. Tu aimes en effet tout ce qui existe, tu n’as de répulsion envers aucune de tes œuvres [...] Tu épargnes tous les êtres, parce qu’ils sont à toi, Maître qui aimes la vie » (Sg 11, 23-24.26).
Revenons au texte évangélique de ce jour et demandons-nous : qu’y-a-t-il réellement dans le cœur de tous ceux qui acclament le Christ comme Roi d’Israël ? Ils avaient certainement leur idée du Messie, une idée de comment devait agir le Roi promis par les prophètes et longtemps attendu. Ce n’est pas par hasard que, quelques jours après, la foule de Jérusalem, au lieu d’acclamer Jésus, criera à Pilate : « Crucifie-le ! ». Et les disciples eux-mêmes, ainsi que les autres qui l’avaient vu et écouté, resteront muets et perdus. En effet, la plupart étaient restés déçus par la manière dont Jésus avait décidé de se présenter comme Messie et Roi d’Israël. C’est justement en cela que se trouve pour nous aussi le point central de la fête d’aujourd’hui. Pour nous, qui est Jésus de Nazareth ? Quelle idée du Messie avons-nous, quelle idée de Dieu avons- nous ? C’est une question cruciale que nous ne pouvons pas éluder, étant donné qu’au cours de cette semaine, nous sommes appelés justement à suivre notre Roi qui choisit comme trône la croix ; nous sommes appelés à suivre un Messie qui ne nous garantit pas un bonheur terrestre facile, mais le bonheur du ciel, la béatitude de Dieu. Nous devons alors nous demander : quelles sont nos vraies attentes ? Quels sont les plus profonds désirs, avec lesquels nous sommes venus ici aujourd’hui pour célébrer le dimanche des Rameaux et pour commencer la Semaine Sainte ?
Chers jeunes, vous qui êtes venus ici ! Cette journée est particulièrement la vôtre, partout dans le monde où est présente l’Église. Pour cela, je vous salue avec grande affection ! Que le Dimanche des Rameaux soit pour vous le jour de la décision, la décision d’accueillir le Seigneur et de le suivre jusqu’au bout, la décision de faire de sa Pâque de mort et de résurrection le sens même de votre vie de chrétiens. C’est la décision qui conduit à la vraie joie, comme j’ai voulu le rappeler dans le Message aux Jeunes pour cette Journée – « soyez toujours dans la joie du Seigneur » (Ph 4, 4) – et comme il advint pour sainte Claire d’Assise qui, il y a huit-cents ans, entraînée par l’exemple de saint François et de ses premiers compagnons, quitta la maison paternelle exactement le Dimanche des Rameaux pour se consacrer totalement au Seigneur : elle avait 18 ans et elle eut le courage de la foi et de l’amour, le courage de décider pour le Christ, trouvant en Lui la joie et la paix.
Chers frères et sœurs, deux sentiments doivent nous habiter particulièrement en ces jours : la louange, comme l’ont fait ceux qui ont accueilli Jésus à Jérusalem par leur « hosanna » ; et l’action de grâce car, dans cette Semaine Sainte, le Seigneur Jésus renouvellera le plus grand don que l’on puisse imaginer : il nous donnera sa vie, son corps et son sang, son amour. Toutefois, à un si grand don, nous devons répondre d’une manière adéquate, c’est-à-dire par le don de nous- mêmes, de notre temps, de notre prière, de notre vie en profonde communion d’amour avec le Christ qui souffre, meurt et ressuscite pour moi. Les anciens Pères de l’Église ont vu un symbole de tout cela dans le geste des gens qui suivaient Jésus entrant à Jérusalem, le geste d’étendre les manteaux devant le Seigneur. Devant le Christ – disaient les Pères – nous devons étendre notre vie et nos personnes, dans une attitude de gratitude et d’adoration. En conclusion, écoutons encore la voix d’un de ces anciens Pères, celle de saint André, Évêque de Crête : « Étendons- nous humblement donc devant le Christ, nous-mêmes plutôt que les tuniques ou les rameaux inanimés et les branches vertes qui réjouissent le regard seulement pour un instant et sont destinés à perdre, avec la sève, leur verdure. Étendons-nous nous-mêmes revêtus de sa grâce, ou mieux, de lui-même tout entier… et prosternons-nous à ses pieds comme des tuniques étendues… pour pouvoir offrir au vainqueur de la mort non plus de simples rameaux de palmes, mais des trophées de victoire. Agitant les rameaux spirituels de l’âme, nous aussi, avec les enfants, acclamons saintement chaque jour : “Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, le roi d’Israël” » (PG 97, 994). Amen

Origines du carême dans l’histoire

31 mars, 2012

http://www.liturgiecatholique.fr/Origines-du-careme-dans-l-histoire.html

Origines du carême dans l’histoire

Le mot « carême » vient du latin « quadragesima ». Il désigne la période de quarante jours pendant laquelle l’Eglise se prépare à Pâques par une vie chrétienne plus intense et par diverses pratiques de pénitence.
Canoniquement, pour le jeûne, le carême de l’Eglise latine commmence le mercredi des Cendres et s’achève le samedi saint à midi.
De nos jours, les liturgistes ont coutume d’y distinguer deux « temps liturgiques », celui du carême proprement dit et celui de la Passion, qui commence aux premières vêpres du dimanche de la Passion, c’est-à-dire du dimanche « des Rameaux ».
Les origines du carême :
A la suite de saint Jérôme et de saint Léon, certains auteurs attribuent au carême une origine apostolique ; d’autres nient qu’il ait existé avant le IVème siècle. Au départ, le jeûne primitif de la semaine sainte était, si possible ininterrompu, et on s’y livrait pour accomplir la parole du divin Maître : « Des jours viendront où l’Epoux sera enlevé à ses disciples, et alors ils jeûneront » (Luc 5,35).
Dans les Eglises issues de la gentilité, on jeûnait au moins pendant les quarante heures commémoratives de la disparition du Sauveur, c’est à dire du vendredi soir au dimanche matin. Dans les Eglises d’origine judéo-chrétienne, on commençait à jeûner dès le lundi, parce qu’on regardait ce jour comme le point de départ du complot des pharisiens pour faire mourir Jésus, donc comme le commencement de la disparition de l’Epoux, et parce que la coutume juive enjoignait aux Hébreux de se nourrir pendant sept jours du « pain de l’affliction » au temps de la Pâque. Ainsi le jeûne primitif de la Semaine Sainte nous apparaît-il en définitive comme un jeûne de compassion et de deuil pour la disparition de l’Epoux ; ce n’est pas un jeûne préparatoire à la célébration du mystère, mais un jeûne qui l’accompagne.
Il semblerait que la préoccupation de l’Eglise dans l’institution nouvelle ait été la préparation immédiate des catéchumènes au baptême, préparation qui durait quarante jours, ainsi que celle des pénitents admis à être réconciliés le jeudi-saint ; mais à ces deux catégories de sujets l’Eglise entendait bien associer par la même occasion tous les fidèles parce que c’est le corps mystique tout entier qui doit mourir et ressusciter avec le Christ pour se renouveler en lui dans les solennités pascales.
Le Seigneur n’a jamais séparé dans son enseignement le jeûne de l’aumône et de la prière (Mt 6, 1 – 18). Les Pères de l’Eglise devaient le rappeler chaque année au peuple avec insistance, comme en témoignent en particulier les sermons de saint Léon le Grand. Aussi le jeûne s’accompagna-t-il toujours de réunions de prières à l’écoute de la parole de Dieu.
C’est ainsi que, dès le temps d’Augustin et de Chrysostome, le carême possédait les traits qu’il devait conserver par la suite : temps de jeûne, de partage et de prière pour tout

QUATRIÈME PRÉDICATION DE CARÊME DU P. CANTALAMESSA

31 mars, 2012

http://www.zenit.org/article-30511?l=french

QUATRIÈME PRÉDICATION DE CARÊME DU P. CANTALAMESSA

S. Grégoire de Nysse, vers la connaissance de Dieu

ROME, vendredi 30 mars 2012 (ZENIT.org) –  “Saint Grégoire de Nysse. Vers la connaissance de Dieu”, c’est le thème de la quatrième prédication de carême prononcée par le P. Raniero Cantalamessa, OFMCap. , prédicateur de la Maison pontificale, ce vendredi matin, 31 mars, en la chapelle Redemptoris Mater du Vatican, en présence de Benoît XVI.
“Pourquoi choisir saint Grégoire de Nysse comme guide vers la connaissance de ce Dieu devant lequel nous nous tenons comme des créatures devant le Créateur ? », demande le prédicateur avant de répondre : « La raison en est que ce Père est le premier dans le christianisme à avoir tracé une voie vers la connaissance de Dieu qui puisse vraiment répondre à la situation religieuse de l’homme aujourd’hui : un chemin vers la connaissance qui passe par … la non-connaissance ».
P. Raniero Cantalamessa, ofmcap
Quatrième Prédication
SAINT GREGOIRE DE NYSSE
VERS LA CONNAISSANCE DE DIEU
1. Les deux dimensions de la foi
A propos de la foi, saint Augustin a fait une distinction qui reste, encore aujourd’hui, un classique : celle entre les choses crues et l’acte d’y croire: « Aliud sunt ea quae creduntur, aliud fides qua creduntur »1, la fidea quae et la fides qua, comme on dit en théologie. La première est aussi appelée « foi objective », la seconde « foi subjective ». Toute la réflexion chrétienne sur la foi se déroule entre ces deux pôles.
Il en ressort deux orientations. D’un côté nous avons ceux qui accentuent l’importance de l’intellect dans la croyance et donc la foi objective, comme assentiment aux vérités révélées, de l’autre ceux qui accentuent l’importance de la volonté et de l’affect, donc la foi subjective, avoir foi en quelqu’un (« croire en »), plutôt que croire à quelque chose (« croire que »). D’une part ceux qui accentuent les raisons de l’esprit et de l’autre ceux qui, comme Pascal, accentuent « les raisons du cœur ».
Cette oscillation réapparait, sous différentes formes, à chaque tournant de l’histoire de la théologie: au moyen âge, dans une accentuation différente entre la théologie de saint Thomas et celle de saint Bonaventure ; au temps de la Réforme entre la foi « confiance » de Luther et la foi catholique informée par la charité; plus tard entre la foi contenue dans les limites de la simple raison de Kant et la foi fondée sur le sentiment de Schleiermacher et celui du romantisme en général; plus proche de nous entre la foi de la théologie libérale et la foi existentielle de Bultmann, pratiquement privée de tout contenu objectif.
La théologie catholique contemporaine s’efforce de trouver, comme d’autres fois par le passé, un juste équilibre entre les deux dimensions de la foi. On a dépassé la phase où, pour des raisons polémiques contingentes, toute l’attention dans les manuels de théologie avait fini par se concentrer sur la foi objective (fides quae), c’est-à-dire sur l’ensemble des vérités auxquelles il nous faut croire. « L’acte de foi, lit-on dans un récent dictionnaire critique de théologie, dans le courant dominant de toutes les confessions, apparaît aujourd’hui comme la découverte d’un Tu divin. L’apologétique de la preuve tend aujourd’hui à se placer derrière une pédagogie de l’expérience spirituelle qui tend à ouvrir à une expérience chrétienne, dont on reconnaît la possibilité inscrite a priori dans chaque être humain »2. En d’autres termes, plutôt que de faire levier sur la force d’argumentation qui est en dehors de la personne, on veut l’aider à trouver en elle la confirmation de sa foi, essayant de réveiller cette étincelle qui brille dans le « cœur inquiet » de chaque homme parce qu’il a été créé « à l’image de Dieu ».
J’ai fait ce préambule pour montrer encore une fois que les Pères peuvent être un atout dans nos efforts pour redonner éclat et force de choc à la foi de l’Eglise. Les plus grands parmi eux sont des modèles uniques d’une foi aussi bien objective que subjective, autrement dit préoccupée du contenu et de son orthodoxie, mais accompagnée aussi par l’adhésion du cœur et l’élan de la vie. L’Apôtre avait proclamé : « corde creditur » (Rom 10,10), on croit avec son cœur, et nous savons que le mot ‘cœur’, dans la Bible, désigne les deux dimensions spirituelles de l’homme, son intelligence et sa volonté, l’endroit symbolique de la connaissance et de l’amour. C’est dans cette optique que les Pères sont un maillon indispensable pour retrouver la foi comme l’entendent les Ecritures.
2. « Je crois en un seul Dieu »
Dans cette dernière méditation, nous recourons aux Pères pour renouveler notre foi en son objet premier, en ce que sous-entend généralement le mot « croire », et en nous fondant sur ce qui fait la différence entre les personnes croyantes et non croyantes : la foi en l’existence de Dieu. Dans les méditations précédentes nous avons réfléchi à la divinité du Christ, à l’Esprit Saint et à la Trinité. Mais la foi au Dieu trine est le stade final de la foi, ce « surplus » sur Dieu révélé par le Christ. Pour atteindre cette plénitude il faut d’abord avoir cru en Dieu. Avant la foi en Dieu trine, il y a la foi en Dieu un.
Saint Grégoire de Nazianze nous a rappelé la pédagogie de Dieu quand il se révèle à nous. Dans l’Ancien Testament, le Père est révélé ouvertement, et le Fils de manière voilée, dans le Nouveau Testament, le Fils est révélé ouvertement et l’Esprit Saint de manière voilée. Maintenant, dans l’Eglise, nous jouissons de la Trinité entière et de sa pleine lumière. Jésus dit lui aussi qu’il s’abstient de dire aux apôtres les choses dont ils ne sont pas encore en mesure de « porter le poids » (Jn 16, 12). Nous devons suivre la même pédagogie à l’égard de ceux auxquels nous voulons annoncer aujourd’hui la foi.
La Lettre aux Hébreux dit quel est le premier pas à faire pour aller vers Dieu : « pour s’avancer vers lui, il faut croire qu’il existe et qu’il assure la récompense à ceux qui le cherchent. » (He 11,6). C’est de ce premier pas que dépend tout le reste et celui-ci restera quelque chose de présupposé même lorsque l’on aura cru en la Trinité.  Essayons de voir comment les Pères peuvent nous inspirer de ce point de vue là, mais sans perdre de vue notre objectif principal qui n’est pas apologétique, mais spirituel, c’est-à-dire davantage centré sur l’affermissement de notre foi que sur sa transmission aux autres. Le guide que nous choisissons dans cette approche est saint Grégoire de Nysse.
Grégoire de Nysse (331- 394), frère charnel de saint Basile, ami et contemporain de Grégoire de Nazianze, est un Père et docteur de l’Eglise dont on découvre de plus en plus clairement la stature intellectuelle et l’importance décisive dans le développement de la pensée chrétienne. « Un des penseurs les plus puissants et les plus originaux que connaisse l’histoire de l’Eglise » (L. Bouyer), « le fondateur d’une nouvelle religiosité mystique et extatique » (H. von Campenhausen).
Les Pères n’ont pas eu, comme nous, à devoir démontrer l’existence de Dieu, mais l’unicité de Dieu ; ils n’ont pas eu à combattre l’athéisme, mais le polythéisme. Nous verrons, cependant, que la route qu’ils ont tracée pour arriver à la connaissance du Dieu unique, est la même que celle qui peut conduire l’homme d’aujourd’hui à la découverte de Dieu tout court.
Pour mettre en valeur la contribution des Pères et en particulier celle de Grégoire de Nysse, il nous faut savoir comment se présentait le problème de l’unicité de Dieu à leur époque. Au fur et à mesure que la doctrine de la Trinité devenait de plus en plus explicite, les chrétiens se voyaient exposés à la même accusation que celle qu’ils avaient eux-mêmes proférée contre les païens: celle de croire en plusieurs divinités. Ceci explique l’ajout, petit mais significatif, qui est fait dans la première phrase du Credo des chrétiens. Après trois siècles dans lesquels le symbole de la foi en toutes ses rédactions commençait en disant « Je crois en Dieu » (Credo in Deum), au IVème siècle, on voit apparaitre la formule « Je crois en un seul Dieu (Credo in unum Deum) qui ne changera plus.
Il n’est pas utile ici de refaire l’historique du parcours qui a conduit à ce résultat; il nous suffit de tenir compte de sa conclusion. Vers la fin du IVème siècle la transformation du monothéisme de l’Ancien testament en monothéisme trinitaire des chrétiens tire à sa fin. Les Latins, pour exprimer les deux aspects du mystère, utilisaient la formule « une substance et trois personnes », les Grecs celle des « trois hypostases, une seule ousie ». Au bout de durs échanges, le processus s’est, semble-t-il, conclu par un accord total entre les deux théologies. « Peut-on concevoir, s’était exclamé Grégoire de Nazianze, un accord plus total et dire cela de manière plus absolue, tout en utilisant des mots différents ? »3.
Il restait en réalité une différence entre les deux manières d’exprimer le mystère. Aujourd’hui, on a l’habitude de dire : Grecs et Latins abordent la question de la Trinité dans une optique différente; les Grecs partent des personnes divines, c’est-à-dire de la pluralité, pour arriver à l’unité de la nature; les Latins, c’est le contraire, ils partent de l’unité de la nature divine, pour arriver aux trois personnes. « Le Latin considère la personnalité comme une manière d’être de la nature ; le Grec considère la nature comme le contenu de la personne ».4
Mais je crois que cette différence peut être expliquée aussi d’une autre manière. Tous les deux, Latins et Grecs, partent de l’unité de Dieu ; tant le symbole grec que le symbole latin commence en disant: « Je crois en un seul Dieu » (Credo in unum Deum!). Sauf que chez les Latins cette unité est encore comprise comme impersonnelle ou pré-personnelle ; c’est l’essence de Dieu qui se décline ensuite en Père, en Fils et en Saint-Esprit sans être, naturellement, imaginée come préexistante aux personnes. Chez les Grecs, au contraire, il s’agit d’une unité déjà personnalisée, car pour eux « l’unité est le Père, à partir de qui et vers qui se déclinent les autres personnes ».5 Le premier article du credo des Grecs dit lui aussi « Je crois en un seul Dieu le Père tout puissant » (Credo in unum Deum Patrem omnipotentem), sauf qu’ici le « Père tout puissant » n’est pas détaché de ‘unum Deum’, comme dans le credo latin, mais forme avec lui un tout: « Je crois en un seul Dieu qui est le Père tout puissant ».
C’est en ces termes que les trois Cappadociens conçoivent l’unicité de Dieu, mais surtout saint Grégoire de Nysse. Pour lui, l’unité des trois personnes divines vient de ce que le Fils est parfaitement (substantiellement) « uni » au Père, comme l’est le Saint Esprit par le Fils »6. C’est cette thèse qui est difficile pour les Latins, qui y voient le danger de subordonner le Fils au Père et l’Esprit à l’un et à l’autre : « Le nom de ‘Dieu’, écrit Augustin, indique toute la Trinité, pas seulement le Père ».7
Dieu est le nom que nous donnons à la divinité quand nous ne la considérons pas pour elle-même, mais en rapport aux hommes et au monde, car tout ce qu’elle accomplit en dehors d’elle, elle l’accomplit conjointement, comme unique cause efficiente. La conclusion importante que nous pouvons tirer de tout cela c’est que la foi chrétienne est, elle aussi, monothéiste; les chrétiens n’ont pas renoncé à la foi juive en un seul Dieu, ils l’ont plutôt enrichie, donnant du contenu et un sens nouveau et merveilleux à cette unité. Dieu est Un. Mais pas solitaire!
3. « Moïse entra dans la nuée »
Pourquoi choisir saint Grégoire de Nysse comme guide vers la connaissance de ce Dieu devant lequel nous nous tenons comme des créatures devant le Créateur ? La raison en est que ce Père est le premier dans le christianisme à avoir tracé une voie vers la connaissance de Dieu qui puisse vraiment répondre à la situation religieuse de l’homme aujourd’hui : un chemin vers la connaissance qui passe par … la non-connaissance.
Il en a eu l’occasion lors de la polémique avec l’hérétique Eunome, le représentant d’un arianisme radical contre lequel écrivent tous les Pères illustres du IVème siècle finissant : Basile, Grégoire de Nazianze, Jean Chrysostome et, de manière encore plus aiguë Grégoire de Nysse. Eunome définissait l’essence de Dieu par le terme « inengendré » (agennetos). En ce sens il considérait cette essence parfaitement connaissable et dénuée de mystère ; nous pouvons connaître Dieu aussi bien qu’il se connaît lui-même.
Les Pères ont réagi en chœur, soutenant la thèse selon laquelle il est « impossible de connaître Dieu » dans sa réalité intime. Mais alors que les autres se sont arrêtés à une réfutation d’Eunome qui se fondait essentiellement sur les paroles de la Bible, Grégoire de Nysse est allé plus loin, démontrant que reconnaitre son incompréhensibilité est la voie qui conduit à la vraie connaissance (theognosia) de Dieu. Il le fait en reprenant un thème déjà esquissé par Philon d’Alexandrie8: celui de Moïse qui rencontre Dieu en entrant dans la nuée. Le texte biblique est Exode 24, 15-18 et voici son commentaire:
« C’est dans la lumière que Dieu commença à se manifester à Moïse. Puis il parla avec lui par la nuée. Enfin, s’étant élevé davantage dans la perfection, il voit Dieu dans les ténèbres. Le passage de l’obscurité à la lumière est la première séparation des idées fausses et erronées sur Dieu; l’intelligence plus attentive aux choses cachées, conduisant l’âme à travers les choses visibles à la réalité invisible, est comme une nuée qui obscurcit tout le sensible et habitue l’âme à la contemplation de celui qui est caché; enfin l’âme qui a pris ces chemins et s’avance vers les choses célestes, après avoir laissé autant que possible les choses terrestres à la nature humaine, pénètre dans le sanctuaire de la connaissance de Dieu (theognosia) entourée de toute part par les ténèbres divines »9.
La vraie connaissance et la vision de Dieu consistent à « voir qu’il est invisible, car celui que l’âme cherche transcende chaque connaissance, séparé de toute part par son incompréhensibilité comme par des ténèbres »10. A ce stade final de la connaissance, on n’a pas un concept de Dieu, mais ce que Grégoire de Nysse, par une expression devenue célèbre, définit « un certain sentiment de présence » (aisthesin tina tes parusias)11. Sentir non pas avec les sens du corps, entend-on par là, mais avec les sens intérieurs du cœur. Ce sentiment n’est pas un dépassement de la foi, mais sa mise en œuvre la plus haute : « Par la foi, s’exclame l’épouse du Cantique (Ct 3, 6), j’ai trouvé celui que mon cœur aime ». Elle ne le « comprend » pas ; elle fait mieux, elle le « saisit »!12.
Ces idées ont beaucoup influencé la pensée chrétienne des générations suivantes, au point que Grégoire de Nysse sera considéré comme le fondateur de la mystique chrétienne. A travers Denis l’Aréopagite et Maxime le Confesseur, qui s’inspirent de lui sur ce thème, cette influence s’étendra aux deux mondes grec et latin. On retrouve cette question de la connaissance de Dieu dans les ténèbres chez Angèle de Foligno, chez l’auteur de la Nuée de la non-connaissance, dans le thème de la « docte ignorance » de Nicolas de Cues, dans « la nuit obscure » de Jean de la Croix et chez tant d’autres.
4. Qui humilie vraiment la raison ?
Je voudrais maintenant montrer comment l’intuition de Grégoire de Nysse peut nous aider, nous croyants, à approfondir notre foi et à indiquer à l’homme moderne, devenu sceptique devant les « cinq voies » de la théologie traditionnelle, comment retrouver un sentier qui puisse le conduire à Dieu.
La nouveauté introduite par Grégoire de Nysse dans la pensée chrétienne est le fait de devoir dépasser les frontières de la raison pour rencontrer Dieu. Nous sommes aux antipodes du projet de Kant qui consiste à maintenir la religion « dans le cadre de la simple raison ». Dans la culture sécularisée d’aujourd’hui, on est allé au-delà de Kant : celui-ci, au nom de la raison (au moins de la raison pratique) « postulait » l’existence de Dieu, chose que les rationalistes des époques suivantes rejettent aussi.
Ceci nous révèle à quel point la pensée de Grégoire de Nysse est d’actualité. Il nous montre que la partie la plus élevée de la personne, la raison, n’est pas exclue de la recherche de Dieu; que l’on n’est pas obligé de choisir entre suivre sa foi et suivre l’intelligence. En entrant dans la nuée, c’est-à-dire en croyant, la personne ne renonce pas à sa propre rationalité, mais la transcende, ce qui est bien diffèrent. Elle y épuise, pour ainsi dire, les ressources de sa propre raison, lui permettant de poser son acte le plus noble, car, comme dit Pascal, « la démarche ultime de la raison est de reconnaître qu’il existe une infinité de choses qui la dépassent » 13.
Saint Thomas d’Aquin, considéré à juste titre comme un des plus grands défenseurs des exigences de la raison, a écrit: « On dit qu’au terme de notre connaissance, Dieu est connu comme l’Inconnu car notre esprit a touché l’extrémité de sa connaissance de Dieu quand, à la fin, il s’est aperçu que son essence est au-dessus de tout ce qu’il peut connaître ici-bas »14. A l’instant même où la raison reconnaît sa limite, elle la brise et va au-delà. Elle comprend qu’elle ne peut pas comprendre, « voit qu’elle ne peut pas voir », disait Grégoire de Nysse, mais elle comprend aussi qu’un Dieu compris ne serait plus Dieu. C’est grâce à la raison que se produit cette reconnaissance qui est donc un acte tout-à-fait rationnel. Celle-ci est, à la lettre, une « docte ignorance »15 , ignorer « en connaissance de cause ».
On doit donc plutôt dire le contraire, c’est-à-dire que celui qui pose une limite à la raison et l’humilie est celui qui ne lui reconnaît pas cette capacité à se transcender. « Jusqu’à présent, écrit Kierkegaard, on a toujours dit : ‘Dire que l’on ne peut comprendre telle ou telle chose, ne satisfait pas la science qui veut comprendre’. Voilà l’erreur. On doit dire tout le contraire : ‘Si la science humaine ne veut pas reconnaître qu’il y a quelque chose qu’elle ne peut pas comprendre, ou – de manière encore plus précise – quelque chose dont ‘elle peut clairement comprendre qu’elle ne peut comprendre’, alors c’est le monde à l’envers’. Il appartient donc à la connaissance humaine de comprendre qu’il y a des choses, et quelles sont ces choses, qu’elle ne peut pas comprendre »16 .
Mais de quel genre d’obscurité s’agit-il? Il est dit de la nuée qui est venue, à un certain moment, s’interposer entre les Egyptiens et les Hébreux, qu’elle était « à la fois ténèbres et lumière dans la nuit » (cf. Ex14, 20). Le monde de la foi est ténèbres pour celui qui la regarde de l’extérieur, mais il est lumière pour celui qui est dedans. Une lumière spéciale, qui vient plus du cœur que de l’esprit. Dans la Nuit obscure de saint Jean de la Croix (une variante par rapport à la nuée de Grégoire de Nysse!) l’âme déclare avoir pris une nouvelle route, « sans autre lumière ni guide hormis celle qui brûlait en mon cœur ». Mais une lumière qui est néanmoins « plus sûre que le soleil de midi »17.
La bienheureuse Angèle de Foligno, une des plus hautes représentantes de la vision de Dieu dans les ténèbres, dit que la Mère de Dieu « fut si ineffablement unie à la somme et absolument indicible Trinité, qu’elle éprouva dans la vie cette même joie dont jouissent les saints au ciel, la joie de l’incompréhensibilité (gaudium incomprehensibilitatis), parce qu’ils comprennent que l’on ne peut pas comprendre »18. Ceci est un merveilleux complément à la doctrine de Grégoire de Nysse sur la non-connaissance de Dieu. Il nous garantit que loin de nous humilier et de nous priver de quelque chose, cette non-connaissance est faite pour remplir l’homme d’enthousiasme et de joie; il nous dit que Dieu est infiniment plus grand, plus beau, plus bon, de ce que nous pourrions jamais imaginer, et qu’il est tout cela pour nous, pour que notre joie soit pleine et totale ; pour que la moindre petite idée que nous pourrions nous ennuyer à passer l’éternité près de lui ne puisse jamais nous effleurer!
Une autre idée utile de Grégoire de Nysse dans cette confrontation avec la culture religieuse moderne est celle du « sentiment d’une présence » que celui-ci place au sommet de la connaissance de Dieu. La phénoménologie religieuse a mis en évidence, avec Rudolph Otto, l’existence d’un élément primaire, présent, à divers degrés de pureté, dans toutes les cultures et à tout âge, qu’il appelle « sentiment du numineux », soit un sentiment mêlé de terreur et d’attraction, qui s’empare tout à coup de l’être humain lorsqu’un un fait surnaturel ou supra-rationnel se passe devant lui19. Si la défense de la foi, selon les dernières indications de l’apologétique évoquée au début, « passe par une pédagogie de l’expérience spirituelle, dont on reconnaît la possibilité inscrite a priori dans chaque être humain », nous ne pouvons négliger l’accroche que nous offre la phénoménologie religieuse moderne.
Certes, le « sentiment d’une certaine présence » de Grégoire de Nysse est autre chose que le sens confus du numineux et du frisson du surnaturel, mais les deux ont quelque chose en commun. L’un est le début d’une marche vers la découverte du Dieu vivant, l’autre en est le terme. La connaissance de Dieu, disait Grégoire de Nysse, commence par un passage des ténèbres à la lumière et se termine par un passage de la lumière aux ténèbres. On n’arrive pas au second passage sans passer par le premier ; autrement dit, sans s’être d’abord purifiés du péché et des passions. « J’aurais déjà abandonné les plaisirs, dit le libertin, si j’avais la foi. Mais moi je lui réponds, dit Pascal: Tu aurais déjà la foi si tu avais abandonné les plaisirs »20.
L’image qui, grâce à Grégoire de Nysse, nous a accompagnés tout au long de cette méditation, est celle de Moïse gravissant la montagne du Sinaï et entrant dans la nuée. L’approche de Pâques nous encourage à aller au-delà de cette image, de passer du symbole à la réalité. Il y a une autre montagne où un autre Moïse a rencontré Dieu « alors que l’obscurité se fit sur toute la terre » (Mt 27,45). Sur le mont Calvaire, l’homme Dieu, Jésus de Nazareth, a uni pour toujours l’homme à Dieu. Au terme de son Itinéraire de l’esprit à Dieu, Saint Bonaventure écrit:
« Après toutes ces considérations, ce qu’il reste à notre esprit est de s’élever en spéculant non seulement au-dessus de ce monde sensible, mais au-dessus aussi de lui-même ; et dans cette ascèse le Christ est le chemin et la porte, le Christ est l’échelle et le véhicule … Celui qui tourne résolument et pleinement ses yeux vers le Christ en le regardant suspendu à la croix, avec foi, espérance et charité, dévotion, admiration, exultation, reconnaissance, louange et jubilation, célèbre la Pâque avec lui, c’est-à-dire le passage»21.
Puisse le Seigneur nous accorder de faire cette belle et sainte Pâques avec lui!
1 Augustin, De Trinitate XIII,2,5)
2 J.-Y. Lacoste et N. Lossky, « Foi » dans Dictionnaire critique de Théologie, Presses Universitaires de France 1998, p.479.
3 Grégoire de Nazianze, Oratio 42, 16 (PG 36, 477).
4 Th. De Régnon, Études de théologie positive sur la Sainte Trinité, I, Paris 1892, 433.
5 S. Grégoire de Naz., Or. 42, 15 (PG 36, 476).
6 Cf. Grégoire de Nysse, Contra Eunomium 1,42 (PG 45, 464)
7 Augustin, De Trinitate, I, 6, l0; cf. Aussi IX, 1, 1 («Credamus Patrem et Filium et Spiritum Sanctum esse unum Deum»).
8 Cf. Philon d’Alexandrie, De posteritate, 5,15.
9 Grégoire de Nysse, Homélie XI sur le Cantique (PG 44, 1000 C-D).
10 Vie de Moïse, II,163 (SCh 1bis, p. 210 s.).
11 Homélie XI sur le Cantique (PG 44, 1001B).
12 Homélie VI sur le Cantique (PG 44, 893 B-C).
13 B. Pascal, Pensées, 267 (éd. Brunswick).
14 Thomas, In Boet. Trin. Proem. q.1, a.2, ad 1.
15 Augustin, Epître 130,28 (PL 33, 505).
16 S. Kierkegaard, Journal, VIII A 11.
17 Jean de la Croix, Nuit obscure, Chant de l’âme, str. 3-4.
18 Libro della beata Angela da Foligno, éd. Quaracchi 1985, p. 468.
19 R. Otto, Le Sacré, Payot, Petite Bibliothèque, 1995.
20 Pascal, Pensées, 240 Br.
21 Bonaventurae Itinerarium mentis in Deum, VII, 1-2 (Oeuvres de S. Bonaventure, V,1, Rome, Nouvelle Cité 1993, p. 564).

« LA CHARITÉ, VIE DE L’EGLISE » (Le carême avec le P. Wresinski)

24 mars, 2012

http://www.zenit.org/article-30429?l=french

« LA CHARITÉ, VIE DE L’EGLISE »

Le carême avec le P. Wresinski

ROME, jeudi 22 mars 2012 (ZENIT.org) – « La Charité, vie de l’Eglise » : c’est le titre de la conférence de carême donnée à Saint-Louis des Français, hier, mercredi 21 mars 2012, par Monique et Jean Tonglet, représentants d’ATD Quart Monde à Rome. En voici le texte intégral.
Les textes en italique, ce sont des extraits des deux livres cités, « Les pauvres rencontre du vrai Dieu » (Le Cerf, 2005, pour la nouvelle édition) du P. Joseph Wresinski, fondateur du mouvement, et « Neuf mois place Saint Pierre » de Monique Tonglet (DDB, 2008).
***
1° Remerciements. Merci de nous avoir invités.
Heureux de faire cela en cette année du 50ème anniversaire du début di Concile Vatican II. Le titre du livre principal du père Joseph Wresinski, « Les pauvres sont l’Église » n’a pas été choisi par hasard. Son auteur voulait y voir une référence explicite à ce qu’il appelait la prophétie de Jean XXIII, lequel déclarait dans son message radiophonique à un mois de l’ouverture du Concile, le 11 septembre 1962 : « L’Église se présente telle qu’elle est et telle qu’elle veut être, l’Église de tous et particulièrement l’Église des pauvres ».
2° Dans le cadre de ce cycle de conférences, nous avons pensé que ce n’était pas le cadre approprié pour vous expliquer en détails l’histoire du Mouvement, son action, son fonctionnement, etc… Nous pourrons si vous le souhaitez y revenir dans le cadre du débat et aussi vous indiquer livres, publications, sites internet, …
Ce soir, c’est de la charité que nous voudrions parler en nous basant sur ce que nous avons appris au fil des années de ceux dont nous cherchons à faire nos maîtres : le père Joseph Wresinski, fondateur du Mouvement d’une part, les femmes et les hommes vivant dans la grande pauvreté d’autre part . Nous le  ferons principalement à travers la lecture d’extraits d’une méditation du père Joseph sur la charité, d’une part, et à travers la lecture de quelques portraits de femmes très pauvres dont Monique est l’auteur.
4° Deux mots sur le père Joseph Wresinski, très brièvement, car il ne s’agit pas ici d’en faire une biographie. Deux mots pour vous donner en quelque sorte une clé de lecture pour comprendre d’où parle cet homme à qui nous allons laisser la parole. La longue histoire de la charité dans l’Église est jalonnée de figures venues d’un monde inclus, parfois très aisé, et qui suite à une rencontre décisive ont fait le choix de rejoindre le monde des pauvres. François d’Assise, Vincent de Paul, Frédéric Ozanam et bien d’autres, comme plus récemment l’Abbé Pierre, sœur Emmanuelle ou Mère Teresa. Plus rare est la figure du père Joseph – qu’on peut rapprocher d’un autre Joseph, l’abbé Cardijn, fondateur de la JOC – né lui-même dans le monde de la pauvreté et de l’exclusion, s’y étant forgé dans le sang et les larmes, et qui à l’âge de la maturité choisit ou rechoisit de lier définitivement son destin à celui du peuple des pauvres dont lui-même était issu. Gardons cela en tête en l’écoutant car par sa voix, c’est celle de son peuple qui cherche à se faire entendre.
Mais avant même d’entrer dans cette méditation, écoutons une première fois, par la médiation écrite de Monique, la voix d’une de ces femmes qui nous disent quelque chose d’essentiel sur l’homme, sur le monde, sur Dieu et sur la Charité.

6° Sonia ( texte de Monique Tonglet)
Telle une nécessité qu’aurait engendré le silence,
des mots,
enfouis depuis des années au fond de moi,
avaient soudain repris place en ma mémoire.
Et je les récitais :
« Les pauvres sont les créateurs
la source même de tous les idéaux de l’humanité
car c’est à travers l’injustice
que l’humanité a découvert la justice
à travers la haine
l’amour
à travers la tyrannie
l’égalité de tous les hommes . »
Je les récitais en parcourant le souterrain
qui mène à la place Saint-Pierre
et à la Communauté des Missionnaires de la Charité
où je travaillais comme volontaire.
Si souvent
dans ce souterrain et les rues alentour
j’ai croisé ces personnes qui nous tendent la main
nous apostrophant parfois
ou bien baissant la tête.
Un mercredi du mois de mai
je m’étais accroupie près d’une dame
toujours postée devant la même église.
Assise sur son vieux sac de voyage
elle tenait sur les genoux son panier d’images pieuses
répétant d’une voix forte :
“ Signore ! Signora ! ”
Elle m’a dit que le soleil lui faisait mal à la tête.
C’est pourquoi elle s’était assise à l’ombre sous le porche.
J’ai remarqué qu’elle avait un dizainier au pouce.
« Vous priez ? » lui ai-je demandé.
« Oui » a-t-elle répondu simplement.
Après un silence,
je lui ai dit que mon mari et moi
nous ne pouvions rester à Rome plus d’une année
que nous étions tristes de partir
et je confiais cela à sa prière.
Sur le chemin du retour
d’un coup j’ai pris conscience
de l’énormité de ce que je venais de lui demander :
prier pour nous qui retournons dans notre pays
alors qu’elle est
elle
loin des siens
loin de sa Bosnie natale
depuis des années.
Je suis entrée dans une église.
Il fallait que je m’arrête un moment.
Puis j’ai décidé de retourner la voir.
Elle était toujours là.
Je lui ai demandé pardon.
Dans  un long et doux regard
elle m’a dit qu’il ne fallait pas !
Et elle a ajouté :
“ Je prie pour la paix dans mon pays
et aussi pour la paix dans le monde. ”
Dans son panier, elle a choisi une image
sur laquelle le Christ est dessiné.
Le montrant
elle m’a dit :
“ Ici je souffre comme Lui.”
Puis elle a pointé son doigt sur le cœur de Jésus
en disant :
“ C’est par là que nous sommes unis. ”

7° Le père Joseph a développé cette méditation dans un cycle de conférences données pendant le Carême à Paris, dans le Quartier Latin. Lors des deux rencontres précédentes il avait successivement abordé la Foi en Quart Monde, et l’Espérance en Quart Monde. Voici comment il introduit cette troisième conférence.
         « Foi, espérance et charité en Quart Monde- il semble bien que notre méditation nous entraîne au plus profond de ce que peut être le désert humain, en même temps qu’elle nous  dévoile ce que l’humanité peut révéler de plus merveilleux sur la présence de Dieu dans le monde.
         Notre méditation nous  fait entrevoir des abîmes que nous  avons créés en laissant durer la misère. Et elle nous  révèle la réponse de Dieu qui est de les combler, de vouloir que là, précisément soient posés les fondements du Royaume. Elle nous  révèle l’appel de Dieu à descendre avec lui dans l’abîme pour participer à l’ouvrage. Mais nous  ne sommes pas au bout de notre démarche. Il nous  reste à chercher, en Quart Monde, ce que saint Paul a appelé la plus grande des trois vertus : la charité ».
         Le père Joseph va alors le faire comme dans les chapitres précédents sur la Foi et l’Espérance, à sa manière, qui est devenue aussi la manière du Mouvement qu’il a créé, en méditant l’histoire d’une famille, la famille Armand dont il dit, en préambule, qu’elle « est de celles qui ne se racontent pas : Parmi les malheurs qui forment la trame de la vie sous-prolétarienne, les Armand semblent accumuler ceux qui risquent  le plus de faire sensation .Et il n’est pas bon de raconter des histoires à sensation sur la misère. Elles nous  touchent l’épiderme et, paraissant pas trop exceptionnelles, elles ne nous  incitent pas à intérioriser plus profondément la condition de ceux qui en sont frappés ».
         Il va donc comme il le dit se rendre avec nous au foyer des Armand. Avec un objectif, se demander ce que le foyer Armand a à lui et à nous dire sur la charité.
         Il nous invite d’abord à écouter tout ce qu’on dit de Mme Armand, dans son voisinage, dans son entourage, dans les services sociaux : « qu’elle tyrannise son mari invalide, qu’elle ne le soigne pas quand les crises d’asthme l’étouffent et qu’il ne mange plus. On dit encore qu’elle vit en égoïste, sans jamais se préoccuper des malheurs des voisins ; qu’elle est gourmande à l’excès, alors que les ressources familiales sont bien trop maigres, pour permettre la moindre extravagance. Et on dit enfin que, ma foi, il faut lui pardonner, parce qu’elle est infantile, peut-être même débile ».
         Difficile, conclut-il, de découvrir les signes de la charité. A ce qu’on dit, le père Joseph ajoute ce qu’il sait, ce qu’il a appris de la vie de Mme Armand. Il nous révèle qu’elle a grandi auprès de sa grand-mère en Charente. Son père, ouvrier agricole, puis manœuvre instable en usine, n’avait pas de quoi nourrir ses huit enfants. Il laissa la petite Renée auprès de sa propre mère, qui accepta de l’élever en retour de services rendus. Ainsi, dès ses six ans, la fillette a droit à l’existence pour des services rendus en retour.
         Il parcourt ensuite longuement l’existence de Renée, son premier mariage, le placement des enfants, la violence d’un mari alcoolique, sa mort accidentelle qui survient comme une délivrance, la création d’un nouveau ménage avec un homme bon, Etienne, qui lui aussi a été placé en nourrice dans des fermes dès sa naissance, qui accepte de prendre en charge la seule enfant du premier mariage restée à la garde de la maman sans jamais lui faire sentir qu’il n’est pas son père, la naissance d’autres enfants, la mort de l’un d’entre eux, qui leur est reprochée et entraine la placement des autres et la déchéance de la puissance parentale, l’expulsion de leur logement, l’errance, la rue,…
         Au bout de cette longue descente aux enfers, un étrange silence descend sur le foyer, Renée et Etienne,  ne se parlent plus. Chacun est comme emmuré dans sa propre souffrance, coupé de l’autre, coupé aussi du monde extérieur. Monsieur Armand ne reçoit plus personne, part des journées entières seul, sur son vélo, faire un peu de récupération de ferraille pour survivre.
         A les voir vivre, rien ne demeure de ce qui jadis avait pu naître de compréhension et d’amour entre ces deux êtres. La solitude a tout envahi. Mais alors, à nous  qui voulions méditer sur la charité en Quart Monde, ce foyer rétréci, apparemment sans vie et sans amour, qu’a-t-il à nous  apprendre ? Faut-il simplement conclure que la misère tue l’amour humain ? Et que l’amour transfiguré que nous  appelons la charité ne peut pas exister en Quart Monde ?
La misère, c’est l’anti-charité…
         Ce long récit fait dire au père Joseph que « nous  ne le crierons jamais assez, que la misère, c’est l’anti-charité. Faire l’éloge de la solidarité, de l’amitié, du partage que pratiquent les pauvres risque de nous  induire en erreur. Si l’existence de la misère est notre plus grave péché, celui qui résume tous les autres, c’est bien parce qu’en dépouillant l’homme de sa juste part, en l’enfonçant dans l’angoisse, la peur, l’inutilité et la honte, nous  défigurons cet homme qui était fait à « l’image de Dieu », car nous  étouffons en lui ses capacités et nous  le privons des possibilités de vivre la charité. Nous l’empêchons d’aimer ».
         « La charité, c’est d’abord aimer Dieu ». Et comme pour la foi et l’espérance cela semble hors de la portée de celui qui naît et vit en Quart Monde. « Pourtant, à lui aussi, il est dit : « Tu aimeras Dieu de toute ton âme, de tout ton cœur et de toutes tes forces » » .
         « Puis, la charité, c’est aimer les autres, tous les autres, même ceux qui n’ont aucun intérêt temporel pour nous  ou dont les intérêts temporels paraissent contraires aux nôtres. « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».    
         Aimer Dieu, aimer son prochain, deux commandements qui n’en font qu’un et qui résument toute la charité. Ils nous  disent que Dieu doit être pour nous, le commencement et la fin de tout, et que tous les hommes doivent être traités par nous  en égaux. Ainsi, la charité représente une vaste entreprise, à réaliser dans le temps, à travers les contingences changeantes de l’existence et à travers ce que nous  portons, les uns et les autres, de forces et de faiblesses dans notre personnalité.
         Et cette entreprise qu’est l’amour au sens chrétien suppose bien des choses et d’abord la liberté du choix. L’amour qui a confiance et qui espère ne se force pas. Il est un acte libre.
         L’amour au sens chrétien suppose la durée, un projet de vie avec Dieu et avec les autres. Le choix doit être renouvelé tous les jours, puisque nous  nous  situons dans le temps. Les circonstances et les êtres évoluent et, chaque jour, nous  avons à réajuster notre esprit et notre cœur aux autres. Notre libre choix doit se muer en effort durable.
         Notre recul, notre conscience de nous-mêmes et notre reconnaissance des autres, eux aussi, vont se bâtir dans le temps. Chaque jour de nouveau nous  allons nous  demander : suis-je au diapason avec Dieu, avec son prochain ? Chaque jour nous  allons nous  effacer, laisser la place aux autres, penser à leurs progrès, nous  efforcer de toujours mieux les connaître et les reconnaître. Nous  allons sans cesse les voir avec des yeux nouveaux ».
Regardons maintenant avec ces yeux nouveaux une de ces femmes accueillies dans un dortoir de Rome, Vittoria.
Vittoria parle peu.

Juste quelques mots de sa grande vie
qu’elle m’a partagés un jour
alors que je m’étais assise près d’elle,
après avoir fini le ménage du dortoir.
« J’ai été élevée par des religieuses.
J’ai travaillé chez les autres toute ma vie.
J’ai 70 ans.
Je n’ai pas de famille. »
Vêtue souvent de couleurs pastels et douces,
toute menue, ses cheveux courts et gris sont lissés autour d’un visage si rond que l’on ne devine pas l’absence de ses dents.
Chaque matin,
longtemps avant le repas de onze heures,
elle se tient assise devant la table déjà dressée,
le regard droit, fixé au mur blanc du dortoir.
Chaque matin, sur la table en formica,
je mettais les assiettes et les couverts
certains avec des fleurs, d’autres sans dessin,
tous différents.
Ce n’est qu’au bout d’un long temps
que je me suis rendu compte que Vittoria,
très souvent, se lève, change les couverts
et place devant elle une cuillère à soupe
dont le dessin est le plus semblable
à celui de sa fourchette.
Plus tard,
bien plus tard,
je m’aperçus que Vittoria
ne se sert jamais de sa cuillère à soupe.
Dans un ultime geste de résistance au vide quotidien
Vittoria harmonise ainsi,
chaque jour,
son bout de table.
Le regard droit, le couvert bien dressé,
elle attend la soupe
qu’elle ne prendra pas.
La charité en Quart Monde .

         « Mais alors, reprend le père Joseph, chercher l’amour en Quart Monde, quelle dérision ! Les plus pauvres sont privés des conditions nécessaires à la croissance de l’amour : l’intégrité personnelle, le sentiment de sécurité, d’utilité, de dignité, de liberté :  en Quart Monde, l’amour se construit dans l’inutilité, l’angoisse et la honte. L’homme s’y bâtit dans l’impossibilité de croire à l’autre, d’espérer avec l’autre. En dehors de tout projet, en dehors de Dieu surtout, dans la mesure où personne ne vient traduire ses pauvres expériences en termes de foi, d’espérance et d’amour de Dieu ».
Comprendre la charité des plus pauvres
         « Mais, poursuit-il, les gestes de la charité existent en Quart Monde dans la mesure où, à tout homme, il est laissé une part de liberté. Si petite soit-elle, l’homme du Quart Monde sait faire un projet d’amour de cette part de liberté. C’est sans doute la plus grande des merveilles. Mais il est vrai aussi que sa liberté se situe tellement au ras du sol qu’il faut se mettre à genoux pour la découvrir. Il nous  faut savoir reconnaître l’infiniment grand dans l’infiniment petit, pour nous en émerveiller. Il faut avoir introduit la misère dans notre esprit et dans notre cœur pour comprendre ces gestes maladroits, aussitôt tournés en échecs et qui ne vont jamais jusqu’au bout. Pour comprendre et apercevoir ce qu’ils nous  disent de la charité de Dieu et de l’amour des pauvres.
         De gestes maladroits et qui tournent court, la vie des Armand en est parsemée. Mais il ne faut pas confondre. Partager son propre repas, donner sur ses quelques sous de quoi payer le lait des enfants de la voisine, accueillir sous son toit la mère pourchassée par son mari ivrogne, cela ne relève pas nécessairement de l’amour du prochain. Ces actes de tous les jours son rarement des gestes libres et désintéressés Ce sont des gestes de pitié, certes, mais aussi ceux que l’on fait parce qu’il le faut bien, ou pour avoir la paix, ou encore parce que tôt ou tard ils « rapporteront » quelque chose.
         Dans les cités sous-prolétariennes, les hommes et les femmes sont trop angoissés, trop humiliés pour agir librement et uniquement en fonction du bien de l’autre. Ils donnent parce qu’ils sont assaillis en permanence par les autres. Pour se sentir assaillie, ils n’ont pas besoin, comme nous, d’être sollicités. Il leur suffit de sentir l’autre à côté d’eux… D’un seul coup d’œil ils savent les besoins terribles des autres, ils les comprennent, puisque eux-mêmes sont constamment harassés. En Quart Monde, on donne beaucoup par lassitude et aussi avec la conscience confuse que demain on aura besoin de demander à son tour et qu’il ne faut pas risquer, alors, de trouver les portes fermées.
         La charité existe pourtant, mais elle est ailleurs. Dans la vie des Armand elle est peut-être d’abord et avant tout dans ce mariage qui dure. Puisque ces deux êtres sont demeurés ensemble, quand rien ne les y obligeait plus, quand les derniers enfants leur furent retirés et que l’un et l’autre n’avaient apparemment plus rien à se donner, plus rien à se dire. Ils se rechoisissent l’un l’autre, dans un acte muet et désespéré.
         La charité est peut-être dans ce pardon de tous les jours : après les cris et les pleurs, après les insultes et les coups, on reprend la vie quotidienne ensemble. Il y a peu de jours où ce pardon ne soit pas nécessaire et même indispensable. C’est grâce à ce pardon que les Armand ne se sont pas détruits. Grâce à une incommensurable mansuétude mutuelle, sur les ruines d’un foyer brisé, ils ont pu en rebâtir un autre
         Et la charité est, assurément dans cette femme corpulente de plus de cinquante ans, qui ne semblait avoir plus rien à offrir à son mari et qui, lorsqu’il est hospitalisé, fait quatorze kilomètres à pied pour lui rendre visite. La bourse familiale est vide, il n’y aura pas de quoi manger le soir. Mais Mme Armand a trouvé une pomme. En arrivant au chevet de son mari, elle reste muette. Mais elle dépose la pomme sur la couverture, dans un geste d’affection ineffable, comme si elle déposait sur ce lit d’hôpital le cadeau le plus prestigieux.
         Elle fera le chemin plusieurs jours de suite, comme le font toutes les femmes de la cité. Nous  les avons vues prendre la route de l’hôpital, inlassablement, pour voir le mari, pour voir l’enfant, pour déposer sur le lit du malade quelques friandises qui expriment ce qu’on ne sait plus dire : « Quand tu es loin de moi, je sais que je t’aime ».
         Car ce sont souvent la maladie ou la prison qui permettent enfin le recul. C’est aussi, parfois, le travail. Quand les êtres sont éloignés, on peut enfin prendre un peu de distance aussi mentalement. Et c’est peut-être alors seulement que l’on peut reprendre conscience de son amour, le revivre.
         Ce qui fait notre émerveillement, c’est surtout cette manière qu’à l’amour des pauvres de renaître apparemment de rien, sur des ruines, dès la moindre accalmie, dès la moindre occasion.
          Pour les Armand comme pour toutes les familles de nos cités de misère, la question se repose : irons-nous  partager leur vie pour pouvoir leur révéler que ce qu’ils vivent c’est l’amour ? Leur dirons-nous  que Dieu les attend en premier, parce que mieux que quiconque ils peuvent comprendre ce que signifie bâtir son Royaume ? »
Emerveillons-nous maintenant des gestes posés par Anna, une autre de ces femmes qui nous enseignent la charité.

J’ai su que vous êtes retournée dans votre pays,
la Pologne, après plusieurs années passées dans le dortoir des personnes âgées.
Agée, Anna, vous ne l’étiez pas.
Et de vous, je connais peu de choses, si ce n’est que vous avez longtemps vécu dans la rue.
Souvent, le regard abattu, lointain, vous passiez à table
dès onze heures, gardant sur vous votre bonnet de laine et votre anorak.
Une fois seulement vous avez accepté que je vous aide à l’enlever
avant de vous asseoir.
Vos gestes étaient incertains, votre démarche difficile ;
pourtant, un matin, vous avez pris le balai pour nettoyer le dortoir avec moi.
Des mots, entre nous, il n’y en eut pas beaucoup.
Je ne parle pas polonais, vous connaissiez quelques mots d’italien.
Le visage défait, souvent, vous répétiez :
« Roma per lavoro.. Per lavoro. »
Vous étiez venue à Rome pour trouver du travail.
Une seule fois, en arrivant, j’ai vu votre visage rayonnant.
Dans vos mains, une petite bible ouverte qu’un prêtre polonais de passage vous avait offerte la veille au soir.
Comme vous ne sortiez jamais,
Les sœurs m’ont demandé de vous emmener un matin place Saint Pierre.
Nous y avons croisé une mariée, que l’on prenait en photo.
Alors vous m’avez fait signe de regarder en me serrant plus fort le bras.
L’année suivante, quand je suis revenue,
longtemps je me suis demandé ce que j’allais pouvoir vous apporter
pour signifier les retrouvailles.
Je ne voyais pas.
Une plante ?
Non, on ne laisse pas une plante dans un dortoir.
Alors m’étais je dit,
peut-être que le plus beau cadeau que je pourrais vous offrir serait de m’attabler là ,
avec vous, les huit dames du dortoir du bas,
avec qui personne, jamais, ne partage un  repas.
Comme souvent le lundi,
il fut composé de choses reçues.
Dons ?
Superflu ?
Assistance ?
Assistance, si souvent humiliante…
Partage ?
Partage à l’exemple de la veuve qui « mis de son indigence » (Marc, 2, 44)
Qui sait ce que la main donne ?
Ce jour là il y avait un peu de tout, légumes, viandes…
Je n’ai pas osé m’asseoir.
Comme je l’avais toujours fait lorsque j’avais fini le ménage,
je suis restée debout.
Et là, dans le silence du dortoir,
vous vous êtes levée, Anna.
Lentement, d’un pas fragile
vous vous êtes dirigée vers l’armoire de la salle de bain.
Vous en êtes revenue avec une assiette, des couverts,
et sans rien dire, vous les avez posés devant moi.
Alors je me suis assise à table avec vous toutes,
et dans le silence
vous avez partagé votre repas avec moi.
Instant de communion,
ce qui reste à l’humain
quand il ne reste rien….

Pour conclure : une politique de la magnificence       
         « Le Quart Monde, monde de l’échec perpétuel ou de l’éternel recommencement ? Il est vrai que l’amour ne peut y bâtir un homme et un avenir. Mais pourquoi ? Parce que les nantis, les possédants font durer un rapport de forces inégal ? Ou parce que les croyants ne se pressent pas assez d’aller révéler leurs forces aux plus pauvres ?
         Nous, les croyants, les privilégiés, savons que tout amour humain trouve son achèvement en Dieu. Que Dieu peut tout et qu’à cause de Jésus-Christ, notre amour, notre foi, notre espérance peuvent tout. Et nous  savons aussi que Jésus s’est identifié d’abord à la foi des humbles, à l’espérance des plus petits, à la charité des plus pauvres. Et qui oserait contester aux familles sous-prolétariennes de notre temps cette qualification des humbles, des plus petits, des plus pauvres ? Qui oserait prétendre qu’ils ne sont pas ces hommes et ces femmes qui ont faim, qui sont nus, qui sont en prison, qui souffrent de l’injustice et dont le Christ a dit : « Ce que vous leur aurez fait, c’est à moi que vous l’aurez fait ? »
         Nous, les croyants savons ces choses, mais les familles du Quart Monde n’en sont pas instruites. Elles peinent et font des merveilles, puis échouent dans une souffrance aveugle. L’homme  du Quart Monde veut bien croire que Jésus-Christ est mort pour les hommes, mais il ne peut pas croire qu’il est mort pour lui. Il croit toujours que c’est pour les autres, pour tous les autres, sûrement mais pas pour lui. Il ne sait pas que Dieu l’a aimé en premier et que par ses amours c’est Dieu qui aime. Il ne sait rien de tout cela et tout ce qu’il vit dans le monde lui dit le contraire. Pourtant, tant qu’il ne le saura pas, l’œuvre du Christ sera inachevée et nous-mêmes nous ne verrons pas le Royaume.
         Nos méditations de carême, nourries de la vie des familles dans la misère, ouvrent la voie au seul projet digne de notre foi et de notre Eglise : celui d’aller en Quart Monde, de déléguer auprès de ce peuple des émissaires qui vivent cette réalité : « Je vous ai choisis, je vous ai aimés en premier. Aimez-vous en mon nom ».          Aller en Quart Monde pour signifier aux familles qu’elles sont déjà partie prenante du dessein de l’engagement et de la fidélité immuable de Dieu : dans cette perspective et avec la volonté que les plus pauvres aillent devant, les chrétiens peuvent s’engager dans les combats politiques sociaux, syndicaux de leur choix. La justice de Dieu n’est pas seulement pour un au-delà que nous  ne pouvons qu’espérer. Il veut que nous  bâtissions la justice et la paix, l’unité entre les hommes dans notre monde et dans notre temps. Jésus-Christ n’est pas un -politique. Il s’est fait le plus pauvre, frère des plus humiliés, et il nous a enjoint de le suivre dans la foule des misérables : « Allez dans les ruelles, allez dans les chemins creux au-delà de la ville… Allez annoncer aux plus pauvres la Bonne Nouvelle qu’ils sont bienheureux ». C’est un projet social, politique, culturel et spirituel complet que nous  propose le Seigneur. Une politique et un programme non pas de l’aide, de l’assistance ou de la  bienfaisance, mais de la magnificence pratiquée envers les plus démunis.
         C’est au nom d’une justice qu’ils sont les premiers à instaurer dans le monde, que Jésus nous  propose de donner notre vie. Non pas de la donner un peu ou à moitié, mais de l’offrir jusqu’au bout. Le Fils de Dieu a donné sa vie pour tous les hommes mais en s’engageant d’abord  pour les plus exclus : les lépreux, les possédés réfugiés dans les grottes, les paralytiques, les plus faibles parmi les estropiés, l’aveugle mendiant aux portes du Temple. C’était cela la magnificence de Dieu qui renversait et renversera encore la justice du monde.

FRANCE : QUELQUE 3000 BAPTÊMES D’ADULTES À PÂQUES

21 mars, 2012

http://www.zenit.org/article-30415?l=french

FRANCE : QUELQUE 3000 BAPTÊMES D’ADULTES À PÂQUES

Les deux tiers ont entre 18 et 35 ans

ROME, mardi 20 mars 2012 (ZENIT.org) – En France, près de 3 000 adultes (2 958) recevront le baptême, ainsi que les deux autres « sacrements de l’initiation » chrétienne, l’Eucharistie et la Confirmation, au cours des fêtes pascales des 7 et 8 avril prochains, annonce la conférence des évêques de France qui analyse, dans ce communiqué, ce qui pousse les adultes aujourd’hui à demander le baptême..
Qui sont ces femmes et ces hommes qui frappent aujourd’hui à la porte de l’Eglise ?
Majoritairement des jeunes âgés de 18 à 35 ans (les deux-tiers), ayant côtoyé le christianisme dans leur enfance et adolescence (moins de la moitié), exerçant des professions d’employés de service, de techniciens ou d’ouvrier. Par rapport à l’an dernier, il faut noter une progression importante de la tranche d’âge des 18-20 ans (+35%) et, sur le plan professionnel, des cadres et travailleurs indépendants (+27%).
Les fêtes pascales permettront à ces adultes, ainsi qu’à d’autres baptisés dans leur enfance, de participer également à l’Eucharistie et de recevoir le sacrement de Confirmation.
Actuellement 10 728 personnes vivent une démarche catéchuménale sur plusieurs années : 6 229 catéchumènes et pré-catéchumènes et 4 499 baptisés demandent l’eucharistie et la confirmation.
Des catéchumènes accompagnés par les communautés chrétiennes.
Ces femmes et ces hommes, jeunes pour la plupart d’entre eux, sollicitent les communautés chrétiennes locales. Celles-ci, renouvelées par leur présence, ont conscience de leur nécessaire engagement. Accueillir, certes ! mais aussi permettre aux catéchumènes de trouver leur place au sein des paroisses. Une enquête en cours faite auprès des baptisés de l’an dernier révèle que les communautés sont conscientes de cet enjeu et diversifie les propositions pour une réelle incorporation.
Devenir chrétien n’est pas une bizarrerie pour notre époque.
Des femmes et des hommes font ce choix et disent qu’il est bon d’être initié à vivre en frères, par une communauté chrétienne. L’Eglise est heureuse de les accueillir

La prédication de la Croix, clef de la victoire.

21 mars, 2012

http://www.la-moisson.net/index.php/enseignements/77-la-croix-/156-la-predication-de-la-croix-clef-de-la-victoire

La prédication de la Croix, clef de la victoire.

« Ce n’est pas pour baptiser que Christ m’a envoyé, c’est pour annoncer l’Evangile, et cela sans la sagesse du langage, afin que la croix de Christ ne soit pas rendue vaine. Car la prédication de la croix est une folie pour ceux qui périssent ; mais pour nous qui sommes sauvés, elle est une puissance de Dieu. Aussi est-il écrit : Je détruirai la sagesse des sages, et j’anéantirai l’intelligence des intelligents. Où est le sage ? où est le scribe ? où est le disputeur de ce siècle ? Dieu n’a-t-il pas convaincu de folie la sagesse du monde ? Car puisque le monde, avec sa sagesse, n’a point connu Dieu dans la sagesse de Dieu, il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication. Les Juifs demandent des miracles et les Grecs cherchent la sagesse : nous, nous prêchons Christ crucifié ; scandale pour les Juifs et folie pour les païens, mais puissance de Dieu et sagesse de Dieu pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs. Car la folie de Dieu est plus sage que les hommes, et la faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes » (1 Cor. 1 :17-25).
La seule méthode divine pour obtenir une victoire définitive sur le péché, celle qui représente le fondement inébranlable de l’apprentissage de la marche par l’esprit, c’est la prédication de la Croix ! Pour nous qui sommes sauvés, elle est une puissance de Dieu !
N’est-il pas étrange d’entendre Paul que « la prédication de la Croix est une puissance de Dieu pour nous qui somme sauvés » ? On aurait pu comprendre plutôt qu’elle était une puissance de Dieu pour ceux qui ne sont pas sauvés, car elle leur permet d’entrer dans le salut ! Non ! La prédication de la Croix est absolument nécessaire pour les Chrétiens, pour ceux qui sont sauvés. Car c’est elle qui va leur permettre de marcher par l’esprit !
Toutes les méthodes vaines dont nous venons de parler (il y en a d’autres !) ne sont que des tentatives infructueuses pour maîtriser ou éliminer la chair. Or, la chair résiste à toutes les tentatives humaines ! La chair est toute-puissante devant tout ce qui est humain. Seule la Croix peut parvenir définitivement à bout de la puissance de la chair et du péché qui habite en elle !
Considérez ces versets :
« J’ai été crucifié avec Christ » (Galates 2 :20) : C’est la crucifixion de mon ancien « moi », de ma vieille nature tout entière. Un autre passage le confirme magnifiquement :
« En effet, si nous sommes devenus une même plante avec lui par la conformité à sa mort, nous le serons aussi par la conformité à sa résurrection, sachant que notre vieil homme a été crucifié avec lui, afin que le corps du péché fût détruit, pour que nous ne soyons plus esclaves du péché ; car celui qui est mort est libre du péché » (Romains 6 :5-7)
« Ceux qui sont à Jésus-Christ ont crucifié la chair avec ses passions et ses désirs » (Galates 5 :24) : C’est la crucifixion de ma chair, c’est-à-dire de la partie de ma vieille nature qui continue d’être présente en moi après ma conversion à Jésus-Christ. C’est Jésus qui a crucifié tout mon ancien « moi ». Mais c’est moi (mon nouveau « moi »), qui dois crucifier ma chair, en appliquant à la chair ce que Jésus a accompli pour moi.
« Pour ce qui me concerne, loin de moi la pensée de me glorifier d’autre chose que de la croix de notre Seigneur Jésus-Christ, par qui le monde est crucifié pour moi, comme je le suis pour le monde ! » (Galates 6 :14). C’est la crucifixion du monde, avec tout ce qu’il contient ! Par la Croix, je suis mort pour le monde, et le monde est mort pour moi.
« Il a effacé l’acte dont les ordonnances nous condamnaient et qui subsistait contre nous, et il l’a détruit en le clouant à la croix » (Colossiens 2 :14). C’est la libération de la Loi, qui pesait sur moi par la condamnation qui me revenait. A présent, par ma nouvelle naissance, la Loi est inscrite dans mon esprit et dans mon cœur, et le Saint-Esprit, en m’apprenant à marcher par l’esprit, me permet de la pratiquer naturellement, pour tout ce qui concerne le Chrétien né de nouveau.
« Il a dépouillé les dominations et les autorités, et les a livrées publiquement en spectacle, en triomphant d’elles par la croix » (Colossiens 2 :15). C’est la libération de la puissance de Satan et des démons. Toute leur puissance a été anéantie vis-à-vis du Chrétien né de nouveau, pourvu qu’il marche par l’esprit !
Il y aurait bien d’autres versets à citer. Mais ceux-ci suffisent pour nous montrer l’extraordinaire puissance de la Croix, dans tous ses aspects ! Nous devrions sans cesse étudier tous les aspects de l’œuvre de Christ accomplie à la Croix. C’est un sujet de méditation et de prédication d’une richesse inépuisable !
Mais il faut que nous puissions puiser librement dans cette richesse. Elle ne doit pas rester « de l’autre côté de la vitrine », ou « suspendue dans les cieux » ! Il faut que nous puissions marcher en permanence dans la victoire absolue, éternelle, et définitive de la Croix !
Dans ses aspects qui concernent la marche par l’esprit, on peut résumer ainsi l’œuvre de la Croix :
?  Jésus-Christ est mort pour moi. Il est mort pour mes péchés. Il les a expiés pour moi. Son sang a fait l’expiation, et m’a pleinement racheté de la puissance du malin.
?  Puisque Jésus-Christ est mort pour moi, je suis donc pleinement mort en Lui et avec Lui. Tous les aspects de mon ancienne nature pécheresse ont été cloués à la Croix, et sont passés par la mort en Christ. Dieu le Père nous a placés d’avance en Christ, il y a près de 2000 ans, pour nous faire complètement mourir en Lui.
?  Puisque Jésus-Christ est ressuscité d’entre les morts, je suis ressuscité en Lui et avec Lui.
Fort de ces réalités déjà accomplies, le Chrétien né de nouveau en Christ possède désormais tout ce qu’il lui faut pour commencer à apprendre à marcher par son esprit régénéré, lui-même entièrement dirigé par le Saint-Esprit.
Avant d’étudier pratiquement en quoi consiste cet apprentissage pratique, il est nécessaire de passer encore du temps sur l’œuvre bénie que notre Seigneur a accomplie à la Croix, car une meilleure compréhension spirituelle de cette œuvre ne peut que fortifier notre foi.

SAINT GRÉGOIRE DE NAZIANZE, « AMOUREUX DE LA TRINITÉ » – Par le P. Cantalamessa

19 mars, 2012

http://www.zenit.org/article-30389?l=french

SAINT GRÉGOIRE DE NAZIANZE, « AMOUREUX DE LA TRINITÉ »

Par le P. Cantalamessa

Anita Bourdin
ROME, vendredi 16 mars 2012 (ZENIT.org) –  Saint Grégoire de Nazianze est un «  amoureux de la Trinité », fait observer le P. Raniero Cantalamessa, ofmcap., prédicateur de la Maison pontificale, qui a donné sa deuxième  prédication de carême ce vendredi 16 mars, en la chapelle Redemptoris Mater du Vatican,  en présence de Benoît XVI, et sur le thème : Grégoire de Nazianze  « maître de la foi dans la Trinité ».
Le P. Cantalamessa a en effet annoncé des prédications de carême à l’école des « Pères de l’Eglise » en tant que « maîtres de la foi ». Dans ses quatre prédications, il se propose de « redonner de la fraîcheur à notre « croire », grâce à un contact renouvelé avec les « géants de la foi du passé ». Ces prédications ont lieu à 9 h, le vendredi, les 9, 16, 23 et 30 mars (cf. « Documents » pour la traduction intégrale en français, par Isabelle Cousturié).
Le prédicateur précise son optique, qui n’est pas de chercher chez les Pères des recettes pour aujourd’hui, mais de se laisser vivifier par leur foi, de « redécouvrir, dans leur sillage, la richesse, la beauté et le bonheur de croire, de passer, comme dit Paul, « de foi en foi » (Rm 1,17), d’une foi crue à une foi vécue ». C’est important pour l’orthodoxie et pour l’évangélisation !
La révélation de la Trinité dans l’histoire
« Le géant sur les épaules duquel nous voulons nous jucher aujourd’hui est saint Grégoire de Nazianze, l’horizon que nous voulons scruter, avec lui, est la Trinité. Il est l’auteur de ce glorieux tableau qui montre le déploiement de la révélation de la Trinité dans l’histoire et la pédagogie de Dieu qui s’y révèle », a annoncé le prédicateur.
Et de préciser : « L’Ancien Testament, écrit, proclame ouvertement l’existence du Père et se met à annoncer, de manière voilée, celle du Fils; le Nouveau Testament proclame ouvertement le Fils et se met à révéler la divinité de l’Esprit Saint; maintenant, dans l’Eglise, l’Esprit nous accorde distinctement sa manifestation et l’on confesse la gloire de la bienheureuse Trinité. Dieu a dosé sa manifestation, l’adaptant aux époques et à la capacité de réception des hommes. »
Il réfute immédiatement un e objection : « Cette triple répartition n’a rien à voir avec la thèse attribuée à Joachim de Flore, des trois époques distinctes : celle du Père, dans l’Ancien Testament, celle du Fils dans le Nouveau et celle de l’Esprit dans l’Eglise. La différentiation de saint Grégoire entre dans l’ordre de la manifestation, non de l’ « être » ou de l’ « agir » des Trois Personnes, lesquels sont présents et œuvrent ensemble tout le temps ».
Deux concepts clefs
Il reconnaît à l’évêque de Nazianze le « mérite est d’avoir donné à l’orthodoxie trinitaire sa formulation parfaite, avec des phrases destinées à devenir patrimoine commun de la théologie », en introduisant la « distinction des deux concepts d’ousie et d’hypostase, de « substance » et de « personne », créant la base conceptuelle permanente par laquelle s’exprime la foi en la Trinité ».
Il y voit même « pour la pensée humaine, d’une des nouveautés les plus grandioses de la théologie chrétienne, qui a permis le développement moderne du concept de la personne comme relation ».
« Les orthodoxes, fait observer le P. Cantalamessa, l’appellent « le chantre de la Trinité ». » Et de fait c’était « un homme doté d’un cœur encore plus grand que son intelligence, un tempérament sensible jusqu’à l’excès, au point d’ailleurs de lui procurer pas mal de déceptions et de souffrances dans ses relations avec les autres, à commencer par son ami saint Basile ».
Ses poésies manifestent « son enthousiasme pour la Trinité », car « il utilise des expressions comme « ma Trinité », « la chère Trinité ». Grégoire est amoureux de la Trinité. »
Le prédicateur espère donc que saint Grégoire de Nazianze suscite chez ses auditeurs « un audacieux désir à propos de la Trinité: faire d’elle « notre » Trinité, la « chère » Trinité, la « bien aimée » Trinité. »
La « porte » de la sainte Trinité
Mais comment avoir accès à la sainte Trinité ? Il précise : « Une seule « porte » donne accès à la Trinité : Jésus-Christ. Par sa mort et sa résurrection, il a ouvert pour nous un nouveau chemin, un chemin vivant, pour entrer dans le saint des saints qui est la Trinité et il nous a laissé les moyens qui permettent de le suivre sur cette voie du retour. L’Eglise est le premier et le plus universel de ces moyens ».
Et « dans l’Eglise, l’Eucharistie est le moyen par excellence », car « la Messe est une action trinitaire du début jusqu’à la fin; elle s’ouvre au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit et se termine par la bénédiction du Père, du Fils et du Saint Esprit. Elle est l’offrande que Jésus, chef et corps mystique, fait de lui au Père dans l’Esprit Saint. Elle nous permet de pénétrer vraiment le cœur de la Trinité. »
Il voit dans la fameuse icône de l’hospitalité d’Abraham connue comme  « la Trinité de Roublev » « une synthèse figurative de la doctrine trinitaire des Cappadociens et en particulier de Grégoire de Nazianze » : « On y perçoit, à parts égales, un mélange de mouvement incessant, de quiétude surhumaine, de transcendance et condescendance. Le dogme de l’unité et de la trinité de Dieu est visible dans les trois personnages représentés de façon bien distincte, mais très ressemblants entre eux. Le cercle idéal qui les entoure met en lumière leur unité ; mais la disposition et le mouvement différents de chacun, proclament aussi leur distinction ».
La paix de la Trinité
« Saint Serge de Radonège, pour le monastère duquel était destinée l’icône, s’était distingué dans l’histoire russe pour avoir ramené l’unité parmi les chefs en désaccord entre eux et pour avoir favorisé la libération de la Russie des Tartares qui l’avaient envahie. Sa devise, que Roublev s’est efforcé d’interpréter avec l’icône, était celle-ci : « Vaincre l’odieuse discorde de ce monde  en contemplant la Très Sainte Trinité ». »
Mais il fait observer que « c’est la théologie latine » qui a développé, dans « tout son potentiel », la doctrine biblique de « l’inhabitation de toute la Trinité dans l’âme ». Il cite Pie XII, Jean de la Croix et Elisabeth de la Trinité qui « suggère une méthode simple pour traduire tout cela en programme de vie: « Tout mon exercice est de rentrer ‘au-dedans’ de moi et de me perdre dans ceux qui sont là ».
« Je vois en ceci une raison de plus, et parmi les plus profondes, pour évangéliser, conclut le prédicateur.

« Il faut savoir se trouver un désert dans sa propre maison et se faire une solitude au milieu du monde ».

14 mars, 2012

http://geraldchaput.homily-service.net/(2003)_causerie_2.html

2ième causerie ; LA CHAMBRE ET LA RUE

« Il faut savoir se trouver un désert dans sa propre maison et se faire une solitude au milieu du monde ».

« En toutes choses, actions, conversations, il sentait et contemplait la présence de Dieu. Il était contemplatif dans l’action ce qu’il exprimait par ces mots : il faut trouver Dieu en toutes choses ».
( Giuliani parlant deSt Ignace de Loyola

En guise d’introduction :
Qu’est-ce qu’ils ont vraiment besoin ? Des hommes et des femmes qui ont appris à marcher sur leurs deux jambes. Catherine de Sienne observait dans l’une de ses lettres que nous marchons souvent comme des handicapés sur une seule jambe. « Quand tu veux prier entre dans ta chambre ! Allez sur les places publiques ». Chrétien et mystique. Laïc et mystique. Chambre et rue. Se sont nos deux résidences principales. Présence et Vie. Le nom même de votre groupe laisse entendre que vous avez en permanence deux résidences, deux sanctuaires : celui de Dieu et celui du monde. (Marcelle Veyrac). Vous savez d’expérience comment habiter ces deux résidences peut sembler impossible. Marguerite Bourgeois avait cette belle formule:  » sortir dans sortir du cœur de Dieu ». Nous avons souvent une résidence principale et une autre secondaire. Ces deux résidences sont inséparables. Passer de l’une à l’autre. Passer des autres à moi – à ce moi plus intime à moi-même que moi-même (St Augustin)-, passer de l’extérieur à l’intérieur, voilà l’urgence pour tout disciple qui aspire à se donner des yeux de Lumière.
Ma question : sur quelle jambe nous appuyons-nous le plus souvent ? La vie mystique n’est pas une manière de vivre réservée à des moines, moniales.aux professionnels de la prière. Le peuple de Dieu, les chrétiens, les laïcs sont souvent perçus même dans les documents officiels comme des professionnels de l’action, des « œuvre de charité » Professionnels de la prière d’un coté. Professionnels de l’action de l’autre. « Adoration et mission sont les deux faces d’une même action » disait Jean-Paul 11 en béatifiant récemment(20 octobre 2002) Marie de la Passion, fondatrice des soeurs franciscaines missionnaires.
Séparer ces deux mots – chrétien et mystique – c’est vouer à la mort et le chrétien et le mystique. C’est vouer l’évangélisation à l’échec. Évangéliser, c’est montrer en acte que nous sommes fils de Dieu et frère universel. C’est laisser voir que nous avons une double-vie. Évangéliser n’est possible que si nous sommes des porte-voix de la Parole. « Je ne suis pas le Christ. Au milieu de vous se trouve quelqu’un dont je ne suis pas digne de délier sa chaussure » (Mc1, 7) Cela impose à chacun de laisser passer la Lumière en nous.
La vie mystique disait le Père Chénu o.p. n’est pas autre chose que la vie chrétienne à l’état de perfection. Dit autrement être mystique, c’est la manière « ordinaire » « normale » de vivre sa foi. Le nouveau catéchisme précise que chaque baptisé a la mission de vivre une « union mystique » (#2013). De vivre une vie d’union à Dieu. «Dieu nous appelle tous à cette intime union avec lui »(#2014).
La vie mystique – ne pas confondre avec des expériences mystiques – déborde la vie contemplative « qui n’en est qu’une forme » ( Père Marie Eugène je veux voir Dieu p. 420) Il y a une vie mystique contemplative. Il y a aussi une vie mystique active, une mystique de l’action ou une action mystique. La vie mystique ou l’union à Dieu a deux jambes : Dieu et les humains. Docteur de la prière, docteur d’une action mystique, ce sont les deux jambes pour nous configurer au Christ. Je m’adresse à des contemplatifs en action selon la belle expression de Jean-Paul 11 (Encyclique sur la mission # 91)
Le mystère contemplé dans le silence de la chambre doit aussi être contemplé dans le bruit de la rue. La rue doit être un lieu priant et la chambre un lieu étourdissant du bruit de la rue. Parlant des Instituts de droit apostolique le droit canon 663 déclare : « la contemplation des réalités divines et l’union constante à Dieu dans la prière sera le premier et le principal office de tous religieux ». Vous n’êtes peut-être pas des religieux au sens spécifique du terme mais votre participation à un Institut vous engage à mener une vie qui porte en elle une dimension contemplative. .
Le décret Perfectae Caritatis no 5 abonde dans le même sens quand il dit : « il faut que les membres de tout Institut, ne cherchant avant tout que Dieu seul, unissent la contemplation par laquelle ils adhèrent à lui de cœur et d’esprit, et l’amour apostolique qui s’efforce de s’associer à l’œuvre de la Rédemption. »
Le disciple a pour devise : Prie et travaille. Travaille et prie. St Benoît disait : « rien ne doit avoir priorité sur l’amour de Dieu ». Saint Vincent de Paul répondait un siècle plus tard « rien ne doit avoir priorité sur l’amour de nos frères » La chambre et la rue sont appelés à se conjuguer.
Quand Jésus a prononcé l’invitation « si tu veux être parfait » (Mtt19, 21) au jeune homme riche, il s’adressait à tous les chrétiens ordinaires et non pas à une élite. (Voir Jean-Paul 11 dans splendeur de la vérité no 18) « Vous donc vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt5, 48). Ces paroles là ne sont pas à prendre ou à laisser. «L’appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité s’adresse à tous ceux qui croient au Christ, quels que soient leur état ou leur rang »(LG40). Dans sa lettre ouvrant ce millénaire, Jean-Paul 11 écrit qu’un «baptisé ne peut se contenter d’une vie médiocre, d’une religiosité superficielle» (31).

Comment unifier prière et travail ?
Comment solidifier, souder cette deux « doctorats » indispensable à tout disciple ? Comment être à la fois cette Marthe qui recevait Jésus chez elle et cette Marie qui « a choisi la meilleur part ? » (Lc10, 42)Il y a une solidarité, une soudure essentielle, indissociable entre la prière et l’action, entre l’action et la prière. Aucune concurrence entre la voie mystique contemplative et la voie mystique dans l’action.  » Tu aimeras ton Dieu ». (prier)  » Tu aimeras ton prochain » (action) de tout ton coeur, de toutes tes forces. (Lc 10,27) L’état de perfection du disciple se réalise quand il se donne une  » double vie ». D’une vie mixte dirait St Thomas d’Aquin et qui est dit-il la forme de vie la plus parfaite, supérieure à la vie purement contemplative. Dans chaque personne dit-on, il y a un homme et une femme. Chez les uns, la dimension féminine est plus évidente. Chez d’autres, c’est la dimension masculine qui se voit d’abord. Mais les deux dimensions sont là. Ainsi en est-il de nos vies de chrétiens et de disciples.
Est-ce que nous sommes des gens équilibrés non pas mentalement mais spirituellement équilibrés ? Des gens capable d’harmoniser un balancement entre la prière et l’action. Mère Térésa de Calcutta exprimait un jour à un prêtre qui travaillait beaucoup :  » si vous voulez travailler davantage, passez plus de temps devant le saint Sacrement. » Et la « sainte » ajouta : « le monde a besoin que nous travaillions davantage » Aux yeux de cette grande femme toute frêle, fragile, plus nous prions, plus nous devons travailler. Plus nous travaillons, plus nous devons passer du temps en prière.
Soulignant récemment le 50e anniversaire d’un institut de formation de laïcs sous la responsabilité d’un monastère des Carmes, Jean-Paul 11 souhaitait  » que votre contemplation s’unisse harmonieusement à votre action et que votre action devienne une véritable union à Dieu. » Il ajouta  » Pour prendre le large, il est indispensable que grandisse en chacun de vous l’union intime au Christ, lui qui est la seule et unique source de renouveau évangélique ». C’est à cette seule condition qu’il est possible d’affronter avec courage les défis du temps présent.
Ce que nous devons d’abord planifier, ce ne sont pas des réunions, des coups de téléphone, des documents à préparer, des télécopies à envoyer, des conférences de presse à planifier mais des rendez-vous avec Dieu. Nous devons d’abord planifier des moments pour nous » laisser avoir » par Dieu plutôt que de nous « faire avoir » par le temps qui nous manque. Se laisser captiver, attirer par Dieu.
« Dieu premier servi » Cette expression de Jeanne d’Arc nous l’avons souvent entendue jadis. Mais ces dernières décennies, nous avons investi beaucoup dans l’action. Il y a présentement deux dérives à éviter: celle du fonctionnel qui serait de dire : programmons, réajustons, planifions. Celle de nos litanies des lamentations qui occupent beaucoup de place dans nos journées.
L’époque que nous traversons à besoin d’être transformée par la manifestation de la dimension contemplative de nos actions. Nous ne sommes pas qu’une machine à agir. Nous sommes des fils de Dieu. Le défi est de passer de l’action à la prière. De la prière à une action mystique. Il faut savoir dit Antoine Bloom dans son livre école de prière (Seuil 1970 pp 118-120) dire STOP à ce que nous faisons pour respirer Dieu.

Trop occupés pour prier ??
Ce quelque chose de plus que demandait Jésus au jeune homme riche, c’était tout simplement pour un instant de laisser de coté, – le texte dit tout abandonner – son travail ordinaire pour prier, pour le Suivre Lui Jésus au désert. L’Évangéliste ajoute : il avait de grand bien. Nous pourrions dire: nous avons tellement à faire. Comme le jeune homme riche, nous préférons nos « affaires », entendre nos activités plutôt que de le Suivre. Il faudrait simplement devant cette question de Jésus, lui demander de nous aider à tout quitter, à quitter notre travail pour laisser l’Esprit nous habiter. Je suis assuré qu’il nous entendrait.
Trop souvent nous prétextons d’une situation extérieure genre trop de travail, échéancier à respecter, pour ne pas avoir à s’en prendre à soi-même. C’est un alibi confortable pour éviter de prendre en main sa propre vie de disciple. Madeleine Delbrel a ces mots très puissants : « être chrétien, c’est une vraie vocation, une vraie profession, c’est être appelé à faire un travail qu’on est seul à faire ». Et elle précise : « ce travail est plus que de désirer prier ». (Delbrel Madeleine invisible amour. Ed Centurion p 21s)
Trop de travail pour prier. Il y a aussi une façon de voir les choses. La vie est tellement stressante, le travail est tellement demandant que cela exige de nous donner du temps pour décompresser. Nous voulons arrêter la machine à penser, la machine de la recherche de l’efficacité, calmer le tohu-bohu qui nous remplit la tête, apprendre « à respirer par le nez » ou lâcher prise, optons pour la prière. Certains sont à la recherche de fin de semaine pour « lâcher prise » – notre époque est celle des loisirs-. Dans le langage chrétien (mystique) cela s’appelle l’abandon. Prier, c’est vivre au rythme de notre respiration, c’est s’abandonner, c’est délecter selon le très beau titre du livre du Père Stinissen, o.c.d l’éternité au cœur du temps présent ( Ed. Carmel 2002). Évitons tout malentendu, je parle de prière et non pas d’un repli sur soi-même et non aussi de fuite du travail. Prier, c’est cesser de s’occuper de soi pour laisser Dieu s’occuper de nous. Thérèse d’Avila aime dire quand nous nous occupons de Dieu, nous nous occupons de nous-même.

La même mission pour tous :
Prie et travaille. La mission confiée par Jésus allez sur les places n’est pas en opposition avec l’invitation de Jésus à se retirer, à entrer dans sa chambre. Et toi quand tu pries, entre dans ta chambre. La chambre et la rue ne sont pas des lieux en état de guerre. La rue peut devenir aussi priante que la chambre. La chambre peut devenir aussi peuplé que la rue. Vie d’union à Dieu et vie active, c’est du pareil au même. Actif dans la prière. Actif dans l’action. Ne séparons pas ce que  » Dieu a uni » dans la personne de son Fils. Aucune rivalité entre l’attention portée à Dieu et celle portée aux humains. Aucune concurrence entre l’extérieur et l’intérieur. Aucune compétition entre « être adorateur du Père »(Jn4, 23) et s’engager pour la cause du Royaume. Aucun sens unique non plus. Ce serait une vision déformée que de considérer l’action comme un excédent de la contemplation, un simple débordement du superflu de notre prière. L’action conduit aussi à la prière.
Jean-Paul 11 le redit souvent: «la contemplation du visage du Christ suscite chez le disciple la contemplation des visages humains » (Evangilium nuntiandi #7) et nous transforme en évangélisateur. Agir parce que Jésus nous sort de la bouche tant il nous ronge le coeur. Prier parce que le peuple s’attend à ce que nous le présentions à Dieu. Prie et travaille. Cette mission appartient à tous les baptisés. Nous avons à suivre Jésus au désert et d’aller sur les places. De travailler à la Vigne. Vatican 11 est étonnamment très clair:
Les laïcs sont appelés par Dieu pour travailler comme du dedans à la sanctification du monde, à la façon d’un ferment, en exerçant leurs propres charges sous la conduite de l’esprit évangélique, et, pour manifester le Christ aux autres avant tout par le témoignage de leur vie, rayonnant de foi, d’espérance et de charité. (LG31)
Soyons clair : Il ne suffit pas de prier : Que sert à quelqu’un de dire qu’il a la foi s’il n’a pas les oeuvres ? Si quelqu’un est réduit à l’indigence et qu’on lui dise : allez en paix sans lui donner les choses nécessaires, à quoi cela sert-il. Ainsi en est-il de la foi : sans les oeuvres elle est vraiment morte (Jac2 : 14-17. Le travail fait partie de l’équilibre humain. Ce ne sont pas ceux qui disent Seigneur, Seigneur. mais qui font la Volonté de mon Père.
Soyons très clair. Il ne suffit pas d’agir. Il ne suffit pas d’agir pour dire Dieu. Il ne suffit pas de prêcher pour dire Dieu. Pour dire Dieu, il faut ce « mariage spirituel » de la prière et de l’action. Accueillir Dieu dans la prière. Le trouver en se mettant au service de la Résurrection. Que ce soit dans notre prière contemplative, à l’écart dans le secret de notre chambre intérieure; Que ce soit dans le service, si petit soit-il, pour rendre notre terre, une Terre Neuve, c’est toujours le même « hôte qui vient habiter chez nous. » (Thérèse d’Avila)
Vous et moi sommes profondément marqués par notre culture toute axée écrivait déjà au début du siècle dernier l’écrivain russe Tolstoï  » sur l’augmentation de l’avoir ( le texte dit : des chevaux) de titres administratifs, de connaissances ». Mais ajoute l’écrivain « une seule augmentation est nécessaire: l’augmentation de la sagesse » (Journal Intime #183) Matthieu écrivait il y a XX siècles que la culture de son temps invitait à avoir une belle apparence à l’extérieur mais où l’intérieur est «rempli d’ossements »(Mtt 23,27) « d’ossements desséchés » (Ez 37,4. La société et ses valeurs d’efficacité, de rendement à tout prix nous dominent, nous envahissent. Nous ne pouvons tout avoir. Il faut faire un choix entre les « appels d’offre » de notre culture et les « appels d’offre »de l’Évangile « Être homme, c’est habiter avec Dieu » (St Bruno) C’est notre première tâche.
Nous sommes ici, vous êtes membre de cet Institut Présence et Vie pour répondre aux appels d’offre de l’Évangile. L’Évangile nous offre d’être pleinement humain et pleinement divin. Soyez parfait. Pleinement relation aux autres et pleinement uni à Dieu. Pour nous occuper aussi de« l’intérieur de la coupe » (Mtt23, 28). Nous sommes ici pour «nous éviter de courir après des riens et devenir rien »(Jérémie, 2,5) pour « entrer au pays des vergers pour en goûter les fruits et la beauté »(Jérémie 2,7). Jérémie dans l’oracle que je cite reprochait à son peuple vous avez changé de Dieu. C’est également notre réalité. Nous sommes ici pour changer de Dieu. Pour changer de gloire. ! « Vous êtes appelés par notre Évangile à posséder la gloire de Notre Seigneur Jésus Christ » (2 Th2, 14) Nous avons échangé la gloire de Dieu pour l’éphémère gloire que nous offre notre culture toute axée sur l’extérieur.

En guise de conclusion :
Puisqu’une image vaut mille mots, je termine pour cette image qui résume bien ce que je viens d’expliquer:
Présenter du chocolat à un enfant, il va tout laisser. Il abandonne tout. Il est attiré par le plaisir de manger du chocolat. Le Christ, révélation du Père, nous attire-t-il au point de tout laisser, de tout abandonner parce que son Asalut@ nous fascine ? Le Christ nous fascine-t-il à ce point que nous pouvons dire : je n’ai plus de temps pour le travail parce que je dois laisser Dieu s’occuper de moi. Nous entendons plus souvent le contraire: je n’ai pas le temps de prier parce que j’ai trop à faire. Le Père nous offre du bon chocolat mais nous nous en privons de peur de prendre du poids. « Personne ne vient à moi, si le Père ne l’attire » (Jn6, 44)
Pour nous donner une action « théophore » porteuse de Dieu disait jadis les Pères de l’Église (Ignace d’Antioche), un passage obligatoire s’impose : Avoir en nous Jésus. Être porteur de Dieu, porteur du temple de Dieu. Le temple de Dieu est sacré et ce temple, c’est vous (1 Cor3, 17. Notre option de disciple : Voir Dieu par la prière du coeur. Servir Dieu par la prière des mains. En régime chrétien, il n’y a pas de temps pour prier pas plus qu’il n’y a du temps pour agir. Il n’y a que le temps de Dieu. Il n’y a que l’Éternité au coeur du temps (titre d’un récent livre du Père Wilfrid Stinissen, o.c.d. 2002) Et l’éternité ne se trouve pas seulement dans la prière mais dans le réel concret de notre monde. Qu’est-ce qu’ils ont vraiment besoin ? De nous voir marcher sur nos deux jambes.

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