Archive pour la catégorie 'Temps Liturgiques: Carême'

SENS ET SIGNIFICATION DES RAMEAUX:

11 avril, 2014

http://www.leffortcamerounais.info/2010/04/sens-et-signification-des-rameauxles-rameaux-b%C3%A9nis-serventils-%C3%A0-chasser-les-mauvais-esprits-dans-nos.html

SENS ET SIGNIFICATION DES RAMEAUX:

Les Rameaux bénis servent-ils à chasser les mauvais esprits dans nos maisons ?

Abbé Isidore Eleuthère Tadjuidje, Curé de la Paroisse Saint Jean Marie Vianney de Fokoué

Le dimanche des Rameaux, on commémore à la fois deux événements : d’une part, l’entrée solennelle de Jésus à Jérusalem où il fut acclamé par une foule agitant des palmes d’une part, et d’autre part, la Passion du Christ et sa mort sur la croix.

Le sixième dimanche de Carême est celui des Rameaux, qui commence la Semaine Sainte. Il commémore l’entrée solennelle de Jésus à Jérusalem, quelques jours avant sa passion et sa mort sur la Croix. L’assemblée se réunit en quelque lieu hors de l’église, où le célébrant bénit les rameaux (palmes, buis ou laurier selon les régions), et d’où part une procession vers l’église, pour la messe au cours de laquelle on lit un des Évangiles de la Passion. La procession représente par des gestes, ce que l’Eucharistie réalise : l’entrée du Seigneur dans la nouvelle Jérusalem que constitue notre assemblée ; la bénédiction des rameaux ne fait qu’expliciter nos sentiments de dépouillement spirituel, contenus et exprimés avec une autre efficacité dans le sacrifice eucharistique.

Signification du
Dimanche de Rameaux
Beaucoup de chrétiens peu pratiquants viennent à la cérémonie des Rameaux principalement pour avoir leurs rameaux bénis qui chasseront les mauvais esprits et les influences diaboliques de leur demeure. Ce comportement relève souvent de la superstition. Ce n’est pas le sens de la fête des Rameaux. La vraie signification des rameaux, c’est la participation à la fête des Rameaux, c’est pour ces participants, l’occasion de commémorer en effet à la fois deux évènements qui semblent bien contrastés : « l’entrée solennelle de Jésus à Jérusalem d’une part, et d’autre part sa passion et sa mort sur la croix ». En y participant, nous aurons conscience d’entrer dans la grande semaine qui est tendue vers la résurrection du Seigneur.

Que nous dit l’Évangile sur l’entrée de Jésus à Jérusalem ?
Le dimanche des Rameaux rappelle l’entrée triomphale de Jésus-Christ à Jérusalem (Jean 12, 12 – 15). L’Évangile (Mt 21,1 – 9, Mc 11,1 – 10, Lc 19, 28 – 40) raconte qu’à proximité de la fête de la Pâque juive, Jésus décide de faire une entrée solennelle à Jérusalem. Jésus organise son entrée en envoyant deux disciples chercher un ânon. Il entre à Jérusalem sur une monture pour se manifester publiquement comme le Messie que les Juifs attendaient. En effet, les rois de Judée, descendants de David, pour être couronnés, entraient solennellement dans Jérusalem leur capitale, sur un ânon qui était la monture habituelle en Palestine. Et les Juifs savaient que le Messie Sauveur viendrait de la même manière dans sa ville, la débarrasser des pécheurs et se faire proclamer roi. Le Christ va réaliser cette espérance de son peuple quand la foule l’acclame sans savoir qu’elle lui ouvrait ainsi la route vers la croix, ce trône d’où Il trônera. Pour Lui, c’était d’ailleurs une monture modeste comme l’avait annoncé le prophète, pour montrer le caractère humble et pacifique de son règne, « Dites à la fille de Sion : voici que ton roi vient à toi ; humble, il est monté sur une ânesse et un ânon, petit d’une bête de somme »
Une foule nombreuse venue à Jérusalem pour la fête l’accueille en déposant des vêtements sur son chemin, et en agitant des branches coupées aux arbres. Elle l’acclame en criant « Hosanna au fils de David » et Jésus se laisse acclamer comme le Messie. On dit : Hosanna ! C’est une imploration : “ Oh, sauve-nous ! Sauve-nous, je t’en prie ! De grâce, sauve-nous ! De grâce, libère-nous ! » Les vêtements étendus sur le chemin représentent un signe de reconnaissance envers un homme choisi comme roi. Ainsi, dans le second livre des Rois (IX, 12), un prophète consacre Jésus comme roi d’Israël ; il dit : « Ainsi parle Yahvé : par cette onction, je te sacre roi d’Israël. » Aussitôt, tous prirent leurs vêtements et les étendirent sous ses pieds, en haut des marches. Ils sonnèrent du cor et crièrent : « Jésus est roi ! »
Cette semaine est une semaine spéciale et nous n’avons pas le droit de la passer comme les autres semaines de l’année. Au milieu de nos travaux, malgré nos soucis, mêlés à la foule des hommes, nous suivrons le Christ vers le Calvaire. Et nous nous préparons, par les sacrements, à vivre avec toute l’Eglise, la Grande fête de Pâques !

BENOÎT XVI: CÉLÉBRATION DU DIMANCHE DES RAMEAUX ET DE LA PASSION DU SEIGNEUR

7 avril, 2014

http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/homilies/2011/documents/hf_ben-xvi_hom_20110417_palm-sunday_fr.html

CÉLÉBRATION DU DIMANCHE DES RAMEAUX ET DE LA PASSION DU SEIGNEUR

HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI

Place Saint-Pierre
XXVIe Journée Mondiale de la Jeunesse
Dimanche 17 avril 2011

Chers frères et sœurs,
Chers jeunes!

Chaque année, le dimanche des Rameaux, nous sommes à nouveau émus de gravir avec Jésus le mont vers le sanctuaire, et de l’accompagner tout au long de ce chemin vers le haut. En ce jour, sur toute la face de la terre et à travers tous les siècles, jeunes et personnes de tout âge l’acclament en criant: «Hosanna au fils de David! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur!»
Mais que faisons-nous vraiment lorsque nous nous insérons dans une telle procession – parmi la foule de ceux qui montaient avec Jésus à Jérusalem et l’acclamaient comme roi d’Israël? Est-ce quelque chose de plus qu’une cérémonie, qu’une belle coutume? Cela a-t-il quelque chose à voir avec la véritable réalité de notre vie, de notre monde? Pour trouver la réponse, nous devons avant tout clarifier ce que Jésus lui-même a, en réalité, voulu et fait. Après la profession de foi, que Pierre avait faite à Césarée de Philippe, à l’extrême nord de la Terre Sainte, Jésus s’était mis en route, en pèlerin, vers Jérusalem pour les fêtes de la Pâque. Il est en chemin vers le Temple dans la Cité Sainte, vers ce lieu qui, pour Israël, garantissait de façon particulière la proximité de Dieu à l’égard de son peuple. Il est en chemin vers la fête commune de la Pâque, mémorial de la libération d’Égypte et signe de l’espérance dans la libération définitive. Il sait qu’une nouvelle Pâque l’attend et qu’il prendra lui-même la place des agneaux immolés, s’offrant lui-même sur la Croix. Il sait que, dans les dons mystérieux du pain et du vin, il se donnera pour toujours aux siens, il leur ouvrira la porte vers une nouvelle voie de libération, vers la communion avec le Dieu vivant. Il est en chemin vers la hauteur de la Croix, vers le moment de l’amour qui se donne. Le terme ultime de son pèlerinage est la hauteur de Dieu lui-même, à laquelle il veut élever l’être humain.
Notre procession d’aujourd’hui veut donc être l’image de quelque chose de plus profond, l’image du fait qu’avec Jésus, nous nous mettons en route pour le pèlerinage: par la voie haute vers le Dieu vivant. C’est de cette montée dont il s’agit. C’est le chemin auquel Jésus nous invite. Mais comment pouvons-nous maintenir l’allure dans cette montée? Ne dépasse-t-elle pas nos forces? Oui, elle est au-dessus de nos propres possibilités. Depuis toujours, les hommes ont été remplis – et aujourd’hui ils le sont plus que jamais – du désir d’ »être comme Dieu », d’atteindre eux-mêmes la hauteur de Dieu. Dans toutes les inventions de l’esprit humain, on cherche, en fin de compte, à obtenir des ailes pour pouvoir s’élever à la hauteur de l’Être, pour devenir indépendants, totalement libres, comme Dieu l’est. Nombreuses sont les choses que l’humanité a pu réaliser: nous sommes capables de voler. Nous pouvons nous voir, nous écouter et nous parler d’un bout à l’autre du monde. Toutefois, la force de gravité qui nous tire vers le bas est puissante. Avec nos capacités, ce n’est pas seulement le bien qui a grandi. Les possibilités du mal ont aussi augmenté et se présentent comme des tempêtes menaçantes au dessus de l’histoire. Nos limites aussi sont restées: il suffit de penser aux catastrophes qui, ces derniers mois, ont affligé et continuent d’affliger l’humanité.
Les Pères ont dit que l’homme se tient au point d’intersection entre deux champs de gravitation. Il y a d’abord la force de gravité qui tire vers le bas – vers l’égoïsme, vers le mensonge et vers le mal; la gravité qui nous abaisse et nous éloigne de la hauteur de Dieu. D’autre part, il y a la force de gravité de l’amour de Dieu: le fait d’être aimé de Dieu et la réponse de notre amour nous attirent vers le haut. L’homme se trouve au milieu de cette double force de gravité et tout dépend de sa fuite du champ de gravitation du mal pour devenir libre de se laisser totalement attirer par la force de gravité de Dieu, qui nous rend vrais, nous élève, nous donne la vraie liberté.
Après la Liturgie de la Parole, au début de la Prière eucharistique durant laquelle le Seigneur vient au milieu de nous, l’Eglise nous adresse l’invitation: « Sursum corda – Élevons notre cœur! » Selon la conception biblique et la façon de voir des Pères, le cœur est le centre de l’homme où s’unissent l’intellect, la volonté et le sentiment, le corps et l’âme. Ce centre, où l’esprit devient corps et le corps devient esprit; où volonté, sentiment et intellect s’unissent dans la connaissance de Dieu et dans l’amour pour lui. Ce « cœur » doit être élevé. Mais encore une fois: tout seuls, nous sommes trop faibles pour élever notre cœur jusqu’à la hauteur de Dieu. Nous n’en sommes pas capables. Justement l’orgueil de pouvoir le faire tout seuls nous tire vers le bas et nous éloigne de Dieu. Dieu lui-même doit nous tirer vers le haut, et c’est ce que le Christ a commencé sur la Croix. Il est descendu jusqu’à l’extrême bassesse de l’existence humaine, pour nous tirer en haut vers lui, vers le Dieu vivant. Il est devenu humble, nous dit la deuxième Lecture d’aujourd’hui. Ainsi seulement notre orgueil pouvait être surmonté: l’humilité de Dieu est la forme extrême de son amour, et cet amour humble attire vers le haut.
Le Psaume de procession 24, que l’Église nous propose comme «cantique de montée» pour la Liturgie d’aujourd’hui, indique quelques éléments concrets, qui appartiennent à notre montée et sans lesquels nous ne pouvons être élevés vers le haut: les mains innocentes, le cœur pur, le refus du mensonge, la recherche du visage de Dieu. Les grandes conquêtes de la technique ne nous rendent libres et ne sont des éléments du progrès de l’humanité que si elles sont unies à ces attitudes – si nos mains deviennent innocentes et notre cœur pur, si nous sommes à la recherche de la vérité, à la recherche de Dieu lui-même, et si nous nous laissons toucher et interpeller par son amour. Tous ces éléments de la montée sont efficaces seulement si nous reconnaissons avec humilité que nous devons être attirés vers le haut; si nous abandonnons l’orgueil de vouloir nous-mêmes nous faire Dieu. Nous avons besoin de lui: il nous tire vers le haut, étant soutenus par ses mains – c’est-à-dire dans la foi – il nous donne la juste orientation et la force intérieure qui nous élève vers le haut. Nous avons besoin de l’humilité de la foi qui cherche le visage de Dieu et se confie à la vérité de son amour.
La question de savoir comment l’homme peut arriver en haut, devenir pleinement lui-même et vraiment semblable à Dieu, a depuis toujours occupé l’humanité. Elle a été discutée avec passion par les philosophes platoniciens du troisième et quatrième siècle. Leur question centrale était: comment trouver des moyens de purification, par lesquels l’homme puisse se libérer du lourd poids qui le tire vers le bas et s’élever à la hauteur de son être véritable, à la hauteur de la divinité. Pendant un certain temps, dans sa quête du droit chemin, saint Augustin a cherché un soutien dans ces philosophies. Mais à la fin il dut reconnaître que leur réponse n’était pas suffisante, qu’avec leurs méthodes, il ne serait pas vraiment parvenu à Dieu. Il dit à leurs représentants: Reconnaissez donc que la force de l’homme et de toutes ses purifications ne suffit pas pour le porter vraiment à la hauteur du divin, à la hauteur qui lui est appropriée. Et il dit qu’il aurait désespéré de lui-même et de l’existence humaine, s’il n’avait pas trouvé Celui qui fait ce que nous-mêmes nous ne pouvons faire; Celui qui nous élève à la hauteur de Dieu, malgré notre misère: Jésus Christ qui, de Dieu, est descendu vers nous, et dans son amour crucifié, nous prend par la main et nous conduit vers le haut.
Nous allons en pèlerinage avec le Seigneur vers le haut. Nous sommes à la recherche d’un cœur pur et de mains innocentes, nous sommes à la recherche de la vérité, nous cherchons le visage de Dieu. Nous manifestons au Seigneur notre désir de devenir justes et nous le prions: Attire-nous vers le haut! Rends-nous purs! Fais que soit valable pour nous la parole que nous chantons dans le Psaume de procession, c’est-à-dire que nous puissions appartenir à la génération qui cherche Dieu, «qui recherche ta face, Dieu de Jacob» (Ps 24, 6). Amen.

 

EN RELISANT LE POÈME DU SEREVITEUR SOUFFRANT ISAÏE 52,13-53,12

27 mars, 2014

http://www.maisondelabible.catho.be/articles/autres3.htm

EN RELISANT LE POÈME DU SEREVITEUR SOUFFRANT ISAÏE 52,13-53,12

1. Le Premier Testament
2. Le fait unique du Christ
3. Les premiers chrétiens 4. Le serviteur souffrant du 4e chant d’Isaïe
5. Le Serviteur soufrant et nous
6. Retour à la case du départ

Dans un gros roman tout en suspens, Pomilio raconte l’histoire d’un officier américain, historien de métier, qui découvre dans une cure allemande abandonnée, qui lui a été dévolue comme logis pendant l’occupation, la mention de l’existence d’un cinquième évangile (1) . Et le voilà parti dans une quête passionnée à laquelle il associe ses étudiants en histoire. Quel est ce cinquième évangile ? Prenons cette question comme fil rouge de notre recherche : « Qui est le Serviteur souffrant en Isaïe 53 ? ». Pour le découvrir, acceptons de faire un détour dans les Ecritures.

1. Le Premier Testament
Revenons au Premier Testament. Il nous raconte une histoire concrète, l’histoire d’un peuple avec ses aventures, ses joies, sa religion, ses malheurs, ses erreurs, ses péchés, ses retours… Mais déjà le texte écrit que nous lisons est un premier décodage. Les auteurs y livrent déjà une première clé de lecture. Les faits sont décrits de manière à exprimer à travers eux qui est Dieu, qui est l’homme pour Lui. L’histoire sainte est donc une parabole théologale de Dieu. C’est une histoire à décoder. C’est l’histoire de « Dieu avec son peuple », « d’Israël avec Dieu ».
Allons plus loin. L’écrit est livré au lecteur, à l’auditeur, l’histoire devient parabole nouvelle. Le texte devient pour le lecteur « sa » parabole, il peut y lire aussi l’histoire-parabole de Dieu avec tous les peuples, l’histoire de Dieu avec lui-même, lecteur, auditeur.

2. Le fait unique du Christ
L’Histoire-parabole, la Bible, est livrée aux lecteurs de tous les temps. S’il est vrai que l’Histoire Sainte est l’histoire d’un peuple, elle est aussi notre histoire personnelle, celle de l’Eglise et celle de chaque peuple. Nous pouvons la comparer à une parabole extrêmement significative. Pourtant dans cette histoire, un fait unique s’est produit. Du moins les chrétiens le perçoivent-ils ainsi, à la manière de st Paul : un homme dévoile une signification plus totale de la parabole, une réalité inouïe, une réalité qui dépasse toutes les espérances germées de l’histoire-parabole : nous pouvons dire que certains passages du Premier Testament sont une parabole en premier lieu de Jésus lui-même. C’est en cela que « s’accomplissent les Ecritures ». Et lorsqu’il nous est demandé de suivre Jésus, nous réalisons un peu nous-mêmes cet accomplissement.
L’évangéliste Luc exprime cette réalité de Jésus dans les récits après la Résurrection : « Et Jésus, en commençant par Moïse et tous les prophètes, leur expliqua dans toutes les Ecritures, ce qui le concernait » (Luc 24,27). Paul de son côté nous dit : « Un voile demeure lorsqu’on lit l’Ancien Testament… Jusqu’à ce jour un voile demeure sur le cœur. C’est seulement quand on se convertit au Seigneur (Christ) que le voile tombe… » (2 Co 3,14-16). Paul ne dit pas « quand on connaît le Christ » mais « quand on se convertit au Christ ». C’est l’engagement de vie suscité par la connaissance du Christ, la rencontre du Christ, qui découvre peu à peu la vérité des Ecritures, « le mystère caché révélé maintenant aux saints apôtres et prophètes » (Eph 3,5).

3. Les premiers chrétiens
Les premiers chrétiens l’avaient bien compris, eux qui, pour découvrir la personne de Jésus, ont recouru aux textes du Premier Testament, particulièrement les psaumes et les prophètes. Des hommes, tels que Moïse et Elie (présents à la transfiguration, disent les évangélistes!), Jérémie ou l’un des prophètes, surgissent déjà dans la pensée des auditeurs de Jésus : « Qu’est-ce que les gens disent de moi ? » demande Jésus. « Il disent que tu es Elie ou Jérémie, ou l’un des prophètes… » (Mt 16,13-14). Plus encore, les psaumes, qui s’adressent à Dieu à travers les souffrances, et Isaïe, présentant le Serviteur souffrant, sont les textes les plus cités par les écrits des premiers chrétiens. Nous comprenons mieux maintenant ce que dit si souvent Matthieu: « Ainsi s’accomplit ce que dit le Seigneur par le prophète… ». Non que les prophètes aient connu par avance la vie de Jésus, comme le croient encore naïvement certains chrétiens, mais parce que leurs paroles étaient paraboles, ‘grosses’ de réalités nouvelles auxquelles elles vont donner le jour, comme la graine mise en terre ne dit encore rien clairement des fruits de l’arbre qui pourtant va germer à partir d’elle. Ce n’est pas pour rien que nombre de paraboles de l’évangile parlent de la semence! Et que tant de textes prophétiques appellent « germe » celui qu’on attend comme sauveur (Is 4,2; 61,11; Jr 23,5; 33,15; Za 3,8; 6,12) et, dans le poème du serviteur souffrant, celui-ci est annoncé comme un « surgeon qui sort d’une terre déssèchée » (Is 53,2). Le psaume 21 et Isaïe 53 sont des textes importants qui ont permis d’appréhender quelque peu le mystère de Jésus, le secret de Dieu et de son dessein d’amour. .

4. Le Serviteur souffrant du 4e chant (Isaïe 52,13-53,12)
Les paroles d’Isaïe permettent-elles vraiment ce transfert de la prophétie sur le Nouveau Testament ? Essayons de le découvrir. Le texte, appelé souvent « le chant du Serviteur souffrant » est le quatrième d’une série de poèmes, repérés au milieu du texte d’Isaïe entre les chapitres 42 et 54. Ces quatre textes ont ceci de particulier qu’ils parlent d’un mystérieux serviteur que Dieu a choisi pour une mission bien particulière.
Qui est ce serviteur ? Déjà, Israël est appelé « mon serviteur » au chapitre 41,8 : « Je t’ai choisi et non rejeté… ». Le texte est destiné à fortifier la confiance d’Israël, à l’assurer de la présence protectrice de Dieu, « Celui qui te rachète, le saint d’Israël », et lui promet le retournement de sa situation misérable. Ces promesses réconfortantes se continuent au chapitre 43,1 ss. Il s’y ajoute une mission de témoignage « mes témoins à moi, c’est vous, parole du Seigneur; mon serviteur, c’est vous que j’ai choisis » (Is 43,10).
D’autre part, en Isaïe 41,25, nous découvrons un autre serviteur de Dieu : « Du Nord, j’ai fait surgir un homme… » Il s’agit de Cyrus sans doute, comme en Isaïe 40,13 : »Qui a indiqué au Seigneur l’homme (qui réalisera) son dessein ? ». Nous retrouvons ce même serviteur en Isaïe 42,9; 46,11; 44,28; 45,1-6… Quelle est la mission de Cyrus ? Dieu lui promet « d’abaisser les nations devant lui, déboucler les ceintures des rois, ouvrir les battants des portes, Dieu lui donne trésors et richesses… à cause de son peuple ». Le prophète dit de lui « qu’il sera un oiseau de proie…  » (Is 46,11).
Tout autre est la figure d’un autre serviteur, surtout dans ces quatre poèmes (Is 42,1-7; 49,1-9; 50,4-9; 52,13-53,12). « Voici mon serviteur que je soutiens… j’ai mis mon esprit sur lui, il fera paraître le jugement parmi les nations. Il ne criera pas, il n’élèvera pas la voix… il ne brisera pas le roseau blessé… je t’ai destiné à être alliance des nations, lumière des peuples… à ouvrir les yeux des aveugles… » (Is 42,1-7). Ce serviteur reçoit une mission de justice, de guérison, une mission universelle pour toutes la nations. Pourtant il connaît des difficultés, des souffrances, il dira même: « C’est en vain que je me suis fatigué, pour du vide, du vent, que j’ai épuisé mon énergie. En fait mon droit m’attendait près du Seigneur » (Is 49,4). Il souffrira, sera persécuté (Is 50,6). Ce serviteur est un disciple, avec une mission prophétique de réconfort, de consolation : « Tu m’as ouvert l’oreille pour que j’écoute comme un disciple pour que je puisse réconforter l’épuisé… » (Is 50,4-5). Mais surtout sa mission se vit à travers le sacrifice de lui-même pour son peuple, dans sa douceur, son silence,- alors qu’il porte le péché de son peuple, – son offrande de lui-même jusqu’à être rejeté, traité comme puni de Dieu, mis à mort sans qu’on se préoccupe de son sort. Mais sa glorification contre toute attente, son intercession pour les pécheurs, en font une figure énigmatique, une parabole qui recèle un secret inconnu. Qui est le mystérieux Serviteur souffrant ? Ce serviteur ne peut pas être le conquérant Cyrus « oiseau de proie ». Est-il le portrait de Jérémie qui a souffert pour la parole de Dieu ? (Jr 20,8; 26,8.; 30,13…). Est-ce le prophète auteur de ces lignes ? Est-ce le peuple Israël tout entier ? On sait maintenant que le « Maître de Justice » de Qûmran, qui avait aussi été persécuté, disait que ces textes parlaient de lui C’est ainsi que le décrit Israël Knohl (2) , un Israélien, dans son livre « Un autre Messie ». Mais il ne semble pas que les docteurs de la Loi du temps de Jésus voyaient en ces textes des promesses prophétiques.
Comme toutes les paraboles, ces textes ne livrent leur secret qu’à ceux qui « écoutent la parole et qui la gardent » dans leur engagement vivant. Comment Jésus n’aurait-il pas entendu ces paroles comme parlant pour lui? Comment les premiers chrétiens n’auraient-ils pas décrypté le mystère du Serviteur et de Jésus l’un par l’autre? Ils le disent clairement, comme dans le récit de Philippe annonçant Jésus à l’eunuque de Candace, à partir du texte d’Isaïe 53 qu’il était en train de lire (Ac 8,26-37). Ou dans la première lettre de Pierre (1 P 2,24) ou encore par les mots qu’ils utilisent, par exemple quand Jean nous dit l »exaltation » de Jésus comme le Serviteur sera exalté (voir aussi Ro 4,25; 2 Co 5,21; Gal 3,13; Eph 2,14-18). En nous décrivant la Passion, les évangélistes font souvent allusion à ce grand poème du Serviteur souffrant ou même le citent (par exemple Mt 26,63; 27,38.60). On trouve aussi dans les évangiles d’autres citations pendant la vie de Jésus; par exemple : « Il a pris nos infirmités et s’est chargé de nos maladies » (Mt 8,17; Is 53,4; voir aussi Mt 12,18-21; Lc 22,37) « Il a été compté parmi les pécheurs » (Mc 15,28; Is 53,12; les références des différentes éditions des bibles actuelles nous renseigneront sur toutes les citations et les allusions). Nous trouvons dans la première lettre de Pierre un texte remarquable qui montre Jésus accomplissant la prophétie d’Isaïe et demandant aux chrétiens de suivre son exemple, d’accomplir eux aussi ce que disait le prophète : « Le Christ lui aussi a souffert pour vous, vous laissant un exemple afin que vous suiviez ses traces : Lui qui n’a pas commis de péché et dans la bouche duquel il ne s’est pas trouvé de tromperie, lui qui insulté ne rendait pas l’insulte, dans sa souffrance ne menaçait pas mais s’en remettait au juste Juge, lui qui, dans son corps, a porté nos péchés sur le bois, afin que morts à nos péchés nous vivions pour la justice, lui dont les meurtrissures nous ont guéris… » (1 P 2,21-24; Is 53,9…). Jésus lui-même semble bien avoir lu son destin à la lumière du poème d’Isaïe. Les annonces de la Passion, si présentes dans les évangiles, nous disent combien Jésus a senti grandir l’opposition autour de lui et s’est résolument présenté à Jérusalem pour un témoignage décisif qui, il le savait, le conduisait à la mort. Quand Jésus se reconnaît dans le Serviteur souffrant, il ne cultive pas le dolorisme. La souffrance du Serviteur lui est infligée par ceux qui le refusent, ceux qui le méprisent, le condamnent et le comptent pour rien. C’est l’amour du Serviteur, sa fidélité jusqu’à la mort, sans répondre à la violence par la violence ou la haine, qui le mène là : « S’il offre sa vie en sacrifice, il verra de longs jours et le dessein de Dieu par lui s’accomplira… Il intercédera pour les pécheurs » (Is 53,10…12). Les disciples ont refusé d’entrer dans cette perspective dangereuse et de l’accepter (voir Mc 8,31-33; 9,30-37; 10,32-45 et //); ce refus a entraîné leur fuite lors de l’arrestation de Jésus. Au moment de sa Passion, Jésus s’est donné à lui-même le nom de Serviteur : « Je suis au milieu de vous comme celui qui sert » (Lc 22,27). Luc met dans la bouche de Jésus après la résurrection: « Ne fallait-il pas que le Fils de l’Homme souffre cela pour entrer dans sa gloire » (Luc 24,26). Le mot de ‘gloire’ rappelle encore le poème d’Isaïe. La Lettre aux Philippiens contient un chant qui semble un décalque du poème d’Isaïe : « Le Christ, qui est de condition divine, n’a pas revendiqué pour lui d’être l’égal de Dieu. Mais il s’est dépouillé prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes et reconnu à son aspect comme un homme, il s’est abaissé devenant obéissant jusqu’à la mort et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté et lui a donné le Nom qui est au dessus de tout nom… » (Ph 2,2-9…).

5. Le Serviteur souffrant et nous
Israël porte le Christ comme une mère porte son enfant sans savoir ce qu’il deviendra. Cet enfant grandit encore en nous « jusqu’à la plénitude de la stature du Christ » (Eph 4,13), à travers nos vies, à travers l’histoire du monde. « Confessant la vérité dans l’amour, nous grandissons à tous égards vers Celui qui est la tête, Christ. Et c’est de lui que le corps tout entier, coordonné et bien uni grâce à toutes les articulations qui le desservent, selon une activité répartie à la mesure de chacun, réalise sa propre croissance pour se construire lui-même dans l’amour » (Eph 4,15-16).
Le poème du Serviteur souffrant est lu intégralement le vendredi saint. Il nous parle de Jésus, éclaire sa passion avec ce grand texte. Mais nous souvenant de la lettre de Pierre et d’autres textes semblables du Nouveau Testament, nous découvrons que la prophétie d’Isaïe devient aussi une parabole de ce qui constitue le cœur de l’être chrétien. Comme Jésus et à notre tour, nous avons à porter notre monde avec tout son mal et son espérance. Bien souvent, les chrétiens, comme le Christ, souffrent le martyre aujourd’hui encore. Mais chacun de nous est invité par Pierre à vivre à l’image du Christ tout simplement dans sa vie  » à ne pas répondre à l’insulte, à ne pas menacer, à ne pas avoir dans notre bouche de la tromperie… ». Comme Paul aussi nous le disait, nous portons en nous la croissance du corps du Christ. Il disait aussi : « Je souffre en ma chair ce qui manque aux souffrances du Christ » (Col 1,24). Le poème de la lettre aux Philippiens est précédé d’un encouragement de Paul à ses correspondants, leur demandant « d’avoir eux et entre eux les sentiments qui ont été ceux du Christ » (Ph 2,1-5).

Retour à la case de départ
Partant de l’interrogation de Pomilio (1) , dans l’introduction : « Quel est le cinquième évangile? », nous nous demandions qui était le Serviteur souffrant. Nous sommes mieux à même de répondre maintenant. Le Serviteur souffrant, annoncé par Isaïe, c’est tout à la fois le peuple d’Israël, le Christ, d’une manière unique, parce qu’il a pénétré mieux que n’importe qui le cœur de ce mystère de solidarité et de salut et « qu’habite en lui toute la plénitude » (Col 2,9). Mais aussi, pour leur part, chacun des Juifs ou des Chrétiens qui se confronte au texte, se laisse interpeller, « écoute la Parole et la garde dans sa vie ».
Nous aimons citer en finale un texte de Steinbeck (3) , dans son livre « Les raisins de la colère » (il s’agit d’un homme qui défendait ses frères au péril de sa vie lors d’une crise terrible aux Etats-Unis où des milliers de paysans ont été chassés de leurs terres par les grandes entreprises agricoles):
« Un homme n’a pas à soi une âme unique, mais seulement un morceau de l’âme du monde… à ce moment-là, tout n’a plus d’importance. Je serai toujours là, partout, dans l’ombre. Partout où il y aura une bagarre pour que les gens puissent avoir à manger, je serai là. Partout où il y aura une police en train de passer un type à tabac quand il défend ses frères, je serai là. Dans les cris des gens qui se mettent en colère parce qu’ils n’ont rien dans le ventre, je serai là… Le comprends-tu ? »
Le ‘service’, demandé au chrétien, n’est pas un acte de bonté qu’il consent à faire, mais une exigence de son être. Disciple du ‘Serviteur’, il devient lui-même ‘serviteur’. Le service, que la plupart d’entre nous accepte volontiers de réaliser comme des actes de partage ou de sollicitude, est avant tout une disposition intérieure, un prolongement de l’amour de Dieu. Invisiblement, cette disposition intérieure change le monde, le regard que nous portons sur lui, la source des relations que nous entretiendrons avec lui. Les divers services extérieurs que nous pouvons rendre nous sollicitent à être dans la vie de tous les jours des êtres de non-violence, fidèles jusqu’à la mort.

Marie-Philippe Schùermans

(1) M. Pomilio, Le cinquième Evangile, trad. de l’italien, prix Napoli 1975, éd. Fayard, Paris, 1977
(2) I. Knohl, L’autre Messie, éd. Albin Michel, Paris 2001
(3) J. Steinbeck, Les raisins de la colère, trad. de l’américain, éd.

MESSAGE DE SA SAINTETÉ FRANÇOIS POUR LE CARÊME 2014 – (2Cor 8,9)

27 mars, 2014

http://www.vatican.va/holy_father/francesco/messages/lent/documents/papa-francesco_20131226_messaggio-quaresima2014_fr.html

MESSAGE DE SA SAINTETÉ FRANÇOIS POUR LE CARÊME 2014

Il s’est fait pauvre pour nous enrichir par sa pauvreté (cf 2 Cor 8,9)

Chers frères et sœurs,

Je voudrais vous offrir, à l’occasion du Carême, quelques réflexions qui puissent vous aider dans un chemin personnel et communautaire de conversion. Je m’inspirerai de la formule de Saint Paul : « Vous connaissez en effet la générosité de notre Seigneur Jésus Christ : lui qui est riche, il est devenu pauvre à cause de vous, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté » (2 Co 8, 9). L’Apôtre s’adresse aux chrétiens de Corinthe pour les encourager à être généreux vis-à-vis des fidèles de Jérusalem qui étaient dans le besoin. Que nous disent-elles, ces paroles de saint Paul, à nous chrétiens d’aujourd’hui ? Que signifie, pour nous aujourd’hui, cette exhortation à la pauvreté, à une vie pauvre dans un sens évangélique ?

La grâce du Christ
Ces paroles nous disent avant tout quel est le style de Dieu. Dieu ne se révèle pas par les moyens de la puissance et de la richesse du monde, mais par ceux de la faiblesse et la pauvreté : « Lui qui est riche, il est devenu pauvre à cause de vous … ». Le Christ, le Fils éternel de Dieu, qui est l’égal du Père en puissance et en gloire, s’est fait pauvre ; il est descendu parmi nous, il s’est fait proche de chacun de nous, il s’est dépouillé, « vidé », pour nous devenir semblable en tout (cf. Ph 2, 7 ; He 4, 15). Quel grand mystère que celui de l’Incarnation de Dieu ! C’est l’amour divin qui en est la cause, un amour qui est grâce, générosité, désir d’être proche et qui n’hésite pas à se donner, à se sacrifier pour ses créatures bien-aimées. La charité, l’amour, signifient partager en tout le sort du bien-aimé. L’amour rend semblable, il crée une égalité, il abat les murs et les distances. C’est ce qu’a fait Dieu pour nous. Jésus en effet, « a travaillé avec des mains d’homme, il a pensé avec une intelligence d’homme, il a agi avec une volonté d’homme, il a aimé avec un cœur d’homme. Né de la Vierge Marie, il est vraiment devenu l’un de nous, en tout semblable à nous, hormis le péché » (Conc. œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et Spes, n. 22 § 2).
La raison qui a poussé Jésus à se faire pauvre n’est pas la pauvreté en soi, mais, – dit saint Paul – [pour que] « … vous deveniez riches par sa pauvreté ». Il ne s’agit pas d’un jeu de mots, ni d’une figure de style ! Il s’agit au contraire d’une synthèse de la logique de Dieu, de la logique de l’amour, de la logique de l’Incarnation et de la Croix. Dieu n’a pas fait tomber sur nous le salut depuis le haut, comme le ferait celui qui donne en aumône de son superflu avec un piétisme philanthropique. Ce n’est pas cela l’amour du Christ ! Lorsque Jésus descend dans les eaux du Jourdain et se fait baptiser par Jean Baptiste, il ne le fait pas par pénitence, ou parce qu’il a besoin de conversion ; il le fait pour être au milieu des gens, de ceux qui ont besoin du pardon, pour être au milieu de nous, qui sommes pécheurs, et pour se charger du poids de nos péchés. Voilà la voie qu’il a choisie pour nous consoler, pour nous sauver, pour nous libérer de notre misère. Nous sommes frappés par le fait que l’Apôtre nous dise que nous avons été libérés, non pas grâce à la richesse du Christ, mais par sa pauvreté. Pourtant saint Paul connaît bien « la richesse insondable du Christ » (Ep 3, 8) « établi héritier de toutes choses » (He 1, 2).
Alors quelle est-elle cette pauvreté, grâce à laquelle Jésus nous délivre et nous rend riches ? C’est justement sa manière de nous aimer, de se faire proche de nous, tel le Bon Samaritain qui s’approche de l’homme laissé à moitié mort sur le bord de la route (cf. Lc 10, 25ss). Ce qui nous donne la vraie liberté, le vrai salut, le vrai bonheur, c’est son amour de compassion, de tendresse et de partage. La pauvreté du Christ qui nous enrichit, c’est le fait qu’il ait pris chair, qu’il ait assumé nos faiblesses, nos péchés, en nous communiquant la miséricorde infinie de Dieu. La pauvreté du Christ est la plus grande richesse : Jésus est riche de sa confiance sans limite envers le Père, de pouvoir compter sur Lui à tout moment, en cherchant toujours et seulement la volonté et la gloire du Père. Il est riche comme est riche un enfant qui se sent aimé et qui aime ses parents et ne doute pas un seul instant de leur amour et de leur tendresse. La richesse de Jésus, c’est d’être le Fils ; sa relation unique avec le Père est la prérogative souveraine de ce Messie pauvre. Lorsque Jésus nous invite à porter son « joug qui est doux », il nous invite à nous enrichir de cette « riche pauvreté » et de cette « pauvre richesse » qui sont les siennes, à partager avec lui son Esprit filial et fraternel, à devenir des fils dans le Fils, des frères dans le Frère Premier-né (cf. Rm 8, 29).
On a dit qu’il n’y a qu’une seule tristesse, c’est celle de ne pas être des saints (L. Bloy) ; nous pourrions également dire qu’il n’y a qu’une seule vraie misère, c’est celle de ne pas vivre en enfants de Dieu et en frères du Christ.

Notre témoignage
Nous pourrions penser que cette « voie » de la pauvreté s’est limitée à Jésus, et que nous, qui venons après Lui, pouvons sauver le monde avec des moyens humains plus adéquats. Il n’en est rien. À chaque époque et dans chaque lieu, Dieu continue à sauver les hommes et le monde grâce à la pauvreté du Christ, qui s’est fait pauvre dans les sacrements, dans la Parole, et dans son Église, qui est un peuple de pauvres. La richesse de Dieu ne peut nous rejoindre à travers notre richesse, mais toujours et seulement à travers notre pauvreté personnelle et communautaire, vivifiée par l’Esprit du Christ.
À l’exemple de notre Maître, nous les chrétiens, nous sommes appelés à regarder la misère de nos frères, à la toucher, à la prendre sur nous et à œuvrer concrètement pour la soulager. La misère ne coïncide pas avec la pauvreté ; la misère est la pauvreté sans confiance, sans solidarité, sans espérance. Nous pouvons distinguer trois types de misère : la misère matérielle, la misère morale et la misère spirituelle. La misère matérielle est celle qui est appelée communément pauvreté et qui frappe tous ceux qui vivent dans une situation contraire à la dignité de la personne humaine : ceux qui sont privés des droits fondamentaux et des biens de première nécessité comme la nourriture, l’eau et les conditions d’hygiène, le travail, la possibilité de se développer et de croître culturellement. Face à cette misère, l’Église offre son service, sa diakonia, pour répondre aux besoins et soigner ces plaies qui enlaidissent le visage de l’humanité. Nous voyons dans les pauvres et les laissés-pour-compte le visage du Christ ; en aimant et en aidant les pauvres nous aimons et nous servons le Christ. Notre engagement nous pousse aussi à faire en sorte que, dans le monde, cessent les atteintes à la dignité humaine, les discriminations et les abus qui sont si souvent à l’origine de la misère. Lorsque le pouvoir, le luxe et l’argent deviennent des idoles, ils prennent le pas sur l’exigence d’une distribution équitable des richesses. C’est pourquoi il est nécessaire que les consciences se convertissent à la justice, à l’égalité, à la sobriété et au partage.
La misère morale n’est pas moins préoccupante. Elle consiste à se rendre esclave du vice et du péché. Combien de familles sont dans l’angoisse parce que quelques-uns de leurs membres – souvent des jeunes – sont dépendants de l’alcool, de la drogue, du jeu, de la pornographie ! Combien de personnes ont perdu le sens de la vie, sont sans perspectives pour l’avenir et ont perdu toute espérance ! Et combien de personnes sont obligées de vivre dans cette misère à cause de conditions sociales injustes, du manque de travail qui les prive de la dignité de ramener le pain à la maison, de l’absence d’égalité dans les droits à l’éducation et à la santé. Dans ces cas, la misère morale peut bien s’appeler début de suicide. Cette forme de misère qui est aussi cause de ruine économique, se rattache toujours à la misère spirituelle qui nous frappe, lorsque nous nous éloignons de Dieu et refusons son amour. Si nous estimons ne pas avoir besoin de Dieu, qui nous tend la main à travers le Christ, car nous pensons nous suffire à nous-mêmes, nous nous engageons sur la voie de l’échec. Seul Dieu nous sauve et nous libère vraiment.
L’Évangile est l’antidote véritable contre la misère spirituelle : le chrétien est appelé à porter en tout lieu cette annonce libératrice selon laquelle le pardon pour le mal commis existe, selon laquelle Dieu est plus grand que notre péché et qu’il nous aime gratuitement, toujours, et selon laquelle nous sommes faits pour la communion et pour la vie éternelle. Le Seigneur nous invite à être des hérauts joyeux de ce message de miséricorde et d’espérance ! Il est beau d’expérimenter la joie de répandre cette bonne nouvelle, de partager ce trésor qui nous a été confié pour consoler les cœurs brisés et donner l’espérance à tant de frères et de sœurs qui sont entourés de ténèbres. Il s’agit de suivre et d’imiter Jésus qui est allé vers les pauvres et les pécheurs comme le berger est allé à la recherche de la brebis perdue, et il y est allé avec tout son amour. Unis à Lui, nous pouvons ouvrir courageusement de nouveaux chemins d’évangélisation et de promotion humaine.
Chers frères et sœurs, que ce temps de Carême trouve toute l’Église disposée et prête à témoigner du message évangélique à tous ceux qui sont dans la misère matérielle, morale et spirituelle ; message qui se résume dans l’annonce de l’amour du Père miséricordieux, prêt à embrasser toute personne, dans le Christ. Nous ne pourrons le faire que dans la mesure où nous serons conformés au Christ, Lui qui s’est fait pauvre et qui nous a enrichi par sa pauvreté. Le Carême est un temps propice pour se dépouiller ; et il serait bon de nous demander de quoi nous pouvons nous priver, afin d’aider et d’enrichir les autres avec notre pauvreté. N’oublions pas que la vraie pauvreté fait mal : un dépouillement sans cette dimension pénitentielle ne vaudrait pas grand chose. Je me méfie de l’aumône qui ne coûte rien et qui ne fait pas mal.
Que l’Esprit Saint, grâce auquel nous « [sommes] pauvres, et nous faisons tant de riches ; démunis de tout, et nous possédons tout » (2 Co 6, 10), nous soutienne dans nos bonnes intentions et renforce en nous l’attention et la responsabilité vis-à-vis de la misère humaine, pour que nous devenions miséricordieux et artisans de miséricorde. Avec ce souhait je vous assure de ma prière, afin que tout croyant et toute communauté ecclésiale puisse parcourir avec profit ce chemin de Carême. Je vous demande également de prier pour moi. Que le Seigneur vous bénisse et que la Vierge Marie vous garde.

Du Vatican, le 26 décembre 2013

Fête de Saint Étienne, diacre et protomartyr

PRIER SUR LA MONTAGNE

13 mars, 2014

http://catechese.free.fr/PrierMontagne.doc.

CATECHESE BIBLIQUE SYMBOLIQUE

PRIER SUR LA MONTAGNE

Août 2002

1. Reprise
Les catéchumènes de l’antiquité apprenaient la Bible à partir de la liturgie de la Parole, et ne participaient à la  » messe des fidèles  » qu’après une longue initiation biblique. Parrains et marraines préparaient leurs filleuls à écouter les trois lectures de la messe, et bien sûr, les psaumes qui encadraient ces lectures.
Les apprentis chrétiens étaient ainsi initiés à la prière chrétienne qui, à l’époque, était la liturgie de la Parole. L’exégèse de la Bible était celle que le Ressuscité enseigna aux disciples d’Emmaüs et aux autres rassemblés pour le repas. Toutes les Ecritures (la Torah, les prophètes et les psaumes) parlent de la mort et de la Résurrection de Jésus et de l’Incarnation de Dieu. Ils n’en parlent pas seulement comme un fait du passé, mais comme l’expérience fondatrice de l’Eglise, comme l’expérience spirituelle qui chasse Satan des cœurs en y faisant descendre l’Amour. Nous ne soulignerons jamais assez qu’il s’agit d’une expérience.
Dieu est Vivant parce qu’il parle : un mort ne parle pas ! Où Dieu parle-t-il ? Dans la prière nourrie des Ecritures, dont les psaumes sont une pièce essentielle. Nous verrons successivement deux aspects de la Parole de Dieu :
Le récit évangélique de la Transfiguration de Jésus sera présenté comme une synthèse de l’expérience ecclésiale de  » la voix  » qui jaillit de la Trinité divine.
2. La  » voix  » de Dieu sur la montagne
a. La  » voix  » dans la Bible
 » La voix  » de Dieu parle au cœur des disciples comme elle parla à Moïse sur le Mont Sinaï. Dans le Deutéronome (5,23-27), Moïse fait mémoire devant le peuple de cette expérience fondatrice d’Israël : Lorsque vous avez entendu cette  » voix  » sortir des ténèbres alors que la montagne était en feu… vous êtes venus me dire : nous avons entendu sa  » voix  » du milieu du feu. Aujourd’hui, nous avons constaté que Dieu peut parler à l’homme, et l’homme rester en vie… Mais est-il un être de chair qui puisse rester en vie après avoir entendu comme nous la voix du Dieu vivant parlant au milieu du feu ? Le peuple se déchargea alors sur Moïse de cette écoute dangereuse de  » la voix  » du Seigneur en lui disant :  » Toi, tu écouteras et tu nous répéteras ce que le Seigneur notre Dieu t’aura dit, et nous, nous t’écouterons et mettrons en pratique ce que tu auras entendu. « 
Ce passage, bien connu de la Tradition juive, est celle du  » Shema Israël « . A la suite de Moïse, le prêtre (ou aujourd’hui, le rabbin) est l’interprète de la Parole de Dieu, il commente la Bible au peuple à partir d’une écoute intérieure de la  » voix  » de Dieu sur un  » Sinaï  » spirituel.
Notre  » liturgie de la Parole  » hérite de la prière intérieure de la Synagogue, de l’écoute de la  » voix  » du Dieu vivant qui parle au milieu du feu d’Amour sur un Sinaï intérieur. La seconde épître de Pierre (1,16-18) évoque cette expérience fondatrice de la prière biblique : Ce n’est pas en suivant des fables sophistiquées que nous avons fait connaître la puissance et l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ, mais après avoir été les témoins oculaires de sa majesté. Il reçut en effet du Père honneur et gloire lorsque la Gloire pleine de majesté lui transmit cette parole : Celui-ci est mon Fils bien aimé qui a toute ma faveur. Cette  » voix « , nous l’avons entendue; elle venait du ciel, nous étions avec Lui sur la montagne sainte.
Le cadre général n’a pas changé, c’est toujours le Sinaï ! Mais le Dieu vivant a en plus un nom :  » Jésus-Christ  » qui a été transfiguré aux yeux de ceux montés avec Lui sur la haute montagne. (Mt 17,1) Ceux-ci ont  » vu  » en une même personne l’homme Jésus et Dieu, l’extérieur du prophète de Nazareth et son cœur, son corps et l’Esprit qui l’animait du dedans, la chair et le sang unifiés. Cette étonnante vision des témoins n’est pas seulement un regard extérieur car  » la voix  » du Père lui rendait témoignage,  » voix  » qui traverse la Bible et traverse l’écoutant. Le récit évangélique de la Transfiguration semble mettre en scène l’expérience de la Parole faite chair. Voyons comment.
b. La transfiguration ou l’expérience mystique de l’unification de l’âme
Ils sont trois hommes à monter là-haut avec Jésus : Pierre, Jacques et Jean. Où ? Sur une haute montagne à l’écart (Mt 17,1). Le lieu n’est pas déterminé par la géographie, seulement par son élévation et sa situation reculée. Serait-il question d’une  » montagne  » spirituelle, en clair : de la prière nourrie des Ecritures ?
La suite confirme l’hypothèse. Le texte grec de l’évangile dit que Jésus a été métamorphosé. Il s’agit d’un changement de peau . Jésus a soudain brillé comme le soleil, et ses vêtements sont devenus blancs comme la lumière (Mt 17,2). Ce qu’on appelle habituellement  » la transfiguration de Jésus  » est en vérité une métamorphose semblable à celle de la chenille qui devient papillon. Cette mue de l’insecte a d’ailleurs été souvent utilisée par la Tradition pour évoquer le passage de la chair mortelle à la chair éternelle. Avant sa Résurrection, Jésus était perçu comme un être humain habituel mais, suite à l’événement, sa chair apparut aux yeux des disciples d’une tout autre nature . Sa personne intime devînt comme un soleil et ses vêtements (de peau) prirent une blancheur éclatante. Autrement dit, son sang et sa chair révélaient à eux deux un immense Amour, la  » nature divine  » d’un Etre parfait, totalement unifié.
L’homme extérieur perçoit la Transfiguration comme un miracle, comme un spectacle : Jésus a été transfiguré, et les Apôtres ont été impressionnés, bouleversés du dehors par ce qui se passait devant eux. Mais la métamorphose de Jésus en Jésus-Christ, du Crucifié en Ressuscité, relève de l’expérience et pas seulement du fait extraordinaire, elle touche à la fois l’intérieur et l’extérieur du disciple, son  » sang  » et sa  » chair « .
Quiconque fait cette expérience de la métamorphose de Jésus en Jésus-Christ est introduit dans une compréhension neuve des Ecritures. Tel semble être le premier temps de l’événement vécu sur la haute montagne.
L’évangile poursuit : Et voici que Moïse et Elie leur apparurent parlant avec Lui (Mt 17,3). Ici,  » la chair  » imagine l’apparition de deux personnages disparus depuis des siècles et qui ont été reconnus sans difficultés par les trois spectateurs interdits. Pourtant le texte évangélique ne se focalise par sur l’apparition, mais bien sur l’échange de paroles qui unissait Jésus aux deux grands personnages de l’Ancien Testament, écoutés l’un et l’autre dans la liturgie de la Parole : Moïse (la Loi) est la première lecture, Elie (les prophètes) est la seconde.
Ainsi, dès que le cœur du croyant perçoit la métamorphose du Crucifié en Ressuscité, sa première écoute des Ecritures en est renouvelée, rénovée. L’ancienne lecture juive des livres de la Bible était traversée par la  » voix  » du Dieu vivant mais elle restait éclatée car elle manquait de modèle, elle n’avait pas de phare. En revanche, la nouvelle exégèse biblique dont nous parlions hier, oriente le croyant vers la Croix qui devient alors la clé des Ecritures.
Pierre entre difficilement dans cette manière toute neuve d’appréhender la Bible. Le récit évangélique semble le laisser entendre. En effet Pierre dit à Jésus : Il est bon que nous soyons ici. Si tu veux, je vais dresser trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie (Mt 17,4). Le chef des disciples, à qui Jésus vient de confier la responsabilité de la future Eglise (Mt 16,18-19) reste dans une lecture fractionnée, non unifiée, des Ecritures . Il propose en effet à Jésus de construire trois tentes alors que Moïse et Elie habitent le même lieu spirituel que le Seigneur : ils dialoguent avec Lui comme nous le faisons encore dans la liturgie de la Parole . Pierre n’a pas encore compris que la Loi et les prophètes doivent être placés dans la même  » tente  » divine que Jésus-Christ, dans le même  » ciel  » intérieur. Homme encore éclaté, le grand Apôtre restait sur une lecture éclatée des Ecritures, et il passait à côté du plan de Dieu (Ep 1,11), de  » l’économie du salut  » qu’il nous est proposée de vivre.
Heureusement qu’une nuée lumineuse les prit (tous les trois) sous son ombre et voici que, de la nuée, une  » voix  » disait :  » Celui-ci est mon Fils bien aimé, il a toute ma faveur. Ecoutez-le !  » (Mt 17,5) Une seule  » tente  » d’Esprit-saint descend d’en haut pour recouvrir l’Eglise en prière sur la  » haute montagne « . Cette tente de lumière permet l’écoute du Fils envoyé par le Père, elle éclaire l’esprit des baptisés.
La lumière de Dieu est difficilement supportable par la créature. Ainsi le peuple de l’ancienne Alliance disait-il à Moïse : Que Dieu ne nous parle pas, car ce serait pour nous la mort (Ex 20,20). Depuis cette nuit des temps, la réalité a changé, Dieu a renouvelé son Alliance. Désormais, en Jésus-Christ, l’Amour est tamisé et le feu de Dieu réchauffe les cœurs et éclaire la mort, il ne brûle plus. La nuée lumineuse a été comme  » ombrée  » par le Fils bien aimé que le chrétien écoute. Par Lui et en elle ,  » la voix  » est devenue parlante, non seulement pour Moïse et quelques privilégiés mais pour tous les baptisés initiés en catéchèse à la  » Parole faite chair « .
A cette  » voix « , les disciples tombèrent la face contre terre, tout effrayés. (Mt 17,6). L’expérience de la Parole est si bouleversante qu’elle bouscule les habitudes de prière, et fait tomber à terre. Mais Jésus s’approcha d’eux, les toucha et leur dit :  » Réveillez -vous, n’ayez pas peur !  » (Mt 17,7). La chute n’est donc pas une mort, mais un éveil. Le Ressuscité vient réveiller l’âme d’un engourdissement millénaire. Le Christ réveille le  » vieil Adam  » pour en faire un  » homme nouveau  » dont l’âme, à la fois corporelle et spirituelle, est appelée à s’unifier.
Alors, eux, levant les yeux, ne virent plus que Jésus et Jésus seul (Mt 17,8). En effet, le  » ciel  » des baptisés n’est éclairé que par un unique  » soleil  » : Jésus seul, Jésus UN, dont la lumière, c’est-à-dire l’Amour, éclaire les Ecritures. Cette expérience se répète en toutes vies humaines où  » la voix  » s’écoute sur la  » haute montagne  » qui se dresse à l’écart des fracas du monde.
L’expérience de la  » voix  » se fait en Eglise. En chaque baptisé, elle s’approfondit au fil du temps grâce à la liturgie de la Parole. Sur cette haute montagne qui se dresse à l’écart d’un monde angoissé par la mort, Moïse et Elie sont écoutés en référence au Crucifié qui, ressuscité, n’est plus ici dans ce tombeau où on l’avait placé (Mc 16,6). Certes, les hommes tendent encore à l’y enfermer, ne croyant pas vraiment à sa métamorphose. C’est Lui, le Seigneur, qui fait pourtant sortir les baptisés de leur tombeau en leur ouvrant les Ecritures. Cette expérience bouleversante de la  » Parole faite chair  » était mimée dans la liturgie antique du Baptême par immersion car elle était le résultat attendu de l’initiation catéchétique.
 » Baptisé, cette expérience est toujours la tienne : n’est-elle pas la vie de ton Baptême ? « 

MÉDITATION SUR LE CARÊME

10 mars, 2014

http://www.liturgiecatholique.fr/Meditation-sur-le-careme.html?artsuite=1

MÉDITATION SUR LE CARÊME

Le Carême est là, à notre porte…
Je ne sais ce qu’il en est pour vous, mais ma première réaction est une sorte d’appréhension. Une sorte de mauvaise compréhension enfouie au plus profond de moi et qui remonte. Cela vient de ma culture, de ce que j’ai appris ou retenu de mon enfance, des clichés véhiculés dans la foi de tout un chacun, sans doute. Le carême temps de pénitence, temps de privations, temps sombre, long, rude. Mais est-ce bien cela ?
J’ose croire que non puisque S. Benoît nous dit que : « Il est clair qu’un moine doit, en tout temps, garder l’observance du carême » (RB 49, 1). Or le projet monastique n’est pas de brimer les personnes, de les faire souffrir à plaisir. N’oublions pas la finale du prologue de la Règle : « Toutefois, si la raison et l’équité conseillent de proposer quelque légère contrainte, pour corriger les vices et préserver la charité, ne va pas, troublé de frayeur, abandonner sur le champ le chemin du salut dont les débuts sont forcément malaisés. A mesure qu’on progresse dans une sainte vie et dans la foi, le cœur se dilate, et c’est avec une indicible douceur d’amour que l’on court dans la voie des commandements de Dieu » (Prol 47-48). Donc même pour les non moines, ceci peut nous indiquer le sens de la part de rigueur du Carême.
Il s’agit de corriger ses vices et préserver la charité. Pas de rigueur pour le plaisir, par recherche de l’exploit. Ceci serait contraire à la charité et dans cette apparence d’ascèse se cacherait le vice de la vaine gloire ! Non il s’agit de se convertir, de se re-tourner vers Dieu là où nous nous en sommes éloignés. Le chemin principal est la prière, la lectio divina. Impossible de prétendre se tourner vers Dieu sans l’écouter, se mettre à son écoute et se laisser transformer par sa Parole. Et en gage de conversion, offrons-lui une attention particulière qui nous rappellera au long des quarante jours le chemin sur lequel nous avons librement choisi de nous engager. Cette attention, offrons-la dans la joie du saint-Esprit dit encore Saint Benoît (RB 49, 6), pas avec des mines lugubres.
Et ce chemin, nous rappelle nous conduit vers Pâques. Comme en Avent, le Carême nous met en état d’attente. « Qu’il [le moine] attende la sainte Pâques dans la joie du désir spirituel » (RB 49, 7). Peut-être le carême de cette année C est-il propice pour redécouvrir cette visée pascale.
Avant de nous mettre en route, regardons les étapes qui nous sont proposées afin de comprendre la trajectoire.
Chaque Carême commence par les Cendres. « Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière » disait le prêtre en nous marquant le front de cendres dans mon enfance. La formule existe toujours mais généralement on préfère l’autre qui est aussi proposée par la liturgie : « convertissez-vous et croyez à l’évangile ». Oui, il s’agit de se retourner au plus profond de soi-même. Mais n’ayons pas peur e la voir en face, la mort est au bout de tout chemin de vie, même Jésus, notre maître, est passé par là. Nous le savons bien, face à la mort, les choses prennent tout à coup leur juste place. C’est sans doute pour cela que Saint Benoît, encore lui, invite le moine à « avoir chaque jour devant les yeux l’éventualité de la mort » (RB 4, 47). Ce n’est nullement une attitude morbide, mais du bon sens. Ceci nous invite à recevoir chaque matin comme un cadeau de la main du Seigneur. Il y a urgence, ne reportons pas indéfiniment le moment de notre conversion, la mort nous guette, marchons d’un bon pas vers Pâques en cherchant à nous rapprocher du Seigneur, à l’aimer et le servir.
Le troisième dimanche dit de scrutins, il s’agit d’une étape décisive vers le baptême pour les catéchumènes qui seront baptisés lors de la vigile pascale. Mais nous, baptisés depuis… années, il nous est bon de reparcourir cette route avec eux. Sans oublier de prier pour eux !
Nous sommes encore en route. Nous avons soif de l’Eau Vive que seul peut donner le Seigneur. Réveillons en nous la soif de sa présence. Et osons proclamer : « Il m’a dit tout ce que j’ai fait » ! Osons regarder en face notre misère pour découvrir combien Dieu nous aime, lui qui nous a pardonné nos péchés, qui a pris sur lui notre péché pour le clouer au bois de la croix de Jésus Christ.
Ne sommes-nous pas si souvent encore aveugles ?
Demandons au Seigneur d’éclairer notre nuit, de nous ouvrir les yeux du cœur afin que nous puissions croire au Fils de l’homme présent dans nos vies.
Enfin, avant d’entrer dans la Passion et la Semaine Sainte, Jésus nous rappelle : « Je suis la résurrection et la vie : celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra » (Jn 11, 25). La résurrection ou plus exactement réanimation de Lazare est une sorte de prélude à ce qui nous est donné de célébrer dans les jours qui viennent, il porte notre regard vers le Christ ressuscité. C’est à partir de là que tout prend sens.
Alors marchons avec sérieux mais avec joie sur ce chemin qui mène à Pâques !
D’après un texte de Sr Marie-Paule

LE PÉCHÉ ORIGINEL : LES DOSSIERS BIBLIQUE, LITURGIQUE ET THÉOLOGIQUE

10 mars, 2014

http://www.portstnicolas.org/l-eglise/questions-diverses/article/le-peche-originel-les-dossiers-biblique-liturgique-et-theologique

LE PÉCHÉ ORIGINEL : LES DOSSIERS BIBLIQUE, LITURGIQUE ET THÉOLOGIQUE

Certainement rien ne nous heurte plus rudement que cette doctrine. Et cependant sans ce mystère, le plus incompréhensible de tous, nous sommes incompréhensibles à nous-mêmes. Le noeud de notre condition prend ses replis et ses tours dans cet abîme. De sorte que l’homme est plus inconcevable sans ce mystère que ce mystère n’est inconcevable à l’homme.
Pascal, Pensées, Brunschwig 434 ; Lafuma 131

Question récurrente des forums de discussion sur les serveurs religieux et, lorsqu’elle surgit, souvent cause de désarroi pour les chrétiens chargés d’animer les rencontres de préparation au baptême dans les paroisses, cette question du péché originel, éludée faute de temps à Vatican I et de propos délibéré à Vatican II, charrie avec elle une foule de représentations et de contentieux que nos contemporains ont bien du mal à décrypter.
À défaut de prétendre trouver ici les mots qui conviennent pour rendre compte de manière satisfaisante de cette expression qui fait partie de l’héritage théologique et dogmatique de l’Eglise catholique, ces quelques pages se proposent seulement de fournir quelques repères pour ce travail encore à venir.
Il nous faut en effet appliquer au « péché originel » ce que Jean XXIII disait au début du dernier concile : « autre est le dépôt lui-même de la foi, c’est-à-dire les vérités contenues dans notre vénérable doctrine, et autre est la forme sous laquelle ces vérités sont énoncées, en leur conservant toutefois le même sens et la même portée. » [1]
Essayons donc d’y voir un peu plus clair en interrogeant successivement l’Ecriture, la prière de l’Eglise (notamment dans sa pratique baptismale) et ces fameuses expressions théologiques dont nous héritons. En même temps que leurs limites, nous tâcherons d’en faire ressortir les enjeux…

I. Le dossier biblique
On serait bien en peine de trouver, dans toute la Bible, une seule mention explicite du « péché originel ». L’expression n’y apparaît nulle part.
Est-ce à dire pour autant que la catégorie théologique qui nous occupe est apparue sans aucun enracinement biblique ? Voilà qui serait bien étonnant ! Ouvrons donc la Bible et arrêtons-nous sur quelques passages très prisés par nos prédécesseurs…

I.1. La figure d’Adam
C’est elle qui, durant de longs siècles, inspira la théologie du péché originel.
Le récit yahviste [2] de la Genèse (Gn 2 et 3)

Un enseignement sur Dieu
Il veut le bonheur de l’homme (Gn 2/18), lui qui en est le créateur. Le seul interdit qu’il donne à l’homme est un interdit protecteur (Gn 2/17), pour son bien donc. Il n’est pas le responsable des malheurs de l’homme. Ce rôle est ici tenu par le serpent puis par l’homme lui-même.

Un enseignement sur l’homme
Si l’homme consent au mal et s’en fait le complice, le mal est pourtant déjà là – ne serait-ce que sous la forme de la tentation, de la tromperie et du mensonge (Gn 3/1-5) – avant même son choix d’y consentir. C’est donc que l’homme n’est pas le seul responsable du mal qui l’accable.

Un enseignement sur le péché
Ce premier péché va être présenté comme le péché-type, à savoir le geste de l’homme qui se détourne de Dieu. Rompant la relation de confiance qui existait avec son créateur, l’homme se met à craindre celui qui est pourtant son plus grand bienfaiteur (Gn 3/8-10). Le récit évoque encore le péché comme une désobéissance (St Paul parlera de la « transgression » d’Adam, en Rm 5/14) par rapport à l’interdit divin, comme un désir orgueilleux de refuser son statut de créature pour s’égaler à Dieu (Gn 3/5).

Une question posée au lecteur
Qui est cet homme tiré de la poussière du sol en Gn 4/7 ? S’agit-il de l’homme en général ou d’un individu nommé Adam ? Faut-il voir dans cette histoire un récit populaire exprimant en images le fond de chaque péché et du péché de chacun ou bien la narration circonstanciée d’un péché des origines commis personnellement par nos premiers parents ?
Le terme hébreu employé suggère directement la terre dont l’homme est tiré selon le récit yahviste et pourrait bien être un terme générique pour désigner l’homme en général, tout homme en quelque sorte, surtout lorsqu’il est employé comme un nom commun précédé de l’article. Mais, en certains passages (Gn 4/25 ; Gn 5/3,4,5), « adam » est employé sans article et fonctionne comme un nom propre.
Si l’exégèse moderne penche pour la première ligne d’interprétation, il faut bien reconnaître que les commentaires traditionnels, ignorant l’existence de genres littéraires différents dans la Bible et peu attentifs à la pluralité de sens offerte par l’exégèse rabbinique [3], considéraient l’aventure de M. Adam et de Mme Eve comme une histoire à prendre au pied de la lettre. On sait que ce présupposé rendit même très difficile l’accueil, au siècle dernier, des travaux de Darwin et de toutes les hypothèses soulevées depuis par l’évolution de la cosmologie, de la biologie et des diverses branches de l’anthropologie culturelle. En 1950 encore, le pape Pie XII, dans son encyclique Humani generis , ne voyait guère de compatibilité entre la nouvelle hypothèse d’un polygénisme de l’humanité et le récit biblique, signe qu’on a du mal à se résoudre à ne pas trouver dans la Bible des réponses à nos « comment ? » au-delà des réponses à nos « pourquoi ? »…

L’exégèse typologique de St Paul
Dans la première lettre aux Corinthiens, Adam et le Christ sont face à face, comme source de mort et source de vie : « De même que tous meurent en Adam, tous aussi revivront dans le Christ » (1 Co 15/22,45-49).
Dans l’épître aux Romains, Adam et le Christ sont, en plus, origines l’un du péché, l’autre de la justice. Il faut en effet citer ici le fameux développement du chapitre 5 et notamment le verset 12 dont la traduction, délicate, a donné lieu à diverses interprétations : « de même que par un seul homme le péché est entré dans le monde et par le péché la mort, et qu’ainsi la mort a atteint tous les hommes parce que [4] tous les hommes ont péché… » (traduction de la TOB).
Dans un cas comme dans l’autre, Paul use d’un artifice littéraire, « un seul », « un seul », qui durcit l’opposition en polarisant l’attention sur Adam, à l’exclusion des autres protagonistes de la faute selon le récit de la Genèse : Eve et le serpent, que Paul mentionne pourtant ailleurs (cf. 2 Co 11/3 ; Ep 2/2 ; 1 Tm 2/14). « Il réduit ainsi, note Gérard-Henry BAUDRY [5], le péché collectif des origines au péché individuel d’Adam pour les besoins de sa rhétorique. »
Ce qui est manifeste, c’est que l’enseignement de Paul porte directement sur le Christ. En ce qui concerne Adam, il reprend seulement certaines conceptions juives de son temps concernant les origines, ayant probablement présent à l’esprit que la communauté chrétienne de Rome est composée en grande partie de judéo-chrétiens. D’ailleurs, après avoir dû mettre ainsi en relief le rôle d’Adam pour les besoins de sa démonstration, Paul s’empresse de le relativiser en ajoutant que « tous ont péché ». Adam ne saurait en effet être mis sur le même plan que le Christ, seul et unique Sauveur.

I.2. D’autres passages de l’Ancien Testament
Difficile d’extrapoler longtemps à partir du seul petit verset de Si 25/24 ! On y retrouve seulement la tendance quelque peu misogyne de Ben Sirac : « C’est par une femme que le péché a commencé et c’est à cause d’elle que tous nous mourons » !
Quant à l’auteur du livre de la Sagesse, en Sg 10/1-2, il glisse sur la faute du premier homme pour ne retenir que la bonté de Dieu qui le relève, comme s’il s’agissait d’une faute de faiblesse… En identifiant le Serpent de la Genèse avec le Diable qui porte la première responsabilité de la mort, il semble bien d’ailleurs vouloir minimiser la culpabilité du premier homme : « Dieu a créé l’homme incorruptible, il en a fait une image de sa propre nature ; c’est par l’envie du diable que la mort est entrée dans le monde » (Sg 2/24).
A l’appui de son élaboration théologique, St Augustin citera encore un extrait des Proverbes : « Qui dira : “j’ai purifié mon coeur, je suis net de tout péché” ? » (Pr 20/9). Dans cette même ligne, deux extraits de psaume évoquent encore ce bain de péché dans lequel est immergé tout homme dès sa naissance : « Voici que je suis né dans l’iniquité » (Ps 50/7) ; « Aucun homme vivant n’est juste devant toi » (Ps 142/2).
Mais, bien plus que ces versets épars, c’est l’héritage de la civilisation patriarcale et la conception traditionnelle du clan comme entité quasi-biologique qui constituent le terreau biblique sur lequel va se développer la théologie du péché originel.
Les anciens Hébreux mettaient en effet l’accent sur la solidarité collective dans le péché et n’hésitaient donc pas à châtier le coupable avec ou dans sa famille et ses descendants (cf. Jos 7/24-26 ; 2 S 21/5). C’en est au point que la pratique de la répression collective est érigée en principe longtemps indiscuté de la conduite même de Dieu : « Je suis un Dieu jaloux qui punis la faute des pères sur les enfants, les petits-enfants et les arrière-petits enfants pour ceux qui me haïssent » (Ex 20/5 et Dt 5/9 ; cf. Ex 34/7 et Nb 14/18). Plusieurs siècles plus tard, en prônant la responsabilité personnelle du pécheur, la prédication du prophète Ezéchiel se heurtera encore à cette mentalité archaïque (Ez 18 ; Jr 31/29), une mentalité qui subsiste toujours chez les disciples de Jésus (cf. Jn 9/2) et dont saint Paul, hélas, n’est pas arrivé à clairement se détacher : « Par la désobéissance d’un seul homme la multitude a été constituée pécheresse » (Rm 5/19).

I.3. D’autres allusions du Nouveau Testament
On peut bien sûr évoquer l’Apocalypse qui parle expressément de « l’antique serpent, le diable ou Satan, comme on l’appelle » (Ap 12/9 ; 20/2).
Mais c’est à la perspective johannique qu’il faut s’arrêter un instant.
Il y a d’abord cette forte affirmation selon laquelle « nul, s’il ne naît d’eau et d’Esprit, ne peut entrer dans le Royaume de Dieu » (Jn 3/5). Cette affirmation, on s’en doute, a dû peser lourd en faveur du baptême des petits enfants.
Mais surtout, chez Jean, le Christ fait face non plus à Adam mais à celui qui est à l’origine du péché : le diable. Ici comme chez Paul, il est question de la « domination » du péché : « En vérité, je vous le dis : quiconque commet le péché est esclave du péché » (Jn 8/34). Comme chez Paul également, celui qui actuellement commet le péché a un prototype et un père : Satan. à deux reprises Jésus, s’adressant aux « Juifs », parle de « votre père » et l’oppose très précisément à Abraham (Jn 8/38-41). Et d’ajouter : « Vous avez pour père le diable, et ce sont les désirs de votre père que vous voulez accomplir. Dès l’origine, ce fut un homicide : il n’était pas établi dans la vérité, parce qu’il n’y a pas de vérité en lui. Quand il dit ces mensonges, il les tire de son propre fonds, parce qu’il est menteur et père du mensonge » (Jn 8/44). Voila, note P. SCHOONENBERG, « une claire allusion à l’origine, au paradis, où le diable a introduit la mort (Sg 2/24) en induisant l’homme à pécher par son mensonge. Ainsi, chez Jean, le péché se transmet à l’homme comme un héritage spirituel et en tant que domination de Satan. » [6]

II. Le dossier liturgique
« Lex orandi, lex credendi » [7]… Cet adage de notre tradition ecclésiale souligne l’importance de la prière de l’Eglise comme lieu théologique susceptible de nous aider à entrer dans une meilleure compréhension de l’unique dépôt de la foi. C’est donc vers la pratique liturgique de l’Eglise, notamment en matière de baptême, qu’il convient de nous tourner maintenant pour enrichir notre réflexion.

II.1. L’effacement du péché originel ou la victoire contre Satan ?
Il y a, note Gérard-Henry BAUDRY, deux approches de la condition misérable de l’homme. « L’une en fait remonter l’origine à Adam et la présente, certes, comme la conséquence de son péché, mais non pas comme la transmission de ce même péché, nuance importante. Les Pères du second siècle restent fidèles à cette ligne, qui est biblique, en ne parlant pas d’un péché héréditaire dans leur réflexion sur le baptême. Mais il y a aussi une seconde approche, qui prend deux formes : l’une, plus discrète et plus populaire, qui considère que de fait l’homme est souillé dès sa naissance ; et l’autre, plus explicite, qu’il est esclave de Satan. » (…)
« C’est dans la démonologie que les Pères trouvent la réponse au problème du mal. Elle va marquer la liturgie du baptême ainsi que la théologie baptismale (…). Voilà pourquoi le péché d’Adam est refoulé aux origines et est absent de l’idée comme de la pratique du baptême, tandis que Satan est omniprésent comme l’Adversaire du genre humain, celui que le Christ a vaincu par sa mort et sa résurrection. Le baptême est le sacrement de cette victoire. Cette perspective avait l’avantage de rester proche des données évangéliques qui nous montrent constamment le combat que le Christ mène victorieusement contre Satan alors qu’elles ignorent la problématique du péché originel. » [8]

II.2. La pratique du baptême des petits enfants
Même si cette pratique ne semble pas s’être imposée partout [9] et a coexisté avec l’antique tradition du baptême des adultes, elle est attestée très tôt dans l’histoire de l’Eglise [10], en tout cas bien avant que ne soit formalisée la théologie du péché originel. Le baptême n’a d’ailleurs pas pour seul effet la rémission des péchés. Et saint Jean Chrysostome d’ajouter, dans ses Catéchèses baptismales : « C’est pour cette raison que nous baptisons même les petits enfants, bien qu’ils n’aient pas de péchés, pour que leur soit ajouté la justice, la filiation, l’héritage, la grâce d’être frères et membres du Christ, et de devenir la demeure du Saint-Esprit » [11].
Ce n’est qu’avec saint Augustin que cette pratique du baptême des petits enfants va servir d’argument principal à une doctrine du péché originel en cours d’élaboration.

II.3. Les rituels du baptême
Commençons par celui qui sert de modèle à tous les autres, à savoir celui des adultes.
II.3.1. L’initiation chrétienne des adultes
Pour les communautés francophones fut publié en 1974, à titre provisoire, un Rituel du baptême des adultes par étapes ; puis, en 1977, le Rituel du baptême des enfants en âge de scolarité.
Un constat s’impose ici : « Comme dans les rituels anciens, y compris le rituel romain, il n’y est fait aucune mention explicite du péché originel. On reste dans la symbolique traditionnelle, même si on observe un déplacement d’accent. Par exemple la forte opposition entre le monde de Satan et le monde du Christ, marquée par les divers rites d’exorcisme et culminant dans la renonciation à Satan, se trouve beaucoup atténuée. (…) on assiste en quelque sorte à une dé-démonisation des représentations au profit de formules plus générales comme le mal, le péché, l’esprit du mal, la puissance des ténèbres » [12].
C’est tout récemment, en 1997, qu’est parue l’édition francophone dite « définitive » [13] . On ne s’étonnera pas de n’y trouver pas davantage de mention explicite au « péché originel », puisque l’édition de 1997 est , comme celle de 1974, une adaptation du même rituel latin publié en 1972. à noter seulement, parmi toutes les prières proposées dans les exorcismes, quelques allusions à « la faute » (n° 115/4), aux « blessures du péché » (n° 115/9) ou encore à « l’esclavage du péché qui a introduit la mort dans le monde et corrompu ce que tu as fait de bon » (n°172/2).

II.3.2. Le rituel du baptême des petits enfants
Plus encore que pour le baptême des adultes, c’est évidemment là qu’on s’attendrait à trouver mention du fameux « péché originel » ! Or, curieusement, l’ancien rituel publié par le pape Paul V en 1614 [14] n’utilise jamais la formule classique peccatum originale ou une formule équivalente. Ainsi que le note G-H. BAUDRY, « ce fait est d’autant plus surprenant que le concile de Trente, face aux diverses déviations contemporaines, avait précisé la doctrine du péché originel, doctrine qui devait affecter si profondément les mentalités. Tout s’est passé comme si l’on n’avait pas osé toucher aux textes liturgiques traditionnels qui remontaient à une si haute antiquité. » [15]
Verra-t-on un changement notable avec la parution du nouveau rituel de 1969 [16] ? Nullement. La seule mention du « péché originel » se trouve au n°125 dans l’une des deux prières d’exorcisme. Encore faut-il signaler le côté contestable de cette traduction française, puisque le texte latin (langue de référence) du rituel prenait précisément bien soin d’éviter la formule originale peccatum qu’il remplaçait par originalis labes (« chute originelle », « faux pas ») [17].
Au silence de l’écriture, voici que s’ajoute donc celui de la liturgie baptismale à propos de cette représentation du péché originel élaborée par la théologie classique. Il faudra s’en souvenir lorsqu’il s’agira d’évaluer l’importance et la pertinence pour aujourd’hui d’un tel vocabulaire et plus encore des images qui lui sont associées.

III. Le dossier théologique
III.1. Les premiers siècles
La pratique du baptême des petits enfants a dû, très tôt, poser problème eu égard à l’affirmation de l’écriture selon laquelle le baptême est conféré « pour la rémission des péchés » (Ac 2/38). Il fallut donc opérer la distinction entre péché personnel et péché originel, le premier étant en effet difficilement imputable aux enfants nouveaux-nés !
Origène distinguera, quant à lui, « souillure » (sordes) et « péché » (peccatum), les petits enfants en naissant ayant contracté une souillure, mais non un péché, lequel suppose toujours un engagement libre et personnel.

III.2. La puissante influence de St Augustin
Son engagement contre l’hérésie de Pélage, une erreur d’interprétation du fameux verset de Rm 5/12 [18] et, reconnaissons-le, une vision très pessimiste de la sexualité liée à son expérience personnelle, conduisirent l’évêque d’Hippone, d’une part à parler de « péché » là où ses prédécesseurs parlait de « mort » ou de « corruption » pour évoquer un état de l’humanité qui affecte tous ses membres [19], d’autre part à concevoir le péché des hommes non comme une simple imitation du péché d’Adam, mais comme une maladie contagieuse transmise par voie de génération charnelle.
Reliant très fortement l’affirmation universelle du salut à la nécessité absolue du baptême et notamment à la pratique ecclésiale du baptême des petits enfants, il n’hésite pas à prédire l’enfer pour les enfants non-baptisés.
III.3. Les enseignements dogmatiques du synode de Carthage (411), du 2ème Concile d’Orange (529) et de la 5ème session du Concile de Trente (1546)
Entre Pélage qui surestimait les forces de l’homme livré à lui-même et les premiers réformateurs protestants qui enseignaient que l’homme était radicalement perverti et sa liberté annulée par le péché des origines, l’Eglise fut amenée à préciser sa doctrine, en s’appuyant fortement sur la réflexion d’Augustin.
Cet enseignement est repris dans la dernière édition du catéchisme de l’église catholique… sans grand effort de reformulation, il faut bien l’avouer !
À la suite de S. Paul, l’Eglise a toujours enseigné que l’immense misère qui opprime les hommes et leur inclination au mal et à la mort ne sont pas compréhensibles sans leur lien avec le péché d’Adam et le fait qu’il nous a transmis un péché dont nous naissons tous affectés et qui est « mort de l’âme ». En raison de cette certitude de foi, l’Eglise donne le Baptême pour la rémission des péchés même aux petits enfants qui n’ont pas commis de péché personnel. » (C.E.C. n° 403)
(…) en cédant au tentateur, Adam et Eve commettent un péché personnel, mais ce péché affecte la nature humaine qu’ils vont transmettre dans un état déchu. C’est un péché qui sera transmis par propagation à toute l’humanité, c’est-à-dire par la transmission d’une nature humaine privée de la sainteté et de la justice originelles. C’est pourquoi le péché originel est appelé « péché » de façon analogique : c’est un péché « contracté » et non pas « commis », un état et non pas un acte. (C.E.C. n° 404) [20]
(…) la nature humaine n’est pas totalement corrompue : elle est blessée dans ses propres forces naturelles, soumise à l’ignorance, à la souffrance et à l’empire de la mort, et inclinée au péché (cette inclination au mal est appelée « concupiscence »). Le Baptême, en donnant la vie de la grâce du Christ, efface le péché originel et retourne l’homme vers Dieu, mais les conséquences pour la nature, affaiblie et inclinée au mal, persistent dans l’homme et l’appellent au combat spirituel. (C.E.C. n° 405)

III.4. Un état de péché
On vient de le lire dans le C.E.C., le péché originel qui affecte tout homme en ce monde est un état et non un acte.
Cet aspect de la doctrine catholique n’est pas le plus difficile à recevoir : chacun voit bien, en effet, qu’il y a quelque-chose de cassé dans ce monde (cf. Rm 8/19-21) et que le péché – qui consiste à refuser Dieu – ne fait qu’ajouter à toutes les formes de mal et à leur cortège de souffrances (1 Co 15/16-19). Une lecture théologique de la vie économique amenait ainsi le pape Jean Paul II, dans son encyclique Sollicitudo rei socialis de 1987, à qualifier de « structures de péché » (n° 36) les injustices structurelles qui se renforcent, se répandent et deviennent sources d’autres péchés en conditionnant la conduite des hommes.
Plus radicalement, tout homme se découvre, dès sa naissance, comme blessé par un mal qui le précède, prisonnier du péché dont il ne tarde pas à se rendre complice (cf. Rm 7/19 ; Ga 5/17). ; il est incapable par lui-même d’être ami de Dieu et de participer à sa vie. C’est le côté dramatique de l’existence humaine.
Les conséquences du péché originel et de tous les péchés personnels des hommes confèrent au monde dans son ensemble une condition pécheresse, qui peut être désignée par l’expression de Saint Jean : « le péché du monde » (Jn 1/29). Par cette expression on signifie aussi l’influence négative qu’exercent sur les personnes les situations communautaires et les structures sociales qui sont le fruit des péchés des hommes. (C.E.C. n° 408)

III.5. Un péché des origines ?
Après le « peccatum originale originatum », cette situation générale viciée qui est le lot commun de notre humanité et que nous venons d’évoquer, il convient d’envisager maintenant ce que la théologie scolastique nommait, par opposition, le « peccatum originale originans », c’est-à-dire le péché de nos premiers parents, réputé situé au tout début de l’histoire de l’humanité.
On a déjà mentionné ici les questions posées au lecteur du récit yahviste de la Genèse et la lenteur avec laquelle l’Eglise admit enfin qu’on puisse voir dans ce récit autre chose qu’un événement historique survenu entre M. Adam, Mme Eve et un curieux serpent doté de la parole !
Le récent catéchisme de l’Eglise catholique n’a d’ailleurs pas encore abandonné complètement cette lecture quelque peu naïve, ainsi qu’on peut le constater en lisant le n° 390 :
Le récit de la chute (Gn 3) utilise un langage imagé, mais il affirme un événement primordial, un fait qui a eu lieu au commencement de l’histoire de l’homme. La révélation nous donne la certitude de foi que toute l’histoire humaine est marquée par la faute originelle librement commise par nos premiers parents. (C.E.C. n° 390 ; voir aussi le n° 404 déjà cité).
On peut regretter ici que ce catéchisme n’ait pas retenu la mention moins ambiguë du n° 13 de la constitution conciliaire Gaudium et Spes : « dès le début de l’histoire » ! La formule avait pourtant ceci d’intéressant qu’elle impliquait que l’homme n’avait pas seulement abusé de sa liberté au début de l’histoire, mais dès le début. C’était dire qu’il avait continué d’en abuser après ! C’était surtout refuser de prétendre pouvoir écrire l’histoire du premier péché (les rédacteurs du récit yahviste de la Genèse étaient eux-mêmes déjà immergés dans un monde marqué par le péché !) mais se contenter, plus prosaïquement, d’évoquer l’histoire des péchés qui se multiplient au cours de l’histoire dès son début !
Mais sans doute est-il difficile de penser l’universalité du péché sans le situer à l’origine ?… comme d’affirmer l’unité de l’espèce humaine sans faire dériver ses ancêtres d’un seul et même couple ?
Tel est bien d’ailleurs l’enjeu théologique de cette doctrine du péché originel, avec, comme on l’a signalé dès le début de ces quelques notes, cette autre affirmation vigoureuse : non seulement Dieu n’est pas l’auteur du mal et de la mort, mais Il peut en délivrer tous les hommes, en Jésus Ressuscité.
La doctrine du péché originel est pour ainsi dire le « revers » de la bonne Nouvelle que Jésus est le Sauveur de tous les hommes, que tous ont besoin du salut et que le salut est offert à tous grâce au Christ. L’Eglise qui a le sens du Christ sait bien qu’on ne peut pas toucher à la révélation du péché originel sans porter atteinte au mystère du Christ. (C.E.C. n° 389)

III.6. Un travail de reformulation encore à faire
Pour être normatives, les définitions conciliaires de Carthage et de Trente n’en ont pas moins vieilli. Elles nécessitent, comme l’affirmait Paul VI dès 1966, une « définition et une présentation du péché originel qui soient plus modernes, c’est-à-dire qui satisfassent davantage aux exigences de la foi et de la raison, telles qu’elles sont ressenties et exprimées par les hommes de notre temps » [21].
Vingt ans plus tard, lui faisaient écho les propos du cardinal J. RATZINGER qui reconnaissait : « L’incapacité de comprendre et de présenter le ’péché originel’ est vraiment un des problèmes les plus graves de la théologie et de la pastorale actuelle » [22].
Nos enquêtes, même succinctes, en direction de la Bible et de la pratique baptismale de l’Eglise au long des siècles nous amènent d’ailleurs à relativiser sinon une doctrine du moins une formulation si faiblement enracinée dans l’Ecriture et la prière de l’Eglise.
C’est ainsi que les progrès de l’exégèse et de l’histoire nous obligent déjà à reconsidérer de manière critique l’interprétation donnée aux quelques versets de l’épître aux Romains sur lesquels repose l’essentiel de l’édifice théologique nommé « péché originel », ainsi que la justification donnée par le concile de Carthage et reprise par celui de Trente à l’appui des condamnations qu’ils prononcent.
L’un et l’autre conciles veulent voir en effet leur doctrine présente en Rm 5/12 et n’hésitent pas à déclarer : « on ne peut pas comprendre autrement ce que dit l’Apôtre : ’Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché, la mort, et ainsi la mort a passé dans tous les hommes, tous ayant péché en lui’ (Rm 5/12), sinon de la manière dont l’Eglise catholique répandue par toute la terre l’a toujours compris [23]. » La redécouverte de la tradition grecque ne rend plus tenable cette affirmation, laquelle d’ailleurs, dans la mesure où elle suit la formule « anathema sit », semble bien être davantage une justification qu’une explication incluse dans l’anathème et donc ne pas faire autant autorité.
D’un autre côté, et sauf le respect que l’on doit à son immense talent, il faut bien reconnaître qu’à trop vouloir se servir de l’antique pratique du baptême des petits enfants pour justifier sa construction théologique, St Augustin n’a probablement pas franchement rendu service à notre église.
N’est-il pas temps aujourd’hui de retrouver toute la richesse de cette pratique et la signification première d’un baptême qui célèbre la primauté, non du péché, mais de la grâce du Christ ?
Et au lieu de se crisper, voire de prétendre partir du « péché originel », n’est-il pas plus conforme à l’évangile et plus urgent pour nos contemporains de parler de « la grâce originelle » ?
Puissent ces quelques lignes nous stimuler en ce sens !

 

P. CANTALAMESSA – DIEU EST AMOUR – DEUXIÉME PREDICATION DE CARÊME

7 mars, 2014

http://www.cantalamessa.org/?p=268&lang=fr

P. CANTALAMESSA

DIEU EST AMOUR – DEUXIÉME PREDICATION DE CARÊME

La première annonce fondamentale que l’Eglise a pour mission de porter au monde et que le monde attend de l’Eglise est celle de l’amour de Dieu. Mais pour que les évangélisateurs soient en mesure de transmettre cette certitude, il faut qu’ils en soient eux-mêmes imprégnés, qu’elle soit la lumière de leur vie. C’est à cette fin que voudrait servir, modestement, la présente méditation.
L’expression « amour de Dieu » revêt deux acceptions très différentes : dans l’une Dieu est objet, dans l’autre Dieu est sujet; l’une indique notre amour pour Dieu, l’autre l’amour de Dieu pour nous. L’homme, naturellement enclin à être davantage actif que passif, a toujours donné la primauté à la première, autrement dit à ce que nous faisons, nous, pour Dieu. La prédication chrétienne a également suivi cette voie, en parlant, à certaines époques, presque uniquement du « devoir » d’aimer Dieu (« De diligendo Deo »).
Cependant, la révélation biblique donne la primauté au second sens : à l’amour « de » Dieu, non à l’amour « pour » Dieu. Aristote disait que Dieu meut le monde « en tant qu’il est aimé », c’est-à-dire en tant qu’il est objet d’amour et cause finale de toutes les créatures[1]. Mais la Bible dit exactement le contraire : que Dieu crée et meut le monde en tant qu’il aime le monde. La chose la plus importante, s’agissant de l’amour de Dieu, n’est donc pas que l’homme aime Dieu, mais que Dieu aime l’homme et l’aime « le premier » : « En ceci consiste l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés » (1 Jn 4, 10). De ceci dépend tout le reste, y compris notre possibilité même d’aimer Dieu : « Quant à nous, aimons, puisque lui nous a aimés le premier » (1 Jn 4, 19).
1. L’amour de Dieu dans l’éternité
Jean est l’homme des grands sauts. En reconstituant l’histoire terrestre du Christ, les autres se sont arrêtés à sa naissance, de Marie; Jean, quant à lui, fait un grand bond en arrière, du temps à l’éternité : « Au commencement était le Verbe ». Il fait de même à propos de l’amour. Tous les autres, y compris Paul, ont parlé de l’amour de Dieu qui se manifeste dans l’histoire et culmine dans la mort du Christ; Jean, lui, remonte au-delà de l’histoire. Il ne nous présente pas seulement un Dieu qui aime, mais un Dieu qui est amour. « Au commencement était l’amour, et l’amour était auprès de Dieu, et l’amour était Dieu » : nous pouvons donc expliciter son affirmation : « Dieu est amour » (1 Jn 4, 10).
A propos de cette affirmation, Augustin a écrit : « Si, dans toute cette Lettre de Jean et dans toutes les pages de Ì1criture, il n’y avait aucun autre éloge de l’amour que cette seule parole, que Dieu est amour…, nous ne devrions demander rien de plus »[2]. Toute la Bible ne fait que « raconter l’amour de Dieu « [3]. C’est la nouvelle qui soutient et explique toutes les autres. On discute à n’en plus finir, et cela ne date pas d’aujourd’hui, pour savoir si Dieu existe; mais je crois que la chose la plus importante n’est pas de savoir si Dieu existe, mais s’il est amour[4]. Si, par hasard, il existait mais n’était pas amour, il y aurait bien plus à craindre qu’à se réjouir de son existence, comme cela a été le cas dans divers peuples et civilisations. La foi chrétienne nous garantit justement ceci : Dieu existe et il est amour !
Le point de départ de notre voyage est la Trinité. Pourquoi les chrétiens croient-ils à la Trinité ? La réponse est : parce qu’ils croient que Dieu est amour. Là où Dieu est conçu comme la Loi suprême, il n’y a évidemment pas besoin d’une pluralité de personnes et la Trinité est alors incompréhensible. Le droit et le pouvoir peuvent être exercés par une seule personne, l’amour non.
Il n’y a pas d’amour qui ne soit amour de quelque chose ou de quelqu’un, de même que – dit le philosophe Edmund Husserl – il n’y a pas de connaissance qui ne soit pas connaissance de quelque chose. Qui aime Dieu au point de pouvoir se définir amour ? L’humanité ? Mais les hommes n’existent que depuis quelques millions d’années; avant ce moment-là, qui aimait Dieu de façon à pouvoir se définir « amour »? On ne peut pas avoir commencé à être amour à un moment donné du temps, parce que Dieu ne peut modifier son essence. Le cosmos ? Mais l’univers existe depuis quelques milliards d’années; auparavant, qui aimait Dieu pour pouvoir se définir amour ? On ne peut pas dire : il s’aimait soi-même, parce que s’aimer soi-même n’est pas de l’amour, mais de l’égoïsme ou, comme disent les psychologues, du narcissisme.
Et voici la réponse de la révélation chrétienne que l’Eglise a recueillie du Christ et a explicitée dans son credo. Dieu est amour en soi, avant le Temps, parce que depuis toujours il a en lui un Fils, le Verbe, qui aime d’un amour infini qui est l’Esprit Saint. Dans tout amour, il y a toujours trois réalités ou sujets : un qui aime, un qui est aimé et l’amour qui les unit.
2. L’amour de Dieu dans la création
Lorsque cet amour fontal, amour source, se déploie dans le temps, on a l’histoire du salut. La première étape est la création. L’amour est, par essence, diffusion de soi (diffusivum sui), c’est-à-dire qu’il tend à se communiquer ». Puisque « l’agir suit l’être », Dieu étant amour, crée par amour. « Pourquoi Dieu nous a-t-il créés ? » : c’est la deuxième question du catéchisme d’autrefois, et la réponse était : « Pour le connaître, l’aimer et le servir dans cette vie et pour jouir de lui pour toujours dans l’autre, au Paradis ». Réponse irréprochable, mais partielle. Elle répond à la question sur la cause : « dans quel but, pour quelle fin Dieu nous a-t-il créés »; elle ne répond pas à la question sur la cause causante : « pourquoi nous a-t-il créés, quelle raison l’a poussé à nous créer ». A cette question, on ne doit pas répondre : « pour que nous l’aimions », mais « parce qu’il nous aimait ». « Etre, c’est être aimés » : tel est le principe de la métaphysique chrétienne, selon le philosophe catholique Gabriel Marcel.
Selon la théologie rabbinique, que le Saint-Père a faite sienne dans son dernier livre sur Jésus, « le cosmos est créé non pour que s’y multiplient les astres et tant d’autres choses, mais pour que s’y trouve un espace pour l »alliance’, pour le ‘oui’ de l’amour entre Dieu et l’homme qui lui répond »[5]. La création est en vue du dialogue d’amour de Dieu avec ses créatures.
Combien, sur ce point, la vision chrétienne de l’origine de l’univers est loin de celle du scientisme athée que nous évoquions dans notre prédication de l’Avent ! Une des souffrances les plus profondes pour un jeune homme ou une jeune fille, est de découvrir un jour qu’il (ou elle) est venu au monde un jour par hasard, peut-être par une erreur des parents, qu’il n’a pas été voulu, ni attendu. Un certain scientisme athée semble s’appliquer à infliger ce type de souffrance à l’humanité tout entière. Personne ne saurait mieux nous convaincre du fait que nous sommes créés par amour que sainte Catherine de Sienne dans son ardente prière à la Trinité :
«Comment se fait-il, Père éternel, que vous ayez créé votre créature ? [...]. Le feu de ta charité t’a contraint. Oh amour ineffable, bien que dans ta lumière tu aies vu toutes les iniquités que ta créature devait commettre contre toi, infinie bonté, tu as fait comme si tu ne le voyais pas, mais tu as posé ton regard sur la ‘beauté’ de ta créature, de laquelle, comme fou et enivré d’amour, tu t’es énamouré – et par amour tu l’as tirée de toi et lui as donné l’être à ton image et ressemblance. Toi, vérité éternelle, tu as éclairé pour moi ta vérité, c’est-à-dire que l’amour t’a contraint à la créer ».
Ceci n’est pas seulement agapè, amour de miséricorde, de don, amour descendant; c’est aussi eros, et à l’état pur; attraction vers l’objet de l’amour, considération et fascination devant sa beauté.
3. L’amour de Dieu dans la révélation
La seconde étape de l’amour de Dieu est la révélation, l’Ecriture. Dieu nous parle de son amour surtout par les prophètes. Il dit dans Osée : « Quand Israël était jeune, je l’aimai [...]. Et moi j’avais appris à marcher à Ephraïm, je le prenais par les bras [...]. Je les menais avec des attaches humaines, avec des liens d’amour; j’étais pour eux comme ceux qui soulèvent un nourrisson, tout contre leur joue, je m’inclinais vers lui et le faisais manger [...]. Comment t’abandonnerais-je, Ephraïm ? [...] Mon cœur en moi est bouleversé, toutes mes entrailles frémissent. » (Os 11, 1-8).
Nous retrouvons ce même langage chez Isaïe : « Une femme oublie-t-elle son petit enfant, est-elle sans pitié pour le fils de ses entrailles? » (Is 49, 15) et dans Jérémie : » Ephraïm est-il donc pour moi un fils si cher, un enfant tellement préféré, que chaque fois que j’en parle, je veuille encore me souvenir de lui ? C’est pour cela que mes entrailles s’émeuvent pour lui, que pour lui déborde ma tendresse » (Jr 31, 20).
Dans ces oracles, l’amour de Dieu s’exprime simultanément comme amour paternel et maternel. L’amour paternel est fait d’encouragement et de sollicitude; le père veut faire grandir le fils et le conduire à la pleine maturité. C’est pourquoi il le corrige et difficilement fera son éloge en sa présence, de peur que celui-ci se croit ‘arrivé’ et qu’il cesse de progresser. En revanche, l’amour maternel est fait d’accueil et de tendresse; c’est un amour « viscéral »; il part des fibres profondes de l’être de la mère, là où la créature s’est formée, et de là saisit toute sa personne en faisant « frémir ses entrailles ».
Dans la sphère humaine, ces deux types d’amour – masculin et maternel- sont toujours, plus ou moins nettement, répartis. Le philosophe Sénèque disait : « Vois quelle différence entre la tendresse d’un père et celle d’une mère ! Le père réveille son fils de bonne heure pour qu’il se livre à l’étude, il ne le souffre pas à rien faire, il fait couler ses sueurs et quelquefois ses larmes. La mère, au contraire, le réchauffe sur son sein, toujours elle veut le tenir tout près, éloigner de lui les pleurs, le chagrin, le travail »[6]. Mais, alors que le dieu du philosophe païen a pour l’homme uniquement « les sentiments d’un père qui aime sans faiblesse » (ce sont ses propres mots), le Dieu biblique a en plus les sentiments d’une mère qui aime « avec faiblesse ».
L’homme connaît par expérience un autre type d’amour, celui dont on dit qu’il est « fort comme la Mort et ses traits sont des traits de feu » (cf. Ct 8, 6). Et Dieu a même recours dans la Bible à ce type d’amour, pour nous donner une idée de son amour passionné pour nous. Toutes les phases et les vicissitudes de l’amour sont évoquées et utilisées à cette fin : l’enchantement de l’amour naissant au moment des fiançailles (cf. Jr 2, 2); la plénitude de la joie le jour du mariage (cf. Is 62, 5); le drame de la rupture (cf. Os 2, 4 ss) et enfin le rétablissement, plein d’espérance, du lien ancien (cf. Os 2, 16; Is 54, 8).
L’amour sponsal est, fondamentalement, un amour de désir et de choix. S’il est vrai que l’homme désire Dieu, le contraire est également vrai, de manière mystérieuse, à savoir que Dieu désire l’homme, veut et apprécie son amour, éprouve à son sujet « la joie de l’époux au sujet de l’épouse » (Is 62, 5) !
Comme le fait observer le Saint-Père dans son encyclique « Deus caritas est », la métaphore nuptiale qui traverse quasiment toute la Bible et inspire le langage de l’ »alliance », est la meilleure preuve que même l’amour de Dieu pour nous est à la fois eros et agapè, donner et chercher. Il ne peut être réduit à la seule miséricorde, à un « faire la charité » à l’homme, au sens le plus limité du terme.
4. L’amour de Dieu dans l’incarnation
C’est ainsi que nous arrivons à l’étape décisive de l’amour de Dieu, l’incarnation : « Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » (Jn 3, 16). Face à l’incarnation, on se pose la même question que pour la création. Pourquoi Dieu s’est-il fait homme ? Cur Deus homo ? Pendant longtemps la réponse a été : pour nous racheter du péché. Duns Scot a approfondi cette réponse, faisant de l’amour le motif fondamental de l’incarnation, comme de toutes les autres œuvres ad extra de la Trinité.
En premier lieu, dit Scot, Dieu s’aime lui-même; en deuxième lieu, il veut être aimé par d’autres êtres ( secundo vult alios habere condiligentes ). S’il décide l’incarnation, c’est pour qu’il y ait un autre être qui l’aime d’un amour le plus grand possible, en dehors de lui-même[7]. L’incarnation aurait donc eu lieu même si Adam n’avait pas péché. Le Christ a été le premier pensé, le premier voulu, le « Premier-Né de toute créature » (Col 1,15), non la solution à un problème intervenu à la suite du péché d’Adam.
Mais la réponse de Scot est partielle et peut être complétée en se fondant sur ce que nous dit l’Ecriture. Dieu a voulu l’incarnation de son Fils, non seulement pour avoir quelqu’un à l’extérieur de lui qui l’aimât de façon digne de lui, mais aussi et surtout pour avoir à l’extérieur de lui quelqu’un à aimer de façon digne de lui ! Et c’est le Fils fait homme, en lequel le Père « mets toute sa complaisance » et avec lui nous tous devenus « fils dans le Fils ».
Le Christ est la preuve suprême de l’amour de Dieu pour l’homme pas seulement objectivement, à la manière d’un gage d’amour que l’on donne à quelqu’un ; il l’est aussi subjectivement. En d’autres termes, il n’est pas seulement la preuve de l’amour de Dieu, mais il est l’amour même de Dieu qui a revêtu une forme humaine pour pouvoir aimer et être aimé de l’intérieur de notre situation. Au commencement était l’ »amour » et l’ »amour s’est fait chair » : c’est ainsi qu’un très ancien écrit chrétien paraphrase les paroles du Prologue de Jean[8].
Saint Paul forge une expression appropriée pour cette nouvelle modalité de l’amour de Dieu, il l’appelle « l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus » (Rm 8, 39). Si, comme nous le disions la dernière fois, notre amour pour Dieu doit désormais s’exprimer concrètement en amour pour le Christ, c’est parce que tout amour de Dieu pour nous s’est d’abord exprimé et recueilli dans le Christ.
5. L’amour de Dieu répandu dans les coeurs
L’histoire de l’amour de Dieu ne se termine pas avec la Pâque du Christ mais se prolonge à travers la Pentecôte qui rend présent et agissant « l’amour de Dieu en Jésus Christ » jusqu’à la fin du monde. Nous ne sommes pas contraints, par conséquent, à vivre seulement du souvenir de l’amour de Dieu, comme d’une chose passée. « L’amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par le Saint Esprit qui nous fut donné ». (Rm 5, 5).
Mais qu’est ce que cet amour reversé dans notre coeur à travers le baptême ? Un sentiment de Dieu pour nous ? Une attitude bienveillante à notre égard ? Une inclination ? C’est-à-dire quelque chose d’intentionnel ? C’est bien plus que cela; c’est quelque chose de réel. C’est, littéralement, l’amour de Dieu, c’est-à-dire l’amour qui circule dans la Trinité entre le Père et le Fils et qui, à travers l’incarnation, a pris une forme humaine et devient maintenant participant de nous-mêmes en « demeurant » en nous. « Mon Père l’aimera et nous viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui » (Jn 14, 23).
Nous devenons « participants de la divine nature » (2 P 1, 4), c’est-à-dire participants de l’amour divin. Nous nous retrouvons, par grâce, explique saint Jean de la Croix, dans le tourbillon d’amour qui passe depuis toujours, dans la Trinité, entre le Père et le Fils[9]. Mieux encore : dans le tourbillon d’amour qui passe, maintenant, au ciel, entre le Père et son Fils Jésus Christ ressuscité d’entre les morts, dont nous sommes les membres.
6. Nous avons cru à l’amour de Dieu !
Vénérables pères, frères et soeurs, ce que je viens de tracer pauvrement est la révélation objective de l’amour de Dieu dans l’histoire. Venons-en maintenant à nous : que ferons-nous, que dirons-nous après avoir entendu combien Dieu nous aime ? Une première réponse est : aimer Dieu en retour ! N’est-ce pas le premier et le plus grand commandement de la loi ? Oui, mais il vient après. Autre réponse possible : nous aimer les uns les autres comme il nous a aimés ! L’évangéliste Jean ne dit-il pas que, si Dieu nous a aimés, « nous devons nous aussi nous aimer les uns les autres « (1 Jn 4, 11) ? Cela aussi vient après; avant, il y a une autre chose à faire. Croire à l’amour de Dieu ! Après avoir dit que « Dieu est amour », l’évangéliste Jean s’exclame : « Nous avons cru à l’amour de Dieu pour nous » (cf. 1 Jn 4, 16).
La foi, par conséquent. Mais ici, il s’agit d’une foi spéciale : la foi-étonnement, la foi incrédule (un paradoxe, je sais, mais c’est bien ça !), la foi qui ne réussit pas à comprendre ce à quoi elle croit, même si elle y croit. Comment se peut-il que Dieu, infiniment heureux dans son éternité tranquille, ait eu le désir non seulement de nous créer mais aussi de venir, en personne, souffrir au milieu de nous ? Comment cela est-il possible ? Eh bien, c’est cela la foi-étonnement, la foi qui rend heureux.
Le grand converti et apologiste de la foi Clive Staples Lewis (l’auteur de la série des « Chroniques de Narnia », récemment portée à l’écran), a écrit un roman insolite intitulé « Tactique du diable ». Ce sont des lettres qu’un diable ancien écrit à un petit diable, jeune et inexpérimenté occupé sur la terre à séduire un jeune londonien qui vient tout juste de renouer avec la pratique chrétienne. Son intention est de lui enseigner la stratégie pour y parvenir. Il s’agit d’un traité de morale et d’ascèse, moderne et d’une très grande finesse, à lire à l’envers, c’est-à-dire en faisant exactement le contraire de ce qui est suggéré.
A un moment donné, l’auteur nous fait assister à une sorte de discussion entre les démons. Ils sont incapables de comprendre que l’Ennemi (c’est ainsi qu’il nomme Dieu) puisse vraiment aimer ces « vers que sont les hommes et désire leur liberté ». Ils sont certains que cela n’est pas possible. Il doit forcément y avoir une tromperie, une astuce. Nous enquêtons, disent-ils, depuis le jour où « Notre Père » (c’est ainsi qu’ils appellent Lucifer), a, précisément pour cette raison, pris ses distances par rapport à lui; nous ne l’avons pas encore découverte mais un jour, nous la trouverons[10]. L’amour de Dieu pour ses créatures est, pour eux, le mystère des mystères. Et je crois que, là au moins, les démons ont raison.
On dirait qu’il s’agit d’une foi facile et agréable; et pourtant c’est peut-être la chose la plus difficile qui soit, même pour nous, créatures humaines. Croyons-nous vraiment que Dieu nous aime ? Ce n’est pas que nous n’y croyons pas vraiment, mais au moins que nous n’y croyons pas assez ! Si nous y croyions, notre vie, nous-mêmes, les choses, les événements, la souffrance même, tout se transformerait immédiatement sous nos yeux. Nous serions aujourd’hui même au paradis parce que le paradis n’est rien d’autre que cela : jouir pleinement de l’amour de Dieu.
Le monde a fait qu’il est de plus en plus difficile de croire à l’amour. Qui a été trahi ou blessé un jour, a peur d’aimer et d’être aimé parce qu’il sait combien cela fait mal d’être trompé. Si bien que la foule de ceux qui ne réussissent pas à croire à l’amour de Dieu – et même à n’importe quel amour – ne cesse de grossir; la marque de notre culture sécularisée est le désenchantement et le cynisme. Sur le plan personnel il y a ensuite l’expérience de notre pauvreté et de notre misère qui nous fait dire : « Oui, cet amour de Dieu est beau, mais il n’est pas pour moi ! Je n’en suis pas digne… ».
Les hommes ont besoin de savoir que Dieu les aime et personne mieux que les disciples du Christ n’est en mesure de leur apporter cette bonne nouvelle. D’autres, à travers le monde, partagent avec les chrétiens la crainte de Dieu, la préoccupation pour la justice sociale et le respect de l’homme, pour la paix et la tolérance; mais personne – je dis bien personne – ni parmi les philosophes, ni parmi les religions, ne dit à l’homme que Dieu l’aime, qu’il l’a aimé le premier, qu’il l’aime d’un amour de miséricorde et de désir : avec eros et agape.
Saint Paul nous suggère une méthode pour appliquer la lumière de l’amour de Dieu à notre existence concrète. Voici ce qu’il écrit : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? La tribulation, l’angoisse, la persécution, la faim, la nudité, les périls, le glaive ? (…) Mais en tout cela nous sommes les grands vainqueurs par celui qui nous a aimés » (Rm 8, 35-37). Les périls et les ennemis de l’amour de Dieu qu’il énumère sont ceux qu’il a, de fait, expérimentés durant sa vie : l’angoisse, la persécution, le glaive… (cf. 2 Co 11, 23 ss). Il les passe en revue dans son esprit et constate qu’aucun d’eux n’est assez fort pour l’emporter dans une confrontation avec la pensée de l’amour de Dieu.
Nous sommes invités à faire comme lui : à regarder notre vie, telle qu’elle se présente, à faire remonter à la surface les peurs qui s’y cachent, les tristesses, les menaces, les complexes, tel défaut physique ou moral, ce souvenir pénible qui nous humilie, et à tout exposer à la lumière de la pensée que Dieu nous aime.
L’Apôtre fait passer son regard de sa vie personnelle au monde qui l’entoure. « Oui, j’en ai l’assurance, ni mort ni vie, ni anges ni principautés, ni présent ni avenir, ni puissances, ni hauteur ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Rm 8, 38-39). Il observe « son » monde, avec les puissances qui le rendaient alors menaçant : la mort avec son mystère, la vie présente avec ses illusions, les puissances astrales ou de l’enfer qui inspiraient tant de terreur à l’homme antique.
Nous pouvons faire la même chose : regarder le monde qui nous entoure et qui nous fait peur. La « hauteur » et la « profondeur » sont pour nous aujourd’hui l’infiniment grand, vers le haut et l’infiniment petit, vers le bas, l’univers et l’atome. Tout est prêt à nous écraser; l’homme est faible et seul, dans un univers tellement plus grand que lui et devenu même encore plus menaçant après les découvertes scientifiques qu’il a faites et qu’il ne réussit pas à maîtriser, comme nous le montre de façon dramatique l’affaire des réacteurs nucléaires de Fukushima.
Tout peut être remis en question, toutes les sécurités peuvent venir à nous manquer mais jamais celle-ci : que Dieu nous aime et est plus fort que tout. « Le secours me vient du Seigneur qui a fait le ciel et la terre ».
[1] Aristotele, Metafisica, XII, 7, 1072b.
[2] S. Agostino, Trattati sulla Prima lettera di Giovanni, 7, 4.
[3] S. Agostino, De catechizandis rudibus, I, 8, 4: PL 40, 319.
[4] Cf. S. Kierkegaard, Discorsi edificanti in diverso spirito, 3: Il Vangelo delle sofferenze, IV.
[5] Joseph Razinger – Benoît XVI, Jésus de Nazareth, Editions du Rocher 2011, p. 101
[6] Seneca, De Providentia, 2, 5 s.
[7] Duns Scoto, Opus Oxoniense, I,d.17, q.3, n.31; Rep., II, d.27, q. un., n.3
[8] Evangelium veritatis (dai Codici di Nag-Hammadi).
[9] Cf. S. Giovanni della Croce, Cantico spirituale A, strofa 38.
[10] C.S. Lewis, The Screwtape Letters, 1942, cap. XIX

 

LE CARÊME : SES GRANDS AXES

6 mars, 2014

http://www.prierenfamille.com/Fiche.php?Id=207

LE CARÊME : SES GRANDS AXES

Au temps de Noël, la liturgie nous a fait contempler le mystère de l’Incarnation.
La fête de la Présentation au Temple, célébrée de 2 février, a été comme la charnière entre le mystère de l’Incarnation et celui de la Rédemption
Nous abordons maintenant le Carême, où la liturgie nous introduit dans le mystère de la Rédemption : si Jésus s’est fait homme (Incarnation), c’est pour nous sauver (Rédemption).
Jésus nous a d’abord attirés à Lui par les douceurs de son enfance, la simplicité de la vie évangélique, puis par la lumière de ses enseignements et sa puissance manifestée par ses miracles.
Il nous invite maintenant à Le suivre sur une voie plus rude, celle de l’effort et du renoncement.
Avant d’inaugurer sa prédication et sa mission de Rédempteur du genre humain, Il fut, nous dit saint Marc, poussé par l’Esprit dans le désert pendant quarante jours pour y être tenté par Satan. (Mc 1, 12)
Les yeux fixés sur Jésus-Christ, entrons dans le combat de Dieu…
En ce temps de Carême, la liturgie nous invite à regarder Jésus au désert où Il prie, Il jeûne, Il subit les assauts du démon : c’est une invitation à réfléchir sur nous-mêmes, car c’est pour nous que Jésus prie et fait pénitence, et qu’Il laisse le démon L’approcher…

1 – Un temps de prière et de pénitence, un temps de purification
2 – Le Carême est une montée vers la fête de Pâques
3 – Le Carême nous prépare à suivre Jésus dans le mystère de sa Passion
4 – Prendre conscience du péché dans notre vie
5 – Une lutte nécessaire : le Carême est le temps du combat spirituel
6 – Le Carême : un temps privilégié pour la réconciliation
1 – Un temps de prière et de pénitence, un temps de purification
A l’exemple de cette retraite de Jésus au désert, et de sa lutte contre Satan, le Carême est pour nous un temps de prière et de pénitence. Il est destiné à nous préparer à célébrer « avec des âmes et des corps purifiés le mystère sublime entre tous de la Passion du Seigneur. » (St Léon)

Pour pouvoir entrer dans « ce mystère sublime entre tous », il nous faut reprendre conscience de deux choses : la grandeur de Dieu et sa bonté et, en conséquence, la gravité du péché.
Avant de pouvoir entrer dans la Terre Promise, les Hébreux ont dû errer dans le désert pendant quarante ans pour se purifier des attaches païennes qui leur restaient de leur séjour en Egypte.
De même, pour nous, le Carême (quarante jours) est un temps de purification où nous sommes invités à travailler à notre conversion : revenir vers Dieu, et Lui soumettre toute notre vie.
« Convertissez-vous au Seigneur notre Dieu, parce qu’il est bon et compatissant, patient et riche en miséricorde » (Jl 2, 13)
Ce temps de purification est nécessaire pour pouvoir goûter ensuite la Joie de la Résurrection et bénéficier du mystère de notre Rédemption par lequel Jésus nous rend participants de sa Divinité.
2 – Le Carême est une montée vers la fête de Pâques
A l’image de la vie terrestre, qui est une préparation à la vie de l’éternité, la signification essentielle du Carême est de nous préparer à la grande fête de Pâques, en nous faisant entrer, à la suite de Jésus, notre Sauveur, dans le mystère pascal : mort au péché et résurrection à notre vie d’enfant de Dieu.
3 – Le Carême nous prépare à suivre Jésus dans le mystère de sa Passion
Avant d’aboutir à la Résurrection, le temps du Carême comprend deux parties bien distinctes :
- le temps de la purification de l’âme (qui correspond au séjour de Jésus dans le désert) ;
– le temps du rachat par la Passion de Jésus notre Sauveur : c’est l’acte de notre Rédemption.
On ne peut pas – on ne doit jamais – dissocier ces deux éléments du mystère pascal : mort et Résurrection.
Parler du Mystère de la Croix n’est pas chose facile. On est davantage enclins à parler de dynamique, d’action positive, d’enthousiasme.
On parle plus rarement du péché qui est un manque à l’Amour de Dieu : Il pardonne facilement, dit-on… Mais on oublie la pénitence, la conversion, la réparation… Si l’on savait « Qui » est Dieu, jamais on ne pécherait.
Il faut, au début de ce carême, demander à Dieu la grâce d’avoir (ou de retrouver) un sens aigu du péché.
Nous pourrons alors comprendre pourquoi il nous faut nous convertir, ce que veut dire le mot « conversion ». Nous comprendrons que la réparation est nécessaire pour que nous puissions entrer dans le Cœur de Jésus. (Extrait du bulletin des Adorateurs de Montmartre)
4 – Prendre conscience du péché dans notre vie
Le temps du Carême, traditionnellement consacré au travail de purification de nos âmes, nous invite à travailler à une réflexion approfondie sur la place du mal dans notre vie… ce que nous n’aimons pas trop ! C’est pourtant le temps favorable (Is 49, 8 – 2 Co 6, 2) pour prendre conscience de nos misères, de nos faiblesses et pour retrouver le sens du péché. Acte d’humilité qui nous permettra de voir clair en nous-mêmes.
Nous pourrons alors affermir notre volonté et décider de changer de vie pour la rendre plus conforme à l’Evangile : Convertissez-vous et croyez à l’Evangile… (Mc 1, 15) (imposition des Cendres).
Soumettez-vous à Dieu et résistez au démon : il s’enfuira loin de vous.
Approchez-vous de Dieu et lui s’approchera de vous.
Pécheurs, enlevez la souillure de vos mains ; hommes partagés, purifiez vos cœurs.
Abaissez-vous devant le Seigneur, et Il vous élèvera. (Jc 4, 7-8 ; 10)
La conversion consiste à remettre Dieu au centre de notre vie : « se retourner vers le Créateur, se détourner de la créature ».
5 – Une lutte nécessaire : le Carême est le temps du combat spirituel
Ce retour à Dieu ne va pas sans un combat contre le démon :
Ce combat est celui de la conversion en vue de la sainteté et de la vie éternelle à laquelle le Seigneur ne cesse de nous appeler. (CEC 1426)
Le Carême est un temps de lutte : nous avons toujours à vaincre en nous certaines résistances de notre nature blessée, faussée par le péché, de mauvaises habitudes, de notre amour-propre…
Nous avons encore à combattre les mouvements de la concupiscence qui ne cessent de nous porter vers le mal (CEC 978)…
Cette lutte appartient à l’héritage du péché, elle en est une conséquence et fait partie de l’expérience quotidienne du combat spirituel. (CEC 2516 – voir aussi § 405).
Voir à ce sujet : le carême : un temps de combat spirituel.
Ce retour à Dieu nous obtient la joie de la réconciliation, du pécheur qui se sait pardonné :
6 – Le Carême : un temps privilégié pour la réconciliation
Au nom du Christ, nous vous en supplions, laissez-vous réconcilier avec Dieu. (2 Co 5, 20)
(2° lecture – mercredi des Cendres)
Dans ce chemin de réconciliation, trois étapes à parcourir :
1 – se réconcilier avec Dieu
C’est tout l’itinéraire de l’enfant prodigue : Luc 15, 11-32.
C’est notre image à tous, l’exemple de l’attitude à prendre devant Dieu : Oui, je me lèverai et j’irai vers mon Père, et je lui dirai : « Père, j’ai péché contre le Ciel et contre Toi… » (Lc 15, 18)
Humilité et confiance totale en l’infinie bonté et miséricorde de Dieu, être sûr de son pardon dès qu’on revient à Lui.
2 – se réconcilier avec soi-même
C’est souvent bien difficile de s’accepter tels que nous sommes et de « se pardonner » de ne pas être tel qu’on le voudrait. C’est si facile de « s’idéaliser ». Etre vrai avec soi-même, ce n’est pas facile…
Ce temps de Carême va nous aider à nous regarder dans la vérité, comme Dieu nous voit, à recevoir son amour malgré nos défauts sans nous dépiter sur nous-mêmes. Chemin de guérison intérieure :
Oui, je reconnais mon péché, ma faute est toujours devant moi… (Ps 50, 5)
3 – se réconcilier avec les autres
La conversion se réalise dans la vie quotidienne par des gestes de réconciliation… la correction fraternelle… (CEC 1435)
C’est le chemin du pardon.
Il y a des pardons à donner, d’autres à recevoir. Mais comme c’est difficile quelquefois ! Comme cela coûte à notre fierté, notre amour-propre !
Dieu, à travers le sacrement de la réconciliation, nous en donnera la force.
Si tu te présentes à l’autel et que, là, tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l’autel et va d’abord te réconcilier avec ton frère ; tu viendras alors présenter ton offrande. (Mt 5, 24)
Quand vous êtes debout pour prier, pardonnez si vous avez quelque chose contre quelqu’un, afin que votre Père qui est dans les cieux vous pardonne aussi vos offenses. (Mc 11, 25)
Le Carême est donc le temps privilégié pour une bonne confession : c’est là que nous recevons l’assurance d’être réconciliés avec Dieu, qu’Il nous a pardonné.
Concrètement, comment travailler à cette conversion ?
La conversion se réalise dans la vie quotidienne par des gestes de réconciliation, par le souci des pauvres, l’exercice et la défense de la justice et du droit, par l’aveu des fautes aux frères, la correction fraternelle, la révision de vie, l’examen de conscience, la direction spirituelle, l’acceptation des souffrances, l’endurance de la persécution à cause de la justice.Prendre sa croix chaque jour et suivre Jésus est le chemin le plus sûr de la pénitence.(CEC 1435)
Voir à ce sujet : Quelles résolutions pour un bon Carême ?
Les 3 « P »: Prière, Pénitence, Partage
Trois grands axes d’action nous sont traditionnellement indiqués par la liturgie pour le Carême :
La pénitence intérieure du chrétien peut avoir des expressions très variées.
L’Ecriture et les Pères insistent surtout sur trois formes : la prière, le jeûne, l’aumône, qui expriment la conversion par rapport à Dieu, par rapport à soi-même et par rapport aux autres… (CEC 1434)
1 – Si la prière exprime notre conversion par rapport à Dieu, le carême est bien le moment de l’intensifier.
Voir à ce sujet : Prières pour le temps du Carême
2 – Sous le terme de « pénitence, » plusieurs orientations sont à envisager :
- d’abord, l’esprit de pénitence ou pénitence intérieure : « une attitude d’âme, un sacrement ».
– ensuite, les actes pratiques de la pénitence, expression extérieure de la pénitence intérieure.
Voir à ce sujet : Les actes pratiques de la pénitence
3 – L’aumône (ou partage), qui n’est autre que l’expression de l’ouverture de notre cœur aux autres.
Voir à ce sujet : Le partage ou aumône
Le temps des bonnes résolutions
A chacun de prendre les résolutions sur les points qui lui sont nécessaires.
Le carême d’une carmélite ne sera pas celui d’une mère de famille, d’un homme d’affaires ou d’un travailleur de force…Pourtant, tous sont concernés par cette voie de purification pour se rapprocher de Dieu.
Voir à ce sujet : Quelles résolutions pour un bon Carême ?

Le Carême de nos enfants
Si le Carême est le temps où nous sommes invités à lutter contre nos défauts, ne pensons pas que nos enfants en soient exemptés. Quoiqu’en pensent certains, les tendances au mal existent déjà dans nos chers « petits trésors », tout comme en nous-mêmes.
La doctrine sur le péché originel – liée à celle de la Rédemption par le Christ – donne un regard de discernement lucide sur la situation de l’homme et de son agir dans le monde.
Par le péché des premiers parents, le diable a acquis une certaine domination sur l’homme, bien que ce dernier demeure libre. (…)
Ignorer que l’homme a une nature blessée, inclinée au mal, donne lieu à de graves erreurs dans le domaine de l’éducation, de la politique, de l’action sociale et des mœurs. (CEC 407)
Le combat spirituel, c’est aussi pour eux !
Plus tôt ils prendront l’habitude de résister à ces tendances au mal, mieux ce sera, pour eux… et pour nous. Et, tout particulièrement, pour leur vie surnaturelle.
Le programme de Carême sera donc le même que pour les parents, mais mis à leur portée.
Il dépend de nous de les introduire dans cette spiritualité du carême, de les aider et les soutenir dans cette lutte contre leurs défauts.

BÉNÉDICTION ET IMPOSITION DES CENDRES- 2011 – HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI

4 mars, 2014

http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/homilies/2011/documents/hf_ben-xvi_hom_20110309_ceneri_fr.html

PROCESSION PÉNITENTIELLE DE L’ÉGLISE SAINT-ANSELME
À LA BASILIQUE SAINTE-SABINE SUR L’AVENTIN
MESSE, BÉNÉDICTION ET IMPOSITION DES CENDRES

HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI

Basilique Sainte-Sabine
Mercredi des Cendres, 9 mars 2011 – année A

Chers frères et sœurs!

Nous entamons aujourd’hui le temps liturgique du carême avec le rite suggestif de l’imposition des cendres, à travers lequel nous voulons prendre l’engagement de convertir notre cœur vers les horizons de la Grâce. En général, dans l’opinion commune, ce temps a parfois une connotation de tristesse, de grisaille de la vie. En revanche, il est un don précieux de Dieu, c’est un temps fort et dense de significations sur le chemin de l’Eglise, c’est l’itinéraire vers la Pâque du Seigneur. Les lectures bibliques de la célébration de ce jour nous offrent des indications pour vivre en plénitude cette expérience spirituelle.
«Revenez à moi de tout votre cœur» (Jl 2,12). Dans la première lecture, tirée du livre du prophète Joël, nous avons entendu ces paroles par lesquelles Dieu invite le peuple juif à une repentance sincère et non de pure forme. Il ne s’agit pas d’une conversion superficielle et passagère, mais bien d’un itinéraire spirituel qui concerne en profondeur les attitudes de la conscience et suppose une intention sincère de repentir. Le prophète s’inspire de la plaie de l’invasion des sauterelles qui s’était abattue sur le peuple en détruisant les récoltes, pour inviter à une pénitence intérieure, à se lacérer le cœur et non les vêtements (cf. 2, 13). Il s’agit donc de mettre en œuvre une attitude de conversion authentique à Dieu — revenir à Lui —, en reconnaissant sa sainteté, sa puissance, sa majesté. Et cette conversion est possible parce que Dieu est riche en miséricorde et grand dans l’amour. Sa miséricorde est régénératrice, elle crée en nous un cœur pur, renouvelle intimement un esprit ferme, en nous restituant la joie du salut (cf. Ps 50, 14). Dieu, en effet, — comme dit le prophète — ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et vive (cf. Ez 33, 11). Le prophète Joël ordonne, au nom du Seigneur, que se crée une atmosphère pénitentielle propice: il faut sonner du cor, convoquer l’assemblée, réveiller les consciences. Le temps quadragésimal nous propose ce contexte liturgique et pénitentiel, un chemin de quarante jours au cours desquels faire l’expérience de manière concrète de l’amour miséricordieux de Dieu. Aujourd’hui retentit pour nous l’appel «Revenez à moi de tout votre cœur»; aujourd’hui, c’est nous qui sommes appelés à convertir notre cœur à Dieu, toujours conscients de ne pas pouvoir réaliser notre conversion seuls, avec nos forces, parce que c’est Dieu qui nous convertit. Il nous offre encore son pardon, en nous invitant à revenir à Lui pour nous donner un cœur nouveau, purifié du mal qui l’opprime, pour nous faire prendre part à sa joie. Notre monde a besoin d’être converti par Dieu, il a besoin de son pardon, de son amour, il a besoin d’un cœur nouveau.
«Laissez-vous réconcilier avec Dieu» (2 Co 5, 20). Dans la deuxième lecture, saint Paul nous offre un autre élément sur le chemin de la conversion. L’apôtre nous invite à détourner notre regard de lui et à tourner en revanche notre attention sur celui qui l’a envoyé et sur le contenu du message qu’il apporte: «Nous sommes donc les ambassadeurs du Christ, et par nous c’est Dieu lui-même qui, en fait, vous adresse un appel. Au nom du Christ, nous vous le demandons, laissez-vous réconcilier avec Dieu» (ibid.). Un ambassadeur répète ce qu’il a entendu prononcer par son Seigneur et parle avec l’autorité qu’il a reçue et dans ses limites. Celui qui exerce la fonction d’ambassadeur ne doit pas attirer l’intérêt sur lui-même, mais il doit se mettre au service du message à transmettre et de celui qui l’a envoyé. C’est ainsi qu’agit saint Paul en exerçant son ministère de prédicateur de la Parole de Dieu et d’apôtre de Jésus Christ. Il ne recule pas devant la tâche reçue, mais il l’accomplit avec un dévouement total, en invitant à s’ouvrir à la grâce, à laisser Dieu nous convertir: «Et puisque nous travaillons avec lui — écrit-il — nous vous invitons à ne pas laisser sans effets la grâce reçue de Dieu» (2 Co 6, 1). «Or l’appel du Christ à la conversion — nous dit le Catéchisme de l’Eglise catholique — continue à retentir dans la vie des chrétiens. [...] C’est une tâche ininterrompue pour toute l’Eglise qui “enferme des pécheurs dans son propre sein” et qui “est donc à la fois sainte et appelée à se purifier, et qui poursuit constamment son effort de pénitence et de renouvellement”. Cet effort de conversion n’est pas seulement une œuvre humaine. Il est le mouvement du “cœur contrit” (Ps 51, 19) attiré et mû par la grâce à répondre à l’amour miséricordieux de Dieu qui nous aimés le premier» (n. 1428). Saint Paul s’adresse aux chrétiens de Corinthe mais, à travers eux, il entend s’adresser à tous les hommes. Tous ont en effet besoin de la grâce de Dieu, qui illumine l’esprit et le cœur. Et l’apôtre presse: «Or, c’est maintenant le moment favorable, c’est maintenant le jour du salut» (2 Co 6, 2). Tous peuvent s’ouvrir à l’action de Dieu, à son amour; à travers notre témoignage évangélique, nous, chrétiens, devons être un message vivant; dans de nombreux cas, nous sommes même l’unique Evangile que les hommes d’aujourd’hui lisent encore. Voilà notre responsabilité sur les traces de saint Paul, voilà un motif de plus pour bien vivre le carême: offrir le témoignage de la foi vécue à un monde en difficulté qui a besoin de revenir à Dieu, qui a besoin de conversion.
«Gardez-vous de pratiquer votre justice devant les hommes, pour vous faire remarquer d’eux» (Mt 6, 1). Dans l’Evangile d’aujourd’hui, Jésus relit les trois œuvres fondamentales de piété prévues par la loi de Moïse. L’aumône, la prière et le jeûne caractérisent le juif qui observe la loi. Au fil du temps, ces prescriptions avaient été érodées par la rouille du formalisme extérieur, ou encore, elles s’étaient transformées en un signe de supériorité. Jésus met en évidence dans ces trois œuvres de piété une tentation commune. Lorsque l’on accomplit quelque chose de bon, presque instinctivement naît le désir d’être estimé et admiré pour la bonne action, c’est-à-dire d’avoir une satisfaction. Et cela, d’une part, conduit au repli sur soi, et, de l’autre, à aller au dehors de soi, car l’on vit projeté vers ce que les autres pensent de nous et admirent en nous. En reproposant ces prescriptions, le Seigneur Jésus ne demande pas le respect formel d’une loi étrangère à l’homme, imposée par un législateur sévère comme un lourd fardeau, mais invite à redécouvrir ces trois œuvres de piété en les vivant de façon plus profonde, non pas par amour propre, mais par amour de Dieu, comme moyens sur le chemin de conversion à Lui. Aumône, prière et jeûne: tel est l’itinéraire de la pédagogie divine qui nous accompagne, non seulement au cours du carême, vers la rencontre avec le Seigneur Ressuscité; un itinéraire qu’il faut parcourir sans ostentation, dans la certitude que le Père céleste sait lire et voir également dans le secret de notre cœur.
Chers frères et sœurs, commençons confiants et joyeux l’itinéraire du carême. Quarante jours nous séparent de Pâques; ce temps «fort» de l’année liturgique est un temps propice qui nous est donné pour parvenir, avec un engagé accru, à notre conversion, pour intensifier l’écoute de la Parole de Dieu, la prière et la pénitence, en ouvrant le cœur à l’accueil docile de la volonté divine, en vue d’une pratique plus généreuse du sacrifice qui permet de porter toujours plus son aide au prochain dans le besoin: un itinéraire spirituel qui nous prépare à revivre le Mystère pascal.
Que Marie, notre guide sur le chemin quadragésimal, nous conduise à une connaissance toujours plus profonde du Christ, mort et ressuscité, qu’elle nous aide dans le combat spirituel contre le péché, qu’elle nous soutienne pour invoquer avec force: «Converte nos, Deus salutaris noster», — Convertis-nous à Toi, ô Dieu, notre salut». Amen!

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