Archive pour la catégorie 'Temps de l’Avent'

CÉLÉBRER L’AVENT NE SIGNIFIE RIEN DE PLUS QUE PARLER À DIEU COMME JOB L’A FAIT (PAR J. RATZINGER)

5 décembre, 2020

http://www.gliscritti.it/antologia/entry/1143

CÉLÉBRER L’AVENT NE SIGNIFIE RIEN DE PLUS QUE PARLER À DIEU COMME JOB L’A FAIT (PAR J. RATZINGER)

Cieli e terra nuovi

(traduction Google de l’italien)

- Écrit par Redazione de Gliscritti: 12/05/2013 – 14:09 pm

Au cours de ces semaines, l’église, et nous avec elle, célébrons l’Avent. Si nous essayons de repenser ce que nous avons appris sur l’Avent et sa signification dans notre enfance, nous nous souviendrons qu’on nous a dit que la couronne de l’Avent et ses lumières nous rappellent les millénaires [peut-être des centaines de millénaires] d’histoire. de l’humanité avant Jésus-Christ. Une telle couronne nous rappellerait, ainsi qu’à l’Église, l’époque où une humanité non rachetée attendait la rédemption. Cela nous rappellerait les ténèbres d’une histoire encore non rachetée, dans laquelle les lumières de l’espérance n’étaient que lentement allumées, jusqu’à ce que finalement le Christ, la lumière du monde, vienne et libère le monde des ténèbres du manque de rédemption .
De plus, nous nous souviendrons avoir appris que ces millénaires avant le Christ seraient des temps de perdition provoqués par la chute dans le péché, alors que nous avons appris à appeler les siècles suivant la naissance du Seigneur « anni salutis reparatae », des années de salut restauré . Enfin, nous nous souviendrons qu’on nous a dit que pendant l’Avent l’église ne réfléchit pas seulement sur le passé, dans lequel pour l’humanité l’Avent était un temps de manque de rédemption et d’attente, mais regarde aussi au-delà d’elle-même vers les rangs des ceux qui ne sont pas encore baptisés, de ceux pour qui c’est encore le temps de «l’avènement» , parce qu’ils attendent et vivent encore dans les ténèbres du manque de rédemption.
Quand, en tant qu’hommes de notre siècle et fortifiés par les expériences de notre siècle, nous repensons à ces affirmations que nous avons apprises dans notre enfance, nous ne pouvons guère les accepter pleinement . Les mots qui parlent des années du salut après le Christ, par opposition à celles qui ont précédé sa naissance, ne meurent pas sur nos lèvres, au contraire, ils ne sonnent pas comme une ironie amère, si l’on pense à des dates comme celles de 1914, 1918, 1933, 1939. , 1945, à des dates qui marquent la période des guerres mondiales au cours desquelles des millions d’hommes ont perdu la vie souvent dans des circonstances terribles, à des dates qui éveillent le souvenir d’atrocités, dont l’humanité n’aurait pas été capable auparavant pour des raisons purement techniques? En outre, parmi eux, il y a aussi la date qui commémore le début d’un régime, qui avait conduit à une perfection féroce l’extermination de masse, ainsi que la date qui rappelle l’année où la première bombe atomique a explosé sur un une ville peuplée de créatures humaines et qui, avec son éclat aveuglant, avait donné naissance à une toute nouvelle possibilité d’obscurité pour le monde.
Lorsque nous réfléchissons à ces choses, nous ne sommes tout simplement plus capables de diviser l’histoire en temps de perdition et temps de salut. Si nous élargissons alors notre regard et prenons en considération les désastres et les malheurs que les chrétiens [donc les gens que nous appelons les hommes `` rachetés ''] ont combinés au cours de notre siècle et des siècles précédents , nous ne pouvons plus diviser les peuples du monde en peuples qui ils vivent dans le salut et dans des peuples qui vivent dans le manque de salut. Si nous sommes honnêtes, nous ne peignons plus un tableau en noir et blanc, qui divise l’histoire et la carte géographique en zones de salut et zones de perdition.. Toute l’histoire et l’humanité tout entière nous apparaissent plutôt comme une masse grise, dans laquelle brillent constamment des éclairs d’un bien jamais complètement supprimable, dans laquelle les hommes cherchent continuellement à s’améliorer, mais dans laquelle il y a aussi des chutes continues. toutes les formes effrayantes du mal.
Et ainsi au cours de cette réflexion nous voyons que l’Avent n’est pas [comme on aurait pu le dire dans le passé] une représentation sacrée de la liturgie, dans laquelle il nous fait, pour ainsi dire, retracer à nouveau les voies du passé et il montre une fois de plus de manière plastique ce qu’était la situation autrefois, afin que nous puissions maintenant profiter du salut d’aujourd’hui avec beaucoup plus de joie et de bonheur.
Peut-être devrions-nous plutôt admettre que l’Avent n’est pas seulement une mémoire et une représentation du passé, mais aussi notre présent et notre réalité : pendant ces semaines, l’Église ne détient pas une représentation sacrée, mais nous montre ce qui constitue la vérité. aussi de notre existence chrétienne. Le sens du temps de l’Avent dans l’année liturgique est aussi d’éveiller cette conscience en nous. Elle doit nous pousser à prendre position face à ces faits, à admettre le grand manque de rédemption qui n’a pas plané une seule fois et qui peut-être ne plane encore que quelque part dans le monde , mais qui est aussi une réalité chez nous. et au milieu de l’église.
Il me semble qu’ici nous sommes souvent victimes d’un certain danger: nous ne voulons pas voir ces choses; nous vivons, pour ainsi dire, avec les lumières éteintes, parce que nous craignons que notre foi ne puisse supporter la lumière aveuglante de la réalité . Nous nous protégeons donc contre lui et l’expulsons de la conscience, pour ne pas tomber.
Mais une foi, qui ne reconnaît que la moitié de la réalité ou ne la reconnaît pas du tout, est au fond déjà une forme de rejet de la foi ou du moins une forme très profonde de pusillanimité, qui craint que la foi ne puisse face à la réalité. Elle n’a pas le courage d’admettre que c’est la force qui conquiert le monde. Croire vraiment, en revanche, signifie regarder toute la réalité sans peur et avec un visage ouvert, même si tout cela bat l’image que pour une raison quelconque nous avons faite de la foi. L’existence chrétienne implique donc aussi que nous osons parler, au milieu de la tentation de nos ténèbres, comme l’homme Job avec Dieu. Cela signifie que nous ne pensons pas que nous pouvons seulement présenter la moitié de notre existence à Dieu et que nous devons lui épargner le reste, car peut-être que nous pourrions l’ennuyer.
Non, juste devant lui, nous pouvons et devons présenter très sincèrement tout le poids de notre existence. On oublie un peu trop que dans le livre de Job , qui nous est transmis dans les Saintes Écritures, à la fin du drame, Dieu déclare que Job a raison, qui avait porté les accusations les plus graves, alors qu’il désapprouve ses amis comme des gens qui parlent mal, ces amis qui ils avaient défendu Dieu et trouvé une bonne réponse et une explication à tout.
Célébrer l’Avent ne signifie rien de plus que parler à Dieu comme Job l’a fait . Cela signifie regarder franchement face à toute réalité et tout le poids de notre existence chrétienne et les présenter devant le visage de jugement et salvateur de Dieu, et cela même quand nous n’avons pas de réponse comme Job à leur donner, mais nous n’avons plus qu’à les laisser que Dieu lui-même donne la réponse et lui dis que nous sommes sans réponses dans nos ténèbres.

PAPE BENOÎT XVI – CÉLÉBRATION DES PREMIÈRES VÊPRES DE L’AVENT (2006)

25 novembre, 2019

http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/homilies/2006/documents/hf_ben-xvi_hom_20061202_i-vespri-avvento.html

fr enAvvento-

CÉLÉBRATION DES PREMIÈRES VÊPRES DE L’AVENT (2006)

HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI

Basilique Vaticane
Samedi 2 décembre 2006

Chers frères et soeurs!

La première antienne de cette célébration des Vêpres se présente comme une ouverture du temps de l’Avent et retentit comme une antienne de l’année liturgique tout entière. Ecoutons-la à nouveau: « Faites-en l’annonce aux peuples: Voici que Dieu vient, notre Sauveur ». Au début d’un nouveau cycle annuel, la liturgie invite l’Eglise à renouveler son annonce à toutes les nations et elle la résume en deux mots: « Dieu vient ». Cette expression si synthétique contient une force de suggestion toujours nouvelle. Arrêtons-nous un instant pour réfléchir: on n’utilise pas le passé – Dieu est venu -, ni le futur – Dieu viendra -, mais le présent: « Dieu vient ». Il s’agit, tout compte faite, d’un présent continu, c’est-à-dire d’une action toujours en cours: elle a eu lieu, elle a lieu et elle aura encore lieu. A chaque instant, « Dieu vient ». Le verbe « venir » apparaît ici comme un verbe théologique, voire même « théologal », car il nous dit quelque chose qui concerne la nature même de Dieu. Annoncer que Dieu « vient » équivaut, donc, à annoncer simplement Dieu lui-même, à travers l’une de ses caractéristiques essentielles et qualifiante: être le Dieu-qui-vient.
L’Avent rappelle les croyants à prendre conscience de cette vérité et à agir en conséquence. Il retentit comme un appel salutaire dans la succession des jours, des semaines, des mois: Réveille-toi! Rappelle-toi que Dieu vient! Pas hier, pas demain, mais aujourd’hui, maintenant! L’unique vrai Dieu, « le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob », n’est pas un Dieu qui reste dans le ciel, ne s’intéressant pas à nous ni à notre histoire, mais il est le Dieu-qui-vient. C’est un Père qui ne cesse jamais de penser à nous et, avec un extrême respect pour notre liberté, qui désire nous rencontrer et nous visiter; il veut venir, demeurer parmi nous, rester avec nous. Sa « venue » est poussée par la volonté de nous libérer du mal et de la mort, de tout ce qui empêche notre véritable bonheur. Dieu vient nous sauver.
Les Pères de l’Eglise observent que la « venue » de Dieu – permanente et, pour ainsi dire, connaturelle à son être même – se concentre dans les deux principales venues du Christ, celle de son Incarnation et celle de son retour glorieux à la fin de l’histoire (cf. Cyrille de Jérusalem, Catéchèses, 15, 1: PG 33, 870). Le temps de l’Avent vit entièrement de cette polarité. Au cours des premiers jours, l’accent tombe sur l’attente de la venue ultime du Seigneur, comme le démontrent aussi les textes de la célébration des Vêpres d’aujourd’hui. Ensuite, à l’approche de Noël, prévaudra ensuite la mémoire de l’événement de Bethléem, pour reconnaître dans celui-ci la « plénitude du temps ». Parmi ces deux venues « manifestes » on peut en identifier une troisième, que saint Bernard appelle « intermédiaire » et « occulte », qui se produit dans l’âme des croyants et qui jette comme un « pont » entre la première et la dernière. « Dans la première – écrit saint Bernard – le Christ fut notre rédemption, dans la dernière, il se manifestera comme notre vie, dans celle-ci il est notre repos et notre réconfort » (Disc. 5 sur l’Avent, 1). Pour cette venue du Christ, que nous pourrions appeler « incarnation spirituelle », l’archétype est toujours Marie. De même que la Vierge Mère conserva dans son coeur le Verbe fait chair, aujourd’hui aussi, chaque âme et l’Eglise tout entière sont appelées, dans leur pèlerinage terrestre, à attendre le Christ qui vient et à l’accueillir avec une foi et un amour toujours renouvelés.
La liturgie de l’Avent met ainsi en lumière la manière dont l’Eglise se fait le porte-parole de l’attente de Dieu, profondément inscrite dans l’histoire de l’humanité; une attente souvent malheureusement étouffée ou déviée vers de fausses directions. Corps mystiquement uni au Christ Tête, l’Eglise est sacrement, c’est-à-dire le signe et également l’instrument efficace de cette attente de Dieu. Dans une mesure que Lui seul connaît, la communauté chrétienne peut en hâter l’avènement final, en aidant l’humanité à aller à la rencontre du Seigneur qui vient. Et elle fait cela avant tout à travers la prière, mais pas seulement. Les « bonnes oeuvres » sont ensuite essentielles et inséparables de la prière, comme le rappelle la prière de ce Premier Dimanche de l’Avent, avec laquelle nous demandons au Père céleste de susciter en nous « la volonté d’aller à la rencontre, à travers les bonnes oeuvres », du Christ qui vient. Dans cette perspective, l’Avent est plus que jamais adapté à être un temps vécu en communion avec tous ceux – et grâce à Dieu ils sont très nombreux – qui croient en un monde plus juste et plus fraternel. Dans cet engagement pour la justice peuvent, dans une certaine mesure, se retrouver ensemble des hommes de toute nationalité et culture, des croyants et des non-croyants. Tous sont en effet animés par une aspiration commune, bien que différente dans ses motivations, en vue d’un avenir de justice et de paix.
La paix est l’objectif auquel aspire l’humanité tout entière! Pour les croyants, la « paix » est l’un des plus beaux noms de Dieu, qui désire l’entente de tous ses fils, comme j’ai également eu l’occasion de le rappeler lors de mon pèlerinage de ces derniers jours en Turquie. Un chant de paix a retenti dans les cieux lorsque Dieu s’est fait homme et est né d’une femme, dans la plénitude des temps (cf. Ga 4, 4). Commençons donc ce nouvel Avent – un temps qui nous a été donné par le Seigneur du temps – en réveillant dans nos coeurs l’attente du Dieu-qui-vient et l’espérance que son Nom soit sanctifié, que son Règne de justice et de paix vienne, que sa volonté soit faite sur la terre comme au Ciel.
Laissons-nous guider, dans cette attente, par la Vierge Marie, Mère du Dieu-qui-vient, Mère de l’espérance. Qu’Elle, que nous célébrerons Immaculée dans quelques jours, obtienne pour nous d’être trouvés saints et immaculés dans l’amour, lors de la venue de notre Seigneur Jésus Christ, à qui, avec le Père et l’Esprit Saint, soit rendu louange et gloire pour les siècles des siècles. Amen!

 

HOMÉLIE DU 2E DIMANCHE DE L’AVENT B

8 décembre, 2017

http://parolesdudimanche.blogs.lalibre.be/

en e fr - Copia

Saint Jean-Baptiste

HOMÉLIE DU 2E DIMANCHE DE L’AVENT B

Is 40, 1-5.9-11 ; 2 P 2, 3, 8-14 ; Lc 3, 4-6

Nous avons tous déjà eu l’occasion de voir de grands travaux de terrassement. Souvenons-nous du tunnel sous la Manche, par exemple. On a utilisé d’énormes machines de 150 mètres de long et pesant chacune 400 tonnes. Rappelez-vous l’ampleur des travaux, les obstacles à franchir, la patience nécessaire pour tracer une voie sous la Manche, afin que trains et voitures puissent passer  » à roues sèches « . Impressionnant !
L’auteur du livre d’Isaïe a été lui aussi très impressionné. Au cours de son exil à Babylone, il y a près de 2500 ans, il a très probablement, comme ses concitoyens, travaillé comme esclave dans les grands travaux de remblaiement et de nivellement. Notamment pour tracer une route dans le désert, à l’est du Jourdain, pour le retour du roi victorieux, Ou encore cette fameuse voie sacrée, construite à Babylone et réaménagée chaque année, pour que les fidèles puissent venir en procession jusqu’au temple, pour honorer le dieu Mardouk.
Pour relever le moral de ses troupes, et faire espérer un prochain retour au pays, le prophète s’est servi de ces chefs-d’œuvre du génie civil et de ses prouesses techniques pour les traduire en un langage symbolique et spirituel :  » Préparez à travers le désert le chemin du Seigneur « . Cinq cents ans plus tard, Jean Baptiste va reprendre à son compte les mêmes images. Comme nous pouvons nous aussi les reprendre aujourd’hui et les actualiser.
La période de l’Avent est bien là pour nous réveiller et nous mobiliser. Il y a de grands travaux à entreprendre pour tracer dans le désert du monde et les terres arides de notre cœur un chemin, une route pour le Seigneur. Ce qui demande conviction et patience, confiance et persévérance.
Sur le terrain matériel, la météo par exemple, peut être très dérangeante, sans parler de grèves toujours possibles et des obstacles imprévus. Sur le plan spirituel, il peut y avoir des tentations auxquelles on succombe. Le découragement qui s’infiltre. La foi qu faiblit. La paresse qui s’installe. La gourmandise, de nourriture ou de plaisirs qui nous alourdissent de corps et d’âme.
Encore faut-il savoir qu’il y a une triple venue du Seigneur. Comme le prêchait saint Bernard : Dans la première, le Christ est venu dans la chair et la faiblesse. Il a vécu avec les hommes et les femmes de son temps. Beaucoup l’ont pris en haine. Plus tard, à la fin, il viendra dans la gloire et la majesté, pour séparer les brebis des chèvres.
Mais, entre les deux, il y a la venue intermédiaire, journalière. Celle qui reste cachée, présente en esprit. Elle a été annoncée par Jésus lui-même : « Si quelqu’un m’aime, il gardera mes paroles et mon Père l’aimera et nous viendrons à lui ». Puisqu’ils trouveront la porte de notre cœur ouverte. C’est d’ailleurs ainsi que Marie a préparé la venue du Seigneur. Elle est le modèle de l’Avent, celui de la patience et de l’espérance. Avant même de concevoir Jésus dans la chair, Marie l’avait accueilli et conçu dans la foi. « Heureuse celle qui t’a porté et allaité », s’exclamera un jour une femme. « Heureux plutôt ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui l’observent », répond Jésus (Lc 11, 27-28).
Tout cela veut dire que l’œuvre du Sauveur, le Salut qu’il offre, l’établissement de son Royaume de justice et de paix, ne nous est pas offert clé sur la porte. Il ne dépend pas non plus uniquement de nos efforts.
De même, le Royaume de Dieu se développe lentement. Nous pouvons cependant le reconnaître à des signes de croissance. Mais pas seulement dans les champs cultivés par les Eglises. Tout progrès d’une véritable justice, tout effort authentique de paix, toute démarche sincère de pardon et d’amour du prochain, contribue à la croissance du Royaume et en prépare l’achèvement.
Libérateur et Berger, Seigneur et Serviteur, Chemin, Vérité et Vie, Jésus est venu, il reviendra et ne cesse de venir chaque jour pour faire toutes choses nouvelles. Mais pas sans nous. Pas sans les grands travaux que suppose une conversion. Il s’agit de désencombrer nos étables, rectifier le tracé de nos chemins, abaisser nos montagnes d’orgueil et d’intolérance, combler les vides de nos existences que nous croyons si remplies. Le repas de la Parole et du Pain y contribue. Il est un peu le sacrement de la patience de Dieu. L’eucharistie est d’ailleurs célébrée  » jusqu’à ce qu’il revienne « . Elle est un lent et patient retour du Seigneur dans l’histoire de l’humanité, et de chacun de nous en particulier.
« Heureux qui écoute la Parole de Dieu et qui la garde ». Et pour cela, il faut la méditer, la ruminer, et la digérer, pour qu’elle se transforme en actes.

P. Fabien Deleclos (T)

1925 – 2008

PREMIÈRES VÊPRES DE L’AVENT – HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI

28 novembre, 2017

https://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/homilies/2010/documents/hf_ben-xvi_hom_20101127_vespri-avvento.html

pens e fr battistero-museo-del-bardo-tunisi

Baptistère du Musée du Bardo, Tunis

CÉLÉBRATION DES PREMIÈRES VÊPRES DE L’AVENT

HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI

Basilique vaticane

Samedi 27 novembre 2010

Chers frères et sœurs,

Avec cette célébration des Vêpres, le Seigneur nous donne la grâce et la joie d’inaugurer la Nouvelle Année liturgique à partir de sa première étape: l’Avent, la période qui fait mémoire de la venue de Dieu parmi nous. Chaque début comporte une grâce particulière, car il est béni par le Seigneur. Au cours de cet Avent, il nous sera donné, une fois de plus, de faire l’expérience de la proximité de Celui qui a créé le monde, qui oriente l’histoire et qui a pris soin de nous jusqu’à arriver au sommet de sa complaisance: en se faisant homme. C’est précisément le grand et fascinant mystère du Dieu avec nous, et même du Dieu qui se fait l’un de nous, que nous célébrerons au cours des prochaines semaines, en nous mettant en marche vers Noël. Au cours du temps de l’Avent, nous sentirons l’Eglise nous prendre par la main et, à l’image de la Très Sainte Vierge Marie, nous exprimer sa maternité en nous faisant faire l’expérience de l’attente joyeuse de la venue du Seigneur, qui nous embrasse tous dans son amour qui sauve et réconforte.
Tandis que nos cœurs tendent vers la célébration annuelle de la naissance du Christ, la liturgie de l’Eglise oriente notre regard vers le but ultime: la rencontre avec le Seigneur, qui viendra dans la splendeur de la gloire. C’est pourquoi, nous qui, dans chaque Eucharistie, «annonçons sa mort, proclamons sa résurrection dans l’attente de sa venue», nous veillons dans la prière. La liturgie ne se lasse jamais de nous encourager et de nous soutenir, en plaçant sur nos lèvres, au cours des jours de l’Avent, le cri par lequel se conclut toute la Sainte Ecriture, dans la dernière page de l’Apocalypse de Jean: «Viens, Seigneur Jésus!» (22, 20).
Chers frères et sœurs, notre rassemblement ce soir en vue de commencer le chemin de l’Avent s’enrichit d’un autre motif important: avec toute l’Eglise, nous voulons célébrer solennellement une veillée de prière pour la vie naissante. Je désire exprimer mes remerciements à tous ceux qui ont répondu à cette invitation et à ceux qui se consacrent de façon spécifique à accueillir et à protéger la vie humaine dans ses diverses situations de fragilité, en particulier à ses débuts et dans ses premiers pas. Le début de l’Année liturgique nous fait vivre précisément à nouveau l’attente de Dieu qui se fait chair dans le sein de la Vierge Marie, de Dieu qui se fait petit, devient enfant; il nous parle de la venue d’un Dieu proche, qui a voulu reparcourir la vie de l’homme, depuis ses débuts, et ce pour la sauver totalement, en plénitude. Et ainsi, le mystère de l’Incarnation du Seigneur et le début de la vie humaine sont intimement et harmonieusement liés entre eux au sein de l’unique dessein salvifique de Dieu, Seigneur de la vie de tous et de chacun. L’Incarnation nous révèle avec une lumière intense et de façon surprenante que chaque vie humaine possède une dignité très élevée, incomparable.
L’homme présente une originalité indéniable par rapport à tous les autres êtres vivants qui peuplent la terre. Il se présente comme sujet unique et singulier, doté d’intelligence et de volonté libre, et composé de réalité matérielle. Il vit de façon simultanée et indissociable dans la dimension spirituelle et dans la dimension corporelle. C’est ce que suggère également le texte de la Première Lettre aux Thessaloniciens, qui a été proclamée: «Que le Dieu de la paix lui-même — écrit saint Paul — vous sanctifie totalement, et que votre être entier, l’esprit, l’âme et le corps, soit gardé sans reproche à l’Avènement de notre Seigneur Jésus Christ» (5, 23). Nous sommes donc esprit, âme et corps. Nous faisons partie de ce monde, liés aux possibilités et aux limites de la condition matérielle; dans le même temps, nous sommes ouverts à un horizon infini, capables de dialoguer avec Dieu et de l’accueillir en nous. Nous œuvrons dans les réalités terrestres et à travers elles, nous pouvons percevoir la présence de Dieu et tendre vers Lui, vérité, bonté et beauté absolue. Nous goûtons des fragments de vie et de bonheur et nous aspirons à la plénitude totale.
Dieu nous aime de façon profonde, totale, sans distinction; il nous appelle à l’amitié avec Lui; il nous fait participer à une réalité au delà de toute imagination et de toute pensée et parole: sa vie divine elle-même. Avec émotion et gratitude, nous prenons conscience de la valeur, de la dignité incomparable de toute personne humaine et de la responsabilité que nous avons envers tous. «Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation… par son incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme» (Const. Gaudium et spes, n. 22).
Croire en Jésus Christ exige également de porter un regard nouveau sur l’homme, un regard de confiance, d’espérance. Du reste, l’expérience même et la juste raison attestent que l’être humain est un sujet capable d’entendre et de vouloir, conscient de lui-même et libre, unique et irremplaçable, sommet de toutes les réalités terrestres, qui exige d’être reconnu comme valeur en lui-même et mérite toujours d’être accueilli avec respect et amour. Il a le droit de ne pas être traité comme un objet à posséder ou comme une chose que l’on peut manipuler selon son bon vouloir, de ne pas être réduit à un simple instrument au bénéfice des autres et de leurs intérêts. La personne est un bien en elle-même et il faut toujours rechercher son développement intégral. Ensuite, l’amour envers tous, s’il est sincère, tend spontanément à devenir une attention préférentielle pour les plus pauvres et les plus faibles. C’est dans cette optique que s’inscrit la sollicitude de l’Eglise pour la vie naissante, la plus fragile, la plus menacée par l’égoïsme des adultes et par l’obscurcissement des consciences. L’Eglise réaffirme sans cesse ce qu’a déclaré le Concile Vatican II: «La vie, une fois conçue, doit être protégée avec le plus grand soin» (ibid., n. 51).
Il existe des tendances culturelles qui cherchent à anesthésier les consciences par des motivations qui sont des prétextes. A propos de l’embryon dans le sein maternel, la science elle-même met en évidence son autonomie capable d’interagir avec sa mère, la coordination de processus biologiques, la continuité du développement, la complexité croissante de l’organisme. Il ne s’agit pas d’une accumulation de matériel biologique, mais d’un nouvel être vivant, dynamique et merveilleusement ordonné, un nouvel individu de l’espèce humaine. Il en a été ainsi pour Jésus dans le sein de Marie; il en a été ainsi pour chacun de nous, dans le sein de sa mère. Avec l’antique auteur chrétien Tertullien, nous pouvons affirmer: «Il est déjà un homme celui qui le sera» (Apologétique, IX, 8); il n’y a aucune raison de ne pas le considérer comme une personne dès sa conception.
Malheureusement, après la naissance également, la vie des enfants continue à être exposée à l’abandon, à la faim, à la misère, à la maladie, aux abus, à la violence, à l’exploitation. Les multiples violations de leurs droits qui sont commises dans le monde blessent douloureusement la conscience de chaque homme de bonne volonté. Devant le triste panorama des injustices commises contre la vie de l’homme, avant et après la naissance, je fais mien l’appel passionné du Pape Jean-Paul II à la responsabilité de tous et de chacun: «Respecte, défends, aime et sers la vie, toute la vie humaine! C’est seulement sur cette voie que tu trouveras la justice, le développement, la liberté véritable, la paix et le bonheur!» (Enc. Evangelium vitae, n. 5). J’exhorte les acteurs de la politique, de l’économie et de la communication sociale à faire ce qui est en leur pouvoir, pour promouvoir une culture toujours respectueuse de la vie humaine, pour créer des conditions favorables et des réseaux de soutien à l’accueil et au développement de celle-ci.
Nous confions à la Vierge Marie, qui a accueilli le Fils de Dieu fait homme par sa foi, dans son sein maternel, avec une sollicitude prévenante, en l’accompagnant de façon solidaire et vibrante d’amour, la prière et l’engagement en faveur de la vie naissante. Nous le faisons dans la liturgie — qui est le lieu où nous vivons la vérité et où la vérité vit avec nous — en adorant la divine Eucharistie, dans laquelle nous contemplons le Corps du Christ, ce Corps qui s’incarna en Marie par l’œuvre de l’Esprit Saint, et qui naquit d’elle à Bethléem, pour notre salut. Ave, verum corpus, natum de Maria Virgine!

 

CÉLÉBRATION DES PREMIÈRES VÊPRES DE L’AVENT (2010) – HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI

16 décembre, 2016

http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/homilies/2010/documents/hf_ben-xvi_hom_20101127_vespri-avvento.html

CÉLÉBRATION DES PREMIÈRES VÊPRES DE L’AVENT (2010) – HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI

Basilique vaticane

Samedi 27 novembre 2010

Chers frères et sœurs,

Avec cette célébration des Vêpres, le Seigneur nous donne la grâce et la joie d’inaugurer la Nouvelle Année liturgique à partir de sa première étape: l’Avent, la période qui fait mémoire de la venue de Dieu parmi nous. Chaque début comporte une grâce particulière, car il est béni par le Seigneur. Au cours de cet Avent, il nous sera donné, une fois de plus, de faire l’expérience de la proximité de Celui qui a créé le monde, qui oriente l’histoire et qui a pris soin de nous jusqu’à arriver au sommet de sa complaisance: en se faisant homme. C’est précisément le grand et fascinant mystère du Dieu avec nous, et même du Dieu qui se fait l’un de nous, que nous célébrerons au cours des prochaines semaines, en nous mettant en marche vers Noël. Au cours du temps de l’Avent, nous sentirons l’Eglise nous prendre par la main et, à l’image de la Très Sainte Vierge Marie, nous exprimer sa maternité en nous faisant faire l’expérience de l’attente joyeuse de la venue du Seigneur, qui nous embrasse tous dans son amour qui sauve et réconforte.
Tandis que nos cœurs tendent vers la célébration annuelle de la naissance du Christ, la liturgie de l’Eglise oriente notre regard vers le but ultime: la rencontre avec le Seigneur, qui viendra dans la splendeur de la gloire. C’est pourquoi, nous qui, dans chaque Eucharistie, «annonçons sa mort, proclamons sa résurrection dans l’attente de sa venue», nous veillons dans la prière. La liturgie ne se lasse jamais de nous encourager et de nous soutenir, en plaçant sur nos lèvres, au cours des jours de l’Avent, le cri par lequel se conclut toute la Sainte Ecriture, dans la dernière page de l’Apocalypse de Jean: «Viens, Seigneur Jésus!» (22, 20).
Chers frères et sœurs, notre rassemblement ce soir en vue de commencer le chemin de l’Avent s’enrichit d’un autre motif important: avec toute l’Eglise, nous voulons célébrer solennellement une veillée de prière pour la vie naissante. Je désire exprimer mes remerciements à tous ceux qui ont répondu à cette invitation et à ceux qui se consacrent de façon spécifique à accueillir et à protéger la vie humaine dans ses diverses situations de fragilité, en particulier à ses débuts et dans ses premiers pas. Le début de l’Année liturgique nous fait vivre précisément à nouveau l’attente de Dieu qui se fait chair dans le sein de la Vierge Marie, de Dieu qui se fait petit, devient enfant; il nous parle de la venue d’un Dieu proche, qui a voulu reparcourir la vie de l’homme, depuis ses débuts, et ce pour la sauver totalement, en plénitude. Et ainsi, le mystère de l’Incarnation du Seigneur et le début de la vie humaine sont intimement et harmonieusement liés entre eux au sein de l’unique dessein salvifique de Dieu, Seigneur de la vie de tous et de chacun. L’Incarnation nous révèle avec une lumière intense et de façon surprenante que chaque vie humaine possède une dignité très élevée, incomparable.
L’homme présente une originalité indéniable par rapport à tous les autres êtres vivants qui peuplent la terre. Il se présente comme sujet unique et singulier, doté d’intelligence et de volonté libre, et composé de réalité matérielle. Il vit de façon simultanée et indissociable dans la dimension spirituelle et dans la dimension corporelle. C’est ce que suggère également le texte de la Première Lettre aux Thessaloniciens, qui a été proclamée: «Que le Dieu de la paix lui-même — écrit saint Paul — vous sanctifie totalement, et que votre être entier, l’esprit, l’âme et le corps, soit gardé sans reproche à l’Avènement de notre Seigneur Jésus Christ» (5, 23). Nous sommes donc esprit, âme et corps. Nous faisons partie de ce monde, liés aux possibilités et aux limites de la condition matérielle; dans le même temps, nous sommes ouverts à un horizon infini, capables de dialoguer avec Dieu et de l’accueillir en nous. Nous œuvrons dans les réalités terrestres et à travers elles, nous pouvons percevoir la présence de Dieu et tendre vers Lui, vérité, bonté et beauté absolue. Nous goûtons des fragments de vie et de bonheur et nous aspirons à la plénitude totale.
Dieu nous aime de façon profonde, totale, sans distinction; il nous appelle à l’amitié avec Lui; il nous fait participer à une réalité au delà de toute imagination et de toute pensée et parole: sa vie divine elle-même. Avec émotion et gratitude, nous prenons conscience de la valeur, de la dignité incomparable de toute personne humaine et de la responsabilité que nous avons envers tous. «Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation… par son incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme» (Const. Gaudium et spes, n. 22).
Croire en Jésus Christ exige également de porter un regard nouveau sur l’homme, un regard de confiance, d’espérance. Du reste, l’expérience même et la juste raison attestent que l’être humain est un sujet capable d’entendre et de vouloir, conscient de lui-même et libre, unique et irremplaçable, sommet de toutes les réalités terrestres, qui exige d’être reconnu comme valeur en lui-même et mérite toujours d’être accueilli avec respect et amour. Il a le droit de ne pas être traité comme un objet à posséder ou comme une chose que l’on peut manipuler selon son bon vouloir, de ne pas être réduit à un simple instrument au bénéfice des autres et de leurs intérêts. La personne est un bien en elle-même et il faut toujours rechercher son développement intégral. Ensuite, l’amour envers tous, s’il est sincère, tend spontanément à devenir une attention préférentielle pour les plus pauvres et les plus faibles. C’est dans cette optique que s’inscrit la sollicitude de l’Eglise pour la vie naissante, la plus fragile, la plus menacée par l’égoïsme des adultes et par l’obscurcissement des consciences. L’Eglise réaffirme sans cesse ce qu’a déclaré le Concile Vatican II: «La vie, une fois conçue, doit être protégée avec le plus grand soin» (ibid., n. 51).
Il existe des tendances culturelles qui cherchent à anesthésier les consciences par des motivations qui sont des prétextes. A propos de l’embryon dans le sein maternel, la science elle-même met en évidence son autonomie capable d’interagir avec sa mère, la coordination de processus biologiques, la continuité du développement, la complexité croissante de l’organisme. Il ne s’agit pas d’une accumulation de matériel biologique, mais d’un nouvel être vivant, dynamique et merveilleusement ordonné, un nouvel individu de l’espèce humaine. Il en a été ainsi pour Jésus dans le sein de Marie; il en a été ainsi pour chacun de nous, dans le sein de sa mère. Avec l’antique auteur chrétien Tertullien, nous pouvons affirmer: «Il est déjà un homme celui qui le sera» (Apologétique, IX, 8); il n’y a aucune raison de ne pas le considérer comme une personne dès sa conception.
Malheureusement, après la naissance également, la vie des enfants continue à être exposée à l’abandon, à la faim, à la misère, à la maladie, aux abus, à la violence, à l’exploitation. Les multiples violations de leurs droits qui sont commises dans le monde blessent douloureusement la conscience de chaque homme de bonne volonté. Devant le triste panorama des injustices commises contre la vie de l’homme, avant et après la naissance, je fais mien l’appel passionné du Pape Jean-Paul II à la responsabilité de tous et de chacun: «Respecte, défends, aime et sers la vie, toute la vie humaine! C’est seulement sur cette voie que tu trouveras la justice, le développement, la liberté véritable, la paix et le bonheur!» (Enc. Evangelium vitae, n. 5). J’exhorte les acteurs de la politique, de l’économie et de la communication sociale à faire ce qui est en leur pouvoir, pour promouvoir une culture toujours respectueuse de la vie humaine, pour créer des conditions favorables et des réseaux de soutien à l’accueil et au développement de celle-ci.
Nous confions à la Vierge Marie, qui a accueilli le Fils de Dieu fait homme par sa foi, dans son sein maternel, avec une sollicitude prévenante, en l’accompagnant de façon solidaire et vibrante d’amour, la prière et l’engagement en faveur de la vie naissante. Nous le faisons dans la liturgie — qui est le lieu où nous vivons la vérité et où la vérité vit avec nous — en adorant la divine Eucharistie, dans laquelle nous contemplons le Corps du Christ, ce Corps qui s’incarna en Marie par l’œuvre de l’Esprit Saint, et qui naquit d’elle à Bethléem, pour notre salut. Ave, verum corpus, natum de Maria Virgine!

 

CIEUX, RÉPANDEZ VOTRE JUSTICE, QUE DES NUÉES DESCENDE LE SALUT! (AVENT)

26 novembre, 2015

http://www.oeuvre-fso.org/francais/?p=40

CIEUX, RÉPANDEZ VOTRE JUSTICE, QUE DES NUÉES DESCENDE LE SALUT! (AVENT)

Thème: Méditations

La richesse de la tradition liturgique de l’Église nous offre l’hymne ancien du Rorate Cæli comme un point de réflexion récurrent pendant l’Avent. Chanté traditionnellement par les religieux tous les jours de l’Avent en chant grégorien, le nom de l’hymne est dérivé du verset d’ouverture et du refrain, celui-ci étant pris du livre du prophète Isaïe : «Cieux, épanchez-vous là-haut, et que les nuages déversent la justice, que la terre s’ouvre et produise le salut, qu’elle fasse germer en même temps la justice. C’est moi, Yahvé, qui ai créé cela.» (Is 45,8). Ce verset du prophète Isaïe résume de façon extraordinaire l’attente patiente du Peuple de Dieu pour le Messie promis. Dans ce verset apparemment sans importance, nous voyons comment le prophète utilise au sens figuré la prière bien connue du Peuple de Dieu pour la récolte, suppliant Dieu d’accorder le don de la rédemption : «Car de même que la terre fait éclore ses germes et qu’un jardin fait germer sa semence, ainsi le Seigneur Dieu fait germer la justice et la louange devant toutes les nations.» (Is 61,11). Dans l’Ancien Testament, le don ou le manque de pluie étaient vus comme un signe de la bienveillance ou de la disgrâce de Dieu. La pluie pour la récolte était perçue comme récompense pour la fidélité à l’alliance car c’est Dieu seul qui donne la croissance et la persistance : «Assurément, si vous obéissez vraiment à mes commandements que je vous prescris aujourd’hui, aimant Yahvé votre Dieu et le servant de tout votre coeur et de toute votre âme, je donnerai à votre pays la pluie en son temps, pluie d’automne et pluie de printemps, et tu pourras récolter ton froment … et tu mangeras et te rassasieras.» (Dt 11,13-15). Reconnaissant sa dépendance totale de Dieu, Israël fit alors sa prière annuelle à Dieu non seulement pour que la pluie tombe mais, ce qui est encore plus important, pour que la pluie tombe au temps opportun. Israël a vécu une période d’attente patiente en l’accompagnant de la prière, sachant que le succès ou l’échec des récoltes en dépendait ou autrement dit soit la vie et l’abondance ou bien la faim et la mort pour ce peuple agricole. C’est dans cette supplication même du Peuple de Dieu pour que la pluie fertilise le sol desséché au temps opportun que le prophète Isaïe voit, de façon analogue, la supplication de son Peuple pour le Sauveur qui doit venir pour arroser la terre qui espère si ardemment la rédemption. Saint Paul écrit aux Galates : «Mais, lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme.» (Ga 4,4). Par l’incarnation du Christ, Dieu a versé sa grâce sur la terre et visité nos coeurs durs et desséchés. C’est ce qu’exprime de façon sublime le troisième verset du Rorate Cæli : «Regarde, Seigneur, l’abattement de ton Peuple, et envoie Celui qui doit venir! Envoie l’Agneau souverain de l’Univers, du Rocher du désert jusqu’à la montagne de la Fille de Sion, et qu’Il nous délivre du joug de nos péchés !». De nos jours, nous entendons que les déserts du monde se répandent rapidement. Nous devrions peut-être adopter la tenue du prophète Isaïe et demander en cet Avent que Dieu vienne visiter le désert spirituel du monde, afin de désaltérer ceux qui ont soif de la grâce et ainsi laisser Dieu naître dans beaucoup de coeurs à Noël, car «Le voici maintenant le moment favorable, le voici maintenant le jour du salut» (2 Co 6,2).

Prière : Dieu notre Père, Tu es la source de toute vie, croissance et développement. Viens, nous te prions, visite nos coeurs et accorde la grâce renouvelante du Christ en cet Avent. Puissent les cieux déverser le Sauveur et faire fleurir la foi, l’espérance et la charité sur le sol desséché du monde, car de Lui dépend notre vie et nous attendons sa venue avec un désir ardent. Amen.

P. CANTALAMESSA – AVENT 2012: 1. LE LIVRE « MANGÉ »

16 décembre, 2014

http://www.cantalamessa.org/?p=1876&lang=fr

PREMIÈRE PRÉDICATION DE L’AVENT 2012

1. LE LIVRE « MANGÉ »

P. CANTALAMESSA

Dans ma prédication à la Maison pontificale, j’essaie de me laisser guider, dans le choix des thèmes, par les grâces ou les événements que l’Eglise est en train de vivre à un moment donnée de son histoire. Récemment, nous avons eu l’ouverture de l’Année de la foi, le cinquantième anniversaire du concile Vatican II et le synode pour l’évangélisation et la transmission de la foi chrétienne. J’ai donc pensé centrer ma réflexion de l’Avent sur chacun de ces trois évènements.
Je commence par l’Année de la foi. Pour ne pas me perdre dans un thème aussi vaste que la foi, je me concentre sur un point de la lettre « Porta fidei » du Saint-Père Benoit XVI, à l’endroit précis où il exhorte chaleureusement à faire du Catéchisme de l’Eglise Catholique, dont on fête cette année le vingtième anniversaire de publication, un outil de prédilection pour vivre fructueusement la grâce de cette année. Voici les mots du pape :
« L’Année de la foi devra exprimer un engagement général pour la redécouverte et l’étude des contenus fondamentaux de la foi qui trouvent dans le Catéchisme de l’Eglise Catholique leur synthèse systématique et organique. Ici, en effet, émerge la richesse d’enseignement que l’Église a accueillie, gardée et offerte au cours de ses deux mille ans d’histoire. De l’Écriture sainte aux Pères de l’Église, des maîtres de théologie aux saints qui ont traversé les siècles, le Catéchisme offre une mémoire permanente des nombreuses façons dans lesquelles l’Église a médité sur la foi et produit un progrès dans la doctrine pour donner certitude aux croyants dans leur vie de foi »[1].
Je ne parlerai certes pas du contenu du Catéchisme de l’Eglise Catholique, de ses répartitions, des critères informatifs ; ce serait comme vouloir expliquer la Divine Comédie à Dante Alighieri. Je voudrais plutôt m’efforcer de montrer comment on peut transformer ce livre, muet comme un précieux instrument musical posé sur du velours, en un instrument qui joue et secoue les cœurs. La Passion selon Matthieu de Bach est restée pendant près d’un siècle à l’état de partition écrite, conservée au fond d’archives musicales, jusqu’au moment où Félix Mendelssohn l’a fait connaître par une exécution magistrale à Berlin en 1829 ; depuis ce jour-là tout le monde connait les mélodies et les chœurs sublimes que ces pages renfermaient.
C’est un peu ce qui arrive avec chaque livre qui parle de la foi, y compris le Catéchisme de l’Eglise Catholique: on doit passer de la partition à l’exécution, d’une page muette à quelque chose de vivant qui touche le cœur. L’image d’Ézéchiel tenant un rouleau dans sa main tendue nous aide à comprendre ce qui est demandé pour que cela ait lieu :
« Alors je vis une main tendue vers moi : elle tenait un livre en forme de rouleau; et le déroula devant moi ; ce rouleau était écrit au-dedans et au-dehors, il contenait des chants de deuil, des plaintes et des lamentations. Le Seigneur me dit : « Fils d’homme, mange ce qui est devant toi, mange ce rouleau, et va parler à la maison d’Israël. ». J’ouvris la bouche, il me fit manger le rouleau, et il me dit : « Fils d’homme, remplis ton ventre, rassasie tes entrailles avec ce rouleau que je te donne ». Je le mangeai donc, et dans ma bouche il fut doux comme du miel » (Ez 2,9-3,3).
Le pape est la main qui tend, encore une fois, à l’Eglise, le Catéchisme de l’Eglise Catholique, disant à chaque catholique: « Prends ce livre, mange-le, remplis ton ventre de lui». Que veut dire « manger » un livre ? Pas seulement l’étudier, l’analyser, le mémoriser, mais en faire la chair de sa propre chair et le sang de son propre sang, « l’assimiler », comme on le fait matériellement avec la nourriture que nous mangeons. Passer de la foi étudiée ou proclamée à la foi vécue.
C’est quelque chose qu’on ne peut pas faire avec le livre tout entier, vu son volume, et avec chaque chose qu’on y lit. Impossible donc de le faire de manière analytique, mais seulement synthétique. Je m’explique. Il nous faut saisir le principe qui informe et unifie le tout, en somme le cœur battant du Catéchisme de l’Eglise Catholique. Et quel est ce cœur ? Pas un dogme, ni une vérité, une doctrine ou un principe éthique. C’est une personne: Jésus Christ! « Page après page – écrit le Saint-Père à propos du Catéchisme de l’Eglise Catholique, dans cette même lettre apostolique – on découvre que tout ce qui est présenté n’est pas une théorie, mais la rencontre avec une Personne qui vit dans l’Église ».
Si les Ecritures, comme Jésus lui-même l’affirme, parlent de lui (cf. Jn 5, 39), si elles sont pleines du Christ et se résument toutes en lui, comment pourrait-il en être autrement pour le Catéchisme de l’Eglise Catholique qui n’est qu’une exposition systématique, élaborée par la Tradition, sous la conduite du Magistère, de ces même Ecritures ?
Dans la première partie, consacrée à la foi, le Catéchisme de l’Eglise Catholique renvoie au grand principe de saint Thomas d’Aquin selon lequel « l’acte de foi du croyant ne s’arrête pas à l’énoncé, mais va à la réalité » (« Fides non terminatur ad enunciabile sed ad rem »)[2]. Maintenant, quelle est la réalité, la « chose » ultime de la foi ? Dieu, assurément! Mais pas un Dieu quelconque imaginé selon les goûts et le bon plaisir de chacun, mais le Dieu qui s’est révélé en Jésus Christ, qui « s’identifie » à lui jusqu’à dire : « Qui me voit, voit le Père » et « Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, c’est lui qui a conduit à le connaître » (Jn 1,18).
Quand nous disons foi « en Jésus Christ » nous ne détachons pas le Nouveau de l’Ancien Testament, nous ne faisons pas commencer la vraie foi à partir de la venue du Christ sur terre. S’il en était ainsi, nous exclurions du nombre des croyants Abraham que nous appelons « notre père dans la foi » (cf. Rm 4,16). En identifiant son Père au « Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob » (Mt 22, 32) et au Dieu « de la loi et des prophètes » (Mt 22, 40), Jésus proclame l’authenticité de la foi juive, il montre son caractère prophétique, affirmant que c’est de lui qu’ils parlaient (cf. Lc 24, 27. 44; Jn 5, 46). C’est ce qui fait la différence, aux yeux des chrétiens, entre la foi juive et toutes les autres religions et qui justifie le statut spécial dont bénéficie, depuis le concile Vatican II, le dialogue avec les juifs par rapport à celui avec les autres religions.
2. Kérygme et didachè
Au début de l’Eglise, il y avait une distinction claire entre le kérygme et la didaché. Dans le kérygme, que Paul appelle aussi « l’Evangile », il était question de l’action de Dieu en Jésus Christ, du mystère pascal de la mort et de la résurrection, qui se traduisaient par de courtes formules de foi, comme celle que suggèrent les propos de Pierre le jour de la Pentecôte: « Vous l’avez fait mourir en le faisant clouer à la croix, Dieu l’a ressuscité et a fait de lui le Seigneur » (cf. Ac 2, 23-36), ou alors: « Si tu affirmes de ta bouche que Jésus est Seigneur et tu crois dans ton cœur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, alors tu seras sauvé » (Rm 10, 9).
La didaché indiquait, par contre, l’enseignement donné à ceux qui avaient accepté la foi, le développement, la formation complète du croyant. On était convaincu (St. Paul surtout) que la foi, en tant que telle, ne surgit qu’en présence du kérygme. Celui-ci qui n’était pas un résumé de la foi ou une partie d’elle, mais la semence d’où sortait tout le reste. Les quatre évangiles aussi ont été écrits après, précisément pour expliquer le kérygme.
Il en était de même pour le noyau le plus ancien du Credo, qui n’avait pour objet que la personne de Jésus-Christ, montré sous ses deux natures humaine et divine. Nous en avons un exemple dans la Lettre aux Romains, où on parle du Christ « né de la race de David selon la chair, établi dans sa puissance de Fils de Dieu par sa résurrection d’entre les morts, selon l’Esprit qui sanctifie » (Rm 1, 3-4). Très vite, ce noyau des origines, ou credo christologique, a été englobé dans un contexte plus large, en tant que deuxième article du Symbole de la foi, donnant ainsi naissance, aussi pour des exigences liées au baptême, aux Symboles trinitaires que nous connaissons aujourd’hui.
Ce processus fait partie de ce que Newman appelle « le développement de la doctrine chrétienne » ; il est un enrichissement et non un éloignement de la foi des origines. Et c’est à nous aujourd’hui – d’abord aux évêques, aux prédicateurs, aux catéchistes – de faire ressortir le caractère « à part » du kérygme comme étant le moment germinatif de la foi. Dans une œuvre lyrique, pour reprendre l’image musicale, il y a le « récitatif » et le « chanté », et dans le chanté il y a les « aigus » qui secouent l’auditoire et provoquent des émotions fortes, parfois même des frissons. Nous savons maintenant quel est l’aigu de chaque catéchèse.
Notre situation est à nouveau la même que celle du temps apôtres. Ces derniers avaient devant eux un monde préchrétien à évangéliser ; nous, on a devant nous, au moins pour certains côtés et dans certains milieux, un monde postchrétien à évangéliser de nouveau. Nous devons revenir à leur méthode, ramener au jour « le glaive de l’Esprit » qui est l’annonce, en Esprit et puissance, du Christ livré pour nos fautes et ressuscité pour notre justification (cf. Rm 4,25).
Mais le kérygme n’est pas seulement l’annonce de faits ou de vérités de foi bien précis : c’est aussi un certain climat spirituel que l’on peut créer, quoi qu’on est en train de dire, un horizon qui est derrière tout. C’est à l’annonceur, par sa foi, de permettre à l’Esprit Saint de créer cette atmosphère.
Quel est alors le sens du Catéchisme de l’Eglise Catholique ? Le même que, dans l’Eglise apostolique, celui de la didachè: former la foi, lui donner du contenu, montrer ses exigences éthiques et concrètes, amener la foi à être « agissante par la charité » (cf. Gal 5,6). Un paragraphe du Catéchisme met bien cela en évidence. Après avoir rappelé le principe thomiste selon lequel « la foi ne s’arrête pas aux formulations mais aux réalités », celui-ci ajoute :
« Cependant, ces réalités, nous les approchons à l’aide des formulations de la foi. Celles-ci permettent d’exprimer et de transmettre la foi, de la célébrer en communauté, de l’assimiler et d’en vivre de plus en plus »[3].
De là l’importance de l’adjectif « catholique » dans le titre du livre. La force de certaines Eglises non catholiques est de tout miser sur le moment initial, quand on découvre la foi, on adhère au kérygme et on accepte Jésus comme Seigneur -, ce qu’on appelle « renaissance », ou « seconde conversion ». Tout cela peut devenir une limite si l’on s’y arrête et si tout continue à tourner autour de ce point de départ.
Nous, catholiques, nous avons à apprendre quelque chose de ces Eglises, mais nous avons aussi beaucoup à donner. Dans l’Église catholique, tout ceci est le début, et non pas la fin de la vie chrétienne. Après cette décision, s’ouvre un chemin de croissance et de progrès dans la vie spirituelle. Et l’Eglise catholique, par sa richesse sacramentelle, par le magistère et l’exemple de tant de saints, se trouve dans une situation privilégiée pour conduire les croyants à la perfection de la vie chrétienne. Dans sa lettre « Porta fidei », le pape écrit ceci:
« De la Sainte Ecriture aux Pères de l’Église, des Maîtres de théologie aux Saints qui ont traversé les siècles, le Catéchisme offre une mémoire permanente des nombreuses façons dans lesquelles l’Eglise a médité sur la foi et produit un progrès dans la doctrine pour donner certitude aux croyants dans leur vie de foi ».
3. L’onction de la foi
J’ai dit du kérygme qu’il est le « aigu » de la catéchèse. Mais pour produire cet aigu, il ne suffit pas de hausser la voix d’un ton, il faut autre chose. « Nul ne peut dire : ‘Jésus est le Seigneur!’ [C’est l’aigu par excellence!] sans l’action de l’Esprit Saint » (1 Co 12,3). Ce que St. Jean dit, dans sa Première Lettre, à propos de l’onction nous est particulièrement utile à cet égard. Il écrit:
« Quant à vous, celui qui est saint vous a consacrés par l’onction, et ainsi vous avez tous la connaissance, […] l’onction par laquelle il vous a consacrés demeure en vous, et vous n’avez pas besoin qu’on vous instruise. Vous êtes instruits de tout par cette onction, qui est vérité et non pas mensonge : suivant ce qu’elle vous a enseigné, vous demeurez en lui » (1 Jn 2, 20.27).
L’Esprit Saint est l’auteur de cette onction, comme le suggère le fait qu’ailleurs la fonction d’« enseigner chaque chose » est attribuée au Paraclet comme « Esprit de vérité » (Jn 14, 26). Il s’agit, comme l’écrivent plusieurs Pères, d’une « onction de la foi » : « L’onction qui vient du Saint, écrit Clément d’Alexandrie, se réalise dans la foi ». « L’onction est la foi en Jésus-Christ », dit un autre auteur de la même école[4].
Dans son commentaire, Augustin pose à ce propos une question à l’évangéliste. Pourquoi, dit-il, as-tu écrit ta lettre, si ceux à qui tu t’adresses ont reçu l’onction qui enseigne toute chose et n’ont pas besoin qu’on les instruise? A quoi bon parler et instruire les fidèles ? Et voici sa réponse, fondée sur le thème du Maître intérieur :
« Le son de nos paroles frappe vos oreilles, mais le vrai Maître est au-dedans. […] J’ai parlé à tous; mais ceux à qui cette onction ne parle pas au-dedans, ceux que l’Esprit Saint n’instruit pas au-dedans, s’en vont sans avoir rien appris […]. Il est donc à l’intérieur, le Maître qui enseigne ; c’est le Christ qui enseigne ; c’est son inspiration qui enseigne »[5].
Une instruction de l’extérieur est donc nécessaire, il faut des maîtres; mais leurs voix ne pénètreront les cœurs que si l’instruction intérieure de l’Esprit Saint vient s’ajouter à elles. « Quant à nous, nous sommes les témoins de tout cela, avec l’Esprit Saint, que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent. » (Ac 5, 32). Par ces paroles, prononcées devant le sanhédrin, l’apôtre Pierre affirme la nécessité d’un témoignage intérieur de l’Esprit, mais indique aussi quelle est la condition pour le recevoir : la disponibilité à obéir, à se soumettre à la Parole.
C’est l’onction de l’Esprit qui fait passer des énoncés de la foi à leur réalité. C’est un thème cher à St. Jean que celui d’un « croire » qui est aussi « connaître »: « Nous avons connu l’amour que Dieu a pour nous et nous y avons cru » (1 Jn 4,16). « Nous, nous croyons, et nous avons reconnu que tu es le Saint de Dieu » (Jn 6, 69). « Connaître », dans ce cas, comme pour l’ensemble des Ecritures en général, n’a pas le sens que nous lui donnons aujourd’hui, c’est-à-dire avoir l’idée ou le concept d’une chose. Cela signifie faire une expérience, entrer en relation avec la chose ou avec la personne. L’affirmation de la Vierge: « Je ne connais pas d’homme », ne voulait certes pas dire j’ignore ce qu’est un homme…
Un exemple évident d’onction de la foi est le « Mémorial » de Blaise Pascal, cette expérience faite par lui dans la nuit du 23 novembre 1654, fixée par de courtes exclamations, qu’on a retrouvé après sa mort, à l’intérieur de sa veste:
« Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, non des philosophes et des savants. Certitude. Certitude. Sentiment. Joie. Paix. Dieu de Jésus Christ […]. Il ne se trouve que par les voies enseignées dans l’Evangile. […] Joie, joie. Joie, larmes de joie. […] Ceci est la vie éternelle, qu’ils te connaissent toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ »[6].
En général on expérimente une onction de foi quand sur une Parole de Dieu ou une affirmation de foi, tombe la lumière de l’Esprit Saint, un moment qui s’accompagne aussi d’habitude d’une forte émotion. Une fois, à l’occasion de la fête du Christ Roi, j’écoutais dans la première lecture de la Messe la prophétie de Daniel sur le Fils de l’homme:
« Je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui; Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et toutes les langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite » (Dn 7,13-14).
Le Nouveau Testament, on le sait, a vu se réaliser la prophétie de Daniel en Jésus; lui-même devant le sanhédrin l’a fait sienne (cf. Mt 26, 64); une phrase de la prophétie est entrée dans le Credo : « et son règne n’aura pas de fin » (« cuius regnum non erit finis »). Je connaissais tout cela, pour l’avoir étudié, mais là c’était autre chose. C’était comme si la scène se déroulait sous mes yeux. Oui, ce fils de l’homme qui avançait était Jésus en personne. Tous les doutes et toutes les explications alternatives des savants, que je connaissais bien aussi, me semblaient, à ce moment-là, de simples prétextes pour ne pas croire. Je vivais, sans le savoir, une onction de la foi.
Une autre fois (je crois avoir déjà mentionnée cette expérience autrefois, mais elle aide a comprendre l’idée), j’étais en train d’assister à la messe de minuit de Jean-Paul II à Saint-Pierre. Le moment arriva de chanter la Calende, c’est-à-dire la proclamation solennelle de la naissance du Sauveur, présente dans l’ancien Martyrologe et réintroduite dans la liturgie de Noël après Vatican II:
« Beaucoup de siècles après la création du monde …
Treize siècles après la sortie d’Egypte …
A la cent quatre-vingt-quinzième Olympiade,
En l’an 752 de la fondation de Rome …
Dans la quarante-deuxième année de l’empire de César Auguste,
Jésus-Christ, Dieu éternel et Fils du Père éternel, ayant été conçu du Saint Esprit, et neuf mois s’étant écoulés depuis sa conception, est né à Bethléem de Juda, fait homme de la Vierge Marie ».
A ces dernières paroles, une soudaine clarté se fit en moi et je disait à moi-même: « C’est vrai! Tout ce que l’on chante est vrai! Ce ne sont pas que des mots. L’éternel est donc entré dans le temps. Le dernier événement de la série a fait éclater la série; il a créé un « avant » et un « après » irréversibles; le temps qui, avant, se calculait en fonction des divers évènements (telle olympiade, règne d’untel), se calcule maintenant par rapport à un seul événement : avant lui, et après lui. Une émotion subite s’empara de ma personne, et tout ce que j’arrivais à dire c’était: « Merci, très sainte Trinité, et merci aussi à toi, sainte Mère de Dieu ! »
L’onction de l’Esprit Saint produit un autre effet, pour ainsi dire, « collatéral » chez l’annonciateur: elle lui fait éprouver la joie de proclamer Jésus et son Evangile. Elle transforme l’obligation et le devoir de l’évangélisation en un honneur et un motif de fierté. C’est la joie que connaît bien le messager qui porte à une ville assiégée l’annonce que son siège a été levé, ou le héraut qui dans l’Antiquité arrivait à la ville pour annoncer qu’une victoire décisive avait été remporter par son armée. L’« heureuse nouvelle », procure d’abord du bonheur à celui qui la porte avant même de la procurer à celui qui la reçoit.
La vision d’Ézéchiel et du rouleau mangé s’est réalisée une fois dans l’histoire au sens littéral aussi et non seulement métaphorique. C’est au moment où le rouleau de la parole de Dieu s’est concentré en une seule Parole, le Verbe. Le Père l’a offert à Marie ; Marie l’a accueilli, en a rempli aussi physiquement ses entrailles, puis elle l’a donné au monde. Marie est le modèle de tout évangélisateur, de tout catéchiste. Elle nous enseigne à nous remplir de Jésus pour le donner aux autres. Marie a conçu Jésus « du Saint Esprit » et il doit en être ainsi de chaque annonciateur.
Le Saint-Père conclut sa lettre pour l’Année de la foi par un renvoi à la Vierge : « Confions à la Mère de Dieu, proclamée « bienheureuse parce qu’elle a cru » (Lc 1, 45), ce temps de grâce »[7]. Demandons-lui de nous obtenir la grâce de faire l’expérience, en cette année, de tant de moments d’onction de foi : « Virgo fidelis, ora pro nobis », Vierge croyante, prie pour nous.
(Prochaine prédication de l’Avent, vendredi prochain, 14 décembre 2012)
Traduction d’Isabelle Cousturié
***
Notes:
[1] Benoît XVI, Lettre apostolique « Porta fidei », n.11
[2] Saint Thomas d’Aquin, Summa theologiae, II-II, 1, 2, ad 2; cit. in CEC, n.170.
[3] CEC, n. 170
[4] Clément d’Alexandrie, Adumbrationes in 1 Johannis (PG 9, 737B); Homélies pascales (SCh 36, p.40): textes cités par I. de la Potterie, L’onction du chrétien par la foi, dans Biblica 40, 1959, 12-69.
[5] Saint Augustin, Commentaire de la Première Epître de saint Jean 3,13 (PL 35, 2004 s).
[6] B. Pascal, Mémorial, éd. Brunschvicg.
[7] « Porta fidei », n. 15.

ATTENDRE DIEU – TEMPS DE L’AVENT

2 décembre, 2014

http://www.abbaye-echourgnac.org/-prier-avec-nous/un-texte-pour-prier/47-temps-de-lavent/123-attendre-dieu.html

ATTENDRE DIEU – TEMPS DE L’AVENT

Écrit par Paul TILLICH

Attendre signifie n’avoir pas et avoir au même moment. Car nous n’avons pas ce que nous attendons ; ou, comme dit l’Apôtre, espérant ce que nous ne voyons pas, alors nous l’attendons. La condition de l’homme dans sa relation avec Dieu, c’est avant tout la condition de quelqu’un qui n’a pas, qui ne voit pas, qui ne sait pas et ne prend pas. Puisque Dieu est infiniment caché, libre et imprévisible, nous devons l’attendre de la façon la plus absolue et la plus radicale. Pour nous, il est Dieu, précisément dans la mesure où nous ne le possédons pas. Le psalmiste dit que son être tout entier attend le Seigneur. Il indique ainsi que l’attente de Dieu ne fait pas seulement partie de notre relation à Dieu, mais qu’elle en est la condition. Le moyen d’avoir Dieu, c’est de ne pas l’avoir.Mais bien qu’attendre soit n’avoir pas, c’est aussi avoir. Le fait que nous attendions quelque chose montre que de quelque manière nous la possédons déjà. L’attente anticipe ce qui n’est pas encore réel. Si nous attendons dans l’espérance et dans la patience, le pouvoir de ce que nous attendons agit en nous. Celui qui attend, dans le sens le plus élevé, n’est pas loin de ce qu’il attend. Celui qui attend avec un sérieux absolu est déjà saisi par ce qu’il attend. Celui qui attend dans la patience a déjà reçu la puissance de ce qu’il attend. Celui qui attend passionnément est déjà puissance d’action, il a la plus grande puissance de transformation possible dans sa vie intérieure et extérieure. Nous sommes plus forts dans l’attente que dans la possession. Lorsque nous possédons Dieu, nous le réduisons à cette petite parcelle de lui que nous avons cru connaître et saisir, et nous en faisons une idole. C’est seulement en servant des idoles que l’on peut croire à la possession de Dieu. Il y a beaucoup d’idolâtrie de cette sorte parmi les chrétiens. Mais, si nous savons que nous ne connaissons pas Dieu et si nous attendons qu’il se fasse connaître à nous, alors nous avons réellement quelque connaissance de lui, alors nous sommes connus, saisis et possédés pas lui.N’oublions pas néanmoins que l’attente est une énorme tension. Elle exclut toute satisfaction qu’on tirerait de ne posséder rien, toute indifférence ou tout mépris à l’égard de ceux qui possèdent quelque chose, tout abandon au doute ou au désespoir. Que notre fierté de ne rien posséder ne devienne pas une nouvelle possession ! Là se trouve une des grandes tentations de notre temps, car il reste peu de chose dont nous puissions revendiquer la possession. Nous cédons à la même tentation lorsque, dans notre effort pour posséder Dieu, nous nous vantons de ne pas le posséder. La réponse divine à cet effort est le vide absolu. L’attente n’est pas le désespoir. Attendre c’est accepter de n’avoir point, au nom de ce que nous avons déjà.

 

QUAND VINT LA PLÉNITUDE DU TEMPS DIEU ENVOYA SON FILS NÉ D’UNE FEMME (Père Cantalamessa)

30 décembre, 2013

http://www.cantalamessa.org/?p=1035&lang=fr

QUAND VINT LA PLÉNITUDE DU TEMPS DIEU ENVOYA SON FILS NÉ D’UNE FEMME

Vendredi 19 Décembre 2008

Troisième prédication d’Avent

1. Paul et le dogme de l’Incarnation Commençons, cette fois-ci encore, par écouter le passage de Paul sur lequel nous voulons méditer : « Quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme, né sujet de la Loi, afin de racheter les sujets de la Loi, afin de nous conférer l’adoption filiale. Et la preuve que vous êtes des fils, c’est que Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie : Abba, Père ! Aussi n’es-tu plus esclave mais fils ; fils, et donc héritier de par Dieu » (Ga 4, 4-7). Nous entendrons souvent ce texte biblique durant la période de Noël, à commencer par les Premières Vêpres de la solennité de Noël. Disons tout d’abord un mot de ses implications théologiques. Il s’agit du passage qui, dans le corpus paulinien, se rapproche le plus de l’idée de préexistence et d’incarnation. L’idée d’ « envoi » (« Dieu envoya, exapesteilen, son Fils ») est mise en parallèle avec l’envoi de l’Esprit dont il est fait mention deux versets plus loin. Elle rappelle ce qui est dit dans l’Ancien Testament de l’envoi sur le monde, par Dieu, de la Sagesse et de l’Esprit saint (Sg 9, 10.17). Ces rapprochements indiquent qu’il ne s’agit pas d’un envoi « depuis la terre », comme dans le cas des prophètes, mais du haut « du ciel ». Cette idée de la préexistence du Christ est implicite dans les textes pauliniens où il est question d’un rôle du Christ dans la création du monde (1 Co 8,6 ; Col 1, 15-16) et quand Paul dit que le rocher qui suivait le peuple dans le désert était le Christ (1 Co 10, 4). L’idée d’incarnation, elle aussi, est sous-jacente dans l’hymne christologique de l’Epître aux Philippiens, chapitre 2 : « De condition divine, il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave ». Il faut, toutefois, reconnaître que, chez Paul, préexistence et incarnation sont des vérités en gestation, qui n’ont pas encore trouvé une pleine formulation. Et ceci parce que, pour lui, le centre d’intérêt et le point de départ de tout est le mystère pascal, autrement dit l’acte (du Salut), plus que la personne du Sauveur. Le contraire de Jean, pour qui le point de départ et l’épicentre de l’attention sont justement la préexistence du Christ et l’incarnation. Il s’agit de deux « voies », ou chemins, différents dans la découverte de qui est Jésus Christ : l’une, celle de Paul, part de l’humanité pour parvenir à la divinité, de la chair pour atteindre l’Esprit, de l’histoire du Christ pour arriver à la préexistence du Christ ; l’autre voie, celle de Jean, emprunte le chemin inverse : elle part de la divinité du Verbe pour atteindre et affirmer son humanité, de son existence dans l’éternité pour descendre à son existence dans le temps ; l’une met à la charnière des deux étapes la résurrection du Christ là où l’autre voit le passage d’un état à l’autre dans l’incarnation. Dès l’époque suivante, les deux voies ont tendance à s’affirmer, donnant lieu à deux modèles ou archétypes et, pour finir, à deux écoles christologiques : l’école antiochienne qui se réfère de préférence à Paul, et l’école alexandrine rattachée plutôt à Jean. Aucun des adeptes de l’une ou l’autre voie n’a conscience de choisir entre Paul et Jean ; chacun est convaincu de les avoir tous deux de son côté. Ce qui est sûrement vrai ; il n’en reste pas moins que les deux mouvances restent parfaitement visibles et distinguables, tels deux fleuves qui, tout en confluant ensemble, se distinguent par la couleur différente de leurs eaux. Cette différenciation se reflète, par exemple, dans l’interprétation différente que les deux écoles proposent de la kénose du Christ telle qu’elle est exprimée dans l’Epître aux Philippiens, chapitre 2. Dès le II-IIIème siècle se dessinent deux lectures différentes de ce texte, que l’on retrouve aussi dans l’exégèse moderne. Selon l’école alexandrine, c’est le Fils de Dieu préexistant dans sa condition divine qui est le sujet initial de l’hymne. Par conséquent, dans ce cas, la kénose consisterait dans l’incarnation, Dieu qui se fait homme. Selon l’interprétation prédominante dans l’école antiochienne, le sujet unique de l’hymne du début à la fin est le Christ historique, Jésus de Nazareth. Dans ce cas, la kénose consisterait dans le mouvement d’abaissement inhérent au fait qu’il prend la condition d’esclave, dans son obéissance jusqu’à la Passion et la mort. La différence entre les deux écoles n’est pas tant que certains suivent Paul et d’autres Jean ; mais que certains interprètent Jean à la lumière de Paul et d’autres interprètent Paul à la lumière de Jean. La différence est dans le schéma, ou dans la perspective de fond, que l’on adopte pour illustrer le mystère du Christ. C’est en quelque sorte dans la confrontation entre ces deux écoles, que se sont formées les « lignes porteuses » du dogme et de la théologie de l’Eglise, restées en vigueur jusqu’à nos jours. 2. Né d’une femme Le silence relatif sur l’incarnation comporte, chez Paul, un silence quasi total sur Marie, la Mère du Verbe incarné. L’incise « né d’une femme » (factum sub muliere) dans notre texte constitue l’allusion à Marie la plus explicite que l’on trouve dans le corpus paulinien. Elle est l’équivalente de l’autre expression : « issu de la lignée de David selon la chair » « factum ex semine David secundum carnem » (Rm 1, 3). Mais si mince soit-elle, cette affirmation de l’Apôtre est d’une importance capitale. Elle a été l’un des pivots de l’opposition au docétisme gnostique, à partir du IIe siècle. Elle dit en effet que Jésus n’est pas une apparition céleste ; par sa naissance d’une femme, il s’est pleinement inséré dans l’humanité et dans l’histoire, « en tout semblable aux hommes » (Ph 2, 7). « Pourquoi disons-nous que le Christ est homme, écrit Tertullien, sinon parce qu’il est né de Marie qui est une créature humaine ? » (1). Tout bien considéré, l’expression « né d’une femme » est plus adéquate pour exprimer la véritable humanité du Christ que le titre de « fils de l’homme ». Littéralement parlant, Jésus n’ayant pas eu pour père un homme, n’est pas le fils de l’homme, alors qu’il est vraiment « fils de la femme ». Le texte paulinien sera également au centre du débat sur le titre de mère de Dieu (theotokos) dans les querelles théologiques postérieures. Ce qui explique pourquoi la liturgie nous le fera entendre dans la seconde lecture de la messe de la solennité de Sainte Marie Mère de Dieu, le premier janvier. Un détail est à noter. Si Paul avait dit : « né de Marie », il se serait agi d’un simple détail biographique ; ayant dit « né d’une femme », il a conféré à son affirmation une portée universelle et immense. C’est la femme même, chaque femme, qui a été élevée, en Marie, à une hauteur inimaginable. Marie est ici la femme par antonomase. 3. « A quoi me sert-il que le Christ soit né de Marie ? » C’est à l’approche de Noël et dans l’esprit de la lectio divina que nous méditons le texte paulinien. Aussi, nous ne nous attarderons pas trop sur l’élément exégétique. Mais, après avoir contemplé la vérité théologique contenue dans le texte biblique, nous devrons en tirer des conséquences pour notre vie spirituelle, en mettant en lumière le « pour moi » de la parole de Dieu. Une phrase d’Origène, reprise par saint Augustin, saint Bernard, par Luther et par d’autres dit : « A quoi me sert-il que le Christ soit né une fois de Marie à Bethléem, s’il ne naît pas aussi par la foi dans mon âme ? » (2). La maternité divine de Marie se réalise sur deux plans : sur un plan physique et sur un plan spirituel. Marie est mère de Dieu pas seulement parce qu’elle l’a porté physiquement en son sein, mais aussi parce qu’elle l’a conçu d’abord dans son coeur, par la foi. Il ne nous est pas possible, naturellement, d’imiter Marie dans le premier sens, en engendrant à nouveau le Christ, mais nous pouvons l’imiter dans le second sens, celui de la foi. Jésus lui-même a initié cette application à l’Eglise du titre de « Mère du Christ », quand il déclara : « Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique » (Lc 8, 21 ; Mc 3, 31 ss ; Mt 12, 49). Dans la tradition, cette vérité a connu deux niveaux d’application complémentaires, un de type pastoral et l’autre de type spirituel. Dans un cas, cette maternité se voit réalisée, dans l’Eglise considérée dans son ensemble, en tant que « sa­crement universel de salut » ; dans l’autre, réalisée dans chaque personne, chaque âme qui croit. Un écrivain du Moyen Age, le Bienheureux Isaac de l’Etoile a opéré une sorte de synthèse de ces questions. Dans une homélie célèbre que nous avons lue dans la Liturgie des heures de samedi dernier, il déclare : « Ma­rie et l’Eglise sont une mère et plusieurs mères ; une vierge et plusieurs vierges. L’une et l’autre mère, l’une et l’autre vierge…C’est à juste titre que, dans les Ecritures, inspirées par Dieu, ce qui est dit de façon générale pour l’Église vierge et mère, s’applique individuellement à Marie, vierge et mère et ce qui est dit en particulier de la Vierge mère qu’est Marie se comprend en général de l’Eglise vierge mère… Enfin, chaque âme croyante est également, à sa manière, épouse du Verbe de Dieu, mère, fille et soeur du Christ, à la fois vierge et féconde » (3). Le Concile Vatican II se situe dans la première perspective quand il écrit : « L’Eglise… devient mère, elle aussi … Car, par la prédication et le baptême, elle engendre à la vie nouvelle et immortelle des fils conçus du Saint-Esprit nés de Dieu » (4). Concentrons-nous sur l’application personnelle à chaque âme : « tout chrétien qui croit, écrit saint Ambroise, conçoit et engendre le Verbe de Dieu. S’il n’existe qu’une unique mère du Christ selon la chair, selon la foi, au contraire, le Christ est le fruit de tous, tous ceux qui écoutent la parole de Dieu » (5). Un autre Père d’Orient lui fait écho : « Le Christ naît toujours mystiquement de son propre chef, en assumant la chair, à travers ceux qui sont sauvés. Et il rend l’âme par laquelle il est né mère et vierge » (6). Comment devient-on, concrètement, mère de Jésus ? Il nous l’a indiqué lui-même dans l’évangile : en écoutant la Parole de Dieu et en la mettant en pratique (cf. Lc 8, 21 ; Mc 3, 31 s. ; Mt 12, 49). Repensons, pour bien comprendre, à la manière dont Marie est devenue mère : en concevant Jésus et en le mettant au monde. Dans l’Ecriture Sainte, ces deux moments sont mis en lumière : « Voici, la jeune femme est enceinte, elle va enfanter un fils », lit-on dans Isaïe, et « Voici que tu concevras dans ton sein et enfanteras un fils », dit l’ange à Marie. Il existe deux maternités incomplètes ou deux types d’interruption de maternité. L’une est celle, ancienne et bien connue, de l’avortement. Elle se produit lorsqu’on conçoit une vie, mais sans lui donner le jour parce que, entre-temps, pour des causes naturelles ou à cause du péché des hommes, le foetus est mort. Récemment encore, l’avortement était l’unique cas connu de maternité incomplète. Aujourd’hui, on en connaît un autre qui consiste, à l’opposé, à donner naissance à un enfant sans l’avoir conçu. C’est le cas de bébés conçus en éprouvette et réimplantés, dans un second temps, dans le sein d’une femme ; le cas aussi de l’utérus « prêté » pour héberger, quand ce n’est pas contre rémunération, des vies humaines conçues ailleurs. Dans ce cas, ce que la femme met au monde, ne vient pas d’elle, n’est pas conçu « dans son cœur avant de l’être dans son corps ». Malheureusement, ces deux tristes possibilités de maternité incomplète existent également sur le plan spirituel. Conçoit Jésus sans l’enfanter celui qui accueille la Pa­role, sans la mettre en pratique, celui qui accumule les avortements spirituels les uns après les autres, en formulant des intentions de conversion, lesquelles sont ensuite systématiquement abandonnées à mi-chemin ; celui qui se comporte à l’égard de la Parole comme l’homme pressé observant sa physionomie dans un miroir. Il s’observe, part, et oublie comment il était. (Jc 1, 23-24). Bref, celui qui a la foi, mais sans les oeuvres. Enfante le Christ, au contraire, sans l’avoir conçu celui qui accomplit des quantités d’oeuvres, même bonnes, mais qui ne viennent pas du coeur, de l’amour pour Dieu et d’une intention droite, mais plutôt de l’habitude, de l’hypocrisie, de la recherche de sa propre gloire et de son intérêt, ou simplement de la satisfaction que donne le fait de faire. Bref, celui qui a les œuvres, mais sans la foi. Saint François d’Assise a une pa­role qui résume, positivement, en quoi consiste la véritable maternité à l’égard du Christ : « Nous sommes mères du Christ – dit-il – lorsque nous le portons dans notre coeur et dans notre corps par amour, par la pureté et la loyauté de notre conscience ; et que nous l’enfantons par nos bonnes actions, qui doivent être pour autrui une lumière et un exemple… Oh ! qu’il est saint et qu’il est cher, plaisant, humble, pacifique, doux, aimable et par-dessus tout désirable d’avoir un tel frère et un tel Fils, notre Seigneur Jésus Christ ! » (7). Nous concevons le Christ – veut dire le saint – quand nous l’aimons d’un coeur sincère et avec une conscience droite ; et nous le faisons naître quand nous accomplissons de bonnes et saintes actions qui le manifestent au monde. 4. Les deux fêtes de l’Enfant Jésus Saint Bonaventure, disciple et fils spirituel du Poverello, a recueilli et développé cette pensée dans un opuscule intitulé « Les cinq fêtes de l’Enfant Jésus ». Dans l’introduction du livre, il raconte comment un jour, alors qu’il faisait une retraite à La Verna, il repensa à ce que disent les Pères de l’Eglise, à savoir que l’âme fidèle à Dieu peut, par la grâce de l’Esprit Saint et la puissance du Très-haut, concevoir spirituellement le Verbe béni et Fils unique du Père, le mettre au monde, lui donner un nom, le chercher et l’adorer avec les Mages et enfin le présenter avec joie à Dieu le Père dans son temple (8). Parmi ces cinq moments ou fêtes de l’Enfant Jésus que l’âme doit revivre, celles qui nous intéressent le plus sont les deux premières : la conception et la naissance. Pour saint Bonaventure, l’âme conçoit Jésus quand, mécontente de la vie qu’elle mène, stimulée par de saintes inspirations, embrasée par une sainte ardeur, et, enfin, s’étant résolument détachée de ses anciennes habitudes et de ses défauts, elle est comme fécondée spirituellement par la grâce de l’Esprit Saint et conçoit l’intention de mener une vie nouvelle. Le Christ a été conçu ! Une fois conçu, le Fils béni de Dieu naît dans le cœur lorsque, après avoir fait un sain discernement, demandé conseil de façon opportune, invoqué l’aide de Dieu, l’âme met immédiatement en pratique sa sainte intention, en commençant à faire ce qu’elle projetait depuis longtemps mais ne cessait de reporter, par peur de ne pas en être capable. Mais il faut insister sur une chose : cette intention de mener une vie nouvelle doit se traduire immédiatement par quelque chose de concret, un changement, si possible même externe et visible, dans notre vie et dans nos habitudes. Si l’intention n’est pas mise en pratique, Jésus est conçu mais il n’est pas mis au monde. Nous nous retrouvons devant l’un des nombreux avortements spirituels. Et on ne célèbrera jamais « la deuxième fête » de l’Enfant Jésus qui est Noël ! C’est un report parmi tant d’autres, qui est l’une des principales raisons pour lesquelles il y a si peu de saints. Si tu décides de changer de style de vie et d’entrer dans la catégorie des pauvres et des humbles qui, comme Marie, se soucient uniquement de trouver grâce auprès de Dieu, sans se préoccuper de plaire aux hommes, alors, écrit saint Bonaventure, tu dois t’armer de courage car tu en auras besoin. Tu devras affronter deux types de tentation. D’abord les hommes charnels qui t’entourent se présenteront à toi et te diront : « ce que tu entreprends est trop dur ; tu n’y arriveras jamais, tu n’en auras pas la force, tu vas sacrifier ta santé ; cela ne sied pas à ton état, tu compromets ta réputation et la dignité de ta charge… . » Quand tu auras surmonté cet obstacle, des personnes qui ont la réputation d’être – peut-être à juste titre – des personnes pieuses et religieuses, mais qui ne croient pas vraiment à la puissance de Dieu et de son Esprit, se présenteront à toi. Elles te diront que si tu commences à vivre de cette manière – en accordant une grande place à la prière, en évitant de prendre part aux ragots et aux discussions inutiles, en faisant des œuvres de charité – on verra vite en toi un saint, un homme dévot, spirituel, et puisque tu sais très bien que tu ne l’es pas encore, tu finiras par tromper les gens et être un hypocrite, et tu attireras ainsi sur toi la réprobation de Dieu qui scrute les cœurs. A toutes ces tentations il faut répondre avec foi : « Non, la main du Seigneur n’est pas trop courte pour sauver ! » (Is 59, 1) et presque en nous mettant en colère contre nous-mêmes, nous exclamer, comme Augustin à la veille de sa conversion . « Se ceux-ci et celles-ci y arrivent, pourquoi pas moi ? Si isti et istae, cur non ego ?(9). 5. Marie a dit Oui L’exemple de la Mère de Dieu nous montre ce qu’il faut faire, concrètement, pour donner à notre vie spirituelle ce nouvel élan, pour concevoir et faire vraiment naître Jésus en nous à Noël. Marie a dit un « oui » déterminé et total à Dieu. On insiste beaucoup sur le fiat de Marie, sur Marie comme « la Vierge du fiat ». Mais Marie ne parlait pas en latin et par conséquent elle n’a pas dit « fiat » ; elle n’a pas non plus dit genoito qui est le mot utilisé dans le texte grec de Luc, car elle ne parlait pas grec. S’il est légitime de chercher à remonter, à travers une pieuse réflexion, à l’ipsissima vox, la parole exacte sortie de la bouche de Marie – ou du moins la parole qui se trouvait à cet endroit dans la source en hébreu utilisée par Luc – cela devait être le mot « amen ». Amen – mot hébreu dont la racine signifie solidité, certitude – était utilisé dans la liturgie comme réponse de foi à la Parole de Dieu. Là où, à la fin de certains psaumes, on lisait « fiat, fiat » dans la Vulgate, dans la nouvelle version des textes originaux on lit : Amen, amen. Même chose pour le mot grec : là où, dans la Bible des Septante on lit, dans ces mêmes psaumes génoito, génoito, l’original en hébreu dit : Amen, amen ! Avec l’amen on reconnaît ce qui a été dit comme parole ferme, définitive, valide et qui engage. La traduction exacte quand il s’agit d’une réponse à la parole de Dieu est : « Il en est ainsi et qu’il en soit ainsi ». Il indique en même temps la foi et l’obéissance ; il reconnaît que ce que Dieu dit est vrai et s’y soumet. C’est dire « oui » à Dieu. On le trouve en ce sens dans la bouche même de Jésus : « Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir » (cf. Mt 11, 26). Il est même l’Amen personnifié : « Ainsi parle l’Amen… » (Ap 3, 14) et c’est par lui, ajoute Paul, que tout « amen » prononcé sur la terre monte désormais à Dieu (cf. 2 Co 1, 20). Dans presque toutes les langues humaines la parole qui exprime l’assentiment est un monosyllabe : sì, ja, yes, oui, tag, etc. Le mot le plus court du vocabulaire mais celui avec lequel aussi bien les époux que les personnes consacrées prennent une décision de vie, pour toujours. En effet, dans le rite de la profession religieuse et de l’ordination sacerdotale il y a aussi un moment où l’on prononce un « oui ». Il y a une nuance dans l’Amen de Marie qu’il est important de noter. Dans les langues modernes, nous utilisons le mode indicatif du verbe pour indiquer une chose passée ou qui aura lieu, le mode conditionnel pour indiquer une chose qui pourrait se produire à certaines conditions etc. ; le grec possède un mode particulier qui s’appelle l’optatif. C’est un mode que l’on utilise quand on veut exprimer le souhait ou l’impatience qu’une certaine chose se produise. Le verbe utilisé par Luc, genoito, est précisément dans ce mode ! Saint Paul dit que « Dieu aime celui qui donne avec joie » (2 Co 9, 7) et Marie a dit son « oui » à Dieu, avec joie. Demandons-lui de nous obtenir la grâce de dire à Dieu un « oui » joyeux et renouvelé afin de concevoir et de mettre nous aussi son Fils Jésus Christ au monde, à Noël. Traduit de l’italien par Zenit _____________________________________

NOTES SUR LE SITE

LES ANGES DE NOËL. AU FIL DU TEXTE DE LC 2,8-21

16 décembre, 2013

http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/533.html

LES ANGES DE NOËL. AU FIL DU TEXTE DE LC 2,8-21

COMMENTAIRE AU FIL DU TEXTE  

COMMENCER …

Un Ange du Seigneur apparaît à des bergers. Tout s’éclaire d’une lumière venue d’en haut. L’enfant, les bergers et les anges

Voici donc le récit de la naissance de Jésus. La naissance elle-même occupe peu de place dans le texte. Elle est évoquée en un seul verset : Marie accouche d’un bébé, l’emmaillote et le couche dans une mangeoire. C’est tout. Extrême sobriété, pas un mot de trop. Rien de spectaculaire : une mère et son bébé. On aimerait en savoir un peu plus. Où sont les autres personnages ? Où est Joseph ? Que fait-il ? L’auteur ne s’y intéresse pas. Il est pressé de nous emmener ailleurs, là où se déroule l’essentiel de son récit.

La scène principale se passe en effet dans un lieu indéterminé, mais à quelque distance de l’endroit qui a vu naître Jésus. Comme dans un théâtre, la scène s’éclaire d’une lumière venue d’en haut.

L’ange du Seigneur Un Ange du Seigneur apparaît à des bergers. L’apparition de l’Ange du Seigneur n’est pas une nouveauté dans la Bible. Tout se déroule en effet selon un schéma classique : l’Ange du Seigneur arrive subitement, sa venue suscite le trouble, le messager divin annonce la naissance d’un enfant et il donne un signe. Luc connaît bien la Bible et les interventions de l’Ange du Seigneur. Dans l’évangile de Luc c’est la troisième apparition de l’Ange du Seigneur. Il s’est déjà adressé à Zacharie, dans le Temple de Jérusalem, et à Marie dans sa maison de Nazareth. Dans les deux cas il s’agissait de Gabriel celui qui, dans le livre de Daniel, annonçait la venue du temps du salut. Ici, l’Ange du Seigneur n’est pas nommé pas plus que les destinataires du message. Ce sont des bergers anonymes.

L’enfant est pour vous Le récit comporte une nouveauté. Tout ne se déroule pas selon le schéma convenu. L’annonce de la naissance, cette fois-ci, n’est pas destinée à de futurs parents, mais à des tiers. « Il ‘vous’ est né », dit l’Ange. Dieu donne cet enfant aux bergers, mais également à tout un peuple qui sera comblé de joie à l’annonce de la bonne nouvelle. L’enfant, par ailleurs, n’est plus à venir, il est déjà là : « Il vous est né aujourd’hui », dit l’Ange. Nous entendons pour la première fois ce mot si important dans l’évangile de Luc que nous retrouverons lors du baptême de Jésus, lors de sa prédication inaugurale à Nazareth, lors de sa visite à Zachée et sur la croix, adressée à un des deux bandits : le mot « aujourd’hui ». Le temps du salut n’est plus à venir. Il est là, inauguré par la naissance de Jésus.

Les titres royaux Le messager divin attribue maintenant l’enfant qui vient de naître une surabondance de titre royaux. Il est Christ, Seigneur et Sauveur. Christ : c’est la traduction grecque du mot « Messie » qui désigne le roi attendu par le peuple juif issu de la descendance de David. Jésus justement est né dans le même village que David, à Béthléem. Seigneur : autre terme royal utilisé pour désigner l’empereur. Mais c’est aussi le terme utilisé par la Bible grecque pour désigner Dieu. Sauveur : encore un titre royal ou impérial. Les potentats de l’époque aimaient s’attribuer ce titre. Ils voulaient qu’on les appelle « bienfaiteurs » ou « sauveurs » de leur peuple. C’est également le mot que le livre des Juges emploie pour désigner les personnages providentiels que Dieu envoyait pour sauver son peuple en péril. C’est enfin un des mots qui désigne Dieu lui-même. Marie l’a employé dans son Magnificat : « Mon âme exalte le Seigneur et mon esprit s’est rempli d’allégresse à cause de Dieu, mon Sauveur. »

Le hérault du roi Dans le récit de Luc, l’Ange du Seigneur apparaît comme un hérault qui parcourt le royaume pour énumérer les titres d’un l’enfant royal destiné à monter sur le trône. Le texte n’indique pas le lieu où apparaît l’Ange. Il précise seulement que c’est « dans le même pays », celui de Marie et de Joseph, le descendant de David. Il s’adresse à la population du pays, qui attend un roi envoyé par Dieu. Ce roi vient de naître. Les bergers, qui font partie des basses classes de la société, sont les premiers à en être avertis. C’est normal, le roi vient plus particulièrement pour eux. Plus tard le Seigneur Jésus dira : « Heureux, vous les pauvres : le Royaume de Dieu est à vous. » et également : « Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout petits. »

Une intrigue qui se noue Le lecteur de l’évangile est intrigué par cette déclaration solennelle. Que signifient tous ces titres ? Comment l’enfant va-t-il régner ? À la manière de César Auguste et de son représentant Quirinius que le texte vient d’évoquer ? À la manière du roi David, ancêtre de Joseph ? Comment va-t-il monter sur le trône ? D’une façon plus pratique, le lecteur se demande comment les bergers vont trouver l’enfant. L’Ange du Seigneur ne répond à aucune de ces questions, mais, comme dans tous les autres récits d’annonces de naissances, il donne un signe. Il parle d’un enfant couché dans une crèche. Le signe donné par l’Ange est ambigu. Il semble en totale contradiction avec le message qui vient d’être donné. Comment la pauvreté et la faiblesse de l’enfant peuvent-elles être des signes royaux ? Placé au début de l’évangile, ce message angélique joue un grand rôle. Il intrigue et invite à lire la suite du texte. Quelle va être la destinée de cet enfant royal couché dans une mangeoire ? La lecture de l’évangile, et plus particulièrement le récit de la longue marche de Jésus vers Jérusalem permettra petit à petit de comprendre le paradoxe. Mais le sens ultime de la royauté de Jésus ne pourra être comprise qu’après sa mort et sa résurrection.

Le choeur de l’armée céleste Le récit continue avec l’arrivée d’un groupe nombreux qui occupe tout l’espace : l’armée céleste . Son rôle est semblable à celui d’un choeur dans un théâtre antique qui intervient à la fin d’une scène pour en tirer la leçon. L’armée céleste chante la louange de Dieu et la paix pour « les hommes de bienveillance ». Nouvelle expression ambiguë. De quelle bienveillance s’agit-il ? De celle des hommes ou de celle de Dieu ? S’agit-il des hommes de bonne volonté (selon les traductions anciennes) ou des hommes objets de la bonne volonté de Dieu (selon les traductions récentes) ? Pour formuler les choses différemment : Qu’est-ce qui est premier : la bonne disposition du coeur des hommes pour accueillir le salut de Dieu ou l’amour gratuit de Dieu pour les hommes ? Autres questions : de quels hommes s’agit-il ? Du peuple élu, objet de la promesse ou de tous les hommes de la terre ? Et enfin : en quoi consiste cette paix ? Est-elle intérieure ou extérieure, pour aujourd’hui ou pour demain ? La suite de l’évangile apportera progressivement des réponses à ces questions. Comme le message de l’Ange du Seigneur, le chant de l’armée céleste s’adresse au lecteur pour susciter son intérêt. Il formule les questions essentielles, celles que la communauté chrétienne des origines se pose, celles qui continuent à se poser à notre foi.

Les nouveaux « anges » Quand les anges sont partis, les bergers, qui jusqu’à présent semblaient figés comme des santons, s’animent à leur tour. Ils s’encouragent mutuellement et vont voir ce qui vient de s’accomplir. Ils y vont en hâte et annoncent ce qui leur a été révélé. Ceux qui les entendent sont étonnés. Nous retrouverons ce même étonnement chez Pierre, à la fin de l’évangile, quand, au matin de Pâque, les femmes lui transmettront le message des anges. Les bergers maintenant s’en retournent pleins de joie. Ils ont pu constater que les paroles de Dieu se réalisaient. Ils sont devenus des « anges » à leur tour, c’est-à-dire des messagers et des célébrants. Comme l’Ange du Seigneur, ils ont annoncé un message de bonheur. Comme l’armée céleste, ils chantent maintenant les louanges de Dieu. Ils préfigurent le rôle de la communauté chrétienne chargée d’annoncer à tous les hommes la bienveillance de Dieu qui s’exerce par le Seigneur Jésus, notre seul Sauveur.

Joseph STRICHER

12