Archive pour la catégorie 'Taizé'

LES COMMANDEMENTS – LETTRE DE TAIZÉ : 2004/2

20 juin, 2018

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imm fr Jesus Pantocrator

Christus Pantocrator

LES COMMANDEMENTS – LETTRE DE TAIZÉ : 2004/2

Pourquoi Jésus appelle-t-il « nouveau » le commandement de nous aimer les uns les autres ?
Une seule fois, Jésus a qualifié un commandement de « nouveau ». Le soir de sa passion, il dit à ses disciples : « Je vous donne un commandement nouveau : vous aimer les uns les autres ; comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. » (Jean 13,34) En quoi ce commandement est-il nouveau ? L’amour mutuel n’est-il pas demandé déjà par le commandement ancien : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lévitique 19,18) ?
Jésus donne à l’amour une mesure nouvelle. Il dit « comme je vous ai aimés » au moment même où, par amour, il donne tout. « Avant la fête de la Pâque, Jésus (…), ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. » (Jean 13,1) Il commence par leur laver les pieds, en disant : « C’est un exemple que je vous ai donné. » (verset 15) Ensuite, profondément troublé par le fait que l’un des Douze, l’apôtre Judas, va le trahir, il continue cependant à l’aimer, exprimant son amour par le don d’un morceau de pain : « Il le prend et le donne à Judas. » (verset 26) Et finalement, le don de l’exemple et le don du morceau de pain aboutissent au don du commandement : « Je vous donne un commandement nouveau. »
Juste avant le commandement nouveau se trouve une parole énigmatique : « Maintenant le Fils de l’homme a été glorifié. » (verset 31) Comment le Christ est-il glorifié avant d’entrer, par la croix et la résurrection, dans la gloire de son Père ? Il est déjà glorifié car sa gloire est d’aimer. Voilà pourquoi c’est maintenant, où il « aime jusqu’au bout », que sa gloire est manifestée. Judas est « sorti dans la nuit » pour le livrer. Mais Jésus ne subit pas passivement l’événement : livré, il se donne lui-même, il continue à aimer dans une situation qui semble sans espoir. C’est cela sa gloire.
Avec le commandement nouveau, Jésus associe ses disciples à ce qu’il a vécu, il leur donne d’aimer comme il aime. Ce soir-là, il a prié : « Que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux et moi en eux. » (Jean 17,26) Désormais, il les habitera comme amour, il aimera en eux. Il ne donne pas seulement une parole à observer, il se donne lui-même. Avec le don du commandement nouveau, Jésus fait don de sa présence. Dans les Evangiles de Matthieu et de Marc, la sortie de Judas est immédiatement suivie par l’institution de l’eucharistie ; dans celui de Jean, par le don du commandement nouveau. Comme l’eucharistie, le commandement nouveau est présence réelle.
Cette nuit-là, Jésus « prit la coupe, en disant : cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang » (1 Corinthiens 11,25). Son commandement est donc nouveau parce qu’il appartient à la nouvelle alliance, annoncée par le prophète Jérémie : « Je conclurai une alliance nouvelle (…), je mettrai ma loi au fond de leur être et je l’écrirai sur leur cœur. » (Jérémie 31,31-34) Dans la nouvelle alliance, l’ancien commandement est donné d’une manière nouvelle. La loi de Dieu n’est plus gravée sur des tables de pierre, mais inscrite dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui unit notre volonté à celle de Dieu.
Quelle est l’importance des commandements dans notre relation avec Dieu ?
Selon l’apôtre Jean, la communion avec Dieu se réalise dans l’observation des commandements : « Celui qui garde ses commandements demeure en Dieu et Dieu en lui. » (1 Jean 3,24) Au Sinaï, Dieu a fait alliance avec « ceux qui l’aiment et gardent ses commandements » (Deutéronome 7,9). En remontant plus loin encore vers les origines, la Bible raconte qu’ayant créé l’être humain, Dieu lui donne aussitôt un commandement (Genèse 2,16-17). C’est comme si, sans commandement, il n’y avait pas de relation avec Dieu.
On pourrait ressentir cette omniprésence des commandements comme pesante. Mais, aussi paradoxal que cela paraisse à première vue, les commandements de Dieu affirment notre liberté. A travers les commandements, Dieu nous parle. Ce que nous appelons les « dix commandements » s’appelle dans la Bible les « dix paroles » (par exemple Exode 34,28). Par les commandements, Dieu nous parle et nous invite à faire un choix (Deutéronome 30,15-20).
Aux animaux, Dieu donne de faire instinctivement ce qui est juste. A nous les humains, il nous dit les commandements, prenant le risque de notre liberté. « La tourterelle, l’hirondelle et la grue observent le temps de leur migration, mais mon peuple ne connaît pas le droit du Seigneur ! » (Jérémie 8,7) Dieu ne programme ni ne force le comportement humain. Il nous parle. Jérémie se plaint de la situation qui peut en résulter. Mais si Dieu ne veut pas nous guider autrement qu’en nous parlant par ses commandements, c’est qu’il tient plus à notre réponse libre – quelle qu’elle soit – qu’à notre comportement juste.
Un jour, un jeune homme demande à Jésus : « Que dois faire de bon pour obtenir la vie éternelle ? » Il lui répond : « Qu’as-tu à m’interroger sur ce qui est bon ? Un seul est le Bon. Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements. » (Matthieu 19,16-17) Pourquoi Jésus oppose-t-il, dans sa réaction, la simple observation des commandements à l’interrogation sur ce qu’il est bien de faire ? Les commandements sont autre chose qu’une information sur ce qui est bien ou mal. Jésus rappelle qu’« un seul est le Bon ». Par les commandements, Dieu ne nous communique pas tant un savoir sur le bien et le mal qu’un appel à l’écouter et à mettre en pratique ce que nous entendons.
La réaction de Jésus fait penser au tout premier commandement de Dieu dans le jardin d’Eden qui interdit de « manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal » (Genèse 2,17). C’est un curieux commandement qui appelle, du moins pour commencer, à renoncer à connaître bien et mal ! Ce commandement demande de laisser à Dieu ce savoir. Il maintient, au centre de l’existence humaine, une zone de non-savoir, un espace libre pour la confiance, pour l’écoute de Dieu. Les commandements vivifient notre relation avec Dieu quand nous y discernons un écho du commandement du paradis, la voix de Dieu qui nous dit : « Laisse-moi être ton Dieu, laisse-moi te montrer le chemin, fais-moi confiance ! »

 

QUELLE EST LA PLACE DE L’ÊTRE HUMAIN DANS L’UNIVERS ?

23 mai, 2016

http://www.taize.fr/fr_article3646.html

QUELLE EST LA PLACE DE L’ÊTRE HUMAIN DANS L’UNIVERS ?

L’Antiquité voyait le monde comme une maison à trois étages : en haut le ciel, demeure de Dieu et de ses anges, sous la terre le royaume des morts, et au milieu la terre, peuplée par les plantes, les animaux et les hommes. Dans un tel univers, l’importance de l’être humain semblait aller de soi. Situé entre le monde divin et le monde créé, il était appelé à être le médiateur entre les deux. La science moderne a radicalement transformé cette façon de voir. Perdus sur une petite planète tournant autour d’une étoile parmi des milliards, dans une galaxie moyenne en un univers en continuelle expansion, la prétention à nous attribuer une place centrale dans l’ordre des choses semble avoir quelque chose de démesuré, voire d’aberrant. Mais voici que l’homme biblique pouvait faire la même expérience. Dans le psaume 8, quelqu’un regarde le vaste ciel nocturne, peuplé d’étoiles, et un cri vient spontanément à ses lèvres : « Qu’est donc le mortel pour que tu penses à lui, le fils d’Adam pour que tu t’en soucies ? » (v. 5). L’immensité de l’univers avait donc quelque chose d’écrasant pour lui aussi. Dans le verset suivant, cependant, le psalmiste retrouve son aplomb dans une conviction qui lui vient de la foi : « À peine le fis-tu moindre qu’un dieu. » La place de l’être humain dans l’univers provient en dernier lieu d’une relation avec la Source de toute vie. Dieu ne l’a pas choisi parce qu’il était le plus impressionnant des êtres ; en soi, fragile et petit, l’homme est effectivement peu de chose. Sa grandeur vient non de ses qualités mais de l’appel divin : Dieu l’a élu « pour qu’il domine sur l’œuvre de [s]es mains » (v. 7). Ici nous rencontrons un autre problème. Le mot « dominer » peut avoir des connotations négatives. Les humains ont-ils le droit, voire le devoir, d’imposer leur volonté sur l’ensemble de la création ? N’est-ce pas cette exploitation débridée de la terre par l’humanité qui a créé tant de dégâts, dont les conséquences sont évidentes aujourd’hui ? Le verbe traduit par « dominer » se réfère en premier lieu à l’activité d’un roi. Et en Israël, le roi n’avait pas comme tâche d’opprimer le peuple, mais d’assurer la justice et la paix dans la société. Il devait utiliser son pouvoir pour faire en sorte que les puissants n’écrasent pas les faibles, que l’harmonie règne entre les différents groupes. De même, le rôle des humains est présenté dans la Bible comme celui d’employer leurs dons d’intelligence et de créativité pour rendre l’univers plus habitable pour tous les êtres. Et dans cette recherche de la paix cosmique, ils doivent commencer par la paix intérieure qui vient de leur communion avec Dieu, Source de paix. Sinon, ils ne font que projeter leurs propres divisions sur le monde autour d’eux.

Comment lire aujourd’hui les récits bibliques de la création ? Il est évident que les récits de la création au commencement de nos bibles ne sont pas écrits selon l’optique de la science moderne. Dès lors, certains voudraient les rejeter sans appel. D’autres, par réaction, s’efforcent de prouver qu’ils décrivent mieux la réalité que les théories modernes. Peut-on dépasser ce qui semble souvent être un dialogue de sourds ? Tout d’abord, le prétendu conflit entre la foi et la science trouve peu d’appuis dans les textes eux-mêmes. Le premier chapitre du livre de la Genèse est « scientifique » à sa façon, parce qu’il témoigne de pouvoirs d’observation minutieux et d’une aptitude pour la classification. Par exemple, au verset 12, les différents genres de plantes sont soigneusement distingués les uns des autres, en toute vraisemblance selon le mode de reproduction : les herbes sans semence visible, les grains portant semence, les arbres avec la semence cachée dans le fruit. Seulement, ce n’est pas la science de nos jours, car les auteurs bibliques n’avaient ni la méthodologie ni les instruments dont nous disposons. Mais la véritable différence entre les récits bibliques et une étude scientifique des origines de l’univers ne consiste pas tant dans la méthode employée que dans les questions posées. Les physiciens et les biologistes de notre temps s’intéressent avant tout aux mécanismes par lesquels le monde et la vie ont été formés, et qui leur permettent de continuer à fonctionner. Les auteurs bibliques avaient une tout autre préoccupation : ils voulaient exprimer la continuité entre l’histoire d’Israël avec son Dieu, d’une part, et l’humanité et l’univers dans son ensemble, de l’autre. Ils voulaient faire comprendre que leur Dieu était vraiment universel, impliqué à fond dans l’existence et le sort de tout ce qui existe. De plus, ils voulaient montrer comment le monde tel que nous le connaissons découle de l’identité de ce Dieu. Qu’est-ce qui fait partie de ses traits essentiels en tant que créé par Dieu, et qu’est-ce qui, par contre, n’est pas en conformité avec son statut de création divine ? Comprendre nos origines de cette manière, c’est trouver les bases qui nous permettent de vivre comme il faut. Le souci des auteurs bibliques est tout sauf théorique. Leur recherche fait partie de ce que la Bible appelle la sagesse, la tentative de mener une existence en harmonie avec le réel. Voir dans les récits bibliques de la création une alternative aux théories scientifiques ou un film de « comment c’était réellement », c’est se vouer à la déception. Si nous cherchons par contre à comprendre la signification de notre existence, nous pourrons y trouver des intuitions qui vont loin. Si tout remonte en définitive à Dieu, la relation avec lui donne la clé pour nous situer dans une vie qui a vraiment un sens.

Dernière mise à jour : 23 juin 2006

TAIZÉ 2006 – QUE SIGNIFIE « ACCUEILLIR LE RÈGNE DE DIEU COMME UN ENFANT » ?

3 février, 2016

http://www.taize.fr/fr_article3261.html

TAIZÉ 2006 – QUE SIGNIFIE « ACCUEILLIR LE RÈGNE DE DIEU COMME UN ENFANT » ?

Un jour, des gens amènent à Jésus des enfants pour qu’il les bénisse. Les disciples s’y opposent. Jésus se fâche et leur enjoint de laisser les enfants venir à lui. Puis il leur dit : « Quiconque n’accueille pas le règne de Dieu comme un petit enfant, n’y entrera certainement pas » (Marc 10,13-16). Il est utile de se rappeler que, plus tôt, c’est à ces mêmes disciples que Jésus avait dit : « Le mystère du règne de Dieu vous a été donné » (Marc 4,11). À cause du règne de Dieu, ils ont tout quitté pour suivre Jésus. Ils cherchent la présence de Dieu, ils veulent faire partie de son règne. Mais voilà que Jésus les avertit qu’en repoussant les enfants, ils sont justement en train de se fermer la seule porte d’entrée dans ce royaume de Dieu tant désiré ! Mais que signifie « accueillir le règne de Dieu comme un enfant » ? On comprend en général : « accueillir le règne de Dieu comme un enfant l’accueille ». Cela correspond à une parole de Jésus en Matthieu : « Si vous ne retournez pas et ne devenez pas comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le règne des cieux » (Matthieu 18,3). Un enfant fait confiance sans réfléchir. Il ne peut pas vivre sans faire confiance à ceux qui l’entourent. Sa confiance n’a rien d’une vertu, elle est une réalité vitale. Pour rencontrer Dieu, le meilleur dont nous disposons, c’est notre cœur d’enfant qui est spontanément ouvert, ose demander simplement, veut être aimé. Mais on peut aussi bien comprendre : « accueillir le règne de Dieu comme on accueille un enfant ». Car le verbe « accueillir » a en général le sens concret d’« accueillir quelqu’un », comme on peut le constater quelques versets plus tôt où Jésus parle d’« accueillir un enfant » (Marc 9,37). Dans ce cas, c’est à l’accueil d’un enfant que Jésus compare l’accueil de la présence de Dieu. Il y a une connivence secrète entre le règne de Dieu et un enfant. Accueillir un enfant, c’est accueillir une promesse. Un enfant croît et se développe. C’est ainsi que le règne de Dieu n’est jamais sur terre une réalité achevée, mais une promesse, une dynamique et une croissance inachevée. Et les enfants sont imprévisibles. Dans le récit d’Evangile, ils arrivent quand ils arrivent, et de toute évidence ce n’est pas au bon moment selon les disciples. Mais Jésus insiste qu’il faut les accueillir puisqu’ils sont là. C’est ainsi qu’il nous faut accueillir la présence de Dieu quand elle se présente, que ce soit au bon ou au mauvais moment. Il faut jouer le jeu. Accueillir le règne de Dieu comme on accueille un enfant, c’est veiller et prier pour l’accueillir quand il vient, toujours à l’improviste, à temps ou à contretemps. Pourquoi Jésus a-t-il montré une attention si particulière aux enfants ? Un jour, les douze apôtres discutent pour savoir qui est le plus grand (Marc 9,33-37). Jésus, qui a deviné leurs réflexions, leur dit une parole déroutante qui bouleverse et ébranle leurs catégories : « Si quelqu’un veut être le premier, il sera le dernier de tous et le serviteur de tous ». À sa parole, il joint le geste. Il va chercher un enfant. Est-ce un enfant qu’il trouve abandonné au coin d’une rue de Capharnaüm ? Il l’amène, le « place au milieu » de cette réunion de futurs responsables de l’Eglise et leur dit : « Quiconque accueille un enfant comme celui-ci en mon nom, c’est moi qu’il accueille ». Jésus s’identifie à l’enfant qu’il vient de prendre dans ses bras. Il affirme que c’est « un enfant comme celui-ci » qui le représente le mieux, à tel point qu’accueillir un tel enfant revient à l’accueillir lui-même, lui, le Christ. Peu avant, Jésus avait dit cette parole énigmatique : « Le fils de l’homme est livré aux mains des hommes » (Marc 9,31). « Le fils de l’homme », c’est lui-même, et ce sont en même temps tous les fils d’homme, c’est-à-dire tous les humains. Le mot de Jésus peut se comprendre : « les humains sont livrés au pouvoir de leurs semblables ». C’est en particulier lors de l’arrestation et des mauvais traitements infligés à Jésus que se vérifiera une fois de plus que les hommes font n’importe quoi avec leurs semblables qui sont sans défense. Que Jésus se reconnaisse dans l’enfant qu’il est allé chercher, n’est alors pas étonnant, car, si souvent, les enfants aussi sont livrés sans défense à ceux qui ont pouvoir sur eux. Jésus a montré une attention si particulière aux enfants car il veut, parmi les siens, une attention prioritaire pour les démunis. Jusqu’à la fin des temps, ils seront ses représentants sur la terre. Ce qu’on leur fera, c’est à lui, le Christ, qu’on le fera (Matthieu 25,40). Les « plus petits de ses frères », ceux qui comptent peu et que l’on traite comme on veut car ils n’ont ni pouvoir ni prestige, sont le chemin, le passage obligé, pour vivre en communion avec lui. Si Jésus a placé un enfant au milieu de ses disciples réunis, c’est aussi afin qu’eux-mêmes acceptent d’être des petits. Il le leur explique, dans l’enseignement qui suit : « Quiconque vous donne à boire un verre d’eau au nom de ce que vous êtes de Christ, amen, je vous le dis qu’il ne perd pas sa récompense » (Marc 9,41). Allant sur les chemins pour annoncer le règne de Dieu, les apôtres seront aussi « livrés aux mains des hommes ». Ils ne sauront jamais à l’avance comment ils seront accueillis. Mais même pour ceux qui les accueilleront avec un simple verre d’eau fraîche, sans même les prendre très au sérieux, ils auront été porteurs d’une présence de Dieu.

 

QUE SIGNIFIE « ACCUEILLIR LE RÈGNE DE DIEU COMME UN ENFANT » ?

13 juillet, 2015

http://www.taize.fr/fr_article3261.html

QUE SIGNIFIE « ACCUEILLIR LE RÈGNE DE DIEU COMME UN ENFANT » ?

Lettre de Taizé : 2006/2

Un jour, des gens amènent à Jésus des enfants pour qu’il les bénisse. Les disciples s’y opposent. Jésus se fâche et leur enjoint de laisser les enfants venir à lui. Puis il leur dit : « Quiconque n’accueille pas le règne de Dieu comme un petit enfant, n’y entrera certainement pas » (Marc 10,13-16).
Il est utile de se rappeler que, plus tôt, c’est à ces mêmes disciples que Jésus avait dit : « Le mystère du règne de Dieu vous a été donné » (Marc 4,11). À cause du règne de Dieu, ils ont tout quitté pour suivre Jésus. Ils cherchent la présence de Dieu, ils veulent faire partie de son règne. Mais voilà que Jésus les avertit qu’en repoussant les enfants, ils sont justement en train de se fermer la seule porte d’entrée dans ce royaume de Dieu tant désiré !
Mais que signifie « accueillir le règne de Dieu comme un enfant » ? On comprend en général : « accueillir le règne de Dieu comme un enfant l’accueille ». Cela correspond à une parole de Jésus en Matthieu : « Si vous ne retournez pas et ne devenez pas comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le règne des cieux » (Matthieu 18,3). Un enfant fait confiance sans réfléchir. Il ne peut pas vivre sans faire confiance à ceux qui l’entourent. Sa confiance n’a rien d’une vertu, elle est une réalité vitale. Pour rencontrer Dieu, le meilleur dont nous disposons, c’est notre cœur d’enfant qui est spontanément ouvert, ose demander simplement, veut être aimé.
Mais on peut aussi bien comprendre : « accueillir le règne de Dieu comme on accueille un enfant ». Car le verbe « accueillir » a en général le sens concret d’« accueillir quelqu’un », comme on peut le constater quelques versets plus tôt où Jésus parle d’« accueillir un enfant » (Marc 9,37). Dans ce cas, c’est à l’accueil d’un enfant que Jésus compare l’accueil de la présence de Dieu. Il y a une connivence secrète entre le règne de Dieu et un enfant.
Accueillir un enfant, c’est accueillir une promesse. Un enfant croît et se développe. C’est ainsi que le règne de Dieu n’est jamais sur terre une réalité achevée, mais une promesse, une dynamique et une croissance inachevée. Et les enfants sont imprévisibles. Dans le récit d’Evangile, ils arrivent quand ils arrivent, et de toute évidence ce n’est pas au bon moment selon les disciples. Mais Jésus insiste qu’il faut les accueillir puisqu’ils sont là. C’est ainsi qu’il nous faut accueillir la présence de Dieu quand elle se présente, que ce soit au bon ou au mauvais moment. Il faut jouer le jeu. Accueillir le règne de Dieu comme on accueille un enfant, c’est veiller et prier pour l’accueillir quand il vient, toujours à l’improviste, à temps ou à contretemps.

Pourquoi Jésus a-t-il montré une attention si particulière aux enfants ?
Un jour, les douze apôtres discutent pour savoir qui est le plus grand (Marc 9,33-37). Jésus, qui a deviné leurs réflexions, leur dit une parole déroutante qui bouleverse et ébranle leurs catégories : « Si quelqu’un veut être le premier, il sera le dernier de tous et le serviteur de tous ».
À sa parole, il joint le geste. Il va chercher un enfant. Est-ce un enfant qu’il trouve abandonné au coin d’une rue de Capharnaüm ? Il l’amène, le « place au milieu » de cette réunion de futurs responsables de l’Eglise et leur dit : « Quiconque accueille un enfant comme celui-ci en mon nom, c’est moi qu’il accueille ». Jésus s’identifie à l’enfant qu’il vient de prendre dans ses bras. Il affirme que c’est « un enfant comme celui-ci » qui le représente le mieux, à tel point qu’accueillir un tel enfant revient à l’accueillir lui-même, lui, le Christ.
Peu avant, Jésus avait dit cette parole énigmatique : « Le fils de l’homme est livré aux mains des hommes » (Marc 9,31). « Le fils de l’homme », c’est lui-même, et ce sont en même temps tous les fils d’homme, c’est-à-dire tous les humains. Le mot de Jésus peut se comprendre : « les humains sont livrés au pouvoir de leurs semblables ». C’est en particulier lors de l’arrestation et des mauvais traitements infligés à Jésus que se vérifiera une fois de plus que les hommes font n’importe quoi avec leurs semblables qui sont sans défense. Que Jésus se reconnaisse dans l’enfant qu’il est allé chercher, n’est alors pas étonnant, car, si souvent, les enfants aussi sont livrés sans défense à ceux qui ont pouvoir sur eux.
Jésus a montré une attention si particulière aux enfants car il veut, parmi les siens, une attention prioritaire pour les démunis. Jusqu’à la fin des temps, ils seront ses représentants sur la terre. Ce qu’on leur fera, c’est à lui, le Christ, qu’on le fera (Matthieu 25,40). Les « plus petits de ses frères », ceux qui comptent peu et que l’on traite comme on veut car ils n’ont ni pouvoir ni prestige, sont le chemin, le passage obligé, pour vivre en communion avec lui.
Si Jésus a placé un enfant au milieu de ses disciples réunis, c’est aussi afin qu’eux-mêmes acceptent d’être des petits. Il le leur explique, dans l’enseignement qui suit : « Quiconque vous donne à boire un verre d’eau au nom de ce que vous êtes de Christ, amen, je vous le dis qu’il ne perd pas sa récompense » (Marc 9,41). Allant sur les chemins pour annoncer le règne de Dieu, les apôtres seront aussi « livrés aux mains des hommes ». Ils ne sauront jamais à l’avance comment ils seront accueillis. Mais même pour ceux qui les accueilleront avec un simple verre d’eau fraîche, sans même les prendre très au sérieux, ils auront été porteurs d’une présence de Dieu.

QUE SIGNIFIE « ACCUEILLIR LE RÈGNE DE DIEU COMME UN ENFANT » ? – LETTRE DE TAIZÉ

23 juin, 2015

http://www.taize.fr/fr_article3261.html

QUE SIGNIFIE « ACCUEILLIR LE RÈGNE DE DIEU COMME UN ENFANT » ?

LETTRE DE TAIZÉ : 2006/2

Un jour, des gens amènent à Jésus des enfants pour qu’il les bénisse. Les disciples s’y opposent. Jésus se fâche et leur enjoint de laisser les enfants venir à lui. Puis il leur dit : « Quiconque n’accueille pas le règne de Dieu comme un petit enfant, n’y entrera certainement pas » (Marc 10,13-16).
Il est utile de se rappeler que, plus tôt, c’est à ces mêmes disciples que Jésus avait dit : « Le mystère du règne de Dieu vous a été donné » (Marc 4,11). À cause du règne de Dieu, ils ont tout quitté pour suivre Jésus. Ils cherchent la présence de Dieu, ils veulent faire partie de son règne. Mais voilà que Jésus les avertit qu’en repoussant les enfants, ils sont justement en train de se fermer la seule porte d’entrée dans ce royaume de Dieu tant désiré !
Mais que signifie « accueillir le règne de Dieu comme un enfant » ? On comprend en général : « accueillir le règne de Dieu comme un enfant l’accueille ». Cela correspond à une parole de Jésus en Matthieu : « Si vous ne retournez pas et ne devenez pas comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le règne des cieux » (Matthieu 18,3). Un enfant fait confiance sans réfléchir. Il ne peut pas vivre sans faire confiance à ceux qui l’entourent. Sa confiance n’a rien d’une vertu, elle est une réalité vitale. Pour rencontrer Dieu, le meilleur dont nous disposons, c’est notre cœur d’enfant qui est spontanément ouvert, ose demander simplement, veut être aimé.
Mais on peut aussi bien comprendre : « accueillir le règne de Dieu comme on accueille un enfant ». Car le verbe « accueillir » a en général le sens concret d’« accueillir quelqu’un », comme on peut le constater quelques versets plus tôt où Jésus parle d’« accueillir un enfant » (Marc 9,37). Dans ce cas, c’est à l’accueil d’un enfant que Jésus compare l’accueil de la présence de Dieu. Il y a une connivence secrète entre le règne de Dieu et un enfant.
Accueillir un enfant, c’est accueillir une promesse. Un enfant croît et se développe. C’est ainsi que le règne de Dieu n’est jamais sur terre une réalité achevée, mais une promesse, une dynamique et une croissance inachevée. Et les enfants sont imprévisibles. Dans le récit d’Evangile, ils arrivent quand ils arrivent, et de toute évidence ce n’est pas au bon moment selon les disciples. Mais Jésus insiste qu’il faut les accueillir puisqu’ils sont là. C’est ainsi qu’il nous faut accueillir la présence de Dieu quand elle se présente, que ce soit au bon ou au mauvais moment. Il faut jouer le jeu. Accueillir le règne de Dieu comme on accueille un enfant, c’est veiller et prier pour l’accueillir quand il vient, toujours à l’improviste, à temps ou à contretemps.
Pourquoi Jésus a-t-il montré une attention si particulière aux enfants ?
Un jour, les douze apôtres discutent pour savoir qui est le plus grand (Marc 9,33-37). Jésus, qui a deviné leurs réflexions, leur dit une parole déroutante qui bouleverse et ébranle leurs catégories : « Si quelqu’un veut être le premier, il sera le dernier de tous et le serviteur de tous ».
À sa parole, il joint le geste. Il va chercher un enfant. Est-ce un enfant qu’il trouve abandonné au coin d’une rue de Capharnaüm ? Il l’amène, le « place au milieu » de cette réunion de futurs responsables de l’Eglise et leur dit : « Quiconque accueille un enfant comme celui-ci en mon nom, c’est moi qu’il accueille ». Jésus s’identifie à l’enfant qu’il vient de prendre dans ses bras. Il affirme que c’est « un enfant comme celui-ci » qui le représente le mieux, à tel point qu’accueillir un tel enfant revient à l’accueillir lui-même, lui, le Christ.
Peu avant, Jésus avait dit cette parole énigmatique : « Le fils de l’homme est livré aux mains des hommes » (Marc 9,31). « Le fils de l’homme », c’est lui-même, et ce sont en même temps tous les fils d’homme, c’est-à-dire tous les humains. Le mot de Jésus peut se comprendre : « les humains sont livrés au pouvoir de leurs semblables ». C’est en particulier lors de l’arrestation et des mauvais traitements infligés à Jésus que se vérifiera une fois de plus que les hommes font n’importe quoi avec leurs semblables qui sont sans défense. Que Jésus se reconnaisse dans l’enfant qu’il est allé chercher, n’est alors pas étonnant, car, si souvent, les enfants aussi sont livrés sans défense à ceux qui ont pouvoir sur eux.
Jésus a montré une attention si particulière aux enfants car il veut, parmi les siens, une attention prioritaire pour les démunis. Jusqu’à la fin des temps, ils seront ses représentants sur la terre. Ce qu’on leur fera, c’est à lui, le Christ, qu’on le fera (Matthieu 25,40). Les « plus petits de ses frères », ceux qui comptent peu et que l’on traite comme on veut car ils n’ont ni pouvoir ni prestige, sont le chemin, le passage obligé, pour vivre en communion avec lui.
Si Jésus a placé un enfant au milieu de ses disciples réunis, c’est aussi afin qu’eux-mêmes acceptent d’être des petits. Il le leur explique, dans l’enseignement qui suit : « Quiconque vous donne à boire un verre d’eau au nom de ce que vous êtes de Christ, amen, je vous le dis qu’il ne perd pas sa récompense » (Marc 9,41). Allant sur les chemins pour annoncer le règne de Dieu, les apôtres seront aussi « livrés aux mains des hommes ». Ils ne sauront jamais à l’avance comment ils seront accueillis. Mais même pour ceux qui les accueilleront avec un simple verre d’eau fraîche, sans même les prendre très au sérieux, ils auront été porteurs d’une présence de Dieu.

LA CRAINTE DE DIEU – LETTRE DE TAIZÉ : 2004/4

24 novembre, 2014

http://www.taize.fr/fr_article1074.html

LA CRAINTE DE DIEU – LETTRE DE TAIZÉ : 2004/4

Quelle relation avec Dieu expriment les mots craindre Dieu ?
Des mots divers expriment notre relation à Dieu, nous pouvons croire en lui, l’aimer, le servir. Parfois on dit aussi craindre Dieu. Cette expression est difficile à comprendre, mais comme elle n’est pas rare dans la Bible, il vaut la peine de faire l’effort d’une lecture attentive de quelques textes pour essayer de mieux en saisir le sens.
Il y a d’abord la crainte comme arrière-fond de toutes les religions. Les manifestations du divin produisent des émotions fortes, allant jusqu’à la panique et l’effroi. La divinité fascine et effraie en même temps. Pas de rencontre avec l’inconnu et l’inattendu de Dieu sans un moment de saisissement. Il en est ainsi depuis l’apparition de Dieu au Sinaï jusqu’au matin de Pâques : les femmes venues au tombeau vide « avaient peur » (Marc 16,8). Mais, dans la Bible, il n’est presque jamais question de l’émoi suscité par une manifestation divine sans que retentisse aussitôt la parole : « Ne craignez pas. » La crainte religieuse n’est pas une valeur en soi. Elle ne doit pas durer mais laisser place à la confiance.
Dans d’autres contextes, la crainte de Dieu est une réalité durable et non pas passagère. « La crainte du Seigneur est pure, immuable à jamais. » (Psaume 19,10) L’explication de cette crainte immuable n’est pas à chercher dans l’émotion religieuse, mais dans le langage politique de l’époque. Les traités de protection stipulaient que les protégés craindraient et serviraient fidèlement leur protecteur. Dans l’alliance de Dieu avec Israël, les mêmes mots expriment l’engagement de fidélité envers Dieu : « Que te demande le Seigneur ton Dieu, sinon de craindre le Seigneur ton Dieu, de suivre toutes ses voies, de l’aimer, de servir le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur et de toute ton âme ? » (Deutéronome 10,12) Craindre, aimer et servir Dieu sont ici synonymes. La crainte de Dieu n’est plus une émotion mais une attitude stable de fidélité à l’alliance.
Dans les psaumes, craindre le Seigneur, c’est « garder son alliance et se souvenir d’accomplir ses volontés. » (Psaume 103,18) « Ceux qui craignent le Seigneur » forment « la grande assemblée » des fidèles réunis au Temple pour prier et adorer (Psaume 22,26). Dans ce contexte, la crainte du Seigneur correspond à peu près à ce que nous appelons la pratique religieuse. C’est pourquoi elle s’enseigne : « Venez, fils, écoutez-moi, la crainte du Seigneur, je vous l’enseigne. » (Psaume 34,12) « Enseigner la crainte du Seigneur », ce n’est pas du tout susciter la peur, mais c’est enseigner les prières et les commandements, initier à une vie de confiance en Dieu. « Vous qui craignez le Seigneur, ayez confiance en lui. » (Ecclésiastique 2,8)
Tenant compte de l’usage que la Bible fait du mot craindre, on peut, à bien des endroits, le traduire par adorer ou aimer, et traduire la crainte de Dieu par la fidélité.
La crainte de Dieu a-t-elle encore quelque chose à nous dire ?
La réticence actuelle à parler de la crainte de Dieu est sans doute justifiée, tant le langage de la peur a pu rendre méconnaissable le fait que Dieu est amour. Pour éviter ce danger, on se sert, partout où c’est possible, d’un autre vocabulaire. Mais il reste, dans les deux Testaments, des passages où la crainte de Dieu est le mot clef difficilement remplaçable.
Selon le prophète Isaïe, la crainte de Dieu guérit des craintes des hommes. « Oui, ainsi m’a parlé le Seigneur lorsque sa main m’a saisi et qu’il m’a appris à ne pas suivre le chemin de ce peuple. Il m’a dit : Vous n’appellerez pas complot tout ce que ce peuple appelle complot, vous ne partagerez pas ses craintes et vous n’en serez pas terrifiés. C’est le Seigneur que vous proclamerez saint, c’est lui qui sera l’objet de votre crainte et de votre terreur. » (8,11-13) De toute évidence, Isaïe appelle au courage et à la confiance, mais cette confiance, il l’appelle crainte et terreur ! C’est une expression rhétorique, mais plus que cela. Isaïe sait que la peur est incontrôlable. Alors c’est comme s’il disait : « Vous ne pouvez pas ne pas craindre : alors craignez Dieu ! Dirigez donc vers Dieu toute cette énergie qui anime votre peur. » Cette crainte de Dieu qui absorbe les autres craintes n’est pas facile à définir, mais elle est certainement la source d’une grande liberté intérieure.
Un peu plus loin dans le livre d’Isaïe, la crainte de Dieu est un charisme du Messie : « Sur lui reposera l’Esprit du Seigneur : esprit de sagesse et d’intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte du Seigneur. » (Isaïe 11,2) Tout autant que la sagesse et la force, la crainte du Seigneur est un don de l’Esprit saint ! Ce même don s’appelle aussi humilité. Craindre le Seigneur, c’est reconnaître en lui la source de tout bien. Cette transparence était au cœur de la vie de Jésus : « Je ne fais rien de moi-même … mais le Père demeurant en moi fait ses œuvres. » (Jean 8,28 et 14,10)
L’apôtre Paul écrit : « Travaillez avec crainte et tremblement à accomplir votre salut, car c’est Dieu qui opère en vous et le vouloir et l’opération même. » (Philippiens 2,12-13) Puisque Paul affirme que le salut vient par la foi, « travailler avec crainte et tremblement à son salut » doit ici exprimer un aspect de la foi. La foi n’est pas une assurance à la légère, mais une confiance toute tremblante : confiance vive, étonnée, vigilante. Notre salut est un miracle que Dieu « opère en nous », c’est pourquoi il demande toute notre attention. « Travailler avec crainte et tremblement » c’est prendre conscience que chaque instant est une rencontre avec Dieu, car à tout moment, Dieu est à l’œuvre en nous.
« Vous qui craignez le Seigneur, louez-le, toute la race de Jacob, glorifiez-le, redoutez-le, toute la race d’Israël. » (Psaume 22,24) Progression étonnante des verbes : « louez, glorifiez, redoutez le Seigneur » ! La crainte est ici la louange arrivée au point où elle ne sait plus que dire : louange devenue étonnement, silence et amour.

CHAQUE ÊTRE HUMAIN A UNE DIGNITÉ INCOMMENSURABLE POUR DIEU – FRÈRE ALOIS

22 avril, 2014

http://www.taize.fr/fr_article12728.html

MÉDITATION HEBDOMADAIRE DE FRÈRE ALOIS

CHAQUE ÊTRE HUMAIN A UNE DIGNITÉ INCOMMENSURABLE POUR DIEU

Jeudi 4 août 2011

Trois fois par jour nous nous retrouvons ici dans l’église pour nous tourner ensemble vers Dieu. La prière commune est au cœur de notre vie de communauté, et c’est important pour nous, les frères, de la partager avec vous tous.
Même si Dieu restera toujours au-delà de tout ce que nous pourrions imaginer, il nous est pourtant possible de nous tourner vers lui. Lui parler ou simplement être en sa présence. Au fond de l’âme de chacun de nous, il y a une prière que nous pouvons formuler plus ou moins bien, mais que Dieu comprend.
Dieu, comme le soleil, est trop éblouissant pour que nous puissions le regarder. Mais le Christ Jésus est venu, et à travers lui la lumière de Dieu nous devient accessible. Après-demain nous allons célébrer une fête qui nous aide à comprendre cela plus profondément.
Le 6 août nous commémorons un moment tout à fait particulier de la vie de Jésus. La Bible nous raconte qu’il est monté sur une montagne avec ses disciples Pierre, Jacques et Jean. Et, pendant un bref instant, le visage de Jésus et tout son être ont rayonné d’une lumière jamais vue.
Que s’est-il passé ? A ce moment-là les disciples ont vu clairement qui Jésus était vraiment. La lumière de Dieu est devenue visible à travers lui. Ils ont compris qu’il était vraiment l’envoyé de Dieu, et cela tout en vivant une vie extrêmement simple. Jésus qui était l’un de nous, comme nous, leur apparut transfiguré.
Frère Roger aimait beaucoup cette fête de la transfiguration. Il vivait de cette confiance que nous aussi, comme les disciples, nous pouvons regarder vers le Christ. Et sa lumière transfigure notre être. Frère Roger a écrit ces paroles :
« En tout homme, en toute femme, une blessure est ouverte par les échecs, les humiliations, la mauvaise conscience. Elle s’est ouverte peut-être au moment ou nous aurions eu besoin d’une infinie compréhension et personne ne s’est trouvé là. »« Transfigurée par le Christ, la blessure se change en un lieu d’énergie, en une source créatrice d’où jailliront communion, amitié et compréhension. »
Jésus a dit à ses disciples ces paroles étonnantes : « Vous êtes la lumière du monde. » Ils n’étaient que quelques-uns, ils auraient pu s’attarder à leurs limites et à leur faiblesse, mais ils ont accepté que Jésus les envoie transmettre sa lumière dans le monde entier.
Et comment ont-ils pu le faire ? En montrant par leur vie que le Christ avait apporté une nouvelle solidarité à toute l’humanité. Il est venu rassembler dans l’amour de Dieu tous les humains. Par lui nous savons que chaque être humain a une dignité incommensurable pour Dieu.
Cette solidarité et cette communion entre tous les humains nous passionnent. C’est pourquoi, par exemple, je me suis senti poussé ces jours à écrire à quelques musulmans que nous connaissons, pour leur dire que nous sommes proches d’eux maintenant qu’ils commencent le Ramadan.
Dans de nombreux endroits du monde la dignité humaine est bafouée. Comme chrétiens nous sommes concernés, appelés, interpellés par ces situations.
La semaine passée nous avons eu la visite du pasteur Junge, secrétaire général de la Fédération luthérienne mondiale. Les Nations-unies ont demandé à cette Fédération d’Églises de s’occuper d’un camp au Kenya où des réfugiés de la faim venant de Somalie sont accueillis. Ce camp était prévu pour 50.000 personnes, mais ils y sont actuellement 500.000 réfugiés.
Le pasteur Junge y est allé ces jours. Nous nous sommes demandés par quel geste nous pouvions l’accompagner et exprimer notre solidarité avec ceux qui sont dans ce camp. Quelqu’un parmi vous a proposé de faire demain le même geste que nous avons fait la semaine passée pour les victimes de l’attentat en Norvège.
Ce geste est tout simple, nous pourrons le vivre tous ensemble : nous prendrons le repas de demain midi en silence. Ainsi nous exprimerons notre solidarité avec ceux qui souffrent de la faim en Somalie, au Kenya, en Éthiopie, et aussi en Corée du Nord.
Face à la souffrance dans le monde, il ne nous est pas demandé d’ajouter encore de la tristesse. Ce que le Christ nous demande c’est d’aimer davantage ceux qui nous sont confiés au près ou au loin.
Un dernier mot. Parmi nous il y a un grand nombre de jeunes allemands. Cela reste étonnant qu’ils viennent tout au long de l’année. Et nous nous en réjouissons d’autant plus que la rencontre européenne aura lieu à la fin de cette année à Berlin.
Pour beaucoup, à l’Est et à l’Ouest de l’Europe, Berlin est le symbole d’une ville dont la population ne se laisse pas décourager, même dans des circonstances difficiles. Cela prend aujourd’hui un grand poids, alors que nous cherchons à communiquer un nouveau courage pour le futur, aussi pour le futur de l’Europe.
Une centaine de jeunes berlinois sont parmi nous. Nous voudrions leur dire déjà un grand merci de préparer un bel accueil et une belle rencontre !

DIMANCHE 31 MAI 2009 – MÉDITATION SUR LA PENTECÔTE, DE FRÈRE ALOIS, : « QUE TON SOUFFLE DE BONTÉ ME CONDUISE ! »

18 mai, 2013

http://paroissemacampagne-puymoyen.over-blog.com/article-32071152.html

DIMANCHE 31 MAI 2009 – MÉDITATION SUR LA PENTECÔTE, DE FRÈRE ALOIS, PRIEUR DE LA COMMUNAUTÉ DE TAIZÉ

PENTECÔTE : « QUE TON SOUFFLE DE BONTÉ ME CONDUISE ! »

Dans de nombreuses régions du monde, quand revient la fête de Pentecôte la nature se fait belle. Le printemps éclate, l’été s’annonce déjà, le blé lève, et le vent se plait à jouer dans les épis, comme si c’était lui qui les faisait croître. En Israël la fête de la Pentecôte était une action de grâces pour les blés mûrs. Dans plusieurs paraboles, Jésus parle du Royaume de Dieu venant à travers une maturation. Pentecôte marque le temps de la récolte.
Mais Pentecôte est aussi l’irruption de la nouveauté, de l’inespéré. Ce qui s’est passé au Sinaï en a été la préfiguration, qui trouve maintenant un accomplissement. Dieu fait connaître sa volonté, pourtant sa Loi ne s’inscrit plus sur des tables de pierre, mais dans les cœurs. Ce n’est plus un seul, Moïse, qui se tient devant Dieu ; le feu de l’Esprit descend sur chacun. Par l’Esprit Saint, Dieu vient lui-même habiter en nous. Sans intermédiaire il est là. C’est pour nous faire entrer dans une relation personnelle avec Dieu que l’Esprit Saint nous est donné.
Si l’Esprit Saint reste souvent discret, s’effaçant lui-même, c’est qu’il ne veut pas prendre notre place, mais plutôt fortifier notre personne. Au fond de notre être, il dit inlassablement le oui de Dieu à notre existence. Alors il est une prière accessible à chacun : « Que ton souffle de bonté me conduise ! » (Psaume 143.10) Portés par ce souffle, nous pouvons avancer.
A la fin de sa vie, frère Roger adressait ses prières de plus en plus souvent à l’Esprit Saint. Il voulait nous entraîner à une confiance dans sa présence invisible. Il savait que le combat intérieur pour s’abandonner au souffle de l’Esprit et croire à l’amour de Dieu est décisif dans une vie humaine.
Depuis de longues années, plusieurs de mes frères vivent en Corée. Un jour que je les visitais, nous sommes allés dans un monastère bouddhiste. Nous y avons reçu un accueil très fraternel. J’ai éprouvé une grande admiration pour ces moines bouddhistes qui avec courage cherchent à être conséquents avec leur vision. Ils font un effort énorme pour se décentrer d’eux-mêmes et s’ouvrir à une réalité plus grande qu’eux, à un absolu. Ils ont développé une profonde sagesse, une recherche de miséricorde que nous partageons avec eux.
Mais comment tiennent-ils, me suis-je demandé, sans croire en un Dieu personnel ? Leur engagement implique une solitude extrême. Nous, comme chrétiens, nous croyons que l’Esprit Saint nous habite, en lui nous formons le corps du Christ, nous nous adressons à Dieu en lui disant « Tu » : c’est un pas énorme, inimaginable pour une grande partie de l’humanité. En sommes-nous assez conscients ?
J’en suis revenu empli d’un nouvel émerveillement pour la Révélation apportée par le Christ et je me suis dit : n’est-il pas urgent, pour nous les chrétiens, de montrer par notre vie que l’Esprit Saint est agissant ?
Commençons par approfondir le mystère de la communion qui nous unit. Quand nous nous tournons ensemble vers le Christ, dans une prière commune, l’Esprit Saint nous rassemble dans cette unique communion qu’est l’Église et nous donne de naître à une vie nouvelle.
Le premier don de l’Esprit Saint est le pardon. Le Christ ressuscité a dit aux siens : « Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. » (Jean 20.22-23) L’Église est d’abord une communion de pardon. Quand nous comprenons que Dieu nous donne son pardon, nous devenons capables de le donner aussi à d’autres. Bien sûr, nos communautés, nos paroisses sont toujours pauvres et loin de ce dont nous rêvons. Mais l’Esprit Saint est continuellement présent dans l’Église et nous fait avancer sur le chemin du pardon.
Si le Christ nous envoie proclamer la Bonne Nouvelle au monde entier, il nous demande aussi de discerner les signes de sa présence là où il nous précède. Les premiers chrétiens ont été surpris de découvrir la présence de l’Esprit là où ils ne l’attendaient pas (voir Actes 10). Jésus lui-même a été frappé par la foi d’un soldat romain. (Luc 7.1-10) Sommes-nous capables de nous étonner en reconnaissant les attentes spirituelles de nos contemporains ?
Laissons aussi croître dans nos vies les fruits de l’Esprit : « Amour, joie, paix, patience, bienveillance, bonté, confiance dans les autres, douceur, maitrise de soi. » (Galates 5.22-23). L’Esprit nous met en route vers les autres, et d’abord vers ceux qui sont plus pauvres que nous. Dans une solidarité concrète avec les démunis, la lumière de l’Esprit Saint peut inonder notre vie.
Oui l’Esprit Saint est à l’œuvre aujourd’hui. Il redit sans cesse l’amour de Dieu dans notre cœur. Heureux qui ne s’abandonne pas à la peur, mais au souffle de l’Esprit Saint. Celui-ci est aussi l’eau vive, il est l’Esprit de paix, qui peut irriguer notre cœur et se communiquer, à travers nous, dans le monde.

L’ACTUALITÉ DE DIETRICH BONHOEFFER (1906-1945)

9 avril, 2013

http://www.taize.fr/fr_article4882.html

L’ACTUALITÉ DE DIETRICH BONHOEFFER (1906-1945)

Dietrich Bonhoeffer, jeune pasteur symbole de la résistance allemande contre le nazisme, compte parmi ceux qui peuvent nous soutenir sur notre chemin de foi. Lui qui, aux heures les plus sombres du xxe siècle, a donné sa vie jusqu’au martyre, écrivait en prison ces paroles que nous chantons désormais à Taizé : « Dieu, rassemble mes pensées vers toi. Auprès de toi la lumière, tu ne m’oublies pas. Auprès de toi le secours, auprès de toi la patience. Je ne comprends pas tes voies, mais toi, tu connais le chemin pour moi. »
Ce qui touche chez Bonhoeffer, c’est sa ressemblance avec les Pères de l’Église, les penseurs chrétiens des premiers siècles. Les Pères de l’Église ont mené tout leur travail à partir de la recherche d’une unité de vie. Ils étaient capables de réflexions intellectuelles extrêmement profondes, mais en même temps ils priaient beaucoup et étaient pleinement intégrés dans la vie de l’Église de leur temps. On trouve cela chez Bonhoeffer. Intellectuellement il était quasiment surdoué. Mais en même temps cet homme a tant prié, il a médité l’Écriture tous les jours, jusque dans les derniers temps de sa vie. Il la comprenait, ainsi que Grégoire le Grand l’a dit une fois, comme une lettre de Dieu qui lui était adressée. Bien qu’il vienne d’une famille où les hommes – son père, ses frères – étaient pratiquement agnostiques, bien que son Eglise, l’Église protestante d’Allemagne, l’ait beaucoup déçu au moment du nazisme et qu’il en ait souffert, il a vécu pleinement dans l’Église.
Je relève trois écrits :
Sa thèse de doctorat, Sanctorum Communio, a quelque chose d’exceptionnel pour l’époque : un jeune étudiant de 21 ans écrit une réflexion dogmatique sur la sociologie de l’Église à partir du Christ. Réfléchir à partir du Christ sur ce que l’Église devrait être, cela paraissait incongru. Bien plus qu’une institution, l’Église est pour lui le Christ existant sous forme de communauté. Le Christ n’est pas un peu présent par l’Eglise, non : il existe aujourd’hui pour nous sous forme d’Église. C’est tout à fait fidèle à saint Paul. C’est ce Christ qui a pris sur lui notre sort, qui a pris notre place. Cette façon de faire du Christ reste la loi fondamentale de l’Église : prendre la place de ceux qui ont été exclus, de ceux qui se trouvent en dehors, comme Jésus l’a fait au cours de son ministère et déjà au moment de son baptême. Il est frappant de voir comment ce livre parle de l’intercession : elle est comme le sang qui circule dans le Corps du Christ. Pour exprimer cela, Bonhoeffer prend appui sur des théologiens orthodoxes. Il parle aussi de la confession, qui n’était pratiquement plus en usage dans les Églises protestantes. Imaginez cela : un jeune homme de 21 ans affirme qu’il est possible qu’un ministre de l’Église nous dise : « Tes péchés te sont pardonnés » et qu’il affirme que cela fait partie de l’essence de l’Église : quelle nouveauté dans son contexte !
Le deuxième écrit, c’est un livre qu’il a rédigé quand il a été appelé à devenir directeur d’un séminaire pour les étudiants en théologie qui envisageaient un ministère dans l’Église confessante, des hommes qui devaient se préparer à une vie très dure. Presque tous ont eu à faire à la Gestapo, certains ont été jetés en prison. En allemand le titre est extrêmement bref : Nachfolge, suivre. Cela dit tout sur le livre. Comment prendre au sérieux ce que Jésus a exprimé, comment ne pas le mettre de côté comme si ses paroles étaient pour d’autres temps ? Le livre le dit : suivre n’a pas de contenu. On aurait aimé que Jésus ait un programme. Et pourtant non ! À sa suite, tout dépend de la relation avec lui : c’est lui qui va devant et nous suivons.
Suivre, cela veut dire, pour Bonhoeffer, reconnaître que si Jésus est vraiment ce qu’il a dit de lui-même, il a, dans notre vie, droit sur tout. Il est le « médiateur ». Aucune relation humaine ne peut prévaloir contre lui. Il cite les paroles du Christ appelant à quitter les parents, la famille, tous ses biens. Cela fait un peu peur aujourd’hui, et on a pu le reprocher à ce livre : Bonhoeffer ne donne-t-il pas une image trop autoritaire du Christ ? On lit pourtant dans l’Évangile combien les gens ont été étonnés de l’autorité avec laquelle Jésus enseigne et avec laquelle il chasse les mauvais esprits. Il y a une autorité en Jésus. Lui-même, cependant, se dit tout autre que les Pharisiens, doux et humble de cœur, c’est-à-dire éprouvé lui-même et en dessous de nous. C’est ainsi qu’il s’est toujours présenté et c’est derrière cette humilité qu’est la vraie autorité.
Tout ce livre est bâti ainsi : écouter avec foi et mettre en pratique. Si on écoute avec foi, si on se rend compte que c’est lui, le Christ, qui parle, on ne peut pas ne pas mettre en pratique ce qu’il dit. Si la foi s’arrêtait devant la mise en pratique, elle ne serait plus la foi. Elle poserait une limite au Christ qu’on a écouté. Bien sûr, sous la plume de Bonhoeffer, cela peut paraître un peu trop fort, mais est-ce que l’Église n’a pas toujours à nouveau besoin de cette écoute-là ? Une écoute simple. Une écoute directe, immédiate, qui croit qu’il est possible de vivre ce que le Christ demande.
Le troisième écrit, ce sont les fameuses lettres de prison, Résistance et soumission. Dans un monde où il perçoit que Dieu n’est plus reconnu, dans un monde sans Dieu, Bonhoeffer se pose la question : comment allons-nous parler de Lui ? Allons-nous essayer de créer des domaines de culture chrétienne, en plongeant dans le passé, avec une certaine nostalgie ? Allons-nous essayer de provoquer des besoins religieux chez des gens qui apparemment n’en ont plus ? Aujourd’hui on peut dire qu’il y a un regain d’intérêt religieux, mais ce n’est souvent que pour donner un vernis religieux à la vie. Il serait faux de notre part de créer explicitement une situation dans laquelle les gens auraient besoin de Dieu.
Comment allons-nous alors parler du Christ aujourd’hui ? Bonhoeffer répond : par notre vie. C’est impressionnant de voir comment il décrit le futur à son filleul : « vient le jour où il sera peut-être impossible de parler ouvertement, mais nous allons prier, nous allons faire ce qui est juste, et le temps de Dieu viendra ». Bonhoeffer croit que le langage nécessaire nous sera donné par la vie. Nous pouvons tous ressentir aujourd’hui, même à l’égard de ceux qui sont les plus proches de nous, une grande difficulté à parler de la rédemption par le Christ, de la vie après la mort ou, plus encore, de la Trinité. Tout cela est tellement loin pour des gens qui, dans un certain sens, n’ont plus besoin de Dieu. Comment avoir cette confiance que si nous en vivons, le langage nous sera donné ? Il ne nous sera pas donné si nous rendons l’Évangile acceptable en le diminuant. Non, le langage nous sera donné si nous en vivons vraiment.
Dans ses lettres comme dans le livre sur suivre le Christ, tout se termine d’une façon presque mystique. Il n’aurait pas voulu qu’on dise cela, mais quand il s’agit d’être avec Dieu sans Dieu, on pense à saint Jean de La Croix, ou à sainte Thérèse de Lisieux dans ce phase très dure qu’elle a traversée à la fin de sa vie. C’est cela que voulait Bonhoeffer : rester avec Dieu sans Dieu. Oser se tenir à côté de Lui quand il est refusé, rejeté. Cela donne une certaine gravité à tout ce qu’il a écrit. Il faut pourtant savoir qu’il était optimiste. Sa vision de l’avenir a quelque chose de libérateur pour les chrétiens. Il avait confiance ; le mot confiance revient si souvent dans ses lettres de prison.
En prison, Bonhoeffer aurait voulu écrire un commentaire du psaume 119, mais il n’est arrivé qu’à la troisième strophe. Dans ce Psaume un verset résume bien ce dont Bonhoeffer a vécu : Tu es proche, toi Seigneur, tout ce que tu ordonnes est vérité. Dietrich Bonhoeffer a vécu de cette certitude que le Christ est réellement proche, dans toutes les situations, même les plus extrêmes. Tu es proche, toi Seigneur, tout ce que tu ordonnes est vérité. Nous pouvons croire que ce que tu ordonnes est non seulement vrai, mais digne de notre entière confiance.

frère François, de Taizé

LES MÉDITATIONS DE FRÈRE ALOIS DE TAIZÉ – VENDREDI SAINT : LA CROIX N’EST PAS LE DERNIER MOT

27 mars, 2013

http://www.paroissefrancaisedemilan.com/page-1224.html

LES MÉDITATIONS DE FRÈRE ALOIS DE TAIZÉ

VENDREDI SAINT : LA CROIX N’EST PAS LE DERNIER MOT

LA CROIX DE TAIZÉ

A Noël nous avons célébré un Dieu proche, qui par amour se fait homme et partage notre existence. Aujourd’hui nous nous rappelons que Jésus va jusqu’au bout sur ce chemin : il est trahi, arrêté, condamné, torturé, il meurt comme le dernier des derniers.
Jésus se met du côté des faibles et des pauvres. A première vue c’est un scandale ou une pure folie. En donnant sa vie sur la croix, il choisit la dernière place, il accepte la honte de l’échec. Il prend sur lui le poids de la souffrance, de la haine et de la mort, pour nous en libérer. Par là, il inscrit le oui de Dieu au plus profond de la condition humaine. Même malmené par les hommes, Jésus ne retire pas ce oui à l’être humain. C’est sa mission, il l’accomplit et il en paie le prix.
Sur la croix, Jésus ouvre les bras pour rassembler toute l’humanité et toute la création dans l’amour de Dieu. Il est la manifestation de la bonté de Dieu pour chaque être humain. Pour réconcilier l’humanité avec Dieu, « Jésus s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave et devenant semblable aux hommes… obéissant jusqu’à la mort, et la mort sur une croix. » (Phil 2, 5-11)
Jésus inaugure ainsi la nouvelle Alliance, une nouvelle communion avec Dieu. Celle-ci est comme un échange : il prend sur lui ce qui sépare l’humanité de Dieu, il assume la destinée de chaque personne ; et en échange il nous communique sa vie. La descente de Dieu dans le Christ par l’incarnation et l’humiliation extrême de la croix seront à jamais source d’étonnement et de vie nouvelle. Déjà au deuxième siècle, Irénée de Lyon a été jusqu’à dire : « A cause de son amour infini, le Christ est devenu ce que nous sommes, afin de faire de nous pleinement ce qu’il est. »
A cette heure où Jésus porte sur ses épaules l’ensemble de l’humanité, il n’oublie pas pour autant la douleur de ses tout proches. Il voit près de lui Marie, sa mère, et il demande à Jean, le disciple qu’il aime tout particulièrement, de prendre désormais soin d’elle. (Jean 19.26-27) Ainsi, très humblement, sous la croix nait l’Eglise.
Il voit aussi autour de lui ceux qui le persécutent. Arrivé à ce moment décisif, il demande à Dieu de leur donner le pardon : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Luc 23. 34) Le pardon de Dieu est sans limite, il restera à jamais une source jaillissante.
Sur la croix, le Christ partage tout avec nous, même le silence de Dieu : à sa souffrance ne répond qu’un grand silence, il éprouve ce que signifie se sentir loin de Dieu, délaissé. Pourtant, au cœur de cet abandon, il emprunte les paroles du psalmiste et s’écrie : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Matthew 27.46) Ainsi, même cet abandon s’insère dans le dialogue d’amour entre lui et son Père.
Et alors son cri de détresse se transforme. Il y a une seule réalité que personne n’est en mesure de lui enlever : c’est la confiance qu’il est aimé de Dieu, et qu’en donnant sa vie il transmet cet amour. Alors ses lèvres peuvent murmurer : « Père, entre tes mains, je remets mon esprit. » (Luc 23.46) Et son dernier souffle, dans la plus grande douleur, est en même temps l’effusion de l’amour de Dieu.
L’apôtre Pierre aimait Jésus, mais il a eu du mal à l’accepter comme un messie pauvre. Etre disciple d’un messie humilié lui est devenu tellement insupportable que, après l’arrestation de Jésus, il a fini par le renier. Alors Jésus, aux mains des soldats, le regarda avec amour et lui montra qu’il ne lui retirait pas sa confiance. (Luc 22.61) Au contraire, il lui confiera par la suite la petite Eglise naissante. Et Pierre pourra témoigner, avec les autres disciples, que, non, la croix n’est pas le dernier mot.
L’événement de la croix dépasse notre compréhension, mais en le célébrant nous saisissons de plus en plus l’espérance inouïe qu’il nous ouvre. Cette espérance n’est pas un optimisme vague. Mettre notre confiance dans le Christ mort et ressuscité ouvre nos cœurs pour faire face aux situations difficiles avec lucidité. Dans une communion personnelle avec lui, le Christ nous communique un élan nouveau.
Je pense à un jeune que je rencontre quelquefois à Taizé. Il a une maladie incurable qui progresse. Il en souffre terriblement. Déjà beaucoup de possibilités d’une vie épanouie ont disparu. Et pourtant son regard et tout son comportement restent étonnamment ouverts. Il m’a dit un jour : « Maintenant je sais ce que la confiance signifie. Autrefois je n’en avais pas besoin, mais maintenant, oui. » Ce jeune transmet comme un reflet, très humble mais réel, du mystère de la croix. S’il pouvait savoir combien par son attitude il communique une espérance à beaucoup d’autres.
A Taizé, non seulement le jour du Vendredi Saint, mais aussi chaque vendredi soir de toute l’année, à la fin de la prière, nous plaçons au sol l’icône de la croix qui est reproduite ici. Tous ceux qui le veulent peuvent s’en approcher, poser leur front sur le bois de la croix et, par ce geste, remettre au Christ leurs fardeaux et les fardeaux de ceux qui leur sont confiés.
Cette prière du vendredi soir permet d’unir au chemin de croix du Christ tous ceux qui portent une lourde croix dans leur existence : ceux qui souffrent dans leur âme ou dans leur corps, les malades, ceux qui ont dû quitter leur pays, les victimes des injustices de toutes sortes.
Dieu comprend toutes les langues de nos intercessions, le français, l’allemand, l’anglais, le coréen, le swahili… Mais il comprend aussi la langue de notre corps. Si nous n’arrivons pas à formuler une prière avec des paroles, nous pouvons exprimer une confiance en nous approchant de la croix. Osons ce geste de tout confier au Christ, nous-mêmes et les autres !
Il est précieux de pouvoir nous rassembler ainsi autour de la croix pour que le mystère pascal devienne de plus en plus le mystère fondamental de notre vie. Et le Christ porte ce qui est trop lourd pour nous. Il nous le dit dans l’Évangile : « Venez à moi, vous qui peinez sous le fardeau et je vous soulagerai. » (Matthieu 11. 28)

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