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LA SAINTETÉ DES ENFANTS – FÉVRIER 1931

28 décembre, 2015

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LA SAINTETÉ DES ENFANTS –  FÉVRIER 1931

Vie spirituelle Auteur : P. Garrigou-Lagrange, O.P. Source : In La Vie Spirituelle n° 137 Date de publication originale : Février 1931 1 La prédilection de Notre-Seigneur pour les enfants 2 Les lois de la vie de la grâce en ces vies d’enfants 3 Notes et références

On rapporte que S. S. Pie X, en appelant les enfants à faire la première communion dès l’âge de raison, a dit : « Il y aura des saints parmi les enfants. » Ces paroles semblent de plus en plus se vérifier, et l’on aime à citer les noms de saints enfants dont la vie a été écrite ces dernières années : la petite Nellie, morte en odeur de sainteté, le 2 février 1908, en Irlande, à l’âge de quatre ans et demi, après avoir fait sa première communion qu’elle avait ardemment désirée, et après avoir pratiqué à un degré extraordinaire les plus aimables vertus, surtout la patience à supporter les douleurs de la carie des os[1] ; – le petit Gustavo Maria Brani, appelé « il piccolo serafino di Gesù sacramentato », né à Turin en 1903 et mort en odeur de sainteté à huit ans, content de souffrir par amour de Notre-Seigneur[2] ; – Galileo Nicolini, qui partit pour le ciel, au cours de son noviciat chez les Passionistes ; – Emma Mariani de Lucca, morte à quatre ans et demi, après avoir de très bonne heure manifesté le vif désir de faire sa première communion, qu’elle fit à trois ans, et avoir montré surtout dans sa dernière maladie une grande dévotion à la Passion du Sauveur[3] ; – la petite Anne de Guigné, dont la gracieuse vie, a été racontée dans La Vie Spirituelle, et s’est fort répandue depuis[4] ; – Guy de Fontgalland, à qui la sainte Vierge annonça à Lourdes qu’il mourrait jeune et qu’il ferait ensuite beaucoup de bien du haut du ciel, ce qui se vérifie par les grâces nombreuses obtenues par son intercession[5] ; – Hélène-Anne Dabrowska, née de père polonais et de mère française en 1912, morte le 5 février 1925 à l’âge de douze ans, après avoir su vaincre son caractère indépendant, entêté, fermé, porté à la contradiction, et devenu un modèle d’obéissance, de souplesse et d’oubli de soi[6] ; – Marie-Gabrielle T., dont la vie écrite, par Myriam de G. va paraître chez P. Lethielleux sous le titre Petite prédestinée, dans la collection Parvuli, – ainsi que celles de Guglielmina, d’Hélène, née en Savoie[7]. Toutes ces vies rappellent celle de la Bienheureuse Imelda, morte d’amour pendant l’action de grâces de sa première communion, qui lui fut miraculeusement donnée avec une hostie descendue du ciel. Pourquoi ne pas citer aussi la vie du jeune Pier Giorgio Frassati, de Turin, qui vient d’être traduite en français[8], modèle parfait d’énergie, de pureté, de vraie piété et de dévouement pour les pauvres ? En parcourant la vie de ces enfants, prédestinés à atteindre si vite le ciel, on est frappé de deux choses : de la prédilection de Notre-Seigneur pour les parvuli, et de la façon très belle dont se vérifie dans la vie de ces petits les grandes lois qui président à la vie de tout prédestiné. La prédilection de Notre-Seigneur pour les enfants Cette prédilection est souvent exprimée dans l’Évan­gile. « Quand les disciples demandèrent au Maître, rapporte saint Matthieu, XVIII, 1 : « Qui donc est le plus grand dans le royaume des cieux ? », Jésus, faisant venir un petit enfant, le plaça au milieu d’eux et leur dit : « Je vous le dit, en vérité, si vous ne vous convertissez et devenez comme les petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. Celui donc qui se fera humble comme ce petit enfant est le plus grand dans le royaume des cieux. Et celui qui reçoit en mon nom un petit enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il reçoit. Mais celui qui scandalisera un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu’on lui atta­chât au cou la meule qu’un âne tourne, et qu’on le précipitât au fond de la mer. » Notre-Seigneur veut nous dire que, à l’égard de Dieu, qui que nous soyons, quelle que soit notre science, notre autorité, nous devons toujours être comme de petits enfants, par la conscience de notre faiblesse, de notre fragilité, de notre dépendance, par notre humilité et notre simplicité. Tandis que l’homme devient de plus en plus indépendant de son père et de sa mère en avançant en âge, le chrétien, pour arriver à l’union divine, prélude de la vie éternelle, doit prendre de plus en plus con­science de sa dépendance à l’égard de son Père du ciel ; il devient de plus en plus enfant de Dieu, de plus en plus humble, simple, filial et abandonné ; il en arrive à ne penser, vouloir, agir que par son Père, et pour Lui. C’est ce qui se voit dans la vie des saints, que la fidélité au Saint-Esprit fait entrer dans les voies dites passives, où ils sont de plus en plus à l’égard de Dieu comme des enfants ; ils s’en remettent à Lui avec une absolue confiance et n’usent de leur activité propre que pour parvenir à être plus dépendants de Lui, comprenant bien que notre salut, est plus assuré entre ses mains qu’entre les nôtres. Les saints trouvent aussi le moyen de réaliser les deux parties de cette parole de saint Paul (I Cor., XIV, 20) : « Ne soyez pas des enfants sous le rapport du jugement, mais faites-vous enfants sous le rapport de la malice. » C’est ainsi que le confesseur de Saint Thomas d’Aquin dit que la confession que ce grand théologien avait faite avant de mourir lui montrait son âme innocente comme celle d’un enfant de cinq ans. L’oraison de Saint Thomas devait être aussi des plus simples, des plus filiales et des plus humbles. Les plus grands saints aiment à se rappeler que Jésus disait (Marc, X, 14) : « Laissez les petits enfants venir à moi et ne les empêchez pas ; car le royaume des cieux est à ceux qui leur ressemblent. Je vous le dit en vérité, quiconque ne recevra pas comme un petit enfant le royaume de Dieu, n’y entrera point. » « Puis il les embrassa et les bénit en leur imposant les mains. » (Matth., XIX, 13). Enfin pensant à tous ceux qui ressemblent aux petits par la manière humble et simple de recevoir la parole divine, Jésus disait (Matth., XI, 25) : « Je vous bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, et les avez révélées aux petits. Oui, père, je vous bénis de ce qu’il vous a plu ainsi. » C’est le même enseignement qui nous est donné, aujourd’hui par le travail de la grâce dans les âmes d’en­fants dont nous venons de parler ; c’est avec joie qu’on suit en eux le développement de ce germe de la vie éter­nelle que le baptême leur a donné, et qui arrive parfois si vite à sa dernière éclosion. Les lois de la vie de la grâce en ces vies d’enfants Ce qui frappe en ces biographies, c’est la façon dont se vérifient en ces enfants les grandes lois qui président à la vie de tout prédestiné. La première de ces lois est, celle inscrite dans l’essence même de la grâce sanctifiante, germe de la gloire, semen gloriae. Cette vie, qui nous a été donnée au baptême, est la même en son fond que celle du ciel, comme celle du germe contenue dans un gland est la même que celle qui apparaîtra dans le chêne complètement développé. C’est une participation de la vie intime de Dieu, participation qui s’épanouira lorsque nous verrons Dieu sans voiles, immédiatement, comme il se voit, et lorsque nous l’ai­merons comme il s’aime, sans danger de le perdre par le péché. Cette vie de la grâce, qui se développe ici-bas dans l’obscurité de la foi par le progrès de la charité, doit donc de soi durer toujours, et, lorsque la foi et l’espérance auront disparu pour faire place à la vision et à la possession de Dieu, la grâce sanctifiante et la charité qui sont en nous dureront éternellement, et nous donnent dès ici-bas d’être le temple de la sainte Trinité. Mais bien que cette vie de la grâce doive de soi durer toujours sans jamais se perdre par le péché mortel, qui est le désordre même, elle est reçue dans un vase fragile, qui peut se briser, et en beaucoup de baptisés elle disparaît, elle est détruite par le péché, puis elle est rendue par l’absolution et la contrition ; souvent elle est détruite encore bien des fois, et c’est une grande miséricorde si elle est rendue avant la mort. Ainsi cette grande loi de la grâce sanctifiante, faite de soi pour durer toujours, est masquée en bien vies chrétiennes par des inter­ruptions qui sont des temps de mort. Dans les enfants dons nous parlons, au contraire, cette loi se réalise merveilleusement, l’innocence baptismale demeure, le vase ne se brise pas, et l’eau très pure qu’il contient jaillit vraiment, comme le disait Jésus à la Samaritaine, jusqu’à la vie éternelle, ainsi que le montrent les derniers instants de ces petits. « Vita gratiæ est quædam inchoatio vitæ æternæ », aimait dire saint Thomas[9]. Une deuxième loi de la vie de la grâce est ainsi formulée par le même saint docteur : Comme la pierre tombe d’autant plus vite qu’elle se rapproche de la terre, l’âme qui est en état de grâce doit se porter d’autant plus vite vers Dieu qu’elle se rapproche de Lui et qu’elle est plus attirée par Lui[10]. En d’autres termes, l’âme en état de grâce doit normalement par l’élan de sa charité ou de son amour tendre toujours plus fortement vers Dieu, jusqu’à l’heure où elle arrive à la vision de l’essence di­vine. C’est ainsi qu’en principe chacune de nos commu­nions devrait être substantiellement plus fervente que la précédente, puisque chacune doit augmenter en nous la grâce et la charité et nous disposer ainsi à mieux recevoir Notre-Seigneur le lendemain[11]. Mais le péché véniel, surtout s’il est délibéré, vient souvent retarder cet élan, et voiler cette seconde loi, comme le péché mortel en détruisant la vie de la grâce empêche la réalisation effective de la première. Dans les petits prédestinés dont nous parlons, ce retard dans l’élan de l’amour de Dieu, qui provient surtout du péché véniel délibéré, est à peine visible ; on sent que ces âmes innocentes, comme celle de la petite Nellie, se portent d’un élan toujours plus fort vers « le Dieu saint », comme elle disait, vers Notre-Seigneur présent dans l’Eucharistie, jusqu’à ce qu’Il leur donne de participer à sa vie glorieuse dans le ciel. On comprend de mieux en mieux avec quelle joie Jésus devait dire : « Laissez venir à moi les petits enfants. » Enfin une troisième loi de la grâce, qui complète les précédentes, est celle qui est ainsi formulée par saint Paul (Rom., VIII, 28) : « Toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qui sont appelés selon son éternel dessein. » Dans la vie des élus tout concourt au salut et au degré de gloire auquel ils ont été prédestinés : toutes les grâces depuis celle du baptême, tous les dons naturels, les circonstances favorables de l’existence et aussi les épreuves, les maladies, l’heure de la mort choisie par Dieu de toute éternité, sans même excepter, dit saint Augustin, leurs fautes, car elles ont été permises par le Seigneur pour les faire arriver à une humilité plus vraie, à une parfaite défiance d’eux-mêmes et à une confiance en Dieu d’autant plus ferme : « Cum enim infirmor, tunc potens sum. » Mais, encore une fois, cette grande loi, comme les deux précédentes, est masqué par la vie de bien des élus par le nombre et la gravité de fautes insuffisamment expiées, et pour lesquelles beaucoup doivent faire un long et dur purgatoire, qui entre ainsi dans le nombre des choses qui concourt pour eux à les conduire au terme de leur destinée. Or, dans la vie des petits prédestinés dont nous parlons, on ne remarque pour ainsi dire rien de pareil. Sous le souffle de la grâce, ces âmes volent presque sans arrêt jusqu’à la sainteté, celle que le Seigneur demande aux petits, celle qui leur vaut d’atteindre si vite le degré de gloire auquel ils ont été prédestinés. Vraiment dans leur courte vie, jusqu’au choix divin de l’heure de leur mort, tout a concouru au bien ; et dans ce tout, le purgatoire semble n’avoir aucune place. L’Esprit-Saint, fait entendre à ces petits ce qu’il attend d’eux pour qu’ils répondent à la grâce de leur sanctification selon le plan divin. Ces petites biographies nous aident à comprendre un peu ce qu’est, dans la pensée de Dieu, la sainteté d’un enfant et ce qu’elle requiert pour Lui rendre la gloire qu’Il en attend. Vraiment ces âmes encore couvertes de la rosée céleste du baptême, ces âmes qui n’ont pas été éclaboussées par les fanges de la terre, n’ont guère à passer par le purga­toire. Or celui qui est prêt, à l’instant de sa mort, à entrer immédiatement au ciel est un saint ; en sa vie tout a concouru à le conduire à ce degré de pureté et d’amour de Dieu et des âmes qui lui obtient aussitôt l’éternelle béatitude. Tout en faisant leurs petits sacrifices – grands pour le Seigneur et pour eux – , ces petits semblent aller de clarté en clarté, jusqu’à recevoir et goûter Dieu dès ici-bas. « Je le savoure », disait Guy. On lit dans la déposition inédite d’une religieuse auxiliatrice de Cannes qui enseigna pendant cinq ans le catéchisme à la petite Anne de Guigné : « Par ses dons elle aurait pu exciter la jalousie ; sans sa vertu, elle aurait éclaboussé les autres, mais elle restait si bien à sa place, par sa discrétion elle évitait d’écraser ses compagnes avec un soin si parfait, elle savait si bien ne se mettre en avant que pour rendre service, que tous subissaient le charme de sa vertu sans jalouser son excellence. Elle est toujours restée dans son coin, à sa petite place, et d’une manière qui dépasse une vertu déjà grande… « J’ai souvent remarqué chez elle des touches de recueillement intérieur : c’est à ces moments que le petit Jésus lui parlait, avouait-elle. Je suis intimement persuadé qu’elle a demandé à aller au paradis : cela se sentait, tout trahissait cette impatience du ciel. Le bon Dieu l’appelait, elle en avait le sentiment ; elle répondait à cet appel avec joie. Elle n’en parlait pas à sa mère pour ne point l’attrister, pour lui éviter cet immense chagrin, mais elle avait une certitude intime qu’elle mourrait bientôt. C’était frappant à la fin. Rien plus ne la retenait sur la terre, je sentais que la mort ne lui coûterait qu’un sacrifice, celui de sa mère. » C’est la même remarque que l’on fait en lisant toutes les biographies de ces petits serviteurs de Dieu. – « Quand sera-ce ? Quand viendra-t-il ? » disait Marie-Gabrielle T., qui mourut en exprimant son très vif désir du ciel. Une petite Gugliemina Tacchi-Marconi (1898-1909), dont la biographie paraît aussi dans la collection Parvuli, manifeste à huit ans un amour extraordinaire des pauvres, auxquels elle donne, « pour l’amour de Jésus », son argent, son manteau. Une parole qui offense Dieu la fait pâlir ; elle, devient grave et recueillie dès qu’on parle de l’Eucharistie. Souffrant, beaucoup pendant sept mois d’une endocardite, qui l’emporta, elle se montre douce, résignée, sans caprices ni impatiences malgré l’insomnie ; après l’extrême-onction, elle demande instamment la communion : « Je veux de nouveau Jésus-Hostie, et puis je m’endors. Hâtez-vous ! » ; et son souhait exaucé, elle meurt, pendant son action de grâces. D’après la même collection, une petite savoisienne, Hélène[12] (1894-1905), qui semble pratiquer sans effort la vertu, l’obéissance, la mortification, et se montre studieuse, appliquée, réfléchie, veut demander à Jésus la grâce de mourir le jour de sa première communion ; sa mère lui répond : « Laisse-Le faire comme Il voudra. » Puis, quelques mois après cette première communion radieuse, elle invite ses parents et ses sœurs à entendre une dernière fois tout ce qu’elle sait jouer au piano, et elle dit : « Est-ce que je vais mourir ? Il me semble que oui, c’est pourquoi je vous ai joué tout ce que je sais… pour la dernière fois. » Peu après, elle est atteinte d’une méningite. Dans l’excès du mal, elle reste toujours recueillie, gardant les mains jointes, sans impatience. Elle recouvre toute sa lucidité, lorsque son confesseur lui demande si elle veut Jésus. Elle le reçoit en disant du plus profond de son cœur : « Mon Dieu, je vous aime ! » et après l’extrême-onction, elle meurt, comme elle en avait eu le pressentiment. On est surpris parfois de rencontrer ces petites âmes toutes perdues dans la lumière, et on a l’impression que ces enfants ont donné à Dieu tout ce qu’Il voulait d’eux : la fidélité aux devoirs quotidiens de leur âge, fidélité ins­pirée par une foi, une confiance filiale et une charité toujours plus vives, On trouve même chez eux un sens pro­fond du mystère de la Croix. Le petit Guy de Fontgalland, âgé de onze ans, pendant les tortures qui précèdent sa mort, dit : « Oh ! comme je souffre ! Cher petit Jésus, je vous offre de souffrir encore aussi longtemps que vous le voudrez… ; je vous aime bien, allez ! » Et se tournant vers sa mère, avant son dernier soupir, il lui dit pour la consoler en lui rappelant le prix de la Croix du Sauveur : « Maman, ma petite maman, quand je serai là-haut près du petit Jésus, je t’enverrai des croix… Il faudra bien les accepter. » Quelle grande leçon de force le Seigneur nous donne par ce petit ! La perfection de la vie chrétienne consiste spécialement dans la charité, dans l’amour de Dieu et des âmes en Dieu. Si donc nous voyons la vie d’un enfant toute animée par l’amour de Dieu, par la confiance en Notre­-Seigneur et en Marie, si nous trouvons en lui, avec l’es­prit de mortification et de sacrifice, une intimité de pres­que tous les instants et toujours grandissante avec Celui qui a dit : « Laissez venir à moi les petits enfants », alors nous pouvons dire que ce petit, malgré son jeune âge, a atteint la perfection de la vie chrétienne, et cela à un degré peut-être très supérieur à celui auquel parviennent nombre de bons chrétiens arrivés pourtant à un âge très avancé. Nous nous rappelons alors la parole de Pie X lorsqu’il appelait les tout petits à la première commu­nion : « Il y aura des saints parmi les enfants. » Et la prière de ces petits est parfois singulièrement puissante ; si les grands de la terre sont souvent très touchés de la prière que leur adressent de petits enfants, combien plus le Seigneur lui-même aime-t-il à la recevoir, Lui qui la fait jaillir de leur cœur ! Demandons-leur de nous obtenir des vocations sacerdotales, des prêtres saints, et, pour écarter les dangers d’une nouvelle guerre, de faire surgir, dans les pays susceptibles d’entrer en conflit demain, de véritables amis de Jésus, des sources de charité et de paix. Rome, Angelico.

Notes et références sur le site

BENOÎT XVI : LA SAINTETÉ

29 octobre, 2013

http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/audiences/2011/documents/hf_ben-xvi_aud_20110413_fr.html

BENOÎT XVI

AUDIENCE GÉNÉRALE

PLACE SAINT-PIERRE

MERCREDI 13 AVRIL 2011

LA SAINTETÉ

Chers frères et sœurs,

Au cours des Audiences générales de ces deux dernières années nous ont accompagnés les figures d’un grand nombre de saints et de saintes: nous avons appris à les connaître de plus près et à comprendre que toute l’histoire de l’Eglise est marquée par ces hommes et femmes qui par leur foi, par leur charité, par leur vie ont été des phares pour de si nombreuses générations, et qu’ils le sont aussi pour nous. Les saints manifestent de différentes manières la présence puissante et transformatrice du Ressuscité; ils ont laissé le Christ se saisir si pleinement de leur vie qu’ils peuvent affirmer avec saint Paul: «Ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi» (Ga 2, 20). Suivre leur exemple, recourir à leur intercession, entrer en communion avec eux, «nous unit au Christ de qui découlent, comme de leur source et de leur tête, toutes grâces et la vie du Peuple de Dieu lui-même» (Conc. Œc. Vat. ii, Const. dogm. Lumen gentium, n. 50). Au terme de ce cycle de catéchèses, je voudrais alors offrir quelques pensées sur ce qu’est la sainteté.
Que veut dire être saint? Qui est appelé à être saint? On est souvent porté encore à penser que la sainteté est une destination réservée à de rares élus. Saint Paul, en revanche, parle du grand dessein de Dieu et affirme: «C’est ainsi qu’Il (Dieu) nous a élus en lui (le Christ), dès avant la fondation du monde, pour être saints et immaculés en sa présence, dans l’amour» (Ep 1, 4). Et il parle de nous tous. Au centre du dessein divin, il y a le Christ, dans lequel Dieu montre son Visage: le Mystère caché dans les siècles s’est révélé en plénitude dans le Verbe qui s’est fait chair. Et Paul dit ensuite: «Car Dieu s’est plu à faire habiter en lui toute la plénitude» (Col 1, 19). En Christ, le Dieu vivant s’est fait proche, visible, touchable, il s’est fait entendre afin que chacun puisse puiser de sa plénitude de grâce et de vérité (cf. Jn 1, 14-16). C’est pourquoi toute l’existence chrétienne connaît une unique loi suprême, celle que saint Paul exprime dans une formule qui revient dans tous ses écrits: en Jésus Christ. La sainteté, la plénitude de la vie chrétienne ne consiste pas à accomplir des entreprises extraordinaires, mais à s’unir au Christ, à vivre ses mystères, à faire nôtres ses attitudes, ses pensées, ses comportements. La mesure de la sainteté est donnée par la stature que le Christ atteint en nous, par la mesure dans laquelle, avec la force de l’Esprit Saint, nous modelons toute notre vie sur la sienne. C’est être conformes à Jésus, comme affirme saint Paul: «Car ceux que d’avance il a discernés, il les a aussi prédestinés à reproduire l’image de son Fils» (Rm 8, 29). Et saint Augustin s’exclame: «Ma vie sera vivante toute pleine de Toi» (Confessions, 10, 28). Le Concile Vatican ii, dans la Constitution sur l’Eglise, parle avec clarté de l’appel universel à la sainteté, en affirmant que personne n’en est exclu: «A travers les formes diverses de vie et les charges différentes, il n’y a qu’une seule sainteté cultivée par tous ceux que conduit l’Esprit de Dieu et qui… marchent à la suite du Christ pauvre, humble et chargé de sa croix, pour mériter de devenir participants de sa gloire» (n. 41).
Mais la question demeure: comment pouvons-nous parcourir la voie de la sainteté, répondre à cet appel? Puis-je le faire avec mes propres forces? La réponse est claire: une vie sainte n’est pas principalement le fruit de notre effort, de nos actions, car c’est Dieu, le trois fois Saint (cf. Is 6, 3), qui nous rend saints, c’est l’action de l’Esprit Saint qui nous anime de l’intérieur, c’est la vie même du Christ ressuscité qui nous est communiquée et qui nous transforme. Pour le dire encore une fois avec le Concile Vatican ii: «Appelés par Dieu, non au titre de leurs œuvres mais au titre de son dessein gracieux, justifiés en Jésus notre Seigneur, les disciples du Christ sont véritablement devenus par le baptême de la foi, fils de Dieu, participants de la nature divine et, par là même, réellement saints. Cette sanctification qu’ils ont reçue, il leur faut donc, avec la grâce de Dieu, la conserver et l’achever par leur vie» (ibid., n. 40). La sainteté a donc sa racine ultime dans la grâce baptismale, dans le fait d’être greffés dans le Mystère pascal du Christ, avec lequel nous est communiqué son Esprit, sa vie de Ressuscité. Saint Paul souligne de manière très puissante la transformation que la grâce baptismale accomplit dans l’homme et il arrive à créer une terminologie nouvelle, forgée avec le préfixe «co»: co-morts, co-ensevelis, co-ressuscités, co-vivifiés avec le Christ: notre destin est indissolublement lié au sien. «Si par le baptême — écrit-il — dans sa mort, nous avons été mis au tombeau avec lui, c’est pour que nous menions une vie nouvelle, nous aussi, de même que le Christ, par la toute puissance du Père, est ressuscité d’entre les morts» (Rm 6, 4). Mais Dieu respecte toujours notre liberté et demande que nous acceptions ce don et vivions les exigences qu’il comporte, il demande que nous nous laissions transformer par l’action de l’Esprit Saint, en conformant notre volonté à la volonté de Dieu.
Comment notre façon de penser et nos actions peuvent-elles devenir la manière de penser et d’agir du Christ et avec le Christ? Quelle est l’âme de la sainteté? Le Concile Vatican ii précise à nouveau: «Dieu est charité et celui qui demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu en lui (cf. 1 Jn 4, 16). Sa charité, Dieu l’a répandue dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné (cf. Rm 5, 5). La charité qui nous fait aimer Dieu par-dessus tout et le prochain à cause de lui est par conséquent le don premier et le plus nécessaire. Mais pour que la charité, comme un bon grain, croisse dans l’âme et fructifie, chaque fidèle doit s’ouvrir à la Parole de Dieu et, avec l’aide de sa grâce, mettre en œuvre sa volonté, participer fréquemment aux sacrements, surtout à l’Eucharistie, et aux actions sacrées, s’appliquer avec persévérance à la prière, à l’abnégation de soi-même, au service actif de ses frères et à l’exercice de toutes les vertus. La charité en effet, étant le lien de la perfection et la plénitude de la loi (cf. Col 3, 14; Rm 13, 10), oriente tous les moyens de sanctification, leur donne leur âme et les conduit à leur fin» (Lumen gentium, n. 42). Peut-être ce langage du Concile Vatican ii est-il encore un peu trop solennel pour nous, peut-être devons-nous dire les choses de manière encore plus simple. Qu’est-ce qui est essentiel? Il est essentiel de ne jamais laisser passer un dimanche sans une rencontre avec le Christ Ressuscité dans l’Eucharistie; cela n’est pas un poids en plus, mais une lumière pour toute la semaine. Il ne faut pas commencer ni finir une journée sans avoir au moins un bref contact avec Dieu. Et, sur la route de notre vie, suivre les «panneaux routiers» que Dieu nous a communiqués dans le décalogue lu avec le Christ, qui est tout simplement l’explicitation de ce qu’est la charité dans des situations déterminées. Il me semble que cela est la véritable simplicité et la grandeur de la vie de sainteté: la rencontre avec le Ressuscité le dimanche; le contact avec Dieu au début et à la fin de la journée; suivre, dans les décisions, les «panneaux routiers» que Dieu nous a communiqués, qui sont seulement des formes de charité. «C’est donc la charité envers Dieu et envers le prochain qui marque le véritable disciple du Christ» (Lumen gentium, n. 42). Telle est la véritable simplicité, grandeur et profondeur de la vie chrétienne, du fait d’être saints.
Voilà pourquoi saint Augustin, en commentant le quatrième chapitre de la Première Lettre de saint Jean, peut affirmer une chose courageuse: «Dilige et fac quod vis», «Aime et fais ce que tu veux». Et il poursuit: «Si tu te tais, tais-toi par amour; si tu parles, parle par amour; si tu corriges, corrige par amour; si tu pardonnes, pardonne par amour; qu’en toi se trouve la racine de l’amour, car de cette racine ne peut rien procéder d’autre que le bien» (7, 8: PL 35). Celui qui est guidé par l’amour, qui vit la charité pleinement est guidé par Dieu, car Dieu est amour. C’est ce qui donne sa valeur à cette grande parole: «Dilige et fac quod vis», «Aime et fais ce que tu veux».
Sans doute pourrions-nous nous demander: pouvons-nous, avec nos limites, avec notre faiblesse, tendre à des sommets si élevés? Au cours de l’Année liturgique, l’Eglise nous invite à faire mémoire d’une foule de saints, c’est-à-dire de ceux qui ont vécu pleinement la charité, qui ont su aimer et suivre le Christ dans leur vie quotidienne. Ils nous disent qu’il est possible pour tous de parcourir cette voie. A toute époque de l’histoire de l’Eglise, à toute latitude de la géographie du monde, les saints appartiennent à tous les âges et à tous les états de vie, ils ont le visage concret de chaque peuple, langue et nation. Et ils sont de types très divers. En réalité, je dois dire qu’en ce qui concerne ma foi personnelle également, de nombreux saints, pas tous, sont de véritables étoiles dans le firmament de l’histoire. Et je voudrais ajouter que pour moi, ce sont non seulement certains grands saints que j’aime et que je connais bien qui «indiquent la voie», mais précisément les saints simples également, c’est-à-dire les personnes bonnes que je vois dans ma vie, qui ne seront jamais canonisées. Ce sont des personnes normales, pour ainsi dire, sans héroïsme visible, mais dans leur bonté quotidienne, je vois la vérité de la foi. Cette bonté, qu’elles ont mûrie dans la foi de l’Eglise, est pour moi la plus sûre apologie du christianisme et le signe qui indique où se trouve la vérité.
Dans la communion des saints, canonisés et non canonisés, que l’Eglise vit grâce au Christ dans tous ses membres, nous jouissons de leur présence et de leur compagnie et nous cultivons la ferme espérance de pouvoir imiter leur chemin et partager un jour la même vie bienheureuse, la vie éternelle.
Chers amis, comme la vocation chrétienne est grande et belle, et également simple, vue sous cette lumière! Nous sommes tous appelés à la sainteté: elle est la mesure même de la vie chrétienne. Encore une fois, saint Paul l’exprime avec une grande intensité, lorsqu’il écrit: «Chacun de nous a reçu sa part de la faveur divine selon que le Christ a mesuré ses dons… C’est lui encore qui “a donné” aux uns d’être apôtres, à d’autres d’être prophètes, ou encore évangélistes, ou bien pasteurs et docteurs, organisant ainsi les saints pour l’œuvre du ministère, en vue de la construction du Corps du Christ, au terme de laquelle nous devons parvenir, tous ensemble, à ne faire plus qu’un dans la foi et la connaissance du Fils de Dieu, et à constituer cet Homme parfait, dans la force de l’âge, qui réalise la plénitude du Christ» (Ep 4, 7. 11-13). Je voudrais inviter chacun à s’ouvrir à l’action de l’Esprit Saint, qui transforme notre vie, pour être nous aussi comme des pièces de la grande mosaïque de sainteté que Dieu crée dans l’histoire, afin que le visage du Christ resplendisse dans tout son éclat. N’ayons pas peur de tendre vers le haut, vers les sommets de Dieu; n’ayons pas peur que Dieu nous demande trop, mais laissons-nous guider dans chacune de nos actions quotidiennes par sa Parole, même si nous nous sentons pauvres, inadéquats, pêcheurs: c’est Lui qui nous transformera selon son amour. Merci.

LE PÈRE MICHEL-MARIE, UNE SOUTANE DANS LE MARSEILLE PROFOND – par Sandro Magister

9 janvier, 2013

http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1350378?fr=y

LE PÈRE MICHEL-MARIE, UNE SOUTANE DANS LE MARSEILLE PROFOND

La vie, l’œuvre et les miracles d’un curé dans une ville de France. Qui a fait refleurir la foi là où elle s’était desséchée

par Sandro Magister

ROME, le 4 décembre 2012 – Le titre de cet article est celui-là même que le journal « Avvenire » a donné à un reportage qui a été réalisé à Marseille par son envoyée spéciale Marina Corradi, sur les traces du curé d’un quartier situé derrière le Vieux Port.
Un curé dont les messes sont célébrées dans une église pleine à craquer de fidèles. Qui confesse tous les jours jusqu’à une heure avancée de la soirée. Qui a baptisé un très grand nombre de convertis. Qui porte constamment la soutane de manière à ce que tout le monde puisse le reconnaître comme prêtre, même de loin.
Michel-Marie Zanotti-Sorkine est né en 1959 à Nice, dans une famille en partie russe, en partie corse. Dans sa jeunesse, il chante dans les cabarets de Paris, mais ensuite, les années passant, la vocation sacerdotale, qu’il avait ressentie dès l’enfance, renaît en lui avec vigueur. Il a pour guides le père Joseph-Marie Perrin, qui fut le directeur spirituel de Simone Weil, et le père Marie-Dominique Philippe, fondateur de la Communauté Saint-Jean. Il fait ses études à l’Angelicum, la faculté de théologie des dominicains, à Rome. Il est ordonné prêtre en 2004 par le cardinal Bernard Panafieu, alors archevêque de Marseille. Il écrit des livres, dont le dernier est intitulé « Au diable la tiédeur » et dédié aux prêtres. Il est curé de la paroisse Saint-Vincent-de-Paul.
Et dans cette paroisse située en haut de la Canebière, une rue qui monte du Vieux-Port entre des immeubles et des magasins négligés, où l’on rencontre de nombreux clochards, immigrés, roms, et où les touristes ne s’aventurent pas, dans un Marseille et dans une France où la pratique religieuse est presque partout réduite au minimum, le père Michel-Marie a fait refleurir la foi catholique.
Comment ? Marina Corradi l’a rencontré. Et elle raconte.
Ce reportage a été publié le 29 novembre dans « Avvenire », le quotidien de la conférence des évêques d’Italie. C’est le premier d’une série ayant pour objectif de présenter des témoins de la foi, connus ou non, capables de faire naître l’étonnement évangélique chez ceux qui les rencontrent.
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« LE PAPE A RAISON : TOUT DOIT RECOMMENCER À PARTIR DU CHRIST »

par Marina Corradi

Cette soutane noire qui voltige sur la Canebière, au milieu d’une foule plus maghrébine que française, fait se retourner les gens. Tiens, un prêtre, et habillé comme autrefois, dans les rues de Marseille. Un homme brun, souriant, mais qui a pourtant quelque chose de réservé, de monacal. Et quelle histoire que la sienne ! Il a chanté dans des cabarets à Paris, cela ne fait que huit ans qu’il a été ordonné prêtre et depuis lors il est curé ici, à la paroisse Saint-Vincent-de-Paul.
Mais, en réalité, son histoire est encore plus compliquée que cela : Michel-Marie Zanotti-Sorkine, 53 ans, descend d’un grand-père juif russe, immigré en France, qui fit baptiser ses filles avant la guerre. Elles échappèrent à l’Holocauste et l’une d’elles a mis au monde le père Michel-Marie. En revanche, du côté paternel, celui-ci est à moitié corse et à moitié italien. (On pense : quel mélange bizarre et l’on regarde son visage avec étonnement, en essayant de comprendre ce que peut être un homme qui a en lui un tel nœud de racines). Mais si, un dimanche, on entre dans son église pleine à craquer de fidèles et si l’on écoute parler du Christ avec des mots simples de tous les jours ; si l’on observe la religieuse lenteur avec laquelle il élève l’hostie, dans un silence absolu, on se demande qui est ce prêtre et ce qui, en lui, fascine et fait revenir à la foi des gens qui s’en étaient éloignés.
Enfin il est là, en face de vous, dans son presbytère blanc, claustral. Il a l’air plus jeune que son âge ; il n’a pas ces rides d’amertume qui, avec le temps, marquent le visage d’un homme. Il se dégage de lui une paix, une joie qui étonne. On voudrait lui demander tout de suite : mais qui êtes-vous ?
Devant un repas frugal, il évoque sa vie toute entière en quelques indications. Deux parents merveilleux. La mère, baptisée mais catholique seulement de manière formelle, accepte que son fils aille à l’église. La foi lui est transmise « par un vieux prêtre, un salésien en soutane noire, un homme d’une foi généreuse, démesurée ». Le désir, à huit ans, d’être prêtre. À treize ans, il perd sa mère : « La douleur m’a ravagé. Et pourtant je n’ai jamais douté de Dieu ». L’adolescence, la musique, et cette belle voix. Les pianos-bars de Paris pourraient sembler peu adaptés au discernement d’une vocation religieuse. Et pourtant, tandis que la décision mûrit lentement, les pères spirituels de Michel-Marie lui disent de rester dans le monde des nuits parisiennes : parce que là aussi, il faut qu’il y ait un signe. Mais la vocation finit par se faire pressante. Et en 1999, alors qu’il a 40 ans, son désir d’enfant se réalise : il devient prêtre, et en soutane, comme le vieux salésien.
Pourquoi la soutane ? « Pour moi – répond-il en souriant – c’est une tenue de travail. Elle est destinée à constituer un signe pour ceux qui me rencontrent et avant tout pour ceux qui ne sont pas croyants. Habillé de cette façon, je suis reconnaissable comme prêtre, tout le temps. Ainsi, dans la rue, je mets à profit toutes les occasions de créer de nouvelles amitiés. Mon père, me dit un homme, où est le bureau de poste ? Je lui réponds : Venez, je vous accompagne. Tout en marchant, nous bavardons et je découvre que les enfants de cet homme ne sont pas baptisés. Je finis par lui dire de me les amener et bien souvent, par la suite, je baptise ces enfants. Je fais tout ce que je peux pour que mon visage montre une humanité bonne. L’autre jour – raconte-t-il en riant – dans un bar, un vieil homme m’a demandé sur quels chevaux parier et je lui en ai conseillé. J’ai demandé pardon à la Sainte Vierge, à qui j’ai dit en moi-même : tu sais, c’est pour devenir l’ami de cet homme. Comme le disait un prêtre qui a été mon maître quand on lui demandait comment convertir les marxistes : ‘Il faut devenir leur ami’ ».
Ensuite, à l’église, sa messe est austère et belle. Le prêtre affable de la Canebière est un prêtre rigoureux. Pourquoi donne-t-il tant de soin à la liturgie ? « Je veux que tout soit magnifique autour de l’eucharistie. Je veux que, au moment de l’élévation, les gens comprennent qu’Il est là, vraiment. Ce n’est pas du théâtre, ce n’est pas de la pompe superflue : c’est habiter le Mystère. Le cœur a besoin, lui aussi, de ressentir ».
Il insiste beaucoup sur la responsabilité du prêtre et dans l’un de ses livres – il en a écrit plusieurs et écrit encore, parfois, des chansons – il affirme qu’un prêtre dont l’église est vide doit s’interroger et dire : « C’est à nous que le feu fait défaut ». Et d’expliquer : « Le prêtre est un ‘alter Christus’, il est appelé à refléter en lui le Christ. Cela ne signifie pas nous demander à nous-mêmes la perfection, mais être conscients de nos péchés, de notre misère, afin d’être en mesure de comprendre tous ceux qui se présentent au confessional et de leur pardonner ».
Le père Michel-Marie est tous les soirs dans son confessional, avec une parfaite ponctualité, à cinq heures, toujours. (Les gens, dit-il, doivent savoir que le prêtre est là, en tout cas). Puis il reste à la sacristie jusqu’à onze heures, afin d’accueillir quiconque désirerait s’y rendre : « Je veux donner le signe d’une disponibilité illimitée ». À en juger par le défilé ininterrompu de fidèles, le soir, on dirait que cela fonctionne. Comme une demande profonde qui émerge de cette ville apparemment lointaine. Que veulent-ils ? « La première chose, c’est de s’entendre dire : tu es aimé. La seconde : Dieu a un projet sur toi. Il faut qu’ils se sentent non pas jugés, mais accueillis. Il s’agit de leur faire comprendre que le seul qui puisse changer leur vie, c’est le Christ. Et Marie. Selon moi, il y a deux choses qui permettent un retour à la foi : l’amour de Marie et l’apologétique passionnée, qui touche le cœur ».
« Ceux qui viennent me trouver – poursuit-il – me demandent avant tout une aide humaine et je m’efforce de leur apporter toute l’aide possible. En n’oubliant pas que le mendiant a besoin de manger mais qu’il a également une âme. À la femme offensée je dis : envoie-moi ton mari, je vais lui parler. Mais il y a aussi beaucoup de gens qui viennent me dire qu’ils sont tristes, qu’ils vivent mal… Alors je leur demande : depuis combien de temps ne vous êtes-vous pas confessé ? Parce que je sais que le péché pèse et que la tristesse du péché tourmente. Je suis arrivé à la conviction que ce qui fait souffrir beaucoup de gens, c’est le manque de sacrements. Le sacrement, c’est le divin à la portée de l’homme : et sans cette nourriture, on ne peut pas vivre. Je vois la grâce opérer et les personnes changer ».
Des journées données totalement, dans la rue ou au confessional, jusqu’à la nuit. Où trouve-t-il les forces nécessaires ? Lui – presque pudiquement, comme on parle d’un amour – évoque un rapport profond avec Marie, la confiance absolue qu’il a en elle : « Marie, c’est l’acte de foi total, dans l’abandon sous la Croix. Marie, c’est la compassion absolue. C’est la pure beauté offerte à l’homme ». Et il aime le chapelet, l’humilité du chapelet, ce prêtre de la Canebière : « Souvent, pendant je confesse, je récite le chapelet, ce qui ne m’empêche pas d’écouter ; lorsque je donne la communion, je prie ». On est intimidé en l’écoutant. Mais alors, tous les prêtres devraient faire preuve d’un dévouement absolu, presque comme des saints ? « Je ne suis pas un saint et je ne crois pas que tous les prêtres doivent être saints. Mais ils peuvent être des hommes bons. Les gens seront attirés par la bonté présente sur leur visage ».
A-t-il des problèmes, dans ces rues caractérisées par une très forte présence de musulmans immigrés ? Non, dit-il simplement : « Ils ont du respect pour moi et pour cette soutane ». À l’église, il accueille tout le monde avec joie : « Y compris les prostituées. Je leur donne la communion. Qu’est-ce que je devrais leur dire ? Devenez d’honnêtes femmes avant d’entrer ici ? Le Christ est venu pour les pécheurs et j’ai la crainte, si je refuse un sacrement, qu’un jour il puisse me demander d’en rendre compte. Mais est-ce que nous connaissons encore la puissance des sacrements ? Je me demande si nous n’avons pas trop bureaucratisé l’admission au baptême. Je pense au baptême de ma mère juive qui, pour ce qui est de la demande de mon grand-père, fut un acte purement formel : et pourtant, de ce baptême est venu un prêtre ».
Et la nouvelle évangélisation ? « Voyez-vous – dit-il en prenant congé, dans son presbytère – plus je vieillis et plus je comprends ce que dit Benoît XVI : tout recommence vraiment à partir du Christ. Nous ne pouvons que remonter à la source ».
Plus tard, on l’entrevoit au loin, dans la rue, avec sa soutane noire que son pas rapide met en mouvement. « Je la porte – a-t-il dit – afin d’être reconnu par quelqu’un que, sans cela, je ne rencontrerais peut-être jamais. Par cet inconnu, qui m’est extrêmement cher ».
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Le journal qui a publié le reportage :

> Avvenire

La sainteté, un chemin d’imperfections

30 octobre, 2012

http://www.esprit-et-vie.com/article.php3?id_article=1656

La sainteté, un chemin d’imperfections

Fr. François-Xavier Ledoux, o.p.

Ap 7, 2…14 – Ps 23 – 1 Jn 3, 1-3 – Mt 5, 1-12

Esprit et Vie n°157 – octobre 2006 – 1e quinzaine, p. 32-33.  

Qu’est-ce que la sainteté ? Qu’est-ce que ce mot peut encore évoquer pour nous, alors même qu’il ne semble plus guère faire partie du vocabulaire de nos contemporains qui, eux, dans le meilleur des cas, préfèrent parler de spiritualité, voire de mystique ?
« Dieu n’est pas un saint ! »
Il est vrai que l’image véhiculée par le mot même de sainteté, très marquée par le jansénisme et le xixe siècle, peut hanter encore, de façon caricaturale, les subconscients et la culture actuelle : le saint serait un personnage falot, ennuyeux, qui ne dit pas un mot plus haut que l’autre, et surtout qui n’a aucun rapport avec la sexualité… Bref, un personnage triste, même s’il y a quelques exceptions (comme saint Philippe Néri), qui ne sait pas goûter la vie, qui passe son temps à se priver de tout, à s’infliger des pénitences, et qui n’aime pas trop les bons vivants ! C’est ainsi que, vers les années 1930, la poétesse Marie-Noël a pu écrire dans ses Notes intimes : « Comme je suis contente que Dieu ne soit pas un saint ! Si un saint avait créé le monde, il aurait créé la colombe, mais il n’aurait pas créé le serpent. Il aurait créé la colombe, mais il ne l’aurait pas créée « mâle et femelle », il n’aurait pas osé créer l’Amour, il n’aurait pas osé créer le printemps qui trouble toute chair au monde. Et toutes les fleurs auraient été blanches. Dieu soit loué ! Dieu en a fait de toutes les couleurs. Dieu n’est pas un saint. Dans son œuvre hardie, il ne s’est pas soucié des disciplines et de l’édification des saints et s’il était homme au lieu d’être Dieu, il aurait encouru la censure des saints… Pourtant, vous êtes saint, ô mon Dieu, saint qui sanctifiez les saints […], et c’est votre grandeur qui me rassure et m’empêche de trembler quand les saints me troublent en réduisant tous les chemins à leur seule route [1]. »
Libérer le chemin de la sainteté
Dans un autre genre, la définition du Petit Robert est également très éclairante : le saint est celui qui « mène une vie irréprochable, en tous points conforme aux lois de la morale et de la religion ». Voilà bien une forme de sainteté parfaite qui paraîtra sans doute inaccessible à la plupart d’entre nous, j’imagine, d’autant plus que nous savons bien que la perfection n’est pas de ce monde, et qu’elle n’a rien à voir avec cette sainteté dont nous parle l’Écriture.
Néanmoins, ce début de troisième millénaire a été encore marqué par de nombreuses béatifications et canonisations au sein de notre Église. Alors, serions-nous entrés maintenant dans l’ère de la mondialisation de la sainteté, dans l’ère de sa démocratisation, voire de sa « grande distribution » ? Il semblerait, en effet, que, suite à l’appel universel à la sainteté lancé par le concile Vatican II [2], le pape Jean-Paul II ait canonisé plus de saints et de saintes que tous ses prédécesseurs réunis ! Et, selon un certain angle d’analyse, on peut noter qu’il a pu, de ce fait, donner des modèles de sainteté à tous les continents, augmenter en particulier le nombre des saintes femmes et des saints laïcs, voulant rendre ainsi la sainteté proche de tous, même si le modèle dominant demeure encore celui de fondateur ou de fondatrice d’une congrégation religieuse.
Mais, cette proximité, toute relative, nous renverrait-elle l’image d’une sainteté dorénavant à bon marché – finalement, nous serions tous des petits saints en puissance, donc nous n’aurions pas d’inquiétude à avoir pour notre avenir ! -, quittant ainsi les images d’Épinal – poussiéreuses et rejetées par l’opinion publique – d’une sainteté réservée à une élite triste et ascétique qui vivrait au-dessus de la condition commune de l’humanité ?
Cette proximité, encore, peut-elle nous faire oublier les difficultés, les erreurs, les échecs de la vie quotidienne, familiale ou professionnelle que nous pouvons ou avons pu connaître, et qui semblent entraver notre « élévation sur les autels » ? Et même, plus simplement, que peut être la sainteté de ceux qui travaillent chaque jour à une tâche qui leur semble sans intérêt, ou qui perdent leur temps libre en transports, en « courses », en travaux ménagers insipides, et qui sont tellement « crevés », comme ils disent, le soir ou le week-end, qu’ils perdent bientôt le goût de ce qui donnait du sens à leur existence ? Mais n’est-ce pas pour ceux-là aussi que le chemin de la sainteté doit être libéré ?
Vivre en chrétien face au mal
En effet, si nous sommes tous appelés à la sainteté, dans le contexte qui est le nôtre aujourd’hui, ce n’est pas seulement pour correspondre aux modèles reçus, et ainsi réussir sa vie et son salut personnel en vue du bonheur parfait. Non, le chemin de sainteté que nous proposent les Béatitudes n’a que peu à voir avec un quelconque héroïsme de la piété, de l’ascèse ou des vertus. Mais il s’agit, devant la violence du mal, sa puissance, devant l’abîme de détresse qui saisit souvent notre monde, de manifester avant tout que Dieu s’y tient présent car des croyants y demeurent vivants, priants, aimants, comme des combattants du malheur et du destin. Rien de plus, mais rien de moins. Comme le dit l’Apocalypse, « tous ces gens vêtus de blanc viennent de la grande épreuve ; ils ont lavé leur vêtements, ils les ont purifiés dans le sang de l’Agneau ».
Il y a donc là plus qu’une question de sainteté, un véritable enjeu mystique : faire toujours foi au meilleur de l’humain et montrer que vivre en chrétien, ce n’est pas se tenir dans un état permanent de recherche de perfection, dans une attitude de modèle rappelant ainsi aux autres les bornes à ne pas dépasser. Non, vivre en chrétien, c’est suivre un chemin de vie fait d’ » imperfections », à l’image de celui vécu par le Christ qui ne s’est pas seulement fait homme, mais qui a, lui aussi, connu l’échec et la souffrance, l’épreuve de la trahison de l’amitié, de la mort et de la descente aux enfers, avant de ressusciter le troisième jour.
Renverser notre échelle des valeurs
En relisant ainsi l’Évangile des Béatitudes, dans la foi en la résurrection, mais à la lumière de l’image du Christ en croix, nous comprenons que nous sommes invités à laisser crucifier notre bon sens raisonnable et vertueux, afin de faire nôtre le regard de Dieu : Dieu qui fait de la pierre rejetée des bâtisseurs la pierre d’angle, Dieu qui regarde comme aimable ce qui aux yeux des hommes est sans noblesse, « ignoble ». Voilà le scandale, la folie qui renverse notre échelle des valeurs, c’est-à-dire qui la remet debout pour la sanctifier ! Voilà d’où la foi chrétienne peut puiser la force de voir la sainteté, là où il n’y a, à vue humaine, rien de bon à voir !
Dès lors, ceux que nous côtoyons pourront comprendre que le chemin de sainteté ouvert par l’Évangile ne s’enracine pas en dehors de leur histoire très concrète d’hommes et de femmes d’aujourd’hui, mais qu’elle leur rend, qu’elle nous rend accessible l’ordre de la liberté, en assumant toutes les imperfections contingentes, tous les ratés de nos vies non comme des limites ou comme des concessions résignées à notre humanité, mais comme faisant partie intégralement de cette histoire d’amitié et de sainteté que Dieu a proposée un jour à l’homme, don sans repentance, trésor toujours porté dans des vases d’argile.
[1] Marie-Noël, Notes intimes, Paris, Éd. Stock, 1992, p. 160.
[2] Voir Lumen gentium, n° 40.