Archive pour la catégorie 'Saints, écrit'

“LETTRE AUX FIDÈLES” DE SAINT FRANÇOIS D’ASSISE

17 février, 2016

http://www.vatican.va/spirit/documents/spirit_20020120_lettera-francesco_fr.html

“LETTRE AUX FIDÈLES” DE SAINT FRANÇOIS D’ASSISE

Préparé par la Pontificale Faculté de Théologie « Saint Bonaventure » (Seraphicum).

« Au nom du Seigneur, Père et Fils , et Saint-Esprit. Amen. A tous les chrétiens religieux, clercs et laïcs, hommes ct femmes, tous ceux quï habitent dans le monde etitïer, frère François, leur serviteur et leur sujet, hommage avec révécrence, vraie païx du ciel et charité sincère dans le Seigneur. Puisque je suis le serviteur de tous, je suis tenu de vous servir tous et de vous administrer à tous les paroles odorantes de mon Seigneur. Aussi; considérant en esprit que je ne puis vous visiter chacun personnellement à cause de la maladie et de la faiblesse de mon corps, je me suis proposé de vous rapporter, par les présentes lettres et par ce message, les paroles de notre Seigneur Jésus-Christ, qui est la Parole du Père, et les paroles de l’Esprit-Saint, qui sont esprit et vie. Cette Parole du Père, si digne, si sainte et si glorieuse, le Père très haut l’envoya du ciel par saint Gabriel, son ange, dans le ventre de la sainte et glorieuse Vierge Marie ; c’est de son ventre que la Parole reçut la vraie chair de notre humanité et de notre fragilité. Lui qui fut riche par-dessus tout, il voulut lui-même dans le monde, avec la très bienheureuse Vierge, sa mère, choisir la pauvreté. Et près de la passion, il célébra la pâque avec ses disciples et, prenant le pain, il rendit grâces et le bénit et le rompit en disant : Prenez et mangez, ceci est mon corps. Et prenant le calice il dit Ceci est mon sang, celui de la nouvelle alliance, qui pour vous et pour beaucoup sera répandu en rémission des péchés. Ensuite il pria le Père, disant : Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi. Et sa sueur devint comme des gouttes de sang coulant jusqu’à terre. Il mit cependant sa volonté dans la volonté du d’ère, disant : Père, que ta volonté ta volonté soit faite, non comme je veux, mais comme tu veux. Et telle fut la volonté du Père: que son Fils béni et glorieux, qu’il nous donna et qui est né pour nous, s’offrît lui-même par son propre sang en sacrifice et en victime sur l’autel de la croix ; non pour lui par quï tout a été fait, mais pour nos péchés, nous laissant un exemple pour que nous suivions ses traces. Et il veut que tous nous soyons sauvés par lui et que nous le recevions avec notre coeur pur et notre corps chaste. Mais il en est peu qui veulent le recevoir et être sauvés par lui, bien que son joug soit suave et son fardeau léger. » De la “lettre aux fidèles” de Saint François d’Assise 

Priére : Dieu souverain et glorieux, illumine les ténèbres de mon coeur et donne-moi la foi droite, l’espérance certaine et la charité parfaite, le sens et la connaissance, Seigneur, pour que j’accomplisse ton commandement saint et véridique. Amen

LA JOIE PARFAITE SELON SAINT FRANÇOIS D’ASSISE

15 octobre, 2015

http://www.missa.org/joie_parfaite.php

LA JOIE PARFAITE SELON SAINT FRANÇOIS D’ASSISE

COMMENT SAINT FRANÇOIS, CHEMINANT AVEC FRÈRE LÉON, LUI EXPOSA CE QU’EST LA JOIE PARFAITE.

Comme saint François allait une fois de Pérouse à Sainte Marie des Anges avec frère Léon, au temps d’hiver, et que le froid très vif le faisait beaucoup souffrir, il appela frère Léon qui marchait un peu en avant, et parla ainsi : « O frère Léon, alors même que les frères Mineurs donneraient en tout pays un grand exemple de sainteté et de bonne édification, néanmoins écris et note avec soin que là n’est pas point la joie parfaite. »
Et saint François allant plus loin l’appela une seconde fois : « O frère Léon, quand même le frère Mineur ferait voir les aveugles, redresserait les contrefaits, chasserait les démons, rendrait l’ouïe aux sourds, la marche aux boiteux, la parole aux muets et, ce qui est un plus grand miracle, ressusciterait des morts de quatre jours, écris qu’en cela n’est point la joie parfaite. »
Marchant encore un peu, saint François s’écria d’une voix forte : « O frère Léon, si le frère Mineur savait toutes les langues et toutes les sciences et toutes les Écritures, en sorte qu’il saurait prophétiser et révéler non seulement les choses futures, mais même les secrets des consciences et des âmes, écris qu’en cela n’est point la joie parfaite. »
Allant un peu plus loin, saint François appela encore d’une voix forte : « O frère Léon, petite brebis de Dieu, quand même le frère parlerait la langue des Anges et saurait le cours des astres et les vertus des herbes, et que lui seraient révélés tous les trésors de la terre, et qu’il connaîtrait les vertus des oiseaux et des poissons, de tous les animaux et des hommes, des arbres et des pierres, des racines et des eaux, écris qu’en cela n’est point la joie parfaite. »
Et faisant encore un peu de chemin, saint François appela d’une voix forte : « O frère Léon, quand même le frère Mineur saurait si bien prêcher qu’il convertirait tous les fidèles à la foi du Christ, écris que là n’est point la joie parfaite. »
Et comme de tels propos avaient bien duré pendant deux milles, frère Léon, fort étonné, l’interrogea et dit : « Père, je te prie, de la part de Dieu, de me dire où est la joie parfaite. » et saint François lui répondit : « Quand nous arriverons à Sainte-Marie-des-Anges, ainsi trempés par la pluie et glacés par le froid, souillés de boue et tourmentés par la faim, et que nous frapperons à la porte du couvent, et que le portier viendra en colère et dira : « Qui êtes-vous ? » et que nous lui répondrons : « Nous sommes deux de vos frères », et qu’il dira : « Vous ne dites pas vrai, vous êtes même deux ribauds qui allez trompant le monde et volant les aumônes des pauvres ; allez-vous en » ; et quand il ne nous ouvrira pas et qu’il nous fera rester dehors dans la neige et la pluie, avec le froid et la faim, jusqu’à la nuit, alors si nous supportons avec patience, sans trouble et sans murmurer contre lui, tant d’injures et tant de cruauté et tant de rebuffades, et si nous pensons avec humilité et charité que ce portier nous connaît véritablement, et que Dieu le fait parler contre nous, ô frère Léon, écris que là est la joie parfaite.
Et si nous persistons à frapper, et qu’il sorte en colère, et qu’il nous chasse comme des vauriens importuns, avec force vilenies et soufflets en disant : « Allez-vous-en d’ici misérables petits voleurs, allez à l’hôpital, car ici vous ne mangerez ni ne logerez », si nous supportons tout cela avec patience, avec allégresse, dans un bon esprit de charité, ô frère Léon, écris que là est la joie parfaite.
Et si nous, contraints pourtant par la faim, et par le froid, et par la nuit, nous frappons encore et appelons et le supplions pour l’amour de Dieu, avec de grands gémissements, de nous ouvrir et de nous faire cependant entrer, et qu’il dise, plus irrité encore : « ceux-ci sont des vauriens importuns, et je vais les payer comme ils le méritent », et s’il sort avec un bâton noueux, et qu’il nous saisisse par le capuchon, et nous jette par terre, et nous roule dans la neige, et nous frappe de tous les noeuds de ce bâton, si tout cela nous le supportons patiemment et avec allégresse, en pensant aux souffrances du Christ béni, que nous devons supporter pour son amour, ô frère Léon, écris qu’en cela est la joie parfaite.
Et enfin, écoute la conclusion, frère Léon : au-dessus de toutes les grâces et dons de l’Esprit-Saint que le Christ accorde à ses amis, il y a celui de se vaincre soi-même, et de supporter volontiers pour l’amour du Christ les peines, les injures, les opprobres et les incommodités ; car de tous les autres dons de Dieu nous ne pouvons nous glorifier, puisqu’ils ne viennent pas de nous, mais de Dieu, selon que dit l’Apôtre : « Qu’as-tu que tu ne l’aies reçu de Dieu ? et si tu l’as reçu de lui, pourquoi t’en glorifies-tu comme si tu l’avais de toi-même ? ». Mais dans la croix de la tribulation et de l’affliction, nous pouvons nous glorifier parce que cela est à nous, c’est pourquoi l’Apôtre dit : « Je ne veux point me glorifier si ce n’est dans la croix de Notre-Seigneur Jésus Christ. »

À qui soit toujours honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen.

ÉCRITS DE SAINTE CLAIRE: TESTAMENT

11 août, 2015

http://fsi.voila.net/ecritsdeclaire.htm#Testament

ÉCRITS DE SAINTE CLAIRE: TESTAMENT

Au nom du Seigneur. Amen
1 La plus grande de toutes les grâces que nous avons reçues et que nous recevons chaque jour de notre grand Bienfaiteur, le Père des Miséricordes, celle dont nous devons lui être le plus reconnaissantes, c’est notre vocation ; et nous devons témoigner à Dieu d’autant plus de gratitude que l’état auquel il nous a appelées est plus grand et plus parfait. C’est pourquoi l’Apôtre dit : Prenez conscience de votre vocation !
2 Or, le Fils de Dieu s’est fait lui-même notre Voie et le bienheureux Père saint François, son amant authentique et son imitateur, nous l’a montrée et enseignée par sa parole et par ses exemples.
3 Nous devons donc, mes sœurs bien-aimées, considérer les immenses bienfaits dont Dieu nous a comblées, mais surtout ceux dont il a daigné nous favoriser par l’intermédiaire de son serviteur notre cher Père saint François, non seulement après notre entrée au monastère mais lors même que nous étions encore dans les vanités du monde.
4 En effet, au temps où le saint n’avait encore avec lui ni frère ni compagnon, presque aussitôt après sa conversion, au temps où il reconstruisait l’Église de Saint-Damien, visité là par le Seigneur et rempli de ses consolations, qui le décidèrent à quitter définitivement le monde, c’est alors que, dans la joie de l’Esprit Saint et avec le secours de ses lumières, il fit sur nous cette prophétie dont le Seigneur a réalisé ensuite l’accomplissement : du haut du mur de l’Église il s’adressait en français à quelques pauvres qui stationnaient là et il leur criait : « Venez, aidez-moi à travailler pour le monastère de Saint-Damien, parce qu’il viendra ici des religieuses dont la vie sainte et la renommée stimuleront les hommes à glorifier notre Père des cieux dans toute sa sainte Église ! « 
5 Nous avons donc bien sujet de considérer là l’immense bonté de Dieu à notre égard : dans sa bonté et son amour surabondants il a fait proclamer par son saint le choix qu’il porterait sur nous et l’appel qu’il nous adresserait. Et ce n’était pas seulement de nous que notre bienheureux Père prophétisait ainsi, mais encore de toutes celles qui nous suivront dans cette vocation sainte à laquelle le Seigneur nous a appelées.
6 Avec quel soin donc, avec quel élan passionné du corps et de l’âme ne devons-nous pas accomplir ce que nous demande Dieu notre Père, afin qu’avec sa grâce nous puissions lui rendre multiplié le talent que nous en avons reçu ! Multiplié, car ce n’est pas seulement pour les autres que Dieu nous a destinées à être des modèles et des miroirs, mais aussi pour chacune de nos sœurs afin qu’elles soient à leur tour des modèles et des miroirs pour ceux qui vivent dans le monde. Si donc le Seigneur nous a appelées à de si grandes choses : laisser voir en nous ce qui peut servir aux autres de modèle et d’exemple, nous avons la stricte obligation d’abord de bénir le Seigneur et de lui en reporter toute la gloire, et ensuite de nous rendre nous-mêmes toujours de plus en plus courageuses dans le Seigneur pour faire le bien. Si nous vivons ainsi, nous laisserons aux autres un noble exemple, et au prix d’un effort de bien courte durée nous acquerrons la récompense de la béatitude éternelle.
7 Après que le très haut Père des cieux eut daigné, par sa bonté et par sa grâce, projeter en mon cœur ses lumières et m’inspirer de faire pénitence selon l’exemple et l’enseignement de notre bienheureux Père François (c’était peu de temps après sa propre conversion), accompagnée des quelques sœurs que le Seigneur m’avait données dès le début de ma vie pour Dieu, je fis volontairement le vœu d’obéissance entre ses mains, selon la lumière et la grâce que le Seigneur nous avait accordées par la vie sainte et la doctrine de son serviteur.
8 Voyant que nous étions faibles et fragiles de corps et que pourtant ni les privations ni la pauvreté ni l’effort ni les épreuves ni l’austérité ni le mépris des gens du monde ne nous faisaient reculer, mais que nous y trouvions au contraire notre joie, à l’exemple des saints et des Frères Mineurs (lui-même et ses frères en furent fréquemment les témoins), le bienheureux François s’en réjouit fort et, dans son affection pour nous, il s’engagea à prendre de nous, par lui-même ou par son Ordre, un soin attentif et aussi prévenant pour nous que pour ses propres Frères.
9 Ainsi, par la volonté de Dieu et de notre bienheureux Père saint François, nous nous sommes transportées à l’Église de Saint-Damien pour y demeurer. Le Seigneur, dans sa bonté et par sa grâce, a augmenté là notre nombre, afin de réaliser ce qu’il avait prédit par son serviteur. Auparavant nous avions fait un court séjour dans un autre monastère.
10 Saint François nous écrivit ensuite une forme de vie et nous recommanda surtout de toujours persévérer dans la sainte pauvreté. Il ne s’est pas contenté, durant sa vie, de nous exhorter souvent, par ses sermons ou par ses exemples, à l’amour et à l’observance de la très sainte pauvreté ; mais il nous a, en outre, laissé plusieurs écrits nous suppliant de ne jamais nous écarter, après sa mort, de la vie de pauvreté, pas plus que le Fils de Dieu lui-même, tant qu’il vécut en ce monde, n’a voulu s’en écarter. Notre bienheureux Père François, d’ailleurs, suivant en cela les traces du Fils de Dieu, ne s’est jamais écarté non plus ni en parole ni en acte de la sainte pauvreté qu’il avait choisie pour lui et pour ses Frères.
11 Et moi, Claire, qui suis, bien qu’indigne, la servante du Christ et des sœurs du monastère de Saint-Damien, moi la petite plante du bienheureux Père, ayant considéré avec mes sœurs d’une part les exigences d’une telle vocation et les ordres d’un si grand fondateur, et d’autre part la faiblesse dont nous avions craint pour nous-mêmes les effets après la disparition de notre Père saint François qui était notre colonne, notre unique consolation après Dieu, notre seul appui, nous avons renouvelé plusieurs fois notre engagement à notre Dame la très sainte Pauvreté, afin qu’après ma mort les sœurs présentes ou à venir ne puissent jamais plus s’en écarter.
12 Et de même que j’ai toujours été attentive et passionnée pour observer et faire observer la sainte pauvreté que nous avions promise au Seigneur et à notre Père saint François, de même, que les autres abbesses qui me succéderont soient tenues de l’observer elles-mêmes et de la faire observer par leurs sœurs jusqu’à la fin. En outre, et pour plus de sûreté, j’ai pris soin de recourir au seigneur Pape Innocent, sous le règne duquel nous avons commencé, et à ses successeurs, pour faire confirmer par des privilèges successifs notre profession de très sainte pauvreté, et cela afin que nous ne nous en écartions jamais.
13 C’est pourquoi, à genoux et prosternée d’esprit et de corps, je recommande toutes mes sœurs, présentes et à venir, à notre Mère la sainte Église romaine, au Souverain Pontife, et spécialement au seigneur cardinal qui a été assigné comme Protecteur de l’Ordre des Frères Mineurs et à nous-mêmes ; je leur confie ce petit troupeau que le Seigneur notre Père a engendré dans sa sainte Église grâce à la parole et à l’exemple du bienheureux Père François ; pour l’amour du Seigneur qui est né pauvre dans la crèche, qui a vécu pauvre sur terre et qui est resté nu sur la croix, je leur demande de toujours guider ce petit troupeau sur les traces de la pauvreté et de l’humilité du Fils de Dieu et de la glorieuse Vierge sa Mère, de toujours lui faire observer la sainte pauvreté que nous avons promise à Dieu et à notre bienheureux Père François, enfin de bien vouloir toujours l’aider et le maintenir dans cette voie
14 Et de même que le Seigneur nous a donné notre bienheureux Père François comme Fondateur, comme « jardinier » et comme secours dans le service du Christ et en ce qui concerne ce que nous avons promis à Dieu et à notre bienheureux Père qui a mis tant de soin, par ses paroles et par ses œuvres, à nous cultiver et à nous faire grandir, nous sa petite plantation, de même, maintenant, je remets et recommande mes sœurs, présentes et à venir, au successeur du bienheureux François et à tous les Frères de son Ordre, afin qu’ils nous aident à toujours avancer plus loin dans le service de Dieu et surtout à mieux observer la très sainte pauvreté.
15 Et s’il arrivait un jour à mes sœurs de quitter ce couvent et d’aller s’établir ailleurs, qu’elles soient tenues néanmoins, partout où elles se trouveront après ma mort, d’observer la même forme de pauvreté telle que nous l’avons promise à Dieu et à notre bienheureux Père François.
16 Que celle qui en a la charge, et toutes les sœurs aient toujours bien soin de n’acquérir ou de n’accepter de terrain autour du couvent qu’autant que le besoin s’en fera sentir pour la récolte des légumes. Et s’il fallait un jour, pour les convenances ou l’isolement du monastère prendre davantage de terrain au-delà du potager, qu’on n’en prenne pas plus que l’extrême nécessité le requiert ; et que cette terre ne soit ni travaillée ni ensemencée mais qu’elle reste toujours inculte et en friche.
17 J’avertis et j’exhorte, en notre Seigneur Jésus-Christ, toutes mes sœurs, présentes et à venir, d’avoir à suivre toujours la voie de la sainte simplicité, de l’humilité et de la pauvreté, d’avoir aussi à mener une vie sainte et édifiante, selon les enseignements que, dès le début de notre conversion au Christ, nous a prodigués notre bienheureux Père François. Ces vertus, en effet, sans qu’il y ait mérite de notre part mais par la seule miséricorde et la grâce de Celui qui en est l’auteur, le Père des Miséricordes, doivent répandre partout le parfum de notre bonne réputation, aussi bien pour ceux qui sont au loin que pour ceux qui nous entourent.
18 Aimez-vous les unes les autres de l’amour dont le Christ vous a aimées ; cet amour que vous possédez à l’intérieur de vos âmes, manifestez-le au dehors par des actes afin que, stimulées par cet exemple, toutes les sœurs grandissent toujours dans l’amour de Dieu et dans l’amour les unes des autres.
19 Je prie aussi celle qui sera chargée des sœurs, de s’étudier à être la première par la vertu et la sainteté de sa vie plus que par sa charge, afin que les sœurs, stimulées par son exemple, lui obéissent plus par affection que par devoir. Qu’elle ait pour ses sœurs la prévoyance et le discernement d’une mère pour ses filles, et qu’elle soit bien attentive à pourvoir chacune selon les besoins qui lui sont propres, au moyen des aumônes envoyées par le Seigneur. Qu’elle soit en outre si bienveillante et si avenante pour toutes, que les sœurs puissent en toute sécurité s’ouvrir à elle de leurs nécessités et recourir à elle à chaque instant avec confiance, comme il leur semblera opportun, tant pour elles-mêmes que pour leurs sœurs.
20 Mais que, de leur côté, les sœurs qui lui sont soumises se souviennent que pour le Seigneur elles ont renoncé à leur volonté propre. Je veux donc qu’elles obéissent à leur Mère comme elles l’ont promis au Seigneur volontairement et spontanément, afin que leur Mère, à la vue de l’amour, de l’humilité et de l’union qui régneront entre elles, puisse porter plus allègrement le fardeau de sa charge et que leur sainte vie change pour elle en douceur ce qui autrement lui serait pénible et amer.
21 Mais le chemin qui mène à la vie est étroit, et la porte qui nous y donne accès est étroite elle aussi ; c’est pourquoi il y en a peu qui empruntent ce chemin. Et parmi ceux qui, durant un certain temps, y ont cheminé, il y en a encore bien moins qui y persévèrent. Mais, bienheureux ceux auxquels il a été donné d’y marcher et d’y persévérer jusqu’à la fin !
22 Nous donc, après nous être engagées dans la voie du Seigneur, prenons bien garde de ne jamais nous en écarter d’aucune manière par notre faute, par négligence ou par ignorance, car, ce faisant, nous porterions atteinte à un si grand Seigneur, à la Vierge sa Mère, à notre bienheureux Père François, à l’Église triomphante et même à l’Église militante. Il est écrit en effet : Maudits soient ceux qui s’écartent de vos commandements !
23 C’est pourquoi je fléchis les genoux devant le Père de notre Seigneur Jésus-Christ afin que, en considération des mérites de la glorieuse Vierge Marie, sa Mère, de notre bienheureux Père François et de tous les saints, le Seigneur qui nous a donné la grâce de bien commencer nous donne aussi de nous épanouir en lui et de persévérer jusqu’à la fin. Amen.
24 Je vous laisse cet écrit, mes sœurs bien-aimées, présentes et à venir, avec l’espoir que vous l’observerez de votre mieux et comme un signe tangible de la bénédiction du Seigneur, de la bénédiction de notre bienheureux Père saint François, et de la bénédiction que je vous donne, moi, votre Mère et votre servante. Amen.

LA RÈGLE DE SAINT BENOÎT

10 juillet, 2014

http://abbaye-fleury.com/la-reacutegle.html

LA RÈGLE DE SAINT BENOÎT

(Sur le site tout au long de la Règle de saint Benoît)

PROLOGUE

Écoute, ô mon fils, ces préceptes de ton maître et tends l’oreille de ton cœur. Cette instruction de ton père qui t’aime, reçois-la cordialement et mets-la en pratique effectivement. Ainsi tu reviendras par le labeur de l’obéissance, à celui dont tu t’étais éloigné par la lâcheté de la désobéissance. A toi donc, quel que tu sois, s’adresse à présent mon discours, à toi qui, abandonnant tes propres volontés pour servir le Seigneur Christ, le roi véritable, prends les armes très puissantes et glorieuses de l’obéissance.
Avant tout, quand tu commences à faire quelque bien, demande-lui très instamment, dans la prière, de le conduire à sa perfection, afin que celui qui a daigné nous mettre au nombre de ses fils, n’ait jamais à se fâcher de nos mauvaises actions. En tout temps, en effet, il nous faut lui obéir au moyen des biens qu’il met en nous, de sorte que non seulement, tel un père irrité, il ne vienne jamais à déshériter ses fils, mais aussi que, tel un maître redoutable, courroucé de nos méfaits, il ne nous livre pas au châtiment perpétuel, comme des serviteurs détestables qui n’auraient pas voulu le suivre jusqu’à la gloire
Levons-nous donc enfin, puisque l’Écriture nous éveille en disant :  » L’heure est venue de nous lever du sommeil « , et les yeux ouverts à la lumière de Dieu, écoutons d’une oreille attentive d’une oreille attentive ce que la voix divine nous montre par ses appels quotidiens :  » Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs  » ; et encore :  » Qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende ce que l’Esprit dit aux Églises.  » Et que dit-il ?  » Venez, mes fils, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte du Seigneur. Courez, pendant que vous avez la lumière de la vie, de peur que les ténèbres de la mort ne vous enveloppent. »
Et se cherchant un ouvrier dans la foule du peuple à laquelle il lance cet appel, le Seigneur dit de nouveau :  » Quel est l’homme qui désire la vie et désire voir des jours heureux ?  » Si, en entendant cela, tu réponds :  » Me voici ! « , Dieu te dit :  » Si tu veux avoir la vie véritable et perpétuelle, interdis le mal à ta langue et que tes lèvres ne prononcent point la tromperie. Évite le mal et fais le bien, cherche la paix et poursuis-la. Et quand vous aurez fait cela, j’aurai les yeux sur vous et je prêterai l’oreille à vos prières, et avant que vous m’invoquiez, je dirai : me voici !  » Quoi de plus doux que cette voix du Seigneur qui nous invite, frères bien-aimés ? Voici que, dans sa bonté, le Seigneur nous montre le chemin de la vie.
Ceignant donc nos reins de la foi et de l’accomplissement des bonnes actions, avançons sur ses voies, sous la conduite de l’évangile, afin de mériter de voir celui qui nous a appelés à son royaume.
Si nous voulons habiter dans la demeure de ce royaume, on ne saurait y parvenir, à moins d’y courir par de bonnes actions. Mais interrogeons le Seigneur avec le prophète, en lui disant :  » Seigneur, qui habitera dans ta demeure, et qui reposera sur ta montagne sainte ?  » Cette question posée, frères, écoutons le Seigneur nous répondre et nous montrer le chemin de cette demeure, en disant :  » C’est celui qui marche sans se souiller et accomplit ce qui est juste ; qui dit la vérité dans son cœur, qui n’a pas commis de tromperie par sa langue ; qui n’a pas fait de mal à son prochain, qui n’a pas laissé l’injure atteindre son prochain ; qui, lorsque le malin, le diable, lui suggérait quelque chose, l’a repoussé loin des regards de son cœur, lui et sa suggestion, l’a réduit à néant et, s’emparant de ses rejetons – les pensées qu’il lui inspirait -, les a écrasés contre le Christ. Ce sont ceux-là qui, craignant le Seigneur, ne s’enorgueillissent pas de leur bonne observance, mais qui, estimant que ce qui est bon en eux ne peut être leur propre œuvre, mais celle du Seigneur, magnifient le Seigneur qui opère en eux, en disant avec le prophète :  » Non pas à nous, Seigneur, non pas à nous, mais à ton nom rends gloire ! « , de même que l’apôtre Paul, lui non plus, ne s’attribuait rien de sa prédication et disait :  » C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis.  » Et il dit encore :  » Celui qui se glorifie, qu’il se glorifie dans le Seigneur. « 
De là aussi cette parole du Seigneur dans l’Évangile :  » Celui qui écoute ce que je viens de dire et le met en pratique, je le comparerai à un homme sage qui a bâti sa maison sur le pierre. Les eaux sont venues, les vents ont soufflé et ont heurté cette maison, et elle n’est pas tombée parce qu’elle était fondée sur la pierre. « 
Achevant ainsi son discours, le Seigneur attend que nous répondions chaque jour par des actes aux saints enseignements qu’il vient de nous donner. Voilà pourquoi les jours de cette vie nous sont accordés comme un sursis en vue de l’amendement de notre mauvaise conduite, selon le mot de l’Apôtre :  » Ne sais-tu pas que la patience de Dieu te conduit à la pénitence ?  » Car le Seigneur dit dans sa bonté :  » Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive. « 
Nous avons donc interrogé le Seigneur, frères, au sujet de celui qui habitera dans sa demeure, et nous avons entendu le précepte donné pour y habiter, mais pourvu que nous remplissions les devoirs incombant à l’habitant. Il nous faut donc tenir nos cœurs et nos corps prêts à servir sous la sainte obéissance due aux préceptes. Et pour ce que la nature en nous trouve impossible, prions le Seigneur d’ordonner au secours de sa grâce de nous l’accorder. Et si, fuyant les châtiments de la géhenne, nous voulons parvenir à la vie perpétuelle, tandis qu’il en est encore temps et que nous sommes en ce corps et qu’il reste le temps d’exécuter tout cela à la lumière de cette vie, il nous faut à présent courir et accomplir ce qui nous profitera pour toujours.
Il nous faut donc instituer une école pour le service du Seigneur. En l’organisant, nous espérons n’instituer rien de dur, rien de pesant. Si toutefois une raison d’équité commandait d’y introduire quelque chose d’un peu strict en vue d’amender les vices et de conserver la charité, ne te laisse pas aussitôt troubler par la crainte et ne t’enfuis pas loin de la voie du salut, qui ne peut être qu’étroite au début. Mais en avançant dans la vie religieuse et la foi,  » le cœur se dilate et l’on court sur la voie des commandements  » de Dieu avec une douceur d’amour inexprimable. Ainsi, n’abandonnant jamais ce maître, persévérant au monastère dans son enseignement jusqu’à la mort, nous partagerons les souffrances du Christ par la patience, afin de mériter de prendre place en son royaume. Amen

LA JOIE PARFAITE – SAINT FRANÇOIS

3 octobre, 2013

http://www.diquipassofrancesco.it/Fr/LAJOIEPARFAITE.html

(DU SITE: FRANÇOIS EST PASSE ICI)

Dans les Fioretti il est une page que les pèlerins peuvent faire leur comme une “Trace” de l’attitude juste du “Cœur pèlerin”. C’est une page qui peut être considérée comme dure et extrême, ou bien lue comme une invitation à la légèreté et à une attitude de transformation positive de tout ce qui nous arrive sur le chemin et dans la vie ; ce texte perd ainsi son côté « quasi masochiste ».

LA JOIE PARFAITE

En allant par les chemins saint François et frère Léon, discutaient de ce qui amène à la joie parfaite.

Comme saint François allait une fois de Pérouse à Sainte-Marie des Anges avec frère Léon, au temps d’hiver, et que le froid très vif le faisait beaucoup souffrir, il appela frère Léon qui marchait un peu en avant, et parla ainsi : « O frère Léon, alors même que les frères Mineurs donneraient en tout pays un grand exemple de sainteté et de bonne édification, néanmoins écris et note avec soin que là n’est pas la joie parfaite.» Et saint François, allant plus loin, l’appela une deuxième fois : « O frère Léon, quand même le frère Mineur ferait les aveugles voir, redresserait les contrefaits, chasserait les démons, rendrait l’ouïe aux sourds, le marcher aux boiteux, la parole aux muets, et, ce qui est plus grand miracle, ressusciterait des morts de quatre jours, écris qu’en cela n’est point la joie parfaite. » Marchant encore un peu, saint François s’écria d’une voix forte : « O frère Léon, si le frère Mineur savait toutes les langues et toutes les sciences et toutes les Ecritures, en sorte qu’il saurait prophétiser et révéler non seulement les choses futures, mais même les secrets des consciences et des âmes, écris qu’en cela n’est point la joie parfaite. » Allant un peu plus loin, saint François appela encore d’une voix forte : « O frère Léon, petite brebis de Dieu, quand même le frère Mineur parlerait la langue des Anges et saurait le cours des astres et les vertus des herbes, et que lui seraient révélés tous les trésors de la terre, et qu’il connaîtrait les vertus des oiseaux et des poissons, de tous les animaux et des hommes, des arbres et des pierres, des racines et des eaux, écris qu’en cela n’est point la joie parfaite. » Et faisant encore un peu de chemin, saint François appela d’une voix forte : « O frère Léon, quand même le frère Mineur saurait si bien prêcher qu’il convertirait tous les fidèles à la foi du Christ, écris que là n’est point la joie parfaite. »
Et comme de tels propos avaient bien duré pendant deux milles, frère Léon, fort étonné, l’interrogea et dit : « Frère, je te prie, de la part de Dieu, de me dire où est la joie parfaite. » Et saint François lui répondit : « Quand nous arriverons à Sainte-Marie des Anges, ainsi trempés par la pluie et glacés par le froid, souillés de boue et tourmentés par la faim, et que nous frapperons à la porte du couvent, et que le portier viendra en colère et dira : « Qui êtes-vous ? » et que nous lui répondrons: « Nous sommes deux de vos frères », et qu’il dira : « Vous ne dites pas vrai, vous êtes même deux ribauds qui allez trompant le monde et volant les aumônes des pauvres ; allez-vous-en » ; et quand il ne nous ouvrira pas et qu’il nous fera rester dehors dans la neige et dans la pluie, avec le froid et la faim, jusqu’à la nuit, alors si nous supportons avec patience, sans trouble et sans murmurer contre lui, tant d’injures et tant de cruauté et tant de rebuffades, et si nous pensons avec humilité et charité que ce portier nous connaît véritablement, et que Dieu le fait parler contre nous, ô frère Léon, écris que là est la joie parfaite. Et si nous persistons à frapper, et qu’il sorte en colère, et qu’il nous chasse comme des vauriens importuns, avec force vilenies et soufflets, en disant : « Allez-vous-en d’ici, misérables petits voleurs, allez à l’hôpital car ici vous ne mangerez ni ne logerez », si nous supportons tout cela avec patience, avec allégresse, dans un bon esprit de charité, ô frère Léon, écris que là est la joie parfaite. Et si nous, contraints pourtant par la faim, et par le froid, et par la nuit, nous frappons encore et appelons et supplions pour l’amour de Dieu, avec de grands gémissements, de nous ouvrir et de nous faire cependant entrer, et qu’il dise, plus irrité encore : « Ceux-ci sont des vauriens importuns, et je vais les payer comme ils le méritent », et qu’il sorte avec un bâton noueux, et qu’il nous saisisse par le capuchon, et nous jette à terre, et nous roule dans la neige, et nous frappe de tous les nœuds de ce bâton, si tout cela nous le supportons patiemment et avec allégresse, en pensant aux souffrances du Christ béni, que nous devons supporter pour son amour, ô frère Léon, écris qu’en cela est la joie parfaite. Et enfin, écoute la conclusion, frère Léon : au-dessus de toutes les grâces et dons de l’Esprit Saint que le Christ accorde à ses amis, il y a celui de se vaincre soi-même, et de supporter volontiers pour l’amour du Christ les peines, les injures, les opprobres et les incommodités ; car de tous les autres dons de Dieu nous ne pouvons nous glorifier, puisqu’ils ne viennent pas de nous, mais de Dieu, selon que dit l’Apôtre : « Qu’as-tu que tu ne l’aies reçu de Dieu ? Et si tu l’as reçu de lui, pourquoi t’en glorifies-tu comme si tu l’avais de toi-même ? ». Mais dans la croix de la tribulation et de l’affliction, nous pouvons nous glorifier parce que cela est à nous, c’est pourquoi l’Apôtre dit : « Je ne veux point me glorifier si ce n’est dans la croix de Notre Seigneur Jésus Christ. »
A qui soit toujours honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen.

Fioretti di San Francesco  n° 1836 – 42922

On peut rapprocher ce texte de la
Lettre de saint Jacques 1,2-4

« Tenez pour une joie suprême, mes frères, d’être en butte à toutes sortes d’épreuves. Vous le savez : bien éprouvée, votre foi produit la constance ; mais que la constance s’accompagne d’une oeuvre parfaite, afin que vous soyez parfaits, irréprochables, ne laissant rien à désirer. » 

LES PSAUMES DE SAINT FRANÇOIS

2 octobre, 2013

http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/Fdassise/psaumes.html

LES PSAUMES DE SAINT FRANÇOIS

(15 Psaumes sur le site)

PSAUME 1

Mon Dieu, je t’ai dit toutes les peines de ma vie,
tu sais combien de larmes j’ai versées.

Mes ennemis s’acharnent à me perdre,
contre moi ils assemblent leur conseil.

A mes bienfaits ils ne répondent que par le mal,
à mon amour que par la haine.

Je suis en butte à l’indifférence et aux sarcasmes,
mais je reste fidèle à la prière.

Père saint, roi du ciel et de la terre,
ne t’éloigne pas de moi,
car l’épreuve m’accable
et personne pour me secourir!

Mais l’ennemi reculera quand je t’invoquerai,
car, je le sais, tu es mon Dieu.

Mes ennemis ont déserté mon foyer,
mes plus proches fuient le seuil de ma maison.

Mes amis se détournent de moi,
je suis trahi sans pouvoir me disculper.

Père saint, n’éloigne pas de moi ton aide,
ô mon Dieu, viens à mon secours!

Accours vite à mon aide,
Seigneur, ô Dieu mon Sauveur!

PSAUME 2

Seigneur, Dieu de mon salut,
je crie le jour et la nuit devant toi.

Que ma supplication parvienne jusqu’à toi,
prête l’oreille à ma prière.

Ecoute mon âme et délivre-la,
à l’Ennemi arrache-moi!

C’est toi qui m’as fait naître,
toi mon espoir dès le premier jour,
à ma naissance c’est toi qui m’as reçu.

Dès le sein de ma mère, mon Dieu c’est toi,
ne t’éloigne jamais de moi!

Toi seul connais ma honte et mes affronts,
mes outrages et ma confusion.

Tu vois la meute de mes insulteurs,
tu vois mon coeur accablé par le mépris.

J’attends la compassion; personne n’y prend garde,
je cherche un consolateur et je n’en trouve pas.

O Dieu, des impies se sont levés contre moi,
une bande de forcenés pourchasse mon âme.

On me considère déjà comme au tombeau,
comme un homme fini, vivant parmi les morts.

Mais toi tu es mon Père très saint,
tu es mon Roi, tu es mon Dieu.

Accours vite à mon aide,
Seigneur, ô Dieu mon Sauveur.

PSAUME 3

Pitié pour moi, mon Dieu, pitié pour moi,
mon âme se confie en toi.

A l’ombre de tes ailes je m’abrite,
tant que dure le fléau.

Je crie vers mon Père, le Très-Saint, le Très-Haut,
vers Dieu qui a tant fait pour moi.

C’est lui qui, du ciel, m’a secouru et m’a sauvé,
qui a refoulé ceux qui me harcelaient.

Il a déployé sa force et sa vérité,
il m’a arraché à la haine de l’Ennemi.

Ils avaient tendu un piège devant mes pas,
ils avaient fait plier mon âme.

Ils avaient creusé une trappe devant moi,
eux-mêmes sont tombés dedans.

Mon coeur est prêt, ô Dieu, mon coeur est prêt,
je veux chanter et psalmodier.

Eveille-toi, ma gloire, éveille-toi, harpe et cithare,
que j’éveille l’aurore.

Je veux te louer parmi les peuples, Seigneur,
et te chanter un psaume parmi les nations.

Car ton amour est aussi vaste que l’univers,
ta fidélité, plus haute que les cieux.

Sois loué, ô Dieu, tout là-haut dans les cieux,
et que ta gloire rayonne sur toute la terre.

PSAUME 4

Pitié pour moi, ô Dieu, car on me foule aux pieds,
tout le jour on m’accable d’injures et de coups.

Mes ennemis, me piétinent tout le jour,
ils sont nombreux, mes assaillants.

Mes ennemis ne songent qu’à me torturer,
ils lancent leurs mensonges contre moi.

Ils en veulent à ma vie,
ils se sont réunis en conseil.

Ils se sont retirés à l’écart,
afin de comploter entre eux.

Tous les passants me voient et se moquent de moi,
ils ricanent et hochent la tête.

Et moi je suis un ver et non un homme,
honte du genre humain et le rebut du peuple.

Après mes ennemis,
mes voisins me prennent en dégoût,
mes amis me traitent comme un objet d’effroi.

Père saint, n’éloigne pas de moi ton aide,
ô Dieu, veille à me secourir!

Accours, vite à mon aide,
Seigneur, ô Dieu mon Sauveur.

PSAUME 5

De toute ma voix je crie vers Dieu,
de toute ma voix j’implore le Seigneur.

Je répands devant lui ma plainte,
devant lui j’expose ma détresse.

Je crains que mon esprit s’égare,
mais toi, ô Dieu, tu connais mon chemin.

Sur la route où je marche,
ils m’ont tendu un piège.

Jette les yeux autour de moi et vois,
pas un qui me connaisse!

Il n’y a point de refuge pour moi,
personne pour me délivrer.

C’est pour toi que j’ai supporté l’injure,
pour toi la honte a couvert mon visage.

Je suis devenu pour mes frères un étranger,
un inconnu pour les fils de ma mère.

Père saint, le zèle de ta maison me dévorait,
mais tes ennemis se sont ligués contre moi.

Ils se sont assemblés pour se moquer de moi,
leur fouet s’est abattu sur moi, et moi j’ai pardonné.

Plus nombreux que les cheveux de ma tête,
sont ceux qui me haïssent sans raison.

Ils ont gagné, mes injustes persécuteurs
il m’a fallu payer jusqu’aux dettes d’autrui.

De faux témoins se sont levés contre moi,
ils m’ont chargé de crimes que j’ignorais.

Ils m’ont rendu le mal pour le bien,
et m’ont calomnié parce que je les aimais.

Tu es mon Père, le Très-Saint, le Très-Haut,
tu es mon Roi, tu es mon Dieu.

Accours vite à mon aide,
Seigneur, ô Dieu mon Sauveur.

PSAUME 6

Vous qui passez sur le chemin,
arrêtez-vous et regardez,
et voyez s’il est une douleur pareille à ma douleur.

Des chiens nombreux me cernent,
une bande de vauriens m’assiège.

Ils me toisent, ils me dévisagent,
ils ont partagé mes vêtements, tiré ma robe au sort.

Ils ont percé mes mains, mes pieds,
ils ont compté tous mes os.

Ils ont ouvert la bouche et hurlé contre moi,
comme des lions qui rugissent et déchirent.

Je sens la vie s’écouler hors de moi comme l’eau,
tous mes os sont disloqués.

Mon coeur s’est amolli comme la cire,
il fond au milieu de ma poitrine.

Ma force se dessèche comme terre cuite au four,
ma langue colle à mon palais.

Pour nourriture ils m’ont fait goûter le fiel,
et dans ma soif ils m’ont abreuvé de vinaigre.

Ils m ont couché dans la poussière de la mort,
ils ont mis le comble à la douleur de mes blessures.

Je me suis endormi… Mais je suis ressuscité,
mon Père très saint m’a reçu dans sa gloire.

Père saint, tu m’as pris par la main droite,
tu m’as accueilli dans ta gloire.

Quelle est ma récompense dans le ciel, sinon toi ?
et sur la terre que puis-je vouloir d’autre que toi ?

Voyez, voyez, je suis Dieu, dit le Seigneur,
je serai exalté parmi les peuples, exalté sur la terre.

Béni soit le Seigneur, Dieu d’Israël
qui rachète nos âmes par son sang très saint,
il n’abandonne aucun de ceux qui espèrent en lui.

Et nous savons qu’il reviendra,
il fera régner la justice sur la terre.

PSAUME 7

Toutes les nations, applaudissez!
Acclamez Dieu, éclatez en cris de joie!

Car il est le Seigneur, le Redoutable, le Très-Haut,
le Puissant, le Roi de l’univers.

Il est notre Père très saint, notre Roi,
qui, dès avant la création du monde,
envoya son Fils bien-aimé
pour faire don du salut à la terre.

Que les cieux se réjouissent et que la terre exulte,
que jubile la mer avec ses habitants,
que fleurissent les plaines et chantent les forêts!

Chantez-lui un cantique nouveau,
chantez le Seigneur, terre entière!

Car le Seigneur est grand et digne de louange,
devant lui disparaissent toutes les idoles.

Peuples païens, reconnaissez le Seigneur,
rendez-lui honneur et louange,
reconnaissez la gloire de son nom.

Faites don de vous-mêmes,
et vous aussi portez sa croix,
obéissez jusqu’au bout à ses commandements.

Que tout l’univers tremble devant sa face,
dites à tous les peuples: Le Seigneur règne par la Croix!

Le jour de l’ascension, on ajoute ces deux versets.

Il est monté aux cieux, il siège à la droite du Père,
ô Dieu, sois glorifié dans les cieux,
et que ta gloire rayonne sur la terre!

Et nous savons qu’il reviendra,
il fera régner la justice sur la terre.

PRIER LES PSAUMES AVEC SAINT AUGUSTIN

27 août, 2013

http://www.assomption.org/fr/spiritualite/saint-augustin/prier-les-psaumes-avec-saint-augustin

PRIER LES PSAUMES AVEC SAINT AUGUSTIN

De sa conversion à sa mort, la prière des psaumes a rythmé toute la vie de saint Augustin. Nous sommes invités à les reprendre pour vivre selon l’esprit du Christ.
Dès sa conversion, en 386, Augustin s’est mis à prier les psaumes. Quand il les découvre, il explose de joie. « Quels cris, mon Dieu, j’ai poussés vers toi en lisant les psaumes de David, chants de foi, accents de piété où n’entre aucune enflure d’esprit! » Il voudrait aussitôt faire partager sa découverte, en particulier aux manichéens, une secte dont il fut un adepte pendant neuf ans. Ces derniers n’avaient que mépris pour tout ce qui venait de l’Ancien Testament, où ils voyaient à l’oeuvre un Dieu mauvais. « J’aurais voulu qu’ils se fussent trouvés là, et qu’ils aient regardé mon visage et entendu mes cris! » Désormais, le chant des psaumes rythme sa vie de chrétien, puis de moine. Bientôt, il entreprendra le commentaire intégral des 150 psaumes.
Le sens caché des psaumes
Il faut revenir en arrière. Le premier contact d’Augustin avec les Écritures fut décevant. Ce fut un é chec. Il avait alors 18 ans. Il avouera plus tard qu’à cette époque, « il n’en pénétra pas l’intérieur ». Autrement dit, il s’en tenait à la lettre, au lieu d’aller au sens spirituel. Il avait abordé le texte seul, avec tous les préjugés d’un esprit rationnaliste. Il devait rejeter avec les manichéens non seulement tout l’Ancien Tesstament, mais encore ne retenir du Nouveau Testament qu’une partie, car, selon les manichéens, bien des pages y auraient été falsifiées, « dans le dessein d’introduire la loi judaïque dans la foi chrétienne ».
Le tournant se produit à Milan. C’est l’évêque Ambroise qui lui donne la véritable clef de lecture des Écritures. Cette clef, qui vient de saint Paul, s’énonce ainsi: la lettre tue, mais l’esprit vivifie (2 Co 3, 6). Pour Augustin, c’est une libération: « Dans des textes qui semblaient à la lettre contenir une doctrine perverse, il (Ambroise) soulevait le voile mystique et découvrait un sens spirituel.» C’est ainsi qu’à propos du psaume 134, Augustin écrit: « Tous ces faits, nous les avons vus, reconnus et loués, pris à la lettre et tels qu’ils sont écrits dans les livres saints. Mais ils ont un sens caché ».

Le Christ est la clef des psaumes
Les psaumes sont le véritable lieu de respiration spirituelle du chrétien.
C’est selon cette distinction entre sens littéral et sens caché qu’il va lire, prier, interpréter les psaumes. Mais le sens caché des psaumes est multiple. Plusieurs sont possibles et légitimes. Si l’Écriture est une « forêt de symboles », pour Augustin, sa vérité ultime est pourtant le Christ, selon le mot de saint Paul: « la fin de la loi, c’est le Christ! » (Rm 10, 4) « Toute notre attention doit donc s’attacher, quand nous entendons chanter un psaume […], à voir là le Christ, à comprendre là le Christ.» (Ps 98, 1). Le principe qui guide Augustin est le suivant : le Nouveau Testament est caché dans l’Ancien et l’Ancien dévoilé dans le Nouveau! Ce principe de lecture lui permet de résoudre bien des difficultés.
Prenons un psaume d’imprécation contre Babylone. On lit au Ps. 136: « Heureux qui saisira tes petits enfants pour les broyer contre le roc! ». Comment ne pas être choqué? Peut-on souhaiter un malheur à des enfants innocents! La liturgie actuelle a simplement supprimé ces passages. Augustin ne supprime rien: on ne touche pas à la parole de Dieu! Au sens littéral, le psaume est certes en contradiction avec l’Évangile. Mais écartant l’interprétation littérale, Augustin suggère une interprétation spirituelle. Que sont les petits enfants sinon nos passions à l’état naissant? Le psaume invite à les tuer dès qu’elles apparaissent. Comment? En les jetant contre ce roc qu’est le Christ.

Un miroir de la vie chrétienne
Bien compris, les psaumes sont la prière par excellence du chrétien
Bien compris, les psaumes sont la prière par excellence du chrétien. Chacun peut les reprendre et faire sien leur contenu. Ils expriment toutes les attitudes spirituelles: « Louez Dieu avec nous par ces paroles; si le psaume demande, demandez ; s’il gémit, gémissez; s’il remercie, réjouissez-vous; s’il espère, espérez et s’il exprime des sentiment de crainte, craignez. Car tout ce qui est écrit ici est notre miroir. » (Ps 30). En reprenant les paroles des psaumes, nous sommes assurés de prier avec les mots mêmes de Dieu, puisqu’ils sont inspirés. On trouve dans les psaumes tout ce qui fait la vie humaine, ses joies et ses tristesses.
Les psaumes permettent à Augustin d’évoquer aussi ce qui fait alors l’actualité de l’Église en Afrique. Par exemple, quand le psaume 32, invoque la miséricorde du Seigneur, Augustin l’actualise en invitant les chrétiens à être miséricordieux à leur tour, sans exclure personne, ni les païens, ni les donatistes séparés de l’Église. « Bon gré, mal gré, ils sont nos frères. Ils cesseraient d’être nos frères s’ils cessaient de dire: Notre Père»!
Augustin va dès lors insister pour que le chrétien ait l’intelligence de sa prière, c’est-à-dire qu’il en cherche le sens caché, à la lumière du Christ. Commentant le psaume 18: « Bienheureux, le peuple qui a l’intelligence de sa prière! », il écrit: « Les merles, les perroquets, les corbeaux, les pies et autres oiseaux sont parfois dressés par l’homme à émettre des sons qu’ils ne comprennent pas. Avoir l’intelligence de son chant, c’est un privilège que la volonté divine a accordé à la nature humaine.»

Un chant ininterrompu
Les psaumes sont essentiellement une invitation à vivre selon l’esprit du Christ.
Les psaumes sont essentiellement une invitation à vivre selon l’esprit du Christ. D’où cette mise en garde: « Prends soin de ne pas vivre mal, tout en chantant musicalement bien! » (Ps 49). « Hélas, il sont nombreux ceux qui prient Dieu sans avoir le sentiment de Dieu, une pensée vraie sur Dieu! Ils peuvent proférer le son d’une prière, mais pas la voix d’une prière, parce qu’il y manque la vie. Mais pour celui qui a une vie spirituelle, qui comprend son Dieu, qui sait par qui il a é té libéré, qui sait très bien de quoi il a été libéré, cette vie elle-même, c’est la voix de sa prière.» (Ps 139). D’où encore l’insistance pour mettre en accord la vie avec le chant. « Ne vous bornez pas à célébrer de la voix les louanges de Dieu, mais que vos oeuvres s’accordent avec votre voix. Après que vous aurez chanté de la voix, vous vous tairez sans doute quelque temps, mais que votre vie soit un chant que rien n’interrompe.» (Ps 146). « Lorsque chacun s’en va chez soi, il semble cesser de louer Dieu. S’il ne cesse pas de bien vivre, il loue Dieu continuellement. Ta louange ne cesse que lorsque tu te détournes de la justice…» (Ps 148, 2) « Qu’il le chante ce cantique, non des lèvres, mais par toute sa vie! » (Ps 32)
Les psaumes sont le véritable lieu de respiration spirituelle du chrétien. C’est là que se forme son regard chrétien sur la vie. En même temps que le regard, ils élargissent le coeur. ?

Marcel Neusch, aa
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LES CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN – LIVRE PREMIER: ENFANCE DE SAINT AUGUSTIN

27 août, 2013

http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/Staugustin/confessions/livre1.htm#_Toc509572056

LES CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN

LIVRE PREMIER ENFANCE DE SAINT AUGUSTIN

CHAPITRE PREMIER.
GRANDEUR DE DIEU.
 1.         « Vous êtes grand, Seigneur, et infiniment louable (Ps, CXLIV, 3) ; grande est votre puissance, et il s n’est point de mesure à votre sagesse (Ps. CXLVI, 5). » Et c’est vous que l’homme veut louer, chétive partie de votre création, être de boue, promenant sa mortalité, et par elle le témoignage de son péché, et la preuve éloquente que vous résistez, Dieu que vous êtes, aux superbes (I Petr. V, 5  )! Et pourtant il veut vous louer, cet homme, chétive partie de votre création! Vous l’excitez à se complaire dans vos louanges; car vous nous avez faits pour vous, et notre coeur est inquiet jusqu’à ce qu’il repose en vous.
Donnez-moi, Seigneur, de savoir et de comprendre si notre premier acte est de vous invoquer ou de vous louer, et s’il faut, d’abord, vous connaître ou vous invoquer. Mais qui vous invoque en vous ignorant? On peut invoquer autre que vous dans cette ignorance. Ou plutôt ne vous invoque-t-on pas pour vous connaître? « Mais est-ce possible, sans croire ? Et comment croire, sans apôtre (Rom. X, 14) ? » Et: « Ceux. là loueront le Seigneur, qui le recherchent (Ps. XXI, 27). » Car le cherchant, ils le trouveront, et le .trou vaut, ils le loueront. Que je vous cherche Seigneur, en vous invoquant, et que je vous invoque en croyant en vous; car vous nous avez été annoncé. Ma foi vous invoque, Seigneur, cette foi que vous m’avez donnée, que vous m’avez inspirée par l’humanité de votre Fils, par le ministère de votre apôtre.

CHAPITRE II.
DIEU EST EN L’HOMME; L’HOMME EST EN DIEU.
 2.         Et comment invoquerai-je mon Dieu, mon Dieu et Seigneur? car l’invoquer, c’est l’appeler en moi. Et quelle place est en moi, pour qu’en moi vienne mon Dieu? pour que Dieu vienne en moi, Dieu qui a fait le ciel et la terre? Quoi! Seigneur mon Dieu, est-il en moi de quoi vous contenir? Mais le ciel et la terre que vous avez faits, et dans qui vous m’avez fait, vous contiennent-ils?
Or, de ce que sans vous rien ne serait, suit-il que tout ce qui est, vous contienne? Donc, puisque je suis, comment vous demandé-je de venir en moi, qui ne puis être sans que vous soyez en moi? et pourtant je ne suis point aux lieux profonds, et vous y êtes; « car si je descends en enfer je vous y trouve  (Ps CXXXVIII,8). » Je ne serais donc point, mon Dieu, je ne serais point du tout si vous n’étiez en moi. Que dis-je? je ne serais point si je n’étais en vous, « de qui, par qui et en qui toutes choses sont (Rom. XI, 36.»  (363) Il est ainsi, Seigneur, il est ainsi. Où donc vous appelé-je, puisque je suis en vous? D’où viendrez-vous en moi? car où me retirer hors du ciel et de la terre, pour que de là vienne en moi mon Dieu qui a dit: « C’est moi qui « remplis le ciel et la terre (Jérém. XXIII, 24)? »

CHAPITRE III.
DIEU EST TOUT ENTIER PARTOUT.
 3.         Etes-vous donc contenu par le ciel et la terre, parce que vous les remplissez? ou les remplissez-vous, et reste-t-il encore de vous, puisque vous n’en êtes pas contenu? Et où répandez-vous, hors du ciel et de la terre, le trop plein de votre être? Mais avez-vous besoin d’être contenu, vous qui contenez tout, puisque vous n’emplissez qu’en contenant? Les vases qui sont pleins de vous ne vous font pas votre équilibre; car s’ils se brisent, vous ne vous répandez pas; et lorsque vous vous répandez sur nous, vous ne tombez pas, mais vous nous élevez; et vous ne vous écoulez pas, mais vous recueillez.
Remplissant tout, est-ce de vous tout entier que vous remplissez toutes choses? Ou bien, tout ne pouvant vous contenir, contient-il partie de vous, et toute chose en même temps cette même partie? ou bien chaque être, chacune; les plus grands, davantage; les moindres, moins? Y a-t-il donc en vous, plus et moins? Ou plutôt n’êtes-vous pas tout entier partout, et, nulle part, contenu tout entier?

CHAPITRE IV.
GRANDEURS INEFFABLES DE DIEU.
 4.            Qu’êtes-vous donc, mon Dieu? qu’êtes-vous, sinon le Seigneur Dieu? « Car quel autre  Seigneur que le Seigneur, quel autre Dieu que notre Dieu (Ps XVII, 32)? » O très-haut, très-bon, très-puissant, tout-puissant, très-miséricordieux et très-juste, très-caché et très-présent, très-beau et très-fort, stable et incompréhensible, immuable et remuant tout, jamais nouveau, jamais ancien, renouvelant tout et conduisant à leur insu les superbes au dépérissement, toujours en action, toujours en repos, amassant sans besoin, vous portez, remplissez et protégez ; vous créez, nourrissez et perfectionnez, cherchant lorsque rien ne vous manque!
Votre amour est sans passion; votre jalousie sans inquiétude; votre repentance, sans douleur; votre colère, sans trouble; vos oeuvre changent, vos conseils ne changent pas. Vous recouvrez ce que vous trouvez et n’avez jamais perdu. Jamais pauvre, vous aimez le gain; jamais avare, et vous exigez des usures. On vous donne de surérogation pour vous rendre débiteur; et qu’avons-nous qui ne soit vôtre? Vous rendez sans devoir; en payant, vous donnez et ne perdez rien. Et qu’ai-je dit, mon Dieu, ma vie, mes délices saintes? Et que dit-on de vous en parlant de vous? Mais malheur à qui se tait de vous! car sa parole est muette.

 CHAPITRE V.
DITES A MON AME : JE SUIS TON SALUT.
 5.         Qui me donnera de me reposer en vous? Qui vous fera descendre en mon coeur? Quand trouverai-je l’oubli de mes maux dans l’ivresse de votre présence, dans le charme de vos embrassements, ô mon seul bien? Que m’êtes. vous? Par pitié, déliez ma langue! Que vous suis-je moi-même, pour que vous m’ordonniez de vous aimer, et, si je désobéis, que votre’ colère s’allume contre moi et me menace de grandes misères? En est-ce donc une petite que de ne vous aimer pas? Ah! dites-moi, au non de vos miséricordes, Seigneur mon Dieu, dites-moi ce que vous m’êtes. « Dites à mon âme : Je suis ton salut   (Ps XXXIV, 3). » Parlez haut, que j’entende. L’oreille de mon coeur est devant vous, Seigneur; ouvrez-la, et « dites à mon âme : Je suis ton salut. » Que je coure après cette voix, et que je m’attache à vous! Ne me voilez pas votre face. Que je meure pour la voir! Que je meure pour vivre de sa vue!
6.         La maison de mon âme est étroite pour vous recevoir, élargissez-la. Elle tombe en
ruines, réparez-la. Çà et là elle blesse vos yeux, je l’avoue et le sais; mais qui la balayera 2 A
quel autre que vous crierai-je : « Purifiez-moi de mes secrètes souillures, Seigneur, et n’imputez pas celles d’autrui à votre serviteur (Ps XVIII, 13-14)?» « Je crois, c’est pourquoi je parle; Seigneur, vous le savez (Ps CXV, 10). » « Ne vous ai-je pas, contre moi-même, accusé mes crimes, ô mon Dieu, et ne m’avez-vous pas remis la malice de mon cœur Ps XXXI, 5)? » « Je n’entre point en jugement (364) avec vous qui êtes la vérité (Job IX 2,3).» « Et je ne veux pas me tromper moi-même, de peur que mon iniquité ne mente à elle-même (Ps XXVI, 12).»  « Non, je ne conteste pas avec vous; car si vous pesez les iniquités, Seigneur, Seigneur, qui pourra tenir  Ps CXXIX,3)? »

CHAPITRE VI.
ENFANCE DE L’HOMME; ÉTERNITÉ DE DIEU.
 7.         Mais pourtant laissez-moi parler à votre miséricorde, moi, terre et cendre. Laissez-moi pourtant parler, puisque c’est à votre miséricorde et non à l’homme moqueur que je parle. Et vous aussi, peut-être, vous riez-vous de moi? mais vous aurez bientôt pitié. Qu’est-ce donc que je veux dire, Seigneur mon Dieu, sinon que j’ignore d’où je suis venu ici, en cette mourante vie, ou peut-être cette mort vivante? Et j’ai été reçu dans les bras de votre miséricorde, comme je l’ai appris des père et mère de ma chair, de qui et en qui vous m’avez formé dans le temps; car moi je ne m’en souviens pas.
J’ai donc reçu les consolations du lait humain. Ni ma mère, ni mes nourrices ne s’emplissaient les mamelles: mais vous, Seigneur, vous me donniez par elles l’aliment de l’enfance, selon votre institution et l’ordre profond de vos richesses. Vous me donniez aussi de ne pas vouloir plus que vous ne me donniez, et à mes nourrices de vouloir me donner ce qu’elles avaient reçu de vous; car c’était par une affection prédisposée qu’elles me voulaient donner ce que votre opulence leur prodiguait. Ce leur était un bien que le bien qui me venait d’elles, dont elles étaient la source, sans en être le principe. De vous, ô Dieu, tout bien, de vous, mon Dieu, tout mon salut. C’est ce que depuis m’a dit votre voix criant en moi par tous vos dons intérieurs et extérieurs. Car alors que savais-je? Sucer, savourer avec délices, pleurer aux offenses de ma chair, rien de plus.
8. Et puis je commençai à rire, en dormant d’abord, ensuite éveillé. Tout cela m’a été dit de moi, et je l’ai cru, car il en est ainsi des autres enfants ; autrement je n’ai nul souvenir d’alors. Et peu à peu je remarquais où j’étais, et je voulais montrer mes volontés à qui pouvait les accomplir; mais en vain : elles étaient au dedans, on était au dehors; et nul sens né donnait à autrui entrée dans mon âme. Aussi je me démenais de tous mes membres, de toute ma voix, de ce peu de signes, semblables à mes volontés, que je pouvais, tels que je les pouvais, et toutefois en désaccord avec elles. Et quand on ne m’obéissait point, faute de me comprendre ou pour ne pas me nuire, je m’emportais contre ces grandes personnes insoumises et libres, refusant d’être mes esclaves, et je me vengeais d’elles en pleurant. Tels j’ai observé les enfants que j’ai pu voir, et ils m’ont mieux révélé à moi-même, sans me connaître, que ceux qui m’avaient connu en m’élevant.
9.         Et voici que dès longtemps mon enfance est morte, et je suis vivant. Mais vous, Seigneur, vous vivez toujours, sans que rien meure en vous, parce qu’avant la naissance des siècles et avant tout ce qui peut être nommé au delà, vous êtes, vous êtes Dieu et Seigneur de tout ce que vous avez créé; en vous demeurent les causes de fout ce qui passe, et les immuables origines de toutes choses muables, et les raisons éternelles et vivantes de toutes choses irrationnelles et temporelles.
Dites-moi, dites à votre suppliant; dans votre miséricorde, dites à votre misérable serviteur; dites-moi, mon Dieu, si mon enfance a succédé à quelque âge expiré déjà, et si cet âge est celui que j’ai passé dans le sein de ma mère ? J’en ai quelques indications, j’ai vu moi-même des femmes enceintes. Mais avant ce temps, mon Dieu, mes délices, ai-je été quelque part et quelque chose? Qui pourrait me répondre? Personne, ni père, ni mère, ni l’expérience des autres, ni ma mémoire. Ne vous moquez-vous pas de moi à de telles questions, vous qui m’ordonnez de vous louer et de vous glorifier de ce que je connais?
10.       Je vous glorifie, Seigneur du ciel et de la terre, et vous rends hommage des prémices de ma vie et de mon enfance dont je n’ai point souvenir. Mais vous avez permis à l’homme de conjecturer ce qu’il fut par ce qu’il voit en autrui, et de croire beaucoup de lui sur la foi de simples femmes. Déjà j’étais alors, et je vivais; et déjà, sur le seuil de l’enfance, je cherchais des signes pour manifester mes sentiments.
Et de qui un tel animal peut-il être, sinon de vous, Seigneur? et qui serait donc l’artisan de lui-même? Est-il autre source d’où être et vivre découle en nous, sinon votre toute-puissance, (365) ô Seigneur, pour qui être et vivre est tout un, parce que l’Etre par excellence et la souveraine vie, c’est vous-même; car vous êtes le Très-Haut, et vous ne changez pas; et le jour d’aujourd’hui ne passe point pour vous, et pourtant il passe en vous, parce qu’en vous toutes choses sont, et rien ne trouverait passage si votre main ne contenait tout. Et comme vos années ne manquent point, vos années, c’est aujourd’hui. Et combien de nos jours, et des jours de nos pères ont passé par votre aujourd’hui et en ont reçu leur être et leur durée; et d’autres passeront encore, qui recevront de lui leur mesure d’existence. Mais vous, vous êtes le même; ce n’est pas demain, ce n’est pas hier, c’est aujourd’hui que vous ferez, c’est aujourd’hui que vous avez fait.
Que m’importe si tel ne comprend pas? Qu’il se réjouisse, celui-là même, en disant J’ignore. Oui, qu’il se réjouisse; qu’il préfère vous trouver en ne trouvant pas, à ne vous trouver pas en trouvant.

CHAPITRE VII.
L’ENFANT EST PÉCHEUR.
 11.       Ayez pitié, mon Dieu! Malheur aux péchés des hommes! Et c’est l’homme qui parle ainsi, et vous avez pitié de lui, parce que vous l’avez fait, et non le péché qui est en lui. Qui va me rappeler les péchés de mon enfance? « Car personne n’est pur de péchés devant vous, pas même l’enfant dont la vie sur la terre est d’un jour (Job XXV, 4). » Qui va me les rappeler, si petit enfant que ce soit, en qui je vois de moi ce dont je n’ai pas souvenance?
Quel était donc mon péché d’alors? Etait-ce de pleurer avidement après la mamelle? Or, si je convoitais aujourd’hui avec cette même avidité la nourriture de mon âge, ne serais-je pas ridicule et répréhensible? Je l’étais donc alors. Mais comme je ne pouvais comprendre la réprimande, ni l’usage, ni la raison ne permettaient de me reprendre. Vice réel toutefois que ces premières inclinations, car en croissant nous les déracinons, et rejetons loin de nous, et je n’ai jamais vu homme de sens, pour retrancher le mauvais, jeter le bon. Etait-il donc bien, vu l’âge si tendre, de demander en pleurant ce qui ne se pouvait impunément donner; de s’emporter avec violence contre ceux sur qui l’on n’a aucun droit, personnes libres, âgées, père, mère, gens sages, ne se prêtant pas au premier désir; de les frapper, en tâchant de leur faire tout le mal possible, pour avoir refusé une pernicieuse obéissance?
Ainsi, la faiblesse du corps au premier âge est innocente, l’âme ne l’est pas. Un enfant que j’ai vu et observé était jaloux. Il ne parlait pas encore, et regardait, pâle et farouche, son frère de lait. Chose connue; les mères et nourrices prétendent conjurer ce mal par je ne sais quels enchantements. Mais est-ce innocence dans ce petit être, abreuvé à cette source de lait abondamment épanché de n’y pas souffrir près de lui un frère indigent dont ce seul aliment soutient la vie? Et l’on endure ces défauts avec caresse, non pour être indifférents ou légers, mais comme devant passer au cours de l’âge. Vous les tolérez alors, plus tard ils vous révoltent.
12.            Seigneur mon Dieu, vous avez donné à l’enfant et la vie, et ce corps muni de ses sens, formé de ses membres, orné de sa figure; vous avez intéressé tous les ressorts vitaux à sa conservation harmonieuse : et vous m’ordonnez de vous louer dans votre ouvrage, de vous confesser, de glorifier votre nom, ô Très-Haut (Ps XCI, 2), parce que vous êtes le Dieu tout puissant et bon, n’eussiez-vous rien fait que ce que nul ne peut faire que vous seul, principe de toute mesure, forme parfaite qui formez tout, ordre suprême qui ordonnez tout.
    Or, cet âge, Seigneur, que je ne me souviens pas d’avoir vécu, que je ne connais que sur la foi d’autrui, le témoignage de mes conjectures, l’exemple des autres enfants, témoignage fidèle néanmoins, cet âge, j’ai honte de le rattacher à cette vie à moi, que je vis dans le siècle. Pour moi il est égal enténèbres d’oubli à celui que j’ai passé au sein de ma mère. Que si même e j’ai été conçu en iniquité, si le sein « de ma mère m’a nourri dans le péché (Ps L, 7) » où donc, je vous prie, mon Dieu, où votre esclave, Seigneur, où donc et quand fut-il innocent? Mais je laisse ce temps: quel rapport de lui à moi, puisque je n’en retrouve aucun vestige? (366)

CHAPITRE VIII.
COMMENT IL APPREND A PARLER.
 13.       Dans la traversée de ma vie jusqu’à ce jour, ne suis-je pas venu de la première enfance à la seconde, ou plutôt celle-ci n’est-elle pas survenue en moi, succédant à la première? Et l’enfance ne s’est pas retirée ; où serait-elle allée? Et pourtant elle n’était plus; car déjà, l’enfant à la mamelle était devenu l’enfant qui essaye la parole. Et je me souviens de cet âge; et j’ai remarqué depuis comment alors j’appris à parler, non par le secours d’un maître qui m’ait présenté les mots dans certain ordre méthodique comme les lettres bientôt après me furent montrées, mais de moi-même et par la seule force de l’intelligence que vous m’avez donnée, mon Dieu. Car ces cris, ces accents variés, cette agitation de tous les membres, n’étant que des interprètes infidèles ou inintelligibles, qui trompaient mon coeur impatient de faire obéir à ses volontés, j’eus recours à ma mémoire pour m’emparer des mots qui frappaient mon oreille, et quand une parole décidait un geste, un mouvement vers un objet, rien ne m’échappait, et je connaissais que le son précurseur était le nom de la chose qu’on voulait désigner, Ce vouloir m’était révélé par le mouvement du corps, langage naturel et universel que parlent la face, le regard, le geste, le ton de. la voix où se produit le mouvement de l’âme qui veut, possède, rejette ou fuit.
Attentif au fréquent retour de ces paroles exprimant des pensées différentes dans une syntaxe invariable, je notais peu à peu leur signification, et dressant ma langue à les articuler, je m’en servis enfin pour énoncer mes volontés. Et je parvins ainsi à pratiquer l’échange des signes expressifs de nos sentiments, et j’entrai plus avant dans l’orageuse société de la vie humaine, sous l’autorité de mes parents et la conduite des hommes plus âgés.

CHAPITRE IX.
AVERSION POUR L’ÉTUDE; HORREUR DES CHATIMENTS.
 14.       O Dieu, mon Dieu, quelles misères, quelles déceptions n’ai-je pas subies, à cet âge, où l’on ne me proposait d’autre règle de bien vivre qu’une docile attention aux conseils de faire fortune dans le siècle, et d’exceller dans cette science verbeuse, servile instrument de l’ambition et de la cupidité des hommes. Puis je fus livré à l’école pour apprendre les lettres; malheureux, je n’en voyais pas l’utilité, et pourtant ma paresse était châtiée. On le trouvait bon; nos devanciers dans la vie nous avaient préparé ces sentiers d’angoisses qu’il fallait traverser; surcroît de labeur et de souffrance pour les enfants d’Adam.
Nous trouvâmes alors, Seigneur, des hommes qui vous priaient, et d’eux nous apprîmes à sentir, autant qu’il nous était possible, que vous étiez Quelqu’un de grand, qui pouviez, sans apparaître à nos sens, nous exaucer et nous secourir. Tout enfant, je vous priais, comme mon refuge et mon asile, et, à vous invoquer, je rompais les liens de ma langue, et je vous priais, tout petit, avec grande ferveur, afin de n’être point battu à l’école. Et quand, pour mon bien, vous ne m’écoutiez pas (Ps XXI, 3), tous, jusqu’à mes parents si éloignés de me vouloir la moindre peine, se riaient de mes férules, ma grande et griève peine d’alors.
15.            Seigneur, où est le coeur magnanime, s’il en est un seul? car je ne parle pas de l’insensibilité stupide; où est le coeur dont l’amour vous enlace d’une assez forte étreinte pour ne plus jeter qu’un oeil indifférent sur ces appareils sinistres, chevalets, ongles de fer, cruels instruments de mort, dont l’effroi élève vers vous des supplications universelles qui les conjurent? Où est ce coeur? Et pourrait-il pousser l’héroïsme du dédain, jusqu’à rire de l’épouvante d’autrui, comme mes parents riaient des châtiments que m’infligeait un maître? Car je ne les redoutais. pas moins, et je ne vous priais pas moins de me les éviter; et je péchais toutefois, faute d’écrire, de lire, d’apprendre autant qu’on l’exigeait de moi.
Je ne manquais pas, Seigneur, de mémoire ou de vivacité d’esprit; votre bonté m’en avait assez libéralement doté pour cet âge. Seulement j’aimais à jouer, et j’étais puni par qui faisait de même; mais les jeux des hommes s’appellent affaires, et ils punissent ceux des enfants, et personne n’a pitié ni des enfants, ni des hommes. Un juge équitable pourrait-il cependant approuver qu’un enfant fût châtié pour se laisser détourner, par le jeu de paume, d’une étude qui sera plus tard entre ses mains (367) un jeu moins innocent? Et que faisait donc celui qui me battait? Une misérable dispute, où il était vaincu par un collègue, le pénétrait de plus amers dépits que je n’en éprouvais à perdre une partie de paume contre un camarade.

CHAPITRE X.
AMOUR DU JEU.
 16.       Et néanmoins je péchais, Seigneur mon Dieu, ordonnateur et créateur de toutes choses naturelles, sauf les péchés dont vous n’êtes que régulateur; Seigneur mon Dieu, je péchais en désobéissant à des parents, à des maîtres; car je pouvais bien user dans la suite de ces connaissances qu’on m’imposait n’importe à quelle intention. Ce n’était pas meilleur choix qui me rendait désobéissant, c’était l’amour du jeu; j’aimais toutes les vanités du combat et de la victoire ; et les récits fabuleux qui, chatouillant mon oreille, y provoquaient de plus vives démangeaisons; et ma curiosité soulevée chaque jour, et débordant de mes yeux, m’entraînait aux spectacles et aux jeux qui divertissent les hommes. Que désirent donc toutefois ces magistrats pour leurs enfants, sinon la survivance des dignités qui les appellent à présider les jeux? Et ils veulent qu’on les châtie, si ce plaisir les détourne d’études, qui, de leur aveu, doivent conduire leurs fils à ce frivole honneur. Regardez tout cela, Seigneur, avec miséricorde; délivrez-nous, nous qui vous invoquons; délivrez aussi ceux qui ne vous invoquent pas encore, pour qu’ils vous invoquent et soient délivrés.

CHAPITRE XI.
MALADE, IL DEMANDE LE BAPTÊME.
 17.       J’avais ouï parler, dès le berceau, de la vie éternelle qui nous est promise par l’humilité du Seigneur notre Dieu, abaissé jusqu’à notre orgueil; et j’étais marqué du signe de sa croix, assaisonné du sel divin, dès ma sortie du sein de ma mère, qui a beaucoup espéré en vous.
Vous savez, Seigneur, qu’étant encore enfant, surpris un jour d’une violente oppression d’estomac, j’allais mourir; vous savez, mon Dieu, vous qui étiez déjà mon gardien, de quel élan de coeur, de quelle foi je demandai le baptême de votre Christ, mon Dieu et Seigneur, à la piété de ma mère et de notre mère commune, votre Eglise. Et déjà, dans son trouble, celle dont le chaste coeur concevait avec plus d’amour encore l’enfantement de mon salut éternel en votre foi, la mère de ma chair, appelait à la hâte mon initiation aux sacrements salutaires, où j’allais être lavé, en vous confessant, Seigneur Jésus, pour la rémission des péchés, quand soudain je me sentis soulagé. Ainsi fut différée ma purification, comme si je dusse nécessairement me souiller de nouveau en recouvrant la vie; on craignait de moi une rechute dans la fange de mes péchés, plus grave et plus dangereuse au sortir du bain céleste.
Ainsi, déjà, je croyais, et ma mère croyait, et toute la maison, mon père excepté, qui pourtant ne put jamais abolir en moi les droits de la piété maternelle, ni me détourner de croire en Jésus-Christ, lui qui n’y croyait pas encore. Elle n’oubliait rien pour que vous me fussiez un père, mon Dieu, plutôt que lui, et ici vous l’aidiez à l’emporter sur son mari, à qui, toute supérieure qu’elle fût, elle obéissait, parce qu’en cela elle obéissait à vos ordres.
18.       Pardon, mon Dieu, je voudrais savoir, si vous le voulez, par quel conseil mon baptême a été différé. Est-ce pour mon bien que les rênes furent ainsi lâchées à mes instincts pervers? Ou me trompé-je? Mais d’où vient que sans cesse ce mot nous frappe l’oreille: Laissez-le, laissez-le faire; il n’est pas encore baptisé? Et pourtant, s’agit-il de la santé du corps, on ne dit pas : Laissez-le se blesser davantage, car il n’est pas encore guéri.
Oh ! que n’ai-je obtenu cette guérison prompte! Que n’ai-je, avec le concours des miens, placé la santé de mon âme sous la tutelle de votre grâce qui me l’eût rendue! Mieux eût valu. Mais quels flots, quels orages de tentations se levaient sur ma jeunesse! Ma mère les voyait; et elle aimait mieux livrer le limon informe à leurs épreuves que l’image divine à leurs profanations.

CHAPITRE XII.
DIEU TOURNAIT A SON PROFIT L’IMPRÉVOYANCE MÊME QUI DIRIGEAIT SES ÉTUDES.
 49.       Ainsi, à cet âge même, que l’on redoutait moins pour moi que l’adolescence, je n’aimais point l’étude; je haïssais d’y être contraint, et (368) l’on m’y contraignait, et il m’en advenait bien: ? je n’eusse rien appris sans contrainte ? mais moi je faisais mal; car faire à contrecœur quelque chose de bon n’est pas bien faire. Et ceux même qui me forçaient à l’étude ne faisaient pas bien; mais bien m’en advenait par vous, mon Dieu. Eux ne voyaient pour moi, dans ce qu’ils me pressaient d’apprendre, qu’un moyen d’assouvir l’insatiable convoitise de cette opulence qui n’est que misère, de cette gloire qui n’est qu’infamie.
Mais vous, « qui savez le compte des cheveux de notre tête  ( Matth. X, 30); » vous tourniez leur erreur à mon profit, et ma paresse, au châtiment que je méritais, si petit enfant, si grand pécheur. Ainsi, du mal qu’ils faisaient, vous tiriez mon bien, et de mes péchés, ma juste rétribution. Car vous avez ordonné, et il est ainsi, que tout esprit qui n’est pas dans l’ordre soit sa peine à lui-même.

CHAPITRE XIII.
VANITÉ DES FICTIONS POÉTIQUES QU’IL AIMAIT.
 20.       Mais d’où venait mon aversion pour la langue grecque, exercice de mes premières années? C’est ce que je ne puis encore pénétrer. J’étais passionné pour la latine, telle que l’enseignent, non les premiers maîtres, mais ceux que l’on appelle grammairiens; car ces éléments, où l’on apprend à lire, écrire, compter, ne me donnaient pas moins d’ennuis et de tourments que toutes mes études grecques. Et d’où venait ce dégoût, sinon du péché et de la vanité de la vie? J’étais chair, esprit absent de lui-même et ne sachant plus y rentrer (Ps. LXXVII, 39). Plus certaines et meilleures étaient ces premières leçons qui m’ont donné la faculté de lire ce qui me tombe sous les yeux, d’écrire ce qu’il me plaît, que celles où j’apprenais de force les courses errantes de je ne sais quel Enée, oublieux de mes propres erreurs, et gémissant sur la mort de Didon, qui se tue par amour, quand je n’avais pas une larme pour déplorer, ô mon Dieu, ô ma vie, cette mort de mon âme que ces jeux j emportaient loin de vous.
21.       Eh! quoi de plus misérable qu’un malheureux sans miséricorde pour lui-même, pleurant Didon, morte pour aimer Enée, et ne se pleurant pas, lui qui meurt faute de vous aimer! O Dieu, lumière de mon coeur, pain de la bouche intérieure de mon âme, vertu fécondante de mon intelligence, époux de ma pensée, je ne vous aimais pas; je vous étais infidèle, et mon infidélité entendait de toutes parts cette voix : « Courage ! courage! » car l’amour de ce monde est un divorce adultère d’avec vous. Courage! courage! dit cette voix, pour faire rougir, si l’on n’est pas homme comme un autre. Et ce n’est pas ma misère que je pleurais; je pleurais Didon « expirée, livrant au fil du glaive sa destinée dernière Enéide (VI, 456), »quand je me livrais moi-même à vos dernières créatures au lieu de vous, terre retournant à la terre. Cette lecture m’était-elle interdite, je souffrais de ne pas lire ce qui me faisait souffrir. Telles folies passent pour études plus nobles et plus fécondes que celle qui m’apprit à lire et à écrire.
22.       Mais qu’aujourd’hui, mon Dieu, votre vérité me dise et crie dans mon âme : Il n’en est pas ainsi! il n’en est pas ainsi! Ces premiers enseignements sont bien les meilleurs. Car me voici tout prêt à oublier les aventures d’Enée et fables pareilles, plutôt que l’art d’écrire et de lire. Des voiles, sans doute, pendent au seuil des écoles de grammaire; mais ils couvrent moins la profondeur d’un mystère que la vanité d’une erreur.
Qu’ils se récrient donc contre moi, ces maîtres insensés! je ne les crains plus, à cette heure où je vous confesse, ô mon Dieu, tous les pensers de mon âme et me plais à marquer l’égarement de mes voies, afin d’aimer la rectitude des vôtres. Qu’ils se récrient contre moi, vendeurs ou acheteurs de grammaire! Je leur demande s’il est vrai qu’Enée soit autrefois venu à Carthage, comme lq poète l’atteste; et les moins instruits l’ignorent, les plus savants le nient. Mais si je demande par quelles lettres s’écrit le nom d’Enée, tous ceux qui savent lire me répondront vrai, selon la convention et l’usage qui ont, parmi les hommes, déterminé ces signes. Et si je demande encore quel oubli serait le plus funeste à la vie humaine, l’oubli de l’art de lire et d’écrire, ou celui de ces fictions poétiques, qui ne prévoit la réponse de quiconque ne s’est pas oublié lui-même?
Je péchais donc enfant, en préférant ainsi la vanité à l’utile; ou plutôt je haïssais l’utile et j’aimais la vanité. « Un et un sont deux, deux et deux quatre, » était pour moi une odieuse chanson; et je ne savais pas de plus (369) beau spectacle qu’un fantôme de cheval de bois rempli d’hommes armés, que l’incendie de Troie et l’ombre de Créuse (Enéide, II).

CHAPITRE XIV.
SON AVERSION POUR LA LANGUE GRECQUE.
 23.            Pourquoi donc haïssais-je ainsi la langue grecque, pleine de ces fables? Car Homère excelle à ourdir telles fictions. Doux menteur, il était toutefois amer à mon enfance. Je crois bien qu’il en est ainsi de Virgile pour les jeunes Grecs, contraints de l’apprendre avec autant de difficulté que j ‘apprenais leur poète.
La difficulté d’apprendre cette langue étrangère assaisonnait de fiel la douce saveur des fables grecques. Pas un mot qui me fût connu; et puis, des menaces terribles de châtiments pour me forcer d’apprendre. J’ignorais de même le latin au berceau ; et cependant, par simple attention, sans crainte, ni tourment, je l’avais appris, dans les embrassements de mes nourrices, les joyeuses agaceries, les riantes caresses.
Ainsi je l’appris sans être pressé du poids menaçant de la peine, sollicité seulement par mon âme en travail de ses conceptions, et qui ne pouvait rien enfanter qu’à l’aide des paroles retenues, sans leçons, à les entendre de la bouche des autres, dont l’oreille recevait les premières confidences de mes impressions. Preuve qu’en cette étude une nécessité craintive est un précepteur moins puissant qu’une libre curiosité. Mais l’une contient les flottants caprices de l’autre,, grâce à vos lois, mon Dieu, vos lois qui depuis la férule de l’école jusqu’à l’épreuve du martyre, nous abreuvant d’amertumes salutaires, savent nous rappeler à vous, loin du charme empoisonneur qui nous avait retirés de vous.

CHAPITRE XV.
PRIÈRE.
 24.             Exaucez, Seigneur, ma prière; que mon âme ne défaille pas sous votre discipline; et que je ne défaille pas à vous confesser vos miséricordes qui m’ont retiré de toutes mes déplorables voies! Soyez-moi plus doux que les séductions qui m’égaraient! Que je vous aime fortement, et que j’embrasse votre main de toute mon âme, pour que vous me sauviez de toute tentation jusqu’à la fin.
Et n’êtes-vous pas, Seigneur, mon roi et mon Dieu? Que tout ce que mon enfance apprit d’utile, vous serve ; si je parle, si j’écris, si je lis, si je compte, que tout en moi vous serve; car, au temps où j’apprenais des choses vaines, vous me donniez la discipline, et vous m’avez enfin remis les péchés de ma complaisance dans les vanités. Ce n’est point que ces folies ne m’aient laissé le souvenir de plusieurs mots utiles; souvenir que l’on pourrait devoir à des lectures moins frivoles, et qui ne sèmeraient aucun piège sous les pas des enfants.

CHAPITRE XVI.
CONTRE LES FABLES IMPUDIQUES.

25.       Mais, malheur à toi, torrent de la coutume! Qui te résistera? Ne seras-tu jamais à sec? Jusques à quand rouleras-tu les fils d’Eve dans cette profonde et terrible mer, que traversent à grand’peine les passagers de la croix? Ne m’as-tu pas montré Jupiter tout à la fois tonnant et adultère? Il ne pouvait être l’un et l’autre; mais on voulait autoriser l’imitation d’un véritable adultère par la fiction d’un ton. nerre menteur. Est-il un seul de ces maîtres fièrement drapés dont l’oreille soit assez à jeun pour entendre ce cri de vérité qui part d’un homme sorti de la poussière de leurs écoles : « Inventions d’Homère! Il humanise « les dieux! Il eût mieux fait de diviniser les « hommes ( Cicér. Tuscul. 1)! » Mais la vérité, c’est que le poète, dans ses fictions, assimilait aux dieux les hommes criminels, afin que le crime cessât de passer pour crime, et qu’en le commettant, on parût imiter non plus les hommes de perdition, mais les dieux du ciel.
26.       Et néanmoins, ô torrent d’enfer! en toi se plongent les enfants des hommes; ils rétribuent de telles leçons; ils les honorent de la publicité du forum; elles sont professées à la face des lois qui, aux récompenses privées, ajoutent le salaire public; et tu roules tes cailloux avec fracas, en criant: Ici l’on apprend la langue; ici l’on acquiert l’éloquence nécessaire à développer et à persuader sa pensée. N’aurions-nous donc jamais su « pluie d’or, « sein de femme, déception, voûtes célestes » et semblables mots du même passage, si Térence n’eût amené sur la scène un jeune débauché se proposant Jupiter pour modèle d’impudicité, (370) charmé de voir en peinture, sur une muraille, « comment le dieu verse une pluie d’or dans le sein de Danaé et trompe cette femme.» Voyez donc comme il s’anime à la débauche
sur ce divin exemple. « Eh! quel Dieu encore! s’écrie-t-il; Celui qui fait trembler de son tonnerre la voûte profonde des cieux. Pygmée que je suis, j’aurais honte de l’imiter! Non, non! je l’ai imité et de grand coeur (Térenc. Eunuc. Act. 3, scèn.5). »
Ces impuretés ne nous aident en rien à retenir telles paroles, mais ces paroles enhardissent l’impureté. Je n’accuse pas les paroles, vases précieux et choisis, mais le vin de l’erreur que nous y versaient des maîtres ivres. Si nous ne buvions, on nous frappait, et il ne nous était pas permis d’en appeler à un juge sobre. Et cependant, mon Dieu, devant qui mon âme évoque désormais ces souvenirs sans alarme, j’apprenais cela volontiers, je m’y plaisais, malheureux! aussi étais-je appelé un enfant de grande espérance !

CHAPITRE XVII.
VANITÉ DE SES ÉTUDES.

27.             Permettez-moi, mon Dieu, de parler encore de mon intelligence, votre don; en quels délires elle s’abrutissait! Grande affaire, et qui me troublait l’âme par l’appât de la louange, par la crainte de la honte et des châtiments, quand il s’agissait d’exprimer les plaintes amères de Junon, « impuissante à détourner de «l’Italie le chef des Troyens! (Enéide, I, 36-75) » plaintes que je savais imaginaires; mais on nous forçait de nous égarer sur les traces de ces mensonges poétiques, et de dire en libre langage ce que le poète dit en vers. Et celui-là méritait le plus d’éloges qui, fidèle à la dignité du personnage mis en scène, produisait un sentiment plus naïf de colère et de douleur, ajustant à ses pensées un vêtement convenable d’expression.
Eh! à quoi bon, ô ma vraie vie, ô mon Dieu! à quoi bon cet avantage sur la plupart de mes condisciples et rivaux, de voir mes compositions plus applaudies? Vent et fumée que tout cela! N’était-il pas d’autre sujet pour exercer mon intelligence et ma langue? Vos louanges, Seigneur, vos louanges dictées par vos Ecritures mêmes, eussent soutenu le pampre pliant de mon coeur. Il n’eût pas été emporté dans le vague des bagatelles, triste proie des oiseaux sinistres; car il est plus d’une manière de sacrifier aux anges prévaricateurs.

CHAPITRE XVIII.
HOMMES PLUS FIDÈLES AUX LOIS DE LA GRAMMAIRE QU’AUX COMMANDEMENTS DE DIEU.
 28. Eh! quelle merveille que je me dissipasse ainsi dans les vanités, et que, loin de vous, mon Dieu, je me répandisse au dehors, quand on me proposait pour modèles des hommes qui rappelant d’eux-mêmes quelque bonne action, rougissaient d’être repris d’un barbarisme ou d’un solécisme échappé; et qui, déployant, au récit de leurs débauches, toutes les richesses d’une élocution nombreuse, exacte et choisie, se glorifiaient des applaudissements?
Vous voyez cela, Seigneur, et vous vous taisez, « patient, miséricordieux et vrai  (Ps. LXXXV, 15). » Vous tairez-vous donc toujours? Mais à cette heure même vous retirez de ce dévorant abîme l’âme qui vous cherche, altérée de vos délices; celui dont le coeur vous dit : « J’ai cherché votre visage; votre visage, Seigneur, je le chercherai toujours (Ps XXVI, 8). » On en est loin dans les ténèbres des passions. Ce n’est point le pied, ce n’est point l’espace qui nous éloigne de vous, qui nous ramène à vous. Et le plus jeune de vos fils a-t-il donc pris un cheval, un char, un vaisseau, s’est-il envolé sur des ailes visibles, s’est-il dérobé d’un pas agile, pour livrer en pays lointain aux prodigalités de sa vie ce qu’il avait reçu de vous au départ? Père tendre, qui lui aviez tout donné alors, plus tendre encore à la détresse de son retour (Luc XV, 12-32). Mais non, c’est l’entraînement de la passion qui nous jette dans les ténèbres, et loin de votre face.
29.       Voyez, Seigneur mon Dieu, dans votre inaltérable patience, voyez avec quelle fidélité les enfants des hommes observent le pacte grammatical qu’ils ont reçu de leurs devanciers dans le langage, avec quelle négligence ils se dérobent au pacte éternel de leur salut qu’ils ont reçu de vous. Et si un homme qui possède ou enseigne cette antique législation des sons, oublie, contrairement aux règles, l’aspiration de la première syllabe, en disant « omme, » il blesse plus les autres que si, au mépris de vos commandements, il haïssait l’homme, son frère; comme si l’ennemi le plus funeste était plus funeste à l’homme que la haine même qui le soulève; comme si le persécuteur ravageait autrui plus qu’il ne ravage son propre coeur ouvert à la haine.
Et certes, cette science des lettres n’est pas (371) plus intérieure que la conscience écrite de ne pas faire au prochain ce qu’on n’en voudrait pas souffrir. Oh! que vous êtes secret, habitant des hauteurs dans le silence! ô Dieu, seul grand, dont l’infatigable loi sème les cécités vengeresses sur les passions illégitimes! Cet homme aspire à la renommée de l’éloquence; il est debout devant un homme qui juge, en présence d’une foule d’hommes; il s’acharne sur son ennemi avec la plus cruelle animosité, merveilleusement attentif à éviter toute erreur de langage, à ne pas dire: « Entre aux hommes; »et il ne se tient pas en garde contre la fureur de son âme qui l’entraîne à supprimer un homme « d’entre les hommes. »

CHAPITRE XIX.
FAUTES DES ENFANTS, VICES DES HOMMES.
 30.       J’étais exposé, malheureux enfant, sur le seuil de cette morale; c’était l’apprentissage des tristes combats que je devais combattre; jaloux, déjà, d’éviter un barbarisme, et non l’envie qu’une telle faute m’inspirait contre qui n’en faisait pas. Je reconnais et confesse devant vous, mon Dieu, ces faiblesses qui me faisaient louer de ces hommes. Leur plaire était alors pour moi le bien-vivre; car je ne voyais pas ce gouffre de honte où je plongeais loin de votre regard. Etait-il donc rien de plus impur que moi? Jusque-là, qu’abusant par mille mensonges, un précepteur, des maîtres, des parents, épris eux-mêmes de ces vanités, je les offensais par mon amour du jeu, ma passion des spectacles frivoles, mon ardeur inquiète à imiter ces bagatelles.
Je dérobais aussi au cellier, à la table de mes parents, soit pour obéir à l’impérieuse gourmandise, soit pour avoir à donner aux enfants qui me vendaient le plaisir que nous trouvions à jouer ensemble. Et au jeu même, vaincu par le désir d’une vaine supériorité, j’usurpais souvent de déloyales victoires. Mais quelle était mon impatience et la violence de mes reproches, si je découvrais qu’on me trompât, comme je trompais les autres! Pris sur le fait à mon tour, et accusé, loin de céder, j ‘entrais en fureur.
Est-ce donc là l’innocence du premier âge ? Il n’en est pas, Seigneur, il n’en est pas; pardonnez-moi, mon Dieu. Aujourd’hui précepteur, maître, noix, balle, oiseau; demain magistrats, rois, trésors, domaines, esclaves; c’est tout un, grossissant au flot successif des années, comme aux férules succèdent les supplices. C’est donc l’image de l’humilité, que vous avez aimée dans la faiblesse corporelle de l’enfance, ô notre roi, lorsque vous avez dit:
« Le royaume des cieux est à ceux qui leur ressemblent (Matth. XIX, 14), »

CHAPITRE XX.
IL REND GRACES A DIEU DES DONS QU’IL A REÇUS DE LUI DANS SON ENFANCE.
 31.       Et cependant, Seigneur, à vous créateur et conservateur de l’univers, tout-puissant et tout bon, à vous notre Dieu, grâces soient rendues, ne m’eussiez-vous donné que d’être enfant! Car dès lors même, j’avais l’être, et havie, et le sentiment; et je veillais à préserver cet ensemble de tout moi-même, ce dessin de l’unité si cachée par qui j’étais ; je gardais par le sens intérieur l’intégrité de tous mes sens, et dans cette petitesse d’existence, dans cette petitesse de pensées, j’aimais la vérité. Je ne voulais pas être trompé; ma mémoire était forte; mon élocution polie; l’amitié me charmait; je fuyais la douleur, la honte, l’ignorance. Quelle admirable merveille qu’un tel animal !
Tout cela, don de mon Dieu! je ne me suis moi-même rien donné. Tout cela est bon et moi-même, qui suis tout cela. Donc celui qui m’a fait est bon, et lui-même est mon bien; et l’élan de mon coeur lui rend hommage de tous ces biens répandus sur mes premières années. Or je péchais; car ce n’était point en lui, mais dans ses créatures, les autres et moi, que je cherchais plaisirs, grandeurs et vérités, me précipitant ainsi dans la douleur, la confusion, l’erreur. Grâces à vous, mes délices, ma gloire, ma confiance, mon Dieu! Grâces à vous de tous vos dons! Mais conservez-les-moi; car ainsi vous me conserverez moi-même; et tout ce que vous m’avez donné aura croissance et perfection; et je serai avec vous, puisque c’est vous qui m’avez donné d’être. (372)

LA RÈGLE DE SAINT BENOÎT – CHAPITRE VII: DE L’HUMILITE

10 juillet, 2013

http://www.abbaye-saint-benoit.ch/benoit/regle.htm#_Toc502483631

LA RÈGLE DE SAINT BENOÎT

CHAPITRE VII: DE L’HUMILITE

La divine Ecriture, mes frères, proclame pour notre gouverne : « Quiconque s’élève sera humilié, et celui qui s’humilie sera glorifié. » En tenant ce langage, elle nous montre que tout élèvement s’apparente à l’orgueil, et nécessite les précautions dont se munit le Prophète disant : « Seigneur, j’ai fui l’élèvement du cœur et les hautes ambitions ; je n’ai point marché dans des voies prétentieuses, ni vers le mirage d’une condition supérieure à la mienne.  » Bien plus, il poursuit :  » Si je n’entretiens de bas sentiments de moi-même, Si je m’estime plus que je ne dois, tu me traiteras dans ta justice comme l’enfant trop tôt sevré, qu’on arrache des bras de sa mère.
Voulons-nous, par conséquent, mes frères, atteindre au sommet de cette souveraine humilité, voulons-nous parvenir par une ascension rapide à ces hauteurs célestes où mène l’abaissement de la vie présente, il s’agit alors d’y monter par la gradation de nos œuvres, et de dresser vers le ciel cette même échelle où Jacob vit en songe monter et descendre les anges. Il est ici hors de doute que monter et descendre signifient pour nous que l’on s’abaisse en voulant s’élever, et qu’on s’élève en s’abaissant. Quant à cette échelle dressée, c’est proprement notre vie d’ici-bas, pour alitant que le Seigneur élève jusqu’aux cieux le cœur qui s’humilie. Convenons maintenant que les deux côtés de l’échelle figurent notre corps et notre âme : entre ces montants, Dieu a inséré, nous invitant à les gravir, les échelons successifs de l’art spirituel qui porte nom humilité.
Le premier degré d’humilité est que, par l’effet d’une constante attention à la crainte de Dieu, on échappe résolument à la légèreté d’esprit et qu’on se remémore tous les préceptes divins. Si l’on ne cesse, en effet, de retourner dans son esprit la menace de la géhenne où brûlent pour leurs péchés ceux qui méprisent Dieu, et la promesse de vie éternelle réservée à ceux qui le craignent, on saura se garder à toute heure des péchés et des vices, ceux des pensées, de la langue, des mains, des pieds, ceux de la volonté propre, ou encore des désirs de la chair. Que l’homme considère donc que Dieu le regarde à tout moment du haut du ciel ? en quelque lieu que nous soyons, nos actions sont à découvert sous les yeux de la Divinité et lui sont à tout instant rapportées par les anges. Le Prophète nous donne à entendre cette vérité, et témoigne à quel point nos plus secrètes pensées sont à nu devant Dieu, quand il dit :  » Dieu scrute les reins et les cœurs, » et de même : « Le Seigneur connaît les desseins des hommes  » ; il dit encore : « Tu pénètres de loin mes pensées, » et : « Tout ce qui s’agite en l’homme vient se déclarer devant Toi. » Dès lors, pour exercer la vigilance sur ses pensées mauvaises, un frère avisé ne manquera pas de se redire au fond du cœur : Pour être sans tache devant Lui, il faut me bien garder de jamais l’offenser.
Quant à la volonté propre, nous trouvons dans l’Ecriture cette défense expresse de la suivre : « Détourne-toi de tes volontés.  » Nous demandons d’ailleurs nous-mêmes à Dieu dans la Prière  » que ce soit sa volonté qui s’accomplisse en nous. « On voit par là combien justifiée est la doctrine du renoncement à la volonté propre; car on évite ainsi l’écueil signalé dans l’Ecriture :  » Il est des chemins qui aux yeux des hommes semblent droits, mais qui, au terme, vous plongent jusqu’au fond de l’enfer. » Et nous serons bien inspirés d’envisager avec frayeur le sort de ceux qui se laissent aller à leurs penchants, et dont il est écrit  » qu’ils s’y corrompent et y deviennent abominables à Dieu. »
Enfin, pour maîtriser les désirs de la chair, recourons encore et toujours au sentiment de la présence de Dieu, et disons avec le Prophète : « Tous mes désirs, Seigneur, sont devant Toi. » S’il faut ainsi nous garder du désir mauvais, c’est que la mort est postée sur le seuil même de l’accès au plaisir ; d’où le précepte de l’Ecriture : « Ne te laisse pas entraîner par tes convoitises. »
En résumé, si les yeux du Seigneur observent sans cesse les bons et les méchants, si le Seigneur jette du haut du ciel ses regards sur les enfants des hommes pour discerner ceux qui se montrent attentifs à Le chercher, si enfin les anges établis sur nous font chaque jour, font nuit et jour, rapport à Dieu de nos actions, il nous faut prendre garde à tout instant, mes frères, comme dit le Prophète dans les psaumes, que Dieu ne nous voie à quelque moment enclins à pécher, abusant de sa grâce, de peur que, nous ayant épargnés aujourd’hui par grande indulgence et parce qu’il nous laisse le temps de nous amender et de nous tourner vers lui, il ne nous dise un jour :  » Voilà ce que tu as fait, et je patientais. »
Le second degré d’humilité consiste à se détacher assez de la volonté propre pour ne plus goûter la satisfaction d’en suivre les mouvements, et pour réaliser dans sa conduite ce que le Seigneur dit de lui-même : « Je ne suis pas venu faire ici-bas ma volonté, mais celle du Père qui m’a envoyé. » L’Ecriture dit ailleurs : « Courir au plaisir c’est encourir la peine, et plier sous la loi c’est gagner la couronne. »
Le troisième degré d’humilité est que, pour l’amour de Dieu, on se soumette au supérieur avec une obéissance sans réserve, à l’imitation du Seigneur qui, nous dit l’Apôtre, « s’est fait obéissant jusqu’à la mort. »
Au quatrième degré d’humilité, s’il arrive que, dans cette voie d’obéissance, on soit en butte à toute sorte de difficultés, de traitements durs ou même injustes, alors, au lieu de protester, on met tout son cœur à embrasser la patience, et à tout supporter sans lâcher prise ni reculer d’un pas, car l’Ecriture dit : « Qui persévère jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé. » Et en un autre endroit : « Que ton cœur s’affermisse, et soutienne les délais du Seigneur. Elle montre encore que l’âme fidèle doit, pour le Seigneur, tout endurer et jusqu’aux pires contrariétés, quand elle fait ainsi parler ceux qui sont dans l’épreuve :  » C’est à cause de Toi qu’à longueur de journée nous sommes exposés à la mort et traités comme menu bétail de boucherie. » Inébranlables toutefois dans l’espérance de la rétribution divine, ils poursuivent avec joie : « Mais en toutes ces rencontres nous gardons l’avantage, pour l’amour de Celui qui nous a aimés. » Ailleurs on lit encore dans l’Ecriture : « Tu nous as éprouvés, Seigneur, tu nous as fait passer par le feu, comme l’argent qu’on éprouve dans la fournaise ; tu nous as fait prendre au lacet, tu as accumulé les tribulations sur nos épaules. » Et qu’il nous faille ainsi subir le joug d’un supérieur, la suite du texte le montre bien : « Tu as placé des hommes comme un poids sur nos têtes. » De fait, c’est par la patience au milieu des contradictions et des injustices qu’on accomplira jusqu’au bout le précepte du Seigneur : frappé sur une joue, on tendra l’autre ; à qui ravit la tunique, on abandonne par surcroît le manteau ; angarié pour une corvée d’un mille, on en fera deux ; avec l’Apôtre Paul on supporte les faux frères, et à ceux qui maudissent, on adresse en retour des paroles de bénédiction.
Le cinquième degré d’humilité est de ne rien cacher à son Abbé des pensées mauvaises qui se présentent à l’esprit, ni des fautes commises dans le secret. L’Ecriture nous exhorte à pratiquer cette humble confession quand elle nous dit : « Expose devant Dieu ta conduite et espère en Lui, » ou encore :  » Confessez-vous au Seigneur, car il est bon, et sa miséricorde est éternelle. » Le Roi Prophète dit aussi :  » Je T’ai déclaré mon péché, et je n’ai pas celé mon iniquité ; j’ai dit : je prononcerai contre moi-même devant le Seigneur que j’ai offensé ; mais Ta bonté corrigera la malice de mon âme. »
Le sixième degré d’humilité est qu’un moine trouve son contentement dans tout ce qu’il y a de plus commun et de moindre. Dans les tâches où on l’emploie, il se regarde comme un piètre ouvrier et un incapable. Avec le Prophète il se dit : Me voilà ramené à rien, et je ne sais rien ; Tu le vois, je suis traité comme une bête de somme ; mais je me tiens toujours avec Toi.
Le septième degré d’humilité est que le moine, non en protestations purement verbales, mais par un sentiment profond et une intime conviction du cœur, se reconnaisse comme le plus vil et le dernier de tous les êtres, et que s’abaissant jusqu’à terre il dise avec le Prophète : « Moi, je ne suis qu’un ver, et non un homme, la honte de l’humanité et le rebut du peuple. Je m’étais exalté, et me voici dans l’abjection et la confusion. » Le Prophète dit encore : « Comme il est bon pour moi que Tu m’aies humilié ! par là j’ai appris à T’obéir. »
Le huitième degré d’humilité est qu’un moine ne fasse rien qui ne soit conforme à la règle commune du monastère, ou encouragé par la tradition des anciens.
Le neuvième degré d’humilité est qu’un moine sache retenir sa langue et que, fidèle à la loi du silence, il attende pour parler qu’on l’interroge, d’autant que l’Ecriture témoigne qu’ « à parler beaucoup, on ne peut manquer de pécher  » ; et que « le bavard ne trouve pas le droit chemin sur la terre. »
Le dixième degré d’humilité condamne l’habitude de rire à tout propos. Il est écrit : « Le rire bruyant trahit la sottise. »
Le onzième degré d’humilité est que le moine, amené à parler, le fasse sans élever le ton ni badiner, avec une humble gravité, dans un langage sobre et sensé, et qu’il évite les éclats de voix. On dit en effet que « le sage, pour se faire connaître, n’a pas besoin de beaucoup de mots. »
Au douzième degré, l’humilité dont le cœur du moine est rempli passe dans tout son extérieur, et se laisse apercevoir aux regards d’autrui.
A l’Œuvre de Dieu, à l’oratoire, dans le cloître, au jardin, sur les chemins, par les champs, en tout lieu, qu’il soit assis, en marche ou debout, on le voit toujours penchant la tête et fixant les yeux à terre, dans le grave sentiment de sa culpabilité et sous le poids de ses fautes, comme si, à cette heure même, il avait conscience d’affronter le redoutable jugement de Dieu. Dans son cœur il redit sans cesse les paroles que prononçait le publicain de l’Evangile, les yeux humblement baissés: « Seigneur, je ne suis pas digne, moi pécheur, de lever mes regards vers le ciel, » et avec le Prophète il ajoute : « Je me tiens courbé et profondément humilié. »
Lorsqu’enfin le moine a gravi tous ces échelons d’humilité, il atteint bien vite le sommet de la charité divine d’où est bannie la crainte. Tout ce qu’il ne pouvait accomplir au début sans l’appui de cette crainte, il se met à l’observer par amour, sans nul effort, et, pour ainsi dire, avec l’aisance de l’habitude acquise. Ce n’est plus la peur de l’enfer, c’est l’amour du Christ qui le meut, ainsi que l’entraînement au bien et le charme de la vertu. Cette œuvre de L’Esprit-Saint, daigne le Seigneur la montrer achevée en celui qui avec son concours travaille à se purifier des vices et des péchés.

LA MISÉRICORDE DANS LA BIBLE: L’ANCIEN TESTAMENT – par S. MARIA FAUSTYNA CIBOROWSKA ZMBM

16 janvier, 2013

http://www.wacom2011.pl/misericorde_dans_la_bible.htm

LA MISÉRICORDE DANS LA BIBLE: L’ANCIEN TESTAMENT

 S. MARIA FAUSTYNA CIBOROWSKA ZMBM

traduction: beata hrehorowicz

Nous ne pouvons découvrir le mystère de la miséricorde divine que grâce au fait que Dieu Lui-même l’a révélé, et qu’il a été noté par les auteurs inspirés dans les saints livres de l’Ancien et du Nouveau Testament. Dans l’histoire du monde et dans la vie des différents personnages bibliques ainsi que dans l’histoire du peuple élu, Dieu a révélé son amour miséricordieux qui non seulement fait sortir l’homme du péché, mais qui pallie également toutes faiblesses et défaillances humaines et gratifie l’homme du bienfait de l’existence. Ainsi la miséricorde se révèle-t-elle dans chaque œuvre de Dieu orientée vers l’extérieur : aussi bien créatrice que salvatrice. Tout ce que Dieu fait pour l’homme est une expression de Son amour miséricordieux.
Afin de décrire la réalité richissime de la miséricorde de Dieu Un et Trine, l’Ancien Testament recourt à un grand nombre de termes dont chacun souligne un aspect de ce grand mystère de notre foi. C’est le mot hébreu hesed qui est employé le plus souvent pour designer la miséricorde (plus de deux cents fois). Il est présent dans le Pentateuque, dans les livres historiques, sapientiaux et particulièrement dans les Psaumes et chez les prophètes, notamment dans le contexte de l’Alliance que Dieu a conclue avec le peuple élu. Ce terme désigne un cœur fidèle qui fait toujours preuve de bonté et de grâce. Hesed souligne les suivantes caractéristiques de la miséricorde de Dieu : la fidélité à Lui-même et la responsabilité en l’amour. Nous rencontrons plus de 30 fois l’expression hesed weemet, soit la grâce et la fidélité, dans les pages de la Bible hébraïque.
Les auteurs inspirés employèrent aussi très souvent le mot rahamim (dérivé de rehem – le sein maternel) qui accentue certains traits propres de l’amour de femme et mère. Il est porteur d’émotions intenses des plus tendres. Il désigne l’engagement total de l’homme dans l’aide témoignée aux autres, allant jusqu’aux larmes de compassion. Il signifie un amour gratuit, non mérité, qui découle en quelque sorte de la « contrainte » du cœur et qui se caractérise par : la bonté, la tendresse, la patience, la compréhension et la disposition à pardonner. Cette idée est exprimée le plus profondément par les paroles du livre d’Osée 11, 8 qui sont un aveu d’amour de Dieu à l’égard de l’infidèle Éphraïm.
Le mystère de la miséricorde divine est aussi exprimé par d’autres mots : hanan qui définit la constance, la bienveillance, la clémence et la générosité. Le mot hamal (littéralement : faire grâce à l’ennemi vaincu) exprime ce trait de la miséricorde qui correspond à la pitié, la compassion, le pardon et la rémission des fautes. Le mot hus qui exprime la pitié et la compassion comme sentiments, a donc une acception ressemblante. Nous rencontrons parfois le mot hen qui veut dire la bonté et une attitude bienveillante à l’égard des autres, en particulier envers ceux de nos frères dont la situation est devenue difficile.

Qui pourra mesurer la puissance de sa majesté et qui pourra détailler ses miséricordes ? (Si 18, 5). Grand jusqu’aux cieux ton amour, jusqu’aux nues, ta vérité (Ps 57, 11). Ces mots, puisés dans les pages de la Saint Écriture témoignent que le peuple élu fit l’expérience de Dieu essentiellement de par Sa miséricorde. Mais la bonté de Dieu qu’est-elle? De quelle manière Dieu révèle-t-Il Son amour miséricordieux?
La miséricorde signifie dans le langage biblique tout geste d’amour de Dieu à l’égard de la créature. La bonté de Dieu ne se limite pas seulement aux actes de pardonner à l’homme, bien que ces derniers en révèlent la profondeur le plus nettement. Mais l’œuvre de création est déjà un acte de miséricorde en elle-même. Le Psalmiste en parle clairement lorsqu’il loue Dieu pour Son hesed, soit la bonté, le désir de communiquer Son amour, Sa grâce (cf. Ps 136). Comme le dit l’Auteur de ce psaume : car éternel est son hesed – c’est la miséricorde de Dieu qui est la cause notamment de l’existence du soleil, de la lune, des étoiles (cf. Ps 136, 5-9). Le psaume 145, 9 signale qu’il est bon, Yahvé, envers tous, et ses tendresses pour toutes ses œuvres. Dieu aime les êtres qu’Il a créés et Il prend pitié de tous (gr. eleeo), ce dont parle le Livre de la Sagesse (cf. Sg 11, 23-24). C’est à la faveur de cet amour gracieux que le monde est né et continue d’exister. La Bible Hébraïque montre que la miséricorde de Dieu est toujours actuelle. L’on peut dire que l’amour miséricordieux de Dieu est l’oxygène qui maintient la vie du monde et de l’homme.
La miséricorde Yahvé s’avère être un attribut qui distingue le Dieu des Israélites des dieux des peuples païens (cf. Mi 7, 18). Le livre de Michée enseigne que Dieu prend plaisir à la miséricorde (Mi 7, 18). Elle est de toujours, comme le dit le Psalmiste (25, 6). Son immensité est telle que voulant en exprimer la grandeur, l’homme rencontre des difficultés de langage. C’est pourquoi c’est à maintes reprises que les Auteurs des livres de l’Ancien Testament emploient – pour définir la bonté de Dieu – des mots qui expriment la grandeur de cet attribut (p. ex. Ne 13, 22 ; Tb 8, 16 ; Ps 69, 17 ; Is 63, 7). Ils apposent souvent des termes qui désignent la miséricorde, par exemple dans l’Exode 34, 6-7, nous trouvons cette formule de la miséricorde : Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, riche en grâce et fidélité ; qui garde sa grâce à des milliers… Six autres textes emploient aussi des constructions similaires : Ne 9, 17 ; Ps 86, 15 ; 103, 8 ; 145, 8 ; Jl 2, 13 ; Jon 4, 2. L’Auteur du livre de la Sagesse appellera Dieu directement Seigneur de miséricorde (9, 1).
Mais d’où vient, chez le peuple élu, cette contemplation et cet enchantement de la miséricorde divine ? D’où vient cette multitude de termes pour définir la bonté de Dieu ? Or, déjà le fait que Dieu ait été motivé pour choisir un peuple et en faire Sa propriété exclusive est imprégné de Son amour. Nous lisons dans le Deutéronome 7,7 et suiv. qu’en choisissant son peuple, le Seigneur n’était mu par aucun autre motif, mais Il l’a fait par amour (cf. Dt 7, 8) et pour garder le serment juré à Abraham (cf. Dt 7, 8). Il est révélateur que c’est dans un contexte motivant le choix des descendants d’Abraham pour en faire le peuple élu que nous sommes instruits que Dieu est fidèle, qu’Il garde Son alliance et Son amour pour mille générations. Par conséquent, la fidélité de Dieu à la parole donnée constituait pour le peuple élu le sens fondamental de la miséricorde. C’est donc du hesed – amour fidèle – que le peuple élu tire ses racines. Ainsi la miséricorde a-t-elle été révélée avant tout dans le dialogue de Dieu avec l’homme et dans l’alliance conclue avec Lui. Le peuple élu se rendait compte que la bonté de Dieu était la condition de son existence et que c’est d’abord l’amour miséricordieux de Dieu (hébr. rahamim), soit le désir que Dieu a de l’homme, qui est la source de toute vie conçue, l’avenir du peuple (cf. 13, 18).
L’œuvre de la libération du peuple de la captivité d’Égypte découle aussi du hesed. Même si le terme miséricorde n’apparaît pas directement dans la description de cet événement, l’exode est néanmoins présenté comme un acte de miséricorde divine. Dieu qui voit, en effet, la misère du peuple, ses larmes et ses souffrances, est descendu pour le délivrer (cf. Ex 3, 7 et suiv.). L’Auteur du Psaume 136 loue Dieu en poésie pour Sa miséricorde (hesed) révélée par le miracle de la délivrance du peuple élu du joug de Pharaon (versets 10-24). La miséricorde divine s’avère être une force libératrice, une puissance prenant la défense des opprimés injustement. Toutes les œuvres accomplies par Dieu avant et pendant le voyage vers la Terre Promise ont leur source en la bonté fidèle de Dieu. D’ailleurs le Psaume 136 est un immense Te Deum à l’éloge à la miséricorde divine que le peuple a pu connaître grâce à l’œuvre de la libération de la captivité égyptienne. L’Auteur du livre de Néhémie 9, 19 souligne à son tour la tendre présence de Dieu qui n’abandonne pas le peuple pendant son cheminement à travers le désert de jour et de nuit. Le don de la nourriture, de l’eau, enfin la promesse accomplie du don de la terre sont issus de la grâce divine. La gratitude pour cet événement, abondant en bonté divine, résonne notamment dans les paroles suivantes de la Haggadah (récit de la sortie des Juifs de la captivité égyptienne, lu durant le Seder pendant la fête de Pessah) : Aussi, combien plus devons-nous être reconnaissants envers l’Omniprésent pour la bonté doublée et redoublée qu’Il a placée sur nous.
Mais la miséricorde divine a révélé sa beauté la plus éblouissante en confrontation avec la réalité de l’infidélité humaine. Le peuple élu a commis maintes infidélités envers Dieu dès la traversée du désert, par exemple en fabriquant un dieu : le veau d’or (Ex 32, 4) ou en manquant de foi en la providence divine. Le péché équivalait à la rupture des conditions de l’Alliance. Partant, Dieu n’était plus obligé de témoigner la miséricorde ni de bénir son peuple. Le voyant transgresser Ses commandements, Dieu avait le droit d’anéantir le peuple qu’Il avait choisi. Cependant, Il se montre surtout fidèle à Lui-même, à Son amour de l’homme, dans le bien et dans le mal, plus fort que la trahison. Le livre de Néhémie 9, 17-19 résume cette réalité quand il constate que le peuple refusait d’obéir, commettait des blasphèmes, oubliait les interventions miraculeuses de Dieu. Malgré tout cela, Il leur a pardonné en Son immense miséricorde.
À la lumière de ces considérations, la question se pose de savoir quel est le sens du châtiment. D’une façon générale, y a-t-il de la place pour la punition au sein de la miséricorde divine ? Il s’avère que la sollicitude de Dieu à l’égard de l’homme se manifeste notamment par le châtiment. Nous lisons dans le livre du Siracide 16, 11 que pitié et colère appartiennent au Seigneur puissant dans le pardon, répandant la colère. Le passage de l’Exode 34, 7 fait une comparaison entre l’importance de la punition et celle de la miséricorde. Le pardon de Dieu ne connaît pas de limites (« à des milliers »), le châtiment ne dure pas longtemps. Yahvé est lent à la colère et peu empressé à châtier l’homme. Le livre d’Osée 11, 8 et suiv. montre d’une façon imagée que l’idée de punir l’homme Lui fait frémir les entrailles, son cœur est bouleversé. Il le fait pourtant par miséricorde, afin d’amener l’homme à la conversion, car Il désire son bonheur. Ainsi Dieu vient-Il au secours de l’homme dès qu’Il a vu chez lui l’amélioration et la contrition. Il est donc significatif que les termes de miséricorde et de salut apparaissent à maintes reprises l’un à côté de l’autre dans les pages de l’Ancien Testament (p. ex. Ps 6, 5 ; 17, 7 ; Si 2, 11 ; Ba 4, 22).
La miséricorde ne s’étend pourtant pas qu’au peuple élu. L’Auteur du livre du Siracide 18, 13 dira : La pitié du Seigneur est pour toute chair. L’universalisme de la miséricorde est notamment dépeint le mieux dans le livre de Jonas. À voir l’immensité du péché des habitants de Ninive, Dieu leur envoie le prophète dont la mission vise à leur conversion. Jonas souhaite pourtant une punition sévère pour les ennemis cruels d’Israël. Il décide de se soustraire à l’ordre de Yahvé parce qu’il sait qu’Il est un Dieu de pitié et de tendresse, lent à la colère, riche en grâce et te repentant du mal (Jon 4, 2), ainsi peut-Il accorder le pardon à Ninive. C’est ce qui advient. Dans le contexte de ce récit, nous découvrons la condition du pardon de Dieu. C’est le regret pour les péchés. Mais le regret n’est pas seulement un sentiment, il s’agit de se détourner catégoriquement du mal et de se repentir, comme les habitants de Ninive l’ont fait. Les livres de l’Ancien Testament présentent fréquemment la nécessité de se corriger et d’avouer sa faiblesse comme conditions de rémission des péchés par Dieu (cf. 2 Ch 30, 9 ; Ps 79, 8). Le Psaume 51 est peut-être le plus beau texte biblique qui dépeigne la relation : le regret du pécheur – le pardon de Dieu. Déjà les premières paroles de la prière implorent par trois fois la miséricorde divine : Pitié pour moi, Dieu, en ta bonté, en ta grande tendresse efface mon péché (vers 3), car mon péché, moi, je le connais… (vers 5a). L’auteur du livre du Siracide exprimera cette vérité par l’étonnement : Qu’elle est grande la miséricorde du Seigneur, son indulgence pour ceux qui se tournent vers lui ! (17, 29).
Ce sont les livres prophétiques qui chantent particulièrement le don de l’amour, plus fort que le péché humain, de Dieu capable de pardonner à maintes reprises. Parmi ces textes, il faut évoquer cette citation majeure du livre d’Isaïe 54, 10 : Car les montagnes peuvent s’écarter et les collines chanceler, mon amour Ne s’écartera pas de toi, mon alliance de paix ne chancellera pas, dit Yahvé qui te console. Ces mots du livre de Jérémie 31, 3 : D’un amour éternel je t’ai aimée, aussi t’ai-je maintenu ma faveur sont un aveu spécifique d’amour divin abondant en pardon. Dieu ne se contente pourtant pas de produire les preuves de sa bonté, Il désire la miséricorde de l’homme ! Il lui demande d’être fidèle, ce que nous pouvons lire dans le livre d’Osée : C’est l’amour (hesed) qui me plaît et non les sacrifices (6, 6).
Les prophètes dévoilent en quelque sorte le cœur de Dieu et montrent nettement Son amour ardent qui fait tout pour que Son Élue soit heureuse. L’Ancien Testament présente souvent l’expérience de la miséricorde divine comme une source de joie (Ps 13, 6; Ba 4, 22) et de gratitude. Le Psaume 107, qui chante la bonté de Dieu pour avoir délivré le peuple de la captivité et des malheurs, en est un exemple éloquent. Ce psaume répète jusqu’à quatre fois un refrain qui appelle à la gratitude pour la miséricorde de Yahvé (vers 8. 15. 21. 31), puisque à chaque cri de détresse adressé à Dieu, les Israélites ont été écoutés (vers 6. 13. 19. 28).
Ainsi les livres de l’Ancien Testament montrent-ils la miséricorde divine dans l’œuvre de la création, mais tout particulièrement dans le contexte des péchés et des infidélités qui ont été pardonnés à l’homme. L’expérience du pardon devient une source de joie et confère un sens à la vie. Il existe une seule condition de l’obtenir : la volonté authentique de revenir à Dieu. Toute créature est maintenue en son existence par l’amour de Dieu qui se penche sur ce qui est petit, faible et ce qui a besoin d’être soutenu. Le fait même que les textes vétérotestamentaires relatifs à la bonté divine soient innombrables, prouve qu’elle accompagne l’homme constamment et témoigne de la nature illimitée et de la puissance infinie de cet attribut [...] le plus grand en Dieu, comme l’a dit sainte Sœur Faustine.

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