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L’EGLISE POUR SAINT PAUL

7 février, 2013

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L’EGLISE POUR SAINT PAUL

Dans la Bible grecque, dite des Septante, le terme ekklésia désigne l’ensemble du peuple juif réuni pour la prière. Pour Paul, ce même terme désigne uniquement les chrétiens, en commençant par la communauté des disciples de Jérusalem, l’Eglise-mère, puis en continuant par les différentes communautés locales. Ce n’est que dans les lettres dites de captivité, qu’il prendra ce terme dans le sens de l’Eglise universelle.

L’EGLISE, CORPS DU CHRIST
La communauté des disciples implique une participation effective à la vie du Christ : tout le peuple participe à cette vie dans le Christ. C’est une multitude qui se trouve ainsi greffée sur le Christ lui-même. Et la communauté avec le Christ conduit et implique une communauté de vie avec tous ceux qui participent à la vie du Seigneur. Cette grande idée de Paul se trouve ainsi exprimée au chapitre 12 de la lettre aux Romains :
Car, comme nous avons plusieurs membres dans un seul corps, et que tous les membres n’ont pas la même fonction, ainsi, nous qui sommes plusieurs, nous formons un seul corps en Christ, et nous sommes tous membres les uns des autres. (Ro. 12, 4-5).
Cette réalité du Corps qui est ainsi constitué par les chrétiens n’est pas une métaphore, une image, c’est, selon Paul, une réalité ontologique, même si elle n’est pas physique, même si elle n’est pas visible. Déjà, le livre de Jérémie présentait le Peuple de Dieu comme une personne à qui Dieu s’adressait comme à une fiancée, comme à sa bien aimée :
En ce temps-là, dit Yahvé, Je serai le Dieu de toutes les familles d’Israël, Et ils seront mon peuple. Ainsi parle Yahvé : Il a trouvé grâce dans le désert, Le peuple de ceux qui ont échappé au glaive ; Israël marche vers son lieu de repos. De loin Yahvé se montre à moi : Je t’aime d’un amour éternel ; C’est pourquoi je te conserve ma bonté. Je te rétablirai encore, et tu seras rétablie, Vierge d’Israël ! (Jér. 31 l-4).
Le terme même d’ekklésia qui indique la communauté rassemblée convoquée par un appel de Dieu traduit le terme hébreu « qahal », convocation. L’Eglise, c’est la convocation du nouvel Israël.
De cette manière, Paul se situe dans la droite ligne des textes de l’Ancien Testament, dont il se trouve l’héritier. En effet, toute la Bible peut être considérée comme le grand roman d’amour de Dieu et de son peuple, avec qui il a fait une alliance comparable à l’alliance nuptiale. Les traditions mystiques, aussi bien juives que chrétiennes, ont toujours considéré le Cantique des cantiques comme le livre qui exprime le secret de toute l’Ecriture sainte, celui qui indique explicitement l’amour de Dieu pour son épouse. C’est aussi dans la tradition prophétique du livre d’Ezéchiel qu’il serait possible d’inscrire la pensée de Paul :
Je te jurai fidélité, je fis alliance avec toi, dit le Seigneur, Yahvé, et tu fus à moi. Je te lavai dans l’eau, je fis disparaître le sang qui était sur toi, et je t’oignis avec de l’huile. Je te donnai des vêtements brodés, et une chaussure de peaux teintes en bleu ; je te ceignis de fin lin, et je te couvris de soie. Je te parai d’ornements je mis des bracelets à tes mains, un collier à ton cou, je mis un anneau à ton nez, des pendants à tes oreilles, et une couronne magnifique sur ta tête. Ainsi tu fus parée d’or et d’argent, et tu fus vêtue de fin lin, de soie et d’étoffes brodées. La fleur de farine, le miel et l’huile, furent ta nourriture. Tu étais d’une beauté accomplie, digne de la royauté. Et ta renommée se répandit parmi les nations, à cause de ta beauté ; car elle était parfaite, grâce à l’éclat dont je t’avais ornée, dit le Seigneur, Yahvé. (Ez. 16, 9-14)
En effet, la lettre aux Ephésiens, au chapitre 5, reprend les mêmes thèmes de la préparation nuptiale :
Femmes, soyez soumises à vos maris, comme au Seigneur ; car le mari est le chef de la femme, comme Christ est le chef de l’Église, qui est son corps, et dont il est le Sauveur. Or, de même que l’Église est soumise à Christ, les femmes aussi doivent l’être à leurs maris en toutes choses. Maris, aimez vos femmes, comme Christ a aimé l’Église, et s’est livré lui-même pour elle, afin de la sanctifier par la parole, après l’avoir purifiée par le baptême d’eau, afin de faire paraître devant lui cette Église glorieuse, sans tache, ni ride, ni rien de semblable, mais sainte et irrépréhensible. C’est ainsi que les maris doivent aimer leurs femmes comme leurs propres corps. Celui qui aime sa femme s’aime lui-même. Car jamais personne n’a haï sa propre chair; mais il la nourrit et en prend soin, comme Christ le fait pour l’Église, parce que nous sommes membres de son corps. C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et les deux deviendront une seule chair. Ce mystère est grand; je dis cela par rapport à Christ et à l’Église. Du reste, que chacun de vous aime sa femme comme lui-même, et que la femme respecte son mari. (Eph. 5, 22-32).
Tout au long de ce texte, Paul pense que le Christ et l’Eglise ont l’un à l’égard de l’autre le statut d’époux et d’épouse transposant ainsi au nouveau peuple de Dieu les thèmes classiques de l’Ancien Testament. Mais bien qu’il utilise ce thème des épousailles, il ne dit pas explicitement, comme il peut le faire par ailleurs, que le Christ est époux et que l’Eglise est épouse. En revanche, il qualifie le Christ de chef (tête) et l’Eglise de corps. Saint Paul applique ainsi à l’Eglise une manière, déjà courante dans l’antiquité, de parler : un groupe humain est considéré comme un corps. Le groupe « Eglise » se caractérise par l’influence du Christ et par l’appartenance au Christ; et en ce sens, l’Eglise mérite bien ce nom de corps du Christ. Et pour appuyer ses considérations, il cite un verset du livre de la Genèse, en précisant : « Ce mystère est grand : je déclare qu’il concerne le Christ et l’Eglise ». Paul semble voir dans le couple Christ-Eglise, en quelque sorte, l’image du couple primitif, le type de tout mariage humain. Le terme « mystère », chez saint Paul, signifie une réalité cachée, un secret que seule une révélation peut dévoiler ; en fait. il s’agit presque toujours d’une réalité qui appartient au dessein éternel de Dieu et que Dieu seul peut faire connaître. Dans le cas présent, le mystère recouvre le sens figuratif du couple d’Adam et Eve. Dans le dessein de Dieu, ce couple primitif symbolise et prépare l’union du Christ et de l’Eglise qui réalise dans la pleine vérité l’union du premier homme et de la première femme. En créant l’homme et la femme, Dieu a commencé a réaliser son dessein qu’il réaliserait définitivement et manifesterait tout son sens dans l’union du Christ et de l’Eglise.
Paul rappelle les aspects fondamentaux de l’activité du Christ en faveur de son Eglise : la purification et la sollicitude constante. Le Christ a voulu pour lui un corps, une épouse, sainte et immaculée, et, pour cela, il l’a purifiée dans un bain de purification « avec l’eau qui lave et cela par la parole », et pour réaliser ce bain, il est mort pour elle.
On trouve ici les éléments essentiels de la doctrine de la rédemption et de la sanctification : le bain d’eau qu’une parole accompagne représente le baptême, bien que Paul n’explique pas ici le lien du baptême avec la mort de Jésus. Mais l’activité du Christ pour son Eglise ne s’achève pas dans le baptême : il veille à la croissance de son Corps, ainsi que Paul le disait déjà au chapitre 4 de cette même lettre aux Ephésiens :
afin que nous ne soyons plus des enfants, flottants et emportés à tout vent de doctrine, par la tromperie des hommes, par leur ruse dans les moyens de séduction, mais que, professant la vérité dans la charité, nous croissions à tous égards en celui qui est le chef, Christ. C’est de lui, et grâce à tous les liens de son assistance, que tout le corps, bien coordonné et formant un solide assemblage, tire son accroissement selon la force qui convient à chacune de ses parties, et s’édifie lui-même dans la charité. (Eph. 4, 14-16).
L’Eglise, quant à elle, se soumet à son chef, mais cette soumission n’a rien de servile, si l’on considère l’attitude du Christ vis-à-vis d’elle : l’Eglise se sait aimée de son chef, et bien plus encore qu’elle ne peut l’aimer. Sa soumission se traduit alors par un abandon confiant de celle qui est la bien-aimée et par la fidélité de son amour pour son bien-aimé. De la sorte, le rapport d’autorité n’est ni dur ni avilissant : l’Eglise vit sa relation au Christ dans la liberté caractéristique de l’amour.
Mais, Paul découvre aussi que le Corps du Christ se trouve encore dans un état d’inachèvement, il va même un peu plus loin, dans sa lettre aux Colossiens, au chapitre premier, en affirmant qu’il complète ce qu’il manque à la Passion du Christ pour son Corps qui est l’Eglise :
Je me réjouis maintenant dans mes souffrances pour vous ; et ce qui manque aux souffrances de Christ, je l’achève en ma chair, pour son corps, qui est l’Église. C’est d’elle que j’ai été fait ministre, selon la charge que Dieu m’a donnée auprès de vous, afin que j’annonçasse pleinement la parole de Dieu, le mystère caché de tout temps et dans tous les âges, mais révélé maintenant à ses saints, à qui Dieu a voulu faire connaître quelle est la glorieuse richesse de ce mystère parmi les païens, savoir: Christ en vous, l’espérance de la gloire. C’est lui que nous annonçons, exhortant tout homme, et instruisant tout homme en toute sagesse, afin de présenter à Dieu tout homme, devenu parfait en Christ. C’est à quoi je travaille, en combattant avec sa force, qui agit puissamment en moi. (Col. 1, 24-29).
Il introduit ici le thème de la participation des chrétiens aux souffrances du Christ qui sont incomplètes. Mais rien dans le contexte, ni même dans l’ensemble de la théologie de Paul ne permet d’interpréter ces souffrances et ces détresses du Christ au sens des souffrances historiques de sa passion : la mort du Christ a été pleinement efficace, comme Paul l’affirme d’ailleurs fréquemment. Il s’agit plutôt des épreuves du Christ au sens de la personnalité corporative, aussi bien en tant que Paul vit dans le Christ et que le Christ vit en lui, qu’en tant que l’Eglise vit dans le Christ et que le Christ vit en elle. Les souffrances que les uns et les autres endurent sont des signes qui témoignent de la puissance de Dieu : le Christ continue de souffrir en Paul et dans l’Eglise, comme il a souffert historiquement pour établir l’Eglise. Il faut encore revenir ici sur le sens de l’expression « pour son Corps qui est l’Eglise ». puisque le corps est l’homme lui-même, tout en se distinguant de lui, les chrétiens, qui forment un seul corps (au sens de la personnalité corporative), sont le Christ en tant que corps. Et continuant le Christ par ses souffrances Paul le continue également par la prédication de l’Evangile, puisqu’il est devenu le serviteur de la Parole auprès des hommes, et particulièrement auprès des païens. Sa fonction principale est de faire connaître le « mystère » de Dieu, le dessein caché de sa volonté. Et ce « mystère », c’est le Christ lui-même, le mystère du Corps du Christ, qui inclut aussi bien les païens que les juifs, et la pleine réalisation de l’univers, ainsi que Paul l’exprime lui-même au premier chapitre de sa lettre aux Ephésiens :
nous faisant connaître le mystère de sa volonté, selon le bienveillant dessein qu’il avait formé en lui-même, pour le mettre à exécution lorsque les temps seraient accomplis, de réunir toutes choses en Christ, celles qui sont dans les cieux et celles qui sont sur la terre. (Eph. 1, 9-10)
La révélation du mystère du Christ ne peut se faire que dans la prédication évangélique, qui ne peut pas être totalement épuisée par une connaissance humaine, rationnelle, mais qui peut être révélée par la grâce de Dieu. Et c’est précisément le dessein de Dieu que son peuple connaisse toutes les merveilles de ce mystère. Paul et tous les prédicateurs de l’Evangile ne font rien d’autre que ne faire resplendir la gloire du mystère que Dieu a daigné révéler en son Fils. De plus, il faut remarquer que la communauté des souffrances avec le Christ obtient de Dieu la communauté des mérites du Christ. C’est ce que le Symbole des apôtres et toute la tradition théologique ultérieure appellent la « communion des saints » qui construit le corps mystique du Christ. Cette communion se réalise d’abord par la prière, ainsi qu’en témoignent de nombreux extraits des lettres de Paul, par exemple en Ephésiens :

C’est pourquoi moi aussi, ayant entendu parler de votre foi au Seigneur Jésus et de votre charité pour tous les saints, je ne cesse de rendre grâces pour vous, faisant mention de vous dans mes prières, afin que le Dieu de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père de gloire, vous donne un esprit de sagesse et de révélation, dans sa connaissance, et qu’il illumine les yeux de votre cœur, pour que vous sachiez quelle est l’espérance qui s’attache à son appel, quelle est la richesse de la gloire de son héritage qu’il réserve aux saints… (Eph. 1, 15-18)
Faites en tout temps par l’Esprit toutes sortes de prières et de supplications. Veillez à cela avec une entière persévérance, et priez pour tous les saints. Priez pour moi, afin qu’il me soit donné, quand j’ouvre la bouche, de faire connaître hardiment et librement le mystère de l’Évangile, pour lequel je suis ambassadeur dans les chaînes, et que j’en parle avec assurance comme je dois en parler. (Eph. 6, 18-20).
Persévérez dans la prière, veillez-y avec actions de grâces. Priez en même temps pour nous, afin que Dieu nous ouvre une porte pour la parole, en sorte que je puisse annoncer le mystère de Christ, pour lequel je suis dans les chaînes, et le faire connaître comme je dois en parler. (Col. 4, 2-4).
Je vous exhorte, frères, par notre Seigneur Jésus-Christ et par l’amour de l’Esprit, à combattre avec moi, en adressant à Dieu des prières en ma faveur, afin que je sois délivré des incrédules de la Judée, et que les dons que je porte à Jérusalem soient agréés des saints… (Ro. 15, 30-31).
Mais cette communauté me se traduit pas seulement dans la prière, elle s’effectue dans des actes, notamment ceux de l’aumône. Dans sa première lettre aux Corinthiens, Paul donne lui-même des indications pour que se fasse la collecte en faveur de l’Eglise de Jérusalem :
Pour ce qui concerne la collecte en faveur des saints, agissez, vous aussi, comme je l’ai ordonné aux Églises de la Galatie. Que chacun de vous, le premier jour de la semaine, mette à part chez lui ce qu’il pourra, selon sa prospérité, afin qu’on n’attende pas mon arrivée pour recueillir les dons. Et quand je serai venu, j’enverrai avec des lettres, pour porter vos libéralités à Jérusalem, les personnes que vous aurez approuvées. Si la chose mérite que j’y aille moi-même, elles feront le voyage avec moi. (1 Co. 16, 1-4).
Et, dans sa lettre aux Romains, au chapitre 15, en manifestant des projets de voyage, Paul souligne qu’il doit d’abord aller à Jérusalem porter le fruit de la collecte organisée par les Eglises :
C’est ce qui m’a souvent empêché d’aller vers vous. Mais maintenant, n’ayant plus rien qui me retienne dans ces contrées, et ayant depuis plusieurs années le désir d’aller vers vous, j’espère vous voir en passant, quand je me rendrai en Espagne, et y être accompagné par vous, après que j’aurai satisfait en partie mon désir de me trouver chez vous. Présentement je vais à Jérusalem, pour le service des saints. Car la Macédoine et l’Achaïe ont bien voulu s’imposer une contribution en faveur des pauvres parmi les saints de Jérusalem. Elles l’ont bien voulu, et elles le leur devaient ; car si les païens ont eu part à leurs avantages spirituels, ils doivent aussi les assister dans les choses temporelles. Dès que j’aurai terminé cette affaire et que je leur aurai remis ces dons, je partirai pour l’Espagne et passerai chez vous. Je sais qu’en allant vers vous, c’est avec une pleine bénédiction de Christ que j’irai. (Ro. 15, 24-29).
Si la solidarité s’exerce au niveau spirituel, elle doit aussi se traduire dans les faits. C’est ainsi que peut s’édifier le Corps du Christ, dans la charité. Mais si la solidarité peut exister dans le bien, elle existe aussi dans le mal : les membres malsains d’une communauté, d’un corps constitué font souffrir les autres membres. C’est principalement dams sa première lettre aux Corinthiens, au chapitre 12, que Paul exprime le plus clairement sa comparaison de l’Eglise avec le corps humain, en soulignant que le pluralisme n’empêche absolument pas l’unité.
Car, comme le corps est un et a plusieurs membres, et comme tous les membres du corps, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps, ainsi en est-il de Christ. Nous avons tous, en effet, été baptisés dans un seul Esprit, pour former un seul corps, soit Juifs, soit Grecs, soit esclaves, soit libres, et nous avons tous été abreuvés d’un seul Esprit. Ainsi le corps n’est pas un seul membre, mais il est formé de plusieurs membres. Si le pied disait : Parce que je ne suis pas une main, je ne suis pas du corps, ne serait-il pas du corps pour cela ? Et si l’oreille disait : Parce que je ne suis pas un oeil, je ne suis pas du corps, ne serait-elle pas du corps pour cela ? Si tout le corps était oeil, où serait l’ouïe ? S’il était tout ouïe, où serait l’odorat ? Maintenant Dieu a placé chacun des membres dans le corps comme il a voulu. Si tous étaient un seul membre, où serait le corps ? Maintenant donc il y a plusieurs membres, et un seul corps. L’œil ne peut pas dire à la main : Je n’ai pas besoin de toi ; ni la tête dire aux pieds : Je n’ai pas besoin de vous. Mais bien plutôt, les membres du corps qui paraissent être les plus faibles sont nécessaires ; et ceux que nous estimons être les moins honorables du corps, nous les entourons d’un plus grand honneur. Ainsi nos membres les moins honnêtes reçoivent le plus d’honneur, tandis que ceux qui sont honnêtes n’en ont pas besoin. Dieu a disposé le corps de manière à donner plus d’honneur à ce qui en manquait, afin qu’il n’y ait pas de division dans le corps, mais que les membres aient également soin les uns des autres. Et si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui ; si un membre est honoré, tous les membres se réjouissent avec lui. Vous êtes le corps de Christ, et vous êtes ses membres, chacun pour sa part. (1 Co. 12, 12-27).
Il faut dire que la communauté de Corinthe avait chaleureusement accueilli la prédication évangélique, en découvrant le jaillissement spontané de l’Esprit-Saint et la totale liberté qu’il était possible de vivre en Jésus-Christ. Mais ce succès commence à poser des problèmes au sein de l’Eglise. Chacun des nouveaux convertis s’en va de son coté, en se réclamant de tel ou tel apôtre, et tout le monde s’imagine avoir l’Esprit de Dieu. Et c est le désordre et la discorde en tous les domaines. Il n’y a plus de vie communautaire possible, et le témoignage a Jésus-Christ se révèle totalement inexistant. Paul est inquiet, la situation de l’Eglise à Corinthe est un de ses soucis principaux, mais il est animé d’une certitude : la liberté totale des chrétiens n’est pas incompatible avec l’unité qui doit régner dans l’Eglise. Le Christ ne peut être divisé.
Dans le corps humain, la pluralité des membres n’empêche pas l’unité de l’ensemble, et les membres ne peuvent pas se soustraire a l’unité qu’ils partagent les uns avec les autres : ils appartiennent tous au même corps. Et inversement, le corps humain n’existe que dans la diversité de ses membres. Le pluralisme et l’unité à l’intérieur du corps apparaissent liés, et cela représente la volonté de Dieu lui-même : aucun membre ne peut être rejeté, car chacun joue un rôle spécifique. Et quand un membre souffre, c’est tout le corps qui souffre avec lui : dans la communauté constituée par les membres, tout ce qui arrive à l’un se répercute immédiatement à l’ensemble. Le premier terme de la comparaison se trouve ainsi, posé clairement, le second le sera très succinctement : « Vous êtes le corps du Christ, et vous êtes ses membres, chacun pour sa part ». Paul n’a pas besoin de s’attarder davantage : il suffit à son lecteur de reprendre tous les termes de la comparaison du corps pour comprendre immédiatement ce que l’apôtre entend faire saisir au moyen de cette comparaison : que chacun reste donc à la place que Dieu lui a réservée, car Dieu n’est pas un Dieu de désordre, mais de paix. Le pluralisme ne peut être une prétexte suffisant pour justifier le désordre ; la visée commune doit être le bien de l’ensemble, pour que puisse s’édifier, se construire, le corps de l’Eglise dans l’amour, qui est la voie qui surpasse toutes les voies, ainsi que Paul l’expliquera au chapitre 13 de cette même lettre aux orinthiens.

LE TEMPLE DE L’ESPRIT
Le Corps du Christ est également qualifié de Temple de l’Esprit-Saint. Et Paul utilise ensemble les deux images du corps et de l’édifice pour signifier l’Eglise. C’est dans la lettre aux Ephésiens particulièrement que ces deux images se retrouvent, ainsi au chapitre 2 d’une part et au chapitre 4 d’autre part :
Il est venu annoncer la paix à vous qui étiez loin, et la paix à ceux qui étaient près ; car par lui nous avons les uns et les autres accès auprès du Père, dans un même Esprit. Ainsi donc, vous n’êtes plus des étrangers, ni des gens du dehors ; mais vous êtes concitoyens des saints, gens de la maison de Dieu. Vous avez été édifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes, Jésus-Christ lui-même étant la pierre angulaire. En lui tout l’édifice, bien coordonné, s’élève pour être un temple saint dans le Seigneur. En lui vous êtes aussi édifiés pour être une habitation de Dieu en Esprit. (Eph. 2, 17-22).
afin que nous ne soyons plus des enfants, flottants et emportés à tout vent de doctrine, par la tromperie des hommes, par leur ruse dans les moyens de séduction, mais que, professant la vérité dans la charité, nous croissions à tous égards en celui qui est le chef, Christ. C’est de lui, et grâce à tous les liens de son assistance, que tout le corps, bien coordonné et formant un solide assemblage, tire son accroissement selon la force qui convient à chacune de ses parties, et s’édifie lui-même dans la charité. (Eph. 4, 14-16)
L’Esprit habite en plénitude dans le Christ, et il habite également l’Eglise, qui est le Corps du Christ : c’est au Christ, et non à l’Esprit, que les chrétiens, en tant que membres du Corps, sont identifiés par la grâce de Dieu. Il n’y a pas de corps de l’Esprit, même si le Christ vit dans son Eglise par l’action de l’Esprit, même si l’Esprit habite en nous. L’inhabitation de l’Esprit-Saint en nous est une doctrine constante chez Paul, et elle se trouve particulièrement exprimée dams la lettre aux Romains, au chapitre 8 :
Or ceux qui vivent selon la chair ne sauraient plaire à Dieu. Pour vous, vous ne vivez pas selon la chair, mais selon l’esprit, si du moins l’Esprit de Dieu habite en vous. Si quelqu’un n’a pas l’Esprit de Christ, il ne lui appartient pas. Et si Christ est en vous, le corps, il est vrai, est mort à cause du péché, mais l’esprit est vie à cause de la justice. Et si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Christ d’entre les morts rendra aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous. Ainsi donc, frères, nous ne sommes point redevables à la chair, pour vivre selon la chair. Si vous vivez selon la chair, vous mourrez ; mais si par l’Esprit vous faites mourir les actions du corps, vous vivrez (Ro. 8, 8-13).
Paul fait une distinction classique chez lui, celle de la chair et de l’esprit : la chair s’oppose à l’esprit et l’esprit s’oppose à la chair. La chair, c’est le monde humain marqué par le péché, soumis à la loi de la mort. L’esprit, c’est le monde divin dans lequel la nouvelle humanité se trouve assumée, le monde spirituel qui a été engendré dans la résurrection de Jésus. L’homme sous l’empire de la chair se cherche lui-même et ne trouve rien d’autre que la mort ; l’homme spirituel, porté par l’Esprit, est mené à la paix et à la vie. Laissés à nous-mêmes, nous ne pouvons que rester dans le péché, puisque nous sommes charnels, mais Dieu prend pitié de nous, il nous sauve dans son Fils Jésus. Il nous transfère du monde de la chair au monde de l’Esprit, il nous communique son Esprit qui vit réellement en nous : nous sommes de la famille de Dieu. Nous sommes chrétiens, ou plus exactement, nous le devenons, nous sommes en train de le devenir, puisque c’est actuellement que nous vivons le mystère de notre rédemption : nous sommes assimilés progressivement au Christ, qui prend de plus en plus possession de nous-mêmes. Nous vivons encore la vie terrestre, et, de ce fait, nous sommes marqués par le péché, nous sommes donc conduits nécessairement à la mort : tout ce qui est péché en nous doit être englouti dans la mort pour que puisse vivre l’homme nouveau, l’homme sous l’empire de l’Esprit. Mais déjà l’Esprit s’est emparé de nous et nous participons déjà à sa vie. En reprenant méthodiquement ce court texte, il serait possible de dire :

NOUS SOMMES DANS L’ESPRIT,

car l’Esprit de Dieu et le Christ sont en nous (v. 9)
puisque le Christ est en nous,
nous sommes morts au péché et vivants pour la justice (v. 10)
puisque l’Esprit est en nous,
nous recevrons la vie par cet Esprit (v. 11)
en conséquence, nous sommes débiteurs
non envers la chair, mais envers l’Esprit (vv. 12-13).
L’Esprit de Dieu est en nous, : celui qui appartient au Christ possède son Esprit et grâce à lui , il existe dans l’Esprit. Pour appartenir au Christ et le considérer comme Seigneur, il faut avoir l’Esprit, et, réciproquement, quiconque a l’Esprit appartient par le fait même au Seigneur Jésus Christ. Et puisque l’Esprit habite pleinement Jésus Christ, et que l’Eglise constitue le corps mystique du Seigneur, l’Esprit habite en nous, comme il habite en Jésus, le vrai Temple de Dieu. Mais avant que n’intervienne l’Esprit, l’homme habite dans le péché. Celui-ci domine toute l’existence de l’homme : l’homme vit alors selon la chair, cette demeure du péché, qui est l’anti-temple de Dieu. Mais l’installation de l’Esprit chasse le, péché qui n’exerce plus son influence dominatrice. Le chrétien est ainsi sauvé par l’Esprit qui le sanctifie et qui en fait son Temple. Et cela se fait dans l’identification au Christ, lui qui est à la fois mort et vivant. Crucifié, le Christ est mort au péché, sa chair semblable à la chair de péché a été détruite ; ressuscité, il vit dans la sainteté divine. L’identification de l’homme au Christ le place également dans ce double état : d’une part il est crucifié avec lui et donc il est mort au péché, et d’autre part il est vivant avec lui parce qu’il possède son Esprit, qui fait naître à la vie nouvelle de la justice, c’est-à-dire à la sainteté qui fait produire des oeuvres agréables à Dieu. Ce n’est donc plus le péché qui règne en l’homme pour le pousser au mal, mais e’est l’Esprit qui pousse l’homme vers une conduite juste et bonne. Le chrétien apparaît alors comme un homme nouveau qui vit de l’Esprit Saint, dès aujourd’hui mais bientôt pleinement. Comme la mort du Christ, la mort du chrétien est déjà transfigurée : elle semble être une fin et une destruction, alors qu’elle est en fait résurrection et vie nouvelle.
Ce que les chrétiens sont, ils le sont en devenir : ils sont en train de vivre le mystère de leur salut. Ce sont des hommes qui doivent assumer à chaque instant leur condition humaine, et, en tant que membres du Christ, ils deviennent chrétiens dans la mesure où ils meurent et ressuscitent à chaque instant avec le Christ. L’Esprit Saint leur est donné, mais encore faut-il qu’ils l’acceptent et lui permettent de les renouveler tous les jours à nouveau.
En somme, pour reprendre une autre idée de Paul, l’Esprit en nous constitue les arrhes de la promesse qui nous est faite de devenir enfants de Dieu, et même bien plus que des arrhes, un levain qui déjà nous constitue comme tels dans un corps nouveau, un corps pneumatique, spirituel. Nous participons à la vie de l’Esprit. Ce terme de participation a l’Esprit Saint traduit le terme grec de koinonia, qui indique un contact soit avec une personne soit avec des réalités : c’est la communauté. Nous sommes appelés à la communauté avec le Fils de Dieu, ainsi que l’indique la salutation de la première lettre aux Corinthiens :
Dieu est fidèle, lui qui vous a appelés à la communion de son Fils, Jésus-Christ notre Seigneur (1 Co. 1, 9).
Nous sommes appelés à communier à ses souffrances, comme le dit Paul dans sa lettre aux Philippiens, au chapitre 3 :
afin de connaître Christ, et la puissance de sa résurrection, et la communion de ses souffrances, en devenant conforme à lui dans sa mort (Phi. 3, 10).
Nous communions à son corps et à son sang lors de l’eucharistie, ainsi que Paul le rappelle dans sa première lettre aux Corinthiens, au chapitre 10 :
La coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas la communion au sang de Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas la communion au corps de Christ ? Puisqu’il y a un seul pain, nous qui sommes plusieurs, nous formons un seul corps ; car nous participons tous à un même pain (1 Co. 10, 16-17).
C’est de la même manière que Paul entrevoit la participation des chrétiens dans l’Esprit-Saint ; il salue les Corinthiens en ces termes, dans sa deuxième lettre aux Corinthiens, au chapitre 13 :
Que la grâce du Seigneur Jésus-Christ, l’amour de Dieu, et la communication du Saint-Esprit, soient avec vous tous ! (2 Co. 13, 13).
formule qui peut être d’origine liturgique, mais qui est la plus trinitaire de toutes les formules de salutation du Nouveau Testament, puisque le sens personnel de l’Esprit s’impose nettement, alors que très souvent l’Esprit est simplement considéré comme l’Esprit de Dieu ou l’Esprit de Jésus-Christ. Dans cette formule, l’amour est mis en rapport direct avec Dieu, qui est la source de tout amour, la grâce est mise en rapport avec le Christ qui en est l’origine avec le Père, ainsi que Paul l’annonçait au début de cette même lettre : l’Esprit, quant à lui, est mis en rapport avec la communion. Nous participons à l’Esprit et c’est lui qui nous procure tous les dons spirituels, la charité et tous les autres charismes. C’est a un état de vie complètement nouveau qu’est introduit le croyant, en vivant dans la communion de l’Esprit.

LES CHARISMES DANS LA VIE DE L’EGLISE
La naissance de l’Eglise, telle qu’elle est rapportée dans le livre des Actes des apôtres, s’est accompagnée de manifestations psychiques extraordinaires, et ce livre rapporte bien tout l’intérêt que l’on pouvait porter aux charismes, en tant qu’ils signalaient les origines du christianisme, même dans des groupes qui n’avaient pas encore entendu la prédication de l’Evangile, signe que l’Esprit précède les disciples dans leur travail d’évangélisation. Paul interprète ces charismes comme des manifestations de l’Esprit de Dieu ; en bon héritier de la tradition juive, il estime que la puissance de Dieu est toujours à l’œuvre dans le monde et qu’elle peut gouverner les phénomènes naturels aussi bien que l’existence des hommes. Progressivement, il en viendra à considérer cette puissance de l’Esprit, comme la manifestation d’une hypostase divine, distincte du Père et du Fils et qu’il nommera l’Esprit-Saint, avec une particulière affirmation dans le verset de conclusion de la deuxième lettre aux Corinthiens. Si les interventions divines ont été nombreuses dans les premiers temps du christianisme, c’est parce que l’on se trouvait à un moment crucial de l’histoire religieuse : Dieu lui-même inaugurait un nouveau plan de salut.
Les Thessaloniciens ne semblent pas avoir accordé une grande importance à ces manifestations extraordinaires de la puissance de Dieu, même s’ils ont pu être les témoins des phénomènes spirituels qui ont marqué certainement le passage de Paul, à tel point que celui-ci leur recommande dans sa première lettre aux Thessaloniciens, au chapitre 5 :
N’éteignez pas l’Esprit. Ne méprisez pas les prophéties. Mais examinez toutes choses ; retenez ce qui est bon ; abstenez-vous de toute espèce de mal. (1 Thes. 5, 19-22).
Peut-être faut-il comprendre la méfiance des Thessaloniciens à l’égard des charismes, à partir de cette phrase de Paul, dans sa deuxième lettre aux Thessaloniciens, au chapitre 2 :
Pour ce qui concerne l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ et notre réunion avec lui, nous vous prions, frères, de ne pas vous laisser facilement ébranler dans votre bon sens, et de ne pas vous laisser troubler, soit par quelque inspiration, soit par quelque parole, ou par quelque lettre qu’on dirait venir de nous, comme si le jour du Seigneur était déjà là. (2 Thes. 2, 1-2).
Les Thessaloniciens devaient être quelque peu alarmés, car des rumeurs diverses couraient sur l’imminence de la parousie, du retour du Seigneur ; et les nouvelles paraissent fondées puisqu’elles trouvent leur origine dans des paroles prophétiques que Paul aurait prononcées… Aussi certains chrétiens commencent à déserter leurs occupations quotidiennes, leur travail, pour se préparer à la parousie. La méfiance viendrait donc de la non-réalisation des paroles dites sous l’inspiration de l’Esprit : tout ce qui doit troubler inutilement les cœurs est à éviter sinon à proscrire.
En revanche, la lettre aux Galates et la première lettre aux Corinthiens fournissent de nombreux renseignements sur les dons de l’Esprit au passage de l’apôtre. Les Galates ont commencé leur vie chrétienne en recevant à profusion les dons de l’Esprit, en faisant des expériences spirituelles extraordinaires ; c’est leur oubli de leurs origines chrétiennes que Paul réprimande vivement :
O Galates, dépourvus de sens ! qui vous a fascinés, vous, aux yeux de qui Jésus-Christ a été peint comme crucifié ? Voici seulement ce que je veux apprendre de vous : Est-ce par les oeuvres de la loi que vous avez reçu l’Esprit, ou par la prédication de la foi ? Etes-vous tellement dépourvus de sens ? Après avoir commencé par l’Esprit, voulez-vous maintenant finir par la chair ? Avez-vous tant souffert en vain ? si toutefois c’est en vain. Celui qui vous accorde l’Esprit, et qui opère des miracles parmi vous, le fait-il donc par les oeuvres de la loi, ou par la prédication de la foi ? (Gal. 3, 1-5).
Aux Corinthiens, Paul rappelle les commencements de sa prédication. parmi eux : il leur a annoncé Jésus-Christ crucifié, et cela dans une démonstration de la puissance de l’Esprit :
Pour moi, frères, lorsque je suis allé chez vous, ce n’est pas avec une supériorité de langage ou de sagesse que je suis allé vous annoncer le témoignage de Dieu. Car je n’ai pas eu la pensée de savoir parmi vous autre chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. Moi-même j’étais auprès de vous dans un état de faiblesse, de crainte, et de grand tremblement ; et ma parole et ma prédication ne reposaient pas sur les discours persuasifs de la sagesse, mais sur une démonstration d’Esprit et de puissance, afin que votre foi fût fondée, non sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu. (1 Co. 2, 1-5).
Alors que ces phénomènes extraordinaires des interventions divines ne caractérisent guère la religion juive, qui est essentiellement légaliste, dans laquelle la tradition et l’écrit font la loi, le christianisme sera une religion fondée sur les interventions de l’Esprit. La foi en la résurrection de Jésus Christ est elle-même basée sur les apparitions qui sont des phénomènes d’ordre prophétique et spirituel. De plus, les preuves que le christianisme naissant tire de l’Ecriture proviennent d’une lecture des livres saints à la lumière de l’Esprit.
C’est également dans sa première lettre aux Corinthiens que Paul est le plus explicite, en ce qui concerne les dons de l’Esprit. Tout d’abord, il insiste sur le fait que les dons de l’Esprit font des fidèles du Christ des « spirituels » ou encore des « pneumatiques », qui sont marqués par des dons différents même si c’est le même Esprit qui agit. Ces phénomènes sont appelés « charismes », ou plus simplement « dons », parce qu’ils sont accordés simplement sous l’effet de la seule grâce de Dieu. Mais Paul parle aussi de « modes d’action », du fait même que c’est Dieu qui agit avec puissance dans ses fidèles, par l’Esprit. Et, au milieu de tous ces dons Paul insiste d’une manière particulière sur ces dons spirituels efficaces que sont les ministères, qui mettent les fidèles au service des autres fidèles, en vue du bien de tous.
Pour ce qui concerne les dons spirituels, je ne veux pas, frères, que vous soyez dans l’ignorance. Vous savez que, lorsque vous étiez païens, vous vous laissiez entraîner vers les idoles muettes, selon que vous étiez conduits. C’est pourquoi je vous déclare que nul, s’il parle par l’Esprit de Dieu, ne dit : Jésus est anathème ! et que nul ne peut dire : Jésus est le Seigneur! si ce n’est par le Saint-Esprit. Il y a diversité de dons, mais le même Esprit ; diversité de ministères, mais le même Seigneur ; diversité d’opérations, mais le même Dieu qui opère tout en tous. Or, à chacun la manifestation de l’Esprit est donnée pour l’utilité commune. En effet, à l’un est donnée par l’Esprit une parole de sagesse ; à un autre, une parole de connaissance, selon le même Esprit ; à un autre, la foi, par le même Esprit ; à un autre, le don des guérisons, par le même Esprit ; à un autre, le don d’opérer des miracles ; à un autre, la prophétie ; à un autre, le discernement des esprits ; à un autre, la diversité des langues ; à un autre, l’interprétation des langues. Un seul et même Esprit opère toutes ces choses, les distribuant à chacun en particulier comme il veut. (1 Co. 12, 1-11).
Au chapitre 14, comme au chapitre 12 de cette lettre, un certain accent est mis sur le dom des langues, la glossolalie : c’est un caractère étrange qui s’est déjà manifesté à la Pentecôte. On a l’impression que le chrétien qui parle en langues s’adresse à Dieu pour prier : les mots prononcés son incompréhensibles, le discours n’a pas de signification déterminée. C’est ce qui donne à ce phénomène son caractère mystérieux : pourtant, saint Paul n’a pas l’air de mettre en doute le fait que ces paroles soient de véritables vocables. Mais un nouveau don se fait nécessairement jour, c’est celui de traducteur en langue normale de ce que les « glossolales » expriment d’une manière incompréhensible pour la plupart des fidèles. La glossolalie apparaît alors simplement comme une émotion de caractère extatique.
Recherchez la charité. Aspirez aussi aux dons spirituels, mais surtout à celui de prophétie. En effet, celui qui parle en langue ne parle pas aux hommes, mais à Dieu, car personne ne le comprend, et c’est en esprit qu’il dit des mystères. Celui qui prophétise, au contraire, parle aux hommes, les édifie, les exhorte, les console. Celui qui parle en langue s’édifie lui-même; celui qui prophétise édifie l’Église. Je désire que vous parliez tous en langues, mais encore plus que vous prophétisiez. Celui qui prophétise est plus grand que celui qui parle en langues, à moins que ce dernier n’interprète, pour que l’Église en reçoive de l’édification. Et maintenant, frères, de quelle utilité vous serais-je, si je venais à vous parlant en langues, et si je ne vous parlais pas par révélation, ou par connaissance, ou par prophétie, ou par doctrine ? Si les objets inanimés qui rendent un son, comme une flûte ou une harpe, ne rendent pas des sons distincts, comment reconnaîtra-t-on ce qui est joué sur la flûte ou sur la harpe ? Et si la trompette rend un son confus, qui se préparera au combat ? De même vous, si par la langue vous ne donnez pas une parole distincte, comment saura-t-on ce que vous dites ? Car vous parlerez en l’air. Quelque nombreuses que puissent être dans le monde les diverses langues, il n’en est aucune qui ne soit une langue intelligible ; si donc je ne connais pas le sens de la langue, je serai un barbare pour celui qui parle, et celui qui parle sera un barbare pour moi. De même vous, puisque vous aspirez aux dons spirituels, que ce soit pour l’édification de l’Église que vous cherchiez à en posséder abondamment. C’est pourquoi, que celui qui parle en langue prie pour avoir le don d’interpréter. Car si je prie en langue, mon esprit est en prière, mais mon intelligence demeure stérile. Que faire donc ? Je prierai par l’esprit, mais je prierai aussi avec l’intelligence ; je chanterai par l’esprit, mais je chanterai aussi avec l’intelligence. Autrement, si tu rends grâces par l’esprit, comment celui qui est dans les rangs de l’homme du peuple répondra-t-il : Amen ! à ton action de grâces, puisqu’il ne sait pas ce que tu dis ? Tu rends, il est vrai, d’excellentes actions de grâces, mais l’autre n’est pas édifié. Je rends grâces à Dieu de ce que je parle en langue plus que vous tous ; mais, dans l’Église, j’aime mieux dire cinq paroles avec mon intelligence, afin d’instruire aussi les autres, que dix mille paroles en langue. Frères, ne soyez pas des enfants sous le rapport du jugement ; mais pour la malice, soyez enfants, et, à l’égard du jugement, soyez des hommes faits. Il est écrit dans la loi : C’est par des hommes d’une autre langue et par des lèvres d’étrangers que je parlerai à ce peuple, et ils ne m’écouteront pas même ainsi, dit le Seigneur. Par conséquent, les langues sont un signe, non pour les croyants, mais pour les non-croyants ; la prophétie, au contraire, est un signe, non pour les non-croyants, mais pour les croyants. Si donc, dans une assemblée de l’Église entière, tous parlent en langues, et qu’il survienne des hommes du peuple ou des non-croyants, ne diront-ils pas que vous êtes fous ? Mais si tous prophétisent, et qu’il survienne quelque non-croyant ou un homme du peuple, il est convaincu par tous, il est jugé par tous, les secrets de son cœur sont dévoilés, de telle sorte que, tombant sur sa face, il adorera Dieu, et publiera que Dieu est réellement au milieu de vous (1 Co. 14, 1-25).
Paul oppose alors prier en esprit, c’est-à-dire dans un état d’extase, et prier avec son intelligence, même si l’apôtre ne manifeste aucun mépris du don de la glossolalie, puisque lui-même le possède à un degré supérieur même s’il évite de l’utiliser, notamment dans les assemblées liturgiques, puisque personne ne peut donner son assentiment à ce qu’il ne comprend pas il préfère dire quelques paroles compréhensibles par tous que des milliers qui ne soient pas compréhensibles par les fidèles. De la sorte, Paul ne pense certainement pas que la glossolalie soit un phénomène susceptible de caractériser l’universalité du christianisme, comme pouvant s’exprimer ainsi dans toutes les langues du monde ; il accepte simplement ce phénomène, mais en dissuadant quand même les Corinthiens de traiter ce don comme une performance à réaliser d’une manière quelque peu sportive…

La suite de ce chapitre 14 de la première lettre aux Corinthiens permet de se représenter assez concrètement une séance de prophétie dans la communauté de Corinthe. Les chrétiens sont rassemblés, sans doute à la suite de la célébration de la Cène. Quand tout se passe dans l’ordre, comme Paul le souhaite vivement, les fidèles se contentent d’entendre deux ou trois prophètes : les charismatiques parlent séparément, l’un après l’autre, afin que tout le monde soit instruit et encouragé. Et même si quelqu’un se trouve inspiré à un moment ou à un autre, il convient qu’il se taise, car il est maître de l’esprit prophétique qui peut l’animer :

Que faire donc, frères ? Lorsque vous vous assemblez, les uns ou les autres parmi vous ont-ils un cantique, une instruction, une révélation, une langue, une interprétation, que tout se fasse pour l’édification. En est-il qui parlent en langue, que deux ou trois au plus parlent, chacun à son tour, et que quelqu’un interprète ; s’il n’y a point d’interprète, qu’on se taise dans l’Église, et qu’on parle à soi-même et à Dieu. Pour ce qui est des prophètes, que deux ou trois parlent, et que les autres jugent ; et si un autre qui est assis a une révélation, que le premier se taise. Car vous pouvez tous prophétiser successivement, afin que tous soient instruits et que tous soient exhortés. Les esprits des prophètes sont soumis aux prophètes; car Dieu n’est pas un Dieu de désordre, mais de paix. Comme dans toutes les Églises des saints, que les femmes se taisent dans les assemblées, car il ne leur est pas permis d’y parler ; mais qu’elles soient soumises, selon que le dit aussi la loi. Si elles veulent s’instruire sur quelque chose, qu’elles interrogent leurs maris à la maison ; car il est malséant à une femme de parler dans l’Église. Est-ce de chez vous que la parole de Dieu est sortie ? ou est-ce à vous seuls qu’elle est parvenue ? Si quelqu’un croit être prophète ou inspiré, qu’il reconnaisse que ce que je vous écris est un commandement du Seigneur. Et si quelqu’un l’ignore, qu’il l’ignore. Ainsi donc, frères, aspirez au don de prophétie, et n’empêchez pas de parler en langues. Mais que tout se fasse avec bienséance et avec ordre. (1 Co. 14, 26-40).
Mais, d’après les recommandations de l’apôtre, il semble bien que tout ne soit pas aussi ordonné dans la communauté de Corinthe : glossolales et prophètes veulent tous parler ensemble ! et même des femmes prient en langues et prophétisent, ce qui apparaît comme contradictoire avec la bienséance…
A Corinthe également, les chrétiens se prenaient pour des spirituels au plus haut degré, possédant une connaissance d’ordre religieux qui les placerait volontiers au-dessus des autres. Ainsi, les charismatiques de Corinthe s’estimaient supérieurs aux autres frères, en méprisant par exemple leurs scrupules à consommer des viandes consacrées aux idoles. Paul les invite à une plus grande modestie, même s’il les considère comme des forts, et il leur recommande de vivre la grande dimension de l’amour :
Pour ce qui concerne les viandes sacrifiées aux idoles, nous savons que nous avons tous la connaissance. – La connaissance enfle, mais la charité édifie. Si quelqu’un croit savoir quelque chose, il n’a pas encore connu comme il faut connaître. Mais si quelqu’un aime Dieu, celui-là est connu de lui. – Pour ce qui est donc de manger des viandes sacrifiées aux idoles, nous savons qu’il n’y a point d’idole dans le monde, et qu’il n’y a qu’un seul Dieu. Car, s’il est des êtres qui sont appelés dieux, soit dans le ciel, soit sur la terre, comme il existe réellement plusieurs dieux et plusieurs seigneurs, néanmoins pour nous il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui viennent toutes choses et pour qui nous sommes, et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui sont toutes choses et par qui nous sommes. Mais cette connaissance n’est pas chez tous. Quelques-uns, d’après la manière dont ils envisagent encore l’idole, mangent de ces viandes comme étant sacrifiées aux idoles, et leur conscience, qui est faible, en est souillée. Ce n’est pas un aliment qui nous rapproche de Dieu: si nous en mangeons, nous n’avons rien de plus ; si nous n’en mangeons pas, nous n’avons rien de moins. Prenez garde, toutefois, que votre liberté ne devienne une pierre d’achoppement pour les faibles. Car, si quelqu’un te voit, toi qui as de la connaissance, assis à table dans un temple d’idoles, sa conscience, à lui qui est faible, ne le portera-t-elle pas à manger des viandes sacrifiées aux idoles ? Et ainsi le faible périra par ta connaissance, le frère pour lequel Christ est mort ! En péchant de la sorte contre les frères, et en blessant leur conscience faible, vous péchez contre Christ. C’est pourquoi, si un aliment scandalise mon frère, je ne mangerai jamais de viande, afin de ne pas scandaliser mon frère. (1 Co. 8, 1-13).
Mais, dans la communauté corinthienne, comme dans d’autres églises fondées par Paul dans le monde païen, les survivances du paganisme sont encore très fortes, et les prophètes eux-mêmes semblent parfois appartenir à un passé païen. A côté, et même à l’intérieur de l’authentique prophétisme chrétien, subsiste un prophétisme païen : certains esprits sont encore en relation avec l’idolâtrie. Et il se peut que les manifestations prophétiques à Corinthe aient revêtu l’aspect des phénomènes du culte dionysiaque. C’est pourquoi Paul essaye par tous les moyens de faire cesser toutes les survivances du passé, en soulignant que les prophètes eux-mêmes ne doivent jamais perdre le contrôle de leurs paroles et de leurs actes. Si Dieu invite ses prophètes à l’obéissance, il ne supprime jamais leurs réactions ni même leurs résistances purement humaines, comme ce fut le cas pour Moïse ou pour Jérémie, dans l’Ancien Testament.
Au chapitre 12 de sa première lettre aux Corinthiens, Paul établit une sorte de hiérarchie dans les charismes qui sont donnés aux membres de l’Eglise, en vue du bien de tous et pour l’édification du Corps du Christ. Si les Corinthiens avaient une certaine tendance à voir dans la glossolalie la manifestation suprême de l’Esprit, Paul les convainc que tout doit être ordonné en vue du bien de tous, dans l’ensemble du corps, dont il vient de donner la comparaison, au chapitre 12. Les manifestations, même les plus extraordinaires ne sont rien si elles ne servent pas a construire, à édifier. Aussi faut-il d’abord quelqu’un qui soit capable d’interpréter les paroles qui sont dites en langues, sinon il vaut mieux se taire. Mais il n’est nullement question d’empêcher l’Esprit de parler, même de façon curieuse ou inaccoutumée. Toutefois, Paul ne cesse d’affirmer que le véritable Esprit est donné en vue du bien commun ; et, certains membres de la communauté en sont les garants à commencer par les apôtres, puis les prophètes et les docteurs. C’est ainsi que s’élabore textuellement un ordre déjà reconnu dans l’Eglise naissante :
Ceux que Dieu a établis dans l’Eglise sont premièrement les apôtres, deuxièmement les prophètes, troisièmement les docteurs… Puis il y a les miracles, puis les dons de guérisons, d’assistance, de gouvernement, les diversités de langues. Tous sont-ils apôtres ? Tous prophètes ? Tous docteurs ? Tous font-ils des miracles ? Tous ont-ils des dons de guérisons ? Tous parlent-ils en langues ? Tous interprètent-ils ? Aspirez aux dons supérieurs. Et je vais encore vous montrer une voie qui les dépasse toutes. (1 Co. 12, 28-33)
Il faut remarquer que Paul place au premier rang des charismes ce que nous appelons aujourd’hui les fonctions ou les ministères, ce qui exclut toute tentative de séparer une Eglise charismatique et une Eglise hiérarchique : ceux qui exercent les plus hautes fonctions dans l’Eglise sont précisément ceux qui ont reçu les charismes les plus importants. Les apôtres, à côté des prophètes, tels qu’ils sont présentés dans cette lettre, jouent le rôle des grands prophètes de l’Ancien Testament, qui furent des prophètes de vocation, et c’est sans doute la raison pour laquelle Paul interprète très souvent sa vocation personnelle dans un sens prophétique : il a reçu, comme les grands prophètes, un message, qu’il lui revient de communiquer et de transmettre. Les apôtres, comme les grands prophètes, parlent au nom de Dieu, ils agissent et s’expriment dans la lumière de l’Esprit. Mais le message apostolique n’apparaît pas comme quelque chose de radicalement nouveau, il ne fait que répéter le message de Jésus-Christ, tout en étant un message de Dieu pour aujourd’hui : l’apostolat, placé ainsi en première place, manifeste que même les prophètes sont soumis aux apôtres. Les charismatiques doivent, selon Paul, reconnaître le bien-fondé des mesures disciplinaires imposées par les apôtres, car le même Esprit qui anime les charismatiques anime également l’apôtre, lui, le fondateur et le chef des Eglises.

LA VOIE LA MEILLEURE
La manière dont Paul analyse les charismes dans sa première lettre aux Corinthiens apparaît comme le fruit d’une sérieuse controverse, et Paul en rabaisse l’importance en raison de la manière dont les Corinthiens considéraient ces charismes. Ils voyaient dams ces dons leur épanouissement définitif et leur accès au monde du divin. Et c’est pour cette raison que Paul est amené à insister sur leur aspect transitoire. Même si ces charismes enrichissent la vie humaine présente, notamment dans le domaine de l’intelligence, ils n’en sont pas moins proportionnés à la vie présente, car ils ne sont absolument pas l’achèvement qui est promis dans la résurrection du Christ. D’une part, il faut reconnaître qu’ils atteignent le niveau des réalités divines et éternelles, mais ils sont aussi des éléments de la vie quotidienne. C’est dans un tel contexte que Paul place la grande hymne à la charité, à l’amour fraternel :
Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, je ne suis plus qu’airain qui sonne ou cymbale qui retentit. Quand j’aurais le don de prophétie et que je connaîtrais tous les mystères et toute la science, quand j’aurais la plénitude de la foi, une foi à transporter des montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. Quand je distribuerais tous mes biens en aumônes, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien. La charité est longanime ; la charité est serviable ; elle n’est pas envieuse ; la charité ne fanfaronne pas, ne se gonfle pas ; elle ne fait rien d’inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne s’irrite pas, ne tient pas compte du mal ; elle ne se réjouit pas de l’injustice, mais elle met sa joie dans la vérité. Elle excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout. La charité ne passe jamais. Les prophéties ? Elles disparaîtront. Les langues ? Elles se tairont. La science ? Elle disparaîtra. Car partielle est notre science, partielle aussi notre prophétie. Mais quand viendra ce qui est parfait, ce qui est partiel disparaîtra. Lorsque j’étais enfant, je parlais en enfant, je pensais en enfant, je raisonnais en enfant ; une fois devenu homme, j’ai fait disparaître ce qui était de l’enfant. Car nous voyons, à présent, dans un miroir, en énigme, mais alors ce sera face à face. A présent, je connais d’une manière partielle; mais alors je connaîtrai comme je suis connu. Maintenant donc demeurent foi, espérance, charité, ces trois choses, mais la plus grande d’entre elles, c’est la charité. (1 Co.13, 1-13).
Paul veut affirmer la voie chrétienne par excellence : c’est l’amour. Les charismes les plus extraordinaires, si appréciés des Corinthiens, qui semblent ainsi en être restés à un stade infantile, ne sont que pure ostentation s’ils ne sont pas rythmés par l’amour. Celui-ci peut prendre alors le contre-pied de toutes les rivalités que l’apôtre constate dans la communauté. Enfin, l’amour n’est pas caduc : les charismes disparaîtront au retour du Seigneur, mais l’amour demeurera.
L’hymne commence par l’affirmation de la valeur et de la nécessité absolument uniques de l’amour (vv. 1-3), et il se termine par l’affirmation de sa perfection et de son éternité (vv. 8-13). Mais c’est sans conteste la partie centrale qui est la plus intéressante, en ce sens qu’elle définit l’amour, d’abord en ce qu’il fait (deux descriptions positives), puis en ce qu’il ne fait pas (huit descriptions négatives), et enfin en ce qu’il fait (cinq descriptions positives) :

St Augustin lit et commente St Jean : 3° Le désir et la liberté (ceci sur saint Paul)

26 septembre, 2012

http://peresdeleglise.free.fr/Augustin/desir2.htm

St Augustin lit et commente St Jean

3° Le désir et la liberté

Une question régulièrement posée : l’homme est-il vraiment libre ? Peut-il faire le bien s’il en a la volonté ?
« Quand je veux faire le bien, c’est le mal qui se présente à moi. Car je me complais dans la loi de Dieu du point de vue de l’homme intérieur ; mais j’aperçois une autre loi dans mes membres qui lutte contre la loi de ma raison et m’enchaîne à la loi du péché qui est dans mes membres. » (Rm 7, 21-23)
Contre Pélage qui affirme : « Dieu accorde toutes les grâces à qui aura été digne de les recevoir, comme il les a accordées à l’apôtre Paul » (Actes du procès), Augustin répond :
« la grâce est accordée à des personnes indignes… »
« la grâce est ainsi dénommée parce qu’elle est accordée gracieusement » (De gestis Pelagii, XIV, 33, BA t. 21, p. 511).
« C’est pourquoi, ô bienheureux Paul, illustre prédicateur de la grâce, je parlerai et je parlerai sans crainte – qui pourrait le moins du monde se fâcher contre moi quand je dis des choses que tu as dites pour qu’on les redise et que tu as enseignées pour qu’on en instruise les autres ? Je parlerai, dis-je, et parlerai sans crainte : oui, la couronne qui te revient est due à tes mérites, mais tes mérites sont des dons de Dieu. » (De gestis Pelagii, XIV, 35, p. 515).
« … pour aller vers le péché, le libre arbitre suffit, avec lequel il s’est gâté lui-même ; au contraire, pour revenir vers la justice, il lui faut un médecin car il est malade ; il lui faut celui qui vivifie, car il est mort. De cette grâce, notre auteur ne dit absolument rien, comme si le pécheur pouvait se guérir par sa seule volonté, puisque, à elle seule, elle a pu le corrompre. Nous ne lui disons pas « que la mort du corps contribue au péché », car elle est seulement un châtiment (personne, en effet, ne pèche par la mort de son corps) ; mais c’est la mort de l’âme qui contribue au péché quand sa véritable vie, c’est-à-dire Dieu, l’a abandonnée et qu’elle accomplit nécessairement des oeuvres de mort, jusqu’à ce que, par la grâce du Christ, elle retrouve la vie. (De Natura et Gratia, XXIII, 25, p. 291).
« Dieu nous guérit non seulement pour effacer le mal par nous commis, mais pour nous fournir encore le moyen de ne plus pécher. »(Id. XXVI, 29, p. 299)
Qu’en est-il de la liberté de l’homme, si la Grâce intervient ? En fait la Grâce guérit la volonté et lui permet d’aimer librement le Bien. L’homme doit accorder son consentement à l’action de la Grâce.
« Les hommes sont agis par l’Esprit de Dieu afin d’agir comme ils doivent agir et lorsqu’ils ont agi, qu’ils rendent grâce à Celui par qui ils sont agis. Ils sont agis pour qu’ils agissent, non pour qu’eux-mêmes n’agissent en rien. » (De Correptione et gratia, II, 4)
C’est dans le péché seulement que le libre-arbitre et la Grâce se font concurrence et se présentent comme opposés. Le choix de l’homme n’est libre que s’il est libéré (action de la Grâce).
La délectation de Dieu l’emporte sur tout autre : c’est la « delectatio victrix », la « délectation victorieuse » : elle rétablit la volonté dans son ordination.
Dieu attire l’homme : est-ce à dire qu’il l’attire selon une attraction où la volonté et la passion de l’homme n’auraient pas de part ? L’homme séduit par Dieu, tend vers lui de toutes ses forces, de tout son désir : il est attiré par la volonté, mais surtout par la volupté.
« De là, si tu reviens à cette parole : Personne ne vient à moi si le Père ne le tire, ne va pas t’imaginer que tu es tiré malgré toi : l’âme est tirée aussi par l’amour. Et nous ne devons pas craindre de nous entendre reprocher ce mot des saintes Ecritures, qui se trouve dans l’Evangile, par ceux qui pèsent attentivement les mots, mais sont loin de comprendre les réalités, surtout les réalités divines, nous n’avons pas à craindre qu’on nous dise : Comment puis-je croire volontairement si je suis tiré ?
J’affirme : c’est peu que tu sois tiré par ta volonté, tu l’es encore par la volupté. Que veut dire : être tiré par la volupté ? Mets tes délices dans le Seigneur, et il t’accordera les demandes de ton coeur. Il existe une volupté du coeur pour celui qui goûte la douceur de ce pain du ciel. Or, si le poète a pu dire : Chacun est tiré par sa volupté, non par la nécessité, mais par la volupté, non par obligation, mais par délectation, combien plus fortement devons-nous dire, nous, qu’est tiré vers le Christ l’homme qui trouve ses délices dans la Vérité, qui trouve ses délices dans la Béatitude, qui trouve ses délices dans la Justice, qui trouve ses délices dans la Vie éternelle, car tout cela, c’est le Christ ! Ou bien dira-t-on que les sens corporels ont leurs voluptés et que l’âme est privée de ses voluptés ? Si l’âme n’a pas ses voluptés, comment est-il dit : Les fils des hommes espéreront sous le couvert de tes ailes, ils seront enivrés de l’abondance de ta maison, tu les abreuveras au torrent de tes voluptés, parce qu’auprès de toi est la source de la vie et que dans ta lumière nous verrons la lumière ?
Donne-moi quelqu’un qui aime, et il sentira la vérité de ce que je dis. Donne-moi un homme tourmenté par le désir, donne-moi un homme passionné, donne-moi un homme en marche dans ce désert et qui a soif, qui soupire après la source de l’éternelle patrie, donne-moi un tel homme, il saura ce que je veux dire. Mais si je parle à un indifférent, qu’est-ce que je dis ? Tels étaient ceux qui murmuraient entre eux. Celui, dit-il, que le Père a tiré vient à moi. » (Homélies sur St Jean, Tract. XXVI, 4)

Conclusion :
Le désir : à la fois à la source de toute la vie de l’homme : ce qui le pousse à chercher le bonheur, à se tromper même en croyant le trouver dans les créatures et non dans le Créateur, ce qui le pousse donc au péché. Mais le désir est aussi ce qui tourne l’homme vers Dieu, quand il découvre que Dieu l’a aimé le premier, quand il comprend que c’est en élargissant son cœur par le désir qu’il sera comblé par Dieu. Le désir est enfin le lieu où se manifeste la liberté de l’homme guéri par la grâce et attiré par Dieu (par la volonté et par la volupté).

DEUXIEME LECTURE – Ephésiens 1, 3 – 14 – commentaires de Marie Noëlle Thabut

13 juillet, 2012

http://www.eglise.catholique.fr/foi-et-vie-chretienne/commentaires-de-marie-noelle-thabut.html

Dimanche 15 juillet: commentaires de Marie Noëlle Thabut

DEUXIEME LECTURE – Ephésiens 1, 3 – 14

Voilà peut-être la plus belle prédication de l’histoire chrétienne ! On pourrait l’appeler « L’hymne de jubilation » de Paul : dans le texte grec, ces douze versets ne forment qu’une seule phrase d’action de grâce ; Paul y déploie la grande fresque du projet de Dieu, et il nous invite à nous associer à sa contemplation émerveillée. Ce projet que nous avons pris l’habitude (avec la traduction oecuménique TOB) d’appeler « le dessein bienveillant de Dieu » est de rassembler l’humanité au point de ne faire qu’un seul Homme en Jésus-Christ, à la tête de la création tout entière : « Dans sa bienveillance, Dieu projetait de saisir l’univers entier, ce qui est au ciel et ce qui est sur la terre, en réunissant tout sous un seul chef, le Christ. » (v. 9-10).
Première bonne nouvelle, Dieu a un projet sur nous et sur l’ensemble de la création ; l’histoire humaine a donc un sens, ce qui veut dire à la fois direction et signification ; pour les croyants, les années ne se succèdent pas toutes pareilles, notre histoire avance vers son accomplissement : nous allons, comme dit Paul, vers « le moment où les temps seront accomplis » (v. 9). Ce projet, nous ne l’aurions pas deviné tout seuls, c’est un « mystère » pour nous, car il nous dépasse infiniment, alors Dieu nous le révèle : « Dieu nous a remplis de sagesse et d’intelligence en nous dévoilant le mystère de sa volonté ». Dans le vocabulaire de Paul, un mystère n’est pas un secret que Dieu garderait jalousement pour lui ; au contraire, c’est son intimité à laquelle il nous convie. Il nous fait découvrir une autre sagesse, une autre intelligence que les nôtres : comme dit Paul, « Dieu nous a remplis de sagesse et d’intelligence » (v.8), sous-entendu sa sagesse à lui, son intelligence à lui.
Deuxième bonne nouvelle, cette volonté de Dieu n’est qu’amour : les mots « bénédiction, amour, grâce, bienveillance » parsèment le texte ; c’est également le sens de l’expression « à la louange de sa gloire » qui revient trois fois comme un refrain (v. 6, 12, 14). En réalité, la première fois, il faudrait traduire « à la louange de la gloire de sa grâce » : c’est-à-dire pour que Dieu soit reconnu comme le Dieu de la grâce, ce qui veut dire « le Dieu dont l’amour est gratuit ». Déjà, le prophète Jérémie savait dire que « les projets de Dieu ne sont que des projets de paix et non de malheur » (Jr 29, 11) ; depuis la venue du Christ, nous savons mieux encore ce qu’est la volonté de Dieu : le Dieu qui n’est qu’amour (la communion trinitaire structure le texte) veut nous faire entrer dans son intimité : ce qui veut dire que nous pouvons toujours, en toutes circonstances, souhaiter « que sa volonté soit faite » : parce qu’elle n’est que bonne!
Troisième insistance de ce texte : ce projet de Dieu s’accomplit à travers le Christ ; celui-ci est cité de nombreuses fois dans ces quelques lignes : tout advient « par lui, avec lui, et en lui », comme dit la liturgie : « Dieu nous a d’avance destinés à devenir pour lui des fils par Jésus Christ. » (v. 5). Au vrai sens du terme, le centre du monde, le centre de l’histoire humaine (l’alpha et l’oméga), c’est Jésus-Christ. Lui, le « Fils bien-aimé » en qui nous sommes « comblés de la grâce du Père » (v. 6), lui en qui nous serons tous réunis quand « les temps seront accomplis » (v. 9), lui en qui nous avons écouté cette Bonne Nouvelle (v. 13), lui par qui nous avons reçu « la marque de l’Esprit Saint » (v. 13). De toute évidence, ce rôle prééminent du Christ était prévu de toute éternité, dès « avant la création du monde » (v. 4). Le « mystère de sa volonté, ce que Dieu prévoyait dans le Christ pour le moment où les temps seraient accomplis… c’était de saisir l’univers entier… » Paul parle pourtant bien de « rédemption » au sens de libération (v. 7), mais le projet de la rédemption est second ; Dieu a de toute éternité projeté de faire de nous ses fils, et c’est seulement parce que nous manquons sans cesse le but que nous avons besoin d’être sauvés.
Providentiellement, la liturgie de ce dimanche nous fait chanter le psaume 84/85 qui est une variation sur le même thème ; et c’est peut-être bien le meilleur écho à la méditation de Paul : « J’écoute : que dira le SEIGNEUR Dieu ? Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple. Son salut est proche de ceux qui le craignent, et la gloire habitera notre terre. Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent ; la vérité germera de la terre et du ciel se penchera la justice. Le SEIGNEUR donnera ses bienfaits, et notre terre donnera son fruit. La justice marchera devant lui, et ses pas traceront le chemin. »
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Compléments

– Une toute petite note pour ceux qui s’intéressent à l’histoire des textes : Paul connaissait bien la communauté d’Ephèse où il a séjourné deux ou trois ans : or, curieusement, on ne trouve dans la Lettre aux Ephésiens aucune allusion à des relations personnelles de l’auteur avec les destinataires ; par ailleurs, les thèmes abordés et le style employé témoignent d’une nette évolution par rapport aux écrits antérieurs de l’apôtre ; tout cela pousse certains spécialistes à penser que la lettre aux Ephésiens serait l’oeuvre non de Paul mais d’un de ses très proches disciples qui aurait rassemblé la pensée de son maître peu après sa mort, donc dans les années 70.
– Sur l’emploi des pronoms « nous » et « vous » dans les versets 13 et 14, voir le commentaire de la lettre aux Ephésiens pour le seizième dimanche, infra page 000.

La vie selon l’Esprit à la lumière des épîtres de Paul

24 mai, 2012

http://www.spiritains.org/pub/esprit/archives/art2281.htm

Parole de Dieu

La vie selon l’Esprit à la lumière des épîtres de Paul

P. Elvis Elengabeka, spiritain
Bibliste et théologien au Cameroun

Il semble naturel que l’orientation d’un propos soit déterminée par les conditions dans lesquelles on le formule. Celui que nous tenons ici s’inscrit dans le cadre de la dernière livraison de la revue Esprit Saint, qui advient au cours de l’année jubilaire dédicacée à saint Paul. Ces circonstances ouvrent une double perspective à notre méditation. D’une part, le jubilé paulinien inspire naturellement de se pencher sur les lettres attribuées à l’apôtre en question ; d’autre part, le fait qu’il s’agisse d’une parution finale suggère d’être synthétique. Aussi, au lieu de parcourir la totalité des écrits de Paul, nous nous limitons au commentaire de quelques extraits de ces grandes épîtres – celles adressées aux Romains, aux Corinthiens et aux Galates – pour envisager l’Esprit Saint dans l’existence humaine, dans l’expérience ecclésiale et dans sa nature divine. Au-delà d’un tête à tête, cette démarche se voudrait un cœur à cœur avec les passages bibliques. D’où l’absence des notes de bas de pages, qui témoigne de notre volonté à donner la parole uniquement aux textes.

L’Esprit Saint dans l’existence humaine
En Rm 8, 15, il est écrit :  » vous n’avez pas reçu un esprit qui vous rende esclaves et vous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs et par lequel nous crions: Abba, Père « .
Ce verset attire l’attention du lecteur par son rythme. Il s’organise manifestement en deux mouvements. Le premier se caractérise par une tonalité négative, alors que le second se distingue par son orientation plutôt positive. Pour commenter cette construction, on pourrait simplement souligner les ressemblances et les différences entre les deux séquences du verset.
Dans le texte original, l’auteur de la lettre emploie le verbe recevoir pour indiquer le lien qui existe entre les destinataires et l’Esprit Saint. Notons que la même idée de la réception se rencontre à travers le même mot, lorsque l’évangile selon saint Jean parle des attitudes de l’humanité envers le verbe incarné :  » … les siens ne l’ont pas reçu… mais à ceux qui l’ont reçu il a donné pouvoir d’être enfants de Dieu…  » (Jn 1, 11-12). Comme le Fils, l’Esprit est envoyé par Dieu. De plus, sa présence et son efficacité en l’homme supposent également une action de la part de ce dernier. Il ne suffit donc pas que l’Esprit soit donné, nous devons en plus le recevoir, lui ouvrir notre cœur. Le message porté par l’emploi du verbe recevoir peut être entendu comme une invitation à l’hospitalité envers l’Esprit que Dieu donne. Une autre similitude existe entre les deux membres de notre verset. Dans la version française, ils rattachent tous l’Esprit à un verbe d’action :  » rendre  » ou  » faire « . Ici, les destinataires ne sont plus en position des sujets, mais apparaissent comme ceux sur qui l’Esprit opère. Ces constatations ouvrent sur une double conviction : la nécessité de la participation de l’homme et l’effectivité des effets de l’Esprit, l’action humaine consistant à accueillir la présence de l’Esprit. On arrive ainsi à une spiritualité unissant et arrimant l’action de l’homme à celle de l’Esprit, que les deux parties du verset décrivent différemment.
Deux situations s’opposent clairement et diamétralement en Rm 8, 15 : la condition d’esclavage et la filiation divine. Les familiers des épîtres de Paul se souviendront que Ga 4 se termine par le même type d’opposition. Ce rapprochement est d’autant plus pertinent que les deux lettres, Rm et Ga, opposent pareillement l’Esprit à la chair. Sans entrer dans les détails sur ces deux éléments, notons simplement le fait qu’il existe une incompatibilité entre eux suivant les déclarations de Paul (Rm 8, 5-10 ; Ga 5, 16-24). Cette constatation théorique appelle au moins deux remarques concrètes. Sur le plan des principes de l’agir, la réception de l’Esprit implique le refus des orientations contradictoires à la liberté. Elle revient au refus de toutes les situations qui enferment la personne dans la prison de la peur. Rappelons que l’un des premiers effets du don de l’Esprit, au jour de la Pentecôte, n’était autre chose que le passage de la crainte (Jn 20, 19 ; Ac 1, 13 ; 2, 1) au courage qui fait annoncer publiquement la résurrection du Christ (Ac 2, 14-36). Sur le plan de la réflexion, la même opposition, en lien avec Ga 5, 19-25, peut servir d’instrument de discernement. Elle indique clairement ce qui est inspiré de Dieu et permet de reconnaître ce qui ne l’est pas : être gouverné par la peur, ce n’est pas vivre sous la conduite de l’Esprit promis par le Christ, lui qui avait rassuré ses disciples (Mt 14, 27 ; Jn 14, 1) et leur avait donné la paix (Jn 14, 27 ; 20, 19).
A la lumière de Rm 8, 15, nous découvrons que l’action de l’Esprit Saint suppose l’implication des destinataires de celui-ci et engage à la promotion de la liberté.

L’Esprit Saint dans l’expérience ecclésiale
S’adressant aux chrétiens de Corinthe, Paul dit :  » Il y a diversité de dons de la grâce, mais c’est le même Esprit « 1 Co 12, 4).
Cette affirmation situe l’Esprit à la source des différents charismes. Pour en prendre la mesure, commençons par nous représenter le décor qui l’entoure : la situation de l’église de Corinthe à la lumière de la première lettre que Paul lui adresse. Il s’agit d’une communauté marquée par la discorde. Cette blessure est décrite de plusieurs manières : l’esprit de clocher (1 Co 1, 10-17), l’égoïsme caractéristique des assemblées eucharistiques corinthiennes (1 Co 11, 17- 22)…
C’est en réaction à ces divisions que Paul développe la notion de diversité portée par notre verset et illustrée par l’image du corps humain, dont les membres sont à la fois spécifiques et complémentaires. La mention de l’Esprit apparaît ici dans le contexte de l’unité de la communauté. Le message de ce verset s’adresse donc à notre manière de faire église et de vivre en société ; il vise directement notre manière d’être avec autrui.
Appliquée à la vie ecclésiale, la rime entre unité et diversité invite à intégrer l’égalité en dignité, la différence en fonction et la solidarité en responsabilité. Entre le clerc et le laïc, pas de rapport de supériorité dans un sens ou dans un autre, mais la fraternité de ceux qui ont été  » désaltérés par le même Esprit « . L’un n’a pas à jouer le rôle dévolu à l’autre, mais se réjouit de la réussite de l’autre et connaît la tristesse devant son échec même s’il ne dépend pas de lui.
Au milieu du siècle dernier, un anthropologue se désolait de l’état du monde. Il déplorait l’uniformité de la société de son époque qui, à son avis s’installait dans  » la monoculture « . Cette situation trouve encore des illustrations à l’heure actuelle. Elle se manifeste par exemple, lorsqu’une manière de faire, une façon de penser ou un genre de vie tente d’écraser les autres cultures. Elle se rencontre encore lorsqu’on bannit la différence par le racisme, le nationalisme, le tribalisme… La mondialisation, si elle oublie la pluralité, tombe dans le même piège de la  » monoculture « , qui éteint littéralement l’Esprit, puisqu’elle n’en suit pas la logique, celle de la diversité unifiée. Refuser la différence ou l’exploiter pour diviser, c’est renier son baptême et sa confirmation, sacrement où l’Esprit est donné.
Suivant l’extrait que nous venons de lire, dans l’Esprit Saint, comme l’affirmera la suite de 1 Co 12, les différences ne tournent pas à la cacophonie, elles ne se dégradent pas non plus en rivalité, mais concourent harmonieusement à l’édification du corps ecclésial.

L’Esprit Saint dans sa nature divine
La seconde lettre de saint Paul aux Corinthiens est célèbre en ce qu’elle laisse transparaître le tempérament de son auteur. Elle intéresse encore parce qu’elle aborde une question aussi sensible que celle de l’exercice du ministère apostolique (2 Co 5, 11-6, 10) et traite des notions aussi que importante que la démarcation de la Nouvelle Alliance vis-à-vis de l’Ancienne (2 Co 3, 6-14). Mais a-t-on remarqué que cette épître se conclut sur une formule lumineuse qui fait mention de l’Esprit Saint :  » La grâce du Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu, et la communion du Saint Esprit soient avec vous tous  » ? Ce souhait, qui se rencontre en 2 Co 13, 13, fait partie des salutation que le prêtre peut adresser à l’assemblée au début de la messe. A ce titre, il représente probablement le verset le plus célèbre ou le plus vulgarisé du Nouveau Testament sur l’Esprit Saint. Nous pouvons accéder à son message par deux pistes possibles.
La première consiste à souligner la dimension trinitaire du verset : la mention explicite du Père, du Fils et de l’Esprit est frappante. Dans la perspective de notre propos, nous retiendrons qu’elle met en relief l’identité divine de l’Esprit en le plaçant sur le même plan que Dieu et le Christ. Confesser la divinité de l’Esprit Saint ne va pas de soi. L’histoire de l’église nous apprend qu’elle avait été farouchement combattue par certains chrétiens. En ce qui nous concerne aujourd’hui, la structure trinitaire de ce verset peut inviter à une révision de notre pratique religieuse. Cette amélioration de nos habitudes pourrait consister à prendre la mesure de la densité des symboles de la foi qui se récitent lors des eucharisties dominicales. Ces textes s’organisent en trois parties, autour du Père, du Fils et l’Esprit comme notre verset, évoquant également la formule prononcée sur les baptisés que nous sommes et rappelant aussi le signe de croix. De plus, l’une de ces deux formules du Credo confesse que l’Esprit procède du Père et du Fils et que les trois sont pareillement honorés, soulignant ainsi la complicité entre les personnes trinitaires comme en 2 Co 13, 13.

L’Esprit fait l’union en nos coeurs
L’autre piste conduit à remarquer que le texte ne se contente pas de mentionner les personnes de la trinité, mais il les caractérise en assignant à chacune un déterminatif, comme s’il voulait les particulariser. Dans ce mouvement, il attribue à l’Esprit la communion. Le Nouveau Testament applique cette notion à la vie des premières communautés chrétiennes pour signifier l’union des cœurs (Ac 2, 42 ; 4, 32) ou la concorde (1 Jn 1, 7) manifestée par le partage (2 Co 8, 4. 9, 13), traduite dans la solidarité intercommunautaire (Rm 15, 26 ; He 13, 16), exprimée dans la collaboration missionnaire (Ga 2, 9) et vécue dans l’union à Dieu (1 Co 10, 16 ; Ph 3, 10 ; 1 Jn 1, 6). La relation aux biens matériels, lorsqu’elle laisse une place à la générosité envers autrui, le travail en équipe, quand il reconnaît en l’autre un partenaire effectif, et l’action humaine, lorsqu’elle veut correspondre à la volonté de Dieu, inscrivent la vie dans la mouvance de l’Esprit Saint.
Au terme de ce parcours, nous constatons que les versets des épîtres pauliniennes sur lesquels nous venons de fixer notre attention se ressemblent non seulement en ce qu’ils portent tous sur l’Esprit Saint, mais encore parce qu’ils traitent ce thème commun de la même manière. En effet, d’un passage à l’autre, l’Esprit Saint apparaît toujours en lien avec la situation des destinataires, que l’auteur mentionne explicitement (Rm 8, 15 ; 2 Co 13, 13) ou implicitement (1 Co 12, 4). On dirait que les textes font prendre corps à l’Esprit en le présentant dans cette position. Cela nous invite à concevoir le Saint Esprit non pas comme un personnage désincarné, mais à l’associer à notre existence comme un partenaire actif en pratiquant les valeurs spirituelles qui se dégagent des passages bibliques commentés : l’affranchissement de la peur, la promotion de l’unité, l’engagement pour la solidarité.?

« Tout grand-prêtre, en effet » (He 5,1-10) – [en deuxième lecture]

24 mars, 2012

http://www.biible.info/biible-share.jsp?url=http%3A%2F%2Fwww.bible-service.net%2Fsite%2F926.html&title=151+-+%AB+Tenez+bon+%21+%BB+Relire+la+lettre+aux+H%E9breux+-+Bible+Service

« Tout grand-prêtre, en effet » (He 5,1-10)

Cette séquence ouvre l’exposition quelque peu attendue de ce que signifie « grand-prêtre » pour Jésus. Et de fait elle commence par une sorte de définition générale : Tout grand-prêtre… est… Notons que la séquence s’achève par une particularisation de cette définition, puisque la dernière ligne indique que Jésus est grand-prêtre à la manière de Melkisédeq. La définition du grand-prêtre, sur les trois lignes du v. 1, donne deux caractéristiques : le grand-prêtre est établi, et son rôle est d’offrir. La première caractéristique touche à sa désignation, à sa mise en place : elle est reprise à la fin de l’unité, dans les trois lignes des v. 8-10, sous les termes il devint et proclamé (et peut-être aussi : conduit à son accomplissement). Si la définition du v. 1 n’explique pas encore comment le grand-prêtre est établi, sinon qu’il est pris d’entre les hommes, par contre la description des trois derniers versets est tout à fait explicite sur la désignation de Jésus comme grand-prêtre : du fait qu’il est fils, du fait qu’il a appris l’obéissance, il a été proclamé grand-prêtre – la qualification « à la manière de Melkisédeq » restant à éclaircir. Cependant, tout grand-prêtre et le grand-prêtre Jésus sont établis en faveur des hommes, ce qui signifie en Jésus : pour un salut éternel.

La séquence 5,1-10 ouvre la réflexion sur le grand-prêtre. Nous venons de voir les liens entre le début (définition générale) et la fin (définition en fonction de Jésus) de la séquence. On est conduit vers une disposition concentrique :

1 Tout grand-prêtre… est établi… offre
     2-3  [le grand-prêtre] offrir – des sacrifices
          4-6 appel et honneur – Aaron, le Christ
     7   [le Christ] offrir – prières et supplications
8-10 tout fils qu’il est… grand-prêtre à la manière de Melkisédeq

Les v. 2-3, d’une part, pour ce qui concerne tout grand-prêtre, et le v. 7, d’autre part, pour ce qui concerne le Christ, reprennent la seconde caractéristique du grand-prêtre : sa fonction d’offrir. Tout grand-prêtre est proche des hommes, il a pour eux de la compréhension, sinon de la miséricorde, à cause de la faiblesse qu’il partage avec eux, et en raison de celle-ci, il doit offrir des sacrifices. Le Christ, lui, dont nous savons qu’il est en tous points semblable aux hommes, qu’il ne rougit pas et n’a pas honte de les appeler frères (cf. 2,5-18) – et c’est de là qu’il est miséricordieux et digne de foi –, le Christ a offert prières et supplications, et il a été exaucé. Telle est, ici encore, une différence entre tout grand-prêtre et le Christ grand-prêtre.
Un mot doit être expliqué : à cause de sa soumission. Traduire ainsi induit de comprendre que le Christ a été exaucé parce qu’il a été soumis – ce qui est en partie juste, mais en partie seulement… Le terme grec eulabaeia signifie « discrétion », « retenue », « mesure ». Littéralement, il renvoie au fait de « bien (eu) prendre (labein) » les choses. D’où le sens de « piété », « respect » pour le rapport avec la divinité. On pourrait alors dire : le Christ a été exaucé pour son offrande parce qu’il a « bien pris » ce qui se présentait à lui – ce qui est de plus de poids que simple soumission.
Alors que les v. 7-10 constituent une sorte de petit kérygme sur la passion et la résurrection du Christ – passion qui fût douloureuse, angoissante, mais aussi humiliante –, les v. 4-6 au milieu de la séquence sont en contraste fort, puisqu’ils parlent de l’honneur attaché à la fonction de grand-prêtre. Cet honneur est reçu, puisqu’on est établi grand-prêtre par un appel, donc par un autre : ce fut le cas d’Aaron, et c’est le cas pour le Fils-Christ, comme le montre la jonction des Ps 2 et 110.

Saint Paul et le mystère de l’Eglise.

14 février, 2012

http://bordeaux.dominicains.com/new_site/index.php?controller=conferences&id=51

Saint Paul et le mystère de l’Eglise.

Conférence du Carême 2009

La face collée à la poussière, au milieu de la route bruyante, aveuglé par la lumière qui s’abat sur lui, sur ce chemin de Damas en plein midi, Saul, le zélé, découvre que la Loi a un visage, que la grâce a le Nom, que sa quête a un sens. Il entend une voix, et ce qu’il entend change à jamais sa vie.
« Je me rendais un jour à Damas… J’étais en chemin, ô roi, lorsque vers midi je vis venir du ciel, plus resplendissante que le soleil, une lumière qui m’enveloppa de son éclat ainsi que mes compagnons de route » (Ac 26, 12).
Il donc était en chemin. Chemin de zèle, chemin de flamme. Il était en chemin pour sauver Israël d’une communauté qui ne voulait plus vivre ni selon les lois du monde païen, ni selon les traditions des pères. Ô, ces traditions si saintes et si solides, cette haïe sacrée, élevée par les docteurs autour de la Loi vivifiante, pour la protéger, pour la garder ! Si Saul est en route, c’est qu’il aime ! Il aime cette Loi, il aime ce peuple, il aime cette belle tradition qui fait fondre le peuple et la Loi en une unité indissoluble : le peuple est la Loi vécue, la Loi est la vie du peuple. Sur ce chemin de zèle il se retrouve face dans la poussière. Une voix s’adresse à lui en langue sacrée, hébraïque :
« Saoul, Saoul, pourquoi me persécuter ? Il est dur de te rebiffer contre l’aiguillon ! » Je répondis : « Qui es-tu, Seigneur ? » Le Seigneur repris : « Je suis Jésus, c’est moi que tu persécutes » (Ac 26, 14-15).
Celui qu’il persécutait n’était pas une idée, ce n’était pas une conception du monde, ni un système de valeurs. Bien plus, celui qu’il persécutait, c’était plus qu’une communauté, qu’un ramassis de gens, qu’une secte. Il persécutait quelqu’un. Et ce quelqu’un est le Seigneur. Jésus, le Seigneur.
Entendons ce que Paul entend. Cela est central pour notre propos. Paul persécute une doctrine, Paul persécute une communauté, et il découvre avec une évidence qui s’abat sur lui et qui l’écrase par sa majesté que cette doctrine, que cette communauté, c’est quelqu’un.
La voix du ciel ne lui dit pas : Je suis Jésus dont tu persécutes la doctrine. Elle ne dit pas : Je suis Jésus dont tu persécutes les disciples. Non. Le Seigneur lui dit : Je suis Jésus, c’est moi que tu persécutes. Non pas « mon Evangile », ni « mes disciples », c’est moi que tu persécutes.
Comment est-ce possible ? Le Seigneur, n’est-il pas par définition dans la gloire : majestueux, lumineux, impassible ? Jésus, élevé dans la gloire du Père, après l’humiliation et l’ignominie de la Passion, n’est-il pas hors d’attente des hommes, qui ne sont  que l’ombre qui passe ? et pourtant, et pourtant – c’est moi que tu persécutes. Paul l’a entendu : Jésus et son Eglise ne font qu’un. Jésus et son Evangile, c’est tout un. Le Christ et son Eglise, c’est tout un. Nul ne peut se séparer de l’un sans s’exclure de l’autre. Moi et mon Père, nous sommes un, et nul ne vient au Père que par moi.
Sur cette route de Damas, Paul comprend ce que les Apôtres ont entendu de la bouche de Jésus le soir où il entrait librement dans sa Passion. Le Christ disait ceci à son Père : « Pour eux je me sanctifie moi-même, afin qu’ils soient, eux aussi, sanctifiés dans la vérité. Je ne prie pas pour eux seulement, mais aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi, afin que tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient en nous, afin que le monde croie que tu m’as envoyé. Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un : moi en eux et toi en moi, afin qu’ils soient parfaits dans l’unité, et que le monde reconnaisse que tu m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé » (Jn 17, 19-23).
L’union dans sa gloire et donc l’union aussi dans les persécutions : « Si le monde vous hait, sachez que moi, il m’a pris en haine avant vous. Si vous étiez du monde, le monde aimerait son bien ; mais parce que vous n’êtes pas du monde, puisque mon choix vous a tiré du monde, pour cette raison, le monde vous hait. Rappelez-vous la parole que je vous ai dite : Le serviteur n’est pas plus grand que son maître. S’ils m’ont persécuté, vous aussi ils vous persécuteront ; s’ils ont gardé ma parole, la vôtre aussi ils la garderont. Mais tout cela, ils le feront contre vous à cause de mon nom, parce qu’ils ne connaissent pas celui qui m’a envoyé » (Jn 15, 18-21).
Pour Paul, cette sublime doctrine johannique se résulte en une seule phrase : Je suis Jésus, c’est moi que tu persécutes. Il n’y a pas d’autre accès au cœur du Père que par son Fils, mort et ressuscité pour nous. Jésus est ce don que le Père nous a fait pour nous unir à lui. S’unir au Christ, n’être plus qu’un avec lui pour s’unir en lui au Père. Et nous tous, unis au Christ, nous ne formons plus qu’un Corps, celui du Christ, nous sommes animé par l’Esprit du Christ. La communauté des croyants c’est le Christ lui-même, vivant par son Esprit en plusieurs. Conclusion pratique et nécessaire : aimer le Christ, c’est aimer l’Eglise. Persécuter l’Eglise, c’est persécuter le Christ. A cette vérité Paul restera fidèle jusqu’à sa mort ; cette vérité il la prêchera jusqu’à mourir pour elle.
Sur la route de Damas, Jésus s’est révélé à Paul. Comme il le dira, celui qui m’a appelé par sa grâce daigna révéler en moi son Fils (Ga 1, 16). Cette révélation du Fils de Dieu et suivie d’une mission : « Relève-toi, debout sur tes pieds ! Voici pourquoi je te suis apparu : je t’ai destiné à être serviteur et témoin de la vision où tu viens de me voir ainsi que des visions où je t’apparaîtrai encore. C’est pour cela que je te délivrerai du peuple et des nations païennes, vers lesquelles je t’envoie, moi, pour ouvrir les yeux, afin qu’elles reviennent des ténèbres à la lumière et de l’empire de Satan à Dieu, et qu’elles obtiennent par la foi en moi la rémission de leurs péché et une part d’héritage, avec les sanctifiés » (Ac 26 16-18).
Voilà donc la mission de Paul, voilà son Evangile : les nations païennes sont admises au même héritage que le peuple élu, elles sont lavées du même sang et ont un même Père dans les cieux. Ecoutons-le en parler : « Dieu s’est plu à faire habiter en [Christ] toute la Plénitude et par lui à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix. Vous-mêmes, qui étiez devenus jadis des étrangers et des ennemis, par vos pensées et vos œuvres mauvaises, voici qu’à présent Il vous a réconciliés dans son corps de chair, le livrant à la mort, pour vous faire paraître devant Lui saints, sans tache et sans reproche. Il faut seulement que vous persévériez dans la foi, affermis sur des bases solides, sans vous laisser détourner de l’espérance promise par l’Evangile que vous avez entendu, qui a été prêché à toute créature sous le ciel, et dont moi, Paul, je suis devenu le ministre » (Col 1, 19-23).
Au moment d’écrire ces paroles, Paul est déjà bien âgé. Il est à Rome, il est tout proche de son martyre. Il contemple l’œuvre de sa vie, il contemple le bon combat (II Tm 4, 6) qu’il a livré par fidélité à cette rencontre de la route de Damas. Il peut dire de nouveau, tout comme il disait à un roi à propos de sa conversion : « Dès lors, roi Agrippa, je n’ai pas résisté à cette vision céleste » (Ac 26, 19). Toute sa vie est là : dès lors, je n’ai pas résisté à cette vision. La vie de Paul est désormais livrée en spectacle au monde et aux anges, car il est établi ministre de l’Evangile – nous venons de l’entendre (l’espérance promise par l’Evangile… dont moi, Paul, je suis devenu le ministre), ministre de l’Eglise, inséparablement, car, nous l’avons vu – le Christ, son Evangile, son Eglise, c’est tout un. Saoul, Saoul, pourquoi me persécutes-tu ? Je suis Jésus, c’est moi que tu persécutes !
Reprenons notre lecture de l’épître aux Colossiens, un texte si poignant et si riche ! Paul n’a jamais connu personnellement cette jeune Eglise, elle a été fondée par un de ses disciples, Epiphras. Peu avant sa mort, Paul, l’apôtre des nations, écris à cette petite communauté gravement ébranlée par la crise. En effet, il y a des docteurs – il y en aura toujours ! – qui voudraient que l’Eglise vive selon les éléments du monde. Quelle déchéance pour un baptisé que de se plier au monde ! Paul s’écrie : « Du moment que vous êtes morts avec Christ et donc soustraits aux éléments du monde, pourquoi vous plier à ses règles, comme si votre vie dépendait encore du monde ! »(Col 2, 20)
Face à cette crise, Paul répond par son ministère. Car, certes, il a été établi ministre de l’Evangile, mais inséparablement aussi – ministre de l’Eglise, car Le Christ, l’Evangile et l’Eglise c’est tout un.
« En ce moment je trouve ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous, et je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son Corps, qui est l’Eglise. Car je suis devenu ministre de l’Eglise, en vertu de la charge que Dieu m’a confiée, de réaliser chez vous l’avènement de la Parole de Dieu, ce mystère resté caché depuis les siècles et les générations et qui maintenant vient d’être manifesté à ses saints : Dieu a bien voulu leur faire connaître de quelle gloire est riche ce mystère chez les païens : c’est le Christ parmi vous! l’espérance de la gloire! Ce Christ, nous l’annonçons, avertissant tout homme et instruisant tout homme en toute sagesse, afin de rendre tout homme parfait dans le Christ. Et c’est bien pour cette cause que je me fatigue à lutter, avec son énergie qui agit en moi avec puissance » (Col 1, 24-29).
Je suis devenu ministre de l’Eglise. Ministre du Christ, crucifié et glorifié, ministre de sa Parole, non pas celle de la sagesse du monde, mais de l’amour du Père qui n’est que folie aux yeux du monde. Ministre de l’Eglise. De cette charge Paul s’acquitte de bon cœur, généreusement. En quoi consiste ce ministère ? Il prêche, il enseigne, il témoigne. Il encourage, il intercède, il voyage pour porter la Bonne Nouvelle toujours plus loin. Il écrit pour donner une compréhension toujours plus profonde de l’Evangile. Il baptise, peu, rarement, mais il baptise. Il veille sur l’unité ecclésiale : l’idée d’une séparation lui est insupportable. En effet, si l’Eglise est le Corps du Christ, peut-on déchirer la communauté sans profaner le Corps du Christ ? Ne pas guérir une séparation, en pas faire tout ce qui est en notre pouvoir pour garantir l’unité de l’Eglise, c’est comme profaner l’Eucharistie, c’est comme déchirer le Christ. Il ramasse les fonds pour les chrétiens persécutés ou éprouvés. Il sert et ce service est sa grande joie. Ce ministère est aussi son immense souffrance.
Je trouve ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous. Souffrir pour l’Eglise est une joie pour Paul. Un enfant nous était né, le Fils nous a été donné. Comment avec lui Dieu ne nous donnerait-il pas tout ? Et si son avènement chez nous, dans notre vie ne se passera pas sans résistances – avant tout de notre propre part, car la conversion coûte ! – alors c’est une joie et l’honneur que de souffrir pour cet avènement.
Le salut est accompli, il est advenu. Une fois pour toutes le Christ a lavé les péchés du monde par le sang de sa Croix. Désormais il est dans la gloire du Père. Pour lui, sa mission sur terre est terminée. Mais la nôtre ? Nous, nous sommes bien loin de la gloire. Nous ne jouissons que trop imparfaitement de cette vie que le Christ nous a apportée. De son côté, le don est fait, accomplit, parfait. De notre – il faut encore le recevoir. L’Esprit Saint, le Don dans le cœur de Dieu, le troisième de la Trinité est là pour cela – nous introduire dans la gloire que le Christ nous a donnée. Former dans notre sein le cœur du Fils. Nous faire des enfants de Dieu. Le salut est acquis, mais il n’est pas encore pleinement communiqué. C’est là, la place de l’Eglise, c’est là, le ministère de l’Apôtre : réaliser chez nous l’avènement de la Parole de Dieu, ce mystère qui demeurait cachée depuis des siècles et qui s’est manifesté à ses saints. Ce qui est déjà réalisé en Christ doit encore s’accomplir en nous. Sa Passion doit devenir la nôtre, sa gloire doit devenir la nôtre, son Père – le nôtre, son Esprit – le nôtre, sa vie éternelle – la nôtre, sa joie et ses peines – les nôtres. L’Apôtre nous engendre dans pour cette vie, et cet engendrement n’est pas sans douleur.
Je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son Corps, qui est l’Eglise. Dans la souffrance, l’Apôtre, comme une mère, donne naissance à ce corps historique du Christ, son Eglise. Mais que peut-il bien manquer aux souffrances du Christ ? Que pouvons-nous ajouter à cette Passion parfaite et surabondante du Christ ? Il manque aux souffrances du Christ de s’accomplir dans la chair de Paul. Tout comme il manque à la gloire du Christ de se réaliser dans ma vie, il manque à son Règne d’advenir dans mon âme et dans l’univers qui m’entoure, de même il manque à ses souffrances de s’accomplir en moi. Si le Christ a souffert, ce n’est pas pour lui, c’est pour moi. Si l’apôtre porte le fardeau de mépris, ce n’est pas pour lui, c’est pour moi. « Car Dieu, ce me semble, nous a, nous les apôtres, exhibés au dernier rang, comme des condamnés à mort ; oui, nous avons été livrés en spectacle au monde, aux anges et aux hommes. Nous sommes fous, nous, à cause du Christ, mais vous, vous êtes prudents dans le Christ ; nous sommes faibles, mais vous, vous êtes forts ; vous êtes à l’honneur, mais nous dans le mépris » (I Co 4, 9-10). Et les souffrances de l’Eglise, le monde les lui procure généreusement. Dès qu’une âme se met à suivre le Christ, dès qu’elle témoigne de sa vérité sans fléchir et tricher, elle y trouvera une immense joie, une récompense éternelle, sans aucune mesure avec les souffrances d’ici-bas. Mais cette âme trouvera aussi en abondance le mépris, l’incompréhension et la haine du monde.
L’œuvre de l’Apôtre est bien plus profonde que de fonder, d’organiser, de gérer ou d’instruire. Il n’est pas là pour augmenter sa popularité, son taux d’approbation. L’apôtre est là pour donner le salut du Christ. Cette œuvre est un véritable engendrement : « Auriez-vous en effet des milliers de pédagogues dans le Christ, que vous n’avez pas plusieurs pères ; car c’est moi qui, par l’Evangile, vous ai engendrés dans le Christ Jésus » (I Cor 4, 15). Regardez – dans le Fils, Paul devient un enfant de Dieu par son Esprit. Et comme le Père a envoyé son Fils pour engendrer des multitudes à la vie nouvelle et éternelle, son Fils, Jésus, envoie ses disciples donner cette nouvelle naissance à quiconque veut la recevoir, à quiconque veut vivre de son Esprit. Engendré dans l’Esprit, l’Apôtre engendre à son tour. Il est un Père de l’Eglise, dans le Fils, dans l’Esprit, par la bienveillance du Père céleste, de qui toute paternité sur terre et au ciel tire son nom (Eph 3, 15).
Non, ces disciples ne sont pas ses enfants à lui, exclusivement – ce n’est pas Paul qui est mort pour eux sur la Croix, ce n’est pas Paul qui les a régénérés par son Sang, ce n’est pas au nom de Paul qu’ils ont été baptisés (I Cor 1, 13). Mais c’est par Paul que la parole du salut et la grâce de la Croix sont parvenus jusqu’à eux ; c’est Paul qui leur a donné l’Evangile pur et solide et non pas une doctrine frelatée selon l’esprit du monde.
Qui est Paul pour l’Eglise ? Le persécuteur zélé qui devient l’Apôtre après avoir entendu sur la route de Damas ce fameux « pourquoi me persécutes-tu ? » Qui est l’Eglise pour cet Apôtre qui souffre pour elle et qui se réjouit pour elle, qui l’enseigne et qui l’engendre ? Cette Eglise est avant tout le Corps du Christ, elle est aussi son Epouse, le mystère du salut pour tout homme venant dans le monde.
Le Corps du Christ n’est pas simplement une image, ni une métaphore, c’est la réalité même de la vie chrétienne. Toujours à propos du comportement selon les éléments du monde, Paul remarque : « Que nul ne s’avise de vous critiquer sur des questions de nourriture et de boisson, ou en matière de fêtes annuelles, de nouvelles lunes ou de sabbats. Tout cela n’est que l’ombre des choses à venir, mais la réalité, c’est le corps du Christ » (Col 2 16-17). Le Corps eucharistique, bien sûr, mais le Corps ecclésial aussi. Ce monde n’est que l’ombre des réalités à venir, c’est le Corps du Christ qui est la réalité déjà présente.
Le Corps Eucharistique, car l’Eglise vit de l’Eucharistie. Et l’Eucharistie n’est pas non plus une image, un pieux souvenir, une célébration de notre vivre-ensemble, rien de tel ! Pour Paul, l’Eucharistie, c’est le Christ présent, mort pour nous en venant dans la gloire ! Pour les repas du « vivre-ensemble » vous avez vos propres maisons (Cf. I Cor 11, 22). L’Eucharistie n’est pas une fête de quartier où nous célébrons – et c’est une chose bonne et saine – la joie de notre proximité. Le repas du Seigneur est d’abord la communion à sa passion et à son avènement, et parce que tous nous ne communion qu’au seul Corps d’unique Seigneur, nous devenons un seul corps social.
« J’ai reçu du Seigneur ce qu’à mon tour je vous ai transmis: le Seigneur Jésus, la nuit où il était livré, prit du pain et, après avoir rendu grâce, le rompit et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous; faites ceci en mémoire de moi. » De même, après le repas, il prit la coupe, en disant: « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang; chaque fois que vous en boirez, faites-le en mémoire de moi. » Chaque fois en effet que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne » (I Co 11, 23-26).
Saint Paul n’invente pas l’Eucharistie, il la reçoit. Il la reçoit du Seigneur lui-même (serait-ce en révélation ? serait-ce par son Eglise ?), cette coupe et ce pain ne son rien d’autre que son Corps et son sang, c’est pourquoi un respect absolu et précautionneux leur est dû. « Ainsi donc, quiconque mange le pain ou boit la coupe du Seigneur indignement aura à répondre du corps et du sang du Seigneur. Que chacun donc s’éprouve soi-même, et qu’ainsi il mange de ce pain et boive de cette coupe ; car celui qui mange et boit, mange et boit sa propre condamnation, s’il ne discerne le Corps » (I Co 11, 27-29). Ce Corps est donc bien réel mais il a besoin d’être discerné comme tel. Pour s’en approcher il faut avoir la foi en cette présence et les mœurs qui vont avec, car ce Corps fait de notre pauvre corps le Temple de l’Esprit Saint.
« Le corps n’est pas pour la fornication; il est pour le Seigneur, et le Seigneur pour le corps. Et Dieu, qui a ressuscité le Seigneur, nous ressuscitera, nous aussi, par sa puissance. Ne savez-vous pas que vos corps sont des membres du Christ ? Et j’irais prendre les membres du Christ pour en faire des membres de prostituée ! Jamais de la vie ! Ou bien ne savez-vous pas que celui qui s’unit à la prostituée n’est avec elle qu’un seul corps ? Car il est dit : Les deux ne seront qu’une seule chair. Celui qui s’unit au Seigneur, au contraire, n’est avec lui qu’un seul esprit » (I Co 6, 13). Pourquoi la fornication est-elle impossible pour le chrétien ? Parce que son corps est au Christ comme le corps du Christ est aux chrétiens. Le Corps de Jésus est livré pour nous dans l’Eucharistie, notre corps se livre au Christ dans ce même repas sacrificiel. En communion au Corps du Ressuscité nous communion à sa Résurrection même. Le Père qui a tiré son Fils de l’abîme de la mort par son esprit de vie, ressuscitera de même nos pauvres corps mortels. Vous le voyez bien, si la sexualité humaine doit être vécue comme humaine et non pas comme bestiale, cela ne vient pas du mépris du corps, absolument étranger à la pensée biblique, mais de la haute estime que l’Apôtre a du corps humain. Ce Corps est au Seigneur, il est déjà héritier de la gloire, je ne peux pas le traiter sans le respect profond, qui est dû. Donc du respect dû au Corps eucharistique du Seigneur – pour ne pas boire et manger sa propre condamnation ! (cf. I Co 11, 29) – naît le respect pour son propre corps, pour le corps de son prochain. De là naît aussi l’unité du Corps ecclésial.
« Il n’y a qu’un Corps et qu’un Esprit, comme il n’y a qu’une espérance au terme de l’appel que vous avez reçu ; un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ; un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, par tous et en tous » (Ep 4, 4-6).
Ce Corps personnel de Jésus, né de la Vierge, mort et ressuscité le troisième jour se donne dans son Corps eucharistique pour former son Corps ecclésial. C’est le seul et même Seigneur qui agit. Nous, qui étions loin, nous qui étions étrangers à Dieu, il nous intègre par la foi et les sacrements dans son Corps. Plus encore, il donne de prendre part à l’édification de ce corps historique de son Fils.
« C’est lui encore qui « a donné » aux uns d’être apôtres, à d’autres d’être prophètes, ou encore évangélistes, ou bien pasteurs et docteurs, organisant ainsi les saints pour l’œuvre du ministère, en vue de la construction du Corps du Christ, au terme de laquelle nous devons parvenir, tous ensemble, à ne faire plus qu’un dans la foi et la connaissance du Fils de Dieu, et à constituer cet Homme parfait, dans la force de l’âge, qui réalise la plénitude du Christ. Ainsi nous ne serons plus des enfants, nous ne nous laisserons plus ballotter et emporter à tout vent de la doctrine, au gré de l’imposture des hommes et de leur astuce à fourvoyer dans l’erreur. Mais, vivant selon la vérité et dans la charité, nous grandirons de toutes manières vers Celui qui est la Tête, le nourrissent et l’actionnent selon le rôle de chaque partie, opérant ainsi sa croissance et se construisant lui-même, dans la charité » (Eph 4, 11-15).
Il n’y a pas de vocation plus haute, il n’y a pas de destin plus digne que de prendre part à la construction de ce Corps. Car c’est en s’unissant au Christ, notre Tête, que chaque homme reçoit le salut et la vie éternelle. L’Eglise est cet appel de Dieu adressé à tous les hommes de s’unir à lui dans son Fils, dans la chair de son Fils, l’unique Médiateur et l’unique grand prêtre de l’Alliance éternelle. Nul n’est exclut de cet appel, nul n’est de trop dans l’Eglise, mais nul ne répond sans le vouloir, sans le choisir, sans lutter.
« Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (I Tm 2, 4), affirme saint Paul. Cela signifierait-il que quelle que soit la position de l’homme, quelle que soit sa vie morale ou sa foi, le salut lui est garantit ? Non. Le salut est proposé à tous, mais il n’advient pas sans une réponse libre et sincère, ce salut n’advient pas non plus hors de la médiation du Christ. « Car Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même, qui s’est livré en rançon pour tous. Tel est le témoignage rendu aux temps marqués et dont j’ai été établi, moi, héraut et apôtre » (I Tm 2, 5-7). De même que Dieu est unique, que son médiateur est unique et que sa médiation est universelle, de même l’Eglise une, seule, totale accueille dans son Corps l’innombrable diversité des vocations.
« De même, que le corps est un, tout en ayant plusieurs membres, et que tous les membres du corps, en dépit de leur pluralité, ne forment qu’un seul corps, ainsi en est-il du Christ. Aussi bien est-ce en un seul Esprit que nous tous avons été baptisés en un seul corps, Juifs ou Grecs, esclaves ou hommes libres, et tous nous avons été abreuvés d’un seul Esprit. Aussi bien le corps n’est-il pas un seul membre, mais plusieurs » (I Co 12, 12-14).
L’unité de l’Eglise ne vient pas de nous, nous la recevons d’en-haut. Mais l’unité de l’Eglise ne se réalisera pas sans nous, nous avons à y coopérer, chacun selon la mission que Dieu lui a donnée. Comme le salut ne vient pas de nous, nous avons radicalement besoin d’être sauvés. En même temps, Dieu ne nous sauve pas sans nous : notre engagement radical est nécessaire pour que le salut divin devienne réellement le nôtre.
Il n’y a pas de base dans l’Eglise – au nom de ma jeunesse soviétique, je vous supplie, laissons à jamais ce discours pseudo-marxiste sur « un catholique de base ». Quand j’entends « moi, simple catholique de base, je m’élève, m’insurge et j’exprime mon indignation devant les inacceptable propos d’un tel », j’ai l’impression de me retrouver dans l’Union Soviétique, et en plus dans ce qu’il avait de moins glorieux… Il n’y a pas de catholiques de bases pour saint Paul. Il y a la Tête du Corps, c’est le Christ. Puis, il y a une multitude de dons, de ministères, de charismes, de service que l’Esprit du Christ accorde à ses membres de réaliser. A chacun – selon le bon vouloir de Dieu, à chacun – pour le bien du Corps tout entier, à chacun pour l’édification dans la charité dans la diversité irréductible.
« Vous êtes, vous, le corps du Christ, et membres chacun pour sa part. Et ceux que Dieu a établis dans l’Eglise sont premièrement les apôtres, deuxièmement les prophètes, troisièmement les docteurs… Puis il y a les miracles, puis les dons de guérisons, d’assistance, de gouvernement, les diversités de langues. Tous sont-ils apôtres? Tous prophètes? Tous docteurs?… » (I Co 12, 27-30).
Il y a la différence essentielle des fonctions, une différence irréductible des ministères, il y a l’unité foncière de charité et l’égalité parfaite dans l’appel à la sainteté. C’est l’appel à la sainteté qui est universel, l’appel à tel ou tel ministère ne l’est jamais. Tous n’ont pas à gouverner dans l’Eglise, tous n’ont pas à enseigner, tous n’ont pas à faire des miracles, mais tous ont à aimer. Tous ont à être configuré au Christ dans le don total de soi –c’est là, le sacerdoce véritable. Tous ont à témoigner de la vérité – c’est là, le prophétisme des baptisés. Tous ont à mener sa vie et celle du monde selon la volonté aimante et sainte de Dieu – c’est là, la royauté des rachetés. A force de se mêler du ministère qui n’est pas le sien propre, nous risquons fort de passer à côté de la sainteté qui est notre appel individuel. Un des signes de cette erreur de perspective est que nous essayons de sauver l’Eglise au lieu d’être sauvés par et en elle. Paul sait que le salut du Christ est pour tout homme, il se met au service de ce salut. La communication de ce salut – c’est cela, l’Eglise. Paul ne la sauve pas, Paul la sert. Ne tâchons pas en cela être plus grand que Paul, nous risquerons fort à passer à côté de ce qui fait notre véritable grandeur – la charité qui est l’âme même de l’Eglise.
Paul est jaloux de son ministère. Oh non, il n’est pas marri de voir un autre prêcher dans l’Eglise. Mais il ne supporte pas de voir prêcher autre chose que l’Evangile dans l’Eglise. Sa jalousie est celle d’un ami d’Epoux, pas d’époux lui-même. Ce n’est pas à lui qu’il exige la fidélité, mais au Christ. Car l’Eglise ne peut pas trahir l’Evangile sans devenir adultère, prostituée, sans être infidèle à son époux. Car, vous l’avez bien saisi, l’Eglise n’est pas simplement le Corps du Christ, elle est aussi son Epouse.
Voilà ce que saint Paul dit lorsqu’il est accusé d’ambition hors normes : « Oh! si vous pouviez supporter que je fasse un peu l’insensé! Mais, bien sûr, vous me supportez. J’éprouve à votre égard en effet une jalousie divine ; car je vous ai fiancés à un époux unique, comme une vierge pure à présenter au Christ… Si le premier venu en effet prêche un autre Jésus que celui que nous avons prêché, s’il s’agit de recevoir un Esprit différent de celui que vous avez reçu, ou un Evangile différent de celui que vous avez accueilli, vous le supportez fort bien » (II Co 11, 1-2).
L’Eglise est donc une Vierge pure, fiancée par l’Apôtre au Christ, son Unique Epoux. Ces fiançailles – c’est par la prédication évangélique que l’Apôtre les célèbre. Dévier de cet Evangile, c’est trahir, c’est déchoir, c’est aliéner l’œuvre de Dieu.
L’analogie du Corps mettait en lumière l’unité profonde entre le Christ et son Eglise – le corps en effet n’a pas d’autre vie que celle qu’il reçoit de la Tête. Vous ne pouvez pas appartenir au Christ sans être unis à lui par un lien vital de l’Esprit de charité qui est l’âme incréée de l’Eglise. L’analogie de l’Epouse – si présente dans la prédication de Jean le Baptiste, de Jésus lui-même, dans l’enseignement de saint Jean aussi – cette analogie là fait ressortir que l’Eglise et le Christ sont comme dans un face à face. Ils s’aiment. Ils se contemplent. Ils s’admirent. En même temps, cette réciprocité n’est pas parfaite – car c’est le Christ qui sauve, l’Eglise est sauvées. C’est le Christ qui enseigne, l’Eglise reçoit son enseignement. C’est le Christ qui glorifie, l’Eglise, elle, est glorifiée et purifiée.
Ces deux images – celle du Corps et celle de l’Epouse – sont intimement liées. Toute la mystique sponsale s’y résume. Reprenons ensemble le fameux passage de l’épître aux Ephésiens pour voir ces articulations.
« Soyez soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ. Que les femmes le soient à leurs maris comme au Seigneur : en effet, le mari est chef de sa femme, comme le Christ est chef de l’Eglise, lui le sauveur du Corps ; or l’Eglise se soumet au Christ ; les femmes doivent donc, et de la même manière, se soumettre en tout à leurs maris. Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Eglise: il s’est livré pour elle, afin de la sanctifier en la purifiant par le bain d’eau qu’une parole accompagne ; car il voulait se la présenter à lui-même toute resplendissante, sans tache ni ride ni rien de tel, mais sainte et immaculée. De la même façon les maris doivent aimer leurs femmes comme leurs propres corps. Aimer sa femme, c’est s’aimer soi-même. Car nul n’a jamais haï sa propre chair; on la nourrit au contraire et on en prend bien soin. C’est justement ce que le Christ fait pour l’Eglise : ne sommes-nous pas les membres de son Corps? Voici donc que l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair : ce mystère est de grande portée; je veux dire qu’il s’applique au Christ et à l’Eglise. Bref, en ce qui vous concerne, que chacun aime sa femme comme soi-même, et que la femme révère son mari » (Ep 5, 22-33).
Admirons tout d’abord une parfaite harmonie et proportionnalité des devoirs des époux chrétiens. Tous les deux, ils sont sauvés. Tous les deux, ils doivent l’obéissance au Christ. Tous les deux ont la dignité inaliénable et égale. C’est uniquement là, où il y a une soumission de charité de tous à l’égard du Christ, que la soumission des hommes est possible. Puis, remarquez-le bien, ce ne sont pas les rapports conjugaux qui fondent les rapports du Christ et de l’Eglise, bien au contraire, c’est le mystère du salut qui est fondamental. Le mari doit se sacrifier pour sa femme, car le Christ l’a fait pour son Eglise. La femme doit respecter son mari car en elle se vit l’image de l’Eglise. Hors de ce don total de soi dans la fidélité inaliénable du Christ tout cela devient vite souffrance et hypocrisie. Le service devient domination et la responsabilité – la manipulation. Dès le moment où l’attachement vital au Christ, unique sauveur, est en cause, le Corps du Christ devient une caricature d’un parti politique (car l’Eglise n’est pas un parti politique) ; l’Epouse du Christ devient une hystérique courant au dernier divertissement du monde et se justifiant devant le monde. Si vous trouver cette image dure, relisez le chapitre 2 de Jérémie, 16 d’Ezéchiel ou les trois premiers chapitres du prophète Osée. Vous serez frappés par le réalisme avec lequel Dieu parle de la prostitution de son peuple.
Qui est Paul pour l’Eglise ? Un persécuteur qui a su entendre la voix qui lui a été adressé sur la route de Damas. Je suis Jésus, c’est moi que tu persécutes. En donnant foi à cette parole, il découvre en Jésus de Nazareth l’accomplissement des promesses faites à ses pères. Il reçoit en même moment une mission de porter cette nouvelle du salut à des nations lointaines qui semblaient être exclues de la miséricorde de Dieu. Lui, qui avait toutes les raisons d’être exclu de la miséricorde, devient le missionnaire de la miséricorde auprès de ceux qui vivaient sans la Loi et sans la miséricorde. Il a reconnu en Jésus le Premier-Né de toute créature et en même temps – le Premier-Né d’entre les morts, la Têtes de l’Eglise. Le Christ, son Evangile, son Corps – c’est tout un, et Paul en devient l’Apôtre.
Qui est l’Eglise pour Paul ? Le mystère. Cela ne veut pas dire une absurdité ou une insulte à l’intelligence. Le mystère – c’est le dessein bienveillant du salut, né dans le cœur du Père, réalisé par le Fils, communiqué par l’Esprit.
Le Christ m’a aimé et s’est livré pour moi. Que puis-je faire en retour ? Lui donner ma vie ? Mais il est dans la gloire, ce don ne lui apportera rien. Je peux donner ma vie pour son Corps qui est l’Eglise, qui rassemble les enfants de Dieu dispersé pour les mener à la lumière. Je trouve ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous, et je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son Corps, qui est l’Eglise. Car je suis devenu ministre de l’Eglise, en vertu de la charge que Dieu m’a confiée, de réaliser chez vous l’avènement de la Parole de Dieu… (Col 1, 24-25).

fr. Pavel Syssoev

Paul, le missionnaire (Père Manns)

8 février, 2012

http://www.christusrex.org/www1/ofm/pope2/intros/GPint06.html

Paul, le missionnaire

by Frédéric Manns

(Studium Biblicum Franciscanum – Jerusalem)

L’expérience du chemin de Damas allait transformer Paul en missionnaire du ressuscité. L’ancien émissaire du Sanhédrin devint l’envoyé du Christ. La communauté d’Antioche où Paul était l’hôte comprit rapidement qu’elle ne pouvait pas garder le message du Christ en vases clos. Les Juifs de la diaspora attendaient la plénitude de la révélation. Barnabé, Paul et Jean Marc furent envoyés par la communauté pour proclamer que Jésus de Nazareth humilié par les hommes est le Christ ressuscité.
Au cours de la première mission en Asie Mineure, en passant par Chypre, l’évangile fut annoncé dans des petits centres tels Paphos, Pergé, Antioche de Pisidie, Iconium, Lystres et Derbé. Barnabé originaire de Chypre avait la direction. Lorsque Paul prendra le commandement lors des missions successives, il agira méthodiquement. Lorsqu’il fondait une communauté chrétienne il choisissait des villes qui par leur position géographique, économique et culturelle constituaient des centres de rayonnement pour tout un arrière-pays. Généralement ces villes étaient des capitales des provinces de l’empire.
Paul laissait derrière lui une communauté solide qui, en tant que centre missionnaire, devait propager la foi dans les villes les plus proches. Il ne voulait pas la conversion de quelques uns, mais cherchait à organiser l’Eglise. La ville d’Antioche sur l’Oronte à partir de laquelle Barnabé et Paul ont accompli leur premier voyage servit de modèle. Le message fut répandu ainsi à Philippes, point de rencontre entre la Grèce et le reste du monde occidental ; à Thessalonique, capitale de la province de Macédoine, à Corinthe, capitale de la province d’Achaïe, et à Ephèse qui servait de résidence au gouverneur d’Asie et qui avec son Temple d’Artémis était un centre important de pèlerinages.
Enfin Athènes, la ville des philosophes, allait réserver des surprises à Paul. Les philosophes ne se laissent pas facilement convaincre. Les nouveautés leur sont suspectes par principe. Une tentative d’implantation dans la capitale a probablement échoué. Sur l’impossibilité de fonder une communauté à Athènes, Luc s’explique de façon magistrale dans les Actes des Apôtres 17,34. Peut-être Paul a-t-il tiré une leçon de cet échec à Athènes ? En examinant les projets de Paul on voit que son but était plutôt d’atteindre les ports que les capitales. En effet le message du Christ crucifié et ressuscité s’est répandu dans le monde entier essentiellement à partir des ports, les plaques tournantes de la vie internationale.
S’il en est ainsi pourquoi Paul a-t-il porté l’Evangile aux Galates ? Ce voyage ne correspond pas à sa tactique missionnaire (Ac 16,6-7). Paul a néanmoins évangélisé les Galates. Il semblait avoir pour dessein de traverser la Galatie et la Phrygie jusqu’en Bithynie qui avec ses ports offrait un intérêt apostolique. Dans sa lettre aux Galates 4,13 reconnaît que c’est à l’occasion d’une maladie qu’il leur a annoncé la bonne nouvelle.
Les Actes des Apôtres rédigés par Luc révèlent une vision de l’histoire du salut centrée sur Rome. En fait Rome n’a pas été le but ultime de l’activité apostolique de Paul. Cette finalité aurait été en contradiction avec sa règle évangélique : en fait Rome possédait déjà une église chrétienne florissante. Lorsque Paul, avant d’aller à Jérusalem, écrit une lettre de Corinthe à la communauté de Rome, il ne le fait que pour annoncer son voyage missionnaire en Espagne et son passage par Rome. Le séjour projeté n’est qu’une étape et non pas une évangélisation. Mais à Jérusalem. Paul est arrêté et son voyage se passe différemment de ce qu’il avait projeté. Après une traversée difficile et un naufrage à Malte où il doit passer l’hiver, Paul est placé en liberté surveillée. Il est ensuite libéré. Tout ce que nous savons c’est qu’il fut décapité hors de Rome. En dépit de l’interprétation eschatologique que Luc donne des voyages de Paul, les Actes des Apôtres 16,6-10 montrent que Paul considérait sa mission dans la partie orientale de l’empire comme achevée avec la création de la communauté d’Ephèse. A partir de là l’activité de Paul se déroule telle qu’elle est racontée dans les Actes des Apôtres.
A lire ce texte on a l’impression qu’il n’existe que des communautés fondées par Paul. Or le monde chrétien de l’époque se situait dans son ensemble en Orient, en Palestine et en Syrie, sans parler du christianisme égyptien et éthiopien. Les compagnons de Paul sont à peine mentionnés comme s’ils n’étaient que des compagnons de voyages sans responsabilités ni initiatives.
Un autre cliché des Actes doit être revu. D’après les Actes Paul prêche d’abord méthodiquement à la synagogue et ne s’adresse aux Juifs que si ces derniers refusent son message. Cette interprétation de Luc reflète la pensée de Paul : le salut est d’abord offert au Juif, ensuite au non-Juif. Mais à partir du concile de Jérusalem les accords sont plus clairs. Dans la lettre aux Galates 2,8-9 Paul affirme clairement que sa mission est pour les païens. Il n’est pas faux de dire que Paul a commencé à prêcher à la synagogue. Mais c’est dans les synagogues qu’il rencontre les craignant-Dieu, les païens sympathisants du judaïsme. Pour Paul la crucifixion de Jésus est déjà un appel vers les païens (Ga 3,13-14).
Paul considérait son travail achevé dans la partie orientale de l’empire avec la fondation de la communauté d’Ephèse. Avant de se rendre à Jérusalem il se trouva confronté aux crises les plus graves de sa vie missionnaire : ces crises affectaient les communautés de Galatie, de Corinthe et d’Ephèse.
Des rapports lui étaient parvenus selon lesquels des missionnaires étrangers attaquaient son évangile. De même que Paul n’intervenait pas dans les communautés fondées par d’autres, de même il n’acceptait pas d’ingérence étrangère. L’évangile qu’il annonçait il l’avait reçu de Dieu même. Le fait d’être affronté à des schismes naissants dans l’Eglise lui montre ce que peut signifier une séparation dans l’Eglise.
Des difficultés de tous ordres avaient surgi en Galatie, à Corinthe et à Ephèse. C’est au cours de cette période difficile que Paul écrit ses lettres à Corinthe, son épître aux galates et aussi aux Philippiens.
L’épître écrite de Corinthe à Rome est une préparation à ce qui devait sauver la deuxième partie de son apostolat : une mise en forme des thèmes de l’Evangile qu’il avait propagés dans la partie orientale de l’empire. Paul traite les problèmes brûlants de la foi et nous connaissons son intention d’annoncer l’Evangile aux limites du monde occidental (Rom 15,24-28).
Les Actes des Apôtres racontent innocemment que Paul, en route vers Jérusalem, évite l’escale d’Ephèse pour gagner du temps (20,16), mais que toutefois il envoie un messager pour inviter les chefs de la communauté à lui rendre visite à Milet. Dans le testament que Paul leur fait la réalité douloureuse que Paul vit est décrite comme un événement menaçant à venir : « Je sais qu’après mon départ des loups féroces s’introduiront parmi vous qui n’épargneront pas le troupeau ». Dans la deuxième lettre à Timothée Paul confesse: « Tu le sais, ceux d’Asie m’ont abandonné ». La révolte des orfèvres d’Ephèse ne suffit pas à expliquer l’attitude de Paul. Paul s’est heurté aux anti-pauliniens et aux pseudo-pauliniens. Des gens qui se réclamaient de son Evangile de liberté répandaient un enseignement que Paul devait repousser. La doctrine paulinienne de la justification par la foi prend dans les épîtres aux Galates et aux Romains la forme d’un thème théologique en raison des difficultés rencontrées en Galatie et à Corinthe. Pour Paul il n’y a qu’un chemin vers le salut : Jésus dont la grandeur s’est révélée dans son abaissement.
La lettre de Jacques propose une théologie différente de celle de Paul. Pour Jacques on n’est heureux que par les oeuvres. Jacques ne s’attaque pas à Paul, mais à un paulinisme mal compris. Mais il est significatif que Jacques dans son enseignement de la justification par les oeuvres personnelles, tout comme Paul dans son enseignement sur la justification par la foi, citent le même verset de l’Ecriture relatif au consentement d’Abraham à sacrifier Isaac (Rom 4 et Jc 2,21-23). Tous deux citent Gen 15,6. Paul conclut en Rom 3,28 : « Donc sans les oeuvres », tandis que Jacques 2,24 affirme : « Non pas sans les oeuvres ». Jacques met en relation Gen 22,9 et Gen 15,6. Le consentement d’Abraham au sacrifice de son fils est une oeuvre et c’est la raison de sa justification. D’autre part Abraham a fait confiance à Dieu. Dans la justification apparaît une synergie, une union de la foi et de l’action. Dans les oeuvres la foi agit (Jc 2,22). Pour Paul aussi la foi dans le Christ exige les oeuvres (Rom 3,20) et s’accomplit dans l’amour. La collecte qu’il organise pour l’Eglise de Jérusalem fait partie de son évangile. Jacques ne combat pas le christianisme paulinien, mais propose une tradition chrétienne différente.
La manifestation actuelle du Règne du Christ est chez Paul une idée force. Le Christ exerce dès maintenant son pouvoir comme chef de l’Eglise qui est son corps. Par le baptême le croyant meurt avec le Christ, se libère du péché et ressuscite avec le Seigneur (Col 2,12). Dès maintenant les baptisés sont déjà assis avec le Christ à côté du Père et attendent la révélation de ce qu’ils sont déjà. Ils participent à la souffrance du Christ, car la souffrance découle de l’engagement total pour le bien, le bien du Royaume de Dieu.
On parle beaucoup de nouvelle évangélisation ces derniers temps. Une des plus belles figures d’évangélisateur reste celle de Paul : sa foi au Ressuscité, son dynamisme, son talent d’organisateur sont encore l’objet d’admiration de beaucoup d’Eglises locales et peuvent inspirer aujourd’hui les générations nouvelles.

ROMAINS – Le Seigneur est notre justice

25 janvier, 2012

http://www.waters-of-life.net/index.php?n=French.BkNt06RoCh045

ROMAINS – Le Seigneur est notre justice

Etudes de l`épître de Paul aux Romains

PARTIE 1 – La justice divine condamne tous les pecheurs et elle justifie et sanctifie tous ceux qui croient en Jésus-Christ (Romains 1:18 – 8:39)
D – La puissance de Dieu nous libère de la puissance du péché (Romains 6:1 – 8:27)
8. Les trois gémissements uniques (Romains 8:18-27)

ROMAINS 8:18-22
18 J’estime que les souffrances du temps présent ne sauraient être comparées à la gloire à venir qui sera révélée pour nous. 19 Aussi la création attend-elle avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu. 20 Car la création a été soumise à la vanité, -non de son gré, mais à cause de celui qui l’y a soumise, – 21 avec l’espérance qu’elle aussi sera affranchie de la servitude de la corruption, pour avoir part à la liberté de la gloire des enfants de Dieu. 22 Or, nous savons que, jusqu’à ce jour, la création tout entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement.
Paul ne fut pas satisfait par sa foi et son amour pour Dieu, mais il alla à plus que cela, à notre espérance en Dieu. Attends-tu l’apparition de la gloire de Dieu? Est-ce cela le but de ta vie? Ne te sois pas satisfait que de résoudre tes petits problèmes, parce que le but de Dieu est la rédemption du monde entier. Attend le plus grand don de Dieu qui consiste en le renouvellement de toute la création.
Les animaux souffrent, et l’herbe disparaît. Et malheur à l’homme qui entraîne des souffrances pour le bétail. As-tu remarqué comment les yeux des animaux se ferment et s’enveloppent de la tristesse? Cela arrive parce qu’elles sont éphémères, et leur manque de la joie, ainsi les signes de la solitude et de la détresse apparaissent sur elles. Les animaux sont tous impatients à l’apparition de la gloire des fils de Dieu, parce que lors de la venue du Seigneur ses enfants nés de son Esprit et seront libérés du corps de leur souffrance, et sa gloire paraît en eux. Et puis, toutes les créatures survivent aussi. A ce moment, aucun animal ne sera rétif, aucun moustique ne pique un homme endormi, parce que le Christ nous a promis une totale paix sur la terre qui sera réalisé par la seconde venue du Christ avec tous ses saints et ses anges. L’attends-tu avec impatience?
La nature souffre depuis la chute de l’homme dans le péché, parce que la fonction de l’homme, et tout ce qui est sous son autorité, a été corrompu par sa corruption. Paul explique ce fait pour nous, en comparant la nature à une mère qui souffre sous la peine de l’accouchement jusqu’à ce que le Fils de Dieu vienne à nous, car il souffre avec nous et avec tous les animaux. Il veut venir le plus tôt possible pour le salut de tous.

ROMAINS 8:23-25
23 Et ce n’est pas elle seulement; mais nous aussi, qui avons les prémices de l’Esprit, nous aussi nous soupirons en nous-mêmes, en attendant l’adoption, la rédemption de notre corps. 24 Car c’est en espérance que nous sommes sauvés. Or, l’espérance qu’on voit n’est plus espérance: ce qu’on voit, peut-on l’espérer encore? 25 Mais si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons avec persévérance.
Les Fils de Dieu gémissent dans ce monde par la puissance de l’Esprit du Seigneur dans leur for intérieur, en demandant l’accomplissement de leur filiation. Nous avons été rachetés par la foi, mais nous serons rachetés complètement. Nous tenons aujourd’hui une partie de la perfection en nous, mais nous nous attendons à la perfection complète. L’espérance certaine et la reconnaissance d’avance pour la gloire à venir sont les caractéristiques fondamentales de la vie spirituelle en nous. Nous ne soupirons pas après l’or et la convoitise, mais nous voulons apercevoir Dieu le Père et le Fils et l’Esprit Saint. Aspires-tu à voir ton Père? Attends-tu la communion du Christ ton rédempteur? N’oubliez pas que ton corps mortel se brûlera dans la présence de la splendeur de Dieu, et tu deviendras une lumière éternelle dans sa lumière. Cela est le désir des saints, parce que leur vie couverte en Dieu apparaîtra bientôt. Elle ne remplit pas le cœur seulement, mais leur corps tourmentés, malades et mortels seront aussi changés et glorifiés. Nous avons tous besoin beaucoup de patience et de protection en attendant sur cette terre, parce que la technologie et la science tentent de briser notre espérance par la création d’un paradis éphémère dans ce monde précaire. Le Saint-Esprit seul est les arrhes de la gloire à venir.

ROMAINS 8:26-27
26 De même aussi l’Esprit nous aide dans notre faiblesse, car nous ne savons pas ce qu’il nous convient de demander dans nos prières. Mais l’Esprit lui-même intercède par des soupirs inexprimables; 27 et celui qui sonde les cœurs connaît quelle est la pensée de l’Esprit, parce que c’est selon Dieu qu’il intercède en faveur des saints.
L’Esprit Saint lui-même souffre dans nos corps faibles, et déplore sur notre incapacité, et souffre à cause de nos prières avares, et gémit à cause de nos connaissances incomplètes, et se rend attristé à cause de notre amour limité, et s’étonne à cause de notre force souffrante. L’esprit de Dieu lui-même prie et intercède en faveur des croyants, même s’ils ne prient pas. Il intercède en leur faveur par des soupires spirituels conformément à la prière du Seigneur, qui est la prière du Saint-Esprit elle-même. Soumis-toi à l’école de cette prière, et tu seras libéré de ta prière égoïste et poussé par une tempête de reconnaissance et de supplication pour le bien de l’amour. Tu prieras avec sagesse et plaisir et force, parce que c’est l’Esprit du Seigneur qui prie en toi, jour et nuit, pour sauver l’univers entier. Quand seras-tu impliqué dans sa supplication au Père céleste, en priant et rendant grâce de tout ton cœur?

PRIERE:
Père Saint, pardonne-nous nos prières paresseuses et égoïstes, et guide-nous à sanctifier ton saint nom, afin de glorifier la rédemption du Christ avec toute notre existence, et nous travaillons humblement dans la puissance de ton Esprit. Enseigne-nous, ô Seigneur, à réaliser l’espérance de l’Esprit et à prier comme il le veut, et à désirer ta présence et la venue de ton Fils dans une grande gloire, afin que toute la création survive avec tous ceux qui vivent avec l’espérance dans notre pays.

Le dynamisme de l’espérance chez saint Paul – pour la fête de la Conversion de saint Paul Apôtre

24 janvier, 2012

http://www.esprit-et-vie.com/breve.php3?id_breve=607

Édouard Cothenet

Le dynamisme de l’espérance chez saint Paul

Le mythe du progrès indéfini a fait son temps. Il suffit d’interroger les gens autour de soi, de regarder la télévision pour constater que les motifs d’inquiétude s’accroissent de jour en jour : réchauffement climatique, hausse des matières premières et surtout du pétrole, spectre de la famine dans de nombreux pays, sans parler de la violence qui gangrène nos sociétés. Programmé avant le cyclone de Birmanie et les tremblements de terre de Chine, le numéro de mars-avril 2008 de la revue Esprit s’intitule « Le temps des catastrophes ». Inutile de poursuivre… Dans cette situation, beaucoup ont tendance à se replier sur eux-mêmes, cherchant à se préserver un petit coin de bonheur tant que ce sera possible, sans trop s’occuper des autres.
Un tel constat donne à l’encyclique de Benoît XVI, Sauvés en espérance, toute son actualité. Qu’est-ce que la foi chrétienne peut nous apporter pour émerger du brouillard ambiant ? Peut-elle nous motiver pour apporter notre contribution à la lutte contre tous les facteurs de misère et pour un rapprochement entre les hommes ? L’en-tête du texte pontifical est tiré du chapitre 8 de l’épître aux Romains, le grand chapitre de Paul sur l’espérance, suscitée en nous par l’Esprit Saint. Au seuil de l’Année saint Paul, ne vaut-il pas la peine d’élargir le sujet en montrant non pas seulement comment Paul a parlé de l’espérance, mais plus encore comment il l’a vécue au cours d’une vie traversée de multiples épreuves ? [1]
L’espérance de Saul de Tarse, disciple de Gamaliel
Pour comprendre l’itinéraire spirituel de Paul il est très important de prendre en compte ses années de formation à Tarse, sa ville natale, et à Jérusalem où il s’adonna à l’étude de la Torah. Dans sa lettre aux Philippiens, l’apôtre nous donnera lui-même sa carte d’identité religieuse : « Circoncis le huitième jour, de la race d’Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu, fils d’Hébreux… » (Ph 3, 5.)
Dans une déclaration faite lors de son arrestation, Paul se présente comme citoyen romain, un titre fort envié à l’époque, et cela par naissance (Ac 22, 25-29), ce qui atteste que la famille de Paul occupait une place enviée dans la grande ville commerciale de Tarse, célèbre aussi par ses philosophes stoïciens.
La situation aisée de la famille de Saul n’enlevait rien à sa ferveur religieuse, puisque Paul se déclare fils d’Hébreux ; comprenons que l’hébreu ou l’araméen était la langue parlée à la maison, tandis que, dans les rapports sociaux ordinaires, le grec s’imposait comme la langue véhiculaire. Comme dans toutes les familles juives, la pratique du sabbat et des fêtes scandait le déroulement de l’année, tandis que l’observance stricte des lois alimentaires fixait la séparation d’avec les familles païennes (les goyîm). Converti, Paul se considérera toujours comme membre du peuple d’Israël. À ses détracteurs, il pourra répondre avec fierté : « Ils sont Hébreux ? Moi aussi ! Israélites ? Moi aussi ! De la descendance d’Abraham ? Moi aussi ! » (2 Co 11, 22.) On sait aussi quelle souffrance lui causera l’incrédulité de la majorité de ses compatriotes (Rm 9, 1 s.).
Vivant en diaspora, la famille du jeune Saul n’en devait pas moins être tendue vers la grande intervention de Dieu qui mettrait fin à une trop longue période d’humiliation. Donnons en exemple les Psaumes de Salomon, écrits au lendemain de la prise de Jérusalem par Pompée (63 av. J.-C.) par un Juif de la mouvance pharisienne. Ils expriment l’attente très vive d’un fils de David qui rétablira le royaume d’Israël.
Vois, Seigneur, et suscite pour eux leur roi fils de David, au temps que tu connais, ô Dieu,
pour qu’il règne sur Israël, ton serviteur.
Et ceins-le de force pour briser les chefs injustes.
Purifie Jérusalem des nations qui la foulent en les faisant périr ;
Qu’avec sagesse et justice il chasse les pécheurs de l’héritage,
Brise l’orgueil des pécheurs comme des vases de potier,
Fracasse avec un sceptre de fer toute leur suffisance,
Détruise les nations impies par une parole de sa bouche.
Qu’à sa menace les nations fuient devant sa face et qu’il réprimande les pécheurs
Par la parole de leur cœur ! (Psaume de Salomon 17.) [2]
Même s’il exprime d’ordinaire sa foi au Christ en d’autres termes, Paul n’oubliera pas le titre de « fils de David » qu’il reprend au début de sa lettre aux Romains : l’Évangile, que Dieu avait promis par ses prophètes dans les Écritures Saintes, concerne son Fils « issu selon la chair de la lignée de David… » (Rm 1, 2.)
Après ses années de formation scolaire à Tarse où il apprendra les règles fondamentales de la rhétorique si prisée en ce temps, Paul se rend à Jérusalem pour se mettre à l’école d’un maître pharisien très renommé, Gamaliel. Écoutons le récit que Paul lui-même a fait devant le Sanhédrin : « C’est dans cette ville que j’ai été élevé et que j’ai reçu aux pieds de Gamaliel une formation stricte à la Loi de nos pères. J’étais un partisan farouche de Dieu comme vous l’êtes tous aujourd’hui… » (Ac 22, 3.)
On ne peut dire si le jeune Saul a rencontré Jésus de Nazareth. Par contre il s’est élevé avec force contre la première communauté de Jérusalem, ainsi qu’il l’avoue lui-même : « Vous avez entendu parler de mon comportement naguère dans le judaïsme ; avec quelle frénésie je persécutais l’Église de Dieu et je cherchais à la détruire ; je faisais des progrès dans le judaïsme, surpassant la plupart de ceux de mon âge et de ma race par mon zèle débordant pour les traditions de mes pères. » (Ga 1, 13 s.)
Pour quelle raison le zèle de Paul s’est-il ainsi déployé contre les premiers chrétiens ? Ce ne pouvait être l’enseignement de Jésus, surprenant sans doute, mais explicable pour une part selon la tradition rabbinique, comme nous le rappelle Jacob Neusner [3]. Par contre semblait intolérable l’autorité souveraine que Jésus réclamait : « Moi, je vous dis… » Surtout la condamnation à la croix, l’abandon dans lequel le condamné avait été laissé par Dieu ne pouvait que signifier le rejet par Dieu du prétendu prophète de Galilée. Un texte du Deutéronome semble avoir joué un grand rôle dans la polémique antichrétienne. Paul y fait allusion dans son épître aux Galates : « Maudit quiconque pend au bois. » (Dt 21, 23 cité en Ga 3, 13.)
Le zèle de Paul s’inscrit dans la tradition juive, illustrée par Élie, le prophète de feu (1 R 19, 10). À l’époque de la persécution d’Antiochus Épiphane, Mattathias « fut embrasé de zèle pour la Loi » (1 M 2, 26) et déclencha la résistance armée contre les persécuteurs. Tel est le climat spirituel qui explique le zèle de Paul, un zèle sincère, mais mal éclairé. Sa propre expérience permettra à l’apôtre d’excuser le refus de ses frères de race : « J’en suis témoin, ils ont du zèle pour Dieu, mais c’est un zèle que n’éclaire pas la connaissance. » (Rm 10, 2.)

étude sur l’hymne de Saint Paul dans l’Epitre aux Philippiens pour la fête de la Conversion de saint Paul Apôtre

24 janvier, 2012

http://www.spiritains.org/pub/esprit/archives/art1941.htm

MORT ET RÉSURRECTION

(…’hymne de Saint Paul dans l’Epitre aux Philippiens :  » Jésus, de condition divine…  » Ph 2, 6-11)

P. Lucien Deiss

Nous entrons dans la contemplation du mystère pascal par une grande porte que nous ouvre le Père Lucien Deiss, l’hymne de Saint Paul dans l’Epitre aux Philippiens :  » Jésus, de condition divine…  » Ph 2, 6-11

Grégorien et Parole de Dieu
Jadis, avant la réforme liturgique de Vatican 11, un des sommets de l’Office de la semaine Sainte. culminait dans le chant de l’antienne  » Christus factus est pro nobis « . Quelques 120 voix jeunes, entre 20 et 25 ans, chantant le grégorien dans notre scolasticat avec une virile beauté: célébration d’une intense splendeur! La première partie de l’antienne, dans une mélodie grave et solennelle, invite à la contemplation du Christ  » obéissant jusqu’à la mort, et la mort sur la croix.  » La seconde partie, dans une envolée exultante et jubilante célèbre sa résurrection et sa seigneurie universelle:  » C’est pourquoi Dieu l’a exalté…  » Le grégorien se mettait au service du mystère, les neumes acclamaient la Parole de Dieu selon l’hymne aux Philippiens 2, 6-11.
Certaines communautés, depuis la réforme liturgique, n’ont pas pu sauvegarder la richesse de leur grégorien. En retour, elles ont récupéré un trésor d’une incomparable beauté celui de la Parole de Dieu dans son intégralité. Le texte en effet, d’une émouvante splendeur, est une hymne que Paul cite dans sa lettre aux Philippiens 2, 6-11. L’exégèse allemande l’appelle « Christuslied », chant du Christ . On la divise tout naturellement en deux parties, et les commentateurs subdivisent ordinairement chaque partie en trois strophes. La voici dans une traduction qui veut imiter autant que possible la superbe splendeur de l’original grec que cite Paul :
Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais lui-même s’anéantit prenant condition d’esclave, devenant semblable aux hommes.
Et s’étant comporté comme un homme il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort, la mort sur une croix.
C’est pourquoi Dieu l’a exalté et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom
Afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au plus haut des cieuxsur la terre et dans les enfers,
Et que toute langue proclame : le Seigneur, c’est Jésus Christ à la gloire de Dieu le Père.
Parole de Dieu et grégorien soulignent donc, chacun à sa manière, la révélation du mystère de Jésus.

Une des premières professions de foi
La lettre aux Philippiens date des années 53. La mort même de Jésus remonte aux années 30. Cette lettre fut donc rédigée quelques 23 années après la mort de Jésus. L’hymne représente ainsi une des premières professions de foi de la communauté primitive. C’est une merveille de simplicité et de force:  » Le Seigneur, c’est Jésus Christ à la gloire de Dieu le Père  » .
« Tel est le caractère fascinant et énigmatique de ce joyau de la foi chrétienne primitive qu’il n’a pas encore dévoilé tous ses secrets. » L’une des sources les plus proches semble être le quatrième chant du Serviteur de Yahvé selon Is 52,13 à 53,12. Ce chant célèbre le Serviteur, homme de douleur écrasé par la souffrance pour les péchés de son peuple, exalté ensuite comme son Fils pour son sacrifice (Is 53,10-12). On peut ajouter à cette source le thème du Nouvel Adam . Jésus est « de condition divine », littéralement « dans la forme de Dieu » (2,6). Or dans le vocabulaire biblique grec, le mot « forme » équivaut à « image ». Adam, créé à l’image de Dieu (Gn 1,27) cherche à devenir son égal. D’où sa chute. Jésus, lui qui est Fils de Dieu, n’a pas gardé jalousement le rang qui l’égalait à son Père . Il a choisi l’humilité et l’obéissance. D’où son exaltation.

En suivant le texte mot à mot
Le texte de l’hymne est particulièrement riche et dense. On donne ici, comme pour toucher le texte primitif, la transposition littérale de l’original grec.

Première partie ( 2,6-8)
Verset 6 :  » Lui (= le Christ) se trouvant en forme de Dieu, ne retint pas comme une proie d’être égal à Dieu « .
La lourdeur de la phrase s’explique par le désir d’évoquer l’image du Christ en tant nouvel Adam. Le premier Adam en effet se laissa séduire précisément par la tentation de devenir égal à Dieu:  » Vous serez comme des dieux  » (Gn 3,5), lui avait promis le démon. Le Christ , lui, réalise l’égalité avec Adam, mais au coeur même de son humilité. Nouvel Adam, il restaure ainsi l’image de Dieu en toute l’humanité.
Verset 7.  » Mais lui-même s’anéantit ( littéralement : se vida)  » prenant forme d’esclave, devenant semblable aux hommes . Quant à son aspect, il fut reconnu comme un homme.
 » Il s’anéantit  » nous comprenons : il renonça à ce qui lui appartenait en tant que Dieu, c’est-à-dire l’infinie splendeur de sa divinité. « Prenant forme d’esclave »: le mot  » esclave  » y rend servilement le grec  » doulos  » mais peut paraître trop fort dans le contexte. Il semble préférable de le rendre par le terme de  » serviteur  » On se souviendra que dans le vocabulaire de l’Ancien Testament, le serviteur peut resplendir d’une certaine noblesse en tant apparaît comme l’image et le remplaçant de son maître. C’est bien dans cette noblesse d’amour entre serviteur et maître qu’il faut comprendre la relation entre Jésus et son Père. C’est aussi dans cette noblesse d’amour que nous sommes nous-mêmes serviteurs du Père .
L’hymne affirme avec force la réalité de l’humanité de Jésus. Elle barre ainsi la route à tout docétisme. Cette hérésie, à l’oeuvre dès les premiers temps de l’Eglise, prétendait que Jésus n’était pas vraiment homme mais n’avait que la ressemblance humaine (dokein, ressembler). Elle pensait ainsi enlever le caractère scandaleux à l’incarnation et sauvegarder en même temps l’impassibilité divine: Dieu ne peut pas souffrir. Mais elle ruinait en même temps le mystère de l’incarnation de Dieu au milieu de la pauvreté humaine. Telle est la distance abyssale entre l’humilité de la condition humaine et l’infinie splendeur de la divinité. Telle est justement aussi l’infini de l’amour de Dieu pour nous.
Verset 8.  » il s’abaissa lui-même, devenant obéissant jusqu’à la mort, la mort de la croix. « 
Cette troisième strophe proclame l’humiliation extrême de Jésus et son obéissance parfaite dans sa mort sur la croix. Elle évoque l’image émouvante du Serviteur de Yahvé, homme de douleurs , familier de la souffrance (Is 53,43), portant le poids de nos péchés et souffrant pour nos fautes. L’affirmation fondamentale dans la théologie paulinienne selon laquelle c’est par le péché que souffrance et mort sont entrées dans le monde (Rm 5,12) n’est pas niée dans l’hymne, elle n’est simplement pas reprise. Il y a donc possibilité dans le message chrétien d’évoquer souffrance et mort simplement comme liées à la condition humaine.
Relevons enfin la beauté de l’adjectif hypèkoos, obéissant, du verbe
hypakouein obéir et du substantif hypakoè, obéissance. Ces mots sont formés du verbe akouein, du préfixe hypo, dessous, d’où  » écouter en penchant la tête  » (Bailly). L’obéissance de Jésus, comme l’obéissance chrétienne , n’est pas l’exécution servile de la volonté d’un maître intraitable, mais bien l’humble écoute de la Parole de Dieu en penchant la tête en signe de vénération et d’amour. Au coeur de sa souffrance, dans l’agonie de sa mort, cette obéissance d’amour fut la seule réponse de Jésus à son Père. Elle est aussi pour nous aujourd’hui notre seule réponse.

Deuxième partie ( 2, 9-11)
Verset 9 : « C’est pourquoi aussi Dieu l’a exalté et lui (a donné) par grâce le nom celui au-dessus de tout nom. »
La première partie présentait Jésus comme sujet de la phrase, on s’attendait donc à ce que la seconde partie proclamât sa résurrection. En fait, la résurrection, toujours présente, n’est même pas mentionnée ici. L’hymne préfère parler plutôt de l’exaltation de Jésus. Elle célèbre donc non pas simplement le retour à la vie du Seigneur , mais bien son entrée dans la gloire du Père. Elle souligne non pas un mérite du Christ, mais un don gratuit, une grâce (echarisato) du Père. Elle s’enracine dans l’amour merveilleux du Père. C’est lui, le Père, qui est au centre de sa louange.
Verset 10:  » Afin que dans le nom de Jésus tout genou fléchisse (dans ) les cieux, et les terres et sous les terres. « 
Dans l’univers biblique le nom n’est pas d’abord indication de l’identité de la personne, mais bien la révélation de ce qu’est sa personne devant Dieu. On peut donc affirmer ainsi que le nom de Dieu, comprenons : Dieu lui-même, habitait le Temple ( Dt 12,5). C’est pour cela que le fidèle de la Première Alliance évitait de prononcer le nom de Dieu pour ne pas se trouver comme par surprise devant le Dieu d’infinie majesté. Il remplaçait ce nom par des équivalences comme « Tout-Puissant » ou  » Très Haut « . Le nom « Yahvé » lui-même fut révélé a Moïse au Sinaï ( Ex 3,14) . Il représentait au coeur de l’Ancien Testament la richesse de son amour.
Le fidèle de la Nouvelle Alliance au contraire aime prononcer le nom de Jésus . Ce nom est proclamation de son salut. Il signifie en effet selon l’hébreu « Yéhoshua » : Yahvé sauve . C’est ce que l’ange avait expliqué à Joseph quand il lui avait demandé d’accueillir chez lui l’enfant de son épouse Marie :  » Tu lui donneras le nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés  » (Mt 15, 21).
Verset 11 : « Et que toute langue proclame que Seigneur (est) Jésus Christ pour la gloire de Dieu le Père
Le texte reprend l’acclamation de l’Eglise primitive qui est en même temps sa profession de foi: « Jésus Christ (est) Seigneur! » On notera l’inversion des mots  » Seigneur (est) Jésus Christ » pour souligner avec puissance la seigneurie de Jésus. Elle devait être familière à la communauté primitive ( cf. Col 2,9)
Cette finale renvoie à l’hymne citée en Is 45, 20-25. Dans cette hymne Dieu apparaît comme Dieu unique, juste et sauveur » devant qui se rassemblent toutes les nations et devant qui tout genou doit fléchir. Telle est bien la seigneurie de Dieu le Père, telle est également la seigneurie de Jésus.
Au coeur de la foi chrétienne se trouve donc la profession de foi en la seigneurie de Jésus « à la gloire de Dieu le Père ». Cette gloire du Père, c’est d’être reconnu et aimé , d’abord et essentiellement en tant que Père de Jésus, puis, à travers lui, de toute la création, donc de toute beauté, de tout amour, de toute joie.

En conclusion nous voyons là une hymne unique dans la littérature du Nouveau Testament, éblouissante de simplicité et d’optimisme théologique, parfaitement adaptée à notre époque ! Elle évite même de mentionner le péché de l’homme et du rachat de ce péché par la croix et préfère célébrer plutôt l’invitation de toute l’humanité, par le Christ, à la louange du Père. La résurrection ellemême de Jésus n’est pas décrite comme sa levée du séjour des morts après l’ignominie de la croix, mais bien comme son exaltation  » à la gloire de Dieu le Père.  » Aucune invitation non plus n’est faite pour présenter une prière de demande ni non plus une louange ou une action de grâce, mais il est évident que la seule réponse qui puisse être faite est cette louange ou cette action de grâce. Dieu est infinité d’amour. Toute son action dans le monde ne peut être qu’expression de son amour. Notre vie elle-même ne peut être que réalisation de ce à quoi nous avons été prédestinés, c’est-à-dire à être des vivantes  » louanges de sa gloire  » (Ep 1,5).
Nous réalisons cet idéal en marchant à la suite de Jésus, en vivant dans l’humilité devant le Père, en lui obéissant « jusqu’à la mort », c’est-à-dire en acceptant chaque instant de notre vie comme une offrande à son amour. Ainsi cette hymne s’incarne-t-elle au coeur de notre vie.

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