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Divo Barsotti, un prophète pour l’Eglise d’aujourd’hui (Sandro Magister)

14 novembre, 2011

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Divo Barsotti, un prophète pour l’Eglise d’aujourd’hui

Il a anticipé de plusieurs décennies les axes majeurs de l’actuel pontificat. On découvre aujourd’hui son importance, grâce notamment à une exposition qui lui est consacrée. Il a vécu à Florence, en plein dans les conflits du Concile et de l’après-concile. Le commentaire critique du théologien Paolo Giannoni

par Sandro Magister

ROMA, le 28 août 2007 – Lors du rassemblement international organisé comme chaque année à Rimini au mois d’août, Communion et Libération a consacré une exposition à une personnalité chrétienne injustement méconnue mais de grande valeur: « Divo Barsotti, le dernier mystique du XXe siècle ».
Divo Barsotti – mort à 92 ans le 15 février 2006 dans son ermitage de San Sergio à Settignano, sur les hauteurs de Florence – a été prêtre, théologien, fondateur de la Communauté des Fils de Dieu, mystique renommé et maître spirituel.
Le père Luigi Giussani, le fondateur de Communion et Libération, était mort un an avant lui à Milan. Les deux hommes ne se sont jamais rencontrés, mais ils avaient une grande estime l’un pour l’autre.
Cette année, Communion et Libération a choisi le thème suivant pour son rassemblement: « La vérité est le destin pour lequel nous sommes faits ».
C’est justement sur le primat de la vérité que le père Barsotti a fondé toute sa vie et son enseignement, en parfaite harmonie avec les lignes directrices de l’actuel pontificat. Une raison supplémentaire pour redécouvrir son héritage et le mettre en valeur.

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Au cours de sa vie, Divo Barsotti s’est souvent retrouvé seul et incompris. Quand il était un jeune prêtre, isolé dans son diocèse de San Miniato. Quand il est arrivé à Florence, compris et soutenu par peu de gens. Quand il est resté seul, pendant plusieurs années, dans son ermitage de Settignano, abandonné par ses premiers disciples. Pus tard encore, ignoré et sous-évalué jusqu’à la fin de sa vie par la majorité des médias et de l’intelligentsia catholique.
C’était un autodidacte, qui n’avait jamais obtenu de diplôme en théologie. Il a beaucoup écrit: 160 livres et d’innombrables articles et textes divers, mais il n’a pas achevé une œuvre systématique. Pourtant, sa production écrite et orale témoigne d’une profondeur, d’une cohérence, d’une prévoyance, d’un sens aigu de la critique, d’une liberté d’esprit qui se révèlent aujourd’hui absolument hors du commun.
Alors que presque personne en Italie ne connaissait la spiritualité russe, il a été le premier à la faire connaître en 1946 avec son premier livre et ensuite à la répandre. Il a donné le nom du grand saint russe Serge de Radonège à son ermitage de Settignano, sur les hauteurs de Florence.
Mais lorsque l’orientalisme est devenu une mode, plus esthétisante que spirituelle, il l’a stigmatisé par des jugements tranchants: « Nous autres Florentins, nous avons Fra Angelico, Masaccio, Giotto, Cimabue. Ils ne tiendraient pas la comparaison face aux icônes russes? Mais bien sûr qu’ils tiennent la comparaison, ils en sortent même vainqueurs « .
Dans les années quarante et cinquante, alors que l’enseignement, en Italie et dans les facultés de théologie romaines, s’appuyait paresseusement sur les manuels, le père Barsotti ne manquait pas un livre des grandes figures françaises du « ressourcement », c’est-à-dire du retour aux sources bibliques, patristiques et liturgiques: Jean Daniélou, Louis Bouyer, Henri de Lubac.
En 1951, lorsqu’il a publié ce chef-d’œuvre qu’est « Il mistero cristiano nell’anno liturgico », Divo Barsotti a été le premier en Italie à développer et à approfondir des thèses proches de celles d’Odo Casel – le bénédictin allemand qui défendait l’efficacité objective de la liturgie dans la représentation de l’événement chrétien – avant même d’en avoir lu les œuvres.
Néanmoins, il n’a jamais caché les points faibles des auteurs qu’il estimait le plus. Divo Barsotti n’a pas ménagé Hans Urs von Balthasar – qui a été son directeur spirituel pendant six mois avant de mourir en 1988 – en critiquant ses thèses douteuses sur l’enfer: « Si l’enfer n’existait pas, je ne pourrais pas accepter le paradis ».
Il n’a pas été moins sévère avec ceux qui le considéraient comme leur maître spirituel. Giuseppe Dossetti a été son disciple spirituel à partir de 1951, quand il a abandonné la politique pour devenir moine et prêtre et se consacrer entièrement à rénover l’Eglise à sa façon jusqu’à sa mort, en 1966. Mais Barsotti n’a pas approuvé toutes ses thèses politiques et théologiques. Il a écrit un jour dans son journal intime: « Le père Giuseppe ferait mieux de se retirer sur un petit îlot à Hong Kong ». Surtout, Barsotti n’acceptait pas que Dossetti soit si lié avec Giuseppe Alberigo et avec son interprétation du Concile Vatican II et de l’après-concile comme un « nouveau départ » dans l’histoire de l’Eglise. Il considérait le contact entre les deux hommes comme un « danger ». Il en est venu à lancer un ultimatum à Dossetti: la rupture avec Alberigo ou la fin de la direction spirituelle.
Il en a été de même pour d’autres éminents catholiques florentins, tels que Giorgio La Pira, Gianpaolo Meucci, Mario Gozzini, lorsqu’il n’approuvait pas leurs positions politiques ou ecclésiales.

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Les papes ont également fait l’objet de critiques de la part du père Barsotti, qui les considérait comme un acte de justice « voulu par le Seigneur ».
En 1971, il est convoqué par le Vatican pour prêcher, au début du carême, les exercices spirituels destinés au pape Paul VI et à la curie. Au cours de ses prédications, il aborde le sujet du pouvoir de Pierre et déclare – comme il le rappellera ensuite dans son journal intime – que « l’Eglise a un pouvoir coercitif parce que Dieu le lui a confié et elle doit donc l’utiliser. En effet, pendant ces années, l’anarchie se répandait au sein de l’Eglise et l’on se moquait du pape dans les Eglises d’Europe du Nord ».
Par « pouvoir coercitif », Barsotti entend l’affirmation de la vérité et la condamnation de l’erreur. Exactement ce que le Concile Vatican II et, après le Concile, une grande partie de la hiérarchie catholique avaient renoncé à faire, comme il l’a dit et expliqué à plusieurs reprises: une renonciation « qui en clair niait l’essence même de l’Eglise ».
Barsotti était un fervent admirateur de Jean-Paul II, pour la même raison qui faisait que l’intelligentsia catholique le dévalorisait. « Ce qui nous a fait le plus comprendre que le Christ est présent en ce pape, c’est l’exercice d’un magistère qui, plus que le dernier Concile, a réaffirmé la vérité et a condamné l’erreur ». Un pape « qui a toujours enseigné l’exclusivité de la foi chrétienne: seul le Christ sauve ».
Pourtant, même Jean-Paul II, « colonne de l’Eglise », a fait l’objet de critiques de la part de du père Barsotti. Par exemple, lors de la rencontre interreligieuse d’Assise en 1986, selon lui, « les intentions du pape étaient très claires ». Ce qui n’était pas le cas des déductions de nombreux hommes d’Eglise, qui « affirment que l’événement d’Assise est le premier pas d’un cheminement qui devrait réaliser dans la paix l’unité de toutes les fois dogmatiques ».
Dans deux lettres, le père Barsotti a écrit à Jean-Paul II que son magistère de pape était « plus important ou au moins aussi important que le magistère du dernier Concile ». Ce dernier ayant « seulement introduit des virgules dans le discours ininterrompu de la tradition », il ne comprenait pas « pourquoi l’on cite presque exclusivement ce dernier Concile ».
Le père Barsotti inspirait aux catholiques progressistes un respect silencieux, mais pas parce qu’il répondait à leurs attentes. Au contraire. Dans l’histoire de l’Eglise italienne et mondiale, il représentait la résistance contre la dérive post-conciliaire, au nom des « fondamentaux » de la foi chrétienne. Il estimait que peu d’hommes d’Eglise de haut rang étaient aussi décidés que lui à « mettre l’accent sur l’essentiel, sur la nouveauté du Christ, qui est ce dont l’Eglise a le plus besoin aujourd’hui ». En 1990, il en indiquait deux: Joseph Ratzinger et Giacomo Biffi. Tous deux seront par la suite ses deux « papabili » préférés.
Lorsque le premier est effectivement devenu pape, en 2005, on aurait dit un passage de témoin. Alors que le père Barsotti, âgé de plus de 90 ans, infirme, cessait peu à peu d’écrire et de parler, les thèses que le prêtre toscan avait défendues tout au long de sa vie étaient reprises « urbi et orbi » sous le pontificat de Benoît XVI – avec l’autorité du successeur de Pierre.

* * *

La ressemblance est frappante entre les diagnostics sur le Concile et l’après-concile formulés par Divo Barsotti et Joseph Ratzinger, avant ou après l’élection de ce dernier en tant que pape. Le dernier exemple en date remonte au 24 juillet dernier, lors de la rencontre du pape avec les prêtres à Lorenzago di Cadore, au nord-est de l’Italie.
Tout aussi remarquable, le souci commun au deux hommes de chercher la nourriture dans la grande tradition de l’Eglise et de partager ce pain avec les nombreux chrétiens de base. Il suffit de penser, en ce qui concerne Benoît XVI, à ses deux cycles de catéchèse pour l’audience du mercredi. Le premier était consacré à l’Eglise apostolique, avec les portraits de chaque apôtre et des autres protagonistes du Nouveau Testament. Le second est consacré aux pères de l’Eglise grecs et latins des premiers siècles. Le pape en est actuellement aux grands évêques et théologiens de la Cappadoce: Basile, Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse.
Divo Barsotti et Benoît XVI ont en commun leur manière de lire les Ecritures Saintes et de s’imprégner de leur sens profond. Non pas en s’appuyant seulement sur l’histoire ou la philologie mais à la lumière de leur Auteur premier, l’Esprit Saint, reconnaissable dans la tradition de l’Eglise.
Les visions des deux hommes sur la politique et l’histoire sont tout aussi semblables. Tous deux sont clairement contraires à l’idée qu’au cours de l’histoire terrestre, un royaume de paix et de justice se construise progressivement, presque par une évolution naturelle. Tous deux sont intimement convaincus que l’eschaton, à savoir l’acte ultime et définitif du salut de l’homme et du monde, est déjà présent ici et maintenant et n’est autre que Jésus crucifié et ressuscité.
Le « mystère chrétien », c’est lui, Jésus crucifié et ressuscité, qui est assis à la droite du Père mais qui, en même temps, se fait pain pour les hommes dans l’eucharistie. Les événements du mystère se réalisent au cours de la messe. On retrouve là aussi un accord remarquable entre le Barsotti du « Mystère chrétien dans l’année liturgique » et des réflexions ultérieures et les homélies de Benoît XVI lors des messes pontificales.
Qu’il s’agisse du livre « Jésus de Nazareth », une œuvre capitale de ce pontificat, de la place centrale donnée à l’eucharistie, de l’encyclique « Deus caritas est », le magistère de Benoît frappe par sa cohérence. La même cohérence se dégage de la vie et des œuvres de Barsotti. Une réflexion sur éros et agapè figurant dans une note de son « Mystère chrétien » daté de 1951, est remarquable par la manière dont elle préfigure le cœur de l’encyclique de Benoît XVI.
Chez les deux hommes, on trouve cette conscience que l’Eglise vit sur la base de la vérité et que c’est seulement de la « veritas » que jaillit la « caritas », comme l’Esprit Saint procède « ex Patre Filioque »: du Père et du Fils qui est le Logos, le Verbe de Dieu.
Divo Barsotti a justement laissé, dans ce qui est probablement son dernier écrit public, un commentaire d’un livre sorti en 2006 sur le philosophe chrétien Romano Amerio, la consigne suivante:
« Je vois le progrès de l’Eglise à partir d’ici, du retour de la sainte Vérité comme fondement de chaque acte. La paix promise par le Christ, la liberté, l’amour sont pour chaque homme l’objectif à atteindre, mais il faut l’atteindre uniquement après avoir construit le fondement de la vérité et les colonnes de la foi ».

Le film préféré du pape: « Mission » (par Sandro Magister)

19 octobre, 2011

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Le film préféré du pape: « Mission »

Au cours du XIXe siècle, l’Église catholique a réagi à l’offensive laïciste qui se développait en Europe par une spectaculaire expansion missionnaire dans les autres continents. Benoît XVI veut que le miracle se renouvelle aujourd’hui. Son prochain voyage: en Afrique

par Sandro Magister

ROME, le 10 octobre 2011 – Dans quarante jours, Benoît XVI se rendra en Afrique, au Bénin.

L’Afrique subsaharienne est le continent qui, au cours du siècle dernier, a enregistré la plus impressionnante augmentation du nombre de chrétiens. Ils étaient 7 millions en 1900, ils sont 470 millions aujourd’hui, dont plus de 170 millions qui appartiennent à l’Église catholique.
Le 20 novembre, à Cotonou, le pape Joseph Ratzinger signera l’exhortation apostolique qui est le fruit du synode spécial de 2009 consacré expressément à l’Afrique et il la remettra aux représentants des évêques de ce continent.
En effet ce pontificat, qui veut lancer une « nouvelle évangélisation » principalement dans les régions d’ancienne implantation de l’Église qui sont aujourd’hui déchristianisées, garde toujours une vive volonté d’annoncer la foi chrétienne là où celle-ci n’est encore jamais arrivée.
Ce n’est pas la première fois que l’Église catholique répond ainsi – par un nouvel élan missionnaire « jusqu’aux extrémités de la terre » – à l’offensive d’une culture qui érode la foi dans les pays d’ancienne chrétienté.
Dans le texte que l’on pourra lire ci-dessous, l’historien Gianpaolo Romanato montre que la dernière grande expansion missionnaire de l’Église catholique en Afrique, en Asie et en Océanie, a eu lieu précisément après la Révolution française et en réaction à la progression, en Europe, d’une culture et de puissances hostiles au christianisme.
Cependant il y a aujourd’hui, au sein même de l’Église, des gens qui formulent des objections contre la relance des missions « selon le vieux style ». Benoît XVI, dans le discours par lequel il avait présenté ses vœux à la curie romaine le 21 décembre 2007, avait résumé ces objections de la manière suivante :
« Aujourd’hui, a-t-on encore le droit d’’évangeliser’ ? Les différentes religions et conceptions du monde ne devraient-elles pas plutôt cohabiter pacifiquement et chercher à faire ensemble – chacune à sa manière – ce qui est le mieux pour l’humanité ? ».
Oui, a répondu Benoît XVI, c’est une bonne chose qu’une action commune des différentes religions « pour la défense du respect effectif de la dignité de chaque être humain afin de construire une société plus juste et solidaire ». Et c’est à cela qu’il consacrera la rencontre de prière qui aura lieu à Assise le 27 octobre prochain.
Mais cela n’interdit pas, bien au contraire, d’annoncer Jésus à tous les peuples :
« Celui qui a découvert une grande vérité, trouvé une grande joie, doit la transmettre, il ne peut absolument pas la garder pour lui. […] En Jésus-Christ une grande lumière – ‘la’ grande Lumière – a surgi pour nous : nous ne pouvons pas la mettre sous le boisseau, mais nous devons l’élever sur son support, afin qu’elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison ».
Mais revenons à l’épopée missionnaire du XIXe siècle. La description qu’en donne Romanato pourrait aussi être un enseignement pour les catholiques d’aujourd’hui. D’un événement – l’offensive laïciste – qui était considéré comme catastrophique par l’Église de l’époque est née une expansion extraordinaire de la foi chrétienne dans le monde.
Romanato est professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Padoue et il se définit comme « un universitaire laïc qui est habitué à raisonner de manière laïque ».
Il a donné lecture de ce texte lors d’un colloque qui s’est tenu à Subiaco, le 6 octobre 2011. « L’Osservatore Romano » l’a publié le même jour.
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PRINTEMPS MISSIONNAIRE

par Gianpaolo Romanato

Les missions ont été la grande découverte et la grande espérance de l’Église au XIXe siècle.
Une découverte parce que, au cours de la période postrévolutionnaire, la mission, qui s’adressait à de nouvelles populations d’Afrique, d’Océanie, d’Asie et des deux Amériques et qui n’était pas garantie par les structures de patronage étatique en vigueur sous l’Ancien Régime, fut substantiellement différente de celle de la période prérévolutionnaire.
Une espérance parce que, face aux nouveaux ennemis que constituaient la modernité et l’organisation de l’État libéral, la conquête de populations inconnues et n’ayant encore jamais été atteintes par le christianisme est apparue comme une nouvelle frontière, une possibilité imprévue de refondation du message chrétien, une revanche après les nombreuses défaites subies en Europe.
Cette projection missionnaire s’est faite sous l’égide de la culture contre-révolutionnaire la plus rigide, à partir du pape qui, le premier, s’en est fait l’interprète et le propagateur, Grégoire XVI, à l’état-civil Bartolomeo Cappellari, moine camaldule originaire de Belluno, qui avait été pendant cinq ans préfet de la congrégation de la Propagation de la Foi avant d’être élu pape.
Tout en fixant, dans les encycliques « Mirari vos » (1832) et « Singulari nos » (1834), les lignes directrices de ce qui allait être pendant cinquante ans l’intransigeance catholique antimoderne, il lança également la renaissance des missions par une série d’initiatives, allant de la fondation de quarante-quatre vicariats apostoliques dans les nouvelles terres à la promulgation de l’encyclique « Probe nostis » (1840), qui constitue le programme de la nouvelle activité missionnaire.
Ce que l’on appelle le « printemps missionnaire » du XIXe siècle naît donc de bases culturelles opposées à celles de la modernité.
Les mots mêmes qu’employait le pape Grégoire XVI montrent que l’élan de l’Église vers de nouvelles populations résultait d’un désir de revanche par rapport à la vague de laïcisation libérale qui s’était répandue en Europe. L’encyclique commençait, en effet, par un rappel des « maux » qui accablaient l’Église « de toutes parts », les « erreurs » qui en menaçaient la survie. Mais, « alors que d’un côté nous devons pleurer – écrivait le pape – de l’autre nous devons nous réjouir des fréquents triomphes des missions apostoliques », triomphes qui devraient susciter « une plus grande honte » chez « ceux qui persécutent l’Église ». Cette opposition deviendra l’un des fils conducteurs de l’histoire missionnaire, inscrite dès le début dans le courant d’intransigeance contre-révolutionnaire le plus net.
Non seulement la culture missionnaire mais également le personnel qui était chargé de la mettre en pratique étaient issus d’une culture fondamentalement intransigeante, de combat, étrangère au mythe de la nation au XIXe siècle alors que celui-ci a été l’un des grands axes de développement de la révolution de la modernité, révolution dont le colonialisme du XIXe siècle a été l’une des expressions.
Il est important de garder présent à l’esprit cet arrière-plan intellectuel et théologique, qui confirme, si nécessaire, la complexité et le caractère imprévisible de l’histoire. Dans le cas dont nous nous occupons ici, la nouveauté est fille non pas de la révolution mais de la réaction, c’est-à-dire d’une culture qui, en principe, n’oriente pas vers l’avenir mais incite à chercher refuge dans le passé. En effet l’élément gagnant de la culture missionnaire a précisément été qu’elle était étrangère au mythe de la nation.

UNIVERSALISME CHRÉTIEN
Les missionnaires qui essaimèrent dans le monde entier avaient beaucoup plus le sens de l’Église que celui de la patrie. Ils se sentaient les fils et les défenseurs d’une Église qui était persécutée et contrainte à la défensive par le libéralisme et par les révolutions nationales. Cela a accentué leur éloignement par rapport aux idées politiques du XIXe siècle et renforcé leur identification à l’universalisme chrétien. Les missions ne naissent pas italiennes, françaises ou allemandes : elles naissent catholiques, filles d’une Église resserrée autour de Rome et désormais détachée des vieilles Églises nationales prérévolutionnaires, qui va bientôt se heurter à ces idéaux de grandeur et de puissance qui ont incité les puissances européennes à conquérir et à annexer les nouveaux continents.
Ces considérations s’appliquent en particulier aux missionnaires italiens, qui étaient les plus proches, y compris géographiquement, de Rome et du nouvel esprit de la catholicité.
Ces missionnaires italiens se percevaient essentiellement comme des hommes d’Église, porteurs d’un projet d’évangélisation, comme nous dirions aujourd’hui, potentiellement universel et non conditionné par des intérêts politiques ou nationaux. Dans les institutions italiennes créées au XIXe siècle et consacrées exclusivement à l’activité missionnaire – qu’il s’agisse des missions africaines de Vérone fondées par Daniele Comboni ou de l’Institut Pontifical pour les Missions Étrangères (PIME), des xavériens ou des missionnaires de la Consolata – l’idéologie nationale, ou nationaliste, est presque inexistante. Ce qui est prédominant, au contraire, c’est le souci apostolique, qui devient d’autant plus fort et impérieux que les évolutions politiques italiennes paraissent réserver un avenir incertain et difficile à l’Église en Italie.
Ce sont précisément ces difficultés qui renforcent leur sentiment d’appartenance à l’Église, au-dessus du sentiment patriotique, le désir de lui ouvrir des routes nouvelles jusqu’à des peuples lointains et non encore touchés par le christianisme, le souci de trouver une « terre de mission vierge » où l’Évangile ne serait pas encore arrivé et où il serait possible de le prêcher sans le polluer par des arrière-pensées politiques, idéologiques.
Dans les « Règles » de l’Institut Pontifical pour les Missions Étrangères il est dit que « dès l’origine l’Institut a cherché à avoir ses missions auprès des populations les plus abandonnées et les plus barbares ». L’espoir, l’idéal, de ces institutions est de refonder le christianisme le plus loin possible de la vieille Europe, de ses divisions et de ses intérêts.
On retrouve une intention analogue chez Comboni, qui considérait l’Afrique comme la « partie du monde la plus malheureuse et certainement la plus abandonnée ». Il eut toujours une conscience très claire du fait que l’œuvre missionnaire serait d’autant plus efficace qu’elle serait plus dégagée des facteurs politiques. La mission « doit être catholique et non pas espagnole, ou française, ou allemande, ou italienne », répétait-il inlassablement. Il connaissait parfaitement les associations et les institutions missionnaires européennes, pour les avoir visitées et fréquentées, et il déplorait qu’en France « l’esprit de Dieu » soit encore trop conditionné par « l’esprit de nation ».
Mais même en France le conditionnement que constituait la nationalité n’a pas empêché de voir clairement que les missions devaient se tenir à distance de la politique des États auxquels appartenaient les missionnaires. C’est ce qu’écrivait avec une grande lucidité le supérieur français de la mission en Érythrée : « Pour nous, il n’y a qu’une seule expression : la Mission Catholique, que les membres qui la composent soient français, italiens, allemands ou anglais ».

ENTRE MISSION ET COLONISATION

Le lien entre mission et colonialisme est complexe. Les deux phénomènes sont parallèles, contemporains et interdépendants, aussi bien à la période moderne qu’à la période contemporaine.
À la période moderne, les missionnaires parvenaient aux Amériques et en Asie dans les bateaux des colonisateurs ; ils étaient protégés par les mêmes lois et bridés par les contraintes que créait le patronage de l’État. Et la situation n’était pas différente dans les régions du globe qui étaient alors sous le contrôle de la France, en particulier l’Amérique du Nord aujourd’hui canadienne. Mais le Saint-Siège aussi bien que les ordres religieux qui étaient engagés dans l’activité missionnaire ne tardèrent pas à entrer en conflit avec le pouvoir politique et à chercher des espaces d’autonomie.
Rome va fonder la puissante congrégation de la Propagation de la Foi, en 1622, précisément dans le but de remettre, partout où ce sera possible, les missions sous le contrôle ecclésiastique, y compris au moyen d’habiles expédients canoniques comme l’institution des vicaires apostoliques, ces évêques qui dépendaient directement de Rome, c’est-à-dire qu’ils répondaient de leur action au siège apostolique et non pas à l’autorité politique.
Les vicaires apostoliques furent utilisés en particulier pour tenter de contourner le patronage portugais. Dans le cas du patronage espagnol, le moyen d’échapper au lien avec l’État a consisté à tenter des expériences d’évangélisation sans lien avec la juridiction de la couronne de Madrid, sur des territoires qui se trouvaient en dehors ou aux marges de sa juridiction.
En ce qui concerne ce second cas, on peut rappeler l’expérience des Réductions chez les Guaranis du Paraguay (mais, en réalité, elle fut étendue à d’autres régions et à d’autres populations d’Amérique du Sud). Ces Réductions étaient des missions placées entièrement sous le contrôle de la Compagnie de Jésus et sur lesquelles la couronne d’Espagne n’avait presque aucun pouvoir. Mais on sait qu’elles disparurent lorsque l’Espagne et le Portugal redéfinirent les frontières et privèrent les missions des espaces d’autonomie dont elles avaient bénéficié pendant un siècle et demi. La Propagation de la Foi n’a pas toujours réussi à atteindre les objectifs pour lesquels elle avait été créée, même en recourant à l’expédient des vicaires apostoliques.
Pendant toute la période moderne, en somme, la mission et la colonisation ont vécu une cohabitation difficile, souvent conflictuelle.
À la période contemporaine, on note des caractéristiques analogues. Les missions et les colonies progressent ensemble, même si c’est avec des décalages qui ne sont pas sans importance. En général la mission précède la colonie et bien souvent elle se dirige vers des territoires étrangers ou aux marges de la colonisation : l’Océanie où opéra l’Institut Pontifical pour les Missions Étrangères, la Patagonie où s’implantèrent les salésiens.
Mais les ressemblances, en dépit de ces décalages, ne doivent pas nous empêcher de remarquer les différences.
Aux XIXe et XXe siècles, les missionnaires apprennent les langues locales, ils agissent non pas en se superposant aux cultures autochtones mais en les pénétrant et ils favorisent la création d’un clergé et d’une hiérarchie locaux. Ils se conforment en cela aux directives publiées par Rome depuis la célèbre instruction aux vicaires apostoliques du Tonkin remontant à la lointaine année 1659 – un document pontifical qui voyait loin et que l’on cite plus qu’on ne le connaît – répétées dans toutes les directives pontificales suivantes et reprises dans l’encyclique « Maximum illud » que Benoît XV publia en 1919. Alors que la colonie est une conquête de territoires, d’espaces et de ressources, une opération de pouvoir, la mission est une tentative de greffe du christianisme sans altération des cultures locales.
L’opération n’a pas toujours été réalisée avec toute la clarté nécessaire, mais l’intention était bien celle-là. Comboni disait que la présence missionnaire en « Nigritie » – comme on appelait alors l’Afrique – devait durer jusqu’au moment où il y aurait une population catholique locale et qu’alors il faudrait y mettre fin. C’est exactement ce qui s’est passé au Soudan, le territoire où se trouvait sa mission et où il existe aujourd’hui une hiérarchie soudanaise, sous la direction de laquelle agissent les missionnaires comboniens. « Sauver l’Afrique par l’Afrique » était sa devise, qui exprime justement cette intention. Arriver, christianiser, créer une Église locale et puis s’en aller.
Si nous examinons a posteriori l’histoire du colonialisme européen, nous percevons plus clairement la différence entre le colonialisme et la mission. Le colonialisme a explosé, en laissant derrière lui des séquelles qui ont dévasté et qui continuent à dévaster les continents extra-européens. La mission n’a pas explosé, elle a survécu à l’époque coloniale, elle s’est transformée et elle a donné naissance à ce que l’on appelle les jeunes Églises, qui sont pourvues d’un clergé et d’une hiérarchie indigènes.
Aujourd’hui il y a au Sacré Collège des dizaines de cardinaux provenant de pays africains ou asiatiques qui ont été des colonies jusqu’au second après-guerre. Les missions ont servi à développer le catholicisme à l’échelle planétaire et à l’inculturer dans les nouvelles populations.

Une étoile brille à Madrid (par Sandro Magister)

17 août, 2011

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Une étoile brille à Madrid

Mais la « star », ce n’est pas moi, prévient le pape: « Je suis seulement un vicaire. Je renvoie à l’Autre qui est au milieu de nous ». À la veille des Journées Mondiales de la Jeunesse, Benoît XVI explique pourquoi il s’y rend

par Sandro Magister

ROME, le 9 août 2011 – La préparation des Journées Mondiales de la Jeunesse de Madrid, au cours desquelles Benoît XVI interviendra, est entrée sa phase finale, la plus fébrile.
Mais on voit aussi fleurir des questions concernant les raisons de tels rassemblements de jeunes autour du pape.
Déjà, au moment du changement de pontificat, beaucoup de gens avaient pensé et dit que ces Journées étaient plus adaptées à Jean-Paul II qu’à son successeur.
Mais Benoît XVI ne les a pas interrompues. Et il n’a pas renoncé à s’y rendre. Les Journées Mondiales de la Jeunesse de Madrid sont les troisièmes auxquelles il participe, après celles de Cologne en 2005 et celles de Sydney en 2008.
Au contraire, il n’a pas manqué d’y introduire des nouveautés. À partir de celles de Cologne, l’adoration silencieuse et prolongée de l’eucharistie. Et, à Madrid, la confession sacramentelle de quelques jeunes par le pape en personne.
Mais les objections n’ont pas disparu pour autant. Même dans le monde catholique, les sceptiques continuent à être nombreux. Ils considèrent que les Journées Mondiales de la Jeunesse sont « une sorte de festival rock en version ecclésiale, avec le pape comme star », ou « un grand spectacle, certes beau, mais pas très significatif en ce qui concerne la question sur la foi « .
Benoît XVI ne s’est jamais dérobé face à ces objections. La preuve en est que les citations que l’on vient de lire sont de lui, textuellement. Faire la synthèse des critiques pour y répondre ensuite, c’est dans son style.
Il l’avait fait après les Journées Mondiales de la Jeunesse de Sydney, lors du discours qu’il avait adressé à la curie romaine à Noël 2008.
Cette année-là le pape Joseph Ratzinger s’était rendu non seulement en Australie mais aussi aux États-Unis et en France. Dans ce pays, il avait prononcé, le 12 septembre, au Collège des Bernardins, à Paris, un discours qui est peut-être le plus important de son pontificat avec celui de Ratisbonne.
Et bien, dans son discours à la curie romaine, le pape, méditant sur ces voyages, déclara que « leur véritable sens » consiste uniquement à « servir la présence de Dieu dans le moment présent de l’histoire ». Lors des voyages pontificaux, en effet, « l’Église se rend perceptible de façon publique, et avec elle la foi, et donc au moins la question sur Dieu. Cette manifestation en public de la foi interpelle désormais tous ceux qui tentent de comprendre le temps présent et les forces qui œuvrent en lui ».
Et d’expliquer, tout de suite après ces considérations, sa conception des Journées Mondiales de la Jeunesse.
C’était la première fois qu’il communiquait sa pensée à ce sujet de manière aussi approfondie et dans un langage aussi direct.
Pour comprendre dans quel état d’esprit le pape Benoît XVI se rendra à Madrid, il suffit de l’écouter à nouveau.

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« UNE JOIE QUI N’EST PAS COMPARABLE À L’EXTASE D’UN FESTIVAL ROCK »

par Benoît XVI

[...] Le phénomène des Journées Mondiales de la Jeunesse devient toujours plus l’objet d’analyses, dans lesquelles on tente de comprendre ce type, pour ainsi dire, de culture des jeunes.
Jamais auparavant, l’Australie n’avait vu tant de personnes de tous les continents comme au cours de la Journée mondiale de la Jeunesse, pas même lors des Jeux olympiques. Et si on craignait auparavant que la présence massive de si nombreux jeunes puisse provoquer des troubles de l’ordre public, paralyser la circulation, empêcher le déroulement de la vie quotidienne, conduire à des actes de violences et laisser place à la drogue, tout cela s’est révélé sans fondement.
Ce fut une fête de la joie – une joie qui, à la fin, a conquis également les personnes réticentes : à la fin, personne ne s’est senti importuné. Les journées sont devenues une fête pour tous et c’est même à cette occasion que l’on s’est rendu compte de ce qu’est véritablement une fête – un événement dans lequel tous sont, pour ainsi dire, hors d’eux-mêmes, au-delà d’eux-mêmes et précisément ainsi avec eux-mêmes et avec les autres.
Quelle est donc la nature de ce qui a lieu au cours d’une Journée Mondiale de la Jeunesse ? Quelles sont les forces qui agissent ? Des analyses en vogue tendent à considérer ces journées comme une variante de la culture moderne des jeunes, comme une sorte de festival rock en version ecclésiale avec le Pape comme star. Avec ou sans la foi, ces festivals seraient au fond toujours la même chose, et on pense ainsi pouvoir éliminer la question sur Dieu. Il y a également des voix catholiques qui vont dans cette direction, en considérant tout cela comme un grand spectacle, certes beau, mais pas très significatif en ce qui concerne la question sur la foi et la présence de l’Évangile à notre époque. Il s’agirait de moments d’extase joyeuse, mais qui, en fin de compte, laisseraient tout comme avant, sans influer de façon profonde sur la vie.
Mais cela n’explique pas, toutefois, la spécificité de ces journées et le caractère particulier de leur joie, de leur force créatrice de communion.
Il est tout d’abord important de tenir compte du fait que les Journées Mondiales de la Jeunesse ne consistent pas seulement en cette unique semaine où elles deviennent publiquement visibles au monde. Elles sont précédées d’un long cheminement extérieur et intérieur qui conduit à celles-ci. La Croix, accompagnée par l’image de la Mère du Seigneur, effectue un pèlerinage à travers les pays. La foi, à sa manière, a besoin de voir et de toucher. La rencontre avec la croix, qui est touchée et portée, devient une rencontre intérieure avec Celui qui, sur la croix, est mort pour nous. La rencontre avec la Croix suscite au plus profond des jeunes la mémoire de ce Dieu qui a voulu se faire homme et souffrir avec nous. Et nous voyons la femme qu’Il nous a donnée pour Mère.
Les journées solennelles ne sont que le sommet d’un long chemin, grâce auquel nous allons à la rencontre les uns des autres et sur lequel nous allons ensemble à la rencontre du Christ. En Australie, ce n’est pas un hasard si la longue Via Crucis à travers la ville est devenue l’événement culminant de ces journées. Celle-ci résumait encore une fois tout ce qui s’était produit au cours des années précédentes et indiquait Celui qui nous réunit tous ensemble : ce Dieu qui nous aime jusqu’à la Croix. De même, le Pape n’est pas lui non plus la star autour de laquelle tout tourne. Il est totalement et seulement le Vicaire. Il renvoie à l’Autre qui se trouve au milieu de nous.
Enfin, la liturgie solennelle est le centre de l’ensemble, car dans celle-ci a lieu ce que nous ne pouvons pas réaliser et que, toutefois, nous attendons toujours. Il est présent. Il vient au milieu de nous. Le ciel se déchire et cela rend la terre lumineuse. Tel est ce qui rend la vie heureuse et ouverte et unit les uns aux autres dans une joie qui n’est pas comparable à l’extase d’un festival de rock. Friedrich Nietzsche a dit une fois : « L’habileté n’est pas d’organiser une fête, mais de trouver les personnes capables d’en tirer de la joie ». Selon l’Écriture, la joie est le fruit de l’Esprit Saint (cf. Ga 5, 22) : ce fruit était abondamment perceptible pendant les journées de Sydney.
De même qu’un long chemin précède les Journées Mondiales de la Jeunesse, un chemin successif en dérive. Des amitiés se forment qui encouragent à un style de vie différent et le soutiennent de l’intérieur. Les grandes Journées ont, entre autres, le but de susciter ces amitiés et de faire naître de cette façon dans le monde des lieux de vie dans la foi, qui sont en même temps des lieux d’espérance et de charité vécue. [...]

« Il descendit aux enfers ». La surprise de Pâques (Sandro Magister)

16 mai, 2011

du site:

http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1347627?fr=y

« Il descendit aux enfers ». La surprise de Pâques

Au cœur de la Semaine Sainte, le hors-programme de Benoît XVI à la télévision. Avec deux réponses inhabituelles à propos de Jésus ressuscité. Les passages marquants des homélies qu’il a prononcées au cours du triduum sacré

par Sandro Magister

ROME, le 24 avril 2011 – Au milieu des célébrations de la Semaine Sainte, Benoît XVI a inséré, cette année, un hors-programme. Précisément au début de l’après-midi du Vendredi, à l’heure de la mort de Jésus.
À cette heure-là, sur la première chaîne de la télévision d’état italienne, dans le cadre d’une émission intitulée « A sua immagine » [À son image], le pape Joseph Ratzinger a répondu, devant des millions de téléspectateurs, à sept questions qui lui ont été posées par des gens de différents pays, à propos de sujets qui étaient tous cruciaux.
Une fillette lui a demandé, depuis le Japon, la raison du tremblement de terre.
Une mère lui a demandé, depuis l’Italie, si l’âme avait déjà quitté le corps de son fils qui est depuis deux ans dans un état végétatif.
Trois jeunes de Bagdad ont demandé au pape ce qu’il fallait faire face aux persécutions dont les chrétiens sont victimes.
Une musulmane lui a demandé, depuis la Côte d’Ivoire, comment rétablir la paix et l’harmonie entre les chrétiens et les musulmans.
Les réponses du pape à ces quatre premières questions sont celles qui ont eu le plus d’échos dans les médias.
Mais ses réponses aux trois questions suivantes méritent également l’attention. Les deux premières – reproduites intégralement ci-dessous – abordent des thèmes que Benoît XVI prend particulièrement à cœur, notamment parce qu’ils ont été trop négligés par la prédication courante au cours des dernières décennies.
Ce sont les thèmes des réalités ultimes de la vie de tout homme – ce que l’on appelle les « fins dernières » – abordées et expliquées à la lumière de Jésus mort et ressuscité.
Des thèmes auxquels Benoît XVI a consacré une part importante de « Spe salvi », la plus géniale de ses encycliques, qui est entièrement de sa main. Mais ce n’est pas tout. Il y est revenu à de nombreuses reprises. Par exemple à l’occasion d’une audience générale, celle du mercredi 12 janvier 2011, consacrée au purgatoire.
Cette fois-ci, dans ses réponses télévisées de ce Vendredi Saint, le pape a concentré l’attention sur Jésus « descendu aux enfers » – ce qui est pour les Églises d’orient la façon de représenter sa résurrection, comme le montre l’icône russe reproduite sur cette page – et sur son corps ressuscité et « glorieux ».
Mais, en même temps, le pape a mis en évidence les effets de la résurrection de Jésus sur les hommes. Sur leurs destinées ultimes comme sur leur cheminement terrestre.
Sur cette terre – explique Benoît XVI – c’est l’eucharistie qui met les chrétiens en contact vital avec le corps glorieux de Jésus. Là le monde nouveau de la résurrection est déjà commencé.
*
Avec cette dernière interview télévisée, Benoît XVI a encore étendu la gamme des formes de communication auxquelles il a recours. Elles comprennent les déclarations magistérielles, les discours officiels, les encycliques, les exhortations, les lettres ouvertes, les essais théologiques, les leçons sur les Pères de l’Église, les vies de saints, les commentaires de la Sainte Écriture…

Ensuite un livre sur Jésus, en trois tomes, et un autre livre sous forme d’interview.
Et encore : des rencontres qui donnent lieu à des questions-réponses avec des prêtres, des jeunes ou des enfants, des conférences de presse, des interviews, des films, et maintenant, aussi, ce premier questions-réponses télévisé.
Benoît XVI est le pape de la parole. Il est donc naturel que ses propos et ses écrits prennent ces formes multiples. Y compris celles qui lui permettent d’atteindre ses auditeurs et ses lecteurs de manière directe, sans intermédiaires.
Mais s’il y a une parole qui, pour lui, est au-dessus de toutes les autres, c’est celle des homélies. Parce que dans la liturgie la parole se fait réalité et « le Verbe se fait chair ».
Il ne faut donc pas s’étonner si Benoît XVI apporte à ses homélies un soin sans égal.
Comme on a pu le remarquer au cours de cette Semaine Sainte. Dont
www.chiesa a déjà présenté en avant-première quelques éléments. Et en présente d’autres sur cette même page, ci-dessous.

(TEXTE INTEGRAL SUR EN AUTRE POST CI-DESSOUS – Gabriella)
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Le « Dies irae » du pape. Et le mystère du mal (Sandro Magister)

26 avril, 2011

du site:

http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1347584?fr=y

Le « Dies irae » du pape. Et le mystère du mal

Benoît XVI arrache chacun de son sommeil. De cette « insensibilité à la présence de Dieu qui nous rend aussi insensibles au mal ». Et il cite le chant du Jugement dernier, lorsque le dernier voile sera levé, révélant pourquoi Dieu « s’est fatigué » dans sa recherche de l’homme égaré

par Sandro Magister

ROME, le 21 avril 2011 – La Semaine Sainte de cette année est spéciale pour le pape. Avec une nouveauté sans précédent.

Le Vendredi Saint, avant la liturgie dans la basilique Saint-Pierre et le chemin de croix au Colisée, Benoît XVI répondra à la télévision à sept questions qui lui sont adressées depuis autant de pays du monde. Sept questions parmi des milliers d’autres. Celles qui vont droit au coeur du drame de l’existence de l’homme.

La première question, celle d’une fillette japonaise, portera sur le scandale du mal. Du mal incompréhensible, comme celui d’un séisme. Du mal qui a comme fond le mystère de la douleur innocente.

On écoutera la réponse du pape à cette question et aux autres.

Mais Joseph Ratzinger est déjà entré dans le vif du sujet. Il l’a fait durant l’audience générale du Mercredi Saint et dans l’homélie de la messe chrismale, le matin du Jeudi Saint. La première fois en improvisant, ayant quitté son texte des yeux. La deuxième fois dans un texte écrit entièrement de sa main, qui vient aussi du coeur.

Grâce à cette double introduction aux rites de Pâques, on comprend plus que jamais à quel point le rapprochement de l’homme avec Dieu est la « priorité » du pontificat de Benoît XVI. Ce Dieu qui semble lointain, mais qui, en réalité, est sans cesse en marche pour retrouver l’homme égaré.

Benoît XVI a cité le « Dies irae », ce chant qui a été subitement effacé de la liturgie parce qu’il était considéré comme imprégné de terreur, alors qu’il porte les traits d’une tendresse touchante, comme lorsqu’il dit :

Quaerens me, sedisti lassus,
redemisti Crucem passus:
tantus labor non sit cassus.

Ce que le pape a traduit par : « En me cherchant tu t’es assis fatigué… Que tous ces efforts ne soient pas vains! ». Et il y a lu l’aventure de Dieu « qui s’est acheminé
vers nous » par pur amour, et qui pour cela « s’est fait homme et est descendu jusqu’aux abîmes de l’existence humaine, jusqu’à la nuit de la mort ».

Le sommeil des disciples sur le Mont des Oliviers, pendant que Jésus accepte de boire le calice de la passion – a dit Benoît XVI lors de l’audience du Mercredi Saint – c’est notre insensibilité à Dieu, d’où vient aussi notre insensibilité envers la force que le mal a dans le monde.

« Recherchez toujours son visage », a insisté le pape, citant le psaume 105. Ce qui est aussi une constante de sa prédication : comme dans le mémorable discours de Paris, en 2008, à propos du « quaerere Deum », de la recherche de Dieu comme base de la civilisation occidentale.

On trouvera ci-dessous les passages-clés de l’audience du Mercredi Saint et de l’homélie du matin du Jeudi Saint. Suivis du texte intégral du « Dies irae ».

Les textes intégraux, ainsi que les autres textes de la Semaine Sainte de Benoît XVI, se trouvent sur le site du Vatican :

> Homélies

> Audiences

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EXTRAIT DE L’AUDIENCE GÉNÉRALE DU MERCREDI SAINT

Place Saint-Pierre, le 20 avril 2011

Chers frères et sœurs, [...] ayant quitté le Cénacle, Jésus se retira pour prier, seul, devant le Père. Dans ce moment de communion profonde, les Evangiles rapportent que Jésus ressentit une profonde angoisse, une souffrance telle qu’il verse une sueur de sang (cf. Mt 26, 38). Conscient de sa mort imminente sur la croix, Il ressent une profonde angoisse et l’approche de la mort.

Dans cette situation, apparaît également un élément de grande importance pour toute l’Eglise. Jésus dit aux siens : demeurez ici et veillez ; et cet appel à la vigilance concerne précisément ce moment d’angoisse, de menace, au cours duquel arrivera le traître, mais il concerne toute l’histoire de l’Eglise. C’est un message permanent pour tous les temps, car la somnolence des disciples était le problème non seulement de ce moment, mais est le problème de toute l’histoire.

La question est de savoir en quoi consiste cette somnolence, et en quoi consisterait la vigilance à laquelle le Seigneur nous invite. Je dirais que la somnolence des disciples tout au long de l’histoire est un certain manque de sensibilité de l’âme pour le pouvoir du mal, un manque de sensibilité pour tout le mal du monde. Nous ne voulons pas nous laisser trop troubler par ces choses, nous voulons les oublier : nous pensons que peut »être ce ne sera pas si grave, et nous oublions.

Et il ne s’agit pas seulement de manque de sensibilité pour le mal, alors que nous devrions veiller pour faire le bien, pour lutter pour la force du bien. C’est un manque de sensibilité pour Dieu : telle est notre véritable somnolence ; ce manque de sensibilité pour la présence de Dieu qui nous rend insensibles également au mal. Nous ne sentons pas Dieu  » cela nous dérangerait  » et ainsi, nous ne sentons pas non plus naturellement la force du mal et nous restons sur le chemin de notre confort.

L’adoration nocturne du Jeudi saint, la vigilance avec le Seigneur, devrait être précisément le moment pour nous faire réfléchir sur la somnolence des disciples, des défenseurs de Jésus, des apôtres, de nous, qui ne voyons pas, qui ne voulons pas voir toute la force du mal, et qui ne voulons pas entrer dans sa passion pour le bien, pour la présence de Dieu dans le monde, pour l’amour du prochain et de Dieu.

Puis le Seigneur commence à prier. Les trois apôtres  » Pierre, Jacques et Jean  » dorment, mais quelques fois se réveillent, et entendent le refrain de cette prière du Seigneur : « Que soit faite non pas ma volonté, mais ta volonté ». Qu’est »ce que ma volonté, qu’est »ce que ta volonté dont parle le Seigneur ? Ma volonté est « qu’il ne devrait pas mourir », que lui soit épargnée la coupe de la souffrance : c’est la volonté humaine, de la nature humaine, et le Christ ressent, avec toute la conscience de son être, la vie, l’abîme de la mort, la terreur du néant, cette menace de la souffrance. Et Lui plus que nous, qui avons cette aversion naturelle pour la mort, cette peur naturelle de la mort, encore plus que nous, il ressent l’abîme du mal.

Il ressent, avec la mort, également toute la souffrance de l’humanité. Il sent que tout cela est la coupe qu’il doit boire, qu’il doit s’obliger à boire, il doit accepter le mal du monde, tout ce qui est terrible, l’aversion pour Dieu, tout le péché. Et nous pouvons comprendre que Jésus, avec son âme humaine, est terrorisé face à cette réalité, qu’il perçoit dans toute sa cruauté : ma volonté serait de ne pas boire cette coupe, mais ma volonté est soumise à ta volonté, à la volonté de Dieu, à la volonté du Père, qui est également la véritable volonté du Fils.

Et ainsi, Jésus transforme, dans cette prière, l’aversion naturelle, l’aversion pour la coupe, pour sa mission de mourir pour nous ; il transforme sa volonté naturelle en volonté de Dieu, dans un « oui » à la volonté de Dieu. L’homme en soi est tenté de s’opposer à la volonté de Dieu, d’avoir l’intention de suivre sa propre volonté, de se sentir libre uniquement s’il est autonome ; il oppose sa propre autonomie à l’hétéronomie de suivre la volonté de Dieu. Cela est tout le drame de l’humanité. Mais en vérité, cette autonomie est fausse et cette obéissance à la volonté de Dieu n’est pas une opposition à soi »même, n’est pas un esclavage qui viole ma volonté, mais cela signifie entrer dans la vérité et dans l’amour, dans le bien. Et Jésus tire notre volonté, qui s’oppose à la volonté de Dieu, qui cherche l’autonomie, il tire notre volonté vers le haut, vers la volonté de Dieu.

Tel est le drame de notre rédemption, que Jésus tire vers le haut notre volonté, toute notre aversion pour la volonté de Dieu et notre aversion pour la mort et le péché, et l’unit à la volonté du Père : « Non pas ma volonté mais la tienne ». Dans cette transformation du « non » en « oui », dans cette insertion de la volonté de la créature dans la volonté du Père, il transforme l’humanité et nous rachète. Et il nous invite à entrer dans son mouvement : sortir de notre « non » et entrer dans le « oui » du Fils. Ma volonté existe, mais la volonté du Père est décisive, car elle est la vérité et l’amour.

Un ultérieur élément de cette prière me semble important. Les trois témoins ont conservé  » comme on le voit dans les Saintes Ecritures  » la parole juive ou araméenne avec laquelle le Seigneur a parlé au Père, il l’a appelé « Abbà », père. Mais cette formule, « Abbà », est une forme familière du terme père, une forme qui s’utilise uniquement en famille, qui n’a jamais été utilisée à l’égard de Dieu. Ici, nous voyons dans l’intimité de Jésus comment il parle en famille, il parle vraiment comme un Fils à son Père. Nous voyons le mystère trinitaire : le Fils qui parle avec le Père et rachète l’humanité.

Encore une remarque. La Lettre aux Hébreux nous a donné une profonde interprétation de cette prière du Seigneur, de ce drame de Gethsémani. Elle dit : ces larmes de Jésus, cette prière, ce cri de Jésus, cette angoisse, tout cela n’est pas simplement une concession à la faiblesse de la chair, comme on pourrait le dire. C’est précisément ainsi qu’il réalise la charge de Souverain Prêtre, parce que le Souverain Prêtre doit porter l’être humain, avec tous ses problèmes et ses souffrances, à la hauteur de Dieu. Et la Lettre aux Hébreux dit : avec tous ces cris, ces larmes, ces souffrances, ces prières, le Seigneur a porté notre réalité à Dieu (cf. Hb 5, 7sqq). Et il utilise ce mot grec « prosferein », qui est le terme technique de ce que doit faire le Souverain Prêtre pour offrir, pour élever les mains. C’est précisément dans ce drame de Gethsémani, où il semble que la force de Dieu ne soit plus présente, que Jésus réalise la fonction du Souverain Prêtre. Et il dit en outre que dans cet acte d’obéissance, c’est »à »dire de conformation de la volonté naturelle humaine à la volonté de Dieu, il est perfectionné comme prêtre. Et il utilise de nouveau le mot technique pour ordonner prêtre. C’est précisément ainsi qu’il devient réellement le Souverain Prêtre de l’humanité et ouvre ainsi le ciel et la porte à la résurrection.

Si nous réfléchissons sur ce drame de Gethsémani, nous pouvons voir aussi le fort contraste entre Jésus avec son angoisse, sa souffrance, et le grand philosophe Socrate, qui reste pacifique et ne se laisse pas perturber face à la mort. Cela semble l’idéal.

Nous pouvons admirer ce philosophe, mais la mission de Jésus était une autre. Sa mission n’était pas cette totale indifférence et liberté ; sa mission était de porter en soi toute notre souffrance, tout le drame humain. Et c’est pourquoi précisément cette humiliation de Gethsémani est essentielle pour la mission de l’Homme »Dieu. Il porte en lui »même notre souffrance, notre pauvreté, et il la transforme selon la volonté de Dieu. Et il ouvre ainsi les portes du ciel, il ouvre le ciel : ce rideau du Très Saint, que jusqu’alors l’homme a fermé contre Dieu, est ouvert à cause de cette souffrance et de cette obéissance.

(Traduction par > Zenit).

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EXTRAIT DE L’HOMÉLIE DE LA MESSE CHRISMALE DU JEUDI SAINT

Basilique de Saint-Pierre, le 21 avril 2011

Chers frères et sœurs, au centre de la liturgie de ce matin, se trouve la bénédiction des huiles saintes. [...] Il y a tout d’abord l’huile des catéchumènes. Cette huile indique en quelque sorte une première manière d’être touchés par le Christ et par son Esprit – un toucher intérieur par lequel le Seigneur attire les personnes à lui. Par cette première onction, qui est faite encore avant le Baptême, notre regard se tourne donc vers les personnes qui se mettent en chemin vers le Christ – vers celles qui sont à la recherche de la foi, à la recherche de Dieu. L’huile des catéchumènes nous dit: ce ne sont pas seulement les hommes qui cherchent Dieu. Dieu Lui »même s’est mis à notre recherche. Le fait que lui »même se soit fait homme et soit descendu dans les abîmes de l’existence humaine, jusque dans la nuit de la mort, nous montre combien Dieu aime l’homme, sa créature. Poussé par l’amour, Dieu s’est mis en marche vers nous. «Me cherchant, Tu t’es assis, fatigué… qu’un tel effort ne soit pas vain!» prions »nous dans le « Dies Irae ». Dieu est à ma recherche. Est »ce que je veux le reconnaître? Est »ce que je veux qu’il me connaisse, qu’il me trouve? Dieu aime les hommes. Il va au devant de l’inquiétude de notre cœur, de l’inquiétude de nos questions et de nos recherches, avec l’inquiétude de son propre cœur, qui le pousse à accomplir l’acte extrême pour nous. L’inquiétude envers Dieu, – le fait d’être en chemin vers lui pour mieux le connaître, pour mieux l’aimer –, ne doit pas s’éteindre en nous.

En ce sens, nous devrions toujours rester des catéchumènes. «Recherchez sans relâche sa face», dit un psaume (105, 4). Augustin a commenté à ce propos: Dieu est tellement grand qu’il dépasse infiniment toute notre connaissance et tout notre être. La connaissance de Dieu ne s’épuise jamais. Toute l’éternité, nous pouvons, avec une joie grandissante, continuer sans cesse à le chercher, pour le connaître toujours plus et l’aimer toujours plus. «Notre cœur est inquiet, tant qu’il ne repose en toi», a dit Augustin au début de ses Confessions. Oui, l’homme est inquiet, car tout ce qui est temporel est trop peu. Mais sommes »nous vraiment inquiets à son égard? Ne nous sommes »nous pas résignés à son absence et ne cherchons »nous pas à nous suffire à nous »mêmes? Ne permettons pas de telles réductions de notre être humain! Restons continuellement en marche vers lui, ayant la nostalgie de lui, accueillant de manière toujours nouvelle connaissance et amour! [...]

En troisième lieu, il y a enfin la plus noble des huiles ecclésiales, le chrême, une mixture d’huile d’olive et de parfums végétaux. C’est l’huile de l’onction sacerdotale et de l’onction royale, onctions qui se rattachent aux grandes traditions d’onction dans l’Ancienne Alliance. Dans l’Eglise, cette huile sert surtout pour l’onction lors de la Confirmation et lors des Ordinations sacrées. La liturgie d’aujourd’hui associe à cette huile les paroles de promesse du prophète Isaïe: « Vous serez appelés ‘prêtres du Seigneur’, on vous nommera ‘ministres de notre Dieu’» (61, 6). Le prophète reprend par là la grande parole de charge et de promesse, que Dieu avait adressée à Israël au Sinaï: «Je vous tiendrai pour un royaume de prêtres, une nation sainte» (Ex 19, 6). Dans le vaste monde et pour le vaste monde qui, en grande partie, ne connaissait pas Dieu, Israël devait être comme un sanctuaire de Dieu pour la totalité, il devait exercer une fonction sacerdotale pour le monde. Il devait conduire le monde vers Dieu, l’ouvrir à lui.

Saint Pierre, dans sa grande catéchèse baptismale, a appliqué ce privilège et cette tâche d’Israël à l’entière communauté des baptisés, proclamant: «Mais vous, vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis pour proclamer les louanges de Celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière, vous qui, jadis, n’étiez pas un peuple et qui êtes maintenant le Peuple de Dieu» (1 P 2, 9 s.).

Le Baptême et la Confirmation constituent l’entrée dans ce peuple de Dieu, qui embrasse le monde entier; l’onction du Baptême et de la Confirmation est une onction qui introduit dans ce ministère sacerdotal en faveur de l’humanité. Les chrétiens sont un peuple sacerdotal pour le monde. Les chrétiens devraient rendre visible au monde le Dieu vivant, en témoigner et conduire à Lui. Quand nous parlons de notre charge commune, en tant que baptisés, nous ne devons pas pour autant en tirer orgueil. C’est une question qui, à la fois, nous réjouit et nous préoccupe: sommes »nous vraiment le sanctuaire de Dieu dans le monde et pour le monde? Ouvrons »nous aux hommes l’accès à Dieu ou plutôt ne le cachons »nous pas ? Ne sommes »nous pas, nous – peuple de Dieu –, devenus en grande partie un peuple de l’incrédulité et de l’éloignement de Dieu? N’est »il pas vrai que l’Occident, les Pays centraux du christianisme sont fatigués de leur foi et, ennuyés de leur propre histoire et culture, ne veulent plus connaître la foi en Jésus Christ? Nous avons raison de crier vers Dieu en cette heure : Ne permets »pas que nous devenions un non »peuple! Fais que nous te reconnaissions de nouveau! En effet, tu nous as oints de ton amour, tu as posé ton Esprit Saint sur nous. Fais que la force de ton Esprit devienne à nouveau efficace en nous, pour que nous témoignions avec joie de ton message!

Malgré toute la honte que nous éprouvons pour nos erreurs, nous ne devons pas oublier cependant qu’il existe aussi aujourd’hui des exemples lumineux de foi; qu’il y a aussi aujourd’hui des personnes qui, par leur foi et leur amour, donnent espérance au monde. Quand le 1 mai prochain sera béatifié le Pape Jean Paul II, nous penserons à lui, pleins de gratitude, comme à un grand témoin de Dieu et de Jésus Christ à notre époque, comme à un homme rempli d’Esprit Saint. [...]

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DIES IRAE

Dies Irae, dies illa
solvet saeclum in favilla:
teste David cum Sybilla.

Quantus tremor est futurus,
Quando judex est venturus,
Cuncta stricte discussurus.

Tuba, mirum spargens sonum
per sepulcra regionum
coget omnes ante thronum.

Mors stupebit et natura,
cum resurget creatura,
judicanti responsura.

Liber scriptus proferetur,
in quo totum continetur,
unde mundus judicetur.

Judex ergo cum sedebit,
quidquid latet, apparebit:
nil inultum remanebit.

Quid sum miser tunc dicturus
quem patronum rogaturus,
cum vix justus sit securus

Rex tremendae majestatis,
qui salvandos salvas gratis,
salva me, fons pietatis.

Recordare, Jesu pie,
quod sum causa tuae viae
ne me perdas illa die.

Quaerens me, sedisti lassus,
redemisti Crucem passus:
tantus labor non sit cassus.

Juste judex ultionis,
donum fac remissionis
ante diem rationis.

Ingemisco, tamquam reus,
culpa rubet vultus meus
supplicanti parce, Deus.

Qui Mariam absolvisti,
et latronem exaudisti,
mihi quoque spem dedisti.

Preces meae non sunt dignae,
sed tu bonus fac benigne,
ne perenni cremer igne.

Inter oves locum praesta,
et ab haedis me sequestra,
statuens in parte dextra.

Confutatis maledictis,
flammis acribus addictis,
voca me cum benedictis.

Oro supplex et acclinis,
cor contritum quasi cinis:
gere curam mei finis.

Lacrimosa dies illa,
qua resurget ex favilla
judicandus homo reus.
Huic ergo parce, Deus.

Pie Jesu Domine,
dona eis requiem. Amen.

*

Jour de colère, ce jour là
réduira le monde en poussière,
David l’atteste, et la Sibylle.

Quelle terreur à venir,
quand le juge apparaîtra
pour tout strictement examiner !

La trompette répand étonnamment ses sons,
parmi les sépulcres de tous pays,
rassemblant tous les hommes devant le trône.

La Mort sera stupéfaite, comme la Nature,
quand ressuscitera la créature,
pour être jugée d’après ses réponses.

Un livre écrit sera produit,
dans lequel tout sera contenu ;
d’après quoi le Monde sera jugé.

Quand le Juge donc tiendra séance,
tout ce qui est caché apparaîtra,
et rien d’impuni ne restera.

Que, pauvre de moi, alors dirai-je ?
Quel protecteur demanderai-je,
quand à peine le juste sera en sûreté ?

Roi de terrible majesté,
qui sauvez, ceux à sauver, par votre grâce,
sauvez-moi, source de piété.

Souvenez-vous, Jésus si doux,
que je suis la cause de votre route ;
ne me perdez pas en ce jour.

En me cherchant vous vous êtes assis fatigué,
me rachetant par la Croix, la Passion,
que tant de travaux ne soient pas vains.

Juste Juge de votre vengeance,
faites-moi don de la rémission
avant le jour du jugement.

Je gémis comme un coupable,
la faute rougit mon visage,
au suppliant, pardonnez Seigneur.

Vous qui avez absout Marie(-Madeleine),
et, au bon larron, exaucé les vœux,
à moi aussi vous rendez l’espoir.

Mes prières ne sont pas dignes (d’être exaucées,)
mais vous, si bon, faites par votre bonté
que jamais je ne brûle dans le feu.

Entre les brebis placez-moi,
que des boucs je sois séparé,
en me plaçant à votre droite.

Confondus, les maudits,
aux flammes âcres assignés,
appelez-moi avec les bénis.

Je prie suppliant et incliné,
le cœur contrit comme de la cendre,
prenez soin de ma fin.

Jour de larmes que ce jour là,
où ressuscitera, de la poussière,
pour le jugement, l’homme coupable.
À celui-là donc, pardonnez, ô Dieu.

Doux Jésus Seigneur,
donnez-leur le repos. Amen.

Le « Parvis » de Paris. Un bilan (par Sandro Magister)

29 mars, 2011

du site:

http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1347285?fr=y

Le « Parvis » de Paris. Un bilan

Confrontation du cardinal Ravasi et de l’agnostique Julia Kristeva. Et, avec eux, de dizaines d’autres chercheurs croyants et non croyants. Les prochaines étapes du dialogue voulu par Benoît XVI auront lieu à Chicago, au Québec et à Stockholm

par Sandro Magister

ROME, le 29 mars 2011 – L’idée est venue de Benoît XVI en personne. De même que le nom : Parvis des gentils. « Au dialogue avec les religions – avait-il dit en présentant ses vœux à la curie romaine le 21 décembre 2009 – doit aujourd’hui s’ajouter le dialogue avec ceux à qui Dieu est inconnu ».
Et l’idée a fait son chemin. Après un prologue le 12 février à Bologne, dans ce qui fut la première grande université d’Europe, la première rencontre du Parvis des gentils a eu lieu les 24 et 25 mars à Paris, dans la « Ville Lumière », qui symbolise les Lumières modernes.
Ces « gentils » qui, à Jérusalem, accédaient au temple dans l’espace qui leur était réservé, à eux les non-juifs, sont aujourd’hui les gens qui sont loin de Dieu, les non-croyants.
Mais, comme Paul le disait déjà dans sa lettre aux chrétiens d’Éphèse, leur parvis n’est pas un parvis fermé. Parce que le Christ a justement abattu ce mur de séparation qui dissociait les juifs des gentils, « afin de créer en sa personne les deux en un seul homme nouveau, faire la paix et les réconcilier tous deux en un seul corps ».
C’est ce que l’on a voulu faire à Paris. Des voix croyantes et des voix agnostiques ont débattu amicalement. Sur un terrain de frontière. Chacun avait les pieds plantés dans son terrain mais était prêt à écouter les raisons de l’autre.
Les endroits où s’est déroulée cette rencontre avaient également une signification symbolique. L’UNESCO, l’Institut de France, la Sorbonne sont des lieux laïques par excellence. Tandis que le Collège des Bernardins est un vieux cénacle de culture catholique. Et la cathédrale Notre-Dame a été l’un et l’autre en même temps : le parvis pour tous les hommes de bonne volonté et l’intérieur de la cathédrale pour la prière dirigée par la communauté de Taizé, les portes ouvertes.
On peut trouver le programme des deux journées, avec les lieux de rencontre, la présentation des orateurs et les textes des interventions, sur un site en langue française créé pour l’occasion et géré par le conseil pontifical de la culture et l’Institut Catholique de Paris:

> Parvis des gentils, 24-25 mars 2011

Le message adressé par Benoît XVI aux personnes qui participaient à la rencontre – transmis par vidéo en grand écran sur le parvis de Notre-Dame, le soir du 25 mars – se trouve sur cette page de www.chiesa :
> « Sur ce parvis du Dieu Inconnu… »
Mais pour mieux comprendre la pensée de Benoît XVI qui est derrière le Parvis des gentils, il faut relire la partie finale du discours qu’il avait prononcé le 12 septembre 2008 à Paris, dans ce même Collège des Bernardins qui a été le théâtre de l’une des rencontres de ces jours derniers :
« Le schéma fondamental de l’annonce chrétienne ‘ad extra’ – aux hommes qui, par leurs questionnements, sont en recherche – se dessine dans le discours de saint Paul à l’Aréopage [...] : « On dirait un prêcheur de divinités étrangères » (Ac 17, 18). Ce à quoi Paul réplique : ‘J’ai trouvé chez vous un autel portant cette inscription : Au dieu inconnu. Or, ce que vous vénérez sans le connaître, je viens vous l’annoncer’ (cf. 17, 23). Paul n’annonce pas des dieux inconnus. Il annonce Celui que les hommes ignorent et pourtant connaissent : l’Inconnu-Connu. C’est Celui qu’ils cherchent, et dont, au fond, ils ont connaissance et qui est cependant l’Inconnu et l’Inconnaissable. Au plus profond, la pensée et le sentiment humains savent de quelque manière que Dieu doit exister et qu’à l’origine de toutes choses, il doit y avoir non pas l’irrationalité, mais la Raison créatrice, non pas le hasard aveugle, mais la liberté. Toutefois, bien que tous les hommes le sachent d’une certaine façon – comme Paul le souligne dans la Lettre aux Romains (1, 21) – cette connaissance demeure ambigüe : un Dieu seulement pensé et élaboré par l’esprit humain n’est pas le vrai Dieu. Si Lui ne se montre pas, quoi que nous fassions, nous ne parvenons pas pleinement jusqu’à Lui.
« La nouveauté de l’annonce chrétienne c’est la possibilité de dire maintenant à tous les peuples : Il s’est montré, Lui personnellement. Et à présent, le chemin qui mène à Lui est ouvert. La nouveauté de l’annonce chrétienne ne réside pas dans une pensée, mais dans un fait : Dieu s’est révélé. Ce n’est pas un fait nu mais un fait qui, lui-même, est Logos – présence de la Raison éternelle dans notre chair. ‘Verbum caro factum est’ (Jn 1, 14) : il en est vraiment ainsi en réalité, à présent, le Logos est là, le Logos est présent au milieu de nous. C’est un fait rationnel. Cependant, l’humilité de la raison sera toujours nécessaire pour pouvoir l’accueillir. Il faut l’humilité de l’homme pour répondre à l’humilité de Dieu.
« Sous de nombreux aspects, la situation actuelle est différente de celle que Paul a rencontrée à Athènes, mais, tout en étant différente, elle est aussi, en de nombreux points, très analogue. Nos villes ne sont plus remplies d’autels et d’images représentant de multiples divinités. Pour beaucoup, Dieu est vraiment devenu le grand Inconnu. Malgré tout, comme jadis où derrière les nombreuses représentations des dieux était cachée et présente la question du Dieu inconnu, de même, aujourd’hui, l’actuelle absence de Dieu est aussi tacitement hantée par la question qui Le concerne. ‘Quaerere Deum’ – chercher Dieu et se laisser trouver par Lui : cela n’est pas moins nécessaire aujourd’hui que par le passé. Une culture purement positiviste, qui renverrait dans le domaine subjectif, comme non scientifique, la question concernant Dieu, serait la capitulation de la raison, le renoncement à ses possibilités les plus élevées et donc un échec de l’humanisme, dont les conséquences ne pourraient être que graves. Ce qui a fondé la culture de l’Europe, la recherche de Dieu et la disponibilité à L’écouter, demeure aujourd’hui encore le fondement de toute culture véritable ».
*
Après ses débuts à Paris, le Parvis des gentils, sous la direction du cardinal Gianfranco Ravasi, a déjà mis en chantier d’autres rendez-vous en différents points du monde : à Tirana, à Stockholm, aux États-Unis, au Canada et aussi en Asie, continent où l’on rencontre moins un athéisme de type occidental mais où sont répandues des formes de religiosité qui ne sont pas moins éloignées du Dieu chrétien.
On trouvera ci-dessous un premier bilan de la rencontre de Paris, effectué par le cardinal Ravasi, ainsi qu’une discussion avec une intellectuelle française d’origine bulgare, Julia Kristeva, qui a été l’une des participantes les plus convaincues au Parvis.

Ces deux interviews ont été réalisées par Lorenzo Fazzini pour le quotidien de la conférence des évêques d’Italie, « Avvenire ».

RAVASI : « CE QUI SERA DIFFICILE, CE SERA DE DIALOGUER AVEC LES INDIFFÉRENTS »

Q. – Éminence, le premier Parvis est terminé. Quel bilan en tirez-vous ?
R. – Très positif, à plusieurs niveaux. Tout d’abord au niveau thématique, où il y a eu beaucoup de créativité. Nous espérons réunir toutes les interventions afin de pouvoir en tirer des indications pour les futurs Parvis. En second lieu, on a eu une très forte expansion dans l’expression culturelle, du point de vue sociopolitique à l’Unesco, intellectuel à la Sorbonne et thématique au Collège des Bernardins. Pour l’avenir nous pensons aborder des thèmes plus sectoriels, par exemple foi et science ou bien foi et art.
Q. – Qu’avez-vous perçu comme réaction dans le monde de la culture et la société française à propos du thème de la confrontation entre athées et catholiques ?
R. – Hier le philosophe agnostique Jean-Luc Ferry m’a demandé audience à la nonciature parce qu’il veut à tout prix écrire un livre avec moi à propos de l’Évangile de Jean. Cela aurait été impensable autrefois ! Cet épisode est emblématique parce que, du côté laïque, on désire non seulement dialoguer mais aussi élaborer une réflexion en commun avec les croyants. Ferry est l’une des figures les plus remarquables de la culture française. Et le recteur de la Sorbonne lui-même m’a interpellé à propos du thème de la « laïcité », en me demandant ce que nous avions à dire, nous catholiques, à ce sujet. Le monde laïc français s’est révélé beaucoup plus disponible que nous ne le pensions en ce qui concerne la question religieuse, la réflexion théologique.
Q. – Y a-t-il chez les athées une crainte que l’Église ne tente une sorte d’évangélisation dissimulée ?
R. – Non. Je n’ai rencontré cette préoccupation que dans les médias. Je n’ai trouvé aucune crainte chez nos interlocuteurs. D’autre part toute l’initiative du Parvis a été présentée comme un moment strictement culturel.
Q. – Comment pensez-vous agir en ce qui concerne les « nouveaux athées » ?
R. – D’un côté il y a un athéisme ironique et sarcastique, qui constitue désormais un élément significatif : Michel Onfray en fait partie, mais il a écrit à l’un de mes collaborateurs pour nous informer qu’il veut démontrer que ce qu’il propose ne relève pas de cette manière de voir. Nous étudierons donc également ces formes d’athéisme, « mineures » d’un point de vue intellectuel mais « majeures » en termes de diffusion. D’un autre côté il existe aussi le camp de l’indifférence, qui est selon moi plus grave et plus important. S’interroger sur les questions des « humanistes » – comme le fait, par exemple Julia Kristeva – est le dernier des problèmes pour les indifférents. Sur ce front nous n’avons pas de véritable interlocuteur. Nous ne disposons que d’un petit nombre d’études sur ce sujet, en dehors des travaux de sociologie de Charles Taylor, pour vérifier les structures profondes qui sont à la base de cette attitude. Ce sera le travail le plus difficile à effectuer pour l’avenir.
Q. – Quel avenir pour le Parvis ?
R. – Il faudra moduler la proposition en fonction des situations. Par exemple : au Québec ou à Chicago, où nous nous rendrons prochainement, nous devrons rester dans le domaine de la technologie et de la science, et ne pas apporter de propositions aussi « hautes » que celles que nous avons faites ici à Paris. Reste le problème de la continuité : une proposition comme le Parvis devrait être un espace normal dans l’activité pastorale de tous les diocèses.
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KRISTEVA : « AMIS LAÏCS, N’AYEZ PAS PEUR DE LA RELIGION »

Q. – Dans votre livre « Cet incroyable besoin de croire » vous écrivez que l’humanisme « n’est pas opposé aux religions, pas plus qu’il n’est d’accord avec elles ». Pouvez-vous nous expliquer pourquoi?
R. – Nous nous trouvons à un moment où le dialogue entre chrétiens et humanistes est très important. Rien ne facilite ce contact : ces deux communautés connaissent une crise d’identité, on voit qu’elles sont vulnérables et elles ont des difficultés avec leurs interlocuteurs. Selon moi, cet échange est absolument nécessaire pour faire face à la crise économique et politique actuelle. Mais avant tout il faut comprendre ce que j’entends par humanisme. Je me réfère à quelque chose qui est distinct de la religion, qui naît à la Renaissance avec Érasme, traverse la période des Lumières avec Rousseau et arrive jusqu’à nous, par exemple dans la psychanalyse. Il s’agit là de ce qu’Hannah Arendt et Alexis de Tocqueville appelaient « le fil rompu de la tradition ». Ce processus est irréversible et aujourd’hui il est confronté au risque de la liberté, de l’individualité extrême et des passions totalement libérées. Mais il nous conduit à la nécessité de relire notre tradition « rompue », parce que quelque chose a été perdu.
Q. – Donc même l’humanisme sans foi a besoin de la religion ?
R. – L’humanisme doit trouver une richesse propre plus profonde et une relation nouvelle avec les systèmes moraux. Pour moi, personnellement, cela signifie une confrontation avec le catholicisme, grâce auquel il m’est possible de refonder mes propres Lumières. Les nouvelles manifestations modernes de la question de la femme, de l’enfance, des jeunes, posent le problème d’un nouveau rapport avec l’expérience religieuse, par exemple dans la prière. Cette rencontre ne doit pas aboutir à une simple « grande fraternité » entre l’humanisme et les religions, mais bien plutôt à la refondation de toute une tradition. C’est pourquoi il est nécessaire que les croyances, habituellement dogmatiques, soient elles aussi capables de se remettre en question.
Q. – Au cours d’une conférence à la cathédrale Notre-Dame, vous avez affirmé que le christianisme a pratiqué une révolution en ce qui concerne la souffrance. On reproche souvent à la religion chrétienne un dolorisme antihumain…
R. – Je pense que le christianisme, surtout dans sa pratique, a été une innovation dans l’histoire de la compréhension de la douleur. Selon les chrétiens la souffrance ne constitue pas une défaite de l’homme et elle n’aboutit pas à exclure de la société celui qui souffre. La douleur ne constitue pas une diminution de l’homme et elle ne le rend pas moins homme. Au contraire, elle devient le chemin pour arriver à Dieu. En souffrant le Christ manifeste Dieu lui-même. L’être humain qui souffre devient digne d’être accompagné et respecté. À partir de là, deux voies s’ouvrent. D’un côté, un certain dolorisme qui porte à des excès (Nietzsche l’a qualifié de « victimiste » ; aujourd’hui on parle de « christianisme bio-négatif »). De l’autre, on trouve le christianisme triomphant qui, face la douleur, déclenche la compassion envers l’autre : c’est l’accompagnement de la charité. Il se manifeste dans la proximité vis-à-vis du pauvre, du marginal, du handicapé. Et face à la dérégulation morale du monde des shows et du capitalisme, qui interprète tout en termes de productivité, nous risquons de perdre le sens de la vulnérabilité de la personne. Nous avons besoin de la tendresse chrétienne et nous devons nous appuyer sur le christianisme pour vaincre ce monde qui veut nier la douleur.
Q. – Quels exemples voyez-vous de cette « tendresse » chrétienne ?
R. – Je pense à certaines organisations chrétiennes et catholiques qui viennent en aide aux derniers, là où l’État n’arrive pas. Aujourd’hui la figure qui me paraît la plus significative est celle de Jean Vanier. Pendant un an j’ai entretenu avec lui une correspondance à propos de notre expérience de la douleur, en particulier du handicap, à tous les niveaux : politique, social, intellectuel et existentiel. Jean Vanier est un exemple unique : il a fondé 140 communautés de son « Arche ». Il prolonge ce que Saint François a fait il y a plusieurs siècles en Italie.
Q. – Que pensez-vous du « Parvis des gentils » ?
R. – C’est une très belle initiative, même si je ne sais pas quels résultats elle donnera. Il s’agit de quelque chose de surprenant, un début de ce dialogue qui me paraît nécessaire mais qui inspire des craintes à beaucoup de gens. Aussi bien les croyants que les non-croyants marchent sur la pointe des pieds par peur de perdre. Cela me fait penser à l’appel de Jean-Paul II, que j’avais rencontré en Bulgarie. Nous nous souvenons tous de son « N’ayez pas peur ». Il s’adressait aux catholiques et faisant référence au communisme. Et l’on a vu les résultats : naissance de Solidarnosc et chute du Mur de Berlin. Je veux dire à mes amis laïcs : « N’ayez pas peur de la religion ». Vous avez les moyens de penser le besoin religieux sans avoir peur d’être engloutis par l’obscurantisme. Nous pouvons faire mieux que Voltaire, en dépassant les abus de la religion et en regardant ce qu’il y a de positif dans le fait de croire.
Q. – « Rendre Dieu présent dans le monde », c’est le programme de l’actuel pontificat. Voyez-vous un danger dans cet objectif de Benoît XVI ?
R. – Quand il parle de ‘rendre Dieu présent dans le monde’, le Pape fait son métier : il serait étonnant qu’il ne le fasse pas ! Du reste il faut souligner que, seul des monothéismes, le christianisme a promu l’idée d’universalité. Il me semble que la politique de ce pape va en ce sens. Les religions monothéistes sont exposées au risque de s’imposer comme vérité, y compris violente, mais en même temps elles proposent en elles-mêmes le thème de la pluralité, le germe de la diversité et de l’étranger. Mon souhait est que, à partir de la confrontation dans le cadre du Parvis, on puisse se lancer dans cette voie d’universalité.

Avent en musique. Sept antiennes à redécouvrir (par Sandro Magister)

29 novembre, 2010

du site:

http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/213008?fr=y

Avent en musique. Sept antiennes à redécouvrir

On en chante une par jour, au Magnificat des vêpres. Elles sont très anciennes et très riches en références aux prophéties relatives au Messie. Leurs initiales forment un acrostiche. Les voici transcrites, avec leur clé de lecture

par Sandro Magister

ROMA, le 17 décembre 2008 – A partir d’aujourd’hui et jusqu’à l’avant-veille de Noël, on chante au Magnificat des vêpres de rite romain sept antiennes, une par jour, qui commencent toutes par une invocation à Jésus, celui-ci n’étant jamais nommé.
Ce temps de sept jours est très ancien: il remonte au pape Grégoire le Grand, vers l’an 600. Les antiennes sont en latin et sont inspirées de textes de l’Ancien Testament qui annoncent le Messie.
Au début de chaque antienne, Jésus est successivement invoqué comme Sagesse, Seigneur, Rejeton, Clé, Astre, Roi, Emmanuel. En latin: Sapientia, Adonai, Radix, Clavis, Oriens, Rex, Emmanuel.
Si on les lit en partant de la dernière, les initiales de ces mots latins forment un acrostiche: « Ero cras », c’est-à-dire: « Je serai [là] demain », annonçant la venue du Seigneur. La dernière antienne, qui termine l’acrostiche, est chantée le 23 décembre. Le lendemain, aux premières vêpres, la fête de Noël commence.
Ces antiennes ont été tirées de l’oubli, inopinément, par « La Civiltà Cattolica », la revue des jésuites de Rome, contrôlée avant impression par la secrétairerie d’état du Vatican.
La place d’honneur donnée à l’article qui présente les sept antiennes est également inhabituelle. Ecrit par le père Maurice Gilbert, directeur de l’Institut biblique pontifical de Jérusalem, cet article ouvre le cahier d’avant Noël de la revue, là où se trouve habituellement l’éditorial.
Dans son article, le père Gilbert explique une à une les antiennes et en montre les très riches références aux textes de l’Ancien Testament. Il souligne un fait remarquable: les trois dernières antiennes – celles de l’acrostiche « Je serai là » –comportent des expressions qui ne s’expliquent qu’à la lumière du Nouveau Testament.
L’antienne « O Oriens » du 21 décembre comporte une référence claire au cantique de Zacharie, le « Benedictus », qu’on lit au chapitre 1 de l’Evangile de Luc: « Nous aurons la visite d’un soleil venu d’en haut afin d’illuminer ceux qui se trouvent dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort ».
L’antienne « O Rex » du 22 décembre inclut un passage de l’hymne à Jésus du chapitre 2 de la lettre de Paul aux Ephésiens: « Celui qui des deux [c’est-à-dire les juifs et les païens] n’a fait qu’un peuple ».
Enfin l’antienne « O Emmanuel » du 23 décembre s’achève par l’invocation « Dominus Deus noster », une invocation exclusivement chrétienne puisque seuls les disciples de Jésus reconnaissent le Seigneur leur Dieu dans l’Emmanuel.
Voici donc le texte intégral des sept antiennes, en latin et traduites. Les initiales qui forment l’acrostiche « Ero cras » sont mises en évidence et les principales références à l’Ancien et au Nouveau Testament sont citées entre parenthèses:

I – 17 décembre

O SAPIENTIA, quae ex ore Altissimi prodiisti,
attingens a fine usque ad finem fortiter suaviterque disponens omnia:
veni ad docendum nos viam prudentiae.

O Sagesse, qui es issue de la bouche du Très-Haut (Ecclésiastique 24, 3),
tu déploies ta force d’un bout du monde à l’autre et tu régis l’univers avec force et douceur (Sagesse 8, 1):
viens nous enseigner la voie de la prudence (Proverbes 9, 6).

II – 18 décembre

O ADONAI, dux domus Israel,
qui Moysi in igne flammae rubi apparuisti, et in Sina legem dedisti:
veni ad redimendum nos in brachio extenso.

O Seigneur (Exode 6, 2 Vulgate), guide de la maison d’Israël,
qui es apparu à Moïse dans le feu du buisson ardent (Exode 3, 2) et lui as donné tes commandements sur le mont Sinaï (Exode 20):
viens nous sauver avec ton bras puissant (Exode 15, 12-13).

III – 19 décembre

O RADIX Iesse, qui stas in signum populorum,
super quem continebunt reges os suum, quem gentes deprecabuntur:
veni ad liberandum nos, iam noli tardare.

O Rejeton de Jessé, qui te dresses comme un étendard pour les peuples (Isaïe 11, 10),
devant toi les rois de la terre gardent le silence (Isaïe 52, 15) et les nations t’adressent leurs prières:
viens nous délivrer, ne tarde plus (Habacuc 2, 3).

IV – 20 décembre

O CLAVIS David et sceptrum domus Israel,
qui aperis, et nemo claudit; claudis, et nemo aperit:
veni et educ vinctum de domo carceris, sedentem in tenebris et umbra mortis.

O Clé de David (Isaïe 22, 22), sceptre de la maison d’Israël (Genèse 49, 10),
tu ouvres et personne ne peut fermer; tu fermes et personne ne peut ouvrir:
viens, fais sortir de prison le captif plongé dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort (Psaume 107, 10.14).

V – 21 décembre

O ORIENS, splendor lucis aeternae et sol iustitiae:
veni et illumina sedentem in tenebris et umbra mortis.

O Astre montant (Zacharie 3, 8; Jérémie 23, 5), splendeur de la lumière éternelle (Sagesse 7, 26) et soleil de justice (Malachie 3, 20):
viens éclairer ceux qui se trouvent dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort (Isaïe 9, 1; Luc 1, 79).

VI – 22 décembre

O REX gentium et desideratus earum,
lapis angularis qui facis utraque unum:
veni et salva hominem quem de limo formasti.

O Roi des nations (Jérémie 10, 7), objet de leur désir (Aggée 2, 7),
pierre angulaire (Isaïe 28, 16) qui réunis juifs et païens en un seul peuple (Ephésiens 2, 14):
viens sauver l’homme que tu as façonné à partir du limon.

VII – 23 décembre

O EMMANUEL, rex et legifer noster,
expectatio gentium et salvator earum:
veni ad salvandum nos, Dominus Deus noster.

O Emmanuel (Isaïe 7, 14), notre roi et notre législateur (Isaïe 33, 22),
espérance et salut des nations (Genèse 49, 10; Jean 4, 42):
viens nous sauver, Seigneur notre Dieu (Isaïe 37, 20).
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Traduction française par Charles de Pechpeyrou.

« Lumière du monde ». Une première pour un pape (par Sandro Magister)

25 novembre, 2010

du site: 

http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1345703?fr=y

« Lumière du monde ». Une première pour un pape

Un livre tellement « à risque » est sans précédent pour un successeur de Pierre. « Chacun est libre de me contredire », c’est sa formule. À propos de la question controversée du préservatif, le professeur Rhonheimer explique pourquoi Benoît XVI a raison

par Sandro Magister

ROME, 25 novembre 2010 – Vers la fin de son livre-entretien « Lumière du monde », commercialisé depuis quelques jours en différentes langues, Benoît XVI fait allusion à son autre livre sur Jésus, son « dernier ouvrage majeur ».
Il rappelle qu’il avait voulu « de manière tout à fait consciente » que cet autre livre soit non pas un acte de magistère, mais l’offrande d’une interprétation personnelle.
Et d’ajouter : « Cela représente évidemment un risque énorme ».
Dans l’après-midi du lundi 22 novembre, lors d’un tête-à-tête avec le pape, le directeur de la salle de presse du Vatican, le père Federico Lombardi, a demandé à celui-ci s’il se rendait compte qu’il allait prendre un risque encore plus grand avec le livre-entretien qui était sur le point de paraître.
« À cette question que je lui posais, le pape a souri », a raconté le père Lombardi.
Et c’est la vérité. « Lumière du monde » est un livre d’une audace sans précédent pour un pape. Transcription intégrale de six heures d’interview spontanée et sans censure, il aborde un nombre incroyable de sujets, y compris les plus délicats.
Les réponses sont rapides et vont à l’essentiel. Le langage est familier mais précis et simple, les termes techniques en sont totalement absents. Ici ou là brillent des éclairs d’ironie.
Certes, le lancement du livre n’a pas été exempt de défauts. Le père Lombardi lui-même a reconnu que la publication en avant-première de quelques passages par « L’Osservatore Romano », dans l’après-midi du samedi 20 novembre, en plein consistoire, « n’a pas été bien gérée ». Dans le cas du passage relatif au préservatif, qui a été repris à grand fracas par les médias du monde entier, il a fallu prendre des mesures d’urgence, dimanche 21, sous la forme d’une note donnant des précisions, approuvée mot à mot par le pape.
Le livre a donc immédiatement couru un « risque ». Le pape s’est vu tout de suite lancé dans la mêlée, à propos d’un sujet auquel il n’avait consacré que deux pages sur 250, celui-là même qui, au printemps 2009, lui avait attiré un ouragan de critiques au début de son voyage en Afrique.
Mais si l’on examine ce qui s’est passé ces jours-ci, le test a eu des effets étonnamment bénéfiques tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Église.
À l’extérieur, les voix qui sont habituellement hostiles à ce pontificat ont reconnu cette fois-ci à Benoît XVI le mérite d’une « ouverture ». Et surtout elles ont été amenées à lire ses argumentations. On est impressionné en voyant comment la situation médiatique de ce pape s’est redressée en aussi peu de temps, lui dont on réclamait la démission il y a encore peu de mois.
À l’intérieur de l’Église, la discussion sur un sujet resté jusqu’à maintenant sous le boisseau est enfin venue à la lumière du jour. Le pape n’a pris aucun « tournant révolutionnaire » sur la question du préservatif. Mais le communiqué du dimanche 21 novembre a montré qu’il y avait en tout cas une nouveauté, puisqu’il y est écrit : « De nombreux spécialistes de la théologie morale et des personnalités ecclésiastiques faisant autorité ont soutenu et soutiennent des points de vue analogues ; cependant il est vrai que nous ne les avions pas encore entendus avec autant de clarté dans la bouche d’un pape, même si c’est sous une forme familière et non magistérielle ».
Il n’y a pas que cela. C’est une vraie discussion qui est maintenant portée à la lumière par le pape, avec des opinions parfois vivement opposées. « Chacun est libre de me contredire », avait écrit Benoît XVI dans la préface de son « Jésus de Nazareth ». C’est ce qui se passe aujourd’hui à propos du préservatif, certains groupes et dirigeants « pro life » se montrant très critiques à l’égard des points de vue exprimés par le pape dans le livre-entretien.
Bien évidemment, « Lumière du monde » ne se réduit pas à cela. C’est tout le panorama de ce pontificat qui apparaît d’un coup, en une magnifique synthèse. Même prise individuellement, chacune des questions que le pape traite l’une après l’autre porte l’empreinte de l’ensemble.
Les deux textes reproduits ci-dessous le confirment.
Le premier est le commentaire de « Lumière du monde » qui est paru en Italie dans « L’Espresso », hebdomadaire de pointe de la culture laïque.
Le second est un article du père Martin Rhonheimer, un Suisse, professeur d’éthique et de philosophie politique à l’Université Pontificale de la Sainte Croix, l’université romaine de l’Opus Dei.
Cet article a été publié en 2004 dans « The Tablet », revue catholique « liberal » de Londres, et il expose avec la maestria d’un spécialiste de la théologie morale les arguments qui sont à la base de « l’ouverture » de Benoît XVI en ce qui concerne l’utilisation du préservatif dans des cas déterminés et avec une finalité déterminée.
On est frappé de voir à quel point il y a une correspondance, y compris dans les mots, entre l’article de Rhonheimer paru il y a six ans et ce que Benoît XVI affirme aujourd’hui. À commencer par cet « acte de responsabilité » reconnu comme un mérite au « prostitué » qui utilise le préservatif afin de ne pas mettre en danger la vie de son partenaire, que le pape cite comme exemple.
À propos de cet exemple, le père Lombardi a indiqué que, pour le pape, il n’est pas important qu’il s’agisse d’un sujet de sexe masculin ou féminin : « Ce qui compte, c’est la responsabilité dans le fait de tenir compte de la mise en danger de la vie de la personne avec qui on a le rapport. Que ce soit un homme, une femme, ou un transsexuel qui le fasse, c’est pareil ».
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LE BON PASTEUR ET LA BREBIS PERDUE

par Sandro Magister

En six heures d’entretiens avec le journaliste bavarois Peter Seewald dans le calme estival de Castel Gandolfo – réparties sur six jours comme ceux de la création et transcrites telles quelles dans un livre qui vient d’être imprimé – Benoît XVI a transmis au monde l’image la plus véridique de lui-même. Celle d’un homme charmé par les merveilles de la création, joyeux, incapable de supporter l’idée d’une vie qui serait vécue toujours et seulement « contre », convaincu avec bonheur qu’en ce qui concerne l’Église « beaucoup de gens qui semblent être dedans sont dehors ; et beaucoup de gens qui semblent être dehors, sont dedans ».
« Nous sommes des pécheurs », dit le pape Benoît lorsque l’intervieweur le met dos au mur à propos de l’encyclique « Humanæ vitæ », celle qui condamne tous les actes contraceptifs non naturels. Paul VI l’a écrite et publiée en 1968 et, depuis cette année fatidique, elle est devenue l’emblème de l’incompatibilité entre l’Église et la culture moderne. Joseph Ratzinger ne désavoue pas une virgule d’ »Humanæ vitæ ». Elle est la « vérité » et elle le reste. « Fascinante », dit-il, pour les minorités qui en sont intimement convaincues. Mais le pape tourne tout de suite sa pensée vers les immenses foules d’hommes et de femmes qui ne vivent pas cette « morale élevée ». Pour dire que « tous, nous devrions chercher à faire tout le bien possible, nous soutenir et nous supporter mutuellement ».
Voilà le pape que fait apparaître le livre-entretien « Lumière du monde ». C’est le même qui s’était révélé tel lors de la première messe qu’il avait célébrée après son élection comme successeur de Pierre. Un pasteur qui va à la recherche de la brebis perdue, qui la prend sur ses épaules comme la laine d’agneau du pallium qu’il porte, et qui éprouve beaucoup plus de joie pour la brebis retrouvée que pour les quatre-vingt-dix-neuf qui sont dans la bergerie.
Seulement, à ce moment-là, peu de gens l’avaient compris. Longtemps le Ratzinger des images est resté le professeur glacial, l’inquisiteur de fer, le juge impitoyable. Il a fallu cinq ans, après la tempête parfaite des prêtres pédophiles, pour déchirer définitivement cette fausse image.
A la différence de beaucoup d’hommes d’Église, Benoît XVI ne se plaint pas de complots, il ne retourne pas les accusations contre les accusateurs. Au contraire, il dit dans son livre que « tant qu’il s’agit de mettre la vérité en lumière, nous devons leur en être reconnaissants ». Et d’expliquer : « La vérité, unie à l’amour bien compris, est la valeur numéro un. Et puis les médias n’auraient pas pu faire ces comptes-rendus s’il n’y avait pas eu du mal dans l’Église. Ce n’est que parce que le mal était dans l’Église que les autres ont pu le retourner contre elle ».
Ces propos, tenus par l’homme qui a été le premier, dans les instances dirigeantes de l’Église catholique, à diagnostiquer et à combattre cette « saleté » puis, en tant que pape, à porter le plus grand poids de fautes et d’omissions qui n’étaient pas les siennes, sont impressionnants. Mais c’est de cette manière-là que, dans le livre, Benoît XVI traite d’autres questions brûlantes. Il va directement au cœur des points les plus controversés. Le sacerdoce féminin ? Pie XII et les juifs ? La burqa ? Le préservatif ? L’intervieweur le harcèle et le pape ne se dérobe pas. À propos de la burqa, il dit qu’il ne voit pas de raison pour une interdiction généralisée. Si elle est imposée aux femmes par la violence, « il est clair que l’on ne peut pas être d’accord avec cela ». Mais si celles-ci la portent volontairement, « je ne vois pas pourquoi on devrait les en empêcher ».
On pourra objecter au pape qu’un voile qui couvre complètement le visage pose des problèmes de sécurité dans le domaine civil. L’objection est légitime, parce qu’il a aussi accordé l’interview pour ouvrir des discussions, pas pour les clore. Dans la préface qu’il avait écrite pour un autre de ses livres, celui sur Jésus qui a été publié en 2007, Ratzinger écrivait : « chacun est libre de me contredire ». Et il avait tenu à préciser qu’il ne s’agissait pas d’un « acte magistériel » mais « uniquement d’une expression de ma recherche personnelle ».
Là où le magistère de l’Église semble trembler, dans l’interview, c’est lorsque le pape parle du préservatif, en justifiant son utilisation dans des cas particuliers. Il n’y a aucun « tournant révolutionnaire », a promptement commenté le père Federico Lombardi, porte-parole officiel du Saint-Siège. En effet, depuis longtemps déjà, beaucoup de cardinaux, d’évêques et de théologiens, mais surtout d’innombrables prêtres de paroisses et missionnaires admettent paisiblement l’utilisation du préservatif pour beaucoup de personnes concrètes qu’ils rencontrent dans le cadre de leur « charge d’âmes ». Mais qu’eux le fassent est une chose et qu’un pape le dise à haute voix en est une autre. Benoît XVI est le premier pontife de l’histoire à franchir ce Rubicon, avec une tranquillité désarmante : lui qui, il n’y a que deux printemps, avait déchaîné dans le monde un chœur retentissant de protestations pour avoir dit, alors qu’il volait vers l’Afrique, que « l’on ne peut pas vaincre le fléau du sida en distribuant des préservatifs : mais au contraire, le risque est d’aggraver le problème ».
C’était en mars 2009. Benoît XVI fut accusé de condamner à mort des dizaines de milliers d’Africains au nom d’une condamnation aveugle du préservatif. Alors qu’en réalité le pape voulait attirer l’attention sur le danger – prouvé par les faits en Afrique – qu’une plus large utilisation du préservatif s’accompagne non pas d’une diminution mais d’une augmentation des rapports sexuels occasionnels avec des partenaires multiples et d’une augmentation des taux d’infection.
Dans l’interview, Ratzinger reprend le fil de son raisonnement, largement incompris à l’époque. Il souligne que, même en dehors de l’Église, il y a un consensus croissant parmi les plus grands experts mondiaux de la lutte contre le sida pour estimer qu’une campagne centrée sur la continence sexuelle et sur la fidélité conjugale est plus efficace que la distribution en masse de préservatifs.
« Se polariser sur le préservatif – poursuit le pape – cela veut dire banaliser la sexualité et cette banalisation est justement la dangereuse raison pour laquelle tant de gens ne voient plus dans la sexualité l’expression de leur amour, mais seulement une sorte de drogue qu’ils s’administrent eux-mêmes ».
À ce point du raisonnement, on s’attend à ce que Benoît XVI réitère la condamnation absolue du préservatif. Et bien pas du tout. Prenant le lecteur par surprise, il dit que dans différents cas son utilisation peut être justifiée, pour des raisons autres que contraceptives. Et il donne l’exemple d’ »un prostitué » qui utilise le préservatif pour éviter la contamination : l’exemple, donc, d’un acte qui reste en tout cas un péché, mais dans lequel le pécheur a un sursaut de responsabilité, que le pape voit comme « un premier pas vers une façon différente, plus humaine, de vivre la sexualité ».
Si cette compréhension affectueuse s’applique à un pécheur, elle doit à plus forte raison s’appliquer au cas classique que rencontrent en Afrique et ailleurs les prêtres et les missionnaires : celui de deux époux dont l’un est malade du sida et utilise le préservatif pour ne pas mettre la vie de l’autre en danger. On peut citer, parmi les cardinaux qui ont jusqu’à présent avancé, de manière plus ou moins voilée, la licéité de ce comportement et d’autres comportements analogues, les Italiens Carlo Maria Martini et Dionigi Tettamanzi, le Mexicain Javier Lozano Barragán, le Suisse Georges Cottier. Mais lorsqu’en 2006 « La Civiltà Cattolica », la revue des jésuites de Rome qui est imprimée après contrôle préalable de la secrétairerie d’état du Vatican, a confié le sujet à un grand expert en ce domaine, le père Michael F. Czerny, directeur de l’African Jesuit AIDS Network, organisation qui a son siège à Nairobi, l’article a été publié après élimination des passages admettant l’utilisation du préservatif pour freiner la contagion.
Il a fallu le pape Benoît pour dire ce que personne, au sommet de l’Église, n’avait osé dire jusqu’à présent. Et cela suffit à faire de lui un humble et doux révolutionnaire.

(Extrait de « L’Espresso » n° 48 de 2010).
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LA VÉRITÉ SUR LE PRÉSERVATIF

par Martin Rhonheimer

La plupart des gens sont convaincus qu’une personne porteuse du virus HIV et qui a des rapports sexuels doit utiliser un préservatif pour protéger son partenaire de l’infection. Indépendamment des opinions que l’on peut avoir sur les rapports sexuels avec des partenaires multiples comme mode de vie, sur l’homosexualité ou sur la prostitution, cette personne agit au moins avec un certain sens de ses responsabilités en cherchant à éviter de transmettre son infection aux autres.
On pense généralement que l’Église catholique n’appuie pas cette opinion. [...] On croit que l’Église enseigne que les homosexuels sexuellement actifs et les prostituées devraient éviter d’utiliser le préservatif, parce que celui-ci serait “intrinsèquement mauvais”. Beaucoup de catholiques sont également convaincus [...] que l’utilisation du préservatif, même quand c’est uniquement dans le but d’éviter l’infection du partenaire, ne respecte pas le caractère de fertilité que doivent avoir les actes conjugaux et ne permet pas le don personnel de soi réciproque et complet, violant ainsi le sixième commandement.
Mais tout cela n’est pas un enseignement de l’Église catholique. Il n’y a aucun magistère officiel à propos du préservatif, de la pilule anti-ovulation ou du diaphragme. Le préservatif ne peut pas être intrinsèquement mauvais, seules les actions humaines peuvent l’être. Le préservatif n’est pas une action humaine, c’est un objet.
Ce que le magistère de l’Église catholique désigne clairement comme “intrinsèquement mauvais”, c’est un type spécifique d’action humaine, défini par Paul VI dans son encyclique « Humanæ vitæ » (et ultérieurement par le n° 2370 du Catéchisme de l’Église catholique) comme une “action qui, soit en prévision de l’acte conjugal, soit dans son accomplissement, soit dans le développement de ses conséquences naturelles, se propose, comme but ou comme moyen, d’empêcher la procréation”.
La contraception est un type spécifique d’action humaine qui, en tant que telle, comprend deux éléments : la volonté de prendre part à des actes sexuels et l’intention d’empêcher la procréation. Une action contraceptive inclut donc un choix contraceptif. Comme je l’ai dit dans un article paru dans le « Linacre Quarterly » en 1989, “un choix contraceptif est le choix d’une action visant à empêcher les conséquences procréatives prévues de rapports sexuels librement consentis et c’est un choix fait précisément pour cette raison”.
Voilà pourquoi la contraception, comprise comme une action humaine qualifiée d’“intrinsèquement mauvaise” ou de désordonnée, n’est pas déterminée par ce qui se produit sur le plan physique. Que ce soit en prenant la pilule ou bien en interrompant le rapport à la manière d’Onan que l’on empêche la fertilité du rapport sexuel, cela ne fait pas de différence. De plus la définition qui vient d’être donnée ne fait pas de distinction entre “faire” et “s’abstenir de faire”, dans la mesure où le coït interrompu est une forme d’abstention, au moins partielle.
Ne sera donc pas définie comme un acte contraceptif, par exemple, l’utilisation de contraceptifs dans le but d’empêcher les conséquences procréatives d’un viol prévu. Dans une circonstance de ce genre, la personne violée ne choisit pas de participer au rapport sexuel ni d’empêcher une possible conséquence de son comportement sexuel, elle ne fait que se défendre contre une agression dont son corps fait l’objet et contre les conséquences indésirables de celle-ci. De même une athlète qui participe aux Jeux Olympiques et qui prend la pilule anti-ovulation pour empêcher son cycle menstruel ne fait pas un acte “contraceptif”, si elle n’a pas en même temps l’intention d’avoir des rapports sexuels.
L’enseignement de l’Église ne concerne pas le préservatif ni les outils physiques ou chimiques similaires, mais l’amour conjugal et le sens essentiellement conjugal de la sexualité humaine. Le magistère ecclésial affirme que, si deux époux ont une raison sérieuse pour ne pas avoir d’enfants, ils doivent modifier leur comportement sexuel en s’abstenant de l’acte sexuel, au moins périodiquement. Pour éviter de détruire soit le sens unitif soit le sens procréatif de l’acte sexuel et donc la plénitude du don réciproque de soi, les époux ne doivent pas empêcher la fertilité des rapports sexuels, au cas où ils en auraient.
Mais que peut-on dire des personnes qui ont des partenaires multiples, des homosexuels sexuellement actifs et des prostituées ? Ce que l’Église catholique enseigne à leur sujet, c’est simplement que ces personnes ne devraient pas avoir des partenaires multiples, mais être fidèles à un seul partenaire sexuel ; que la prostitution est un comportement qui porte gravement atteinte à la dignité de l’homme, surtout à celle de la femme, et qu’elle ne devrait donc pas être pratiquée ; et que les homosexuels, comme tous les autres êtres humains, sont enfants de Dieu et qu’il sont aimés par lui comme tous les autres, mais qu’ils devraient vivre dans la continence comme toute autre personne non mariée.
Mais si ces personnes ignorent cet enseignement et sont menacées par le virus HIV, devraient-elles utiliser le préservatif pour empêcher l’infection ? La norme morale qui condamne la contraception comme acte intrinsèquement mauvais n’inclut pas ces cas-là. Et il ne peut y avoir d’enseignement de l’Église à ce sujet ; créer des normes morales pour des comportements intrinsèquement immoraux n’aurait simplement pas de sens. L’Église devrait-elle enseigner qu’un violeur ne doit jamais utiliser un préservatif, parce que sinon, en plus de commettre le péché de viol, il manquerait au respect du don personnel de soi réciproque et complet, et transgresserait ainsi le sixième commandement ? Sûrement pas.
Que dirai-je, en tant que prêtre catholique, aux personnes à partenaires multiples, ou aux homosexuels, atteints du sida qui utilisent le préservatif ? J’essaierai de les aider à mener une vie sexuelle morale et réglée. Mais je ne leur dirai pas de ne pas utiliser le préservatif. Simplement, je ne leur en parlerai pas et je présumerai que, s’ils décident d’avoir des rapports sexuels, ils garderont au moins un certain sens de leurs responsabilités. En me comportant ainsi, je respecte pleinement l’enseignement de l’Église catholique en matière de contraception.
Ceci n’est pas un appel pour demander des “exceptions” à la règle qui interdit la contraception. La règle en matière de contraception est valable sans exception : le choix de la contraception est intrinsèquement mauvais. Mais, bien évidemment, la règle n’est valable que pour les actes contraceptifs tels qu’ils sont définis dans « Humanæ vitæ », c’est-à-dire ceux qui comportent un choix contraceptif. Les actions dans lesquelles est utilisé un dispositif qui, d’un point de vue purement physique, est “contraceptif”, ne sont pas toutes, d’un point de vue moral, des actes contraceptifs qui tombent sous le coup de la règle enseignée par « Humanæ vitæ ».
De même, un homme marié qui est porteur du virus HIV et utilise le préservatif pour protéger sa femme de l’infection n’agit pas pour empêcher la procréation, mais pour prévenir l’infection. Si une conception est empêchée, ce sera un effet collatéral (non intentionnel), qui ne donnera donc pas à cette action la signification morale d’un acte contraceptif. Il peut y avoir d’autres raisons de mettre en garde contre l’utilisation du préservatif dans un cas de ce genre, ou de recommander la continence totale, mais elles dépendront non pas de l’enseignement de l’Église en matière de contraception, mais de raisons pastorales ou simplement prudentielles (par exemple, le risque que le préservatif ne fonctionne pas). Évidemment, ce dernier raisonnement ne s’applique pas aux personnes qui ont de multiples partenaires, parce que, même si les préservatifs ne fonctionnent pas toujours, leur utilisation contribuera en tout cas à réduire les conséquences négatives de comportements moralement mauvais.
Arrêter l’épidémie mondiale de sida est une question qui concerne non pas la moralité de l’utilisation du préservatif, mais plutôt la manière de prévenir efficacement une situation dans laquelle les personnes provoquent des conséquences désastreuses par leur comportement sexuel immoral. Le pape Jean-Paul II a insisté à maintes reprises sur le fait que promouvoir l’utilisation du préservatif n’est pas une solution à ce problème, dans la mesure où il considérait qu’elle ne résout pas le problème moral des rapports avec des partenaires multiples. À la question de savoir si, d’une manière générale, les campagnes de promotion de l’utilisation du préservatif incitent à des comportements à risque et aggravent l’épidémie mondiale de sida, on peut répondre à partir de données statistiques qui ne sont pas toujours facilement accessibles. Que ces campagnes fassent diminuer, à court terme, les taux de transmission au sein de groupes fortement infectés comme les prostituées et les homosexuels, c’est indéniable. Leur capacité à faire baisser les taux d’infection au sein des populations à partenaires multiples “sexuellement libérées” ou, au contraire, à favoriser des comportements à risque, dépend de nombreux facteurs.
Dans les pays africains les campagnes anti-sida fondées sur l’utilisation du préservatif sont généralement inefficaces [...]. C’est la raison pour laquelle – et cela constitue une preuve notable en faveur de l’argument du pape – l’un des rares programmes efficaces en Afrique est celui de l’Ouganda. Bien qu’il n’exclue pas le préservatif, ce programme encourage à un changement positif dans le comportement sexuel (fidélité et abstinence) qui le différencie des campagnes en faveur du préservatif, celles-ci contribuant à cacher ou même à détruire le sens de l’amour humain.

Les campagnes qui promeuvent l’abstinence et la fidélité sont en définitive le seul moyen efficace à long terme de lutte contre le sida. L’Église n’a donc aucune raison de considérer les campagnes de promotion du préservatif comme utiles pour l’avenir de la société humaine. Mais l’Église ne peut pas non plus enseigner que ceux qui adoptent des modes de vie immoraux devraient s’abstenir d’utiliser le préservatif.

(Extrait de « The Tablet », 10 juillet 2004).

par Sandro Magister: Mission Britannia. À Glasgow le soleil brille

17 septembre, 2010

du site:

http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1344754?fr=y

Mission Britannia. À Glasgow le soleil brille

Le voyage de Benoît XVI commence en Écosse. La rencontre avec la reine. La messe du peuple. Une fête de la foi au royaume des incroyants. Avec un prologue sur le scandale de la pédophilie

par Sandro Magister

ROME, le 16 septembre 2010 – Dans l’avion qui le conduisait de Rome vers le Royaume-Uni, pour ce qui a été annoncé comme le voyage le plus difficile de son pontificat, en terre hostile, Benoît XVI a tout de suite dit clairement qu’il ne se laissait pas guider par les indices de satisfaction :

« Une Église qui chercherait surtout à être attirante ferait déjà fausse route ».

Et il a tout de suite expliqué pourquoi :

« Parce que l’Église ne travaille pas pour elle-même, elle ne travaille pas pour augmenter le nombre de ses fidèles ou son pouvoir. L’Église est au service d’un Autre. Elle agit non pas pour elle, pour être un organisme puissant, mais pour rendre accessible l’annonce de Jésus-Christ, les grandes vérités, les grandes forces d’amour et de réconciliation qui sont apparues en lui ».

C’est sur cette base, a-t-il poursuivi, que se réalise le véritable œcuménisme :

« Si les anglicans et les catholiques voient les uns et les autres qu’ils n’agissent pas pour eux-mêmes mais qu’ils sont des instruments du Christ, ils ne sont plus concurrents, mais associés dans l’engagement pour la vérité du Christ dans ce monde et ainsi ils se trouvent également, les uns vis-à-vis des autres, dans un véritable et fécond œcuménisme ».

*

C’était là l’une des cinq réponses données aux journalistes par le pape Joseph Ratzinger sur le vol Rome-Édimbourg, le matin du jeudi 16 septembre.

Une autre réponse a porté sur la figure de John Henry Newman, qui est sur le point d’être béatifié : « un homme moderne qui a vécu tout le problème de la modernité, un docteur de l’Église pour nous et pour tous, ainsi qu’un pont entre les anglicans et les catholiques ».

Deux autres réponses ont concerné d’une part l’impact sur un pays comme le Royaume-Uni, où existent de forts courants athées et anticatholiques, et d’autre part les collaborations possibles entre la politique et la religion.

Enfin, à une question portant sur le scandale de la pédophilie, le pape a répondu ceci :

« Avant tout, je dois dire que ces révélations ont été pour moi un choc, une grande tristesse. Il est difficile de comprendre comment cette perversion du ministère sacerdotal est possible. Au moment de son ordination le prêtre, préparé à ce moment pendant des années, dit oui au Christ, il lui dit qu’il se fait sa voix, sa bouche, sa main et qu’il va servir à travers toute sa vie pour que le Bon Pasteur qui aime, qui aide et qui guide vers la vérité soit présent dans le monde. Il est difficile de comprendre comment un homme qui a fait et dit cela peut ensuite tomber dans cette perversion. C’est aussi une grande tristesse que l’autorité de l’Église n’ait pas été assez vigilante et assez rapide, décidée à prendre les mesures nécessaires. Pour tout cela, nous sommes dans un temps de pénitence, d’humilité, de sincérité renouvelée, comme je l’ai écrit aux évêques irlandais. Il me semble que nous devons maintenant accomplir justement un temps de pénitence, un temps d’humilité, pour renouveler et réapprendre la sincérité absolue. Quant aux victimes, je dirais qu’il y a trois choses importantes. La première préoccupation concerne les victimes : comment pouvons-nous réparer, que pouvons-nous faire pour aider ces personnes à surmonter leur traumatisme, à retrouver la vie, à retrouver aussi la confiance dans le message du Christ ? L’engagement en faveur des victimes est la première priorité, avec les aides matérielles, psychologiques et spirituelles. Le second problème est celui des personnes coupables : la peine juste est de les exclure de toute possibilité d’accès aux jeunes, parce que nous savons qu’il s’agit d’une maladie dans laquelle la libre volonté ne fonctionne pas ; là où cette maladie existe, nous devons donc protéger ces personnes d’elles-mêmes et les exclure de tout accès aux jeunes. Et le troisième point est la prévention et l’éducation dans le choix des candidats au sacerdoce : il faut être assez attentif, selon les possibilités humaines, pour exclure de futurs cas. À cette occasion je voudrais aussi remercier l’épiscopat britannique pour son attention et sa collaboration tant avec le Saint-Siège qu’avec les pouvoirs publics, pour l’attention portée aux victimes et au droit. L’épiscopat britannique a fait et continue à faire un grand travail, ce dont je lui suis très reconnaissant ».

*
Lors de l’atterrissage à Édimbourg, en Écosse, le premier acte de la visite de Benoît XVI – qui est aussi, du point de vue formel, une visite d’état, chose inhabituelle pour les voyages pontificaux – a été sa rencontre avec la reine Elizabeth II.

Dans le discours qu’il a adressé à la reine, au palais royal de Holyrood House, le pape a lancé une mise en garde contre le risque que le Royaume-Uni perde son empreinte chrétienne, qui s’est révélée décisive à des moments cruciaux de son histoire, y compris l’histoire récente :  

« Le nom de Holyrood House, résidence officielle de Votre Majesté en Écosse, rappelle la ‘Sainte Croix’ et indique les profondes racines chrétiennes qui restent présentes dans toutes les strates de la vie britannique. [...] Même dans notre propre vie, nous pouvons nous rappeler combien la Grande-Bretagne et ses dirigeants ont combattu la tyrannie nazie qui cherchait à éliminer Dieu de la société et qui niait notre commune humanité avec beaucoup de gens jugés indignes de vivre, en particulier les Juifs. J’évoque aussi l’attitude du régime envers des pasteurs et des religieux chrétiens qui ont défendu la vérité dans l’amour en s’opposant aux Nazis et qui l’ont payé de leur vie. En réfléchissant aux leçons dramatiques de l’extrémisme athée du XXe siècle, n’oublions jamais combien exclure Dieu, la religion et la vertu de la vie publique conduit en fin de compte à une vision tronquée de l’homme et de la société, et ainsi à ‘une vision réductrice de la personne et de sa destinée’ (Caritas in veritate, 29) ».

Il a lancé un avertissement aux médias britanniques, en raison de leur influence sur l’opinion publique du monde entier :

« Votre Gouvernement et votre peuple ont forgé des idées qui ont encore un impact bien au-delà des îles britanniques. Cela leur confère le devoir particulier d’agir avec sagesse en vue du bien commun. De même, parce que leurs opinions atteignent une audience aussi large, les médias britanniques ont une responsabilité plus lourde que la plupart des autres médias et une plus grande opportunité de promouvoir la paix entre les nations, le développement intégral des pays et la propagation d’authentiques droits de l’homme. Puissent tous les Britanniques continuer d’être animés par ces valeurs d’honnêteté, de respect et d’impartialité qui leur ont mérité l’estime et l’admiration de beaucoup ».

Et il a demandé du respect pour les cultures et les traditions menacées par l’intolérance du sécularisme moderne :

« Aujourd’hui, le Royaume-Uni s’efforce d’être une société moderne et multiculturelle. Dans ce noble défi puisse-t-il garder toujours son respect pour les valeurs traditionnelles et les expressions de la culture que des formes plus agressives de sécularisme n’estiment ni ne tolèrent même plus ! Qu’il n’enfouisse pas les fondements chrétiens qui sous-tendent ses libertés ; puisse aussi ce patrimoine, qui a toujours servi le bien de la nation, inspirer constamment l’exemple que Votre gouvernement et Votre peuple donnent aux deux milliards de membres du Commonwealth et à la grande famille des nations de langue anglaise à travers le monde ! Que Dieu bénisse Votre Majesté et le peuple tout entier de votre royaume ».

*

Le troisième acte de la première journée du voyage de Benoît XVI a été la messe au Bellahouston Park de Glasgow, le jour de la fête de saint Ninian, l’un des premiers évangélisateurs de l’Écosse.

Dans son homélie, le pape a exhorté les chrétiens à être « un exemple public de foi », pour éviter que le monde ne devienne une « jungle de libertés autodestructrices et arbitraires »:

« L’évangélisation de la culture est d’autant plus importante de nos jours qu’une ‘dictature du relativisme’ menace d’obscurcir l’immuable vérité sur la nature humaine, sa destinée et son bien suprême. Certains cherchent aujourd’hui à exclure la croyance religieuse du discours public, à la limiter à la sphère privée ou même à la dépeindre comme une menace pour l’égalité et pour la liberté. Pourtant, la religion est en fait une garantie de liberté et de respect authentiques, car elle nous conduit à considérer chaque personne comme un frère ou une sœur. Pour cette raison, je vous lance un appel particulier, à vous les fidèles laïcs, en accord avec votre vocation et votre mission baptismales, à être non seulement des exemples de foi dans la vie publique, mais aussi à introduire et à promouvoir dans le débat public l’argument d’une sagesse et d’une vision de foi. La société d’aujourd’hui a besoin de voix claires qui prônent notre droit de vivre non pas dans une jungle de libertés autodestructrices et arbitraires, mais dans une société qui travaille pour le vrai bien-être de ses citoyens et qui, face à leurs fragilités et leurs faiblesses, leur offre conseils et protection. N’ayez pas peur de prendre en main ce service de vos frères et sœurs pour l’avenir de votre nation bien-aimée ».

Et il a invité à « un témoignage conforme à la vérité salvatrice de la Parole de Dieu » les chrétiens des diverses dénominations présentes en Écosse, presbytériens, anglicans et catholiques :

« Je constate avec une profonde satisfaction combien l’appel à marcher main dans la main avec vos frères chrétiens, que le pape Jean-Paul II vous avait adressé, a contribué à faire grandir la confiance et l’amitié avec les membres de l’Église d’Écosse, ceux de l’Église épiscopale écossaise et d’autres encore. Je vous encourage à continuer de prier et de travailler avec eux à la construction d’un avenir plus radieux pour l’Écosse, un avenir basé sur notre héritage chrétien commun. Dans la première lecture d’aujourd’hui, nous avons entendu saint Paul encourager les Romains à reconnaître que, comme membres du Christ, ‘nous sommes membres les uns des autres’ (Rm 12, 5), et à vivre dans le respect et l’amour mutuel. Dans cet esprit, je salue les représentants œcuméniques qui nous honorent de leur présence. Cette année marque le 450e anniversaire de la création du Parlement de la Réforme ainsi que le 100e anniversaire de la Conférence Missionnaire Mondiale d’Édimbourg, qui est largement reconnue comme le point de départ du mouvement œcuménique moderne. Rendons grâces à Dieu pour l’espoir que représentent les efforts de compréhension et de coopération œcuméniques, en vue d’un unique témoignage conforme à la vérité du salut qu’est la Parole de Dieu, dans une société soumise aujourd’hui à de rapides changements ».

*

Les catholiques sont proportionnellement plus nombreux en Écosse, où ils représentent 17 % de la population, qu’en Angleterre et au pays de Galles, où ils représentent 8 %. Partout ils étaient beaucoup moins nombreux il y a un siècle.

L’augmentation du nombre de catholiques dans tout le Royaume-Uni s’est manifestée à la fois parmi les intellectuels et dans les couches sociales les plus modestes.

Parmi les premiers, on trouve d’illustres anglicans convertis : de Newman à Benson, d’Oscar Wilde à Chesterton, de Graham Greene à Evelyn Vaugh. Pour les seconds, le facteur déterminant a été l’immigration d’Irlandais, tous de religion catholique. À Glasgow les catholiques d’origine irlandaise sont aujourd’hui 28 %, à Liverpool 46 %.

Par rapport aux anglicans, les catholiques sont plus assidus à la messe. Parmi ceux qui y assistent le dimanche, les catholiques ont dépassé les anglicans en 2006 : 862 000 (15 % du total) contre 852 000.

De plus, aujourd’hui, l’Église catholique attire de plus en plus des groupes significatifs d’anglicans, y compris des évêques et des prêtres, qui se sentent mal à l’aise face aux dérives modernistes de certains de leurs coreligionnaires et ne supportent pas les femmes évêques et les mariages homosexuels.

par Sandro Magister : Pour Benoît XVI, l’horrible année 2010 est une année de grâce

8 juillet, 2010

du site:

http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1344000?fr=y

Pour Benoît XVI, l’horrible année 2010 est une année de grâce

Pénitence, pardon et nouvelle évangélisation. De la même manière et plus que pendant le Jubilé de l’An 2000. Une comparaison surprenante. Avec une interview du cardinal Ruini

par Sandro Magister

ROME, le 8 juillet 2010 – Le chemin de croix de l’Église d’aujourd’hui forme un contraste cruel avec les glorieuses réjouissances du jubilé de 2000, apogée du pontificat de Jean-Paul II.

Et pourtant, dès que l’on cherche à savoir ce que fut vraiment cette année de grâce, on découvre que l’Église de Benoît XVI en réalise simplement les annonces.

Le jubilé fut une année de repentir et de pardon. De pardon donné et demandé, pour les nombreux péchés des fils de l’Église au cours de l’Histoire. Le premier dimanche de Carême de cette année-là – c’était le 12 mars – le pape Karol Wojtyla célébra sous les yeux du monde entier une liturgie pénitentielle sans précédent. Sept fois, comme les sept péchés capitaux, il confessa les péchés commis par les chrétiens, siècle après siècle, et demanda pardon à Dieu pour tous ces péchés. Extermination des hérétiques, persécution des Juifs, guerres de religion, humiliation des femmes…

Le visage douloureux du pape, marqué par la maladie, était l’icône de ce geste de repentir. Le monde l’a regardé avec respect. Mais aussi avec satisfaction. Et parfois en augmentant ses exigences : le pape aurait dû faire beaucoup plus.

Et, en effet, dans les médias du monde entier, c’était le discours dominant. Jean-Paul II avait raison de s’humilier pour certaines pages noires de l’histoire chrétienne mais, à chaque fois, il y avait quelqu’un qui prétendait qu’il devait battre sa coulpe davantage et pour d’autres choses encore. La liste n’était jamais close. Quand on réexamine toutes les fois où le pape Wojtyla a demandé pardon pour quelque chose, avant et après le jubilé de l’an 2000, on voit qu’il l’a fait pour les croisades, les dictatures, les schismes, les hérésies, les femmes, les Juifs, Galilée, les guerres de religion, Luther, Calvin, les Indiens, les injustices, l’Inquisition, l’intégrisme, l’islam, la mafia, le racisme, le Rwanda, l’esclavagisme. Il manque peut-être une rubrique quelconque. Mais il est certain qu’il n’a jamais demandé pardon pour les abus sexuels commis sur des enfants. Et il n’apparaît pas que quiconque lui ait reproché ce silence et encore moins qu’il ait exigé que le pape ajoute la pédophilie à la liste.

C’était il y a dix ans seulement. Mais c’était, au-dedans et au dehors de l’Église, l’esprit de l’époque. Un esprit peu attentif au scandale de jeunes enfants victimes d’abus sexuels, bien qu’aient déjà explosé en Autriche l’affaire de Mgr Groër, l’archevêque de Vienne atteint par des accusations jamais prouvées, aux États-Unis l’affaire de Mgr Bernardin, l’archevêque de Chicago accusé à tort et qui a pardonné à son accusateur, et partout l’affaire du père Maciel, fondateur des Légionnaires du Christ, dont la culpabilité a été prouvée par la suite.

Mais il y avait à Rome un cardinal qui voyait loin. Il s’appelait Joseph Ratzinger.

Plus qu’aux péchés des chrétiens du passé, sur lesquels le jugement de l’Histoire est toujours problématique, il s’occupait des péchés actuels. Et, parmi ceux-ci, il en voyait qui salissaient plus que les autres le visage de l’Église « sainte » et ce d’autant plus qu’ils avaient été commis par des clercs.

En 2001, en tant que préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, il a rendu plus contraignantes les procédures de traitement des affaires de pédophilie imputables au clergé.

Quand, en 2002, le scandale a éclaté de manière très grave aux États-Unis, il a adopté la ligne de la rigueur.

Le vendredi saint de 2005, rédigeant le texte du dernier chemin de croix du pontificat de Jean-Paul II, il a critiqué la « saleté » de l’Église avec les accents d’une protestation prophétique.

Quelques semaines plus tard, il était élu pape et cinq ans après, au cours de la décennie du jubilé de l’an 2000, le scandale de la pédophilie frappait l’Église et le pape avec une violence sans précédent.

Et bien, face à la vague puissante des accusations, Benoît XVI a fait pour les péchés des chrétiens d’aujourd’hui ce que le jubilé de l’an 2000 avait fait pour les péchés des chrétiens du passé.

Il a prêché que la plus grande épreuve pour l’Église ne vient pas de l’extérieur mais des péchés qui sont commis en son sein.

Il a mis l’Église en état de pénitence, il a demandé à tous les chrétiens de purifier la « mémoire », certes, mais plus encore leur vie actuelle.

Aux catholiques d’Irlande, concernés plus que les autres par le scandale, il a ordonné de faire un nettoyage complet, de se confesser souvent, de faire pénitence tous les vendredis pendant une année entière, et à leurs évêques et prêtres d’effectuer des exercices spirituels spéciaux.

Il s’est occupé des prêtres avec un soin tout particulier. Avant même que les polémiques n’atteignent leur sommet, Benoît XVI avait décidé une Année sacerdotale pour raviver chez les clercs l’amour de leur mission et la fidélité à leurs engagements, chasteté comprise. Il leur a proposé comme modèle de vie l’exemple du saint curé d’Ars, humble curé de campagne de la France anticléricale du XIXe siècle, qui passait toutes ses journées dans son confessionnal pour y recevoir les pécheurs et leur donner le pardon.

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Mais le pardon n’a pas été le seul élément qui ait caractérisé le jubilé de l’an 2000. Jean-Paul II avait voulu cette Année Sainte surtout pour redonner de l’élan à l’évangélisation du monde.

Et là encore, le pontificat de Benoît XVI n’est rien d’autre que la mise en œuvre systématique de ce projet.

La « priorité » que le pape Ratzinger a choisie en tant que successeur de Pierre, on la connaît. Il l’a reformulée lui-même en ces termes dans la lettre qu’il a adressée le 10 mars 2009 aux évêques du monde entier :

« À notre époque où, dans de vastes régions de la terre, la foi risque de s’éteindre comme une flamme qui ne trouve plus à s’alimenter, la priorité qui prédomine est de rendre Dieu présent dans ce monde et d’ouvrir aux hommes l’accès à Dieu. Non pas à un dieu quelconque, mais à ce Dieu qui a parlé sur le Sinaï, à ce Dieu dont nous reconnaissons le visage dans l’amour poussé jusqu’au bout, en Jésus-Christ crucifié et ressuscité ».

Benoît XVI est tellement convaincu que conduire les hommes à Dieu est « la priorité suprême et fondamentale » de l’Église et du successeur de Pierre qu’il en a non seulement fait le centre de sa prédication mais qu’il en a tiré la décision de créer au sein de la curie romaine un dicastère expressément chargé de la « nouvelle évangélisation » des pays où la moderne éclipse de Dieu est la plus marquée.

Il a institué ce nouveau service le 30 juin dernier. Le même jour, il appelait à Rome, pour le charger du choix des futurs évêques dans le monde entier, le cardinal Marc Ouellet, théologien aux idées très proches des siennes mais qui a surtout une connaissance directe du Québec, l’une des régions de l’Occident dans lesquelles la déchristianisation s’est manifestée de la manière la plus forte et la plus soudaine.

L’automne dernier, revenant d’un voyage dans une autre des régions les plus déchristianisées, Prague et la Bohême, Benoît XVI a eu une autre idée : la création d’une « cour des Gentils » symbolique, sur le modèle de la cour ouverte aux païens dans l’ancien temple de Jérusalem, pour permettre l’ouverture d’un dialogue avec les hommes qui sont les plus éloignés de Dieu.

Ce projet est également en train de prendre forme. Le pape l’a confié à son ministre de la Culture, l’archevêque Gianfranco Ravasi. La « cour des Gentils » sera inaugurée à Paris, en mars 2011, en trois lieux volontairement choisis pour leur absence de connotation religieuse : la Sorbonne, l’Unesco et l’Académie française. D’importantes personnalités agnostiques et non-croyantes ont déjà exprimé leur intérêt pour ce projet, à commencer par la psychanalyste et sémiologue Julia Kristeva.

En ce qui concerne les jeunes générations, si aimées de Jean-Paul II qui créa pour elles les Journées Mondiales de la Jeunesse dont la plus grandiose édition fut justement celle du jubilé, Benoît XVI sait bien que c’est sur elles que repose en grande partie l’avenir de la foi en Occident.

Même en Italie, pays d’Europe où l’Église a encore une présence solide et étendue, on perçoit déjà des signes d’effondrement. Une enquête réalisée pour « Il Regno » par le professeur Paolo Segatti, de l’université de Milan, a mis en évidence le très net éloignement des gens nés après 1981 envers la pratique religieuse, la prière, la foi en Dieu et la confiance en l’Église.

Quand ces jeunes auront eux aussi des enfants, la transmission de la foi catholique aux futures générations connaîtra une coupure dramatique. La « cour des Gentils » devra leur faire place à eux aussi.

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« UN RETOUR AUX ORIGINES DU CHRISTIANISME »

Interview de Camillo Ruini

En l’an 2000, Camillo Ruini, cardinal-vicaire de Jean-Paul II, était son premier collaborateur à Rome et en Italie. Rien, dit-il, n’a été perdu de cette Année Sainte : « Le conseil pontifical pour la nouvelle évangélisation créé ces jours-ci par Benoît XVI en est la dernière grande relance ».

Q. – Éminence, qu’a été pour l’Église le jubilé de l’an 2000 ?

R. – Pour l’Église catholique, un moment d’une extraordinaire intensité, fortement voulu et soigneusement préparé par Jean-Paul II, en particulier à travers la lettre apostolique « Tertio millennio adveniente » qui a précisé le sens du jubilé et marqué les étapes de sa préparation. Dans l’esprit du concile Vatican II, il s’est agi d’un retour aux origines – c’est-à-dire d’un recentrage sur Jésus-Christ, cœur et source permanente de la foi et de la vie chrétienne, afin de proposer le même Christ aux hommes de notre temps – et donc de cette nouvelle évangélisation qui est l’âme du pontificat de Jean-Paul II comme de celui de Paul VI et avant tout du concile Vatican II. Par exemple, l’événement dans lequel j’ai été le plus impliqué, c’est-à-dire la Journée mondiale de la jeunesse à Tor Vergata, a été le sommet de la tentative d’évangéliser et de rapprocher du Christ les jeunes, qui sont le nouveau monde en train de naître. Mais beaucoup d’autres évènements qui ont caractérisé le grand jubilé – de la demande de pardon pour les péchés commis par des membres de l’Église à l’évocation des martyrs du XXe siècle – s’inscrivent dans la même perspective d’évangélisation à travers le retour aux sources du christianisme.

Q. – Et que reste-t-il de tout cela, dix ans après ?

Il reste le fond tout entier : rester ancrés au Christ et annoncer la foi en lui à tous les hommes, en la proposant intégralement, sans crainte et sans omissions. Bien sûr, on a l’impression qu’aujourd’hui la situation est moins favorable ; effectivement, à cette époque-là, certaines grandes difficultés ne nous apparaissaient pas encore ou en tout cas elles ne nous semblaient pas centrales comme c’est le cas aujourd’hui. Il suffit de penser au 11 septembre 2001 ou à l’irruption de ce que j’aime appeler la nouvelle question anthropologique, c’est-à-dire la grande question, le grand défi, de savoir ce qu’est l’homme : un simple épiphénomène de la nature ou l’être qui, tout en appartenant à la nature, la dépasse infiniment, avec toutes les conséquences qui découlent de l’une et l’autre alternatives ? Il est normal, du reste, que l’avenir soit imprévisible : par définition il nous est caché, mais il est également toujours ouvert ; il est le champ de la liberté de l’homme et, encore avant cela, celui de la liberté de Dieu, au-delà de tous les déterminismes qui existent pourtant dans la nature et dans l’histoire. Voilà pourquoi, dans les moments difficiles, le chrétien ne peut pas céder au désespoir ou à la résignation ; il doit plutôt approfondir sa conversion à Dieu et en tirer l’énergie nécessaire à un engagement plus fort.

Q. -  Jean-Paul II a demandé pardon à Dieu et au monde pour toute une série de fautes commises par les chrétiens dans le passé. Mais aujourd’hui les accusations contre les chrétiens sont encore plus violentes et plus ciblées. Que fait Benoît XVI ?

R. – Avec son initiative, Jean-Paul II a surpris même le monde ecclésial. Beaucoup de gens y ont vu un geste gratuit, pas nécessaire et potentiellement dangereux. Mais, par la suite, on a compris qu’il n’en était pas ainsi. Dans tous les cas, il a demandé pardon pour des fautes commises par les chrétiens dans le passé. Aujourd’hui, c’est différent. L’attention est focalisée sur des fautes qui ne sont pas d’hier mais d’aujourd’hui. Benoît XVI reconnaît les péchés commis actuellement et il en demande pardon d’abord à Dieu et ensuite à ses frères de l’Église et de l’humanité. Le pardon implique la volonté de réparer le mal causé aux victimes, il nécessite la foi et la conversion du cœur. Ce qui est différent, c’est l’attitude de ceux qui accusent l’Église pour la frapper, pas parce qu’ils ont une volonté positive de construire. Face à ces attaques, il faut de la force spirituelle, pas de la faiblesse. Maritain affirmait à juste titre que l’Église ne doit pas se mettre à genoux devant le monde.

Q. – Le jubilé a été un grand appel à la conversion des cœurs et à une auto-réforme de l’Église. En voit-on les fruits aujourd’hui ? Quelle réforme de l’Église Benoît XVI a-t-il en tête ?

R. – La réforme de l’Église que veut Benoît XVI n’est pas en premier lieu une réforme de structures extérieures, d’appareils. La vraie réforme concerne avant tout l’âme profonde de l’Église, sa relation avec Dieu. D’autre part le mot « auto-réforme » n’est pas le plus exact : l’Église ne peut agir toute seule. Elle doit se laisser modeler et réformer d’en haut, en prenant vie et forme grâce à l’Esprit de Dieu.

Q. – L’année jubilaire a aussi été celle de « Dominus Jesus », de la réaffirmation de Jésus comme unique sauveur du monde, d’un document qui a été très contesté. Était-il nécessaire ?

R. – Bien sûr. Il était nécessaire alors et il l’est encore aujourd’hui. À la rigueur, on pourrait dire que ce document est arrivé en retard parce que cela faisait déjà plusieurs décennies que des gens, y compris dans l’Église, mettaient en doute une vérité, à savoir que le Christ est l’unique sauveur, vérité qui est, pour ceux qui croient au Christ, fondamentale et je dirais même évidente, étant donné qu’elle fait partie du message chrétien originel. Le Nouveau Testament est tout entier centré sur ceci : en dehors de Jésus-Christ, il n’y a pas sous le ciel d’autre nom par lequel les hommes puissent être sauvés.

Q. – Mais le christianisme n’est pas crédible si les chrétiens se présentent au monde désunis. Qu’en est-il aujourd’hui de la démarche œcuménique de réconciliation entre les Églises ?

R. – En dix ans, beaucoup d’avancées ont été réalisées, en particulier avec les Églises orthodoxes et avec les Églises préchalcédoniennes d’Orient, toutes d’origine apostolique. Le bilan est moins positif avec les Églises issues de la réforme protestante. De ce côté-là, il y a deux difficultés principales. La première est que ces Églises s’éloignent progressivement du modèle apostolique quant à la façon de concevoir et de mettre en œuvre les ministères ecclésiastiques. La seconde concerne l’anthropologie, les questions sur la nature de l’homme, sur la bioéthique, sur la famille. Sur ces deux aspects, plusieurs communautés protestantes se sont lancées dans une démarche de modernisation apparente qui, en réalité, les éloigne de plus en plus du centre du christianisme.

Q. – Et avec les Juifs ? Et avec l’islam ? Jean-Paul II rêvait d’une rencontre des trois religions sur le Sinaï…

R. – Avec les Juifs, il y a certainement eu des progrès sur le fond, même si à certains moments ceux-ci ont été perturbés par des incompréhensions, des erreurs de procédure et des malentendus. Avec l’islam, par rapport au jubilé d’il y a dix ans, le contexte a été marqué par le 11 septembre 2001. Mais l’Église et certaines composantes de l’islam ont cherché et cherchent encore à surmonter cette fracture et à parvenir à une meilleure compréhension réciproque. La conviction commune est que nous avons tous le devoir de servir l’unité du genre humain, dans un monde qui devient de plus en plus petit et interdépendant, dans lequel nous avons de plus en plus besoin les uns des autres.

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