Archive pour la catégorie 'Temps Liturgiques: Carême'

POURQUOI DES CENDRES ?

3 mars, 2014

http://www.croire.com/Definitions/Fetes-religieuses/Mercredi-des-Cendres/Pourquoi-des-cendres

MERCREDI 5 MARS 2014

POURQUOI DES CENDRES ?

Cette coutume de se couvrir la tête de cendres – et à l’origine de se revêtir aussi d’un sac – est une ancienne pratique pénitentielle qui remonte au peuple hébreu (Jonas 3.5-9 : Jérémie 6.26 ; 25- 34 ; Matthieu 1 1,21).

Le mercredi des Cendres marque l’entrée officielle en Carême et dans le cycle pascal. Il peut tomber n’importe quel mercredi entre le 4 février et le 10 mars, en fonction de la date de Pâques. Les cendres qui proviennent des rameaux de l’année précédente, brûlés pour l’occasion, sont déposées sur le front des fidèles.

Aux commencements du christianisme
Ce rite des cendres n’était pas directement associé au début du Carême. Vers l’an 300. il fut adopté par certaines Églises locales et intégré au rite d’excommunication temporaire ou de renvoi des pécheurs publies de la communauté. Ces personnes s’étaient rendues coupables de péchés ou de scandales « majeurs » : apostasie. hérésie, meurtre et adultère (considérés comme des péchés « capitaux »).

Au VIIe siècle environ
Cette coutume donna lieu, dans certaines églises, à un rite public du mercredi des Cendres. Les pécheurs confessaient d’abord leurs péchés en privé. Puis ils étaient présentés a l’évêque et mis publiquement au rang des pénitents, ils devaient se préparer pour recevoir l’absolution donnée le Jeudi saint. Après une imposition des mains et des cendres, ils étaient renvoyés de la communauté comme Adam et Eve l’avaient été du paradis. Bien sûr, on leur rappelait que la mort est la conséquence du péché : « Oui, tu es poussière et à cette poussière tu retourneras » (Genèse 3,19).
Les pénitents vivaient en marge de leur famille et du reste de la communauté chrétienne pendant les quarante jours du Carême (d’où l’expression de « quarantaine »). Le « sac » qu’ils avaient revêtu et la cendre dont ils étaient couverts permettaient de les reconnaître lors des assemblées ou, le plus souvent, aux portes de l’église où ils étaient relégués. Cette pratique pénitentielle impliquait généralement de s’abstenir de viande, d’alcool, de bain. Il était également interdit de se faire couper les cheveux, de se raser, d’avoir des relalions sexuelles et de gérer ses affaires. Selon les diocèses, il arrivait que certaines pénitences durent plusieurs années, voire toute la vie.

Au cours du Moyen Âge
C’est la dimension personnelle du péché, plutôt que son caractère public, qui fut objet d’insistance. Par conséquent, tes traditions associées au mercredi des Cendres furent appliquées a tous les adultes de la paroisse, mais sous une forme mitigée. Au XIe siècle, les pratiques en usage étaient fort semblables à celles que nous connaissons aujourd’hui- Depuis quelques années, il existe une alternative à la formule traditionnelle pour l’imposition des cendres. Elle met en valeur un aspect beaucoup plus positif du Carême : « Convertissez-vous et croyez à l’Evangile » (Mc 1,15).
Dans les Églises de Bretagne insulaire et d’Irlande, une nouvelle modalité pénitentielle se développa, entre le VIe et le VIIIe siècle, sous l’influence des moines celles. Il s’agissait d’une forme de pénitence personnelle et privée pour des péchés moins graves que ceux évoqués ci-dessus. Cette pratique, plus que le rite du mercredi des Cendres, allait contribuer a faire évoluer les modalités du sacrement de la réconciliation.

Trois sortes de traditions ont donné au Carême son caractère spécifique
1. celles qui favorisent un climat d’austérité ;
2. les pratiques pénitentielles. surtout en matière de jeûne et d’abstinence
3. les dévotions centrées sur la souffrance de Jésus.

Au cours de ces vingt dernières années, ces traditions ont été associées à des pratiques nouvelles, mettant l’accent sur une dimension plus positive du Carême.

Bon Carême !

ORIGINES DU CARÊME DANS L’HISTOIRE

3 mars, 2014

http://www.liturgiecatholique.fr/Origines-du-careme-dans-l-histoire.html?artsuite=0

ORIGINES DU CARÊME DANS L’HISTOIRE

Le mot « carême » vient du latin « quadragesima ». Il désigne la période de quarante jours pendant laquelle l’Eglise se prépare à Pâques par une vie chrétienne plus intense et par diverses pratiques de pénitence.
Canoniquement, pour le jeûne, le carême de l’Eglise latine commmence le mercredi des Cendres et s’achève le samedi saint à midi.
De nos jours, les liturgistes ont coutume d’y distinguer deux « temps liturgiques », celui du carême proprement dit et celui de la Passion, qui commence aux premières vêpres du dimanche de la Passion, c’est-à-dire du dimanche « des Rameaux ».
Les origines du carême :
A la suite de saint Jérôme et de saint Léon, certains auteurs attribuent au carême une origine apostolique ; d’autres nient qu’il ait existé avant le IVème siècle. Au départ, le jeûne primitif de la semaine sainte était, si possible ininterrompu, et on s’y livrait pour accomplir la parole du divin Maître : « Des jours viendront où l’Epoux sera enlevé à ses disciples, et alors ils jeûneront » (Luc 5,35).
Dans les Eglises issues de la gentilité, on jeûnait au moins pendant les quarante heures commémoratives de la disparition du Sauveur, c’est à dire du vendredi soir au dimanche matin. Dans les Eglises d’origine judéo-chrétienne, on commençait à jeûner dès le lundi, parce qu’on regardait ce jour comme le point de départ du complot des pharisiens pour faire mourir Jésus, donc comme le commencement de la disparition de l’Epoux, et parce que la coutume juive enjoignait aux Hébreux de se nourrir pendant sept jours du « pain de l’affliction » au temps de la Pâque. Ainsi le jeûne primitif de la Semaine Sainte nous apparaît-il en définitive comme un jeûne de compassion et de deuil pour la disparition de l’Epoux ; ce n’est pas un jeûne préparatoire à la célébration du mystère, mais un jeûne qui l’accompagne.
Il semblerait que la préoccupation de l’Eglise dans l’institution nouvelle ait été la préparation immédiate des catéchumènes au baptême, préparation qui durait quarante jours, ainsi que celle des pénitents admis à être réconciliés le jeudi-saint ; mais à ces deux catégories de sujets l’Eglise entendait bien associer par la même occasion tous les fidèles parce que c’est le corps mystique tout entier qui doit mourir et ressusciter avec le Christ pour se renouveler en lui dans les solennités pascales.
Le Seigneur n’a jamais séparé dans son enseignement le jeûne de l’aumône et de la prière (Mt 6, 1 – 18). Les Pères de l’Eglise devaient le rappeler chaque année au peuple avec insistance, comme en témoignent en particulier les sermons de saint Léon le Grand. Aussi le jeûne s’accompagna-t-il toujours de réunions de prières à l’écoute de la parole de Dieu.
C’est ainsi que, dès le temps d’Augustin et de Chrysostome, le carême possédait les traits qu’il devait conserver par la suite : temps de jeûne, de partage et de prière pour tout 

 

LE MERCREDI DES CENDRES

3 mars, 2014

http://www.steinbach68.org/cendres1.htm

LE MERCREDI DES CENDRES

Quarante jours avant Pâques, cette célébration marque l’entrée des catholiques dans le Carême, sous le signe de la pénitence et du pardon attendu de Dieu.

Qu’est-ce que le mercredi des Cendres ?
Ce jour marque l’entrée dans le temps du Carême, les quarante jours de préparation à la fête de Pâques. Il ouvre un temps de prière, de pénitence et de partage qui rappelle les quarante jours de prière et de jeûne vécus par le Christ au désert à l’orée de son ministère, ainsi que les quarante années passées au désert par le peuple hébreu lors de l’Exode. Le Carême est un temps de préparation particulier pour les catéchumènes qui recevront le baptême durant la veillée pascale, mais tous les chrétiens, avec eux, sont appelés à redécouvrir l’importance de leur baptême et donc de leur vocation chrétienne.

Comment en est choisie la date ?
Sa date est calée sur celle de la fête de Pâques, en remontant quarante jours avant le dimanche de Pâques en ne tenant pas compte des cinq dimanches dans l’intervalle, qui sont jours de fête. L’entrée en Carême se fait donc toujours un mercredi, mais sa date change selon les années en fonction de celle de Pâques, elle-même mobile.

Que signifient les cendres ?
Dans la tradition biblique, comme dans la plupart des religions antiques, les cendres symbolisent l’insignifiance humaine, son caractère éphémère et précaire. Ainsi, dans le livre de la Genèse, lorsqu’Abraham marchande avec Dieu le sort des villes de Sodome et Gomorrhe, il déclare : « Je suis bien hardi de parler à mon Seigneur, moi qui suis poussière et cendre » (Genèse 18, 27). Dans la Bible, se rouler dans la cendre, se couvrir de cendres ou s’asseoir sur la cendre est un geste de pénitence et de conversion. Quand Jonas prêche aux habitants de Ninive pour qu’ils se convertissent, leur roi « fit glisser sa robe royale, se couvrit d’un sac, s’assit sur la cendre» (Jonas 3, 6). À la fin du Livre de Job, ce dernier regrette d’avoir critiqué Dieu et « dénigré la providence sans rien y connaître », et fait un acte de repentance et de foi devant sa face : « Je ne te connaissais que par ouï-dire, maintenant, mes yeux t’ont vu. Aussi, j’ai horreur de moi et je me désavoue sur la poussière et sur la cendre » (Job 42, 6).

D’où vient cette célébration ?
Les origines du mercredi des Cendres remontent à l’Église ancienne. Il existait alors un geste d’imposition des cendres appliqué aux pénitents, qui marquait leur entrée dans un temps de repentir en vue de la réconciliation, célébrée le Jeudi saint. À cette époque, le sacrement de réconciliation n’était célébré qu’une seule fois dans la vie. Considéré comme une « deuxième planche de salut » pour le baptisé ayant commis une faute grave, il était précédé d’une pénitence particulièrement rigoureuse, marquée par la mortification corporelle. À partir du XI e siècle, le geste de l’imposition des cendres, inscrit dans un rite beaucoup moins rigoureux, a été élargi à tous les chrétiens en route vers Pâques.

Comment ce jour est-il célébré ?
La célébration a lieu dans la journée ou en soirée. Au cours de cette liturgie, les lectures bibliques insistent sur la repentance, la conversion, mais aussi sur la tendresse et la miséricorde de Dieu. L’imposition des cendres est accompagnée d’une phrase : « Convertissez-vous et croyez à l’Évangile » (Évangile de Marc 1, 15), ou bien « Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière » (cf. Genèse 3, 19).
« Cette formule ancienne, qui nous rappelle que nous sommes mortels, a peut-être été mal comprise, mais elle me semble particulièrement juste, indique Frère Patrick Prétot, directeur de l’Institut supérieur de liturgie (ISL) de la Catho de Paris. Le Carême est un itinéraire de vie, parce que nous acceptons la mort. Il est une longue méditation sur le don de la vie par Dieu, par-delà la mort. On ne peut pas le comprendre si, comme c’est la tendance aujourd’hui, on évacue simplement la mort.» Pour Frère Enzo Bianchi, prieur de la communauté de Bose, la phrase «Convertissez-vous et croyez à l’Évangile » enrichit ce rite ancien de significations nouvelles : « Recevoir les cendres signifie prendre conscience que le feu de l’amour de Dieu consume nos péchés. » Consumés par la miséricorde de Dieu, ils sont « de peu de poids ». Regarder ces cendres signifie confirmer notre foi pascale : un jour, nous serons cendre, poussière, mais destinés à la Résurrection (1).

Comment se vit-il ?
Sous le signe du jeûne, de la frugalité. « Il ne s’agit pas de souffrir, mais de retrouver la joie de s’alléger pour goûter le don que Dieu fait de sa vie », explique Patrick Prétot, rappelant l’invitation de saint Benoît à attendre la sainte Pâque « dans la joie du désir spirituel ». Le mercredi des Cendres est, avec le Vendredi saint, jour de jeûne et d’abstinence obligatoire dans l’Église catholique. En France, sa célébration reste très populaire. « Peut-être à cause de la désaffection du sacrement de la réconciliation, il y a là comme une mémoire très profonde du besoin de pardon, analyse Patrick Prétot. La liturgie est très concrète, très sobre, très priante. Elle répond à un besoin spirituel profond. On touche le cœur du cœur de l’existence humaine : le sens de la mort, de la vie et du salut. »
ÉLODIE MAUROT
(1) Dans Donner sens au temps, reprenant ses méditations liturgiques parues dans La Croix (Bayard).

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Dans les autres confessions chrétiennes .

> « Les orthodoxes ont beaucoup de moments liturgiques en commun avec les catholiques, mais pas le mercredi des Cendres, souligne le P. Vasile Iorgulescu, prêtre à Hœnheim (Bas-Rhin) et délégué régional à l’œcuménisme de l’Assemblée des évêques orthodoxes. Chez nous, l’entrée en Carême se fait de manière très progressive. » Le Grand Carême oriental compte sept semaines. Les deux premières, qui précédent le « véritable » Carême, sont un temps de préparation, au cours desquelles le fidèle supprime progressivement la viande, puis les laitages, pour se préparer au régime alimentaire particulier (à base de végétaux) qu’il suivra ensuite jusqu’à Pâques en signe de pénitence. L’entrée en Carême est vécue de manière plus intensive la 6e semaine avant Pâques : « Durant cette semaine-là, nous commençons à avoir un calendrier liturgique plus intense. Les lectures bibliques encouragent la repentance, le pardon : nous lisons la parabole du Fils prodigue, celle du publicain et du pharisien, le passage de la Genèse sur le péché d’Adam, explique le P. Iorgulescu. Nous commémorons aussi collectivement les défunts, en prononçant leurs noms à chaque célébration. » Cette année, le pré­Carême a débuté le dimanche 8 février et le Carême proprement dit commencera le lundi 2 mars.
> Toutes les Églises protestantes ne pratiquent pas le Carême comme tel, mais certaines le font d’une manière très proche des catholiques. C’est le cas des luthériens : ainsi, l’inspection ecclésiastique de Paris propose depuis quelques années le geste de l’imposition des cendres au cours d’un culte régional. « Au début, nous avons hésité, mais il nous a semblé que ce geste avait un sens très fort, explique Marie-France Robert, inspectrice ecclésiastique. Nous le vivons comme un geste de pénitence, au cours d’un service qui invite à se placer en vérité devant Dieu. » Lors de cette liturgie, la prédication est assurée par un pasteur ou un laïc engagé dans une action de solidarité soutenue par la communauté durant le Carême. « Chaque année, nous soutenons un projet “au près” en France et un projet “au loin” orienté vers la mission, détaille Marie-France Robert. Cette année, nous aidons une association de réinsertion par l’art et un orphelinat en Égypte. » Les textes bibliques du mercredi des Cendres sont les mêmes que ceux de la liturgie catholique, mais les luthériens n’y célèbrent pas la Sainte Cène, « car nous sommes ce jour-là dans une démarche de pénitence et d’attente », indique Marie-France Robert.

Site du journal de la Croix à La Croix du 21/22.02.2009 

LE CARÊME

26 février, 2014

http://www.steinbach68.org/careme07.htm

LE CARÊME

Le Carême qui s’est ouvert avec le mercredi des Cendres est un temps privilégié de pèlerinage intérieur et de conversion pour se préparer à la joie de Pâques. Le jeûne, la prière et le partage sont les moyens concrets proposés par l’Église pour accéder à une plus grande disponibilité et se mettre à l’écoute du Christ

Que signifie le mot Carême ?
Le mot Carême est une contraction du mot latin quadragesima qui signifie quarantième. Quarante est, dans la Bible, un chiffre symbolique qui désigne un temps d’attente, de maturation, de dépouillement, de solitude, qui prépare à la rencontre de Dieu, un temps de préparation à de nouveaux commencements. Les quarante jours de Carême sont à l’image des quarante ans que le peuple hébreu, libéré par Dieu de l’esclavage en Égypte a passés au désert avant d’entrer en Terre promise (livre de l’Exode), à l’image surtout des quarante jours que Jésus a vécu dans le désert, entre son baptême et le début de sa vie publique (Matthieu 4, 1-11).
Ces quarante jours sont un temps de conversion pour se préparer à la fête de Pâques, cœur de la foi chrétienne, qui célèbre la résurrection du Christ. C’est en cela que le Carême se distingue de tout autre temps de jeûne et de purification vécu dans d’autres confessions religieuses ou dans les pratiques des sagesses orientales. Le jeûne, la prière, le partage sont les moyens concrets proposés par le Christ, et l’Église à sa suite, pour convertir son rapport à soi-même, à Dieu et aux autres.

Quelle est l’origine et l’histoire du Carême dans l’Église ?
La pratique du Carême a subi beaucoup de fluctuations. Dans l’Église primitive, le Carême est le temps ultime de préparation au baptême des catéchumènes célébré la nuit de Pâques. Une lettre de saint Irénée au pape Victor, à la fin du IIe siècle, indique que le jeûne durait alors d’un jour avant Pâques à toute la Semaine sainte. Au IVe siècle, le Carême est devenu un temps liturgique spécifique, orienté vers la fête de la Résurrection, et empreint d’austérité (la couleur liturgique devient le violet, et les acclamations joyeuses sont supprimées dans les célébrations).
Le jeûne, qui a pour but de donner soif et faim de Dieu et de sa parole, est alors porté à quarante jours. On en trouve trace dans un canon du concile de Nicée en 325. Le calcul de ces quarante jours va varier dans le temps avant d’être harmonisé. Au départ, le jeûne consistait à ne prendre qu’un repas quotidien composé de pain, de légumes, et d’eau, et à s’abstenir de toute nourriture les Vendredi et Samedi saints.
Peu à peu, il va perdre de sa rigueur. Aujourd’hui, l’Église catholique ne prescrit plus le jeûne que le mercredi des Cendres et le Vendredi saint. Elle invite néanmoins les fidèles à réduire leur consommation dans le domaine de leur choix (alcool, tabac, télévision…) et à partager, notamment sous forme de don. Chaque année, le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD) anime une campagne de Carême au profit de la solidarité internationale

Comment protestants et orthodoxes vivent-ils le Carême ?
La Réforme s’est opposée au jeûne obligatoire du Carême. Les protestants n’ont en revanche en rien contesté l’importance du Carême pour la spiritualité. Les Églises de la Réforme marquent ce temps de Carême par l’organisation d’actions de solidarité.
Dans l’orthodoxie, il existe plusieurs carêmes: le grand Carême, le Carême de Noël du 15 novembre au 24 décembre, la période de jeûne avant la fête des saints Pierre et Paul, le jeûne de la Dormition du 1 er au 14 août.
Le grand Carême, également appelé Sainte quarantaine, prépare la fête de Pâques. Pendant ce grand Carême, les orthodoxes s’abstiennent de tout produit animal, de graisse et de vin, tous les jours sauf le samedi et le dimanche. Il n’y a pas de célébration de la Divine Liturgie les jours de jeûne, du lundi au vendredi.
En effet, pour l’orthodoxie, la célébration de l’Eucharistie est incompatible avec le jeûne, car elle célèbre la joie de la résurrection du Christ et anticipe la joie éternelle du Royaume de Dieu. Cependant les mercredis et vendredis soir de Carême il y a un office de communion qu’on appelle «liturgie des présanctifiés». On communie avec le Corps et le Sang du Christ consacrés à la liturgie eucharistique du dimanche précédant et gardés sur l’autel.
Dans le rite catholique romain, la liturgie des présanctifiés n’a lieu que le Vendredi saint (on communie aux espèces consacrées la veille ).

Le concile Vatican II a remis en valeur le catéchuménat des adultes des premiers siècles.
Le grand Carême orthodoxe est précédé d’une entrée en Carême qui se déroule sur cinq dimanches consécutifs, chacun d’entre eux étant consacré, avec un évangile particulier, à un aspect fondamental du repentir. Le 1er dimanche de Carême, les orthodoxes fêtent le triomphe de l’orthodoxie contre la répression iconoclaste. Les 3e ,4e et 5e dimanches sont dédiés à la commémoraison de grands maîtres spirituels: saint Grégoire Palamas, saint Jean Climaque et sainte Marie l’Égyptienne.

En quoi le Carême est-il un temps important pour les catéchumènes ?
Le concile Vatican II a remis en valeur dans l’Eglise catholique le catéchuménat des adultes des premiers siècles. Durant le Carême, les catéchumènes franchissent les toutes dernières étapes de leur chemin vers le baptême qu’ils reçoivent lors de la Vigile pascale (lire La Croix du 10-11 février). Le rite de l’appel décisif et de l’inscription du nom est célébré le 1er dimanche de Carême. Le rituel prévoit ensuite trois « scrutins », célébrés les 3e ,4e ,5e dimanches de Carême. Il s’agit de scruter les cœurs de ceux qui s’avancent vers le Dieu vivant qui seul sonde et connaît les cœurs (Psaume 138). Au cours de ces étapes, les catéchumènes reçoivent le «Notre Père» et le « Je crois en Dieu ».

MARTINE DE SAUTO

MÉDITATION DU JOUR DE PARLER AVEC DIEU – 1. CONVERSION ET PÉNITENCE

6 février, 2014

http://www.hablarcondios.org/fr/meditationdujour.asp

François Carvajal

MÉDITATION DU JOUR DE PARLER AVEC DIEU

CARÊME. MERCREDI DES CENDRES

1. CONVERSION ET PÉNITENCE

- Le Carême : ascension vers le mystère pascal.
- Le but du Carême : favoriser la conversion du coeur.
- Les oeuvres de pénitence : la confession fréquente, l’esprit de mortification et la pratique généreuse de l’aumône.

I. Entrons dans le Carême comme dans un édifice chargé d’histoire : ces quarante jours évoquent la dure traversée du désert, entre la libération de l’esclavage d’Égypte et l’arrivée vers la Terre promise, pour le peuple hébreu. Cela préfigurait la longue et dure marche de la vie terrestre entre le baptême et le jour de la naissance à la splendeur éternelle.

Quarante journées. Ce n’est pas l’effet du hasard ou d’un arbitraire de la loi liturgique. C’est le temps que Jésus s’est fixé pour sa retraite dans un désert de Palestine, avant de commencer publiquement sa mission parmi les hommes. À la fin de cette période de silence, de prière et déjeune, le Seigneur affronte le démon qui, pacifiquement, essaie de le détourner de sa mission rédemptrice. De même, pacifiquement, les sirènes du matérialisme, de l’indifférence, de l’égoïsme essaient-elles à chaque génération de détourner l’homme d’une vie digne de sa vocation humaine et chrétienne.

Parcourons ces quarante jours, temps de pénitence et de rénovation intérieure1, pour parvenir à la semaine sainte, aux trois jours sacrés, à la Passion, à la mort et à la Résurrection du Seigneur avec une âme purifiée.

Parole du Seigneur : Revenez à moi de tout votre coeur, dans le jeûne, les larmes et le deuil ! Déchirez vos coeurs et non pas vos vêtements, et revenez au Seigneur votre Dieu, car il est tendre et miséricordieux…2.

Voilà ce que proclame la première lecture de la Messe d’aujourd’hui. Au moment de l’imposition des cendres sur la tête des fidèles, le prêtre rappelle également les mots si impressionnants de la Genèse, après le péché originel : Memento homo, quia pulvis es. Souviens-toi que tu es poussière, et que tu retourneras en poussière3.

Memento homo… Souviens-toi… car il arrive souvent d’oublier que sans le Seigneur, « sans Dieu, il ne reste rien de la grandeur de l’homme, si ce n’est un petit tas de poussière dans un plat à une extrémité de l’autel, le mercredi des Cendres. C’est ce avec quoi l’Église nous marque le front comme si c’était avec notre propre substance4. »

Si le Seigneur veut que nous nous détachions des choses de la terre, ce n’est pas pour cultiver une indifférence et une insensibilité artificielles ; c’est pour que nous nous tournions vers lui. Il veut inlassablement que l’homme, tout homme, abandonne le péché qui le vieillit et le tue, et qu’il retourne à la source de la Vie et de la joie : « Jésus-Christ lui-même est la grâce la plus sublime de tout le Carême. C’est lui-même qui se présente à nous dans la simplicité admirable de l’Évangile5 ».

Que signifie tourner son coeur vers Dieu, se convertir ? Ce n’est pas une formule toute faite ; c’est se disposer à mettre en oeuvre tous les moyens à sa portée pour vivre comme il attend que nous vivions. Cela veut donc dire aussi, être sincère avec soi-même, essayer de ne pas servir deux seigneurs6 (Dieu et, en même temps, l’argent, le pouvoir, le bien-être…), aimer Dieu de toute son âme et vouloir éloigner de sa vie tout péché véniel délibéré. Chaque chrétien est invité à le faire quelles que soient ses circonstances de travail, de santé, de famille… car Jésus cherche des coeurs contrits, qui reconnaissent leurs fautes et leurs péchés, et qui soient disposés à les éliminer. Vous vous souviendrez de vos mauvais chemins, de vos oeuvres qui n’étaient pas bonnes…1

Le Seigneur désire découvrir au tréfonds de la conscience non l’autosatisfaction mais la douleur sincère des péchés, qui se manifeste avant tout par la confession sacramentelle et par de petits actes de mortification, de pénitence, faits par amour : « Se convertir signifie chercher de nouveau le pardon et la force de Dieu dans le sacrement de la réconciliation et ainsi toujours recommencer, avancer chaque jour8. »

Pour faire naître notre contrition, l’Église nous propose, dans la liturgie d’aujourd’hui, le psaume par lequel le roi David exprime son repentir et avec lequel tant de saints ont demandé pardon. Ne nous aide-t-il pas dans ce moment de prière, à dire aussi à Jésus :

Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour, selon ta grande miséricorde, efface mon péché.

Lave-moi tout entier de ma faute, purifie-moi de mon offense. Oui, je connais mon péché, ma faute est toujours devant moi. Contre toi, et toi seul, j’ai péché, ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait.

Crée en moi un coeur pur, ô mon Dieu, renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit. Ne me chasse pas loin de ta face, ne me reprends pas ton esprit saint.

Rends-moi la joie d’être sauvé ; que l’esprit généreux me soutienne. Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche annoncera ta louange 19

Aujourd’hui le Seigneur nous écoute plus que jamais, si nous lui répétons de tout coeur, dans une ardente oraison jaculatoire : Crée en moi un coeur pur, ô mon Dieu, renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.

II. Une vraie conversion se manifeste dans toute notre conduite ! On montre son désir de s’améliorer par sa façon de mieux travailler ou d’étudier plus intensément ; par la manière de se comporter en famille ; par les petites mortifications offertes au Seigneur, qui rendent plus agréable la vie autour de soi et le travail plus efficace ; par un plus grand soin apporté à la préparation et à la réception de la Confession sacramentelle qui devient plus fréquente si possible.

Par la voix de son Église, le Seigneur nous demande aussi aujourd’hui, d’offrir avec joie, une mortification spécifique, un peu plus généreuse que d’habitude. Ainsi, l’abstinence et le jeûne, qui « fortifient l’esprit, en mortifiant la chair et sa sensualité ; élèvent l’âme à Dieu ; suppriment la concupiscence, en donnant des forces pour vaincre et atténuer ses passions ; et disposent le coeur à ne pas chercher autre chose que de plaire à Dieu en tout ‘ » ».

Pourquoi donc, pendant le Carême, l’Église nous demande-t-elle ces signes de pénitence (l’abstinence à partir de 14 ans, et le jeûne entre 18 et 59 ans révolus) ?

Parce qu’ils nous rapprochent du Seigneur et donnent à l’âme une véritable joie libératrice. Cela consiste aussi à pratiquer l’aumône avec un coeur miséricordieux, avec le désir de porter un peu plus de sollicitude et de réconfort à celui qui se trouve accablé par le besoin, ou bien de contribuer, selon ses moyens, à une oeuvre apostolique en faveur des corps et des âmes blessés. « Tous les chrétiens peuvent pratiquer l’aumône, non seulement les riches et les puissants, mais aussi ceux de fortune modeste et même les pauvres ; de cette manière ceux qui sont inégaux par leur capacité de faire l’aumône sont semblables dans l’amour et l’affection avec lesquels ils la font « . » II n’est pas difficile de comprendre combien le détachement des biens matériels, la mortification et l’abstinence, purifient efficacement du péché et aident à trouver le Seigneur dans la vie ordinaire, car « celui qui cherche Dieu en voulant demeurer attaché à ses goûts, le cherche de nuit et, de nuit, il ne le trouvera pas 12 ». Les devoirs quotidiens offrent d’abondantes sources de mortification : quand on veut maintenir l’ordre, la ponctualité pour commencer son travail, l’intensité avec laquelle on le poursuit… Quant aux rapports avec les autres, ils fournissent d’innombrables occasions de mortifier l’égoïsme et de contribuer à créer un climat plus agréable autour de soi, car « la meilleure des mortifications est celle qui, s’appuyant sur de petits détails tout au long de la journée, s’attaque à la concupiscence de la chair, à la concupiscence des yeux et à l’orgueil. Mortifications qui ne mortifient pas les autres, mais qui nous rendent plus délicats, plus compréhensifs, plus ouverts à tous. Tu ne seras pas mortifié si tu es susceptible, si tu n’écoutes que ton égoïsme, si tu t’imposes aux autres, si tu ne sais pas te priver du superflu et parfois même du nécessaire, si tu t’attristes quand les choses ne vont pas comme tu l’avais prévu ; en revanche, tu es mortifié si tu sais te faire tout à tous, pour les gagner tous (1 Cor 9, 22) « . » Pourquoi ne pas se faire un petit plan précis de mortifications à offrir au Seigneur chaque jour de ce Carême ?

III. Qui veut aimer comme il est aimé de Dieu, peut-il laisser passer ce jour sans susciter dans son âme un désir profond et efficace de revenir une nouvelle fois auprès du Père, comme l’enfant prodigue ? Saint Paul nous propose en effet, dans la deuxième lecture de la Messe, de profiter de ce temps d’exception pour une véritable conversion : Nous vous invitons encore à ne pas laisser sans effet la grâce reçue de Dieu. Car il dit dans l’Écriture : Au moment favorable, je t’ai exaucé ; au jour du salut, je suis venu à ton secoursl4. Le Seigneur le redit à chacun, dans l’intimité de son coeur : Convertissez-vous. Revenez à moi de tout coeur ! N’en doutons pas : en cette période de l’année liturgique, Dieu nous donne une grâce particulière pour nous renouveler en Jésus-Christ. Voilà pourquoi le Carême est un temps de joie et d’espérance, bien que ce soit un temps de pénitence et de mortifications sérieuses.

« Quand l’un de nous s’aperçoit qu’il est triste, il doit penser : c’est que je ne suis peut-être pas suffisamment près du Christ. Quand l’un de nous reconnaît dans sa vie, par exemple, une certaine inclination à la mauvaise humeur, au mauvais caractère, il doit se poser la même question. Il ne peut pas toujours rejeter la faute sur les choses qui l’entourent. » II arrive parfois qu’une certaine apathie, la tristesse spirituelle, soient causées par la fatigue, par la maladie…, mais il s’agit bien souvent d’un manque de générosité pour faire ce que le Seigneur demande, d’une trop faible lutte pour veiller sur les sens, d’un manque de compréhension d’autrui ; bref, d’un état plus ou moins avancé de tiédeur.

Mais près de Jésus-Christ, il est toujours possible de trouver un remède à cette tiédeur éventuelle, et la force pour vaincre ces défauts qui sans lui seraient peut-être insurmontables. «Lorsque quelqu’un pense : « Je ressens une paresse presque irrémédiable, je ne suis pas suffisamment tenace, je n’arrive pas à terminer les choses que j’entreprends « , il devrait penser aujourd’hui :  » est-ce-que je suis suffisamment près du Christ ? » « Voilà pourquoi ce que chacun reconnaît un jour ou l’autre dans sa vie comme un défaut, une faiblesse ou un excès, devrait faire 1’objet de cet examen intime, direct et confiant : « je ne persévère pas ? — c’est que je ne suis pas suffisamment près du Christ ! », « je n’ai pas la joie ? — c’est que je ne suis plus assez près du Christ ! » Non ! Je ne vais plus penser que c’est à cause de mon travail, à cause de ma famille, de mes parents ou des enfants, à cause de mes collègues, de mon environnement… Non ! La vraie faute, c’est que je ne suis pas encore assez près du Christ. Et le Seigneur me dit justement aujourd’hui : Reviens ! Revenez à Moi de tout coeur.

« (…) Il est temps que chacun se sente pressé par Jésus-Christ. Que ceux qui sont tentés de différer cette résolution le sachent, le moment est venu ! Que ceux qui sont pessimistes et qui pensent que leurs défauts ou la situation du monde n’ont pas de remède, sachent que le moment est arrivé. C’est le début du Carême. Considérons-le comme un temps précieux de conversion et d’espérance l5.»

1. Cf. Concile Vatican 11, Const. Sacrosanctum Concilium, 109.— 2. Joël 2,12.— 3. Gen. 3, 19.— 4. J. Uclercq, En suivant l’Année liturgique.— 5. Jean-Paul II, Homélie d’un Mercredi des Cendres, 28 février 1979— 6. Cf. Mat. 6, 24.— 7. Ez. 36, 31-32.— 8. Jean- Paul II, Lettre Novo incipiente, 8 avril 1979.— 9. Psaume 50.— 10. Saint François de Sales, Sermon sur le jeûne.— 11. Saint Léon le Grand, Liturgie des Heures. Deuxième lecture du jeudi après les Cendres.— 12. Saint Jean de la Croix, Cantique spirituel, 3,3.— 13. Bienheureux Josémaria Escriva, Quand le Christ passe, 9.— 14. Deuxième lecture delà Messe :2Cor5,20-6,2.— 15. A.-M.Garcfa Dorronsoro, Un temps pour croire.

QUE VOTRE CHARITE SOIT SANS FEINTE – (Père Cantalamessa, prédication de Carême)

25 septembre, 2013

http://www.cantalamessa.org/?p=254&lang=fr

QUE VOTRE CHARITE SOIT SANS FEINTE

(Père Cantalamessa, vendredi 8 avril, 2011, troisième prédication de Carême)

1. Tu aimeras ton prochain comme toi-même

Un phénomène a été observé. Le Jourdain, en suivant son cours, forme deux petites mers: la mer de Galilée et la mer Morte. Mais tandis que la mer de Galilée est une mer grouillante de vie, parmi les eaux les plus poissonneuses de la terre, la mer Morte, comme son nom l’indique, est une mer « morte » : il n’y a aucune trace de vie, ni en elle ni aux alentours, seulement du sel. Il s’agit pourtant de la même eau du Jourdain. L’explication, du moins partielle, est celle-ci: la mer de Galilée reçoit les eaux du Jourdain, mais ne les retient pas pour elle, les laisse s’écouler pour permettre d’irriguer toute la vallée du Jourdain. La mer Morte reçoit les eaux et les retient pour elle, elle n’a pas d’émissaires, il n’en sort pas une goutte d’eau. C’est un symbole. Pour recevoir l’amour de Dieu, nous devons en donner à nos frères, et plus nous en donnons, plus nous en recevons. C’est sur quoi nous voulons réfléchir dans cette méditation.
Après avoir réfléchi dans les premières méditations sur l’amour de Dieu comme don, le moment est venu de méditer sur le devoir d’aimer, et en particulier sur le devoir d’aimer son prochain. Le lien entre les deux amours est exprimé de manière programmatique par la parole de Dieu: « Si Dieu nous a ainsi aimés, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres » (1 Jn 4, 11).
« Tu aimeras ton prochain comme toi-même » était un commandement ancien, écrit dans la loi de Moïse (Lv 19, 18) et Jésus le cite comme tel (Lc 10, 27). Comment se fait-il donc que Jésus l’appelle « son » commandement et le commandement « nouveau » ? La réponse est qu’avec lui ont changé l’objet, le sujet et le motif de l’amour du prochain.
Tout d’abord, l’objet a changé, c’est-à-dire celui qui est le prochain à aimer. Celui-ci n’est plus le compatriote ou, tout au plus, l’hôte qui habite avec le peuple, mais tout homme, même l’étranger (le Samaritain !), même l’ennemi. Il est vrai que la seconde partie de la phrase « Tu aimeras ton prochain, et tu haïras ton ennemi » ne se trouve pas littéralement dans l’Ancien Testament, mais elle en résume l’orientation générale, exprimée dans la loi du talion « oeil pour œil, dent pour dent » (Lv 24, 20), surtout si on la met en parallèle avec ce que Jésus exige des siens: « Eh bien ! moi je vous dis: aimez vos ennemis et priez pour vos persécuteurs, afin de devenir fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les. Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Et si vous réservez vos saluts à vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? » (Mt 5, 44-47).
A changé aussi le sujet de l’amour du prochain, autrement dit la signification du mot prochain. Celui-ci n’est pas l’autre ; c’est moi ; ce n’est pas celui qui est proche, mais celui qui se fait proche. Avec la parabole du bon Samaritain, Jésus montre qu’il ne faut pas attendre passivement que le prochain surgisse sur ma route, précédé d’une multitude de signaux lumineux, toutes sirènes déployées. Le prochain, c’est toi, c’est-à-dire celui que tu peux devenir. Le prochain n’existe pas au départ, il n’y aura un prochain que s’il devient prochain de quelqu’un.
A changé surtout le modèle ou la mesure de l’amour du prochain. Jusqu’à Jésus, le modèle était l’amour de soi: « comme toi-même ». Dieu, a-t-on dit, ne pouvait fixer l’amour du prochain à un « pieu » plus solide que celui-ci ; il n’aurait pas atteint non plus le même objectif s’il avait dit: « Tu aimeras ton prochain comme ton Dieu ! », parce que sur l’amour de Dieu – c’est-à-dire sur ce que signifie aimer Dieu – l’homme peut encore tricher, mais sur l’amour de soi, non. L’homme sait très bien ce que signifie, en toute circonstance, s’aimer soi-même ; c’est un miroir qu’il a toujours devant soi, qui ne laisse pas d’échappatoire[1].
En revanche, Dieu laisse une échappatoire, et c’est pourquoi il remplace ce modèle par un autre modèle et une autre mesure: « Voici quel est mon commandement: vous aimer les uns les autres, comme je vous ai aimés » (Jn 15, 12). L’homme peut mal s’aimer, autrement dit désirer le mal, non le bien, aimer le vice, non la vertu. Si pareil homme aime les autres comme lui-même et veut pour les autres les choses qu’il veut pour lui-même, elle est bien à plaindre la personne qui est aimée de la sorte ! Nous savons, en revanche, où nous conduit l’amour de Jésus: à la vérité, au bien, au Père. Celui qui le suit, lui, « ne marche pas dans les ténèbres ». Il nous a aimés en mourant pour nous, alors que nous étions encore pécheurs, c’est-à-dire ennemis (Rm 5, 6 ss).
On comprend alors ce que veut dire l’évangéliste Jean avec son affirmation apparemment contradictoire: « Bien-aimés, ce n’est pas un commandement nouveau que je vous écris, c’est un commandement ancien, que vous avez reçu dès le début. Ce commandement ancien est la parole que vous avez entendue. Et néanmoins, encore une fois, c’est un commandement nouveau que je vous écris » (1 Jn 2, 7-8). Le commandement de l’amour du prochain est « ancien » littéralement, mais « nouveau » de la nouveauté même de l’évangile. Nouveau – explique le pape dans un chapitre de son nouveau livre sur Jésus – car il n’est plus seulement « loi », mais aussi, et avant tout, « grâce », s’il se fonde sur la communion avec le Christ, rendue possible par le don de l’Esprit.[2]
Avec Jésus on passe de la loi du talion, ou entre deux acteurs – « Ce que l’autre t’a fait, fais-le à lui » – à la loi de la transition, ou avec trois acteurs: « Ce que Dieu t’a fait, toi fais-le à l’autre », ou, en partant de la direction opposée: « Ce que tu auras fait avec l’autre, c’est ce que Dieu fera avec toi ». On ne compte plus les paroles de Jésus et des apôtres qui répètent ce concept: « Comme Dieu vous a pardonné, pardonnez-vous aussi les uns les autres »: « Si vous ne pardonnez pas de tout cœur à vos ennemis, votre Père qui est aux cieux Père ne vous pardonnera pas non plus ». Se trouve ainsi coupée à la racine l’excuse: « Mais lui ne m’aime pas, il m’offense… ». Ceci le regarde, lui, pas toi. Toi, seulement doit te concerner ce que tu fais à l’autre et comment tu te comportes face à ce que l’autre te fait.
La question principale reste en suspens: pourquoi ce curieux détournement, de l’amour de Dieu à l’amour du prochain ? Ne devrait-on pas s’attendre logiquement à: « Comme je vous ai aimés, aimez-moi »?, au lieu de: « Comme je vous ai aimés vous, aimez-vous les uns les autres »? Ici réside la différence entre l’amour purement eros et l’amour eros et agapè ensemble. L’amour purement érotique est en circuit fermé: « Aime-moi, Alfredo, aime-moi autant que moi je t’aime « , chante Violetta dans la Traviata de Verdi: je t’aime, tu m’aimes. L’amour agapè est à circuit ouvert: il vient de Dieu et retourne à lui, mais en passant par le prochain. Jésus a inauguré lui-même ce nouveau genre d’amour: « Comme Le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés » (Jn 15, 9).
Sainte Catherine de Sienne nous en a donné l’explication la plus simple et convaincante. Elle fait dire à Dieu: « Je vous demande de m’aimer du même amour que je vous aime. Vous ne pouvez le faire complètement, puisque je vous ai aimés sans être aimé. Dès lors l’amour que vous avez pour moi est une dette que vous acquittez, non une grâce que vous me faites, tandis que l’amour que j’ai pour vous au contraire est une grâce que je vous accorde, et non une dette. Vous ne pouvez donc me rendre l’amour que je réclame, et cependant je vous en offre le moyen dans votre prochain : faites pour lui ce que vous ne pouvez faire pour moi. Mais je vous ai placés à côté de votre prochain, pour vous permettre de faire pour lui ce que vous ne pouvez faire pour moi: l’aimer par grâce, et avec désintéressement, sans en attendre aucun avantage. Je considère alors comme fait à moi ce que vous faites au prochain »[3].
2. Aimez-vous de tout votre cœur
Après ces réflexions d’ordre général sur le commandement de l’amour du prochain, nous aborderons maintenant les qualités que doit revêtir cet amour. Elles sont fondamentalement au nombre de deux: il doit être un amour sincère et un amour actif, un amour du cœur et un amour en quelque sorte « des mains », d’action. Nous nous arrêterons ici sur la première qualité, en nous laissant guider par Paul, le grand chantre de l’amour.
La seconde partie de l’Epître aux Romains se présente comme une succession de recommandations sur l’amour mutuel au sein de la communauté chrétienne: « Que votre charité soit sans feinte [...] ; que l’amour fraternel vous lie d’affection entre vous, chacun regardant les autres comme plus méritants… » (Rm 12, 9 ss). « N’ayez de dettes envers personne, sinon celle de l’amour mutuel. Car celui qui aime autrui a de ce fait accompli la loi » (Rm 13, 8).
Pour saisir l’âme qui unifie toutes ces recommandations, l’idée fondamentale, ou mieux, le « sentiment » que Paul a de la charité, il faut partir de cette parole initiale: « Que votre charité soit sans feinte ! » Il ne s’agit pas d’une parmi les nombreuses exhortations, mais de la matrice d’où découlent toutes les autres. Elle renferme le secret de la charité. Nous essaierons, avec l’aide de l’Esprit, de percer ce secret.
Le terme original utilisé par saint Paul et qui est traduit par « sans feinte « , est anhypòkritos, c’est-à-dire sans hypocrisie. Ce vocable est une sorte de voyant ; c’est, en effet, un terme rare utilisé dans le Nouveau Testament, presque exclusivement pour définir l’amour chrétien. On retrouve encore l’expression « charité sans feinte » (anhypòkritos) dans 2 Corinthiens 6, 6 et dans 1 Pierre 1, 22. Ce dernier texte permet de saisir, en toute certitude, le sens du terme en question, car il l’explique par une périphrase ; l’amour sincère – dit-il – consiste à s’aimer sans défaillance « d’un cœur pur ».
Donc, Saint Paul, par cette simple affirmation: « que votre charité soit sans feinte ! », porte le propos à la racine même de la charité, qui est le cœur. Ce qui est requis de l’amour, c’est qu’il soit sincère, authentique, non feint. Comme le vin, pour être « pur », doit être pressé à partir du raisin, il en est de même pour l’amour qui vient du cœur. En cela aussi, l’Apôtre se fait l’écho fidèle de la pensée de Jésus ; en effet, à plusieurs reprises et avec force, il avait indiqué le cœur comme le « lieu » où se décide la valeur de ce qui fait l’homme, ce qui est pur, ou impur, dans la vie d’une personne (Mt 15, 19).
On peut parler d’une intuition paulienne, à propos de la charité ; celle-ci consiste à révéler, derrière l’univers visible et extérieur de la charité, fait d’œuvres et de paroles, un autre univers tout intérieur, qui est par rapport au premier ce que l’âme est pour le corps. On retrouve cette intuition dans l’autre grand texte sur la charité, qui est 1 Corinthiens 13. Au fond, ce que dit saint Paul se réfère entièrement à cette charité intérieure, aux dispositions et aux sentiments de la charité: la charité est patiente ; la charité est bienveillante ; elle n’est pas envieuse, ne s’irrite pas ; elle excuse tout, croit tout, espère tout… Rien à voir, directement, avec faire du bien, ou avec les œuvres de charité ; mais tout se ramène à la racine du vouloir du bien. La bienveillance vient avant la bienfaisance.
L’apôtre lui-même explicite la différence entre les deux sphères de la charité, en affirmant que le plus grand acte de charité extérieure – distribuer ses biens aux pauvres – ne sert de rien, sans la charité intérieure (cf. 1 Co 13, 3). Ce serait l’opposé de la charité « sincère ». La charité hypocrite, en effet, est précisément celle qui fait du bien, sans vouloir le bien, qui montre à l’extérieur quelque chose qui n’a pas son correspondant dans le cœur. Dans ce cas, on a une apparence de charité, qui peut, à la limite, dissimuler égoïsme, recherche de soi, instrumentalisation de son frère, ou même un simple remords de conscience.
Ce serait une erreur fatale d’opposer la charité du cœur et la charité des actes, ou de se réfugier dans la charité intérieure, pour y trouver une sorte d’alibi au manque de charité active. D’ailleurs, dire que sans la charité, « il ne sert de rien » même de tout donner aux pauvres, ne signifie pas dire que cela ne sert à personne et que c’est inutile ; mais cela signifie plutôt que ça ne me sert pas « à moi », alors que cela peut servir au pauvre qui la reçoit. Donc, il ne s’agit pas tant de minimiser l’importance des œuvres de charité (nous le verrons la prochaine fois), que d’assurer à celles-ci une base sûre contre l’égoïsme et ses ruses infinies. Saint Paul veut que les chrétiens soient « enracinés, fondés dans l’amour » (Ep 3, 17), autrement dit, que l’amour soit la racine et le fondement de tout.
Aimer sincèrement signifie aimer à cette profondeur, là où tu ne peux pas mentir, car tu es seul face à toi-même, seul devant le miroir de ta conscience, sous le regard de Dieu. « Aime son frère – écrit saint Augustin – celui qui, devant Dieu, là où lui seul voit, tranquillise son cœur et se demande en son for intérieur si vraiment il agit ainsi par amour de son frère ; et cet œil qui pénètre dans son cœur, là où l’homme ne peut atteindre, lui rend témoignage »[4]. C’était donc un amour sincère, celui de Paul pour les Hébreux s’il pouvait dire: « Je dis la vérité dans le Christ, je ne mens point ; ma conscience m’en rend témoignage dans l’Esprit Saint – j’éprouve une grande tristesse et une douleur incessante en mon cœur. Car je souhaiterais d’être moi-même anathème, séparé du Christ, pour mes frères, ceux de ma race selon la chair » (Rm 9, 1-3).
Pour être authentique, la charité chrétienne doit donc partir de l’intérieur, du cœur ; les œuvres de miséricorde, des « entrailles de la miséricorde  » (Col 3, 12). Cependant, il nous faut tout de suite préciser qu’il s’agit de quelque chose de beaucoup plus radical que la simple « intériorisation », c’est-à-dire de mettre l’accent non plus sur la pratique extérieure de la charité, mais sur la pratique intérieure. Ce n’est que le premier pas. L’intériorisation aboutit à la divinisation ! Le chrétien – disait saint Pierre – est celui qui aime « d’un cœur pur »: mais avec quel cœur ? Avec « le cœur nouveau et l’Esprit nouveau » reçus dans le baptême !
Quand un chrétien aime ainsi, c’est Dieu qui aime à travers lui ; il devient un canal de l’amour de Dieu. Comme pour la consolation qui n’est rien d’autre qu’une modalité de l’amour: « Dieu nous console dans toute notre tribulation, afin que, par la consolation que nous-mêmes recevons de Dieu, nous puissions consoler les autres en quelque tribulation que ce soit  » (2 Co 1, 4). Nous consolons avec la consolation même que nous recevons de Dieu, nous aimons avec l’amour que nous recevons de Dieu. Non avec un autre. Ce qui explique le retentissement, en apparence disproportionné, que peut parfois avoir un simple acte d’amour, souvent même caché, l’espérance et la lumière qu’elle créée tout autour.
3. La charité édifie
Quand on parle de la charité dans les écrits apostoliques, on n’en parle jamais de façon abstraite, de manière générale. Il y a toujours à la base l’édification de la communauté chrétienne. En d’autres termes, le premier domaine dans lequel doit s’exercer la charité est l’Eglise et plus concrètement encore, la communauté dans laquelle on vit, les personnes avec lesquelles on est en relation dans la vie quotidienne. C’est aussi ce qui doit se passer aujourd’hui, en particulier au coeur de l’Eglise, entre ceux qui travaillent en étroite relation avec le Souverain Pontife.
A une certaine période de l’antiquité, on désignait par le terme charité, agape, non seulement le repas fraternel que les chrétiens prenaient ensemble, mais toute l’Eglise[5]. Le martyr saint Ignace d’Antioche salue l’Eglise de Rome comme celle qui « préside à la charité (agape) », c’est-à-dire à la « fraternité chrétienne », à l’ensemble de toutes les Eglises[6]. Cette phrase n’exprime pas seulement le fait de la primauté, mais aussi sa nature, ou la manière de l’exercer: c’est-à-dire dans la charité.
L’Eglise a besoin, de façon urgente, d’une bouffée de charité qui guérisse ses fractures. Dans un de ses discours, Paul VI disait: « L’Eglise a besoin de sentir refluer par toutes ses facultés humaines, la vague d’amour, cet amour qui s’appelle charité, précisément répandue dans nos coeurs par l’Esprit saint qui nous a été donné »[7]. Seul l’amour guérit. C’est l’huile du samaritain. De l’huile, aussi parce qu’elle doit flotter au-dessus de tout comme le fait l’huile par rapport aux liquides. « Et puis, par-dessus tout, la charité, en laquelle se noue la perfection » (Col 3, 14). Au-dessus de tout, super omnia ! Et donc aussi au-dessus de la foi et de l’espérance, de la discipline, de l’autorité, même si, il est évident, la discipline et l’autorité elles-mêmes peuvent être une expression de la charité. Il n’y a pas d’unité sans la charité mais s’il y en avait une, ce serait une unité de peu de valeur pour Dieu.
Il y a un domaine important à travailler: celui des jugements réciproques. Saint Paul écrivait aux Romains: « Mais toi, pourquoi juger ton frère ? Et toi, pourquoi mépriser ton frère ?… Finissons-en donc avec ces jugements les uns sur les autres » (Rm 14, 10.13). Avant lui, Jésus avait dit: « Ne jugez pas, afin de n’être pas jugés (…) Qu’as-tu à regarder la paille qui est dans l’oeil de ton frère ? Et la poutre qui est dans ton oeil à toi, tu ne la remarques pas ! » (Mt 7, 1-3). Il compare le péché du prochain (le péché jugé), quel qu’il soit, à de la paille, et celui de qui juge (le péché de juger) à une poutre. La poutre est le fait même de juger, tellement il est grave aux yeux de Dieu.
Le discours sur le jugement est certes délicat et complexe et il manquera de réalisme s’il n’est pas mené jusqu’au bout. Comment fait-on, en effet à vivre sans jamais juger ? Le jugement est implicite en nous, même dans un regard. On ne peut pas observer, écouter, vivre, sans donner des appréciations, c’est-à-dire sans juger. Un parent, un supérieur, un confesseur, un juge, quiconque a une responsabilité sur les autres, doit juger. Parfois, comme c’est le cas de nombreuses personnes ici à la Curie, le jugement est même le type de service qu’elles sont appelées à rendre à la société ou à l’Eglise.
En effet, ce n’est pas tant le jugement que nous devons ôter de notre coeur, mais le venin qui vient de notre jugement ! C’est-à-dire la rancune, la condamnation. Dans l’Evangile de Luc, le commandement de Jésus: « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés » est immédiatement suivi, comme pour expliquer le sens de ces paroles, par le commandement: « ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés » (Lc 6, 37). En soi, l’action de juger est neutre, le jugement peut se terminer aussi bien par une condamnation que par une absolution ou une justification. Ce sont les jugements négatifs qui sont repris et bannis de la parole de Dieu, ceux qui condamnent le pécheur en même temps que le péché, ceux qui visent davantage la punition que la correction du frère.
Il y a un autre point qui qualifie la charité sincère: l’estime. « Que l’amour fraternel vous lie d’affection entre vous » (Rm 12, 10). Pour estimer son frère, il ne faut pas s’estimer trop soi-même, il ne faut pas être toujours sûr de soi ; il ne faut pas « se surestimer », dit l’Apôtre (Rm 12, 3). Celui qui se surestime est comme un homme qui, la nuit, a devant les yeux une source de lumière intense: il ne voit rien au-delà de cette lumière ; il ne parvient pas à voir les lumières de ses frères, leurs mérites et leurs valeurs.
« Minimiser » doit devenir notre verbe préféré dans les relations avec les autres: minimiser nos mérites et les défauts des autres. En revanche – chose diamétralement opposée – ne pas minimiser nos défauts et les mérites des autres, comme nous avons souvent tendance à le faire. Il y a une fable d’Esope à ce sujet, adaptée par La Fontaine, qui dit:
On se voit d’un autre œil qu’on ne voit son prochain.
Le Fabricateur souverain
Nous créa Besaciers tous de même manière,
Tant ceux du temps passé que du temps d’aujourd’hui:
Il fit pour nos défauts la poche de derrière,
Et celle de devant pour les défauts d’autrui[8]
Il faudra tout simplement inverser les choses: mettre nos défauts dans la besace que nous avons devant et les défauts des autres dans celle de derrière. Saint Jacques avertit: « Ne médisez pas les uns des autres » (Jc 4, 11). On ne parle plus maintenant de commérages, on parle de gossip, et on dirait que c’est devenu une chose innocente, alors qu’en réalité il s’agit de l’une des choses qui empoisonnent le plus la vie commune. Il ne suffit pas de ne pas dire du mal des autres ; il faut aussi empêcher que les autres le fassent en notre présence, leur faire comprendre, même sans rien dire, qu’on n’est pas d’accord. L’ambiance d’un lieu de travail ou d’une communauté est tellement différente quand on prend au sérieux l’avertissement de saint Jacques ! Dans beaucoup de lieux publics, à une certaine époque il était écrit: « Interdiction de fumer » ou même « Interdiction de blasphémer ». Ce ne serait pas mal de le remplacer, dans certains cas, par « Commérages interdits ».
Ecoutons pour terminer, comme si elle nous était adressée, l’exhortation de l’Apôtre à la communauté des Philippiens qu’il aimait tant: « Mettez le comble à ma joie par l’accord de vos sentiments: ayez le même amour, une seule âme, un seul sentiment ; n’accordez rien à l’esprit de parti, rien à la vaine gloire, mais que chacun par l’humilité estime les autres supérieurs à soi ; ne recherchez pas chacun vos propres intérêts, mais plutôt que chacun songe à ceux des autres. Ayez entre vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus » (Ph 2, 2-5).
[1] Cf. S. Kierkegaard, Gli atti dell’amore, Milano, Rusconi, 1983, p. 163.
[2] Benoît XVI, Jésus de Nazareth, De l’entrée à Jérusalem à la Résurrection, Editions du Rocher
[3] S. Caterina da Siena, Dialogo 64.
[4] S. Agostino, Commento alla Prima Lettera di Giovanni, 6,2 (PL 35, 2020).
[5] Lampe, A Patristic Greek Lexicon, Oxford 1961, p. 8
[6] S. Ignazio d’Antiochia, Lettera ai Romani, saluto iniziale.
[7] Discorso all’udienza generale del 29 Novembre 1972 (Insegnamenti di Paolo VI, Tipografia Poliglotta Vaticana, X, pp. 1210s.).
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UN CARÊME DANS L’ESPRIT DE SAINT BENOÎT

11 mars, 2013

 http://wavreumont.be/Careme%20conference%20.htm

 UN CARÊME DANS L’ESPRIT DE SAINT BENOÎT

Dans l’évangile selon saint Marc, au début du chapitre 7 :

Les Pharisiens et quelques scribes venus de Jérusalem se rassemblent auprès de Jésus. Ils voient que certains de ses disciples mangent les pains avec des mains impures, c’est-à-dire non lavées. En effet, les Pharisiens, comme tous les Juifs, ne mangent pas sans s’être lavé soigneusement les mains, par attachement à la tradition des anciens ; en revenant du marché, ils ne mangent pas sans avoir fait des ablutions ; et il y a beaucoup d’autres pratiques traditionnelles auxquelles ils sont attachés : lavages rituels des coupes, des cruches et des plats. Les Pharisiens et les scribes demandent donc à Jésus : « Pourquoi tes disciples ne se conduisent-ils pas conformément à la tradition des anciens, mais mangent-ils le pain avec des mains impures ? » Il leur dit : « Isaïe a bien prophétisé à votre sujet, comédiens, car il est écrit : Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi ; c’est en vain qu’ils me rendent un culte car les doctrines qu’ils enseignent ne sont que préceptes d’hommes. Vous laissez de côté le commandement de Dieu pour garder votre tradition. »
Comment vivre le carême selon l’esprit de saint Benoît ? C’est la question qui m’a été posée. Je vais tâcher de proposer quelques éléments de réponse, qui n’entreront pas en concurrence avec ceux que vous pourriez apporter vous-mêmes. Mais j’ai l’habitude de ne pas prendre la parole en public sans l’avoir d’abord laissée à Dieu, sans m’être mis et avoir mis mes auditeurs à l’écoute de sa Parole. Je vous propose donc de dialoguer un peu avec ces quelques versets de l’évangile, tout en permettant à saint Benoît d’intervenir dans la conversation.
Les Pharisiens et quelques scribes voient des disciples de Jésus manger les pains avec des mains impures. Littéralement : avec des mains communes. Le mot qu’on traduit impur n’est pas nécessairement péjoratif. Il signifie commun. Et ce qui est commun n’est pas toujours mauvais ou méprisable. Bien au contraire.
Commun s’oppose d’abord à privé. Nous sommes réunis en un lieu où tout est commun, mis en commun. Que tout soit commun à tous, ainsi qu’il est écrit, dit la Règle de saint Benoît (33,6) en se référant ouvertement à l’Écriture (Ac 2,44 ; 4,32). Et elle précise ailleurs (33,4 ; 58,25) que même le corps des moines ne leur appartient plus. En particulier, donc, nos mains sont communes.
Parce que le mot commun désigne ce qui est à la disposition de tout le monde, il s’oppose aussi à spécial, extraordinaire, hors du commun. Les Pharisiens et les scribes s’étonnent de voir que des disciples de Jésus prennent leur pain avec leurs mains ordinaires, avec leurs mains de tous les jours.
Or, les Pharisiens et les scribes ne sont ni des bandits ni des imbéciles. Avant d’aller plus loin, il n’est peut-être pas inutile de nous le rappeler. Deux mille ans de christianisme ont contribué à nous inculquer une conception très négative du pharisaïsme, mais ce n’est pas sans danger. Danger de tomber dans les pièges de l’antisémitisme, d’abord, mais aussi danger de nous enfermer dans des lectures erronées de l’évangile et de nous barrer ainsi l’accès à d’autres interprétations, à la fois plus nuancées et plus fécondes. Nous devrions toujours asseoir, au premier rang de nos assemblées, un mannequin habillé en Juif, pour nous rappeler qu’il ne faut jamais dire en l’absence des Juifs ce que la courtoisie nous empêcherait de dire en leur présence. Mais c’est plus que de la courtoisie. Quoi qu’il en soit du contexte polémique où certains passages du Nouveau Testament ont été rédigés, la Parole de Dieu ne peut pas être antisémite. Dès lors, si nous écartons, avec une certaine minutie, les interprétations blessantes pour le judaïsme, nous augmentons nos chances d’être dans le vrai.
La tradition dont les Pharisiens prennent ici la défense est pleine de sens, et il nous est bon d’y réfléchir un peu. Il s’agit de tout autre chose que d’une question d’hygiène. Nous aussi, nous avons appris à nous laver les mains avant de manger, pour éviter de manger de la poussière ou du cambouis en même temps que notre pain. Mais ce qui préoccupe les Pharisiens, ce n’est pas que les disciples de Jésus risquent de nuire à leur santé. Ce qui les gêne, c’est que les disciples de Jésus semblent oublier que le pain est sacré. Dans un monde où nous savons, mieux qu’au temps de Jésus, à quel point ce don sacré de la nourriture manque à tant de personnes, nous aurions beaucoup de choses à redécouvrir.
Nous sommes préoccupés par l’innocuité de ce que nous mangeons, nous avons peur d’être malades. Nous avons même institué une agence fédérale chargée de veiller à la sécurité de la chaîne alimentaire. Cela étant assuré, on se soucie peut-être moins de la qualité de ce que nous mangeons. Et quand on prend l’habitude de manger n’importe quoi, on prend vite celle de le manger n’importe comment. La tradition des Pharisiens nous invite à nous ressaisir, avant que la barbarie nous ait tout à fait submergés. Elle nous appelle à retrouver le sens d’une liturgie domestique du repas. Quand on a vu son père tracer une croix sur le pain, de la pointe du couteau, avant de le couper, on ne peut plus oublier cette image. Et on ne supporte plus de voir du pain dans une poubelle.
Il y a beaucoup d’autres pratiques traditionnelles auxquelles les Pharisiens, comme tous les Juifs, sont attachés : lavages rituels (on pourrait traduire : baptêmes) des coupes, des cruches et des plats. La Règle de saint Benoît demande au cellérier de regarder tous les objets et tous les biens du monastère comme les objets sacrés de l’autel, et de ne rien tenir pour négligeable (31,10-11). Elle nous suggère ainsi de réduire la distinction entre le profane et le sacré, d’apprendre à respecter les choses. Elle s’inscrit dans la ligne des traditions des Pharisiens, dont l’enseignement reste pertinent. Et peut-être urgent dans nos sociétés de gaspillage et de prêt à jeter.
La réponse de Jésus ne remet pas tout cela en cause. Lui aussi souhaite ne pas distinguer trop nettement le sacré du profane. Mais il prend les choses par l’autre bout. Les mains de ses disciples, les mains de chacun de nous, sont également sacrées, et plus encore que le pain. Pour prendre le pain, il n’est pas nécessaire de changer de mains, d’avoir une paire de mains de rechange, des mains spéciales. Rien n’est plus beau qu’une main humaine, une main chargée de toute une histoire. Jésus laisse ses disciples prendre le pain avec des mains communes, des mains ordinaires, parce que ce sont ces mains-là, nos mains de tous les jours, de toutes les besognes, de toutes les souffrances, mais aussi de toutes les caresses, de tous les réconforts, ce sont ces mains-là qui, en prenant le pain, le rendent sacré. Les Pharisiens ont bien raison de regarder le profane comme sacré, mais Jésus leur demande de poser le même regard sur les mains de ses disciples, leurs mains qui sont belles et bonnes, sans être hors du commun, parce qu’elles ne sont pas hors du commun.
Les évangiles de Marc et de Matthieu racontent qu’un jour, à Béthanie, une femme s’est approchée de Jésus pour verser du parfum sur sa tête. Cela se passait chez un certain Simon dont nous ne savons rien, mais qu’on appelait Simon le lépreux. Sans doute l’était-il ou, plus vraisemblablement, l’avait-il été. On imagine volontiers que Jésus l’avait purifié de sa lèpre.
Dans son évangile, Luc transforme cet épisode de fond en comble. Non seulement il le transporte de Béthanie en Galilée, mais il fait de la femme une pécheresse et de Simon un Pharisien. La femme ne verse plus le parfum sur la tête de Jésus mais sur ses pieds, elle y ajoute des larmes et des baisers, elle les essuie avec ses cheveux.
Par la suite, on s’est plu à mêler les deux versions de ce récit. L’évangile de Jean, déjà, raconte l’événement en s’inspirant de l’une et de l’autre. Cela nous a valu de beaux commentaires, où l’hôte de Jésus, Simon, est à la fois le lépreux de Marc et le Pharisien de Luc. Ainsi, quand le Pharisien s’indigne de voir Jésus se laisser toucher par une pécheresse, saint Bernard demande : « Avait-il donc oublié de quelle manière le Seigneur, en touchant ses plaies ou celles d’un autre, avait chassé leur mal sans le contracter ? De même le juste, touché par la pécheresse, lui communique la justice sans la perdre lui-même ; il ne contracte pas la souillure dont il la purifie. »
Ces mots de Bernard pourraient servir de réponse aux scribes et aux Pharisiens dont parle notre évangile. Ce passage se trouve dans une partie de l’évangile de Marc qu’on appelle la section des pains, parce que le mot pain y apparaît seize fois. On y rencontre le récit de deux multiplications des pains, l’une en terre d’Israël, l’autre en terre païenne. La lecture du quatrième évangile permet d’approfondir le sens de la distribution du pain : c’est Jésus qui est notre pain, c’est lui-même qui se donne quand il donne le pain. Il se livre entre nos mains.
Entre n’importe quelles mains ? se demande l’évangile. Les Pharisiens et les scribes demandent à Jésus pourquoi ses disciples mangent le pain avec des mains impures. Pour manger le pain, le vrai Pain, Jésus qui se donne en nourriture, faut-il avoir les mains propres ?
Dans les sacristies, il y avait naguère un lavabo flanqué de deux serviettes. L’une était marquée ante (avant) ; l’autre, post (après). Car le prêtre ne devait pas célébrer la messe sans se laver les mains, avant et après. Ce qui ne l’empêchait pas de se les laver encore pendant l’eucharistie. Mais alors, en lavant ses mains propres, il disait quelques versets d’un psaume : Je lave mes mains en signe d’innocence… Autrement dit : pas parce qu’elles sont sales, mais pour montrer qu’elles sont propres. Comme celles de Pilate. Depuis la réforme liturgique, là où les prêtres se lavent encore les mains au cours de l’eucharistie, ils le font en disant une autre prière : Lave-moi de mes fautes, Seigneur, purifie-moi de mon péché. Peut-être ont-ils mieux conscience de leur insuffisance. Vos mains sont pleines de sang, dit Dieu par la voix de son prophète.
Oui, tous autant que nous sommes, nous venons à l’eucharistie avec des mains qui ne sont jamais tout à fait innocentes. Comme les disciples de Jésus que critiquent les scribes et les Pharisiens, nous mangeons le pain avec des mains impures. Faut-il y renoncer ?
Une bonne partie du temps que je passe au confessionnal, la moitié peut-être, je la consacre à rappeler à des chrétiens que le pain eucharistique n’est pas une récompense décernée à des purs mais une force donnée à des pécheurs. Sans doute, nous pouvons nous demander si nous ne communions pas à la légère, distraitement, machinalement, sans nous poser assez de questions. Mais à tout prendre, si c’était le cas, cet excès serait moins grave que l’excès contraire, car une crainte scrupuleuse de notre impureté, qui nous tiendrait à l’écart du pain de vie, nous priverait de l’espoir d’une guérison. Si un pécheur touche Dieu, il ne risque pas de le salir. En revanche, il y a des chances que ce contact le purifie.
Cela dit, l’un n’empêche pas l’autre. Nous pouvons nous approcher des sacrements et, plus généralement, mener notre vie chrétienne, tout à la fois, sans scrupule et sans désinvolture. Le carême pourrait être l’occasion de redécouvrir le sens de ce que nous ne faisons plus que par habitude. C’est cela que suggère Jésus quand il traite les scribes et les Pharisiens de comédiens. On traduit généralement hypocrites, mais ce mot, même s’il est le décalque exact du terme grec, n’en est pas vraiment la traduction (méfions-nous des faux amis). Le sens courant du mot hypocrite est devenu trop injurieux. Le mot grec désigne l’acteur, celui qui joue un rôle, ce qui ne l’oblige pas à épouser à titre privé la personnalité du personnage qu’il incarne, tout spécialement dans l’antiquité, où les comédiens jouent masqués, ce qui les dispense même de ressembler à leur personnage, d’en reproduire les expressions et les grimaces.                                 
En traitant ses interlocuteurs de comédiens, Jésus ne leur reproche pas une duplicité volontaire, une dévotion feinte, une quelconque tartufferie. Mais il les met en garde contre le risque d’une tradition respectée pour elle-même, détachée du souci qui l’a commandée à l’origine. Il dénonce le maintien d’usages dont on a perdu la signification (on a toujours fait ainsi), les sabbats qui, n’étant plus faits pour l’homme, se retournent contre lui, les rites pratiqués distraitement, les coquilles vides. Dans les monastères, les questions des novices peuvent servir à interroger les coutumes et à leur demander de se justifier. Encore faut-il disposer de novices. A défaut, il est bon de refaire le travail soi-même, de temps en temps. Le temps du carême pourrait convenir à cet exercice.                          
C’est ce que propose le chapitre 49 de la Règle : Bien que la vie du moine doive garder en tout temps l’observance du carême, cependant, comme il en est peu qui aient cette vertu, nous recommandons que, pendant ces jours du carême, on garde sa vie en toute pureté, et que l’on efface en ces jours saints à la fois toutes les négligences des autres temps (49,1-3). Autrement dit, le carême, comme tous les temps liturgiques extraordinaires, a pour objectif de nous rappeler ce que nous sommes censés être en tout temps, en temps ordinaire. L’avent nous rappelle, un petit mois de chaque année, que nous avons, pendant toute l’année, la mission d’être des veilleurs, la responsabilité de hâter l’aube. Le temps pascal nous redit que, plongés dans la mort du Christ au jour de notre baptême, nous sommes dès maintenant ressuscités avec lui, jour après jour, sans discontinuer. Parce que nous risquons toujours, à la longue, d’en perdre la conscience, les temps liturgiques viennent nous réveiller, de loin en loin, en insistant sur tel ou tel aspect de notre vie chrétienne.                                                                      
En parlant de réveil, je songe à la définition de l’ascèse que propose Olivier Clément en s’inspirant d’un commentaire d’Origène (Sources. Les mystiques chrétiens des origines. Textes et commentaires, Paris, Stock, 1982, p. 117) : « L’ascèse est donc éveil hors du somnambulisme quotidien. Elle permet au Verbe de dégager, de désensabler au fond de l’âme la source des eaux vives, de faire resplendir en l’homme l’image ternie de Dieu, la drachme qui a roulé dans la poussière mais reste frappée à l’effigie du roi (Luc 15,8-10). C’est le Verbe qui agit, mais nous devons collaborer avec lui, moins par une tension volontariste que par une attention aimante. » Parce que le somnambulisme a toujours tendance à reprendre le pas sur l’attention aimante, le carême vient nous réveiller chaque année, mais pas tout à fait à la même date, comme s’il s’amusait à nous surprendre dans notre sommeil.
La vie du moine doit garder en tout temps l’observance du carême. Certains traducteurs, réalistes, préfèrent écrire qu’elle devrait garder cette observance en tout temps. Mais le texte de la Règle est un peu plus radical : la vie du moine doit garder en tout temps l’observance du carême. Cette phrase peut s’interpréter dans les deux sens. Elle veut dire que le carême est le modèle de notre vie monastique, mais aussi que notre vie ordinaire est le modèle du carême. Vivre le carême selon l’esprit de saint Benoît, c’est vivre selon l’esprit de saint Benoît. Le carême n’est pas d’abord fait de choses extraordinaires, mais d’un soin renouvelé à faire les choses ordinaires, moins par une tension volontariste que par une attention aimante, pour reprendre l’expression d’Olivier Clément.                                              
Alors, certes, chacun peut offrir à Dieu, de sa propre volonté, avec la joie de l’Esprit Saint, quelque chose en plus de la mesure qui lui est imposée, comme le suggère saint Benoît (49,6), nous pouvons, pour notre carême, nous fixer (individuellement ou en communauté) des pratiques surérogatoires, comme dit la traduction de Philibert Schmitz. Mais elles manquent leur but si elles deviennent à leur tour des coutumes machinales. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de condamner tout ce qui est machinal. Un apprentissage, quel qu’il soit, est toujours pour une part l’acquisition d’automatismes. Il est heureux que nous ne devions pas à chaque instant songer à ce que nous faisons pour faire un pas, pour saisir un objet, pour manier un outil, pour dactylographier une lettre, pour conduire une voiture. Et il est préférable de continuer à respirer quand on ne songe plus qu’on respire. Mais en même temps, ce qui fait de notre existence une vie proprement humaine, c’est notre conscience. De sorte que l’ascèse, l’exercice de notre carême pourrait être un éveil. Retrancher sur la nourriture, ce pourrait être retrouver une manière humaine de manger.    
Au monastère, saint Benoît établit un parallèle constant entre l’oratoire et le réfectoire. Ce sont les deux lieux où se noue la communauté. Le frère qui est coupable de faute grave sera exclu à la fois de la table et de l’oratoire (25,1). Benoît consacre un seul long chapitre à ceux qui arrivent en retard à l’Œuvre de Dieu ou à la table (43). C’est dans ce chapitre que la Règle utilise le mot commun pour qualifier autre chose qu’elle-même (7,55) : la table (43,15). C’est aussi ce chapitre qui interdit aux moines de prendre à part aucun aliment ou boisson avant l’heure prescrite ou après (43,18), ce qui devrait avoir pour conséquence que la chapelle et le réfectoire sont aussi les deux seuls endroits du monastère où on mange et boit.
Et ce sont les deux « lieux » où saint Benoît suggère de faire porter l’effort de carême : oraisons particulières, abstinence d’aliments et de boissons (49,5). C’est le verset central du chapitre, le verset 5, encadré par deux énumérations plus longues, qui insistent sur un des deux aspects : le verset 4 se déploie surtout à l’oratoire : nous appliquant à l’oraison avec pleurs, à la lecture et à la componction du cœur, ainsi qu’à l’abstinence ; le verset 7 développe plutôt l’idée de restriction, en commençant par le réfectoire pour atteindre toutes les zones de la vie « profane » : qu’il retranche à son corps sur la nourriture, la boisson, le sommeil, la loquacité, la bouffonnerie…
Ce dernier exemple (car il s’agit bien d’exemples, non d’une liste exhaustive) est assez significatif. Car la bouffonnerie est très nettement interdite par le chapitre 6 de la Règle : Quant aux bouffonneries, ainsi qu’aux paroles oiseuses et portant à rire, nous les condamnons en tous lieux à la réclusion perpétuelle, et nous ne permettons pas au disciple d’ouvrir la bouche pour de tels propos (6,8). Difficile d’être plus radical. Mais il s’agit là du temps ordinaire, du temps perpétuel, de toute la vie du moine : aucune bouffonnerie, jamais. Tandis que pendant les jours saints du carême, quand on essaie de faire mieux, on pourrait suggérer à l’un ou l’autre de retrancher sur la bouffonnerie. C’est dire en clair : vous pourriez profiter de votre carême pour tenter d’approcher un peu de ce que devrait être votre vie ordinaire. La règle est nette, la pratique l’est moins, le carême est l’occasion de réduire la distance entre l’une et l’autre, sans se faire trop d’illusions.
Vivre le carême selon l’esprit de saint Benoît, c’est donc prêter une attention renouvelée à notre façon de vivre, faire les choses avec plus de conscience. Plus consciencieusement, peut-être, cela ne gâcherait rien, mais surtout plus consciemment. Car il y a conscience et conscience. Il ne s’agit ni de perfectionnisme ni, disions-nous avec Olivier Clément, de tension volontariste. Il ne s’agit pas de conscience au sens moral du terme, de cette mauvaise conscience qui nous poursuit quand nous avons mal fait, de cette bonne conscience qui nous rassure quand nous pensons avoir été généreux, de cette conscience que nous avons pour nous quand nous estimons ne rien devoir nous reprocher. Il s’agit plutôt de la conscience que nous prenons, qui est aussi la conscience que nous perdons, quand nous perdons connaissance, en nous endormant ou en nous évanouissant. Faire les choses en prenant conscience de ce que nous faisons et des conséquences que cela peut entraîner.
Vivre le carême selon l’esprit de saint Benoît, c’est revisiter notre vie, notre vie chrétienne. Et pour les moines, notre vie monastique. A partir de quand est-on moine, dans l’esprit de saint Benoît ? A partir de quel échelon de la vie chrétienne ? Sur l’échelle de l’humilité, au chapitre 7 de la Règle, le mot moine n’apparaît qu’au sixième degré. Jusque-là, il est question d’un homme (un de ces hommes qui peuvent être des femmes, un être humain), de quelqu’un. On gravit les premiers degrés de l’échelle, jusqu’au cinquième : on renonce à sa volonté propre, on se soumet en toute obéissance à un supérieur (mais on n’est pas moine pour autant), on a même un abbé, mais l’abbé ne fait pas le moine. Et ainsi de suite jusqu’au cinquième degré. Le cinquième, c’est celui de l’ouverture du cœur. Quand on est passé par là, le sujet des verbes devient le moine.
Il n’est pas étonnant, dès lors, que le chapitre sur le carême se termine en rappelant ce trait essentiel de ce que nous sommes, de ce que nous sommes censés être. Ce que chacun offre, il doit le proposer à son abbé et le faire avec l’oraison et la volonté de celui-ci, car ce qui se fait sans la permission du père spirituel sera mis au compte de la présomption et de la vaine gloire, non de la récompense. Tout doit donc s’accomplir avec la volonté de l’abbé (49,8-10). Si le carême consiste à vivre selon l’esprit de saint Benoît et de sa Règle, la première disposition à redécouvrir est sans doute cette confiance au point de vue d’un autre.
Cette insistance sur la volonté de l’abbé est d’autant plus significative que, deux versets plus haut, saint Benoît donne, de façon tout à fait exceptionnelle, un contenu positif à la volonté propre : Que chacun offre à Dieu, de sa propre volonté, avec la joie de l’Esprit Saint, quelque chose en plus de la mesure qui lui est imposée (49,6). Notre volonté propre – que nous devons haïr (4,60) – n’est donc pas tout à fait mauvaise. Mais elle doit toujours être vérifiée par celle d’un autre, qui est désigné ici comme l’abbé et le père spirituel. Aujourd’hui, on estime généralement préférable de ne pas confier ces deux rôles à la même personne. Mais ce qui semble essentiel, dans l’esprit de saint Benoît, c’est qu’il y ait, d’une manière ou d’une autre, une ouverture à un « ami de l’âme ».
Ce n’est peut-être pas vraiment au goût du jour. Dans notre culture, il peut sembler infantilisant de préconiser cette ouverture du cœur. Nous pouvons avoir l’impression que nous sommes au contraire appelés à la liberté, à tracer notre chemin nous-mêmes, en adultes, courageusement. Mais est-ce bien cela notre vocation ?
La réponse à cette question suppose peut-être un détour… Détour par une autre liberté. Celle de Dieu lui-même. Dieu est-il libre ? Oui, bien entendu. Infiniment, souverainement. Mais sa liberté ne ressemble pas à la nôtre. Sa liberté n’est pas une liberté de choix. Si Dieu est perfection de bonté, il n’a pas le choix entre le bien et le mal. Il n’a même pas le choix entre le mieux et le moins bien. Toujours et partout, il fait le mieux. Et c’est en cela que réside sa liberté souveraine. Il n’a pas besoin de peser le pour et le contre, il n’a pas besoin de se gratter la tête : il fait d’emblée, spontanément, ce qu’il y a de mieux à faire.
Nous n’en sommes pas là. Notre liberté humaine, plus ou moins limitée, plus ou moins radicale, reste une liberté de choix. Et tant mieux si nous devenons de plus en plus des êtres autonomes, capables de faire des choix et de les assumer. Pourtant, notre liberté n’est encore qu’une étape dans la réalisation de notre vocation. En résumant un propos que Grégoire de Nazianze attribue à Basile de Césarée, Olivier Clément écrit que l’homme est un animal qui a reçu vocation de devenir Dieu (Sources. Les mystiques chrétiens des origines. Textes et commentaires, Paris, Stock, 1982, p. 71). C’est un peu du darwinisme avant Darwin, mais avec une ouverture vers l’avant. Nous sommes appelés à quitter les déterminismes de notre animalité, d’abord pour devenir véritablement humains, mais ensuite pour dépasser les bornes de notre humanité. Nous ne sommes que provisoirement au sommet de l’évolution : le prochain pas que l’homme doit faire, c’est renoncer à la manière humaine d’être libre pour adopter la façon divine d’être libre. C’est découvrir qu’il y a plus de liberté à faire le bien qu’à préserver son droit de choisir. C’est le sens le plus profond de notre vœu d’obéissance. Renoncer à sa volonté propre, ce n’est pas renoncer à être libre. C’est choisir une liberté d’un autre ordre, d’un autre niveau, c’est chercher en tout la volonté de Dieu (avec l’aide d’une communauté ou d’un supérieur). C’est tout le contraire d’une servilité : c’est vouloir jouir en toute occasion de la liberté joyeuse de faire le mieux.
Nous cherchons à vivre selon l’esprit de saint Benoît, même pendant le carême. Nous vivons cela comme un choix personnel, qui ne s’impose pas à tout chrétien. Il y a d’autres familles spirituelles, et beaucoup de demeures dans la maison du Père. Nous ne nous prenons pas pour l’avenir de l’homme, qui est la femme, comme chacun sait. Mais cette modestie nous empêche peut-être d’entrevoir que les vieilles règles monastiques indiquent déjà les pas que devra faire l’humanité de demain. Le renoncement à la volonté propre, l’obéissance et l’ouverture du cœur sont d’autres noms de cette liberté différente, qui n’est pas pour l’humanité une option facultative. Sur l’échelle de notre divinisation, ce sont des échelons que tous devront gravir. Et comme disait Rabbi Tarfon au début du deuxième siècle : « Il ne t’appartient pas de terminer le travail, mais pas davantage de t’en dispenser tout à fait. »

Fr. François

« JE N’AI PAS ENCORE COMMENCÉ À FAIRE PÉNITENCE »

26 février, 2013
http://www.pagesorthodoxes.net/metanoia/repentir-peresdudesert.htm
« JE N’AI PAS ENCORE COMMENCÉ À FAIRE PÉNITENCE »
Abbé Chamé disait : Mon père abba Anter m’a dit :  » Si grands que soient les péchés que j’ai commis, si je fais pénitence, le Seigneur me pardonnera ; mais si mon frère me demande le pardon et que je ne lui pardonne pas, le Seigneur non plus ne me pardonnera pas.  » (Abba 319)
Quand abba Agathon le Grand voyait un frère commettre une faute et que l’envie lui venait de réprimander le frère, il se reprenait lui-même et disait :  » Agathon, prends garde de ne pas commettre ce péché.  » Et après s’être dit cela, il ne réprimandait pas le frère. (Abba 318)
Une frère qui avait commis un péché fut chassé de l’église par le prêtre. Alors abba Bessarion se leva et sortit avec lui en disant :  » Moi aussi, je suis un pécheur.  » (Abba 326)
Un jour un frère commit une faute à Scété. Il y eut un conseil et on envoya chercher abba Moïse. Mais il ne voulait pas venir. Le prêtre lui envoya donc dire :  » Viens, car tout le monde t’attend.  » Alors, s’étant levé, il s’en alla prendre une corbeille percée, la remplit de sable et l’emporta sur son dos. Les autres, sortis à sa rencontre, lui dirent :  » Qu’est-ce que ceci, Père ?  » L’ancien leur dit :  » Mes péchés coulent à flot derrière moi et je ne les vois pas, et je viens aujourd’hui pour juger des fautes d’autrui.  » Ayant entendu cette parole, ils ne dirent rien au frère mais lui pardonnèrent. (Abba 327)
On disait d’abba Sisoès que, lorsqu’il fur près de mourir, les Pères étant assis auprès de lui, son visage brilla comme le soleil. Et il leur dit :  » Voici qu’abba Antoine vient.  » Et après un petit moment il dit :  » Voici que le coeur des prophètes vient.  » Et de nouveau son visage brilla avec plus d’éclat et il dit :  » Voici que le choeur des apôtres vient.  » Et son visage redoubla encore d’éclat et voici qu’il paraissait parler avec quelques interlocuteurs. Et les anciens lui demandèrent :  » Avec qui parles-tu, Père ?  » Il dit :  » Voici que les anges viennent me prendre, et je supplie qu’on me laisse faire un peu pénitence.  » Les anciens lui dirent :  » Tu n’a pas besoin de faire pénitence, Père.  » Mais il leur dit :  » En vérité, je n’ai pas conscience d’avoir commencé.  » Et tous reconnurent qu’il était parfait. Et à nouveau son visage redevint subitement comme le soleil, et tous furent saisis de crainte. (Abba 375)
Un frère dit à abba Poemen :  » Si je tombe dans une faute lamentable, ma pensée me ronge et me reproche : Pourquoi es-tu tombé ?  » L’ancien lui dit :  » À l’heure même où l’homme succombe à l’égarement, s’il dit : J’ai péché, aussitôt c’est fini.  » (Abba 201)
Abba Poemen a dit encore : Il y a une voix qui crie à l’homme jusqu’à son dernier souffle :  » Aujourd’hui, convertie-toi.  » (Abba 202)
Abba Poemen a dit que le bienheureux abba Antoine disait : Le grand exploit de l’homme, c’est de prendre sur lui sa faute devant le Seigneur et de s’attendre à la tentation jusqu’au dernier souffle. (Abba 207)
On demanda à un ancien :  » Comment l’âme acquiert-elle l’humilité ?  » Il répondit :  » En n’étant attentive qu’à ses propres fautes.  » (Abba 209)
Une frère demanda à abba Poemen :  » Que dois-je faire pour mes péchés ?  » L’ancien lui dit :  » Qui veut racheter ses péchés, les rachète par les pleurs, et qui veut acquérir les vertus, les acquiert par les pleurs.  » (Abba 212)
Une frère demanda à abba Poemen :  » Si l’homme tombe dans quelque péché et se convertit, obtiendra-t-il le pardon de Dieu ?  » L’ancien lui dit :  » Assurément Dieu, qui a commandé aux hommes de pardonner, ne le fera-t-il pas lui-même davantage ? Il a commandé en effet à Pierre de pardonner jusqu’à soixante-dix-sept fois sept fois  » (Abba 215)
On demanda à un ancien :  » Que faut-il faire pour être sauvé ?  » Il tressait des palmes ; sans lever les yeux de son ouvrage, il répondit :  » Ce que tu vois là.  » (Abba 52)
Un jour abba Dioscore pleurait sur lui-même dans sa cellule, tandis que son disciple se tenait dans une autre cellule. Quand celui-ci vint chez l’ancien, il le trouva donc pleurant et il lui dit :  » Père, pourquoi pleures-tu ?  » L’ancien répondit :  » Je pleure mes péchés.  » Alors son disciple lui dit :  » Mais, Père, tu n’as pas de péchés.  » Et l’ancien répondit :  » Vraiment, mon enfant, se j’obtenais à voir mes péchés, trois ou quatre autres ne suffiraient pas à les pleurer.  » (Abba 311)
Abba Antoine a dit : Quiconque n’a pas été tenté ne pourra entrer dans le royaume des cieux. Il est dit en effet :  » Supprime les tentations, et pas un n’est sauvé.  » (Abba 227)
Abba Jacques a dit : De même qu’une lampe éclaire une chambre obscure, ainsi la crainte de Dieu, quand elle vient dans un coeur d’homme, l’éclaire et lui enseigne toutes les vertus et les commandements de Dieu.  » (Abba 246)
Abba Poemen a dit : Se jeter en présence de Dieu, ne pas s’estimer soi-même et rejeter derrière soi la volonté propre, sont les instruments de l’âme. (Abba 138)
Un frère dit a abba Théodore :  » Dis-moi une sentence, car je suis perdu.  » Avec effort l’ancien lui dit :  » Je suis moi-même en péril, que pourrais-je te dire ?  » (Abba 185)
Abba Antoine dit : Je vis tous les filets de l’ennemi déployés sur la terre, et je dis en gémissant : Qui donc passe outre ces pièges ? Et j’entendis une voix me répondre : l’humilité. (Paroles 16,6)
Un frère dit à abba Antoine :  » Prie pour moi.  » Le vieillard lui répondit :  » Je ne te prendrai pas en pitié, ni Dieu non plus, su toi-même n’y mets pas du tien et ne supplies pas Dieu.  » (Paroles 18,15)
On disait d’abba Macaire l’Égyptien que, remontant un jour de Scété avec un chargement de paniers, il s’assit accablé de fatigue et se mit à prier en ces termes :  » Mon Dieu, tu sais bien que je n’en puis plus !  » Aussitôt il se trouva au fleuve. (Paroles 99, 12)
Abba Matoès dit :  » Autant l’homme s’approche de Dieu, autant il se voit pécheur. En effet, Isaïe le prophète, voyant Dieu, se déclare misérable et impur.  » (Paroles 108, 2)
Sources :
Abba – Dom Lucien Regnault, Abba, dis-moi une parole.
Éditions de l’Abbaye de Solesmes, 1984.
Paroles – Jean-Claude Guy, Paroles des anciens :
Apophtegmes des pères du désert.
Éditions du Seuil (Points/Sagesses, 1), 1976.

RETRAITE AU VATICAN : LE LIEN NUPTIAL ENTRE DIEU ET L’HUMANITÉ – CAR RAVASI

21 février, 2013

http://www.zenit.org/fr/articles/retraite-au-vatican-le-lien-nuptial-entre-dieu-et-l-humanite

RETRAITE AU VATICAN : LE LIEN NUPTIAL ENTRE DIEU ET L’HUMANITÉ – CAR RAVASI

SURMONTER L’ABSENCE ET LE NÉANT

ROME, 21 FÉVRIER 2013 (ZENIT.ORG).

Le « lien nuptial » entre Dieu et l’humanité a été brisé par le péché, d’où ce sentiment de l’absence de Dieu et du néant : c’est Dieu lui-même qui vient restaurer ce lien, en Jésus, dont le nom a été prononcé par un Ionesco avant de mourir, rappelle le cardinal Ravasi.
La retraite de carême au Vatican arrivé à son cinquième soir : plus qu’un soir, vendredi soir, et elle s’achèvera samedi matin, 23 février, après la fête de la Chaire de Saint-Pierre, demain.
Le cardinal Gianfranco Ravasi, président du Conseil pontifical de la Culture, qui anime la retraite, a centré ses méditations d’hier soir et de ce jour (10e, 11e, 12e et 13e méditations) sur réconciliation et pénitence, l’absence de Dieu et le néant.
La douleur et l’isolement présents dans la société moderne étaient au cœur de la méditation de mercredi soir : « La société contemporaine a créé dans nos villes une foule de solitudes ».
Mais comment le chrétien réagit-il à la douleur ? Dans le Christ, répond le cardinal Ravasi, Dieu « se penche vers l’homme », et il « assume sa souffrance », ses « limites ». Jésus lui-même fait l’expérience de « l’obscurité de toute la gamme de la douleur : peur, solitude, isolement, trahison, souffrance physique, silence de Dieu, mort ».
« Le péché, est un acte personnel qui naît de la liberté humaine », a expliqué le cardinal italien dans sa 11eméditation, ce jeudi matin: il s’agit d’une «  révolte », mais avant tout d’un « éloignement de Dieu ».
Et de préciser la spécificité du péché et donc du sacrement de la réconciliation: « Le péché est, avant tout et surtout, une réalité théologique ; il peut avoir aussi des répercussions psychologiques, mais c’est une réalité théologique. C’est pourquoi le sacrement de réconciliation ne pourra jamais être l’équivalent d’une séance de psychanalyse, parce que la conscience de Dieu qu’a le pécheur est absolument fondamentale ».
Comment redresser la barre ? Le bibliste a invité à voir la solution dans « la conversion », c’est-à-dire dans une « changement de cap », de « mentalité » qui aide à « tourner le dos à ce à quoi nous sommes accrochés ».
Pour arriver à cette décision, le cardinal Ravasi a proposé la lecture de la seconde Epître de saint Paul aux Corinthiens, qui analyse un verbe grec qui signifie le lien entre l’homme et Dieu : « Catallasso : ce verbe, techniquement parlant, indique l’acte du juge qui tente de réconcilier deux époux qui se trouvent en désaccord. C’est ce geste qui est désormais connu – il existe dans notre jurisprudence et dans de nombreux pays – dans les cas de séparation et de divorce : d’habitude, de manière purement formelle, le juge dit si l’on veut encore arriver à un accord. Paul utilise ce verbe, qui est quasiment celui de la réconciliation juridique ; c’est pourquoi c’est un verbe qui revêt une dimension nuptiale, celle, justement, de ce lien que nous avons avec Dieu : un lien nuptial qui a été brisé par le péché ».
L’être humain passe ainsi par un « frémissement profond », pour parvenir à un être nouveau : « Dans la société, on n’a pas toujours la possibilité de recommencer : certains sont désormais marqués, même s’il est vrai qu’il y a, dans la législation, des propositions pour essayer de réhabiliter et de proposer de nouveau à la société quelqu’un qui a fait une erreur. Mais il restera toujours une sorte de marque sur la personne qui a été, peut-être avec raison, jugée pécheur. Dans la Bible, au contraire, cela n’existe pas ; dans le prophète Isaïe, surtout, on trouve cette image de Dieu qui jette loin de lui tes péchés, pour que tu ne les regardes plus, et donc, ils n’existent plus. C’est une véritable annulation ».
« L’absence et le néant : l’homme sans Dieu » : c’était le thème de la 12e méditation proposée par le cardinal Ravasi, à partir des psaumes 14 et 53. Il y voit l’évocation d’un « athéisme pratique ».
Il a fait remarquer que les deux termes « absence et néant » ne sont pas synonymes, l’absence désignant comme « la nostalgie de Dieu, le néant « le véritable mal de la culture actuelle ».
Et de préciser : « C’est l’indifférence, la superficialité, la banalité. C’est pour cela que je ne cesse de me demander comment on peut agir d’une manière ou d’une autre sur cette sorte de brouillard, sur cette sorte de « gélatine » ; c’est quelque chose de mou qui n’a aucune nostalgie, c’est vraiment le vide, le néant, mais pas le vide de l’attente. D’un point de vue pastoral, c’est cette seconde forme d’athéisme que nous rencontrons le plus souvent ».
Mais même le croyant affronte parfois le « silence de Dieu », a-t-il fait remarquer en disant :  « Pensons aussi à nous-mêmes, chaque fois que nous avons ressenti, peut-être à cause de notre tiédeur ou du découragement, le silence de Dieu, l’absence. Pour nous, il n’avait pas complètement disparu de notre horizon, mais nous ne le sentions plus. Je voudrais que nous tous, qui sommes évêques pour la plupart, nous pensions un peu au clergé, à tous les prêtres qui vivent cette expérience et qui n’ont peut-être pas cette capacité d’élaboration qu’ils devraient avoir, que nous aurions dû leur donner. Ce témoignage, je crois que – surtout ceux d’entre vous qui avez été évêques d’une Eglise, pasteurs d’une Eglise – vous pouvez le leur donner vous-mêmes ».
Pourtant la fin du psaume 22, s’ouvre sur cette espérance: « Tu m’as répondu ». La supplication se fait alors action de grâce : « Nos prières de supplication ne tombent jamais dans le néant », a insisté le prédicateur.
Il a évoqué un « dramaturge de l’absurde » comme Eugène Ionesco, athée, qui écrivait avant de mourir : « Prier le Je Ne Sais Qui – j’espère: Jésus Christ.».

APPRENDRE À TROUVER LE TEMPS D’ÊTRE « MAINTENANT »

19 février, 2013

http://www.meditation-chretienne.org/meditation_antoine_bloom_maintenant.htm

APPRENDRE À TROUVER LE TEMPS D’ÊTRE « MAINTENANT »

PAR ANTOINE BLOOM

TROUVERAI-JE LE TEMPS DE TOUT FAIRE ?
JE VOUS RÉPONDRAI À LA MANIÈRE RUSSE : « SI VOUS NE MOUREZ PAS AVANT, VOUS AUREZ LE TEMPS. SI VOUS MOUREZ AVANT, VOUS N’AUREZ PAS À LE FAIRE ! » .

MÉTROPOLITE ANTOINE BLOOM

Il y a donc, en ce qui concerne le temps, des moments où, sans entrer autant dans le détail, il est possible de percevoir que l’instant présent est là : le passé a irrémédiablement disparu, il n’a plus d’importance, sauf dans la mesure où il fait encore partie du présent, et on peut dire la même chose de l’avenir parce qu’il peut être ou ne pas être. C’est ce qui arrive par exemple lors d’un accident, dans une situation dangereuse qui exige que vous agissiez avec la rapidité de l’éclair : vous n’avez pas le temps de passer confortablement du passé dans l’avenir. Il vous faut être si totalement dans le présent que toutes vos énergies, tout votre être se trouvent condensés dans le « maintenant ».                                  
Vous découvrez avec un vif intérêt que vous vous trouvez dans le maintenant. Vous connaissez le plan très, très mince dont la géométrie nous dit qu’il n’a pas d’épaisseur ; ce plan géométrique qui n’a aucune épaisseur, qui est « maintenant », se déplace le long des lignes du temps ou, plutôt, le temps se déploie sous ce plan et vous apporte, « maintenant », tout ce dont vous aurez besoin dans l’avenir.                     
Telle est la situation dans laquelle il nous faut apprendre à nous trouver et il nous faut apprendre cela d’une façon plus paisible. Nous devons, je pense, nous exercer à arrêter le temps et à nous tenir dans le présent, dans ce « maintenant » qui se trouve être aussi le point d’intersection du temps et de l’éternité.
Que pouvons-nous faire dans ce but ? Voici un premier exercice.
Vous pouvez vous y essayer lorsque vous n’avez absolument rien à faire, lorsque rien ne vous pousse de côté ou d’autre et que vous pouvez vous accorder cinq minutes, trois minutes, une demi-heure de loisir. Asseyez-vous et dites « Je suis assis ; je ne fais rien ; je suis résolu à ne rien faire pendant cinq minutes. »
Détendez-vous alors et pendant tout ce temps (au début vous ne pourrez pas tenir plus de deux ou trois minutes) répétez-vous : «Je me trouve en présence de Dieu, en présence de moi-même et de tout le mobilier qui m’entoure, je suis tranquille, sans bouger. »
Une précaution s’impose évidemment : il vous faut décréter que, durant les deux ou cinq minutes que vous vous êtes assignées pour apprendre que le présent existe, vous ne vous laisserez pas arracher à celui-ci par la sonnerie du téléphone ou le timbre de la porte d’entrée ou encore par une impulsion énergique et soudaine qui vous pousse à exécuter sur-le-champ quelque chose qui attend depuis dix ans !
Si vous apprenez à faire ainsi dans les moments perdus de vos journées, lorsque vous aurez appris à ne plus vous agiter intérieurement mais à rester complètement calme et heureux, paisible et serein, exercez-vous alors pendant un laps de temps un peu plus long que vous pourrez allonger encore par la suite.
Il arrivera évidemment un moment où il vous faudra vous protéger car si vous pouvez ne pas bouger pendant deux minutes, même si le téléphone sonne, vous pouvez penser qu’il en va autrement lorsqu’il s’agit d’un quart d’heure. Ditesvous alors que si vous étiez absent, vous n’ouvririez pas la porte et ne répondriez pas au téléphone. Ou encore, si vous avez plus de courage et êtes convaincu de l’importance de votre exercice, imitez mon père. Il mettait à la porte une note qui disait « Inutile de sonner. Je suis à la maison mais n’ai pas l’intention d’ouvrir. » Ce procédé est plus radical car les visiteurs comprennent tout de suite ; tandis que si vous écrivez : « Prière d’attendre cinq minutes », leur patience expire habituellement au bout de deux minutes !
Lorsque vous aurez acquis cette tranquillité, cette sérénité, il vous faudra apprendre alors à arrêter le temps non seulement lorsqu’il se traîne ou lorsqu’il doit s’arrêter de toute façon, mais aussi dans les moments où il s’accélère, où il se fait exigeant.
Voici comment procéder. Vous êtes en train de faire quelque chose que vous croyez utile ; vous êtes persuadé que si vous vous arrêtez la terre va s’arrêter aussi ; si, à un certain moment, vous décidez : « J’arrête ! », vous ferez des découvertes intéressantes. Vous découvrirez en premier lieu que la terre ne s’arrête pas et que tout l’univers – si vous pouvez réussir à vous le représenter – peut attendre cinq minutes pendant que votre attention est ailleurs.
Ce point est très important parce que souvent nous nous donnons le change en disant « Il faut que je fasse telle chose ; la charité, le devoir me le commandent, je ne puis la laisser ! » Vous le pouvez car à d’autres moments et par pure nonchalance vous laisserez ce travail et pour bien plus de cinq minutes. Aussi, la première chose à faire est de vous dire : « Quoi qu’il arrive, je m’arrête à tel endroit. »
La façon de procéder la plus simple est d’avoir un réveil. Remontez-en la sonnerie et dites : « Bon ! je travaille sans regarder l’heure jusqu’à ce que le réveil sonne. » Ce détail est très important car il faut que nous perdions l’habitude de regarder l’heure.
Lorsque vous allez en visite et que vous vous rendez compte que vous êtes en retard, vous regardez aussitôt votre montre ; mais, ce faisant, vous ne pouvez marcher aussi vite que si vous alliez droit votre chemin. Et que votre retard soit de sept, de cinq ou de trois minutes, vous n’en êtes pas moins en retard. Le mieux est donc de partir plus tôt ou, si vous êtes en retard, de presser le pas. Quand vous serez arrivé, vous aurez le temps de regarder votre montre, pour savoir combien vous devrez paraître navré lorsqu’on vous ouvrira.
Quand le réveil sonne, vous savez que, pendant les cinq minutes qui suivent, le monde a cessé d’exister et que vous êtes bien décidé à ne pas quitter le lieu dans lequel vous vous trouvez. Ce temps appartient à Dieu et vous vous installez dans ce temps de Dieu tranquillement, silencieusement, paisiblement. Au début, vous verrez combien c’est difficile et vous découvrirez soudain qu’il est de la première urgence que vous terminiez telle lettre, la lecture de tel passage. En réalité, vous vous apercevrez bien vite que vous pouvez très bien remettre cette occupation pendant trois, cinq, voire même dix minutes sans qu’aucune catastrophe ne se produise. Et si vous avez à faire un travail qui requiert toute votre attention, vous constaterez que vous pouvez vous en acquitter plus rapidement et tellement mieux !
Vous me direz : « Trouverai-je le temps de tout faire ? » Je vous répondrai à la manière russe : « Si vous ne mourez pas avant, vous aurez le temps. Si vous mourez avant, vous n’aurez pas à le faire ! » Et voici un autre dicton du même genre qui pourra vous aider un jour ou l’autre « Ne vous inquiétez pas de la mort. Quand elle sera là vous n’y serez plus mais tant que vous êtes là elle n’y est pas. » Le principe est le même pourquoi s’inquiéter d’une situation qui se dénouera d’elle-même ?
Une fois que vous aurez appris à ne plus vous agiter, vous pourrez faire n’importe quoi, à n’importe quel rythme, avec toute l’attention et la rapidité désirables, sans avoir l’impression que le temps vous échappe ou vous gagne de vitesse. Il en est alors comme de l’impression qu’on a lorsqu’on est en vacances.
Ainsi que je l’ai souligné plus haut, on peut aller vite ou lentement, sans s’occuper du temps, sans la moindre notion du temps parce qu’on ne fait que ce qu’on est en train de faire et qu’on ne poursuit aucun objectif précis.
Vous découvrirez qu’il vous est possible de prier dans toutes les situations et qu’il n’est pas au monde de circonstance qui puisse vous en empêcher. Le seul empêchement véritable à la prière intervient lorsque vous vous laissez happer par la tempête, lorsque vous laissez la tempête pénétrer en vous au lieu de la laisser faire rage autour de vous.

Antoine Bloom, extrait de « L’école de la prière » Edition du Seuil

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