Archive pour la catégorie 'Spiritualité'

LA LOUANGE : DYNAMITE SPIRITUELLE

13 juillet, 2013

http://www.lueur.org/textes/louange-dynamite.html#19018004-19018004

LA LOUANGE : DYNAMITE SPIRITUELLE

Texte
Auteur : Anonyme
Type de texte : Réflexions
Thème : La louange
Source : Lueur, www.lueur.org
Je m’écrie :Loué soit l`Éternel, et je suis délivré de mes ennemis (Ps 18.4)

N’avons-nous pas remarqué que la foi augmente lorsque nous nous mettons à louer le Seigneur ?
La louange détourne nos yeux des circonstances dans lesquelles nous nous débattions et dirige nos regards vers notre Père tout-puissant. Rien n’arrive sans que Dieu ne le permette: toutes choses concourent ensemble au bien de ceux qui l’aiment (Rm 8.28). La louange nous amène à regarder à la victoire plus qu’au combat.
Pour posséder une foi plus grande, deux choses nous sont nécessaires. La première est de connaître la vérité biblique et de nous appuyer sur elle, car: la foi vient de ce qu’on entend et ce qu’on entend vient de la parole de Christ (Rm 10.17). La seconde est de commencer à louer le Seigneur. Cessons de nous préoccuper et de craindre; au contraire, commençons par louer le Seigneur.
Pour qu’une nouvelle source de joie jaillisse en nous, il faut aussi louer le Seigneur selon le Psaume 71.23: En te célébrant, j’aurai la joie sur mes lèvres, la joie dans mon âme que tu as délivrée. Les grâces venant du Saint-Esprit se développent bien mieux dans un coeur joyeux.
Si dans chaque difficulté, nous nous approchons de Dieu avec des louanges, nous recevrons chaque fois une mesure de joie et de paix merveilleuses. Assurons-nous cependant de n’avoir pas donné accès au péché, puis adonnons-nous à la louange. Nous verrons que cette démarche de l’ adoration est le plus sûr moyen de dissiper les nuages qui cherchent à nous dissimuler la présence de Dieu.
Souvent, la réponse de Dieu à nos prières est retardée parce que nous n’avons pas loué Dieu. Il aplanit des difficultés et enlève des obstacles apparemment insurmontables en réponse à la louange. La louange obtient de surprenants exaucements.
Rien n’est plus agréable à Dieu que la louange et rien n’est plus profitable à l’homme luimême. Un missionnaire, en Chine, jadis, avait reçu de mauvaises nouvelles des siens en Europe et se sentait profondément déprimé. Il priait, mais l’obscurité augmentait sans cesse.
Tandis qu’il fut appelé dans un poste missionnaire isolé, il entra dans la salle de culte et fut saisi d’y découvrir cette inscription : ESSAIE LA LOUANGE ! Il décida sans tarder de la mettre en pratique, et, en un instant, toutes les ombres s’évanouirent pour ne plus jamais revenir.
Essayons la louange si, jusqu’à présent, nous étions accablés, Essayer n’est pas difficile pour le croyant qui a reçu par la foi en Jésus-Christ le pardon de ses péchés et le salut de son âme.
Sachons le bien : la louange est la dynamite spirituelle qui fait sauter tous les obstacles.
Elle met en fuite l’adversaire et sème la terreur dans le monde des ténèbres. Face à un ennemi plus fort que nous, entrons nous-mêmes dans la louange et nous verrons les victoires que Dieu nous accordera.
Ainsi donc, si nous nous trouvons en lutte contre les puissances des ténèbres, à cet instant même, levons les yeux et louons le Seigneur. Ce sera le commencement de la victoire, comme ce le fut au temps du roi Josaphat. Il avait nommé des chantres qui marchaient devant l’armée, célébraient l’Éternel et disaient : Louez l’Eternel, car sa miséricorde dure à toujours ! (1 Ch 16.34).
Au moment où l’on commençait les chants et les louanges, Dieu plaça une embuscade contre les ennemis qui, en nombre impressionnant, étaient venus attaquer le peuple de Juda. C’est ainsi qu’ils furent battus (2 Ch 20.21).
La louange est aussi indispensable à notre vie qu’une source. Détournons donc nos regards de nos difficultés et disons, comme le psalmiste : Loué soit l’Éternel !
Alors nous recevrons un diadème au lieu de la cendre, une huile de joie au lieu du deuil, un vêtement de louange au lieu d’un esprit abattu… pour servir à la gloire de l’Éternel (Es 61.3).

LA SAINTE PAUVRETÉ – Emile BESSON. avril 1962

11 juin, 2013

http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/Besson/Articles2/pauvrete.html

Emile BESSON. avril 1962

LA SAINTE PAUVRETÉ

Une des paroles les plus prestigieuses que saint Paul ait prononcées est celle-ci: « Ayez les sentiments qui animaient Jésus-Christ; il était de condition divine et il s’est dépouillé lui-même en prenant la condition d’esclave… Il était riche, et il s’est fait pauvre, par amour pour vous, afin que vous soyez enrichis par sa pauvreté » .
« Dans les anciennes Écritures Dieu ne promet à ses serviteurs que de prolonger leurs jours, d’enrichir leurs familles, de multiplier leurs terres, leurs troupeaux et leurs héritages ». Le Christ promet à Ses amis des afflictions et des croix.
Les pauvres. Il a été l’un d’eux, Il a voulu être l’un d’eux.
Avant de descendre sur cette terre, Il était riche, Il était Dieu; Il S’est fait pauvre. Ici-bas Il est né dans la pauvreté; Il n’avait pas un lieu où reposer Sa tête; et Il a raconté à Ses amis que Dieu, voulant remplir Sa maison et ne voyant venir aucun de ceux qu’Il avait invités, envoya Ses serviteurs Lui chercher tous les misérables qu’ils pourraient trouver, les pauvres et les infirmes, les aveugles et les impotents, tous ceux qui, selon la parole de Bossuet, « portent son caractère, c’est-à-dire la croix et l’infirmité ».
Dans Sa première prédication, à Nazareth, Il rappelle la parole du prophète Isaïe: « Le Seigneur m’a envoyé pour annoncer l’Evangile aux pauvres », et Il ajoute: « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Ecriture ».
Voici les premières paroles du Sermon sur la Montagne: « Heureux êtes-vous, ô pauvres, car le Royaume de Dieu est à vous ».
Ce sont les pauvres qui L’ont suivi; Ses premiers disciples furent des pêcheurs du lac de Galilée. Les grands de ce monde, les riches ne L’ont pas aimé; s’il s’en est trouvé parmi eux qui ont voulu Le connaitre, ils venaient Le voir de nuit, en cachette.
jésus a été pauvre. Il a été « le Pauvre de l’éternelle Pauvreté » -. Au moment de donner Sa vie sur la croix, Il réunit Ses disciples et Il fait le geste de l’esclave: Il leur lave les pieds l’un après l’autre. Et puis Il leur rappelle le devoir primordial d’aimer et. d’assister les pauvres, les pauvres qui, leur dit-Il, sont Lui-même
Des millions d’êtres ont admiré le Christ. Toutefois le Christ n’a que faire d’admirateurs; ce qu’Il veut, ce sont des imitateurs: « je vous ai donné un exemple pour qu’à votre tour vous fassiez comme j’ai fait ». Mais «l’imitation de Jésus Christ » pauvre, mais la pauvreté volontaire est un idéal vraiment difficile à imaginer, vraiment surhumain à atteindre ! Et pourtant, comme le Christ, le disciple du Christ est nécessairement un Pauvre. Les richesses de cet univers sont sans attrait pour lui. Au reste, le Prince de ce monde s’est vanté que tous les trésors que renferme la terre lui appartiennent et qu’il les garde pour ses féaux. Le disciple du Christ ne saurait conserver de fortune que celle que lui dispense chaque jour l’éternel Ami qui chemine à ses côtés.
François d’Assise a pris dans son sens littéral, dans son sens absolu la parole du Christ an jeune homme riche: « Si tu veux être parfait, vends tout ce que tu as et le donne aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel; puis viens et suis-moi ». Cette ‘parole a été la règle constante de sa vie et il a élu la divine Pauvreté comme sa Dame.
Envoyant ses disciples prêcher l’Evangile, il leur (lit: « Considérons que Dieu dans sa bonté ne nous a pas seulement appelés pour notre salut, mais aussi pour celui de beaucoup de gens, afin que nous allions par le monde, exhortant les hommes, plus par notre exemple que par nos paroles, à faire pénitence de leurs péchés et à se souvenir des commandements… Vous trouverez des hommes pleins de foi, de donceur et de bonté, qui vous recevront avec joie, vous et vos paroles; mais vous en trouverez d’autres et en plus grand nombre, sans foi, orgueilleux, blasphémateurs, (lui vous injurieront et qui résisteront à vous et à vos paroles. Soyez donc résolus à tout supporter avec patience et humilité ».

Voici quelques lignes de son Testament.
« Quand le Seigneur m’eut donné des frères, personne ne me montrait ce que je devais faire, mais le Très-Haut lui même me révéla que je devais vivre selon le modèle du saint Evangile ».
« Ceux qui se présentaient pour embrasser ce ,genre de vie distribuaient aux pauvres tout ce qu’ils pouvaient avoir… je travaillais de mes mains et veux continuer, et je veux aussi que tous les autres frères travaillent à quelque métier honorable. Que ceux qui n’eu ont point en apprennent un non dans le but (le recevoir le prix de leur travail, mais pour le bon exemple et pour fuir l’oisiveté. Et quand on ne nous donne pas le prix du travail, ayons recours à la table du Seigneur, en demandant l’aumône de porte en porte. Le Seigneur me révéla la salutation que nous devions faire: « Dieu vous donne la paix ».
« Que les Frères aient grand soin de ne rien recevoir… que si tout est comme il convient à la sainte pauvreté dont nous avons fait vœu.
« S’ils ne sont pas reçus quelque part, qu’ils aillent ailleurs pour faire pénitence avec la bénédiction de Dieu.
« … Que quiconque aura observé ces choses soit comblé au ciel des bénédictions du Père céleste et sur la terre de celles de son Fils bien-aimé et du Saint-Esprit consolateur… Et moi, petit frère François, votre serviteur, je vous confirme autant que je puis cette très sainte bénédiction ».
Le jeudi 1° octobre 1226, avant-veille de sa mort, il se fit dépouiller de ses vêtements et demanda qu’on l’étendît par terre, car il voulait mourir entre les bras de sa Dame la Pauvreté. Il embrassa d’un regard les vingt ans qui s’étaient écoulés depuis leur union; puis il dit aux Frères: « J’ai fait mon devoir, que le Christ maintenant vous enseigne le vôtre! ».
Et le samedi, à la nuit tombante, il ferma les yeux, tandis qu’un vol d’alouettes venait s’abattre en chantant sur le chaume de sa cellule.

Le silence, signe évangélique

28 novembre, 2012

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Le silence, signe évangélique

Il y a plusieurs sortes de silence, car il y a plusieurs manières d’écouter. Il y a, en effet, une écoute intérieure, du cœur, et une écoute extérieure, avec l’oreille. Il y a une écoute contemplative et une écoute ascétique. Une écoute qui est une grâce, un don, qui est mystique. Une écoute qui nécessite un effort physique, un effort de la volonté, qui est le fait de se taire. Le silence exprime donc, implicitement, une attitude et un état d’esprit, il est révélateur de l’être, comme la parole qui révèle ce qui habite celui qui parle. Le silence est une parole. Une parole qui nous invite à écouter ce qui s’entend, ce qui se dit, ce qui est extérieur à nous-même. Une parole qui nous invite à écouter ce qui se passe au tréfonds de notre cœur, à découvrir la présence de Dieu en nous. Une parole qui nous invite à nous taire, à faire l’unité, la paix en nous, à faire un tri des pensées, des images, des désirs qui assaillent notre intériorité. Le silence est une parole qui nous invite à faire le lien avec l’unique Parole nécessaire, Dieu.
Le silence, c’est l’absence de bruits, de paroles. Mais, c’est aussi, au milieu des bruits, des paroles, l’absence d’agitations intérieures, en prière comme au travail, c’est l’absence de pensées susceptibles de rompre le lien intime avec Dieu, de court-circuiter l’action de l’Esprit Saint qui œuvre en nous et nous permet de vivre en paix en nous-même et avec les autres. C’est un état qui indique le règne de la paix du corps et de l’âme, le fait d’être avec Dieu, d’être uni à Lui.
Cependant le silence, quand on en fait l’expérience, avant d’être perçu comme une grâce, un don, est perçu comme une ascèse, une difficulté. Aujourd’hui, il faut parler pour exister, il faut du bruit, de la musique pour meubler le temps et l’espace, le temps occupé à travailler, à manger, etc…, l’espace que l’on habite à plusieurs, où l’on côtoie des personnes que l’on refuse de connaître, d’aimer, avec qui on ne veut pas parler. Le silence peut nous rendre étranger, indifférent les uns par rapport aux autres… Le silence fait monter les pensées, les souvenirs, et avec les angoisses, les culpabilités, les murmures, les rancunes. Bien souvent, le silence ne conduit pas à la paix, mais à la guerre… On ne veut donc pas faire silence, ni en soi, ni au-dehors.
Mais, sans considérer ces difficultés du silence dues aux problèmes de l’existence et à l’histoire de chacun, le silence est une ascèse, il peut être voulu, car le propre de l’homme, c’est de parler, non d’être muet. La parole est un don de Dieu qui caractérise l’être humain par rapport aux animaux, qui lui confère l’intelligence suprême et le pouvoir. Dieu lui-même est Parole : « Le Verbe s’est fait chair ». Dieu parle et crée avec sa Parole, avec ce qu’il est. Dieu est aussi silence quand on ne le perçoit plus à l’intime de nous-même, parce que notre écoute n’est peut-être pas la bonne écoute, notre écoute n’est pas obéissance, elle n’est pas ouverture. L’amour de Dieu peut aussi se dérober à notre intelligence, à notre capacité d’entendre, parce que nous sommes pauvres, petits, limités, parce que la foi consiste à perpétuellement convertir son cœur, c’est-à-dire son écoute pour que notre écoute soit vraie, obéissance à la Parole divine et non interprétation de la Volonté de Dieu, pour que notre vie soit un témoignage. Notre écoute doit sans cesse se conformer à la Parole de Dieu, notre silence à ce que Dieu dit.
Les significations des verbes latins silere et tacere sont intéressantes et illustrent bien ce qui précède. Dans l’usage courant, ces verbes étaient interchangeables, mais tacere désigne l’arrêt ou l’absence de la parole dans une situation donnée, tandis que silere a un sens plus profond et plus général de tranquillité, d’absence de mouvement et de bruit. Il en est de même dans la langue grecque pour les verbes sigân, « être en silence », et siôpân, « se taire, ne pas parler sur ceci ou cela ». Les substantifs silentium et sigè se prêtent à être utilisés dans un contexte religieux comme expression de ce qui est la divinité, ou comme attitude humaine en face de la divinité. Par contre le mot taciturnitas ne correspond pas exactement au sens du verbe tacere. Son sens est plutôt péjoratif, car celui qui est taciturne est peu sociable. Les termes silentium et sigè, taciturnitas et siôpe révèlent les caractères du silence qui, dans le premier cas, est mystique, grâce, paix intérieure, union intime avec Dieu, contemplation de Dieu ; dans le deuxième, ascétique, arrêt volontaire de la parole.

S’il y a plusieurs silences, il y a aussi plusieurs raisons de se taire, de faire silence. On se tait pour être en silence, en état de vivre une union avec Dieu, pour être dans les dispositions qui permettent d’aller à l’intime du cœur. On se tait parce que l’on veut vivre dans le secret du cœur une union avec Dieu. Prier dans le secret, comme nous y invite Jésus dans l’Evangile, n’est-ce pas prier dans le silence, sans proclamer ce qui se vit au-dedans de soi, le dialogue que l’on a avec Dieu. Prier sans rabâcher, c’est-à-dire, prier simplement, n’est-ce pas prier dans le silence, offrir à Dieu ce qu’il sait déjà et se contenter de rendre grâce, de faire confiance. On se tait pour écouter, s’écouter. Pour écouter Dieu et les autres, pour recevoir la Parole, laisser l’autre nous parler, dire ce qu’il a à dire, à nous dire. On se tait par respect de l’autre, à cause de la charité. Le silence n’est donc pas seulement une grâce à recevoir, puisque faire silence, c’est aussi une décision à prendre, et une décision qui conduit à la grâce du silence, au don de la paix intérieure, à l’écoute mutuelle, c’est-à-dire à l’amour.
Nous avons dit plus haut que le silence est une parole. Il l’est en effet, parce qu’il dit « quelque chose », il est un signe. Comme l’obéissance, le silence est un signe d’humilité et de charité, c’est un signe évangélique plus édifiant que tout discours. C’est ainsi que les Pères du Désert, dans leur enseignement sur « l’art de la discrétion », nous invitent à être muet, comme aussi à être aveugle, sourd ; ceci pour éviter de répondre, de juger de façon inopportune. Il vaut mieux être aveugle, c’est-à-dire, faire comme si l’on avait pas vu tel ou tel frère faire telle ou telle chose, afin de porter sur son frère un regard de charité, pur de tout jugement ou de tout mépris. Il vaut mieux être sourd, ne pas retenir telle ou telle parole pour garder un cœur pur, libre de toute amertume. Et il vaut mieux être muet, comme Jésus, se taire pour ne pas juger, mais aimer par delà un acte mauvais dont on a été témoin. Le silence, c’est de l’amour. Si la parole tue, le silence lui peut redonner la vie et la dignité à une personne.
L’obéissance est un renoncement à sa volonté propre, une disposition d’esprit qui rend disponible pour faire la volonté de Dieu, c’est l’exercice de la liberté. Semblablement, le silence est le renoncement à sa parole propre pour se faire écoute de la Parole divine et se faire tout à tous. C’est s’ouvrir, et non se fermer, contrairement à ce que l’on pense. C’est s’ouvrir intérieurement pour laisser Dieu agir par ce qu’il dit, ce qu’il fait dire aux autres. Dieu prend vie en nous, et sa présence nous transforme. Si nous nous taisons, sa parole en nous nous recrée, sans cela, pas d’union à Dieu, pas de paix avec les autres.
On peut demander la grâce du silence, mais on peut aussi prendre le chemin du silence qui nous permet d’atteindre cette grâce, c’est-à-dire prendre les moyens, s’efforcer de se taire pour s’exercer à l’écoute. La grâce, n’est-elle pas la force qui nous est donnée pour nous taire, écouter ? La force, n’est-elle pas la grâce qui nous établit déjà dans la paix du silence ? Il n’y a pas d’ascèse sans contemplation, et vice versa.

Jésus et le silence
Jésus est un modèle de silence et de parole. Jésus, c’est le « Verbe fait chair », la Parole vivante de Dieu. Ce qui est étonnant quand on lit les Evangiles, c’est de constater que Jésus a d’abord vécu dans le silence, et dans l’ombre, c’est-à-dire dans le secret du vouloir du Père ; enfant, infans, sans parole, il a d’abord été à l’école de Marie et Joseph, à celle de l’écoute où il a appris à être homme. Lorsque l’on réfléchit sur les trente premières années du Christ, on comprend mieux la valeur, ou plutôt l’impact, des paroles qu’il adresse à ses disciples, aux malades, aux savants, aux docteurs de la Loi, car si le Fils de Dieu est passé par l’expérience du silence, celle d’être sans parole, d’être enfant, c’est que la parole n’est pas un pouvoir mais un don qui se révèle au fur et à mesure que l’on grandit, que se forme notre intelligence, c’est que la parole passe par un apprentissage de la vie, de l’écoute. Jésus silence, lorsqu’il est sans parole, lorsqu’il n’est qu’un enfant, est écoute.
Plus tard, lorsque Jésus inaugure sa vie publique, quand il est à l’école de son Père céleste, c’est-à-dire au service de sa volonté, il parle et pose des actes : quand il appelle ses premiers disciples, quand il guérit des malades, libère des possédés. Tout ce que fait et dit Jésus ne fait qu’un. La parole est un acte, elle ne reste jamais sans effet. Cela n’est pas sans rappeler la Création, la manière dont Dieu créa le monde. Le souffle qui parcourt les eaux correspond à un temps d’écoute, de silence. Dieu plane sur les eaux, il « cherche » les mots qui exprimeront le mieux ses désirs, sa volonté de nous donner la vie. Dieu n’a rien créé sans avoir préalablement désiré, écouté, c’est-à-dire conçu en lui-même, dans son coeur. Puis il parla et tout exista ! Et vint le temps où la parole prit chair, et où celle-ci advint pour nous sauver.
Jésus, par sa parole, apaise les tempêtes de la mer, la violence qui habite les hommes, des possédés, il libère par les mots-clés qui pardonnent, dénouent intérieurement. Cependant, il n’hésite pas à se retirer seul au désert, à entrer dans le silence. Devant les hommes qui veulent le piéger par sa parole, Jésus préfère se taire plutôt que de juger une femme adultère. Les mots ne doivent pas remplacer les actes, ni les actes contredire ce que l’on dit. Jésus nous enseigne en ce sens à être en vérité. Jésus nous apprend aussi à agir dans le secret, le silence, à ne pas faire du bruit par nos bonnes actions. Sur la Croix, après avoir prié, Jésus se tait avant d’expirer, avant de donner son souffle, et ce qu’on entend de lui, c’est un cri. La première parole d’un enfant est un cri, l’émission d’un premier souffle… A la Pentecôte, Jésus enverra son souffle, l’Esprit qui rappellera à ses disciples tout ce qu’il a dit… La parole est aussi insaisissable que le vent, que le silence !
Jésus est un modèle de silence et de parole, c’est-à-dire un modèle d’humilité et d’obéissance, d’écoute. Quand Jésus parle, ce n’est pas de lui-même, pour lui-même, pour sa gloire, mais c’est toujours habité par la sagesse de son Père, son Amour, c’est pour transmettre le don de la Vie éternelle. Jésus nous prévient et nous invite à la vigilance : l’excès de parole est mauvais, peut nous faire basculer dans le mal. Il faut donc être capable de se taire, d’être simple. Chercher le silence, c’est chercher le bien. Jésus l’affirme : « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche de l’homme qui souille l’homme, mais ce qui sort de sa bouche ». La parole peut en effet faire des dégâts dans la vie d’une personne, souvent plus qu’un geste violent. Jésus ne lésine pas sur les mots, il traite d’homicide celui qui insulte son frère. Ce qui veut dire que la parole doit être charité. L’amour est la seule raison pour laquelle Dieu parle et se tait. Se taire, plutôt que de dire du mal, c’est aimer. Ecouter, c’est aimer. L’écoute et le silence, comme l’amour, donnent la vie, la paix. La seule parole de l’homme, c’est celle que nous enseigne Jésus par le témoignage de ce qu’il a vécu en vérité et simplicité : agir pour faire le bien, témoigner par des actes, être une bonne parole par toute sa vie.

Les cisterciens et le silence
Les cisterciens vivent selon la RB et selon un certain état d’esprit propre à leur charisme qui se trouve exprimé dans les écrits des pères de Cîteaux. La RB et la littérature spirituelle cistercienne forment un tout et donnent un enseignement original sur la pratique du silence et de la parole dans les monastères.
Il est frappant de constater en lisant la Règle que saint Benoît parle du silence en lien avec la parole. Si saint Benoît demande aux moines de se taire, c’est qu’ils parlaient ! A l’époque de Benoît, la parole était présente dans les monastères, ce qui l’a conduit à instituer une sorte de discipline de la parole, plutôt que du silence. Pour mettre au point cette discipline, Benoît donne les raisons qui justifient la pratique du silence. Le moine est venu dans le monastère pour chercher Dieu, il s’est retiré du monde pour vivre une solitude commune avec des frères qui sont habités par ce même désir de Dieu. Or Dieu se cherche dans l’écoute. C’est le premier mot de la Règle, le premier commandement de Dieu.
L’écoute pour Benoît revêt le sens de l’obéissance, c’est-à-dire celui de l’abandon de sa volonté propre. Pour Benoît, il faut, en effet, se dévêtir de l’intérieur de tout ce qui nous empêche de servir librement. Mais cette obéissance au dépouillement de soi est un chemin étroit ; il l’a donc balisé par toutes sortes de recommandations concernant l’usage de la parole et du silence, il a établi une sorte de « code de la route » pour atteindre l’intériorité. C’est pourquoi la pratique du silence apparaît chez lui comme un exercice spirituel ascétique et celle de la parole comme un exercice de la charité. La parole doit être uniquement un moyen d’exercer la charité.
Le chapitre sur l’abbé nous offre le modèle du moine qui fait un bon usage de la parole et du silence. La parole, c’est le ministère de l’abbé qui représente le Christ, donc sa parole est au service du salut des frères. Il doit enseigner, ordonner, exhorter ses disciples, agir comme il parle, parler en vérité et en acte, faire des remarques, écouter, dialoguer. (Le cellérier doit lui aussi avoir une bonne parole lorsqu’il ne peut satisfaire la demande matérielle d’un frère). Et quand l’abbé a tout dit et tout fait pour le salut d’un moine récalcitrant, il se tait et prie.
Le silence pour Benoît est un acte d’humilité, une attitude intérieure, un signe révélateur d’une véritable liberté et d’une grande maturité humaine. C’est pourquoi dans les douze degrés de l’humilité qui nous permettent d’accéder à l’amour de Dieu, on peut découvrir les douze degrés du silence qui nous font parvenir à la paix, à l’unité intérieure et à l’union à Dieu dans la solitude du cœur : 1) s’abstenir de paroles 2) faire taire les pensées 3) faire taire ses désirs personnels 4) écouter 5) patienter 6) avouer ses fautes 7) ne pas se plaindre 8) obéir 9) garder le silence 10) être discret dans sa façon de rire 11) être humble dans son cœur 12) parler doucement. Ces douze degrés, ou attitudes à avoir vis-à-vis du silence et de la parole, qui transparaissent dans ceux de l’humilité, sont douze étapes pour parvenir à un bon usage du silence et de la parole, qui vont de la libération des vains propos à celle des mauvaises pensées, de la pureté de la parole à celle du cœur, de l’abandon du mensonge au don reçu de la vérité, de l’orgueil à l’humilité, à l’amour. Ces étapes du silence nous tracent un chemin de conversion du cœur.
Nous remarquons que dans ces douze degrés du silence, Benoît mêle silence et parole. C’est qu’il ne veut pas « brimer » la nature humaine. L’homme, en effet, a été créé avec la parole, avec le rire, avec des désirs. Ce qui compte, c’est d’ordonner la parole, le silence, le rire, les désirs et les pensées. En ce sens, Benoît donne des indications non pas pour brimer le moine, mais pour le libérer intérieurement, le rendre maître de ses passions, de ses paroles comme de ses pensées. L’essentiel, ce n’est pas tant que le moine se taise, mais qu’il sache se taire en temps opportun, que sa parole, comme son silence, soit charité. Le bon usage du silence et de la parole n’a pour but que le bien commun et la paix du coeur. Le silence du moine permet aux autres d’exister, il est respect de la vie intérieure des autres, signe de communion fraternelle. Le silence n’est donc pas séparation, indifférence mais bien plutôt respect et communion profonde, source de charité, humilité, simplicité de coeur.
Saint Benoît tient particulièrement au silence de la nuit ; après l’office des Complies, le moine doit absolument se taire ; mais à cause de la charité, ce silence qui est attente, espérance de Dieu, peut être rompu. Il nous montre par là que l’amour et l’obéissance sont les raisons pour lesquelles on parle. Je n’ai pas le droit de refuser une requête d’un autre frère d’un geste qui résume un non catégorique et l’observance du silence. Ainsi le silence, comme toute observance (on rompt le jeune pour manger avec les hôtes que l’on accueille, on rompt la solitude pour s’occuper des malades), n’a sa valeur que dans l’amour. La force, la grâce et la beauté du silence, du jeûne, de la solitude, c’est l’amour.

b- Silence cistercien
Le silence est particulièrement important pour les cisterciens. « Dans l’Ordre, le silence est une des principales valeurs de la vie monastique. Il assure la solitude de la moniale dans la communauté. Il favorise le souvenir de Dieu et la communion fraternelle ; il ouvre aux inspirations de l’Esprit-Saint, entraîne à la vigilance du cœur et à la prière solitaire devant Dieu. C’est pourquoi en tout temps, mais surtout aux heures de la nuit, les sœurs s’appliquent au silence, gardien de la parole en même temps que des pensées.[1] »
Le silence est un moyen d’union à Dieu. Il est un chemin de pacification, d’unification intérieure, de pureté du cœur, de conversion. Moins le moine parle, moins il se répand au-dehors : il peut donc vivre la grâce de la communion avec Dieu et avec ses frères.
« Rien ne répand davantage hors de soi le cœur de l’homme que l’abondance de paroles. Rien ne mène plus vite au vain discours, ou au sot bavardage, ou même aux propos grossiers que l’abondance de paroles. Alors, pour fuir l’abondance de paroles, nous gardons le silence, même « à propos du bien », pour que l’occasion ne soit pas offerte au mal. « Couvert, le feu brûle davantage », dit le poète. Le mouvement de l’âme, s’il ne se répand pas au-dehors par la verbosité, tournoie intérieurement en une ronde continuelle, comme une flamme de feu et, passant en revue tous les replis de la conscience, trouve de quoi renouveler en lui la douleur d’une salutaire componction, produisant un feu lumineux que dans sa méditation, il dirige vers le haut. « Et dans ma méditation, est-il dit, le feu s’embrasera ». Ainsi arrive-t-il que celui qui a appris à se taire au-dehors avec les hommes, commence intérieurement à parler à Dieu lui-même [2]».
Le silence ne doit pas être pratiqué en vue de mener une certaine forme d’érémitisme. La communauté cistercienne n’est pas une communauté d’ermites, mais une communauté de frères ou de sœurs retirée au désert. Dom Bernardo, notre abbé général, aime bien dire en ce sens, avec un brin d’humour, que les cisterciens ne sont pas des solitaires mais des personnes solidaires, car le charisme cistercien, c’est la vie commune, plus précisément, la vie de communion, car la vita communis est la vie du commun des hommes d’un milieu déterminé.
La pratique du silence ne doit pas non plus être considérée comme un moyen de se protéger des autres, de protéger sa vie spirituelle personnelle afin d’éviter des conflits, des distractions, afin de rester fidèles aux observances monastiques. Le silence est un chemin de paix et de prière, et il est communion, amour de Dieu et du prochain. Le silence créait une solitude intérieure, relative, un espace intérieur pour rencontrer Dieu, un espace pour la prière. Par l’absence de paroles, le moine, la moniale, peut vivre une union forte avec Dieu. Mais, il faut reconnaître qu’il peut y avoir des abus dans l’usage du silence (comme des abus dans l’usage de la parole), dans le sens où celui-ci ne sert plus la charité, prend le dessus sur la vie fraternelle, dans le sens où le silence peut être réduit à une observance pure et « simple ». Il faut considérer la pratique monastique du silence et de la parole, comme une pratique de l’amour. « Le vrai cistercien est celui qui sait non seulement quand il faut garder le silence, mais quand et comment il faut parler, montrer ou non de la sympathie.» [3] Sinon le silence est mutisme, isolement au nom de saints rites monastiques, il devient un moyen de se mettre à l’abri des autres et de commettre des « fautes »…, il n’est plus un temps de rencontre avec Dieu, de communion fraternelle, un espace intérieur pour aimer.
Le silence, tel que le concevaient nos premiers Pères, et déjà saint Benoît dans le chapitre sur « l’obéissance aux choses impossibles » de sa Règle, c’est la première étape du dialogue et de la paix ; sans silence, pas de paroles qui portent du fruit de charité, de même que sans prière, il n’y a pas d’action porteuse d’un fruit d’amour. Il y avait bel et bien la parole entre frères à l’époque de saint Bernard, mais cette parole devait être charité. Aelred pratiquait avec ses frères ce qu’on appelle aujourd’hui le « dialogue communautaire », ceci pour libérer les cœurs et ajuster l’amour les uns envers les autres. Ce que nos premiers Pères nous apprennent ainsi, c’est qu’il n’y a que le commandement de l’amour qui puisse justifier le silence et la parole, comme la solitude et le service des autres. Le dialogue, le silence et la parole sont nécessaires pour chercher Dieu. La parole entretient le lien de la charité entre frères et le silence celui que l’on a avec Dieu. Si le silence est écoute de l’autre, il est amour, don de la grâce. Il ne saurait être simple observance.

Conclusion
Le silence est amour. Il nous tourne vers Dieu, car c’est un moyen qui nous permet de L’écouter, de Lui parler, de nous rendre disponible pour les autres, pour aimer. La charité donne sens au silence et est le but du silence.
Le silence est une grâce qui pacifie intérieurement : il unifie. Chemin de paix, il est chemin de communion à l’intime du cœur.
Le silence purifie. Faire taire les pensées, éteindre les excès de notre imagination, les appels de nos désirs, tout cela crée « en nous en cœur pur, capable de Dieu », d’écoute, d’amour vrai.
La parole est nécessaire, elle prend son sens, elle aussi, dans l’amour. Dans la vie monastique, il faut pratiquer la parole, le silence, le dialogue, à cause de l’amour, à cause de l’évangile, pour que notre retrait du monde soit un témoignage.

Sœur Marie-Benoît

[1] Constitutions des moniales C.24 : « la garde du silence ».
[2] Isaac de l’Etoile, Sermon 50 pour la fête des saints Pierre et Paul.
[3] Thomas Merton, La vie silencieuse, p. 130, ed. du Seuil, Paris, 1957.

Le spirituel chrétien

5 juin, 2011

du site:

http://www.culture-et-foi.com/texteliberateur/henri_bourgeois.htm

Le spirituel chrétien

Henri Bourgeois

L’association des amis d’Henri Bourgeois nous faisait récemment parvenir son dernier bulletin (No 7, décembre 2005) sur le thème du spirituel d’après Henri Bourgeois. Avec plaisir nous en extrayons ce texte ouvert et nuancé, paru en 1999 dans la revue Prêtres diocésains.
…Le spirituel dont il va s’agir ne désigne pas seulement la place ou la marque de l’Esprit de Dieu. C’est une des formes de l’expérience humaine. Qu’en celle-ci, il soit parfois possible (sans que ce soit automatique) de reconnaître la présence de l’Esprit divin, c’est une conviction chrétienne.  Mais le spirituel comporte d’autres significations.
Par ailleurs, ce que je voudrais dire ne sera ni sociologique, ni historique, ni même biblico-exégétique, mais proprement théologique. Étant entendu que la théologie cherche à ne pas rester étrangère aux divers points de vue que je viens d’indiquer.
Le spirituel dans l’Occident actuel
Il y a un demi-siècle, j’aurais fait état de la spiritualité plutôt que du spirituel. Le mot spiritualité avait et présente d’ailleurs toujours ses lettres de noblesse. Il désigne la manière dont des personnes ou des groupes orientent leur liberté et leur foi, le plus souvent en fonction d’une tradition et en référence à des textes ou des témoins. Mais aujourd’hui, sans abandonner pour autant le terme de spiritualité, on s’intéresse plutôt au spirituel, au moins quand on veut examiner ce qu’expérimentent nos contemporains en leur cœur et en leur esprit. Le mot « spirituel » paraît, à tort ou à raison, moins déterminé que spiritualité, donc plus souple ou plus englobant et surtout il semble pouvoir convenir à des expériences très diverses, pas forcément religieuses ou, en tout cas, pas forcément chrétiennes.
De fait, en Europe et en Amérique du Nord, le spirituel retient actuellement l’attention de multiples manières. Il indique le désir et la recherche de bien des gens que déçoit une civilisation trop rationnelle, trop clinquante, trop fascinée par les  logiques de la consommation, du profit et de l’apparence. Le spirituel, c’est donc la vie autrement. Pas toujours la vie chrétienne et pas même toujours la vie religieuse. Il s’agit d’une dimension oubliée ou méconnue de l’existence, celle où l’on habite ce que l’on est, au lieu de se laisser distraire et finalement aliéner par les mises en scène, les conventions reçues, les bavardages ou les pensées toutes faites.
Bien entendu, ce besoin de retrouver l’essentiel caché existe aussi en Amérique Latine, en Afrique et en Asie. Mais il semble être plus habituellement satisfait sur ces continents, même si tout n’y est pas parfait. L’Occident a l’impression (survoltée ?) qu’en sa crise des valeurs ou des finalités le spirituel a été trop longtemps marginalisé, que le christianisme (la religion jusqu’ici dominante) ne l’a pas assez honoré en cédant à des prurits de morale ou de doctrine et qu’il est donc urgent de redécouvrir, peut-être à frais nouveaux, ce qu’est la manière spirituelle de vivre. Que cela prenne forme de New Age, de gnoses, d’ésotérisme ou de néo-sagesse, de goût pour la voyance, de pratique du yoga, d’intérêt pour le bouddhisme ou pour les arts martiaux asiatiques, de pentecôtisme et de groupes charismatiques, de goût pour les médecines douces ou pour la sophrologie, peu importe au fond. Car, sans du tout confondre ces diverses expressions du spirituel, on peut leur reconnaître un air de famille et une valeur semblable de signe.
Le spirituel chrétien en cette galaxie
À mon sens, le risque pour les chrétiens c’est de constituer leur expérience spirituelle ou leur spiritualité en dehors de ce contexte, dans une sorte d’intemporalité formelle ou dans la seule mouvance de leurs traditions (si nobles soient-elles). Certes, la tonalité spirituelle que veulent et peuvent expérimenter les disciples de Jésus a des traits propres. Mais ces particularités apparaissent sur un fond commun. De même que Jésus a assumé la condition humaine et qu’il a manifesté son mystère singulier en cette appartenance d’incarnation, de même les chrétiens attestent aujourd’hui, en Occident, ce qui se passe en leur monde à propos de spirituel.
Je concède volontiers que beaucoup d’entre eux témoignent surtout de ce qu’il en était hier. Mais, théologiquement, le point que voici est peu contestable. Que l’on fasse référence à une nouvelle évangélisation ou que l’on évoque l’inculturation, il est clair que l’on ne choisit ni son époque ni son contexte et que le spirituel, comme le reste de notre existence, est à accueillir et à élaborer selon les signes des temps et les ressources du moment.
Le premier caractère du spirituel chrétien est donc de participer à la spiritualité humaine, telle qu’elle se présente ici et maintenant. Il doit y avoir dans cette communauté généralisée des souffles et des désirs, dans cette partielle connivence des aspirations et des attentes quelque chose qui peut, en principe, avoir rapport avec l’Esprit qui remplit l’univers. Car cet Esprit « offre à tous les humains, par les moyens qu’il connaît, la possibilité d’être associés au mystère pascal » du Christ (Vatican II, Gaudium et Spes, 22, § 5).
Dès lors, les chrétiens se trouvent devant les enjeux que rencontre aujourd’hui le spirituel, en sa multiplicité turbulente et éparpillée. En voici quelques-uns.
Tout d’abord, c’est entendu, le spirituel habite la vie non superficielle, l’existence autre. Mais l’expérience spirituelle que, spontanément, nous lions au silence, à la sérénité méditative, n’est-elle pas aussi, à d’autres moments et sous d’autres modalités, celle de l’excès, de l’intensité affective, voire de la transe dont font état l’Afrique et l’Amérique Latine? Il n’est pas sans importance pour les chrétiens d’apprendre à articuler ces deux formes du spirituel, non seulement pour ne pas considérer avec une suspicion a priori certaines formes d’exubérance comme on en trouve dans la prière charismatique, mais aussi pour pratiquer spirituellement l’expérience « soft » de la liturgie.
En deuxième lieu, le spirituel chrétien comme tout autre spirituel a besoin de moduler les temps forts, ceux de la prière ou du partage enthousiasmant, ceux du pèlerinage ou de la fête, ceux de l’épreuve (un deuil, une séparation) ou de la joie de béatitude avec le quotidien plus terne, parfois un peu monotone, celui de la fidélité, de la fatigue, de la répétition. Car le spirituel n’existe pas seulement dans l’exceptionnel. Il réside aussi (potentiellement) dans le banal, celui du « pain de ce jour ». Et ce qu’il est ici doit sûrement éclairer ce qui se manifeste là.
Troisième point de vérification : quel rapport notre expérience spirituelle établit-elle entre ce qui est personnel ou intime et ce qui est communicable et partageable à un plan fondamental, au-delà des impressions de la convivialité, de l’échange d’informations ou encore de la collaboration? La question est aujourd’hui considérable et elle vaut pour tout le monde, pour les non chrétiens et évidemment pour les témoins de l’évangile. Elle n’a pas de solution théorique, elle suppose un apprentissage et sans doute une initiation qui, trop souvent, fait défaut.
Enfin je voudrais noter que toute expérience spirituelle, quelle qu’elle soit, est forcément ambiguë. On peut se laisser surprendre naïvement par l’intériorité et ses jouissances comme par l’investissement de soi-même dans la tâche quotidienne. L’étonnant ou le merveilleux hantent le spirituel, mais aussi la culpabilité, la mésestime de soi-même ou encore ce que l’on nomme aujourd’hui « la déprime ». Il est donc indispensable de discerner. Bien entendu, sur le marché des méthodes de discernement, les propositions sont aujourd’hui diverses. Mais l’humble pratique et le bon sens sapientiel manquent souvent à l’appel.
Le spirituel chrétien, un spirituel de foi
Comment comprendre dans ce contexte les traits propres du spirituel vécu par les chrétiens ?
Le plus clair, c’est que leur expérience spirituelle a une forme religieuse ou, pour être plus précis, une teneur croyante. Les disciples de Jésus expérimentent une spiritualité évangélisée. Ils sont spirituels comme des croyants.
Cela veut dire en premier lieu que leur spiritualité se développe dans une histoire qui, en principe, est apte à lui donner et de la qualité et de l’originalité.  Cette histoire est celle des figures auxquelles la foi se rapporte, celle d’Abraham, celle des prophètes et, bien entendu, à un titre tout particulier, celle de Jésus. Être chrétien, c’est donc accueillir en soi l’expérience spirituelle de ces témoins de révélation et la laisser stimuler la nôtre. Cela se réalise pratiquement selon une tradition : car ces figures se relient entre elles dans une succession historique, chacune renvoyant aux autres. En ce sens, la spiritualité chrétienne est traditionnelle. Non qu’elle se borne à la répétition des messages bibliques. Mais elle cherche d’âge en âge à assimiler le contenu spirituel de ces paroles, dépassant ainsi les mots et les représentations mentales et s’appuyant autant que possible sur ce que les générations antérieures ont compris et vécu.
Ensuite, l’expérience spirituelle chrétienne bénéficie de la relation ecclésiale. Évidemment, le fait que le christianisme soit ecclésial a son lot de lourdeurs et la spiritualité n’y trouve pas toujours son compte. Il n’empêche qu’appartenir à un peuple au titre d’une même foi, quelles qu’en soient d’ailleurs les nuances, a de quoi contribuer au développement de l’expérience spirituelle. Cela, si du moins chaque membre de l’Église fait attention à d’autres expériences à côté de lui, cherche à en percevoir l’inspiration et se sent porté à exprimer et à écouter ce que les uns et les autres vivent en profondeur. En l’occurrence, la forme ecclésiale de la spiritualité chrétienne prolonge sa teneur traditionnelle. Il s’agit toujours d’abriter dans le spirituel qui est en soi-même quelque chose du spirituel que d’autres expérimentent.
En troisième lieu, je voudrais souligner la place de la conversion dans la spiritualité chrétienne. Comme le disent les prophètes bibliques et comme Jésus l’atteste, la conversion a une place instauratrice dans la foi des chrétiens. Il leur faut revenir à l’essentiel ou à l’originaire qui donne sens radical à leur vie et qui vient d’en haut. Par conséquent, le spirituel évangélique implique une décision ou encore une adhésion. Ce n’est ni simplement une émotion, même profonde, ni un sentiment esthétique. C’est une expérience où la volonté s’engage, en réponse à une offre qui lui est faite. Et c’est à cause de ce vouloir toujours notablement personnel que devient possible la solidarité avec autrui, c’est-à-dire la participation aux figures bibliques, la tradition et la communion ecclésiale.
Enfin, dans ce que l’expérience spirituelle chrétienne reçoit pour se constituer, il faut mentionner des moments symboliques originaux, les sacrements. Ces célébrations débordent le champ habituel de la prière ou de la méditation. Elles impliquent le corps ou la sensibilité en direction du spirituel. Elles prolongent les paroles de révélation en gestes d’accueil du mystère et de communication entre les croyants. À leur manière, elles contribuent, elles aussi, à faire tradition, à réaliser l’Église et à susciter la décision de foi.
Les modulations du spirituel proposé aux chrétiens
Je viens de caractériser ce qu’on pourrait appeler le « cadrage » de la spiritualité chrétienne. Mais une seconde lecture de cette expérience est possible, celle qui repère dans la conscience des personnes certaines attitudes ou, si l’on veut, certains accents.
Je placerai en premier lieu le sentiment d’un don ou d’une gratuité. Le spirituel évangélique est vécu comme reçu en ce qu’il a de plus fondamental. Il ne vient pas d’abord de nos moyens ou de nos dispositions : c’est une grâce. Je ne pense pas que ce soit là une expérience propre aux chrétiens ni même particulière aux religions : qui ne connaît des non croyants qui vivent spirituellement dans l’émerveillement et une sorte d’action de grâce sécularisée en laquelle ils célèbrent le mystère de la vie et de leur existence? Mais évidemment la révélation biblique donne des repères et des fondements à cette perception spirituelle. C’est notamment sur ce terrain qu’elle nomme l’Esprit de Dieu.
Il faut préciser toutefois que notre expérience spirituelle n’est pas totalement identique à la présence de l’Esprit Saint. D’abord parce que le spirituel, en nous, a des composantes psychologiques et culturelles qui ne sont pas, comme telles, expression immédiate de l’Esprit. Ensuite parce qu’il est en notre cœur et notre esprit d’autres inspirations que celle qui nous vient de Dieu : le combat spirituel dont parlaient les anciens est bien loin d’être une histoire ancienne.
Ajoutons que l’expérience spirituelle classiquement définie en termes d’intériorité ou même d’exubérance pentecôtiste n’est aucunement le seul lieu possible de l’Esprit en nous. Celui-ci est impliqué aussi dans nos actions les plus profanes, dans notre corps, nos relations, notre imagination ou notre pensée. Tout cela est sans doute pris en charge dans le spirituel, mais jamais totalement : il y a toujours dans le réel « autre chose » que ce qu’assume notre spiritualité car l’Esprit remplit l’univers.
C’est là sans doute un point important aujourd’hui. Le christianisme n’est pas seulement une pratique de la spiritualité : il est aussi une orientation pour l’existence globale et donc pour la transformation du monde. Comment tenir ensemble l’indispensable spiritualité et le souci actif de la justice et du partage, du développement et des droits humains? Il n’est qu’une possibilité : c’est que notre pratique séculière soit aussi d’ordre spirituel. Autrement dit que notre spiritualité ne se limite pas aux moments religieux ou méditatifs de  notre vie.
Les enjeux actuels du spirituel chrétien
Dans le temps qui est le nôtre, l’originalité du spirituel chrétien est parfois difficile à expérimenter. Ici encore, je voudrais suggérer brièvement quelques indications.
Ce qui est au fond majeur en tout cela, c’est la foi. Et la foi en un Dieu qui est à la fois présent en nous, intérieur à notre être, et différent de nous, transcendant. Cette double manière d’être de Dieu relève assurément de ce que nous ne pouvons totalement comprendre. Mais elle appartient à ce que confesse la foi évangélique. Et c’est sur ce point, entre autres, que l’expérience chrétienne est parfois en difficulté aujourd’hui. Sans doute à cause de son environnement par les divers courants spirituels contemporains.
Certains chrétiens, en effet, se sentent assez en harmonie avec les spiritualités ambiantes de notre époque et sont assez à l’aise pour reconnaître l’immanence de Dieu. Mais que Dieu soit autre que nous, qu’il nous adresse la parole et que nous puissions lui parler comme à quelqu’un, leur semble énigmatique, voire simplement une habitude pédagogiquement utile mais non fondée en réalité. Au fond, on croit alors en l’Esprit mais on hésite à croire au Père. Ce qui déséquilibre l’affirmation évangélique et le témoignage de Jésus : cet Esprit n’est pas (assez) l’Esprit du Père.
Inversement, il arrive aujourd’hui que nous ayons l’habitude de parler à Dieu, de le comprendre comme un autre par rapport à nous, ainsi que le suggèrent et la Bible et la liturgie. Mais alors il se peut que la présence de Dieu en notre expérience humaine soit trop peu reconnue. Nous craignons de confondre Dieu avec notre propre réalité. On nous met tellement en garde contre le subjectivisme ! En tout cas, on ne nous a guère initiés au mystère de la présence divine en notre être. Nous avons donc de la peine à donner du sens à la fameuse affirmation paulinienne : « l’Esprit en personne se joint à notre esprit » (Rm. 8, 16).
J’ai ici l’impression que notre expérience spirituelle contemporaine de chrétiens éprouve quelque difficulté à faire valoir son originalité non seulement faute d’un tonus suffisant ou encore d’une liberté spirituelle assez vigoureuse, mais aussi par manque de connaissance.
Nombre de nos contemporains sont, de fait, attentifs au « ressenti » et sont allergiques aux dogmes ou aux croyances qu’ils estiment trop peu reliés à l’expérience spirituelle. Qu’il en soit ainsi parfois, peut-être même souvent, cela peut s’admettre. Mais le christianisme depuis ses origines tient à ce que la pensée ne soit pas incompatible avec la spiritualité. Ou, pour mieux dire, il est convaincu que le spirituel suscite le goût de comprendre et donc de réfléchir. Jadis, Irénée de Lyon citait Paul (I Cor. 8, 1) : « la science enfle, tandis que l’amour édifie ». Mais il ajoutait joliment que l’Apôtre ne voulait sûrement pas incriminer « la vraie connaissance de Dieu », car, en ce cas, « il se serait accusé le premier » (Adversus Haereses, II, 26, 1).

Le coeur de l’homme, centre de l’intelligence spirituelle

31 mars, 2011

du site:

http://eocf.free.fr/text_coeur_clement.htm

Le coeur de l’homme, centre de l’intelligence spirituelle

Si nous parcourons la Bible, surtout dans ses parties les plus archaïques, moins intellectualisées, nous voyons bien que le coeur n’est pas seulement un organe physiologique où retentissent les émotions, mais qu’il symbolise aussi, au sens le plus réaliste, le centre d’intégration personnelle des facultés humaines et le lieu du combat spirituel.
Le coeur est l’  » en-dedans  » de l’homme, de sorte que le péché s’inscrit dans la divergence de la bouche et du coeur.
C’est l’organe des sentiments, de la volonté, de la passion, celle-ci pouvant se retourner en compassion. Dans la joie,  » le coeur est bon « , il  » a mal  » dans la tristesse.
Surtout, le coeur est le lieu de l’intelligence, à la fois dans les racines contemplatives et l’expression réfléchie de celle-ci.
Il désigne ainsi la personne, c’est en lui que la nature s’ouvre sur le ,  » sans fond  » irréductible de l’existence personnelle.

C’est pourquoi il est  » impénétrable « , Dieu seul  » sait les secrets du cœur  » (Ps. 44, 22).  » L’abîme du cœur  » est ainsi le lieu de la rencontre avec Dieu, le lieu où l’homme ouvre ou ferme au Mendiant d’amour qui  » attend à la porte « .
Le refus de Dieu, la crispation sur soi, la Bible les nomme , « endurcissement du cœur « . Le coeur fidèle, au contraire,  » se fixe  » en Dieu.
C’est pourquoi, à travers nos destins, Dieu laboure nos coeurs comme un bon laboureur qui brise la terre durcie par la sécheresse pour qu’elle puisse recevoir l’eau et les graines.
Dieu  » est près de ceux qui ont le coeur brisé  » (Ps. 34, 19).
Et le prophète, annonçant l’accomplissement ultime, pour nous christique, unit le coeur et l’esprit dans l’ouverture au Saint Esprit:  » Je vous donnerai un coeur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau, j’ôterai de votre chair le coeur de pierre et je vous donnerai un coeur de chair… Je mettrai mon Esprit en vous  » (Ez. 36, 26-27).

Olivier CLEMENT – Questions sur l’homme

Le Saint-Esprit dans la Vie Chrétienne: La Béatitude de la Douceur

3 novembre, 2009

du site:

http://www.foi-et-contemplation.net/themes/Esprit-Saint/Saint-Esprit-Vie-Chretienne-beatitude-douceur.php

Le Saint-Esprit dans la Vie Chrétienne

Chapitre VI
La Béatitude de la Douceur

« Bienheureux les doux,
parce qu’ils possèderont la terre. » (Matth., V, 4)

L’activité du don de Piété se traduit par l’inspiration de la douceur. Nous allons voir comment se fait le raccord entre le don de Piété et la béatitude de la douceur. C’est dans les relations avec les hommes que la douceur trouve son emploi. On peut être doux et on doit l’être, d’abord intérieurement, mais cette vertu s’épanche ensuite sur autrui.

I. – Justice, piété et douceur

Par quoi sont réglées les relations avec le prochain ? D’abord par la vertu de justice qui s’établit entre le doit et l’avoir, qui fait l’égalisation entre les dettes et les droits, et met ainsi la paix. Quand nous avons reçu ce qui nous était dû, nous sommes en paix avec l’homme qui nous devait. L’homme, né sociable, a besoin de la justice, qui lui permet d’entretenir des relations, entre commerçants par exemple, par des échanges mutuels. Cette vertu est extrêmement utile pour que les rapports soient bons, et on constate qu’ils peuvent être excellents entre gens qui vivent dans sa pratique. Néanmoins, cette justice a quelque chose, non pas d’injuste, mais de raide en ce qu’elle ne tient pas compte des personnes; elle regarde uniquement ce qui est dû de part et d’autre, elle fait l’égalisation entre les choses. Aussi ceux qui sont payés n’en ont aucune reconnaissance, il s’agit d’une chose convenue.

Dans ces conditions les relations sociales ne vont pas très loin, et nous voyons les classes divisées, encore que chacune reçoive son dû, parce que derrière les relations de justice, il n’y a pas de relations personnelles. Si, anciennement, on trouvait de vieux serviteurs attachés aux famille, c’est qu’il y avait plus de charité, et par conséquent plus d’attention aux personnes.

Le don de Piété va donner d’en haut un secours pour venir en aide à la pauvre justice qui, au point de vue de la paix, est si limitée, si impuissante. La Piété nous fait voir, sentir en Dieu, le Père. Mais il n’est pas difficile de s’apercevoir que ce Père est un Père commun; non pas notre Père à nous individuellement, mais notre Père à tous. Notre-Seigneur a voulu que, lorsque nous prions, nous ne disions pas : mon Père, comme il disait, lui, Fils unique, mais : notre Père, tous ensemble; le Pater est une prière essentiellement collective, Celui donc qui a le sens de cette paternité regarde l’humanité comme une grande famille dont les membres sont liés entre eux par le lien le plus étroit, celui du premier degré : enfants d’un même Père, ils sont, non pas cousins, mais frères. C’est exact, et c’est pourquoi l’Église se sert de ce mot : le prochain, car on ne peut pas être plus proche.

Or, il est clair que nos relations s’attendriront, si nous voyons un frère en ceux qui ont affaire à nous, que nous rencontrons autour de nous. Une douceur, une familiarité se répandra dans toutes les relations humaines : comme la douceur règne au fond, malgré toutes les petites algarades fraternelles, entre les frères d’une même famille, unis sous l’autorité du père et de la mère. Le rayonnement naturel de la piété que nous avons envers le Père s’étend aux enfants. L’humanité est ainsi animée par la douceur des uns vis-à-vis des autres. Et c’est par là que s’annonce la solution de la question sociale. Quand on aura compris, saisi à fond, expérimenté, goûté la paternité divine et la filiation commune dans le Père, les conflits violents disparaîtront entre les nations comme entre les diverses classes de la société.

Ne voyons-nous pas dans les premiers chrétiens cet esprit de fraternité : ils ne faisaient qu’un cœur et qu’une âme; les païens étonnés disaient : « Voyez comme ils s’aiment. » Et Dieu a conservé dans les instituts religieux comme un foyer où demeure ce culte, qui n’existe plus dans le monde; ils représentent au fond ce qu’était la communauté primitive.

C’est dans le sentiment vif de la paternité céleste que nous trouvons l’amour de la fraternité. Un batelier corse, ayant vu chasser de la côte de pauvres bateliers étrangers, exprimait ainsi son indignation : « Est-ce bien d’affamer des hommes qui ont besoin de manger ? Est-ce que ce ne sont pas des corps de Dieu comme nous ? » Cet homme, sans s’en douter, traduisait le mot de saint Paul : « Les nations diverses ne forment qu’un seul corps en Dieu. (Eph., III, 6) » Comme nous disons : confrères, saint Paul dit : « concorporales », des corps différents dans un seul corps.

L’humanité forme une famille sur laquelle se repose le regard du Père céleste. L’amour du Père s’étend sur tous les hommes. « Il fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants. (Matth., V, 45) » Au point de vue surnaturel, il a dessein de les sauver tous — quoique néanmoins il y en ait qui lui échappent. Il leur en donne le moyen, il veut en faire ses enfants préférés, participant à sa nature, communiant à sa propre vie. Toute l’humanité est une seule famille, comme une seule pâte humaine. Entre tous les membres doit régner la douceur. Ce sera d’abord dans les cœurs, les mœurs de chacun — la colère, l’indignation, les sentiments violents — étant contenues. Puis dans les procédés, par les marques de bonté les uns pour les autres.

Ainsi la Piété nous donne le sens de la Paternité divine, et au bout de l’inspiration de la piété se trouve la douceur. Le raccord est lucide.

II. – la douceur, acte du don de piété en Notre-Seigneur

Cet esprit de douceur, nous le trouvons en sa plénitude en Notre-Seigneur. Personne en piété n’a atteint un tel degré; personne n’a été plus fils; mais voyons comme sa piété, son sentiment profond de la paternité divine, se tourne en douceur infinie : « Apprenez de moi que je suis doux », dit-il (Matth., XI, 29). S’il a un commandement qui lui est propre, son commandement, c’est la charité : « Aimez-vous les uns les autres. » Sa leçon personnelle, son exemple, c’est la douceur : Apprenez de mon exemple, de ma personne, de moi, de ce que je dis, de ce que je fais. Il suffit de le regarder pour avoir cette impression de douceur : c’est sa leçon, bien personnelle. Sans doute Notre-Seigneur a été juste, le zèle de son Père le dévorait, et quand, dans le temple, il a pris un fouet, il faisait œuvre de justice. Mais en dehors de ces relations avec ces âmes méchantes qu’étaient les Pharisiens et les Scribes, avec le reste des hommes nous le voyons d’une douceur infinie. S’il a pu dire : « Qui m’accusera de péché ? (Jean, VIII, 46) », il peut dire de même : « Apprenez de moi que je suis doux », en face de ceux qui le connaissaient le mieux; ils ne pourront rien lui reprocher. Dès son entrée dans la vie publique, à sa première manifestation dans la synagogue de Nazareth, il dit ces paroles : « L’Esprit de Dieu est sur moi »… à cause de cela « il m’a envoyé pour guérir ceux qui ont le cœur blessé, rendre la vue aux aveugles, racheter les captifs (Luc, IV, 18) ». C’est parce que l’Esprit de Dieu est sur lui, qu’il a cette douceur. Saint Matthieu constatant cette douceur lui applique ces paroles d’Isaïe : « Voici mon fils… on n’entendra pas sa voix… Il ne criera pas… Il n’éteindra pas la mèche qui fume encore… Il n’achèvera pas le roseau brisé. (Isaïe, XLIII, 1-4 ; Matth., XII, 17-21) ».

Saint Paul a ressenti cette même douceur du Christ vis-à-vis de lui, alors qu’il était encore impie, et il pense qu’il a été traité ainsi pour qu’il soit un modèle de ce que sera la patience de Dieu dans la formation des élus à venir. Sa suprême imprécation était : « Je vous en supplie, par la mansuétude du Christ. » Le Christ donne une impression de douceur. Il est une apparition de douceur. Non seulement sa vie est en harmonie avec ce qu’il était lui-même, mais il veut former des doux. « Je vous, envoie, dit-il, comme des agneaux au milieu des loups. (Luc, X, 3) » Lui-même avait été ainsi salué par Jean-Baptiste : « Voici l’Agneau de. Dieu. (Jean, I, 29, 36) » Il envoie ses apôtres sans armes, sans apparat, pour conquérir le monde par la douceur. Et en effet, s’ils sont forts dans l’affirmation de la vérité, quand il s’agit de leur personne, les disciples se laissent, comme saint Etienne, conduire à la mort « avec douceur ». « Seigneur, s’écria-t-il, ne leur imputez pas ce péché. (Act., VII, 59) » On croit entendre l’écho de la Croix : « Mon Père, pardonnez-leur. » C’est pourquoi Notre-Seigneur ne peut sentir l’indignation chez ses Apôtres. Jean et Jacques veulent appeler le feu du ciel sur les villes coupables de ne pas les avoir reçus. Il les raille et les nomme désormais « fils du tonnerre (Luc, IX, 54 ; Marc, III, 17) ».

Dans l’Évangile, nous trouvons donc la marque de la douceur partout. Cela se comprend. Notre-Seigneur, dans sa divinité même, dans son âme humaine, voyait le Père face à face. Il avait d’ailleurs en lui l’inspiration du Saint-Esprit qui donnait à son âme humaine le sentiment de la paternité. C’est donc avec une intention extrêmement douce que envoyé par le Père, il accomplissait cette mission de réconciliation des enfants avec leur Père. Il voyait en nous des frères, des enfants du Père, et c’est avec ce sentiment très doux qu’il se consacrait à les sauver.

III. – La pratique de la douceur

La douceur de Notre-Seigneur est un modèle que nous devons imiter. Bien souvent cependant nous trouvons dans les personnes pieuses une méconnaissance véritable de cette douceur évangélique. Dans les âmes dévotes, nous rencontrons une sévérité, une amertume, un zèle peut-être, mais amer, une indignation… Tout le contraire de l’esprit de douceur. Et ces personnes sont « pieuses », elles ne manqueraient pas une seule dévotion; Mais leur piété se change en venin; ce n’est pas une vraie piété. La vraie piété doit s’attendrir dans la vue de la paternité de Dieu, puis reverser sur les autres quelque chose de son attendrissement. Si elle n’est pas douce, c’est qu’elle ne va pas jusqu’au cœur, de la religion.

La religion n’est pas un ensemble de pratiques; elle ne s’arrête pas aux objets: elle est dominée par la pensée du Père qui est au ciel. La vraie piété se traduit par quelque chose de doux, de compatissant, de bon pour les autres; elle exige au dedans des sentiments, des pensées, un ensemble de vie intérieure doux, dans une possession de soi-même qui réprime l’indignation, l’impatience, la colère.

Si nous sommes fidèles à l’esprit de Piété qui nous pousse à la douceur, nous réformerons notre intérieur en nous possédant pour réprimer les poussées de la nature : « La mansuétude fait les personnes qui sont maîtresses d’elles-mêmes », dit saint Thomas (II II, q. CLVII, a. 4).

Il ne faut pas suivre les instincts, les pensées qui traversent l’imagination, qui nous représentent le prochain sous son aspect ingrat. Nous devons savoir réprimer un premier mouvement d’antipathie, d’animosité, de violence, d’indignation, de colère, d’impatience…, mouvements qui se produisent dans les âmes qui ont des passions, et toutes en ont. Mettons de l’ordre dans notre intérieur en y faisant régner la mansuétude, la douceur qui est l’application de ce don de piété dont nous sommes pourvus. Les personnes qui, tout en étant dévotes, ont conservé tout un ensemble de sentiments naturels ou mauvais qui les excitent contre le prochain, ont en elles un foyer antifraternel, et c’est pourquoi, malgré leurs pratiques religieuses, elles exhalent leur mauvais fond qui est resté dessous ce revêtement de piété.

Il faut que notre piété corrige d’abord l’intérieur. Notre Seigneur dit que l’extérieur n’a pas d’importance, que « c’est du dedans que sortent les pensées mauvaises, les mauvais sentiments (Matth., XV, 11) » et le reste. Nous ne serons pas doux envers les autres sans cette calme possession de nous-mêmes.

Le don de Piété, en nous inspirant la mansuétude, a donc pour premier effet de détruire ces mauvais foyers d’aigreur et d’amertume et met à leur place des sentiments doux, remplis de bonté envers tous, pour que d’un bon foyer sorte un bon rayonnement.

Quand le Saint-Esprit a suavement accompli cette pacification intérieure, il nous pousse à être vis-à-vis des autres, extérieurement, par notre visage, notre abord, notre allure, nos paroles, comme à l’intérieur, des doux.

Le programme de saint Paul était « vaincre le mal par le bien (Rom., XII, 21) ». L’échelle de la douceur est, en effet, la rencontre du mal. Nous triomphons du mal par notre douceur en étant « comme des agneaux au milieu des loups ». Saint Pierre disait : « Soyez soumis à toute créatures (I Pierre, II, 13). » Si nous n’abordons pas les autres comme des maîtres qui veulent dominer, si nous mettons dans nos rapports quelque chose de respectueux, de soumis, nous disposerons le prochain à la même attitude.

Écoutez encore cette autre parole : « Regardez-vous les uns les autres comme étant supérieurs les uns aux autres réciproquement (Philipp., II, 3). » Alors nous aurons de la considération, des égards, de l’amitié. Lorsqu’on s’adresse aux hommes du peuple, on est porté à les tenir à distance, à leur parler avec une certaine condescendance, et on ne réussit pas à gagner leur sympathie. Il faut s’imprégner de cette vérité que nous sommes tous les membres d’une même famille : le Saint-Esprit nous inspirera cette conviction et la parfaite douceur avec laquelle nous devons aborder tous nos frères comme des enfants du Père céleste.

« Portez les fardeaux les uns des autres (Galat., VI, 2). » Nous sommes compagnons de tâche, chacun; avec notre fardeau: pour les uns, souffrances intérieures ou extérieures; pour d’autres, travail difficile; sachons entrer dans l’intérieur des autres, porter leurs peines. Faisons-le auprès de ceux auxquels va notre apostolat. Faisons-le au-dedans de nos familles. C’est là surtout que nous rencontrons des frères et des sœurs. Ayons cet esprit de fraternité qui y doit être avoué et officiel. Vis-à-vis de ce premier prochain, exerçons cet esprit de douceur qui nous vient de l’inspiration du don de Piété, puisque nous allons vers un même Père qui veut notre bien à tous, dans un même amour.

Si nous faisons ces choses, nous posséderons la terre. C’est la grande ambition: Avoir de l’influence, gouverner les consciences, jouir de l’approbation des hommes, posséder les cœurs. Le grand moyen, c’est la douceur. Les Apôtres n’en ont pas connu d’autre, et ils ont réussi d’une manière efficace, le Saint-Esprit était derrière eux. La douceur inspirée par la piété est toute-puissante. Si nous voulons posséder la petite terre de notre communauté, ou cette autre terre qu’est le terrain de notre apostolat, ou encore l’opinion de notre ville, employons la douceur, c’est le moyen efficace. Elle nous donnera, non seulement la terre d’ici-bas, mais l’autre qui nous attend là-haut. La «Piété», avec la douceur qu’elle communique, est utile à tout; elle a la promesse de la vie présente, la terre, et de la vie future, le ciel.

Ceux donc qui auront réfréné leurs passions intérieures par la douceur qui jaillit de l’Esprit de Piété, ayant le culte de la paternité céleste et vivant dans la fraternité, en répandant la douceur autour d’eux, auront dès maintenant la terre des âmes et plus tard la terre des vivants. Car leur piété a la double promesse de la vie présente et de la vie future.

« Méditant jour et nuit la loi du Seigneur et veillant dans la prière »

13 octobre, 2009

du Père Jean Levêque (Paris):

http://perso.jean-leveque.mageos.com/meditant.htm

« Méditant jour et nuit la loi du Seigneur et veillant dans la prière »

Dieu, dans sa bonté, a voulu se faire connaître par la Parole, d’abord dite puis écrite. Ce n’est pas nous qui avons commencé le dialogue, c’est Dieu ; car il est source de tout, de toute vie, de toute connaissance, de tout amour, de toute réciprocité dans le don.

On dit souvent : Dieu est silence ; et c’est profondément vrai, mais ce n’est qu’un aspect du mystère de Dieu. On pourrait aussi bien dire : Dieu est expression, puisqu’il est écrit en saint  Jean: «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu ». Avant même d’être parole pour nous, le Verbe est Parole de Dieu au sein de la Trinité. Dieu est Source, Parole et Esprit. Dieu-le-Verbe est expression du Père; Dieu le Père s’exprime éternellement dans son Verbe, dans son Fils le Verbe ; et le Père aime, dans l’Esprit-Saint, le Verbe-Fils qui exprime toute sa richesse, qui est « le resplendissement de sa gloire et l’effigie de sa substance » (Hb 1).

Un jour – ce fut le premier jour du temps, le premier jour du monde – Dieu décida, par un amour sans mesure, de se dire en dehors de lui-même. Et Dieu créa. Et chaque être nouveau que Dieu créait disait, à sa pauvre manière, quelque chose de la beauté, de la grandeur et de la sagesse de Dieu. Parce que tout fut créé sur le modèle du Verbe, toute créature participe un peu de ce Verbe qui, lui, exprime parfaitement le Père. Tout ce qu’a fait le Père, il l’a fait dans le Verbe, par le Verbe et d’après le Verbe ; et c’est pourquoi chaque être créé peut « balbutier un je ne sais quoi » de la richesse du Père. Le Fils est l’expression parfaite et infinie du Père ; chaque créature est une expression timide et lointaine de ce même Père, origine de toute beauté et de toute vie. Comme il est dit dans le Prologue de Jean : « Le Verbe était au commencement avec Dieu. Tout vint à l’existence par lui, et sans lui rien ne vint à l’existence »; ce que saint Paul déclare en termes équi-valents : « Le Christ est l’Image du Dieu invisible, le premier-né de toute créature, car c’est en lui qu’ont été créées toutes choses … Il est avant toutes choses et tout subsiste en lui » (Col 1, 15ss).

Avant que l’homme n’apparût sur la terre, Dieu avait donc laissé déjà dans le cosmos des traces de lui-même, de sa tendresse et de sa gloire ; mais si pâles, et surtout si muettes ! Or Dieu voulait, par pur amour, des images vivantes de lui­même, des libertés qui puissent lui répondre, le connaître et l’aimer. Il n’avait pas besoin de ces reflets, puisque en Dieu, de toute éternité, le Verbe était Image totale et achevée ; et pourtant Dieu a créé les hommes, les icônes vivantes que nous sommes. Il nous a créés à son image et à sa ressemblance, c’est-à-dire d’après le Verbe-Image, sur le « patron » du Verbe, à la ressemblance de son Fils. « Il nous a d’avance destinés à reproduire l’image de son Fils bien-aimé ».

Alors commença le dialogue de Dieu avec les hommes, de Dieu-Trinité avec les hommes créés à son image. Dieu le Père parlait aux hommes par son Fils le Verbe, de deux manières : d’abord intérieurement, car « le Verbe de Dieu nous est plus intime que l’intime de nous-mêmes » (saint Augustin) ; et puis « de l’exté-rieur », par les mille traces de lui-même qu’il avait laissées dans le monde. C’est pourquoi saint Paul peut écrire « Ce que Dieu a d’invisible, depuis la création du monde, se laisse voir à l’intelligence à travers ses œuvres » (Rm 1, 20).

À partir des leçons intimes du Verbe de Dieu et à partir des merveilles de la création et de la Providence, les hommes pouvaient et devaient se retourner vers le Père, contempler son œuvre,  la lui rendre, la lui offrir, et s’offrir eux-mêmes à Dieu pour accomplir sa volonté. Mais pour aider les humains dans leur cheminement, pour éclairer leur histoire et y tracer son dessein, pour faire échec à toutes les forces d’illusion et d’inertie, pour dévoiler à la fois le péché et le pardon, Dieu voulut non seulement être perçu, mais se faire entendre. C’est pourquoi il parla aux hommes dans le langage des hommes ; Dieu se dit, se révéla à nous de manière que cette révélation soutînt l’homme tout au long de l’histoire et qu’elle restât comme un pain inépuisable, au service de l’humanité. Ce premier dévoilement de Dieu par Dieu en contrepoint de l’ancienne Alliance fut encore l’œuvre indivise de la Trinité. C’est encore le Verbe qui révélait le Père, non plus seulement par son action intime et insaisissable au cœur  de chaque homme, non plus seulement par « les mille grâces qu’il avait répandues en hâte » dans la création matérielle, mais par le moyen d’une parole humaine, prononcée au nom du Verbe de Dieu par des hommes remplis de l’Esprit.

Le Verbe de Dieu utilisant le verbe des hommes : il semblerait que Dieu-Trinité soit allé pour nous jusqu’aux limites du possible ! Mais Dieu n’a jamais mis de bornes à son amour,et Il nous réservait une autre merveille : en s’incarnant, en prenant notre chair et notre condition de servitude, le Verbe de Dieu, grâce à Marie, vint exprimer lui-même le Père parmi les hommes. C’est désormais le Verbe incarné qui parle aux hommes du Père des lumières.

Ainsi le Verbe Incarné, Fils de Dieu devenu fils de Marie, prolonge dans le temps des hommes et au milieu des hommes ce qui constitue son œuvre éternelle : exprimer la puissance et l’amour de Dieu le Père. Verbe éternel, Verbe incarné, c’est toujours la même personne du Fils de Dieu, accomplissant le même acte : exprimer Dieu, quoique de deux manières différentes, hors du temps et dans l’histoire : « Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité, dira Jésus (Jn 18, 37). Quiconque est de la vérité écoute ma voix ». « Celui que Dieu a envoyé prononce les paroles de Dieu, et il donne l’Esprit sans mesure » (Jn 3, 34). « Tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître » (15,15); « les paroles que tu m’as données, Père, je les leur ai données, et ils ont vraiment admis que je suis sorti de toi » (17,8). « Ma parole n’est pas mienne; c’est la parole de celui qui m’a envoyé » (14, 26).

On voit quelle densité et quelle urgence nouvelles a prises la révélation avec la venue du Fils de Dieu sur la terre et l’envoi de l’Esprit de vérité. Avant Jésus les hommes n’entendaient que la révélation ; avec Jésus, ils ont entendu le Révélateur. Avant l’Incarnation, le Verbe révélait le Père par l’intermédiaire de nombreuses personnes humaines, tous les inspirés de l’ancienne Alliance ; une fois incarné, le Verbe de Dieu fait entendre une voix humaine qui était la sienne : « Nous avons entendu, nous avons vu de nos yeux, nous avons contemplé, nos mains ont touché le Verbe de vie ; car la vie s’est manifestée, nous l’avons vue, nous en rendons témoignage, et nous vous annonçons cette Vie éternelle qui était auprès du Père et qui nous est apparue » (Jn 1,1).

Mystère de l’amour de Dieu, de sa condescendance pour les hommes ; mystère d’un Dieu qui est tellement venu au-devant des hommes qu’il s’est fait homme pour marcher devant eux. Mystère de l’Homme-Dieu, Parole éternelle du Père, qui nous parle du Père avec nos mots humains. Mystère de la révélation qui utilisa la voix des hommes avant de faire retentir la voix de l’Homme-Dieu. Mystère de ce Fils unique, de ce Fils éternel qui vient nous « raconter » dans le temps le Père que personne n’a jamais vu. Mystérieuse continuité du dessein d’amour de Dieu : « après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis à nos pères par les prophètes, Dieu, en ces jours qui sont les derniers (qui inaugurent l’âge définitif) nous a parlé par le Fils, qu’il a établi héritier de toutes choses, par qui aussi il a fait les siècles » (Hb 1,1-2).

C’est cette révélation que nous avons à accueillir par la foi, comme le rappelle le Concile en insistant sur le rôle du Saint-Esprit dans la prière des croyants :

« À Dieu qui révèle est due  l’obéissance de la foi (Rm 16, 26), par laquelle l’homme s’en remet tout entier et librement à Dieu dans un complet hommage d’intelligence et de volonté à Dieu qui révèle et dans un assentiment volontaire à la Révélation qu’il fait. Pour exister, cette foi requiert la grâce prévenante et aidante de Dieu, ainsi que les secours intérieurs du Saint-Esprit qui touche le cœur de l’homme et le tourne vers Dieu, ouvre les yeux de l’esprit et donne à tous la douceur de consentir et de croire à la vérité ». (Dei Verbum, 5).

Les prolongements théologiques et spirituels de cette doctrine de la révélation sont d’une importance toute particulière dans la vie de prière, spécialement pour ceux et celles dont l’oraison, chaque jour, se nourrit de la parole de Dieu.

1° Par le Verbe révélateur du Père, nous entrons dans le mystère de la Trinité ou, en d’autres termes, l’accueil de la parole de Dieu, sous la mouvance de l’Esprit de Vérité, nous introduit dans l’intimité du Verbe incarné révélateur, et donc dans l’intimité de Dieu -Trinité. Se mettre à l’écoute de la révélation, humblement, filialement, c’est répondre au désir et à la volonté de Dieu qui, depuis le commencement de l’histoire humaine, se révèle à nous par son Verbe. Se pencher avec respect et amour sur le message de Dieu, ce n’est pas chose facultative, et à plusieurs reprises durant la vie terrestre de Jésus , Dieu le Père a souligné le devoir que nous avons de nous mettre à l’école du Verbe incarné : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis toutes mes complaisances : écoutez-le ! »

2° On voit également qu’il est impossible de pénétrer dans la révélation si ce n’est à la suite du Révélateur. « La profonde vérité que la Révélation manifeste sur Dieu et sur le salut de l’homme resplendit pour nous dans le Christ, qui est à la fois le médiateur et la plénitude de toute la Révélation » (Dei Verbum, 1). C’est le Christ, notre Seigneur qui, par son Esprit, nous ouvre les Écritures. C’est même l’une des toutes premières grâces que Jésus ait faites à ses disciples après sa résurrection. Cheminant avec les disciples d’Emmaüs, il leur disait : « Esprits sans intelligence, lents à croire ce qu’ont annoncé les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans la gloire ? Et, commençant par Moïse et parcourant tous les prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait ». À la fraction du pain, ils le reconnurent, mais il avait disparu de devant eux … C’est notre lot à tous, maintenant que le Christ Jésus est glorieux auprès du Père, maintenant que « notre vie est cachée en Dieu avec le Christ ». Mais qui n’a pas fait tant soit peu l’expérience des disciples d’Emmaüs ? Qui n’a jamais dit, après une période de ferveur : « mon cœur n’était-il pas tout brûlant au-dedans de moi, quand il me parlait en chemin et qu’il m’expliquait les Écritures ? » (Lc 24, 32). Où irions-nous chercher cette conversation, ce dialogue d’amitié avec le Seigneur, dont parle sainte Thérèse d’Avila, sinon justement dans l’Écriture qui nous conserve les paroles du Seigneur ? Quelles paroles attendons-nous encore, puisque Dieu nous a tout dit par son Fils ? Comment pourrions-nous vouloir que le Sauveur nous « parle en chemin », si nous ne prenons pas le chemin qu’il a pris, lui, pour nous parler ? « Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, disait Jésus, il vous conduira vers la vérité tout entière ». Comment cela se réalisera-t-il ? – par un retour constant à l’enseignement de Jésus : « ..:il ne parlera pas de lui-même… c’est de mon bien qu’il prendra pour vous en faire part. Le Paraclet, l’Esprit-Saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ait dit » (Jn 16, 13).

3° L’Écriture Sainte, lue dans la lumière du Verbe incarné illuminateur et sous la conduite de l’Esprit d’amour, amorce notre dialogue avec la Trinité. Elle est même une route privilégiée qui mène à ce dialogue. Préparant et prolongeant l’action des sacrements, elle assure la disponibilité du cœur chrétien aux appels de l’Esprit et le rend sans cesse plus consonant au message des Béatitudes. Les sacrements étendent jusqu’à nous les gestes sauveurs du Christ; l’Écriture nous redit chaque jour sa pensée et nous présente, à toute heure et à tout âge de la vie, des exemples de dialogue entre l’homme et son Dieu. Nous en trouvons non seulement dans les Psaumes, mais dans les livres sapientiaux et chez certains prophètes, dans les livres historiques depuis Abraham jusqu’aux Maccabées. Il nous est donné ainsi de rejoindre, dans l’Ancien Testament et plus encore dans le Nouveau, l’expérience spirituelle, explicite ou implicite, de beaucoup d’hommes de foi, qui ont connu devant Dieu tous nos enthousiasmes et toutes nos craintes, tous nos espoirs et parfois nos angoisses. Dieu, en nous gardant dans la révélation un écho de toutes ces grandes voix, nous souffle aujourd’hui les mots de notre prière et climatise l’espace de notre adoration.

Chaque orant a ses préférences en ce qui concerne l’Écriture ; et c’est normal. Saint Paul ne parlait-il pas de la « sagesse multiforme » de Dieu ? et Jésus des « nombreuses demeures » de la maison du Père ? Tel chrétien priera des mois sur les Psaumes, tel autre reviendra presque toujours aux Évangiles ; sœur Elisabeth de la Trinité ne quittait guère saint Paul. L’important est que notre méditation des textes fructifie en charité fraternelle, en joie communautaire, en allégresse dans le service de l’Évangile.

4° L’amour de l’Écriture est une grâce à demander. Une grâce globale qui en contient beaucoup d’autres : grâce d’honnêteté et de courage face à cette parole parfois difficile à rejoindre, souvent ingrate à étudier; grâce d’ouverture, car Dieu souvent nous dépayse ; grâce de patience et de calme devant les difficultés de détail dont fourmillent les livres saints ; grâce de simplicité, d’humilité du cœur, pour découvrir les grandes leçons de Dieu sous les pauvres habits du langage des hommes; grâce de fraîcheur d’âme, qui nous fera aimer les symboles de l’Écriture et nous réjouir de sa profusion d’images. C’est une véritable enfance spirituelle que Dieu le Père attend de nous. À certains jours, en ouvrant notre Bible, nous sommes parfois tentés de demander des comptes à Dieu, lui reprochant presque de s’être mal expliqué. Pour un peu nous refermerions le livre de la Parole, déçus et agacés, sans nous douter peut-être que Dieu nous y attendait et que, si nous n’avions pas « endurci notre cœur comme au désert », nous aurions « entendu sa voix » . Il ne faut pas que des siècles et des siècles de pédagogie divine deviennent tout à coup caducs, comme si Dieu-Trinité avait perdu son temps en parlant pour nous notre langage !

5° Pour comprendre l’usage que l’Église fait de la Parole de Dieu dans sa liturgie et que nous sommes amenés à en faire nous aussi, dans notre prière personnelle, il faut nous souvenir qu’au sein de l’Église la Parole remplit deux fonctions. Elle est d’abord source de la foi. C’est dans l’Écriture en effet que nous allons chercher ce que nous devons croire et affirmer de Dieu, de l’homme, et des relations de Dieu avec les hommes ; et là une certaine rigueur est nécessaire dans la lecture. Mais, parce qu’elle est source et norme de la foi, l’Écriture tend à devenir de plus en plus le langage spontané du croyant. Le chrétien alors, à l’intérieur de la foi de l’Église, ne cherche plus tant à se dire ce qu’il doit croire qu’à redire à Dieu qu’il croit, qu’il espère et qu’il aime, ou à redire aux hommes ce qu’il croit, ce qu’il espère et ce qu’il aime. Ou, si l’on veut, dans l’acte même de sa foi, le chrétien se sert, pour parler à Dieu, des mots que Dieu lui-même lui a donnés. La Parole est alors le langage d’amour, le langage privilégié, convenu entre Dieu et l’homme, le langage dont l’homme habille sa foi et son espérance. C’est le langage du Christ époux à l’Église son épouse, et de l’Église épouse au Christ son Seigneur, un langage où très peu de mots, parfois, sont nécessaires, parce qu’ils sont chargés d’amour et de confiance, un langage dont les deux époux disposent, et donc un langage que l’Épouse aura le droit de transposer, au gré de son amour d’aujourd’hui, pour dire au Christ ses joies et ses souffrances avec les mots d’autrefois, lourds d’une longue fidélité.

6° On ne soulignera jamais assez le rôle primordial que Marie peut jouer dans notre découverte et notre approfondissement de l’Écriture. C’est par elle que le Verbe s’est incarné dans notre humanité et que le Révélateur s’est manifesté à nous sous les traits du Fils de l’Homme, de l’Agneau de Dieu, du Serviteur souffrant. Ne pourrait-elle nous aider puissamment à accueillir au cœur de notre vie non seulement la grâce et le pardon de son Fils, mais aussi la richesse et la force de cette Parole écrite que le Christ a remplie de son Esprit-Saint ? Dès qu’il s’agit, dans la vie spirituelle, d’accueil et de transformation évangélique, Marie est là, virginale et maternelle, pour nous ouvrir au dessein de Dieu et hâter en nous le travail de l’Esprit. Celui qui se tient constamment près de Marie se trouve constamment sous l’ombre de l’Esprit-Saint. Partout où Marie est présente, l’Esprit est à l’œuvre, le Christ grandit, et la volonté du Père s’accomplit sur la terre comme au ciel.

La vérité du clown

19 septembre, 2009

du site:

http://www.ndweb.org/ecrit/grieu/laveriteduclown.htm

La vérité du clown

Le clown nous sauve d’un enfer où chacun se serait cru propriétaire de la vérité, de sa petite vérité bien à lui, seulement à lui. D’un seul coup, il a ouvert les portes en grand et défait tous les corsets de fer ; ça vole en éclats, il en balance de tous les côtés, et lui-même en voit de toutes les couleurs. A la fin, de toutes nos prisons, il ne reste plus rien ; la foule est au bord de la piste, roulant son bon rire de vacances, et pour un peu elle serait prête à y descendre, à rejoindre elle aussi l’arène de sable où, après le passage des éléphants, un inconnu a livré un étrange combat contre l’ombre de nous-mêmes.

Pour parler d’une vérité qui fait vivre, je crois qu’il n’y a pas de meilleure école que d’aller voir les clowns déboulonner nos certitudes trop étroites. Dans cette fête, personne n’a rien à craindre. La seule chose à y perdre, c’est ce qui nous rend triste. La vérité du clown, c’est un chemin d’acrobate, à travers tout ce qui pourrait enfermer et condamner. Il n’a aucun programme pour toi dans sa poche ; mais sur tes joues, il fait revenir les couleurs que tu avais perdues. C’est une vérité qui ne blesse pas ; pourtant, elle n’est pas si facile que cela à accepter. Tu as remarqué ? Dès que le spectacle est fini, chacun se racle la gorge, réajuste son col et se trouve tout à coup un peu ridicule de s’être ainsi laissé aller. Et l’on hésite, on s’interroge : « Ce numéro de clown, ce n’est qu’un numéro, n’est-ce pas ? La vérité est ailleurs, forcément… » Pas si sûr, pas sûr du tout.


Moi, j’aurais du mal à comprendre la vérité du Christ autrement que comme celle du clown : avec beaucoup de délicatesse, il indique qu’il y a quelque chose de plus beau – et de bien plus drôle – que toutes les petites vérités qu’on se bricole. C’est une vérité qui ne s’impose pas, qui ne se dit jamais comme une leçon ; elle est fragile, elle repose sur mon consentement à desserrer les dents et à ouvrir les mains.

En fait, Jésus est un clown exceptionnel. Il a réussi une chose exceptionnelle : faire descendre sur la piste ceux qui étaient dans le public, pour qu’ils jouent avec lui et continuent ensuite son numéro. Depuis, cela n’a jamais cessé. Pardonne-moi si tu trouves que c’est un peu cavalier de parler de l’Eglise comme d’un cirque ; mais je crois que c’est une manière tout à fait juste de rendre compte de son mystère et de sa mission. 

Extraits de Dieu, tu connais ? d’Etienne Grieu, sj, éditions Le Sénevé, Paris, 2005, pp.76-78 

La méthode de saint Ignace

31 juillet, 2009

du site:

http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2131416&rubId=11641

La méthode de saint Ignace

Le P. Peter Hans Kolvenbach, préposé général de la Compagnie de Jésus, a publié un livre d’entretiens : «Faubourg du Saint-Esprit». L’occasion de découvrir comment l’expérience et l’intuition de saint Ignace de Loyola continuent de guider la recherche spirituelle de nombreuses personnes

Cloué sur son lit, Inigo (Ignace ) s’ennuie ferme. Il y a peu, survolté, il était sur les remparts de Pampelune parmi les combattants qui tentaient de résister aux troupes de François Ier assiégeant la ville. Mais un boulet de canon l’a blessé gravement au genou droit. Depuis, contraint à l’immobilité, il rêve d’exploits pour le service d’une dame de sang royal, de carrière brillante auprès du roi d’Espagne, d’honneur. Parfois aussi, pour tuer le temps, il lit des livres racontant la vie du Christ et des saints, les seuls à sa disposition dans la bibliothèque paternelle, et se met alors à rêver de faire de grandes choses pour Dieu, «comme saint François ou saint Dominique».

À le voir ainsi plongé dans ses rêveries, nul ne pouvait imaginer la suite. C’est pourtant de ce repos forcé, de ces rêveries d’un gentilhomme basque en mal de gloire, que vont naître une aventure humaine – celle des jésuites – et une spiritualité profondément novatrice, qui guidera des générations de chercheurs de Dieu.
A l’écoute de la subjectivité et de la liberté

Né l’année où Christophe Colomb vogue vers le Nouveau Monde, Ignace est un jeune homme de son siècle : celui de Copernic, de l’imprimerie, de Luther et de la Réforme, du développement du commerce et des conquêtes. Il évolue dans une culture nouvelle, celle qui émerge de la Renaissance, qui redécouvre les valeurs de l’humanisme antique et valorise la subjectivité et la liberté de chacun. Dans sa chambre du château de Loyola, il se met donc à l’écoute de son cœur, de ce qui le désole et de ce qui le console (2), et finit par découvrir que la liberté offerte à chacun est une chance : la chance pour tout être humain de décider de sa vie devant Dieu. Avec, à la clé, cette question : «Quid agendum ?» – que faut-il faire ?

Cette question, il se la posera souvent. À Loyola, bien sûr, où il prend la décision radicale de changer de vie pour suivre le Christ. À Manrèse, en Catalogne, où il vit une expérience spirituelle fondatrice. À Jérusalem, où il se rend en pèlerinage et d’où les franciscains le rembarquent. À Paris, où il achève ses études de philosophie et de théologie. À Rome, où il fonde officiellement la Compagnie de Jésus.

Quid agendum ? Pour répondre, il s’appuie sur une intuition fondamentale : Dieu a un projet pour chacun. C’est ainsi qu’à Manrèse, il comprend que sa vocation à lui est d’« aider les âmes».

Comme il n’a rien oublié de son expérience de Loyola, il prend alors l’habitude de noter ses expériences de joie et de tristesse, ses combats intérieurs, ses visions, tout ce qu’il «observe» dans son âme et qui, parce que cela lui est utile, pourrait «être utile aux autres». Il en tire un certain nombre de règles et d’exercices pratiques qu’il rassemble en un opuscule d’une centaine de pages, les Exercices spirituels (3).

Ces Exercices, qui ne sont pourtant que le partage d’une expérience où l’éducateur est Dieu lui-même, une fois publiés, connaîtront un succès immédiat. Ignace en a lui-même défini l’objectif : ils sont, écrit-il, «toute façon d’examiner sa conscience, de méditer, de contempler, de prier», afin de «disposer l’âme à supprimer tous les attachements désordonnés et, une fois ceux-ci supprimés, à chercher la volonté de Dieu dans la disposition de sa vie.»
Discerner la volonté de Dieu dans sa vie

Ainsi est-il possible, en portant attention aux mouvements et aux débats du cœur, à la multiplicité ou à l’absence du désir, aux images qui peuplent l’imaginaire, de discerner la volonté de Dieu dans sa vie ou, comme le dit Ignace , d’entrer dans une relation nouvelle avec Dieu. Car c’est d’abord «Dieu qui se communique lui-même à l’âme qui lui est fidèle, l’enveloppant dans son amour et sa louange, et la disposant à entrer dans la voie où elle pourra mieux le servir».

Sur ce chemin, la rencontre du Christ est déterminante. Pour Ignace , en effet, le Christ demeure incarné dans l’Église. Il est le «Créateur». Il n’est pas seulement mort et ressuscité il y a deux mille ans. Il continue à chaque instant de façonner l’univers. Voilà pourquoi le fondateur des jésuites propose, pour prier, une méthode. D’abord, contempler les scènes de l’Évangile, les personnes qui s’y trouvent, ce qu’elles disent, ce qu’elles font, afin d’y trouver un goût ou une lumière intérieure, mais aussi le désir de se conformer au Christ. Puis, peu à peu, réaliser douloureusement l’écart qui existe entre notre manière de vivre et celle de Jésus. Et finalement, prendre une décision, que saint Ignace appelle du terme biblique d’«élection». Il s’agit, écrit-il, de «considérer comment Dieu travaille et œuvre pour moi dans toutes les choses créées sur la face de la terre, c’est-à-dire qu’il se comporte à la manière de quelqu’un qui travaille… et à partir de là, réfléchir en moi-même en considérant ce que, de mon côté, je dois offrir et donner en toute équité et justice à sa divine majesté».
Ouvrir le livre du monde

Pas question d’en rester à la contemplation. Ignace , sur ce point, est très clair et l’exprime par une formule exigeante : «trouver Dieu en toutes choses». Comme l’explique le jésuite François Boedec, rédacteur en chef de Croire aujourd’hui, «Ignace nous invite à fermer le livre des Évangiles et à ouvrir le livre du monde, afin d’y relire le même message quand nous sommes revenus aux occupations ordinaires. Tout a un sens, parce que c’est dans le monde et dans son histoire que s’achève la descente de l’Amour. Toute notre vie est une occasion de rencontrer Dieu, de découvrir sa présence, son action, de le suivre et de le servir».

De cet impératif découlent les grandes règles que le fondateur donnera dans les constitutions de la Compagnie. Les jésuites iront, dit-il, là où il n’y a personne, là où il y a le plus de besoins, là où le travail aura l’effet le plus universel. D’où l’envoi en mission de ses premiers compagnons vers des contrées lointaines, – ainsi François-Xavier. D’où, aussi, la création des collèges qui auront un effet démultiplicateur.

Le chevalier de Loyola est mort le 31 juillet 1556. Depuis, la spiritualité ignatienne s’est déployée, s’adaptant aux lieux et aux temps, inventant sans cesse la manière d’être présent aux hommes. «La spiritualité d’Ignace a un avenir dans l’Église, parce qu’elle est de ce monde et parce qu’elle permet d’y œuvrer en même temps que d’y percevoir Dieu à l’œuvre, écrit le P. Jean-Claude Dhotel (4). En ce sens, elle ne nous appartient plus (à nous jésuites), mais aux hommes et aux femmes d’aujourd’hui et de demain qui trouvent et trouveront en elle un chemin pour aller à Dieu en poursuivant passionnément leurs tâches humaines.»

Martine de SAUTO

(1) Entretiens avec J.L.-Pouthier, Bayard, 158 p., 18 €

2) Le Récit du pèlerin. Ignace de Loyola raconté par lui-même (Éd. Fidélité/Salvator).

(3) Seuil, coll. « Points-Sagesses».

(4) Les Jésuites de France. Chemins actuels d’une tradition sans rivage (Desclée de Brouwer).
  

Le Cœur eucharistique de Jésus et le don parfait de lui-même.

29 juillet, 2009

du site:

http://www.salve-regina.com/Theologie/Coeur_eucharistique.htm

Le Cœur eucharistique de Jésus et le don parfait de lui-même.

La Vie Spirituelle, 147, Tome XXIX, n°3, 1er décembre 1931 

Le Coeur sacré de Jésus est le symbole de son amour, et la plus grande manifestation de l’amour est le don par­fait de soi-même. La bonté est essentiellement commu­nicative, le bien est naturellement diffusif de soi. Saint Thomas dit même : « Non seulement le bien est naturelle­ment diffusif de soi, mais plus il est parfait, plus il se com­munique avec abondance et intimement, et plus aussi ce qui procède de lui, lui reste étroitement uni [1]. »

C’est ainsi que le soleil répand autour de lui la lumière et une bienfaisante chaleur, que la plante et l’animal adultes donnent la vie à une autre plante et à un autre animal, que le grand artiste conçoit et produit ses chefs­-d’oeuvre, que le savant communique ses intuitions, ses découvertes, qu’il donne à ses disciples son esprit; c’est ainsi encore que l’homme vertueux porte à la vertu et que l’apôtre, qui a la sainte passion du bien, donne aux âmes le meilleur de lui-même pour les porter vers Dieu. La bonté est essentiellement communicative, et plus un être est parfait, plus il se donne intimement et abondam­ment.

Celui qui est le Souverain Bien, plénitude de l’être, se communique aussi pleinement et intimement que possi­ble par la génération éternelle du Verbe, et la spiration de l’Esprit d’amour, comme la Révélation nous l’apprend. Le Père, en engendrant le Fils, lui communique, non pas seulement une participation de sa nature, de son intelli­gence et de son amour, mais toute sa nature indivisible, sans la multiplier aucunement, il lui donne d’être « Dieu de Dieu, Lumière de Lumière, vrai Dieu de vrai Dieu », et le Père et le Fils communiquent à l’Esprit d’amour, qui procède d’eux, cette même nature divine indivisible et ses perfections infinies. Le bien est naturellement diffusif de soi, et plus il est parfait, plus il se donne pleinement et intimement.

En vertu du même principe, il convenait, dit saint Tho­mas, que Dieu ne se contentât pas de nous créer, de nous donner l’existence, la vie, l’intelligence, la grâce sancti­fiante, participation de sa nature, mais qu’il se donnât lui-même à nous en personne par l’Incarnation du Verbe [2].

Même après la chute du premier homme, Dieu aurait pu vouloir nous relever autrement 3, en nous envoyant par exemple un prophète qui nous aurait fait connaître les conditions du pardon. Mais il a fait infiniment plus, il a voulu nous donner son propre Fils en personne, comme Rédempteur. « Sic Deus dilexit mundum ut Filium suum unigenitum daret » (Jean, III, 16)

Jésus, prêtre pour l’éternité et sauveur de l’humanité, a voulu, lui aussi, se donner parfaitement lui-même à nous, dans tout le cours de sa vie terrestre, surtout à la Cène, au Calvaire, et il ne cesse de le faire tous les jours par la sainte messe et la sainte communion. Rien ne peut mieux nous montrer, que ce don si parfait de soi, les richesses du Cœur  sacerdotal et eucharistique de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Et rien ne peut mieux motiver l’action de grâces spéciale due à Notre-Seigneur pour l’institution de l’Eucharistie et celle du sacerdoce.

LE COEUR SACERDOTAL DE JÉSUS

ET LE DON DE SOI AU CALVAIRE

Lui-même a dit: « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » (Jean, xv, I3). Et saint Paul écrit aux Hébreux, x, 6 : « Le Christ dit en entrant dans le monde : « Vous n’avez voulu ni sacrifice, ni oblation, mais vous m’avez formé un corps; vous n’avez agréé ni holocaustes ni sacrifices pour le péché. Alors  j’ai dit : Me voici… je viens, ô mon Dieu, pour faire vôtre volonté. »

Dans le sacrifice parfait que le Sauveur, prêtre pour l’éternité, devait offrir, la victime ne pouvait être que lui-­même. Ce qu’il offre, c’est lui-même, son corps crucifié, son précieux sang répandu jusqu’à la dernière goutte, tout son cœur meurtri et finalement ouvert par la lance.

Comme le montrent après saint Augustin 1 le Bx Albert le Grand 2 et saint Thomas 3, le sacerdoce et le sacrifice sont d’autant plus parfaits, 1° que le prêtre, média­teur entre Dieu et les hommes, est plus uni à Dieu et aussi plus uni au peuple dont il doit offrir les adorations, les supplications, les réparations et les actions de grâces, 2° que la victime est plus pure, plus précieuse et plus consu­mée, 3° que le prêtre et la victime sont plus unis, puisque l’oblation et l’immolation extérieure de la victime ne sont que le signe de l’oblation et de l’immolation intérieure du cœur du prêtre, qui doivent être réelles, vives et profon­des, comme il convient au plus grand acte de la vertu de religion, inspiré par l’amour de Dieu.

Or, Notre-Seigneur, prêtre pour l’éternité, et médiateur universel, est la Sainteté même; son humanité est sancti­fiée d’une façon substantielle et innée, par l’union personnelle au Verbe, et les actions sacerdotales de sa sainte âme ont une valeur théandrique, sans limite, qu’el­les puisent dans la personnalité du Verbe; ici-bas elles avaient une valeur méritoire et satisfactoire intrinsèque­ment et strictement infinie. Son cœur sacerdotal ne sau­rait être plus uni à Dieu, ni d’autre part plus uni aux hommes, car Jésus est la tête du corps mystique dont nous sommes les membres : « Le Christ est le chef de l’Eglise, son corps, dont il est le Sauveur» (Ephés., v, 23).

De plus, le cœur sacerdotal de Jésus s’est donné lui-­même au Calvaire de la façon la plus parfaite et la plus intime, comme il l’avait annoncé : « C’est pour cela que mon Père m’aime : parce que je donne ma vie pour la reprendre. Personne ne me la ravit, mais je la donne de moi-même : j’ai le pouvoir de la donner et de la reprendre, tel est l’ordre que j’ai reçu de mon Père » (Jean, x, 18).

La victime très pure, offerte sur la Croix par Jésus, c’est lui-même, c’est son corps crucifié, son sang répandu, son corps déchiré dans toutes ses fibres; Jésus est victime jusque dans son âme qu’il veut livrer pleinement à la douleur, jusque dans son âme toute plongée dans l’uni­versel abandon : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez­-vous abandonné? »

C’est la complète immolation de « l’Agneau de Dieu qui efface les péchés du monde » ; l’union du Prêtre et de la Victime ne pouvaient pas être plus intime, ni le lien du sacrifice intérieur et du sacrifice extérieur plus étroit. Si saint Paul a dit : « Je me dépenserai moi-même tout entier pour vos âmes, dussé-je, en vous aimant davantage être moins aimé de vous o (II Cor., XII, 15), que ne faut-­il pas dire de Notre-Seigneur, qui a répandu pour nous tout son sang à Gethsémani, à la flagellation, au couronnement d’épines et sur la croix, comme le rappellent les Matines de l’admirable office du Précieux Sang?

Le cœur sacerdotal du Christ a généreusement donné ce sang adorable pour notre salut. Comme l’écrit saint Paul aux Hébreux, IX, 12 : « Ce n’est pas avec le sang des boucs et des taureaux, mais avec son propre sang, que le Christ Jésus est entré une fois pour toutes dans le Saint des Saints, après nous avoir acquis une éternelle rédemption. »

Comme le dit admirablement la liturgie, qui nous dis­pose si parfaitement à la contemplation de ce mystère : « En ce sang, quiconque baigne sa robe, en lave les taches. Il y prend un éclat empourpré, qui le rend soudain sem­blable aux anges et agréable au Roi…

-         Vous nous avez rachetés, Seigneur, par votre sang.

-          Et vous avez fait de nous un royaume pour notre Dieu 1. »

LE COEUR EUCHARISTIQUE DE JÉSUS

ET LE DON DE SOI DANS L’INSTITUTION DE L’EUCHARISTIE

Comme Dieu le Père donne toute sa nature dans la génération éternelle du Verbe et la spiration de l’Esprit-­Saint, comme Dieu a voulu se donner en personne dans l’incarnation du Verbe, ainsi Jésus a voulu se donner en personne dans l’Eucharistie. Et son coeur sacerdotal est appelé eucharistique en tant précisément qu’il nous a donné l’Eucharistie, comme l’air pur est dit sain en tant qu’il donne la santé.

Notre-Seigneur aurait pu se contenter d’instituer un sacrement signe de la grâce, comme le baptême et la con­firmation; il a voulu nous donner un sacrement qui con­tienne non seulement la grâce, mais l’Auteur de la grâce.

 L’Eucharistie étant ainsi le plus parfait des sacrements 2, supérieur même à celui de l’Ordre, l’expression Cœur Eucharistique est supérieure aussi à celle de Cœur sacerdotal. Cette dernière est renfermée dans la précédente, car Jésus, en nous donnant l’Eucharistie, a institué le sacerdoce. De plus, on peut appeler cœur sacerdotal le cœur même du ministre du Christ, nous parlons du coeur sacerdotal du Curé d’Ars, tandis que l’expression Coeur eucharistique ne saurait s’appliquer qu’au Coeur qui nous a donné l’Eucharistie.

Au moment de nous priver de sa présence sensible, Notre-Seigneur a voulu se laisser lui-même en personne parmi nous sous les voiles eucharistiques. Il ne pouvait pas, dans son amour, s’incliner davantage vers nous, vers les plus petits, les plus pauvres, les plus délaissés, s’unir davantage et se donner davantage à nous et à chacun de nous.

Son Cœur eucharistique nous a donné la présence réelle de son corps, de son sang, de son âme et de sa Divinité. Partout, sur la terre, où il y a une hostie consacrée dans un tabernacle, jusque dans les missions les plus lointai­nes, il reste avec nous comme « le doux compagnon de notre exil ». Il est dans chaque tabernacle « patient à nous attendre, pressé de nous exaucer, désirant qu’on le prie ».

Le Cœur eucharistique de Jésus nous a donné l’Eucha­ristie comme sacrifice, pour perpétuer en substance le sacrifice de la Croix sur nos autels jusqu’à la fin du monde et pour nous en appliquer les fruits. Et à la sainte Messe, Notre-Seigneur, qui est le Prêtre principal, continue de s’offrir lui-même pour nous.

« Le Christ toujours vivant ne cesse d’intercéder pour nous », dit saint Paul (Hébr. VII, 25). Il le fait surtout à la sainte Messe, où, selon le Concile de Trente, c’est le même prêtre qui continue de s’offrir par ses ministres de façon non sanglante après s’être offert de façon sanglante sur la Croix.

Cette oblation intérieure, toujours vivante au Coeur du Christ, est comme l’âme du saint sacrifice de la messe et lui donne sa valeur infinie. Le Christ Jésus continue aussi d’offrir à son Père nos adorations, nos supplications, nos réparations et nos actions de grâces. Mais surtout c’est toujours la même victime très pure qui est offerte, le corps même du Sauveur qui a été crucifié, et son précieux sang est sacramentellement répandu sur l’autel, pour con­tinuer à effacer les péchés du monde.

Le Cœur eucharistique de Jésus, en nous donnant l’Eu­charistie-sacrifice, nous a donné aussi le sacerdoce. Après avoir dit à ses Apôtres : « Venez à ma suite, je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes » (Marc, 1, 16), et : « ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis et qui vous ai établis, pour que vous alliez et que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure » (Jean, xv, 16), il leur a donné à la Cène le pouvoir d’offrir le sacrifice eucharistique en disant : « Ceci est mon corps, qui est donné pour vous; faites ceci en mémoire de moi » (Luc, XXII, 19). Il leur a donné le pouvoir de la consécra­tion sainte qui renouvelle sans cesse le sacrement d’a­mour 1. L’Eucharistie, sacrement et sacrifice, ne peut en effet être perpétuée sans le sacerdoce, et c’est pourquoi la grâce du Sauveur fait germer et s’épanouir dans la suite des générations depuis près de deux mille ans des voca­tions sacerdotales. Il en sera ainsi jusqu’à la fin du monde. 

Enfin le Cœur eucharistique de Jésus
se donne à nous dans la sainte Communion

Le Sauveur se donne â nous en nourriture, non pas pour que nous nous l’assimilions, mais pour que nous soyons rendus de plus en plus semblables à Lui, de plus en plus vivifiés, sanctifiés par Lui, incorporés à Lui. Il dit un jour à sainte Catherine de Sienne : « Je te prends ton cœur, je te donne le mien », c’était le symbole sensible de ce qui se passe spirituellement dans une fervente com­munion, où notre coeur meurt à son étroitesse, à son égoïsme, à son amour-propre, pour se dilater et devenir semblable au Coeur du Christ, par la pureté, la force, la générosité. Une autre fois, le Sauveur accorda à la même sainte la grâce de boire à longs traits â la plaie de son Cœur : autre symbole d’une communion fervente, où l’âme boit pour ainsi dire spirituellement au Coeur de Jésus, « foyer de nouvelles grâces », « doux refuge de la vie cachée », « maître des secrets de l’union divine », « cœur de celui qui dort mais qui veille toujours ».

Saint Paul avait dit (I Cor., x, 16) :  « Le calice de béné­dictions que nous bénissons, n’est-il pas une communion au sang du Christ? Et le pain que nous rompons, n’est-il pas une communion au corps du Christ ? » Et, comme le remarque saint Thomas, le prêtre à la sainte messe en communiant au précieux sang, y communie pour lui et pour les fidèles 1.

LE CŒUR EUCHARISTIQUE DE JÉSUS

ET LE DON QUOTIDIEN ET INCESSANT DE LUI-MÉME

Enfin Jésus nous redonne tous les jours l’Eucharistie comme sacrement et comme sacrifice. C’est même inces­samment, à chaque minute du jour, que la messe et de nombreuses messes sont célébrées à la surface de la terre, partout où le soleil se lève. C’est l’incessante manifesta­tion de l’Amour miséricordieux du Christ répondant aux besoins spirituels de chaque époque et de chaque âme.  « Le Christ, dit saint Paul aux Éphésiens, v, 26, a aimé l’Église et s’est livré lui-même pour elle, afin de la sancti­fier, après l’avoir purifiée dans l’eau baptismale, avec la parole, pour la,faire paraître devant lui, cette Église, glo­rieuse, sans tache, sans rides, ni rien de semblable, mais sainte et immaculée. »

C’est ainsi qu’il lui accorde, surtout par la sainte Messe et la communion, les grâces dont elle a besoin aux divers moments de son histoire. La messe a été un foyer de grâ­ces toujours nouvelles dans les catacombes, plus tard pendant les grandes invasions des barbares, aux diverses époques du moyen-âge, et elle l’est toujours aujourd’hui pour nous donner la force de résister aux grands périls qui nous menacent, aux ligues athées que le bolchevisme propage dans le monde, pour détruire toute religion. Malgré les tristesses de l’heure présente, la vie intérieure de l’Eglise de notre temps, en ce qu’elle a de plus élevé, est certainement très belle vue d’en haut, comme la voient Dieu et les anges.

Toutes ces grâces nous viennent du Coeur eucharistique de Jésus, qui nous a donné la sainte messe et la commu­nion, qui nous donne toujours son sang sacramentelle­ment répandu sur l’autel.

C’est ce qu’avait compris le P. Charles de Foucauld, en priant pour la conversion de l’Islam ou des pays musul­mans. C’est ce que comprennent les âmes qui prient aujourd’hui de tout coeur et font célébrer des messes pour la conversion de la Russie

Une seule goutte du Pré­cieux Sang du Sauveur peut régénérer tous ces malheu­reux infidèles qui s’égarent de plus en plus et pervertissent les autres 1.

On n’y pense certes pas assez. Le culte du Précieux Sang du Sauveur et la souffrance profonde de le voir couler en vain sur les âmes rebelles peuvent contribuer beaucoup à incliner le Cœur eucharistique de Jésus vers ses pauvres pécheurs; oui, vers ses pauvres pécheurs. Ce sont les siens, et des apôtres comme saint Paul, saint François, saint Dominique, sainte Catherine de Sienne et tant d’autres, aimaient assez le Sauveur pour débattre avec Lui le salut de ces âmes.

Quand on pense à l’amour du Christ pour nous, on devrait agoniser de voir des âmes se détourner de son Coeur, de la source de son précieux sang. Il l’a versé pour elles, pour toutes, si éloignées soient-elles, pour le bol­cheviste qui blasphème et veut partout effacer son nom. Daigne le Seigneur, qui ne veut pas la mort du pécheur, accorder par la sainte Messe comme une nouvelle effu­sion du sang de son Cœur et de toutes ses saintes plaies.

Il suit de là, pratiquement, que le Cœur Eucharistique de Jésus, loin d’être l’objet d’une dévotion mièvre, est l’exemplaire éminent du don parfait de soi-même, don qui en notre vie devrait être chaque jour plus généreux. A la messe, pour le prêtre, chaque consécration devrait mar­quer un progrès dans l’esprit de foi, de confiance, d’amour de Dieu et des âmes. Et pour les fidèles, chaque commu­nion devrait être substantiellement plus fervente que la précédente, puisque chacune doit augmenter en nous la charité, rendre notre coeur plus semblable à celui de Notre-Seigneur, et nous disposer par suite à mieux le rece­voir le lendemain.

Le Cœur eucharistique de Jésus est le coeur souvent « humilié, délaissé, oublié, méprisé, outragé », et pour­tant c’est « le Cœur qui aime nos coeurs, le Cœur silen­cieux voulant parler aux âmes » pour leur enseigner le prix de la vie cachée et le prix du don de soi chaque jour plus généreux.

Le Verbe fait chair est venu parmi les siens, et « les siens ne l’ont pas reçu » (Jean, I, 11). Bienheureux ceux qui reçoivent tout ce que son Amour miséricordieux veut leur donner et qui n’arrêtent pas par leur résistance les grâces qui, par eux, devraient rayonner sur d’autres moins favo­risés. Bienheureux ceux qui, après avoir reçu, à l’exem­ple de Notre-Seigneur, se donnent toujours plus généreu­sement, par Lui, avec Lui, et en Lui.

S’il y a, au milieu même des infidèles les plus éloignés de la foi, une seule âme en état de grâce, vraiment fervente et renoncée, comme le fut celle du père Charles de Fou­cauld, une âme qui reçoive tout ce que le Cœur Eucharis­tique du Christ veut lui donner, il est impossible que, tôt ou tard, le rayonnement de cette âme; ne transmette pas aux égarés quelque chose de ce qu’elle a reçu. Il est impossible que le Précieux Sang ne déborde pas, en quel­que sorte, du calice à la sainte messe, pour purifier, un jour ou l’autre, au moins au moment de la mort, ceux de ces égarés qui ne résistent pas aux prévenances divines, aux grâces actuelles prévenantes qui les portent à se con­vertir. Pensons quelquefois à la mort du musulman, à la mort du bouddhiste, ou près de nous à la mort de l’anar­chiste qui a été peut-être baptisé dans son enfance; ils ont tous une âme immortelle, pour laquelle le Cœur de Notre­-Seigneur a donné tout son sang.

Rome: Angelico.

fr. RÉG. Garrigou-Lagrange, O.P.

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[1] « Pertinet ad rationem boni, ut se aliis comrnunicet. Unde ad ratio­nem summi boni pertinet, quod summo modo se creaturae communicet » (IIIa, q.1, a.1). « Secundum diversitatem naturarum, diversus ema­nationis modus invenitur in rebus, et quanto aliqua natura est altior, tanto id quod ex ea emanat magis est intimum » (C. Gentes, 1. IV, ch. xr, initio).

[2]  IIIa, q. 1, a. 1 : Utrum conveniens fuerit Deum incarnari (c’est la question de la possibilité et de la convenance de l’Incarnation, mais encore celle de son motif, dont il est parlé aux articles 2 et 3). – Saint Thomas répond : « Unicuique rei conveniens est illud, quod competit sibi secundum rationem propriae naturae, sicut homini conveniens est ratiocinari… Ipsa autem natura Dei est essentia bonitatis… Pertinet autem ad rationem boni ut se aliiscommunicet… Unde ad rationem summi boni pertinet quod summo modo se creaturae communicet, quod quidem maxime fit per hoc, quod naturam creatam sic sibi conjugit, ut una  persona fiat ex tribus, Verbo, anima et carne, sicut dicit Augustinus in 1. XIII de Trinitate, c. 17. Unde manifestum est, quod conveniens fuit Deum incarnari. »

3 Cf. Saint Thomas, IIIa, q. 1, a, 2 : « Deus per suam omnipotentem virtutem, poterat humanam naturam multis aliis modis reparare. »

1 De Trinitate, 1. IV, c.XIV.

2 De Eucharistia, dist. V, c. 3 (Opera omnia, ed. Borgnet, 1899, t. XXXVIII, p. 347)­

3  IIIa, q. 48, a. 3.

1  Hymne des premières vêpres de la fête du Précieux Sang, 1er juillet. – On lit aussi dans l’Office propre du Coeur Eucharisti­que au 3° nocturne, leçon neuvième, ces belles paroles de saint Jean Chrysostome (hom. 46 in Joann.) : « Sanguis Christi regium nobis imprimit characterem, incredibilem parit pulchritudinem, animae nobilitatem conservat, virtutem magnam infundit. Digne receptus doemones procul pellit, angelos vero advocat… Hic sanguis salus animarum nostrarum est : eo abluitur anima, ornatur, incenditur; mens redditur igne splendidior et ad caelum etevatur. » Quelle plé­nitude et quelle richesse dans ces paroles qui coulent de l’abondance du cœur !

2 Cf’. Saint Thomas, IIIa, q. 65, a.3 : « Sacramentum Eucharistiae est, potissimum omnium aliorum. » Le sacrement de l’Eucharistie est le plus parfait de tous parce qu’il contient non seulement la grâce mais l’Auteur même de la grâce. Et le sacrement de l’ordre doit sa grandeur à ce qu’il est ordonné à la consécration de l’Eucharistie- Cf. ibidem ad 3um.

1 L’office du Cœur eucharistique indique bien ces différentes manifestations de l’amour du Christ pour nous, qui sont intime­ment liées ensemble.

1  Cf. S. Thomas, IIIa, q. 8o, a. 12, ad 3 : « Potest a populo corpus sine sanguine sumi. Nec exinde sequitur aliquod detrimentum : quia sacerdos in persona omnium sanguinem offert et sumit, et sub utraque specie totus Christus continetur. »

2 Les personnes qui voudraient faire célébrer des messes pour la conversion de l’Islam et celle de la Russie peuvent s’adresser pour cela soit au R. P. Joyeux, administrateur délégué de l’assistance morale aux Indigènes du Nord africain, 23, rue des Consuls, Alger, soit au presbytère du Plan d’Aups, par Saint-Zacharie, Var. 

1 C’est ce que dit saint Thomas dans l’Adoro te :

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