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« UNE VILLE NE SE PEUT CACHER, QUI EST SISE AU SOMMET D’UN MONT »

1 mars, 2016

http://www.dominicains.ca/Documents/maitre_ordre/Radcliffe/contemplation1.htm

UNE VIE CONTEMPLATIVE

« UNE VILLE NE SE PEUT CACHER, QUI EST SISE AU SOMMET D’UN MONT »

Lettre publiée en la fête de sainte catherine de Sienne, 2001

fr. Timothy Radcliffe, o.p.

Cette lettre s’adresse en premier lieu aux moniales, car c’est de votre vie qu’il s’agit, chères sœurs moniales. Je veux rendre grâces à Dieu pour votre présence au cœur de l’Ordre. Souvent, au milieu de visites canoniques menées tambour battant, mon passage dans les monastères a été un moment de joie, de rire et de fraîcheur. Je ne suis pas moniale, alors qu’ai-je à dire de votre vie ? Comme vous, je suis moi aussi un dominicain appelé à la contemplation. Vous avez partagé ouvertement avec moi vos espoirs de renouveau pour la vie contemplative au cœur de l’Ordre, et les défis que vous devez relever. Aussi par la présente lettre aimerais-je partager avec toutes les moniales le fruit de nos conversations. S’il devait s’avérer que je n’ai pas compris votre vocation, je vous en demande pardon. L’Ordre ne s’épanouira que si nous osons dire ce que nous avons au fond du cœur, avec l’assurance d’être pardonnés.
Je voudrais aussi partager cela avec toute la Famille dominicaine. Avant de mourir, saint Dominique « confia les moniales, membres du même Ordre, au soin fraternel de ses fils » (LCM 1 § I). La première communauté dominicaine qu’il fonda fut celle des moniales de Prouilhe, et l’un de ses derniers soucis fut de construire le monastère de Bologne : « Il est absolument nécessaire, mes frères, de construire une maison de moniales, même si cela implique de délaisser quelques temps le travail de notre propre maison » . Les monastères nous sont donc confiés à tous. De même que nous-mêmes sommes confiés à la prière et au soin des moniales. Cette réciprocité est au cœur de l’Ordre. Aussi, quoique je m’adresse directement aux moniales, j’espère que tous les dominicains sont à l’écoute.
1. Une vie contemplative
Les monastères ne sont pas la branche contemplative de l’Ordre. Nous ne saurions laisser la contemplation aux seules moniales. Nous sommes tous appelés à la contemplation, et le renouveau de la vie contemplative est l’un des plus grands défis que l’Ordre doive relever. J’hésite à donner une définition de « contemplation »… mais, un peu d’audace ! Par contemplation j’entends notre quête de Dieu, qui nous conduit à la rencontre de Dieu qui vient à nous. Nous recherchons Dieu dans le silence et la prière, dans l’étude et dans la discussion, dans la solitude et dans l’amour. Avec tous nos dons de cœur et d’esprit, nous suivons les traces de Dieu. Mais c’est Dieu qui nous trouve au moment où nous nous y attendions le moins. Marie Madeleine, première sainte patronne de l’Ordre, est l’authentique contemplative, qui cherche le corps de Jésus pour finalement rester stupéfiée lorsqu’elle entend le Seigneur Ressuscité l’appeler par son nom. Notre prière jaillit de ce désir profond. Comme l’a dit Catherine, « Le désir même est prière ».Le fr. Vincent de Couesnongle parlait de « la contemplation de la rue » . Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous, chez le plus petit de nos frères, la plus petite de nos sœurs (Mt 25), dans nos familles, là où nous travaillons, chez nos amis et nos ennemis, dans la joie et dans la tristesse. Le Verbe est là, si seulement nous voulons bien ouvrir les yeux pour le voir. Eric Borgman, un laïc dominicain néerlandais, a écrit : « Les dominicains sont convaincus que le monde dans lequel nous vivons, tumultueux et en ébullition, souvent violent et terrifiant, est en même temps le lieu où naît le sacré, le lieu où nous nous rencontrons et nous écoutons pour -’contempler’- Dieu » . Aussi chaque dominicain est appelé à la contemplation, que nous soyons laïcs dominicains, sœurs, frères ou moniales. Notre plus grande figure contemplative, sainte Catherine de Sienne, était une laïque.
Prêcher est un acte de contemplation. Don Goergen a écrit : « Dans la prédication s’unissent le chercheur et le cherché, celui qui est perdu et celui qui est trouvé. Dieu nous découvre au cœur même de notre parole qui tente de le révéler. Dieu ne nous laisse jamais tomber » . Prêcher n’est pas juste ouvrir la bouche pour parler. Cela commence par une attention silencieuse à l’Évangile, une lutte pour comprendre, la prière pour être illuminé, et cela s’achève par les réactions de ceux qui nous écoutent. Je me souviens, jeune frère, de la visite d’un évêque attendu pour prêcher, et qui se tourna vers l’un des frères une minute avant la messe : « Si tu es un bon dominicain, tu devrais pouvoir prêcher maintenant sans préparation ». Le frère répondit : « C’est justement parce que je suis dominicain que je ne crois pas que la prédication consiste juste à dire la première chose qui me vient à l’esprit ».
Si tous les dominicains sont appelés à la contemplation, qu’y a-t-il donc de si particulier dans votre vie ? Votre vie est tout entière façonnée par la recherche de Dieu. La vocation d’une moniale est « un rappel pour tout le peuple chrétien de la vocation fondamentale de chacun à la rencontre avec Dieu » (Verbi Sponsa 4). Comme l’écrivit le fr. Marie-Dominique Chenu, « la vie mystique n’est foncièrement pas autre chose que la vie chrétienne » . Vous n’échappez pas aux drames et aux crises de la vie humaine ordinaire. Vous les vivez plus à nu, plus intensément, connaissant la joie et le désespoir de toute vie humaine, sans avoir l’abri qu’offrent tant des choses qui donnent du sens à la plupart des vies humaines : un mariage, des enfants, une carrière. Le monastère est cet endroit où l’on ne peut se cacher nulle part de la question fondamentale de toute vie humaine. Une moniale écrivait : « Je suis entrée au monastère, non pour fuir le monde ou l’oublier, pas même pour ignorer son existence, mais pour être présente au monde d’une manière plus profonde, pour vivre au cœur du monde, d’une façon secrète mais que je crois plus réelle. Je ne suis pas venue chercher ici une vie tranquille ou la sécurité, mais partager, prendre avec moi les souffrances, la douleur, les espoirs de toute l’humanité » .
Votre vie n’a de sens que si la quête de Dieu mène bien à cette rencontre dans le jardin, à entendre prononcer son nom. Votre vie n’a aucun objectif intermédiaire auquel vous accrocher au fil des jours et des années. Le monastère est comme un petit groupe à l’arrêt de bus, un signe d’espoir que le bus va arriver. Cela est vrai de tous ceux qui vivent la vie monastique cloîtrée. Dans une conférence au congrès des abbés bénédictins , je disais que Dieu se montre souvent dans l’absence, dans le vide : l’espace libre entre les ailes des chérubins dans le Temple, et finalement dans le tombeau vide au jardin. La vie d’une moniale et d’un moine est creusée par un vide. Votre vie est vide de but, sinon celui d’être là pour Dieu. Vous ne faites rien de particulièrement utile. Mais ce vide est un espace libre dans lequel Dieu vient habiter et où nous entrevoyons sa gloire.
Vous faites cela en moniales de l’Ordre des Prêcheurs. L’Église appelle les contemplatifs de différentes familles religieuses à vivre de la richesse de leurs traditions et charismes respectifs -bénédictin, carmélite, franciscain ou dominicain- qui « constituent un splendide éventail » . Que signifie pour un monastère être dominicain ? Je veux partager ce que j’ai appris de vous en regardant votre vie marquée par la mission de l’Ordre, par la vie commune dominicaine, par la recherche de la Vérité, et par l’appartenance à tout l’Ordre. Il y a maints autres aspects de votre vie que je n’aborderai pas, je m’en tiens à ceux-ci qui sont au cœur de votre identité dominicaine.
2. La mission
Que signifie être moniale d’un Ordre missionnaire ? Comment est-il possible d’être à la fois une contemplative cloîtrée et une missionnaire ?
Être envoyés
Être missionnaires, c’est littéralement être envoyés. Les frères et les sœurs peuvent être envoyés en mission aux confins de la terre, comme Jésus envoya ses disciples. Certes on peut vous envoyer fonder un nouveau monastère, ou renforcer un monastère fragile, mais en général vous restez sur place. Alors en quel sens êtes-vous envoyées ? Pour Jésus, être envoyé par le Père ne consistait pas à quitter un lieu pour un autre. Il ne partit pas en voyage. Son existence même venait du Père. Vous êtes tout aussi missionnaires que les frères, non par un départ, mais parce que vous vivez votre vie venant de Dieu et pour Dieu. Comme le dit Jourdain à Diane : « Ta permanence dans le calme du couvent et mes nombreuses errances de par le monde sont pareillement faites pour l’amour de Lui » . Vous êtes une Parole prêchée par votre être même.
La septième manière de prier de Dominique consistait à étirer « son corps tout entier vers le ciel en une prière semblable à la flèche tirée haut de l’arc tendu » . Vous pointez droit vers Dieu comme une flèche, juste par votre présence sans autre objet. Vous êtes par votre vie même une parole pour vos frères, vos sœurs, et les laïcs dominicains, et une parole pour le lieu où se trouve votre monastère. Je l’ai bien vu dans des pays qui souffrent, comme l’Angola, le Nicaragua, dans les taudis des grandes villes comme Karachi, ou dans le Bronx à New York, ou dans certaines banlieues de Paris. Dans des endroits comme ceux-là, un monastère est une Parole qui se fait chair et sang, « pleine de grâce et de vérité » (Jn 1, 18).
Marie Madeleine va trouver les apôtres et leur dit : « J’ai vu le Seigneur ». Certaines d’entre vous seront peut-être appelées à prêcher par l’écrit. Beaucoup des plus grands théologiens étaient des moines ou des moniales, et cela serait particulièrement approprié à une moniale dominicaine. LCM 106 § II affirme explicitement que le travail des moniales peut également être intellectuel.
Vous pouvez aussi être envoyées créer de nouvelles fondations. Olmedo est une inspiration, avec ses huit fondations dans quatre continents. L’Ordre se développe dans de nombreux pays, en particulier en Asie, et sans vous nous sommes incomplets. Il arrive que vous soyez là avant nous. Il faut parfois un grand courage pour envoyer des moniales fonder un nouveau monastère, en particulier parce que ce sont celles qui donnent le plus à leur communauté qui seront capables d’une telle aventure. Rappelez-vous le courage de Dominique qui dispersa les frères à peine l’Ordre était-il fondé, afin que le grain portât des fruits.
La compassion
La compassion fait partie de votre mission, cette part du don de Dominique pour « conduire les pécheurs, les opprimés et les désespérés dans le sanctuaire intime de sa compassion » (LCM 35, § I). Le Dieu de Dominique est un Dieu de miséricorde. La compassion suppose que nous désapprenions cette dureté de cœur qui fait le procès des autres, que nous nous dépouillions de cette carapace qui tient les autres à l’écart, que nous apprenions à être vulnérable à la souffrance et au désarroi des autres, que nous entendions leurs appels à l’aide. Cela nous l’apprenons avant tout dans nos communautés. Osons-nous nous laisser toucher par les souffrances de notre sœur de la chambre voisine ? Osons-nous prendre le risque d’écouter ses appels à l’aide à demi formulés ? Dans le cas contraire, comment pourrions-nous incarner la compassion de Dominique pour le monde ?
La compassion est plus qu’un sentiment, c’est ouvrir les yeux pour voir le Christ parmi nous, le Christ qui souffre encore, comme Las Casas vit le Christ crucifié dans les Indigènes d’Hispaniola. Il y faut une éducation du cœur et de l’œil, qui nous rende attentifs au Seigneur présent parmi nous dans l’opprimé et le blessé. La compassion est donc authentiquement contemplative, clairvoyante. Comme le dit Borgman, « Être touché, ému, par ce qui arrive aux gens et par ce qui les atteint, c’est une manière de percevoir la présence de Dieu. La compassion est contemplation au sens dominicain » . La compassion contemplative est l’apprentissage d’un regard désintéressé sur les autres. Comme tel, elle est profondément liée à la soif d’un monde juste. L’engagement de l’Ordre au service de la justice devient aisément une question d’idéologie s’il ne naît pas d’une compassion contemplative. « Une société qui ne comprend pas la contemplation ne comprendra pas la justice, parce qu’elle aura oublié comment regarder de manière désintéressée qui est l’autre. Elle se réfugiera dans des généralités, des préjugés, des clichés calculateurs. »
La compassion nous porte au-delà des divisions internes. Le monastère de Rweza au Burundi est cerné par la guerre. Les sœurs viennent elles-mêmes des différents groupes ethniques qui se combattent, elles ont souvent perdu des membres de leur famille. Quand on leur demande ce qui les a maintenues unies, elles répondent que l’union est un don de Dieu, pour lequel elles ne rendront jamais assez grâces. Elles disent aussi qu’elles écoutent ensemble les nouvelles à la radio, même si c’est très douloureux. Partager cette peine les unit.
La compassion implique donc une connaissance des besoins de l’Ordre et du monde. Dans les monastères florissants, j’ai souvent constaté un désir d’en savoir davantage sur l’Ordre et ses besoins, tout comme Diane réclamait sans cesse à Jourdain des nouvelles de ses missions. « Pour quoi voulez-vous que nous priions ? » Il y a une soif de comprendre ce qui se passe dans les pays en guerre, comme l’Algérie et le Rwanda. Aussi les monastères doivent-ils avoir accès à l’information et aux véritables éléments d’analyse, plutôt qu’à des nouvelles comme simples passe-temps, pour pouvoir soumettre à Dieu les besoins de notre monde.
La prière
La compassion déborde en prière. Les premiers frères demandaient toujours aux moniales de prier pour eux parce qu’ils manquaient de temps pour le faire eux-mêmes. Raymond de Penyafort se plaignit un jour à la Prieure de Bologne d’être trop occupé par les affaires de la cour papale : « Je ne peux quasiment jamais atteindre ou, pour être tout à fait honnête, ne serait-ce qu’apercevoir le début du calme de la contemplation… Aussi est-ce une grande joie et un immense réconfort de me savoir soutenu par tes prières » . Jourdain écrivit à Diane : « Prie pour moi souventes fois et avec ardeur dans le Seigneur ; j’ai grand besoin de tes prières en raison de mes fautes, et ne prie que rarement moi-même » .
Voilà qui pourrait donner l’impression que frères et moniales ont des types d’activités bien différents, les frères prêchant et les moniales priant, exactement comme un ménage où la femme préparerait le repas et laisserait à son mari le soin de laver la vaisselle -avec un peu de chance ! Mais dans la prédication nous partageons la parole qui nous est donnée. Prier pour cette parole fait donc partie de l’événement prédication. La prière ne vient pas seulement avant la prédication comme la cuisine précède la vaisselle. La prière participe de la venue du Verbe, et les moniales sont par conséquent intimement impliquées dans l’acte de prédication. « Les moniales cherchent, méditent et invoquent Dieu dans la solitude afin que la parole qui sort de la bouche de Dieu ne Lui revienne pas vide mais accomplisse ce pour quoi elle a été envoyée » (LCM 1 § II). Pour Jourdain, ce sont les prières de Diane et sa communauté qui donnent force à sa prédication et apportent le flot des vocations.
Les formes de prière les plus typiques de saint Thomas d’Aquin étaient l’intercession et l’action de grâces. Nous demandons à Dieu ce dont nous avons besoin, et remercions lorsque cela nous est accordé. Cela évoque peut-être une manière infantile de se situer dans le monde, comme si nous étions incapables de faire quoi que ce soit par nous mêmes. Mais en fait, il y faut la maturité de qui réalise que toute chose est donnée. Dans la société de consommation, où tout a un prix, demander est considéré comme un échec. Mais si nous vivons dans le monde réel, créé par Dieu, alors demander ce dont nous avons besoin c’est être vrai, et reconnaître en Dieu « l’auteur de nos biens » . Mais plus encore, la réponse à nos prières est parfois la manière dont Dieu agit sur le monde. Dieu désire que nous priions, pour qu’il puisse donner, en réponse. Prier n’est pas contraindre Dieu à changer d’avis. C’est par amitié que Dieu nous accorde ce que nous demandons. Aussi vos prières sont-elles une participation à l’action de Dieu sur le monde.
Célébrer la liturgie
Une autre de vos manières de prêcher c’est par la beauté de votre célébration publique de la liturgie, comme le recommande instamment Venite Seorsum. Il y a dans notre société une soif de Dieu, souvent contrariée par le soupçon qui pèse sur tout enseignement. L’expérience m’a appris qu’au moment où l’on commence à prêcher, plus d’un visage se détourne. Mais la beauté sait toucher les sources les plus intimes de notre désir de Dieu. La beauté nous saisit sans nous forcer. Elle a sa propre autorité, plus profonde que n’importe quel argument.
La liturgie dominicaine doit être pleine de joie . Dominique chantait joyeusement. Jourdain raconte l’histoire d’un vaudois maussade, du nom de Pierre, qui tenait les dominicains en piètre estime parce que « les frères étaient trop gais et démonstratifs » . Il croyait qu’un religieux doit être grave et triste. Et puis une nuit il rêva d’une grande prairie. « Il y voyait une assemblée de Frères Prêcheurs, faisant cercle, leurs visages rieurs tournés vers le ciel. L’un d’eux tenait le Corps du Christ dans ses mains tendues. » Il s’éveilla « le cœur empli de joie » et entra dans l’Ordre. La joie de la liturgie fait partie de notre prédication de la Bonne Nouvelle. Je n’oublierai jamais la joie des moniales de Nairobi dansant au pied de l’autel aux paroles de l’Évangile. La joie de la bonne nouvelle était visible dans leur mouvement. Je n’ai pu m’empêcher de danser moi-même !
3. La communauté
Toute communauté monastique devrait être un lieu d’amour mutuel où Dieu vient faire sa place. « Grâce à l’amour mutuel, la vie fraternelle est un espace théologal dans lequel on fait l’expérience de la présence mystique du Seigneur ressuscité » (Verbi Sponsa 6). Mais la tradition dominicaine a une compréhension particulière de la vie commune. Vous tenez vous aussi vos vœux de la Règle de saint Augustin, qui rappelle que la fin à laquelle nous sommes appelés « est vivre unis dans la maison et n’être qu’un seul esprit et un seul cœur en Dieu ». Jésus appela les apôtres à vivre avec lui avant de les envoyer prêcher. Pour vous aussi, la vie commune fait partie de la prédication.
La communauté et l’amitié
La tradition dominicaine de la communauté est profondément marquée par la manière dont nous concevons notre relation avec Dieu. Il y a dans l’Église deux grandes traditions. L’une considère notre relation avec Dieu en termes de mariage, comme l’amour entre les époux. L’autre l’envisage en terme d’amitié. On trouve les deux dans l’Ordre, mais nous avons tout particulièrement cultivé la théologie johannique de l’amitié, souvent négligée. Pour saint Thomas d’Aquin, le cœur de la vie de Dieu est l’amitié du Père et du Fils : l’Esprit Saint. Prier est donc parler à Dieu comme à un ami. Selon Carranza, un dominicain espagnol du seizième siècle, prier c’est « converser intimement avec Dieu… discuter de tout ce qui vous touche avec Dieu, des intérêts les plus élevés aux détails sans prétention, que cela concerne le ciel ou la terre, ait trait à l’âme ou au corps, les grandes et les petites choses ; c’est lui ouvrir votre cœur et vous découvrir entièrement à lui, ne laissant rien dans l’ombre ; c’est lui raconter vos peines, vos péchés, vos désirs et tout le reste, tout ce que vous avez dans l’âme, et vous abandonner à lui comme un ami s’abandonne à un autre » .
On trouve aussi la conception ‘nuptiale’ dans l’Ordre, par exemple chez Jourdain de Saxe, Catherine de Sienne, Agnès de Langeac. Mais, cet amour n’est pas à leurs yeux une relation individuelle avec Dieu, il s’incarne dans l’amour des frères et des sœurs. « Celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, ne saurait aimer le Dieu qu’il ne voit pas » (1 Jn 4, 20). Jourdain écrit à Diane : « Christ est le lien qui nous unit ; en lui mon esprit est fermement soudé à ton esprit ; en lui tu es toujours présente, sans cesse avec moi, où que me porte mon errance » . « Aimons-nous les uns les autres en lui et à travers lui et pour lui » . Catherine dit sans ambiguïté que son amour du Christ Époux est le même que celui qu’elle porte à ses amis. Le Seigneur lui dit : « L’amour que l’on a pour moi et pour le prochain est une seule et même chose » . Cela signifie que notre vie contemplative doit nous faire ouvrir les yeux sur nos frères et nos sœurs. Dans le Rosaire, nous suivons les mystères de la vie du Christ, ses moments de joie, de souffrance et de gloire. Sommes-nous attentifs aux « mystères » de la vie des membres de notre communauté, qui ne sont pas toujours joyeux et glorieux ?
Notre amitié avec Dieu se fait chair et sang dans le tissu de la vie communautaire. J’en ai vu le fruit dans la joie de nombreux moments de détente partagés avec vous. Sr Barbara, de Herne, a écrit : « C’est là, dans les moments de détente, que les moniales expriment leur joie d’être ensemble, elles rient beaucoup, au point que les retraitants de la maison d’accueil s’étonnent parfois des éclats de rire qui retentissent près d’une demi-heure tous les soirs ». Ces moniales sont les héritières d’une longue tradition. Un soir que Dominique rentrait tard à St-Sixte, il réveilla les moniales pour enseigner puis se détendit avec elles autour d’un verre de vin. Il les encourageait sans cesse à boire davantage, « bibite satis » . J’ai plutôt l’expérience que ce sont les moniales qui encouragent ainsi les frères ! Cette joie fait tellement partie de notre tradition que Jourdain interprète même la phrase « entrez dans la joie du Seigneur » au sens d’entrer dans l’Ordre où « tous vos chagrins deviendront joie et votre joie, nul ne pourra vous l’ôter » .
Cette amitié avec les frères et les sœurs est l’une des plus grande joies de ma vie, mais elle est parfois bien dure aussi. Joie et dureté doivent être encore plus intenses pour vous qui vivrez probablement toute votre vie avec les mêmes sœurs. Si un frère me trouve impossible, il lui reste au moins l’espoir qu’on m’assigne ailleurs un jour. Il n’aura pas à me supporter jusqu’à la mort. Le Cardinal Hume m’a raconté que lorsqu’il était jeune, son Abbé lui dit un jour : « Basil, rappelle-toi que quand tu mourras, il se trouvera toujours au moins un moine pour être soulagé ». Aussi pour vous la vie commune est-elle une joie particulière et en même temps un défi impossible à relever sans miséricorde et générosité. Tauler dit que lorsqu’un frère est insupportable, il faut se dire à soi-même : « Il a sûrement la migraine aujourd’hui ». Certaines sœurs vous semblent peut-être avoir très souvent la migraine !
Quand nous faisons profession dans l’Ordre, nous demandons « la miséricorde de Dieu et la vôtre ». Être dominicain et dominicaine, c’est promettre de donner et de recevoir cette miséricorde. Chaque jour nous en appelons à Dieu pour qu’il « pardonne nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ». Chaque sœur reçoit le pouvoir libérateur de pardonner, une part de la capacité divine à faire toutes choses nouvelles. C’est la liberté d’ouvrir les portes des prisons que chacun de nous construit, de nous appeler les uns les autres à sortir du tombeau pour entrer dans la vie nouvelle. Chacune de vous a un ministère de réconciliation dans la communauté. Chacune de vous peut dire une parole qui guérit.
La clôture
Cette idée de l’amitié peut nous aider pour une compréhension dominicaine de la clôture. Il y a dans certains monastères des discussions animées sur la clôture : combien de fois les moniales doivent-elles être autorisées à quitter le monastère, et pour quelles raisons ? Je n’entrerai pas dans ces débats. Tout d’abord cela risquerait de générer des divisions quand le Maître de l’Ordre doit par-dessus tout se soucier de l’unité. Et puis on ne peut trouver de consensus sur ces questions pratiques qu’après avoir clarifié la nature de la clôture. Verbi Sponsa en parle comme d’une « manière particulière d’être avec le Seigneur » (3). Elle a trait à la construction d’une demeure avec Dieu, plutôt qu’à un règlement. C’est une question d’amour plus que de droit. Ce n’est pas tant une fuite à l’écart d’un monde mauvais, que la construction d’un espace au sein duquel apprendre justement à ne pas fuir l’amitié de Dieu, les autres, et nous-mêmes. Ce qui compte n’est pas la clôture comme exclusion du monde, mais ce qu’elle contient, une vie avec Dieu, comme un verre rempli de vin.
Au début les monastères étaient de véritables foyers pour les frères. Prouilhe et plus tard St-Sixte était les maisons des frères, d’où ils partaient prêcher. Avec l’augmentation du nombre de frères, cela est devenu impossible. Sans aucun doute les frères menaçaient la paix du monastère en rentrant tard la nuit et demandant à manger, se disputant alors que les sœurs aspiraient au silence ! Il fallait que nous ayons des maisons séparées. Mais les monastères sont restés des foyers pour les frères dans un sens plus profond. Pour Jourdain de Saxe, le monastère de Bologne était la demeure de son cœur, même s’il y passait peu de temps. Il écrit à Diane : « Ne suis-je pas à toi, ne suis-je pas avec toi ? À toi dans le travail, à toi dans le repos ; tien quand je suis avec toi, tien quand je suis loin » . Le monastère est foyer en ce qu’il est un lieu où les moniales vivent avec Dieu (LCM 36), et c’est donc là que les autres peuvent entrevoir le véritable foyer que nous cherchons tous, où nous demeurerons en Dieu, notre Sabbat éternel. C’est pourquoi les monastères sont si souvent au cœur de la Famille dominicaine. La Famille dominicaine gravite fréquemment autour du monastère, lieu où nous sommes tous chez nous. C’est pourquoi accueillir des hôtes dans un monastère, certes avec bon sens de façon à ne pas déranger le rythme de votre vie, peut être une manière de partager le fruit de votre clôture.
« Oh ! chose effroyable que de tomber aux mains du Dieu vivant ! » (Hé 10, 31). Il est parfois dur de vivre avec Dieu. Nous nous retrouvons dans le désert, veillant à Gethsémani et témoins au Golgotha. Une contemplative doit parfois vivre dans les ténèbres mais, comme le dit ‘le Nuage de la Connaissance’, « Apprenez à vous sentir chez vous dans ces ténèbres ». La tentation est de fuir loin de Dieu, et se réfugier dans de modestes consolations, de minuscules désirs. On peut être tenté de remplir sa vie de petits projets, de passe-temps, de bavardage, juste histoire de combler le vide. Mais il faut laisser ce vide tel quel pour que Dieu le remplisse. Le monastère est notre maison non parce que vous y avez fui le monde mais parce que vous avez la hardiesse de ne pas fuir Dieu. Osez habiter les ténèbres et être chez vous dans la nuit, sans crainte. Comme le poète anglais D. H. Lawrence l’a écrit : « Chose effroyable que de tomber aux mains du Dieu vivant, certes, mais combien plus effroyable leur échapper ! ».
Nous sommes aussi parfois tentés de fuir nos frères et sœurs, d’échapper au défi de construire une maison pleine d’amour où Dieu puisse venir habiter. Surtout, nous pouvons être tentés de nous fuir nous-mêmes. Dans le monastère, il n’y a nulle part où se cacher. Là, nous apprenons, selon les mots de Catherine, à « habiter la cellule de la connaissance de soi » (Dialogues 73), en nous regardant en face sans crainte « dans le charitable miroir » de Dieu, nous sachant aimés. À l’aise avec nous-mêmes, nous le serons avec Dieu.
La clôture doit être réglée par des normes claires mais si celles-ci deviennent source de conflit et de division, elles mineront l’objectif fondamental de la clôture, qui est de trouver une demeure dans l’amour infini et la miséricorde infinie de Dieu. Il est essentiel que la discussion sur la clôture soit menée dans la charité et en vue d’une compréhension mutuelle. Si cette discussion génère colère et intolérance, nous abattrons la clôture plus sûrement que si les moniales « faisaient le mur » tous les jours.
Quelque étroite que puisse sembler la clôture, habiter avec Dieu ouvre un espace immense, « de l’ampleur, et de la hauteur, et de la profondeur de l’amour de Dieu » (cf. LCM 36). Sr Margaret Ebner raconte : parfois, en recevant l’Eucharistie, « mon cœur se gonflait tant que je ne pouvais le contenir. Il me semblait qu’il devait être aussi grand que l’univers entier » . Cette « expansion du cœur » (latitudinem cordis), dont parle Thomas, nous ouvre à l’immensité de Dieu. Si nous habitons avec le Seigneur, Il nous conduira à des espaces infinis, même dans l’enceinte d’une petite clôture. Si la clôture est bien vécue, elle a pour fruit une magnanimité, une grandeur d’âme et de cœur, où toute petitesse est transcendée.
Le gouvernement
La spiritualité dominicaine de l’amitié trouve sa principale expression dans notre système de gouvernement, qui se fonde sur la dignité de chaque sœur et sur l’égalité de toutes. Le gouvernement n’est pas la tâche de quelques unes mais la manière dont toutes partagent la responsabilité de la vie de la communauté.
Au cœur d’un bon gouvernement, il y a l’obéissance, « non comme des esclaves de la loi, mais en femmes libres dans la grâce » (cf. LCM 1§ VI). Comme l’écrivait Damian Byrne dans une lettre à la Fédération mexicaine, « Le mot obéissance signifie écouter. Selon la tradition dominicaine, dans le monastère on doit écouter la Prieure, le Conseil et le Chapitre. Chacun a son autorité spécifique qui doit tenir compte des autres autorités légitimes. Aucune autorité ne domine seule » . Aussi les monastères seront-ils florissants et heureux si les moniales s’écoutent les unes les autres. Plus que tout autre, le chapitre est le lieu de cette écoute mutuelle. « Pour que leur vie contemplative et leur communion fraternelle donnent des fruits plus abondants, la participation de toutes à l’organisation de la vie du monastère est d’une grande importance : ‘Le bien qui recueille une approbation générale est aisément et rapidement accompli.’ (Humbert de Romans) » (LCM 7).
D’après mon expérience des frères, les chapitres sont porteurs de vie quand nous avons la confiance de parler et la confiance d’écouter. On peut avoir peur de parler à un chapitre. Il m’a fallu près d’un an pour ouvrir la bouche et j’écrivais d’abord ce que je voulais dire sur un bout de papier, que je relisais attentivement plusieurs fois avant d’oser dire un seul mot. En général, quand je me sentais prêt il était déjà trop tard ! La supérieure a pour tâche de construire la communauté en engageant toutes les sœurs à parler, en particulier celles qui hésitent ou ne sont pas d’accord avec la majorité. Désaccord ne signifie pas déloyauté ou désunion.
Il nous faut aussi la confiance d’écouter sans crainte. Écouter est le fruit du silence dans lequel nous tendons l’oreille à Dieu. La vie contemplative sera une formation à l’écoute. Une moniale polonaise m’a dit un jour : « Tout le monde parle aujourd’hui mais personne n’écoute. Nous, les moniales, sommes là pour écouter ». Le résultat de l’écoute de Dieu dans le silence devrait être l’attention à ce que nos sœurs ont vraiment à dire, et non ce que l’on redoute ou que l’on attend qu’elles disent. Une écoute authentique n’est possible que si l’on est en paix. Souvent, une sœur qui essaie d’exprimer un doute ou une question ne trouve pas le mot juste. Elle cherche ses mots, elle a l’air perdue ou énervée, et il serait facile de la faire taire ou de l’écarter. Mais si nous écoutons attentivement et intelligemment, nous pourrons saisir le grain de vérité qu’elle a à partager. Cela suppose de toujours donner la meilleure interprétation possible de ce qu’elle dit, l’écouter d’une oreille charitable. Toute la Summa Theologica se fonde sur le principe de prendre à cœur les objections. La recherche du consensus peut prendre du temps. Même si la communauté ne parvient pas à un consensus, les minorités accepteront plus facilement la décision finale si elle savent avoir été entendues.
On a parfois peur d’aborder les vrais problèmes. Parce qu’on n’est pas sûr d’où la discussion nous emmènera. Mais la peur est la plus grande ennemie de la vie religieuse. Si nous avons confiance dans le Seigneur, les flots du chaos ne nous enseveliront pas. Si nous laissons la peur prendre le dessus, c’est que la communauté n’a pas fait sa demeure en Dieu, solide comme un roc. C’est surtout à la supérieure de conduire la communauté au-delà de la peur.
Les communautés sont généralement sans crainte lorsque les institutions de gouvernement -le chapitre, le conseil et la prieure- se soutiennent réciproquement au lieu d’être en compétition. La prieure est la gardienne de la dignité et de la voix de chaque membre de la communauté. Mais la prieure doit aussi recevoir le soutien de toute la communauté. Comme l’écrivait Damian, avec sa sagesse coutumière, « Il faut bien admettre qu’il y a dans les communautés des membres qui se plaignent constamment et des perturbatrices professionnelles. Une prieure doit être soutenue par sa communauté pour permettre à ces sœurs de se voir telles qu’elles sont et ne pas leur laisser faire du mal à la communauté. Et je lance un appel, car la miséricorde et la considération que nous nous devons les uns aux autres ne devraient-elles pas à plus forte raison être accordées aussi à nos supérieurs ? » . Discuter librement ce n’est pas être dans l’opposition. Si nous sommes véritablement une communauté, même si je n’ai pas voté pour le supérieur, nous avons voté pour le supérieur. Si je suis bien un frère ou une sœur de la communauté, je dois accepter ce vote comme le mien.
Un monastère dominicain n’a pas d’abbesse mais une prieure, qui est prima inter pares. Cela exprime l’amitié entre pairs qui est notre vie même. Si la communauté est solide, le passage à une nouvelle prieure devrait se faire sans drame. Les postulations devraient être rares. Mais si une prieure a réuni autour d’elle un groupe de moniales qui pensent comme elle, qui dominent la communauté, soit l’élection sera la continuation de la ‘dynastie’, soit il y aura un ‘coup d’état’ ! Une supérieure doit avoir le courage de prendre les décisions qui sont vraiment de son ressort, tout en fortifiant toute la communauté afin que le passage de la succession se fasse sans douleur.
4. La recherche de la vérité
Vous êtes moniales de l’Ordre qui a Veritas pour devise. Les dominicains sont réputés depuis toujours pour leur passion de l’étude. Certaines moniales m’ont fait part de leur sentiment d’être fort éloignées de cet élément de la vie dominicaine, soit qu’elles n’aient jamais pu étudier soit qu’elles ne s’en sentent pas capables. Et il est tentant de penser que ce sont les frères qui étudient et les moniales qui prient ; les frères qui parlent et les moniales qui écoutent. Ce serait se méprendre sur la nature de notre engagement au service de la Vérité. Il s’agit d’une manière d’être au monde selon la vérité. Chacun et chacune de nous y est appelé, que nous soyons doués pour les études intellectuelles ou pas.
Vivre dans la vérité
Veritas c’est l’appel à être des hommes et des femmes qui vivent dans la vérité, parlent selon la vérité, et écoutent attentivement. Souvent la communication dans les communautés religieuses finit par être distordue. Insinuations, allusions, soupçons brouillent la clarté de nos conversations. Par peur ou par manque de confiance on a recours à l’allusion, au coup de coude, au clin d’œil. Cela participe de notre vie dominicaine que d’oser parler en vérité, avec discrétion et sensibilité et respect. Cela n’a rien à voir avec l’érudition. C’est essayer de vivre avec la clarté de Dominique. « Celui qui fait la vérité vient à la lumière, afin que soit manifesté que ses œuvres sont faites en Dieu » (Jn 3, 21). Manifesté signifie que l’on voit clairement ce qui est fondamental et essentiel et que l’on ne se laisse pas distraire par des détails.
Le fr. Simon Tugwell OP a écrit qu’ »il est, en effet, tout à fait typique de la spiritualité dominicaine de concevoir Dieu, non d’abord comme l’objet de notre attention, mais plutôt comme le sujet essentiel, à qui nous sommes unis, en co-sujets, coopérateurs (1 Co 3, 9) de son œuvre de rédemption » . C’est dire que comme amis de Dieu, nous ne regardons pas tant Dieu que nous ne regardons avec lui. Nous sommes invités à voir le monde à travers les yeux de Dieu, donc à voir combien le monde est bon. Eckhart écrit : « Dieu se complaît en lui-même. Sa délectation intime est telle qu’elle rejaillit en délectation de toutes ses créatures. » . Voir à travers les yeux de Dieu, c’est partager sa joie de toutes les choses qu’il a faites, dont nos frères et nos sœurs ! Thomas Merton raconte comment, après sept ans de vie monastique, il alla un jour chez le dentiste et vit le monde différemment. « Je me demandais comment j’allais réagir en me trouvant à nouveau face à face avec le monde mauvais. Mes raisons d’en vouloir au monde quand je l’avais quitté étaient peut-être mes propres défauts, que j’y avais projetés. À présent, au contraire, je découvrais que toute chose m’émouvait d’un sentiment profond et muet de compassion… Je traversai la ville, réalisant pour la première fois de ma vie à quel point les gens du monde sont bons, et combien ils ont de valeur aux yeux de Dieu. » À force de regarder avec Dieu, nous partageons l’amour de Dieu. Si nous apprenons cette manière d’être au monde selon la vérité, nous pourrons faire face à n’importe quoi avec joie : nos échecs, le fait que nous soyons mortels, la vérité sur la situation de notre monastère, nos peurs et nos espoirs. Nous pouvons être joyeux et joyeuses jusque dans les ténèbres.
L’étude de la Parole de Dieu
Le LCM 101 § II dit que les moniales doivent tout particulièrement étudier la Parole de Dieu. Ce n’est pas une activité aride. Jourdain dit à Diane : « Relis cette Parole en ton cœur, retourne-la dans ton esprit, fais-la devenir aussi douce que le miel sur tes lèvres, médite-la, habite-la, afin qu’elle habite avec toi et en toi à jamais » . Pour que la Parole puisse toucher et changer tout ce que nous sommes, nous devons y ramener chaque aspect de notre humanité : notre intelligence, nos émotions, notre sens de la beauté, notre expérience, nos difficultés et nos espoirs.
Une fois par semaine, au Conseil généralice, nous nous réunissons pour lire en commun la Parole de Dieu. Certains apportent une analyse de la langue d’origine, d’autres nous font partager comment la Parole les touche, comment elle illumine une expérience récente, ou les provoque, ou les intrigue. Ce sont toutes de bonnes manières de lire la Parole, et il nous les faut toutes. C’est pourquoi il est bon de la méditer ensemble et de la laisser transformer notre vie commune. Toutes les moniales peuvent avoir des intuitions personnelles à offrir. Le Seigneur dit à Catherine : « J’aurais bien pu doter chacun de tout ce qui lui était nécessaire spirituellement et matériellement, mais j’ai voulu qu’ils eussent besoin les uns des autres » . Ceci vaut tout particulièrement pour la compréhension de la Parole de Dieu.
L’étude exégétique des Écritures est parfois ardue au démarrage. On craint de lire ce que dit l’érudit, de peur que nos convictions les plus intimes n’en soient ébranlées. Quand on commence à étudier, il faut passer par l’angoissante découverte que nous n’avions jamais compris le texte. Mais c’est là notre humilité devant la Parole que nous ne détenons pas et qui nous invite à nous mettre en route, on ne sait pour où. Osons être comme Marie qui à l’écoute du message de l’ange « fut toute troublée, et elle se demandait ce que signifiait cette salutation » (Luc 1, 29). Apprenons à nous laisser surprendre par la Parole, qui dit toujours plus que nous ne l’aurions imaginé. Voilà pourquoi il est bon que toute communauté ait des moniales qui étudient activement les Écritures, si possible dans les langues originales. J’avoue pour ma part que mes tentatives répétées d’apprendre l’hébreu ont été un désastre !
Dans toutes les communautés cloîtrées rôde la menace de l’ennui : vivre toujours au même endroit, toujours avec les mêmes gens, entendre répéter les mêmes plaisanteries et manger toujours la même chose. Mais la Parole est toujours nouvelle, fraîche de l’éternelle jeunesse de Dieu. Régulièrement, nous avons besoin de ressaisir la passion des disciples au retour d’Emmaüs, « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant au-dedans de nous, quand il nous parlait en chemin, quand il nous expliquait les Écritures ? » (Luc 24, 32). L’étude de la Bible renouvelle notre capacité d’émerveillement.
L’étude de la théologie
Dans mes visites aux monastères, je demande souvent aux moniales quelle théologie elles aiment étudier. En général, il y a un silence, et on change vite de sujet. La théologie est généralement considérée comme intellectuelle et incompréhensible. Le LCM 101 § III exhorte les moniales à étudier saint Thomas, mais je soupçonne que souvent la Summa prend la poussière sur les rayons des bibliothèques. On pourrait être tenté de penser que les frères étudient la théologie tandis que les moniales étudient la spiritualité. Cette opposition moderne aurait semblé totalement incompréhensible à Dominique et Catherine. La théologie n’est pas simplement une discipline intellectuelle. Elle fait partie de notre recherche du Seigneur dans le jardin, de notre soif de sens, de notre entrée dans le mystère de l’amour. Par la connaissance nous approchons de celui que sainte Catherine appelait prima dolce verità, la première douce vérité. L’une des manières de prier de Dominique était l’étude d’un livre, et il disputait avec l’ouvrage, niant tout haut, hochant la tête, s’exclamant. Quand saint Thomas écrivit la Summa, il renvoyait parfois les secrétaires et se jetait à terre pour prier jusqu’à recevoir la compréhension. Théologie et spiritualité sont inséparables.
Quantité d’écrits théologiques sont profondément ennuyeux, mais c’est peut-être de la mauvaise théologie. Nous avons besoin qu’on nous présente la Summa pour ce qu’elle est, une œuvre contemplative qui parle de notre chemin vers Dieu et vers le bonheur. Son enseignement nous libère des pièges qui pourraient nous écarter du pèlerinage. Tant de gens se laissent prendre à des conceptions idolâtres de Dieu comme personne puissante et invisible qui contrôle tout ce qui nous arrive, et nous maintient dans une perpétuelle immaturité. Beaucoup du ressentiment des communautés religieuses vient de la colère contre cette image de Dieu, qui est une idole. Mais Thomas fait exploser cette idée dans la Prima Pars, il ouvre la porte de cette prison spirituelle, et nous pousse sur la voie du mystère de Dieu, éternelle source de liberté au cœur même de notre être. Trop de gens sont prisonniers d’une vision étroite de la sainteté comme obéissance aux règles. Alors que dans la Secunda Pars, Thomas nous montre que croître en vertu, ce qui nous rend fort et nous fait partager la liberté même de Dieu, c’est la voie de la sainteté. Tant de gens sont piégés dans une vision magique de la religion. Au contraire dans la Tertia Pars, Thomas nous montre comment dans l’Incarnation et les sacrements, Dieu embrasse toute notre humanité et la transforme. L’indice de la bonne théologie est qu’elle se répand en prière et adoration et bonheur et en une authentique liberté intérieure. Il existe peu d’aussi bonne théologie. Peut-être des moniales sont-elles appelées à l’écrire. « Dans le domaine de la réflexion théologique, culturelle et spirituelle, on attend beaucoup du génie de la femme non seulement pour la spécificité de la vie consacrée féminine, mais encore pour l’intelligence de la foi dans toutes ses expressions. » (Vita consecrata 58).
Se former à la Veritas
Il s’ensuit qu’une partie essentielle de la formation d’une moniale dominicaine réside dans l’étude des Écritures et de la théologie. Ce n’est pas un banal addendum, comme apprendre à coudre ou à cuisiner. Cette étude fait partie de notre progression dans l’amour, « Car l’amour suit la connaissance et, en aimant, l’âme s’efforce de suivre la vérité et de s’en revêtir » .
Étudier la théologie doit donner du bonheur. Nous apprenons les grandes choses que Dieu a faites pour nous. Thomas disait : « Ceux qui se consacrent à la contemplation de la vérité sont les plus heureux qui soient dans cette vie » . Et pour lui, la contemplation signifiait en grande partie étudier. Nous apprenons à aimer la Parole de Dieu et sommes « nourris de sa douceur (dulcedo) » , comme l’a dit Albert. Comme l’initiation à tout bonheur profond plutôt qu’à un simple divertissement, ce chemin amène ses moments d’ennuis où nous nous sentons incapables de rester dans notre cellule. Nous devons apprendre la confiance, pour penser, interroger, chercher. Selon Thomas, l’enseignant doit avant tout apprendre à l’élève à penser par lui-même, à réaliser son potentiel de connaissance. Cela veut dire qu’en apprenant à étudier, nous n’avons pas à redouter de faire des erreurs. Les formateurs ne doivent pas surveiller leurs étudiants avec crainte. Osons lancer les idées, sans nous inquiéter de nous tromper au début. Bien sûr, l’orthodoxie est chère aux dominicains, mais si nous croyons l’enseignement de l’Église selon lequel l’Esprit Saint a été répandu en nous, nous ne nous enferrerons pas aisément dans l’erreur.
Les moniales ont besoin d’outils pour étudier : une bonne bibliothèque, des revues et du temps. Beaucoup de monastères sont pauvres et acheter des livres est un véritable sacrifice. Mais nous ne pouvons pas plus priver les moniales de livres que de nourriture. Internet offre des possibilités de suivre une formation théologique sans même quitter le monastère. La communauté doit ménager des temps d’étude à l’intérieur de son rythme de vie. Le calendrier annuel de Chalais, en France, inclut des périodes d’étude intensive, de silence, et de détente. Les frères aussi doivent répondre aux besoins de formation des sœurs. Quand saint Dominique rentrait à St-Sixte épuisé par une journée de prédication, il enseignait pourtant encore aux moniales, « parce qu’elles n’avaient pas d’autre maître pour le faire » . La vitalité des monastères dominicains du Rhin au quatorzième siècle est en partie due au fait que Herman de Minden, provincial de Teutonie, avait envoyé ses meilleurs théologiens enseigner aux moniales.
Les monastères ont besoin de sœurs dotées d’une solide formation théologique et biblique, de sorte qu’elles puissent enseigner aux jeunes. Cela vaut tout spécialement aujourd’hui où beaucoup de moniales nous arrivent de l’université. Elles ont besoin d’une formation théologique qui dilate leur esprit et réponde à leurs questions. L’idéal serait que chaque monastère puisse proposer une formation complète, mais si tel n’est pas le cas, la coopération entre monastères, en particulier là où existe une fédération, n’est que plus vitale. Parfois, on trouve cette peur qu’en allant étudier dans un autre monastère, les jeunes perdent leur attachement à leur communauté d’origine et demandent leur transfiliation. Cela arrive rarement, et ne saurait être une excuse pour ne pas donner à une sœur sa pleine et authentique formation dominicaine. Si les jeunes sont bien formées, c’est la communauté tout entière qui s’en trouvera renouvelée. La maison de formation des monastères du Mexique est un merveilleux exemple de la manière dont une fédération peut aider chacun des monastères à se consolider.
5. L’unité de l’Ordre
Vous êtes moniales de l’Ordre des Prêcheurs et faites partie de la grande Famille de Dominique. Chaque monastère est porteur de vie en soi, tout en étant en contact avec d’autres monastères, souvent même au sein d’une fédération. Vous êtes souvent un centre de vie pour la Famille dominicaine. Vous faites vos vœux au Maître de l’Ordre. Que signifie pour un monastère veiller à sa vie propre et en même temps appartenir à l’Ordre ?
Servir l’unité
Dominique voulut que son Ordre soit un. Et l’Ordre s’est toujours battu pour préserver son unité. Quand d’autres Ordres se sont divisés, nous nous sommes cramponnés à notre unité, parfois de justesse ! C’est que notre unité fait partie de notre prédication de l’Évangile. Nous prêchons le Royaume de Dieu, où l’humanité entière sera réconciliée dans le Christ. Nos paroles n’ont d’autorité que si nous sommes unis nous-mêmes. L’Ordre a un rôle particulièrement important à jouer dans une Église souvent partagée entre différentes idéologies concurrentes. Et puis des conflits politiques, des tensions ethniques, des guerres même déchirent parfois nos pays. Nous devons incarner la paix que nous prêchons.
Chaque monastère incarne cette unité en lui-même, mais l’unité « transcende les limites du monastère et atteint sa plénitude dans la communion avec l’Ordre et toute l’Église du Christ » (LCM 2 § I). Aussi avez-vous soin, en tant que moniales dominicaines, de l’unité de l’Ordre entier. Dans vos prières et dans tout ce que vous dites et faites, vous êtes aussi responsables de promouvoir cette unité, et la paix. Et les contemplatifs sont tout particulièrement qualifiés pour le faire parce que la proximité du mystère de Dieu emporte au-delà de toute division, fait dépasser toute prétention partisane à proclamer la sagesse ou la connaissance absolue.
La nature de l’autonomie
Chaque monastère est autonome. Cette autonomie participe de la nature même de votre vie de communautés monastiques. Vous vous en réjouissez à juste titre. Que signifie-t-elle ? Littéralement, elle signifie que chaque communauté se gouverne elle-même et assume la responsabilité de sa propre vie. Chaque monastère est responsable de construire une communauté qui soit un signe du Royaume de Dieu, où règne l’amour mutuel et où l’on demeure avec le Seigneur. Votre autonomie est la libre responsabilité de votre vie contemplative, plutôt qu’un isolement.
Dans la culture occidentale contemporaine, on a tendance à concevoir l’autonomie comme synonyme de séparation. On considère qu’un individu est libre pour autant qu’il ou elle est libre de toute ingérence extérieure. Mais la compréhension catholique de ce que signifie être humain propose un autre modèle, selon lequel c’est dans la communion avec les autres que nous trouvons la véritable liberté et l’authentique autonomie. Autonomie ne veut pas dire autarcie. C’est pourquoi l’Église apprécie les fédérations de monastères, parce que le soutien mutuel des fédérations peut aider individuellement les monastères à « garder et promouvoir les valeurs de la vie contemplative » (Verbi Sponsa 27). La coopération peut aider le monastère à être libre et prendre la responsabilité de sa vie. J’ai souvent visité des monastères aux moniales débordées par le soin des malades, la cuisine, le souci de faire entrer un revenu, l’entretien des bâtiments. Pas de temps pour prier. Ce genre de communauté est peut-être totalement indépendante, mais elle a perdu sa véritable autonomie, sa liberté et la responsabilité de sa vie. Des monastères qui s’aident réciproquement pour la formation, le soin aux malades comme à Dax, en France, ou la gestion financière, ne perdent pas leur autonomie, mais l’acquièrent d’une manière bien plus profonde. Souvent cette aide mutuelle a un prix élevé, et c’est un sacrifice. Car ce sont justement les moniales dont le monastère a le plus besoin qui pourraient apporter de l’aide à une autre communauté.
Le moment peut venir pour un monastère d’envisager sa fermeture . Le cas échéant, les moniales n’ont absolument pas à culpabiliser. Peut-être le monastère a-t-il accompli la mission pour laquelle il avait été fondé. Comme dominicains, il est bon que nous puissions considérer avec honnêteté la perspective d’une fermeture. On me dit quelquefois que si seulement une ou deux vocations arrivaient, le monastère pourrait peut-être survivre ; ne serait-il donc pas possible de chercher des vocations dans d’autres pays ? La volonté de survivre à tout prix peut pousser à accepter des vocations en fait inadéquates. Mais pour nous qui prêchons la mort et la résurrection du Christ, la survie n’est pas une valeur absolue. Si nous croyons en notre Père qui a réveillé Jésus d’entre les morts, nous pouvons affronter la mort, la nôtre et celle de notre communauté, avec espoir et avec joie. Quand j’étais provincial d’Angleterre, j’ai dû aller à Carisbrooke pour en conduire les quatre dernières moniales à leur nouvelle maison. La plus âgée, quatre-vingt-dix ans et quelques, avait apparemment changé d’avis au dernier moment, et puis finalement nous partîmes tous. Les gens des alentours, venus dire au revoir, faisaient des signes, chantaient et pleuraient. Ce départ était peut-être la prédication la plus éloquente de l’Évangile que les moniales eussent jamais faite. Si le monastère est véritablement un lieu où vous demeurez en Dieu, quitter le monastère ne vous prive pas de foyer.
Dans une région ou une fédération qui a beaucoup de monastères et peu de vocations, c’est merveilleux que les moniales aient le courage de réfléchir ensemble à l’avenir. Faut-il que tous les monastères cherchent des vocations, ou ne devrions-nous envoyer les candidates à l’Ordre que là où il y a une possibilité de se développer ? Non pas pour retirer au monastère son droit de prendre les décisions qui concernent sa vie et d’accepter des vocations ; mais plutôt pour l’inviter, dans les temps difficiles, à poursuivre ce qui compte plus que la survie d’un monastère pris individuellement : l’épanouissement de la vie contemplative dominicaine dans la région.
Les visites canoniques sont essentielles dans notre tradition. Elles sont parfois regardées avec appréhension par les monastères parce qu’on peut les voir comme des ingérences du dehors. Le bienheureux Hyacinthe Cormier disait que le but d’une visite est d’encourager, et encourager, et encourager. Son souci est avant tout « le gouvernement interne du monastère » (LCM 227 § III cf. 228 § III), et par conséquent d’aider le monastère à être réellement responsable de sa vie, et libre de relever ses défis. Une visite canonique devrait donc aider le monastère à devenir autonome au vrai sens du terme. Le LCM suggère une visite « au moins tous les deux ans » (227 § III).
Certains monastères expriment encore une certaine inquiétude à propos de la Commission internationale des moniales, établie par le chapitre général d’Oakland en 1989. Il ne s’agit pas d’une entité juridique doté d’un quelconque pouvoir décisionnel ou s’interposant entre le Maître de l’Ordre et les monastères. C’est un groupe de réflexion qui conseille le Maître de l’Ordre, au même titre que les autres commissions de l’Ordre, pour la vie intellectuelle, pour Justice et Paix, pour la mission de l’Ordre. Elle est là pour encourager la vie monastique et tout particulièrement soutenir les monastères isolés. Ce qu’elle fait bien. Son mandat s’achève les mois prochains, et j’apprécierais beaucoup que vous écriviez à mon successeur ou au chapitre général toute suggestion pour l’avenir. Comment cette commission peut-elle aider le Maître de l’Ordre à promouvoir une authentique vie dominicaine, avec toute sa beauté et son importance ?
Les relations avec les frères
Les frères et les moniales partagent une longue histoire. Notre amitié est au cœur de la vie de l’Ordre depuis près de huit cents ans. Cela n’as pas toujours été facile. Au début, les frères avaient souvent envie de fuir toute responsabilité vis-à-vis des monastères, et aujourd’hui encore ils ne prennent pas toujours cette responsabilité au sérieux. Les moniales ont sûrement dû souhaiter quelquefois échapper aux ingérences des frères ! Mais comme un vieux couple, qui en a déjà tant vu, nous pouvons être sûrs que rien ne détruira notre lien. Comme dominicains et dominicaines, l’honnêteté et la transparence doivent marquer notre relation. Surtout, nous devons avoir confiance les uns dans les autres, une relation sans méfiance aucune. Jourdain écrivit au provincial de Lombardie qu’il avait été « alarmé et effrayé par un simple bruissement de feuilles » au moment où il s’inquiétait de rumeurs rapportant que le chapitre général avait pris des décisions contre le monastère de Bologne. Il y a encore de temps en temps quelques moments de paniques déclenchés par « de simples bruissements de feuilles », des soupçons sur le rôle de la Commission internationale, des rumeurs sur les intentions du chapitre général, etc. Confiance, n’ayons pas peur ! Dans le doute, ne soyez pas méfiants, donnez la meilleure interprétation de ce que vous entendez, et demandez un éclaircissement. Avec la transparence et la confiance nous pouvons construire l’unité de l’Ordre.
La vie des monastères peut se compliquer du fait des nombreux hommes qui revendiquent une quelconque autorité sur vous. Certains monastères ont des aumôniers, des assistants, des vicaires, des provinciaux et des évêques ; et puis il y a le Maître de l’Ordre et le Saint-Siège. Tous sont supposés vous conforter et non s’immiscer dans votre vie ou vous contrôler. Par-dessus tout, vos relations avec les frères visent un réconfort mutuel. Le service des frères doit consister à vous soutenir dans la responsabilité que vous avez de votre vie. Tant de frères sortent affermis de leur contact avec les monastères, car nous nous y renouvelons dans le silence d’où jaillit la parole prêchée.

Conclusion
« Une ville ne se peut cacher, qui est sise au sommet d’un mont » (Mt 5, 14). Cette phrase évoque tellement de monastères perchés sur des montagnes : Chalais, Orbey, Los Teques près de Caracas, Rweza, Drogheda, Vilnius, Pérouse, Santorini, et bien d’autres. Mais que le monastère soit au sommet d’un mont ou dans la plaine, au cœur d’une jungle ou d’une ville, si vous vivez votre vie avec joie, sa lumière ne se pourra cacher. Comme l’a écrit le pape Jean Paul II, notre vie consacrée existe « pour que ce monde ne soit pas privé d’un rayon de la beauté divine qui illumine la route de l’existence humaine » . Faites confiance à votre mode de vie monastique. C’est un don de Dieu.

À Noël 1229, Jourdain écrivit à Diane pour fêter la naissance « d’une toute petite parole », née pour nous. Il lui envoie aussi un autre mot, « court et bref, mon amour ». La présente lettre n’est hélas ni courte ni brève, mais elle exprime mon amour et ma gratitude pour votre place au cœur de l’Ordre. Priez pour toute la Famille dominicaine, confiée à votre soin. Priez pour le fr. Viktor Hosftetter, précédent promoteur général des moniales, que vous êtes tant à aimer, et pour son successeur, fr. Manuel Merten, que vous allez aimer. Priez pour moi et pour mon successeur. END OF ARTICLE

Remis à Ste-Sabine en la fête de sainte Catherine de Sienne, 2001.

Votre frère en saint Dominique,

fr. Timothy Radcliffe OP
Maître de l’Ordre

QUELQUES TEXTES D’AUTEURS SPIRITUELS CONTEMPORAINS

25 février, 2016

http://peresdeleglise.free.fr/auteurscontemporains/presentation.htm

QUELQUES TEXTES D’AUTEURS SPIRITUELS CONTEMPORAINS

Il apparaît important de faire découvrir ici quelques auteurs spirituels contemporains (vivants ou décédés) : quelques-uns de ceux que l’on peut parfaitement considérer comme des successeurs des Pères par la richesse de leurs écrits : ils nous apportent une expérience de Dieu renouvelée, propre à toucher profondément le lecteur qui cherche…

Notre choix parmi le très grand nombre de textes que nous aimerions livrer est ici guidé seulement par nos goûts, et le visiteur voudra bien nous pardonner ce qui reste indéniablement partiel, peut-être partial : on présentera d’abord et avant tout es extraits d’auteurs qui ont compté ou qui comptent pour nous !

Pour une petite retraite de Carême en 2016, avec le Pape François, à propos de la miséricorde.

« Jésus-Christ est le visage de la miséricorde du Père. Le mystère de la foi chrétienne est là tout entier. Devenue vivante et visible, elle atteint son sommet en Jésus de Nazareth. Le Père, « riche en miséricorde » (Ep 2? 4) après avoir révélé son nom à Moïse comme « Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité » (Ex 34, 6) n’a pas cessé de faire connaître sa nature divine de différentes manières et en de nombreux moments. Lorsqu’est venue « la plénitude des temps » (Ga 4, 4), quand tout fut disposé selon son dessein de salut, il envoya son Fils né de la Vierge Marie pour nous révéler de façon définitive son amour. Qui le voit a vu le Père (cf. Jn 14, 9). A travers sa parole, ses gestes, et toute sa personne, Jésus de Nazareth révèle la miséricorde de Dieu. Nous avons toujours besoin de contempler le mystère de la miséricorde. Elle est source de joie, de sérénité et de paix. Elle est la condition de notre salut. Miséricorde est le mot qui révèle le mystère de la Sainte Trinité. La miséricorde, c’est l’acte ultime et suprême par lequel Dieu vient à notre rencontre. La miséricorde, c’est la loi fondamentale qui habite le coeur de chacun lorsqu’il jette un regard sincère sur le frère qu’il rencontre sur le chemin de la vie. La miséricorde, c’est le chemin qui unit Dieu et l’homme, pour qu’il ouvre son coeur à l’espérance d’être aimé pour toujours malgré les limites de notre péché… » (François évêque de Rome… : Bulle d’indiction du Jubilé extraordinaire de la Miséricorde, 1-2). « Patient et miséricordieux, tel est le binôme qui parcourt l’Ancien Testament pour exprimer la nature de Dieu. Sa miséricorde se manifeste concrèteemnt à l’intérieur de tant d’événements de l’histoire du salut où sa bon prend le pas sur la punition ou la destruction. D’une façon particulière, les Psaumes font apparaître cette grandeur de l’agir divin : Car il pardonne toutes tes offenses et te guérit de toute maladie ; il réclame ta vie à la tombe et te couronne d’amour et de tendresse (Ps 102, 3-4). D’une façon encore plus explicite, un autre Psaume énonce les signes concrets de la miséricorde : Il fait justice aux opprimés ; aux affamés, il donne le pain ; le Seigneur délie les enchaînés. Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles, le Seigneur redresse les accablés, le Seigneur aime les justes, le Seigneur protège l’étranger. Il soutient la veuve et l’orphelin, il égare les pas du méchant (145, 7-9). Voici enfin une autre expression du psalmiste : [Le Seigneur] guérit les cœurs brisés et soigne leurs blessures… Le Seigneur élève les humbles et rabaisse jusqu’à terre les impies (146, 3.6). En bref, la miséricorde de Dieu n’est pas une idée abstraite, mais une réalité concrète à travers laquelle Il révèle son amour comme celui d’un père et d’une mère qui se laissent émouvoir au plus profond d’eux mêmes par leur fils. Il est juste de parler d’un amour « viscéral ». Il vient du coeur comme un sentiment profond, naturel, fait de tendresse et de compassion, d’indulgence et de pardon. » (François évêque de Rome… : Bulle d’indiction du Jubilé extraordinaire de la Miséricorde, 6). « Dans les paraboles de la miséricorde, Jésus révèle la nature de Dieu comme celle d’un Père qui ne s’avoue jamais vaincu jusqu’à ce qu’il ait absous le péché et vaincu le refus, par la compassion et la miséricorde. Nous connaissons ces paraboles, trois en particulier : celle de la brebie égarée, celle de la pièce de monnaie perdue, et celle du père et des deux fils (cf. Lc 15, 1-32). Dans ces paraboles, Dieu est toujours présenté comem rempli de joie, surtout quand il pardonne. Nous y retrouvons le noyau de l’Evangile et de notre foi, car la miséricorde y est présentée comme la force victorieuse de tout, qui remplit le coeur d’amour, et qui console en pardonnant. [...]Jésus affirme que la miséricorde n’est pas seulement l’agir du Père, mais elle devient le critère pour comprendre qui sont ses véritables enfants. En résumé, nous sommes invités à vivre de miséricorde parce qu’il nous a d’abord été fait miséricorde. Le pardon des offenses devient l’expression la plus manifeste de l’amour miséricordieux, et pour nous chrétiens, c’est un impératif auquel nous ne pouvons pas nous soustraire. Bien souvent, il nous semble difficile de pardonner ! Cependant, le pardon est le moyen déposé dans nos mains fragiles pour atteindre la paix du coeur. Se défaire de la rancoeur, de la colère, de la violence et de la vengeance, est la condition nécessaire pour vivre heureux. Accueillons donc la demande de l’apôtre : « Que le soleil ne se couche pas sur votre colère » (Ep 4, 26). Ecoutons surtout la parole de Jésus qui a établi la miséricorde comme idéal de vie, et comme critère de crédibilité de notre foi : « Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde » (Mt 5, 7. C’est la béatitude qui doit susciter notre engagement tout particulier en cette Année Sainte. Comme on peut le remarquer, la miséricorde est, dans l’Ecriture, le mot-clé pour indiquer l’agir de Dieu envers nous. Son amour n’est pas seulement affirmé, mais il est rendu visible et tangible. D’ailleurs, l’amour ne peut jamais être un mot abstrait. Par nature, il est vie concrète : intentions, attitudes, comportements qui se vérifient dans l’agir quotidien. La miséricorde de Dieu est sa responsabilité envers nous. Il se sent reseponsable, c’est-à-dire qu’il veut notre bien et nous voir heureux, remplis de joie et de paix. L’amour miséricordieux des chrétiens doit être sur la même longueur d’onde. Comme le Père aime, ainsi aiment les enfants. Comme il est miséricordieux, ainsi sommes-nous appelés à être miséricordieux les uns envers les autres. (Prançois, évêque de Rome : Bulle d’indiction du Jubilé extraordinaire de la Miséricorde, 9)

QUELS SENS LA LUMIÈRE RECOUVRE-T-ELLE DANS LA BIBLE

24 novembre, 2015

http://www.la-croix.com/Religion/Spiritualite/La-lumiere-dans-la-Bible-_NP_-2012-12-07-885022

QUELS SENS LA LUMIÈRE RECOUVRE-T-ELLE DANS LA BIBLE ?

De la première parole de Dieu dans la Genèse, « Que la lumière soit » (Gn 1, 3), à la dernière vision de l’Apocalypse, où les serviteurs de Dieu « se passeront de lampe ou de soleil » (22, 5), la Bible déploie une symbolique de la lumière extrêmement riche et foisonnante. La tradition juive donne un premier éclairage, en distinguant dans le récit de la Création deux types de lumière : ce n’est qu’au quatrième jour qu’apparaissent les astres ; ce qui est créé au premier jour n’est donc pas la lumière naturelle, mais une lumière qui préexiste à la Création : elle est la condition de possibilité de toute vie. Le psaume 36 le résume ainsi : « Par ta lumière, nous voyons la lumière. » Autrement dit, c’est par la lumière divine que l’homme a accès à la vie et aux choses de ce monde. « En quelques mots se trouvent donc évoquées ici deux significations du mot “lumière”, souligne le P. Yves-Marie Blanchard, professeur d’exégèse à l’Institut catholique de Paris. D’une part, un sens réaliste, la lumière naturelle, d’autre part, un sens théologique la désignant comme “un don de Dieu”, source et principe de toute vie, sinon une métaphore de l’être divin dans le rayonnement de sa splendeur. » Ce Dieu « drapé de lumière comme d’un manteau » (Ps 104, 2), qui se manifeste à travers le feu et les éclairs… Aussi la lumière évoque-t-elle tour à tour sa protection : « Si j’habite dans le noir, j’ai Dieu pour lumière » (Mi 7, 8) ; la vie et la joie qu’il donne à l’homme : « Oui, Dieu sera ta lumière, à jamais ce sera la paix, la fin de ton deuil » (Is, 60, 20) ; là où les ténèbres symbolisent le malheur et la mort : « J’espérais le bonheur et le malheur est venu, j’attendais la lumière, voici l’obscurité », déplore Job (24, 25). Symbole de vérité et de sagesse, elle est susceptible d’éclairer la route du peuple élu : « Allons, marchons à la lumière du Seigneur ! » (Is 2, 5). « Une lampe sur mes pas, ta parole, une lumière sur ma route », reprend le psaume 119 (105). Les annonces du Messie utilisent aussi abondamment ce registre (voir l’infographie) ; il culmine dans la figure du Christ, « lumière pour la révélation aux païens » (Lc 2, 32), en particulier l’Évangile de Jean, qui en a fait son thème phare.

DE QUELLE MANIÈRE LE THÈME DE LA LUMIÈRE TRADUIT-IL LE SALUT ? Dans ce jeu d’ombres et de lumière, une figure apparaît souvent dans la Bible, et sans doute n’est-ce pas un hasard, celle de l’aveugle. Le récit de la guérison de Tobie, privé temporairement de la vue, introduit ainsi le thème de la lumière comme expression même de la vie – Tobie appelle d’ailleurs son fils, grâce à qui il va guérir, « lumière de mes yeux » (10, 5 et 11, 14)… L’aveuglement physique est souvent le signe d’une cécité spirituelle, indépendamment de toute considération de péché : l’aveugle-né guéri par Jésus, dans l’Évangile de Jean, va non seulement voir les choses et le monde, mais aussi reconnaître que Jésus, qui vient de dire de lui qu’il est « la lumière du monde » (Jn 9), est bien le Fils de Dieu. Le verbe « voir » prend alors un autre sens… « Il y a des aveugles involontaires, qui vivent sans le savoir dans la lumière, de manière juste et vraie, sans avoir encore reconnu Dieu dans leur vie », relève le P. Daniel Foucher, auteur d’un ouvrage sur les symboles de la Bible (1). Il y en a d’autres qui s’enferment volontairement dans les ténèbres. À travers la figure de l’aveugle guéri, la lumière constitue « une métaphore privilégiée du salut », souligne le P. Blanchard, comme la victoire du Christ qui arrache l’homme aux ténèbres du péché et le fait entrer par la foi dans la participation à l’être de Dieu. Les Pères de l’Église ont vu dans cet épisode de l’Évangile une anticipation de la résurrection et une parabole du baptême qu’ils décrivent d’ailleurs comme « le sacrement de la lumière », l’« illumination », selon le mot de Justin. Cette lumineuse symbolique conserve toute sa force dans la liturgie : pendant la nuit pascale, au baptême ou autour du corps du défunt lors des funérailles, la lumière brille toujours, comme signe du mystère pascal, de la victoire de la lumière sur toute forme de ténèbres.

QUE DIT LE THÈME DE LA LUMIÈRE DE LA VOCATION DE L’HOMME ? Le cœur de l’homme et plus largement l’histoire humaine sont marqués dans la Bible par un conflit permanent entre lumière et ténèbres. Comme Jésus le révèle à Nicodème, chaque homme est invité à choisir : « Quiconque fait le mal déteste la lumière et ne vient pas à la lumière, de peur qu’elle ne démasque ses œuvres. Mais celui qui fait la vérité vient à la lumière de sorte qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en Dieu » (Jn 3). La présentation n’est pas binaire, relève le P. Blanchard : « Le consentement à la ténèbre enferme dans un univers clos et statique, tandis que l’accueil de la lumière tout à la fois ouvre un avenir infini, à la mesure du projet divin, et offre au sujet humain la révélation de sa propre vérité (2). » Créé à l’image de Dieu, l’homme est appelé dans la Bible à choisir la lumière pour rayonner à son tour de la lumière divine. Ainsi du peuple élu, dès l’Ancien Testament : « Je fais de toi la lumière des nations » (Is 49, 6). Ce thème est repris dans le Nouveau Testament pour les disciples du Christ, appelés à ne pas laisser s’obscurcir leur lampe (Luc 11, 34), mais à être des « fils de lumière » (Jn 12, 36 et 1 Th 5, 5), à refléter la gloire de Dieu. De fait, plus l’homme s’approche de Dieu dans la Bible, plus son visage est rayonnant : ainsi de Moïse redescendant du Sinaï, dont le visage est si lumineux (Ex 34, 29) que les Hébreux doivent le voiler. On pense surtout à la Transfiguration du Christ au mont Thabor, dont le visage « resplendit comme le soleil » (Mt 17, 2). Dans le Royaume de Dieu, l’évangéliste annonce qu’à leur tour, les justes « resplendiront comme le soleil » (Mt 13, 43). Pour expliquer cette vocation de l’homme, le P. Foucher évoque paradoxalement les « ténèbres de Dieu » : si Dieu se cache, s’il se drape dans la pénombre, c’est « afin de laisser aux hommes la place, pour leur permettre d’être lumineux à leur tour ». « À son exemple, dit-il, ils sont appelés non seulement à rayonner, mais aussi à s’effacer pour servir leurs frères, afin de les mettre en lumière, de révéler en eux ce qui est bon. » Jésus a montré le chemin en « entrant dans la nuit pour transmettre la lumière de la vie et de son Esprit à son Église ».

(1) Les Grands Symboles de la Bible, tome 1, Le Feu, l’Eau, la Lumière, Éd. de Montligeon, 1990, 191 p. (2) « Lumière et ténèbres dans la tradition johannique », Transversalités, janvier-mars 2003. CÉLINE HOYEAU

SOLIDAIRES DES HOMMES.

24 septembre, 2015

http://www.spiritains.org/pub/esprit/archives/art2012.htm

SOLIDAIRES DES HOMMES.

Père Gérard Sireau, spiritain

« Solidaires », « être en solidarité », des mots de plus en plus utilisés… Qui dénotent une prise de conscience que nous ne pouvons plus vivre isolés. Le monde est devenu « un village » avec l’accroissement des informations véhiculées. Mais recevoir l’information ne veut pas dire que nous prenons partie, que nous sommes sensibles à tout ce qui se passe. Dans notre société, quantité de gens basent leur identité sur des fidélités ou des préjugés de race, de nationalité, de langage, de culture, de famille, de génération, de parti politique ou de confession religieuse. Regardons l’attitude de Jésus, et posons-nous la questions: suis-je vraiment, à la suite du Christ, solidaires de ceux qui m’entourent ?
La solidarité de JESUS pour tous les hommes.
A l’époque de Jésus, ce n’était plus seulement la famille, au sens large, qui vivait comme un seul corps. La solidarité s’était étendue aux amis, aux relations, au groupe social, au groupe religieux choisi, comme les pharisiens ou les esséniens. Jésus va élargir le voisinage, jusqu’à y inclure les ennemis. Il ne pouvait trouver de moyen plus efficace pour choquer son auditoire ! Que tout homme soit accueilli dans la solidarité et l’amour, c’est un paradoxe insoutenable !
Jésus insiste: la solidarité de groupe n’est pas une vertu. Elle existe même à l’intérieur des pires bandes de truands. Jésus appelle à une solidarité avec l’humanité, qui ne dépendrait pas de la réciprocité mais qui s’ouvrirait à ceux-là même qui nous haïssent et nous persécutent…
« Si quelqu’un vient à moi sans haïr son père, sa mère, femme, enfants, frères, sœurs, et sa propre vie, il ne peut être mon disciple. » (Lc 14, 26) Le mot « haine » désigne tout ce qui n’est pas amour (ne pas accorder de préférence à…) Ce que Jésus réclame, c’est que la solidarité familiale soit remplacée par une solidarité plus fondamentale avec l’ensemble de l’humanité. Ce n’est plus seulement parce qu’ils sont de la famille qu’on les aimera, mais parce qu’ils sont des hommes.
Ce glissement d’une solidarité familiale à celle qui lie des personnes entre elles risque de briser l’unité des liens familiaux. Jésus en est bien conscient: « Pensez-vous que je sois venu apporter la paix sur la terre ? Non, mais plutôt la division… On se divisera père contre fils et fils contre père, mère contre fille et fille contre mère, belle-mère contre belle-fille et belle-fille contre belle-mère. » (Lc 12, 51-53) D’ailleurs Jésus tenait énormément à ce que son amour pour sa mère et sa famille n’apparaisse pas comme un simple lien biologique ou familial. Il répond à cette femme s’écriant « Heureux le ventre qui t’a porté ! », « Heureux plutôt ceux qui entendent la parole de Dieu et la gardent. » (Lc 11, 28). De plus, tous ceux qui l’entourent sont des « frères, soeurs et mères. » (Mc 3, 31) De sorte que tout ce que l’on fait à l’un des plus petits d’entre eux, c’est à lui qu’on le fait (Mt 25, 45).
La solidarité de Jésus pour tous les hommes n’a pas été vague, envers le genre humain en général… « Il est entré en relation avec les personnes concrètes qui apparaissaient dans sa vie, ses préoccupations, de telle sorte que personne ne s’est jamais senti exclu, que chacun a été aimé pour lui-même et non pas pour son ascendance, sa race, sa classe, ses relations familiales, son intelligence, sa réussite ou tout autre qualité. C’est en ce sens concret, personnel, que Jésus a aimé tous les hommes, qu’il a vécu en solidarité avec tout humain. Et c’est pour cette raison qu’il a été au côté des pauvres et des opprimés, de ceux qui n’avaient rien pour les recommander. Solidarité avec ceux qui ne sont rien dans le monde, avec les laissés-pour-compte, voilà la seule manière de vivre concrètement la solidarité avec le genre humain. »
Ce qui est à la base de cette solidarité, de cet amour, c’est toujours la compassion, cette émotion qui monte des « tripes » à la vue d’un homme dans le besoin. Nous l’avons compris dans la parabole du samaritain: nous sommes invités à nous identifier à cet homme qui a eu le malheur de tomber entre les mains des brigands. Nous éprouvons sa déception lorsque ceux-là qui devaient se montrer solidaires, le prêtre, le lévite, passent leur chemin de l’autre côté de la route. Nous partageons son soulagement lorsque le Samaritain, ému de compassion, lui vient en aide.
Jésus était ému de compassion pour les foules et guérissait les malades (Mt 14, 14). Tous ces gens étaient comme des brebis sans berger (Mt 9, 36). Il fut saisi de compassion par les larmes de la veuve de Naïm (Lc 7, 13), par un lépreux (Mc 1, 41), deux aveugles (Mt 20, 34) ou bien à la vue de ceux qui n’avaient rien à manger (Mc 8, 2). Il répète toujours les mêmes mots : « Ne pleure pas », « N’aie pas peur »… Ce qui rend Jésus différent, c’est sa compassion sans limite pour le pauvre et l’opprimé. Au point de se mêler aux derniers des derniers jusqu’à s’identifier à eux. Il est devenu un rejeté par choix. Il est mort sur ce bois, comme l’esclave.
Il existait de forts tabous sociaux, du temps de Jésus, comme dans toute société. Il a provoqué un grand scandale quand il s’est mis à vivre avec les « pécheurs », lorsqu’il s’est mêlé aux mendiants, aux collecteurs d’impôts et aux prostituées. Il les accueillait, acceptait même de devenir « un ami des collecteurs d’impôts et des pécheurs » (Mt 11,19) « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux ! » (Lc 15, 2) « Quand il s’allongeait à table dans sa maison, de nombreux collecteurs d’impôts et de pécheurs se retrouvaient avec Jésus et ses disciples; car il y en avaient beaucoup parmi eux qui le suivaient. » Ce n’était pas un repas ordinaire, mais de fête, puisqu’on « s’allongeait ». Dans la parabole des invités au festin (Lc 14, 15-24), on peut se demander si Jésus n’a pas vécu ces événements. Est-ce qu’il a dû envoyer ses disciples « dans les rues, sur les places de la ville » pour amener « les pauvres, les infirmes, les aveugles, les boiteux » ?
Zachée était le principal collecteur d’impôts de Jéricho. S’il était riche, il n’en demeurait pas moins exclu à cause de son métier. Et c’est Jésus lui-même qui ose s’inviter chez lui ! Ce sera sa conversion, sans que Jésus ne prononce quelque parole: sa présence amicale a suffit…
« L’amitié de Jésus envers les pécheurs montre, très clairement, qu’il ignorait leur passé, qu’il se refusait à retenir quoi que ce soit contre eux. Il les traitait comme des gens qui n’avaient plus de dettes envers Dieu, et qui, par conséquent ne méritaient plus ni mise à l’écart, ni châtiment. Ils étaient pardonnés ». C’est ce qu’il dit explicitement à l’homme paralysé : « Tes péchés sont pardonnés » (Mc 2, 10,11), ainsi qu’à la pécheresse qui essuie ses pieds : « Tes péchés te sont pardonnés… Ta foi t’a sauvée, va en paix ! » (Lc 7, 48-50)
On comprend alors que tous ces gens soient remplis de joie. Et, en ce sens, Jésus scandalisait les pharisiens. N’était-il pas accusé d’être un « jouisseur, un ivrogne et un glouton » (Lc 7, 34) ? Jésus, non seulement guérissait et pardonnait tous ceux qui venaient à lui, mais il dissipait leur peur, allégeait leurs soucis. Sa présence elle-même les libérait.
Et nous, quelle solidarité avons-nous ?
Nous sommes régulièrement sollicités pour « donner une pièce »… Les nouvelles des guerres, des catastrophes font appel à notre compassion. Depuis ce 11 septembre 2001, les médias nous parlent abondamment de la solidarité du peuple américain derrière son Président. Nous sommes aussi mis au courant de l’évolution de la guerre en Afghanistan. Ces appels et ces informations ne suffisent pas à nous rendre « solidaires ».
Le même P. Albert Nolan, dominicain, prenant appui sur la parabole du samaritain, souligne une approche en quatre étapes dans tout engagement envers les pauvres et les marginalisés. La compassion est la caractéristique de la première étape. Nous avons eu une expérience directe des souffrances de certaines personnes, ou bien ce que nous avons entendu ou lu dans les journaux nous a ému. Plus nous avons été exposés à la souffrance et plus notre compassion s’est intensifiée. Si, comme cela arrive parfois, notre première réaction est : « Je ne peux rien faire. » Ou bien « Ce n’est pas mon problème, » la compassion sera étouffée. Mais nous pouvons aussi participer à des actions pour répondre à cette compassion, par exemple donner des vêtements ou de l’argent à des pauvres, seconder bénévolement les associations qui viennent en aide aux personnes démunies. Nous reprenons l’attitude du samaritain qui n’est pas « passé de l’autre côté » (comme l’avaient fait le prêtre et le lévite), mais qui « s’approcha de la victime, versa de l’huile et du vin sur ses blessures et le banda ». (Lc 10, 34-35) Cet homme se permet d’avoir un contact direct avec la victime. Ce contact direct change radicalement sa vie, et il est maintenant plein de compassion, prêt à travailler pour trouver une solution. Si ce que nous lisons ou voyons à la TV nous indigne souvent, est-ce suffisant ? Bien sûr chacun a beaucoup d’activités déjà programmées. C’est vrai aussi que les possibilités sont souvent limitées. Mais nous pouvons aussi avoir un contact direct avec les victimes: en allant les rencontrer dans leurs quartiers, en les invitant peut-être dans nos maisons ou communautés.
La deuxième étape commence lorsque nous découvrons que la pauvreté dans le monde ne vient pas de la malchance ou par accident. Les souffrances n’ont pas été provoquées par la malchance mais ont été créées. Et cela provoque, chez le pauvre, des réactions qui vont de l’indignation à la colère. Dès que nous réalisons que la pauvreté et l’injustice sont provoquées par des problèmes structurels, notre réponse est bien différente: maintenant, nous voulons œuvrer pour un changement social. Si, au début, nous répondions aux besoins urgents, nous voulons maintenant nous attaquer aux racines des problèmes.
Mais, chez quelques-uns, cela provoque un sentiment d’écrasement: ils se sentent si petits et si insignifiants. C’est un peu comme le combat de David et de Goliath. Et une sorte de paralysie, un sentiment d’être complètement perdu, peut apparaître. Comment s’opposer à des structures internationales qui semblent complètement dominer le monde ?
La troisième étape : quand nous découvrons que les pauvres doivent se sauver, et de fait, se sauveront par eux-mêmes. C’est la découverte de l’humilité dans notre service auprès des pauvres. Avant, notre sentiment était que « nous » pouvons: nous qui avons reçu une éducation, une formation, nous qui avons un besoin de sauver les pauvres, nous, les mieux lotis, allons les aider… Souvent, les pauvres sont perçus comme des créatures impuissantes. Aujourd’hui, nous commençons à réaliser que le changement social ne peut venir que des pauvres. Cela peut provoquer une crise où nous serons tentés de tout laisser tomber.
Un autre risque est de considérer que les pauvres ont toujours raison. Nous en sommes venus, dans l’Eglise, à valoriser la pauvreté elle-même, attitude qui paraît bien étrangère à l’Ancien et Nouveau Testament. C’est ce qu’on appelé « le romanesque chrétien sur les pauvres »: nous pensons que tout ce qui a été dit par quelqu’un qui est pauvre doit être vrai. Tout ce que font les gens opprimés doit être juste… C’est le genre d’idées qui ne fait du bien ni aux pauvres ni à nous-mêmes.
Enfin, la quatrième étape est celle de la solidarité avec les pauvres. La vraie solidarité commence quand nous nous éloignons de l’opposition entre « nous » et « eux ». Elle grandit quand nous nous respectons mutuellement, quand nous ne parlons plus en termes du supériorité ou d’infériorité, quand nous sommes conscients de nos défauts et faiblesses. Cette solidarité est modelée sur la volonté de Dieu pour la justice, telle que l’a vécue Jésus lui-même.
Le missionnaire se veut dans une grande solidarité avec le peuple au milieu duquel il vit. Il a pris le temps d’apprendre la langue, d’en comprendre le mieux possible les us et coutumes, de vivre au même rythme. Mais, paradoxalement, ce missionnaire reçoit en retour l’image de l’européen. On lui fait savoir que sa solidarité a des limites, et qu’il a, en cas de difficulté grave, des solutions de repli en retournant chez lui… Il se veut solidaire et en même temps, il lui est donné à entendre que sa solidarité a des limites.
Certains peuvent être amenés à vivre cette solidarité très concrète: par exemple, les missionnaires résidant dans des pays en guerre vont partager avec les gens la peur, l’insécurité. Des témoignages récents ont été révélés en Algérie où ces missionnaires étrangers ont décidé de rester malgré les dangers. On pense aussi à toutes ces situations très troublées, lors de guerres civiles, où d’autres n’hésitent pas à rester avec leur peuple, quitte à être accusés de prendre parti pour une milice par rapport à une autre. Nous n’aurons pas tous à vivre ces situations limites. Mais alors, comment comprendre notre solidarité avec ce monde qui nous entoure ?
Participer à la vie de Dieu répandue dans le monde.
C’est ce que St Paul décrit dans son épitre aux Corinthiens (1 Co 12, 12-31). Paul veut remédier aux abus constatés dans cette communauté; il veut faire régner la paix en affirmant : « Vous êtes le corps du Christ et vous êtes ses membres, chacun pour sa part. » (v. 27). Cette solidarité, à l’intérieur de ce grand corps qu’est l’Eglise, devient alors une union intense à Dieu et à tous les frères et sœurs. C’est là que la prière prend toute sa place, et l’on perçoit le soutien spirituel qu’apportent les moines et moniales, dans leur intercession pour toute l’humanité.
Dans son expérience apostolique, Paul a fait la connaissance de Dieu et de l’homme. Face à Dieu, il s’est retrouvé indigne. Mais en même temps, « En ceci Dieu prouve son amour envers nous: Christ est mort pour nous alors que nous étions pécheurs. » (Rm 5, 8) Aussi, Paul jette un regard d’amour sur l’humanité qui l’entoure. Il porte le souci de toutes les églises et fait sienne leurs faiblesses, leurs défaillances (2 Co 11, 28-29). Ainsi, la rencontre avec Dieu entraîne l’ouverture au monde.

LE BONHEUR… À LA MANIÈRE DE JÉSUS

3 août, 2015

http://www.ssccjm.org/spiritualite/beatitudes/lebonheur.html

LE BONHEUR… À LA MANIÈRE DE JÉSUS

Introduction
Dans la vie de chaque jour
Le bonheur, annoncé dans les béatitudes
Le bonheur, chemin de Dieu
Temps d’intégration

Introduction
Le bonheur ! Le mot lui-même fait rêver…! La plupart des téléromans au petit écran, les films au cinéma, les romans… sont construits autour de ce rêve de bonheur… Le bonheur : toujours recherché, jamais pleinement possédé… Parfois, il nous apparaît comme trop grand pour nous, ou trop étroit, d’autres fois nous sentons qu’il nous irait comme un gant. Nous pleurons sur lui quand nous l’avons perdu, nous l’espérons quand nous ne l’avons plus…
Certains disent le bonheur inaccessible, et pourtant que de gens avouent l’avoir rencontré ! Le bonheur ! Pas facile à définir tellement il est fait d’ingrédients divers. Mais une chose est sûre : tous, nous cherchons à être heureux… tous nous avons soif de bonheur. L’idée de bonheur nous aide à traverser le désert de la vie ?
Le bonheur est-il une chimère ? Le bonheur est-ce une chose à obtenir, ou un don à accueillir ? Écoutons-nous parler… On parle volontiers du bonheur comme s’il était derrière nous ou devant nous, mais souvent c’est tout près de nous qu’il est… Il aime marcher à nos côtés, sans se faire voir, sans dire un mot.
Et si le bonheur était à l’intérieur de nous ? Il y a de petits et de grands bonheurs, comme de petites et de grandes joies. Savoir discerner et savourer les petits bonheurs prépare à l’accueil des grands. Il se pourrait même que le plus grand bonheur ne soit formé que d’une multitude de petits.
Dans la vie de chaque jour
L’expérience nous apprend que dans la vie de chaque jour, bonheur et malheur cohabitent. Notre vie est faite d’ombre et de lumière, de progrès et de recul; de jours heureux et de jours moins heureux… L’œil et le cœur semblent moins sensibles au bonheur qu’au malheur. Cette attitude est la source de beaucoup de nos tristesses, de nos mélancolies, de nos insatisfactions.
Notre malheur, c’est de ne pas voir nos petits bonheurs… < La pire tentation, a écrit Jean Bastaire, est de désespérer du BONHEUR.> (Paraboles d’Orient et d’Occident). La pire tentation pourrait être aussi de ne pas voir le bonheur qui est déjà dans notre maison. Tagore écrit : « Ne va pas au jardin des fleurs, (bonheur) mon ami, … en toi est le jardin des fleurs…du Bonheur … » Nous n’avons pas à nous déplacer très loin… le bonheur prend racine au-dedans… Robert Lebel chante : « Je te cherchais dehors tu étais au-dedans…» Nous avons à redécouvrir les voies d’accès au bonheur…
Si le malheur a ses prophètes – et ils sont nombreux – le bonheur doit pouvoir compter sur ses prophètes de bonheur. Ce serait une grâce pour l’humanité entière, qui a besoin d’air frais, de lumière et d’espérance. Le bonheur est une aspiration profonde de tout être humain, un désir vital de la personne, le grand besoin de notre cœur… Sommes-nous condamnés au malheur ou promis au bonheur ? Ce bonheur est-il pour aujourd’hui ou pour demain ? Sommes-nous convaincus que Dieu nous veut heureuses…heureux…? Et si c’était Dieu lui-même qui avait chevillé, ancré bien solidement ce désir, ce besoin de bonheur ! Et s’il avait quelque chose à nous dire à ce propos…! Dieu ne veut pas que tous les jours de notre vie soient des Vendredis Saints… même si nous avons la possibilité de passer du Vendredi Saint ou jour de Pâques …
De quoi est-il fait ?
Mais de quoi est-il fait, ce bonheur ? En regardant le monde dans lequel nous vivons, cette question demeure actuelle, elle est peut-être plus pressante en ces temps d’inflation, de chômage, d’incertitude politique, d’inquiétude au sujet de l’avenir de nos ressources de toutes sortes, des tensions internationales etc. … Le bonheur, en ces temps modernes, est mis à rude épreuve …
Les propositions « de bonheur éphémère » ne manquent pas. Chaque jour nous sommes sollicitées par des « marchands de bonheur » qui prétendent combler tous nos désirs (publicité, consommation, voiture performante, voyage dans le sud, gros lot… etc.) Le bonheur, proclamé par la publicité, se réduit souvent à l’argent, à l’accumulation de biens, à la recherche de prestige, d’influence.
Le bonheur des Béatitudes
Nous savons très bien que le bonheur, dont il est question dans le texte évangélique des béatitudes, ne correspond pas à la vision du bonheur véhiculée et étalée dans toutes les formes de propagandes modernes caractérisées par l’absence de souffrances, de problèmes etc.… Le bonheur des béatitudes n’exclut pas nécessairement la souffrance et la privation.
Si nous nous questionnons sur le bonheur, d’autres avant nous l’ont fait : entre autre, l’auteur du psaume 4,7 s’interroge « Qui nous fera voir le bonheur ». Dans le livre des Lamentations 3, 17 « Je ne sais plus ce qu’est le bonheur ». Et dans Job 7,7 « Ma vie est une corvée… le soir n’en finit pas… mes yeux ne verront plus le bonheur »
Les béatitudes nous présentent le bonheur, à la manière de Jésus, comme une forme de félicitations qui suppose la constatation d’un bonheur déjà réalisé ou entrain de se réaliser.
Les béatitudes selon Luc et Matthieu viennent de plus loin que les Évangiles. Elles plongent leurs racines dans l’Ancien Testament. À travers toute la Bible , on compte une cinquantaine de ces béatitudes, dont vingt-cinq pour le seul livre des psaumes.

En voici quelques-unes:

- Ps 1er « Heureux l’homme qui ne prend pas le parti des méchants »
- Ps 83 ou 84, 5-6 « Heureux les habitants de ta maison, ils te loueront sans cesse »
« Heureux les hommes dont la force est en toi, Seigneur »
- Ps 94,7 « Heureux l’homme que tu corriges… »
- Ps 106, 3 « Heureux ceux qui observent tes commandements… »
- Ps 112, 1 « Heureux l’homme qui s’appuie sur le Seigneur… »

La réalité
La réalité de ces proclamations de BONHEUR ne sont pas nécessairement vécues dans le monde présent mais dans le monde à venir… (Cf. Texte des béatitudes). La prière de Jésus était nourrie de ces psaumes, proclamant le bonheur; et naturellement, à l’occasion de ses rencontres et prédications, selon l’inspiration, il en créait d’autres. S’adressant à ses disciples il leur dit : « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez… » (Lc 10,23). Et lorsque cette femme du peuple, elle-même nourrie d’Ancien Testament, s’exprime dans le langage des béatitudes: « Heureuses les entrailles qui t’ont porté et les seins qui t’ont nourri » (Lc 11,27). Jésus reprend en employant le présent : « Heureux plutôt ceux et celles qui écoutent la Parole de Dieu et qui la gardent » (Lc 11,28), à Thomas… « Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru. » (Jn 20,29)Et encore, après Jésus, les béatitudes ont continué à fleurir jusqu’à nous : « Heureux les invités au repas du Seigneur » Jésus en nous présentant le programme des béatitudes a répondu à cette question que les personnes de tous les temps et de tous les âges se posent : « Qui nous fera voir le bonheur ? » Remarquez le pronom QUI (personne) employé par le psalmiste et non le pronom QUOI (chose). Jésus nous a donné la façon, les moyens, selon Lui, de réussir sa vie, de posséder le bonheur pour que notre vie et notre existence humaine aient un sens.
En disant « Heureux » Jésus constate et proclame le bonheur de la personne… que la béatitude décrit. N’oublions pas qu’au coeur de la vie de Jésus, au coeur de son message et de ses gestes, il y a la personne. Pour Jésus la personne passe avant tout, avant la loi, avant les institutions : la personne est sacrée. Les béatitudes ne se comprennent qu’à partir de ce centre – qu’est la personne -. Rappelons-nous que Jésus, nouveau Moïse, en gravissant la montagne, proclame la Loi nouvelle. La béatitude est une déclaration de bonheur dans le présent, (le Royaume des cieux est à eux) ou en raison de l’avenir (car ils auront la terre en héritage).
Le bonheur, annoncé dans les béatitudes
Le bonheur provient de la certitude : que la personne est bénéficiaire de la présence amoureuse de Dieu; mais aussi de la promesse que la personne est pleinement comblée lors de la réalisation totale et définitive de ce Royaume. Le bonheur, annoncé dans les béatitudes, est une véritable joie, parce que fondée sur une foi;
- en l’accompagnement bienveillant de Dieu;
- et sur une espérance en la pleine réception des biens du Royaume.
Cette joie résulte d’un état d’harmonie avec Dieu, avec les autres et avec soi-même. Mon bonheur je le fais – je ne l’attends pas des autres… ni de Dieu que j’accuse parfois… Je suis « équipée » pour vivre heureux, heureuse.
En Matthieu, les béatitudes supposent un appel à se mettre dans les dispositions nécessaires pour bénéficier du don et de la promesse et, par le fait même, goûter à la joie des béatitudes. Les destinataires sont heureux parce qu’ils se laissent transformer intérieurement par les valeurs du Royaume. Matthieu cherche à améliorer les dispositions intérieures des chrétiens. Il veut les assurer de la présence et de la promesse de Dieu dans la réalité qu’ils vivent.
Le bonheur dont parlent les béatitudes est un bonheur qui vient à nous, non un bonheur produit par nous. Il n’exclut pas la privation et la souffrance. Que veut dire exactement Jésus en disant : « Heureux » ? Extirpons de ce terme « heureux » toute connotation moralisante; donc ne plus nous représenter Jésus comme donnant d’en haut d’une chaire, des conseils ou des impératifs. Dans les Évangiles, lorsque ce terme « heureux » est employé, ce n’est pas pour dire « Heureux serez-vous si vous faites ceci ou cela… », mais pour exprimer un accord, une joie. BRAVO ! vous qui êtes doux, vous avez le bon filon, le secret du bonheur ? « Vive celle qui t’a porté » crie une femme dans la foule. (Lc 11,27) Ou encore Elisabeth dont l’enfant tressaille dans son ventre et qui s’écrie, voyant Marie ; « Bravo à toi qui as cru ! » (Luc 1,45) « Tu as eu bien raison d’y croire ».Jésus regarde bien plus loin que les apôtres ou les disciples qui sont là – et qui auraient tellement tendance à quitter ce chemin des béatitudes pour le pouvoir! Jésus s’adresse à tous les pauvres, à tous les affamés et assoiffés de Justice, à tous les doux, à tous les coeurs purs de l’histoire et proclame que ce sont eux qui donnent au monde le sel et la lumière, la saveur et le sens.
Ainsi Jésus proclame que tous ceux-là qui vivent des béatitudes, détiennent à la fois;
- le secret du bonheur de la personne ;
- et la vraie solution de la vie collective (communautaire).
Le bonheur vrai et durable
Le bonheur vrai et durable qui s’inscrit au plus profond de nos vies (personnes) est fait aussi du BONHEUR DES AUTRES… COMMUNAUTAIRE. La question de mon bonheur ne saurait se poser sans celle du bonheur des autres et à l’inverse la question du bonheur des autres ne saurait se poser sans celle de mon bonheur… Il nous faut lire les béatitudes selon ces deux registres (en regard des personnes et en regard des collectivités); y trouver, non pas des principes moraux externes, mais une impulsion de vie pour l’existence personnelle et pour l’existence sociale.
Avec les béatitudes Jésus est explicite. « Heureux êtes-vous ! ». On rendrait peut-être mieux sa pensée en disant:  » Chanceux êtes-vous  » Comme s’il nous félicitait de ce que nous avons compris pour vivre son message de bonheur, pour vivre l’Évangile. Les béatitudes sont une invitation à un bonheur possible qui nous initie tous les jours à un chemin de bonheur, simple, à la portée de tous.
Effectivement, nous avons tout pour être heureux. Encore faut-il savoir ce qu’est le bonheur et ce qu’il procure. Est-ce que je peux nommer les petits bonheurs que je cueille aujourd’hui ? À ce moment – ci de mon histoire sainte ? Les béatitudes sont une invitation à un BONHEUR POSSIBLE qui nous initie tous les jours à un chemin de bonheur, simple et efficace, à la portée de tous.
Le bonheur, chemin de Dieu
La b éatitude , le bonheur, c’est le chemin de Dieu vers la personne humaine et le chemin de la personne humaine vers Dieu, vers le prochain, vers lui-même. Les béatitudes : chemin de la rencontre de Dieu, donc du vrai bonheur. Que disons-nous quand on est heureux : ÇA MARCHE … Pierre Talec, dans son livre l’Annonce du bonheur écrit : « L’amour, voilà le sens et le fondement des béatitudes. Curieux ! Il n’y a pas de béatitude de l’AMOUR à proprement parler. On aurait pu s’attendre à cette béatitude :  » Heureux ceux qui aiment, ils sont de Dieu. » »
L’amour est la base de chaque béatitude… Pourquoi ? De la pauvreté à la persécution en passant par la miséricorde, la douceur et la pureté de coeur, chacune des béatitudes apporte sa note au chant de l’amour pour toujours, au chant de la joie à jamais:  » Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse. »
Avant d’être un enseignement, un programme, une exigence, les béatitudes sont, sur les lèvres de Jésus, l’annonce du don de Dieu, dans les termes mêmes de la promesse. C’est la Bonne Nouvelle , qui ne peut être reçue « que dans la joie « . Les béatitudes, un message de joie, puisqu’elles sont proclamation d’une BONNE NOUVELLE, dont parle le prophète d’Isaïe (Is 61,1-2)
Quand Jésus invite au bonheur, c’est au prix d’un retournement profond de nos attitudes et de la conversion à un bonheur différent. Jésus n’a pas triché avec la condition humaine : il en connaît toutes les pauvretés et toutes les inquiétudes. Il n’a pas cherché à nous endormir avec des promesses d’un bonheur acquis à bon marché. Le bonheur qu’il propose passe par des chemins difficiles. Mais il est déjà offert et donné à tous ceux et celles pour qui le Royaume existe : les pauvres, les purs, les affligés, les faiseurs de paix, les ajustés à Dieu… les humbles, les miséricordieux… C’est pour eux que Dieu a inventé un bonheur à la mesure de son cœur.
IL Y A UN BONHEUR…
À se libérer de soi-même… afin d’être plus dépendant de Dieu, notre Père.
À être authentique et vrai… afin de contempler son Visage en l’autre et dans les événements.
À accueillir la souffrance… afin d’y découvrir l’appel à un dépassement sur le chemin de l’Amour.
À couper les chaînes de ses petits esclavages… afin d’occuper notre place aux repas fraternels.
À se réconcilier entre nous… afin d’actualiser dans l’aujourd’hui le pardon que Dieu nous a donné en Jésus-Christ.
À vivre en paix avec soi-même… afin de véhiculer le germe d’amitié dans les relations humaines.
À créer un climat de paix dans notre milieu… afin de vivre en sœurs et frères dans le Royaume qui nous a été donné.
À acquérir une bienveillance intérieure… afin que l’autre grandisse dans ce qu’il est et qu’il a reçu du Père.

LES INSTRUCTIONS SPIRITUELLES DE SAINT SÉRAPHIM DE SAROV

7 mai, 2015

http://www.pagesorthodoxes.net/saints/seraphim/seraphim-instructions.htm

LES INSTRUCTIONS SPIRITUELLES

DE SAINT SÉRAPHIM DE SAROV

Dieu
Dieu est un feu qui réchauffe et enflamme les coeurs et les entrailles. Si nous sentons dans nos coeurs le froid qui vient du démon – car le démon est froid – ayons recours au Seigneur et il viendra réchauffer notre coeur d’un amour parfait,non seulement envers lui, mais aussi envers le prochain. Et la froidure du démon fuira devant sa Face. Là où est Dieu, il n’y a aucun mal… Dieu nous montre son amour du genre humain non seulement quand nous faisons le bien, mais aussi quand nous l’offensons méritant sa colère…Ne dis pas que Dieu est juste, enseigne saint Isaac le Syrien… David l’appelait  » juste « , mais son Fils nous a montré qu’il est plutôt bon et miséricordieux. Où est sa Justice? Nous étions des pécheurs, et le Christ est mort pour nous (Homélie 90).

Des raisons pour lesquelles
le Christ est venu en ce monde

1) L’amour de Dieu pour le genre humain.  » Oui, Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle  » (Jn 3, 16).
2) Le rétablissement dans l’homme déchu de l’image divine et de la ressemblance à cette image, comme le chante de l’Église (Premier Canon de Noël, chant 1).
3) Le salut des âmes.  » Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour condamner le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui  » (Jn 3, 17).

De la foi
Avant tout, il faut croire en Dieu,  » car il existe et se fait le rémunérateur de ceux qui le cherchent  » (He 11, 6). La foi, selon saint Antioche, est le début de notre union à Dieu… La foi sans les oeuvres est morte (Jc 2, 26). Les oeuvres de la foi sont : l’amour, la paix, la longanimité, la miséricorde, l’humilité, le portement de croix et la vie selon l’Esprit. Seule une telle foi compte. Il ne peut pas y avoir de vraie foi sans oeuvres.

De l’espérance
Tous ceux qui espèrent fermement en Dieu sont élevés vers lui et illuminés par la clarté de la lumière éternelle. Si l’homme délaisse ses propres affaires pour l’amour de Dieu et pour faire le bien, sachant que Dieu ne l’abandonnera pas, son espérance est sage et vraie. Mais si l’homme s’occupe lui-même de ses affaires et se tourne vers Dieu seulement quand il lui arrive malheur et qu’il voit qu’il ne peut s’en sortir par ses propres moyens – un tel espoir est factice et vain. La véritable espérance cherche, avant tout, le Royaume de Dieu, persuadée que tout ce qui est nécessaire à la vie d’ici-bas sera accordé par surcroît. Le coeur ne peut être en paix avant d’avoir acquis cette espérance.

De l’amour de Dieu
Celui qui est arrivé à l’amour parfait de Dieu vit en ce monde comme s’il n’y vivait pas. Car il se considère comme étranger à ce qu’il voit, attendant avec patience l’invisible… Attiré vers Dieu, il n’aspire qu’à le contempler…

De quoi faut-il munir l’âme ?
- De la parole de Dieu, car la parole de Dieu, comme dit Grégoire le Théologien, est le pain des anges dont se nourrissent les âmes assoiffées de Dieu.
Il faut aussi munir l’âme de connaissances concernant l’Église : comment elle a été préservée depuis le début jusqu’à nos jours, ce qu’elle a eu à souffrir. Il faut savoir ceci non dans l’intention de gouverner les hommes, mais en cas de questions auxquelles on serait appelé à répondre. Mais surtout il faut le faire pour soi-même, afin d’acquérir la paix de l’âme, comme dit le Psalmiste :  » Paix à ceux qui aiment tes préceptes, Seigneur « , ou  » Grande paix pour les amants de ta loi  » (Ps 118, 165).

De la paix de l’âme
Il n’y a rien au-dessus de la paix en Christ, par laquelle sont détruits les assauts des esprits aériens et terrestres.  » Car ce n’est pas contre les adversaires de chair et de sang que nous avons à lutter, mais contre les Principautés, contre les Puissances, contre les Régisseurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits du mal qui habitent les espaces célestes  » (Ep 6, 12). Un homme raisonnable dirige son esprit à l’intérieur et le fait descendre dans son coeur. Alors la grâce de Dieu l’illumine et il se trouve dans un état paisible et suprapaisible : paisible, car sa conscience est en paix ; suprapaisible, car au-dedans de lui il contemple la grâce du Saint-Esprit…
Peut-on ne pas se réjouir en voyant, avec nos yeux de chair, le soleil ? D’autant plus grande est notre joie quand notre esprit, avec l’oeil intérieur, voit le Christ, Soleil de Justice. Nous partageons alors la joie des anges. L’Apôtre a dit à ce sujet  » Pour nous, notre cité se trouve dans les cieux  » (Ph 3, 20). Celui qui marche dans la paix, ramasse, comme avec une cuiller, les dons de la grâce. Les Pères, étant dans la paix et dans la grâce de Dieu, vivaient vieux. Quand un homme acquiert la paix, il peut déverser sur d’autres la lumière qui éclaire l’esprit… Mais il doit se souvenir des paroles du Seigneur :  » Hypocrite, enlève d’abord la poutre de ton oeil, et alors tu verras clair pour enlever la paille de l’oeil de ton frère  » (Mt 7, 5).
Cette paix, Notre Seigneur Jésus Christ l’a laissée à ses disciples avant sa mort comme un trésor inestimable en disant :  » Je vous laisse ma paix, je vous donne la paix  » (Jn 14, 27). L’Apôtre en parle aussi en ces termes :  » Et la paix de Dieu qui surpasse toute intelligence gardera vos coeurs et vos pensées en Jésus-Christ  » (Ph 4, 7).Si l’homme ne méprise pas les biens de ce monde, il ne peut avoir la paix. La paix s’acquiert par des tribulations. Celui qui veut plaire à Dieu doit traverser beaucoup d’épreuves. Rien ne contribue plus à la paix intérieure que le silence et, si possible, la conversation incessante avec soi-même et rare avec les autres. Nous devons donc concentrer nos pensées, nos désirs et nos actions sur l’acquisition de la Paix de Dieu et crier incessamment avec l’Église :  » Seigneur ! Donne-nous la paix ! « 

Comment conserver la paix de l’âme ?
De toutes nos forces il faut s’appliquer à sauvegarder la paix de l’âme et à ne pas s’indigner quand les autres nous offensent. Il faut s’abstenir de toute colère et préserver l’intelligence et le coeur de tout mouvement inconsidéré. Un exemple de modération nous a été donné par Grégoire le Thaumaturge. Abordé, sur une place publique, par une femme de mauvaise vie qui lui demandait le prix de l’adultère qu’il aurait soi-disant commis avec elle, au lieu de se fâcher, il dit tranquillement à son ami : Donne-lui ce qu’elle demande. Ayant pris l’argent, la femme fut terrassée par un démon. Mais le saint chassa le démon par la prière.
S’il est impossible de ne pas s’indigner, il faut au moins retenir sa langue… Afin de sauvegarder la paix, il faut chasser la mélancolie et tâcher d’avoir l’esprit joyeux… Quand un homme ne peut suffire à ses besoins, il lui est difficile de vaincre le découragement. Mais ceci concerne les âmes faibles. Afin de sauvegarder la paix intérieure, il faut éviter de juger les autres. Il faut entrer en soi-même et se demander  » Où suis-je ? « Il faut éviter que nos sens, spécialement la vue, ne nous donnent des distractions : car les dons de la grâce n’appartiennent qu’à ceux qui prient et prennent soin de leur âme.

De la garde du coeur
Nous devons veiller à préserver notre coeur de pensées et d’impressions indécentes.  » Plus que sur toute chose, veille sur ton coeur, c’est de lui que jaillissent les sources de la vie  » (Pr 4, 23). Ainsi naît, dans le coeur, la pureté.  » Bienheureux les coeurs purs, car ils verront Dieu  » (Mt 5, 8).Ce qui est entré de bon dans le coeur, nous ne devons pas inutilement le répandre à l’extérieur : car ce qui a été amassé ne peut être à l’abri des ennemis visibles et invisibles que si nous le gardons, comme un trésor, au fond du coeur.
Le coeur, réchauffé par le feu divin, bouillonne quand il est plein d’eau vive. Si cette eau a été versée à l’extérieur, le coeur se refroidit et l’homme est comme gelé.

De la prière
Ceux qui ont décidé de vraiment servir Dieu doivent s’exercer a garder constamment son souvenir dans leur coeur et à prier incessamment Jésus Christ, répétant intérieurement : Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur… En agissant ainsi, et en se préservant des distractions, tout en gardant sa conscience en paix, on peut s’approcher de Dieu et s’unir à lui. Car, dit saint Isaac le Syrien, à part la prière ininterrompue, il n’y a pas d’autre moyen de s’approcher de Dieu (Homélie 69).
A l’église, il est bon de se tenir les yeux fermés, pour éviter les distractions ; on peut les ouvrir si l’on éprouve de la somnolence ; il faut alors porter son regard sur une icône ou sur un cierge allumé devant elle. Si pendant la prière notre esprit se dissipe, il faut s’humilier devant Dieu et demander pardon… car, comme dit saint Macaire  » l’ennemi n’aspire qu’à détourner notre pensée de Dieu, de sa crainte et de son amour  » (Homélie 2).
Lorsque l’intelligence et le coeur sont unis dans la prière et que l’âme n’est troublée par rien, alors le coeur s’emplit de chaleur spirituelle, et la lumière du Christ inonde de paix et de joie tout l’homme intérieur.

De la lumière du Christ
Afin de recevoir dans son coeur la lumière du Christ il faut, autant que possible, se détacher de tous les objets visibles. Ayant au préalable purifié l’âme par la contrition et les bonnes oeuvres, ayant, pleins de foi au Christ crucifié, fermé nos yeux de chair, plongeons notre esprit dans le coeur pour clamer le Nom de Notre Seigneur Jésus Christ ; alors, dans la mesure de son assiduité et de sa ferveur envers le Bien-Aimé, l’homme trouve dans le Nom invoqué consolation et douceur, ce qui l’incite à chercher une connaissance plus haute.
Quand par de tels exercices l’esprit s’est enraciné dans le coeur, alors la lumière de Christ vient briller à l’intérieur, illuminant l’âme de sa divine clarté, comme le dit le prophète Malachie :  » Mais pour vous qui craignez son Nom, le soleil de justice brillera, avec le salut dans ses rayons  » (Ml 3, 20). Cette lumière est aussi la vie, d’après la parole de l’Evangile :  » De tout être il était la vie, et la vie était la lumière de hommes  » (Jn 1, 4).
Quand l’homme contemple au-dedans de lui cette lumière éternelle, il oublie tout ce qui est charnel, s’oublie lui-même et voudrait se cacher au plus profond de la terre afin de ne pas être privé de ce bien unique – Dieu.

De l’attention
Celui qui suit la voie de l’attention ne doit pas se fier uniquement à son propre entendement, mais doit se référer aux Écritures et comparer les mouvements de son coeur, et sa vie, à la vie et à l’activité des ascètes qui l’ont précédé. Il est plus aisé ainsi de se préserver du Malin et de voir clairement la vérité.
L’esprit d’un homme attentif est comparable à une sentinelle veillant sur la Jérusalem intérieure. A son attention n’échappe ni  » le diable (qui) comme un lion rugissant, rôde cherchant qui dévorer  » (1 P 5, 8), ni ceux qui  » ajustent leur flèche à la corde pour viser dans l’ombre les coeurs droits  » (Ps 10, 2). Il suit l’enseignement de l’Apôtre Paul qui a dit :  » C’est pour cela qu’il vous faut endosser l’armure de Dieu, afin qu’au jour mauvais vous puissiez résister  » (Ep 6, 13).Celui qui suit cette voie ne doit pas faire attention aux bruits qui courent ni s’occuper des affaires d’autrui… mais prier le Seigneur :  » De mon mal secret, purifie-moi  » (Ps 18, 13).
Entre en toi-même et vois quelles passions se sont affaiblies en toi ; lesquelles se taisent, par suite de la guérison de ton âme ; lesquelles ont été anéanties et t’ont complètement quitté. Vois si une chair ferme et vivante commence à pousser sur l’ulcère de ton âme – cette chair vivante étant la paix intérieure. Vois aussi quelles passions restent encore – corporelles ou spirituelles ? Et comment réagit ton intelligence ? Entre-t-elle en guerre contre ces passions, ou fait-elle semblant de ne pas les voir ? Et de nouvelles passions ne se sont-elles pas formées ? En étant ainsi attentif, tu peux connaître la mesure de la santé de ton âme.

Extrait des Instructions spirituelles,
dans Irina Goraïnoff, Séraphim de Sarov,
Éditions Abbaye de Bellefontaine et Desclée de Brouwer, 1995.
Reproduit avec l’autorisation des Éditions Desclée de Brouwer.

 

LA SAINTETÉ DE DIEU DANS L’ANCIEN TESTAMENT – par Jean Lévêque,

10 avril, 2015

http://j.leveque-ocd.pagesperso-orange.fr/tetatheologiques/lsdd.htm

LA SAINTETÉ DE DIEU DANS L’ANCIEN TESTAMENT

proposés par Jean Lévêque, carme, de la Province de Paris

Nous n’avons probablement jamais rencontré de saint ; et pourtant, grâce à notre éducation chrétienne et à nos lectures, il nous semble assez facile d’imaginer ce que peut être la sainteté: une incomparable réussite morale, parfois enrichie d’une étincelle de génie, et surtout une proximité mystérieuse par rapport à Dieu et aux choses de Dieu. Mais cette notion, ou plutôt cette description de la sainteté, valable pour des hommes, l’est-elle encore pour Dieu lui-même ? Sa sainteté est-elle du même type que la nôtre ? Que veut-on dire exactement quand on proclame la sainteté de Dieu?
Dès qu’on aborde l’Ancien Testament, en cherchant la réponse qu’il a donnée à ces questions, on se rend compte que la notion de sainteté, appliquée à Dieu, est à la fois plus complexe et plus riche, et qu’on ne peut absolument pas partir de notre sainteté d’hommes pour explorer celle de Dieu, mais qu’au contraire c’est la sainteté unique de Dieu qui doit éclairer et modeler la nôtre. Dans l’Ancien Testament, à chaque trait de la sainteté transcendante de Yahvé répond une démarche fondamentale de l’homme ; et dessiner à partir de la Révélation les lignes de force de la sainteté du Seigneur, c’est équivalemment résumer toute notre attitude religieuse.
Les hommes de l’Ancienne Alliance ont expérimenté la sainteté de Dieu de trois manières différentes et complémentaires.

La sainteté « majesté »
Rencontrer le Dieu Saint, c’est d’abord entrer en présence d’une force mystérieuse, sans contours ni limites, comme la nuée qui remplit le sanctuaire (2 Chr. 5, 11) ; c’est découvrir soudain la puissance du Créateur qui fait vaciller la terre (Ps. 99, 1), la majesté du Maître de l’histoire « qui accomplit des prodiges au milieu de son peuple » (Jos. 3,5) et lui parle du milieu du feu, de la nuée et des ténèbres, d’une voix forte (Dt. 5). « Dans l’ouragan, dans la tempête il fait sa route, les nuées sont la poussière que soulèvent ses pas. Il menace la mer, il la met à sec, il fait tarir tous les fleuves. Bashan et le Carmel en sont flétris, flétrie la verdure du Liban ! Les montagnes tremblent devant lui, les collines chancellent, la terre s’effondre devant lui, le monde et tous ceux qui l’habitent. Son courroux! Qui pourrait le soutenir ? » (Nahum 1, 3-6).
Sous cet aspect, la sainteté de Dieu apparaît comme une densité d’existence, que l’homme ne peut ni cerner, ni capter pour servir ses propres desseins : c’est pourquoi il la craint : « Qui pourrait tenir en face de Yahvé, le Dieu Saint ? » ( 1 Sm 6,20). L’homme se sent dépassé, investi, et ses réactions devant le Tout-Puissant présentent dans l’Ancien Testament toute la gamme du respect, depuis la surprise jusqu’à l’effroi religieux.
Évoquons ici Moïse, en Exode 3,4, intrigué par le buisson en flammes : « Yahvé le vit s’approcher pour mieux voir, et Dieu l’appela du milieu du buisson : Moïse, Moïse ! » – « Me voici », répondit-il. Alors il dit : « Ôte tes sandales de tes pieds, car le lieu que tu foules est une terre sainte. » Dieu dit encore : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Israël et le Dieu de Jacob. » Moïse alors se voila la face dans la crainte que son regard ne se fixât sur Dieu. »
De même Élie sur l’Horeb, quand il entendit la brise légère qui annonçait Yahvé : « se voila le visage avec son manteau, sortit et se tint à l’entrée de la grotte. » (1 Rg 19,13).
Plus Dieu se fait connaître à l’homme, et plus grandit en celui-ci une attitude mal différenciée, faite à la fois de crainte et d’attirance. La nuit même qui précède l’alliance de Dieu avec Abraham, « une frayeur saisit » le patriarche durant son sommeil : Jacob, s’éveillant du songe où il a vu une échelle qui reliait la terre au ciel, s’écrie: « En vérité, Yahvé est en ce lieu, et je ne le savais pas ! Que ce lieu est redoutable ! Ce n’est rien de moins qu’une maison de Dieu et la porte du ciel. » (Gn. 28,17).
Toute la religion d’Israël ne tenait pas, tant s’en faut, dans ces réflexes craintifs devant Yahvé. Ce n’est encore là qu’une approche timide et défiante du mystère de Dieu, et dans la plupart des textes, la peur du sacré n’est que le premier moment de la rencontre: celui qui prépare le dialogue. Si Dieu fait sentir ainsi sa majesté écrasante, c’est pour créer dans l’âme des prophètes ou des patriarches le climat révérenciel qui prépare les grandes révélations, ou pour fonder leur mission sur une expérience inoubliable de sa transcendance. Il est significatif, à cet égard, que les privilégiés qui prennent ainsi plus vive conscience de la grandeur de Yahvé soient justement ceux que Yahvé appelle et envoie. Au cours de l’apparition du Buisson ardent, Dieu dit à Moïse, encore sous le coup de la peur : « Et maintenant, va, je t’envoie auprès de Pharaon, pour faire sortir mon peuple les enfants d’Israël » (Ex. 3,10) ; et au prophète Élie, tremblant sous son manteau à l’entrée de la caverne : « Que fais-tu ici, Élie ?… va, reprends ton chemin » (1 R 19,15). De la même manière, Paul sera terrassé par la lumière du Christ glorieux, sur la route de Damas ; et ce sera le point de départ de toute sa vie missionnaire.
On aurait donc tort de voir dans la crainte sacrée une attitude purement négative : Marie, elle-même, l’a éprouvée devant l’ange, et tous les grands mystiques, ceux de l’action comme ceux du silence, passent par des moments crucifiants où ils découvrent, avec une sorte de vertige, l’immensité et la sainteté du Dieu auquel ils ont voué leur vie.
Certes, l’histoire des religions montre bien que la peur a fait avorter le sentiment religieux chez maintes peuplades primitives, qui se sont dès lors rabattues sur des rites magiques, censés agir à distance sur des forces obscures et hostiles. Mais dans la Bible, la crainte sacrée n’est jamais qu’un instrument de la pédagogie divine : Dieu l’inspire pour éduquer la foi, et il la tempère lui-même dès qu’il a obtenu un mouvement d’adoration.

La sainteté qui sépare : la sainteté « consécration »
Dans un second sens, la Bible appelle saint ce qui est séparé du profane et mis à part par Dieu ou pour Dieu. Dieu lui-même est ainsi Saint par excellence, puisqu’il est le Tout-Autre, l’Inaccessible « qui habite une demeure élevée et sainte  » (Is. 57,15) ; mais sera saint également tout ce qui est soustrait à l’usage commun et réservé à Dieu : tout ce qui a un lien avec Dieu participe à son caractère sacré. Ainsi le Temple et sa colline, la ville de Jérusalem, le ciel même, tous les lieux où Yahvé habite et se manifeste sont appelés saints ; de même les ustensiles du culte, les vêtements rituels, tout ce qui est offert à Dieu ou au sanctuaire, les victimes animales, les premiers-nés des troupeaux, l’huile des onctions, les dîmes perçues par le Temple : tout cela devient la propriété de Yahvé, et porte le cachet de sa sainteté.
Non seulement le monde cultuel se trouve sanctifié, comme par contagion, de par sa proximité avec le Dieu saint, mais les hommes de l’Ancien Testament sentent le besoin de ratifier eux-mêmes, volontairement, cette sainteté objective, par des rites et des gestes de consécration. Par là, ils reconnaissent le haut domaine de Dieu sur sa création, et une dimension nouvelle, personnelle déjà, s’introduit dans la notion du sacré : la sainteté n’est plus seulement adorée comme transcendante et lointaine, mais révérée comme immanente aux choses consacrées. En somme le champ du sacré s’élargit, et commence à annexer le cœur du croyant : le cosmos devient moyen d’expression pour l’adoration qui monte des hommes vers Yahvé. C’est là le sens profond de la sainteté cultuelle, celui qui demeurera inaltéré dans la religion du peuple élu, malgré les tentations des religions naturistes cananéennes, malgré les déviations du formalisme, si fortes après l’exil, et contre lesquelles Jésus devra s’élever.
Le temps même est sanctifié, par l’instauration d’un calendrier liturgique, rythmé par les sabbats et les trois grandes fêtes à pèlerinage : la Pâque (avec les Azymes), les Semaines et les Huttes. Les guerres d’Israël sont également saintes ; non pas qu’elles soient des guerres de religion – car jamais Israël n’a pris les armes pour imposer sa foi – mais parce que ce sont les combats d’un peuple consacré « qui marche au nom de Yahvé son Dieu, toujours et à jamais » (Michée 4,5). C’est pourquoi les campagnes guerrières sont préparées, comme de grands actes religieux, par des rites de pénitence et des sacrifices.
Enfin les individus à leur tour entrent dans l’orbe de la sainteté de Dieu, soit par choix de Yahvé, comme les prophètes, soit par droit héréditaire, comme les prêtres et les lévites voués au service du Tem­ple, soit volontairement, comme les naziréens (Nb 6) qui s’abstiennent de vin et laissent croître leur chevelure durant tout le temps de leur vœu, « car ils portent sur leur tête la consécration de leur Dieu ».
Cette sainteté « de séparation », de consécration, est donc avant tout une sainteté communicable et participée. Et notons bien que, si elle sépare du profane, elle rapproche de Dieu ; elle suscite en l’homme deux démarches qui orientent tout le reste de sa vie religieuse : il se met personnellement en consonance avec l’infinie pureté de Dieu, et il sacralise son univers.

La sainteté morale
Avec ce troisième sens, nous rejoignons notre concept moderne de sainteté, et nous pénétrons au cœur même de la sainteté de Dieu, c’est-à-dire à l’intime de son être, car la sainteté exprime le « Nom » de Dieu , son essence, l’expression la plus fidèle et la plus noble de son mystère.
On hésite un peu à qualifier de morale la sainteté de Dieu, craignant de la ravaler au plan de la rectitude et des vertus humaines. Il est bien sûr que Yahvé n’est pas bon, juste, fidèle à la manière des hommes, toujours limités et successifs ; mais il est encore plus vrai qu’Il a voulu parler aux hommes en langage d’homme, et que les mots et les images bibliques, si pauvres et déficients qu’ils soient en eux-mêmes, aimantent vraiment notre esprit vers la réalité de Dieu, parce que Dieu même les authentifie.
C’est pourquoi l’Ancien Testament aime à retrouver en Dieu, à un degré éminent, tout ce qu’il y a en l’homme de vertu magnanime, de grandeur et de perfection morale. L’immensité de Dieu prend alors un visage et s’appelle désormais justice, fidélité, sérénité, tendresse de Père ou d’Époux.
Ce qui éloigne l’homme de cette absolue sainteté, c’est, plus encore que sa petitesse de créature, la conscience profonde de son péché :
« Comment l’homme serait-il pur, resterait-il juste l’enfant de la femme ? À ses saints (1) mêmes Dieu ne fait pas confiance, et les cieux ne sont pas purs à ses yeux. Combien moins cet être abominable et corrompu, l’homme, qui boit l’iniquité comme l’eau ! » (Job, 15, 14-16). « Tes yeux sont trop purs pour voir le mal », dira Habaquq (1,13). Et pourtant, par un étrange paradoxe, cette sainteté, devant laquelle le pécheur instinctivement recule, pousse au contraire Dieu à pardonner et à se donner ; Yahvé, qui demeure le Tout-Autre, a voulu être le Saint d’Israël ; lui, que sa sainteté sépare de tout, s’est lié à son peuple par une Alliance qui préludait à la suprême condescendance de l’Incarnation. Le Dieu Jaloux (Jos. 24, 19), pour manifester sa sainteté, « prend en pitié la maison d’Israël » (Ez. 39, 25).
Ainsi, plus qu’une affirmation de puissance, la sainteté de Dieu se révèle comme une avance de l’amour, et elle appelle la réponse loyale de l’homme : « Soyez saints, car moi Yahvé votre Dieu, je suis saint » (Lev. 19, 2). On ne trouve pas le Seigneur Dieu sans un « réaxement » moral de toute la vie, et surtout sans un désir passionné de le rejoindre :
« Qui montera sur la montagne de Yahvé et qui se tiendra dans son lieu saint ? L’homme aux mains innocentes, au cœur pur, qui n’a point l’âme encline aux vanités. C’est la race de ceux qui le cherchent, qui poursuivent ta face, Dieu de Jacob. » (Ps. 24, 2-6.)
Car la sainteté fascinante de Dieu ne saurait, sans se renier elle-même, renoncer à ses exigences : le Saint d’Israël sera toujours une « flamme qui consume et dévore les ronces » (Is. 10, 17) ; l’Exode et l’Exil n’ont pas eu lieu une fois pour toutes : ils demeurent, au cœur de chaque homme, des dimensions de l’expérience religieuse, et, dans la pensée de Dieu, c’est toujours un reste fidèle purifié par l’épreuve qui « sera appelé saint et inscrit pour survivre. » (Is. 4, 3.)
*
Une majesté qui s’impose, une emprise sacrée sur le cosmos et sur le cœur de l’homme, un amour qui s’offre à la communion : la sainteté de Dieu est tout cela, indissolublement, et ces aspects qu’isole l’analyse se fondent en réalité dans l’unique chatoiement de la Beauté divine ; mais les écrivains de l’Ancien Testament, qui ont vécu en profondeur leur rencontre avec Dieu, incapables de la décrire par un seul terme, l’ont circonscrite par approches successives.
Tel le psalmiste, s’élevant progressivement de la sainteté qui écrase à la sainteté du Dieu de l’Alliance :
« Yahvé règne, les peuples tremblent ; il chevauche les Chérubins, la terre chancelle ; dans Sion Yahvé est grand. Il s’exalte, lui, par-dessus tous les peuples ; qu’ils célèbrent ton nom grand et redoutable : il est saint, lui, et puissant. Le roi qui aime le jugement, c’est toi ; tu as fondé droiture, jugement et justice, en Jacob c’est toi qui agis. Exaltez Yahvé notre Dieu, prosternez-vous devant son marchepied : lui il est saint » (Ps. 99, 1-5.).
Mais aucun texte de l’Ancien Testament ne rassemble mieux les composantes de la sainteté de Dieu que le récit de la vocation d’Isaïe (Is. 6). C’est d’abord l’évocation grandiose de la puissance de Yahvé, et de sa présence qui sanctifie le Temple : « L’année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur Yahvé assis sur un trône élevé ; sa traîne remplissait le sanctuaire; des Séraphins se tenaient au-dessus de lui, ayant chacun six ailes : deux pour se couvrir la face, deux pour se couvrir les pieds, deux pour voler. Et ils se criaient l’un à l’autre ces paroles : « Saint, saint, saint est Yahvé Sabaot. Sa gloire remplit toute la terre ». Les gonds du seuil vibraient à la voix de celui qui criait et le Temple se remplissait de fumée.
Le prophète se sent comme noyé dans cette vision de majesté, et la sainteté morale de Yahvé lui révèle en contraste sa propre misère : « Je dis : Malheur à moi, je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au sein d’un peuple aux lèvres impures et mes yeux ont vu le Roi, Yahvé Sabaot ». L’un des Séraphins vola vers moi, tenant en main une braise qu’il avait prise avec des pinces sur l’autel. Il m’en toucha la bouche et dit : « Vois donc, ceci a touché tes lèvres, ton péché est effacé, ton iniquité est expiée. »
Enfin Dieu, ayant comblé lui-même par grâce l’espace qui le sépare de l’homme et du pécheur, appelle son prophète : « Qui enverrai-je ? Quel sera notre messager ? » Je répondis : « Me voici, envoie-moi ! »
Ainsi, au mystère de Dieu répond l’humble acquiescement de la foi : alors Dieu fait entrer l’homme dans ses desseins et lui révèle sa mission. Telle est encore la pédagogie divine : on n’entre pas au service du Sei­gneur sans s’être préparé ; et lui-même, en révélant sa sainteté, montre jusqu’où doit aller la purification. Il est le Saint (2), le seul Saint (3), le Saint d’Israël (4). Face à lui, le monde entier s’ordonne, les hommes trouvent leur cohérence intime, et, découvrant d’où ils viennent, ils voient mieux où la grâce les presse d’aller. Leur vie a pris le sens de Dieu.
Mais l’idée qu’Israël se faisait de son Dieu, déjà si belle et si dense, éclatera bientôt sous la pression des forces de la nouvelle alliance, quand seront révélés « le Père Saint », son Fils, « le Saint et le Véritable », et l’Esprit de Sainteté.

NOTES
(1) Il s’agit ici des anges.
(2) Is. 40, 25 ; Hab. 3, 3 ; Ja. 6, 10.
(3) Ex. 15. 11 ; 1 Sm. 2, 2 ; 2 Sm. 7. 22 ; Os. 11. Q ; Ps. 87, 7 ; Is. 8, 12 -14.
(4) Is. 1,4 ; 10, 17 ; 30, 11-12.

CANTIQUE SPIRITUEL

10 mars, 2015

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CANTIQUE SPIRITUEL

Jean-Joseph Surin, sj, (1600 – 1665)

Je veux aller courir parmi le monde,
Où je vivrai comme un enfant perdu,
J’ai pris l’humeur d’une âme vagabonde
Après avoir tout mon bien dépendu.
Ce m’est tout un que je vive ou je meure,
Il me suffit que l’Amour me demeure.

Déchu d’honneur, d’amis et de finance,
Amour je suis réduit à ta merci,
Je ne puis plus mettre mon espérance,
Qu’au seul plaisir d’être à toi sans souci.
Ce m’est tout un…

Allons, Amour, allons à l’aventure
Avecques toi je n’appréhende rien,
Quelque travail que souffre la nature,
Te possédant, je serai toujours bien.
Ce m’est tout un…

Si mes amis les plus chers m’abandonnent,
Si mes parents m’appellent insensé,
Je chanterai pour les biens qu’ils me donnent,
Pourvu qu’Amour ne m’ait point délaissé.
Ce m’est tout un…

O doux Amour, en qui je me repose,
Que tu m’as bien de soucis déchargé !
Perdre ou gagner m’est une même chose,
Depuis qu’Amour mon esprit a changé.
Ce m’est tout un…

Allons, Amour, au plus fort de l’orage,
Que l’océan renverse tout sur moi.
J’aime bien mieux me perdre avec courage
En te suivant, que me perdre sans toi.
Ce m’est tout un…

Je ne veux plus qu’imiter la folie
De ce Jésus, qui sur la Croix un jour,
Pour son plaisir, perdit honneur et vie,
Délaissant tout pour sauver son Amour.
Ce m’est tout un que je vive ou je meure,
Il me suffit que l’Amour me demeure.

EVEIL DE L’ESPRIT À LA CONTEMPLATION DE DIEU – SAINT ANSELME DE CANTERBURY

20 novembre, 2014

http://www.vatican.va/spirit/documents/spirit_20000630_anselmo_fr.html

EVEIL DE L’ESPRIT À LA CONTEMPLATION DE DIEU

SAINT ANSELME DE CANTERBURY, ÉVÊQUE : PROSLOGION, 1.

« Et maintenant, homme de rien, fuis un moment tes occupations, cache-toi un peu de tes pensées tumultueuses. Rejette maintenant tes pesants soucis, et remets à plus tard tes tensions laborieuses. Vaque quelque peu à Dieu, et repose-toi quelque peu en Lui. Entre dans la cellule de ton âme, exclus tout hormis Dieu et ce qui t’aide à le chercher ; porte fermée, cherche-le. Dis maintenant, tout mon cœur, dis maintenant à Dieu : Je cherche ton visage, ton visage, Seigneur, je le recherche. Et maintenant, Toi Seigneur mon Dieu, enseigne à mon cœur où et comment Te chercher, où et comment Te trouver. Seigneur, si Tu n’es pas ici, où Te chercherai-je absent ? Et, si Tu es partout, pourquoi ne Te vois-je pas présent ? Mais certainement Tu habites la lumière inaccessible. Où est la lumière inaccessible ? Ou bien comment accéderai-je à la lumière inaccessible ? Ou qui me conduira et introduira en elle pour qu’en elle je Te voie ? Par quels signes enfin, par quelle face Te chercherai-je ? Je ne T’ai jamais vu, Seigneur mon Dieu, je ne connais pas ta face. Que fera, très haut Seigneur, que fera cet exilé, tien et éloigné ? Que fera ton serviteur, anxieux de ton amour et projeté loin de ta face. II s’essouffle pour Te voir, et ta face lui est par trop absente. Il désire accéder à Toi, et ton habitation est inaccessible. Il souhaite vivement Te trouver, et il ne sait ton lieu. Il se dispose à Te chercher, et il ignore ton visage. Seigneur, Tu es mon Dieu, Tu es mon Seigneur, et je ne T’ai jamais vu. Tu m’as fait et fait à nouveau, Tu m’as conféré tous mes biens, et je ne Te connais pas encore. Bref, j’ai été fait pour Te voir et je n’ai pas encore fait ce pour quoi j’ai été fait.
Seigneur, et je ne T’ai jamais vu. Tu m’as fait et fait à nouveau, Tu m’as conféré tous mes biens, et je ne Te connais pas encore. Bref, j’ai été fait pour Te voir et je n’ai pas encore fait ce pour quoi j’ai été fait. Et Toi, ô Seigneur, jusques à quand ? Jusques à quand, Seigneur, nous oublieras-Tu, jusques à quand détournes-Tu de nous ta face? Quand nous regarderas-Tu et nous exauceras-Tu? Quand illumineras-Tu nos yeux et nous montreras-Tu ta face? Quand Te rendras-Tu à nous? Regarde-nous, Seigneur, exauce-nous, illumine-nous, montre-toi à nous. Rends-toi à nous, que nous soyons bien, nous qui, sans Toi, sommes si mal. Aie pitié de nos labeurs et de nos efforts vers Toi, nous qui ne valons rien sans Toi.

Enseigne-moi à Te chercher, montre-toi à qui Te cherche, car je ne puis Te chercher si Tu ne m’enseignes, ni Te trouver si Tu ne te montres. Que je Te cherche en désirant, que je désire en cherchant. Que je trouve en aimant, que j’aime en trouvant. »

Prière:

Ô Dieu qui as inspiré à Saint Anselme un ardent désir de Te trouver dans la prière et la contemplation, au milieu de l’agitation de ses occupations quotidiennes, aide-nous à interrompre le rythme fébrile de nos occupations, entre les soucis et les inquiétudes de la vie moderne, pour parler avec Toi, notre unique espérance et salut. Nous te Le demandons par Jésus le Christ notre Seigneur.

Par l’Athénée Pontifical « Regina Apostolorum »

LE MAÎTRE JÉSUS

18 novembre, 2014

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LE MAÎTRE JÉSUS

« Magister vester unus est, Christus ». (Matth. ; XXIII, 11).

N’est-il pas remarquable qu’aux origines mêmes de l’Église, les Apôtres durent mettre les premiers chrétiens en garde contre des doctrines qui tendaient déjà à pervertir l’enseignement du Christ et à opposer à la révélation du Maître de Nazareth une
prétendue tradition, dont la source et les principes demeuraient occultes ? « Prenez garde, écrit Saint Paul aux Colossiens, que personne ne vous séduise par la philosophie et une vaine tromperie, selon la tradition des hommes, selon les rudiments du monde
et non selon le Christ. » (Coloss. II. 8). A son fidèle Timothée, il recommande surtout de « garder le dépôt, évitant les nouveautés profanes de langage et les controverses d’une science qui ne mérite pas ce nom. C’est pour en avoir fait profession, que quelques-uns ont erré dans la foi. » (I Tim., VI, 20-21).
L’Apôtre Jean adresse à ses frères dans le Christ les mêmes avertissements : « quiconque s’éloigne et ne demeure pas dans la doctrine du Christ, n’a point Dieu, celui qui demeure dans cette doctrine a le Père et le Fils. Si quelqu’un vient à vous et n’apporte pas cette doctrine, ne le recevez dans votre maison. » (II. Jean, 9-10). Jésus n’avait-il pas déjà dit aux juifs qui l’entouraient : « vous n’avez qu’un Maître, le Christ » ? (Matth., XXIII, 11). « L’onction que vous avez reçue de Lui, conclut l’apôtre Jean, demeure en vous et vous n’avez pas besoin que personne vous enseigne ; mais, comme son onction vous enseigne sur toutes choses, cet enseignement est véritable et n’est point un mensonge ; et, selon qu’elle vous a enseignés, demeurez en Lui. » (I. Jean, II, 27).
Puisque nous autres, Chrétiens d’Occident, nous n’avons pas d’autre Maître que Jésus, qui est le Christ, essayons en quelques pages de fixer les principaux traits de son enseignement.
A la première tentation du démon dans le désert, Jésus, conduit par l’Esprit, oppose cette phrase de l’Écriture : «L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » (Matth. IV, 4 ; Deut., VIII, 3). C’est cette parole de Dieu que Jésus déclare être venu apporter aux hommes sur la terre, afin qu’ils ne périssent point, mais qu’ils aient la vie éternelle. Sans doute, ils ont Moïse et les Prophètes ; mais « la Loi et les Prophètes vont jusqu’à Jean-le-Baptiste ; depuis Jean, le Royaume de Dieu est annoncé. » (Luc., XVI, 16). Jésus est envoyé par le Père pour annoncer le Royaume, de sorte que, « si la Loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont. venus par Jésus-Christ ». (Jean, I. 17). Il est « la Voie, la Vérité, la Vie » (Jean, XIV, 6) et « quiconque n’amasse pas avec lui dissipe. » (Luc., XI 23).
Est-ce à dire que la Loi et les Prophètes sont désormais périmés ? « Ne pensez pas, dit Jésus, que je sois venu abolir la Loi et les Prophètes ; je ne suis pas venu les abolir, mais les accomplir. » (Matth., V, 17). Il est Celui qui a été annoncé par les Prophètes et qui doit parfaire l’Oeuvre du grand Législateur. Ne suffit-il pas de scruter les Écritures pour reconnaître en lui la figure du juste souffrant, qui doit racheter les péchés de son peuple ? Aux deux disciples qui l’accompagnent sur le chemin d’Emmaüs il expliquera, « en commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes », tout ce qui, dans les Écritures, le concernait (Luc., XXIV, 27). Aussi aux Pharisiens qui lui reprochent de tromper le peuple, il réplique : « ne pensez pas que ce soit moi qui vous accuserait devant le Père ; votre accusateur, c’est Moïse en qui vous avez mis votre espérance. Car, si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi, parce qu’il a parlé de moi. Mais, si vous ne croyez pas à ses écrits, comment croiriez-vous a mes paroles ? » (Jean, V, 45-47). « Vous scrutez les Écritures, leur dit-il encore, parce que vous pensez trouver en elles la vie éternelle ; or ce sont elles qui rendent témoignage de moi. » (Jean, V, 39).
Et, parce qu’il est venu parmi les hommes, c’est en lui seulement qu’il faut croire maintenant pour posséder la vie éternelle. Moïse ne vous a pas donné le pain du Ciel, crie-t-il aux juifs. ; c’est mon Père qui vous donne le vrai pain du Ciel. » (Jean, VI, 32). Il est ce vrai pain du Ciel, le « pain de vie » : quiconque mangera de ce pain n’aura plus jamais faim et il ne mourra pas, comme sont morts les juifs qui avaient mangé la manne dans le désert : « travaillez donc, non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui demeure pour la vie éternelle et que le Fils de l’homme vous donnera. Car c’est lui que le Père a marqué d’un sceau ». Ils lui dirent : « Que devons-nous faire pour faire les Oeuvres de Dieu ? » Jésus répondit : « L’Oeuvre que Dieu demande, c’est que vous croyiez en Celui qu’il a envoyé. » (Jean, VI, 27-29).

II Parce que « celui que Dieu a envoyé dit les paroles de Dieu » (Jean, III, 34), son enseignement s’impose avec une autorité qui porte en elle-même sa propre certitude et exige l’assentiment dans la foi et l’humilité : « le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas » (Marc, XII, 31). On comprend l’étonnement de ses contemporains, lorsqu’ils l’entendirent pour la première fois prêcher dans leurs synagogues « quand le Sabbat fut venu, il se mit à enseigner dans la synagogue et beaucoup de ceux qui l’entendaient, admirant sa doctrine, disaient d’où lui viennent toutes ces choses ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée et d’où vient que de telles merveilles se font par ses mains ? N’est-ce pas le charpentier, le fils de Marie ? » (Marc, VI, 2-3). Car « il les enseignait comme ayant autorité, et non comme leurs scribes et leurs pharisiens. » (Matt., VII, 29).
Ses ennemis, assurément, ne manqueront pas l’occasion qui leur est offerte au Temple, de lui demander ses titres. « Un de ces jours-là, comme Jésus enseignait le peuple dans le Temple et qu’il annonçait la bonne nouvelle, les Princes des prêtres et les Scribes survinrent avec les Anciens et lui dirent : Dites-nous par quelle autorité vous faites ces choses ou qui vous en a donné le droit ? » (Luc., XX, 1). Mais à la question que leur pose à son tour Jésus sur le baptême de Jean ils n’osent pas répondre et se retirent.
A l’égard des juifs qui l’écoutent avec sympathie ou docilité, Jésus est moins réservé et il soulève un des voiles qui cache le mystère de son origine. « On était déjà au milieu de la fête (des Tabernacles), lorsque Jésus monta au Temple et il se mit à enseigner. Les juifs étonnés disaient : « Comment connaît-il les Écritures, lui qui n’a pas fréquenté les écoles ? » Jésus leur répondit : « Ma doctrine n’est pas de moi, mais de Celui qui m’a envoyé. Si quelqu’un veut faire la volonté de Dieu, il connaîtra si ma doctrine est de Dieu ou si je parle de moi-même » (Jean, VII, .14-17). De même qu’il n’est pas venu sur la terre pour accomplir sa volonté, mais celle de son Père, il n’est pas venu pour parler en son nom, mais seulement pour « dire ce que son Père lui a enseigné » (Jean, VII, 28) ; de sorte que celui qui écoute sa parole et croit à celui qui l’a envoyé, est passé de la mort à la vie et n’encourt pas la condamnation. (Jean, V, 24) : quiconque rejette le message de Jésus n’a donc pas Dieu en lui, puisqu’il refuse de croire en Celui que Dieu a envoyé ; et celui-là est déjà jugé.

III L’enseignement du Maître Jésus présente en effet ce caractère particulier de n’être point un enseignement purement spéculatif ou théorique, mais de constituer un jugement : « Celui qui croit en lui n’est pas condamné, mais celui qui ne croit pas est déjà condamné, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. Et voici la cause de cette condamnation : la lumière est venue dans ce monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce que leurs Oeuvres étaient mauvaises. » (Jean,III, 18-19).
Non point que le Christ soit venu pour juger le monde ; il est venu pour le sauver, et c’est pourquoi il appelle à lui tous les hommes de bonne volonté : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive. Celui qui croit en moi, de son sein, comme dit l’Écriture, couleront des fleuves d’eau vive. » (Jean, VII, 38). Mais celui qui écoute la parole de Dieu n’est-il pas déjà de Dieu ? Mépriser l’envoyé de Dieu, c’est aussi mépriser celui qui l’a envoyé. «Celui qui croit en moi, dit Jésus, croit, non pas en moi, mais en Celui qui m’a envoyé ; car celui qui me voit, voit celui qui m’a envoyé. je suis venu dans le monde comme une lumière, afin qu’aucun de ceux qui croient en moi ne demeure dans les ténèbres. Si quelqu’un entend ma parole et ne la garde pas, moi, je ne le juge pas ; car je suis venu, non pour juger le Monde, niais pour sauver le monde. Celui qui me méprise et ne reçoit pas ma parole a son juge : c’est la parole même que j’ai annoncée ; elle le jugera au dernier jour, car je n’ai point parlé de moi-même ; mais le Père, qui m’a envoyé m’a prescrit lui-même ce que je dois dire et ce que je dois enseigner. Et je sais que son commandement est la vie éternelle. Les choses donc que je dis, je les dis comme mon Père me les a enseignées » (Jean, XII, 44-50).
Parce que la parole qu’il enseigne n’est pas de lui, mais du Père qui l’a envoyé, les juifs sont sans excuse de rejeter son témoignage. Sommes-nous des aveugles,? » répliquent-ils si vous étiez aveugles, leur répond Jésus, vous n’auriez point de péché mais maintenant vous dites : Nous voyons; votre péché demeure. » (Jean, IX, 41). Mais aussi pour entendre et garder la parole du Maître ne suffit-il pas de l’écouter : « celui qui ne m’aime pas ne gardera ma parole… si quelqu’un m’aime, c’est celui-là qui gardera ma parole » (Jean, XV, 23-24). Qui ne connaît la parabole de la semence ? Des auditeurs, les uns entendent la parole, « mais le démon vient et l’enlève de leur coeur, de peur qu’ils ne croient et ne soient sauvés » ; les autres ont reçu la parole avec joie, « mais ils n’ont point de racine : ils croient pour un temps et ils succombent à l’heure de la tentation. » Ceux-ci, après avoir entendu la parole, « s’en vont et la laissent étouffer par les soucis, les richesses, les plaisirs de la vie, et ils ne portent point de fruits. » Ceux-là, enfin, « ont entendu la parole avec un coeur bon et excellent, ils la gardent et portent du fruit avec persévérance » (Luc., VIII, 9 et suiv. ; cf. Matth.,XIII, 18 et suiv. ; Marc., IV, 10 et suiv.).
Garder la parole c’est donc « porter du fruit » ; et le Maître compare celui qui, ayant entendu la parole, la met en pratique « à un homme sage qui a bâti sa maison sur la pierre. La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont déchaînés contre cette maison, et elle n’a pas été renversée, car elle était fondée sur la pierre. Mais quiconque entend les paroles que je dis et ne les met pas en pratique, est semblable à un insensé qui a bâti sa maison sur le sable. La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et ont battu cette maison, et elle a été renversée et grande a été sa ruine. » (Matth., VII, 24-28, cf. Luc., VI, 47-49).

IV Si le sens général de l’enseignement qu’est venu apporter Jésus ne pouvait laisser place à aucune équivoque, puisqu’il s’agissait expressément de fonder sur cet enseignement un mode de vie, une pratique spirituelle qui assurât aux fidèles la possession de la vie éternelle, il n’est pas douteux cependant que le Maître « enseignait par diverses paraboles, selon que les auditeurs étaient capables de l’entendre. » (Marc, IV, 33). Et il semble qu’aux Apôtres seuls il ait été donné de connaître « le mystère du Royaume de Dieu » (Marc, IV, 10). On a conclu qu’il fallait distinguer, dans l’enseignement de Jésus, une partie ésotérique réservée au cercle étroit de ses familiers et une partie exotérique destinée à ceux « qui sont dehors ».
Il y a pourtant contre cette interprétation, des textes de l’Évangile qui paraissent tout à fait formels. Non seulement, dans une circonstance solennelle de sa vie, lorsque le Grand-Prêtre l’interroge sur sa doctrine, Jésus répond : « J’ai parlé ouvertement au monde ; j’ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le Temple, où tous les juifs s’assemblent, et je n’ai rien dit en secret. Pourquoi m’interroges-tu ? Demande à ceux qui m’ont entendu, ce que je leur ai dit, ils savent ce que j’ai enseigné. » (Jean, XVII, 20-21). Mais déjà, auparavant, il avait insisté sur le caractère public de son enseignement : « Apporte-t-on la lampe pour la mettre sous le boisseau ou sous le lit ? N’est-ce pas pour la mettre sur le chandelier ? Car il n’y a rien de caché qui ne doit être révélé, rien de secret qui ne doive venir au jour. » (Marc, IV, 21 -22 ; cf Luc, XI, 23).
Peut-être serait-il permis de reconnaître ici comme une allusion à des doctrines que les Docteurs de la Loi gardaient jalousement cachées, à ceux qu’ils considéraient comme étant « tout entiers dans le pêche ». Que signifie cette parole énigmatique de Jésus… à Nicodème à propos de la renaissance dans l’eau et l’Esprit Saint : « Tu es docteur en Israël et tu ignores ces choses » (Jean, III, 10). Et cette apostrophe aux mêmes Docteurs de la loi : « Malheur à vous, Docteurs de la Loi, parce que vous avez enlevé la clef de la science ; vous-mêmes n’êtes point entrés, et vous avez empêché ceux qui entraient. » (Luc. XI, 52). Si on allume la lampe et qu’on la met sur le chandelier, c’est afin que ceux qui entrent voient la lumière. « Pendant que je suis dans le monde, s’écrie Jésus, je suis la lumière du monde. » (Jean, IX, 5).
Mais, précisément, il faut « entrer » et non point « rester dehors », et à tous ceux qui frapperont » il est bien dit qu’on « ouvrira ». L’enseignement parabolique n’est donc qu’une méthode pédagogique qui a pour fin d’amener plus facilement les auditeurs à la compréhension de la grande Vérité que le Christ est venu apporter sur la terre pour le salut de tous les hommes. Nul n’est exclu que par sa faute du Royaume de Dieu : il suffit de croire pour être sauvé. C’est de la foi à la divinité de Jésus, et non point de l’adhésion à une doctrine secrète, à laquelle seuls quelques privilégiés auraient été initiés, que dépend notre destinée éternelle. Et la condition de cette foi, c’est justement, non point une pénétration de pensée qui est refusée à la plupart des hommes, mais au contraire une simplicité d’esprit qui veut que « quiconque ne recevra pas le Royaume de Dieu comme un petit enfant n’y entrera pas. » (Marc, X, 15 ; Luc, XVIII, 17).

V Est-ce à dire que le Maître de Nazareth nous ait enseigné toutes choses ? « Tout ce que j’ai entendu de mon Père, dit-il à ses Apôtres, je vous l’ai fait connaître ». (Jean, XV, 15). Il avait les paroles de la vie éternelle et jamais homme n’a parlé comme lui. Mais ce n’est pas en vain qu’à plusieurs reprises il a reproché aux disciples, qu’il avait pourtant choisis lui-même, leur lenteur à comprendre : « n’avez-vous donc encore ni sens ni intelligence ? Votre coeur est-il encore aveugle ? Avez-vous des yeux pour ne pas voir, des oreilles pour ne pas entendre ? Et n’avez-vous point de mémoire ? » (Marc, VIII, 17-18). Au moment même où il va se séparer d’eux, après la Cène, il doit reprendre Philippe pour sa sotte question « il y a longtemps que je suis avec vous, et vous ne m’avez point connu ? Philippe, celui qui me voit a vu aussi le Père. Comment peux-tu dire : montre-nous le Père .? » (Jean XIV, 9).
Il avait encore beaucoup de choses à dire, mais les siens ne pouvaient pas les porter ; et c’est pourquoi il leur annonce, l’envoi de l’Esprit-Saint, qui procède du Père et qui demeurera toujours avec eux : « Quand le consolateur, l’Esprit de vérité sera venu, il vous enseignera toute la vérité. Car il ne parlera pas de lui-même ; mais il dira tout ce qu’il aura entendu et il vous révélera les choses à venir. » (Jean, XVI, 12-13). La mission de l’Esprit-Saint achèvera et consommera la mission du Verbe incarné, quant à l’enseignement de l’humanité en marche vers son salut dans l’Église ; Mais cet Esprit glorifiera le Fils de Dieu, « parce que, dit Jésus, il prendra de ce qui est à moi et il vous l’annoncera. Tout ce que le Père a est à moi, C’est pourquoi j’ai dit qu’il prendra de ce qui est à moi et qu’il vous l’annoncera. » (Jean, XVI, 14-15). L’Esprit-Saint poursuivra son oeuvre dans la lumière du Verbe, et ce sont encore les paroles du Maître que nous entendrons dans l’effusion de l’Esprit.
*
Avec Marie, agenouillons-nous, aux pieds du Seigneur pour écouter sa voix, dans le silence et le recueillement de notre âme ; car « une seule chose est nécessaire, et Marie a choisi la bonne part, qui ne lui sera point enlevée. » (Luc., X, 42).
Gabriel HUAN.

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