Archive pour la catégorie 'Saint Pierre'

PAPE FRANÇOIS – Être pécheurs n’est pas un problème

6 mai, 2019

http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/cotidie/2013/documents/papa-francesco-cotidie_20130517.html

?????

Hendrick ter Brugghen - la repentance de Pierre

PAPE FRANÇOIS – Être pécheurs n’est pas un problème

MÉDITATION MATINALE EN LA CHAPELLE DE LA MAISON SAINTE-MARTHE

Vendredi 17 mai 2013

(L’Osservatore Romano, Édition hebdomadaire n° 21 du 23 mai 2013)

Être pécheurs n’est pas un problème ; ce qui l’est, c’est plutôt ne pas se repentir d’avoir péché, ne pas éprouver de honte pour ce que l’on a fait. Le Pape François a reparcouru dans son homélie du 17 mai l’histoire des rencontres de Pierre avec Jésus, en en proposant une lecture particulière. Jésus, a-t-il observé, « confie son troupeau à un pécheur », Pierre. « Pécheur, mais pas corrompu », a-t-il immédiatement précisé. Il est pire d’être corrompus que pécheurs. Le Pape a souligné le dialogue d’amour qui se développe entre Pierre et Jésus à travers leurs rencontres fréquentes après le premier « Suis-moi ! » lorsque son frère André l’a conduit à Jésus qui, après l’avoir regardé, dit : « “Mais tu es Simon ?” “A partir de maintenant, tu t’appelleras Céphas, ce qui signifie Pierre” ». Ce fut le début d’une mission, a-t-il expliqué, même si « Pierre n’avait rien compris, mais la mission existait ». Le Saint-Père a ensuite poursuivi la description des diverses rencontres entre le Seigneur et les disciples, jusqu’à ce que les regards de Jésus et de Pierre se croisent à nouveau après que ce dernier, comme l’avait prévu le Maître, l’a renié par trois fois. « Ce regard de Jésus, si beau, si beau ! Et Pierre pleure ». Telle « est l’histoire des rencontres » au cours desquelles Jésus façonne dans l’amour l’âme de Pierre. Pierre avait un cœur grand et cela « le conduit à une rencontre nouvelle avec Jésus, à la joie du pardon, ce soir-là, lorsqu’il a pleuré ». Le Seigneur ne revient pas sur ce qu’il avait promis, c’est-à-dire « “Tu es pierre”, et même à ce moment, il lui dit : “Pais mon troupeau” » et il confie son troupeau à un pécheur. Le Pape François a ensuite raconté un épisode de sa vie : « Un jour, j’ai entendu parler d’un prêtre, un bon curé qui travaillait bien ; il a été nommé évêque, mais il avait honte, car il ne se sentait pas digne, il avait un tourment spirituel. Il est allé voir son confesseur. Le confesseur l’a écouté, puis il lui a dit : “N’aie donc pas peur. Si Pierre, qui en a fait de belles, a été fait Pape, toi, ne t’inquiète pas !”. C’est parce que le Seigneur est ainsi. Il nous fait mûrir à travers de nombreuses rencontres avec lui, même avec nos faiblesses, quand nous le reconnaissons ; avec nos péchés ».

 

SOLENNITÉ DES SAINTS APÔTRES PIERRE ET PAUL – HOMÉLIE DU PAPE JEAN PAUL II (2001)

27 juin, 2017

https://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/homilies/2001/documents/hf_jp-ii_hom_20010629_sts-peter-paul.html

la mia e fr - Copia

SOLENNITÉ DES SAINTS APÔTRES PIERRE ET PAUL – HOMÉLIE DU PAPE JEAN PAUL II (2001)

Vendredi 29 juin 2001

1. « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16).

Que de fois avons-nous répété cette profession de foi, prononcée un jour par Simon, fils de Jonas, aux alentours de Césarée de Philippe! Que de fois j’ai moi-même trouvé dans ces paroles un soutien intérieur pour poursuivre la mission que la Providence m’a confiée!
Tu es le Christ! Toute l’Année Sainte nous a conduits à fixer le regard sur « Jésus-Christ unique sauveur, hier, aujourd’hui et à jamais ». Chaque célébration jubilaire a été une incessante profession de foi dans le Christ, renouvelée ensemble deux mille ans après son Incarnation. A la question, toujours actuelle, de Jésus à ses disciples: « Mais pour vous, qui suis-je? » (Mt 16, 15), les chrétiens du troisième millénaire ont répondu une fois de plus en unissant leurs voix à celle de Pierre: « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ».

2. « Tu es heureux, Simon, fils de Jonas, car cette révélation t’est venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est dans les cieux » (Mt 16, 17).
Après deux millénaires, le « roc » sur lequel est fondée l’Eglise reste toujours le même: c’est la foi de Pierre. « Sur cette pierre » (Mt 16, 18), le Christ a construit son Eglise, un édifice spirituel qui a résisté à l’usure des siècles. Assurément, elle n’aurait pas pu résister à l’assaut de tant d’ennemis sur des bases uniquement humaines et historiques!
Au cours des siècles, l’Esprit Saint a illuminé des hommes et des femmes de tout âge, vocation et condition sociale, pour en faire « des pierres vivantes » (1 P 2, 5) de cette construction. Ce sont les saints, que Dieu suscite avec une créativité inépuisable, et qui sont bien plus nombreux que ceux que l’Eglise indique solennellement en exemple à tous. Une seule foi; un seul « roc »; une seule pierre d’angle: le Christ, Rédempteur de l’homme.
« Tu es heureux, Simon Fils de Jonas »! La béatitude de Simon est la même que celle de la Très Sainte Vierge Marie, à laquelle Elisabeth dit: « Oui, bienheureuse celle qui a cru en l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur » (Lc 1, 45).
C’est la béatitude qui est également réservée à la communauté des croyants d’aujourd’hui, à laquelle Jésus répète: Bienheureuse es-tu, Eglise du troisième millénaire, qui conserves l’Evangile intact et qui continues à le proposer avec un enthousiasme renouvelé aux hommes du début d’un nouveau millénaire!
Dans la foi, fruit de la rencontre mystérieuse entre la grâce divine et l’humilité humaine qui se remet à celle-ci, se trouve le secret de la paix intérieure et de la joie du coeur qui anticipent d’une certaine manière la béatitude du Ciel.
3. « J’ai combattu jusqu’au bout le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi » (2 Tm 4, 7).
La foi se « conserve » en la donnant (cf. Redemptoris missio, n. 2). Tel est l’enseignement de l’Apôtre Paul. C’est ce qui a eu lieu lorsque les disciples, le jour de la Pentecôte, sortis du Cénacle et soutenus par l’Esprit Saint, partirent dans toutes les directions. Cette mission évangélisatrice se poursuit dans le temps et c’est la manière normale avec laquelle l’Eglise administre le trésor de la foi. Nous devons tous participer activement à ce dynamisme.
C’est avec ces sentiments que je vous adresse mon plus cordial salut, chers et vénérés frères, qui m’entourez aujourd’hui. Je vous salue de manière particulière, chers Archevêques métropolitains, nommés au cours de la dernière année et venus à Rome pour le rite traditionnel de l’imposition du Pallium. Vous provenez de vingt-et-un pays des cinq continents. Sur vos visages, je contemple celui de vos communautés: une immense richesse de foi et d’histoire, qui se compose et s’harmonise comme une symphonie dans le Peuple de Dieu.
Je salue également les nouveaux évêques, ordonnés au cours de cette année. Vous provenez, vous aussi, de diverses parties du monde. Dans les différentes parties du corps ecclésial, que vous représentez ici, se trouvent des espérances et des joies, mais les blessures ne manquent certes pas. Je pense à la pauvreté, aux conflits, parfois même aux persécutions. Je pense à la tentation du sécularisme, de l’indifférence et du matérialisme pratique, qui mine la vigueur du témoignage évangélique. Tout cela ne doit pas affaiblir, mais intensifier en nous, chers frères dans l’épiscopat, le désir d’apporter la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu à chaque être humain.
Prions afin que la foi de Pierre et de Paul soutienne notre témoignage commun et nous rende prêts, si nécessaire, à aller jusqu’au martyre.
4. Ce fut précisément le martyre qui scella le témoignage rendu au Christ par les deux grands Apôtres que nous célébrons aujourd’hui. A une distance de quelques années l’un de l’autre, ils versèrent leur sang ici, à Rome, en consacrant cette ville une fois pour toutes au Christ. Le martyre de Pierre a marqué la vocation de Rome comme siège de ses successeurs dans cette primauté que le Christ lui confia au service de l’Eglise: service à la foi, service à l’unité, service à la mission (cf. Ut unum sint, n. 88).
Cette aspiration à la fidélité totale au Seigneur est urgente; le désir de la pleine unité de tous les croyants devient toujours plus intense. Je me rends compte que, « après des siècles d’âpres polémiques, les autres Eglises et Communautés ecclésiales examinent toujours plus et d’un regard nouveau ce ministère de l’unité » (Ibid., n. 89). Cela vaut de façon particulière pour les Eglises orthodoxes, comme j’ai pu le remarquer également au cours des derniers jours, lors de ma visite en Ukraine. Comme je voudrais que vienne le temps de la réconciliation et de la communion réciproque!
Dans cet esprit, je suis heureux d’adresser mon salut cordial à la Délégation du Patriarcat de Constantinople, guidée par Son Eminence Jérémie, Métropolite de France et Exarque d’Espagne, que le Patriarche oecuménique Bartholomaios I a envoyée pour la célébration des saints Pierre et Paul. Leur présence ajoute une note de joie particulière à notre fête. Que les saints Apôtres intercèdent pour nous, afin que notre engagement commun puisse solliciter et préparer la recomposition de cette unité, pleine et harmonieuse, qui devra caractériser la communauté chrétienne dans le monde. Lorsque cela aura lieu, il sera plus facile au monde de reconnaître le visage authentique du Christ.
5. « J’ai gardé la foi »! (2 Tm 4, 7). C’est ce qu’affirme l’Apôtre Paul en traçant le bilan de sa vie. Et nous savons de quelle façon il la conserva: en la donnant, en la défendant, en la faisant fructifier le plus possible. Jusqu’à la mort.
De la même façon, l’Eglise est appelée à conserver le « dépôt » de la foi, en le communiquant à tous les hommes et à tout l’homme. C’est pourquoi le Seigneur l’a envoyé dans le monde, en disant aux Apôtres: « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples » (Mt 28, 19). Ce mandat missionnaire est plus que jamais valable à présent, au début du troisième millénaire. Face à l’ampleur du nouvel horizon, il doit même retrouver la fraîcheur des débuts (cf. Redemptoris missio, n. 1).
Si saint Paul vivait aujourd’hui, comment exprimerait-il l’aspiration missionnaire qui a distingué son action au service de l’Evangile? Et saint Pierre ne manquerait certes pas de l’encourager dans ce généreux élan apostolique, en lui donnant la main droite en signe de communion (cf. Ga 2, 9).
C’est pourquoi nous confions à l’intercession de ces deux saints Apôtres le chemin de l’Eglise au début du nouveau millénaire. Nous invoquons Marie, la Reine des Apôtres, afin que partout, le peuple chrétien croisse dans la communion fraternelle et dans l’élan missionnaire.
Que la communauté des croyants puisse le plus rapidement possible proclamer d’un seul coeur et d’une seule âme: « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant! » Tu es notre Rédempteur, notre unique Rédempteur! Hier, aujourd’hui et à jamais. Amen.

BENOÎT XVI – PIERRE, LE PÊCHEUR

7 avril, 2016

https://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2006/documents/hf_ben-xvi_aud_20060517.html

BENOÎT XVI – PIERRE, LE PÊCHEUR

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 17 mai 2006

Pierre, le pêcheur

Chers frères et soeurs,

Dans la nouvelle série de catéchèses, nous avons tout d’abord cherché à mieux comprendre ce qu’est l’Eglise, quelle est l’idée que le Seigneur se fait de cette nouvelle famille. Nous avons ensuite dit que l’Eglise existe dans les personnes. Et nous avons vu que le Seigneur a confié cette nouvelle réalité, l’Eglise, aux douze Apôtres. A présent, nous voulons les voir un par un, pour comprendre à travers les personnes ce que signifie vivre l’Eglise, ce que signifie suivre Jésus. Commençons par saint Pierre. Après Jésus, Pierre est le personnage le plus célèbre et le plus cité dans les écrits du Nouveau Testament:  il est mentionné 154 fois avec le surnom de Pétros, « pierre », « roc », qui est la traduction en grec du nom araméen qui lui a été directement donné par Jésus, Kefa, attesté neuf fois, en particulier dans les lettres de Paul; on doit ensuite ajouter le nom fréquemment utilisé Simòn (75 fois), qui est la forme grécisée de son nom juif original Simeòn (2 fois:  Actes 15, 14; 2 P 1, 1). Fils de Jean (cf. Jn 1, 42) ou, dans la forme araméenne, bar-Jona, fils de Jonas (cf. Mt 16, 17), Simon était de Béthsaïde (cf. Jn 1, 44), une petite ville à l’est de la mer de Galilée, dont provenaient également Philippe et naturellement André, frère de Simon. Sa façon de parler trahissait l’accent de Galilée. Lui aussi, comme son frère, était pêcheur:  avec la famille de Zébédée, père de Jacques et de Jean, il dirigeait une petite activité de pêche sur le Lac de Génésareth (cf. Lc 5, 10). Il devait donc jouir d’une certaine aisance économique et était animé par un intérêt religieux sincère, par un désir de Dieu – il désirait que Dieu intervienne dans le monde – un désir qui le poussa à se rendre avec son frère jusqu’en Judée pour suivre la prédication de Jean le Baptiste (Jn 1, 35-42). C’était un juif croyant, pratiquant, confiant dans la présence agissante de Dieu dans l’histoire de son peuple, et attristé de ne pas en voir l’action puissante dans les événements dont il était alors  le  témoin. Il était marié et sa belle-mère, guérie un jour par Jésus, vivait dans la ville de Capharnaüm, dans la maison où Simon logeait lui aussi lorsqu’il était dans cette ville (cf. Mt 8, 14sq; Mc 1, 29sq; Lc 4, 38sq). De récentes fouilles archéologiques ont permis de mettre à jour, sous le pavement en mosaïque octogonal d’une petite église byzantine, les traces d’une église plus antique installée dans cette maison, comme l’attestent les inscriptions comportant des invocations à Pierre. Les Evangiles nous informent que Pierre appartient aux quatre premiers disciples du Nazaréen (cf. Lc 5, 1-11), auxquels s’en ajoute un cinquième, selon la coutume de chaque Rabbi d’avoir cinq disciples (cf. Lc 5, 27:  appel de Levi). Lorsque Jésus passera de cinq à douze disciples (cf. Lc 9, 1-6), la nouveauté de sa mission sera claire:  Il n’est pas un rabbin parmi tant d’autres, mais il est venu rassembler l’Israël eschatologique, symbolisé par le nombre douze, qui était celui des tribus d’Israël. Simon apparaît dans les Evangiles avec un caractère décidé et impulsif; il est disposé à faire valoir ses propres raisons, même par la force (que l’on pense à l’usage de l’épée au Jardin des Oliviers:  cf. Jn 18, 10sq). Dans le même temps, il est parfois naïf et peureux, mais cependant honnête, jusqu’au repentir le plus sincère (cf. Mt 26, 75). Les Evangiles permettent d’en suivre pas à pas l’itinéraire spirituel. Le point de départ est l’appel de Jésus. Il a lieu un jour quelconque, alors que Pierre est occupé à son travail de pêcheur. Jésus se trouve sur les rives du lac de Génésareth et la foule se bouscule autour de lui pour l’écouter. Le nombre des auditeurs crée un certain malaise. Le Maître voit deux barques ancrées au bord de la rive; les pêcheurs sont descendus et lavent les filets. Il demande alors à monter sur la barque, celle de Simon, et le prie de s’éloigner de la terre. S’étant assis sur cette chaire improvisée, il se met à enseigner les foules de la barque (cf. Lc 5, 1-3). Et ainsi, la barque de Pierre devient la Chaire de Jésus. Lorsqu’il a fini de parler, il dit à Simon:  « Avance au large, et jetez les filets pour prendre du poisson ». Simon répond:  « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre; mais, sur ton ordre, je vais jeter les filets » (Lc 5, 4-5). Jésus, qui était menuisier, n’était pas un expert en pêche:  pourtant, Simon le pêcheur se fie à ce Rabbi, qui ne lui donne pas de réponse mais l’appelle à avoir confiance. Sa réaction devant la pêche miraculeuse est d’émerveillement et d’agitation:  « Seigneur, éloigne-toi de moi, car je suis un homme pécheur » (Lc 5, 8). Jésus répond en l’invitant à la confiance et à s’ouvrir à un projet qui dépasse toutes ses perspectives:  « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras » (Lc 5, 10). Pierre ne pouvait pas encore imaginer qu’un jour, il serait arrivé à Rome et aurait été ici « pêcheur d’hommes », pour le Seigneur. Il accepte cet appel surprenant, de se laisser entraîner dans cette grande aventure:  il est généreux, il reconnaît ses limites, mais il croit en celui qui l’appelle et suit le rêve de son coeur. Il dit oui – un oui courageux et généreux -, et devient le disciple de Jésus. Pierre vivra un autre moment significatif de son chemin spirituel aux alentours de Césarée de Philippe, lorsque Jésus pose une question précise aux disciples:  « Pour les gens, qui suis-je? » (Mc 8, 27). Jésus ne se contente cependant pas de la réponse par ouï-dire. Il attend de la part de ceux qui ont accepté de s’engager personnellement avec Lui une prise de position personnelle. C’est pourquoi, il insiste:  « Pour vous, qui suis-je? » (Mc 8, 29). Et Pierre répond également au nom des autres:  « Tu es le Christ » (ibid.), c’est-à-dire le Messie. Cette réponse de Pierre, « ce n’est pas la chair et le sang qui [lui] ont révélé cela », mais elle lui fut donnée par le Père qui est aux cieux (cf. Mt 16, 17), et elle contient comme en germe la future confession de foi de l’Eglise. Toutefois, Pierre n’avait pas encore compris le contenu profond de la mission messianique de Jésus, le nouveau sens de cette parole:  Messie. Il le démontre peu après, en laissant comprendre que le Messie qu’il poursuit dans ses rêves est très différent du véritable projet de Dieu. Devant l’annonce de la passion, il se scandalise et proteste en suscitant la vive réaction de Jésus (cf. Mc 8, 32-33). Pierre veut un Messie « homme divin », qui accomplisse les attentes des gens en imposant sa puissance à tous:  c’est également notre désir que le Seigneur impose sa puissance et transforme immédiatement le monde; Jésus se présente comme le « Dieu humain », le serviteur de Dieu, qui bouleverse les attentes de la foule en prenant un chemin d’humilité et de souffrance. C’est la grande alternative, que nous aussi, nous devons toujours apprendre à nouveau:  privilégier nos propres attentes en repoussant Jésus ou accueillir Jésus dans la vérité de sa mission et mettre de côté les attentes trop humaines. Pierre – impulsif comme il l’est – n’hésite pas à prendre Jésus à part et à lui faire des reproches. La réponse de Jésus anéantit toutes ses fausses attentes, lorsqu’il le rappelle à la conversion et à le suivre:  « Passe derrière moi, Satan! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes » (Mc 8, 33). Ce n’est pas à toi de m’indiquer la route, moi, je choisis mon chemin, et toi, remets-toi à ma suite. Pierre apprend ainsi ce que signifie véritablement suivre Jésus. C’est son deuxième appel, semblable à celui d’Abraham dans Gn 22, après celui de Gn 12:  « Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix, et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra; mais celui qui perdra sa vie pour moi et pour l’Evangile la sauvera » (Mc 8, 34-35). C’est la loi exigeante de la sequela Christi:  il faut savoir renoncer, si nécessaire, au monde entier pour sauver les vraies valeurs, pour sauver son âme, pour sauver la présence de Dieu dans le monde (cf. Mc 8, 36-37). Bien qu’avec difficulté, Pierre accueille l’invitation et poursuit son chemin sur les traces du Maître. Et il me semble que ces diverses conversions de saint Pierre et sa figure tout entière sont un grand réconfort et un grand enseignement pour nous. Nous aussi, nous avons le désir de Dieu, nous aussi, nous voulons être généreux, mais nous aussi, nous attendons que  Dieu soit fort dans le monde et transforme immédiatement le monde selon nos idées, selon les besoins que nous constatons. Dieu choisit une autre voie.  Dieu  choisit  la  voie de la transformation des coeurs dans la souffrance et dans l’humilité. Et nous, comme Pierre, nous devons toujours nous convertir à nouveau. Nous devons suivre Jésus et non pas le précéder:  c’est  Lui  qui  nous montre la route. Ainsi, Pierre nous dit:  Tu penses connaître la recette et devoir transformer le christianisme, mais c’est le Seigneur qui connaît le chemin. C’est le Seigneur qui me dit, qui te dit:  Suis-moi! Et nous devons avoir le courage et l’humilité de suivre Jésus, car Il est le Chemin, la Vérité, et la Vie.

 

VIE DE SAINT PIERRE LE PRINCE DES APÔTRE

17 mars, 2015

http://spiritualite-orthodoxe.blogspot.it/2009/08/vie-du-saint-apotre-pierre-le-prince.html

(Ces jours, je étudiais, en effet, qui étudient à nouveau, la mort des apôtres Pierre et Paul, vous ne pouvez pas conclure cette étude, jamais assez, je propose l’étude de l’Eglise orthodoxe, est un peu apologétique, ajoute quelque chose qui manque et quelques autres nouvelles, mais pour le moment il est le meilleur que je ai trouvé)

VIE DE SAINT PIERRE LE PRINCE DES APÔTRE

Saint Dimitri de Rostov

Le Saint Apôtre Pierre se nommait Simon avant son apostolat. Juif de naissance, il naquit en Galilée, dans la petite ville méconnue de Bethsaïde, d’un père nommé Jonas, de la maison de Simon. Son frère était le Saint Apôtre André, le Premier-Appelé. Saint Pierre épousa la fille d’Aristobule, le frère du Saint Apôtre Barnabé, dont il eut deux enfants, un fils et une fille. Homme simple et sans instruction, il craignait Dieu, accomplissait tous Ses commandements, et se tenait devant Lui sans faille dans tous ses actes. Il était pêcheur de son état, et vivait dans la pauvreté, gagnant de ses mains la nourriture nécessaire pour sa maisonnée, c’est-à-dire sa femme, ses enfants, sa belle-mère, et son vieux père.
Son frère André, quant à lui, dédaignait la vanité et les préoccupations de ce monde, et menait une vie de célibataire qui le conduisit à devenir le disciple de Saint Jean Baptiste qui prêchait le repentir près du Jourdain. Voyant un jour son maître montrer du doigt le Seigneur Jésus en disant : « Voici l’Agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde », il laissa Jean pour suivre le Christ avec un autre de ses disciples. A la question « Maître, où demeures-Tu ? », le Seigneur ayant répondu : « Venez et voyez ! », ils demeurèrent chez Lui ce jour-là. Au matin, André vint trouver son frère Simon Pierre et lui dit : « Nous avons trouvé le Messie ! », et il le conduisit vers le Seigneur Jésus, qui le regarda et dit : « Tu es Simon, Fils de Jonas, tu seras appelé Képhas », ce qui signifie Pierre. Saint Pierre fut tout de suite blessé d’amour pour le Seigneur. Il crut sur-le-champ qu’Il était le Christ envoyé par Dieu pour le salut du monde. Toutefois, il n’abandonna pas immédiatement sa maison et son métier, et continua encore pour un temps à procurer le nécessaire à ses proches, avec l’aide d’André, à cause du grand âge de leur père. Mais un peu plus tard, quand Jean eut été mis en prison, le Seigneur Jésus, qui passait près du lac de Tibériade, vit Pierre et André jeter leurs filets et leur dit : « Suivez-Moi, et je vous ferai pêcheurs d’hommes ! »
Et quel genre de pêcheurs allaient-ils devenir ? Ceci leur fut manifesté le jour où le Seigneur monta dans le bateau de Simon et commanda de jeter les filets. Pierre dit alors : « Maître, nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre, mais sur Ta parole, je jetterai le filet ! » (Luc5,5-6) Et la prise fut si grosse que le filet se rompit, préfigurant la pêche spirituelle et apostolique qui devait attraper par la Parole de Dieu de nombreux peuples dans le filet du salut. Voyant ce miracle, Pierre tomba épouvanté aux pieds de Jésus en disant : « Seigneur, éloigne-Toi de moi, car je suis un homme pécheur ! » Mais le Seigneur choisit plutôt de lui répondre : « Suis-moi, et désormais tu pêcheras les hommes pour la vie comme tu avais pêché les poissons pour la mort ! »
Dès lors, Saint Pierre devint disciple du Christ avec son frère André et les autres disciples nouvellement appelés, et il fut aimé du Seigneur pour la simplicité de son coeur. Un jour, le Christ visita la modeste maison de Saint Pierre et guérit sa belle-mère de la fièvre en la touchant de la main. La nuit suivante, Il partit dans un lieu désert pour prier, et Pierre, ne supportant pas l’idée d’être une heure sans le Seigneur, abandonna sa maison et courut avec zèle derrière son Maître. L’ayant trouvé, il Lui dit : « Seigneur, tous Te cherchent ! »
Désormais, Pierre ne quitta plus le Christ, et resta constamment à Ses côtés pour jouir de Sa vue, écouter Ses paroles plus douces que le miel, et être le témoin des nombreux et grands miracles qui attestaient qu’Il était bien le Christ, le Fils de Dieu.
Le coeur de Pierre crut sans douter à la vérité, et sa bouche confessa le salut. En effet, comme le Seigneur revenait de Césarée de Philippe et questionnait Ses disciples : « Qui dit-on que Je suis, moi, le Fils de l’Homme ? », ils répondirent : « Les uns disent que Tu es Jean-Baptiste, les autres Elie, d’autres encore Jérémie ou l’un des prophètes », et comme le Christ insistait : « Et vous, qui dites-vous que Je suis ? », Pierre répondit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » Alors le Seigneur loua son juste témoignage en disant : « Tu es bienheureux Simon, fils de Jonas, car ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais c’est Mon Père qui est dans les cieux ! » Et le Christ promit à Pierre de lui donner les clefs de Son Royaume Céleste. Mais l’amour que Pierre éprouvait pour le Seigneur était si ardent qu’il ne concevait pas qu’un malheur pût Lui arriver, aussi en L’entendant parler de Ses souffrances, il dit : « Sois miséricordieux envers Toi Seigneur, et que cela ne T’arrive pas ! » Ces paroles de Pierre ne furent pas agréables au Seigneur qui était justement venu en ce monde pour racheter le genre humain de la perdition par Ses souffrances. Cependant ces paroles manifestaient à la fois le fervent amour de Pierre et son absence de rancune, quand le Seigneur le réprimanda par ces mots très durs : « Derrière moi, satan ! » Loin de s’irriter contre le Seigneur, Pierre accepta courageusement cette édifiante réprimande, et suivit le Christ avec une ferveur redoublée.
Plus tard, de nombreux disciples entendirent les paroles du Seigneur sans pouvoir les accepter et dirent, avant de Le quitter : « Cette parole est dure, qui peut l’écouter ? » Le Seigneur dit aux Douze : « Et vous, ne voulez-vous pas aussi vous en aller ? » Et ce fut Pierre encore qui répondit : « Seigneur, vers qui irions-nous, Tu as les paroles de la vie éternelle ! Nous avons cru et nous avons connu que Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! »
Dans sa grande foi et sa grande ferveur, Saint Pierre osa même demander au Seigneur de marcher sur les eaux, et ceci ne lui fut pas refusé. Il sortit du bateau et marcha vers le Seigneur Jésus. Mais sa foi n’était pas encore parfaite car il n’avait pas encore reçu l’Esprit Saint, et, voyant la force du vent, il s’effraya et cria : « Seigneur, Sauve-moi ! » Aussitôt, le Christ lui tendit la main : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? », le libérant de l’abîme des eaux, et plus tard, de son manque de foi en disant : « J’ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille pas ! »
Pierre fut digne, avec les deux autres Apôtres Jacques et Jean, de voir la Transfiguration du Seigneur sur le Mont Thabor. Il entendit de ses propres oreilles la voix du Père, comme il le rapporte dans son épître : « Ce n’est pas en suivant des fables habilement conçues que nous vous avons fait connaître la puissance et l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ, mais c’est en ayant vu Sa majesté de nos propres yeux. Car Il a reçu de Dieu le Père honneur et gloire quand la Gloire magnifique Lui fit entendre Sa voix qui disait : Celui-ci est Mon Fils bien-aimé en qui J’ai mis toute Mon affection. Nous avons entendu cette voix venant du ciel lorsque nous étions avec Lui sur la sainte montagne »
Lorsque le Seigneur s’approcha de Ses souffrances volontaires et de Sa mort sur la Croix, Pierre montra sa ferveur pour Lui, non seulement en disant : « Seigneur, je suis prêt à aller avec Toi en prison et à la mort », mais aussi en dégainant son épée pour couper l’oreille du serviteur du prêtre Malchus. Et même si, par la providence divine, il chuta trois fois en reniant le Seigneur, son repentir sincère et ses larmes amères lui valurent d’être le premier des Apôtres à voir le Seigneur après Sa Résurrection : « Le Seigneur est réellement ressuscité, et Il est apparu à Simon » (Luc24,34). Saint Paul témoigne aussi : « Il est ressuscité le troisième jour, selon les Ecritures, et Il est apparu à Képhas, puis aux Douze ».
Quelle ne fut pas la joie de Pierre quand il vit le Seigneur et reçut de Lui le pardon miséricordieux de son péché ! Après son triple reniement, il offrit une triple réponse d’amour au Christ en disant : « Seigneur, Tu sais tout, Tu sais que je T’aime ! » A la suite de quoi le Seigneur l’instaura comme pasteur de Ses brebis et portier de Son Royaume Céleste.
Après l’Ascension de notre Seigneur Jésus-Christ, Pierre, comme premier des Apôtres, fut le premier à prêcher la Parole de Dieu, et acquit en une heure jusqu’à trois mille âmes à l’Eglise du Christ. Il se montra également un thaumaturge hors du commun. Comme il entrait dans le temple pour prier en compagnie de Saint Jean, il vit un homme boiteux de naissance à la porte dénommée « la belle ». Il lui prit la main droite et le releva en disant : « Au Nom de notre Seigneur Jésus-Christ de Nazareth, lève-toi et marche ! » Et aussitôt, les pieds et les chevilles du boiteux s’affermirent, au point que d’un bond il fut debout, marcha, sauta, et entra avec les Apôtres dans le temple en glorifiant Dieu. Ce miracle et la parole de Dieu amenèrent à la foi en Jésus-Christ près de cinq mille hommes.
Saint Pierre mit à mort par sa parole Ananie et sa femme Saphire qui avait commis le sacrilège de mentir à l’Esprit Saint. A Lydda, il guérit un homme du nom d’Enée qui était paralysé depuis l’âge de huit ans par les seules paroles : « Jésus-Christ te guérit ! » A Joppé, il ressuscita une jeune fille nommée Tabitha.
Non seulement ses mains et sa parole puissante faisait des miracles, mais son ombre même provoquait des guérisons. Partout où il se rendait, les gens sortaient leurs malades sur leurs lits afin que l’ombre de Pierre les recouvrît au passage.
Mais bientôt, le roi Hérode porta la main sur l’Eglise de Jérusalem pour lui faire du mal, fit assassiner Jacques le frère de Jean, et fit saisir Pierre pour le mettre en prison. Alors qu’il était lié par deux chaînes, l’Ange du Seigneur le délivra pendant la nuit, et le fit sortir de prison.
Le prince des Apôtres fut le premier à ouvrir aux païens les portes de la foi en baptisant à Césarée le centurion romain Corneille, après avoir eu la vision d’une nappe descendant du ciel chargée de quadrupèdes et de reptiles, accompagnée d’une voix qui lui ordonnait de tuer et de manger, sans regarder comme impur ce que Dieu déclarait pur, en signe de la prochaine conversion des païens.
Il dénonça par la suite le mage samaritain Simon qui voulait hypocritement par le baptême acheter le don de l’Esprit Saint : « Que ton argent périsse avec toi car ton coeur n’est pas droit devant Dieu ! Je vois que tu es dans un fiel amer et dans les liens de l’iniquité ! »
Toutes ces choses sont inscrites dans l’Evangile et dans les Actes des Apôtres qu’on lit à l’église, où elles sont présentées en détails. Les rassembler ici de façon exhaustive n’est pas nécessaire car tous les connaissent bien.
La suite des exploits et des labeurs du Saint Apôtre Pierre est moins connue, et nous la rapporterons ici à travers les paroles de Saint Syméon Métaphraste : « De Jérusalem, Saint Pierre se rendit à Césarée, où il consacra un évêque issu du choeur des presbytres qui l’avait suivi. Il se rendit ensuite à Sidon où il fit beaucoup de guérisons et consacra un évêque, puis à Béryte où il consacra un autre évêque. De là il partit pour Byblos et Tripoli de Phénicie, où il consacra Marson, chez qui il avait vécu, comme évêque. De là, il se rendit sur l’île d’Antarados puis à Laodicée où il guérit de nombreux malades, chassa les esprits impurs, et rassembla une grande Eglise à laquelle il donna un évêque. Ensuite, il parvint à Antioche de Syrie, où se cachait Simon le mage qui l’avait fui en Palestine et qui fuyait maintenant les soldats de l’empereur romain Claude. Pierre accomplit de nombreuses guérisons à Antioche, prêcha avec bonheur le Dieu Unique en Trois Personnes, et ordonna des évêques pour évangéliser la Sicile, notamment Marcien pour les habitants de Syracuse, et Pancratios pour Tavroménie. Il se rendit ensuite à Tyane de Cappadoce, puis à Ancyre en Galatie où sa prière ressuscita un mort, et où il catéchisa et baptisa de nombreuses personnes, instaura l’Eglise locale et consacra un évêque. Après quoi, il partit pour Sinope et Amasée dans le Pont. Il visita ensuite Gangres en Paphlagonie, puis Claudiopolis dans la province d’Honorias, Nicomédie en Bithynie et Nicée.
Ensuite, il retourna rapidement à Jérusalem pour la fête de Pâques, puis pour la Cappadoce et la Syrie. Il revint à Antioche et à Jérusalem où il reçut la visite de Saint Paul trois ans après sa conversion au Christ, comme celui-ci le rapporte aux Galates : Trois ans plus tard, je montai à Jérusalem pour faire la connaissance de Képhas et je demeurai quinze jours chez lui . Après cette rencontre, certaines lois de l’Eglise ayant été définies, le bienheureux Paul partit accomplir l’oeuvre à laquelle il avait été appelé, et le grand Pierre revint à Antioche où il consacra Evode évêque. Il se rendit ensuite en Phrygie. De là, il alla à Nicomédie où il sacra Prochore évêque. Ce dernier continua toutefois à suivre Saint Jean le Théologien même après cette ordination. De Nicomédie, Pierre partit pour Héliopolis dans l’Hellespont où il consacra évêque le centurion Corneille, puis revint à Jérusalem.
Là, il eut une vision du Seigneur qui lui dit : Lève-toi, Pierre, et pars pour l’Occident ! Il est nécessaire que l’Occident soit éclairé par tes lumières. Je serai avec toi !
C’est en ces temps-là que Simon le Mage fut capturé par les soldats qui le poursuivaient et conduit à Rome pour y être rétribué selon ses oeuvres. Parvenu dans la capitale de l’empire, il employa les ruses et la magie pour enténébrer l’esprit d’une multitude, à tel point que, loin d’être châtié, il fut considéré comme un dieu. Ce disciple romain de satan étonna tellement l’empereur Claude lui-même par sa magie, qu’il fit sculpter sa statue et la déposa entre deux ponts du Tibre avec l’inscription : A Simon, le dieu saint. Mais Justin et Irénée ont parlé de cela en détails…
Revenons au grand Pierre qui, après avoir annoncé aux frères l’apparition du Seigneur, les embrassa et partit pour Antioche, visitant les Eglises et rencontrant de nouveau Saint Paul. De là, il partit, sacra Orcanos évêque de Tarse, Apelle, frère de Polycarpe, pour Smyrne, Olympas pour Philippes de Macédoine, Jason pour Thessalonique, Silas qu’il avait trouvé chez Paul pour Colosses et Hérodion à Patras. Puis, il se rendit en Sicile par la mer, demeura quelque temps à Tavromeni chez Pancratios son disciple, homme versé dans les Ecritures, y catéchisa et baptisa un certain Maxime qu’il ordonna évêque et partit pour Rome.
A Rome, il prêcha jour après jour dans les maisons et dans les assemblées, un seul Dieu, le Père tout-puissant, un seul Seigneur Jésus-Christ Fils de Dieu, vrai Dieu de vrai Dieu, et un seul Esprit Saint vivifiant. Il attira de nombreuses personnes à la foi au Christ et les libéra par le saint baptême du leurre païen.
Voyant cela, Simon le Mage fut incapable de se taire et de cacher son animosité envers l’Apôtre, considérant la prédication de ce dernier comme une honte qui venait ternir sa gloire. Il se mit à s’opposer ouvertement à l’enseignement de la vérité, contredisant Saint Pierre sans vergogne par ses paroles et par ses actes au centre même de la ville. Il faisait apparaître aux yeux du peuple des fantômes illusoires qui le précédaient et le suivaient partout, disant qu’il s’agissait là des âmes des morts, ou de ressuscités qui l’adoraient comme un dieu. Par l’artifice de ses illusions, il faisait marcher droit ou sautiller des boiteux. Mais tout ceci n’était qu’illusion, comme ce fabuleux Protée qui changeait de forme, apparaissant tour à tour avec deux visages, sous l’apparence d’une chèvre, d’un serpent ou d’un oiseau, ou bien encore comme du feu, en ne cessant de tromper les insensés. Mais dès que le grand Apôtre du Seigneur jetait le regard sur ses choses insensées, elles disparaissaient ».
Syméon Métaphraste n’est pas le seul à parler des controverses du Saint Apôtre Pierre et de Simon le Mage. On trouve dans le prologue des synaxaires le récit suivant : « Quand Saint Pierre arriva à Rome et apprit que Simon le Mage se faisait appeler Christ et accomplissait de nombreux signes devant les hommes, sa ferveur s’enflamma et il se rendit à la maison de Simon. De nombreuses personnes, qui se tenaient près des portes, lui en interdirent l’entrée.
- Pourquoi m’empêchez-vous d’entrer chez ce mage insidieux ?
- Ce n’est pas un mage mais un dieu puissant. Il a placé une garde devant sa porte qui connaît les pensées humaines : un chien noir qui tue tous ceux qui pensent du mal de Simon.
- Je dis la vérité : Simon est du démon ! Et toi le chien, vas dire à ton maître que Pierre, l’Apôtre du Christ, veut entrer chez lui !
Le chien se rendit auprès de Simon pour le prévenir de l’arrivée de Pierre avec une voix humaine. Tous furent terrifiés en entendant parler le chien. Simon renvoya l’animal chercher Pierre. Quand Pierre entra, le mage fit apparaître ses chimères aux yeux du peuple. Et le Saint Apôtre montra par la puissance du Christ des miracles encore plus grands ».
Quels miracles ? C’est ce que raconte le grec Egycippos, le plus ancien historien de l’Eglise, qui vivait près des Apôtres. Voici le récit de l’un d’entre eux : « Le fils d’une veuve romaine de rang royal vint à mourir dans ses jeunes années. Sa mère versait beaucoup de larmes et se montrait inconsolable. Ses proches se souvinrent alors qu’on trouvait à Rome à ce moment-là deux hommes dont on disait qu’ils ressuscitaient les morts : Pierre et Simon le Mage. Ils les firent donc convoquer, et beaucoup de personnes de haute condition se rassemblèrent, ainsi qu’une grande multitude issue du peuple. Saint Pierre s’adressa à Simon qui se vantait de sa puissance :
- Qu’on accepte comme vrai l’enseignement de celui qui ressuscitera le mort !
Et le peuple acclama la parole de Pierre. Mais, Simon, qui espérait dans sa magie, parla lui aussi au peuple :
- Si je ressuscite le mort, tuerez-vous Pierre ?
- Nous le brûlerons vif devant tes yeux !
Simon s’approcha de la couche du défunt et mit en oeuvre sa magie. Avec l’aide des démons, il fit remuer la tête du mort. Le peuple cria aussitôt que le jeune homme était vivant, et ressuscité. Il voulut se saisir de Pierre pour le brûler. Mais l’Apôtre leva les bras pour obtenir le silence et, quand tous se turent, parla ainsi :
- Si le jeune homme est vivant, qu’il se lève, qu’il parle, et qu’il marche ! Tant que vous n’aurez pas vu tout cela, soyez certains que Simon vous trompe par ses chimères et ses fantômes !
Simon marcha longtemps autour de la couche en invoquant les démons. Mais, comme il ne pouvait rien obtenir, la honte le saisit et il voulut s’enfuir. Mais le peuple le retint. Alors Saint Pierre, qui avait déjà ressuscité Tabitha et avait accompli beaucoup d’autres glorieux miracles, se tint éloigné du mort, leva les bras et les yeux vers le ciel, et pria :
- Seigneur Jésus-Christ, Tu nous a donné un ordre : en Mon Nom, ressuscitez les morts ! Je Te demande donc de ranimer ce jeune homme mort afin que tous ces gens sachent que Tu es un Dieu vrai et qu’aucun autre que Toi ne règne avec le Père et l’Esprit Saint dans les siècles ! Amen. Jeune homme, lève-toi, mon Seigneur Jésus-Christ te ressuscite et te guérit !
Et le mort ouvrit les yeux, se leva, et se mit à parler et à marcher ».
Le romain Marcel, qui fut dans un premier temps disciple de Simon, mais fut ensuite éclairé, conduit à la foi, et baptisé par Saint Pierre, écrit dans son épître aux saints martyrs Nérion et Archille , la fin de ce récit : « Le jeune homme ressuscité tomba aux pieds de Pierre en criant :
- J’ai vu le Seigneur Jésus-Christ qui ordonnait aux anges de me rendre, par ta supplique, à ma mère veuve !
Alors tout le peuple se mit à crier que seul est Dieu le Dieu prêché par Pierre. Simon le Mage utilisa de nouveau sa magie pour se faire une tête de chien et se sauver, mais le peuple s’en saisit avec l’intention de le lapider ou de le brûler, ce que Saint Pierre leur interdit en disant :
-Notre Seigneur et Maître n’a pas ordonné de rendre le mal pour le mal. Laissez-le aller où il veut ! La honte, l’outrage et la connaissance de sa faiblesse lui suffisent. Sa magie ne peut rien.
Simon fut libéré et vint chez moi en pensant que j’ignorais le miracle. Il mit à ma porte un grand chien lié par une chaîne en fer et me dit :
- Je vais voir si Pierre viendra chez toi selon son habitude.
Au bout d’une heure, Saint Pierre se présenta à la porte, détacha le chien, et lui dit :
- Va dire à Simon le Mage de cesser de leurrer par ses oeuvres démoniaques les gens pour lesquels le Christ a versé Son sang !
Le chien s’en alla annoncer au mage avec une voix humaine ce que l’Apôtre lui avait dit. Ayant entendu cela, je sortis rapidement pour recevoir Pierre chez moi avec honneur, et je chassais Simon et son chien. Celui-ci se précipita sur Simon, le mordit à pleines dents, et le jeta à terre. Pierre, qui regardait la scène par la fenêtre, ordonna au chien au Nom du Christ de ne pas causer davantage de mal au corps de Simon. C’est ainsi que sans lui causer aucun mal, le chien réduisit en charpies tous ses vêtements de sorte qu’aucune partie de son corps ne demeura couverte. Le peuple injuria Simon, et le chassa avec son chien de la ville à grands cris. Honteux et déshonoré, Simon ne réapparut plus à Rome pendant une année entière, et n’y revint que lorsque Néron succéda à Claude. Néron était un empereur méchant, comme en témoignèrent les gens méchants qui l’entouraient. Il aima beaucoup Simon et fit de lui son ami ».
Dans le prologue de la grande Ménée, on peut encore lire certains détails sur Simon : « Il voulut avoir la tête tranchée, et promit de ressusciter le troisième jour. Par un artifice, il fit en sorte de placer un mouton sous l’épée, et fit de lui une sorte de fantôme d’homme. Saint Pierre chassa l’illusion du cadavre du mouton, et dénonça Simon aux yeux de tous. Tous en effet virent le mouton décapité apparaître à la place de Simon.
Le mage Simon ne pouvait plus contredire l’Apôtre Pierre. Ecrasé par la honte et le déshonneur, il promit de s’élever au ciel. Rassemblant toute la force des démons qui le servaient, il se rendit au centre de Rome, et monta sur le toit d’un édifice de grande taille, la tête couverte d’une couronne de lauriers. Puis il s’adressa au peuple avec colère :
- Romains, puisque jusqu’à ce moment même vous persistez dans votre folie, puisque vous m’abandonnez en suivant Pierre, je vous abandonne à mon tour et cesse de défendre cette ville ! Que mes anges me prennent dans leurs bras et me montent au ciel chez mon père, d’où je vous enverrai de grands châtiments pour vous punir de ne pas avoir écouté mes paroles et cru à mes oeuvres !
Ayant dit cela, Simon frappa dans ses mains, se propulsa dans l’air et commença à voler, porté par les démons. Les gens, très étonnés, se disaient les uns aux autres :
- C’est l’oeuvre d’un dieu que de voler avec son corps !
Mais le grand Apôtre Pierre se mit à prier Dieu, disant :
- Seigneur Jésus-Christ mon Dieu, dénonce l’illusion de ce mage, afin qu’il ne séduise plus les gens qui croient en Toi ! Et vous, les diables, au Nom de mon Dieu je vous ordonne de ne plus le porter, mais de le lâcher là où il est à présent ! Aussitôt les démons, à la parole de l’Apôtre, s’éloignèrent de Simon et le misérable mage tomba, comme jadis satan précipité du haut des cieux, et se fracassa sur le sol. En voyant cela, le peuple s’extasia des heures durant, répétant sans relâche : Grand est le Dieu prêché par Pierre, en vérité il n’y a pas de Dieu hormis ce vrai Dieu ! Le mage, après sa chute, fut tout à fait brisé, mais, par la volonté de Dieu, toujours vivant, afin qu’il eût encore l’opportunité de reconnaître la faiblesse des démons et la sienne, son état misérable, que la honte le gagnât et qu’il admît la force du Tout-Puissant. Etendu sur le sol, brisé, il supporta de grandes souffrances tandis que le peuple le raillait, et ce n’est qu’au matin qu’il remit péniblement son âme mauvaise entre les mains des démons pour être conduite en enfer chez satan, leur père.
Saint Pierre, après la chute de Simon, monta sur une hauteur et fit un signe de la main pour que le peuple qui vociférait se tût. Il lui enseigna la connaissance du vrai Dieu, et par un long discours, l’initia à la foi chrétienne ».
En apprenant la mort honteuse de son ami, l’empereur Néron s’irrita fortement contre Pierre et voulut le tuer. Toutefois, le courroux du souverain ne put aboutir immédiatement, comme le rapporte Saint Syméon Métaphraste, mais seulement quelques années plus tard.
Après la mort de Simon, en effet, Saint Pierre ne resta pas longtemps à Rome. Il fit beaucoup de baptêmes, affermit l’Eglise, consacra Saint Lin évêque de la ville impériale, puis partit pour Terracine où il consacra un autre Epaphrodite comme évêque. Il parvint ensuite à Sirmi en Espagne où il consacra Epainétos comme évêque, avant d’atteindre Carthage en Afrique. Là il consacra Crescens puis partit pour l’Egypte. A Thèbes, la ville aux cent portes, il consacra Rufus comme évêque, et à Alexandrie, le saint Apôtre et Evangéliste Marc.
Après une révélation, il se rendit à Jérusalem pour assister à la Dormition de la Toute-Pure Vierge Marie la Mère de Dieu. Après cela, il revint en Egypte, puis traversa l’Afrique pour revenir à Rome, d’où il partit pour Milan et Photikin, où il consacra des évêques et ordonna des presbytres.
Il partit ensuite pour la lointaine Bretagne où il vécut longtemps et attira à la foi au Christ un peuple nombreux. C’est là qu’un ange lui rendit visite pour lui dire : « Pierre, ton départ de cette vie s’approche, il convient que tu partes pour Rome où tu supporteras la mort sur la croix, et recevras du Seigneur Jésus-Christ ta juste rétribution ». Après avoir rendu grâce à Dieu, Pierre passa encore quelques jours en Bretagne, affermissant les églises et consacrant des évêques, ordonnant des presbytres et des diacres.
Durant la douzième année du règne de Néron, il revint de nouveau à Rome où il consacra Clément comme évêque. Celui-ci refusa longtemps de porter un tel joug, mais, exhorté par les paroles de l’Apôtre, il courba le cou sous le joug du Christ et, en compagnie de son maître et d’autres saints hommes, il tira le char de la Parole de Dieu. De nombreux hommes et femmes de Rome de rang sénatorial furent éclairés par la foi et le saint baptême.
Il se trouvait que l’empereur Néron avait alors parmi ses concubines deux très belles femmes qu’il préférait à toutes les autres. Ces deux femmes devinrent croyantes et décidèrent de mener une vie chaste, refusant désormais d’obéir aux désirs lubriques de l’empereur. Ce dernier, qui vivait dans la convoitise sans jamais pouvoir s’en rassasier, s’irrita contre l’Eglise du Christ et surtout contre l’Apôtre Pierre, qu’il jugeait responsable de la conversion de ses concubines. Se souvenant de la mort de son ami Simon, il fit rechercher Pierre pour le tuer.
L’historien de l’Eglise Egysippos rapporte que les fidèles de Rome supplièrent Pierre de se cacher et de quitter la ville, pour le bien de la multitude. Mais Pierre n’entendait pas les choses ainsi, et désirait souffrir et mourir pour le Christ. Le peuple des fidèles, pleurant et gémissant, supplia de plus belle l’Apôtre de sauver sa vie, si nécessaire pour la Sainte Eglise ballottée par les malheurs dispensés par les infidèles. Saint Pierre se laissa fléchir par les larmes des fidèles, et promit de sortir de la ville et de se cacher. La nuit suivante, après avoir prié avec l’assemblée des fidèles, il embrassa chacun et partit seul. En arrivant aux portes de la ville, il rencontra le Seigneur Jésus-Christ qui rentrait dans la ville. Pierre Le salua :
- Seigneur, où vas-Tu ?
- Je vais à Rome pour être crucifié de nouveau !
A ces mots, le Seigneur devint invisible. Pierre comprit que le Christ, qui souffre dans Ses serviteurs comme dans Ses membres véritables, voulait souffrir à Rome dans son corps aussi. Il revint donc sur ses pas, se dirigea vers l’église, et fut arrêté par les soldats.
Saint Syméon Métaphraste rapporte que non seulement Pierre fut arrêté, mais également une multitude de fidèles, et parmi eux Hérodion et Olympas, que le tyran condamna à être décapités. Pierre, quant à lui, fut condamné à la crucifixion. Les soldats s’emparèrent donc des condamnés pour les conduire sur les lieux du supplice. Ils laissèrent toutefois partir Clément, qui était parent de l’empereur. Ils tuèrent par le glaive Hérodion, Olympas, et beaucoup d’autres fidèles. Pierre, quant à lui, demanda à ses bourreaux d’être crucifié la tête en bas, afin d’honorer le Seigneur en inclinant sa tête sous Ses pieds.
C’est ainsi que s’endormit le grand Apôtre Pierre, glorifiant Dieu sur la croix, et supportant la grande douleur des clous dans ses mains et dans ses pieds. Il remit son âme à Dieu le vingt-neuvième du mois de juin.
Clément, le disciple de Pierre, réclama le corps de l’Apôtre, le descendit de la croix, le prépara comme il convient, et convoqua les fidèles encore en vie et les hiérarques afin de l’ensevelir avec honneur. Il fit aussi ensevelir les corps de ceux qui avaient souffert avec Pierre : les saints Hérodion et Olympas, et tous les fidèles qui venaient de glorifier le Christ Dieu, qui, avec le Père et l’Esprit Saint, est glorifié dans les siècles. Amen.

 

(Ces jours, je étudiais, en effet, qui étudient à nouveau, la mort des apôtres Pierre et Paul, vous ne pouvez pas conclure cette étude, jamais assez, je propose l’étude de l’Eglise orthodoxe, est un peu apologétique, ajoute quelque chose qui manque et quelques autres nouvelles, mais pour le moment il est le meilleur que je ai trouvé)

VIE DE SAINT PIERRE LE PRINCE DES APÔTRE

Saint Dimitri de Rostov

Le Saint Apôtre Pierre se nommait Simon avant son apostolat. Juif de naissance, il naquit en Galilée, dans la petite ville méconnue de Bethsaïde, d’un père nommé Jonas, de la maison de Simon. Son frère était le Saint Apôtre André, le Premier-Appelé. Saint Pierre épousa la fille d’Aristobule, le frère du Saint Apôtre Barnabé, dont il eut deux enfants, un fils et une fille. Homme simple et sans instruction, il craignait Dieu, accomplissait tous Ses commandements, et se tenait devant Lui sans faille dans tous ses actes. Il était pêcheur de son état, et vivait dans la pauvreté, gagnant de ses mains la nourriture nécessaire pour sa maisonnée, c’est-à-dire sa femme, ses enfants, sa belle-mère, et son vieux père.
Son frère André, quant à lui, dédaignait la vanité et les préoccupations de ce monde, et menait une vie de célibataire qui le conduisit à devenir le disciple de Saint Jean Baptiste qui prêchait le repentir près du Jourdain. Voyant un jour son maître montrer du doigt le Seigneur Jésus en disant : « Voici l’Agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde », il laissa Jean pour suivre le Christ avec un autre de ses disciples. A la question « Maître, où demeures-Tu ? », le Seigneur ayant répondu : « Venez et voyez ! », ils demeurèrent chez Lui ce jour-là. Au matin, André vint trouver son frère Simon Pierre et lui dit : « Nous avons trouvé le Messie ! », et il le conduisit vers le Seigneur Jésus, qui le regarda et dit : « Tu es Simon, Fils de Jonas, tu seras appelé Képhas », ce qui signifie Pierre. Saint Pierre fut tout de suite blessé d’amour pour le Seigneur. Il crut sur-le-champ qu’Il était le Christ envoyé par Dieu pour le salut du monde. Toutefois, il n’abandonna pas immédiatement sa maison et son métier, et continua encore pour un temps à procurer le nécessaire à ses proches, avec l’aide d’André, à cause du grand âge de leur père. Mais un peu plus tard, quand Jean eut été mis en prison, le Seigneur Jésus, qui passait près du lac de Tibériade, vit Pierre et André jeter leurs filets et leur dit : « Suivez-Moi, et je vous ferai pêcheurs d’hommes ! »
Et quel genre de pêcheurs allaient-ils devenir ? Ceci leur fut manifesté le jour où le Seigneur monta dans le bateau de Simon et commanda de jeter les filets. Pierre dit alors : « Maître, nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre, mais sur Ta parole, je jetterai le filet ! » (Luc5,5-6) Et la prise fut si grosse que le filet se rompit, préfigurant la pêche spirituelle et apostolique qui devait attraper par la Parole de Dieu de nombreux peuples dans le filet du salut. Voyant ce miracle, Pierre tomba épouvanté aux pieds de Jésus en disant : « Seigneur, éloigne-Toi de moi, car je suis un homme pécheur ! » Mais le Seigneur choisit plutôt de lui répondre : « Suis-moi, et désormais tu pêcheras les hommes pour la vie comme tu avais pêché les poissons pour la mort ! »
Dès lors, Saint Pierre devint disciple du Christ avec son frère André et les autres disciples nouvellement appelés, et il fut aimé du Seigneur pour la simplicité de son coeur. Un jour, le Christ visita la modeste maison de Saint Pierre et guérit sa belle-mère de la fièvre en la touchant de la main. La nuit suivante, Il partit dans un lieu désert pour prier, et Pierre, ne supportant pas l’idée d’être une heure sans le Seigneur, abandonna sa maison et courut avec zèle derrière son Maître. L’ayant trouvé, il Lui dit : « Seigneur, tous Te cherchent ! »
Désormais, Pierre ne quitta plus le Christ, et resta constamment à Ses côtés pour jouir de Sa vue, écouter Ses paroles plus douces que le miel, et être le témoin des nombreux et grands miracles qui attestaient qu’Il était bien le Christ, le Fils de Dieu.
Le coeur de Pierre crut sans douter à la vérité, et sa bouche confessa le salut. En effet, comme le Seigneur revenait de Césarée de Philippe et questionnait Ses disciples : « Qui dit-on que Je suis, moi, le Fils de l’Homme ? », ils répondirent : « Les uns disent que Tu es Jean-Baptiste, les autres Elie, d’autres encore Jérémie ou l’un des prophètes », et comme le Christ insistait : « Et vous, qui dites-vous que Je suis ? », Pierre répondit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » Alors le Seigneur loua son juste témoignage en disant : « Tu es bienheureux Simon, fils de Jonas, car ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais c’est Mon Père qui est dans les cieux ! » Et le Christ promit à Pierre de lui donner les clefs de Son Royaume Céleste. Mais l’amour que Pierre éprouvait pour le Seigneur était si ardent qu’il ne concevait pas qu’un malheur pût Lui arriver, aussi en L’entendant parler de Ses souffrances, il dit : « Sois miséricordieux envers Toi Seigneur, et que cela ne T’arrive pas ! » Ces paroles de Pierre ne furent pas agréables au Seigneur qui était justement venu en ce monde pour racheter le genre humain de la perdition par Ses souffrances. Cependant ces paroles manifestaient à la fois le fervent amour de Pierre et son absence de rancune, quand le Seigneur le réprimanda par ces mots très durs : « Derrière moi, satan ! » Loin de s’irriter contre le Seigneur, Pierre accepta courageusement cette édifiante réprimande, et suivit le Christ avec une ferveur redoublée.
Plus tard, de nombreux disciples entendirent les paroles du Seigneur sans pouvoir les accepter et dirent, avant de Le quitter : « Cette parole est dure, qui peut l’écouter ? » Le Seigneur dit aux Douze : « Et vous, ne voulez-vous pas aussi vous en aller ? » Et ce fut Pierre encore qui répondit : « Seigneur, vers qui irions-nous, Tu as les paroles de la vie éternelle ! Nous avons cru et nous avons connu que Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! »
Dans sa grande foi et sa grande ferveur, Saint Pierre osa même demander au Seigneur de marcher sur les eaux, et ceci ne lui fut pas refusé. Il sortit du bateau et marcha vers le Seigneur Jésus. Mais sa foi n’était pas encore parfaite car il n’avait pas encore reçu l’Esprit Saint, et, voyant la force du vent, il s’effraya et cria : « Seigneur, Sauve-moi ! » Aussitôt, le Christ lui tendit la main : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? », le libérant de l’abîme des eaux, et plus tard, de son manque de foi en disant : « J’ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille pas ! »
Pierre fut digne, avec les deux autres Apôtres Jacques et Jean, de voir la Transfiguration du Seigneur sur le Mont Thabor. Il entendit de ses propres oreilles la voix du Père, comme il le rapporte dans son épître : « Ce n’est pas en suivant des fables habilement conçues que nous vous avons fait connaître la puissance et l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ, mais c’est en ayant vu Sa majesté de nos propres yeux. Car Il a reçu de Dieu le Père honneur et gloire quand la Gloire magnifique Lui fit entendre Sa voix qui disait : Celui-ci est Mon Fils bien-aimé en qui J’ai mis toute Mon affection. Nous avons entendu cette voix venant du ciel lorsque nous étions avec Lui sur la sainte montagne »
Lorsque le Seigneur s’approcha de Ses souffrances volontaires et de Sa mort sur la Croix, Pierre montra sa ferveur pour Lui, non seulement en disant : « Seigneur, je suis prêt à aller avec Toi en prison et à la mort », mais aussi en dégainant son épée pour couper l’oreille du serviteur du prêtre Malchus. Et même si, par la providence divine, il chuta trois fois en reniant le Seigneur, son repentir sincère et ses larmes amères lui valurent d’être le premier des Apôtres à voir le Seigneur après Sa Résurrection : « Le Seigneur est réellement ressuscité, et Il est apparu à Simon » (Luc24,34). Saint Paul témoigne aussi : « Il est ressuscité le troisième jour, selon les Ecritures, et Il est apparu à Képhas, puis aux Douze ».
Quelle ne fut pas la joie de Pierre quand il vit le Seigneur et reçut de Lui le pardon miséricordieux de son péché ! Après son triple reniement, il offrit une triple réponse d’amour au Christ en disant : « Seigneur, Tu sais tout, Tu sais que je T’aime ! » A la suite de quoi le Seigneur l’instaura comme pasteur de Ses brebis et portier de Son Royaume Céleste.
Après l’Ascension de notre Seigneur Jésus-Christ, Pierre, comme premier des Apôtres, fut le premier à prêcher la Parole de Dieu, et acquit en une heure jusqu’à trois mille âmes à l’Eglise du Christ. Il se montra également un thaumaturge hors du commun. Comme il entrait dans le temple pour prier en compagnie de Saint Jean, il vit un homme boiteux de naissance à la porte dénommée « la belle ». Il lui prit la main droite et le releva en disant : « Au Nom de notre Seigneur Jésus-Christ de Nazareth, lève-toi et marche ! » Et aussitôt, les pieds et les chevilles du boiteux s’affermirent, au point que d’un bond il fut debout, marcha, sauta, et entra avec les Apôtres dans le temple en glorifiant Dieu. Ce miracle et la parole de Dieu amenèrent à la foi en Jésus-Christ près de cinq mille hommes.
Saint Pierre mit à mort par sa parole Ananie et sa femme Saphire qui avait commis le sacrilège de mentir à l’Esprit Saint. A Lydda, il guérit un homme du nom d’Enée qui était paralysé depuis l’âge de huit ans par les seules paroles : « Jésus-Christ te guérit ! » A Joppé, il ressuscita une jeune fille nommée Tabitha.
Non seulement ses mains et sa parole puissante faisait des miracles, mais son ombre même provoquait des guérisons. Partout où il se rendait, les gens sortaient leurs malades sur leurs lits afin que l’ombre de Pierre les recouvrît au passage.
Mais bientôt, le roi Hérode porta la main sur l’Eglise de Jérusalem pour lui faire du mal, fit assassiner Jacques le frère de Jean, et fit saisir Pierre pour le mettre en prison. Alors qu’il était lié par deux chaînes, l’Ange du Seigneur le délivra pendant la nuit, et le fit sortir de prison.
Le prince des Apôtres fut le premier à ouvrir aux païens les portes de la foi en baptisant à Césarée le centurion romain Corneille, après avoir eu la vision d’une nappe descendant du ciel chargée de quadrupèdes et de reptiles, accompagnée d’une voix qui lui ordonnait de tuer et de manger, sans regarder comme impur ce que Dieu déclarait pur, en signe de la prochaine conversion des païens.
Il dénonça par la suite le mage samaritain Simon qui voulait hypocritement par le baptême acheter le don de l’Esprit Saint : « Que ton argent périsse avec toi car ton coeur n’est pas droit devant Dieu ! Je vois que tu es dans un fiel amer et dans les liens de l’iniquité ! »
Toutes ces choses sont inscrites dans l’Evangile et dans les Actes des Apôtres qu’on lit à l’église, où elles sont présentées en détails. Les rassembler ici de façon exhaustive n’est pas nécessaire car tous les connaissent bien.
La suite des exploits et des labeurs du Saint Apôtre Pierre est moins connue, et nous la rapporterons ici à travers les paroles de Saint Syméon Métaphraste : « De Jérusalem, Saint Pierre se rendit à Césarée, où il consacra un évêque issu du choeur des presbytres qui l’avait suivi. Il se rendit ensuite à Sidon où il fit beaucoup de guérisons et consacra un évêque, puis à Béryte où il consacra un autre évêque. De là il partit pour Byblos et Tripoli de Phénicie, où il consacra Marson, chez qui il avait vécu, comme évêque. De là, il se rendit sur l’île d’Antarados puis à Laodicée où il guérit de nombreux malades, chassa les esprits impurs, et rassembla une grande Eglise à laquelle il donna un évêque. Ensuite, il parvint à Antioche de Syrie, où se cachait Simon le mage qui l’avait fui en Palestine et qui fuyait maintenant les soldats de l’empereur romain Claude. Pierre accomplit de nombreuses guérisons à Antioche, prêcha avec bonheur le Dieu Unique en Trois Personnes, et ordonna des évêques pour évangéliser la Sicile, notamment Marcien pour les habitants de Syracuse, et Pancratios pour Tavroménie. Il se rendit ensuite à Tyane de Cappadoce, puis à Ancyre en Galatie où sa prière ressuscita un mort, et où il catéchisa et baptisa de nombreuses personnes, instaura l’Eglise locale et consacra un évêque. Après quoi, il partit pour Sinope et Amasée dans le Pont. Il visita ensuite Gangres en Paphlagonie, puis Claudiopolis dans la province d’Honorias, Nicomédie en Bithynie et Nicée.
Ensuite, il retourna rapidement à Jérusalem pour la fête de Pâques, puis pour la Cappadoce et la Syrie. Il revint à Antioche et à Jérusalem où il reçut la visite de Saint Paul trois ans après sa conversion au Christ, comme celui-ci le rapporte aux Galates : Trois ans plus tard, je montai à Jérusalem pour faire la connaissance de Képhas et je demeurai quinze jours chez lui . Après cette rencontre, certaines lois de l’Eglise ayant été définies, le bienheureux Paul partit accomplir l’oeuvre à laquelle il avait été appelé, et le grand Pierre revint à Antioche où il consacra Evode évêque. Il se rendit ensuite en Phrygie. De là, il alla à Nicomédie où il sacra Prochore évêque. Ce dernier continua toutefois à suivre Saint Jean le Théologien même après cette ordination. De Nicomédie, Pierre partit pour Héliopolis dans l’Hellespont où il consacra évêque le centurion Corneille, puis revint à Jérusalem.
Là, il eut une vision du Seigneur qui lui dit : Lève-toi, Pierre, et pars pour l’Occident ! Il est nécessaire que l’Occident soit éclairé par tes lumières. Je serai avec toi !
C’est en ces temps-là que Simon le Mage fut capturé par les soldats qui le poursuivaient et conduit à Rome pour y être rétribué selon ses oeuvres. Parvenu dans la capitale de l’empire, il employa les ruses et la magie pour enténébrer l’esprit d’une multitude, à tel point que, loin d’être châtié, il fut considéré comme un dieu. Ce disciple romain de satan étonna tellement l’empereur Claude lui-même par sa magie, qu’il fit sculpter sa statue et la déposa entre deux ponts du Tibre avec l’inscription : A Simon, le dieu saint. Mais Justin et Irénée ont parlé de cela en détails…
Revenons au grand Pierre qui, après avoir annoncé aux frères l’apparition du Seigneur, les embrassa et partit pour Antioche, visitant les Eglises et rencontrant de nouveau Saint Paul. De là, il partit, sacra Orcanos évêque de Tarse, Apelle, frère de Polycarpe, pour Smyrne, Olympas pour Philippes de Macédoine, Jason pour Thessalonique, Silas qu’il avait trouvé chez Paul pour Colosses et Hérodion à Patras. Puis, il se rendit en Sicile par la mer, demeura quelque temps à Tavromeni chez Pancratios son disciple, homme versé dans les Ecritures, y catéchisa et baptisa un certain Maxime qu’il ordonna évêque et partit pour Rome.
A Rome, il prêcha jour après jour dans les maisons et dans les assemblées, un seul Dieu, le Père tout-puissant, un seul Seigneur Jésus-Christ Fils de Dieu, vrai Dieu de vrai Dieu, et un seul Esprit Saint vivifiant. Il attira de nombreuses personnes à la foi au Christ et les libéra par le saint baptême du leurre païen.
Voyant cela, Simon le Mage fut incapable de se taire et de cacher son animosité envers l’Apôtre, considérant la prédication de ce dernier comme une honte qui venait ternir sa gloire. Il se mit à s’opposer ouvertement à l’enseignement de la vérité, contredisant Saint Pierre sans vergogne par ses paroles et par ses actes au centre même de la ville. Il faisait apparaître aux yeux du peuple des fantômes illusoires qui le précédaient et le suivaient partout, disant qu’il s’agissait là des âmes des morts, ou de ressuscités qui l’adoraient comme un dieu. Par l’artifice de ses illusions, il faisait marcher droit ou sautiller des boiteux. Mais tout ceci n’était qu’illusion, comme ce fabuleux Protée qui changeait de forme, apparaissant tour à tour avec deux visages, sous l’apparence d’une chèvre, d’un serpent ou d’un oiseau, ou bien encore comme du feu, en ne cessant de tromper les insensés. Mais dès que le grand Apôtre du Seigneur jetait le regard sur ses choses insensées, elles disparaissaient ».
Syméon Métaphraste n’est pas le seul à parler des controverses du Saint Apôtre Pierre et de Simon le Mage. On trouve dans le prologue des synaxaires le récit suivant : « Quand Saint Pierre arriva à Rome et apprit que Simon le Mage se faisait appeler Christ et accomplissait de nombreux signes devant les hommes, sa ferveur s’enflamma et il se rendit à la maison de Simon. De nombreuses personnes, qui se tenaient près des portes, lui en interdirent l’entrée.
- Pourquoi m’empêchez-vous d’entrer chez ce mage insidieux ?
- Ce n’est pas un mage mais un dieu puissant. Il a placé une garde devant sa porte qui connaît les pensées humaines : un chien noir qui tue tous ceux qui pensent du mal de Simon.
- Je dis la vérité : Simon est du démon ! Et toi le chien, vas dire à ton maître que Pierre, l’Apôtre du Christ, veut entrer chez lui !
Le chien se rendit auprès de Simon pour le prévenir de l’arrivée de Pierre avec une voix humaine. Tous furent terrifiés en entendant parler le chien. Simon renvoya l’animal chercher Pierre. Quand Pierre entra, le mage fit apparaître ses chimères aux yeux du peuple. Et le Saint Apôtre montra par la puissance du Christ des miracles encore plus grands ».
Quels miracles ? C’est ce que raconte le grec Egycippos, le plus ancien historien de l’Eglise, qui vivait près des Apôtres. Voici le récit de l’un d’entre eux : « Le fils d’une veuve romaine de rang royal vint à mourir dans ses jeunes années. Sa mère versait beaucoup de larmes et se montrait inconsolable. Ses proches se souvinrent alors qu’on trouvait à Rome à ce moment-là deux hommes dont on disait qu’ils ressuscitaient les morts : Pierre et Simon le Mage. Ils les firent donc convoquer, et beaucoup de personnes de haute condition se rassemblèrent, ainsi qu’une grande multitude issue du peuple. Saint Pierre s’adressa à Simon qui se vantait de sa puissance :
- Qu’on accepte comme vrai l’enseignement de celui qui ressuscitera le mort !
Et le peuple acclama la parole de Pierre. Mais, Simon, qui espérait dans sa magie, parla lui aussi au peuple :
- Si je ressuscite le mort, tuerez-vous Pierre ?
- Nous le brûlerons vif devant tes yeux !
Simon s’approcha de la couche du défunt et mit en oeuvre sa magie. Avec l’aide des démons, il fit remuer la tête du mort. Le peuple cria aussitôt que le jeune homme était vivant, et ressuscité. Il voulut se saisir de Pierre pour le brûler. Mais l’Apôtre leva les bras pour obtenir le silence et, quand tous se turent, parla ainsi :
- Si le jeune homme est vivant, qu’il se lève, qu’il parle, et qu’il marche ! Tant que vous n’aurez pas vu tout cela, soyez certains que Simon vous trompe par ses chimères et ses fantômes !
Simon marcha longtemps autour de la couche en invoquant les démons. Mais, comme il ne pouvait rien obtenir, la honte le saisit et il voulut s’enfuir. Mais le peuple le retint. Alors Saint Pierre, qui avait déjà ressuscité Tabitha et avait accompli beaucoup d’autres glorieux miracles, se tint éloigné du mort, leva les bras et les yeux vers le ciel, et pria :
- Seigneur Jésus-Christ, Tu nous a donné un ordre : en Mon Nom, ressuscitez les morts ! Je Te demande donc de ranimer ce jeune homme mort afin que tous ces gens sachent que Tu es un Dieu vrai et qu’aucun autre que Toi ne règne avec le Père et l’Esprit Saint dans les siècles ! Amen. Jeune homme, lève-toi, mon Seigneur Jésus-Christ te ressuscite et te guérit !
Et le mort ouvrit les yeux, se leva, et se mit à parler et à marcher ».
Le romain Marcel, qui fut dans un premier temps disciple de Simon, mais fut ensuite éclairé, conduit à la foi, et baptisé par Saint Pierre, écrit dans son épître aux saints martyrs Nérion et Archille , la fin de ce récit : « Le jeune homme ressuscité tomba aux pieds de Pierre en criant :
- J’ai vu le Seigneur Jésus-Christ qui ordonnait aux anges de me rendre, par ta supplique, à ma mère veuve !
Alors tout le peuple se mit à crier que seul est Dieu le Dieu prêché par Pierre. Simon le Mage utilisa de nouveau sa magie pour se faire une tête de chien et se sauver, mais le peuple s’en saisit avec l’intention de le lapider ou de le brûler, ce que Saint Pierre leur interdit en disant :
-Notre Seigneur et Maître n’a pas ordonné de rendre le mal pour le mal. Laissez-le aller où il veut ! La honte, l’outrage et la connaissance de sa faiblesse lui suffisent. Sa magie ne peut rien.
Simon fut libéré et vint chez moi en pensant que j’ignorais le miracle. Il mit à ma porte un grand chien lié par une chaîne en fer et me dit :
- Je vais voir si Pierre viendra chez toi selon son habitude.
Au bout d’une heure, Saint Pierre se présenta à la porte, détacha le chien, et lui dit :
- Va dire à Simon le Mage de cesser de leurrer par ses oeuvres démoniaques les gens pour lesquels le Christ a versé Son sang !
Le chien s’en alla annoncer au mage avec une voix humaine ce que l’Apôtre lui avait dit. Ayant entendu cela, je sortis rapidement pour recevoir Pierre chez moi avec honneur, et je chassais Simon et son chien. Celui-ci se précipita sur Simon, le mordit à pleines dents, et le jeta à terre. Pierre, qui regardait la scène par la fenêtre, ordonna au chien au Nom du Christ de ne pas causer davantage de mal au corps de Simon. C’est ainsi que sans lui causer aucun mal, le chien réduisit en charpies tous ses vêtements de sorte qu’aucune partie de son corps ne demeura couverte. Le peuple injuria Simon, et le chassa avec son chien de la ville à grands cris. Honteux et déshonoré, Simon ne réapparut plus à Rome pendant une année entière, et n’y revint que lorsque Néron succéda à Claude. Néron était un empereur méchant, comme en témoignèrent les gens méchants qui l’entouraient. Il aima beaucoup Simon et fit de lui son ami ».
Dans le prologue de la grande Ménée, on peut encore lire certains détails sur Simon : « Il voulut avoir la tête tranchée, et promit de ressusciter le troisième jour. Par un artifice, il fit en sorte de placer un mouton sous l’épée, et fit de lui une sorte de fantôme d’homme. Saint Pierre chassa l’illusion du cadavre du mouton, et dénonça Simon aux yeux de tous. Tous en effet virent le mouton décapité apparaître à la place de Simon.
Le mage Simon ne pouvait plus contredire l’Apôtre Pierre. Ecrasé par la honte et le déshonneur, il promit de s’élever au ciel. Rassemblant toute la force des démons qui le servaient, il se rendit au centre de Rome, et monta sur le toit d’un édifice de grande taille, la tête couverte d’une couronne de lauriers. Puis il s’adressa au peuple avec colère :
- Romains, puisque jusqu’à ce moment même vous persistez dans votre folie, puisque vous m’abandonnez en suivant Pierre, je vous abandonne à mon tour et cesse de défendre cette ville ! Que mes anges me prennent dans leurs bras et me montent au ciel chez mon père, d’où je vous enverrai de grands châtiments pour vous punir de ne pas avoir écouté mes paroles et cru à mes oeuvres !
Ayant dit cela, Simon frappa dans ses mains, se propulsa dans l’air et commença à voler, porté par les démons. Les gens, très étonnés, se disaient les uns aux autres :
- C’est l’oeuvre d’un dieu que de voler avec son corps !
Mais le grand Apôtre Pierre se mit à prier Dieu, disant :
- Seigneur Jésus-Christ mon Dieu, dénonce l’illusion de ce mage, afin qu’il ne séduise plus les gens qui croient en Toi ! Et vous, les diables, au Nom de mon Dieu je vous ordonne de ne plus le porter, mais de le lâcher là où il est à présent ! Aussitôt les démons, à la parole de l’Apôtre, s’éloignèrent de Simon et le misérable mage tomba, comme jadis satan précipité du haut des cieux, et se fracassa sur le sol. En voyant cela, le peuple s’extasia des heures durant, répétant sans relâche : Grand est le Dieu prêché par Pierre, en vérité il n’y a pas de Dieu hormis ce vrai Dieu ! Le mage, après sa chute, fut tout à fait brisé, mais, par la volonté de Dieu, toujours vivant, afin qu’il eût encore l’opportunité de reconnaître la faiblesse des démons et la sienne, son état misérable, que la honte le gagnât et qu’il admît la force du Tout-Puissant. Etendu sur le sol, brisé, il supporta de grandes souffrances tandis que le peuple le raillait, et ce n’est qu’au matin qu’il remit péniblement son âme mauvaise entre les mains des démons pour être conduite en enfer chez satan, leur père.
Saint Pierre, après la chute de Simon, monta sur une hauteur et fit un signe de la main pour que le peuple qui vociférait se tût. Il lui enseigna la connaissance du vrai Dieu, et par un long discours, l’initia à la foi chrétienne ».
En apprenant la mort honteuse de son ami, l’empereur Néron s’irrita fortement contre Pierre et voulut le tuer. Toutefois, le courroux du souverain ne put aboutir immédiatement, comme le rapporte Saint Syméon Métaphraste, mais seulement quelques années plus tard.
Après la mort de Simon, en effet, Saint Pierre ne resta pas longtemps à Rome. Il fit beaucoup de baptêmes, affermit l’Eglise, consacra Saint Lin évêque de la ville impériale, puis partit pour Terracine où il consacra un autre Epaphrodite comme évêque. Il parvint ensuite à Sirmi en Espagne où il consacra Epainétos comme évêque, avant d’atteindre Carthage en Afrique. Là il consacra Crescens puis partit pour l’Egypte. A Thèbes, la ville aux cent portes, il consacra Rufus comme évêque, et à Alexandrie, le saint Apôtre et Evangéliste Marc.
Après une révélation, il se rendit à Jérusalem pour assister à la Dormition de la Toute-Pure Vierge Marie la Mère de Dieu. Après cela, il revint en Egypte, puis traversa l’Afrique pour revenir à Rome, d’où il partit pour Milan et Photikin, où il consacra des évêques et ordonna des presbytres.
Il partit ensuite pour la lointaine Bretagne où il vécut longtemps et attira à la foi au Christ un peuple nombreux. C’est là qu’un ange lui rendit visite pour lui dire : « Pierre, ton départ de cette vie s’approche, il convient que tu partes pour Rome où tu supporteras la mort sur la croix, et recevras du Seigneur Jésus-Christ ta juste rétribution ». Après avoir rendu grâce à Dieu, Pierre passa encore quelques jours en Bretagne, affermissant les églises et consacrant des évêques, ordonnant des presbytres et des diacres.
Durant la douzième année du règne de Néron, il revint de nouveau à Rome où il consacra Clément comme évêque. Celui-ci refusa longtemps de porter un tel joug, mais, exhorté par les paroles de l’Apôtre, il courba le cou sous le joug du Christ et, en compagnie de son maître et d’autres saints hommes, il tira le char de la Parole de Dieu. De nombreux hommes et femmes de Rome de rang sénatorial furent éclairés par la foi et le saint baptême.
Il se trouvait que l’empereur Néron avait alors parmi ses concubines deux très belles femmes qu’il préférait à toutes les autres. Ces deux femmes devinrent croyantes et décidèrent de mener une vie chaste, refusant désormais d’obéir aux désirs lubriques de l’empereur. Ce dernier, qui vivait dans la convoitise sans jamais pouvoir s’en rassasier, s’irrita contre l’Eglise du Christ et surtout contre l’Apôtre Pierre, qu’il jugeait responsable de la conversion de ses concubines. Se souvenant de la mort de son ami Simon, il fit rechercher Pierre pour le tuer.
L’historien de l’Eglise Egysippos rapporte que les fidèles de Rome supplièrent Pierre de se cacher et de quitter la ville, pour le bien de la multitude. Mais Pierre n’entendait pas les choses ainsi, et désirait souffrir et mourir pour le Christ. Le peuple des fidèles, pleurant et gémissant, supplia de plus belle l’Apôtre de sauver sa vie, si nécessaire pour la Sainte Eglise ballottée par les malheurs dispensés par les infidèles. Saint Pierre se laissa fléchir par les larmes des fidèles, et promit de sortir de la ville et de se cacher. La nuit suivante, après avoir prié avec l’assemblée des fidèles, il embrassa chacun et partit seul. En arrivant aux portes de la ville, il rencontra le Seigneur Jésus-Christ qui rentrait dans la ville. Pierre Le salua :
- Seigneur, où vas-Tu ?
- Je vais à Rome pour être crucifié de nouveau !
A ces mots, le Seigneur devint invisible. Pierre comprit que le Christ, qui souffre dans Ses serviteurs comme dans Ses membres véritables, voulait souffrir à Rome dans son corps aussi. Il revint donc sur ses pas, se dirigea vers l’église, et fut arrêté par les soldats.
Saint Syméon Métaphraste rapporte que non seulement Pierre fut arrêté, mais également une multitude de fidèles, et parmi eux Hérodion et Olympas, que le tyran condamna à être décapités. Pierre, quant à lui, fut condamné à la crucifixion. Les soldats s’emparèrent donc des condamnés pour les conduire sur les lieux du supplice. Ils laissèrent toutefois partir Clément, qui était parent de l’empereur. Ils tuèrent par le glaive Hérodion, Olympas, et beaucoup d’autres fidèles. Pierre, quant à lui, demanda à ses bourreaux d’être crucifié la tête en bas, afin d’honorer le Seigneur en inclinant sa tête sous Ses pieds.
C’est ainsi que s’endormit le grand Apôtre Pierre, glorifiant Dieu sur la croix, et supportant la grande douleur des clous dans ses mains et dans ses pieds. Il remit son âme à Dieu le vingt-neuvième du mois de juin.
Clément, le disciple de Pierre, réclama le corps de l’Apôtre, le descendit de la croix, le prépara comme il convient, et convoqua les fidèles encore en vie et les hiérarques afin de l’ensevelir avec honneur. Il fit aussi ensevelir les corps de ceux qui avaient souffert avec Pierre : les saints Hérodion et Olympas, et tous les fidèles qui venaient de glorifier le Christ Dieu, qui, avec le Père et l’Esprit Saint, est glorifié dans les siècles. Amen.

PIERRE ET LES PIERRES DE LA VILLE ÉTERNELLE – PAR LE CARDINAL PAUL POUPARD

3 juillet, 2014

http://www.30giorni.it/articoli_id_8371_l4.htm

PIERRE ET LES PIERRES DE LA VILLE ÉTERNELLE

UNE ÉTUDE DU PRÉSIDENT DU CONSEIL PONTIFICAL POUR LA CULTURE

PAR LE CARDINAL PAUL POUPARD

Je ne sais pas s’il y a quelque impertinence dans la question posée: Rome est-elle au centre du monde? Mais je sais qu’il y a bien des manières pertinentes d’y répondre. Je le ferai pour ma part, en partant d’une confidence de Madame Swetchine, l’amie de Lacordaire, lui-même ami d’un prêtre français assez oublié aujourd’hui, l’abbé Louis Bautain.

MADAME SWETCHINE, LACORDAIRE, BAUTAIN Écoutons Madame Swetchine: «Rome est la reine des villes, c’est un monde différent de tout ce qui nous a frappé ailleurs, dont les beautés et les contrastes sont d’un ordre si élevé que rien n’y prépare, que rien ne saurait en faire deviner ni même pressentir l’effet. Les idées s’agrandissent ici, les sentiments y deviennent plus religieux, le cœur s’apaise. Toutes les époques de l’histoire sont là en présence, séparées et distinctes, et il semble que chacune d’elles a voulu imprimer son caractère aux monuments qui en restent, avoir un horizon qui lui soit propre et, pour ainsi dire, une atmosphère particulière… La beauté n’est-elle pas éternelle comme la vérité? Et dès lors, quelle étroite alliance entre la religion et l’art!». Et l’orthodoxe convertie reparaît lorsqu’elle fait la constatation suivante: «Une des preuves de la vérité du catholicisme est de répondre si bien à la nature exclusive de notre cœur. Les autres Églises croient simplifier la religion, la rendre plus accessible, plus acceptable, en étendant à toutes les communions les promesses faites par son divin Auteur, et c’est bien étrangement méconnaître nos véritables besoins. Plus une règle est positive, exclusive, austère, exigeante et plus elle a pour nous d’attrait, par cet instinct vague qui nous a fait sentir combien notre mobilité a besoin d’être fixée, notre mollesse d’être affermie, notre pensée ramenée et assujettie. On ne s’attachera jamais passionnément à une religion qui trouvera que les autres la valent, et le Dieu jaloux le savait bien. Du moment où une chose n’est pas, je ne dis pas seulement la meilleure, mais la seule complètement bonne, pourquoi choisir, préférer, concentrer, et ne pas laisser fractionner son hommage et son amour?». Ce texte de Madame Swetchine re­trouvé un peu au hasard m’a conduit à relire les pages qu’avec ferveur le jeune romain que j’étais alors proposait aux lecteurs de La vie spirituelle en novembre 1961, sur Lacordaire, Bautain et Madame Swetchine. Le centre en est Rome, où l’Abbé Bautain, le philosophe de Strasbourg, est dénoncé par son évêque pour cause de fidéisme. Lacordaire lui écrit, le 1er février 1838: «Une condamnation de Rome est à jamais acquise à l’histoire, l’infaillibilité en assure la destinée éternelle. Au lieu que la condamnation d’un évêque n’a ni le même avenir, ni la même solidité…». Il présente du reste ainsi à sa correspondante Mgr le Pappe de Trévern: «Le vieil Évêque de Strasbourg est évidemment un outré gallican beaucoup moins effrayé de ce qu’il y a de faux chez Monsieur Bautain que de ce qu’il y a de vrai… Personne plus que moi n’estime à son prix la pureté de la doctrine et j’ose dire que chaque jour j’en deviens plus jaloux pour moi-même; mais la charité dans l’appréciation des doctrines est le contrepoids absolument nécessaire de l’inflexibilité théologique. Le mouvement du vrai chrétien est de chercher la vérité et non l’erreur dans une doctrine, et de faire tous ses efforts pour l’y trouver, tous ses efforts jusqu’au sang, comme on cueille une rose à travers les épines. Celui qui fait bon marché de la pensée d’un homme, d’un homme sincère…, celui-là est un pharisien, la seule race d’hommes qui ait été maudite par Jésus-Christ. Y a-t-il un Père de l’Église qui n’ait des opinions et même des erreurs? Jetterons-nous leurs écrits par la fenêtre pour que l’océan de la vérité soit plus pur? Oh que l’homme qui combat pour Dieu est un être sacré et que jusqu’au jour d’une condamnation manifeste, il faut porter sa pensée dans des entrailles amies!». Et le 1er février 1840, dans une nouvelle lettre à sa correspondante, Lacordaire ajoute: «En 1838, étant à Metz, je fus averti qu’on cherchait à le perdre à Rome, ce dernier refuge de ceux qui errent contre la dureté de ceux qui n’errent pas… Je le déterminai à aller à Rome. Il partit, fut bien accueilli, revint enchanté de Rome…»1. J’ai édité autrefois Le Journal romain de l’abbé Bautain (1838) qui retrace cette histoire aujourd’hui bien oubliée. J’ai voulu la rappeler, comme je l’ai fait, dans mon Rome Pèlerinage2, car, pour beaucoup de pèlerins des siècles passés et du temps présent, le pèlerinage à Rome, c’est d’abord la prière à la basilique Saint-Pierre, dans une démarche de foi envers le magistère vivant de l’Église qui, selon les promesses faites par le Christ à Pierre, se continue dans la personne de son successeur, le pape. C’est une grâce du pèlerinage à Rome que cette adhésion renouvelée à Pierre, dont le successeur demeure garant de la vérité de l’Évangile au milieu des tourbillons du siècle. Bautain écrit, le soir même de son arrivée, dans son Journal, le 28 février 1838: «Enfin nous partîmes… Nous étions dans une grande impatience de voir apparaître la grande ville, et cependant la fatigue de la nuit passée et des précédentes nous jetait tous dans l’accablement, quand, tout à coup, arrivés sur une hauteur, le “vetturino” nous cria du dehors en nous faisant signe avec son fouet: “Roma”: Nous vîmes, en effet, dans le brouillard du matin, la Coupole de Saint-Pierre et en un moment elle fit comme apparaître à nos yeux Rome tout entière, ancienne et moderne, la Rome maîtresse du monde, soit par la force, soit par l’esprit. Il nous fallut monter et descendre bien des côtes, après cette apparition, et enfin nous aperçûmes de près Saint-Pierre et le Vatican et ce fut la première chose de Rome que nous vîmes en entrant par la porte de Civitavecchia qui est justement derrière, en sorte qu’on a l’air d’entrer dans le Vatican même. Ainsi ce que nous avons vu de Rome, tout d’abord c’est ce que nous sommes venus uniquement y chercher, savoir Saint-Pierre et le Vatican»3.

LA VOCATION DE ROME Ainsi, me semble-t-il, s’éclaire la réponse à donner à la question: Rome est-elle au centre du monde? Car ce mot de “centre” peut être compris en plusieurs sens: centre d’attraction ou centre de rayonnement? Si on l’entend d’un centre d’attraction ou de rayonnement dans le monde, il faut savoir si l’on pense au Pape ou à la Curie. Nous savons que les deux ne se confondent pas, la seconde est au service du premier. Il faut d’autre part distinguer l’aspect religieux, l’aspect moral et l’aspect politique des choses. La réponse ne sera pas la même suivant que l’on considère l’un ou l’autre de ces aspects. Si l’on se met en face de ce que l’on appelle l’opinion et que l’on s’efforce de juger ensuite cette opinion à la lumière de ce que l’Église pense d’elle-même, il me semble qu’on est en présence de deux conceptions également fausses de Rome et du Saint-Siège: une conception qui tend à minimiser indûment le rôle de Rome comme centre d’attraction ou de rayonnement en la considérant comme une simple Église parmi d’autres. Par contraste avec cette conception minimisante, il y en a une autre qui tend à exagérer d’une certaine façon son rôle, en l’assimilant plus ou moins formellement à un “pouvoir”, dans l’ignorance de ce que l’Église a dit d’elle-même au Concile quant à la liberté religieuse4. Rome, me semble-t-il, et c’est sa vocation propre, voudrait être considérée comme un témoin principal – et l’Église à travers elle – comme un témoin du Christ vivant, mort et ressuscité, témoin qualifié à un titre unique de par la mission donnée à Pierre par le Christ. Ce témoignage trouve à Rome une expression exceptionnellement authentique pour ceux qui croient et même pour certains de ceux qui ne croient pas. Rome donc, comme centre de l’Église, peut et doit accepter de porter une responsabilité universelle et missionnaire, quelles que soient les faiblesses inséparables de toute collaboration humaine à l’œuvre de Dieu. L’URBS Telle est, me semble-t-il, la vocation de Rome, qui explique en quelque sorte la fascination de Rome. Car depuis deux millénaires, c’est une véritable fascination qu’exerce à travers le monde la Ville de Rome, c’est une véritable fascination tout court: l’URBS. C’est sur la Ville et sur le Monde, Urbi et Orbi, que le saint Père donne sa bénédiction solennelle du haut de la loggia de la basilique Saint-Pierre, face à cette place admirable qui porte le nom de l’apôtre fondateur. Les téléspectateurs ne se lassent pas de la regarder et souhaitent un jour faire en vérité le pèlerinage de Rome. Car si tous les chemins mènent à Rome, il est encore plus vrai d’ajouter aujourd’hui qu’ils y mènent le voyageur ébloui, le pèlerin désireux une fois encore de porter ses pas sur ceux des apôtres, de prier dans les grandes basiliques, de participer à la ferveur d’un peuple multicolore dont la foi se ravive en chantant avec le successeur de Pierre le Credo catholique. INÉPUISABLE ROME! Inépuisable Rome! On a pu l’appeler capitale de la civilisation et du droit, de l’art et de l’histoire, Rome des pierres et des siècles inextricablement emmêlés, Rome souterraine des Catacombes, Rome bâtie sur la sépulture de Pierre découverte au Vatican, Rome édifiée sur le martyre des apôtres, mais aussi sur les débris des temples païens et des villes antiques, Rome moderne enfin, bruissante de tant de souvenirs et bruyante à travers les grandes artères ou dans les étroites venelles du Transtévère, Rome des églises et des couvents, Rome des universités et des collèges, Rome des pèlerins dont le flot vient battre, semaine après semaine, le parvis de Saint-Pierre, sous les fenêtres du Pape. Comme le disait Jean Paul II le 25 avril 1979, pour l’anniversaire de la fondation de Rome, cette date ne marque pas seulement le commencement d’une succession de générations humaines qui ont habité cette ville. Elle constitue aussi un commencement pour des nations et des peuples lointains qui ont conscience d’avoir un lien et une unité particulière avec la tradition culturelle latine dans ce qu’elle a de plus profond. Les apôtres de l’Évangile, et en premier lieu Pierre de Galilée et Paul de Tarse, sont venus à Rome et y ont implanté l’Église. C’est ainsi que, dans la capitale du monde antique, a commencé son existence le Siège des successeurs de Pierre, des évêques de Rome. Ce qui était chrétien s’est enraciné en ce qui était païen et, après s’être développé dans l’humus romain, a commencé à croître avec une nouvelle force. Le successeur de Pierre y est l’héritier de cette mission universelle que la Providence a inscrite dans le livre de l’histoire de la Ville éternelle.

PIERRE ET LES PIERRES Reine de l’histoire, fête des arts, délice des yeux et joie du cœur, Rome est pour le pèlerin le centre vivant et visible de l’unité de l’Église catholique, fécondé par le martyre des apôtres, irrigué par des siècles de foi, rayonnant de la présence du successeur de Pierre. Que vous arriviez par l’aérodrome de Fiumicino, la gare Termini ou l’autoroute del Sole ruisselante de voitures, la même préoccupation vous habite, le même ardent désir brûle de se réaliser: voir Saint-Pierre et le Saint Père. Pour le pèlerin de Rome, en effet, le message des pierres du passé se conjugue avec les visages de l’aujourd’hui de Dieu, en un vivant témoignage de foi. Il ne visite pas seulement les lieux prestigieux chargés d’une histoire millénaire. Il prend place dans une lignée de témoins et met ses pas sur ceux de ses devanciers à travers les âges, avec ses contemporains à travers le monde. Vivante continuité dans le temps et l’espace, l’Église que forment les chrétiens se re­trouve à Rome dans une coulée séculaire. Membres de multiples communautés dispersées à travers les peuples, les chrétiens, à Rome, d’un coup, découvrent leur unité profonde de peuple de Dieu rassemblé autour de la tombe de Pierre et de son vivant successeur, au Vatican. L’énorme capitale du monde antique a en effet été choisie par les Apôtres, parce qu’ils voulaient implanter l’Évangile au cœur même de l’Empire. Venus à Rome y annoncer la foi au Christ ressuscité, Pierre et Paul y ont trouvé la mort. Leur martyre y a enraciné l’Église. Selon l’adage antique: le sang des martyrs est la semence des chrétiens. Et c’est dès les premiers siècles que mus par un sentiment irrépressible, les chrétiens se sont mis en mouvement vers les tombeaux des saints apôtres, pour y confesser leur foi, en vivante continuité avec leurs pères et en union étroite avec l’évêque de Rome.

SAINT PIERRE ET LE SAINT PÈRE Rome comme pèlerinage. Ce n’est point une terre étrangère, que l’on aborde pour une visite éphémère, vite décidée, tôt oubliée. Ce n’est pas non plus un sanctuaire étroitement localisé, limité à une apparition lointaine. C’est la Ville tout entière qui est la patrie des fidèles catholiques, et aussi de nombre de chrétiens, depuis bientôt deux millénaires. Le temps qui ailleurs s’évanouit dans l’histoire, s’enracine ici dans la durée. Alors que, dans un pèlerinage où la Vierge Marie ou un saint s’est manifesté, la continuité s’éprouve dans la seule fidélité à ce message, Rome s’affermit dans le temps qu’elle emplit de sa présence et de son action. Pierre et Paul, martyrs, y sont ensevelis. Des basiliques s’élèvent sur leurs tombes. Les catacombes gardent la trace des vivants et des morts des premiers siècles. Mais les pèlerins ne se contentent pas de fréquenter des lieux. Ils rencontrent, à Rome, le Vicaire du Christ, successeur de Pierre. Entre Pierre et les pierres, ce n’est pas un antagonisme mais un complément. Qu’allez-vous faire à Rome? Faire un pèlerinage aux basiliques? Ou voir le Pape? Pourquoi ce “ou”, alors que c’est à l’évidence “et” qu’il faut dire et faire! Telle est la singularité de Rome comme pèlerinage: des lieux et des hommes qu’on ne saurait séparer parce que tout les unit. Le pèlerin va vers la place Saint-Pierre pour prier dans la basilique Saint-Pierre et pour voir le Saint Père. Videre Petrum: ce vieux cri de foi jailli du fond des âges, c’est la démarche croyante qui unit Pierre à Jean Paul II, l’un et l’autre, l’un après l’autre destinataires de la promesse inouïe du Christ: «Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église». Il s’agit là d’une démarche de foi, animée par la certitude qui anime le poète: «Et nous sommes tombés dans le filet de Pierre. Parce que c’est Jésus qui nous l’avait tendu» (Charles Péguy).

DE PIERRE À KAROL Pierre est venu à Rome. Il en a été le premier évêque. Et depuis sa mort, l’évêque de Rome lui succède dans sa charge de pasteur, responsable au premier chef du collège des évêques dont il est le premier: clé de voûte – et ils sont la voûte – de cette Église répandue à travers le temps et l’espace, dispersée aux quatre coins de l’univers, en marche vers la patrie éternelle. Cité de Dieu au cœur de la cité des hommes, dont elle voudrait être l’âme, l’Église de Jésus-Christ n’est point conglomérat informel, mais organisme charpenté. Ses structures visibles sont porteuses de l’invisible et essentielle nervure spirituelle de grâce, dont le Seigneur est la source et l’Esprit le canal. Mêlé étroitement à ses frères de toutes races et de toutes langues, le pèlerin de Rome prend mieux conscience en cette ville qu’il chemine du temps vers l’éternité. Car l’éternité déjà y a laissé sa trace. Le temps a beau défaire les pierres au cours des âges, Pierre lui-même est toujours vivant, de Simon le Galiléen à Karol le Cracovien, comme lui venu de loin, pour mieux nous entraîner au loin, dans la barque de l’Église, au souffle de l’Esprit. Le pèlerin qui visite des édifices matériels, signes et porteurs d’une réalité spirituelle, ne les aborde pas comme un touriste découvre une œuvre d’art. C’est un croyant qui met ses pas dans ceux des générations qui l’ont précédé et dont il a reçu, avec l’église où il vient prier, la foi qui anime sa prière. Aussi le cœur du pèlerinage à Rome est-il la rencontre et la bénédiction reçue du successeur de Pierre. C’est la grâce propre de l’audience dans laquelle, chaque mercredi, le Saint Père s’adresse aux pèlerins, en témoin de la foi et en interprète autorisé de l’Évangile, ainsi que chaque dimanche où il récite avec eux l’Angélus. La vocation de Rome est de les confirmer dans la foi pour qu’ils la vivent sur toutes les routes de l’Église et du monde, au milieu des hommes, toutes les routes qui sont les routes du Christ, selon la belle image de Jean Paul II dans sa première encyclique Redemptor hominis. Comment ne pas penser que, de toutes ces routes, Rome est privilégiée, de par la continuité d’une tradition dont la Ville est dépositaire. Le successeur de Pierre n’est pas une mythique soucoupe volante tombée du ciel de Pologne sur les bords du Tibre. Ce n’est pas un nouveau Melchisédech, sans père ni mère ni généalogie. Comme son nom l’indique, il est un successeur. Sa personne s’identifie avec sa fonction… Celle-ci, héritière de l’Évangile et marqué du poids de l’histoire, s’inscrit dans la durée de deux millénaires qui ont empli la ville de Rome, hissant son devenir dans la cité des hommes au destin de Cité de Dieu. Église incarnée, l’Église de Rome n’est pas sans tache, pure et dure comme le serait une utopie dont la seule qualité réelle serait l’inexis­tence. Elle existe au contraire, aux traits fortement marqués par le temps et l’espace, les hommes et leurs constructions de pierre. Aussi la vocation de Rome est-elle l’incarnation de la foi avec les apôtres Pierre et Paul et les millions de croyants qui sont venus prier sur leurs tombes et s’y ressourcer dans la foi. Comme le disait Jean Paul II, le 4 juillet 1979, alors qu’il venait de célébrer pour la première fois à Rome la fête des saints apôtres Pierre et Paul: «Combien est éloquent l’autel, au centre de la basilique, sur lequel le successeur de Pierre célèbre l’eucharistie en pensant que c’est tout près de cet autel que Pierre a fait, sur la croix, le sacrifice de sa vie en union avec Celui, sur le calvaire, du Christ crucifié et ressuscité».

REGARDER ET COMPRENDRE Devant tant de trésors accumulés, les critiques ne manquent pas, qui se scandalisent de ce mécénat alors que tant de détresses crient vers le ciel. On ne peut récrire l’histoire, et nous comprenons difficilement aujourd’hui le comportement des papes de la Renaissance. Paul VI en inaugurant la nouvelle Salle d’audiences de Nervi, le 30 juin 1971, déclarait qu’elle «n’exprime nul orgueil monumental ou vanité ornementale, mais que l’audace propre de l’art chrétien est de s’exprimer en termes grands et majestueux». Mais voici déjà bien longtemps, alors qu’il était le Substitut de la Secrétairerie d’État, Mgr Montini s’exprimait en ces termes, que je livre à quarante ans de distance, au pèlerin d’aujourd’hui: «Charme, révérence, stupeur ou simple curiosité, ou encore méfiance prudente guident les pas du moderne Romée qui n’a pu se soustraire à la visite d’obligation et qui goûte, en lui-même, le besoin de regarder et de comprendre. Regarder et comprendre: c’est peut-être ici qu’est la différence psychologique entre la visite de la Cité du Vatican et celle d’un autre grand monument de l’antiquité, le Forum Romain, les Pyramides, le Parthénon, les restes de Ninive ou de la civilisation des Incas. Pour ceux-ci, il suffit de regarder; ici, il faut aussi comprendre. Car ici, il survit quelque chose d’infiniment présent, quelque chose qui appelle la réflexion, qui exige une rencontre, qui impose un effort intérieur, une synthèse spirituelle.Car le Vatican n’est pas seulement un ensemble d’édifices monumentaux pouvant intéresser l’artiste; ni seulement un signe magnifique des siècles passés pouvant intéresser l’historien; ni seulement non plus un écrin débordant de trésors bibliographiques et archéologiques pouvant intéresser l’érudit; ni seulement encore le musée fameux de chefs-d’œuvre souverains pouvant intéresser le touriste; ni seulement enfin le temple sacré du martyre de l’apôtre Pierre pouvant intéresser le fidèle: le Vatican n’est pas seulement le passé; c’est la demeure du Pape, d’une autorité toujours vivante et agissante». C’est la Ville tout entière qui est la patrie des fidèles catholiques, et aussi de nombre de chrétiens, depuis bientôt deux millénaires. Le temps qui ailleurs s’évanouit dans l’histoire, s’enracine ici dans la durée. Alors que, dans un pèlerinage où la Vierge Marie ou un saint s’est manifesté, la continuité s’éprouve dans la seule fidélité à ce message, Rome s’affermit dans le temps qu’elle emplit de sa présence et de son action… LE MESSAGE DE LA VILLE ÉTERNELLE Comme la voix du Christ sur les eaux démontées du lac de Tibériade, celle de son vicaire Jean Paul II retentit avec puissance et ébranle les vieux slogans comme les idéologies nouvelles: «N’ayez pas peur, ouvrez, ouvrez toutes grandes les portes au Christ. À sa puissance salvatrice, ou­vrez les frontières des États, les systèmes économiques et politiques, les immenses domaines de la culture, de la civilisation, du développement. N’ayez pas peur… Permettez au Christ de parler à l’homme. Lui seul a les paroles de vie, oui, de vie éternelle». Tel est le message de Rome, cet extraordinaire carrefour des peuples et des civilisations. Pierre n’a pas eu peur, avec Paul, de venir y planter la croix au cœur de cet Empire unifié et puissant. L’unité politique et linguistique, la centralisation administrative seront, depuis Rome, des atouts précieux pour la diffusion de l’Évangile à partir de la capitale du monde antique. Lorsqu’elle va s’effacer de l’histoire, c’est lui qui en fait la Ville éternelle. Après le déclin de l’Empire d’Occident et l’éloignement de l’Empire d’Orient, sans peur Rome se lie à la nouvelle Europe qui s’enfante laborieusement. En l’an 800, le Pape y couronne Charlemagne, l’empereur d’Occident. Après la tourmente des siècles de fer, Rome devient le nœud de la défense catholique contre le morcellement des hérésies. Le flamboiement du baroque y atteste tout particulièrement la joie de la foi après la tourmente, la joie de la foi et la joie de la vie qui ne font qu’un. N’est-ce pas la leçon de Rome, en nous faisant découvrir ces étapes successives d’un art toujours en symbiose avec son temps, que de nous affermir dans le sens de l’universel, de nous rappeler notre vocation catholique?Rome a toujours pratiqué avec succès l’assimilation. La communauté chrétienne y est aussi à l’aise pendant trois siècles, dans la langue grecque, qu’elle le sera plus tard avec le latin. Elle célébrera aussi bien dans les maisons privées des origines que dans les grandes basiliques de Constantin. «Où vous réunissez-vous?», demandait-on à Justin. Et le philosophe chrétien de répondre tout simplement: «Là où chacun le peut».Telle est la leçon de Rome. Ce n’est pas de l’extérieur mais de l’intérieur que se convertissent le monde et la société. Les chrétiens leur empruntent sans difficultés leurs usages, quand ils n’ont rien de répréhensible. De même les chrétiens de Rome ont-ils adopté pour leurs édifices cultuels le plan des basiliques païennes. Et l’on retrouve la représentation du dieu soleil dans la mosaïque qui décore le plafond d’un cubicule, chrétien par ailleurs, puisque la scène de Jonas orne l’un des murs. À Sainte-Prisque, à Saint-Étienne le Rond, l’église est implantée au-dedans du mithreum préexistant, alors que, dans le sous-sol de Saint-Clément, nous le voyons, l’église chrétienne du IVe siècle est tout contre le mithreum familial. Plus tard, ce seront les dépouilles de l’antiquité qui orneront les sanctuaires chrétiens et décoreront les places qui y donnent accès: colonnes de marbre des temples païens devenus les supports des églises chrétiennes, obélisques égyptiens surmontés de la croix du Christ.  La via Appia antica. C’est par cette route que Pierre et Paul sont arrivés à Rome LE CULTE DES MARTYRS Rome, avec les premiers apôtres Pierre et Paul, puis Ignace, Justin, Ptolémée, Lucius, le patricien Apollonius et tant d’autres demeurés anonymes, est devenue un vivant martyrologe. Dans cette ville qui était l’épicentre du monde, le sang des martyrs est une semence de chrétiens. La prestigieuse communauté des Romains, déjà attirante pour l’apôtre Paul, est devenue une nouvelle terre sainte, marquée du sang des martyrs. «Présidente de la charité et de la fraternité», comme l’écrit Ignace dans sa lettre aux Romains, elle rayonne à travers tout l’Empire. C’est le culte des martyrs qui a véritablement créé le pèlerinage et contribué à faire de Rome une ville sainte qui s’équipe progressivement pour recevoir les pèlerins et rendre aux martyrs un culte digne de leur renommée. Saint Jérôme écrit: «Où accourt-on ailleurs qu’à Rome dans les églises et sur les tombeaux des martyrs avec tant de zèle et en si grand nombre? Il faut louer la foi du peuple romain». Et saint Ambroise décrit la fête des saints Pierre et Paul célébrée le 29 juin: «Des armées pressées parcourent les rues d’une si grande ville. Sur trois chemins différents (Vatican, route d’Ostie, via Appia), on célèbre la fête des saints martyrs. On croirait que le monde entier s’avance».Au début du Ve siècle, c’est Prudence qui écrit: «Des portes d’Albe sortent de longues processions qui se déroulent en blanches lignes dans la campagne. L’habitant des Abruzzes, le paysan de l’Étrurie viennent en même temps. Le farouche Samnite, l’habitant de la superbe Capoue sont là. Voici même le peuple de Nole»… Nole, dont l’évêque Paulin écrit: «Ainsi, Nole, tu te lèves tout entière à l’image de Rome». L’évêque lettré fait lui-même le pèlerinage au moins une fois chaque année pour la saint Pierre et Paul. LE PÈLERINAGE Le pèlerinage à Rome est d’abord une obligation traditionnelle pour tous les évêques. Déjà le Concile de Rome, en 743, sous le pape Zacharie, mentionne la visite ad limina apostolorum comme traditionnelle et en renouvelle l’obligation. Après des siècles où l’usage s’était affaibli, Sixte Quint, par la Constitution apostolique Romanus Pontifex du 20 décembre 1585, en renouvelle l’obligation et en établit la fréquence. Chaque évêque a désormais une double obligation, aller vénérer les tombeaux des saints apôtres et exposer au pape la situation de son diocèse. À l’Angélus du 9 septembre 1979, Jean Paul II dégageait pour les pèlerins la signification de ces visites ad limina: «À l’occasion de notre commune prière de l’Angélus de midi», disait-il, «je désire aujourd’hui me rapporter à la très antique tradition de la visite au siège des apôtres, ad limina apostolorum. Parmi tous les pèlerins qui, venant à Rome, manifestent la fidélité à cette tradition, les évêques du monde entier méritent une attention spéciale. Car, à travers leur visite au Siège des apôtres, ils expriment ce lien avec Pierre, qui unit l’Église sur toute la terre. En venant à Rome tous les cinq ans, ils y apportent dans un certain sens toutes ces Églises, c’est-à-dire les diocèses qui, par leur ministère épiscopal, et en même temps par l’union avec le Siège de Pierre se maintiennent dans la communauté catholique de l’Église universelle. En même temps que leur visite au Siège apostolique, les évêques portent aussi à Rome les nouvelles sur la vie des églises dont ils sont les pasteurs, sur le progrès de l’œuvre d’évangélisation; sur les joies et les difficultés des hommes, des peuples parmi lesquels ils accomplissent leur mission».Ces pèlerins ont un double but: voir le pape et aller prier dans les grandes églises et les basiliques, et tout d’abord à Saint-Pierre. Édifiée à grands frais, la plus grande basilique de la chrétienté témoigne d’un long effort et d’une rare persévérance en l’honneur de Pierre et de ses successeurs tout à la fois. La basilique Saint-Pierre, c’est en effet le double et même symbole de la foi dans la mission confiée par le Christ à Pierre et de la vénération de tous les chrétiens, pasteurs et fidèles, pour son successeur, l’évêque de Rome. Obéissance et respect se conjuguent dans un même hommage au pêcheur de Galilée et au pape de Rome dont la fonction, enracinée sur la tombe de l’apôtre, rayonne, comme la gloire du Bernin, sur toute la chrétienté. LES SAINTS Rome est un aimant aussi pour les saints. Non seulement les fondateurs d’Ordres religieux, mais aussi les saints du peuple, les plus populaires, tel un Benoît Labre. Séminariste, chartreux puis trappiste à Sept-Fons, il vint à Rome vers 1771 pour prier et il y demeura, vagabond, clochard et mendiant. Miracle de Rome! Cette ville dont un saint Bernard avait fustigé en traits de feu le luxe et la puissance et dont un Joachim Du Bellay avait blâmé la vanité courtisane, comprit sans hésiter ce pouilleux plein de vermine, l’admira et l’aima dans sa pauvreté silencieuse et sa prière hiératique. Lorsque sa mort fut annoncée, le 16 avril 1783, ce fut une ruée de toute la ville vers Santa Maria ai Monti. On découpa ses haillons pour en faire des reliques. Ses funérailles, le jour de Pâques, furent un triomphe. La troupe qui gardait l’église fut balayée par la foule. Plus tard, au XIXe siècle, ce fut une poussée continue vers Rome de toute la chrétienté, à commencer par la France dont le gallicanisme muait sans soubresauts vers l’ultramontanisme. La Révolution avait persécuté l’Église. Napoléon avait humilié le pape. Le père humilié, selon la belle expression de Claudel, devint l’objet d’une intense vénération. Devant les écroulements successifs des régimes les mieux établis, la papauté et Rome apparaissent désormais comme le rocher solide sur lequel s’appuyer dans la tempête. On sait l’aventure des pèlerins de la liberté avec Lamennais. Tant d’autres, moins célèbres, allèrent à Rome et y puisèrent, avec un amour renouvelé de l’Église, une conviction profonde, celle-là même du «Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église».Tels furent, bien différents dans leur psychologie et leurs orientations, mais unis dans les mêmes motivations, un Dom Guéranger, restaurateur bénédictin de Solesmes, en France, et un Lacordaire qui y rétablit les Frères Prêcheurs. On connaît le portrait fameux de Théodore Chassériau qui le représente, au lendemain de sa profession religieuse, le 12 avril 1840, dans le cloître romain de Sainte-Sabine. Telles furent encore Thérèse de Lisieux et Charles de Foucauld, ces deux «phares que la main de Dieu a allumés au seuil du siècle atomique», selon la forte expression du Père Congar.  MADELEINE DELBRÊL Plus proche de nous, Madeleine Delbrêl, convertie de l’athéisme et témoin de l’amour de Dieu au cœur de la ville d’Ivry, païenne et marxiste, sent, un jour de mai 1952, le besoin impérieux d’aller à Rome prier sur le tombeau de saint Pierre. On lui objecte que c’est bien cher de l’heure de prière. Elle déclare à son équipe sceptique qu’elle ira si le prix du voyage lui parvient de manière inattendue…, ce qui advient sous forme d’un billet gagnant de la loterie nationale offert par une amie latino-américaine! Au prix de deux jours et deux nuits de train, elle passe sa journée de douze heures en prière à Saint-Pierre: «Devant l’autel du pape et sur le tombeau de saint Pierre, j’ai prié à cœur perdu… et d’abord à perdre le cœur. Je n’ai pas réfléchi ni demandé de “lumières”, je n’étais pas là pour cela. Pourtant plusieurs choses se sont imposées à moi et restent en moi. D’abord: Jésus dit à Pierre: “Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église…”. Il devait devenir une pierre et l’Église devait être bâtie. Jésus qui a tant parlé de la puissance de l’Esprit, de sa vitalité, a, quand il a parlé de l’Église, dit qu’il la bâtirait sur cet homme qui deviendrait comme une pierre. C’est la pensée du Christ que l’Église ne soit pas seulement quelque chose de vivant, mais quelque chose de bâti. Deuxième chose: j’ai découvert les évêques… J’ai découvert pendant mon voyage, et à Rome, l’immense importance dans la foi et dans la vie de l’Église, des évêques. “Je vous ferai pêcheurs d’hommes”. Il m’a semblé que, vis-à-vis de ce que nous appelons l’autorité, mous agissons tantôt comme des fétichistes, tantôt comme des libéraux. Nous sommes sous le régime des autorisations, non de l’autorité, qui serait d’apporter de quoi “faire”, de quoi être les “auteurs” de l’œuvre de Dieu… Quand on parle de l’obéissance des saints, on réalise mal, je crois, combien elle s’apparente dans le corps de l’Église à cette lutte interne des organismes vivants, où l’unité se fait dans des activités, des oppositions. Enfin j’ai pensé que si Jean était “le disciple que Jésus aimait”, c’est à Pierre que Jésus a demandé: “M’aimes-tu?” et c’est après ses affirmations d’amour qu’il lui a donné le troupeau. Il a dit aussi tout ce qui était à aimer: “Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait”. Il m’est apparu à quel point il faudrait que l’Église hiérarchique soit connue par les hommes, tous les hommes, comme les aimant. Pierre: une pierre à qui on demande d’aimer. J’ai compris ce qu’il fallait faire passer d’amour dans tous les signes de l’Église»5 . CONCLUSION Je conclus: Rome est-elle au centre du monde? La réponse ne fait aucun doute pour le pèlerin de Rome, d’où qu’il vienne: ne se sent-il pas chez lui en cette ville universelle? Par-delà l’éclat de son soleil, la pureté de son ciel, le flamboiement de ses œuvres d’art, le charme de ses quartiers, le pittoresque de ses habitants, un je ne sais quoi vous attire et vous émeut, qui vous retient de partir et vous presse de revenir. Il est des villes que l’on visite, des trésors que l’on contemple, des sites qu’il faut avoir vus. Rome ne se regarde pas de l’extérieur, mais se pénètre de l’intérieur. Nul ne se lasse de revenir place Saint-Pierre, d’aller prier dans sa crypte, de descendre aux catacombes, d’aller au Colisée, de remonter aux Quatre-Saints Couronnés, de redescendre vers Saint-Clément, de s’arrêter encore à la Maddalena, de retourner à Sainte-Sabine. Partout et toujours des pèlerins sont là, des Romains devisent ou prient, les uns et les autres vraiment chez eux, chez le bon Dieu, comme on disait en mon enfance angevine. Les uns sont plus sensibles aux scintillements des mosaïques, les autres à l’éclat des marbres, d’autres au rayonnement de la lumière des Caravage. Tous sont émus par la candeur des fresques primitives où un rien de matière devient messager de l’Esprit qui l’anime et de cette eau vive qui murmure en nous, depuis saint Ignace, de Rome: viens vers le Père. De Pierre et Paul à Jean Paul II, le génie de la Rome chrétienne a assumé l’héritage de la Rome païenne. Les temples convertis en églises, leurs colonnes en devenaient le nouveau support, Santa Maria s’érigeant sopra Minerva. Loin d’être comme écrasé par tant de splendeurs, le pèlerin y découvre le message de Pierre inscrit dans les pierres des basiliques et incarné dans les saints. Chacun s’y trouve à sa place au sein du peuple de Dieu, non point marginalisé dans quelque étroite chapelle ou refoulé en quelque sombre crypte, mais bien à sa place, en pleine lumière, dans la vaste nef, devant la confession de l’apôtre, dont le sang versé atteste le salut apporté par le Christ pour tous les hommes. Marqué de l’empreinte de Rome, le chrétien se re­trouve catholique. Avec le poids de l’histoire, la Rome des papes et des saints nous rappelle que le spirituel est lui-même charnel et que l’Évangile s’inscrit au cœur de la cité des hommes pour les acheminer, du temps vers l’éternité, la Cité de Dieu.Aussi, à la question posée – Rome est-elle au centre du monde? –, je réponds sans hésiter: oui pour le conduire à Dieu. Notes1 Paul Poupard, La charité de Lacordaire, homme d’Église, dans La Vie Spirituelle, nov. 1961, p. 530-543, repris dans XXe siècle, siècle de grâces, Paris, Ed. S.O.S., 1982, p. 111-128.2 Paul Poupard, Rome-Pèlerinage, nouvelle édition mise à jour pour l’Année sainte, Paris, D.D.B., 1983.3 Journal romain de l’abbé Louis Bautain (1838), édité par Paul Poupard, Rome, Edizioni di storia e letteratura, coll. Quaderni di cultura francese, sous la direction de la Fondation Primoli. 1964, p. 6-7. 4 Cf. Paul Poupard, Le Concile Vatican II, Paris, P.U.F., coll. Que sais-je?, 1983, p. 105-112. 5 Madeleine Delbrêl, Nous autres, gens des rues. Présentation de Jacques Loew, Éd. Du Seuil, Paris, 1966, p. 138-139.

ENZO BIANCHI POUR LA FÊTE DE PIERRE ET PAUL

27 juin, 2014

http://rouen.catholique.fr/spip.php?article1818

ENZO BIANCHI POUR LA FÊTE DE PIERRE ET PAUL

La solennité des saints Pierre et Paul réunit, dans une unique célébration, Pierre, le premier disciple à avoir été appelé selon les récits synoptiques, le premier des douze apôtres, et Paul, qui n’a pas été disciple de Jésus, ni ne fit partie du groupe des Douze, mais que l’Église appelle « l’Apôtre » : l’envoyé par excellence, bien que ce titre, que lui-même se donne, ne lui soit jamais reconnu dans les Actes des apôtres. Cette fête, déjà attestée dans le plus ancien calendrier liturgique qui nous soit parvenu, la Depositio marthyrum, du IIIe siècle, met en commun deux apôtres de Jésus morts à Rome en des temps différents, mais l’un et l’autre martyrs, victimes des persécutions contre les chrétiens : deux vies offertes en libation à cause de Jésus et de l’Évangile.
Les deux apôtres sont ainsi réunis dans la célébration liturgique, après que leurs vies terrestres les ont vus plutôt s’opposer l’un à l’autre : leur communion, parce que vécue dans la parresia, la franchise évangélique, n’a pas toujours été facile, et a même souvent été laborieuse. Le bas-relief en calcaire conservé à Aquilée, tout comme l’iconographie traditionnelle qui représente leur accolade, cherche à exprimer précisément cette communion au prix fort, qui a garanti à chacun des deux de mener à terme son œuvre comme fondement de l’Église de Rome, le lieu où leur course prit fin, le lieu qui les vit l’un et l’autre martyrs à l’époque de Néron, mis à mort pour le même motif.
Pierre est parmi les premiers hommes que Jésus a appelés : un pêcheur de Bethsaïda, sur le lac de Tibériade, un homme qui n’a certainement pas accordé beaucoup de temps à la formation intellectuelle et qui vivait sa foi surtout dans le culte synagogal du sabbat puis, après avoir été appelé par Jésus, à travers l’enseignement de ce maître qui parlait comme personne d’autre avant lui. Homme généreux et impulsif, Pierre suivit Jésus en répondant avec élan à la vocation, mais il restait toutefois inconstant, victime facile de la peur, capable même de lâcheté, au point de méconnaître celui qu’il suivait comme disciple.
Toujours proche de Jésus, il apparaît comme le représentant des autres disciples, parmi lesquels il occupait une position prééminente : on ne pourrait pas parler de la vie de Jésus sans mentionner Pierre, qui osa, le premier, confesser avec audace que Jésus est le Messie (voir Mt 16,16). Quand les disciples, tout comme une grande partie de la foule, se demandaient si Jésus était un prophète ou s’il était même « le » prophète des temps derniers, s’il était le Messie, l’Oint du Seigneur, ce fut Pierre, sollicité par Jésus, qui confessa la foi : les quatre évangiles rapportent chacun différemment les mots utilisés, mais ils attestent tous la priorité de Pierre à reconnaître la vraie identité de Jésus. Toutefois Pierre fit cette confession non pas comme « porte-parole » des Douze, mais animé par une force intérieure, par une révélation qui ne pouvait lui venir que de Dieu. Croire que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu, n’était pas possible en ne faisant qu’analyser et interpréter l’accomplissement éventuel des Écritures : c’est Dieu lui-même, le Père qui est dans les cieux, qui révéla à Pierre l’identité de Jésus (voir Mt 16,17). Ainsi Jésus a-t-il reconnu dans son disciple Simon une « roche », Céphas, une pierre, sur la foi duquel la communauté, l’Église pouvait trouver son fondement.
Pierre, que Jésus appelle le « bienheureux », qu’il déclare roche solide capable de confirmer la foi de ses frères, ne sera pas exempt d’erreurs, de chutes, d’infidélités à son Seigneur. Immédiatement après la confession de foi que l’on vient de rappeler, il manifestera sa manière trop mondaine de comprendre le chemin de passion de Jésus, à tel point que ce dernier l’appellera « Satan » (Mt 16,23). Puis, à la fin de la vie terrestre de Jésus, Pierre déclarera bien trois fois qu’il ne l’a jamais rencontré : la peur et la volonté de se sauver soi-même le conduiront à déclarer avec force « ne pas connaître » (Mt 26,70.72.74) ce Jésus dont il avait reçu la connaissance par Dieu même ! Jésus, qui l’avait assuré de sa prière pour que sa foi ne défaille pas, après la Résurrection, le reconfirmera à sa place, en lui demandant toutefois, lui aussi par trois fois, de lui attester son amour : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? » (Jn 21,15.16.17.) Touché au vif par cette question, Pierre deviendra l’apôtre de Jésus, le pasteur de ses premières brebis à Jérusalem, puis parmi les communautés judaïques en Palestine, à Antioche ensuite et enfin à Rome, où il déposera la vie à son tour, à l’exemple de son Maître et Seigneur. Et à Rome, Pierre retrouvera aussi Paul : nous ne savons pas si cela se fit dans le quotidien du témoignage chrétien, mais dans tous les cas à travers le signe éloquent du martyre.
Paul, « l’autre », l’apôtre différent, a été placé à côté de Pierre dans son altérité, comme pour garantir dès les premiers pas que l’Église chrétienne est toujours plurielle et qu’elle se nourrit de diversité. Juif de la diaspora, originaire de Tarse, la capitale de la Cilicie, monté à Jérusalem pour devenir scribe et rabbi dans le sillage de Gamaliel, l’un des maîtres les plus fameux de la tradition rabbinique, Paul était un pharisien, expert zélé de la loi de Moïse, qui n’a connu ni Jésus ni ses premiers disciples, mais qui se distingua par son opposition et sa persécution envers le mouvement chrétien naissant. Paul se définit comme un « avorton » (1 Co 15, 8) par rapport aux autres apôtres qui avaient vu le Seigneur Jésus ressuscité, mais il demandait à être reconnu comme envoyé, serviteur, apôtre de Jésus Christ au même titre qu’eux, parce qu’il avait mis sa vie au service de l’Évangile, il s’était fait l’imitateur du Christ jusque dans ses souffrances, il s’était dépensé en voyages apostoliques dans toute la Méditerranée orientale, il était habité par une sollicitude pour toutes les Églises de Dieu. Sa passion, son intelligence, son engagement à annoncer le Seigneur Jésus transparaissent dans toutes ses lettres et les Actes des apôtres en donnent également un témoignage sincère. C’est lui « l’apôtre des gentils », comme il se définit lui-même, alors que Pierre est « l’apôtre des circoncis » (Ga 2,8).
Pierre et Paul, l’un et l’autre disciples et apôtres du Christ, et pourtant si différents : Pierre, un pauvre pêcheur, Paul, un intellectuel rigoureux ; Pierre, un Juif palestinien venu d’un obscur village, Paul, un Juif de la diaspora et citoyen romain ; Pierre, lent à comprendre et à œuvrer en conséquence, Paul, consumé par l’urgence eschatologique… Voilà deux apôtres qui ont eu des styles différents, qui ont servi le Seigneur selon des modalités très diverses, qui ont vécu l’Église de manière parfois dialectique pour ne pas dire opposée, mais l’un et l’autre ont cherché à suivre le Seigneur et sa volonté, et ensemble, grâce à leur diversité précisément, ils ont su donner un visage à la mission chrétienne et un fondement à l’Église de Rome, qui préside dans la charité. Il est juste alors de célébrer leur mémoire ensemble, car c’est la mémoire de l’unité dans la diversité, de deux vies offertes par amour pour le même Seigneur, d’une charité vécue dans l’attente du retour du Christ.

Source : Enzo Bianchi : « Donner sens au temps, Les grandes fêtes chrétiennes », p. 127-132 Éditions Bayard, 2004.

LA VISITE DE BARTHOLOMEOS Ier À ROME – FÊTE DES SAINTS APÔTRES PIERRE ET PAUL (2004) -

25 juin, 2014

http://www.30giorni.it/articoli_id_4022_l4.htm

LA VISITE DE BARTHOLOMEOS Ier À ROME – FÊTE DES SAINTS APÔTRES PIERRE ET PAUL (2004) -

L’unité que nous souhaitons voir de nos yeux durant notre vie sur terre

Le Patriarche œcuménique de Constantinople a défini, dès son premier discours du 29 juin, les bases de cette unité que les Églises doivent demander «fixant les yeux sur Jésus, le chef de notre foi qui la mène à la perfection, sans lequel nous ne pouvons rien faire»

par Gianni Valente

«C’est avec des sentiments mêlés de tristesse et de joie que nous venons à vous en ce jour important de la fête des saints apôtres Pierre et Paul». L’exorde ambivalent de l’homélie prononcée par Bartholomeos Ier durant la messe du soir du 29 juin sur le parvis de Saint-Pierre, où était réunie une foule de cardinaux et d’archevêques catholiques attendant de recevoir le pallium des mains tremblantes du Pape, représente comme l’emblème de la façon dont s’est déroulée la visite du patriarche œcuménique de Constantinople à l’Église de Rome et à son Évêque, à l’occasion de la fête patronale de la Ville éternelle. Une sincérité sans calcul, peu accoutumée aux schémas préfabriqués des habituelles et vaines courtoisies dans les rapports du monde œcuménique. Une grande loyauté qui lui fait dire: «Tout en nous réjouissant avec vous, nous regrettons que manque ce qui aurait rendu totale notre joie à tous deux à savoir le rétablissement de la pleine communion entre nos Églises».
Bartholomeos connaît bien Rome. Il y a poursuivi ses études pendant quelques années au temps du Concile. C’est la troisième fois qu’il vient dans la Ville sainte en tant que patriarche, mais cette fois-ci sa visite a donné lieu à des attentes particulières. À la suite de la lettre que, le 29 novembre dernier, Bartholomeos avait envoyée au Pape pour manifester l’hostilité de toute l’Orthodoxie à la reconnaissance – dont il était question – du patriarcat pour les catholiques ukrainiens de rite oriental, il était nécessaire de dissiper les malentendus et de mettre fin aux mauvaises humeurs. Il fallait célébrer le réouverture de l’église romaine San Teodoro al Palatino qui a été confiée, sur décision du Pape, pour usage liturgique, aux grecs-orthodoxes de Rome. Et puis tombent cette année des anniversaires importants d’événements liés à l’histoire des rapports entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe: le schisme d’Orient (1054), la quatrième Croisade avec le sac de Constantinople (1204) et l’accolade que se sont donnée à Jérusalem le pape Paul VI et le patriarche Athênagoras (1964), après des siècles d’hostilité entre évêques de la Première et de la Seconde Rome.
Les gestes et les mots de Bartholomeos, dans ses journées romaines, sont passés comme une brise fraîche au milieu des manières obséquieuses et formalistes des représentants de l’Église. Sans s’engager dans les impasses des querelles brûlantes sur le prosélytisme et l’uniatisme (seule une allusion dans la rencontre finale avec des journalistes pour réduire toute la question au zèle «excessif, incompréhensible et inacceptable» de «certains prêtres polonais»), Bartholomeos a défini, dès son premier discours du 29 juin, les bases de cette unité que les Églises doivent demander «fixant les yeux sur Jésus, le chef de notre foi qui la mène à la perfection, sans lequel nous ne pouvons rien faire». Une unité que pourtant», a-t-il dit, «nous souhaitons de tout notre cœur voir de nos yeux durant notre vie sur terre ».
L’accolade de Jean Paul II et du patriarche Bartholomeos Ier sur la place Saint-Pierre, à la fin de la messe dans la solennité des apôtres saint Pierre et saint Paul, le soir du 29 juin
L’accolade de Jean Paul II et du patriarche Bartholomeos Ier sur la place Saint-Pierre, à la fin de la messe dans la solennité des apôtres saint Pierre et saint Paul, le soir du 29 juin

Unité de l’Église et alliances mondaines
Il y a une façon de comprendre l’unité souhaitée entre les Églises qui se fonde sur des catégories et des interprétations «mondaines». Bartholomeos, dans les discours qu’il a prononcés à Rome, a utilisé plusieurs fois cet adjectif pour décrire le modus operandi qui conçoit cette unité comme une «soumission des Églises et de leurs fidèles à un unique schéma administratif» ou comme une «alliance idéologique ou une alliance d’action pour atteindre un but commun», une unité égale «aux unions des États, aux corporations de personnes et de structures avec lesquelles se crée une union d’organisation plus élevée».
Cette conception n’a rien à voir avec «l’expérience qui vient d’une telle communion de chacun avec le Christ que l’unité se fait dans le vécu du Christ». Une unité dans laquelle «on ne cherche pas à niveler les traditions, les usages et les habitudes de tous les fidèles», mais on demande seulement de vivre «la communion dans le vécu de l’incarnation du Logos de Dieu et de la descente de l’Esprit Saint dans l’Église ainsi que dans le vécu commun de l’événement de l’Église comme Corps du Christ». Le seul dialogue intéressant, «le plus important de tous», a lieu à l’intérieur de cet horizon.
Si n’existe pas cette insertion gratuite dans le «vécu du Christ», le risque est que l’on se serve du nom du Christ pour couvrir ses propres prétentions de pouvoir ecclésiastique. «Il est arrivé bien des fois», a expliqué Bartholomeos dans son homélie de la place Saint-Pierre, que «des fidèles, au cours des siècles, aient demandé au Christ d’approuver des œuvres qui n’étaient pas en accord avec son esprit». «On a encore plus souvent», poursuit-il, «attribué au Christ ses propres opinions, son propre enseignement en prétendant que les unes et l’autre étaient l’expression de l’esprit du Christ. De là sont nées des discordes entre les fidèles».
Le patriarche Bartholomeos Ier dépose un bouquet de fleurs sur la tombe de Paul VI, dans les Grottes du Vatican, le matin du 29 juin
Le patriarche Bartholomeos Ier dépose un bouquet de fleurs sur la tombe de Paul VI, dans les Grottes du Vatican, le matin du 29 juin

Défis et gestes concrets
Jean Paul II a lui aussi situé la rencontre avec Bartholomeos dans la perspective historique qui va des déchirures de 1054 et de 1204 au “revirement” de l’accolade entre Athênagoras et Paul VI et à la reprise du dialogue théologique entre les Églises d’Orient et d’Occident. Le matin du 29 juin, dans le discours qu’il a adressé à la délégation venant du Phanar, il s’est arrêté en particulier sur les événements de la IVe croisade, époque où «une armée partie pour récupérer pour la chrétienté la Terre Sainte se dirigea vers Constantinople pour prendre et saccager la ville, versant le sang de nos frères dans la foi». Dans l’homélie qu’il a prononcée durant la messe du soir, il a rappelé la rencontre entre Paul VI et Athênagoras comme «un défi pour nous», rappelant que l’engagement à marcher vers l’unité «pris par l’Église catholique avec le Concile Vatican II est irrévocable». Mais plus que les discours et les homélies, ce sont certains gestes concrets qui ont donné la mesure du peu qui sépare les Églises catholique et orthodoxe. Un peu qui les empêche pourtant de manifester et de vivre dans toutes ses conséquences la pleine communion visible. Des gestes comme le Credo que le Pape et le Patriarche ont récité ensemble en langue grecque, dans la formulation originale nicéo-constantinopolitaine, durant la messe du 29 juin. Ou comme l’hymne à l’apôtre Pierre, entonné par Bartholomeos devant le sépulcre de l’apôtre Pierre, le matin du 29 juin, quand le Patriarche est descendu dans les Grottes du Vatican pour réciter une prière et déposer un bouquet de fleurs sur la tombe de Paul VI.
L’Orthodoxie dans le cœur de Rome
Les Turcs appellent la résidence de Bartholomeos sur la Corne d’Or, à Istanbul, Rum Patrikhanesi, Patriarcat “Romain”. Dans le jargon local, le Patriarcat et sa cour sont aujourd’hui encore les Rum, les “Romains”, autrement dit les descendants de la tradition byzantine, laquelle se considérait comme l’héritière exclusive de la civilisation romaine impériale. Mis à part sa visite au Vatican, les trajets accomplis par Bartholomeos durant ses journées romaines ont tous été compris dans le triangle formé par le Capitole, le Palatin et l’île Tibérine, au cœur de Rome. Trajets qui ont consolidé le lien qui unit le patriarcat œcuménique à la réalité ecclésiale et civile de la Ville éternelle.
Dans l’après-midi du 30 juin, le Patriarche et toute la délégation (dont faisaient partie le métropolite Chrysostome d’Ephèse, Jean de Pergame et Gennadios de l’archidiocèse d’Italie) ont été accueillis par le maire de Rome, Walter Veltroni, dans la Salle des Drapeaux, au Capitole. Recevant la décoration de la Louve de Rome, Bartholomeos a souligné que «c’est l’idée de la réconciliation et de la collaboration entre les peuples européens qui a fait naître justement, ici, à Rome, l’Union européenne». Il a encore rendu hommage à la Cité éternelle, en tant que point concret de fusion des trois éléments constitutifs de la civilisation européenne: «La démocratie, la philosophie, l’art», a-t-il dit, «sont issus de l’ancien esprit grec. La suprématie du droit, l’organisation de l’État, la paix comme effet de la domination sur le monde expriment le réalisme de l’esprit romain. Le respect du faible, de la femme, de l’enfant, la diffusion de la charité, l’adoucissement de la cruauté et la clémence sociale expriment l’esprit chrétien […]. Souhaitons que l’esprit chrétien, partant de Rome, la ville qui cultive et mêle depuis des siècles les principes de ces trois civilisations, imprègne de son parfum la vie de tous les habitants de l’Europe».
La rencontre avec le maire Walter Veltroni , au Capitole, l’après-midi du 30 juin
La rencontre avec le maire Walter Veltroni , au Capitole, l’après-midi du 30 juin
La rencontre de la délégation patriarcale avec la Communauté de Sant’Egidio, qui s’est déroulée dans l’église san Bartolomeo, sur l’Île Tibérine, a confirmé les liens d’amitié qui existent depuis longtemps entre le Patriarche et le groupe ecclésial romain. Bartholomeos a loué les membres de la communauté «de poursuivre le dialogue interreligieux dans un esprit de paix», à un moment où des «heurts réciproques survenus au nom de la religion, ont répandu parmi les hommes l’idée erronée que la haine et l’extrémisme religieux plaisent à Dieu». Une idée qui attribue ainsi à Dieu un reniement pervers «de sa sagesse et de son amour, c’est-à-dire de lui-même».
Le matin du 1er juillet, les progrès accomplis par les Églises de la Première et de la Seconde Rome sur la voie de la pleine communion se sont manifestés de façon stable et concrète par la remise de l’église San Teodoro Tirone al Palatino (dédiée au martyr du même nom), qui a été confiée par le diocèse de Rome, sur décision de son Évêque, à l’archidiocèse orthodoxe d’Italie et qui est destinée à devenir la paroisse romaine des orthodoxes de langue grecque. Une église à plan circulaire, lieu de culte dès le VIe siècle, restaurée dans les deux dernières années selon les exigences de la liturgie byzantine, aux frais de Mme Fotini Livanos, qui appartient à une riche famille d’armateurs grecs. C’est dans cette église que Bartholomeos a présidé, pendant plus de deux heures, le thyranixion, célébration solennelle d’inauguration de l’usage liturgique de la part de la communauté grecque-orthodoxe, en présence de nombreux ecclésiastiques catholiques dont le cardinal vicaire Camillo Ruini, le cardinal Walter Kasper et l’archevêque substitut de la Secrétairerie d’État, Leonardo Sandri. Dans la petite église, avant-poste orthodoxe dans le cœur de l’aire archéologique de Rome, Bartholomeos a exprimé sa gratitude au Pape et à ses collaborateurs et a situé la concession de l’usage de l’«ancien temple» dans la perspective souhaitée de «l’accord qui plaît à Dieu sur les points importants, accord qui portera à l’union sacramentelle désirée».

Rendez-vous à Istanbul (via Ankara?)
L’annonce-surprise, Bartholomeos la réserve pour les dernières heures de son séjour romain. Après avoir été reçu par le Pape pour le déjeuner d’adieu et avoir souscrit avec lui la Déclaration conjointe rituelle, le soir du jeudi 1er juillet, il confie à un groupe de journalistes qu’il a profité de cette occasion pour inviter le Pape à Istanbul pour la fête de Saint Andréa, le 30 novembre prochain. «Et comme le Pape», ajoute-t-il, «est un chef d’État, il ira d’abord à Ankara, la capitale, puis il viendra chez nous». Bartholomeos évoque aussi la possibilité que, dans cet hypothétique voyage au Phanar, le Pape puisse rapporter sur la Corne d’Or les précieuses reliques des patriarches saint Jean Chrysostome et saint Grégoire de Naziance qui ont disparu de Constantinople, dans le sac de 1204. «Selon nos recherches», fait savoir Bartholomeos, «elles devraient se trouver à Saint-Pierre. On nous a dit au Vatican que l’on ferait des recherches. Quand elles auront été retrouvées, j’enverrai une lettre pour demander qu’elles nous soient restituées».
L’activisme politico-ecclésial de Bartholomeos (quelques heures avant de voir le Pape, il avait rencontré à Istanbul le président des États-Unis George W. Bush) suscite souvent des réserves dans les milieux ecclésiaux. Le caractère élevé du point de vue doctrinal de ses interventions (et ceux de Rome en sont un exemple) s’accorderait mal, au dire de certains, avec la faiblesse institutionnelle du patriarcat œcuménique qui conserve une juridiction directe sur quelques millions de fidèles, dont quelques milliers seulement sont en Turquie. M. Andrea Riccardi, fondateur de Sant’Egidio, a parlé du patriarcat œcuménique comme d’une «force faible dans le sens indiqué par l’apôtre Paul, qui dit: quand je suis faible, c’est alors que je suis fort». En ce sens, le rôle assumé par Barholomeos dans la partie qui se joue pour l’entrée du pays anatolien dans l’Union européenne est encore plus intéressant.
Dans la rencontre avec les journalistes, le Patriarche a fait l’éloge des pas accomplis par le gouvernement d’Erdogan pour aligner son pays sur les normes législatives européennes («certains députés kurdes ont été libérés, des émissions de télévision en langue kurde ont été créées, la peine de mort, qui est encore en vigueur aux États-Unis, a aussi été abolie»). Il a confié qu’il avait insisté pour que, dans la déclaration commune qu’il a souscrite avec le Pape, il y eût une allusion au dialogue nécessaire entre l’Europe et l’islam, en pensant précisément à la Turquie. Il a aussi annoncé que le gouvernement turc, guidé par des musulmans modérés, avait autorisé la réouverture de l’École de Théologie patriarcale de Halki, l’académie orthodoxe fermée dans les années Soixante-dix par le laïcisme rigide de la législation inspirée de Mustapha Kémal («nous comptons la remettre en fonction à la prochaine rentrée universitaire»).
Une rencontre entre le Pape et Erdogan orchestrée par Bartholomeos, un mois avant le Conseil de l’Europe qui devra se prononcer sur l’épineuse question de l’entrée de la Turquie dans l’Europe (et passer éventuellement outre les nombreuses objections à cette entrée, dont certaines viennent de l’Église et mettent parfois en avant les racines chrétiennes de l’Europe), serait pour le moins un coup magnifique.

 

ENZO BIANCHI POUR LA FÊTE DE PIERRE ET PAUL

23 septembre, 2013

http://rouen.catholique.fr/spip.php?article1818

ENZO BIANCHI POUR LA FÊTE DE PIERRE ET PAUL

29 juin – Saints Pierre et Paul

Années A – B – C – Commentaire

Saint Pierre & saint Paul avec une âme suppliante. Fresque du XIVe. Barcelone. Musée National d’Art de Catalogne
L’accolade dans le martyre et le primat de la charité
La solennité des saints Pierre et Paul réunit, dans une unique célébration, Pierre, le premier disciple à avoir été appelé selon les récits synoptiques, le premier des douze apôtres, et Paul, qui n’a pas été disciple de Jésus, ni ne fit partie du groupe des Douze, mais que l’Église appelle « l’Apôtre » : l’envoyé par excellence, bien que ce titre, que lui-même se donne, ne lui soit jamais reconnu dans les Actes des apôtres. Cette fête, déjà attestée dans le plus ancien calendrier liturgique qui nous soit parvenu, la Depositio marthyrum, du IIIe siècle, met en commun deux apôtres de Jésus morts à Rome en des temps différents, mais l’un et l’autre martyrs, victimes des persécutions contre les chrétiens : deux vies offertes en libation à cause de Jésus et de l’Évangile.
Les deux apôtres sont ainsi réunis dans la célébration liturgique, après que leurs vies terrestres les ont vus plutôt s’opposer l’un à l’autre : leur communion, parce que vécue dans la parresia, la franchise évangélique, n’a pas toujours été facile, et a même souvent été laborieuse. Le bas-relief en calcaire conservé à Aquilée, tout comme l’iconographie traditionnelle qui représente leur accolade, cherche à exprimer précisément cette communion au prix fort, qui a garanti à chacun des deux de mener à terme son œuvre comme fondement de l’Église de Rome, le lieu où leur course prit fin, le lieu qui les vit l’un et l’autre martyrs à l’époque de Néron, mis à mort pour le même motif.
Pierre est parmi les premiers hommes que Jésus a appelés : un pêcheur de Bethsaïda, sur le lac de Tibériade, un homme qui n’a certainement pas accordé beaucoup de temps à la formation intellectuelle et qui vivait sa foi surtout dans le culte synagogal du sabbat puis, après avoir été appelé par Jésus, à travers l’enseignement de ce maître qui parlait comme personne d’autre avant lui. Homme généreux et impulsif, Pierre suivit Jésus en répondant avec élan à la vocation, mais il restait toutefois inconstant, victime facile de la peur, capable même de lâcheté, au point de méconnaître celui qu’il suivait comme disciple.
Toujours proche de Jésus, il apparaît comme le représentant des autres disciples, parmi lesquels il occupait une position prééminente : on ne pourrait pas parler de la vie de Jésus sans mentionner Pierre, qui osa, le premier, confesser avec audace que Jésus est le Messie (voir Mt 16,16). Quand les disciples, tout comme une grande partie de la foule, se demandaient si Jésus était un prophète ou s’il était même « le » prophète des temps derniers, s’il était le Messie, l’Oint du Seigneur, ce fut Pierre, sollicité par Jésus, qui confessa la foi : les quatre évangiles rapportent chacun différemment les mots utilisés, mais ils attestent tous la priorité de Pierre à reconnaître la vraie identité de Jésus. Toutefois Pierre fit cette confession non pas comme « porte-parole » des Douze, mais animé par une force intérieure, par une révélation qui ne pouvait lui venir que de Dieu. Croire que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu, n’était pas possible en ne faisant qu’analyser et interpréter l’accomplissement éventuel des Écritures : c’est Dieu lui-même, le Père qui est dans les cieux, qui révéla à Pierre l’identité de Jésus (voir Mt 16,17). Ainsi Jésus a-t-il reconnu dans son disciple Simon une « roche », Céphas, une pierre, sur la foi duquel la communauté, l’Église pouvait trouver son fondement.
Pierre, que Jésus appelle le « bienheureux », qu’il déclare roche solide capable de confirmer la foi de ses frères, ne sera pas exempt d’erreurs, de chutes, d’infidélités à son Seigneur. Immédiatement après la confession de foi que l’on vient de rappeler, il manifestera sa manière trop mondaine de comprendre le chemin de passion de Jésus, à tel point que ce dernier l’appellera « Satan » (Mt 16,23). Puis, à la fin de la vie terrestre de Jésus, Pierre déclarera bien trois fois qu’il ne l’a jamais rencontré : la peur et la volonté de se sauver soi-même le conduiront à déclarer avec force « ne pas connaître » (Mt 26,70.72.74) ce Jésus dont il avait reçu la connaissance par Dieu même ! Jésus, qui l’avait assuré de sa prière pour que sa foi ne défaille pas, après la Résurrection, le reconfirmera à sa place, en lui demandant toutefois, lui aussi par trois fois, de lui attester son amour : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? » (Jn 21,15.16.17.) Touché au vif par cette question, Pierre deviendra l’apôtre de Jésus, le pasteur de ses premières brebis à Jérusalem, puis parmi les communautés judaïques en Palestine, à Antioche ensuite et enfin à Rome, où il déposera la vie à son tour, à l’exemple de son Maître et Seigneur. Et à Rome, Pierre retrouvera aussi Paul : nous ne savons pas si cela se fit dans le quotidien du témoignage chrétien, mais dans tous les cas à travers le signe éloquent du martyre.
Paul, « l’autre », l’apôtre différent, a été placé à côté de Pierre dans son altérité, comme pour garantir dès les premiers pas que l’Église chrétienne est toujours plurielle et qu’elle se nourrit de diversité. Juif de la diaspora, originaire de Tarse, la capitale de la Cilicie, monté à Jérusalem pour devenir scribe et rabbi dans le sillage de Gamaliel, l’un des maîtres les plus fameux de la tradition rabbinique, Paul était un pharisien, expert zélé de la loi de Moïse, qui n’a connu ni Jésus ni ses premiers disciples, mais qui se distingua par son opposition et sa persécution envers le mouvement chrétien naissant. Paul se définit comme un « avorton » (1 Co 15, 8) par rapport aux autres apôtres qui avaient vu le Seigneur Jésus ressuscité, mais il demandait à être reconnu comme envoyé, serviteur, apôtre de Jésus Christ au même titre qu’eux, parce qu’il avait mis sa vie au service de l’Évangile, il s’était fait l’imitateur du Christ jusque dans ses souffrances, il s’était dépensé en voyages apostoliques dans toute la Méditerranée orientale, il était habité par une sollicitude pour toutes les Églises de Dieu. Sa passion, son intelligence, son engagement à annoncer le Seigneur Jésus transparaissent dans toutes ses lettres et les Actes des apôtres en donnent également un témoignage sincère. C’est lui « l’apôtre des gentils », comme il se définit lui-même, alors que Pierre est « l’apôtre des circoncis » (Ga 2,8).
Pierre et Paul, l’un et l’autre disciples et apôtres du Christ, et pourtant si différents : Pierre, un pauvre pêcheur, Paul, un intellectuel rigoureux ; Pierre, un Juif palestinien venu d’un obscur village, Paul, un Juif de la diaspora et citoyen romain ; Pierre, lent à comprendre et à œuvrer en conséquence, Paul, consumé par l’urgence eschatologique… Voilà deux apôtres qui ont eu des styles différents, qui ont servi le Seigneur selon des modalités très diverses, qui ont vécu l’Église de manière parfois dialectique pour ne pas dire opposée, mais l’un et l’autre ont cherché à suivre le Seigneur et sa volonté, et ensemble, grâce à leur diversité précisément, ils ont su donner un visage à la mission chrétienne et un fondement à l’Église de Rome, qui préside dans la charité. Il est juste alors de célébrer leur mémoire ensemble, car c’est la mémoire de l’unité dans la diversité, de deux vies offertes par amour pour le même Seigneur, d’une charité vécue dans l’attente du retour du Christ.

Source : Enzo Bianchi : « Donner sens au temps, Les grandes fêtes chrétiennes », p. 127-132 Éditions Bayard, 2004.

CÉLÉBRATION DES PREMIÈRES VÊPRES DE LA SOLENNITÉ DE SAINTS APÔTRES PIERRE ET PAUL, À L’OCCASION DE L’INAUGURATION DE L’ANNÉE PAULINIENNE – HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI (2008)

28 juin, 2013

 http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/homilies/2008/documents/hf_ben-xvi_hom_20080628_vespri_fr.html

CÉLÉBRATION DES PREMIÈRES VÊPRES DE LA SOLENNITÉ DE SAINTS APÔTRES PIERRE ET PAUL, À L’OCCASION DE L’INAUGURATION DE L’ANNÉE PAULINIENNE

HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI

Basilique Saint-Paul-hors-les-Murs
Samedi 28 juin 2008

 Votre Sainteté et chers délégués fraternels,
Messieurs les cardinaux,
Vénérés frères dans l’épiscopat et dans le sacerdoce,
Chers frères et sœurs,

Nous sommes réunis auprès de la tombe de saint Paul, qui naquit il y a deux mille ans à Tarse de Cilicie, dans l’actuelle Turquie. Qui était ce Paul? Dans le temple de Jérusalem, devant la foule agitée qui voulait le tuer, il se présente lui-même avec ces mots:  « Je suis juif:  né à Tarse, en Cilicie, mais élevé ici dans cette ville [Jérusalem], j’ai reçu, à l’école de Gamaliel, un enseignement strictement conforme à la Loi de nos pères; je défendais la cause de Dieu avec une ardeur jalouse… » (Ac 22, 3). A la fin de son chemin, il dira de lui-même:  « J’ai reçu la charge… [d'enseigner] aux nations païennes la foi et la vérité » (1 Tm 2, 7; cf. 2 Tm 1, 11). Maître des nations, apôtre et annonciateur de Jésus Christ, c’est ainsi qu’il se décrit lui-même en regardant rétrospectivement le parcours de sa vie. Mais avec cela, son regard ne va pas seulement vers le passé. « Maître des nations » – cette parole s’ouvre à l’avenir, vers tous les peuples et toutes les générations. Paul n’est pas pour nous une figure du passé, que nous rappelons avec vénération. Il est également notre maître, pour nous aussi apôtre et annonciateur de Jésus Christ.
Nous sommes donc réunis non pour réfléchir sur une histoire passée, irrévocablement révolue. Paul veut parler avec nous – aujourd’hui. C’est pourquoi j’ai voulu promulguer cette « Année paulinienne » spéciale:  pour écouter et pour apprendre à présent de lui, qui est notre maître, « la foi et la vérité », dans lesquelles sont enracinées les raisons de l’unité parmi les disciples du Christ. Dans cette perspective, j’ai voulu allumer, pour ce bimillénaire de la naissance de l’Apôtre, une « Flamme paulinienne » spéciale, qui restera allumée pendant toute l’année dans un brasero spécifique placé dans le quadriportique de la Basilique. Pour conférer de la solennité à cet événement, j’ai également inauguré la « Porte paulinienne », à travers laquelle je suis entré dans la Basilique accompagné par le Patriarche de Constantinople, par le cardinal archiprêtre et par les autres autorités religieuses. C’est pour moi un motif de joie profonde que l’ouverture de l’ »Année paulinienne » assume un caractère œcuménique, en raison de la présence de nombreux délégués et représentants d’autres Eglises et communautés ecclésiales, que j’accueille le cœur ouvert. Je salue tout d’abord Sa Sainteté le Patriarche Bartholomaios I et les membres de la délégation qui l’accompagne, ainsi que le groupe nombreux de laïcs qui, de différentes parties du monde, sont venus à Rome pour vivre avec Lui et avec nous tous, ces moments de prière et de réflexion. Je salue les délégués fraternels des Eglises qui ont un lien particulier avec l’Apôtre Paul – Jérusalem, Antioche, Chypre, Grèce – et qui forment le cadre géographique de la vie de l’Apôtre avant son arrivée à Rome. Je salue cordialement les frères des différentes Eglises et communautés ecclésiales d’Orient et d’Occident, en même temps que vous tous qui avez voulu prendre part à cette ouverture solennelle de l’ »Année » consacrée à l’Apôtre des Nations.
Nous sommes donc ici rassemblés pour nous interroger sur le grand Apôtre des Nations. Nous nous demandons non seulement:  qui était Paul? Nous nous demandons surtout:  Qui est Paul? Que me dit-il? En cette heure, au début de l’ »Année paulinienne » que nous inaugurons, je voudrais choisir dans le riche témoignage du Nouveau Testament trois textes, dans lesquels apparaît sa physionomie intérieure, la spécificité de son caractère. Dans la Lettre aux Galates, il nous a offert une profession de foi très personnelle, dans laquelle il ouvre son cœur aux lecteurs de tous les temps et révèle quelle est l’impulsion la plus profonde de sa vie. « Je vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et qui s’est livré pour moi » (Ga 2, 20). Tout ce que Paul accomplit part de ce centre. Sa foi est l’expérience d’être aimé par Jésus Christ de manière tout à fait personnelle; elle est la conscience du fait que le Christ a affronté la mort non pour quelque chose d’anonyme, mais par amour pour lui – de Paul – et que, en tant que Ressuscité, il l’aime toujours, c’est-à-dire que le Christ s’est donné pour lui. Sa foi est le fait d’être frappé par l’amour de Jésus Christ, un amour qui le bouleverse jusqu’au plus profond de lui-même et qui le transforme. Sa foi n’est pas une théorie, une opinion sur Dieu et sur le monde. Sa foi est l’impact de l’amour de Dieu sur son cœur. Et ainsi, cette foi est l’amour pour Jésus Christ.
Paul est présenté par de nombreuses personnes comme un homme combatif qui sait manier l’épée de la parole. De fait, sur son parcours d’apôtre les disputes n’ont pas manqué. Il n’a pas recherché une harmonie superficielle. Dans la première de ses Lettres, celle qui s’adresse aux Thessaloniciens, il dit:  « Nous avons cependant trouvé l’assurance qu’il fallait pour vous annoncer, au prix de grandes luttes, l’Evangile de Dieu… Jamais, vous le savez, nous n’avons eu un mot de flatterie » (1 Th 2, 2.5). Il considérait que la vérité était trop grande pour être disposé à la sacrifier en vue d’un succès extérieur. La vérité dont il avait fait l’expérience dans la rencontre avec le Ressuscité méritait pour lui la lutte, la persécution, la souffrance. Mais ce qui le motivait au plus profond, était d’être aimé par Jésus Christ et le désir de transmettre cet amour aux autres. Paul était un homme capable d’aimer, et toute son œuvre et sa souffrance ne s’expliquent qu’à partir de ce centre. Les concepts de base de son annonce se comprennent uniquement à partir de celui-ci. Prenons seulement l’une de ses paroles-clés:  la liberté. L’expérience d’être aimé jusqu’au bout par le Christ lui avait ouvert les yeux sur la vérité et sur la voie de l’existence humaine – cette expérience embrassait tout. Paul était libre comme un homme aimé par Dieu qui, en vertu de Dieu, était en mesure d’aimer avec Lui. Cet amour est à présent la « loi » de sa vie et il en est précisément ainsi de la liberté de sa vie. Il parle et agit, mû par la responsabilité de la liberté de l’amour. Liberté et responsabilité sont liées ici de manière inséparable.  Se  trouvant dans la responsabilité de l’amour, il est libre; étant quelqu’un qui aime, il vit totalement dans la responsabilité de cet amour et ne prend pas la liberté comme prétexte pour l’arbitraire et l’égoïsme. C’est dans le même esprit qu’Augustin a formulé la phrase devenue ensuite célèbre:  Dilige et quod vis fac (Tract. in 1Jo 7, 7-8) – aime et fais ce que tu veux. Celui qui aime le Christ comme Paul l’a aimé peut vraiment faire ce qu’il veut, car son amour est uni à la volonté du Christ et donc à la volonté de Dieu; car sa volonté est ancrée à la vérité et parce que sa volonté n’est plus simplement sa volonté, arbitre du moi autonome, mais qu’elle est intégrée dans la liberté de Dieu et apprend de celle-ci le chemin à parcourir.
Dans  la  recherche  du  caractère intérieur de saint Paul je voudrais, en deuxième lieu, rappeler la parole que le Christ ressuscité lui adressa sur la route de Damas. Le Seigneur lui demande d’abord:  « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu? ». A la question:  « Qui es-tu, Seigneur? », est donnée la réponse:  « Je suis Jésus, celui que tu persécutes » (Ac 9, 4). En persécutant l’Eglise, Paul persécute Jésus lui-même:  « Tu me persécutes ». Jésus s’identifie avec l’Eglise en un seul sujet. Dans cette exclamation du Ressuscité, qui transforma la vie de Saul, est au fond désormais contenue toute la doctrine sur l’Eglise comme Corps du Christ. Le Christ ne s’est pas retiré au ciel, en laissant sur la terre une foule de fidèles qui soutiennent « sa cause ». L’Eglise n’est pas une association qui veut promouvoir une certaine cause. Dans celle-ci, il ne s’agit pas d’une cause. Dans celle-ci il s’agit de la personne de Jésus Christ, qui également en tant que Ressuscité est resté « chair ». Il a la « chair et les os » (Lc 24, 39), c’est ce qu’affirme le Ressuscité dans Luc, devant les disciples qui l’avaient pris pour un fantôme. Il a un corps. Il est personnellement présent dans son Eglise, « Tête et Corps » forment un unique sujet dira saint Augustin. « Ne le savez-vous pas? Vos corps sont les membres du Christ », écrit Paul aux Corinthiens (1 Co 6, 15). Et il ajoute:  de même que, selon le Livre de la Genèse, l’homme et la femme deviennent une seule chair, ainsi le Christ devient un seul esprit avec les siens, c’est-à-dire un unique sujet dans le monde nouveau de la résurrection (cf. 1 Co 6, 16sq). Dans tout cela transparaît le mystère eucharistique, dans lequel l’Eglise donne sans cesse son Corps et fait de nous son Corps:  « Le pain que nous rompons, n’est-il pas communion au corps du Christ? Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain » (1 Co 10, 16sq). En ce moment, ce n’est pas seulement Paul, mais le Seigneur lui-même qui s’adresse à nous:  Comment avez-vous pu laisser déchirer mon Corps? Devant le visage du Christ, cette parole devient dans le même temps une question urgente:  Réunis-nous tous hors de toute division. Fais qu’aujourd’hui cela devienne à nouveau la réalité:  Il y a un unique pain, et donc, bien qu’étant nombreux, nous sommes un unique corps. Pour Paul, la parole sur l’Eglise comme Corps du Christ n’est pas une comparaison quelconque. Elle va bien au-delà d’une comparaison:  « Pourquoi me persécutes-tu? » Le Christ nous attire sans cesse dans son Corps à partir du centre eucharistique, qui pour Paul est le centre de l’existence chrétienne, en vertu duquel tous, ainsi que chaque individu, peuvent faire de manière personnelle l’expérience suivante:  Il m’a aimé et s’est donné lui-même pour moi.
Je voudrais conclure par l’une des dernières  paroles  de  saint  Paul, une exhortation à Timothée de la prison, face à la mort:  « Prends ta part de souffrance pour l’annonce de l’Evangile », dit l’apôtre à son disciple (2 Tm 1, 8). Cette parole, qui se trouve à la fin des chemins parcourus par l’apôtre, comme un testament renvoie en arrière, au début de sa mission. Alors qu’après sa rencontre avec le Ressuscité, Paul, aveugle, se trouvait dans sa maison de Damas, Ananie reçut le mandat d’aller chez le persécuteur craint et de lui imposer les mains, pour qu’il retrouve la vue. A Ananie, qui objectait que ce Saul était un dangereux persécuteur des chrétiens, il fut répondu:  Cet homme doit faire parvenir mon nom auprès des peuples et des rois. « Et moi, je lui ferai découvrir tout ce qu’il lui faudra souffrir pour mon Nom » (Ac 9, 15sq). La charge de l’annonce et l’appel à la souffrance pour le Christ vont de pair inséparablement. L’appel à devenir le maître des nations est dans le même temps et intrinsèquement un appel à la souffrance dans la communion avec le Christ, qui nous a rachetés à travers sa Passion. Dans un monde où le mensonge est puissant, la vérité se paye par la souffrance. Celui qui veut éviter la souffrance, la garder loin de lui, garde loin de lui la vie elle-même et sa grandeur; il ne peut pas être un serviteur de la vérité et donc un serviteur de la foi. Il n’y a pas d’amour sans souffrance – sans la souffrance du renoncement à soi-même, de la transformation et de la purification du moi pour la véritable liberté. Là où il n’y a rien qui vaille la peine de souffrir, la vie elle-même perd sa valeur. L’Eucharistie – le centre de notre être chrétiens – se fonde sur le sacrifice de Jésus pour nous, elle est née de la souffrance de l’amour, qui a atteint son sommet dans la Croix. Nous vivons de cet amour qui se donne. Il nous donne le courage et la force de souffrir avec le Christ et pour Lui dans ce monde, en sachant que précisément ainsi notre vie devient grande, mûre et véritable. A la lumière de toutes les lettres de saint Paul, nous voyons que sur son chemin de maître des nations s’est accomplie la prophétie faite à Ananie à l’heure de l’appel:  « Et moi je lui ferai découvrir tout ce qu’il lui faudra souffrir pour mon Nom ». Sa souffrance le rend crédible comme maître de vérité, qui ne cherche pas son propre profit, sa propre gloire, la satisfaction personnelle, mais qui s’engage pour Celui qui nous  a  aimés et qui s’est donné lui-même pour nous tous.
En cette heure, nous rendons grâce au Seigneur, car il a appelé Paul, le rendant lumière des nations et notre maître à tous, et nous le prions:  Donne-nous aujourd’hui aussi des témoins de la résurrection, touchés par ton amour et capables d’apporter la lumière de l’Evangile dans notre temps. Saint Paul, prie pour nous! Amen.

PIERRE ET PAUL AUX ORIGINES DE L’ÉGLISE DE ROME – PAUL POUPARD

27 juin, 2013

http://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/pierre_et_paul_aux_origines_de_l_eglise_de_rome.asp

PIERRE ET PAUL AUX ORIGINES DE L’ÉGLISE DE ROME

PAUL POUPARD

Président du Conseil pontifical de la culture

Depuis la première année sainte de l’Église de Boniface VIII en 1300, les temps ont bien changé, comme le visage de Rome qui accueille les pèlerins. Mais la démarche demeure la même : aller prier aux Limina Apostolorum, ou « Mémoires des apôtres », ces lieux sacrés de Rome où sont conservés et vénérés les tombeaux des apôtres Pierre et Paul, grâce auxquels la Ville est devenue le centre de l’unité catholique. Dès le IIe siècle, les fidèles se rendent à Rome pour voir et vénérer les trophées des apôtres Pierre et Paul, et contempler sa basileia, sa royale majesté. Au IVe siècle, le pèlerinage de Rome devient en Occident le parallèle de celui qui, en Orient, conduisait à Jérusalem au tombeau du Seigneur.
C’est parce que Pierre est venu à Rome et qu’il y a été enseveli après son martyre qu’irrésistiblement les pèlerins ont afflué vers Saint-Pierre, lieu de sa sépulture, et que le pape, son successeur, s’est établi à son voisinage. Les deux faits ont la même origine. L’emplacement de la basilique Saint-Pierre n’a pas été choisi arbitrairement. L’édifice s’élève au-dessus de la tombe ; très précisément, le cœur de la basilique, l’autel de la confession, a été édifié au-dessus de sa sépulture. Son Éminence le Cardinal Paul Poupard, président du Conseil pontifical de la culture et auteur de Rome Pèlerinage (Bayard-L’Emmanuel, 1997) relate ici comment la tradition et les épîtres de la fin du Ier siècle se sont trouvées confirmées par les fouilles archéologiques menées depuis 1940 dans les Grottes vaticanes et à Saint-Paul-hors-les-Murs.

Le témoignage de la tradition
Une tradition immémoriale affirme que Pierre, venu à Rome implanter l’Église au cœur de l’empire y périt martyr. Que pouvons-nous dire de sûr à ce sujet à la lumière de l’histoire et de l’archéologie ? Les zones d’ombre se sont progressivement réduites depuis que le pape Pie XII fit entreprendre des travaux gigantesques, à l’occasion de la sépulture de son prédécesseur, le pape Pie XI.
Une première constatation s’impose, et elle est capitale. Aucune voix ne s’est jamais élevée dans l’Antiquité contre cette croyance du martyre de Pierre à Rome. Cet argument a silentio, du silence, a une grande force. Quant aux textes allégués en faveur de la tradition, il s’agit de l’épître de saint Clément de Rome aux Corinthiens et de l’Épître aux Romains de saint Ignace d’Antioche.
Clément, l’évêque de Rome, écrit aux Corinthiens vers la fin du Ier siècle pour apaiser les dissensions qui divisaient la communauté chrétienne. Dans sa lettre, il évoque la multitude innombrable des fidèles qui ont péri à Rome pendant la persécution de Néron, et en particulier les apôtres Pierre et Paul : « Jetons les yeux sur nos excellents apôtres : Pierre qui, victime d’une injuste jalousie, souffrit non pas une ou deux, mais de nombreuses fatigues et qui, après avoir rendu son témoignage, s’en est allé au séjour de gloire qui lui était dû. C’est par suite de la jalousie et de la discorde que Paul a montré le prix de la patience […] et, ayant rendu son témoignage devant ceux qui gouvernent, il a quitté le monde et s’en est allé au saint lieu ». Clément a peut-être connu personnellement les deux apôtres. Des allusions de sa lettre on peut légitimement déduire que c’est Rome qu’il évoque, cette ville dont il est l’évêque et d’où il écrit.
C’est de Smyrne qu’Ignace, évêque d’Antioche en Syrie, écrit son épître aux Romains, sous le règne de Trajan, peut-être en 107. « Je ne vous donne pas des ordres, leur écrit-il, comme Pierre et Paul ; ils étaient des apôtres, et moi, je ne suis qu’un condamné ; ils étaient libres, et moi, jusqu’à présent, je suis esclave ; mais si je souffre, je deviendrai un affranchi de Jésus-Christ en qui je ressusciterai libre ». On ne peut qu’être frappé par la mention conjointe des deux apôtres, à qui Ignace rendra bientôt témoignage, à Rome précisément, par son propre martyre.
Au début du IIIe siècle apparaît la tradition selon laquelle l’apôtre Pierre aurait été crucifié la tête en bas, comme le pèlerin peut le voir sur un très beau relief du XVe siècle dans les Grottes vaticanes. La cruauté de Néron rend ce supplice possible, mais rien ne permet de l’affirmer avec certitude. Par contre, c’est sur des bases solides que repose la tradition du martyre et de la sépulture de Pierre au Vatican pendant la persécution de Néron, décrite par une célèbre page des Annales de Tacite. Après l’incendie criminel de l’an 64, il ne subsistait à Rome aucun autre lieu capable d’abriter de tels sinistres et grandioses spectacles. Le Circus Maximus avait été endommagé par le feu et le Circus Flaminius était trop petit. Les Romains avaient coutume de placer les croix des condamnés le long des voies. On peut penser que celle de Pierre a été dressée, avec d’autres mentionnées par Tacite, le long d’une de ces routes au voisinage du cirque.
Quant à la tradition bien affirmée de la sépulture de Pierre au Vatican, le premier document qui l’atteste est un célèbre passage de Gaïus, que nous a conservé l’historien Eusèbe. Celui-ci, dans son Histoire ecclésiastique, rapporte la polémique de ce docte prêtre romain avec Proclus, membre de la secte hérétique montaniste, dans les dernières années du IIe ou les premières années du IIIe siècle. Pour affaiblir l’autorité de l’Église romaine, Proclus exaltait la présence en Asie Mineure de la tombe de l’apôtre Philippe et d’autres grands personnages de la chrétienté primitive. Gaïus répliqua avec force : « Mais moi, je puis te montrer les trophées des saints apôtres. En effet, si tu veux te rendre au Vatican ou sur la voie d’Ostie, tu trouveras les trophées de ceux qui ont fondé cette Église ». Gaïus parle de « trophées ». On ne peut réduire la signification de ce terme à de simples monuments commémoratifs, dans ce contexte polémique qui oppose ces trophées à des insignes tombes d’Asie Mineure. Le raisonnement, autrement, serait sans aucune portée. Il s’agit d’un mot grec, tropaion, qui signifie « monument de victoire », entendons ici de la victoire obtenue par les deux martyrs au nom de Jésus-Christ : en subissant la mort, ils entraient victorieusement dans la vie avec le Ressuscité.
Ainsi, dès la fin du IIe siècle apparaît le ferme témoignage que Pierre avait au Vatican sa tombe glorieuse, comme Paul avait la sienne sur la voie d’Ostie. Dans le Vatican de Néron, un monument s’imposait par son importance. C’était le cirque commencé par l’empereur Caligula (37-41) et terminé par Néron (54-68). Les fouilles ont pu le localiser le long du côté sud de l’actuelle basilique Saint-Pierre, entre l’Arco delle Campane et la Piazza di Santa Marta, c’est-à-dire à ga ornement était l’obélisque dressé en son centre, que, d’après Pline l’Ancien, Caligula avait fait venir tout exprès d’Égypte. C’est ce même obélisque que le pèlerin peut contempler aujourd’hui au centre de la place Saint-Pierre, où il fut transféré en 1586 par l’architecte Domenico Fontana sur l’ordre du pape Sixte Quint. Les fouilles récentes ont permis de retrouver les fondations primitives de l’obélisque.
On sait aussi, grâce aux mêmes fouilles, que, dès le Ier siècle, la plaine vaticane recevait des tombes le long des voies qui la traversaient. Cet antique usage est bien attesté, comme le pèlerin le découvre en voyant les tombeaux qui bordent la via Appia. Riches et pauvres s’y côtoyaient, ces derniers se glissant dans les petits espaces demeurés libres entre les somptueux tombeaux érigés pour les patriciens romains. Rien d’étonnant à ce qu’un pauvre crucifié, reconnaissable après sa mort – il n’avait été ni défiguré par le feu, ni broyé par les fauves – soit recueilli par les fidèles et que son cadavre soit déposé dans une fosse creusée dans le sol nu.

Les fouilles de Pie XII
Le pape Pie XI avait exprimé le désir d’être enterré ad caput Sancti Petri, au plus près de la tombe de l’apôtre Pierre. Pour accéder à ce vœu, son successeur Pie XII fit entreprendre, en juillet 1940, les travaux nécessaires à la mise en place du lourd sarcophage dans les Grottes vaticanes. On appelle ainsi le sous-sol de la basilique Saint-Pierre, formé par la différence de niveau entre l’ancienne et la nouvelle basilique. Ses voûtes basses, supportées par des pilastres qui le divisent en trois nefs, soutiennent le pavement de l’édifice actuel. À peine eut-on atteint 0,20 m de profondeur, au cours des travaux, qu’apparut le pavement de l’ancienne basilique constantinienne, puis, sous ce pavement, un grand nombre de sépultures chrétiennes. En creusant plus profondément, on découvrit des murs de fondation de l’antique sanctuaire et une nécropole romaine – celle-ci peut se visiter aujourd’hui en obtenant une autorisation préalable – que la construction de ce dernier avait ensevelie.
L’exploitation scientifique de ce chantier d’une ampleur imprévue devait fournir des informations importantes et incontestées. Deux campagnes de fouilles furent successivement menées, de 1939 à 1949, puis de 1953 à 1958. L’examen du sol révéla une donnée étonnante : pour créer la base nécessaire à la construction de l’édifice de Constantin, ses architectes avaient dû à la fois remplir de terre et entrecouper d’œuvres massives de soutènement une zone encore non utilisée de la nécropole, et en même temps entailler une partie de la colline du Vatican. Pourquoi Constantin avait-il choisi, pour bâtir sa basilique, un endroit déjà occupé par un cimetière, et par ailleurs si peu favorable, car le sol argileux demandait d’importants travaux de drainage et des travaux de terrassement à flanc de coteau ? Tout aurait dû lui faire écarter ce site. Tout, sauf la tradition vivante à son époque de la présence du tombeau de Pierre, tout près du lieu de son martyre.
Les pilastres qui supportent la voûte des Grottes vaticanes, sous la nef centrale de la basilique, reposent sur un fond artificiellement formé d’un mélange d’argile et de sable. L’édifice est érigé au-dessus de l’endroit où la tradition localisait la tombe de Pierre. Les fouilles ont exhumé une tombe pauvre, appelée thêta, recouverte de tuiles, dont l’une porte un sceau que l’on peut dater du règne de l’empereur Vespasien (69-79). Tout le matériel trouvé aux alentours immédiats remonte à la même époque : fragment de petite lampe portant la marque de son atelier de fabrication, morceaux de verre irisé et doré à l’égyptienne.

La nécropole païenne
Une nécropole plus récente a été mise au jour, qui remonte aux IIe et IIIe siècles. Cette nécropole païenne commença à accueillir des tombes chrétiennes, comme le révèlent les inscriptions des monuments funéraires. C’est ainsi que le petit sépulcre païen des Julii de la seconde moitié du IIe siècle se transforme en sépulcre chrétien, à la première moitié du IIIe siècle. En sa décoration lumineuse, on retrouve les scènes chères aux chrétiens. Sur les murs se succèdent les images du Bon Pasteur, du pêcheur mystique, de Jonas englouti par le monstre marin, ce qui symbolise le Christ descendu aux enfers et ressuscité après trois jours à la lumière des cieux. Et, au plafond, parmi les sarments couleur émeraude d’une vigne symbolique, s’élève, sur un quadrige tiré par des chevaux blancs, la radieuse représentation du Christ-Soleil, glorieuse image de la résurrection espérée. Le contraste est grand entre la richesse de cette décoration et l’humilité de la position de cette tombe, entre deux autres sépulcres qui l’étouffent, pour ainsi dire, à l’intérieur de la nécropole. C’est que rien n’était excessif pour décorer un édifice dont le privilège était de se trouver au voisinage immédiat de la memoria de Pierre.

La « memoria » de Pierre
Les fouilles ont en effet démontré que l’autel central de la basilique Saint-Pierre est construit exactement au-dessus de la memoriade l’apôtre. C’est Clément VIII qui l’a fait édifier (1592-1605). En descendant sous le riche baldaquin de bronze du Bernin, on remonte du flamboyant XVIe siècle renaissant vers les siècles passés, grâce aux dispositions de Jean-Paul II qui a remis en communication directe l’autel de la Confession de Pierre avec son tombeau, caché depuis cent cinquante ans par la grande statue de Pie VI à genoux, de Canova. Sous l’autel de Clément VIII se trouve un autre autel, celui de Calixte II (1119-1124), et, sous celui-ci, un autre encore, de Grégoire le Grand (590-604), encastré dans l’autel de Calixte II. En allant au-dessous, on rencontre un monument constantinien de forme quadrangulaire revêtu de marbre blanc et de porphyre rouge. Constantin l’a lui-même dédié à l’apôtre. Il remonte peut-être aux cérémonies commémoratives de la victoire décisive du pont Milvius, le 28 octobre 312.

Le Mur rouge
Entre ses murs de marbre, ce monument constantinien enferme une construction plus ancienne, un petit édicule. Considéré manifestement par l’empereur comme digne d’un exceptionnel respect, cet édicule est élevé sur une petite place rectangulaire de 8 mètres du nord au sud et de 4 mètres d’est en ouest, appelée conventionnellement par les chercheurs le campo P. Les chambres funéraires qui l’entourent remontent aux années 130 à 150. Sur le côté ouest se dresse un mur appelé Mur rouge, à cause de la couleur rouge vif dont il est peint. Derrière, un chemin – clivus – donnait accès à d’autres chambres funéraires. En dessous de ce chemin, un égout permettait l’écoulement des eaux. Les tuiles dont il est recouvert portent un sceau indiquant les propriétaires, personnages historiques bien connus, puisqu’il s’agit d’Aurelius Caesar, le futur empereur Marc Aurèle, et de sa femme, Faustina Augusta. Nous sommes donc entre 146, date à laquelle Faustina prit le nom d’Augusta, et 161, où le nouvel empereur prit le nom de Marc Aurèle.
Certaines des tombes fort modestes qui s’appuient sur le Mur rouge témoignent par leurs tuiles d’une origine antérieure. Quant au petit édicule, le plus important pour le pèlerin, il subit diverses destructions et déformations, qui n’empêchent pourtant pas une sérieuse reconstitution. Deux niches superposées sont creusées dans le Mur rouge. Entre elles s’avance, comme une table, une plaque de travertin soutenue par deux colonnettes de marbre blanc ; celle de gauche est encore bien visible dans la maçonnerie ajoutée à une époque postérieure. Dans le pavé, une ouverture fermée par une dalle, et d’une orientation différente, donnait sur une sorte de cachette doublée de petites plaques de marbre, où l’on a retrouvé des ossements, des restes de vieilles étoffes, des morceaux de verre, des pièces de monnaie. Nul doute qu’on y ait déposé quelques restes alors jugés dignes du plus grand respect.

Le trophée de Gaïus
Si tous les archéologues ne s’accordent pas en tout point, le pèlerin peut du moins avoir la certitude, en ce lieu sacré, de l’existence d’un édicule construit dans la nécropole vaticane vers 160, et inclus par Constantin dans son monument érigé en mémoire de saint Pierre. Il s’agit sans aucun doute du fameux trophée dont parlait le prêtre Gaïus quelques années plus tard. L’identité de l’édicule du Mur rouge et de ce trophée est désormais admise par tous les savants. Cet édicule n’a pu être construit en ce point que fort malaisément. Une raison impérieuse commandait donc de le situer là, et non pas ailleurs. Quelle autre raison, pour ce point précis, sinon la présence en ce lieu d’une dépouille mortelle déjà vénérée en cet endroit même ?
Peut-on aller plus loin et assurer avec certitude que la tombe de Pierre existait réellement sous l’édicule ? Les fouilles ont révélé des indices d’une fosse antique, dont l’orientation est la même que celle de l’ouverture dont nous avons parlé plus haut, et qui est différente de celle de l’édicule lui-même. Les ossements humains qui ont été retrouvés sous les fondations du Mur rouge n’ont, à l’examen scientifique, révélé aucun rapport avec l’apôtre Pierre. Mais à l’intérieur du monument constantinien, les fouilles ont fait apparaître en 1941 un loculus large de 0,77 m sur 0,29 et haut de 0,315, revêtu à l’intérieur de bandes de marbre grec, creusé dans le mur préexistant, le mur G pour les spécialistes, postérieur au Mur rouge, mais antérieur au monument constantinien qui l’a respecté et inclus. Il contenait, lors de l’inventaire, du plâtras tombé de haut, jusqu’à mi-hauteur, avec des ossements qui y étaient mêlés. On recueillit ces ossements dans une petite caisse de bois et on les déposa dans un lieu voisin situé dans les Grottes vaticanes.

La cachette et la caissette
Aussi surprenant que la chose paraisse, ils y restèrent longtemps oubliés ! Et devant la cachette vide, les spécialistes formulèrent naturellement l’hypothèse qu’elle avait été destinée à recevoir les restes de Pierre. Ainsi s’exprimèrent le père Antoine Ferma en 1952, Jérôme Carcopino en 1953, le père Engelbert Kirschbaum et Pascal Testini en 1957. C’est Margherita Guarducci qui redécouvrit en 1953 la caissette de bois contenant le matériel prélevé dans la cachette. Outre les os, elle contenait aussi de la terre, des fragments de plâtre rouge, de petits restes d’étoffe précieuse et deux fragments de marbre. Tout cela fut confié à l’examen scientifique du professeur Venerando Correnti. Après une longue et minutieuse analyse, le savant conclut, en juin 1963, que les ossements appartenaient à un seul individu de sexe masculin, de constitution robuste, âgé au moment de sa mort de soixante à soixante-dix ans. Les analyses expérimentales du tissu mêlé à la terre révélèrent de l’or authentique, de l’étoffe teinte de vraie pourpre, et de la terre analogue à celle du lieu.

Conclusions de l’enquête
Cette enquête permet de conclure, en récapitulant les données de l’analyse. Selon une tradition séculaire, Pierre vint à Rome et y subit le martyre sous le règne de Néron dans les jardins du Vatican, près du cirque impérial, situé le long du côté sud de la basilique actuelle. L’existence dans la nécropole voisine de tombes chrétiennes dans un cimetière païen s’explique par la conviction que la sépulture de Pierre était dans le voisinage immédiat. Seule cette conviction explique qu’aient été affrontées les difficultés énormes pour ériger en cet endroit la basilique constantinienne, malgré la nécessité de bousculer des tombes et d’opérer des travaux de terrassement considérables, à mi-pente de la colline. Le monument constantinien en l’honneur de Pierre était donc considéré comme le sépulcre du martyr. À l’intérieur de ce monument-sépulcre, le loculus creusé dans le mur G fut revêtu de marbre à l’époque de Constantin, et ne fut jamais violé jusqu’à sa découverte en 1941, lors des fouilles entreprises sur l’ordre du pape Pie XII.
De ce loculus proviennent les ossements conservés dans un lieu voisin, où ils furent repris en 1953. Ces ossements sont donc ceux qui, au temps même de Constantin, ont été considérés comme les restes mortels du saint apôtre Pierre. Leur examen anthropologique le confirme. Le tissu de pourpre tissé de fils d’or dans lequel ils furent enveloppés atteste la haute dignité qu’on leur attribuait, en parfaite consonance avec le porphyre royal qui ornait l’extérieur du monument. La terre qui les entoure comme d’une croûte s’est révélée à l’examen pétrographique correspondre au sable marneux où fut creusée la tombe primitive, alors qu’en d’autres lieux du Vatican la terre est constituée d’argile bleue ou de sable jaune.
Tous ces éléments forment entre eux comme les anneaux d’une chaîne qui conduit à identifier ce qui a été conservé des ossements de Pierre. Ce fut, après examen personnel, la conviction du pape Paul VI, qui déclara en célébrant les saints apôtres Pierre et Paul, le 29 juin 1976 :
« Pour ce qui est de saint Pierre, nous avons la chance d’être parvenus à cette certitude – annoncée par Pie XII, notre prédécesseur de vénérée mémoire – que la tombe de saint Pierre est ici, en ce vénérable lieu où a été construite cette solennelle basilique qui lui est consacrée et où nous sommes rassemblés en ce moment dans la prière. »

Pierre et Paul
On ne peut dissocier Pierre et Paul. L’Église de Rome a été fondée par les deux apôtres. L’un et l’autre y sont morts martyrs. Et le pèlerinage le plus antique conduit à vénérer leurs restes mortels. L’histoire de Saint-Paul-hors-les-Murs, pour être moins complexe que celle de la basilique Saint-Pierre, n’en est pas moins ténébreuse. Le pèlerin qui arrive à la moderne basilique ne soupçonne rien des siècles passés, puisqu’un malencontreux incendie détruisit les 15 et 16 juillet 1823 presque entièrement la première basilique.
Comment pouvons-nous reconstituer l’histoire ? Paul, l’apôtre des Gentils, appartient à une famille d’origine juive, établie à Tarse en Cilicie, – la Turquie actuelle – où elle a acquis droit de cité romain. Après ses voyages missionnaires, il va porter le produit d’une collecte à Jérusalem. Poursuivi par le ressentiment tenace des Juifs, il est arrêté et conduit à Césarée devant le procurateur Félix. Celui-ci le garde prisonnier pendant deux ans. Devant Festus qui lui succède, Paul en appelle à César, puisqu’il est citoyen romain. C’est en 60 qu’il arrive à Rome, après un naufrage sur les rivages de Malte. De 61 à 63, il jouit de ce qu’on appelle la custodia libera, ce qui lui permet d’écrire plusieurs de ses épîtres et d’annoncer le royaume de Dieu avec assurance. Fit-il, de 63 à 66, une dernière tournée apostolique en Orient ou vers l’Espagne ? Rien ne permet de répondre à cette question. En 66, en tout cas, il est de nouveau prisonnier à Rome. Et il a la tête tranchée sur la route de Rome à Ostie, en 67.

Le témoignage de Luc
Il vaut la peine de relire, après le récit de la tempête et du naufrage que nous a laissé saint Luc, auteur des Actes des Apôtres, l’évocation de l’arrivée à Rome et la prédication de l’apôtre intrépide, au cœur de l’empire romain. C’est sur cette page missionnaire que se termine la grande fresque des Actes des Apôtres brossée par le médecin compagnon de Paul.
« C’est trois mois plus tard que nous avons pris la mer sur un bateau qui avait hiverné dans l’île ; il était d’Alexandrie et portait les Dioscures comme enseigne. Nous avons débarqué à Syracuse pour une escale de trois jours. De là, bordant la côte, nous avons gagné Reggio. Le lendemain, le vent du sud s’est levé et nous sommes arrivés en deux jours à Pouzzoles. Nous avons trouvé là des frères qui nous ont invités à passer une semaine chez eux. Voilà comment nous sommes allés à Rome. Depuis cette ville, les frères qui avaient appris notre arrivée sont venus à notre rencontre jusqu’au Forum d’Appius et aux Trois-Tavernes. Quand il les vit, Paul rendit grâces à Dieu : il avait repris confiance.
Lors de notre arrivée à Rome, Paul avait obtenu l’autorisation d’avoir un domicile personnel, avec un soldat pour le garder. Trois jours plus tard, il invita les notables juifs à s’y retrouver. Quand ils furent réunis, il leur déclara :

« Frères, moi qui n’ai rien fait contre notre peuple ou contre les règles reçues de nos pères, je suis prisonnier depuis qu’à Jérusalem j’ai été livré aux mains des Romains. Au terme de leur enquête, ces derniers voulaient me relâcher, car il n’y avait rien dans mon cas qui mérite la mort. Mais l’opposition des Juifs m’a contraint de faire appel à l’empereur sans avoir pour autant l’intention de mettre en cause ma nation. Telle est la raison pour laquelle j’ai demandé à vous voir et à m’entretenir avec vous. En réalité, c’est à cause de l’espérance d’Israël que je porte ces chaînes… »
Ils lui répondirent : « Nous n’avons reçu, quant à nous, aucune lettre de Judée à ton sujet, et aucun frère à son arrivée ne nous a fait part d’un rapport ou d’un bruit fâcheux sur ton compte. Mais nous demandons à t’entendre exposer toi-même ce que tu penses : car, pour ta secte, nous savons bien qu’elle rencontre partout l’opposition ».
Ayant convenu d’un jour avec lui, ils vinrent le retrouver en plus grand nombre à son domicile. Dans son exposé, Paul rendait témoignage au Règne de Dieu et, du matin au soir, il s’efforça de les convaincre, en parlant de Jésus, de sortir de la loi de Moïse et des prophètes. Les uns étaient convaincus par ce qu’il disait, les autres refusaient de croire…
Paul vécut ainsi deux années entières à ses frais et il recevait tous ceux qui venaient le trouver, « proclamant le Règne de Dieu et enseignant ce qui concerne le Seigneur Jésus-Christ avec une entière assurance et sans entraves » (Actes 28, 11-31).

La via Appia
Je n’ai jamais pu fouler les pavés de l’antique voie appienne, la via Appia, sans évoquer cette arrivée à Rome du vigoureux apôtre, épuisé par les épreuves, prisonnier entravé par les chaînes du Christ, mais toujours intrépide pour annoncer l’Évangile. De longue date, il avait désiré voir Rome pour porter la bonne nouvelle dans ce haut lieu de l’empire.
Des riches patriciens ou des pauvres esclaves, qui pouvait se soucier du petit Juif arrivant avec d’autres prisonniers, encadrés par un détachement de soldats, dans le va-et-vient de la grande foule cosmopolite vaquant à ses affaires et à ses plaisirs ? Selon l’usage, Paul passa sans doute dix jours au corps de garde du camp des prétoriens sur le mont Coelius. Burrhus, préfet des prétoriens, autrement dit le chef de la police impériale, ayant pu se convaincre de la véracité du bon témoignage rendu au prisonnier par le gouverneur Festus, l’autorisa à prendre un logement hors du camp, avec toujours son bras droit enchaîné au bras gauche du soldat chargé de le garder.

Martyre et sépulture
Dans les Actes, saint Luc rapporte le séjour romain de Paul et son annonce de l’Évangile, d’abord aux Juifs, jusqu’à la fin abrupte du récit. La seule chose qui soit certaine sur cette période de captivité est l’écriture, par l’apôtre, des lettres aux Colossiens, aux Éphésiens et à Philémon. Dans cette considérable marge d’incertitudes et d’hypothèses, il semble prudent d’admettre que Pierre vint à Rome alors que Paul, contre lequel aucune charge n’avait été retenue, avait fini par être libéré ; que Paul y revint après son dernier périple missionnaire, après aussi les hécatombes de Néron, où Pierre avait péri crucifié et avait été furtivement enseveli un soir d’automne par quelques fidèles. En arrivant à Rome vers l’année 67, Paul trouvait une communauté chrétienne décimée et humiliée. Quelles que soient les conditions de son retour, il ne dut pas enseigner longtemps sans être dénoncé et arrêté. C’est alors qu’il aurait dicté sa dernière lettre à Timothée, comme son testament spirituel. Condamné, Paul devait avoir la tête tranchée, supplice réservé aux citoyens romains. D’après le témoignage d’Eusèbe, son martyre eut lieu la quatorzième année du règne de Néron, soit entre juillet 1967 et juin 1968. La tradition rapporte que la tête, en rebondissant trois fois sur le talus, y aurait fait jaillir trois sources, nos modernes Tre Fontane. Rien ne permet d’accréditer cette version de caractère légendaire, adoptée par saint Grégoire, mort en 604.
Pour Paul comme pour Pierre, la proximité du lieu du supplice et du tombeau semble un fait historique. Pour Paul, ce lieu était voisin du Tibre, les décapitations se faisant généralement au long des fleuves. Un sarcophage de la fin du IVe siècle représente du reste la décapitation de saint Paul près d’un fleuve. Attesté dès la première moitié du IVe siècle, le culte liturgique supposait la présence d’un sanctuaire ad corpus édifié à cet endroit. Or celui-ci est situé, comme pour Pierre, dans la nécropole qui bordait la route, au milieu de tombes païennes portant des urnes, des inscriptions, des peintures et des stucs qui vont des derniers temps de la république jusqu’au IVe siècle, à deux kilomètres des murs d’Aurélien et de la porte du même nom. Sans avoir pour la sépulture de Paul les mêmes détails que pour celle de Pierre, nous avons la même certitude : la tombe de l’apôtre des Gentils se trouve au-dessous de l’autel majeur de l’actuelle basilique Saint-Paul-hors-les-Murs. Il y eut d’abord en cet endroit une construction constantinienne. Un mur c suite.

« Paulo Apostolo mart (yri) »
La construction d’une basilique monumentale sur cet emplacement remonte en 386, un demi-siècle après la mort de Constantin. Les empereurs Valentinien II, Théodose et Arcadius écrivent alors au préfet de Rome, Salluste, pour s’assurer de l’approbation du Sénat et du peuple romain pour ce projet destiné à édifier une grande basilique remplaçant celle qui avait été « anciennement » consacrée à saint Paul. À 1,37 m sous la table d’autel actuelle, une plaque de marbre de 2,12 m sur 1,27 m porte l’inscription – datant selon les uns de la première, selon les autres de la seconde moitié du IVe siècle – PAULO APOSTOLO MART. La plaque est composée de plusieurs morceaux rapportés. Seul celui qui porte le mot PAULO est muni de trois orifices, un rond et deux carrés, qui ne peuvent qu’être liés au culte funéraire de saint Paul. En effet, l’orifice rond, le seul qui n’abîme pas l’inscription, et qui donc peut lui être contemporain, est relié à un petit puits qui devait rejoindre la tombe. La présence sur le marbre des traces d’un couvercle métallique articulé, permettant d’ouvrir et de fermer à volonté l’orifice, semble bien le rapporter, ainsi que son conduit, à l’usage attesté par ailleurs aux catacombes de verser des parfums dans les tombeaux chrétiens. Un poème de Prudence, du début du Ve siècle, fait allusion à cet usage. Cependant, ce culte a ensuite changé de forme : les deux puits carrés sont venus abîmer l’inscription PAULO. Ils furent construits plus tard pour rejoindre, à des niveaux différents, le puits rond. Ainsi le bloc de maçonnerie sous-jacent a été retravaillé avant que l’on repose l’ancienne plaque, dont il est impossible, dans l’état actuel, de se représenter l’état primitif, encore qu’elle soit le témoin vénérable d’un culte vraisemblablement antérieur à la grandiose construction de 386.
Telles sont les données de l’archéologie, qui rejoignent ce qu’écrivait le prêtre Gaïus, déjà cité, dans sa lettre au montaniste Proclus : « Je puis te montrer les trophées des Apôtres. Que tu ailles au Vatican ou sur la route d’Ostie, tu y rencontreras les trophées de ceux qui ont établi l’Église romaine ».
Beaucoup d’incertitudes demeurent sur ces temps reculés. Qui furent les premiers chrétiens de Rome ? Quels ont été les premiers missionnaires ? L’histoire ne nous le dit pas. Nous savons seulement que saint Paul parle de l’Église de Rome comme d’une Église nombreuse, connue, célèbre par sa foi et ses œuvres. Quand il arrive dans la ville, saint Luc nous précise au livre des Actes des Apôtres que les frères de cette ville viennent à sa rencontre sur la voie appienne. Nous savons les martyres et la sépulture de Pierre au Vatican, ensuite de Paul sur la voie d’Ostie.
Depuis lors, comme l’assure le vieil adage, tous les chemins mènent à Rome. Et découvrir la Rome de Pierre et Paul est pour le moderne Romée une réponse au vœu de Paul : « Il faut aussi que je voie Rome » (Actes des Apôtres 19, 21).

PAUL POUPARD
AVRIL 2002

123