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par Sandro Magister: Les chrétiens au Moyen-Orient. Ceux qui s’en vont et ceux qui arrivent

22 juin, 2010

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Les chrétiens au Moyen-Orient. Ceux qui s’en vont et ceux qui arrivent

Les anciennes communautés se réduisent de plus en plus. Mais de nouveaux fidèles arrivent d’Asie et d’Afrique par millions, surtout dans les pays du Golfe et en Arabie Saoudite. Où la liberté religieuse continue toutefois à être une chimère

par Sandro Magister

ROME, le 21 juin 2010 – Le fait n’a guère été remarqué. Mais la plupart des quelque 10 000 fidèles – presque la totalité des catholiques de Chypre – qui ont assisté à la messe célébrée par Benoît XVI à Nicosie le dimanche 6 juin, n’étaient pas chypriotes, mais asiatiques, africains ou latino-américains.
Le pape lui-même a adressé, dans son homélie, un salut particulier aux immigrés provenant des Philippines et du Sri Lanka.
Ceux-ci constituent en effet, avec ceux qui viennent de l’Inde, la moitié des quelque 30 000 immigrés présents dans l’île, ce dernier chiffre passant à 60 000 si l’on y inclut les clandestins.
Bon nombre d’entre eux sont catholiques. Ils remplissent les petites églises. Ils font baptiser leurs enfants. Ils sont le visage nouveau et moins connu de la présence de l’Église non seulement à Chypre mais dans d’autres parties de la Terre Sainte et du Moyen-Orient.
Chypre, qui fait partie de l’Union Européenne, est l’une des destinations préférées des immigrés. Une fois qu’ils sont arrivés en Turquie, ils débarquent sans difficultés au nord de l’île, dans la partie qui est sous occupation turque. Et de là ils franchissent facilement la frontière pour entrer en république gréco-chypriote qui constitue pour beaucoup d’entre eux une étape vers d’autres pays d’Europe.
Lorsque l’on examine l’ensemble de la région, on se rend compte qu’au moment où le pape convoque un synode et lance des appels affligés pour que les chrétiens du Moyen-Orient – fils des anciennes Églises de la région comprise entre la Méditerranée et le Golfe Persique – n’abandonnent pas leurs terres sous la pression d’un islam hostile, comme ils le font en nombre croissant, d’autres catholiques provenant de pays lointains arrivent en grand nombre dans cette même région.
Ce flux migratoire est tellement puissant que, bien souvent, les nouveaux venus sont plus nombreux que les chrétiens locaux. Cependant, contrairement à ce que l’on aurait pu penser, le document de travail du synode des évêques pour le Moyen-Orient convoqué à Rome pour le mois d’octobre ne consacre à ce phénomène que des mentions rapides, aux paragraphes 49 et 50.
La Turquie est un cas particulier, mais lui aussi éclairant. Dans ce pays, la présence chrétienne a été presque anéantie au cours du siècle dernier. La survie des toutes petites communautés catholiques a été assurée par des prêtres et des évêques provenant eux aussi, pour la plupart, de pays étrangers et en particulier d’Italie. C’est ce que démontrent les noms des plus récents martyrs : du prêtre Andrea Santoro à l’évêque Luigi Padovese, ce dernier ayant été assassiné précisément à la veille du voyage du pape à Chypre.
Lorsqu’il a pris la succession de Padovese, l’évêque de Smyrne et d’Anatolie, Ruggero Franceschini, a demandé à ce que d’autres prêtres et volontaires quittent l’Italie pour venir en « mission » en Turquie, afin que la présence catholique dans ce pays soit maintenue vivante.
Mais, en ce qui concerne le phénomène plus général de la nouvelle immigration chrétienne au Moyen-Orient, ce qui est le plus frappant, c’est qu’elle se concentre précisément là où est né l’islam : en Arabie Saoudite, où les catholiques atteignent désormais les 2 millions, et dans les pays du Golfe.
À propos de la péninsule arabique, on peut lire ci-dessous une analyse tout à fait à jour de ce paysage religieux qui a changé. Son auteur est l’un des meilleurs experts en ce domaine : Giuseppe Caffulli, directeur des revues et du site web de la Custodie de Terre Sainte, auteur de « Fratelli dimenticati. Viaggio tra i cristiani del Medio Oriente [Frères oubliés. Voyage chez les chrétiens du Moyen-Orient]« , Éditions Àncora, Milan, 2007.
Cette analyse a été publiée dans le dernier numéro de « Vita e Pensiero », la revue de l’Université Catholique du Sacré-Cœur.
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PÉNINSULE ARABIQUE. LES CHRÉTIENS À VALISE

par Giuseppe Caffulli

Paradoxes de notre temps. Depuis près de trois décennies, la terre qui donné naissance à l’islam et à son Prophète est en tête du classement des régions du monde où la présence du christianisme connaît le plus fort accroissement. Cependant il ne s’agit pas d’une augmentation liée à des conversions : dans cette région, la possibilité d’embrasser la foi chrétienne continue à être illégale. Cet accroissement trouve son origine dans un impressionnant flux migratoire qui concerne tous les pays du Golfe.
On estime qu’il y a en Arabie Saoudite plus de 8 millions d’immigrés sur une population de 27,5 millions d’habitants. Si l’on étudie les Émirats Arabes Unis (EAU) – une fédération de sept émirats : Abou Dabi, Ajman, Doubaï, Fujaïrah, Ras el-Khaïmah, Charjah et Oumm al-Qaïwaïn, situés au milieu de la côte orientale de la péninsule arabique – les chiffres sont encore plus impressionnants : sur un total de quelque 6 millions d’habitants, la population d’origine locale ne représente pas plus de 12-14 %.
Parmi ces immigrés, qui proviennent surtout d’Extrême-Orient, on trouve des chrétiens qui représentent la totalité du spectre confessionnel. En termes numériques, les catholiques constituent aujourd’hui la majorité des chrétiens présents dans les pays de la péninsule arabique.
L’immigration en Arabie Saoudite et dans les pays du Golfe (en plus de l’Arabie et des Émirats, le phénomène concerne également Bahreïn, Oman et le Qatar) a commencé avec le boom pétrolier. À partir des années 60, la demande toujours croissante de pétrole brut et la nécessité d’exploiter de manière de plus en plus massive les puits de pétrole rendent nécessaire l’emploi de main d’œuvre provenant de l’étranger. Les premiers travailleurs étrangers employés dans ce nouveau miracle économique provenaient principalement du tout proche Yémen, pays qui est encore aujourd’hui, avec ses 23 millions d’habitants, le vrai géant démographique de la région.

LE YÉMEN, UN CAS PARTICULIER
Jusqu’aux années 80, le nombre de travailleurs yéménites en Arabie Saoudite dépasse probablement le million. Les envois d’argent de ces immigrés constituent une part importante des ressources de l’état yéménite. Avec la première guerre du Golfe, la situation change radicalement. Le gouvernement yéménite prend parti pour Saddam Hussein (qui envahit le Koweït) : à l’improviste, Riyad et Sanaa se retrouvent ennemis. Au moins 800 000 travailleurs yéménites sont expulsés en 1991 parce qu’ils sont considérés comme une menace pour la sécurité nationale. À partir de ce moment-là, aucun travailleur yéménite ne peut plus obtenir un permis de travail en Arabie Saoudite. Pleins d’amertume et sans travail, les travailleurs yéménites expulsés deviennent les victimes d’une autre politique saoudite : l’exportation de la doctrine islamique sunnite wahhabite. La multiplication des écoles coraniques wahhabites au Yémen (voulues et financées justement par l’Arabie Saoudite) augmente également de manière significative l’engagement des jeunes yéménites dans les organisations djihadistes, avec des retombées néfastes sur le phénomène du terrorisme international d’origine islamique. Un tiers des détenus de la base américaine de Guantanamo est yéménite. La famille d’Oussama Ben Laden, le chef d’Al Qaida, est également yéménite.
Avec l’expulsion des travailleurs yéménites, d’énormes brèches s’ouvrent dans le système économique de l’Arabie Saoudite (et par voie de conséquence dans les pays du Golfe, qui ont également pris des positions pro-occidentales en matière de politique étrangère). À partir du début des années 90, pour garantir le niveau de production de pétrole brut (le pétrole représente encore aujourd’hui 88% des recettes de l’État et 90% des exportations), le gouvernement de Riyad se voit contraint de favoriser l’immigration d’un nombre toujours croissant de travailleurs étrangers provenant des pays d’Extrême-Orient et en particulier de l’Inde, des Philippines et du Pakistan.
L’accélération de l’économie des pays du Golfe (le PIB des Émirats a connu en 2008 une croissance de 6,8% ; celui de l’Arabie Saoudite a progressé de 4,2%), la planification de grandes infrastructures et une croissance impressionnante du secteur immobilier, font de la péninsule arabique l’une des zones où l’immigration est la plus forte au niveau planétaire.

LE PLUS GRAND VICARIAT DU MONDE

La péninsule arabique est placée sous la juridiction du vicariat d’Arabie, la plus grande circonscription ecclésiastique du monde : six pays qui s’étendent sur plus de 3 millions de kilomètres carrés (Arabie Saoudite, Bahreïn, Émirats Arabes Unis, Oman, Qatar et Yémen) et dont la population dépasse les 60 millions d’habitants. Le vicariat d’Arabie, dirigé depuis 2005 par Paul Hinder, un capucin suisse qui a succédé à son confrère italien Bernardo Gremoli, a largement dépassé les cent années d’existence (la création du siège d’Aden remonte à 1888).
Le siège actuel se trouve à Abou Dabi, moderne capitale des Émirats, et peut compter sur 61 prêtres et une centaine de religieuses appartenant à six congrégations différentes. En plus du service pastoral direct, l’Église gère huit écoles (pour un total de 16 000 élèves, dont 60% sont musulmans), des orphelinats et des maisons pour handicapés. Il y a encore quelques décennies, le vicariat d’Arabie s’occupait principalement du service pastoral de quelques milliers d’étrangers travaillant dans la péninsule : personnel des ambassades, employés et dirigeants d’entreprises étrangères.
Avec l’arrivée des travailleurs étrangers, à partir des années 90, tout a changé. Il n’existe pas de chiffres officiels, mais les estimations du vicariat d’Abou Dabi (sur la base des indications fournies par les ambassades) donnent, rien que pour le territoire de l’Arabie Saoudite, un chiffre d’environ 1,4 million de Philippins, dont 85% sont catholiques. On ne connaît pas de manière précise le nombre d’Indiens. Mais il est probable que, dans le royaume saoudien, les catholiques soient à eux seuls près de 2 millions.
D’après les données les plus récentes, les Émirats Arabes Unis compteraient quelque six millions d’habitants, dont cinq millions seraient des travailleurs étrangers. Ces immigrés professent, dans leur grande majorité, la religion musulmane (environ 3,2 millions), mais les chrétiens seraient plus d’un million et demi, dont 580 000 catholiques. Beaucoup d’entre eux sont de langue arabe (plus de 100 000, dont 12 000 pour le seul émirat d’Abou Dabi) et proviennent du Liban, de Syrie, de Jordanie, de Palestine et d’Irak. Les catholiques de rite oriental se comptent par dizaines de milliers : maronites, melkites, arméniens, syriaques, syro-malabars, syro-malankars… Les célébrations se déroulent en anglais et en arabe, mais également en malayalam, en konkani, en tagalog, en français, en italien, en allemand, en cinghalais et en tamil.
À Bahreïn, on compte 65 000 catholiques sur une population d’environ un million d’habitants. A Oman, il y a 120 000 catholiques sur 3,2 millions d’habitants. Au Qatar, où la première église catholique a été consacrée en 2008, les catholiques sont 110 000 sur 1,2 million d’habitants. Il est difficile de donner des statistiques fiables sur la globalité du phénomène. D’après des sources journalistiques, il y aurait dans les Émirats Arabes Unis quelque 750 000 travailleurs originaires de l’Inde, 250 000 provenant du Pakistan et 500 000 du Bangladesh. Les Iraniens, les Afghans, les Malaisiens, les Indonésiens, les Chinois et les Japonais totalisent ensemble un million d’immigrés. Les Philippins seraient un demi-million. Ensemble, les Africains et les Sud-américains réuniraient un million et demi d’immigrés. Même pour les Églises chrétiennes qui sont présentes sur place, il n’est pas facile de fournir des données fiables en raison de la grande mobilité de la population catholique (certains travailleurs ont des permis de très courte durée). De plus beaucoup de catholiques travaillent dans des zones très éloignées de la paroisse ou de la communauté chrétienne, ou encore ils vivent dans des camps de travail qui réduisent leur liberté de mouvement.

LES CONDITIONS DE TRAVAIL
Les conditions de vie des travailleurs étrangers ne sont pas roses dans la péninsule arabique. En Arabie Saoudite, pays dont le régime est l’un plus répressifs du monde, les travailleurs chrétiens doivent tous les jours tenir compte – en plus de la crise économique qui a provoqué, ici aussi, une diminution du nombre d’emplois et du niveau des rémunérations – de la police religieuse (mutawwa), qui ne tolère pas les manifestations publiques de la foi. Une situation qui fait l’objet de constantes protestations de la part des organismes internationaux qui s’occupent des droits de l’homme et de la liberté religieuse. Il n’est pas rare que les chrétiens qui agissent pour maintenir vivante la foi des communautés chrétiennes soient arrêtés par la police sur la base d’accusations qui sont, la plupart du temps, fausses ou de mauvaise foi (voir le cas de Brian Savio O’Connor, un chrétien indien qui a été emprisonné en 2004 pour avoir été trouvé en possession de Bibles et de livres religieux).
Contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays, les travailleurs étrangers qui se trouvent en Arabie Saoudite et dans les pays du Golfe ne cherchent pas à s’intégrer. Ils séjournent dans ces pays avec l’intention de retourner un jour chez eux ou d’émigrer une nouvelle fois, vers les USA, le Canada ou l’Australie. D’autre part une loi prévoit que le permis de séjour accordé aux travailleurs âgés de plus de 60 ans ne doit pas être renouvelé. La conséquence, c’est que l’Église d’Arabie ne possède pas de noyau stable. Aujourd’hui, elle est constituée de fidèles, en très grande majorité jeunes, qui, dans l’hypothèse la plus favorable, restent dans le pays cinq, dix ou au maximum vingt ans.
Par ailleurs il existe de graves situations de déséquilibre social. On trouve chez les chrétiens un petit nombre de riches et une grande masse de pauvres, qui ne bénéficient d’aucune sécurité sociale. Les travailleurs des couches les plus basses ne disposent que de faibles protections, même si les EAU ont signé avec le gouvernement de Manille, au début de novembre 2009, un protocole d’accord qui assure de plus importantes protections aux travailleurs philippins. Il existe également un véritable trafic de main d’œuvre, des organisations criminelles faisant venir clandestinement des travailleurs dans la région du Golfe. Et il y a aussi la traite des femmes, celles-ci provenant notamment des Philippines et d’Europe orientale et étant destinées à la prostitution. Beaucoup de celles qui viennent ont été attirées par la promesse mensongère d’obtenir un travail et elles se retrouvent réduites en esclavage. Celles qui s’enfuient trouvent souvent refuge auprès des organisations caritatives de l’Église catholique, qui offrent un service d’assistance psychologique et juridique à celles qui souhaitent retourner dans leur pays.
Mais la crise a également atteint la péninsule arabique, dont l’économie a connu un ralentissement généralisé. Alors que, pendant des années, l’inflation a tourné autour de 1%, l’Arabie Saoudite a enregistré en 2008 une envolée des prix qui a fait monter l’inflation jusqu’à plus de 11%. Le gouvernement de Riyad est en train de chercher à résoudre cette crise grâce à un projet de « saoudisation ». L’objectif est de limiter, à l’avenir, l’arrivée de nouveaux immigrés (en favorisant également, dans les faits, l’expulsion de millions d’ouvriers présents illégalement dans le pays) pour les remplacer par du personnel local. Contraints par la crise, beaucoup de Saoudiens recommencent à effectuer certains travaux qu’ils considéraient, il y a encore peu de temps, comme indignes d’eux ou trop fatigants et qui étaient pour cette raison confiés à des travailleurs étrangers. Cette « saoudisation » a aussi un aspect religieux : il s’agit de limiter le plus possible l’arrivée d’immigrés musulmans chiites, le courant musulman qui s’oppose depuis toujours au courant sunnite majoritaire dans la péninsule arabique.

PEU OU PAS DE LIBERTÉ RELIGIEUSE
Cette question de la liberté religieuse est le point sensible en Arabie Saoudite. D’après le rapport annuel sur la liberté religieuse qui a été publié en 2009 par la Commission américaine sur la liberté religieuse internationale (USCIRF), l’Arabie Saoudite figure parmi les pays qui suscitent une « préoccupation particulière », au même titre que le Myanmar, la Chine, la Corée du Nord, l’Érythrée, l’Iran, l’Irak, le Nigéria, le Pakistan, le Soudan, le Turkménistan, l’Ouzbékistan et le Vietnam.
En ce qui concerne l’Arabie Saoudite, le rapport reconnaît que quelques réformes limitées et quelques ouvertures timides ont été réalisées dans le domaine du dialogue religieux. Cela n’empêche pas le gouvernement de continuer à interdire toute forme d’expression religieuse publique qui ne se conforme pas à la doctrine musulmane sunnite et ne respecte pas l’interprétation particulière de l’islam wahhabite. De plus la Commission accuse les autorités saoudiennes de soutenir, au niveau international, des groupes qui promeuvent « une idéologie extrémiste qui envisage, dans certains cas, des violences contre les non-musulmans et contre les musulmans d’observances différentes ».
Dans les Émirats et dans les autres pays du Golfe, le panorama est quelque peu différent. On y trouve pour l’essentiel une situation de tolérance religieuse, même si c’est dans le cadre de règles bien définies. Les paroisses que le vicariat d’Arabie a créées dans ce secteur sont des témoignages de cette ouverture : une paroisse dans le royaume de Bahreïn, une au Qatar et sept dans les Émirats : pour être précis, deux à Abou Dabi, deux à Dubaï, une à Charjah, une à Fujaïrah et une à Ras al-Khaïmah. Il y a quatre paroisses dans le sultanat d’Oman, dont deux à Mascate. Il y a aussi quatre communautés au Yémen, un pays qui a réalisé des progrès mais où les blessures provoquées par les épisodes de violence contre des chrétiens sont encore ouvertes (il suffit de se rappeler l’assassinat de trois sœurs de Mère Teresa le 27 juillet 1998).
Dans l’ensemble, chaque émir est libre de faire la politique religieuse qui lui convient et les chrétiens sont amenés à vivre des situations différentes en fonction du contexte politique dans lequel ils évoluent. Ici la tolérance religieuse et la liberté de culte ne sont pas comparables à ce qui existe en Occident : tout est concentré dans les espaces accordés à la paroisse et il n’est pas permis d’exposer des symboles à l’extérieur ou d’exercer des activités publiques. Mais l’Église d’Arabie qui, par la bouche de son évêque, se définit comme « pèlerine », connaît dans les Émirats et dans les pays du Golfe une situation relativement privilégiée. Au contraire, en Arabie Saoudite, le service pastoral est pratiquement impossible. Les millions de fidèles qui se trouvent au-delà du rideau de fer de l’islam ne sont contactés que de temps en temps, de manière souvent rocambolesque, par un prêtre venu là incognito et qui assure la consécration du pain eucharistique qui sera ensuite distribué par des laïcs dans les différentes communautés.

DES COMMUNAUTÉS DISPERSÉES
Du point de vue pastoral, l’urgence principale de l’Église d’Arabie est liée au manque de structures. Il y a des paroisses qui comptent 40 000 fidèles, certaines vont jusqu’à 100 000. Souvent, il est impossible d’accueillir tous les fidèles qui désirent assister aux célébrations ou qui demandent un service pastoral. D’autre part il est difficile de se dépêtrer des intérêts et sensibilités des divers groupes ethniques – au moins 90 – sans provoquer de tensions et d’incompréhensions. Les prêtres sont peu nombreux et il est très difficile d’obtenir de nouveaux visas pour augmenter leur effectif. Il n’est pas facile non plus de trouver des prêtres adaptés aux missions dans cette région particulière : l’une des exigences fondamentales est qu’ils doivent parler plusieurs langues. De plus les fidèles vivent dispersés, loin des paroisses ; beaucoup d’entre eux travaillent dans des villages qui se trouvent en plein désert, ou bien sur des plates-formes pétrolières, dans des zones où il n’est absolument pas possible de les contacter. Pour la plupart, ils ne disposent pas de moyens de transport ou ne sont pas en mesure de payer leur billet ou n’obtiennent pas la permission de leurs employeurs respectifs. Paul Hinder fait souvent remarquer que l’une des questions cruciales est celle de la protection de ces fidèles contre la tentation de se laisser absorber par l’islam. Cela arrive effectivement : lorsque ceux qui sont musulmans trouvent des emplois meilleurs et mieux payés, la conversion devient pour beaucoup un moyen commode et facile de promotion sociale.
Quel sera le sort de ces travailleurs chrétiens dans les prochaines années ? Difficile à dire. Pour le moment, leur présence, en termes de nombre, dépend de la situation politique et économique que va connaître la région. Le monde dans lequel ils vivent est – on ne peut pas l’oublier –  totalement axé sur l’islam. Au point que, dans l’état actuel des choses, il est difficile d’imaginer une ouverture en matière de droits de l’homme et de liberté religieuse, même si l’on ne peut ni taire ni nier le fait qu’une grande masse de travailleurs non musulmans vit dans la péninsule arabique. Et, tôt ou tard, il faudra bien que quelqu’un commence à tenir compte des exigences, pas seulement économiques, de ces chrétiens à valise

par Sandro Magister: La Pentecôte sur le Mont Athos

25 mai, 2010

du site:

http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1337041?fr=y

La Pentecôte sur le Mont Athos

Voyage sur la montagne sainte de l’Eglise orthodoxe. Accompli et raconté pour la première fois en 1997. C’est-à-dire maintenant, cette année. Parce que, sur le Mont Athos, le temps de la terre ne fait qu’un avec l’aujourd’hui éternel du ciel

par Sandro Magister

MONT ATHOS – Arrêtez vos montres, lorsque vous verrez le sommet du Mont Athos émerger des brumes de la mer Egée. Là-bas en effet, on vit dans un autre temps. On a conservé le calendrier julien, en retard de 13 jours par rapport au calendrier latin qui a envahi le reste du monde. Les heures ne se comptent pas à partir de minuit mais du coucher du soleil. Et ce n’est pas sous le soleil de midi, mais dans l’obscurité de la nuit que le Mont Athos vit et palpite le plus. De chants, de lumières, de mystères.

Le Mont Athos est une vraie terre sainte, qui inspire la crainte de Dieu. Il n’est pas fait pour tout le monde. En tout cas pas pour les femmes, qui forment déjà une bonne moitié de l’humanité. La dernière pèlerine autorisée y a mis le pied il y a seize siècles. Elle s’appelait Galla Placidia et a donné son nom à une église de Ravenne aux mosaïques bleu et or. Etre la fille du grand Théodose, empereur chrétien de Rome et Constantinople, ne lui a servi à rien. Elle était entrée dans un monastère du Mont Athos mais une icône de la Vierge lui ordonna: arrête-toi! Et la Vierge la somma de quitter la montagne qui, depuis lors, allait être interdite aux femmes. Depuis le XIe siècle – dit-on – même les animaux femelles – vaches, chèvres, lapines – n’osent plus gravir impunément la montagne sainte.

OURANOUPOLIS

Ouranoupolis – la cité du ciel – est le dernier village grec avant la limite sacrée. Ce poste frontière est très spécial. Des panneaux en tôle émaillée vous avertissent jusqu’au dernier moment que vous ne vous en sortirez pas indemne si vous êtes une femme déguisée en homme ou si l’on découvre que vous n’avez pas les permis requis. La sainte épistasie – le gouvernement des moines – vous enverra vers un tribunal en Grèce, ce dernier étant toujours très sévère sur la défense de l’extraterritorialité du Mont Athos et des lois de cette théocratie autonome, inscrites dans la constitution grecque et reconnues sur le plan international.

Des moines en sueur, vêtus d’une soutane et d’un couvre-chef cylindrique, contrôlent la foule de visiteurs à la recherche d’un laissez-passer. Il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus, dit l’Evangile. Et rares sont les visas d’entrée marqués chaque matin du sceau de la Vierge. Celui qui reçoit enfin le “parchemin“ qui autorise la visite se dirige sans tarder vers le quai d’embarquement. En effet, on n’entre au Mont Athos que par voie maritime, au moyen d’embarcations baptisées de noms de saints.

Le débarquement se fait dans un petit port situé au milieu de la péninsule et dénommé Daphné, comme la nymphe d’Apollon. De là, on peut apercevoir le lointain Mont Olympe quand le vent se lève, mais mieux vaut l’oublier. Un vieil autobus ventru, couleur terre jusque sur ses fenêtres, se traîne le long de la route qui monte en direction de Kariès, centre administratif du Mont Athos et siège de la sainte épistasie.

KARIÈS

Kariès abrite la gendarmerie et quelques ruelles. Des boutiques proposent des graines d’épeautre, des icônes, des grains d’encens et des soutanes de moines. On y trouve aussi le terminus de l’autobus et un restaurant. Et puis une cabine téléphonique, dont on pressent que c’est la première et la dernière.

Karies est un village étrange, inhabité. Les quelques hommes qu’on y voit ne sont là que pour peu de temps: moines itinérants, gendarmes, ouvriers journaliers, voyageurs égarés. A partir de là, le parcours se fera à pied. Des heures de marche sur des routes non goudronnées, sans ombre, dans des nuages de poussière impalpable comme du cacao. Ou bien dans des camionnettes louées par un autre de ces étranges Grecs qui sont là provisoirement. Ou encore en sautant au passage d’une des jeeps dont disposent les monastères les plus modernes.

En tout cas, vous allez souffrir. L’Athos est réservé aux caractères bien trempés et ascétiques. Vous êtes immédiatement mis à l’épreuve. A chaque jour de visite son chemin de croix: poussière, cailloux, précipices. Sur votre précieux permis, en effet, il est écrit que vous ne pouvez pas vous arrêter plus d’une nuit dans un monastère. Entre eux, des heures de marche. On n’échappera pas au pèlerinage.

LA GRANDE LAURE

Mais lorsque vous arrivez, épuisés, dans l’un des vingt grands monastères, vous êtes au paradis. La Grande Laure – le premier des vingt dans l’ordre hiérarchique – vous accueille entre ses murs suspendus entre ciel et terre, à la pointe de la péninsule, juste au pied de la montagne sainte. Un jeune moine apparaît, qui vous retire votre permis et votre passeport. Il réapparait, tel l’ange de l’Apocalypse, après une demi-heure d’attente silencieuse, et vous tend un verre d’eau fraiche, vous propose un doigt de liqueur anisée, un morceau de fruit confit et un café à la turque, épicé. C’est le signe que vous êtes admis parmi les invités. On vous attribue un lit dans une chambre pour six aux murs plusieurs fois centenaires ainsi que des draps fraîchement lavés et un essuie-main. Dès lors, vous vivrez comme les moines.

Ou bien vous ferez comme il vous plaira. Les monastères du Mont Athos ne sont pas comme ceux de l’Occident, des citadelles closes de murs où chaque mouvement, chaque mot sont soumis à des règles collectives. Sur le Mont Athos, il y a de tout pour tout le monde. L’ermite solitaire sur son rocher en surplomb, qui reçoit de temps en temps de la nourriture au moyen d’un panier. Les anachorètes retirés dans leurs masures perdues entre genêts et arbousiers, à flanc de montagne. Les itinérants, toujours en déplacement et toujours agités. Les cénobites solennels qui vivent en communauté sous la direction d’un abbé, que l’on appelle ici higoumène. Les monastères villages où chaque moine vit un peu à son rythme.

La Grande Laure compte parmi ces derniers. Ses murailles renferment des places, des ruelles, des églises, des pergolas, des fontaines, des moulins. Les cellules forment un bloc, comme dans une kasbah orientale. Les murs crépis sont d’un bleu soutenu, tandis que le rouge est la couleur sacrée des églises. Quand retentit l’appel à la prière, lancé par des cloches qui font entendre sept sons différents et par les planches de bois que l’on martèle, les moines se dirigent vers le catholicon, l’église centrale. Mais si quelqu’un souhaite prier ou manger seul, rien ne lui interdit de rester dans sa cellule. Cela vaut aussi pour le visiteur, à ceci près que ce dernier ne dispose que de peu d’alternatives. A l’heure des vêpres, il accourt, impatient. A l’heure de la prière de la nuit, il essaie, vite ramené en arrière par le sommeil. A l’heure de la liturgie du matin, il essaie encore, vaguement étourdi.

Ou enivré? Il y a un parfum d’Orient, de Byzance, à la Grande Laure. Il y a un arôme de cyprès et d’encens, une fragrance de cire d’abeille, de reliques, d’antiquités mystérieusement proches. Car les moines du Mont Athos ne souffrent pas du temps. Ils y parlent de leurs saints. De saint Athanase qui a planté deux cyprès au centre de la Lavra. Qui a construit le catholicon avec une force herculéenne. Qui a modelé le monachisme athonite. Comme s’il n’était pas mort en l’an mil mais tout juste hier, comme s’ils l’avaient rencontré en personne il y a peu de temps.

Des saints, des siècles, des empires, des cités terrestres et célestes, tout semble flotter et couler sans aucune distance. Au centre de la nef, les trésors du monastère sont offerts à la vénération du visiteur: coffrets en or et en argent, sertis de saphirs et de rubis, contenant la ceinture de la Vierge, le crâne de saint Basile le Grand, la main droite de saint Jean Chrysostome. La lumière du couchant les éclaire, les fait vibrer. Tout comme s’éclairent les fresques de Théophane, maître de l’école crétoise du début du XVIe siècle, les majoliques bleues sur les murs, les nacres de l’iconostase, du lutrin, de la chaire.

Après les vêpres, on sort du catholicon en procession pour entrer dans le réfectoire, situé de l’autre côté de la place. Edifié comme une église, il contient lui aussi des fresques du grand Théophane. C’est la même liturgie qui continue. L’higoumène prend place au centre de l’abside. Depuis le pupitre, un moine lit – il chante presque – des histoires de saints. On mange de la nourriture bénite, des soupes et des légumes dans de la vaisselle ancienne en fer. Les jours de fête, l’on boit du vin de couleur ambrée sur d’épaisses tables en marbre sculptées en forme de corolle, qui reposent elles-mêmes sur des piliers en marbre. Elles sont vieilles de mille ans mais rappellent les dolmens de la préhistoire. La sortie se fait aussi en procession. Un moine tend à chacun du pain béni, qu’un autre encense avec tant d’art que l’on en garde longtemps le parfum dans la bouche.

VATOPÉDI

Dans la hiérarchie des vingt monastères, celui de Vatopédi suit la Grande Laure. Il domine la mer parmi de douces collines qui rappellent vaguement la Toscane. C’est ici, dit-on, qu’Arcadius, fils de Théodose, aborda lors d’un naufrage. C’est aussi de là que sa sœur Galla Placidia dut repartir vers le large, devenant ainsi la première femme à qui l’accès au Mont Athos ait été refusé.

Autant la Laure est rustique, autant Vatopédi est raffiné. Trop, même, à certains moments de son histoire passée: opulent et décadent. Il y a quelques années encore, il hébergeait des moines sodomites, déshonneur du Mont Athos. Puis un énergique coup de balai a été donné par une poignée de moines rigoristes venus de Chypre, qui ont banni ces réprouvés et imposé la règle cénobitique. Aujourd’hui Vatopédi est à nouveau l’un des monastères les plus florissants. Il accueille de jeunes novices, dont certains viennent de la lointaine Amérique où leurs parents, orthodoxes, avaient émigré.

Vatopédi est l’aristocratie du Mont Athos. Comme le dit solennellement l’higoumène Ephrem, à la barbe cuivrée, aux yeux clairs et à la voix mélodieuse: « Le Mont Athos est unique. C’est le seul état monastique dans le monde ». Mais si c’est une cité céleste sur terre, alors tout doit y être sublime. Par exemple les liturgies: à Vatopédi elles le sont vraiment. Spécialement lors des grandes fêtes: Pâques, Epiphanie, Pentecôte. Le pèlerin doit renoncer au sommeil et ne manquer, pour rien au monde, ses merveilleux offices de nuit.

L’église en elle-même est très suggestive: elle est en forme de croix grecque, comme toutes les église du Mont Athos, et décorée de fresques merveilleuses par les maîtres macédoniens du XIVe siècle, avec une iconostase éblouissante d’ors et d’icônes. Mais c’est le chant qui donne vie à tout: un chant à plusieurs voix, un chant mâle, sans instruments, que l’on entend sans interruption pendant sept ou dix heures d’affilée parce que plus la fête est importante, plus elle se prolonge tard dans la nuit, un chant tantôt puissant, tantôt murmuré, comme une marée qui monte et descend.

Il y a deux chœurs pour guider le chant: deux groupes de moines, réunis chacun dans une partie du transept autour d’un lutrin à colonne. Le maître de chœur entonne la strophe et le chœur en saisit le motif et le fait fleurir en mélodies et en accords. Quand le maître de chœur traverse la nef à pas rapides pour aller du premier chœur au second, son manteau léger à petits plis se gonfle et forme deux ailes majestueuses. Il paraît voler, comme les notes.

Et puis il y a les lumières. Le monastère a l’électricité, mais pas l’église. Ici les seules lumières sont des flammes: des myriades de petits cierges. Les allumer, les éteindre, les déplacer fait aussi partie du rite. Dans chaque catholicon du Mont Athos, un lustre en forme de couronne royale pend de la coupole centrale, par de longues chaînes. Sa circonférence est égale à celle de la coupole. La couronne, de cuivre, de bronze ou de laiton brillants, est ornée alternativement de cierges et d’icônes. On y pend des œufs géants qui symbolisent la résurrection. Le lustre descend si bas qu’on l’effleure presque, juste devant l’iconostase qui délimite le saint des saints. D’autres lustres fastueux et dorés descendent des voûtes des bras du transept.

Lors des liturgies solennelles, il y a le moment où on allume toutes les lumières: celles des lustres et celles de la couronne centrale; puis on fait osciller fortement les premiers, tandis que l’on fait tourner la grande couronne sur son axe. Cette danse des lumières dure au moins une heure, avant de s’apaiser peu à peu. La palpitation des mille petites flammes, le scintillement des ors, le cliquetis des métaux, le changement de couleur des icônes, l’onde sonore du chœur qui accompagne ces galaxies d’étoiles dont la rotation rappelle celle des sphères célestes, tout cela fait étinceler la véritable essence du Mont Athos: le fait qu’il est tourné vers les mystères surnaturels.

Aujourd’hui, quelles liturgies occidentales, catholiques, sont capables d’initier à de tels mystères et d’enflammer les cœurs simples à propos de choses célestes? Joseph Ratzinger, hier comme cardinal et aujourd’hui comme pape, a raison de détecter dans la vulgarisation de la liturgie le point faible du catholicisme actuel. Au Mont Athos, le diagnostic est encore plus radical: à force d’humaniser Dieu, les Eglises d’Occident le font disparaître. « Notre Dieu n’est pas celui de la scolastique occidentale », affirme Gheorghios, higoumène du monastère athonite de Grigoríu. « Un Dieu qui ne déifie pas l’homme ne peut avoir aucun intérêt, qu’il existe ou non. C’est dans ce christianisme fonctionnel, accessoire, que l’on trouve la plupart des causes de la vague d’athéisme que connaît l’Occident ».

Vassilios, higoumène de l’autre monastère d’Ivíron, lui fait écho: « Pour les Occidentaux, c’est l’action qui prime et ils nous demandent comment nous pouvons rester pendant tant d’heures à l’église sans rien faire. Je réponds: que fait l’embryon dans le sein de sa mère? Rien, mais comme il est dans le ventre de sa mère, il se développe et grandit. C’est pareil pour le moine. Il garde le lieu saint dans lequel il se trouve et ce même lieu le garde et le façonne. Le miracle, c’est que nous sommes en train d’entrer au paradis, ici et maintenant. Nous sommes au cœur de la communion des saints ».

SIMONOS PETRA

Simonos Petra est un autre des monastères qui sont à la tête de la renaissance athonite. Il se dresse sur un éperon rocheux, entre le sommet du Mont Athos et la mer, avec des terrasses à pic sur le précipice. Elisée, l’higoumène, revient tout juste d’un voyage dans les monastères de France. Il apprécie Solesmes, rempart du chant grégorien. Mais il juge l’Eglise occidentale trop « prisonnière d’un système », trop « institutionnelle ».

Le Mont Athos est au contraire – selon lui – le lieu des esprits libres, des grands charismatiques. Au Mont Athos « le logos épouse la praxis », la parole épouse les faits. « Le moine doit montrer que les vérités sont des réalités. Vivre l’Evangile de manière parfaite. Voilà pourquoi la présence du moine est si essentielle pour le monde. Saint Jean Climaque écrivait: les anges sont lumière pour les moines, les moines sont lumière pour les hommes ».

Simonos Petra fait école, y compris hors des limites du Mont Athos. Il est à l’origine d’un monastère de moniales – elles sont à peu près 80 – au cœur de la péninsule de Chalcidique, puis d’un autre près de la frontière gréco-bulgare. Et il a créé trois autres noyaux monastiques jusqu’en France. C’est un monastère cultivé, doté d’une riche bibliothèque. En pleine nuit, ses 80 moines, avant l’office qui précède l’aube, veillent en cellule pendant trois à cinq heures, lisant et méditant les livres des Pères.

Le Mont Athos ne dort pas. Son temps est entièrement consacré aux sphères angéliques. Même les visiteurs les plus blasés ont du mal à en partir. A Daphné, on reprend le ferry. Le grondement cadencé des moteurs vous remet à l’heure de la vie ordinaire. La jeune grecque qui, la première, vous sert le café à Ouranoupolis, vous fait l’effet d’une apparition. Elle a la fulgurante beauté d’une Victoire de Samothrace.

Traduction française par Charles de Pechpeyrou.

par Sandro Magister: L’Église persécutée? Oui, par les péchés de ses enfants

17 mai, 2010

du site:

http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1343307?fr=y

L’Église persécutée? Oui, par les péchés de ses enfants

C’est là, d’après Benoît XVI, la « terrifiante » actualité du message de Fatima. Mais le dernier mot de l’histoire est la bonté de Dieu. Qui doit être accueillie dans la pénitence et avec un esprit de conversion

par Sandro Magister

ROME, le 14 mai 2010 – Étrangement, c’est pendant le vol, avant l’atterrissage à Lisbonne, au matin du mardi 11 avril, que Benoît XVI a tenu les propos les plus fulgurants de son voyage de quatre jours au Portugal, centré sur sa visite à Fatima.

Il répondait aux journalistes présents dans l’avion. Apparemment, il improvisait.

En réalité, ses propos étaient mûrement pesés. Les questions lui avaient été transmises d’avance par le directeur de la salle de presse du Vatican, le père Federico Lombardi. Et le pape en avait choisi trois, dont la troisième concernait le « secret » de Fatima et le scandale de la pédophilie.

Voici cette troisième question, avec la réponse du pape, dans la transcription, caractéristique du langage parlé, fournie par les services du Vatican :

*

Q. – Et maintenant venons à Fatima, qui sera un peu le sommet spirituel de ce voyage ! Sainteté, quelle signification ont pour nous aujourd’hui les apparitions de Fatima ? Quand vous avez présenté le texte du troisième secret à la Salle de presse du Vatican, en juin 2000, certains d’entre nous et d’autres collègues d’alors y étaient, il vous fut demandé si le message pouvait aussi être étendu, au-delà de l’attentat contre Jean-Paul II, à d’autres souffrances des Papes. Est-il possible, selon vous, de situer aussi dans cette vision les souffrances de l’Église d’aujourd’hui, liées aux péchés des abus sexuels sur les mineurs ?

R. – Avant tout je voudrais exprimer ma joie d’aller à Fatima, de prier devant la Vierge de Fatima, qui est pour nous un signe de la présence de la foi, que c’est des petits proprement que nait une nouvelle force de la foi, qui ne se limite pas aux seuls petits, mais qui a un message pour tout le monde et rejoint le cours de l’histoire dans son présent et l’éclaire.

En 2000, dans la présentation, j’avais dit qu’une apparition, c’est-à-dire un événement surnaturelle, qui ne vient pas seulement de l’imagination de la personne, mais en réalité de la Vierge Marie, du surnaturel, qu’un tel événement entre dans un sujet et s’exprime dans les possibilités du sujet. Le sujet est déterminé par ses conditions historiques, personnelles, de tempérament, et donc traduit ce grand événement surnaturel dans ses possibilités de voir, d’imaginer, d’exprimer, mais dans ses expressions, formées par le sujet, se cache un contenu qui va au-delà, plus profondément, et c’est seulement dans le cours de l’histoire que nous pouvons voir toute la profondeur, qui était – disons – « vêtue » dans cette vision possible aux personnes concrètes.

Je dirais donc, ici aussi, au-delà de cette grande vision de la souffrance du Pape, que nous pouvons en premier lieu rapporter au Pape Jean-éaul II, sont indiquées des réalités de l’avenir de l’Église qui au fur et à mesure se développent et se manifestent. Par conséquent, il est vrai que au-delà du moment indiqué dans la vision, on parle, on voit la nécessité d’une passion de l’Église, qui naturellement se reflète dans la personne du Pape, mais le Pape est pour l’Église et donc ce sont des souffrances de l’Église qui sont annoncées.

Le Seigneur nous a dit que l’Église aurai toujours souffert, de diverses façons, jusqu’à la fin du monde. L’important est que le message, la réponse de Fatima, ne réside pas substantiellement dans des dévotions particulières, mais dans la réponse de fond, c’est-à-dire la conversion permanente, la pénitence, la prière et les trois vertus théologales : foi, espérance et charité. Ainsi voyons-nous ici la réponse véritable et fondamentale que l’Église doit donner, que nous, chacun de nous, devons donner dans cette situation.

Quant aux nouveautés que nous pouvons découvrir aujourd’hui dans ce message, il y a aussi le fait que les attaques contre le Pape et contre l’Église ne viennent pas seulement de l’extérieur, mais les souffrances de l’Église viennent proprement de l’intérieur de l’Église, du péché qui existe dans l’Église. Ceci s’est toujours su, mais aujourd’hui nous le voyons de façon réellement terrifiante : que la plus grande persécution de l’Église ne vient pas de ses ennemis extérieurs, mais naît du péché de l’Église et que donc l’Église a un besoin profond de ré-apprendre la pénitence, d’accepter la purification, d’apprendre d’une part le pardon, mais aussi la nécessité de la justice. Le pardon ne remplace pas la justice. En un mot, nous devons ré-apprendre cet essentiel : la conversion, la prière, la pénitence et les vertus théologales. Nous répondons ainsi, nous sommes réalistes en nous attendant que le mal attaque toujours, qu’il attaque de l’intérieur et de l’extérieur, mais aussi que les forces du bien sont toujours présentes et que, à la fin, le Seigneur est plus fort que le mal, et pour nous la Vierge est la garantie visible, maternelle, de la bonté de Dieu, qui est toujours la parole ultime dans l’histoire.

*

Ces propos de Benoît XVI ont doublement étonné les observateurs.

Tout d’abord à cause de la lecture que le pape Joseph Ratzinger a donnée du « secret » de Fatima. Une lecture qui n’était pas limitée au passé, comme dans les interprétations ecclésiastiques courantes, mais ouverte au présent et à l’avenir. « Celui qui penserait que la mission prophétique de Fatima est achevée se tromperait », a-t-il répété aux fidèles devant le sanctuaire.

Et aussi – et plus encore – parce qu’il a affirmé que « la plus grande persécution de l’Église ne vient pas des ennemis extérieurs, mais elle naît du péché dans l’Église ». Là aussi, il était en contradiction avec les opinions exprimées par beaucoup d’ecclésiastiques, selon lesquels l’Église souffre avant tout des attaques lancées contre elle de l’extérieur.

Mais dans les deux cas, Ratzinger n’a fait que confirmer et préciser des opinions qu’il avait déjà exprimées en d’autres occasions.

Il suffit de se rappeler, par exemple, ce passage de l’homélie qu’il a prononcée – là  encore en improvisant – au cours de la messe célébrée le 15 avril dernier avec les membres de la commission pontificale biblique :

« Il y a dans l’exégèse une tendance consistant à dire que Jésus, en Galilée, aurait annoncé une grâce sans condition, absolument inconditionnée, et donc sans pénitence, une grâce en tant que telle, sans présupposés humains. Mais c’est une interprétation fausse de la grâce. La pénitence est grâce ; le fait que nous reconnaissions notre péché est une grâce, le fait que nous sachions que nous avons besoin d’un renouvellement, d’un changement, d’une transformation de notre être est une grâce. La pénitence, le pouvoir de faire pénitence, est le don de la grâce. Je dois dire que nous chrétiens, même ces derniers temps, nous avons souvent évité le mot pénitence, qui nous paraissait trop dur. Maintenant, sous les attaques du monde qui nous parlent de nos péchés, nous voyons que pouvoir faire pénitence est une grâce. Nous voyons qu’il est nécessaire de faire pénitence, c’est-à-dire de reconnaître ce qui est erroné dans notre vie, de nous ouvrir au pardon, de nous préparer au pardon, de nous laisser transformer. La souffrance de la pénitence, c’est-à-dire de la purification et de la transformation, cette souffrance est une grâce, parce qu’elle est renouvellement, parce qu’elle est œuvre de la miséricorde divine ».

Et le 19 mars, dans sa lettre aux catholiques d’Irlande, il avait écrit des choses analogues. Par exemple, que les scandales de la pédophilie dans le clergé « ont obscurci la lumière de l’Évangile à un degré qui n’avait jamais été atteint, même dans les siècles de persécution ». Et que seule une démarche de pénitence, de la part de toute l’Église de ce pays, pouvait ouvrir à la purification et à la conversion : en un mot, à la grâce.

*

Mais il y a plus. Toujours dans sa lettre aux catholiques d’Irlande, Benoît XVI a écrit que le scandale des abus sexuels commis par des prêtres sur des enfants « a contribué de manière très importante à l’affaiblissement de la foi ».

Aux yeux du pape, la disparition de la foi est le plus grand danger non seulement pour le monde actuel mais aussi pour l’Église.

Tant il est vrai qu’il associe à ce danger ce qu’il appelle la « priorité » de sa mission de pontife.

Il l’a écrit de manière parfaitement claire dans la mémorable lettre qu’il a adressée aux évêques du monde entier le 10 mars 2009 :

« À notre époque où dans de vastes régions de la terre la foi risque de s’éteindre comme une flamme qui ne trouve plus à s’alimenter, la priorité qui prédomine est de rendre Dieu présent dans ce monde et d’ouvrir aux hommes l’accès à Dieu. Non pas à un dieu quelconque, mais à ce Dieu qui a parlé sur le Sinaï; à ce Dieu dont nous reconnaissons le visage dans l’amour poussé jusqu’au bout (cf. Jn 13, 1) – en Jésus Christ crucifié et ressuscité ».

Et il l’a redit de façon identique sur l’esplanade du sanctuaire de Fatima, le soir du 12 mai de cette année, en bénissant les flambeaux avant de réciter le rosaire :

« À notre époque, où la foi dans de vastes régions de la terre, risque de s’éteindre comme une flamme qui n’est plus alimentée, la première de toutes les priorités est celle de rendre Dieu présent dans ce monde et d’ouvrir aux hommes l’accès à Dieu. Pas à un dieu quelconque, mais à ce Dieu qui a parlé sur le Sinaï ; ce Dieu dont nous reconnaissons le visage dans l’amour vécu jusqu’au bout (cf. Jn 13, 1), en Jésus Christ crucifié et ressuscité ».

Parlant aux évêques du Portugal, l’après-midi du jeudi 13 mai, Benoît XVI a reproposé cette priorité à tous les catholiques de ce pays : « Gardez vivante la dimension prophétique, sans bâillon, dans le contexte du monde actuel, parce que ‘la parole de Dieu n’est pas enchaînée !’ (2 Timothée 2, 9) ».

Mais il les a également avertis que, pour témoigner de la foi chrétienne, les simples discours ou les rappels moraux ne suffisent pas. La sainteté de la vie est nécessaire.

Cette même sainteté que, depuis longtemps, ce pape ne cesse de demander avant tout aux prêtres. Spécialement en cette Année Sacerdotale de son invention, qui va s’achever le mois prochain et au centre de laquelle il a mis comme modèle un humble prêtre de campagne du XIXe siècle, le Saint Curé d’Ars.

Parce que « c’est justement des petits que naît une nouvelle force de la foi ». De ces petits qu’ont aussi été les trois pastoureaux de Fatima.

par Sandro Magister: Fatima. Le « secret » dévoilé

10 mai, 2010

du site:

http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1343239?fr=y

Fatima. Le « secret » dévoilé

Les textes autographes de Sœur Lucia interprétés en 2000 par celui qui était alors le cardinal Joseph Ratzinger et qui, en tant que pape, est à la veille de son retour dans ce sanctuaire marial

par Sandro Magister

ROME, le 10 mai 2010 – À partir de demain, Benoît XVI va passer quatre jours au Portugal. Sa première étape sera Lisbonne et la dernière Porto. Entre les deux, il s’arrêtera à Fatima, l’un des sanctuaires mariaux les plus fréquentés du monde.

Fatima est l’endroit où, en 1917, la Vierge Marie est apparue à des enfants et leur a parlé, leur révélant notamment ce que l’on a appelé par la suite un « secret ».

Les deux premières parties de ce « secret » ont été rendues publiques en 1941 ; elles sont centrées sur une vision de l’enfer et sur les persécutions contre l’Église.

La troisième et dernière partie a longtemps été tenue sous clé par les autorités vaticanes. Elle a alimenté de fortes attentes qui ne se sont pas apaisées même après la publication du texte en 2000, décidée par Jean-Paul II. Aujourd’hui encore, il y a des gens qui affirment que des révélations restent cachées.

Étant encore cardinal, Joseph Ratzinger a joué un rôle clé dans la publication de la troisième partie du « secret » de Fatima.

En effet c’est lui qui, en qualité de préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, en a donné l’interprétation officielle, dans un « commentaire théologique » qui a accompagné la publication du texte.

Un extrait de son commentaire est reproduit dans cette page. Mais le texte intégral est beaucoup plus long. Un chapitre entier explique le sens des « révélations » privées par rapport à la « Révélation » définitive qui est Jésus-Christ et qui trouve son expression dans l’Ancien et le Nouveau Testament. Il y a aussi une analyse de la structure anthropologique et psychologique des « révélations » privées.

Au cœur de l’interprétation du « secret » de Fatima par Ratzinger, il y a une méditation chrétienne sur l’histoire. Méditation qu’il va probablement reprendre dans ses homélies et discours des jours prochains.

Dans son commentaire de 2000, Ratzinger a catégoriquement exclu que la vision des enfants à Fatima ait été « un film d’anticipation de l’avenir », d’un avenir prédéterminé pour toujours, impossible à changer. Au contraire – a-t-il dit – le message qui émane de la vision est une invitation à la liberté des hommes, pour qu’elle change les choses en bien. Jean-Paul II – a-t-il ajouté – avait raison de se considérer comme sauvé par la « main maternelle » qui avait dévié le projectile mortel tiré contre lui le 13 mai 1981. Parce qu’il « n’existe pas de destin immuable » et que « la foi et la prière sont des puissances qui peuvent influer sur l’histoire ».

Les visions de Fatima concernant les persécutions infligées aux chrétiens ne sont pas des révélations apocalyptiques sur l’avenir – a encore dit Ratzinger – mais un message d’espérance. Le sang des martyrs est une semence de purification et de renouvellement.

Et surtout, « depuis que Dieu lui-même a un cœur d’homme et qu’il a, de ce fait, tourné la liberté de l’homme vers le bien, vers Dieu, la liberté pour le mal n’a plus le dernier mot ».

En attendant d’entendre ce que Benoît XVI va dire au Portugal et à Fatima, on trouvera ci-dessous un extrait de son commentaire de 2000, précédé du texte intégral des trois parties du « secret » et du communiqué officiel par lequel sa troisième partie a été rendue publique il y a dix ans.

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1. LES DEUX PREMIÈRES PARTIES DU « SECRET » RÉVÉLÉ EN 1917, ÉCRITES PAR SŒUR LUCIA EN 1941 ET RENDUES PUBLIQUES LA MÊME ANNÉE

Le secret comporte trois choses distinctes, et je vais en dévoiler deux.

La première fut la vision de l’Enfer.

Notre-Dame nous montra une grande mer de feu, qui paraissait se trouver sous la terre et, plongés dans ce feu, les démons et les âmes, comme s’ils étaient des braises transparentes, noires ou bronzées, avec une forme humaine. Ils flottaient dans cet incendie, soulevés par les flammes, qui sortaient d’eux-mêmes, avec des nuages de fumée. Ils retombaient de tous côtés, comme les étincelles retombent dans les grands incendies, sans poids ni équilibre, avec des cris et des gémissements de douleur et de désespoir qui horrifiaient et faisaient trembler de frayeur. Les démons se distinguaient par leurs formes horribles et dégoûtantes d’animaux épouvantables et inconnus, mais transparents et noirs. Cette vision dura un moment, grâce à notre bonne Mère du Ciel qui auparavant nous avait prévenus, nous promettant de nous emmener au Ciel (à la première apparition). Autrement, je crois que nous serions morts d’épouvante et de peur.

Ensuite nous levâmes les yeux vers Notre-Dame, qui nous dit avec bonté et tristesse:

Vous avez vu l’enfer où vont les âmes des pauvres pécheurs. Pour les sauver, Dieu veut établir dans le monde la dévotion à mon Cœur immaculé. Si l’on fait ce que je vais vous dire, beaucoup d’âmes seront sauvées et on aura la paix. La guerre va finir. Mais si l’on ne cesse d’offenser Dieu, sous le pontificat de Pie XI en commencera une autre pire encore. Lorsque vous verrez une nuit illuminée par une lumière inconnue, sachez que c’est le grand signe que Dieu vous donne, qu’Il va punir le monde de ses crimes par le moyen de la guerre, de la faim et des persécutions contre l’Église et le Saint-Père. Pour empêcher cette guerre, je viendrai demander la consécration de la Russie à mon Cœur immaculé et la communion réparatrice des premiers samedis. Si on accepte mes demandes, la Russie se convertira et on aura la paix; sinon elle répandra ses erreurs à travers le monde, provoquant des guerres et des persécutions contre l’Église. Les bons seront martyrisés, le Saint-Père aura beaucoup à souffrir, diverses nations seront détruites. À la fin, mon Cœur immaculé triomphera. Le Saint-Père me consacrera la Russie, qui se convertira, et il sera concédé au monde un certain temps de paix.

31 août 1941

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2. LA TROISIÈME ET DERNIÈRE PARTIE DU « SECRET » RÉVÉLÉ EN 1917, ÉCRITE PAR SŒUR LUCIA EN 1944 ET RENDUE PUBLIQUE EN 2000

J.M.J.

La troisième partie du secret révélé le 13 juillet 1917 dans la Cova de Iria-Fatima.

J’écris en obéissance à Vous, mon Dieu, qui me le commandez par l’intermédiaire de son Exce Rév.me Monseigneur l’Évêque de Leiria et de Votre Très Sainte Mère, qui est aussi la mienne.

Après les deux parties que j’ai déjà exposées, nous avons vu sur le côté gauche de Notre-Dame, un peu plus en hauteur, un Ange avec une épée de feu dans la main gauche; elle scintillait et émettait des flammes qui, semblait-il, devaient incendier le monde; mais elles s’éteignaient au contact de la splendeur qui émanait de la main droite de Notre-Dame en direction de lui; l’Ange, indiquant la terre avec sa main droite, dit d’une voix forte: Pénitence! Pénitence! Pénitence! Et nous vîmes dans une lumière immense qui est Dieu: “Quelque chose de semblable à la manière dont se voient les personnes dans un miroir quand elles passent devant” un Évêque vêtu de Blanc, “nous avons eu le pressentiment que c’était le Saint-Père”. Divers autres Évêques, Prêtres, religieux et religieuses monter sur une montagne escarpée, au sommet de laquelle il y avait une grande Croix en troncs bruts, comme s’ils étaient en chêne-liège avec leur écorce; avant d’y arriver, le Saint-Père traversa une grande ville à moitié en ruine et, à moitié tremblant, d’un pas vacillant, affligé de souffrance et de peine, il priait pour les âmes des cadavres qu’il trouvait sur son chemin; parvenu au sommet de la montagne, prosterné à genoux au pied de la grande Croix, il fut tué par un groupe de soldats qui tirèrent plusieurs coups avec une arme à feu et des flèches; et de la même manière moururent les uns après les autres les Évêques les Prêtres, les religieux et religieuses et divers laïcs, hommes et femmes de classes et de catégories sociales différentes. Sous les deux bras de la Croix, il y avait deux Anges, chacun avec un arrosoir de cristal à la main, dans lequel ils recueillaient le sang des Martyrs et avec lequel ils irriguaient les âmes qui s’approchaient de Dieu.

4 janvier 2009

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3. COMMUNICATION FAITE AU NOM DU PAPE JEAN-PAUL II PAR LE CARDINAL ANGELO SODANO, À FATIMA, LE 13 MAI 2000

À l’occasion de l’événement solennel de sa venue à Fatima, le Souverain Pontife m’a chargé de vous faire une annonce. Comme vous le savez, le but de sa visite à Fatima a été la béatification des deux petits bergers. Mais il veut aussi donner à ce pèlerinage le sens d’un geste renouvelé de gratitude envers la Madone, pour la protection qu’elle lui a accordée durant ses années de pontificat. C’est une protection qui semble concerner aussi ce qu’on appelle « la troisième partie » du secret de Fatima.

Ce texte constitue une vision prophétique comparable à celles de l’Écriture sainte, qui ne décrivent pas de manière photographique les détails des événements à venir, mais qui résument et condensent sur un même arrière-plan des faits qui se répartissent dans le temps en une succession et une durée qui ne sont pas précisées. Par conséquent, la clé de lecture du texte ne peut que revêtir un caractère symbolique.

La vision de Fatima concerne surtout la lutte des systèmes athées contre l’Église et contre les chrétiens. Elle décrit l’immense souffrance des témoins de la foi du dernier siècle du deuxième millénaire. C’est un interminable chemin de croix, guidée par les Papes du vingtième siècle.

Selon l’interprétation des petits bergers, interprétation confirmée récemment par Sœur Lucie, « l’Évêque vêtu de blanc » qui prie pour tous les fidèles est le Pape. Lui aussi, marchant péniblement vers la Croix parmi les cadavres des personnes martyrisées (évêques, prêtres, religieux, religieuses et nombreux laïcs), tombe à terre comme mort, sous les coups d’une arme à feu.

Après l’attentat du 13 mai 1981, il apparut clairement à Sa Sainteté qu’il y avait eu « une main maternelle pour guider la trajectoire du projectile », permettant au « Pape agonisant » de s’arrêter « au seuil de la mort » (Jean-Paul II, Méditation avec les Évêques italiens depuis l’hôpital polyclinique Gemelli, Insegnamenti, vol. XVII1, 1994, p. 1061). À l’occasion d’un passage à Rome de l’évêque de Leiria-Fatima de l’époque, le Pape décida de lui remettre le projectile, resté dans la jeep après l’attentat, pour qu’il soit gardé dans le sanctuaire. Sur l’initiative de l’Évêque, il fut enchâssé dans la couronne de la statue de la Vierge de Fatima.

Les événements ultérieurs de 1989 ont conduit, en Union soviétique et dans de nombreux Pays de l’Est, à la chute du régime communiste, qui se faisait le défenseur de l’athéisme. Pour cela aussi, le Souverain Pontife remercie de tout cœur la Vierge très sainte. Cependant, dans d’autres parties du monde, les attaques contre l’Église et contre les chrétiens, accompagnées du poids de la souffrance, n’ont malheureusement pas encore cessé. Bien que les situations auxquelles fait référence la troisième partie du secret de Fatima semblent désormais appartenir au passé, l’appel de la Vierge de Fatima à la conversion et à la pénitence, lancé au début du vingtième siècle, demeure encore aujourd’hui d’une actualité stimulante. « La Dame du message semble lire avec une perspicacité spéciale les signes des temps, les signes de notre temps [...]. L’invitation insistante de la très Sainte Vierge Marie à la pénitence n’est que la manifestation de sa sollicitude maternelle pour le sort de la famille humaine, qui a besoin de conversion et de pardon » (Jean-Paul II, Message pour la Journée mondiale des malades 1997, n. 1: La Documentation catholique, 93 [1996], p. 1051).

Pour permettre aux fidèles de mieux recevoir le message de la Vierge de Fatima, le Pape a confié à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi le soin de rendre publique la troisième partie du secret, après en avoir préparé un commentaire approprié.

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4. COMMENTAIRE THÉOLOGIQUE DU « SECRET » DE FATIMA

par Joseph Card. Ratzinger
Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi

Celui qui lit avec attention le texte de ce qu’on appelle le troisième « secret » de Fatima, qui, après un long temps, par une disposition du Saint-Père, est publié ci-joint dans son intégralité, sera probablement déçu ou étonné après toutes les spéculations qui ont été faites. Aucun grand mystère n’est révélé; le voile de l’avenir n’est pas déchiré. Nous voyons l’Église des martyrs du siècle qui s’achève représentée à travers une scène décrite dans un langage symbolique difficile à déchiffrer. Est-ce cela que la Mère du Seigneur voulait communiquer à la chrétienté, à l’humanité, dans une période de grands problèmes et de grandes angoisses? Cela nous est-il utile au début du nouveau millénaire? Ou bien s’agit-il seulement de projections du monde intérieur d’enfants qui ont grandi dans une ambiance de profonde piété, mais qui étaient en même temps bouleversés par la tourmente qui menaçait leur époque? Comment devons-nous comprendre la vision, que faut-il en penser?  [...]

La première et la deuxième partie du « secret » de Fatima ont déjà été discutées amplement dans la littérature qui le concerne et qu’il n’est pas utile de les illustrer ici une nouvelle fois. Je voudrais seulement attirer brièvement l’attention sur le point le plus significatif. Pendant un instant terrible, les enfants ont fait l’expérience d’une vision de l’enfer. Ils ont vu la chute des « âmes des pauvres pécheurs ». Et maintenant, il leur est dit pourquoi ils ont été exposés à cet instant: « pour les sauver [les âmes] » — pour montrer un chemin de salut. Il vient à l’esprit la phrase de la première lettre de Pierre: « … Sûrs d’obtenir l’objet de votre foi: le salut des âmes » (1, 9). Comme chemin vers ce but, est indiquée — de manière surprenante pour des personnes provenant de l’ère culturelle anglo-saxonne et allemande — la dévotion au Cœur immaculé de Marie. Pour comprendre cela, une brève indication suffira ici. « Cœur » signifie dans le langage de la Bible le centre de l’existence humaine, la jonction entre la raison, la volonté, le tempérament et la sensibilité, où la personne trouve son unité et son orientation intérieure. Le « cœur immaculé » est, selon Mt 5, 8, un cœur qui, à partir de Dieu, est parvenu à une parfaite unité intérieure et donc « voit Dieu ». La « dévotion » au Cœur immaculé de Marie est donc une façon de s’approcher du comportement de ce cœur, dans lequel le fiat — que ta volonté soit faite — devient le centre qui informe toute l’existence. Si quelqu’un voulait objecter que nous ne devrions pas cependant interposer un être humain entre le Christ et nous, on devrait alors se rappeler que Paul n’a pas eu peur de dire à ses propres communautés: imitez-moi (cf. 1 Co 4, 16; Ph 3, 17; 1 Th 1, 6; 2 Th 3, 7. 9). Chez l’Apôtre, les communautés peuvent vérifier concrètement ce que signifie suivre le Christ. De qui pourrions-nous en tout temps apprendre d’une manière meilleure, sinon de la Mère du Seigneur?  

Ainsi, nous arrivons finalement à la troisième partie du « secret » de Fatima, publié ici pour la première fois dans son intégralité. Comme il ressort de la documentation précédente, l’interprétation que le Cardinal Sodano a donnée dans son texte du 13 mai a, dans un premier temps, été présentée personnellement à Sœur Lucie. À ce sujet, Sœur Lucie a tout d’abord observé qu’elle avait reçu la vision, mais pas son interprétation. L’interprétation, disait-elle, ne revient pas au voyant, mais à l’Église. Toutefois, après la lecture du texte, elle a dit que cette interprétation correspondait à ce dont elle avait fait l’expérience et que, pour sa part, elle reconnaissait cette interprétation comme correcte. Donc, dans ce qui suit, on pourra seulement chercher à donner de manière approfondie un fondement à cette interprétation à partir des critères développés jusqu’ici.

Comme parole-clé de la première et de la deuxième parties du « secret », nous avons découvert celle qui dit « sauver les âmes »; de même, la parole-clé de ce « secret » est un triple cri: «Pénitence, Pénitence, Pénitence! » Il nous revient à l’esprit le début de l’Évangile: « Pænitemini et credite evangelio » (Mc 1, 15). Comprendre les signes des temps signifie comprendre l’urgence de la pénitence – de la conversion – de la foi. Telle est la réponse juste au moment historique, marqué par de graves dangers qui seront exprimés par les images ultérieures. Je me permets de rappeler ici un souvenir personnel; dans un colloque avec moi, Sœur Lucie m’a affirmé qu’il lui apparaissait toujours plus clairement que le but de toutes les apparitions a été de faire croître toujours plus dans la foi, dans l’espérance et dans la charité – tout le reste entendait seulement porter à cela.  

Examinons maintenant d’un peu plus près les différentes images. L’ange avec l’épée de feu à la gauche de la Mère de Dieu rappelle des images analogues de l’Apocalypse. Il représente la menace du jugement, qui plane sur le monde. La perspective que le monde pourrait être englouti dans une mer de flammes n’apparaît absolument plus aujourd’hui comme une pure fantaisie: l’homme lui-même a préparé l’épée de feu avec ses inventions. La vision montre ensuite la force qui s’oppose au pouvoir de destruction – la splendeur de la Mère de Dieu et, provenant d’une certaine manière de cette splendeur, l’appel à la pénitence. De cette manière est soulignée l’importance de la liberté de l’homme: l’avenir n’est absolument pas déterminé de manière immuable, et l’image que les enfants ont vue n’est nullement un film d’anticipation de l’avenir, auquel rien ne pourrait être changé. Toute cette vision se produit en réalité seulement pour faire apparaître la liberté et pour l’orienter dans une direction positive. Le sens de la vision n’est donc pas de montrer un film sur l’avenir irrémédiablement figé. Son sens est exactement opposé, à savoir mobiliser les forces pour tout changer en bien. Aussi sont-elles totalement fourvoyées les explications fatalistes du « secret » qui affirme par exemple que l’auteur de l’attentat du 13 mai 1981 aurait été, en définitive, un instrument du plan divin, guidé par la Providence, et qu’il n’aurait donc pas pu agir librement, ou encore d’autres idées semblables qui circulent. La vision parle plutôt de dangers et de la voie pour en être sauvegardé.  

Les phrases qui suivent dans le texte montrent encore une fois très clairement le caractère symbolique de la vision: Dieu reste l’incommensurable et la lumière qui dépasse toute notre vision. Les personnes humaines apparaissent comme dans un miroir. Nous devons garder continuellement présente cette limitation interne de la vision, dont les limites sont ici visuellement indiquées. L’avenir se dévoile seulement « comme dans un miroir, de manière confuse » (cf 1 Co 13, 12). Prenons maintenant en considération les diverses images qui suivent dans le texte du « secret ». Le lieu de l’action est décrit par trois symboles: une montagne escarpée, une grande ville à moitié en ruines et finalement une grande croix en troncs grossiers. La montagne et la ville symbolisent le lieu de l’histoire humaine: l’histoire comme une montée pénible vers les hauteurs, l’histoire comme lieu de la créativité et de la convivialité humaines, mais en même temps comme lieu de destructions, par lesquelles l’homme anéantit l’œuvre de son propre travail. La ville peut être lieu de communion et de progrès, mais aussi lieu des dangers et des menaces les plus extrêmes. Sur la montagne se trouve la croix – terme et point de référence de l’histoire. Par la croix, la destruction est transformée en salut; elle se dresse comme signe de la misère de l’histoire et comme promesse pour elle.

Ici, apparaissent ensuite deux personnes humaines: l’évêque vêtu de blanc (« nous avons eu le pressentiment que c’était le Saint-Père »), d’autres évêques, des prêtres, des religieux et religieuses, et enfin des hommes et des femmes de toutes classes et toutes catégories sociales. Le Pape semble précéder les autres, tremblant et souffrant à cause de toutes les horreurs qui l’entourent. Non seulement les maisons de la ville sont à moitié écroulées, mais son chemin passe au milieu de cadavres des morts. La marche de l’Église est ainsi décrite comme un chemin de croix, comme un chemin dans un temps de violence, de destruction et de persécutions. On peut trouver représentée dans ces images l’histoire d’un siècle entier. De même que les lieux de la terre sont synthétiquement représentés par les deux images de la montagne et de la ville, et sont orientés vers la croix, de même aussi les temps sont présentés de manière condensée: dans la vision, nous pouvons reconnaître le siècle écoulé comme le siècle des martyrs, comme le siècle des souffrances et des persécutions de l’Église, comme le siècle des guerres mondiales et de beaucoup de guerres locales, qui en ont rempli toute la seconde moitié et qui ont fait faire l’expérience de nouvelles formes de cruauté. Dans le « miroir » de cette vision, nous voyons passer les témoins de la foi de décennies. À ce sujet, il semble opportun de mentionner une phrase de la lettre que Sœur Lucie a écrite au Saint-Père le 12 mai 1982: « La troisième partie du “secret” se réfère aux paroles de Notre-Dame: Sinon [la Russie] répandra ses erreurs à travers le monde, favorisant guerres et persécutions envers l’Église. Les bons seront martyrisés, le Saint-Père aura beaucoup à souffrir, diverses nations seront détruites ».  

Dans le chemin de croix de ce siècle, la figure du Pape a un rôle spécial. Dans sa pénible montée sur la montagne, nous pouvons sans aucun doute trouver rassemblés différents Papes qui, depuis Pie X jusqu’au Pape actuel, ont partagé les souffrances de ce siècle et se sont efforcés d’avancer au milieu d’elles sur la voie qui mène à la croix. Dans la vision, le Pape aussi est tué sur la voie des martyrs. Lorsque, après l’attentat du 13 mai 1981, le Pape se fit apporter le texte de la troisième partie du « secret », ne devait-il pas y reconnaître son propre destin? Il a été très proche des portes de la mort et il a lui-même expliqué de la manière suivante comment il a été sauvé: « C’est une main maternelle qui guida la trajectoire de la balle et le Pape agonisant s’est arrêté au seuil de la mort » (13 mai 1994). Qu’ici une « main maternelle » ait dévié la balle mortelle montre seulement encore une fois qu’il n’existe pas de destin immuable, que la foi et la prière sont des puissances qui peuvent influer sur l’histoire et que, en définitive, la prière est plus forte que les projectiles, la foi plus puissante que les divisions.  

La conclusion du « secret » rappelle des images que Sœur Lucie peut avoir vues dans des livres de piété et dont le contenu provient d’anciennes intuitions de foi. C’est une vision consolante, qui veut qu’une histoire de sang et de larmes soit perméable à la puissance de guérison de Dieu. Des Anges recueillent sous les bras de la croix le sang des martyrs et irriguent ainsi les âmes qui s’approchent de Dieu. Le sang du Christ et le sang des martyrs doivent être considérés ensemble: le sang des martyrs jaillit des bras de la croix. Leur martyre s’accomplit en solidarité avec la passion du Christ, il devient un tout avec elle. Ils complètent pour le Corps du Christ ce qui manque encore à ses souffrances (cf. Col 1, 24). Leur vie est devenue elle-même eucharistie, incorporée dans le mystère du grain de blé qui meurt et qui devient fécond. Le sang des martyrs est semence de chrétiens, a dit Tertullien. De même que de la mort du Christ, de son côté ouvert, est née l’Église, de même la mort des témoins est féconde pour la vie future de l’Église. La vision de la troisième partie du « secret », tellement angoissante à ses débuts, s’achève donc sur une image d’espérance: aucune souffrance n’est vaine, et précisément une Église souffrante, une Église des martyrs, devient un signe indicateur pour l’homme à la recherche de Dieu. Dans les mains amoureuses de Dieu sont accueillies non seulement les personnes qui souffrent comme Lazare, qui a trouvé une grande consolation et qui mystérieusement représente le Christ, Lui qui a voulu devenir pour nous le pauvre Lazare; mais il y a plus encore: des souffrances des témoins provient une force de purification et de renouveau, parce qu’elle est une actualisation de la souffrance même du Christ, et qu’elle transmet aujourd’hui son efficacité salvatrice.  

Nous sommes ainsi arrivés à une ultime interrogation: que signifie dans son ensemble (dans ses trois parties) le « secret » de Fatima? Que nous dit-il à nous? Avant tout, nous devons affirmer avec le Cardinal Sodano: « Les situations auxquelles fait référence la troisième partie du “secret” de Fatima semblent désormais appartenir au passé ». Dans la mesure où des événements particuliers sont représentés, ils appartiennent désormais au passé. Ceux qui attendaient des révélations apocalyptiques excitantes sur la fin du monde et sur le cours futur de l’histoire seront déçus. Fatima n’offre pas de telles satisfactions à notre curiosité, comme du reste en général la foi chrétienne ne veut pas et ne peut pas être une pâture pour notre curiosité. Ce qui reste, nous l’avons vu dès le début de notre réflexion sur le texte du « secret »: l’exhortation à la prière comme chemin pour le « salut des âmes » et, dans le même sens, l’appel à la pénitence et à la conversion.  

Je voudrais enfin reprendre encore une autre parole-clé du « secret » devenue célèbre à juste titre: « Mon Cœur immaculé triomphera ». Qu’est-ce que cela signifie? Le Cœur ouvert à Dieu, purifié par la contemplation de Dieu, est plus fort que les fusils et que les armes de toute sorte. Le fiat de Marie, la parole de son cœur, a changé l’histoire du monde, parce qu’elle a introduit le Sauveur dans le monde – car, grâce à son « oui », Dieu pouvait devenir homme dans notre monde et désormais demeurer ainsi pour toujours. Le Malin a du pouvoir sur ce monde, nous le voyons et nous en faisons continuellement l’expérience; il a du pouvoir parce que notre liberté se laisse continuellement détourner de Dieu. Mais, depuis que Dieu lui-même a un cœur d’homme et a de ce fait tourné la liberté de l’homme vers le bien, vers Dieu, la liberté pour le mal n’a plus le dernier mot. Depuis lors, s’imposent les paroles: « Dans le monde, vous trouverez la détresse, mais ayez confiance; moi je suis vainqueur du monde » (Jn 16, 33). Le message de Fatima nous invite à nous fier à cette promesse.
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Le texte intégral du commentaire de Ratzinger se trouve dans ce dossier relatif à Fatima, réalisé par la congrégation pour la doctrine de la foi, sur le site du Vatican, avec les photocopies des manuscrits et d’autres documents, parmi lesquels le compte-rendu de la conversation du 27 avril 2000 entre sœur Lucia et l’archevêque Tarcisio Bertone, à l’époque secrétaire de la congrégation :

Le message de Fatima

http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_20000626_message-fatima_fr.html

par Sandro Magister: Passion du Christ, passion de l’homme

30 avril, 2010

du site:

http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1343134?fr=y

Passion du Christ, passion de l’homme

C’est la formule de présentation de l’ostension du Saint Suaire, qui a lieu actuellement à Turin. Le 2 mai, le pape lui-même s’unira aux millions de pèlerins venus du monde entier. En parallèle, une grande exposition sur le corps et le visage de Jésus dans l’art

par Sandro Magister

ROME, le 30 avril 2010 – Le cinquième dimanche de Pâques, dans deux jours, Benoît XVI se rendra à Turin. L’après-midi, à la cathédrale, il s’agenouillera devant le Saint Suaire, le vénérable tissu marqué des mystérieuses empreintes d’un homme crucifié, d’un corps qui porte toutes les traces de la passion de Jésus.

Depuis le 10 avril, date du début de l’ostension du Suaire au public – il sera exposé jusqu’au 23 mai – une foule innombrable accourt pour le voir. Y compris des non-chrétiens, y compris des gens éloignés de Dieu, attirés malgré tout par le mystère que constitue la personne de Jésus, son corps, son visage.

Au désir de « voir » ce mystère répond une exposition artistique étudiée justement pour accompagner l’ostension du Suaire. Elle a lieu au palais royal de Venaria, à quelques kilomètres au nord de Turin et elle est intitulée : « Jésus. Son corps, son visage dans l’art ».

Parmi les 180 œuvres d’art exposées se trouvent des chefs d’œuvre d’artistes tels que Donatello, Mantegna, Bellini, Giorgione, le Corrège, Véronèse, le Tintoret. Il y a aussi le merveilleux crucifix en bois sculpté par Michel-Ange pour la basilique du Saint-Esprit à Florence.

Le Suaire figure dans beaucoup de ces œuvres. Par exemple dans le Christ ressuscité de Pierre-Paul Rubens, reproduit ci-dessus, qui date de 1615 et est conservé au palais Pitti, à Florence. Un Jésus athlétique, au corps encore partiellement enveloppé dans le tissu, qui est assis triomphant sur le sépulcre vide. Comme on le chante dans la séquence de la messe de Pâques : « Mors et vita duello conflixere mirando, dux vitae mortuus regnat vivus ». La mort et la vie s’affrontèrent en un duel prodigieux. Le Maître de la vie mourut ; vivant, il règne.

Voici maintenant un guide de la vision du corps et du visage de Jésus, écrit par le commissaire de cette exposition, Timothy Verdon. Américain, il est historien d’art, prêtre du diocèse de Florence et directeur du bureau diocésain pour la catéchèse par l’art.

Ce texte est tiré du chapitre introductif du catalogue de l’exposition et d’une conférence du même Verdon à la cathédrale de Turin, le 26 avril dernier.

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JÉSUS. SON CORPS, SON VISAGE DANS L’ART

par Timothy Verdon

À Turin, où l’on conserve et vénère depuis des siècles le grand morceau de tissu connu comme le Saint Suaire, il est naturel de réfléchir au corps et au visage de Jésus. Le Suaire appuie la conviction que Jésus a vraiment vécu et est vraiment mort, mais il invite à croire que Jésus est également ressuscité. Le drap abandonné au moment de sa résurrection serait en effet le signe de son passage à la vie nouvelle.

La possibilité de l’existence d’une telle relique est spécialement significative pour l’art, parce qu’elle confirme la visibilité et donc la représentabilité de l’homme qui se disait Fils de l’invisible Dieu d’Israël.

Au VIIIe siècle, saint Jean Damascène, évoquant l’interdiction biblique de toute représentation de la divinité, écrivait : « Autrefois, on ne pouvait faire aucune image d’un Dieu incorporel et sans contour physique. Mais maintenant que Dieu a été vu incarné et qu’il s’est mêlé à la vie des hommes, il est licite de faire une image de ce qui a été vu de Dieu », c’est-à-dire de l’homme Jésus. Écrivant dans le contexte de l’interdiction des images par l’empereur de Byzance, l’iconoclaste Léon III, cet auteur – né chrétien à Damas qui était alors sous contrôle musulman – voyait un lien entre le dogme théologique de l’incarnation et l’utilisation ecclésiastique d’images, surtout celles qui représentaient Jésus lui-même.

L’exposition met en évidence la persistance de ces idées à l’époque médiévale et moderne. Elle attire l’attention sur l’homme Jésus, dont le corps et le visage seraient tracés sur le vénérable tissu, indiquant comment les peintres et les sculpteurs des différentes époques l’ont visualisé.

Le christianisme a toujours représenté le corps en fonction de l’idée qu’il se faisait de l’être humain. À la différence des mythes païens, qui présentaient les dieux avec tous les défauts des hommes, la culture biblique judéo-chrétienne pense que l’homme doit aspirer à la perfection de Dieu et surtout à sa miséricorde. « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » a en effet dit Jésus (Luc 6, 36) et cette miséricorde caractéristique de l’être humain avait une remarquable composante corporelle. Déjà, dans l’Ancien Testament, beaucoup de paroles du Dieu incorporel montraient qu’il était sensible au frisson du pauvre. Dans le même esprit, Jésus décrit comment, au jugement dernier, le Fils de l’homme récompensera ceux qui auront eu soin du corps de leur prochain : « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais étranger et vous m’avez accueilli, j’étais nu et vous m’avez vêtu » (Matthieu 25, 35-36).

Pour ceux qui croient en lui, Jésus, Fils de Dieu, est devenu ce pauvre à qui il faut rendre un manteau avant la nuit : l’affamé, l’assoiffé, l’exclu, le sans-logis, l’homme nu qu’il faut habiller. Selon un théologien grec du IVe siècle, l’évêque saint Macaire : « Pour travailler la terre, le paysan choisit les instruments les plus adaptés et il porte aussi les vêtements qui conviennent le mieux à ce genre de travail. De même le Christ, roi des cieux et véritable agriculteur, a pris un corps humain et, portant sa croix comme outil de travail, il a défriché l’âme aride et inculte, il en a arraché les épines et les ronces des esprits mauvais, il a mis de côté l’ivraie du mal et jeté au feu toute la paille des péchés. Il l’a travaillée ainsi avec le bois de la croix et y a planté le jardin merveilleux de l’Esprit. Celui-ci produit toutes sortes de fruits doux et exquis pour Dieu, qui en est le maître ».

Ainsi l’image de Dieu contemplée dans le corps souffrant de Jésus implique cette dynamique de purification et de croissance. Elle implique aussi un processus dans lequel le sujet humain se découvre et se comprend lui-même, comme le suggère un père de l’Église, Pierre Chrysologue, quand il imagine Jésus crucifié qui invite les croyants à reconnaître dans son corps sacrifié le sens moral de leur vie. « Voyez en moi votre corps, vos membres, votre cœur, votre sang, nous dit Jésus. Ô immense dignité du sacerdoce chrétien ! L’homme est devenu victime et prêtre pour lui-même. Il ne cherche pas en dehors de lui ce qu’il doit immoler à Dieu mais il porte avec lui et en lui ce qu’il sacrifie. Ô homme, sois sacrifice et prêtre, fais de ton cœur un autel et présente ainsi avec une ferme confiance ton corps comme victime à Dieu. Dieu cherche la foi, pas la mort. Il a soif de ta prière, pas de ton sang. Il est apaisé par la volonté, pas par la mort ».

Ces citations sont utiles pour comprendre la conception de corporéité et de personnalité élaborée au cours des siècles à travers les images de Jésus : l’idée du corps comme lieu d’une dignité inscrite dans l’être humain – d’une capacité « sacerdotale » à s’offrir soi-même – et du visage comme miroir de la liberté consciente. En effet les œuvres exposées mettent le visiteur dans la situation de ces femmes et de ces hommes décrits dans le Nouveau Testament, pour qui le corps et le visage de Jésus étaient des lieux de découverte surprenante et même scandaleuse.

Lorsque, par exemple, Jésus revient du désert dans son village, Nazareth, et qu’à la synagogue il lit à haute voix les versets messianiques d’Isaïe, l’évangéliste Luc raconte que « dans la synagogue tous avaient les yeux fixés sur lui »  (Luc 4, 16-24). En effet, Jésus ajoute aux paroles d’Isaïe d’autres paroles, inattendues et certainement incompréhensibles pour ceux qui étaient là : « Aujourd’hui – dit-il – s’est accompli ce passage de l’Écriture que vous avez entendu de vos oreilles ». Les yeux de ceux qui étaient là le regardaient, fixés sur son corps et sur son visage, parce que ce qu’il venait de dire, « aujourd’hui s’est accompli ce passage de l’Écriture », les obligeait à associer les anciennes promesses d’une future ère bénie à ce jeune homme assis au milieu d’eux : à lui comme présence physique, à son corps, à l’expression de son visage. « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? » se demandent-ils immédiatement, incapables de voir en Jésus plus que ce qu’ils croyaient en connaître, de sorte qu’il commente : « Aucun prophète n’est bien reçu dans sa patrie ».

Un épisode analogue, bien plus dramatique, est raconté au chapitre 6 de l’Évangile de Jean. Deux jours après sa miraculeuse multiplication des pains et des poissons pour nourrir une foule immense, Jésus explique que le vrai pain offert par le Père à l’humanité – le pain descendu du ciel – c’est lui-même. De nouveau ses auditeurs s’interrogent : « N’est-il pas ce Jésus, fils de Joseph, dont nous connaissons le père et la mère ? Comment peut-il dire : Je suis descendu du ciel ?”. Mais il insiste: « Je suis le pain vivant, descendu du ciel. Celui qui mangera de ce pain vivra à jamais et le pain que moi je donnerai, c’est ma chair pour la vie de l’homme ». Et encore : « Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme et ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas la vie en vous, parce que ma chair est vraiment une nourriture et mon sang vraiment une boisson. Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui ». L’évangéliste Jean décrit la réaction négative des auditeurs à ces paroles et comment « dès lors, beaucoup de ses disciples se retirèrent et cessèrent de l’accompagner ». On les comprend sans peine, parce que Jésus voulait qu’ils voient son corps comme un aliment, et aussi son visage : « Oui c’est la volonté de mon Père : que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle ; et moi je le ressusciterai au dernier jour ». Beaucoup d’œuvres exposées sont éclairées par ces affirmations, notamment parce qu’elles ont été exécutées originellement pour des autels, où le corps et le visage de Jésus représentés par l’artiste étaient vus à proximité du pain et du vin de l’eucharistie, corps et sang du Seigneur.

L’exposition invite donc à redécouvrir l’intensité particulière avec laquelle les croyants d’autrefois – commanditaires réels et bénéficiaires originels des œuvres exposées – regardaient un corps et un visage qu’ils considéraient comme une “vraie nourriture” et une “vraie boisson” ; un corps et un visage qui, intériorisés, allaient les transformer par le don de la “vie éternelle”. Cette expérience, qui n’est peut-être pleinement accessible qu’à la foi, peut aussi être imaginée par ceux qui ne croient pas ; ou plutôt, elle doit être imaginée, parce qu’elle constitue le contexte normal de compréhension de telles œuvres d’art, une composante incontournable de leur message.

La tension morale qui devait conditionner la lecture originelle de beaucoup d’œuvres présentées à l’exposition est également incontournable. En effet, dans les images liées à l’eucharistie, comme dans la célébration de la messe elle-même, le croyant cherche, au-delà de ce qu’il voit, quelque chose de plus et toute image associée au rite se pose comme « épiphanie » et « apocalypse », comme manifestation et révélation d’une transformation future. En effet, dans le lieu de culte, l’art éclaire l’attente des chrétiens et, dans les personnages et événements qu’il représente, les images sacrées s’offrent comme des miroirs de l’Image en laquelle les fidèles espèrent être transformés, Jésus-Christ.

L’exposition couvre la période qui correspond à la fin du Moyen Âge, à la Renaissance et au Baroque, période au cours de laquelle le corps et le visage de l’être humain redeviennent, dans l’art occidental, des porteurs essentiels de sens. Ces éléments figuratifs, mis au point par les Grecs cinq siècles avant le Christ, ont été, dans un premier temps, refusés par la culture chrétienne naissante, qui préférait au naturalisme païen un langage moins ambigu, avec le corps présenté comme un signe et le visage transfiguré par la foi. Ce refus du caractère physique et de la personnalité, qui reflétait aussi le jugement sévère des chrétiens sur l’amoralité et l’individualisme du monde païen, fut l’une des causes du désintérêt pour le corps et le visage comme sujets artistiques entre le Ve et le XIe siècle.

C’est la nouvelle spiritualité centrée sur l’homme – la spiritualité d’inspiration franciscaine des XIIIe et XIVe siècles – qui a fait redécouvrir l’art gréco-romain, si apte à décrire le corps et les émotions. Grâce à ce nouveau dialogue avec l’ancienne civilisation païenne, la chrétienté européenne a également créé un autre rapport avec l’histoire, dans lequel les valeurs considérées comme préparatoires à la foi en Jésus seront considérées comme des composantes d’une unique révélation confiée à l’être humain, abstraction faite de l’origine culturelle et religieuse. Le contenu central de cette révélation unique est l’humanité elle-même, reconnaissable dans l’éloquente beauté et dans la vulnérabilité du corps, dans la douleur et dans la joie peintes sur le visage ; ce qui démontre sa légitimité, c’est la conviction que le Fils de Dieu lui-même s’est fait homme.

Les sept parties du parcours de l’exposition suggèrent les thèmes suivants : le corps et la personne ; Dieu prend un corps ; l’homme Jésus ; un corps donné par amour ; le corps ressuscité ; le corps mystique ; le corps sacramentel. La mise en scène cherche à suggérer le contexte d’utilisation initial de la quasi-totalité des œuvres, le lieu liturgique catholique, en replaçant les peintures, sculptures, pièces d’orfèvrerie et ornements sacrés dans des espaces rappelant les églises. La forme des salles, l’éclairage et l’accompagnement musical de la visite ont été conçus en fonction de cet objectif, mais dans un but plus scientifique que religieux : celui de réhabiliter comme donnée historique le message théologique et émotionnel voulu par les artistes et par les commanditaires des œuvres. Certaines peintures sont même placées au-dessus d’autels, pour évoquer le rapport visuel entre image et rite : en effet l’impact d’une Descente de croix ou d’une Pietà n’est pas le même suivant qu’on les voit dans un musée ou au-dessus d’une table eucharistique ; dans le second cas, la perception du corps du Christ représenté est conditionnée par la conviction que ce corps lui-même est véritablement présent, même de manière invisible, dans le pain et le vin consacrés.

Les nombreuses œuvres d’art exposées suggèrent en outre quelque chose de la densité iconographique typique des églises catholiques d’autrefois. Cette accumulation d’images conférait un caractère visionnaire à ces lieux, où les représentations du Christ, de Marie et des saints donnaient de la couleur et de l’intérêt humain aux personnages et aux événements dont parlent les Écritures et la tradition, offrant une immersion si totale que le fidèle se percevait comme entouré par les personnages et participant aux événements, comme membre de l’unique communion des saints et partie prenante de l’unique histoire du salut.

Toutefois le sujet de l’expérience esthétique, comme de l’expérience cultuelle, reste l’homme. C’est à lui et à sa corporéité que parlent les couleurs et les formes. L’art qui fait voir le Christ – mais aussi de véritables « miroirs de son Évangile » comme le Suaire – invite à contempler le Christ qui prend forme en nous, espérance de gloire, beauté de vie éternelle. C’est en lui – l’ayant vu, connu et aimé – que nous comprendrons enfin le sens de notre vie, y compris physique, le sens de notre chair, de nos affections, de nos souvenirs, et du sang, le sien et le nôtre, celui de tout être humain trahi, sacrifié, tué. Le peu de sang qu’il y a dans le Suaire se révèlera alors une Mer Rouge, à travers laquelle le Christ nous conduit jusqu’à la terre promise.

par Sandro Magister : Benoît XVI à Malte. L’accostage qui sauve du naufrage

19 avril, 2010

du site:

http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1342937?fr=y

Benoît XVI à Malte. L’accostage qui sauve du naufrage

Les larmes du pape avec les victimes d’abus sexuels. « Dieu ne rejette personne. Et l’Église ne rejette personne. Toutefois, dans son grand amour, Dieu provoque chacun de nous à changer et à devenir plus parfait »

par Sandro Magister

ROME, le 19 avril 2010 – L’acte symbolique le plus fort de son voyage à Malte, Benoît XVI l’a accompli hors de la vue des médias : il a pleuré avec huit personnes qui ont été victimes, étant très jeunes, d’abus sexuels commis par des prêtres.

La rencontre a eu lieu à huis clos, à la nonciature, peu après la messe du dimanche 18 avril. Et c’est l’un des huit, Lawrence Grech, 35 ans, qui a parlé des larmes du pape. Et aussi de sa propre émotion et de la renaissance de sa foi.

Voici comment le communiqué officiel du Vatican a décrit la rencontre :

« Le Saint-Père a été profondément ému par leurs récits, il a exprimé sa honte et son regret pour ce que les victimes et leurs familles ont enduré comme souffrances. Il a prié avec eux et leur a assuré que l’Église fait et continuera à faire tout ce qui est en son pouvoir pour vérifier les accusations, pour que les responsables d’abus soient traduits en justice et pour mettre en œuvre des mesures efficaces afin de protéger les jeunes à l’avenir. Dans l’esprit de sa récente lettre aux catholiques d’Irlande, il a prié pour que toutes les victimes d’abus puissent connaître la guérison et la réconciliation afin d’avoir la force de continuer leur chemin avec une espérance renouvelée ».

*

En effet, le pape Joseph Ratzinger a fait son voyage à Malte sous une très forte pression médiatique internationale, qui exigeait de lui des gestes et des mots à propos du scandale de la pédophilie.

Il ne s’est pas dérobé mais il a agi dans le style qui est le sien.

Il n’a jamais parlé explicitement, en public, de la question de la pédophilie. Il a plutôt écouté ce que d’autres lui disaient à ce sujet : l’évêque de La Valette au début de la messe et, dans l’après-midi, un jeune homosexuel, lors de la rencontre avec les jeunes sur le quai du port. Cette dernière intervention, en particulier, a été un J’accuse sévère et circonstancié contre les défauts de l’Église.

Mais en deux occasions au moins, le pape Benoît XVI a donné en public sa clé de lecture quant à la crise qui a frappé l’Église à cause du scandale de la pédophilie.

*

La première fois, c’était le samedi après-midi, quand il s’est brièvement entretenu avec les journalistes dans l’avion qui volait vers Malte.

Pour expliquer les raisons de son voyage, Benoît XVI a rappelé le naufrage de saint Paul à Malte en l’an 60 :

« Je pense que le motif du naufrage nous dit quelque chose. Le naufrage a donné à Malte la chance d’avoir la foi ; nous pouvons penser, nous aussi, que les naufrages de la vie peuvent permettre la réalisation du plan de Dieu sur nous et servir à de nouveaux départs dans notre vie ».

Peu après il a ajouté :

« Je sais que Malte aime le Christ et l’Église qui est son Corps et sait que, même si ce Corps est blessé par nos péchés, le Seigneur aime quand même cette Église, et son Évangile est la vraie force qui purifie et guérit ».

*

La seconde fois, c’était le dimanche après-midi, lors du discours adressé aux jeunes sur le quai du port de La Valette.

Dans ce discours, le pape a dit :

« Saint Paul, alors qu’il était jeune, a eu une expérience qui l’a changé pour toujours. Comme vous le savez, pendant un temps il a été un ennemi de l’Église et il a tout fait pour la détruire. Alors qu’il était en route vers Damas, avec l’intention de traquer tout chrétien qu’il y trouverait, le Seigneur lui apparut dans une vision. Une lumière aveuglante l’enveloppa et il entendit une voix lui dire : « Pourquoi me persécutes-tu ?… Je suis Jésus, celui que tu persécutes » (Ac 9, 4-5). Paul fut complètement bouleversé par cette rencontre avec le Seigneur et toute sa vie en fut transformée. Il devint un disciple jusqu’à devenir un grand apôtre et missionnaire. [...]

« Chaque rencontre personnelle avec Jésus est une expérience irrésistible d’amour. D’abord, comme Paul lui-même l’admet, il avait mené « une persécution effrénée contre l’Église de Dieu et cherché à la détruire » (cf. Ga 1, 13). Mais la haine et la rage exprimées dans ces paroles furent complètement balayées par la puissance de l’amour du Christ. Jusqu’à la fin de sa vie, Paul a eu l’ardent désir de porter l’annonce de cet amour jusqu’aux confins de la terre.

« Peut-être l’un de vous me dira-t-il que saint Paul a souvent été sévère dans ses écrits. Comment puis-je affirmer qu’il a répandu un message d’amour ? Ma réponse est celle-ci. Dieu aime chacun de nous avec une profondeur et une intensité que nous pouvons difficilement imaginer. Il nous connaît intimement, il connaît tous nos talents et tous nos défauts. Par conséquent, il nous aime tellement qu’il désire nous purifier de nos imperfections et renforcer nos vertus, en sorte que nous puissions avoir la vie en abondance. Quand il nous fait reproche parce que quelque chose dans nos vies lui déplaît, il ne nous rejette pas, mais il nous demande de changer et de devenir plus parfaits. C’est ce qu’il a demandé à saint Paul sur le chemin de Damas. Dieu ne rejette personne. Et l’Église ne rejette personne. Toutefois, dans son grand amour, Dieu provoque chacun de nous à changer et à devenir plus parfait.

« Saint Jean nous dit que cet amour parfait chasse la crainte (cf. 1 Jn 4, 18). Et c’est pourquoi je vous dis à tous : « N’ayez pas peur ! ». Que de fois nous entendons ces paroles de l’Écriture ! Elles ont été adressées à Marie par l’ange à l’Annonciation, par Jésus à Pierre, quand il l’a appelé à être son disciple, et par l’ange à Paul la veille de son naufrage. À tous ceux d’entre vous qui désirent suivre le Christ, en tant que couples mariés, parents, prêtres, religieux, religieuses et laïcs qui portez le message de l’Évangile au monde, je dis : n’ayez pas peur ! Vous rencontrerez certainement une opposition au message de l’Évangile. La culture d’aujourd’hui, comme toute culture, encourage des idées et des valeurs qui sont parfois incompatibles avec celles qui ont été vécues et prêchées par notre Seigneur Jésus-Christ. Souvent elles sont présentées avec un grand pouvoir de persuasion, renforcé par les médias et par la pression sociale de groupes hostiles à la foi chrétienne. Il est facile, quand on est jeune et impressionnable, d’être influencé par les personnes du même âge pour accepter des idées et des valeurs que nous savons ne pas être ce que le Seigneur veut vraiment de nous. Voilà pourquoi je vous dis : n’ayez pas peur, mais réjouissez-vous de son amour pour vous ; faites-lui confiance, répondez à son invitation à être ses disciples, trouvez un aliment et un remède spirituel dans les sacrements de l’Église.

« Ici à Malte, vous vivez dans une société qui est imprégnée par la foi et par les valeurs chrétiennes. Vous devriez être fiers que votre pays soit le seul état de l’Union Européenne à défendre l’enfant qui n’est pas encore né et en même temps à encourager la stabilité de la vie de famille en disant non à l’avortement et au divorce. Je vous exhorte à maintenir ce courageux témoignage rendu au caractère sacré de la vie et à la place centrale du mariage et de la vie familiale pour une société saine. À Malte et à Gozo, les familles savent apprécier leurs membres âgés et malades et prendre soin d’eux, et elles accueillent les enfants comme des dons de Dieu. D’autres nations peuvent apprendre de votre exemple chrétien. Dans le contexte de la société européenne, les valeurs évangéliques redeviennent une contre-culture, comme au temps de saint Paul.

« En cette Année sacerdotale, je vous demande d’être ouverts à la possibilité que le Seigneur puisse appeler certains d’entre vous à se donner totalement au service de son peuple dans le sacerdoce ou dans la vie consacrée. Votre pays a donné beaucoup d’excellents prêtres et religieux à l’Église. Inspirez-vous de leur exemple et reconnaissez la joie profonde qui vient du fait de consacrer sa vie à l’annonce du message de l’amour de Dieu pour tous, sans exception ».

*

Naufrage et blessures, haine et volonté de détruire… Mais, pour le pape Benoît XVI, tout, vraiment tout, est grâce et promesse de guérison, « même les attaques du monde contre nos péchés ». Elles peuvent être la main de Dieu qui « désire nous purifier de nos fautes et renforcer nos vertus, afin que nous puissions avoir la vie en abondance ».

Traduction française par Charles de Pechpeyrou.

par Sandro Magister: Après une dénonciation, voici comment on procède au Vatican

14 avril, 2010

du site:

http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1342860?fr=y

Après une dénonciation, voici comment on procède au Vatican

Les lignes directrices de la congrégation pour la doctrine de la foi quant aux procédures à suivre en cas de dénonciation pour abus sexuels commis sur des mineurs

par Sandro Magister

ROME, le 13 avril 2010 – Depuis hier, on peut lire sur le site web du Saint-Siège le document reproduit ci-dessous, qui résume les procédures mises en œuvre depuis quelques années dans l’Église catholique en cas d’abus sexuels commis sur des mineurs par des personnes ayant reçu les ordres sacrés.

Par mineurs on entend les personnes ayant moins de 18 ans, et par actes de pédophilie on entend les abus commis sur des enfants impubères.

Sur les quelque 3 000 dénonciations parvenues entre 2001 et aujourd’hui à la congrégation pour la doctrine de la foi pour des abus sexuels commis sur des mineurs au cours des 50 dernières années, les affaires de pédophilie proprement dite représentent 10% du total. Dans 60% des cas, il s’agit d’attraction sexuelle envers des adolescents du même sexe, les 30% restants concernant des rapports avec de très jeunes femmes.

La plupart des affaires traitées se sont terminées par une sanction administrative et disciplinaire contre la personne accusée : procédure plus rapide et plus efficace que lorsqu’un véritable procès a lieu.

En matière de dénonciation auprès des autorités civiles pour abus sexuels, le Saint-Siège ordonne de se conformer aux lois locales. Cela veut dire que dans les pays de culture juridique anglo-saxonne et en France la dénonciation est obligatoire. Dans les pays où elle ne l’est pas, le Saint-Siège encourage les victimes à s’adresser elles-mêmes aux tribunaux.

Les modifications annoncées au dernier paragraphe du document concernent en particulier la suppression des délais de prescription, qui depuis 2001 sont de 10 ans, à compter du 18e anniversaire de la victime. Toutefois, dès aujourd’hui, la prescription n’est pas impérative et les dénonciations sont recevables même pour des faits plus anciens.

Voici donc le texte des lignes directrices, dans notre traduction du texte original anglais :

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Guide pour comprendre les procédures de base de la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF) relatives aux accusations d’abus sexuels

Le droit applicable est constitué par le motu proprio Sacramentorum sanctitatis tutela (MP SST) du 30 avril 2001 et par le Code du droit canon 1983. Le présent document est un guide d’introduction qui peut être utile aux laïcs et aux non-canonistes.

A. Procédures préliminaires

Le diocèse local enquête sur toute accusation d’abus sexuel commis par un clerc sur un mineur.

Si l’accusation présente un caractère de vraisemblance, l’affaire est signalée à la CDF. L’évêque local fait parvenir toute l’information nécessaire à la CDF et donne son opinion sur les procédures à suivre ainsi que sur les mesures à prendre à court et à long terme.

Il faut toujours se conformer au droit civil relatif à la dénonciation de crimes aux autorités compétentes.

Pendant la phase préliminaire et jusqu’à la conclusion de l’affaire, l’évêque peut imposer des mesures de précaution pour protéger la communauté, y compris les victimes. En fait, l’évêque local a toujours le pouvoir de protéger les enfants en limitant les activités de n’importe quel prêtre de son diocèse. C’est une partie de son autorité ordinaire qu’il est encouragé à exercer autant que nécessaire pour s’assurer qu’aucun mal n’est fait aux enfants ; ce pouvoir peut être exercé à la discrétion de l’évêque avant, pendant et après toute procédure canonique.

B. Procédures autorisées par la CDF

La CDF étudie l’affaire présentée par l’évêque local et demande, si nécessaire, des informations supplémentaires.

La CDF a le choix entre plusieurs possibilités :

B1 Procès pénaux

La CDF peut autoriser l’évêque local à engager une procédure pénale judiciaire devant un tribunal ecclésiastique local. Dans ces cas-là, tout appel serait, le cas échéant transmis à un tribunal de la CDF.

La CDF peut autoriser l’évêque local à engager une procédure pénale administrative devant un délégué de l’évêque local assisté par deux assesseurs. Le prêtre accusé est appelé à répondre aux accusations et à examiner les preuves. L’accusé a le droit de présenter un recours à la CDF contre un jugement le condamnant à une peine canonique. La décision des cardinaux membres de la CDF est définitive.

Si le clerc est jugé coupable, les deux procédures pénales – judiciaire et administrative – peuvent le condamner à un certain nombre de peines canoniques, dont la plus grave est la perte de l’état clérical. La question des dommages et intérêts peut aussi être traitée directement au cours de ces procédures.

B2 Affaires transmises directement au Saint-Père

Dans des cas très graves, quand un procès criminel civil a jugé que le clerc était coupable d’abus sexuel sur des mineurs ou quand les preuves sont accablantes, la CDF peut décider de transmettre l’affaire directement au Saint-Père en lui demandant d’émettre un décret de perte de l’état clérical « ex officio ». Il n’y a pas de recours canonique contre un tel décret pontifical.

La CDF transmet aussi au Saint-Père les demandes émanant de prêtres accusés qui, étant conscients de leurs crimes, demandent à être dispensés des obligations du sacerdoce et à retourner à l’état laïc. Le Saint-Père accède à ces demandes pour le bien de l’Eglise (« pro bono Ecclesiae »).

B3 Mesures disciplinaires

Dans les cas où le prêtre accusé a reconnu ses crimes et accepté de mener une vie de prière et de pénitence, la CDF autorise l’évêque local à publier un décret interdisant ou restreignant le ministère public de ce prêtre. Ces décrets sont imposés à travers un précepte pénal qui entraîne une peine canonique en cas de violation des conditions du décret, sans qu’en soit exclue la perte de l’état clérical. Un recours administratif auprès de la CDF est possible contre ces décrets. La décision de la CDF est définitive.

C: Révision du MP SST

Depuis quelque temps la CDF a entrepris de réviser certains articles du motu proprio Sacramentorum Sanctitatis Tutela, pour mettre à jour le motu proprio de 2001 à la lumière des facultés spéciales reconnues à la CDF par les papes Jean-Paul II et Benoît XVI. Les modifications envisagées, actuellement en cours de discussion, ne changeront pas les procédures mentionnées ci-dessus (A, B1-B3).
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Traduction française par Charles de Pechpeyrou.

par Sandro Magister: Genèse d’un délit. La révolution des années Soixante

11 avril, 2010

du site:

http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1342641?fr=y

Genèse d’un délit. La révolution des années Soixante

Le scandale de la pédophilie a toujours existé; ce qui lui a donné des proportions énormes, c’est le virage culturel d’il y a un demi-siècle. Benoît XVI l’a écrit dans sa lettre aux catholiques d’Irlande, que commentent deux cardinaux et un sociologue

par Sandro Magister

ROME, le 25 mars 2010 – La loi et la grâce. La main de Dieu parvient là où la justice terrestre n’arrive pas. Dans sa lettre du 19 mars, Benoît XVI a ordonné aux catholiques d’Irlande ce qu’aucun pape de l’époque moderne n’a jamais ordonné à toute l’Église d’un pays.

Il leur a enjoint non seulement de déférer les coupables devant les tribunaux canoniques et civils mais aussi de se mettre collectivement en état de pénitence et de purification. Et cela non pas dans le secret de leurs consciences mais de manière publique, sous les yeux de tous, y compris leurs adversaires les plus implacables et les plus moqueurs. Jeûne, prière, lecture de la Bible et activités caritatives tous les vendredis à partir de maintenant jusqu’à Pâques de l’année prochaine. Confession sacramentelle fréquente. Adoration continuelle de Jésus – lui-même « victime de l’injustice et du péché » – devant la sainte hostie exposée sur les autels des églises. Et pour tous les évêques, prêtres et religieux, sans exception, une période spéciale de « mission », un long et rude parcours d’exercices spirituels pour une révision de vie radicale.

C’est une décision audacieuse qu’a prise là le pape Benoît XVI. Parce que le prophète Jonas lui-même ne croyait plus que Dieu pardonnerait à Ninive pour ses péchés, en dépit de la cendre de la pénitence et des sacs dont tous étaient couverts, depuis le roi jusqu’à la dernière des bêtes.

Et aujourd’hui encore beaucoup de gens concluent que l’Église reste condamnée irrémédiablement, même après la lettre dans laquelle le pape lui-même se déclare plein de honte et de remords à cause des abominations commises sur des enfants par certains prêtres, vis-à-vis desquelles certains évêques ont fait preuve d’une négligence coupable.

Et pourtant le pardon de Dieu est descendu même sur Ninive et le sceptique Jonas a dû revenir sur son opinion.  Ce prophète, Michel-Ange l’a justement représenté sur la partie supérieure du mur derrière l’autel de la Chapelle Sixtine, pour montrer que le pardon de Dieu est la clé de tout, depuis la création du monde jusqu’au jugement dernier.

Dimanche 21 mars, tandis que l’on donnait lecture de sa lettre dans les églises d’Irlande, Benoît XVI a commenté, pour les fidèles réunis sur la place Saint-Pierre au moment de l’Angélus, le pardon de Jésus à la femme adultère : « Il sait ce qu’il y a dans le cœur de chaque être humain, il veut condamner le péché, mais sauver le pécheur et démasquer l’hypocrisie ». L’hypocrisie de ceux qui voulaient lapider la femme, bien qu’étant eux-mêmes les premiers à pécher.

Intransigeance vis-à-vis du péché, « en commençant par le nôtre », et miséricorde vis-à-vis des personnes. Telle est la leçon que Joseph Ratzinger veut appliquer à l’affaire irlandaise et, plus largement, à l’Eglise tout entière.

D’un côté, les rigueurs de la loi. Le prix de la justice devra être payé intégralement. Les diocèses, les séminaires, les congrégations religieuses où l’on a laissé se commettre des méfaits sont avertis : des visiteurs apostoliques vont venir du Vatican pour découvrir ce qui s’est passé et, même là où il n’y aura pas lieu de faire intervenir la justice civile, la discipline canonique punira ceux qui auront été négligents.

Mais, en même temps, le pape allume la lumière de la grâce. Il ouvre la porte du pardon de Dieu même à ceux qui se sont rendus coupables des pires abominations, s’ils se repentent sincèrement.

Quant à ceux qui se tiennent au premier rang des accusateurs, ceux qui sont les plus armés de pierres contre l’Église, aucun d’entre eux n’est sans péché. Pour ceux qui exaltent la sexualité comme pur instinct, libre de toute entrave, il est difficile de condamner ensuite tout abus qui en est fait.

La tragédie de certains prêtres et religieux, a écrit Benoît XVI dans sa lettre pastorale, a aussi été de céder à « des façons de penser et de considérer les réalités séculières sans référence suffisante à l’Évangile » si répandues, au point d’en arriver à justifier l’injustifiable.

Une faiblesse qui ne peut certainement pas être reprochée à Ratzinger évêque et pape, même par ses adversaires les plus acharnés, s’ils sont sincères.
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Le commentaire reproduit ci-dessus est publié dans « L’espresso » n. 13 de 2010, en kiosque depuis le 26 mars.

A la fin, ce commentaire fait référence à un paragraphe précis – le quatrième – de la lettre de Benoît XVI aux catholiques d’Irlande.

C’est le paragraphe dans lequel le pape évoque les raisons qui ont favorisé, à partir des années Soixante du siècle dernier, l’expansion des abus sexuels commis par le clergé et surtout l’incapacité à en comprendre la gravité.

Le voici en entier.
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BENOÎT XVI. LE PARAGRAPHE 4 DE SA LETTRE

« Au cours des dernières décennies, l’Église dans votre pays a dû affronter de nouveaux et graves défis à la foi, découlant de la transformation et de la sécularisation rapides de la société irlandaise. Un changement social très rapide a eu lieu, qui a souvent eu des effets contraires à l’adhésion traditionnelle des Irlandais à l’enseignement et aux valeurs catholiques. Très souvent, les pratiques sacramentelles et de dévotion qui soutiennent la foi et lui permettent de croître, comme par exemple la confession fréquente, la prière quotidienne et les retraites annuelles, ont été négligées.

« Au cours de cette période, la tendance, y compris chez certains prêtres et religieux, à adopter des façons de penser et de considérer les réalités séculières sans référence suffisante à l’Évangile, a été déterminante. Le programme de renouveau proposé par le Concile Vatican II a parfois été mal interprété et, à vrai dire, à la lumière des profonds changements sociaux qui avaient lieu, il était très difficile de savoir quelle était la meilleure façon de l’appliquer. En particulier, il y a eu une tendance, dictée par de justes intentions mais erronée, à éviter d’aborder sous l’angle pénal les situations canoniques irrégulières. C’est dans ce contexte général que nous devons chercher à comprendre le problème préoccupant des abus sexuels commis sur des enfants, qui a grandement contribué à l’affaiblissement de la foi et à la perte de respect pour l’Église et pour ses enseignements.

« Ce n’est qu’en examinant avec attention les nombreux éléments qui ont donné naissance à la crise actuelle qu’il est possible d’entreprendre un diagnostic clair de ses causes et de trouver des remèdes efficaces. Il est certain que, parmi les facteurs qui y ont contribué, nous pouvons citer : des procédures inadéquates pour déterminer l’aptitude des candidats au sacerdoce et à la vie religieuse ; une formation humaine, morale, intellectuelle et spirituelle insuffisante dans les séminaires et les noviciats ; une tendance de la société à favoriser le clergé et d’autres figures d’autorité, ainsi qu’une préoccupation hors de propos pour la réputation de l’Église et pour éviter les scandales, qui ont eu pour résultat la non-application des peines canoniques en vigueur et l’absence de protection de la dignité de chaque personne. Il faut agir d’urgence pour traiter ces facteurs, qui ont eu des conséquences si tragiques pour les vies des victimes et de leurs familles et qui ont diminué la lumière de l’Evangile plus gravement qu’au cours des siècles de persécution ».
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Deux cardinaux et un spécialiste de la sociologie des religions, entre autres, se sont exprimés à propos des facteurs culturels analysés par le pape.
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LE COMMENTAIRE DU CARDINAL BAGNASCO

Le premier des deux cardinaux est Angelo Bagnasco, archevêque de Gênes et président de la conférence des évêques d’Italie (CEI).

Voici comment, le lundi 22 mars, dans le discours par lequel il a ouvert les travaux du conseil permanent de la CEI, Bagnasco a conclu le passage consacré à la lettre du pape aux catholiques d’Irlande :

« Différentes personnes, y compris des non-catholiques, ont souligné que, depuis un certain temps déjà, le phénomène de la pédophilie apparaît tragiquement répandu dans divers milieux et dans plusieurs catégories de personnes. Mais ce point, loin d’être mentionné ici pour diminuer ou relativiser la gravité spécifique des faits signalés dans les milieux ecclésiastiques, est plutôt un avertissement incitant à percevoir l’ampleur objective de la tragédie. Au moment même où elle se sent humiliée, l’Église apprend du pape à ne pas avoir peur de la vérité, même quand celle-ci est douloureuse et odieuse, à ne pas la taire, à ne pas la couvrir. Mais cela ne signifie pas subir – quand il y en a – des stratégies de discrédit généralisé.

« En réalité nous devons tous nous interroger, en rejetant désormais tout faux-fuyant, à propos d’une culture qui, de nos jours, règne incontestée et favorisée, et qui tend progressivement à effilocher le tissu conjonctif de toute la société, en se moquant, le cas échéant, de ceux qui résistent et tentent de s’opposer : c’est l’attitude de ceux qui cultivent une autonomie absolue vis-à-vis des critères du jugement moral et qui propagent comme bons et séduisants des comportements inspirés de désirs individuels et d’instincts parfois effrénés. Mais l’exacerbation de la sexualité détachée de son sens anthropologique, l’hédonisme à tout va et le relativisme qui n’admet ni barrières ni sursauts font beaucoup de mal parce qu’ils sont spécieux et parfois, sans que l’on s’en rende compte, omniprésents.

« Alors il faut que nous recommencions tous à appeler les choses par leur nom, toujours et partout, à identifier le mal dans sa gravité croissante et ses manifestations multiples, pour ne pas nous trouver, avec le temps, face à la prétention d’une aberration revendiquée sur le plan des principes ».
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LE COMMENTAIRE DU CARDINAL RUINI

Le second cardinal est Camillo Ruini, président du comité pour le projet culturel de l’Église italienne, prédécesseur de Bagnasco à la présidence de la CEI et vicaire du pape pour le diocèse de Rome de 1991 à 2008.

Dans une interview accordée au quotidien « il Foglio » du 16 mars, quelques jours avant que le pape ne publie sa lettre, Ruini a déclaré, entre autres :

« À mon avis, la campagne de diffamation contre l’Église catholique et le pape que mènent les médias s’inscrit dans cette stratégie qui est à l’œuvre depuis des siècles et que Friedrich Nietzsche théorisait déjà avec le goût du détail. Selon Nietzsche, l’attaque décisive contre le christianisme ne peut pas être portée sur le plan de la vérité mais sur celui de l’éthique chrétienne, qui serait l’ennemie de la joie de vivre. Alors je voudrais demander à ceux qui lancent les scandales de la pédophilie principalement contre l’Église catholique, en mettant éventuellement sur le tapis le célibat des prêtres, s’il ne serait pas plus honnête et plus réaliste de reconnaître que ces déviations, et d’autres, liées à la sexualité accompagnent certainement toute l’histoire du genre humain mais aussi qu’à notre époque, ces déviations sont encore plus stimulées par la ‘libération sexuelle’ si vantée ».

Et aussi :

« Lorsque l’exaltation de la sexualité envahit tout l’espace de la vie et que l’autonomie de l’instinct sexuel par rapport à tout critère moral est revendiquée, il devient difficile de faire comprendre que certains abus déterminés doivent absolument être condamnés. En réalité la sexualité humaine, dès son début, n’est pas simplement instinctive, elle n’est pas identique à celle des autres animaux. Comme tout ce qui est humain, c’est une sexualité ‘pétrie’ de raison et de morale, qui peut être vécue de manière humaine et qui ne rend vraiment heureux que si elle est vécue de cette façon ».

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LE COMMENTAIRE DU PROFESSEUR INTROVIGNE

Le sociologue est le professeur Massimo Introvigne, président du CESNUR, Center for Studies on New Religion.

Dans un commentaire paru le 22 mars sur l’édition italienne du site de l’agence internationale « Zenit », Introvigne a notamment écrit :

« Ce que les Anglais et les Américains appellent ‘the Sixties’, les années Soixante, et les Italiens, en se concentrant sur l’année symbolique, ‘il Sessantotto’, apparaît de plus en plus comme une période de profond bouleversement des mœurs, ayant des effets cruciaux et durables sur la religion.

« Il y a d’ailleurs eu un Soixante-huit dans la société et un Soixante-huit dans l’Église : 1968 est justement l’année du désaccord public avec l’encyclique ‘Humanae Vitae’ de Paul VI, une contestation qui – selon une étude remarquable et influente du philosophe américain récemment disparu Ralph McInerny, ‘Vatican II. Qu’est-ce qui est allé de travers ?’ – constitue un point de non-retour dans la crise du principe d’autorité au sein de l’Église catholique. [...]

« Mais pourquoi les années Soixante ? Pour rester dans les îles britanniques, Hugh McLeod a publié sur ce sujet aux éditions Oxford University Press, en 2007, un important ouvrage, ‘The Religious Crisis of the 1960s’, qui fait le point sur les discussions en cours.

« Deux thèses se sont opposées : celle d’Alan Gilbert, qui pense que la révolution des années 1960 a été déterminée par le boom économique qui a répandu l’esprit de consommation et éloigné les populations des églises ; et celle de Callum Brown, pour qui le facteur décisif a été l’émancipation des femmes, suite à la diffusion de l’idéologie féministe, du divorce, de la pilule anticonceptionnelle et de l’avortement.

« McLeod pense – à juste titre selon moi – qu’une révolution d’une telle portée ne peut pas s’expliquer par un seul facteur. Le boom économique et le féminisme entrent en jeu, mais également des aspects plus strictement culturels, que ce soit à l’extérieur des Églises et communautés chrétiennes (la rencontre entre la psychanalyse et le marxisme) ou à l’intérieur (les ‘nouvelles théologies’).

« Sans entrer dans les éléments les plus techniques de cette discussion, Benoît XVI montre, avec sa lettre, qu’il est conscient du fait qu’il y a eu dans les années Soixante une authentique révolution – pas moins importante que la Réforme protestante ou la Révolution française – qui a été ‘très rapide’ et qui a asséné un coup très dur à la ‘traditionnelle adhésion du peuple à l’enseignement et aux valeurs catholiques’. [...]

« Dans l’Église catholique on n’a pas tout de suite été suffisamment conscient de la portée de cette révolution. Au contraire, celle-ci a contaminé – estime aujourd’hui Benoît XVI – ‘même des prêtres et des religieux’, elle a déterminé des malentendus dans l’interprétation du concile et elle a été la cause d’une ‘formation humaine, morale et spirituelle insuffisante dans les séminaires et dans les noviciats’.

« Dans ce contexte, les prêtres insuffisamment formés ou contaminés par le climat qui a suivi les années Soixante ne sont certainement pas tous devenus pédophiles, pas même un pourcentage significatif d’entre eux : nous savons par les statistiques que le nombre réel de prêtres pédophiles est très inférieur aux chiffres fournis par certains médias. Cependant ce nombre n’est pas égal à zéro – comme nous le voudrions tous – et cela justifie les propos très sévères du pape. Mais l’étude de la révolution des années Soixante et de 1968 est essentielle pour comprendre ce qui s’est produit par la suite, pédophilie comprise. Et pour trouver de véritables remèdes.

« Si cette révolution, à la différence de celles qui l’ont précédée, est morale et spirituelle, si elle touche à l’intériorité de l’homme, les remèdes ne pourront venir, en définitive, que de la restauration de la moralité, de la vie spirituelle et d’une vérité intégrale sur la personne humaine. Mais pour cela les sociologues, comme toujours, ne suffisent pas : il faut des pères et des maîtres, des éducateurs et des saints. Et nous avons tous grand besoin du pape, de ce pape, qui encore une fois – pour reprendre le titre de sa dernière encyclique – dit la vérité dans la charité et pratique la charité dans la vérité ».

par Sandro Magister : La passion du pape Benoît XVI. Six accusations, une question

7 avril, 2010

du site:

http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1342796?fr=y

La passion du pape Benoît XVI. Six accusations, une question

La pédophilie n’est que la dernière des armes pointées contre Joseph Ratzinger. A chaque fois, celui-ci est attaqué sur l’un des domaines où il exerce le plus son rôle de guide. Un par un, voici les points critiques de ce pontificat

par Sandro Magister

ROME, le 7 avril 2010 – L’attaque qui utilise comme arme contre le pape Joseph Ratzinger le scandale provoqué par des prêtres de son Église fait partie d’une constante de ce pontificat.

Cette constante est que lorsque l’on frappe Benoît XVI, à chaque fois dans un domaine différent, on frappe en lui l’homme qui a agi et qui continue d’agir dans ce domaine avec le plus de clairvoyance, de résolution et d’efficacité.

*

La tempête qui a suivi son discours du 12 septembre 2006 à Ratisbonne a été la première de la série. Benoît XVI a été accusé d’être un ennemi de l’islam et un partisan incendiaire du choc des civilisations. Lui qui, avec une lucidité et un courage uniques, avait montré où plonge la racine ultime de la violence – dans une idée de Dieu mutilée par la rationalité – et qui avait donc également indiqué comment la vaincre.

La justesse de ce qu’il avait dit a été douloureusement confirmée par les agressions et même par les meurtres qui ont suivi son discours. Mais le fait qu’il avait eu raison a surtout été confirmé par les démarches ultérieures de dialogue entre l’Église catholique et l’islam, démarches entreprises non pas contre le discours de Ratisbonne mais grâce à lui et dont les manifestations les plus évidentes et les plus prometteuses ont été la lettre adressée au pape par 138 sages musulmans et sa visite à la Mosquée Bleue d’Istanbul.

Avec Benoît XVI, le dialogue du christianisme avec l’islam, mais aussi avec les autres religions, progresse aujourd’hui avec une conscience plus nette de ce qui sépare, en raison de la foi, et de ce qui peut unir, la loi naturelle inscrite par Dieu dans le cœur de tout homme.

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Une deuxième série d’accusations contre le pape le dépeint comme un ennemi de la raison moderne et en particulier de son expression suprême, la science. Le sommet de cette campagne hostile a été atteint en janvier 2008, lorsque des enseignants ont contraint le pape à annuler sa visite à la principale université de son diocèse, l’Université de Rome « La Sapienza ».

Et pourtant – comme précédemment à Ratisbonne et ultérieurement à Paris, au Collège des Bernardins, le 12 septembre 2008 – le discours que le pape comptait prononcer à l’Université de Rome était une défense formidable du lien indissoluble entre la foi et la raison, entre la vérité et la liberté : « Je ne viens pas imposer la foi mais demander du courage en faveur de la vérité ».

Le paradoxe est que Benoît XVI est un grand « homme des Lumières » à une époque où la vérité est si peu appréciée et où le doute agit en maître, au point de vouloir lui ôter la parole.

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Une troisième accusation lancée systématiquement contre Benoît XVI est d’être un traditionnaliste replié sur le passé, ennemi des nouveautés apportées par le Concile Vatican II.

Les preuves utilisées par ses accusateurs seraient son discours du 22 décembre 2005 à la curie romaine sur l’interprétation du Concile, puis la libéralisation de l’usage du rite ancien de la messe en 2007.

En réalité, la Tradition à laquelle Benoît XVI est fidèle est celle de la grande histoire de l’Église, depuis les origines jusqu’à aujourd’hui, qui n’a rien à voir avec un attachement formaliste au passé. Dans son discours à la curie cité plus haut, pour donner un exemple de la « réforme dans la continuité » que représente Vatican II, le pape a fait appel à la question de la liberté de religion. Pour l’affirmer pleinement – a-t-il déclaré – le Concile a dû revenir aux origines de l’Église, aux premiers martyrs, à ce « patrimoine profond » de la Tradition chrétienne qui avait été perdu dans les siècles les plus récents et qui a été retrouvé également grâce à la critique de la raison des Lumières.

Quant à la liturgie, s’il y a un authentique continuateur du grand mouvement liturgique qui a fleuri dans l’Église au dix-neuvième et au vingtième siècle, de Prosper Guéranger à Romano Guardini, c’est bien Ratzinger.

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Un quatrième terrain d’attaque est voisin du précédent. Benoît XVI est accusé d’avoir enterré l’œcuménisme et fait passer le rapprochement avec les lefebvristes avant le dialogue avec les autres confessions chrétiennes.

Mais les faits disent le contraire. Depuis que Ratzinger est pape, la démarche de réconciliation avec les Églises d’Orient a fait des progrès extraordinaires. Avec les Églises byzantines qui sont rattachées au patriarcat œcuménique de Constantinople, mais également – et c’est la nouveauté la plus surprenante – avec le patriarcat de Moscou.

Et si cela s’est produit, c’est précisément grâce à cette fidélité ravivée à la grande Tradition – à commencer par celle du premier millénaire – qui est un signe distinctif de ce pape ainsi que l’âme des Églises d’Orient.

Du côté de l’Occident, c’est encore l’amour de la Tradition qui pousse des personnes et des groupes de la Communion Anglicane à demander d’entrer dans l’Église de Rome.

Tandis que, pour ce qui est des lefebvristes, ce qui fait obstacle à leur réintégration est justement leur attachement à des formes passées d’Église et de doctrine qu’ils identifient, à tort, à la Tradition pérenne. La levée de l’excommunication de leurs quatre évêques, en janvier 2009, n’a rien enlevé à l’état de schisme dans lequel ils restent, de même que la levée des excommunications entre Rome et Constantinople en 1964 n’a pas supprimé le schisme entre l’Orient et l’Occident mais a rendu possible un dialogue tendant à l’unité.

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Parmi les quatre évêques lefebvristes dont Benoît XVI a levé l’excommunication, il y avait l’anglais Richard Williamson, antisémite et négateur de la Shoah. Dans le rite ancien dont l’usage a été libéralisé, il y a une prière pour que les Juifs « reconnaissent Jésus-Christ comme sauveur de tous les hommes ».

Ces faits et d’autres ont contribué à alimenter une protestation persistante du monde juif contre le pape actuel, avec des pointes notables de radicalité. C’est un cinquième terrain d’accusation.

La dernière arme de cette protestation est un passage du sermon prononcé en présence du pape à la basilique Saint-Pierre, le Vendredi Saint, par le prédicateur de la maison pontificale, le père Raniero Cantalamessa. Le passage incriminé est une citation d’une lettre écrite par un Juif mais, malgré cela, la polémique s’est concentrée exclusivement contre le pape.

Et pourtant, il n’y a rien de plus contradictoire que d’accuser Benoît XVI d’hostilité aux Juifs.

Parce qu’aucun autre pape avant lui n’a été aussi loin dans la définition d’une vision positive du rapport entre christianisme et judaïsme, sous réserve de la séparation capitale pour ce qui est de reconnaître ou non Jésus comme Fils de Dieu. Dans le premier volume de son « Jésus de Nazareth », publié en 2007 et qui sera bientôt complété par le second volume, Benoît XVI a écrit à ce sujet des pages lumineuses, en dialogue avec un rabbin américain actuellement vivant.

Beaucoup de Juifs voient effectivement en Ratzinger un ami. Mais c’est bien différent dans les médias internationaux, où l’on perçoit presque uniquement le « tir ami » de Juifs qui attaquent le pape qui les comprend et les aime le plus.

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Enfin un sixième chef d’accusation – très actuel – contre Ratzinger est qu’il aurait « couvert » le scandale des prêtres ayant commis des abus sexuels sur des enfants.

Dans ce cas aussi, l’accusation vise précisément l’homme qui, plus que quiconque dans la hiérarchie de l’Église, a agi pour porter remède à ce scandale.

Avec des effets positifs que l’on commence à percevoir ici ou là. Notamment aux États-Unis, où l’importance du phénomène dans le clergé catholique a nettement diminué ces dernières années.

Là où, au contraire, la plaie est toujours ouverte, comme en Irlande, c’est encore Benoît XVI qui a imposé à l’Église de ce pays de se mettre en état de pénitence, selon un cheminement sévère défini par lui dans une lettre pastorale – celle du 19 mars dernier – qui est sans précédent.

De fait, la campagne internationale contre la pédophilie n’a aujourd’hui qu’une seule véritable cible : le pape. Les affaires que l’on ressort du passé sont à chaque fois celles que l’on pense pouvoir retourner contre lui, soit en tant qu’archevêque de Munich, soit en tant que préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, avec en complément l’affaire de Ratisbonne pour les années où le frère du pape, Georg, dirigeait le chœur d’enfants de la cathédrale.

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Les six chefs d’accusation contre Benoît XVI, rappelés jusqu’ici, suscitent une question.

Pourquoi ce pape est-il l’objet de tant d’attaques, provenant de l’extérieur de l’Église mais aussi de l’intérieur, bien qu’il soit clairement innocent de ce dont on l’accuse ?

Un début de réponse est qu’il est systématiquement attaqué justement en raison de ce qu’il fait, de ce qu’il dit, de ce qu’il est.

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Traduction française par Charles de Pechpeyrou.

article publié par Sandro Magister: « Mieux vaudrait pour lui se voir passer autour du cou une meule de moulin… »

15 mars, 2010

du site:

http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1342484?fr=y

« Mieux vaudrait pour lui se voir passer autour du cou une meule de moulin… »

« … et être précipité à la mer, plutôt que de scandaliser un seul de ces petits » (Luc 17, 2). Accusés, procès et condamnations de dix ans de pédophilie dans le clergé. Interview de Charles J. Scicluna, promoteur de justice de la congrégation pour la doctrine de la foi. Extrait d’ »Avvenire » du 13 mars 2010

par Gianni Cardinale

(article publié par Sandro Magister)

ROME – « Promoteur de justice », Mgr Charles J. Scicluna, est le Ministère public du tribunal de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Il est chargé d’enquêter sur les « delicta
graviora », les crimes que l’Eglise considère comme les plus graves, ceux commis contre l’eucharistie ou le secret de la confession, ou bien des viols sur mineurs de la part du clergé. Le motu proprio de 2001 « Sacramentorum sanctitatis tutela » en a réservé la compétence à cette congrégation. Ainsi son promoteur de justice doit-il traiter la terrible question des prêtres accusés d’actes pédophiles, qui fait périodiquement la première page des journaux. C’est une personne très scrupuleuse et qui a la réputation de ne pas se laisser influencer.

Q. – Monseigneur Scicluna, vous avez une réputation de dur, et pourtant l’Eglise est systématiquement accusée d’être accommodante envers les prêtres pédophiles.

R. – Dans le passé, par une mauvaise interprétation de la défense de la réputation de l’institution, des évêques peuvent avoir fait preuve d’indulgence face à ces tristes affaires. Il l’ont été dans la pratique car au niveau des principes la condamnation des ces crimes a toujours été ferme et sans équivoque. Pour ce qui est du siècle dernier, il suffit de citer l’instruction « Crimen sollicitationis » de 1922…

Q. – Mais ne s’agissait-il pas de 1962?

R. – Si la première édition de ces mesures remonte à Pie XI, le Saint-Office en fit une nouvelle version sous Jean XXIII, destinée aux Pères conciliaires. Mais les 2 000 copies ne suffisaient pas et la distribution fut renvoyée sine die. Quoiqu’il en soit, il s’agissait de normes à suivre en cas de révélations faites en confession de crimes plus grave et de type sexuel, comme les viols sur mineurs…

Q. – Ces normes recommandaient le secret.

R. – Une mauvaise traduction anglaise du texte a fait penser que le Saint-Siège imposait le secret pour occulter les faits, mais il n’en était pas ainsi. Le secret de l’instruction servait à protéger la réputation des personnes impliquées, les victimes comme aussi les prêtres accusés, qui ont eux aussi droit à la présomption d’innocence. L’Eglise n’aime pas la justice spectacle. Les normes relatives aux abus sexuels n’ont jamais été entendues comme une interdiction de leur dénonciation à la justice civile.

Q. – Cela dit, ce document est souvent cité par accuser le Pape actuel d’avoir été, comme Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le responsable d’une politique de dissimulation des faits de la part du Saint-Siège…

R. – Cette accusation est sans fondement, et même calomnieuse. Quelques faits. Entre 1975 et 1985 aucun cas de pédophilie cléricale n’a été signalé à la congrégation. Après la promulgation du Code canonique de 1983, il y a eu une période d’incertitude sur les « delicta graviora » qui devaient être de notre compétence. C’est seulement avec le motu proprio de 2001 que le crime pédophile est redevenu de notre exclusive compétence, et à partir de là le Cardinal Ratzinger a géré avec fermeté ces affaires. Il a en outre fait preuve de courage dans le traitement de cas extrêmement délicats. Accuser le Pape actuel d’avoir occulté la question est pure calomnie.

Q. – Que se passe-t-il lorsqu’un prêtre est accusé d’un « delictum gravius »?

R. – Si l’accusation est vraisemblable, son évêque est contraint d’enquêter tant sur l’objet de la démarche que sur  sa validité. Si l’enquête préliminaire confirme l’accusation, il n’a plus le pouvoir d’agir et doit transmettre le dossier au Bureau disciplinaire de notre congrégation.

Q. – Qui compose ce bureau?

R. – Etant un des supérieurs de la congrégation, j’en fais partie, avec un chef de bureau (le P. Pedro Miguel Funes Diaz), sept autres ecclésiastiques et un pénaliste laïque en charge de ces questions. D’autres officiels de la congrégation collaborent selon les besoins, notamment en matière linguistique.

Q. – Ce bureau a été accusé de peu fonctionner, et lentement…

R. – L’affirmer est injuste. En 2003 et 2004, il y a eu une avalanche de cas soumis à notre examen, largement en provenance des Etats-Unis. Depuis, le phénomène s’est heureusement réduit et nous tentons de traiter les dossiers en temps réel.

Q. – Combien en avez-vous traité jusqu’ici?

R. – De 2001 à 2010 il s’est agi d’environ 3 000 accusations regardant des prêtres diocésains ou des religieux, pour des crimes commis ces 50 dernières années.

Q. – Il s’agit donc de 3 000 cas de prêtres pédophiles?

R. – On ne peut pas dire cela car, grosso modo, dans 60 % des cas on a affaire à des actes d’ »éphébophilie », c’est-à-dire d’attraction physique pour des adolescents de même sexe. Dans d’autres cas, 30 %, il s’agit d’attirance hétérosexuelle, et pour les 10 % restants de véritable attraction physique envers des garçons impubères. En neuf ans, il y a donc eu environ 300 cas de prêtres accusés de pédophilie. C’est trop, certes, mais il faut constater que le phénomène n’est pas étendu comme on veut le faire croire.

Q. – Combien de procès et de condamnation sur trois mille accusés?

R. – Tout d’abord, dans 20 % des cas le procès, pénal ou administratif, s’est déroulé sous notre supervision dans le diocèse de compétence. Très rarement il y a un procès au Vatican, ce qui permet aussi d’accélérer la procédure. Dans 60 % des cas, principalement à cause de l’âge avancé des accusés, on n’engage pas de procès mais des mesures disciplinaires sont prises à leur encontre, comme l’interdiction de célébrer la messe en public et de confesser, ou l’obligation de mener une vie retirée et de pénitence. S’il y a eu dans cette catégorie des cas particulièrement médiatisés, il ne s’est absolument pas agi d’absolution. S’il n’y a pas eu de condamnation formelle, la réduction au silence et à l’obligation de prière a tout son sens.

Q. – Les 20 % restants?

R. – On dira que pour la moitié, celle des cas particulièrement graves, appuyés sur des preuves indubitables, le Pape a pris la douloureuse responsabilité de la réduction à l’état laïque. Il s’agit d’une mesure extrême mais inévitable. Pour l’autre moitié, ce sont les prêtres qui ont demandé à être relevé de leurs devoirs sacerdotaux. On compte parmi eux les prêtres trouvés en possession de matériel pédo-pornographique, condamnés pour ce délit par la justice civile.

Q. – D’où proviennent les 3 000 cas évoqués?

R. – Principalement des Etats-Unis qui, en 2003-2004 ont fourni environ 80 % des cas. En 2009 leur proportion est tombée à 25 % des 223 nouveaux dossiers en provenance du monde entier. En 2007-2009, la moyenne annuelle des cas signalés à notre congrégation a été de 250. Nombre de pays ne signalent qu’un ou deux cas, bien que le nombre des pays intéressés par un phénomène somme toute assez réduit s’accroisse. Rappelons qu’il y a 400 000 prêtres diocésains et religieux dans le monde, un nombre sans rapport avec la perception que provoquent les cas exposés dans la presse.

Q. – Et en Italie?

R. – Jusqu’ici le problème ne semble pas revêtir de dimension dramatique, même si je suis préoccupé par une certaine culture du silence, encore trop diffuse. Par ailleurs, la Conférence épiscopale italienne assure une excellent service technico-juridique aux diocèses devant traiter ces affaires. On doit saluer l’engagement croissant des évêques à faire la lumière sur les cas qu’on leur signale.

Q. – Vous dites que les procès en règle ne représentent que 20 % des 3 000 cas examinés ces neuf dernières années. Se sont-ils tous terminés par la condamnation des accusés?

R. – Si nombre des procès se sont conclus par une condamnation, dans certains cas le prêtre a été innocenté ou bien les accusations n’ont pu être suffisamment démontrées. Cela dit, dans chaque cas, on évalue la culpabilité de l’accusé mais aussi sa capacité à remplir son ministère.

Q. – On accuse régulièrement la hiérarchie ecclésiastique de ne pas transmettre à la justice civile des cas de pédophilie du clergé qui lui sont signalés.

R. – Dans les pays de culture juridique anglo-saxonne, mais aussi en France, les évêques prennent généralement connaissance des crimes commis par leurs prêtres hors confession, ce qui les oblige à recourir à l’autorité judiciaire. C’est une situation grave car ces évêques sont comme un parent contraint à dénoncer son fils. Dans ces cas, nous recommandons de respecter la loi civile.

Q. – Et si l’évêque n’a pas cette obligation?

R. – Dans ces situations la congrégation n’oblige pas les évêques à dénoncer leurs prêtres, mais elle les encourage à inviter les victimes à dénoncer leur bourreaux. Nous encourageons les évêques à fournir à ces victimes toute l’assistance nécessaire, et pas strictement spirituelle. Dans le cas récent d’un prêtre condamné par un tribunal civil italien, c’est la congrégation qui a suggéré aux dénonciateurs réclamant une procédure canonique d’alerter la justice civile. Cela dans l’intérêt des victimes et pour éviter de nouveaux actes délictueux.

Q. – La prescription est-elle prévue pour les « delicta graviora »?

R. – Vous touchez un point délicat. Avant 1898, le principe de la prescription pénale était étranger au droit de l’Eglise. C’est seulement avec le Motu Proprio de 2001 qu’on a introduit pour les crimes graves une prescription de dix ans. Pour les délits sexuels, la décennie commence au dix-huitième anniversaire de la victime.

Q. – Est-ce suffisant?

R. – La pratique a montré que cette prescription décennale n’est pas adapté à ce type d’affaires. Il serait bon d’en revenir au système précédent fixant l’imprescriptibilité de ces « delicta graviora ». Cela dit, le 7 novembre 2002, Jean-Paul II a concédé à la Congrégation pour la doctrine de la foi une faculté de dérogation au cas par cas, à la demande motivée de l’évêque intéressé. Elle est généralement accordée.

(Traduction du Vatican).

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