Archive pour la catégorie 'Saint Thomas d’Aquin'

LA PAUVRETÉ DU CHRIST – LES OPUSCULES THÉOLOGIQUES DE SAINT THOMAS D’AQUIN

7 octobre, 2015

http://www.vatican.va/spirit/documents/spirit_20010206_thomas-aquinas_fr.html

LA PAUVRETÉ DU CHRIST

LES OPUSCULES THÉOLOGIQUES DE SAINT THOMAS D’AQUIN

« Le Christ a choisi des parents pauvres, mais accomplis en vertu, afin que personne ne se glorifie exclusivement de la noblesse charnelle et de la richesse de ses parents. Il a mené une vie pauvre pour enseigner le mépris de la richesse, il a vécu comme tout le monde, sans avoir reçu de dignité, pour détourner les hommes du goût immodéré des honneurs; il a enduré le travail, la faim, la soif et les châtiments corporels pour que les hommes, recherc:hant la jouissance et les plaisirs à cause de l’âpreté le cette vie, n’abandonnent pas le bien de la vertu. Finalement, il a enduré la mort pour que personne, par crainte de la mort, ne trahisse la vérité, et pour que nul ne redoute de subir pour la vérité une mort humiliante, il a choisi le genre de mort le plus déshonorant: la mort de la croix. Ainsi donc il a été logique que le Fils de Dieu fait homme souffrît la mort, pour provoquer les hommes à la vertu par son exemple et pour qu’ainsi saint Pierre puisse dire plus tard, en toute vérité: le Christ a souffert pour nous, nous laissant un exemple, afin que vous suiviez ses traces. Car, s’il avait vécu dans le monde en homme riche, puissant, établi dans une haute situation, on aurait pu croire que son enseignement et ses miracles avaient été acceptés grâce à la faveur des hommes et à sa puissance humaine. Aussi, pour manifester que c’était l’ouvrage de la vertu divine, il a choisi tout ce qui est méprisé et faible dans le monde: une mère pauvre, une vie chétive, des disciples et des messagers ignorants, la réprobation et la condamnation à la mort même, de la part des grands de ce monde, pour montrer à l’évidence que l’accueil fait à ses miracles et à son enseignement est venu d’une puissance non pas humaine mais divine. Le Fils de Dieu fait homme a voulu que ses disciples, institués par lui ministres du salut des hommes, soient eux aussi méprisés par le monde.C’est pourquoi il n’a pas choisi des hommes cultivés et nobles, mais des ignorants et des pauvres: de simples pêcheurs. En les envoyant travailler au salut des hommes, il leur a prescrit de garder la pauvreté, de subir pour la vérité les persécutions, la honte et la mort même, afin que leur prédication n’apparaisse pas comme motivée par le désir des avantages terrestres, et afin que le salut du monde ne soit pas attribué à la sagesse ou à la force de l’homme, mais seulement à celles de Dieu. Cela était nécessaire à la restauration de l’humanité, pour enseigner aux hommes à mettre leur confiance non pas orgueilleusement en eux-mêmes, mais en Dieu. Car cela est requis chez l’homme pour la perfection de sa justice: qu’il se soumette totalement à Dieu, qu’il espère obtenir de lui tous les biens et, quand il les a reçus, qu’il en soit reconnaissant. »

Préparé par l’Université Pontificale URBANIANA, avec la collaboration des Instituts Missionnaires

LA LOI DE L’AMOUR DIVIN – de saint Thomas d’Aquin

3 février, 2015

http://www.vatican.va/spirit/documents/spirit_20010116_thomas-aquinas_fr.html

LA LOI DE L’AMOUR DIVIN

Des Opuscules théologiques de saint Thomas d’Aquin

« Il est bien évident que tous les hommes ne peu­vent pas consacrer leur vie entière à l’étude, et c’est pourquoi le Christ a donné une loi brève, pour que tout le monde puisse la connaître et que personne ne puisse être dispensé de l’observer pour cause d’ignorance: parole abrégée que le Seigneur fera venir sur la terre. Cette loi doit être celle de tous les actes humains. Dans les activités artisanales on dit qu’un produit est bon et loyal quand il est conforme aux règles, de même toute activité humaine est droite et vertueuse quand elle est conforme à la règle de l’amour divin, mais quand elle s’éloigne de la règle de la charité elle n’est ni droite, ni bonne, ni parfaite.
Cette loi de l’amour divin produit en l’homme quatre effets grandement désirables. D’abord elle produit en lui la vie spirituelle. Il est évident que ce qui est aimé en vertu de la nature existe en celui qui aime. Celui qui demeure dans la charité de meure en Dieu, et Dieu en lui. La nature de l’amour veut encore que celui qui aime se transforme en l’être aimé: Celui qui est uni à Dieu ne fait qu’un esprit avec lui. C’est ainsi que, selon saint Augustin,“de même que l’âme est la vie du corps, ainsi Dieu est la vie de l’âme”.Ainsi encore l’âme agit ver­tueusement et parfaitement quand elle agit par la charité, puisque c’est par celle-ci que Dieu habite en elle. Mais sans la charité elle n’opère pas: Celui qui n’aime pas demeure dans la mort. Quelqu’un peut bien avoir tous les charismes donnés par l’Esprit Saint, sans la charité il n’a pas la vie. Qu’il s’agisse du don des langues, du don de la foi héroïque ou de n’importe quel don comme le dôn de prophétie, sans la charité ces dons n’apportent pas la vie. Car on peut bien couvrir un cadavre d’or et de pierres précieuses, il n’en demeure pas moins un corps mort.
Le deuxième fruit de la charité, c’est l’observance des commandements divins. Saint Grégoire dit en effet que la charité n’est pas inactive. Si elle existe, elle fait de grandes choses, mais si elle n’agit pas, c’est qu’elle est absente. Nous voyons en effet celui qui aime accomplir de grands et difficiles exploits pour l’être aimé. C’est pourquoi le Seigneur dit: Celui qui m’aime gardera ma parole. Celui qui ob­serve le commandement et la loi de l’amour divin accomplit toute la loi.
Le troisième fruit de la charité, c’est la protection qu’elle nous donne contre l’adversité. A celui qui possède la charité, l’adversité ne fait aucun mal, au contraire elle tourne à son avantage: Pour ceux qui aiment Dieu, tout contribue à leur bien, et même l’adversité et les difficultés paraissent douces à celui qui aime, comme nous le voyons clairement parmi nous.
Le quatrième fruit de la charité, c’est qu’elle conduit à la béatitude. En effet la béatitude éternelle est promise à ceux-là seulement qui possèdent la charité. Tout le reste, en l’absence de la charité, n’y suffit pas. Et il faut savoir que, s’il y a des différences dans la béatitude, elles correspondent à des différences selon la charité, et non selon aucune autre vertu. Beaucoup de saints ont mené une vie plus austère que les Apôtres, mais ceux-ci dépassent tout le monde en béatitude à cause de l’excellence de leur charité. »

Préparé par l’Université Pontificale URBANIANA,
avec la collaboration des Instituts Missionnaires

BENOÎT XVI: SAINT THOMAS D’AQUIN (28 Janvier)

28 janvier, 2015

http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/audiences/2010/documents/hf_ben-xvi_aud_20100602_fr.html

BENOÎT XVI

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint-Pierre

Mercredi 2 juin 2010

SAINT THOMAS D’AQUIN

Chers frères et sœurs,

Après quelques catéchèses sur le sacerdoce et mes derniers voyages, nous revenons aujourd’hui à notre thème principal, c’est-à-dire la méditation de certains grands penseurs du Moyen-Age. Nous avions vu dernièrement la grande figure de saint Bonaventure, franciscain, et je voudrais aujourd’hui parler de celui que l’Eglise appelle le Doctor communis: c’est-à-dire saint Thomas d’Aquin. Mon vénéré prédécesseur, le Pape Jean-Paul II, dans son encyclique Fides et ratio, a rappelé que saint Thomas « a toujours été proposé à juste titre par l’Eglise comme un maître de pensée et le modèle d’une façon correcte de faire de la théologie » (n. 43). Il n’est donc pas surprenant que, après saint Augustin, parmi les écrivains ecclésiastiques mentionnés dans le Catéchisme de l’Eglise catholique, saint Thomas soit cité plus que tout autre, pas moins de soixante et une fois! Il a également été appelé Doctor Angelicus, sans doute en raison de ses vertus, en particulier le caractère sublime de sa pensée et la pureté de sa vie.
Thomas naquit entre 1224 et 1225 dans le château que sa famille, noble et riche, possédait à Roccasecca, près d’Aquin, à côté de la célèbre abbaye du Mont Cassin, où il fut envoyé par ses parents pour recevoir les premiers éléments de son instruction. Quelques années plus tard, il se rendit dans la capitale du Royaume de Sicile, Naples, où Frédéric II avait fondé une prestigieuse Université. On y enseignait, sans les limitations imposées ailleurs, la pensée du philosophe grec Aristote, auquel le jeune Thomas fut introduit, et dont il comprit immédiatement la grande valeur. Mais surtout, c’est au cours de ces années passées à Naples, que naquit sa vocation dominicaine. Thomas fut en effet attiré par l’idéal de l’Ordre fondé quelques années auparavant par saint Dominique. Toutefois, lorsqu’il revêtit l’habit dominicain, sa famille s’opposa à ce choix, et il fut contraint de quitter le couvent et de passer un certain temps auprès de sa famille.
En 1245, désormais majeur, il put reprendre son chemin de réponse à l’appel de Dieu. Il fut envoyé à Paris pour étudier la théologie sous la direction d’un autre saint, Albert le Grand, dont j’ai récemment parlé. Albert et Thomas nouèrent une véritable et profonde amitié, et apprirent à s’estimer et à s’aimer, au point qu’Albert voulut que son disciple le suivît également à Cologne, où il avait été envoyé par les supérieurs de l’Ordre pour fonder une école de théologie. Thomas se familiarisa alors avec toutes les œuvres d’Aristote et de ses commentateurs arabes, qu’Albert illustrait et expliquait.
A cette époque, la culture du monde latin avait été profondément stimulée par la rencontre avec les œuvres d’Aristote, qui étaient demeurées longtemps inconnues. Il s’agissait d’écrits sur la nature de la connaissance, sur les sciences naturelles, sur la métaphysique, sur l’âme et sur l’éthique, riches d’informations et d’intuitions, qui apparaissaient de grande valeur et convaincants. Il s’agissait d’une vision complète du monde, développée sans et avant le Christ, à travers la raison pure, et elle semblait s’imposer à la raison comme « la » vision elle-même: cela était donc une incroyable attraction pour les jeunes de voir et de connaître cette philosophie. De nombreuses personnes accueillirent avec enthousiasme, et même avec un enthousiasme acritique, cet immense bagage de savoir antique, qui semblait pouvoir renouveler avantageusement la culture, ouvrir des horizons entièrement nouveaux. D’autres, toutefois, craignaient que la pensée païenne d’Aristote fût en opposition avec la foi chrétienne, et se refusaient de l’étudier. Deux cultures se rencontrèrent: la culture pré-chrétienne d’Aristote, avec sa rationalité radicale, et la culture chrétienne classique. Certains milieux étaient conduits au refus d’Aristote également en raison de la présentation qui était faite de ce philosophe par les commentateurs arabes Avicenne et Averroès. En effet, c’était eux qui avaient transmis la philosophie d’Aristote au monde latin. Par exemple, ces commentateurs avaient enseigné que les hommes ne disposaient pas d’une intelligence personnelle, mais qu’il existe un unique esprit universel, une substance spirituelle commune à tous, qui œuvre en tous comme « unique »: par conséquent, une dépersonnalisation de l’homme. Un autre point discutable véhiculé par les commentateurs arabes était celui selon lequel le monde est éternel comme Dieu. De façon compréhensible, des discussions sans fin se déchaînèrent dans le monde universitaire et dans le monde ecclésiastique. La philosophie d’Aristote se diffusait même parmi les personnes communes.
Thomas d’Aquin, à l’école d’Albert le Grand, accomplit une opération d’une importance fondamentale pour l’histoire de la philosophie et de la théologie, je dirais même pour l’histoire de la culture: il étudia à fond Aristote et ses interprètes, se procurant de nouvelles traductions latines des textes originaux en grec. Ainsi, il ne s’appuyait plus seulement sur les commentateurs arabes, mais il pouvait également lire personnellement les textes originaux, et commenta une grande partie des œuvres d’Aristote, en y distinguant ce qui était juste de ce qui était sujet au doute ou devant même être entièrement rejeté, en montrant la correspondance avec les données de la Révélation chrétienne et en faisant un usage ample et précis de la pensée d’Aristote dans l’exposition des écrits théologiques qu’il composa. En définitive, Thomas d’Aquin démontra qu’entre foi chrétienne et raison, subsiste une harmonie naturelle. Et telle a été la grande œuvre de Thomas qui, en ce moment de conflit entre deux cultures – ce moment où il semblait que la foi devait capituler face à la raison – a montré que les deux vont de pair, que ce qui apparaissait comme une raison non compatible avec la foi n’était pas raison, et que ce qui apparaissait comme foi n’était pas la foi, si elle s’opposait à la véritable rationalité; il a ainsi créé une nouvelle synthèse, qui a formé la culture des siècles qui ont suivi.
En raison de ses excellentes capacités intellectuelles, Thomas fut rappelé à Paris comme professeur de théologie sur la chaire dominicaine. C’est là aussi que débuta sa production littéraire, qui se poursuivit jusqu’à sa mort, et qui tient du prodige: commentaires des Saintes Ecritures, parce que le professeur de théologie était surtout un interprète de l’Ecriture, commentaires des écrits d’Aristote, œuvres systématiques volumineuses, parmi elles l’excellente Summa Theologiae, traités et discours sur divers sujets. Pour la composition de ses écrits, il était aidé par des secrétaires, au nombre desquels Réginald de Piperno, qui le suivit fidèlement et auquel il fut lié par une amitié sincère et fraternelle, caractérisée par une grande proximité et confiance. C’est là une caractéristique des saints: ils cultivent l’amitié, parce qu’elle est une des manifestations les plus nobles du cœur humain et elle a quelque chose de divin, comme Thomas l’a lui-même expliqué dans certaines quaestiones de la Summa Theologiae, où il écrit: « La charité est l’amitié de l’homme avec Dieu principalement, et avec les êtres qui lui appartiennent » (II, q. 23, a. 1).
Il ne demeura pas longtemps ni de façon stable à Paris. En 1259, il participa au Chapitre général des Dominicains à Valenciennes, où il fut membre d’une commission qui établit le programme des études dans l’Ordre. De 1261 à 1265, ensuite, Thomas était à Orvieto. Le Pape Urbain iv, qui nourrissait à son égard une grande estime, lui commanda la composition de textes liturgiques pour la fête du Corpus Domini, que nous célébrons demain, instituée suite au miracle eucharistique de Bolsena. Thomas eut une âme d’une grande sensibilité eucharistique. Les très beaux hymnes que la liturgie de l’Eglise chante pour célébrer le mystère de la présence réelle du Corps et du Sang du Seigneur dans l’Eucharistie sont attribués à sa foi et à sa sagesse théologique. De 1265 à 1268, Thomas résida à Rome où, probablement, il dirigeait un Studium, c’est-à-dire une maison des études de l’ordre, et où il commença à écrire sa Summa Theologiae (cf. Jean-Pierre Torell, Thomas d’Aquin. L’homme et le théologien, Casale Monf., 1994).
En 1269, il fut rappelé à Paris pour un second cycle d’enseignement. Les étudiants – on les comprend – étaient enthousiastes de ses leçons. L’un de ses anciens élèves déclara qu’une très grande foule d’étudiants suivaient les cours de Thomas, au point que les salles parvenaient à peine à tous les contenir et il ajoutait dans une remarque personnelle que « l’écouter était pour lui un profond bonheur ». L’interprétation d’Aristote donnée par Thomas n’était pas acceptée par tous, mais même ses adversaires dans le domaine académique, comme Godefroid de Fontaines, par exemple, admettaient que la doctrine du frère Thomas était supérieure à d’autres par son utilité et sa valeur et permettait de corriger celles de tous les autres docteurs. Peut-être aussi pour le soustraire aux vives discussions en cours, les supérieurs l’envoyèrent encore une fois à Naples, pour être à disposition du roi Charles i, qui entendait réorganiser les études universitaires.
Outre les études et l’enseignement, Thomas se consacra également à la prédication au peuple. Et le peuple aussi venait volontiers l’écouter. Je dirais que c’est vraiment une grande grâce lorsque les théologiens savent parler avec simplicité et ferveur aux fidèles. Le ministère de la prédication, d’autre part, aide à son tour les chercheurs en théologie à un sain réalisme pastoral, et enrichit leur recherche de vifs élans.
Les derniers mois de la vie terrestre de Thomas restent entourés d’un climat particulier, mystérieux dirais-je. En décembre 1273, il appela son ami et secrétaire Réginald pour lui communiquer sa décision d’interrompre tout travail, parce que, pendant la célébration de la Messe, il avait compris, suite à une révélation surnaturelle, que tout ce qu’il avait écrit jusqu’alors n’était qu’ »un monceau de paille ». C’est un épisode mystérieux, qui nous aide à comprendre non seulement l’humilité personnelle de Thomas, mais aussi le fait que tout ce que nous réussissons à penser et à dire sur la foi, aussi élevé et pur que ce soit, est infiniment dépassé par la grandeur et par la beauté de Dieu, qui nous sera révélée en plénitude au Paradis. Quelques mois plus tard, absorbé toujours davantage dans une profonde méditation, Thomas mourut alors qu’il était en route vers Lyon, où il se rendait pour prendre part au Concile œcuménique convoqué par le Pape Grégoire X. Il s’éteignit dans l’Abbaye cistercienne de Fossanova, après avoir reçu le Viatique avec des sentiments de grande piété.
La vie et l’enseignement de saint Thomas d’Aquin pourrait être résumés dans un épisode rapporté par les anciens biographes. Tandis que le saint, comme il en avait l’habitude, était en prière devant le crucifix, tôt le matin dans la chapelle « San Nicola » à Naples, Domenico da Caserta, le sacristain de l’Eglise, entendit un dialogue. Thomas demandait inquiet, si ce qu’il avait écrit sur les mystères de la foi chrétienne était juste. Et le Crucifié répondit: « Tu as bien parlé de moi, Thomas. Quelle sera ta récompense? ». Et la réponse que Thomas donna est celle que nous aussi, amis et disciples de Jésus, nous voudrions toujours lui dire: « Rien d’autre que Toi, Seigneur! » (Ibid., p. 320).

SERMON POUR LA FETE-DIEU par SAINT THOMAS D’AQUIN,

8 juin, 2012

http://www.levangileauquotidien.org/main.php?language=FR&module=saintfeast&localdate=20120610&id=52&fd=1

SERMON POUR LA FETE-DIEU par SAINT THOMAS D’AQUIN,

Docteur des Docteurs de l’Église

(prononcé au Consistoire, devant le Pape et les Cardinaux)

Révérendissimes Pères, les souvenirs pleins d’allégresse qu’évoque la solennité de ce jour nous invitent à entourer de joyeuses louanges le Corps très saint du Christ. Quoi de plus doux, quoi de plus suave au cœur des élus que de chanter les trésors de la divine charité et d’exalter l’ardeur d’un amour sans mesure ? C’est qu’à la table de la grâce nouvelle, tous les jours, par les mains du prêtre, Dieu donne à ses enfants et aux héritiers de son royaume sa chair en nourriture et son sang en breuvage. Ce sont là tes œuvres admirables, ô Christ, toi dont la puissance est infinie et la bonté sans bornes ! Dans cet aliment sacré et ce pain super-substantiel qu’annonçaient les prodiges antiques, tu as trouvé le secret d’une union merveilleuse et auguste : la chair immaculée de Jésus-Christ, l’Agneau sans tache, devient le remède de ceux que le fruit défendu avait rendus malades et qui avaient perdu l’éternelle et immarcescible couronne.
Ô prodige qu’on ne peut trop exalter ! Effusion permanente de la bonté divine et d’une miséricorde sans mesure ! Dans ce sacrement, consommation de tous les sacrifices, Il demeure, ce Dieu, indéfectiblement avec nous ; Il y est pour jusqu’à la fin des siècles ; Il donne aux fils d’adoption le pain des anges et les enivre de l’amour qu’on doit aux enfants.
Ô humilité singulière, délices de Dieu, et que le Christ pratique après l’avoir prêchée lui-même ! Il ne se refuse à personne ; Il ne craint pas de prendre pour habitacle même un cœur souillé.
Ô pureté, qui semblable à celle du soleil n’est ternie par aucune fange et ne craint nulle contagion, mais qui gagne les âmes et en fait disparaître toute tache ! Ô nourriture des esprits bienheureux, qui sans cesse nous renouvelle et jamais ne s’épuise ! Tu n’es ni brisée, ni divisée, ni transformée ; mais, gardant ton intégrité et ta nature, tu nous rappelles le buisson antique, la farine et l’huile miraculeuses qui ne diminuaient pas.
Ô Sacrement admirable, où Dieu se cache et où notre Moïse à nous se couvre le visage du manteau de ses œuvres, objet de louanges dans toutes nos générations ! Par la vertu des paroles sacrées, instrument de la puissance divine, les substances symboliques sont changées en chair et en sang ; les espèces sacramentelles subsistent sans support, et pourtant nulle loi naturelle n’a souffert violence. Par la vertu de la consécration, un seul Christ, parfait et intègre, se trouve en divers endroits, comme une parole se communique, toujours identique à elle-même. Quand l’hostie se divise, Jésus s’y trouve comme un même visage dans les fragments d’un miroir brisé. Les fidèles l’offrent à Dieu sous les deux espèces, quoiqu’il soit tout entier sous chacune d’elles, et c’est à bon droit qu’on agit ainsi, car ce sacrement donne aux hommes le double salut du corps et de l’Âme, et il rappelle l’amertume d’une double Passion.
Ô Vertu ineffable du Sacrement, qui embrase notre cœur du feu de la charité et marque du sang de l’Agneau immaculé, au-dessus de leurs deux battants, les linteaux de nos portes !
Ô véritable viatique de notre exil militant, soutien des voyageurs, force des faibles, antidote des infirmités, accroissement des vertus, abondance de la grâce et purificationdes vices, réfection des âmes, vie des débiles et union des membres dans l’organisme unique de la charité !
Sacrement ineffable de la foi, Tu augmentes notre charité et nous communiques l’espérance ; soutien de l’Église, Tu éteins la concupiscence et parfais le corps mystique du Christ. Voici la substance de l’arbre de vie, ô Seigneur Jésus !
Ô Pasteur et nourriture, prêtre et sacrifice, aliment et breuvage des élus, pain vivant des esprits, remède à nos faiblesses quotidiennes, festin suave, source de tout renouveau !
Ô sacrifice de louange et de justice, holocauste de la nouvelle grâce, repas excellent, non de volailles ou de taureaux, mais de viandes plus succulentes et de ce vin délicieux qui renouvelle les amis de Dieu et enivre ses élus !
Ô table de bénédiction, table de proposition garnie d’une nourriture substantielle ! Table immense où tout est prodige étonnant ! Table plus douce que toute douceur, plus délectable que toute saveur, plus suave que tout parfum, plus magnifique que toute parure, plus succulente que toute nourriture ! Table que le Christ a préparée à ses amis et commensaux, que le père de famille sert à son fils de retour, après le repas de l’agneau symbolique. Vous êtes le bain sacré que figuraient les antiques piscines, ô notre Pâque, immolation du Christ, et vous exigez la conversion du vice à la vertu, donnant ainsi la liberté aux Hébreux de l’esprit.
Ô nourriture qui rassasie et ne dégoûte point, qui demande la mastication de la foi, le goût de la dévotion, l’union de la charité, et que divise non les dents du corps, mais le courage de la croyance !
Ô viatique de notre pèlerinage, qui attire les voyageurs sur les sommets des vertus !
Ô pain vivant, engendré au ciel, fermenté dans le sein de la Vierge, cuit sur le gibet de la croix, déposé sur l’autel, caché sous les espèces sacramentelles, confirme mon cœur dans le bien et assure ses pas dans le chemin de la vie; réjouis mon âme, purifie mes pensées. Voici le pain, le vrai pain, consommé, mais non consumé, mangé, mais non transformé ; il assimile et il ne s’assimile pas ; il renouvelle sans s’épuiser ; il perfectionne et conduit au salut ; il donne la vie, confère la grâce, remet les péchés, affaiblit la concupiscence ; il nourrit les âmes fidèles, éclaire l’intelligence, enflamme la volonté, fait disparaître les défauts, élève les désirs.
Ô calice de toutes suavités, où s’enivrent les âmes généreuses ! Ô calice brûlant, calice qui tourne au sang du Christ ; sceau du Nouveau Testament, chasse le vieux levain, remplis notre intime esprit, pour que nous soyons une pâte nouvelle, et que nous mangions les azymes de la sincérité et de la vérité.
Ô vrai repas de Salomon, cénacle de toute consolation, soutien dans la présente tribulation, aliment de joie et gage de la félicité éternelle, foyer de l’unité, source de vertu et de douceur, symbole de sainteté ! La petitesse de l’hostie ne signifie-t-elle pas l’humilité, sa rondeur l’obéissance parfaite, sa minceur l’économie vertueuse, sa blancheur la pureté, l’absence de levain la bienveillance, sa cuisson la patience et la charité, l’inscription qu’elle porte la discrétion spirituelle, les espèces qui demeurent sa permanence, sa circonférence la perfection consommée ?
Ô pain vivifiant, ô azyme, siège caché de la toute-puissance ! Sous de modestes espèces visibles se cachent d’étonnantes et sublimes réalités.
Ô Corps, ô Âme, et Toi de tous deux inséparable, ô Substance Divine ! De ce dont on chante les grandeurs dans ce sacrement auguste, ô bon Jésus, seules, pour la foi, après la consécration, les espèces sacramentelles demeurent ; ce qui est mangé sans être assimilé ne souffre ni augmentation ni diminution ; ce que tous reçoivent en entier, mille ne le possèdent pas plus qu’un seul, un seul le possède autant que mille. Ce que contiennent tous les autels, les parcelles intactes ou brisées le contiennent toutes ; ta chair est mangée véritablement, c’est véritablement ton sang que nous buvons. Et tu es ici le prêtre, et tu es aussi l’hostie, et les saints Anges sont là présents, qui exaltent ta magnificence et louent ta souveraine majesté. C’est là ta puissance, Seigneur, qui seule opère de grandes choses ; elle dépasse tout sentiment et toute compréhension, tout génie, toute raison et toute imagination. C’est Toi qui as institué et confié à tes disciples ce sacrement où tout est miracle.
N’approche donc pas de cette table redoutable sans une dévotion respectueuse et un fervent amour, homme ! Pleure tes péchés et souviens-toi de la Passion. Car l’Agneau immaculé veut une âme immaculée qui le reçoive comme un pur azyme.
Recours au bain de la confession ; que le fondement de la foi te porte ; que l’incendie de la charité te consume ; que la douleur de la Passion te pénètre ; qu’un droit jugement t’éprouve.
Approche de la table du Seigneur, de cette table magnifique et puissante, de telle sorte que tu parviennes un jour aux noces du véritable Agneau, là où nous serons enivrés de l’abondance de la maison de Dieu; là où nous verrons le Roi de gloire, le Dieu des vertus dans toute sa beauté; là où nous goûterons la Pain vivant dans le royaume du Père, par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, dont la puissance et l’empire demeurent jusqu’à la fin des siècles. Amen.

Traduction du P. Sertillanges (Les plus belles pages de saint Thomas d’Aquin)

Méditation sur le mystère eucharistique par saint Thomas d’Aquin

18 avril, 2012

http://www.eglisesaintgeorges.fr/article-meditation-sur-le-mystere-eucharistique-par-saint-thomas-d-aquin-76091633.html

Méditation sur le mystère eucharistique par saint Thomas d’Aquin

 Les immenses bienfaits de la largesse divine qui sont offerts au peuple chrétien lui confèrent une dignité inestimable. Car il n’est pas, et il ne fut jamais, de nation si grande qui eût des dieux proches d’elle, comme notre Dieu nous est présent. (Dt 4, 7). En effet, le Fils unique de Dieu, voulant nous faire participer à sa divinité, a pris notre nature afin que, fait homme, il fit les hommes semblables à des dieux. Et en outre, ce qu’il prit de nous, il le livra entièrement pour notre salut. Car son Corps, il l’a, pour notre réconciliation, offert comme hostie sur l’autel de la croix, à Dieu son Père ; et son Sang, Il l’a répandu à la fois comme rançon et comme bain de purification, afin que, rachetés d’une misérable servitude, nous soyons lavés de tous nos péchés. Mais afin que le souvenir d’un si grand bienfait nous demeurât toujours présent, Il laissa aux fidèles, pour être pris sous l’apparence du pain et du vin, son corps en nourriture et son sang en breuvage. O festin précieux et admirable, porteur du salut et plein de douceur ! Que peut-il y avoir de plus précieux que ce festin ? Ce ne sont point là, comme jadis sous la loi, les chairs des veaux et des boucs, mais le Christ, vrai Dieu, qui nous est offert en nourriture. Quoi de plus admirable que ce Sacrement ? En lui, en effet, le pain et le vin sont changés substantiellement au Corps et au Sang du Christ ; de telle sorte que le Christ, Dieu et homme parfait, est contenu sous l’apparence d’un peu de pain et d’un peu de vin. Il est donc mangé par les fidèles, mais nullement déchiré ; bien plus, dans le Sacrement divisé, Il demeure entier sous chaque particule de cette division. Aussi aucun Sacrement n’est plus salutaire que celui-là : par lui, les péchés sont effacés, les vertus s’accroissent et l’âme est abondamment rassasiée de tous les dons spirituels. Il est offert dans l’Eglise pour les vivants et pour les morts, afin qu’il profite à tous, puisqu’il a été institué pour le salut de tous. Enfin, personne ne peut exprimer la suavité de ce Sacrement, où l’on goûte à sa source la douceur spirituelle, alors qu’il nous rappelle cette charité extrême que le Christ a montrée dans sa Passion. C’est pourquoi, afin de graver plus profondément dans le cœur des fidèles l’immensité de cette charité, à la dernière Cène, quand Il eut célébré la Pâque avec ses disciples et fut sur le point de passer de ce monde vers son Père, Il institua ce Sacrement comme le mémorial perpétuel de sa Passion, l’accomplissement des anciennes figures et le couronnement de tous ses miracles. Ainsi, à tous ceux que son absence contristerait, Il laissa une consolation unique.

Opusc. 57, Homélie au deuxième nocturne de la fête du Corpus Christi

28 janvier – Saint Thomas d’Aquin

28 janvier, 2012

http://missel.free.fr/Sanctoral/01/28.php

28 janvier – Saint Thomas d’Aquin

Biographie
Issu d’une vieille famille féodale d’origine normande et germanique, saint Thomas d’Aquin naquit vers la fin de l’année 1224 ; son père, Landolphe, comte d’Aquin, seigneur de Loretto et de Belcastro, était allié à la famille impériale (le père de Landolphe, Thomas, avait épousé Françoise de Souabe, sœur de l’Empereur), tandis que sa mère, Théodora , comtesse de Teano, descendait des princes normands qui s’étaient taillé un royaume, au sud de l’Italie. Alors qu’elle était enceinte, Théodora reçut au château de Rocca Secca un ermite qui, lui montrant un portrait de saint Dominique [saint Dominique était déjà mort (6 août 1221) mais il n’était pas encore canonisé (3 juillet 1234)], lui dit : « Réjouissez-vous, Madame, vous donnerez le jour à un enfant que vous nommerez Thomas ; vous songerez à en faire un moine du Mont-Cassin, mais Dieu en a disposé autrement ; l’enfant deviendra un frère de l’ordre des frères prêcheurs et il brillera d’un tel éclat de science et de sainteté qu’il n’aura pas son pareil au monde. »
L’enfant dont le parrain fut le pape Honorius III, reçut le prénom de Thomas et fut très tôt confié au monastère bénédictin du Mont-Cassin dont son oncle, Sunnibald, était l’abbé. Thomas se fit autant remarquer par sa piété que son intelligence ; l’abbé du Mont-Cassin et son père décidèrent de l’inscrire à l’université de Naples pour étudier les Arts libéraux. C’est à l’université de Naples qu’il s’initia aux écrits d’Aristote et à l’antique droit romain.
C’est aussi à Naples qu’il rencontra l’ordre des frères prêcheurs. Contre l’avis de sa famille, il reçut l’habit des Dominicains. Sa mère qui était ulcérée que son fils entrât dans un ordre mendiant, se plaignit sans succès au prieur du couvent de Naples, au maître général de l’Ordre et au Pape. Abandonnant les plaintes, elle se décida à venir chercher elle-même Thomas mais, lorsqu’elle arriva au couvent de Naples, il s’était enfui à Rome, au couvent de Sainte-Sabine, d’où le maître général de l’Ordre le firent discrètement partir pour Paris. Rattrapé par ses deux frères, Landolphe et Raynald, entre Sienne et le lac de Bolsenne, près d’Aquapendente, il fut enfermé au château du Mont-Saint-Jean. Ni ses frères ni sa mère ne réussirent à fléchir sa décision, quant à ses deux sœurs, elles prirent secrètement son parti au point que l’aîné résolut de se faire religieuse à Sainte-Marie de Capoue. Pour perdre sa réputation, ses frères firent entrer une prostituée dans sa chambre ; Thomas prit un tison enflammé, traça une croix sur le mur et se mit à genoux pour renouveler son vœu de chasteté ; il tomba alors en sommeil et eut l’apparition de deux anges qui ceignirent ses reins en lui disant : « Nous venons à toi de la part de Dieu pour te conférer le don de la virginité perpétuelle qu’il t’accorde dès ce moment. » Il était enfermé depuis deux ans quand les Dominicains portèrent plainte auprès du pape Innocent IV et de l’Empereur qui venaient de se réconcilier : l’empereur Frédéric exigea sa libération. La famille ne voulant pas perdre la face, les deux sœurs prièrent les dominicains de Naples de se rendre nuitamment au pied de la tour dont Thomas descendit dans un panier.

Historique
On s’étonne que les ecclésiastiques français ne fassent plus grand cas de saint Thomas d’Aquin dont, pourtant, le deuxième concile du Vatican qu’ils font mine de regarder comme la référence absolue de la religion toute entière, recommande par deux fois l’étude1. Cet ignorant mépris est d’autant plus surprenant que saint Thomas d’Aquin vécut treize ans à Paris, qu’il fut canonisé en Avignon, et que la plus grande part de ses reliques sont à Toulouse2.
Thomas d’Aquin qui, depuis deux ans, était retourné en Italie, fut invité par le pape Grégoire X à se rendre au deuxième concile de Lyon qui devait s’ouvrir le 1° mai 1274. Le 28 janvier 1274, il quitta Naples à pied, accompagné de deux autres frères prêcheurs. Il passa par Aquin où il était né, et par le château de Maenza où habitait sa nièce. Arrivé aux confins de la Campanie et du Latium, entre Terracina et Rome, pris d’un mal mystérieux, il demanda l’hospitalité à l’abbaye cistercienne de Fossanova où il mourut le 7 mars 1274.
Une quarantaine d’années plus tard, Dante3 rapporte que Thomas d’Aquin aurait été empoisonné par ordre de Charles d’Anjou4, roi de Naples, frère de saint Louis. Giovanni Villani5, contemporain de Dante, affirme que l’assassin de Thomas d’Aquin avait cru être agréable au roi Charles, puisqu’il appartenait à la famille des seigneurs d’Aquin6 qui étaient en rébellion contre lui. Vers 1328, le Bolognais Jacopo della Lana, l’un des premiers commentateurs de la Commedia, raconte que Thomas d’Aquin, avant de quitter Naples, vint prendre congé du roi Charles, et lui demanda s’il avait quelque commission à lui confier ; le roi lui dit : « Si le pape vous questionne sur moi, quelle réponse ferez-vous ? » Thomas répondit : « Je dirai la vérité » ; craignant que cette vérité ne soit pas à son avantage, le roi Charles fut si préoccupé que ses médecins s’aperçurent de sa mélancolie ; il en révéla la cause à l’un d’eux qui affirma que le remède était trouvé ; après avoir chevauché jour et nuit, il rejoignit Thomas d’Aquin, et lui dit que le roi ne voulait pas le laisser voyager sans la compagnie d’un médecin ; il lui fut facile d’employer le poison qui devait tuer Thomas d’Aquin.
Thomas d’Aquin jouissait déjà d’une réelle réputation de sainteté qui explique que les moines de Fossanova voulurent tant garder son corps. Le procès de canonisation, commencé à l’initiative de la province dominicaine de Sicile (1317-1318), fut immédiatement soutenu par Jean XXII7 qui, à peine élu, avait enrichi la bibliothèque pontificale des écrits de Thomas d’Aquin. La première enquête fut menée à Naples où, à partir du 23 juillet 1319, on entendit quarante-deux les témoins8. Une enquête supplémentaire fut faite à Fossanova (du 10 au 26 novembre 1321). La Bulle de canonisation fut donnée le 18 juillet 1323.
« Placer sur les autels l’illustre Docteur était une mesure d’une gravité extrême, parce que c’était consacrer définitivement une hégémonie doctrinale sans pareille… Avec le Docteur commun, il s’agissait d’un génie puissant et ordonnateur qui avait posé une emprise unique sur la pensée profane et sacrée. Déclarer sa sainteté, c’était jeter dans un des plateaux de la balance le poids d’un suffrage qui fixerait la position déjà acquise par l’excellence seule de sa doctrine… Le Saint-Siège, conscient des forces de dissolution qui travaillaient déjà le monde et désagrégeaient son unité religieuse, chercha à parer au danger en opposant aux puissances de destruction la puissance de résistance et de stabilité qu’était l’œuvre de Thomas d’Aquin9 ».
Sous le pontificat de Jean XXII, « tout le monde semble irrité, prompt aux critiques amères et aux invectives violentes. L’injure est partout, dans le geste des princes, dans la bouche des docteurs, dans les écrits des lettrés et chacun, pourrait-on ajouter, milite contre tous les autres… Dans ce régime général de conflits c’est l’autorité pontificale qui est finalement en butte à la plupart des agressions. C’est elle qui est, non seulement menacée, mais encore gravement atteinte et avec elle, et par elle, la constitution même de l’Eglise. Les clercs lettrés, séculiers et réguliers, dont l’activité doctrinale devrait être une force de conservation et de défense, subissent, en grand nombre, chacun à sa manière et dans son domaine, la contagion anarchique de l’époque et fourbissent, inconsciemment ou non, des armes dangereuses. L’Université de Paris est devenue, depuis le règne de Philippe le Bel, l’arsenal où se forgent ces armes… C’est en présence du désarroi des évènements et des idées que le Saint-Siège cherche le point d’appui ferme et stable qu’il pourrait donner à la société chrétienne, surtout en matière de doctrine. A vrai dire, il n’a pas à chercher. L’œuvre philosophique et théologique de Thomas d’Aquin s’est déjà universellement imposée au monde intellectuel. Il s’agit seulement de faire un pas de plus : confirmer et promouvoir la doctrine en déclarant la sainteté du maître. »
Jean XXII avait dit que Thomas d’Aquin avait plus illuminé l’Eglise que tous les autres docteurs et que l’on profite plus en une année avec ses livres qu’en toute une vie avec la doctrine des autres10 ; il avait ajouté : « Nous croyons que Frère Thomas est au ciel, car sa vie fut sainte et sa doctrine est un miracle. »
En présence du roi Robert de Naples11, de sa mère et de sa femme, les cérémonies de la canonisation de saint Thomas d’Aquin, en même temps que celle de saint Louis d’Anjou, commencèrent le jeudi 14 juillet, dans le palais pontifical. Jean XXII fit le panégyrique de saint Thomas d’Aquin12 et fut suivi par sept orateurs : le dominicain Pierre Cantier13, le roi Robert de Naples, le patriarche d’Antioche qui était dominicain, l’archevêque de Capoue, un évêque dont le nom n’est pas donné, l’archevêque d’Arles et l’évêque de Lodève qui était franciscain.
Le lundi suivant (18 juillet), à Notre-Dame des Doms, Jean XXII lut la bulle de canonisation où, après avoir résumé la vie de saint Thomas d’Aquin et exalté ses vertus éminentes, il énuméra les principaux miracles constatés. Le Pape célébra la messe où il prêcha, puis il retint à sa table le roi Robert et dix-sept cardinaux. Le roi Robert avait fait annoncer que ce jour serait célébré comme la fête de Noël. Pendant tous les jours suivants, des fêtes solennelles furent célébrées au couvent des Frères Prêcheurs d’Avignon par le roi et la reine et divers prélats.
La proclamation de la sainteté de Thomas d’Aquin repose sur son intense piété eucharistique, sa chasteté précieusement gardée par l’ascèse, sa vénération pour les docteurs anciens, son esprit d’obéissance. Saint Thomas d’Aquin a parfaitement conjugué la connaissance de la vérité et la perfection spirituelle, montrant qu’elles s’aident mutuellement, car Dieu est à la fois la Vérité et le Bien. De même qu’on ne peut prétendre bien connaître un pays lointain sans y avoir soi-même séjourné, on ne peut obtenir une science religieuse sans vivre dans l’intimité de Dieu ; « si quelqu’un veut avoir l’intelligence de ce qu’il a entendu, qu’il s’empresse d’accomplir ce qu’il a déjà pu entendre14. » La sagesse divine ne nous est pas communiquée par le travail abstrait de l’intelligence mais par la fidélité à Dieu. Il faut des efforts méritoires pour désirer la vérité malgré d’autres sollicitations qui l’obnubilent ; il faut toute l’application de l’intelligence, de la volonté et du cœur pour faire sérieusement attention à la vérité, pour s’assurer des intentions droites et pures, une parfaite probité intellectuelle ; il faut une résolution sincère et généreuse de changer de conduite si l’on découvre que la nôtre n’est pas conforme aux vérités que le Seigneur nous a révélées. La lumière est la récompense de l’effort, de l’observance et de la pratique des grâces. Il s’agit d’écouter Dieu plutôt que nous-mêmes, de croire en Dieu plutôt qu’aux hommes.
« Porter un jugement vrai sur les réalités divines d’après la recherche de la raison appartient à la sagesse, vertu intellectuelle ; mais porter sur elles un jugement vrai selon une certaine connaturalité avec elles appartient à la sagesse, don du Saint-Esprit… Or cette sorte de conformité de nature avec les réalités divines est produite par la charité, qui nous unit à Dieu, selon ces paroles de saint Paul dans la première épître aux Corinthiens15 : Celui qui est uni à Dieu ne fait qu’un esprit avec lui. »16
Par la limpidité de son âme, saint Thomas d’Aquin nous rappelle le sermon de Jésus sur la montagne : « Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu17. » A cause de son humilité, il a reçu les révélations réservées aux petits. Ces valeurs évangéliques sont d’un ordre supérieur à celui de la simple cogitation, et leur acquisition est plus difficile donc plus rare. Il n’en reste pas moins qu’en raison du rapport entre l’objet connu et le sujet connaissant, le Docteur Angélique demeure, par sa sainteté même, un modèle à imiter pour tous ceux qui s’adonnent à la théologie.
La pensée du Docteur Angélique a joué un rôle décisif et bienfaisant dans l’élaboration de la science sacrée et des idées philosophiques. Affirmant la valeur de l’intelligence, il établit les preuves rationnelles de l’existence de Dieu ; il précise la distinction entre les ordres naturel et surnaturel ; tout en proclamant l’immutabilité des données de la foi, connues grâce à la Révélation, il répand des lumières sur les dogmes qui les énoncent ; il formule les principes de la morale individuelle et sociale et du droit naturel ; il enseigne les voies de la perfection chrétienne ; il rappelle les droits de la Vérité première et l’autorité souveraine de Dieu ; il voit dans l’amour créateur et sauveur un seul amour, qui crée pour sauver et subordonne toute la création au salut.
Par la pénétration et la subtilité de son intelligence, par sa prodigieuse puissance de travail, en un temps où les moyens techniques dont nous disposons n’existaient pas et devaient être suppléés par la mémoire, par la lucidité dans l’exposé des questions les plus abstruses, et surtout par l’excellence de sa doctrine, saint Thomas d’Aquin, mort à quarante-neuf ans, constitue en lui-même un miracle.
Déjà dans sa plus tendre enfance, quand on l’avait confié aux bénédictins du Mont-Cassin18, saint Thomas d’Aquin était hanté par le problème de la Divinité, demandant sans cesse : « Qu’est-ce que Dieu ? » Adulte, il donna lui-même une réponse à cette question essentielle : dans presque tous les livres qu’il composa, qu’il s’agisse de la création du monde, de l’homme, des lois, des vertus ou des sacrements, il traite toujours de Dieu, auteur du salut éternel. Nul ne pourrait lire avec profit les œuvres de saint Thomas d’Aquin, s’il ne veut pas être porté à la vie intérieure, désirant grandir dans la prière, la méditation et la contemplation. Thomas d’Aquin s’est élevé à la sainteté parce que ses études l’ont fait vivre assidûment dans la familiarité de Dieu, s’offrant tout entier à l’objet de sa foi et de sa contemplation. C’est cette union intime à Dieu fut obtenue par le renoncement à soi-même qui l’a rendu capable d’entrevoir quelque chose du mystère divin.
Dans sa prière habituelle, il demandait à Dieu de dissiper les ténèbres de son intelligence pour lui faire désirer, rechercher, connaître et accomplir ce qui plaît à Dieu. Parce que cette domination absolue de Dieu est radicalement incompatible avec l’orgueil, saint Thomas d’Aquin fut très humble ; parce que cette disponibilité de l’esprit pour les réalités divines s’acquiert grâce à la maîtrise de soi, saint Thomas d’Aquin fut très mortifié. Sa piété envers le mystère de l’Eucharistie lui valut d’être l’auteur de l’admirable « Office du Saint-Sacrement » et d’être appelé le Docteur eucharistique. En plus du Saint Sacrifice de la messe qu’il célébrait dévotement chaque jour, il assistait à une autre messe que, très souvent, il servait lui-même. Enfin, dans sa prière, comme dans celle de tous les véritables hommes de Dieu, la Vierge Marie, Mère de Dieu, tenait une place éminente.
La vie de saint Thomas d’Aquin nous invite à l’imitation. Comment pourrions-nous mieux le vénérer qu’en nous inspirant de ses exemples et de ses enseignements, afin que, dans ce monde qui se désagrège parce qu’il veut être sa propre fin, chacun de nous contribue, dans la mesure de son pouvoir, à établir en tout, et d’abord en soi-même, le règne de Dieu ?
1 « Puis pour mettre en lumière, autant qu’il est possible, les mystères du salut, ils apprendront à les pénétrer plus à fond, et à en percevoir la cohérence, par un travail spéculatif, avec saint Thomas pour maître » (Vatican II : décret sur la formation des prêtres, « Optatam totius Ecclesiæ renovationem », n° 16).
« On ne fera que suivre la voie ouverte par les docteurs de l’Eglise et spécialement par saint Thomas » (Vatican II : déclaration sur l’éducation chrétienne, « Gravissimum educationis momentum », n° 10).
2 Malgré bien des revendications, le corps de Thomas d’Aquin était resté chez les Cisterciens de Fossa Nova où il était mort ; après 1366, Elie de Toulouse, devenu maître général des Dominicains, monta une opération pour s’emparer du corps qui fut déposé au couvent des Dominicains de Fondi. L’abbé de Fossa Nova en appela au Pape qui fit comparaître Elie de Toulouse. Après avoir représenté au Pape que Thomas d’Aquin était le frère des Dominicains, Elie s’en remit à sa décision. Urbain V donna le corps de Thomas d’Aquin aux Dominicains pour qu’ils le portassent en France, leur laissant le soin de décider entre Paris et Toulouse ; le lendemain, comme Elie de Toulouse venait le remercier, Urbain V luit dit : « Il me semble préférable pour vous éviter tout ennui que je détermine moi-même le lieu. Je décide donc et je veux que le corps de saint Thomas repose dans votre église conventuelle de Toulouse. » La translation du corps de saint Thomas d’Aquin fut faite dans l’église des Dominicains de Toulouse le 28 janvier (très curieusement alors que la fête de saint Thomas d’Aquin était autrefois célébrée au jour anniversaire de sa mort, le 7 mars, la réforme du calendrier qui a ordinairement mis la fête des saints au jour de leur mort, fixa celle de saint Thomas d’Aquin au jour de la translation de ses reliques). Après avoir été sauvées des profanations protestantes, les reliques de saint Thomas furent sauvées des destructions de la révolution française, et transportées à Saint-Sernin où elles sont toujours.
3 « Il envoya Thomas au ciel, par pénitence » (Dante Alighieri : « La Divine Comédie », le Purgatoire, XX 69).
4 Charles I° d’Anjou, dixième fils de Louis VIII le Lion et de Blanche de Castille, naquit posthume en février 1227 ; il fut fait comte du Maine et d’Anjou (1232) ; il devint comte de Provence (1246) par son mariage avec Béatrice, fille de Raymond-Bérenger IV. Il participa à la septième croisade avec saint Louis et fut, comme lui, fait prisonnier en Egypte (1248-1250). A son retour de croisade, avec l’aide de son frère, Alphonse de Poitiers, il dut réprimer les désirs d’indépendance de l’aristocratie provençale : il prit Arles (1251), Marseille (1252), Tarascon (1256) et Apt (1258) ; il supprima les institutions et les libertés municipales, mit l’administration sous l’autorité d’un sénéchal ; il annexa le comté de Vintimille (1258) et imposa sa suzeraineté au marquisat de Saluces (1260). Malgré les réticences de saint Louis, il accepta les propositions du pape Clément IV, qui, dès 1253, offrait de lui inféoder le royaume de Sicile. Charles d’Anjou se constitua un parti en Italie, devint sénateur de Rome (1263) et prit la tête de la Ligue guelfe. Vainqueur de Manfred à Bénévent, il fut reconnu, en janvier 1266, comme roi de Naples et de Sicile. Après qu’il eut battu Coradin Hohenstaufen à Tagliacozzo (23 août 1268) et qu’il eut fait exécuter (29 octobre 1268), il fut totalement maître de son royaume. Vicaire impérial en Toscane et podestat de Florence, maître de l’Italie méridionale et de la Sicile, Charles d’Anjou reprit la politique traditionnelle des souverains siciliens contre Byzance. Il obtint la principauté d’Achaïe en 1267 puis acheta le titre de roi de Jérusalem (1277). L’énergie avec laquelle Charles d’Anjou instaura dans son royaume sicilien des cadres administratifs rigoureux et une fiscalité inadaptée à l’économie locale le rendit impopulaire. La révolte dite des Vêpres siciliennes (31 mars 1282) et l’intervention d’une armée aragonaise firent passer l’île sous la domination de Pierre III d’Aragon, gendre de Manfred. Charles conserva la partie continentale du royaume et sa capitale, Naples dont il avait fait le siège d’une cour brillante. Malgré d’âpres compétitions, dues en grande partie aux interventions du Saint-Siège, de qui il était tenu en fief, le royaume de Naples survécut deux siècles à son fondateur. Il mourut à Foggia le 7 janvier 1285.
5 Giovanni Villani : Chronique (IX. C. CCXVIII).
6 Thomas d’Aquin était issu d’une vieille famille féodale d’origine normande et germanique : son père-père (Thomas) avait épousé Françoise de Souabe, sœur de l’Empereur ; son père, Landolphe, comte d’Aquin, seigneur de Loretto et de Belcastro ; sa mère, Théodora, comtesse de Teano, descendait des princes normands qui s’étaient taillé un royaume, au sud de l’Italie.
7 Le 7 août 1316, le cardinal Jacques Duèse est élu à l’unanimité et prend le nom de Jean XXII. Jacques Duèse naquit à Cahors, vers 1245. Il étudia chez les Dominicains de Cahors puis à Montpellier où il prit ses grades en droit canonique, et à Orléans où il prit ses grades en droit civil. Docteur utriusque juris, il s’inscrivit à la faculté de théologie de Paris mais n’y passa aucun examen. Enseignant le droit à Toulouse et, peut-être, à Montpellier, il reçut de nombreux bénéfices ecclésiastiques : archiprêtre de Saint-André de Cahors, chanoine de Saint-Front de Périgueux et de Sainte-Cécile d’Albi, archiprêtre de Sarlat et doyen du Puy. Quand saint Louis d’Anjou arriva à Toulouse comme archevêque, il le choisit comme collaborateur. Remarqué par Charles II d’Anjou qui le prit comme conseiller et le fit élire évêque de Fréjus (4 février 1300), il fut, après la mort de Pierre de Ferrières, nommé chancelier du royaume de Naples (1308), ce qu’il resta jusqu’à ce que le Pape l’appelât à l’évêché d’Avignon (18 mars 1310). Clément V l’employa pour des missions diplomatiques auprès de Philippe le Bel, singulièrement autour du procès de Boniface VIII, puis lui confia la préparation du concile de Vienne. Le 24 décembre 1312, il fut créé cardinal-prêtre au titre de Saint-Vital et, vers le mois de mai suivant, nommé cardinal-évêque de Porto.
8 Seize religieux cisterciens du monastère de Fossanova, onze religieux de l’ordre des Prêcheurs, douze laïcs et trois des clercs séculiers ; douze de ces témoins avaient connu personnellement Thomas d’Aquin (cinq Cisterciens, cinq Prêcheurs et deux laïcs).
9 R.P. Mandonnet : Mélanges Thomistes publiés par les Dominicains de la Province de France à l’occasion du VI° centenaire de la canonisation de saint Thomas d’Aquin (18 juillet 1323), Le Saulchoir, Kain (Belgique), Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques, 1923. Vol. III de la Bibliothèque Thomiste.
10 Au consistoire, en 1318.
11 Robert I° d’Anjou, dit le Sage (né vers 1275, mort à Naples le l9 janvier 1343), fut duc d’Anjou, comte de Provence et roi de Naples. Troisième fils de Charles II le Boiteux auquel il succéda (1309), il fut le défenseur des intérêts pontificaux et le chef du parti guelfe contre les empereurs allemands. Sénateur de Rome et protecteur de Florence, chef de la ligue toscane, il s’opposa à l’empereur Henri VII lors de l’expédition de celui-ci en Italie (1311-1313) ; après la mort d’Henri VII, Clément V le nomma vicaire impérial (1313). Il contribua à l’élection à la papauté de Jean XXII (1316) qu’il défendit contre Louis de Bavière. Cependant, il ne put ni vaincre les gibelins d’Italie du Nord ni reconquérir la Sicile. Son règne fut très bénéfique à la Provence, où il fit d’assez longs séjours. Prince savant et protecteur des lettres, il avait accueilli à sa cour Pétrarque et Boccace.
12 « Ce glorieux docteur est celui qui, après les apôtres et les premiers docteurs, illumina le plus l’Eglise… Il y avait dans la Somme Théologique autant de miracles que d’articles… »
13 Pierre Cantier menait toute l’affaire, en l’absence du procureur, malade, Jean de Naples.
14 Homélie de saint Grégoire le Grand sur les disciples d’Emmaüs qui ne reconnurent le Christ qu’à la fraction du pain.
15 Saint Paul : première Epître aux Corinthiens, VI 1.
16 Saint Thomas d’Aquin : « Somme théologique », IIa-IIae, question 45, a. 2, c.
17 Evangile selon saint Matthieu, V 6.
18 Thomas d’Aquin dont le parrain fut le pape Honorius III, fut très tôt confié au monastère bénédictin du Mont-Cassin dont son oncle, Sunnibald, était l’abbé. Thomas se fit autant remarquer par sa piété que son intelligence ; l’abbé du Mont-Cassin et son père décidèrent de l’inscrire à l’université de Naples pour étudier les Arts libéraux. C’est à l’université de Naples qu’il s’initia aux écrits d’Aristote et à l’antique droit romain. C’est aussi à Naples qu’il rencontra l’ordre des frères prêcheurs où, contre l’avis de sa famille, il reçut l’habit. Sa mère, ulcérée que son fils entrât dans un ordre mendiant, se plaignit sans succès au prieur du couvent de Naples, au maître général de l’Ordre et au Pape. Elle décida de venir chercher elle-même Thomas mais, lorsqu’elle arriva au couvent de Naples, il s’était enfui au couvent Rome d’où le maître général le fit partir pour Paris. Rattrapé par ses deux frères, entre Sienne et le lac de Bolsenne, près d’Aquapendente, il fut enfermé au château du Mont-Saint-Jean. Ni ses frères ni sa mère ne réussirent à fléchir sa décision, quant à ses deux sœurs, elles prirent secrètement son parti au point que l’aînée résolut de se faire religieuse à Sainte-Marie de Capoue. Pour perdre sa réputation, ses frères firent entrer une prostituée dans sa chambre ; il prit un tison enflammé, traça une croix sur le mur et se mit à genoux pour renouveler son vœu de chasteté ; il tomba alors en sommeil et eut l’apparition de deux anges qui ceignirent ses reins en lui disant : « Nous venons à toi de la part de Dieu pour te conférer le don de la virginité perpétuelle qu’il t’accorde dès ce moment. » Il était enfermé depuis deux ans quand les Dominicains portèrent plainte auprès du pape Innocent IV et de l’Empereur qui venaient de se réconcilier : l’empereur Frédéric exigea sa libération. La famille ne voulant pas perdre la face, les deux sœurs prièrent les dominicains de Naples de se rendre nuitamment au pied de la tour d’où Thomas descendit dans un panier.