HOMÉLIES DU 6E DIMANCHE DE PÂQUES, A
19 mai, 2017http://parolesdudimanche.blogs.lalibre.be
HOMÉLIES DU 6E DIMANCHE DE PÂQUES, A
Ac 8, 5-8, 14-17 ; 1 P 3, 15-18 ; Jn 14, 15-21
Dans le long discours de Jésus après la Cène, comme on le voit encore dans l’évangile de ce jour, il est beaucoup question de « monde ». Aujourd’hui, ce mot est parfois utilisé à tort et à travers. Ce qui se comprend, car le même terme peut exprimer des réalités différentes, voire même contradictoires. De même, les mots de l’Evangile disent souvent autre chose que les définitions de notre langage courant. Il faut alors être attentif au contexte qui seul permet de faire le bon choix du sens. Or, que dit l’Evangile ? Jésus vient dans le monde et il est haï par le monde… Les apôtres sont envoyés dans le monde et le monde les prend en haine, parce que tout en étant du monde, ils ne sont pas du monde… Et cependant, ils sont tellement du monde et leur mission est tellement liée au monde que Jésus ne veut surtout pas les retirer du monde… C’est beaucoup de « monde » !
Pour S. Jean, ce monde auréolé de mal représente ceux qui se refusent à croire en Jésus et qui s’opposent au message de son Evangile. Il ne s’agit donc pas du monde de la création, ni de l’ensemble de l’humanité ou de ce que l’on peut appeler « le monde des humains ». Ce n’est pas la société séculière ou profane qui serait mauvaise, par rapport au monde religieux qui serait bon. Il s’agit finalement d’un esprit, d’une mentalité qui n’est pas liée à un lieu, mais que chacun peut avoir et garder en soi. L’humanité en général, et chacun de nous en particulier, a son côté ombre et son côté lumière. Un ermite peut avoir l’esprit du monde en plein désert et l’on peut avoir l’esprit du Christ et en vivre très concrètement au cœur du monde.
La manière dont on perçoit et dont on comprend le monde est extrêmement importante, car le comportement du croyant et sa spiritualité en dépendent beaucoup.
Si l’on fait une lecture fondamentaliste de la Bible, c’est-à-dire si l’on prend tout à la lettre, sans tenir compte du contexte et de l’ensemble de la révélation, certains textes peuvent conduire à jeter sur le monde, en tant qu’humanité, un regard pessimiste et méfiant.
Alors, toute la création matérielle, toutes les réalités charnelles, toutes les conquêtes de la sciences et les fruits de la raison, sont jugés, si pas tous mauvais, au moins toujours suspects et dangereux. Alors, ce monde fait peur, il apparaît comme une menace pour la foi.
D’où, certaines spiritualités de fuite du monde, qui ont fait dire à certaines époques qu’il n’y avait pas de véritable sainteté possible pour des laïcs, empêtrés dans la vie du siècle. De telles spiritualités engendrent aisément des esprits sectaires, qui s’enferment volontiers dans des ghettos, qui cultivent une orthodoxie pure et dure, à l’abri d’un monde que l’on couvre d’imprécations en attendant qu’il disparaisse. C’est ce qu’on retrouve dans la plupart des sectes et certaines communautés intégristes.
A l’opposé, si l’on tient compte de l’ensemble de l’enseignement évangélique et de la vie de Jésus, cela donne une spiritualité non plus de fuite, mais d’incarnation dans le monde concret tel qu’il est et tel qu’il vit dans l’aujourd’hui de chaque époque.
Autrement dit, le monde s’inscrit toujours à l’intérieur d’un projet divin et inspire la spiritualité qu’il convient de pratiquer quotidiennement. C’est le levain que l’on mélange résolument à la pâte, au lieu de le garder au frigo, à l’abri.
C’est pourquoi, il y a eu très souvent dans le passé et encore aujourd’hui, des relations difficiles, tendues et parfois agressives, entre foi et monde, foi et raison, foi et sciences, foi et modernité. Comme si la foi pouvait être gênée, mise en péril ou contredite par la raison, la science et le progrès, qui sont aussi des dons de Dieu.
Grâce à Dieu, nous n’en sommes plus là aujourd’hui. Au moins dans son enseignement, l’Eglise ne boude pas la modernité au nom de la foi. Elle veut, au contraire, se rendre présente et attentive aux requêtes de ce monde vers lequel elle est envoyée, et c’est là qu’elle rejoint les questions fondamentales de l’être humain (1). Mais demeure toujours, pour l’Eglise comme pour chacun de nous, la tentation de la peur des changements, des nouveautés, et du repli frileux sur le passé.
Et pourquoi, finalement, les apôtres et après eux les chrétiens, sont-ils mis à part ? Pourquoi sont-ils haïs du monde ? Qu’est-ce qui les distingue de ce monde ? La fidélité à ses commandements. Un terme dur, qui évoque d’abord l’ordre et la discipline, l’injonction et la contrainte. Ne s’agit-il pas d’un frein aux élans créateurs, voire même une atteinte à la liberté ? Nous voici confrontés au monde des prescriptions et des règles, des lois et des préceptes ? Une chape de plomb.
Même si Jésus parle de SES commandements, nous verrons défiler sur nos petits écrans intérieurs le décalogue gravé par Moïse dans la pierre. En oubliant qu’avant d’être pétrifiées dans une lettre, ils sont d’abord des paroles d’Alliance, et donc des paroles d’Amour, qui révèlent un esprit, s’incarnent et se prouvent par un comportement. C’est pourquoi la Loi, enfermée dans la prison de sa lettre a la raideur des certitudes et le masque bariolé de vérités uniformément définitives. L’esprit, au contraire, est un souffle qui bouscule, transforme et inspire. Il pousse plus en avant et vers le haut. Il transforme même les cœurs de pierre en cœurs de chair, et la peur paralysante en dynamique confiance.
P. Fabien Deleclos, franciscain (T)
1925 – 2008