Archive pour la catégorie 'SEMAINE SANTE'

PAPE FRANÇOIS – Catéchèse sur le « Notre Père »: 12. Pardonne-nous nos dettes – 10 aprile 2019

17 avril, 2019

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Jésus dans le jardin des oliviers

PAPE FRANÇOIS – Catéchèse sur le « Notre Père »: 12. Pardonne-nous nos dettes – 10 aprile 2019

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint-Pierre

Mercredi 10 avril 2019

Chers frères et sœurs, bonjour! La journée n’est pas très belle, mais bonjour quand même!
Après avoir demandé à Dieu notre pain quotidien, la prière du «Notre Père» entre dans le domaine de nos relations avec les autres. Et Jésus nous enseigne à demander au Père: «Remets-nous nos dettes comme nous-mêmes avons remis à nos débiteurs» (Mt 6, 12). (ndlr: dans le «Notre Père» en français: «Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés»). De même que nous avons besoin de pain, nous avons aussi besoin du pardon. Et cela, chaque jour.
Le chrétien qui prie demande tout d’abord à Dieu que ses dettes lui soient remises, c’est-à-dire ses péchés, les mauvaises choses qu’il fait. C’est la première vérité de chaque prière: même si nous étions des personnes parfaites, même si nous étions des saints transparents qui ne dévient jamais d’une vie de bien, nous restons toujours des enfants qui doivent tout à leur Père. Quelle est l’attitude la plus dangereuse de chaque vie chrétienne? C’est l’orgueil. C’est l’attitude de celui qui se place devant Dieu en pensant que ses comptes sont toujours en ordre avec Lui: l’orgueilleux croit qu’il a tout en ordre. Comme le pharisien de la parabole, qui dans le temple pense prier, mais qui en réalité se loue lui-même devant Dieu: «Je te remercie Seigneur, parce que je ne suis pas comme les autres». Et les gens qui se sentent parfaits, les gens qui critiquent les autres, sont des gens orgueilleux. Aucun d’entre nous n’est parfait, personne. Au contraire, le publicain qui était derrière, dans le temple, un pécheur méprisé par tous, s’arrête sur le seuil du temple, et ne se sent pas digne d’entrer, et il s’en remet à la miséricorde de Dieu. Et Jésus commente: «Ce dernier descendit chez lui justifié» (Lc 18, 14), c’est-à-dire pardonné, sauvé. Pourquoi? Parce qu’il n’était pas orgueilleux, parce qu’il reconnaissait ses limites et ses péchés.
Il y a des péchés que l’on voit et des péchés que l’on ne voit pas. Il y a des péchés éclatants qui font du bruit, mais il y a aussi des péchés insidieux, qui se nichent dans notre cœur sans même que nous nous en apercevions. Le pire de ceux-ci est l’orgueil, qui peut également contaminer les personnes qui vivent une vie religieuse intense. Il y avait autrefois un couvent de religieuses, dans les années 1600-1700, célèbre, à l’époque du jansénisme: elles étaient parfaites et on disait d’elles qu’elles étaient pures comme les anges, mais orgueilleuses comme les démons. Cela ne va pas. Le péché divise la fraternité, le péché nous fait penser être meilleurs que les autres, le péché nous fait croire que nous sommes semblables à Dieu.
En revanche, devant Dieu nous sommes tous pécheurs et nous avons des raisons de nous frapper la poitrine — tous! — comme ce publicain au temple. Saint Jean, dans sa première lettre, écrit: «Si nous disons: “Nous n’avons pas de péché”, nous nous abusons, la vérité n’est pas en nous» (1 Jn 1, 8). Si tu veux te tromper toi-même, dis que tu n’as pas péché: de cette manière, tu te fourvoies.
Nous sommes débiteurs, tout d’abord parce que dans cette vie nous avons beaucoup reçu: l’existence, un père et une mère, l’amitié, les merveilles de la création… Même s’il nous arrive à tous de passer des journées difficiles, nous devons toujours nous rappeler que la vie est une grâce, elle est le miracle que Dieu a extrait du néant.
En deuxième lieu, nous sommes débiteurs parce que, même si nous réussissons à aimer, personne d’entre nous n’est capable de le faire avec ses seules forces. Le véritable amour est quand nous pouvons aimer, mais avec la grâce de Dieu. Personne d’entre nous ne brille de sa propre lumière. Il y a ce que les anciens théologiens appelaient un «mysterium lunae» non seulement dans l’identité de l’Eglise, mais également dans l’histoire de chacun de nous. Que signifie ce «mysterium lunae»? Qu’il est comme la lune, qu’il n’a pas de lumière propre: il reflète la lumière du soleil. Nous aussi, nous n’avons pas de lumière propre: la lumière que nous avons est un reflet de la grâce de Dieu, de la lumière de Dieu. Si tu aimes c’est parce que quelqu’un, en dehors de toi, t’a souri quand tu étais enfant, en t’enseignant à répondre par un sourire. Si tu aimes, c’est parce que quelqu’un à côté de toi t’a éveillé à l’amour, en te faisant comprendre que le sens de l’existence réside dans celui-ci.
Essayons d’écouter l’histoire de quelqu’un qui a fait des erreurs: un détenu, un condamné, un drogué… nous connaissons tant de gens qui font des erreurs dans la vie. Malgré la responsabilité, qui est toujours personnelle, on se demande parfois qui doit être accusé de ses erreurs, si c’est uniquement sa conscience, ou l’histoire de haine et d’abandon qu’une personne porte avec elle.
Et cela est le mystère de la lune: nous aimons, tout d’abord parce que nous avons été aimés, nous pardonnons, parce que nous avons été pardonnés. Et si quelqu’un n’a pas été illuminé par la lumière du soleil, il devient glacé comme un terrain en hiver.
Comment ne pas reconnaître, dans la chaîne d’amour qui nous précède, également la présence providentielle de l’amour de Dieu? Personne d’entre nous n’aime Dieu autant qu’Il nous a aimés. Il suffit de se placer devant un crucifix pour saisir la disproportion: Il nous a aimés et nous aime toujours en premier.

Prions donc: Seigneur, même le plus saint parmi nous ne cesse d’être ton débiteur. O Père, aie pitié de nous tous!

MESSE IN COENA DOMINI – HOMÉLIE DU SAINT PÈRE JEAN PAUL II (2000)

16 avril, 2019

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La dernière cène – Notre-Dame de Paris (souhaite à vous tous avec affection et douleur)

MESSE IN COENA DOMINI – HOMÉLIE DU SAINT PÈRE JEAN PAUL II (2000)

Jeudi Saint, 20 avril 2000

. « J’ai ardemment désiré manger cette pâque avec vous avant de souffrir » ( Lc 22, 15).

Le Christ fait connaître, à travers ces paroles, la signification prophétique de la Cène pascale, qu’il s’apprête à célébrer avec les disciples dans le Cénacle de Jérusalem.
Avec la première lecture, tirée du Livre de l’Exode, la Liturgie a mis en lumière la façon dont la Pâque de Jésus s’inscrivait dans le cadre de celle de l’Ancienne Alliance. A travers elle, les Israélites faisaient mémoire du repas consommé par leurs pères, au moment de l’exode d’Egypte, de la libération de l’esclavage. Le texte sacré prescrivait qu’un peu du sang de l’agneau devait être répandu sur les deux montants et le linteau des portes des maisons. Et il expliquait également la façon dont l’agneau devait être mangé, c’est-à-dire: « [vos] reins ceints, [vos] sandales aux pieds et [votre] bâton en main [...] en toute hâte [...] Cette nuit-là je parcourrai l’Egypte et je frapperai tous les premiers-nés [...] Le sang sera pour vous un signe sur les maisons où vous vous tenez. En voyant ce signe, je passerai outre et vous échapperez au fléau destructeur » ( Ex 12, 11-13).
Le sang de l’agneau obtint aux fils et aux filles d’Israël la libération de l’esclavage d’Egypte, sous la conduite de Moïse. Le souvenir d’un événement aussi extraordinaire devint une occasion de fête pour le peuple, reconnaissant au Seigneur pour la liberté recouvrée, don divin et engagement humain toujours actuel: « Ce jour-là, vous en ferez mémoire et vous le fêterez comme une fête pour Yahvé » (ibid., 12, 14). C’est la Pâque du Seigneur! La Pâque de l’Ancienne Alliance!
2. « J’ai ardemment désiré manger cette pâque avec vous avant de souffrir » (Lc 22, 15). Dans le Cénacle, le Christ, obéissant aux prescriptions de l’Ancienne Alliance, consomme le repas pascal avec les Apôtres, mais emplit ce rite d’un nouveau contenu. Nous avons entendu comment saint Paul en parle dans la deuxième lecture, tirée de la première Epître aux Corinthiens. Dans ce texte, considéré comme la plus ancienne description de la Cène du Seigneur, on rappelle que Jésus, « la nuit où il était livré, prit du pain et, après avoir rendu grâce, le rompit et dit: « Ceci est mon corps, qui est pour vous; faites ceci en mémoire de moi ». De même, après le repas, il prit la coupe, en disant: « Cette coupe est la nouvelle Alliance de mon sang; chaque fois que vous en boirez, faites-le en mémoire de moi ». Chaque fois en effet que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne » (cf. 1 Co 11, 23-26).
Il s’agit de paroles solennelles dans lesquelles est placée pour les siècles la mémoire de l’institution de l’Eucharistie. Chaque année, en ce jour, nous les rappelons en retournant en esprit au Cénacle. Avec une émotion particulière, je les revis ce soir, parce que je conserve dans les yeux et dans le coeur les images du Cénacle, où j’ai eu la joie de célébrer l’Eucharistie, à l’occasion de mon récent pèlerinage jubilaire en Terre Sainte. L’émotion devient encore plus forte, car cette année est l’année du Jubilé bimillénaire de l’Incarnation. Dans cette perspective, la célébration que nous vivons acquiert une profondeur particulière. Au Cénacle, en effet, Jésus apporta un nouveau contenu aux anciennes traditions et anticipa les événements du jour suivant, lorsque son Corps, corps immaculé de l’Agneau de Dieu, allait être sacrifié et son Sang versé pour la rédemption du monde. L’Incarnation avait eu lieu en vue précisément de cet événement, en vue de la Pâque du Christ, de la Pâque de la Nouvelle Alliance!
3. Chaque fois [...] que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne » (1 Co 11, 26). L’Apôtre nous exhorte à faire constamment mémoire de ce mystère. Dans le même temps, il nous invite à vivre chaque jour notre mission de témoins et d’annonciateurs de l’amour du Crucifié, dans l’attente de son glorieux retour.
Mais comment faire mémoire de cet événement salvifique? Comment vivre dans l’attente que le Christ revienne? Avant d’instituer le Sacrement de son Corps et de son Sang, le Christ, courbé et à genoux, dans l’attitude de l’esclave, lave les pieds des disciples au Cénacle. Nous le revoyons tandis qu’il accomplit cet acte, qui dans la culture hébraïque est propre aux serviteurs et aux personnes les plus humbles de la famille. Tout d’abord, Pierre se refuse, mais le Maître le convainc, et lui aussi se laisse enfin laver les pieds avec les autres disciples. Immédiatement après, cependant, ayant revêtu ses habits et de nouveau assis à table, Jésus explique le sens de son geste: « Vous m’appelez Maître et Seigneur, et vous dites bien, car je le suis. Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres » (Jn 13, 12-14). Ce sont des paroles qui, liant le mystère eucharistique au service de l’amour, peuvent être considérées comme préparatoires à l’institution du Sacerdoce ministériel.
Avec l’institution de l’Eucharistie, Jésus communique aux Apôtres la participation ministérielle à son sacerdoce, le sacerdoce de l’Alliance nouvelle et éternelle, en vertu de laquelle Lui, et Lui seul, est toujours et partout instrument et ministre de l’Eucharistie. Les Apôtres sont faits, à leur tour, ministres de ce mystère suprême de la foi, destiné à se perpétuer jusqu’à la fin du monde. Dans le même temps, ils deviennent serviteurs de tous ceux qui prendront part à un si grand don et mystère.
L’Eucharistie, le Sacrement suprême de l’Eglise, est unie au sacerdoce ministériel né lui aussi au Cénacle, comme don du grand amour de celui qui « sachant que son heure était venue de passer de ce monde vers le Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à la fin » (Jn 13, 1).
L’Eucharistie, le sacerdoce et le nouveau commandement de l’amour! Tel est le mémorial vivant que nous contemplons dans le Jeudi saint.
« Faites ceci en mémoire de moi »: telle est la Pâque de l’Eglise! Notre Pâque!

 

BENOÎT XVI – Triduum de Pâques (2008)

15 avril, 2019

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Botero, chute de Jésus

BENOÎT XVI – Triduum de Pâques (2008)

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 8 avril 2009

Chers frères et sœurs,

La Semaine Sainte, qui pour nous chrétiens est la semaine la plus importante de l’année, nous offre l’opportunité de nous plonger dans les événements centraux de la Rédemption, de revivre le Mystère pascal, le grand Mystère de la foi. A partir de demain après-midi, avec la Messe in Coena Domini, les rites liturgiques solennels nous aideront à méditer de manière plus vive la passion, la mort et la résurrection du Seigneur pendant les jours du saint Triduum pascal, foyer de toute l’année liturgique. Puisse la grâce divine ouvrir nos cœurs à la compréhension du don inestimable qu’est le salut que nous a obtenu le sacrifice du Christ. Ce don immense, nous le trouvons merveilleusement raconté dans un célèbre hymne contenu dans la Lettre aux Philippiens (cf. 2, 6-11), que nous avons plusieurs fois médité au cours du Carême. L’Apôtre reparcourt de manière à la fois essentielle et efficace, tout le mystère de l’histoire du salut, évoquant l’orgueil d’Adam qui, bien que n’étant pas Dieu, voulait être comme Dieu. Et il oppose cet orgueil du premier homme, que nous ressentons tous un peu au fond de nous, à l’humilité du vrai Fils de Dieu qui, en devenant homme, n’hésita pas à prendre sur lui toutes les faiblesses de l’être humain, à l’exception du péché, et alla jusqu’aux profondeurs de la mort. A cette descente dans l’ultime profondeur de la passion et de la mort suit son exaltation, la vraie gloire, la gloire de l’amour qui est allé jusqu’au bout. Et c’est pourquoi il est juste – comme le dit Paul – que « tout, au nom de Jésus, s’agenouille au plus haut des cieux, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue proclame de Jésus Christ qu’il est le Seigneur » (2, 10-11). Saint Paul fait allusion par ces mots à une prophétie d’Isaïe où Dieu dit: Je suis le Seigneur, que tout s’agenouille devant moi au plus haut des cieux et sur la terre (cf. Is 45, 23). Cela – dit Paul – vaut pour Jésus Christ. Lui réellement, dans son humilité, dans la vraie grandeur de son amour, est le Seigneur du monde et devant lui réellement tout s’agenouille.
Combien ce mystère est à la fois merveilleux et surprenant! Nous ne méditons jamais suffisamment cette réalité. Jésus, tout en étant Dieu, ne voulut pas faire de ses prérogatives divines une possession exclusive; il ne voulut pas faire usage du fait d’être Dieu, de sa dignité glorieuse et de sa puissance, comme instrument de triomphe et signe de distance par rapport à nous. Au contraire, « il se vida lui-même » en assumant la misérable et faible condition humaine – Paul utilise à cet égard un verbe grec très fort pour indiquer la kénosis, cette descente de Jésus. La forme (morphé) divine se cacha en Christ sous la forme humaine, c’est-à-dire sous notre réalité marquée par la souffrance, par la pauvreté, par nos limites humaines et par la mort. Le partage radical et vrai de notre nature, partage en toute chose à l’exception du péché, le conduisit jusqu’à cette frontière qui est le signe de notre finitude, la mort. Mais tout cela n’a pas été le fruit d’un mécanisme obscur ou d’une aveugle fatalité: ce fut plutôt son libre choix, par adhésion généreuse au dessein salvifique du Père. Et la mort au devant de laquelle il alla – ajoute l’apôtre – fut celle de la croix, la plus humiliante et dégradante que l’on puisse imaginer. Tout cela le Seigneur de l’univers l’a accompli par amour pour nous: par amour il a voulu « se vider lui-même » et se faire notre frère; par amour il a partagé notre condition, celle de tout homme et de toute femme. Un grand témoin de la tradition orientale, Théodoret de Cyr, écrit à ce propos: « Etant Dieu et Dieu par nature et ayant l’égalité avec Dieu, il n’a pas estimé que ce fût quelque chose de grand, comme le font ceux qui ont reçu quelque honneur supérieur à leurs mérites, mais cachant ses mérites, il a choisi l’humilité la plus profonde et il a pris la forme d’un être humain » (Commentaire à l’épître aux Philippiens, 2, 6-7).
Prélude au Triduum pascal, qui commencera demain – comme je le disais – avec les rites suggestifs de l’après-midi du Jeudi saint, la Messe chrismale solennelle est célébrée dans la matinée par l’évêque avec son presbyterium, et au cours de celle-ci sont renouvelées ensemble les promesses sacerdotales prononcées le jour de l’Ordination. C’est un geste d’une grande valeur, une occasion plus que jamais propice où les prêtres réaffirment leur fidélité au Christ qui les a choisis comme ses ministres. Cette rencontre sacerdotale prend en outre une signification particulière, parce qu’elle est en quelque sorte une préparation à l’Année sacerdotale, que j’ai souhaitée à l’occasion du 150 anniversaire de la mort du saint Curé d’Ars et qui débutera le 19 juin prochain. Toujours au cours de la Messe chrismale seront bénites l’huile des malades et l’huile des catéchumènes, et sera consacré le Chrême. Ce sont des rites à travers lesquels sont symbolisées la plénitude du sacerdoce du Christ et celle de la communion ecclésiale qui doit animer le peuple chrétien, réuni pour le sacrifice eucharistique et vivifié dans l’unité par le don de l’Esprit Saint.
Dans la Messe de l’après-midi, appelée in Coeni Domini, l’Eglise commémore l’institution de l’Eucharistie, le sacerdoce ministériel et le commandement nouveau de la charité, laissé par Jésus à ses disciples. Saint Paul offre l’un des témoignages les plus antiques de ce qui est survenu dans le Cénacle, la veille de la passion du Seigneur: « La nuit même où il était livré, le Seigneur Jésus – écrit-il, au début de l’an cinquante, se fondant sur un texte qu’il avait reçu du cercle du Seigneur lui-même – prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit: « Ceci est mon corps qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi ». Après le repas, il fit de même avec la coupe, en disant: « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi »" (1 Co 11, 23-25). Des paroles chargées de mystère, qui manifestent avec clarté la volonté du Christ: sous les espèces du pain et du vin, Il se rend présent avec son Corps donné et avec son sang versé. C’est le sacrifice de l’alliance nouvelle et définitive offerte à tous, sans distinction de race et de culture. Et de ce rite sacramentel, qu’il remet à l’Eglise comme preuve suprême de son amour, Jésus constitue ministres ses disciples et tous ceux qui poursuivront son ministère au cours des siècles. Le Jeudi saint constitue donc une invitation renouvelée à rendre grâce à Dieu pour le don suprême de l’Eucharistie, qu’il faut accueillir avec dévotion et adorer avec une foi vivante. Pour cela, l’Eglise encourage, après la célébration de la Messe, à veiller en présence du Très Saint Sacrement, en rappelant l’heure triste que Jésus passa dans la solitude et la prière au Gethsémani, avant d’être arrêté et d’être ensuite condamné à mort.
Nous arrivons ainsi au Vendredi saint, jour de la Passion et de la crucifixion du Seigneur. Chaque année, en nous tenant en silence devant Jésus cloué au bois de la croix, nous ressentons combien les paroles qu’Il a prononcées la veille, au cours de la Dernière Cène, sont pleines d’amour. « Ceci est mon sang de l’Alliance, répandu pour la multitude » (cf. Mc 14, 24). Jésus a voulu offrir sa vie en sacrifice pour la rémission des péchés et de l’humanité. Comme devant l’Eucharistie, ainsi, devant la passion et la mort de Jésus sur la Croix, le mystère devient insondable pour la raison. Nous nous trouvons face à quelque chose qui humainement, pourrait paraître absurde: un Dieu qui non seulement se fait homme, avec tous les besoins de l’homme, non seulement souffre pour sauver l’homme en se chargeant de toute la tragédie de l’humanité, mais qui meurt pour l’homme.
La mort du Christ rappelle l’accumulation de douleurs et de maux qui pèsent sur l’humanité de tout temps: le poids écrasant de notre mort, la haine et la violence qui aujourd’hui encore, ensanglantent la terre. La passion du Seigneur se poursuit dans la souffrance des hommes. Comme l’écrit à juste titre Blaise Pascal: « Jésus sera à l’agonie jusqu’à la fin du monde, il ne faut pas dormir pendant ce temps » (Pensées, 553). Si le Vendredi saint est un jour plein de tristesse, il est donc dans le même temps un jour plus que jamais propice pour restaurer notre foi, renforcer notre espérance et le courage de porter chacun notre croix avec humilité, confiance et abandon en Dieu, assurés de son soutien et de sa victoire. La liturgie de ce jour chante: O Crux, ave, spes unica – « Salut, ô croix, unique espérance! ».
Cette espérance s’alimente dans le grand silence du Samedi saint, dans l’attente de la Résurrection de Jésus. En ce jour, les Eglises sont dépouillées et aucun rite liturgique particulier n’est prévu. L’Eglise veille en prière comme Marie et avec Marie, en partageant les mêmes sentiments de douleur et de confiance en Dieu. On recommande à juste titre de demeurer au cours de toute la journée dans un climat de prière, favorable à la méditation et à la réconciliation; on encourage les fidèles à avoir recours au sacrement de la Pénitence, pour pouvoir participer réellement renouvelés aux fêtes de Pâques.
Le recueillement et le silence du Samedi saint nous conduiront dans la nuit à la Veillée pascale solennelle, « mère de toutes les veillées », lorsque s’élèvera dans toutes les églises et communautés le chant de la joie pour la résurrection du Christ. Une fois de plus, la victoire de la lumière sur les ténèbres, de la vie sur la mort, sera proclamée, et l’Eglise se réjouira dans la rencontre avec son Seigneur. Nous entrerons ainsi dans le climat de la Pâque de Résurrection.
Chers frères et sœurs, préparons-nous à vivre intensément le Saint Triduum, pour participer toujours plus profondément au Mystère du Christ. La Sainte Vierge nous accompagne sur cet itinéraire, elle qui a suivi en silence le Fils Jésus jusqu’au Calvaire, en prenant part avec une grande peine à son sacrifice, coopérant ainsi au mystère de la Rédemption et devenant Mère de tous les croyants (cf. Jn 19, 25-27). Avec elle, nous entrerons dans le Cénacle, nous demeurerons au pied de la Croix, nous veillerons idéalement auprès du Christ mort en attendant avec espérance l’aube du jour radieux de la résurrection. Dans cette perspective, je forme dès à présent à votre égard les vœux les plus cordiaux pour une heureuse et sainte Pâque, avec vos familles, vos paroisses et vos communautés.

 

HOMÉLIE POUR LE DIMANCHE DES RAMEAUX ET DE LA PASSION DU SEIGNEUR ANNÉE C « IL S’EST ABAISSÉ, DEVENANT OBÉISSANT JUSQU’À LA MORT »

12 avril, 2019

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HOMÉLIE POUR LE DIMANCHE DES RAMEAUX ET DE LA PASSION DU SEIGNEUR ANNÉE C « IL S’EST ABAISSÉ, DEVENANT OBÉISSANT JUSQU’À LA MORT »

Textes: Luc 19, 28-40, Isaïe 50, 4-7, Philippiens 2 6-11 et Luc 22, 14 – 23, 56.

La jonction du récit de l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem avec le récit détaillé de sa Passion est une introduction bien choisie pour la Semaine Sainte, la Grand Semaine, que nous nous apprêtons à vivre. Il nous sera donné non seulement de méditer sur les derniers jours de Jésus, mais surtout de le suivre pas à pas notamment le Jeudi-Saint qui nous rappellera son dernier repas, la Cène, et le lavement des pieds, puis le Vendredi-Saint qui commémorera sa mort et enfin sa Résurrection qui sera célébrée dans la Vigile pascale et pendant tout le temps de Pâques.
I – Les mystères de la vie du Christ
Les actions, les gestes du Christ sont communément appelés les mystères de la vie du Christ non parce qu’il sont incompréhensibles, mais parce qu’ils sont remplis d’une puissance et d’une énergie qui dépassent les limites du temps et de l’espace à cause de la nature divine qui est en Jésus.
Les mystères de la vie du Christ que le cardinal de Bérulle appelait les « états intérieurs du Verbe Incarné » ( pour lire un résumé de la spiritualité bérullienne cliquez ici ) sont les actes, les gestes et les attitudes de celui qui est parfaitement homme, et, en même temps, parfaitement Dieu. Ce qui fait que les actions, les gestes de Jésus échappent ainsi par la puissance de Dieu à nos limites humaines. Par la grâce de Dieu, ce qu’il vit continue de vivre éternellement. C’est pourquoi, le souvenir de ce que Jésus a vécu, même dans le détail, est si important pour les personnes qui croient au Christ. Nous ne méditerons jamais assez le déroulement de sa vie et de ses enseignements. Ils sont toujours actuels.
Ses derniers jours revêtent une importance particulière non seulement parce qu’ils sont les derniers, mais surtout parce qu’ils marquent que son Heure, comme le dit saint Jean, est arrivée. Son histoire de vie prendra un tour inattendu pour ses disciples. Lui s’y sentira à l’aise car c’est ainsi qu’il manifestera son obéissance à Dieu qui l’a choisi comme celui qui porte les péchés du monde. Cette obéissance totale remplie d’amour en fait le Sauveur qui réconcilie le monde avec Dieu, qui rétablit les relations avec Dieu et les uns avec les autres.
II – Le salut en Jésus
C’est une richesse propre au christianisme que cette assurance d’un salut « au-delà de ma petite personne qui tend à réconcilier l’aventure humaine avec elle-même et avec Dieu » (Frère Dominique Motte o.p. du Couvent de Lille en France dans Carême dans la ville 2019 le 3 avril 2019). Ce salut nous est donné en Jésus-Christ qui l’obtient par sa mort sur la Croix et son Sang répandu. Sa résurrection, le troisième jour, l’établit fermement et pour toujours comme Seigneur à la gloire de Dieu le Père et Seigneur de nos vies.
C’est ce que proclame saint Paul dans ce bel hymne de la Lettre aux Philippiens que nous avons comme deuxième lecture : « Il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers ».
C’est avec cet arrière-fond que nous entrons dans cette nouvelle Semaine Sainte, car les mystères de la vie du Christ sont toujours actifs et remplis de grâces pour ceux et celles qui s’y unissent avec cœur et avec foi.

III – Les Rameaux
L’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem est célébrée dans la liturgie d’aujourd’hui par une procession qui rappelle cet évènement et par la bénédiction des rameaux ou palmes portées par les participants et les participantes. Ces rameaux sont conservés par plusieurs personnes tout au long de l’année. Ils en disposent en les mettant au mur, par exemple, et en les tressant parfois.
Ces signes sont des rappels que l’abaissement de Jésus dans sa Passion n’est pas une défaite, mais un triomphe sur les forces du mal. Ce triomphe de Jésus ne se réalise pas à la façon des triomphes humains comme ceux des Oscars ou des Molières. Il réside dans l’abandon à la volonté de Dieu qui fait de lui le Serviteur de ses frères et sœurs pour les amener avec lui près du Père.
Il s’agit d’un renversement des perspectives habituelles comme dans les Béatitudes. Ce qui est petit est ce qui est grand, ce qui est rejeté est ce qui est aimé de Dieu, ce qui est pauvre est ce qui est la véritable richesse. Message dur à entendre parfois, mais message au cœur des mystères de la vie du Christ. La dynamique du salut de Dieu n’est pas du même genre que celle des humains. Le Royaume de Dieu n’est pas comme les royaumes de la terre. Jésus le dira devant Pilate : « Mon royaume n’est pas de ce monde ». (Jean 18, 36)

Conclusion
Demandons à Dieu au début de cette Semaine Sainte 2019 de laisser nos esprits et nos cœurs s’imprégner des mystères qui nous revivrons. Nous en avons continuellement besoin car, à mesure que nous avançons à la suite de Jésus, de nouveaux espaces et de nouvelles perspectives nous attendent.
Acceptons cette année de nous laisser surprendre par Jésus.

Bonne Semaine Sainte!

Amen!

Mgr Hermann Giguère P.H.
Faculté de théologie et de sciences religieuses
de l’Université Laval
Séminaire de Québec

SUR LES SENS SPIRITUELS: SEPT MÉDITATIONS DU PIED DE LA CROIX

27 mars, 2018

http://www.abc.net.au/religion/articles/2017/04/13/4653730.htm

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dépôt de la croix

SUR LES SENS SPIRITUELS: SEPT MÉDITATIONS DU PIED DE LA CROIX

(première méditation)

(Google traduction de l’anglais)

Quand nous voyons la laideur d’un rictus de douleur sur le visage de Jésus, nous maintenons ensemble la difformité et la beauté. Et nous voyons plus. Nous voyons comment notre propre beauté est réalisée.
Quand nous voyons la laideur d’un rictus de douleur sur le visage de Jésus, nous maintenons ensemble la difformité et la beauté. Et nous voyons plus. Nous voyons comment notre propre beauté est réalisée.
Alison Milbank est professeure agrégée de littérature et de théologie à l’Université de Nottingham, et Priest Vicar de Southwell Minster, où ces méditations seront prononcées le vendredi saint 14 avril 2017.

Bienvenue au pied de la croix: il y a de la place pour tout le monde.
Je vous guiderai dans sept méditations à explorer par nos sens, pas seulement les visions, les sons, les goûts, les attouchements et les odeurs de ce jour de la crucifixion, mais une sensation spirituelle plus profonde que seule la foi peut ressentir.

Le Christ a dit: « Quand je serai élevé, j’attirerai tout le monde vers moi ». Alors, nous nous rapprocherons de lui dans la prière, en nous servant des paroles d’adoration de saint Augustin:
«Tu appelles et tu cries à haute voix et tu brises ma surdité, tu es rayonnante et resplendissante, tu mets en fuite mon aveuglement, tu es parfumée, et je retiens mon souffle et maintenant je te cherche, je te goûte et je ne sens que la faim. j’ai soif de toi, tu me touches, et je suis en feu pour atteindre la paix qui est à toi.
Retable d’ Issenheim, Matthias Gruenewald (Crédit: Vincent Desjardins / Wikimedia Commons)
Quand nous voyons la laideur d’un rictus de douleur sur le visage de Jésus, ou la distorsion de ses membres dans une peinture de crucifixion telle que celle de Matthias Gruenewald, notre esprit marque la distance de l’intégrité de la forme humaine. Nous tenons ensemble la difformité et la beauté. Et nous voyons plus. Nous voyons comment notre propre beauté est réalisée.

I. DISCERNER LA BEAUTÉ
Esaïe 53: 1-5
Pourquoi sommes nous ici? Pourquoi ressentons-nous le besoin de méditer sur la mort de Jésus? Simplement, nous nous sentons tenus de rester. Nous venons juste d’être avec Jésus, pour marquer ces trois heures de souffrance et d’humiliation, en compagnie de ces hommes et de ces femmes disciples qui l’ont suivi jusqu’au Golgotha, et qui pleuraient à distance.
Dans la semaine sainte, nous jouons beaucoup de rôles: nous crions pour la mort de Jésus avec la foule, et nous lavons les mains de la responsabilité comme Pilate. Seulement maintenant, comme des enfants jouant un jeu cruel, voyons-nous soudain le résultat de nos actions. Le poète WH Auden le compare à la rime du hasard d’un enfant, « comme volonté et tuer  » qui « se réalise / Avant que nous le réalisions. » Maintenant, il y a une victime.
Et il est un spectacle désolé. Du temps de saint François et de son identification mystique avec les blessures du Christ, des portraits réalistes de Jésus sur la croix nous sont familiers, montrant le sang qui coule des pieds, des mains et même de la tête percée d’épines; souvent la posture accroupie des jambes transmet la pression terrible sur la poitrine; le corps est souvent marqué avec les coups de fouet, ou marqué de pustules partout. Les coups ont dû être sévères, parce que Jésus est tombé pendant le voyage relativement court à l’extérieur des murs. Il portait probablement juste la barre transversale, mais il pesait environ quatre-vingts à cent livres, il n’est donc pas surprenant qu’après une flagellation, il ait dû être aidé par Simon de Cyrène.
Une partie de la punition était l’humiliation d’une telle mort, qui était si forte qu’il a fallu du temps avant que les chrétiens puissent supporter d’utiliser la croix comme un symbole. Nous savons que les soldats ont soumis Jésus à un rituel dégradant de royauté factionnaire, crachant sur lui et se moquant de ses prétentions messianiques.
D’une manière effroyable, la prophétie du serviteur souffrant dans Esaïe se réalise: « Il est méprisé et rejeté des hommes, un homme de douleurs, et mis au courant de chagrin: et nous avons caché pour ainsi dire nos visages de lui, il a été méprisé et nous ne l’avons pas estimé. La honte d’être à moitié nue, de perdre le contrôle des intestins, des marques d’actes de torture est une honte que nous pouvons comprendre, bien que dans une culture d’honneur et de honte telle que celle du premier siècle, une telle humiliation était beaucoup plus puissant et choquant.
De plus, dans la culture juive, elle était liée à une sorte de réalisme moral qui nous est familier dans le livre de Job, dans lequel la honte ou la souffrance est perçue comme l’accomplissement de la punition de Dieu. C’est ainsi qu’Esaïe dépeint la réponse au serviteur souffrant: «Nous l’estimions pourtant frappé, frappé de Dieu et affligé».
Mais ici, dans le venteux Golgotha ??est un homme innocent, victime d’une moquerie d’un procès et de l’hystérie de la foule. Comme Esaïe le poursuit: «Mais il a été blessé pour nos transgressions, il a été meurtri pour nos iniquités: le châtiment de notre paix était sur lui, et avec ses meurtrissures nous sommes guéris. Sa souffrance est le résultat de la cruauté et de la méchanceté humaines, pas la sienne. Il faut regarder plus profondément pour discerner la vérité. La scène extérieure d’un criminel qui prétendait être le roi des Juifs et blasphémait le temple, mis à mort comme un avertissement aux autres est trompeuse. « Les hommes ont fait étrange / Et personne ne désirait que le Christ le sache. » La vérité est plus profonde.
Alors pourquoi sommes-nous ici? Quel est notre rôle? Nous devons être avec le Christ d’une seconde manière: en tant que témoins du fait qu’ici est une victime; que les autorités politiques et religieuses ont comploté en présentant le bien comme le mal. Si nous ne pouvons rien faire d’autre face aux erreurs judiciaires épouvantables, aux actes violents contre les civils, au terrorisme et à toutes les horreurs de notre temps, nous pouvons témoigner: nous pouvons révéler la victime.
Le chant serviteur d’Isaïe souligne aussi fortement l’effet de la souffrance sur cette figure de serviteur: «Il n’a ni forme ni beauté, et quand nous le verrons, il n’y a pas de beauté que nous devrions le désirer … et nous avons caché comme notre des visages de lui.  » Les écrivains chrétiens des premiers siècles et du Moyen Âge discutèrent longuement de l’apparence physique du Christ, qui n’est jamais mentionnée dans les Evangiles. On a souvent cru qu’il était le plus beau de l’humanité parce qu’il était l’image expresse du Père, et parce qu’en Dieu la bonté, la vérité et la beauté sont unifiées. Pour saint Thomas, la beauté était particulièrement attribuable au Fils car il a parfaitement la nature du Père, et comme la Parole révèle la lumière et la splendeur de l’Esprit Éternel. Ce rayonnement divin doit d’une manière ou d’une autre avoir été exprimé à travers sa forme humaine en tant que serviteur.
Pour Augustin, le Christ est à la fois beau et laid lorsqu’il prend la forme d’un esclave en devenant humain; il voile sa gloire sur la croix, mais aussi, dans un sens, la révèle. En effet, sa prise en charge de la vie humaine avec tous ses défis et ses souffrances est elle-même belle. Pensez au visage d’une personne très âgée, ridée comme une pomme mais flamboyante de charité, ou encore à la patience d’un enfant malade. Augustine fait une déclaration forte qui vaut la peine de s’arrêter: « sa difformité était notre beauté ». Il écrit:
la difformité du Christ vous forme, car s’il n’avait pas voulu être déformé, vous n’auriez pas retrouvé la forme que vous avez perdue, il a donc été déformé sur la croix, mais sa difformité était notre beauté.
Voici donc notre troisième raison de rester près de la croix: percevoir la beauté des actions du Christ avec notre vision spirituelle, bien que nous soyons affligés par la torsion physique et la mutilation de son corps humain. Voir sa beauté, c’est aussi témoigner de l’injustice de sa profanation, comme de l’enfant mal nourri, dont les beaux et grands yeux émerveillés se posent sur la tige des membres faibles et au-dessus d’un estomac distendu. Toujours, si le mal doit être vaincu, nous devons affirmer le beau. Les beaux yeux de l’enfant affamé font d’autant plus tort à la distorsion de son corps.
Elaine Scarry, dans son petit livre sur la beauté et l’être juste , soutient que voir la beauté ne la coupe pas dans une oasis de privilège, mais ouvre des questions de comment il se rapporte à tout le reste. Elle écrit que «les belles choses donnent lieu à la notion de distribution, à une réciprocité qui sauve la vie, à l’équité … dans le sens d’une symétrie de la relation de chacun à l’autre».
Quand nous voyons la laideur d’un rictus de douleur sur le visage de Jésus, ou la distorsion de ses membres dans une peinture de crucifixion telle que celle de Matthias Gruenewald, notre esprit marque la distance de l’intégrité de la forme humaine. Nous tenons ensemble la difformité et la beauté. Et nous voyons plus. Nous voyons comment notre propre beauté est réalisée. Nous pourrions regarder le Jésus souffrant et voir notre condamnation. Car enfin, l’humanité aveugle y voit son propre péché, dont elle ne pourrait jamais avoir l’esprit. La crucifixion est ce que l’humanité a fait à cet amour inconnu, qui est venu nous aimer et nous sauver tous. Pourtant, il est également beau dans son humiliation, car cette difformité est la marque de l’amour du Christ pour nous.
Pour voir une beauté cachée, donc, est de voir notre salut. C’est une forme de justice qui fait que le juge s’étire sur une croix pour nous atteindre et nous inclure: « Par ses meurtrissures nous sommes guéris ». Même ces figures grotesques, monstrueuses et torturantes dans la peinture de l’ école Bosch de la foule moqueuse sont appelées à être belles, faites juste par la douleur du Christ.

Le Christ, malgré le sang qui coule de son front, et l’isolement que la douleur apporte, voit le plus clairement de n’importe qui. Même si la technique de la punition de la crucifixion fait de son mieux pour l’isoler de tout contact humain, ou de toute sympathie et identification humaine, cette distance ne fait qu’accentuer sa solidarité avec l’humanité stupide et volontaire.

PAUL VI – MÉDITATION SUR LA LITURGIE DE LA SEMAINE SAINTE (1968)

26 mars, 2018

http://w2.vatican.va/content/paul-vi/fr/audiences/1968/documents/hf_p-vi_aud_19680410.html

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Jésus sous la croix

PAUL VI – MÉDITATION SUR LA LITURGIE DE LA SEMAINE SAINTE (1968)

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi Saint, 10 avril 1968

Chers Fils et Chères Filles,

Nous vous saluons tous, en vous considérant comme participant avec Nous aux cérémonies de la Semaine Sainte dont la célébration est si importante. Non seulement cette semaine évoque le souvenir de la mort et de la résurrection du Seigneur, mais elle renouvelle l’efficacité de l’œuvre rédemptrice du Christ. Elle actualise le mystère pascal de la façon la plus authentique; elle le reflète dans sa liturgie, elle le reproduit dans son efficacité divine; elle le rend accessible aux fidèles qui veulent vivre des exemples et de la grâce du Christ; elle constitue, dans le cours du temps, le moment le plus rempli de la présence du Christ parmi nous, et dans le cours de l’année l’heure centrale vers laquelle tend et de laquelle part toute l’activité liturgique de l’Eglise. Elle concerne le Christ mort et ressuscité; mais elle concerne aussi chacun de nous, parce que chacun de nous doit mourir et ressusciter avec le Christ. C’est pour nous que le Christ a vécu le drame de la Rédemption; c’est avec nous qu’il veut la revivre. Ne laissons pas passer la fête de Pâques sans nous pénétrer de sa réalité et de ses exigences.
Nous savons que beaucoup d’entre vous sont actuellement à Rome en visiteurs, en touristes, pour admirer les souvenirs et les monuments de la Ville éternelle, pour faire une excursion de printemps, voir un peu de soleil et de ciel bleu. Mais Nous voulons croire qu’aucun de vous ne manquera de réserver quelque pensée à la Semaine Sainte et, si possible, quelques instants pour assister aux grandes cérémonies religieuses des églises romaines. Si vous êtes touristes, vous marchez, le guide en main, pour tout bien voir et tout bien connaître; de même, Nous voudrions, d’une façon sommaire, vous indiquer certains aspects de ces cérémonies auxquelles Nous vous exhortons à participer, afin que vous les compreniez mieux et que vous y assistiez avec plus de fruit.

Aspect historique
Le premier aspect est celui que nous pourrions appeler l’aspect historique, c’est-à-dire le caractère d’évocation que revêtent ces cérémonies. Elles se réfèrent aux derniers jours de la vie temporelle du Christ, comme chacun le sait. Mais en les replaçant, à nouveau devant nos yeux, l’Eglise veut réveiller, préciser ces souvenirs, retenir notre attention. Ce n’est pas sans raison que le récit de la passion est répété quatre fois pendant la Semaine Sainte. Et les trois derniers jours sont caractérisés par un fait dominant, particulier à chacun: le Jeudi-Saint par la Cène pascale, qui devient la Cène Eucharistique; le Vendredi-Saint par le procès, la crucifixion et la mort du Seigneur; le Samedi-Saint par le souvenir de sa sépulture, avant d’arriver à la nuit de la résurrection Pascale. La seule évocation de ces événements est déjà attirante par elle-même, et il n’est pas difficile d’en faire la première méditation, même si elle est uniquement descriptive.

Les personnages du drame
La seconde méditation porte sur les personnages du drame. Chacun d’eux est typique et représentatif. L’action dans laquelle ils se trouvent engagés, les uns et les autres, soit dans la passion, soit dans l’événement pascal, prend un relief impressionnant. L’humanité s’y révèle sous son jour le plus intéressant; la psychologie éternelle des hommes nous y apparait, non pas certes avec la majesté et la subtilité, souvent trop recherchées, des scènes célèbres du théâtre classique et du cinéma moderne, mais avec une sincérité et un naturel sans pareils, au point que l’on est tenté de répéter: voici l’homme. Cette exclamation fut prononcée par Pilate, à propos de Jésus. Et si nous arrêtons notre attention sur sa personne, quelle stupeur, quel attrait, quel trouble, quel amour envahissent les âmes attentives et fidèles! La passion du Christ est la révélation la plus profonde et la plus exacte qui nous soit donné de lui. Pensons, par exemple, aux paroles de Pierre qui se refuse au geste d’humilité de Jésus, penché devant lui pour lui laver les pieds: « Toi, Seigneur, me laver les pieds! » (Jn 13, 6). Que n’y a-t-il pas dans ce «toi »! Et, au terme de la tragédie la parole du Centurion: « Vraiment celui-ci était le Fils de Dieu! » (Mt 27, 54). Mais pensons surtout au double témoignage de Jésus qui affirme être le Christ, Fils de Dieu (Mt 26, 64), au cours du procès religieux; et être le roi de l’histoire messianique, pendant le procès civil (Jn 18, 37), témoignages à cause desquels il sera crucifié. Les fidèles, les saints, s’efforcent d’explorer dans toute sa profondeur la psychologie de Jésus, et ils ne peuvent qu’en être enivrés d’émerveillement et d’amour.

Les raisons du drame
Puis la méditation devient plus large, plus profonde, plus théologique, plus cosmique, lorsqu’elle s’interroge sur les raisons de ce drame divin. Les lectures, spécialement celles de la vigile pascale, nous introduisent dans ce mystère où le péché de l’homme se rencontre avec la justice et la miséricorde de Dieu, où « la mort et la vie s’affrontent en un duel prodigieux » (Séquence pascale), et où la victoire du Christ ressuscité se présente comme une source de notre salut et prototype de la vie chrétienne.
Notre contemplation doit faire encore un pas de plus: celui de l’expérience émotive, dramatique et aimante de cette histoire, de cette célébration. Dans les magnifiques répons de l’office de matines des trois grandes journées qui précèdent Pâques, nous trouvons, par exemple, les cris les plus nobles et les plus profonds, les plus forts et les plus tendres, les plus violents et les plus doux qu’ait su exprimer l’âme de l’Eglise devant le mystère pascal. C’est dire que ces célébrations non seulement permettent une symphonie de sentiments, mais invitent à ajouter à la contemplation du drame pascal ses notes les plus hautes et les plus émouvantes, où la liturgie de la Semaine Sainte atteint à la beauté suprême.
Il y aurait trop à dire sur ce sujet. Mais sachez seulement que le grand cœur de l’Eglise, et avec lui l’humble cœur du Pape, vibre d’une émotion intense pendant la célébration du mystère pascal, et qu’il invite vos cœurs à vibrer avec lui. C’est à cela que vous encourage et vous exhorte Notre Bénédiction Apostolique.

 

MEDITATION SUR LES RAMEAUX ET LA SEMAINE SAINTE

21 mars, 2016

http://www.paroissedemartigues.com/article-meditation-sur-les-rameaux-et-la-semaine-sainte-116505996.html

MEDITATION SUR LES RAMEAUX ET LA SEMAINE SAINTE

25 mars 2013

Chaque année, nous fêtons la fête des Rameaux, et chaque année, nous entendons ce long et beau récit de la Passion de Jésus. Chaque année, nous sommes invités à contempler ce Dieu qui s’est fait homme, ce Dieu qui a vécu comme un homme, connaissant tout de nos joies et de nos tristesses, vivant notre vie, vivant même jusqu’à notre mort.  Jésus entre dans les hourras à Jérusalem, il y entre avec détermination, même s’il sait que cela va être le lieu de sa mort. Jésus ne va pas faire semblant, il ne va pas se dérober, Jésus va vraiment venir nous rejoindre dans la mort, dans chacune des morts de notre vie… Vous savez, ces morts qui jalonnent le long de notre vie : pas seulement des décès de proches, mais aussi une maladie, une séparation, la perte d’un emploi, les actes que nous pouvons commettre et qui pèsent sur notre cœur, la tristesse… tout cela ce sont des petites morts de notre âme, des choses parfois très lourdes qui nous font dire que la vie est dure, qu’elle est compliquée, et qui peuvent nous faire poser cette question « à quoi bon vivre cette vie ? » Quel sens peut-elle avoir, une vie comme cela ? Une vie où je subis telle ou telle injustice, une vie où j’ai des difficultés à avancer. Quel sens, quelle promesse peut-il y avoir dans une vie quand elle est blessée ?   Ce que Dieu nous rappelle dans l’Évangile que nous venons d’entendre, c’est qu’il n’y a aucune vie qui ne soit pas blessée. Ce que Dieu nous révèle dans l’Évangile que nous entendre ce qu’il n’est pas de vie blessée, c’est qu’il n’y a pas de blessures dans notre vie qui ne soit pas rejointe par le Christ. En étant frappé, jugé, condamné, dénoncé, trahi, tué, Jésus vient, avec la faiblesse d’un homme, avec la force de Dieu, Jésus vient prendre sur lui nos blessures, il vient prendre sur lui nos croix, ce qui est trop lourd à porter dans notre vie, Jésus le prend sur lui pour l’amener jusqu’au lieu où par sa mort il détruira la mort. La croix semble être un échec, mais c’est en fait un signe éclatant d’une victoire. C’est un signe de fierté pour nous chrétiens de porter sur nous la croix du Christ, car c’est le lieu même où le Christ a sauvé le monde, c’est le lieu même où le Christ a sauvé les hommes. En mourant, Jésus rejoint les hommes dans leur ultime détresse ; le Christ prend toute l’humanité dans ses mains pour la présenter à Dieu notre Père. Et la réponse de Dieu le Père, ce sera de ressusciter Jésus au matin de Pâques, de le relever de cette mort, de le relever de cette chute, de le relever de cette détresse, mais pas Jésus seul, Jésus et à sa suite toute l’humanité, chacun d’entre nous.   Dans le texte que nous avons entendu avant l’Evangile, Saint-Paul parlait du Christ et fait un résumé de la vie du Christ en deux mouvements, un premier mouvement vers le bas : « Jésus se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur. Il s’abaissa jusqu’à mourir, à mourir sur une croix. » Un second mouvement vers le haut : « C’est pourquoi Dieu l’a élevé au-dessus de tout, afin que toute langue proclame que Jésus-Christ est le Seigneur ». En suivant ces deux mouvements, en vivant son chemin de croix, Jésus a vécu un passage vers la vie nouvelle, en nous entrainant à sa suite.  C’est ce que signifie cette Semaine Sainte qui s’ouvre aujourd’hui et qui nous conduira jusqu’à la grande fête de Pâques. La Semaine Sainte signifie bien que la vie est un passage, un passage dans lequel nous pouvons trouver en Dieu la force de vivre, dès maintenant, de la vie éternelle. Pour nous accompagner dans notre vie, dans les difficultés dont je parlais tout à l’heure, Dieu nous donne des signes de sa présence, par telle ou telle personne qui prend soin de nous, par tel ou tel geste ou parole que nous avons reçu et qui nous aide à tenir bon dans l’épreuve. Dans nos difficultés, Dieu se fait attentif à notre prière, il y répond toujours avec ce qu’il y a de meilleur pour nous. Lorsque nous allumons un cierge dans une église, lorsque nous venons aujourd’hui chercher des rameaux, lorsque nous sommes désireux de communier, et donc de recevoir le corps du Christ, Dieu se donne à nous, il répond par son amour à notre soif de justice et de paix.  Il n’est jamais trop tard pour nous de nous lever et de décider de marcher à la suite de Dieu, comme chrétien. La vie chrétienne est une pratique… jour après jour on apprend à être chrétien, c’est-à-dire des hommes et des femmes qui cherchent à vivre de l’amour du bon Dieu ici et maintenant, en faisant attention aux autres, à Dieu, et à nous-mêmes. Il n’est jamais trop tard pour nous d’ouvrir notre cœur à la foi, cette foi qui nous permet de tenir la main du Christ dans les jours de bonheur comme dans les jours d’épreuves, dans la santé comme dans la maladie.  Aujourd’hui, Dieu nous propose d’entrer à sa suite dans sa Pâques, vers un changement de vie. Gardons le cœur ouvert à cette Bonne Nouvelle, et suivons-le avec confiance.   Thomas Poussier

L’ANGOISSE D’UNE ABSENCE. TROIS MÉDITATIONS SUR LE SAMEDI SAINT PAR LE CARDINAL JOSEPH RATZINGER

16 novembre, 2015

L'ANGOISSE D’UNE ABSENCE. TROIS MÉDITATIONS SUR LE SAMEDI SAINT  PAR LE CARDINAL JOSEPH RATZINGER dans Pape Benoit/Card. Ratzinger 1147329964485

Sur ces pages, des miniatures tirées de l’évangéliaire du début du XIIIe siècle conservé dans l’abbaye bénédictine de Groß Sankt Martin, à Cologne; la crucifixion

http://www.30giorni.it/articoli_id_10336_l4.htm

L’ANGOISSE D’UNE ABSENCE. TROIS MÉDITATIONS SUR LE SAMEDI SAINT

PAR LE CARDINAL JOSEPH RATZINGER

1. Méditation

À notre époque, on entend parler avec une insistance croissante de la mort de Dieu. Pour la première fois, chez Jean Paul, il ne s’agit que d’un cauchemar: Jésus mort annonce aux morts, depuis le toit du monde, que pendant son voyage dans l’au-delà il n’a rien trouvé, ni ciel, ni Dieu miséricordieux, mais seulement le néant infini, le silence du vide grand ouvert. Il s’agit encore d’un horrible rêve que l’on écarte en gémissant, au réveil, comme un rêve, justement, même si l’on ne parviendra plus jamais à effacer l’angoisse, qui était depuis toujours en embuscade, sombre, au fond de l’âme. 

Un siècle plus tard, chez Nietzsche, c’est une idée d’un sérieux mortel qui s’exprime dans un cri strident de terreur: «Dieu est mort! Dieu reste mort! Et nous l’avons tué!». Cinquante ans plus tard, on en parle avec un détachement académique et l’on se prépare à une «théologie après la mort de Dieu». On regarde autour de soi pour voir comment l’on peut continuer et l’on encourage les hommes à se préparer à prendre la place de Dieu. Le mystère terrible du Samedi saint, son abîme de silence, a donc acquis, à notre époque, une réalité écrasante. Car c’est cela le Samedi saint: jour du Dieu caché, jour de ce paradoxe inouï que nous exprimons dans le Credo avec ces mots: «descendu en enfer», descendu à l’intérieur du mystère de la mort. Le Vendredi saint, nous pouvions encore regarder le Crucifié. Le Samedi saint est vide, la lourde pierre du sépulcre neuf couvre le défunt, tout est passé, la foi semble être définitivement démasquée comme illusion. Aucun Dieu n’a sauvé ce Jésus qui prétendait être son Fils. Nous pouvons nous tranquilliser: les prudents qui, auparavant, avaient été quelque peu ébranlés au fond d’eux-mêmes à l’idée qu’ils s’étaient peut-être trompés, ont eu raison en fait. Samedi saint: jour de la sépulture de Dieu; n’est-ce pas là, de façon impressionnante, notre jour? Notre siècle ne commence-t-il pas à être un grand Samedi saint, jour de l’absence de Dieu, jour où le cœur des disciples est également envahi par un vide effrayant, un vide qui s’élargit de plus en plus, si bien qu’ils se préparent, remplis de honte et d’angoisse, à rentrer chez eux? N’est-ce pas le jour où, sombres et brisés par le désespoir, ils se dirigent vers Emmaüs, sans du tout se rendre compte que celui qu’ils croyaient mort est au milieu d’eux?
Dieu est mort et nous l’avons tué: nous sommes-nous précisément aperçus que cette phrase est prise, presque à la lettre, à la tradition chrétienne et que souvent, dans nos viae crucis, nous avons répété quelque chose de semblable sans nous rendre compte de la terrible gravité de ce que nous disions? Nous l’avons tué, en l’enfermant dans l’enveloppe usée des pensées habituelles, en l’exilant dans une forme de piété sans contenu réel qui se perd toujours dans des phrases toutes faites ou dans la recherche d’objets archéologiques de valeur; nous l’avons tué à travers l’ambiguïté de notre vie qui a étendu sur lui aussi un voile d’obscurité: en effet, dans ce monde, qu’est-ce qui aurait pu désormais rendre Dieu plus problématique, sinon le caractère problématique de la foi et de l’amour de ceux qui croient en lui?
L’obscurité divine de ce jour, de ce siècle qui devient dans une mesure grandissante un Samedi saint, parle à notre conscience. Nous aussi avons affaire à elle. Mais, malgré tout, elle a en soi quelque chose de consolant. La mort de Dieu en Jésus-Christ est en même temps l’expression de sa solidarité radicale avec nous. Le mystère le plus obscur de la foi est en même temps le signe le plus clair d’une espérance qui n’a pas de limites. Et une chose encore: ce n’est qu’à travers l’échec du Vendredi saint, à travers le silence de mort du Samedi saint, que les disciples purent être conduits à la compréhension de ce que Jésus était vraiment et de ce que son message signifiait en réalité. Dieu devait mourir pour eux afin de pouvoir vivre réellement en eux. L’image qu’ils s’étaient faite de Dieu, dans laquelle ils avaient tenté de le faire entrer, devait être détruite pour que, à travers les décombres de la maison démolie, ils pussent voir le ciel, le voir Lui, qui reste toujours l’infiniment plus grand. Nous avons besoin du silence de Dieu pour faire de nouveau l’expérience de l’abîme de sa grandeur et de l’abîme de notre néant, qui s’ouvrirait tout grand s’il n’y avait pas Dieu.
Il y a dans l’Évangile une scène qui annonce de manière extraordinaire le silence du Samedi saint et qui apparaît donc, encore une fois, comme la description de notre moment historique. Jésus-Christ dort dans une barque qui, battue par la tempête, est sur le point de couler. Une fois, le prophète Elie avait tourné en dérision les prêtres de Baal, qui invoquaient inutilement, à grands cris, leur dieu pour qu’il fît descendre le feu sur le sacrifice, les exhortant à crier plus fort, au cas où leur dieu dormirait. Mais Dieu ne dort-il pas réellement? La raillerie du prophète n’atteint-elle pas aussi, pour finir, ceux qui croient dans le Dieu d’Israël, ceux qui voyagent avec lui dans une barque sur le point de couler? Dieu dort alors que les choses sont sur le point de couler: n’est-ce pas là l’expérience de notre vie? L’Église, la foi, ne ressemblent-elles pas à une petite barque qui va couler, qui lutte inutilement contre les vagues et le vent, alors que Dieu est absent? Au comble du désespoir, les disciples crient et secouent le Seigneur pour le réveiller, mais lui se montre étonné et leur reproche leur peu de foi. En va-t-il autrement pour nous? Quand la tempête sera passée, nous verrons combien de stupidité il y avait dans notre peu de foi. Et toutefois, ô Seigneur, nous ne pouvons que te secouer, toi, Dieu qui demeures en silence et qui dors, et te crier: réveille-toi, ne vois-tu pas que nous coulons? Réveille-toi, ne laisse pas durer pour l’éternité l’obscurité du Samedi saint, laisse aussi tomber sur nos jours un rayon de Pâques, joins-toi à nous lorsque nous nous dirigeons, désespérés, vers Emmaüs, pour que notre cœur puisse s’enflammer à ta proximité. Toi qui as guidé de façon cachée les chemins d’Israël pour être finalement homme avec les hommes, ne nous laisse pas dans les ténèbres, ne permets pas que ta parole se perde dans le grand gaspillage de mots de cette époque. Seigneur, accorde-nous ton aide, car sans toi nous coulerons.
Amen.

2 Méditation
Le Dieu caché en ce monde constitue le vrai mystère du Samedi saint, mystère auquel il est déjà fait allusion dans les paroles énigmatiques selon lesquelles Jésus est «descendu en enfer». En même temps, l’ expérience de notre époque nous a offert une approche complètement nouvelle du Samedi saint, puisque le fait que Dieu se cache dans le monde qui lui appartient et qui devrait, avec mille langues, annoncer son nom, l’expérience de l’impuissance de Dieu qui est pourtant l’Omnipotent – ce sont là l’expérience et la misère de notre temps.
Mais même si le Samedi saint est devenu de cette façon plus profondément proche de nous, même si nous comprenons le Dieu du Samedi saint mieux que la manifestation puissante de Dieu au milieu des coups de tonnerre et des éclairs dont parle l’Ancien Testament, reste non résolue la question de savoir ce que l’on entend vraiment quand on dit de manière mystérieuse que Jésus «est descendu en enfer». Disons-le aussi nettement que possible: personne n’est en mesure de vraiment l’expliquer. Les choses ne deviennent pas plus claires si l’on dit que le mot enfer est ici une mauvaise traduction du mot hébreu shêol, qui désigne simplement tout le royaume des morts; cette formule, à l’origine, voulait donc dire seulement que Jésus est descendu dans la profondeur de la mort, est réellement mort et a participé à l’abîme de notre destin de mort. En effet, une question se pose alors: qu’est réellement la mort et qu’arrive-t-il effectivement quand on descend dans la profondeur de la mort? Nous devons ici prendre garde au fait que la mort n’est plus la même chose depuis que Jésus-Christ l’a subie, depuis qu’Il l’a acceptée et pénétrée, de même que la vie, l’être humain, ne sont plus la même chose depuis qu’en Jésus-Christ la nature humaine a pu venir en contact, et a été effectivement en contact, avec l’être propre de Dieu. Avant, la mort était seulement mort, séparation d’avec le pays des vivants, et signifiait, fût-ce avec une profondeur différente, quelque chose comme «enfer», aspect nocturne de l’existence, ténèbre impénétrable. Mais à présent la mort est aussi vie et, quand nous franchissons la solitude glaciale du seuil de la mort, nous rencontrons toujours de nouveau Celui qui est la vie, qui a voulu devenir le compagnon de notre solitude ultime et qui, dans la solitude mortelle de son angoisse au Jardin des oliviers et de son cri sur la croix «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?», est devenu Celui qui partage nos solitudes. Si un enfant devait s’aventurer tout seul dans la nuit noire au milieu d’un bois, il aurait peur même si on lui démontrait des centaines de fois qu’il n’y a aucun danger. L’enfant n’a pas peur de quelque chose de précis, à quoi on puisse donner un nom, mais il expérimente dans l’obscurité l’insécurité, la condition d’orphelin, le caractère sinistre de l’existence en soi. Seule une voix humaine pourrait le consoler; seule la main d’une personne chère pourrait chasser l’angoisse comme on chasse un mauvais rêve. Il y a une angoisse – la vraie, celle qui est nichée dans la profondeur de nos solitudes – qui ne peut pas être surmontée au moyen de la raison, mais seulement par la présence d’une personne qui nous aime. Cette angoisse, en effet, n’a pas d’objet auquel on puisse donner un nom, elle est seulement l’expression terrible de notre solitude ultime. Qui n’a pas déjà ressenti la sensation effrayante de cette condition d’abandon? Qui ne percevrait pas le miracle saint et consolateur d’une parole d’affection dans ces cirsonstances? Mais lorsqu’on se trouve devant une solitude telle qu’elle ne peut plus être atteinte par la parole transformatrice de l’amour, alors nous parlons de l’enfer. Et nous savons que bon nombre d’hommes de notre époque, en apparence si optimiste, sont de l’avis que toute rencontre reste superficielle, qu’aucun homme n’a accès à l’ultime et véritable profondeur d’autrui et donc que, tout au fond de chaque existence, gisent le désespoir, et même l’enfer. Jean-Paul Sartre a exprimé cela de façon poétique dans l’un de ses drames, et a exposé en même temps le cœur de sa doctrine sur l’homme. Une chose est sûre: il y a une nuit dans l’obscur abandon de laquelle ne pénètre aucune parole de réconfort, il y a une porte que nous devons franchir dans une solitude absolue: la porte de la mort. Toute l’angoisse de ce monde est en dernière analyse l’angoisse provoquée par cette solitude. C’est pourquoi le terme qui désignait, dans l’Ancien Testament, le royaume des morts, était identique à celui par lequel on désignait l’enfer: shêol. La mort, en effet, est solitude absolue. Mais elle est cette solitude qui ne peut plus être éclairée par l’amour, qui est tellement profonde que l’amour ne peut plus accéder à elle: elle est l’enfer.
«Descendu en enfer» – cette confession du Samedi saint signifie que Jésus-Christ a franchi la porte de la solitude, qu’il est descendu dans le fond impossible à atteindre et à surmonter de notre condition de solitude. Mais cela signifie aussi que, même dans la nuit extrême où aucune parole ne pénètre, dans laquelle nous sommes tous comme des enfants qui ont été chassés et qui pleurent, il y a une voix qui nous appelle, une main qui nous prend et qui nous conduit. La solitude insurmontable de l’homme a été surmontée depuis qu’Il s’est trouvé en elle. L’enfer a été vaincu depuis le moment où l’amour a également pénétré dans la région de la mort, depuis que le no man’s land de la solitude a été habité par Lui. Dans sa profondeur, l’homme ne vit pas de pain; dans l’authenticité de son être, il vit du fait qu’il est aimé et qu’il lui est permis d’aimer. À partir du moment où, dans l’espace de la mort, il y a la présence de l’amour, alors la vie pénètre dans la mort: à tes fidèles, ô Seigneur, la vie n’est pas enlevée, elle est transformée – prie l’Église dans la liturgie funèbre.
Personne ne peut mesurer, en dernière analyse, la portée de ces mots: «Descendu en enfer». Mais s’il nous est donné une fois de nous approcher de l’heure de notre solitude ultime, il nous sera permis de comprendre quelque chose de la grande clarté de ce mystère obscur. Dans la certitude qui espère que nous ne serons pas seuls à cette heure d’extrême solitude, nous pouvons dès maintenant avoir le présage de ce qui adviendra. Et au milieu de notre protestation contre l’obscurité de la mort de Dieu, nous commençons à devenir reconnaissants pour la lumière qui vient à nous, précisément de cette obscurité.

3 Méditation
Dans le bréviaire romain, la liturgie du Triduum sacré est structurée avec un soin particulier: dans sa prière, l’Église veut pour ainsi dire nous transférer dans la réalité de la passion du Seigneur et, au-delà des mots, au centre spirituel de ce qui est arrivé. Si l’on voulait tenter de caractériser par quelques mots de la prière liturgique du Samedi saint, il faudrait surtout parler de l’effet de paix profonde qui émane d’elle. Jésus-Christ a pénétré dans l’occultation (Verborgenheit), mais en même temps, au cœur précisément de l’obscurité impénétrable, il a pénétré dans la sécurité (Geborgenheit): il est même devenu la sécurité ultime. La parole hardie du psalmiste est deveue vérité: et même si je voulais me cacher en enfer, tu y serais toi aussi. Et plus on parcourt cette liturgie, plus on voit briller en elle, comme une aurore du matin, les premières lumières de Pâques. Si le Vendredi saint présente à nos yeux le visage défiguré du Crucifié, la liturgie du Samedi saint, elle, s’inspire plutôt de l’image de la croix chère à l’Église antique: à la croix entourée de rayons lumineux, signe de la mort comme de la résurrection.
Le Samedi saint nous renvoie ainsi à un aspect de la piété chrétienne qui a peut-être été perdu au fil du temps. Quand nous regardons vers la croix dans la prière, nous voyons souvent en elle un signe de la passion historique du Seigneur au Golgotha. L’origine de la dévotion à la croix est pourtant différente: les chrétiens priaient tournés vers l’Orient pour exprimer leur espoir que Jésus-Christ, le soleil véritable, se lèverait sur l’histoire, par conséquent pour exprimer leur foi dans le retour du Seigneur. Dans un premier temps, la croix est étroitement associée à cette orientation de la prière, elle est représentée pour ainsi dire comme une enseigne que le roi arborera lors de sa venue; dans l’image de la croix, l’avant du cortège est déjà arrivé au milieu de ceux qui prient. Pour le christianisme antique, la croix est donc surtout un signe d’espérance. Elle n’implique pas tant une référence au Seigneur passé qu’au Seigneur qui va venir. Certes, il était impossible de se soustraire à la nécessité intrinsèque que, le temps passant, le regard se tournât aussi vers l’événement advenu: contre toute fuite dans le spirituel, contre toute méconnaissance de l’incarnation de Dieu, il fallait que fût défendue la prodigalité profondément inimaginable de l’amour de Dieu, qui, par amour de la misérable créature humaine, s’est fait lui-même homme, et quel homme! Il fallait défendre la sainte folie de l’amour de Dieu, qui n’a pas choisi de prononcer une parole de puissance, mais de parcourir la voie de l’impuissance pour clouer au pilori notre rêve de puissance et le vaincre de l’intérieur.
Ce faisant, n’avons-nous pas un peu trop oublié la relation entre croix et espérance, l’unité entre l’Orient et la direction de la croix, entre passé et avenir, qui existe dans le christianisme? L’esprit de l’espérance qui souffle sur les prières du Samedi saint devrait de nouveau pénétrer toute notre façon d’être chrétien. Le christianisme n’est pas seulement une religion du passé, mais aussi, dans une mesure égale, de l’avenir; sa foi est en même temps espérance, car Jésus-Christ n’est pas seulement le mort et le ressuscité, mais aussi Celui qui va venir.
O Seigneur, éclaire nos âmes par ce mystère de l’espérance, afin que nous reconnaissions la lumière qui a rayonné de ta croix; accorde-nous, comme chrétiens, de marcher tendus vers l’avenir, à la rencontre du jour de ta venue.
Amen.

PRIÈRE
Seigneur Jésus-Christ, dans l’obscurité de la mort Tu as fait lumière; dans l’abîme de la solitude la plus profonde, habite désormais pour toujours la puissante protection de Ton amour; alors même que tu restes caché, nous pouvons désormais chanter l’alléluia de ceux qui sont sauvés. Accorde-nous l’humble simplicité de la foi, qui ne se laisse pas dévier de son chemin quand Tu nous appelles aux heures de l’obscurité et de l’abandon, quand tout semble problématique; accorde-nous, en ce temps où se livre autour de Toi un combat mortel, assez de lumière pour que nous ne te perdions pas; assez de lumière pour que nous puissions en donner à ceux qui en ont encore plus besoin que nous. Fais briller le mystère de Ta joie pascale, comme l’aurore du matin, dans nos jours; accorde-nous de pouvoir être vraiment des hommes pascals au milieu du Samedi saint de l’histoire. Accorde-nous de pouvoir toujours marcher avec joie, à travers les jours lumineux et sombres de ce temps, vers ta gloire future.
Amen.

ÉPHREM DE NISIBE: QUATRIÈME HYMNE SUR LA RÉSURRECTION

3 avril, 2015

http://www.patristique.org/Ephrem-de-Nisibe-Resurrection.html

ÉPHREM DE NISIBE : RÉSURRECTION

QUATRIÈME HYMNE SUR LA RÉSURRECTION

par François Cassingena

Éphrem le Syrien (306-373) a composé de nombreuses hymnes doctrinales, polémiques et liturgiques. Les collections liturgiques célèbrent les grandes fêtes chrétiennes. À cette catégorie appartiennent les Hymnes pascales qui réunissent en réalité trois recueils distincts : les Hymnes sur les Azymes, les Hymnes sur la Crucifixion et les Hymnes sur la Résurrection. Vous découvrirez ci-dessous la quatrième hymne sur la Résurrection.
On sait peu de chose sur la vie d’Éphrem le Syrien (306-373). Son ministère d’allânâ (diacre ?) et d’hymnographe a eu d’abord pour cadre Nisibe, puis Édesse, deux villes de Mésopotamie, l’actuel Iraq. Il a composé un corpus considérable de pièces métriques (madrâ_é) dont la tradition manuscrite est loin de nous laisser, malheureusement, l’intégralité. La thématique de cette vaste activité littéraire est à la fois doctrinale, polémique et liturgique.
Éphrem est un champion de la théologie apophatique au IVe siècle, à la fois contre les gnostiques Marcion, Mani, Bardesane et contre les ariens qu’il appelle « scrutateurs », nous dirions volontiers « inquisiteurs » du mystère trinitaire.
Les collections liturgiques célèbrent les grandes fêtes chrétiennes. À cette catégorie appartiennent les hymnes éditées et traduites en allemand par Edmund Beck (CSCO fasc. 248-249) sous le titre générique d’ Hymnes pascales, collection qui réunit en réalité trois recueils distincts : les Hymnes sur les Azymes, les Hymnes sur la Crucifixion et les Hymnes sur la Résurrection. Pareille séquence ne doit pas donner l’illusion d’un triduum pascal rigoureux, tel qu’il se constituera plus tard. Ce qui se dégage surtout des Hymnes pascales, c’est une double célébration : celle de la Passion du Seigneur et celle du renouveau printanier.
La note anti-judaïque, très présente, s’explique par la préoccupation pastorale du poète : empêcher la communauté chrétienne de « judaïser » dans une région où la communauté juive jouissait d’un certain establishment auprès des autorités de l’Empire perse, régulièrement persécuteur de la première.

Sur la mélodie : « Voici le jeûne du Premier-né… »
Ô mon Seigneur béni, baille-nous un peu de la richesse d’Avril le tout-libéral !
En Avril Ta générosité s’étend sur tout :
De par elle les montagnes se parent de regain,
Les sillons de semences, la mer de riches nefs,
La terre de troupeaux ; là-haut des luminaires
Qui sourient ! En bas des fleurs ! Avril orne la terre
Et la fête d’Avril orne la sainte Église !

Avril, ce babillard, m’a soufflé la hardiesse :
J’ai demandé, j’ai dit : « Seigneur, si les bouches fermées
Du serpent meurtrier par Avril furent ouvertes,
- il a ouvert la bouche de ce maudit reptile qui ment et qui tue ! –
Ouvre, Seigneur, en Ta bonté la bouche de Ton serviteur ; fais-en
Une cithare de vérité ! Qu’elle chante un chant sain et plein de certitude,
Une bénédiction pour tous ceux qui l’écoutent !

Si l’air d’Avril bruit de chants et de tonnerres, sonore tout entier,
Quelle ne sera pas, au jour de Ta Pâque sonore, la liesse de l’Église volubile !
Tout entière elle résonne, vraie cithare, en cette Fête Tienne, la grande,
Compagne et jumelle de l’autre Fête
Qui, dedans Bethléem, mit les Veilleurs en liesse ;
Que l’Église en Avril Te tresse la louange
Qu’avaient tressée pour Toi les Anges de Janvier !

Oh ! regardez : Avril tisse à la terre un vêtement !
De toutes les couleurs la création s’atourne :
C’est tablier de fleurs, c’est sarrau de corolles !
La Mère d’Adam se pare, en la Fête d’Avril,
D’un habit que mains n’ont point tissé ; elle exulte :
Son Seigneur est descendu, faisant monter son fils ! Deux fêtes pour la terre,
Deux noces d’un seul coup, du Seigneur et du fils !

Sein maternel, giron que la terre pour tous les vivants,
Couverture pour les morts… Ô terre ! par tes soins sont habillés tous les nus,
Et personne n’est capable de te couvrir ! Avril a eu de la pudeur pour toi ;
Tu étais à découvert comme Noé : il a caché ta nudité.
Deux frères ont couvert d’un vêtement le Père universel,
Et la terre, Mère universelle,
Avril la vêt tout seul dans des livrées de fleurs !

La frêle-ailée aussi sort en ce mois des fleurs, elle s’empresse ;
Regardez cette toute-fragile, et comme elle empressez-vous !
Elle est porteuse de mystères et son pollen est de symboles ;
Sur toutes les fleurs elle ramasse sa provende ;
Son trésor bien caché ne paie guère de mine,
Mais quand on l’ouvre, ah ! c’est merveille de voir comme elle a travaillé :
Elle a construit, rempli. Béni, son Créateur !

La douceur se répand : sa bouche la recueille ;
Toute-pure, elle est le miroir de l’Église
Qui butine dans les Livres la douceur du Saint-Esprit ;
Au désert, le Ramassis récoltait la manne, la ramassait avec avidité,
Dans un esprit sordide. Venez ! Cueillez le pur amour
Au lieu de la manne jolie ! Une fois conservée, la manne se gâtait ;
Mais l’amour conservé, lui, n’en est que plus doux.

Les glaces de l’hiver, les dards piquants du froid,
Avril les a brisés ! Symbole de l’amour
Qu’Avril ! Ses ardeurs triomphent des rigoureux frimas ;
Voyez : ils dansent, les pieds qu’Hiver enchaînait !
Libres, les mains qu’engourdissait l’inertie !
Diligence est sortie pour décorer la terre : que l’âme regarde, rivalise,
Et qu’au lieu de la terre elle s’orne elle-même !

Sa Majesté Avril, semblable au Libérateur universel,
Élargit les marchands que l’hiver entravait ;
Sitôt devenu roi, il les a libérés : ils s’évadent, ils trépignent !
Ainsi son Seigneur avait-il libéré en Avril les détenus d’Enfers
Qui brisèrent leurs tombes. Ah ! que liberté se libère elle-même,
Elle qui s’est enchaînée ! Qui libérerait celui qui met
Ses liens, si grands soient-ils, dessous sa volonté ?

Aimable Avril, en Toi le Très-Haut modère Son fracas pour nos oreilles ;
Oui, en Avril, le Seigneur de l’Orage
Mitige Sa vigueur par amour : Il descend habiter dans le sein de Marie ;
En Avril derechef, revigoré,
Il habite le sein du Shéol et en remonte ;
En Avril mêmement, Il entre et prend une voix douce pour persuader
Ses ouailles sans espoir en Sa résurrection.

Ce glorieux Avril ouvre tous les dépôts : toute richesse en sort ;
…………………………………………………………………..
En ce mois le dépôt souterrain de l’En bas
restitue, quant à lui, le Corps tout-vivifiant.

Encensoir à senteurs que ce charmant Avril !
Il exhale tous les parfums ! Dieu est descendu pour marcher sur la terre :
Avril L’a vu, comme un grand prêtre il s’est fait beau ;
Il Lui a présenté l’encensoir à senteurs, le fumet des fragrances ;
Il a prophétisé : « Voici que le Grand Prêtre pour nous descend d’En Haut !
Son sacrifice : l’amour de la vérité ! Son encensoir : la miséricorde !
Et Son hysope encor : l’absoute des péchés !

C’est en Avril que d’En Haut Notre-Seigneur descend,
Que Marie le reçoit ; c’est encore en Avril
Qu’Il ressuscite et monte, que Marie Le revoit ;
Elle L’avait senti descendre : la première, elle Le voit Resurgi !
Voir l’En haut et l’En bas : c’est renom de Marie !
Heureux Avril ! Tu as vu la Conception
De ton Seigneur, Sa Mort et Sa Résurrection !

En Avril, l’Élu s’ébranle, Il descend de Là-haut, atourné de tendresse ;
Avril Le couronne de triomphes en foule ;
Il remonte d’En bas : les morts Te font une couronne de ressuscités,
Les disciples une couronne de consolés,
Les Anges une couronne de ravis, à la vue de Ton Duel.
À la place de la couronne d’épines,
C’est la gloire, en couronne, que le Créé Te tresse !

Intendant des symboles, Avril a couru vers Notre-Seigneur, à Sa venue ;
Car ce sont symboles cachés que, pour Avril,
Moïse emmi l’Égypte déposait ;
Avril a présenté ses symboles………………
………………………………………………
Heureux Avril ! Tu as vu les deux Pâques radieuses :
Et celle de Moïse et celle du Seigneur !

 

HOMÉLIE DU JOUR DE PÂQUES 2015

3 avril, 2015

http://parolesdudimanche.blogs.lalibre.be/archive/2009/04/07/homelie-du-jour-de-paques-b.html

HOMÉLIE DU JOUR DE PÂQUES, B

Ac 10, 34a. 37-43 ; Col 3, 1-4 ou 1 Co 5, 6b-8 ; Jn 20, 1-9

Rêve déçu, intensément tristes, découragées, trois femmes de la première compagnie de Jésus (pas celle des jésuites, mais des premiers disciples) se rendaient au cimetière avec des fleurs et du parfum. Mais le récit de Marc n’est pas un reportage pris sur le vif. Il n’y a pas eu de scène filmée ni de micro tendu. Ces pages de catéchèse sont déjà un écho de l’expérience spirituelle d’une communauté de croyants, où se mêlent les souvenirs, les faits et les symboles. Par contre, la peur, elle, est bien là. Le choc de l’émotion religieuse, la stupeur de ceux et celles qui s’approchent de Dieu et qui découvrent tout d’un coup à l’endroit la surprenante réalité que l’on voit d’habitude à l’envers. C’est-à-dire le monde des réalités spirituelles.
Le Christ de chair et d’os n’est plus là. Mais bien le Christ de la foi. C’est le message du Christ, et le Christ messager qui est au centre du récit : Le Nazaréen, Dieu l’a ressuscité. La mort est donc renversée, elle a changé de sens. Le crucifié mort est vivant.
Voilà une affirmation tranchante, sans preuves, sans explications. Une vérité exorbitante, présentée comme un fait accompli. Mais où est-il ? Ni là, ni ici, mais ailleurs. Dans un univers nouveau qu’elles devront découvrir. Une présence et un message qui les envoient en mission. Elles reçoivent un ordre de marche : Allez dire aux disciples, allez dire à Pierre… Mais elles s’enfuirent bouleversées, toutes tremblantes et en claquant des dents. Il est vrai qu’il y avait de quoi. Révélations et manifestations divines ont toujours provoqué l’effroi, la crainte et le tremblement. Mais, souligne Marc, elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur. C’est ici que se termine son évangile.
Les spécialistes sont d’accord pour affirmer que la suite, l’épilogue, n’est pas de la plume de l’évangéliste, mais un « appendice » ajouté après coup pour offrir une finale heureuse. Car, en fait, elles ont finalement transmis leur message, comme on le voit chez Matthieu, Luc et Jean. Heureusement. Sinon, les disciples n’auraient rien su de l’événement et nous non plus. Mais il ne suffira pas de le dire et le redire avec des mots, il faudra en témoigner. Autrement dit, le mettre au monde dans la communauté des croyants, accoucher de son corps mystique. Elles vont donner corps à la Parole, enfanter des humains à la vie nouvelle, par la foi au Ressuscité.
Peut-on se fier à des femmes, se disaient les disciples ? Ainsi, des femmes, à qui la Loi juive déniait la capacité juridique de témoigner, vont témoigner de la résurrection du Christ et les sortir de leurs préoccupations terre-à-terre dont ils étaient prisonniers. C’est elles qui vont les ramener à tout ce que Jésus leur avait promis et confié, mais qui fut balayé par le désarroi et les abandons à l’heure de la Passion.
De fait, elles ont parlé aux Onze et à tous les autres, précise Luc. Résultat ? Elles furent mal reçues. Ils n’ont pas cru un mot de ce qu’elles racontaient et ont pris leurs paroles pour du délire… Des radotages de bonnes femmes !
Mais quand des hommes viendront faire part de leur rencontre et de leur expérience du Ressuscité, ils ne seront pas mieux reçus. Ce qui veut dire que l’incrédulité est plus spontanée que la foi. Ce n’est d’ailleurs que lentement et péniblement que la foi au Ressuscité s’est imposée aux apôtres comme venant de Dieu… Ce n’est pas plus facile pour nous ni plus rapide.
Quant à la preuve, car on réclame toujours des preuves, ce ne sera pas un tombeau vide, ni un saint suaire, ni un rapport de police, mais la transformation surprenante et profonde d’une poignée de poltrons en croyants audacieux. Un miracle ! « Les événements de la Pâque de l’an 30, écrit un exégète, ont transformé des femmes craintives en messagères et des lâches ou traîtres en témoins confessants ».
C’est d’ailleurs ce que l’on attend aujourd’hui de notre foi. Il nous faut mettre au tombeau notre esprit du monde et notre incrédulité, pour mener une vie nouvelle, une vie de ressuscité. Faire mourir ce qu’on appelle le vieil homme et laisser vivre un être nouveau, renouvelé.
Il n’empêche que nous rêvons facilement, jusqu’à en être avides, de signes venus du ciel, de preuves palpables, tangibles, visibles, indiscutables. Des témoignages irrésistibles, un raisonnement parfait, qui puissent nous rendre la foi plus facile ou plus claire. Voyez la course aux révélations, aux secrets, aux apparitions… Or, nous n’aurons pas de preuves en dehors de la foi. Par contre, la foi transforme les relations entre les êtres et les rapports entre les choses. C’est là que l’on attend aujourd’hui des témoins et des acteurs, heureux et fiers d’être des disciples du Ressuscité. On doit pouvoir les reconnaître à leur tête, des têtes de sauvés. Non pas simplement à leurs chants, ou à la saveur de leurs alleluias, mais à leur manière de vivre, de se comporter, de parler, de pardonner, d’être solidaires et de partager. D’authentiques artisans de paix. Des témoins crédibles.

P. Fabien Deleclos, franciscain (T)

1925 – 2008

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