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L’ÉDUCATION DE LA FEMME SELON EDITH STEIN

3 novembre, 2015

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L’ÉDUCATION DE LA FEMME SELON EDITH STEIN

Isabelle Raviolo

« Je me souviens de ma première rencontre avec Edith Stein(…), ses exposés profonds sur la femme, sa mission selon la nature et selon la grâce, et sur la femme dans l’activité professionnelle. » Maria Wilkens, dans W. Herbstrith, Le vrai visage d’Edith Stein Le choix que j’ai fait de parler de l’éducation de la femme ne s’inscrit pas dans un sectarisme féministe ou dans une volonté de mettre l’homme à la seconde place. Je vais m’efforcer de poser les fondations d’une relation harmonieuse et juste entre l’homme et la femme, relation qui signifie un face à face sans fusion ni déséquilibre. Et celle-ci ne peut s’envisager que dans le cadre d’une éducation proprement féminine qui ouvre son esprit, lui permet de s’épanouir et donne ainsi à son être tout entier de trouver sa vocation propre, de recouvrer son sens ontologique premier.  »Aucune femme n’est que femme. Chacune a sa particularité et sa disposition au même titre que chaque homme et, dans cette disposition, le talent pour telle ou telle activité artistique, scientifique ou technique. En principe, la disposition individuelle peut se manifester dans n’importe quel domaine, même dans ceux qui n’ont rien à voir avec la spécificité féminine«  (E. Stein, La femme.Son devoir selon la nature et la grâce, p. 7). Il semble en effet nécessaire de sortir des schémas qui depuis des siècles ont enfermé la femme dans une fonction, une image niant toute affirmation personnelle qui sortirait de « la norme ». Toutes ces idées reçues asservissaient la femme à l’homme pour qui elle ne semblait alors qu’un moyen en vue d’arriver à ses fins. « Parce que l’on était d’avis il y a quelques décennies encore que la femme avait sa place à la maison et qu’elle n’était bonne à rien d’autre, il a fallu de longs et difficiles combats pour parvenir à élargir un terrain d’action devenu par trop étroit » (E. Stein, ibidem, p. 102). La lecture des textes d’Edith Stein permet de découvrir le véritable sens d’une éducation de la femme et son intérêt capital pour que l’homme puisse rencontrer une compagne, une véritable  »aide« . Je veux signifier par là que celle qui doit être sa compagne, semblable à lui par la place qu’elle occupe au-dessus des autres créatures, doit par une libre décision personnelle venir en  »aide«  à l’homme. Or l’homme ne peut trouver d’aide qu’en relation avec une personne libre et debout avec laquelle il puisse dialoguer, et trouver ainsi  »l’os de ses os et la chair de sa chair«  (Genèse II, 23). Car en effet, avant d’être un appui pour les autres, il faut que la femme soit d’abord elle-même fermement ancrée dans ses profondeurs. Le témoignage chrétien d’Edith Stein passe par sa tâche de professeur de philosophie : la formation et l’instruction des jeunes filles doit contribuer selon elle à marquer et à affirmer la nature particulière de la femme, et sa mission aux côtés de l’homme – et non à la place de celui-ci.  »Grâce à ses expériences pratiques et en vertu de sa finesse psychologique, Edith Stein fut vraiment la première à apporter une réponse essentielle, indépendante des circonstances, à la question de la définition et de la vocation de la femme. (…) Elle parvenait aussi à transmettre pour la première fois une image vraie de la femme au clergé présent«  (Père Erich Przywara, dans W. Herbstrith, op. cit., p. 64). « Homme et femme Il les créa. » Genèse I, 27 La création s’enracine dans une différence à partir de laquelle se noue la relation humaine. L’homme et la femme se reçoivent l’un de l’autre et ne peuvent donc s’accomplir dans la solitude. Car, s’il est dit que la femme a été créée pour l’homme, cela signifie également que celui-ci a besoin d’elle pour remplir le sens de son être :  »Aussi l’homme laisse-t-il son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et ils deviennent une seule chair«  (Genèse II, 24). Ainsi, à l’image du ciel et de la terre, l’homme et la femme ne semblent trouver de sens que dans leur embrassement. Toutefois, on ne remarque que trop le fossé creusé entre l’homme et la femme : la communication est parfois difficile, voire nulle, et induit souvent un repli sur soi douloureux et destructeur. Comment sortir de cette impasse qui aliène l’humain à des schémas ontologiques du masculin et du féminin ? Comment sortir de la fermeture normative qui classe et réduit l’être à une fonction en déformant le plus souvent le sens des Ecritures ? L’évangile apocryphe de Marie rapporte  »la désolation de Marie-Madeleine de ce que l’apôtre ait cru impossible que le Sauveur se soit entretenu en secret avec elle, une femme. Alors, se levant, Lévi prit la parole et dit :  »Pierre, tu as toujours eu un tempérament bouillant, je te vois maintenant argumenter contre la femme comme un adversaire. Pourtant si le Sauveur l’a rendue digne, qui es-tu toi pour la rejeter ? (…) Ayons plutôt honte, et revêtons-nous de l’Homme parfait, engendrons-le en nous comme Il nous l’a ordonné et proclamons l’Evangile en n’imposant d’autres règles ni d’autres lois que celle qu’a prescrites le Sauveur (…)«  (Evangile selon Marie, Bibliothèque copte de Nag Hammadi, publié par les presses de l’université Laval-Québec, 1983). L’éducation à la féminité est un moyen privilégié pour tenter de redonner vie et fécondité à la relation entre l’homme et la femme.  »Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance.«  Genèse I, 26 Comment envisager la fonction d’image de l’être féminin ? Doit-on penser qu’elle ne trouve sa réalisation que dans le mariage et la maternité, ou bien est-elle réalisable d’une autre façon ? Ces questions soulignent l’importance de la vocation propre de la femme, de sa détermination ontologique dans le projet de Dieu sur l’homme. On se souvient de la sentence divine prononcée par Dieu après le péché :  »Il dit à la femme :  »Je ferai qu’enceinte, tu sois dans de grandes souffrances ; c’est péniblement que tu enfanteras des fils. Ton désir te poussera vers ton homme, et lui te dominera.«  1 Il dit à l’homme :  »Parce que tu as écouté la voix de ta femme et que tu as mangé de l’arbre dont je t’avais formellement prescrit de ne pas manger, le sol sera maudit à cause de toi. C’est dans la peine que tu t’en nourriras tous les jours de ta vie, il fera germer pour toi l’épine et le chardon et tu mangeras l’herbe des champs«  (Genèse III, 16-18). Le péché vient marquer la rupture de l’harmonie entre Adam et Eve. Or notons que la femme est condamnée aux douleurs de l’enfantement, tandis que la peine de l’homme ne dépend pas des liens qui l’attachent à sa progéniture. Mais Eve,  »Mère des vivants«  exprime sa joie quand Dieu lui donne un fils :  »Il installe au foyer la femme stérile en joyeuse mère de famille«  (Psaume XII, 9). Dans la tradition de l’Ancien Testament la femme était honorée et louée lorsqu’elle devait être mère. Elle avait pour rôle d’élever des enfants et de ne pas veiller seulement à leur bien-être physique, mais aussi de les éduquer dans la crainte du Seigneur. Cette haute considération accordée aux fonctions de la mère est née de la consolante promesse qui a été faite à la femme lorsqu’elle fut chassée du paradis :  »Le Seigneur Dieu dit au serpent : (…) Je mettrai l’hostilité entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance. Celle-ci te meurtrira à la tête et toi, tu la meurtriras au talon«  (Psaume III, 15). Il est réservé à la femme et à sa descendance de poser le pied sur la tête du serpent. Conduire la lutte contre le mal, éduquer sa descendance, telle apparaît sa mission depuis Eve jusqu’à Marie, mère de Dieu. Il est intéressant de s’arrêter sur cette dernière figure qui ouvre le Nouveau Testament. La place de Marie dans l’éducation de la femme. Marie, jeune fille de la maison d’Israël, est choisie par Dieu pour enfanter le Verbe. Mais Il ne naîtra pas de sa rencontre avec Joseph. Marie restera vierge et sera fécondée par l’Esprit Saint. Ce mystère qui ouvre la nouvelle alliance apparaît complètement délirant à beaucoup de personnes qui refusent alors d’aller plus loin et de le méditer. Pourtant la bonne nouvelle commence sur cette conception virginale. Or que vient-elle nous apprendre sur la vocation de la femme ? En quel sens la Vierge apparaît-elle au centre de toute éducation, et plus particulièrement de celle de la femme ? Pour s’incarner, Dieu choisit de naître du sein d’une mère humaine, qu’il nous présente comme l’image accomplie de la mère. Dès le moment où elle sait qu’elle doit enfanter un fils, elle le reçoit de Dieu, et pour Dieu elle veillera sur lui. Edith Stein voit en la nouvelle Eve une sortie de l’ordre naturel :  »Elle participe à l’oeuvre du Sauveur et prend place à ses côtés. Tous deux sont issus de la race humaine, mais l’un et l’autre sont ‘libres’ de ce lien qui ne permet pas à l’homme de voir l’accomplissement de la vie ailleurs que dans l’union charnelle avec un être et par celle-ci«  (E. Stein, La femme. Son devoir selon la nature et la grâce). Marie et Joseph ne font qu’une seule chair sans avoir connu l’union charnelle, car la reproduction n’est pas le sens de ce mariage. Par l’institution de l’idéal de virginité, la règle de l’Ancien Testament selon laquelle la femme ne pouvait accéder au salut qu’en assurant une descendance à son mari est interrompue. Marie choisit librement la chasteté et en cela apparaît comme un modèle d’éducation pour l’homme et la femme, et plus particulièrement pour cette dernière puisqu’elle représente l’image originelle de l’être féminin (dans sa virginité elle est la pure et primitive image de la femme). Sa maternité spirituelle, qui dépasse l’ordre charnel, est une voie précieuse pour les femmes puisqu’elle les conduit à une image du Christ qui est propre à leur féminité. Un autre point reste à souligner à propos de Marie et de son enseignement pour le chrétien. Celui-ci s’exprime clairement par ces paroles où tout l’être de la Vierge est contenu :  »Je suis la servante du Seigneur. Que tout se passe pour moi comme tu me l’as dit!«  (Evangile selon Saint Luc I, 38) Par sa réponse elle dit sa ‘disponibilité’ sans partage au service du Seigneur. En cela tout son être dit une féminité transfigurée qui n’est qu’amour, c’est-à-dire donation pure de soi pour les autres. C’est pourquoi nous la voyons toujours aux côtés du Seigneur :  »Le service qu’elle lui rend est immédiat, et c’est immédiatement qu’elle intervient pour les hommes«  (E. Stein, La femme. Son devoir selon la nature et la grâce). Parler de Marie m’a paru essentiel pour ce thème de l’éducation de la femme, et je n’ai fait en cela que suivre l’intuition d’Edith Stein elle-même qui affirme dans La femme et sa destinée :  »Si Marie est l’image originelle de la pure féminité, l’imitation de Marie devra être le but de l’instruction des jeunes filles(…).«  Et d’ajouter :  »L’imitation de Marie n’est pas différente de l’imitation du Christ: pour la simple raison que Marie fut la première à imiter le Christ, qu’elle fut le premier et le plus parfait portrait du Christ. C’est pour cette raison que l’imitation de Marie n’est pas seulement affaire de femmes, mais le devoir de tous les chrétiens.` Cela ne nie pas la disposition individuelle de chacune : on se gardera de plaquer sur la femme une image mariale mal comprise. Car la femme ne peut comprendre et vivre cette imitation que si elle a trouvé son chemin propre, son individualité qui ne se laisse ni comparer ni réduire à des schémas. L’individualité. Toute créature a sa signification propre que l’on trouve dans sa manière particulière d’être une image de la réalité divine. Et par conséquent l’être féminin doit avoir lui aussi une part propre à cette fonction d’image. Cependant toute ââme humaine, femme ou homme, créée par Dieu, reçoit encore de lui une empreinte personnelle qui la distingue de toutes les autres : c’est précisément cette individualité ainsi marquée qui, avec ses qualités, est développée par la valeur de la formation qu’elle reçoit. Edith Stein montre la nécessité de  »reconnaître que cette humanité et cette féminité ne suffisent pas à déterminer notre but, et ne pourront se développer ailleurs que dans l’unité concrète d’une personnalité individuelle.«  La vocation de la femme s’enracine dans sa particularité personnelle, dont l’épanouissement doit être considéré comme l’un des buts essentiels de son éducation.  »Afin de réaliser une humanité et une féminité authentiques au sein d’un individu, il est indispensable d’utiliser une variété de moyens et de méthodes d’instruction souples et divers. Mais, bien plus, il faut la foi en la personne et le courage nécessaire en son accomplissement, la foi en une vocation individuelle, pour une mission personnelle déterminée, une oreille attentive à cette vocation et une disponibilité à la suivre«  (E. Stein, La femme et sa destinée, traduit de l’allemand par Marie-Laure Rouveyre, éd. Amiot-Dumot, Bibliothèque catholique). L’éducation a donc pour tâche d’élever la personne, de la conduire àà un véritable épanouissement de son individualité, de lui permettre de faire fructifier ses talents.  »L’éducation individuelle est la formation d’un être qui vive selon sa personnalité, qui suive son chemin et accomplisse son oeuvre. Son chemin n’est pas celui qu’il choisirait arbitrairement, mais le chemin où Dieu le conduit«  (E. Stein, La femme et sa destinée). Ainsi la valeur de l’éducation tiendra en cette mission d’ouvrir l’individu à la confiance en Dieu, en son dessein d’amour sur chacun de nous. Or cette ouverture à la foi est inséparable d’une éducation au discernement qui permet de prêter attention aux signes par lesquels la volonté de Dieu se manifeste, afin de pouvoir lui obéir. Cette obéissance scelle l’intimité d’une relation d’amour entre l’âme et le Christ :  »Le Christ a de tout temps appelé des femmes à s’unir àà lui le plus intimement possible, comme messagères de son amour, comme annonciatrices de sa volonté pour s’adresser aux rois et aux papes, pour préparer la voie de sa domination dans les coeurs des hommes : il ne peut y avoir de profession plus élevée que celle de sponsa Christi et celle qui voit ce chemin s’ouvrir devant elle n’en cherchera pas d’autre«  (E. Stein, La femme et sa destinée).

I.R.

LE « MYSTÈRE DE NOËL » SELON EDITH STEIN, PAR ERIC DE RUS

22 décembre, 2014

http://www.zenit.org/fr/articles/le-mystere-de-noel-selon-edith-stein-par-eric-de-rus

LE « MYSTÈRE DE NOËL » SELON EDITH STEIN, PAR ERIC DE RUS

LA NAISSANCE DU SAUVEUR ET SON ACTUALITÉ

22 décembre 2011

ROME, jeudi 22 décembre 2011 (ZENIT.org) – « Noël est le début d’une aventure qui n’est autre que celle de la grâce en nos vies »: cette lecture du « Mystère de Noël » et de son actualité pour nous, à l’école d’Edith Stein, la sainte carmélite juive – Thérèse bénédicte de la Croix -, assassinée à Auschwitz en 1942, a été réservée aux lecteurs de ZENIT pour Noël par Eric de Rus, professeur agrégé de philosophie dans l’enseignement catholique (Rueil Malmaison).
Ecrivain, il a publié deux recueils de poésie ainsi que des essais consacrés à la pensée d’Édith Stein et à la démarche artistique.

« Le Mystère de Noël »
En 1931, à Ludwigshafen (Allemagne), la philosophe catholique Edith Stein prononça une conférence sur le thème du Mystère de Noël. Cette méditation nous ouvre à la profondeur inouïe du mystère de la naissance du Sauveur et à son actualité dans nos vies et pour le monde.
Edith Stein nous situe immédiatement dans la contemplation de « l’Enfant qui apporte la paix à la terre ». Mais ne nous y trompons pas : l’étoile qui luit, haute et pure dans la nuit de Noël, nous signifie que la venue de la Lumière parmi nous n’est pas immédiatement reçue en raison de l’épaisseur du péché. Noël c’est ce grand mystère de l’Amour semé dans l’obscurité, et finalement victorieux ! « C’est là une vérité difficile et grave, que l’image poétique de l’Enfant dans la crèche ne doit pas nous masquer. »
Edith Stein déchiffre l’éclat de l’étoile suivie par les bergers dans la nuit comme un appel qui doit se frayer douloureusement son chemin dans nos cœurs. Car Noël est déjà l’écrin de l’appel du Sauveur que les disciples entendront résonner : « Suis-moi ». Et d’ajouter : « Il le dit aussi pour nous, et nous place devant le choix entre lumière et ténèbres. »
En d’autres termes, Noël est le début d’une aventure qui n’est autre que celle de la grâce en nos vies. Edith Stein a appris à l’école des maîtres du Carmel, Thérèse de Jésus et Jean de la Croix en particulier, que la grâce veut se déployer en nous comme une semence de vie qui nous transforme en nous faisant communier à la Vie même de Dieu. Et c’est précisément en Jésus que s’accomplit ce mystère, Lui dont nous devenons, par le baptême, les membres vivants de son Corps qui est l’Eglise.
C’est pourquoi la suite de la méditation d’Edith Stein insiste sur les signes fondamentaux d’une existence humaine unie à Dieu : l’amour de charité envers le prochain, – « qu’il soit parent ou non, que nous le trouvions sympathique ou non, qu’il soit ou non moralement digne de notre aide » –, et la remise de notre volonté entre les mains du Père. Faire la volonté de Dieu c’est « mettre nos mains dans celles de l’Enfant divin » à l’imitation de la Vierge Marie, de saint Joseph et de tous les saints. Dans sa contemplation de l’Enfant-Dieu Edith Stein nous entraîne sur les chemins d’une véritable configuration au Christ et au mystère du salut. Car accueillir l’Enfant-Dieu c’est participer à la disposition fondamentale du Cœur du Christ tout entier amoureusement remis au Père, comme son enfant bien-aimé, dans une confiance « inébranlable ».

Par conséquent, l’enjeu de Noël est de laisser la grâce « pénétrer de vie divine toute une vie d’homme ». Ce qui suppose d’« être chaque jour en relation avec Dieu » par l’écoute de sa parole, par la prière intérieure et liturgique, par la vie sacramentelle. A l’école de l’Enfant-Dieu nous apprenons à vivre en « enfant de Dieu » afin de « naître à l’immensité de la vie du Christ. » Tel est « le chemin ouvert à chacun de nous, à l’humanité tout entière. »
Dans cette conférence d’Edith Stein nous retrouvons, encore et toujours, la pédagogue et phénoménologue qui éduque notre regard intérieur. Ici il s’agit de déchiffrer sous l’apparente insignifiance de la crèche la grandeur d’un immense appel : celui de prendre part au « grand œuvre du Rédempteur ».
Si Noël est la fête de la joie c’est sans doute parce que la joie est un mouvement qui nous tire hors de nous-mêmes. La contemplation de Jésus dans la crèche réalise précisément cette sortie de nous-mêmes. L’émerveillement devant la beauté cachée du Sauveur nous libère de nous-mêmes et nous ouvre au monde qui attend que lui nous annoncions par nos vies « la Lumière éternelle qui est Amour et Vie ».
Edith Stein avait une amie très estimée en la personne de la poétesse et résistante allemande Gertrud von le Fort. De bien belle manière la poétesse résume cet appel que Noël fait tinter au cœur de chaque chrétien : « Chantez-le dans l’attente de l’aube, chantez-le doucement, doucement à l’oreille des ténèbres du monde ! »

Eric de Rus

*
Quelques publications d’Eric de Rus :
« Intériorité de la personne et éducation chez Edith Stein » (Cerf, 2006);
« L’art d’éduquer selon Edith Stein : Anthropologie, éducation, vie spirituelle » de Eric de Rus et Marguerite Léna (Cerf, 2008);
« La personne humaine en question : Pour une anthropologie de l’intériorité » de Eric De Rus (Cerf, 2011).

D’Edith Stein, on pourra lire aussi :
« La crèche et la Croix » (Ad Solem, 1995)

Sur Edith Stein :
Cécile Rastoin, « Edith Stein (1891-1942). Enquête sur la source » (Cerf, 2007)

LA VOCATION DE LA PERSONNE À LA LUMIÈRE DE L’INCARNATION – COLLOQUE SUR EDITH STEIN

4 avril, 2013

http://www.zenit.org/fr/articles/la-vocation-de-la-personne-a-la-lumiere-de-l-incarnation

LA VOCATION DE LA PERSONNE À LA LUMIÈRE DE L’INCARNATION

COLLOQUE SUR EDITH STEIN

ROME, 4 AVRIL 2013 (ZENIT.ORG) ANITA BOURDIN

« Edith Stein philosophe » : c’est le titre d’un colloque international quiaura lieu les 11 et 12 avril à Paris. Il estorganisé par le Professeur Emmanuel Falque (Institut Catholique de Paris) et le Professeur Jean-François Lavigne (Archives Husserl, Ecole Normale Supérieure), en lien avecle Collège des Bernardins et les Dominicains du Saulchoir. Eric de Rus, auteur connu des lecteurs de Zenit y participera il nous en dit davantage.
Zenit – Eric de Rus, vous participez à un colloque au collège des Bernardins sur Edith Stein la semaine prochaine: de quoi s’agit-il?
Eric de Rus – Ce colloque coïncide exactement avec le centenaire de l’arrivée d’Edith Stein à Göttingen. En effet, 1913 marque ses débuts en phénoménologie, à l’école de Husserl, donc de son entrée en philosophie. Le programme de ce colloque balaie les champs principaux de la pensée philosophique d’Edith Stein : l’anthropologie, l’empathie, l’éducation, la réflexion politique, métaphysique.
Les organisateurs posent la question en ces termes : « Aujourd’hui, en France, l’originalité et la force de la pensée philosophique d’Edith Stein restent trop méconnues. On ne veut souvent retenir d’elle que la jeune assistante privée du « Maître » Husserl ; ou, plus tardive, la haute figure carmélitaine, auteur de méditations spirituelles lumineuses, nées de l’approfondissement de la vie contemplative. Mais : entre la jeune phénoménologue qui cherche, et la mystique sereine qui va au don total de soi, jusqu’à Auschwitz… que s’est-il passé ? Qui est Edith Stein ? »
 Dans vos travaux vous accordez une place centrale à l’incarnation. Pourquoi ?
Partir de l’incarnation pour réfléchir au sens de la personne humaine et de sa vocation me paraît essentiel pour éviter de céder à une anthropologie trop abstraite.De publication en publication mon propos se centre toujours davantage sur ce que j’appelle la vocation épiphanique de la personne humaine. Qu’est-ce que cela signifie ?Je considère que le propre de l’être humain est de posséder une intériorité, c’est-à-dire une profondeur à partir de laquelle il est capable d’une perception particulière de la réalité. Il peut capter intuitivement l’essence de la réalité qui est « Vie », pure densité de Présence rayonnante. La personne humaine est un être incarné. Elle se situe donc à la charnière entre la Vie qui l’habite et le monde matériel où l’insère sa corporéité. Cette situation assigne à l’être humain une vocation épiphanique. Autrement dit chacun est appelé à donner corps à la vie sous les traits imprévisibles de son existence unique. Voilà pourquoi ce geste d’incarnation permanente est un processus de création continue qui engage la liberté humaine.A ce titre, l’éducation, définie par Edith Stein comme un « art de donner forme à sa vie », représente la mise en œuvre exemplaire de ce geste anthropologique intégral par lequel l’homme devient vraiment lui-même, dans toute la plénitude de son être, jusqu’à « cette humanité accomplie, pure expression de la nature libérée et transfigurée par la force de la grâce. » (Edith Stein).
Vous avez publié au Cerf un « Essai à deux voix » avec Mireille Nègre – Quand la vie prend corps (2012) -: que disent ces deux voix ?
La démarche artistique nous ouvre une voie d’accès à ce geste anthropologique intégral. La danse, en l’occurrence, offre une métaphore privilégiée du geste comme dévoilement charnel de la vie à travers le mouvement. Il s’agit de révéler par le corps la réalité invisible de la vie sans en figer l’élan mais en lui fournissant les points d’appui qui en libèrent la ligne de vol.
 Mireille Nègre, en tant que danseuse consacrée, a vécu la danse comme une incarnation de l’essence sacrée de la vie.
             Or il y a là un enjeu fondamental pour l’existence humaine dans la mesure où cette épiphanie artistique nous donne de contempler, comme dans un miroir, une image de la vocation universelle de la personne : révéler la Vie divine dans la chair.
Cet Essai à deux voix, en conjuguant une approche philosophique et théologique avec la démarche concrète et incarnée de la danseuse, célèbre la dignité de l’être humain et la beauté de sa vocation.
Au fil de cet Essai deux axes se dégagent. Le premier met en relief le mystère de l’intériorité humaine comme foyer de la vie. Le second se penche sur l’ascèse qui préside au déploiement du geste épiphanique, la discipline faite d’écoute, de concentration et de transparence du cœur.
La préface est de sr Marie Keyrouz, connue, elle, comme une voix ! Pourquoi cette troisième voix ?
La préface de Soeur Marie Keyrouz apporte sa contribution à notre réflexion à partir de son « lieu propre » : le chant sacré. Mais il s’agit de la même démarche épiphanique comme elle l’indique clairement : « C’est cette extériorisation vitale de l’intériorité que nous avons toujours résumée sous l’expression : chanter le divin par l’humain. La vie n’est pratiquement saisissable que dans la mesure où elle laisse à nos yeux la trace sensible de son passage. Le recours à la parole, au chant, à la danse ou à toute autre expression corporelle est capable de mettre l’âme humaine au contact du divin, de la transporter par le mot, le son ou le geste … Philosophe, chanteur ou danseur, chacun cherche l’expression des mouvements de son âme qui resteraient intraduisibles sans le langage des sons et mouvements produits par son souffle et son corps. »
Quel message Edith Stein nous transmet-elle pour Pâques, qui célèbre la résurrection du Corps de Dieu ?
Edith Stein déclare que le corps, selon son « sens originaire », est « le miroir de l’âme sur lequel se reflète toute sa vie intérieure, au moyen duquel elle entre dans le champ de la visibilité. Il peut lui-même être transfiguré avec elle ; la lumière qui remplit l’âme peut également le pénétrer et rayonner à travers lui ». Jean-Paul II, dans ses catéchèses sur la théologie du corpsne dit pas autre chose : « Le corps en effet – et seulement lui – est capable de rendre visible ce qui est invisible: le spirituel et le divin. Il a été créé pour transférer sdans la réalité visible du monde le mystère caché de tiute éternité en Dieu et en être le signe visible ».
Le christianisme exalte la profondeur de la corporéité humaine et sa dimension épiphanique en référence au Corps de Dieu. Reconnaître le Christ c’est, pour Edith Stein, accueillir « la révélation corporelle de Dieu … en qui seul l’amour divin s’est pleinement incarné ». En sa Personne – et c’est le cœur du mystère éblouissant de l’Incarnation – sont unies, sans confusion et sans séparation, la nature humaine et la nature divine. Comme l’a dit Maxime le Confesseur: « L’illimité se limite d’une manière ineffable, tandis que le limité se déploie jusqu’à la mesure de l’illimité. »
Ainsi Jésus-Christ est l’archétype de toute existence épiphanique : leseul Geste absolument parfait de la VIE purement manifestée comme AMOUR dans l’alliance indépassable de la divinité invisible et de l’humanité charnelle.
Votre dernier livre, Une existence épiphanique (Ad Solem, 2013) est consacré à une autre carmélite, Cristina Kaufmann (1939-2006). Pourquoi cet intérêt pour la mystique ? Et pourquoi la préface d’une autre artiste : la pianiste Elizabeth Sombart ?
Mon questionnement sur la vocation épiphanique de la personne humaine est très attentif à l’expérience des amis de Dieu, mystiques et saints. Cristina Kaufmann définit la mystique comme « le fait de vivre l’incarnation ».
Les mystiques prennent part, depuis leur intériorité la plus profonde, à la Vie de Dieu ; ils en prolongent le mystère dans leur propre chair devenue le lieu d’une épiphanie de la Vie divine. Le discours mystique, par la place qu’il accorde à l’incarnation, témoigne d’un profond réalisme anthropologique.
Les images utilisées par le discours mystique sont très incarnées comme en témoigne par exemple le Cantique Spirituel de saint Jean de la Croix dont les accents évoquent audacieusement le vocable amoureux du Cantique des cantiques.
Comme Michel de Certeau l’a montré, c’est d’abord dans le corps du mystique que s’écrit l’expérience de Dieu. .La référence à la « blessure infiniment savoureuse», selon les termes de sainte Thérèse d’Avila, évoque de façon très éloquente cette expérience vivante du contact avec Dieu. La blessure est signe d’une brèche qui nous signifie que notre humanité incarnée est vulnérable. Mais c’est par là, justement, que notre réalité s’ouvre à la transcendance qui l’empêche de se refermer sur elle-même. Enfin, la blessure en sa signification mystique devient source féconde, à l’image des blessures du Crucifié qui, transfigurées dans la lumière de la Résurrection, deviennent source de guérison, de grâce, de vie.
En résumé l’expérience des mystiques porte à son plus haut point d’incandescence la vocation épiphanique de toute personne. C’est sans doute la raison pour laquelle les mystiques authentiques, come l’a dit Henri Bergson, « n’ont pas besoin d’exhorter ; ils n’ont qu’à exister ; leur existence est un appel ».
Finalement, plus nous nous approchons du mystère de la Vie tel qu’il affleure à même la chair de notre réalité incarnée, plus les mots vacillent. Martin Buber a écrit : « Sans doute existe-t-il un langage, le plus discret de tous, qui ne veut que faire partager l’existentiel et non le décrire. Il est si élevé et si discret, qu’il semble presque ne pas appartenir au langage, n’être qu’un mouvement de paupières dans le silence » : c’est cette langue de fin silence qui caractérise la poésie et la musique. La très grande pianiste Elizabeth Sombart appartient à cette constellation d’êtres épiphaniques dont le geste inspiré vous relie au silence sonore de la Vie …

Thérèse-Bénédicte de la Croix Edith Stein (1891-1942)

9 août, 2012

http://www.vatican.va/news_services/liturgy/saints/ns_lit_doc_19981011_edith_stein_fr.html

Thérèse-Bénédicte de la Croix Edith Stein (1891-1942)

Carmélite déchaussée, martyr

« Inclinons-nous profondément devant ce témoignage de vie et de mort livré par Edith Stein, cette remarquable fille d’Israël, qui fut en même temps fille du Carmel et soeur Thérèse-Bénédicte de la Croix, une personnalité qui réunit pathétiquement, au cours de sa vie si riche, les drames de notre siècle. Elle est la synthèse d’une histoire affligée de blessures profondes et encore douloureuses, pour la guérison desquelles s’engagent, aujoud’hui encore, des hommes et des femmes conscients de leurs responsabilités; elle est en même temps la synthèse de la pleine vérité sur les hommes, par son coeur qui resta si longtemps inquiet et insatisfait, « jusqu’à ce qu’enfin il trouvât le repos dans le Seigneur » « . Ces paroles furent prononcées par le Pape Jean-Paul II à l’occasion de la béatification d’Édith Stein à Cologne, le 1 mai 1987.
Qui fut cette femme?
Quand, le 12 octobre 1891, Édith Stein naquit à Wroclaw (à l’époque Breslau), la dernière de 11 enfants, sa famille fêtait le Yom Kippour, la plus grande fête juive, le jour de l’expiation. « Plus que toute autre chose cela a contribué à rendre particulièrement chère à la mère sa plus jeune fille ». Cette date de naissance fut pour la carmélite presque une prédiction.
Son père, commerçant en bois, mourut quand Édith n’avait pas encore trois ans. Sa mère, femme très religieuse, active et volontaire, personne vraiment admirable, restée seule, devait vaquer aux soins de sa famille et diriger sa grande entreprise; cependant elle ne réussit pas à maintenir chez ses enfants une foi vivante. Édith perdit la foi en Dieu: « En pleine conscience et dans un choix libre je cessai de prier ».
Elle obtint brillamment son diplôme de fin d’études secondaires en 1911 et commença des cours d’allemand et d’histoire à l’Université de Wroclaw, plus pour assurer sa subsistance à l’avenir que par passion. La philosophie était en réalité son véritable intérêt. Elle s’intéressait également beaucoup aux questions concernant les femmes. Elle entra dans l’organisation « Association Prussienne pour le Droit des Femmes au Vote ». Plus tard elle écrira: « Jeune étudiante, je fus une féministe radicale. Puis cette question perdit tout intérêt pour moi. Maintenant je suis à la recherche de solutions purement objectives ».
En 1913, l’étudiante Édith Stein se rendit à Gôttingen pour fréquenter les cours de Edmund Husserl à l’université; elle devint son disciple et son assistante et elle passa aussi avec lui sa thèse. À l’époque Edmund Husserl fascinait le public avec son nouveau concept de vérité: le monde perçu existait non seulement à la manière kantienne de la perception subjective. Ses disciples comprenaient sa philosophie comme un retour vers le concret. « Retour à l’objectivisme ». La phénoménologie conduisit plusieurs de ses étudiants et étudiantes à la foi chrétienne, sans qu’il en ait eu l’intention. À Gôttingen, Édith Stein rencontra aussi le philosophe Max Scheler. Cette rencontre attira son attention sur le catholicisme. Cependant elle n’oublia pas l’étude qui devait lui procurer du pain dans l’avenir. En janvier 1915, elle réussit avec distinction son examen d’État. Elle ne commença pas cependant sa période de formation professionnelle.
Alors qu’éclatait la première guerre mondiale, elle écrivit: « Maintenant je n’ai plus de vie propre ». Elle fréquenta un cours d’infirmière et travailla dans un hôpital militaire autrichien. Pour elle ce furent des temps difficiles. Elle soigna les malades du service des maladies infectieuses, travailla en salle opératoire, vit mourir des hommes dans la fleur de l’âge. À la fermeture de l’hôpital militaire en 1916, elle suivit Husserl à Fribourg-en-Brisgau, elle y obtint en 1917 sa thèse « summa cum laudae » dont le titre était: « Sur le problème de l’empathie ».
Il arriva qu’un jour elle put observer comment une femme du peuple, avec son panier à provisions, entra dans la cathédrale de Francfort et s’arrêta pour une brève prière. « Ce fut pour moi quelque chose de complètement nouveau. Dans les synagogues et les églises protestantes que j’ai fréquentées, les croyants se rendent à des offices. En cette circonstance cependant, une personne entre dans une église déserte, comme si elle se rendait à un colloque intime. Je n’ai jamais pu oublier ce qui est arrivé ». Dans les dernières pages de sa thèse elle écrit: « Il y a eu des individus qui, suite à un changement imprévu de leur personnalité, ont cru rencontrer la miséricorde divine ». Comment est-elle arrivée à cette affirmation?
Édith Stein était liée par des liens d’amitié profonde avec l’assistant de Husserl à Gôtingen, Adolph Reinach, et avec son épouse. Adolf Reinach mourut en Flandres en novembre 1917. Édith se rendit à Gôttingen. Le couple Reinach s’était converti à la foi évangélique. Édith avait une certaine réticence à l’idée de rencontrer la jeune veuve. Avec beaucoup d’étonnement elle rencontra une croyante. « Ce fut ma première rencontre avec la croix et avec la force divine qu’elle transmet à ceux qui la portent [...] Ce fut le moment pendant lequel mon irréligiosité s’écroula et le Christ resplendit ». Plus tard elle écrivit: « Ce qui n’était pas dans mes plans était dans les plans de Dieu. En moi prit vie la profonde conviction que -vu du côté de Dieu- le hasard n’existe pas; toute ma vie, jusque dans ses moindres détails, est déjà tracée selon les plans de la providence divine et, devant le regard absolument clair de Dieu, elle présente une unité parfaitement accomplie ».
À l’automne 1918, Édith Stein cessa d’être l’assistante d’Edmund Husserl. Ceci parce qu’elle désirait travailler de manière indépendante. Pour la première fois depuis sa conversion, Édith Stein rendit visite à Husserl en 1930. Elle eut avec lui une discussion sur sa nouvelle foi à laquelle elle aurait volontiers voulu qu’il participe. Puis elle écrit de manière surprenante: « Après chaque rencontre qui me fait sentir l’impossibilité de l’influencer directement, s’avive en moi le caractère pressant de mon propre holocauste ».
Édith Stein désirait obtenir l’habilitation à l’enseignement. À l’époque, c’était une chose impossible pour une femme. Husserl se prononça au moment de sa candidature: « Si la carrière universitaire était rendue accessible aux femmes, je pourrais alors la recommander chaleureusement plus que n’importe quelle autre personne pour l’admission à l’examen d’habilitation ». Plus tard on lui interdira l’habilitation à cause de ses origines juives.
Édith Stein retourna à Wroclaw. Elle écrivit des articles sur la psychologie et sur d’autres disciplines humanistes. Elle lit cependant le Nouveau Testament, Kierkegaard et le livre des exercices de saint Ignace de Loyola. Elle s’aperçoit qu’on ne peut seulement lire un tel écrit, il faut le mettre en pratique.
Pendant l’été 1921, elle se rendit pour quelques semaines à Bergzabern (Palatinat), dans la propriété de Madame Hedwig Conrad-Martius, une disciple de Husserl. Cette dame s’était convertie, en même temps que son époux, à la foi évangélique. Un soir, Édith trouva dans la bibliothèque l’autobiographie de Thérèse d’Avila. Elle la lut toute la nuit. « Quand je refermai le livre je me dis: ceci est la vérité ». Considérant rétrospectivement sa propre vie, elle écrira plus tard: « Ma quête de vérité était mon unique prière ».
Le ler janvier 1922, Édith Stein se fit baptiser. C’était le jour de la circoncision de Jésus, de l’accueil de Jésus dans la descendance d’Abraham. Édith Stein était debout devant les fonds baptismaux, vêtue du manteau nuptial blanc de Hedwig Conrad-Martius qui fut sa marraine. « J’avais cessé de pratiquer la religion juive et je me sentis de nouveau juive seulement après mon retour à Dieu ». Maintenant elle sera toujours consciente, non seulement intellectuellement mais aussi concrètement, d’appartenir à la lignée du Christ. À la fête de la Chandeleur, qui est également un jour dont l’origine remonte à l’Ancien Testament, elle reçut la confirmation de l’évêque de Spire dans sa chapelle privée.
Après sa conversion, elle se rendit tout d’abord à Wroclaw. « Maman, je suis catholique ». Les deux se mirent à pleurer. Hedwig Conrad-Martius écrivit: « Je vis deux israélites et aucune ne manque de sincérité » (cf Jn 1, 47).
Immédiatement après sa conversion, Édith aspira au Carmel, mais ses interlocuteurs spirituels, le Vicaire général de Spire et le Père Erich Przywara, S.J., l’empêchèrent de faire ce pas. Jusqu’à pâques 1931 elle assura alors un enseignement en allemand et en histoire au lycée et séminaire pour enseignants du couvent dominicain de la Madeleine de Spire. Sur l’insistance de l’archiabbé Raphaël Walzer du couvent de Beuron, elle entreprend de longs voyages pour donner des conférences, surtout sur des thèmes concernant les femmes. « Pendant la période qui précède immédiatement et aussi pendant longtemps après ma conversion [... ] je croyais que mener une vie religieuse signifiait renoncer à toutes les choses terrestres et vivre seulement dans la pensée de Dieu. Progressivement cependant, je me suis rendue compte que ce monde requiert bien autre chose de nous [...]; je crois même que plus on se sent attiré par Dieu et plus on doit « sortir de soi-même », dans le sens de se tourner vers le monde pour lui porter une raison divine de vivre ».
Son programme de travail est énorme. Elle traduit les lettres et le journal de la période pré-catholique de Newman et l’œuvre  » Questiones disputatx de veritate  » de Thomas d’Aquin et ce dans une version très libre, par amour du dialogue avec la philosophie moderne. Le Père Erich Przywara S.J. l’encouragea à écrire aussi des oeuvres philosophiques propres. Elle apprit qu’il est possible « de pratiquer la science au service de Dieu [... ] ; c’est seulement pour une telle raison que j’ai pu me décider à commencer une série d’oeuvres scientifiques ». Pour sa vie et pour son travail elle trouve toujours les forces nécessaires au couvent des bénédictins de Beuron où elle se rend pour passer les grandes fêtes de l’année liturgique.
En 1931, elle termina son activité à Spire. Elle tenta de nouveau d’obtenir l’habilitation pour enseigner librement à Wroclaw et à Fribourg. En vain. À partir de ce moment, elle écrivit une oeuvre sur les principaux concepts de Thomas d’Aquin: « Puissance et action ». Plus tard, elle fera de cet essai son ceuvre majeure en l’élaborant sous le titre « Être fini et Être éternel », et ce dans le couvent des Carmélites à Cologne. L’impression de l’œuvre ne fut pas possible pendant sa vie.
En 1932, on lui donna une chaire dans une institution catholique, l’Institut de Pédagogie scientifique de Münster, où elle put développer son anthropologie. Ici elle eut la possibilité d’unir science et foi et de porter à la compréhension des autres cette union. Durant toute sa vie, elle ne veut être qu’un « instrument de Dieu ». « Qui vient à moi, je désire le conduire à Lui ».
En 1933, les ténèbres descendent sur l’Allemagne. « J’avais déjà entendu parler des mesures sévères contres les juifs. Mais maintenant je commençai à comprendre soudainement que Dieu avait encore une fois posé lourdement sa main sur son peuple et que le destin de ce peuple était aussi mon destin ». L’article de loi sur la descendance arienne des nazis rendit impossible la continuation de son activité d’enseignante. « Si ici je ne peux continuer, en Allemagne il n’y a plus de possibilité pour moi ». « J’étais devenue une étrangère dans le monde ».
L’archiabbé Walzer de Beuron ne l’empêcha plus d’entrer dans un couvent des Carmélites. Déjà au temps où elle se trouvait à Spire, elle avait fait les veeux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. En 1933 elle se présenta à la Mère Prieure du monastère des Carmélites de Cologne. « Ce n’est pas l’activité humaine qui peut nous aider, mais seulement la passion du Christ. J’aspire à y participer ».
Encore une fois Édith Stein se rendit à Wroclaw pour prendre congé de sa mère et de sa famille. Le dernier jour qu’elle passa chez elle fut le 12 octobre, le jour de son anniversaire et en même temps celui de la fête juive des Tabernacles. Édith accompagna sa mère à la Synagogue. Pour les deux femmes ce ne fut pas une journée facile. « Pourquoi l’as-tu connu (Jésus Christ)? Je ne veux rien dire contre Lui. Il aura été un homme bon. Mais pourquoi s’est-il fait Dieu? » Sa mère pleure.
Le lendemain matin Édith prend le train pour Cologne. « Je ne pouvais entrer dans une joie profonde. Ce que je laissais derrière moi était trop terrible. Mais j’étais très calme – dans l’intime de la volonté de Dieu ». Par la suite elle écrira chaque semaine une lettre à sa mère. Elle ne recevra pas de réponses. Sa soeur Rose lui enverra des nouvelles de la maison.
Le 14 octobre, Édith Stein entre au monastère des Carmélites de Cologne. En 1934, le 14 avril, ce sera la cérémonie de sa prise d’habit. L’archiabbé de Beuron célébra la messe. À partir de ce moment Édith Stein portera le nom de soeur Thérèse-Bénédicte de la Croix.
En 1938, elle écrivit: « Sous la Croix je compris le destin du peuple de Dieu qui alors (1933) commençait à s’annoncer. Je pensais qu’il comprenait qu’il s’agissait de la Croix du Christ, qu’il devait l’accepter au nom de tous les autres peuples. Il est certain qu’aujourd’hui je comprends davantage ces choses, ce que signifie être épouse du Seigneur sous le signe de la Croix. Cependant il ne sera jamais possible de comprendre tout cela, parce que c’est un mystère ».
Le 21 avril 1935, elle fit des voeux temporaires. Le 14 septembre 1936, au moment du renouvellement des voeux, sa mère meurt à Wroclaw. « Jusqu’au dernier moment ma mère est restée fidèle à sa religion. Mais puisque sa foi et sa grande confiance en Dieu [...] furent l’ultime chose qui demeura vivante dans son agonie, j’ai confiance qu’elle a trouvé un juge très clément et que maintenant elle est ma plus fidèle assistante, en sorte que moi aussi je puisse arriver au but ».
Sur l’image de sa profession perpétuelle du 21 avril 1938, elle fit imprimer les paroles de saint Jean de la Croix auquel elle consacrera sa dernière oeuvre: « Désormais ma seule tâche sera l’amour ».
L’entrée d’Édith Stein au couvent du Carmel n’a pas été une fuite. « Qui entre au Carmel n’est pas perdu pour les siens, mais ils sont encore plus proches; il en est ainsi parce que c’est notre tâche de rendre compte à Dieu pour tous ». Surtout elle rend compte à Dieu pour son peuple. « Je dois continuellement penser à la reine Esther qui a été enlevée à son peuple pour en rendre compte devant le roi. Je suis une petite et faible Esther mais le Roi qui m’a appelée est infiniment grand et miséricordieux. C’est là ma grande consolation ». (31-10-1938)
Le 9 novembre 1938, la haine des nazis envers les juifs fut révélée au monde entier. Les synagogues brûlèrent. La terreur se répandit parmi les juifs. La Mère Prieure des Carmélites de Cologne fait tout son possible pour conduire soeur Thérèse-Bénédicte de la Croix à l’étranger. Dans la nuit du 1er janvier 1938, elle traversa la frontière des Pays-Bas et fut emmenée dans le monastère des Carmélites de Echt, en Hollande. C’est dans ce lieu qu’elle écrivit son testament, le 9 juin 1939: « Déjà maintenant j’accepte avec joie, en totale soumission et selon sa très sainte volonté, la mort que Dieu m’a destinée. Je prie le Seigneur qu’Il accepte ma vie et ma mort [...] en sorte que le Seigneur en vienne à être reconnu par les siens et que son règne se manifeste dans toute sa grandeur pour le salut de l’Allemagne et la paix dans le monde ».
Déjà au monastère des Carmélites de Cologne on avait permis à Édith Stein de se consacrer à ses oeuvres scientifiques. Entre autres elle écrivit dans ce lieu « De la vie d’une famille juive ». « Je désire simplement raconter ce que j’ai vécu en tant que juive ». Face à « la jeunesse qui aujourd’hui est éduquée depuis l’âge le plus tendre à haïr les juifs [...] nous, qui avons été éduqués dans la communauté juive, nous avons le devoir de rendre témoignage ».
En toute hâte, Édith Stein écrira à Echt son essai sur « Jean de la Croix, le Docteur mystique de l’Église, à l’occasion du quatre centième anniversaire de sa naissance, 1542-1942″. En 1941, elle écrivit à une religieuse avec laquelle elle avait des liens d’amitié: « Une scientia crucis (la science de la croix) peut être apprise seulement si l’on ressent tout le poids de la croix. De cela j’étais convaincue depuis le premier instant et c’est de tout coeur que j’ai dit: Ave Crux, Spes unica (je te salue Croix, notre unique espérance) ». Son essai sur Jean de la Croix porta le sous-titre: « La Science de la Croix ».
Le 2 août 1942, la Gestapo arriva. Édith Stein se trouvait dans la chapelle, avec les autres soeurs. En moins de 5 minutes elle dut se présenter, avec sa soeur Rose qui avait été baptisée dans l’Église catholique et qui travaillait chez les Carmélites de Echt. Les dernières paroles d’Édith Stein que l’on entendit à Echt s’adressèrent à sa soeur: « Viens, nous partons pour notre, peuple ».
Avec de nombreux autres juifs convertis au christianisme, les deux femmes furent conduites au camp de rassemblement de Westerbork. Il s’agissait d’une vengeance contre le message de protestation des évêques catholiques des Pays-Bas contre le progrom et les déportations de juifs. « Que les êtres humains puissent en arriver à être ainsi, je ne l’ai jamais compris et que mes soeurs et mes frères dussent tant souffrir, cela aussi je ne l’ai jamais vraiment compris [...]; à chaque heure je prie pour eux. Est-ce que Dieu entend ma prière? Avec certitude cependant il entend leurs pleurs ». Le professeur Jan Nota, qui lui était lié, écrira plus tard: « Pour moi elle est, dans un monde de négation de Dieu, un témoin de la présence de Dieu ».
À l’aube du 7 août, un convoi de 987 juifs parti en direction d’Auschwitz. Ce fut le 9 août 1942, que soeur Thérèse-Bénédicte de la Croix, avec sa soeur Rose et de nombreux autres membres de son peuple, mourut dans les chambres à gaz d’Auschwitz.
Avec sa béatification dans la Cathédrale de Cologne, le ler mai 1987, l’Église honorait, comme l’a dit le Pape Jean-Paul II, « une fille d’Israël, qui pendant les persécutions des nazis est demeurée unie avec foi et amour au Seigneur Crucifié, Jésus Christ, telle une catholique, et à son peuple telle une juive ».

Sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix [Édith Stein]: « Afin que tout homme qui croit obtienne par lui la vie éternelle »

17 avril, 2012

http://www.levangileauquotidien.org/main.php?language=FR&module=commentary&localdate=20120417

Le mardi de la 2e semaine de Pâques

Commentaire du jour

Sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix [Édith Stein] (1891-1942), carmélite, martyre, copatronne de l’Europe
Poésie « Heilige Nacht » (trad. Malgré la nuit, Ad Solem 2002, p.21)
« Afin que tout homme qui croit obtienne par lui la vie éternelle »

Mon Seigneur et mon Dieu,
tu m’as guidée sur un long chemin obscur, pierreux et dur.
Mes forces semblaient souvent vouloir m’abandonner,
je n’espérais presque plus voir un jour la lumière.
Mon cœur se pétrifiait dans une souffrance profonde
quand la clarté d’une douce étoile se leva à mes yeux.
Fidèle, elle me guida et je la suivis
d’un pas d’abord timide, plus assuré ensuite.
J’arrivai enfin devant la porte de l’Église.
Elle s’ouvrit. Je demandai à entrer.
Ta bénédiction m’accueille par la bouche de ton prêtre.
A l’intérieur des étoiles se succèdent,
des étoiles de fleurs rouges qui me montrent le chemin jusqu’à toi…
Et ta bonté permet qu’elles m’éclairent dans mon chemin vers toi.
Le mystère qu’il me fallait garder caché au profond de mon cœur,
je peux désormais l’annoncer à haute voix :
Je crois, je confesse ma foi !
Le prêtre me conduit aux marches de l’autel,
j’incline le front,
l’eau sainte coule sur ma tête.

Seigneur, est-il possible à quelqu’un de renaître
une fois écoulée la moitié de sa vie ? (Jn 3,4)
Tu l’as dit, et c’est pour moi devenu réalité.
Le poids des fautes et des peines de ma longue vie m’a quittée.
Debout, j’ai reçu le manteau blanc placé sur mes épaules,
symbole lumineux de la pureté !
J’ai porté à la main le cierge dont la flamme annonce
qu’en moi brûle ta vie sainte.
Mon cœur est désormais devenu la crèche qui attend ta présence.
Pour peu de temps !
Marie, ta mère, qui est aussi la mienne, m’a donné son nom.
A minuit elle dépose en mon cœur son enfant nouveau-né.
Oh ! nul cœur humain ne peut concevoir
ce que tu prépares à ceux qui t’aiment (1Co 2,9).
Tu es à moi désormais et jamais plus je ne te quitterai.
Où que puisse aller la route de ma vie, tu es auprès de moi.
Rien jamais ne pourra me séparer de ton amour (Rm 8,39).

LA « RENCONTRE ENTRE EDITH STEIN ET ETTY HILLESUM » PAR L. SCARAFFIA

7 mars, 2012

http://www.zenit.org/article-30324?l=french

LA « RENCONTRE ENTRE EDITH STEIN ET ETTY HILLESUM » PAR L. SCARAFFIA

Avant d’affronter l’enfer d’Auschwitz

ROME, mercredi 7 mars 2012 (ZENIT.org) – Cette réflexion sur la « rencontre entre Edith Stein et Etty Hillesum dans le camp hollandais de Westerbork », est due à Lucetta Scaraffia, à l’occasion de la préface du livre – qui vient d’être édité en italien – de Cristiana Dobner, carmélite,? sur ces deux femmes extraordinaires.
Cette page a été publiée sur le portail de L’Osservatore Romano le 23 février 2012. Nous le republions à l’occasion de la Journée mondiale de la femme, avec l’aimable autorisation de L’OR.
Qu’as-tu vu sur mon visage?
Les regards de deux femmes extraordinaires se sont croisés avant d’affronter l’enfer d’Auschwitz
Nous publions la préface de l’ouvrage «Il volto. Principio di interiorità. Edith Stein, Etty Hillesum (Milan, Marietti, 96p, 14,00 euros) de Cristiana Dobner?
Deux des intellectuelles les plus intéressantes du XXe siècle, deux femmes extraordinaires, également rapprochées par le fait d’être toutes les deux juives, déportées et tuées à Auschwitz, Edith Stein et Etty Hillesum, se sont rencontrées personnellement.
Nous savons que cette rencontre a eu lieu dans le camp hollandais de Westerbork, précisément avant la déportation dans le camp d’extermination. Nous le savons par une brève note d’Etty, qui raconte l’arrivée de deux religieuses, «nées d’une famille juive, riche et cultivée, de Breslau», Edith et sa sœur Rosa. Mais nous ne saurons jamais ce qu’elles se sont dit, nous ne pourrons jamais assister à l’échange de leurs regards. Nous partageons, avec Cristiana Dobner, la certitude qu’elles se sont «reconnues» par leurs visages, ces visages qui, écrit l’auteure, révèlent «la singularité et l’individualité concrète de la personne».
Il existe des genres littéraires qui simulent des rencontres qui n’ont jamais eu lieu, en général entre l’auteur et un personnage qui a vécu à une autre époque, bien évidemment célèbre. On les appelle des «entretiens impossibles» et ils ont joui d’une grande popularité.  L’essai de Cristiana Dobner a choisi en revanche une autre voie, plus difficile et profonde: celle d’imaginer et de décrire ce que chacune des deux femmes a vu sur le visage de l’autre.
Sachant qu’il s’agit de visages qui révèlent une longue réflexion intérieure, des visages qui étaient le miroir de l’intériorité, parfaitement conscients de la signification des rapports humains, des visages qui portaient écrit en eux la trace d’autres rencontres, riches de sens, qu’ils avaient vécues.
Précisément en reparcourant leur pensée et les rencontres importantes qui ont eu lieu, Cristiana Dobner a cherché à reconstruire ce que le visage de chacune devait avoir dit à l’autre même sans paroles, ne serait-ce qu’avec un regard. Un regard qui, en particulier à un moment aussi dramatique, était sans aucun doute capable de lire au plus profond, de saisir la signification essentielle de leurs regards réciproques. Le visage d’Edith est reconstruit à travers un examen attentif des photographies, peu nombreuses, et surtout à travers les paroles de ceux qui l’ont rencontrée, fidèlement rappelées dans les procès-verbaux du procès en béatification auxquels l’auteure a puisé.  Une source en général négligée, mais très riche. Certaines de ces rencontres racontées ont lieu quand Edith était dans la clôture, et donc uniquement un visage voilé derrière  la grille, et son âme se révèle à travers la voix, les paroles. Les paroles les plus intenses sur elle sont celles de son ami prêtre Erich Przywara [jésuite, ndlr], qui décrit «l’amour fidèle et inébranlable pour son peuple et (…) la force qui en émanait».  En confirmant un style qui, écrit Dobner, «vibre de force classique, philosophique — dans l’union entre la philosophie phénoménologique de Edmund Husserl, alors dominante, et la pensée de Thomas d’Aquin —  de force artistique, privilégiant Bach, Reger et l’hymnodie de l’Eglise».
Etty aussi, lorsqu’elle rencontre Edith, transmet de la force. En elle, la terrible angoisse de l’attente du moment de la déportation «devient inexplicablement une force de vie et non une faiblesse de tombe». Le parcours long et douloureux d’Etty est moins intellectuel que celui d’Edith, davantage lié à l’expérience: le véritable visage de la jeune juive hollandaise apparaît grâce à la rencontre avec un psychanalyste chirologue original, Julius Spier, qui la conduira sur un chemin long et douloureux à l’intérieur d’elle-même. Etty est guidée dans ce parcours par un fil conducteur, les paroles qu’elles a connues dans la Torah «Dieu créa l’homme à son image», mais elle sait que ce fil est soumis à des tensions incessantes.  Dans des cahiers, des lettres et des journaux, Etty raconte minutieusement son voyage intérieur, cette découverte de son véritable visage. C’est précisément parce qu’elle est arrivée à le comprendre qu’elle n’emmène pas dans le camp des portraits des personnes qui lui sont chères, elle sait que leurs visages sont conservés sur les parois de son moi intérieur, où elle les retrouvera toujours. Le choix du visage comme intermédiaire privilégié de communication, de la part de Cristiana Dobner, n’est pas un hasard: en effet, l’auteure est bien consciente que le thème du visage est devenu «le nouveau discours le plus élevé  de la modernité», comme l’a clairement expliqué Emmanuel Lévinas, grand philosophe juif, qui a écrit que le visage, permettant la rencontre avec l’autre, ouvre à l’idée d’infini.
«C’est ainsi que s’instaure — écrit Cristiana Dobner — une relation dans laquelle on cherche l’autre, le sens profond n’est cependant pas contenu dans la relation elle-même, mais renvoie plus avant». Et cette ouverture à l’infini était certainement bien présente dans l’esprit et dans le cœur des deux femmes, quand elles se sont rencontrées, toutes deux ouvertes à l’épiphanie du divin. Peut-être l’ont-elle rencontré ensemble, ne serait-ce que pour quelques instants, et leur regard réciproque a été un don avant l’enfer qu’elles allaient affronter.

Lucetta Scaraffia

L’Osservatore Romano, 23 février 2012