Archive pour la catégorie 'saint Paul'

KARL RAHNER – COMMENTAIRE DE L’EXTRAIT SUIVANT DE LA 2E LETTRE DE PAUL AUX CORINTHIENS (2 CO 6, 1-10)

8 juin, 2015

http://peresdeleglise.free.fr/auteurscontemporains/rahner2.htm

KARL RAHNER – COMMENTAIRE DE L’EXTRAIT SUIVANT DE LA 2E LETTRE DE PAUL AUX CORINTHIENS (2 CO 6, 1-10)

Extraits d’un Sermon prononcé le 1er dimanche de Carême, 10 mars 1957, commentant 2 Co 6, 1-10)
Commentaire de l’extrait suivant de la 2e lettre de Paul aux Corinthiens (2 Co 6, 1-10) :

« Puisque nous sommes ses coopérateurs, nous vous exhortons à ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu. Car il est dit : « Au temps favorable, je t’exauce, au jour de salut, je te viens en aide ». Le voici maintenant le temps favorable, le voici le jour du salut. »

Extrait du Sermon de Karl Rahner :

« Nous le savons tous, la vie humaine n’est vécue qu’une fois et c’est à partir de cette unicité du temps que, tel un fruit, croît l’éternité. Nous autres chrétiens, nous savons que ce temps unique nous est donné par Dieu. Nous sommes appelés dans un temps déterminé et nous avons un temps dont nous ne décrétons pas la longueur : c’est Dieu qui la détermine. Dans ce temps, encore une fois, chaque moment est unique et précieux, car, en définitive, aucun moment ne peut être remplacé par un autre. Et puisque nous autres chrétiens, nous sommes, en tant que chrétiens, appelés dans le temps du Christ, puisqu’on nous prêche la Parole de Dieu révélée, la Parole de sa réconciliation, de son amour, de sa miséricorde, puisque la Parole de Dieu faite chair appartient à notre temps, c’est donc que le jour du salut est vraiment là ainsi que le moment favorable, le moment convenable, le moment opportun, selon la trauction qu’on pourrait peut-être aussi donner à ce mot chez Paul. C’est pourquoi Paul affirme (et l’Eglise le dit avec lui maintenant, au début de ce temps de Carême) : c’est maintenant le temps favorable, le « Kairos » pour vous, c’est maintenant le jour du salut. Ce maintenant n’existe pas toujours, mais il passe ; ce maintenant est un don qui n’est pas en notre pouvoir. Peut-être avons-nous encore une longue vie devant nous, peut-être vivrons-nous encore de nombreux Carêmes, et pourtant chaque moment de notre vie est précieux et chacun est un don de Dieu. Souvent nous aimerions bien avoir d’autres temps, dans l’histoire du mondee et dans notre vie. Peut-être avons-nous un temps de détresse, et nous aimerions avoir un temps de joie. Peut-être aimerions-nous connaître des temps magnifiques et nous avons un temps de travail pauvre, pénible, monotone, ennuyeux, dont – croyons-nous – il ne sort pas grand-chose. Et pourtant, de chacun de nos instants, l’Ecriture peut dire : Le voici maintenant le temps favorable, le voici maintenant le jour du salut : ce jour que tu as maintenant, l’heure qui t’est donnée maintenant. Sans cesse nous devrions, de toute la force de notre coeur, adresser à Dieu cette prière : Donne-moi la lumière et la force pour reconnaître le temps que j’ai maintenant comme tu veux que je le reconnaisse : comme quelque chose qu’il faut peut-être supporter et qui est peut-être ennuyeux et amer, comme l’heure, peut-être, de la mort et de la lente agonie, mais surtout comme ton heure, comme le don que tu me fais, et comme le jour de ton salut.
Si nous commencions ainsi chaque journée, si nous acceptions chaque heure de la main de Dieu, c’est-à-dire de là d’où elle nous vient vfraiment, si nous ne nous plaignions pas, si nous ne nous attaquions pas à la situation dans laquelle nous sommes placés sans pouvoir y échapper, mais si nous disions avec foi et humilité, dans la force de l’Esprit et dans la lumière du Seigneur : c’est maintenant le jour du salut, l’heure du salut, le moment favorable, d’où peut surgir mon éternité, est-ce que notre vie ne serait pas alors mieux vécue ? Est-ce qu’alors nos journées – même si, humainement, elles sont vides et désolées – ne seraient pas plus remplies, plus lumineuses, plus grandes, plus larges et plus heureuses de ce bonheur secret que le chrétien peut connaître même sur la croix et dans la désolation. Redisons une fois encore avec l’Apôtre : Le voici maintenant le temps favorable, le voici maintenant le jour du salut. Ô Dieu, donne-nous dans ta grâce la lumière et la force de reconnaître et de vivre le jour, le moment tel que tu ne cesses de nous le donner : comme le don que tu nous fais, comme ta grâce et comme notre mission, afin que de ce temps, de ce temps favorable du salut germe ton éternité. »
(Sermon cité in Homélies et méditations, Salvator, 2005, pp. 223-225)

BENOÎT XVI: L’APOSTOLAT DE SAINT PAUL

2 mai, 2015

http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2008/documents/hf_ben-xvi_aud_20080910.html

BENOÎT XVI

AUDIENCE GÉNÉRALE

Audience générale du 10 septembre 2008

L’APOSTOLAT DE SAINT PAUL

Chers frères et sœurs,
Mercredi dernier, j’ai parlé du grand tournant qui eut lieu dans la vie de saint Paul à la suite de sa rencontre avec le Christ ressuscité. Jésus entra dans sa vie et le transforma de persécuteur en apôtre. Cette rencontre marqua le début de sa mission: Paul ne pouvait pas continuer à vivre comme avant, à présent il se sentait investi par le Seigneur de la mission d’annoncer son Evangile en qualité d’apôtre. Et c’est précisément de cette nouvelle condition de vie, c’est-à-dire d’être apôtre du Christ, que je voudrais vous parler aujourd’hui. Normalement, en suivant les Evangiles, nous identifions les Douze avec le titre d’apôtres, entendant ainsi indiquer ceux qui étaient les compagnons de vie et les auditeurs de l’enseignement de Jésus. Mais Paul aussi se sent un véritable apôtre et il apparaît donc clair que le concept paulinien d’apostolat ne se limite pas au groupe des Douze. Naturellement Paul sait bien distinguer son propre cas de celui de ceux « qui étaient Apôtres avant » lui (Ga 1, 17): il leur reconnaît une place toute particulière dans la vie de l’Eglise. Et pourtant, comme chacun le sait, saint Paul s’interprète lui aussi comme Apôtre au sens strict. Il est certain que, à l’époque des origines chrétiennes, personne ne parcourut autant de kilomètres que lui, sur la terre et sur la mer, dans le seul but d’annoncer l’Evangile.
Il possédait donc un concept d’apostolat qui allait au-delà de celui lié uniquement au groupe des Douze et transmis en particulier par saint Luc dans les Actes (cf. Ac 1,2.26; 6, 2). En effet, dans la première Lettre aux Corinthiens Paul effectue une claire distinction entre « les Douze » et « tous les apôtres », mentionnés comme deux groupes différents de bénéficiaires des apparitions du Ressuscité (cf. 15, 5.7). Dans ce même texte, il se nomme ensuite humblement lui-même comme « le plus petit des Apôtres », se comparant même à un avorton et affirmant textuellement: « Je ne suis pas digne d’être appelé apôtre, puisque j’ai persécuté l’Eglise de Dieu. Mais ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu, et la grâce dont il m’a comblé n’a pas été stérile. Je me suis donné de la peine plus que tous les autres; à vrai dire ce n’est pas moi, c’est la grâce de Dieu avec moi » (1 Co 15, 9-10). La métaphore de l’avorton exprime une extrême modestie; on la trouvera également dans la Lettre aux Romains de saint Ignace d’Antioche: « Je suis le dernier de tous, je suis un avorton; mais il me sera accordé d’être quelque chose, si je rejoins Dieu » (9, 2). Ce que l’évêque d’Antioche dira à propos de son martyre imminent, prévoyant que celui-ci transformerait sa condition d’indignité, saint Paul le dit lui-même en relation avec son propre engagement apostolique: c’est dans celui-ci que se manifeste la fécondité de la grâce de Dieu, qui sait précisément transformer un homme mal réussi en un apôtre splendide. De persécuteur à fondateur d’Eglises: c’est ce qu’a fait Dieu chez une personne qui, du point de vue évangélique, aurait pu être considérée comme un rebut!
Qu’est-ce donc, selon la conception de Paul, qui fait de lui et d’autres personnes des apôtres? Dans ses Lettres apparaissent trois caractéristiques principales, qui constituent l’apostolat. La première est d’avoir « vu le Seigneur » (cf. 1 Co 9, 1), c’est-à-dire d’avoir eu avec lui une rencontre déterminante pour sa propre vie. De même, dans la Lettre aux Galates (cf. 1, 15-16) il dira qu’il a été appelé, presque sélectionné par la grâce de Dieu avec la révélation de son Fils en vue de l’heureuse annonce aux païens. En définitive, c’est le Seigneur qui appelle à l’apostolat, et non la propre présomption. L’apôtre ne se fait pas tout seul, mais il est fait tel par le Seigneur; l’apôtre a donc besoin de se référer constamment au Seigneur. Ce n’est pas pour rien que Paul dit qu’il est « apôtre par vocation » (Rm 1, 1), c’est-à-dire « envoyé non par les hommes, ni par un intermédiaire humain, mais par Jésus Christ et par Dieu le Père » (Ga 1, 1). Telle est la première caractéristique: avoir vu le Seigneur, avoir été appelé par Lui
La deuxième caractéristique est d’ »avoir été envoyés ». Le terme grec apóstolos signifie précisément « envoyé, mandaté », c’est-à-dire ambassadeur et porteur d’un message; il doit donc agir comme responsable et représentant d’un mandant. Et c’est pour cela que Paul se définit « apôtre du Christ Jésus » (1 Co 1, 1; 2 Co 1, 1), c’est-à-dire son délégué, entièrement placé à son service, au point de s’appeler également « serviteur de Jésus Christ » (Rm 1, 1). Encore une fois apparaît au premier plan l’idée de l’initiative d’une autre personne, celle de Dieu dans le Christ Jésus, à laquelle on doit une pleine obéissance; mais il est en particulier souligné que l’on a reçu de lui une mission à accomplir en son nom, en mettant absolument au deuxième plan tout intérêt personnel.
La troisième condition est l’exercice de l’ »annonce de l’Evangile », avec la fondation conséquente d’Eglises. En effet, le titre d’ »apôtre » n’est pas et ne peut pas être un titre honorifique. Il engage concrètement et même dramatiquement toute l’existence du sujet concerné. Dans la première Lettre aux Corinthiens Paul s’exclame: « Ne suis-je pas apôtre? N’ai-je pas vu Jésus notre Seigneur? Et vous, n’êtes-vous pas mon œuvre dans le Seigneur? » (9, 1). De même, dans la deuxième Lettre aux Corinthiens il affirme: « C’est vous-mêmes qui êtes ce document…, vous êtes ce document venant du Christ, confié à notre ministère, écrit non pas avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant » (3, 2-3).
Il ne faut donc pas s’étonner si saint Jean Chrysostome parle de Paul comme d’ »une âme de diamant » (Panégyriques, 1, 8), et poursuit en disant: « De la même manière que le feu se renforce encore davantage en prenant sur des matériaux différents…, la parole de Paul gagnait à sa propre cause tous ceux avec qui il entrait en relation, et ceux qui lui faisaient la guerre, capturés par ses discours, devenaient une nourriture pour ce feu spirituel » (ibid. 7, 11). Cela explique pourquoi Paul définit les apôtres comme des « collaborateurs de Dieu » (1 Co 3, 9; 2 Co 6, 1), dont la grâce agit avec eux. Un élément typique du véritable apôtre, bien mis en lumière par saint Paul, est une sorte d’identification entre Evangile et évangélisateur, tous deux destinés au même sort. En effet, personne autant que Paul n’a souligné que l’annonce de la croix du Christ apparaît comme « scandale et folie » (1 Co 1, 23), à laquelle nombreux sont ceux qui réagissent par l’incompréhension et le refus. L’apôtre Paul participe donc à ce sort d’apparaître « scandale et folie » et il le sait: telle est l’expérience de sa vie. Il écrit aux Corinthiens, non sans une nuance d’ironie: « Mais nous les Apôtres, il me semble que Dieu a fait de nous les derniers de tous, comme on expose des condamnés à mort, livrés en spectacle au monde entier, aux anges et aux hommes. Nous passons pour des fous à cause du Christ, et vous, pour des gens sensés dans le Christ; nous sommes faibles, et vous êtes forts; vous êtes à l’honneur, et nous, dans le mépris. Maintenant encore, nous avons faim, nous avons soif, nous n’avons pas de vêtements, nous sommes maltraités, nous n’avons pas de domicile, nous peinons dur à travailler de nos mains. Les gens nous insultent, nous les bénissons. Ils nous persécutent, nous supportons. Ils nous calomnient, nous avons des paroles d’apaisement. Jusqu’à maintenant, nous sommes pour ainsi dire les balayures du monde, le rebut de l’humanité » (1 Co 4, 9-13). C’est un autoportrait de la vie apostolique de saint Paul: dans toutes ces souffrances prévaut la joie d’être le porteur de la bénédiction de Dieu et de la grâce de l’Evangile
Paul partage par ailleurs avec la philosophie stoïcienne de son temps l’idée d’une constance tenace face à toutes les difficultés qui se présentent à lui; mais il dépasse la perspective purement humaniste, rappelant la composante de l’amour de Dieu et du Christ: « Qui pourra nous séparer de l’amour du Christ? la détresse? l’angoisse? la persécution? la faim? le dénuement? le danger? le supplice? L’Ecriture dit en effet: C’est pour toi qu’on nous massacre sans arrêt, on nous prend pour des moutons d’abattoir. Oui, en tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés. J’en ai la certitude: ni la mort ni la vie, ni les esprits ni les puissances, ni le présent ni l’avenir, ni les astres, ni les cieux, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est en Jésus Christ notre Seigneur » (Rm 8, 35-39). Telle est la certitude, la joie profonde qui guide l’apôtre Paul dans tous ces événements: rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu. Et cet amour est la véritable richesse de la vie humaine.
Comme on le voit, saint Paul s’était donné à l’Evangile avec toute son existence; nous pourrions dire vingt-quatre heures sur vingt-quatre! Et il accomplissait son ministère avec fidélité et avec joie, « pour en sauver à tout prix quelques-uns » (1 Co 9, 22). Et il se situait à l’égard des Eglises, tout en sachant qu’il avait avec elles une relation de paternité (cf. 1 Co 4, 15), voire de maternité (cf. Ga 4, 19), dans une attitude de service complet, déclarant admirablement: « Il ne s’agit pas d’exercer un pouvoir sur votre foi, mais de collaborer à votre joie » (2 Co 1, 24). Telle demeure la mission de tous les apôtres du Christ à toutes les époques: être les collaborateurs de la joie véritable.

MORT ET RÉSURRECTION (Ph 2, 6-11)

15 avril, 2015

http://www.spiritains.org/pub/esprit/archives/art1941.htm

MORT ET RÉSURRECTION

P. Lucien Deiss

Nous entrons dans la contemplation du mystère pascal par une grande porte que nous ouvre le Père Lucien Deiss, l’hymne de Saint Paul dans l’Epitre aux Philippiens :  » Jésus, de condition divine…  » Ph 2, 6-11

Grégorien et Parole de Dieu
Jadis, avant la réforme liturgique de Vatican 11, un des sommets de l’Office de la semaine Sainte. culminait dans le chant de l’antienne  » Christus factus est pro nobis « . Quelques 120 voix jeunes, entre 20 et 25 ans, chantant le grégorien dans notre scolasticat avec une virile beauté: célébration d’une intense splendeur! La première partie de l’antienne, dans une mélodie grave et solennelle, invite à la contemplation du Christ  » obéissant jusqu’à la mort, et la mort sur la croix.  » La seconde partie, dans une envolée exultante et jubilante célèbre sa résurrection et sa seigneurie universelle:  » C’est pourquoi Dieu l’a exalté…  » Le grégorien se mettait au service du mystère, les neumes acclamaient la Parole de Dieu selon l’hymne aux Philippiens 2, 6-11.
Certaines communautés, depuis la réforme liturgique, n’ont pas pu sauvegarder la richesse de leur grégorien. En retour, elles ont récupéré un trésor d’une incomparable beauté celui de la Parole de Dieu dans son intégralité. Le texte en effet, d’une émouvante splendeur, est une hymne que Paul cite dans sa lettre aux Philippiens 2, 6-11. L’exégèse allemande l’appelle « Christuslied », chant du Christ . On la divise tout naturellement en deux parties, et les commentateurs subdivisent ordinairement chaque partie en trois strophes. La voici dans une traduction qui veut imiter autant que possible la superbe splendeur de l’original grec que cite Paul :
Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais lui-même s’anéantit prenant condition d’esclave, devenant semblable aux hommes.
Et s’étant comporté comme un homme il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort, la mort sur une croix.
C’est pourquoi Dieu l’a exalté et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom
Afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au plus haut des cieux
sur la terre et dans les enfers,
Et que toute langue proclame : le Seigneur, c’est Jésus Christ à la gloire de Dieu le Père.
Parole de Dieu et grégorien soulignent donc, chacun à sa manière, la révélation du mystère de Jésus.
Une des premières professions de foi
La lettre aux Philippiens date des années 53. La mort même de Jésus remonte aux années 30. Cette lettre fut donc rédigée quelques 23 années après la mort de Jésus. L’hymne représente ainsi une des premières professions de foi de la communauté primitive. C’est une merveille de simplicité et de force:  » Le Seigneur, c’est Jésus Christ à la gloire de Dieu le Père  » .
« Tel est le caractère fascinant et énigmatique de ce joyau de la foi chrétienne primitive qu’il n’a pas encore dévoilé tous ses secrets. » L’une des sources les plus proches semble être le quatrième chant du Serviteur de Yahvé selon Is 52,13 à 53,12. Ce chant célèbre le Serviteur, homme de douleur écrasé par la souffrance pour les péchés de son peuple, exalté ensuite comme son Fils pour son sacrifice (Is 53,10-12). On peut ajouter à cette source le thème du Nouvel Adam . Jésus est « de condition divine », littéralement « dans la forme de Dieu » (2,6). Or dans le vocabulaire biblique grec, le mot « forme » équivaut à « image ». Adam, créé à l’image de Dieu (Gn 1,27) cherche à devenir son égal. D’où sa chute. Jésus, lui qui est Fils de Dieu, n’a pas gardé jalousement le rang qui l’égalait à son Père . Il a choisi l’humilité et l’obéissance. D’où son exaltation.
En suivant le texte mot à mot
Le texte de l’hymne est particulièrement riche et dense. On donne ici, comme pour toucher le texte primitif, la transposition littérale de l’original grec.
Première partie ( 2,6-8)
Verset 6 :  » Lui (= le Christ) se trouvant en forme de Dieu, ne retint pas comme une proie d’être égal à Dieu « .
La lourdeur de la phrase s’explique par le désir d’évoquer l’image du Christ en tant nouvel Adam. Le premier Adam en effet se laissa séduire précisément par la tentation de devenir égal à Dieu:  » Vous serez comme des dieux  » (Gn 3,5), lui avait promis le démon. Le Christ , lui, réalise l’égalité avec Adam, mais au coeur même de son humilité. Nouvel Adam, il restaure ainsi l’image de Dieu en toute l’humanité.
Verset 7.  » Mais lui-même s’anéantit ( littéralement : se vida)  » prenant forme d’esclave, devenant semblable aux hommes . Quant à son aspect, il fut reconnu comme un homme.
 » Il s’anéantit  » nous comprenons : il renonça à ce qui lui appartenait en tant que Dieu, c’est-à-dire l’infinie splendeur de sa divinité. « Prenant forme d’esclave »: le mot  » esclave  » y rend servilement le grec  » doulos  » mais peut paraître trop fort dans le contexte. Il semble préférable de le rendre par le terme de  » serviteur  » On se souviendra que dans le vocabulaire de l’Ancien Testament, le serviteur peut resplendir d’une certaine noblesse en tant apparaît comme l’image et le remplaçant de son maître. C’est bien dans cette noblesse d’amour entre serviteur et maître qu’il faut comprendre la relation entre Jésus et son Père. C’est aussi dans cette noblesse d’amour que nous sommes nous-mêmes serviteurs du Père .
L’hymne affirme avec force la réalité de l’humanité de Jésus. Elle barre ainsi la route à tout docétisme. Cette hérésie, à l’oeuvre dès les premiers temps de l’Eglise, prétendait que Jésus n’était pas vraiment homme mais n’avait que la ressemblance humaine (dokein, ressembler). Elle pensait ainsi enlever le caractère scandaleux à l’incarnation et sauvegarder en même temps l’impassibilité divine: Dieu ne peut pas souffrir. Mais elle ruinait en même temps le mystère de l’incarnation de Dieu au milieu de la pauvreté humaine. Telle est la distance abyssale entre l’humilité de la condition humaine et l’infinie splendeur de la divinité. Telle est justement aussi l’infini de l’amour de Dieu pour nous.
Verset 8.  » il s’abaissa lui-même, devenant obéissant jusqu’à la mort, la mort de la croix. « 
Cette troisième strophe proclame l’humiliation extrême de Jésus et son obéissance parfaite dans sa mort sur la croix. Elle évoque l’image émouvante du Serviteur de Yahvé, homme de douleurs , familier de la souffrance (Is 53,43), portant le poids de nos péchés et souffrant pour nos fautes. L’affirmation fondamentale dans la théologie paulinienne selon laquelle c’est par le péché que souffrance et mort sont entrées dans le monde (Rm 5,12) n’est pas niée dans l’hymne, elle n’est simplement pas reprise. Il y a donc possibilité dans le message chrétien d’évoquer souffrance et mort simplement comme liées à la condition humaine.
Relevons enfin la beauté de l’adjectif hypèkoos, obéissant, du verbe
hypakouein obéir et du substantif hypakoè, obéissance. Ces mots sont formés du verbe akouein, du préfixe hypo, dessous, d’où  » écouter en penchant la tête  » (Bailly). L’obéissance de Jésus, comme l’obéissance chrétienne , n’est pas l’exécution servile de la volonté d’un maître intraitable, mais bien l’humble écoute de la Parole de Dieu en penchant la tête en signe de vénération et d’amour. Au coeur de sa souffrance, dans l’agonie de sa mort, cette obéissance d’amour fut la seule réponse de Jésus à son Père. Elle est aussi pour nous aujourd’hui notre seule réponse.

Deuxième partie ( 2, 9-11)
Verset 9 : « C’est pourquoi aussi Dieu l’a exalté et lui (a donné) par grâce le nom celui au-dessus de tout nom. »
La première partie présentait Jésus comme sujet de la phrase, on s’attendait donc à ce que la seconde partie proclamât sa résurrection. En fait, la résurrection, toujours présente, n’est même pas mentionnée ici. L’hymne préfère parler plutôt de l’exaltation de Jésus. Elle célèbre donc non pas simplement le retour à la vie du Seigneur , mais bien son entrée dans la gloire du Père. Elle souligne non pas un mérite du Christ, mais un don gratuit, une grâce (echarisato) du Père. Elle s’enracine dans l’amour merveilleux du Père. C’est lui, le Père, qui est au centre de sa louange.
Verset 10:  » Afin que dans le nom de Jésus tout genou fléchisse (dans ) les cieux, et les terres et sous les terres. « 
Dans l’univers biblique le nom n’est pas d’abord indication de l’identité de la personne, mais bien la révélation de ce qu’est sa personne devant Dieu. On peut donc affirmer ainsi que le nom de Dieu, comprenons : Dieu lui-même, habitait le Temple ( Dt 12,5). C’est pour cela que le fidèle de la Première Alliance évitait de prononcer le nom de Dieu pour ne pas se trouver comme par surprise devant le Dieu d’infinie majesté. Il remplaçait ce nom par des équivalences comme « Tout-Puissant » ou  » Très Haut « . Le nom « Yahvé » lui-même fut révélé a Moïse au Sinaï ( Ex 3,14) . Il représentait au coeur de l’Ancien Testament la richesse de son amour.
Le fidèle de la Nouvelle Alliance au contraire aime prononcer le nom de Jésus . Ce nom est proclamation de son salut. Il signifie en effet selon l’hébreu « Yéhoshua » : Yahvé sauve . C’est ce que l’ange avait expliqué à Joseph quand il lui avait demandé d’accueillir chez lui l’enfant de son épouse Marie :  » Tu lui donneras le nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés  » (Mt 15, 21).
Verset 11 : « Et que toute langue proclame que Seigneur (est) Jésus Christ pour la gloire de Dieu le Père
Le texte reprend l’acclamation de l’Eglise primitive qui est en même temps sa profession de foi: « Jésus Christ (est) Seigneur! » On notera l’inversion des mots  » Seigneur (est) Jésus Christ » pour souligner avec puissance la seigneurie de Jésus. Elle devait être familière à la communauté primitive ( cf. Col 2,9)
Cette finale renvoie à l’hymne citée en Is 45, 20-25. Dans cette hymne Dieu apparaît comme Dieu unique, juste et sauveur » devant qui se rassemblent toutes les nations et devant qui tout genou doit fléchir. Telle est bien la seigneurie de Dieu le Père, telle est également la seigneurie de Jésus.
Au coeur de la foi chrétienne se trouve donc la profession de foi en la seigneurie de Jésus « à la gloire de Dieu le Père ». Cette gloire du Père, c’est d’être reconnu et aimé , d’abord et essentiellement en tant que Père de Jésus, puis, à travers lui, de toute la création, donc de toute beauté, de tout amour, de toute joie.
En conclusion nous voyons là une hymne unique dans la littérature du Nouveau Testament, éblouissante de simplicité et d’optimisme théologique, parfaitement adaptée à notre époque ! Elle évite même de mentionner le péché de l’homme et du rachat de ce péché par la croix et préfère célébrer plutôt l’invitation de toute l’humanité, par le Christ, à la louange du Père. La résurrection ellemême de Jésus n’est pas décrite comme sa levée du séjour des morts après l’ignominie de la croix, mais bien comme son exaltation  » à la gloire de Dieu le Père.  » Aucune invitation non plus n’est faite pour présenter une prière de demande ni non plus une louange ou une action de grâce, mais il est évident que la seule réponse qui puisse être faite est cette louange ou cette action de grâce. Dieu est infinité d’amour. Toute son action dans le monde ne peut être qu’expression de son amour. Notre vie elle-même ne peut être que réalisation de ce à quoi nous avons été prédestinés, c’est-à-dire à être des vivantes  » louanges de sa gloire  » (Ep 1,5).
Nous réalisons cet idéal en marchant à la suite de Jésus, en vivant dans l’humilité devant le Père, en lui obéissant « jusqu’à la mort », c’est-à-dire en acceptant chaque instant de notre vie comme une offrande à son amour. Ainsi cette hymne s’incarne-t-elle au coeur de notre vie.

NOUS SOMMES DÉJÀ RESSUSCITÉS AVEC LE CHRIST JÉSUS

7 avril, 2015

http://dansedejoie.homily-service.net/dejaressuscites.htm

NOUS SOMMES DÉJÀ RESSUSCITÉS AVEC LE CHRIST JÉSUS

Saint Paul écrit aux colossiens, chapitre 2, verset 12 et 13 :
 » Ensevelis avec Lui, lors du baptême, vous êtes aussi ressuscités avec Lui, parce que vous avez cru en la Force de Dieu qui l’a ressuscité des morts. Vous qui étiez morts du fait de vos fautes et de votre chair incirconcise, IL vous a fait revivre avec Lui, IL vous a pardonné toutes vos fautes. « 
Et en Ephésiens 2, 4-6, Paul nous dit :
 » Mais Dieu qui est riche en Miséricorde, à cause du grand Amour, dont IL nous a aimés, alors que nous étions déjà morts, par suite de nos fautes, nous a fait revivre avec le Christ. C’est par grâce que vous êtes sauvés. Avec Lui, IL nous a ressuscités et fait asseoir aux Cieux dans le Christ Jésus. « 
Qui jusqu’à ce jour, a osé enseigner après Saint Paul, que nous sommes en Jésus Ressuscité ; déjà ressuscités. En effet, nous sommes les membres vivants du Christ ressuscité, vainqueurs en Lui, de la mort. Voilà pourquoi, nous devons être sans cesse en communion, avec Dieu le Père, en Jésus le Ressuscité.
 » Du moment donc que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’En Haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu  » (Colossiens 3,1)
Il va de soi, que cela n’est pas facile à réaliser car nous sommes plus portés à réaliser les choses de cette terre, que de vivre en Jésus, comme membres actifs du Christ ressuscité. N’oublions jamais que là où est le Christ, le Père et l’Esprit sont à l’œuvre. Nous savons tous que Jésus est Dieu, égal en tout à son Père, car IL ne dit que ce que le Père lui dit ; et ne fait que ce que la Père lui montre. (Voir Jean 5, 19-21) Pour nous qui vivons sur cette terre, il n’est pas évident de vivre en ressuscités. La preuve est notre manière de parler quand une personne nous quitte (meurt). Nous disons :  » elle est morte. C’est fini, nous ne la verrons plus  » Cela est une réaction païenne. Si vraiment je crois en Jésus ressuscité, je sais que je participe à sa vie de ressuscité. C’est pourquoi, sainte Thérèse de Lisieux a osé dire  » je ne meurs pas, j’entre dans la vie  » Dès lors que je crois au Christ ressuscité, cela signifie qu’IL est vivant en moi et moi en Lui. Donc je participe déjà à sa vie de ressuscité. En Lui, je suis bien vivant, même si j’ai abandonné mon corps à la terre. Ce corps m’est désormais inutile. Personnellement, je crois que dès que j’ai rendu mon dernier soupir, j’entre dans la Gloire de Dieu. Je laisse ce corps matériel et mortel et je prends un corps immortel, spiritualisé (1corinthiens 15,44). En attendant ce jour béni, je ne m’inquiète nullement de ce qu’on fera de mon corps, lorsque je serai rentré dans la Vie. Certaines personnes vont dire  » mais nous ne ressuscitons qu’au dernier jour, aux derniers temps. C’est vrai, car le jour où je quitte cette vie terrestre, où je rentre dans la plénitude de la vie, c’est mon dernier jour et la fin des temps, car en Dieu, les jours et les temps n’existent plus : c’est l’Eternité. DIEU EST CELUI QUI EST, QUI ETAIT ET QUI VIENT. Dans l’Eternité, personne n’a besoin de montre. Nous sommes hors du temps. Trop souvent, nous chrétiens, nous réagissons comme les païens :  » Elle est morte, c’est fini, nous ne la verrons plus  » En Dieu, la mort n’existe pas, et si déjà aujourd’hui, je vis avec, en et pour DIEU, donc en communion profonde avec Lui, j’ai en moi la vie éternelle. Je suis donc passé de la mort à la vie. Ecoutons ce que dit Jésus à Marthe, devant le tombeau de son frère Lazare :
 » JE suis la Résurrection et la Vie. Qui croit en Moi, même s’il meurt, vivra ; et quiconque vit et croit en Moi, ne mourra jamais. Crois-tu cela ?  » (Jean 11,25-26)
Toi qui lis cela, que réponds-tu à cette question que Jésus pose à chacun de nous. Voilà l’unique vérité, car Jésus est Dieu et il nous dit :
 » JE suis le chemin, la Vérité et la Vie  » (Jean 14,6) et encore  » Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples, et vous connaîtrez la Vérité et la Vérité vous libérera  » (Jean 8, 31-32).
Oui ayons foi en la Parole de Dieu et vivons la. Ne soyons pas à la remorque de ceux qui croient en rien. Pour le chrétien, il n’y a pas de mort, il n’y a que le refus formel de Dieu en toute connaissance et liberté. N’ayons pas peur de proclamer notre foi en notre résurrection, car dès maintenant, je suis membre vivant du Christ Ressuscité. En Jésus, je suis déjà ressuscité. Au terme de ma vie, je n’entre pas dans la mort, mais dans la Vie Eternelle : la plénitude de la Vie. Je serai alors pleinement réalisé dans la Gloire de Dieu Père, Fils, Esprit Saint.
Peut-être vous posez-vous cette question comment est un corps ressuscité ? Le témoignage des apôtres, nous montre la difficulté à reconnaître Jésus Ressuscité (les disciples d’Emmaüs : Luc 24, 13-33 ; les apparitions aux apôtres Luc 24, 34 ss ; les apparitions aux saintes femmes : Matthieu 28, 1-10 ; Jean 20, 11ss. Cependant un seul apôtre Jean,  » entra à son tour dans le tombeau, il vit et crut  » Lui seul croit avant de voir Jésus Ressuscité. Il s’est souvenu de ce qu’IL lui avait dit :
 » Détruisez ce temple (mon corps) et en trois jours, JE le rebâtirai  » (Matthieu 26, 61 ; Jean 2, 19)
Ce que nous savons, nous dit Paul, c’est que nous serons rendus semblables au Christ ressuscité. En attendant ce grand jour, vivons déjà en ressuscité, c’est-à-dire en chrétiens qui ont cette certitude que dès maintenant nous sommes déjà ressuscités en Jésus.
Alors, ayons des visages de ressuscités. Nietzsche disait : en voyant des chrétiens sortir d’une église:  » je croirai quand je verrai les chrétiens plus heureux  » Oui, quand nous sortons d’une messe, où nous avons communié au Christ ressuscité, nos visages rayonnent-ils la joie de vivre en Jésus ressuscité ? Malheureusement dans nos assemblées dominicales, nous n’arrivons pas à exulter de joie, parce que nous sommes marqués par le passé. Pour celui qui vit en Jésus Ressuscité, le passé n’existe plus, il vit dans le présent, dans la joie de la résurrection
 » J’exulte de joie en Dieu, mon Sauveur « 

Pierre Jarry, prêtre

 

L’ÉPÎTRE À PHILÉMON OU PAUL ET L’ESCLAVAGE

3 mars, 2015

http://www.portstnicolas.org/phare/etudes-specialisees/article/l-epitre-a-philemon-ou-paul-et-l-esclavage

L’ÉPÎTRE À PHILÉMON OU PAUL ET L’ESCLAVAGE

Plus d’esclaves ! Et pourtant…

Paul définit les baptisés comme une nouvelle création (2 Co 5, 17) au sein de laquelle les degrés et différences qui partageaient la société d’alors sont évacués au profit d’une splendide égalité dans le Christ unique ; « Il n’y a ni juif ni grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme, car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus » (Ga 3, 28) – « Aussi bien est-ce en un seul Esprit que tous nous avons été baptisés pour ne former qu’un seul corps. Juifs ou grecs, esclaves ou hommes libres, et tous nous avons été abreuvés d’un seul esprit » (1 Co 12, 13) – « Là, il n’est plus question de Grec ou de Juif, de circoncision ou d’incirconcision, de Barbare, de Scythe, d’esclave, d’homme libre ; il n’y a que le Christ qui est tout en tous » (Col 3, 11).
L’épître à Philémon, la plus courte des lettres de saint Paul, aborde un cas concret où ;, justement, Paul est en mesure d’appliquer les considérations théoriques qu’on vient de lire : un esclave évadé est converti par Paul qui écrit à son maître pour intercéder en sa faveur. Mais dans quel but précis ? On cherche en vain dans ce billet une demande explicité de mise en liberté. Comme par ailleurs, Paul prêche aux esclaves la permanence de leur état (1 Co 7, 21-22) et l’obéissance à leurs maîtres (Col 2, 22-25), on s’interroge : que valent ces déclarations d’égalité fondées sur une appartenance commune au Christ ?
Avant d’esquisser une réponse, il nous faut considérer l’épître à Philémon avec l’attention qui convient

Les circonstances de l’épître à Philémon
Et d’abord précisons les circonstances dans lesquelles elle a été rédigée.
Paul est prisonnier à cause de son activité apostolique (« prisonnier du Christ Jésus.. dans ces chaînes que me vaut l’Evangile » : voit versets 1.9.13). les conditions de sa captivité sont relativement bénignes, puisque disciples et collaborateurs ont libre accès auprès de lui (voir versets 1.23-24). Le lieu de l’incarcération n’est pas indiqué, de sorte qu’on rencontre ici le même problème que pour l’épître aux Philippiens. Toutefois un point est indiscutable : l’épître à Philémon est étroitement lié à l’épître aux Colossiens. On trouve en effet les mêmes personnes (Epaphras, Aristarque, Démas, Marc et Luc) dans les salutations des deux épîtres : de plus un Onésime est mentionné, avec Tychique, comme porteur de la lettre aux Colossiens (Col 4, 7.9). Pour les mêmes raisons qui poussent à situer la composition de Philippiens à Rome on peut placer celle de Colossiens et de Philémon dans la capitale de l’Empire. Certes, Colossiens pose un problème spécifique : mais si l’on admet que cette épître a pu être rédigée par Paul lui-même ou sous sa direction ; il suffit d’établir un laps de temps convenable entre Philippiens et des deux autres lettres.
Bien des obscurités entourent également les destinataires de notre épître. Pourtant, le nom de Philémon est attestée en Phrygie où ; se trouve la ville de Colosses ; ajouter la parenté aux Colossiens, et l’on comprendra qu’on songe le plus souvent à cette ville pour y fixer le domicile de Philémon.
La lettre est adressée non seulement à ce dernier, mais encore à la communauté chrétienne qui s’assemble dans sa maison (cf. 1 Co 16, 19 ; Rm 16, 5 ; Col 4, 15). Rien ne prouve que Philémon ait été le président de cette communauté. Par contre, il y a fait figure de notable et de bienfaiteur insigne (versets 5-7). C’est Paul lui-même qui l’a amené à la foi, comme il nous l’apprend à mos couverts (verset 19). A Philémon est jointe « Apphia, notre soeur » qu’accompagne « Archippos, notre frère d’arme », les deux pouvant être respectivement la femme et le fils du premier.
Le fait qui a occasionné cette lettre est le suivant . Philémon avait parmi sa domesticité un esclave nommé Onésime [1]. Celui-ci s’est enfui de la maison de son maître . On ignore pourquoi. Il n’est pas sûr, malgré les versets 18-19, qu’il l’ait volé. Néanmoins, ce départ a du causer un tort grave à Philémon. Onésime, au hasard de sa fuite et dans des circonstances qu’il est impossible de déterminer, rencontre Paul dans la ville où ; il est incarcéré. Sious la direction de l’apôtre, il se convertit à la foi chrétienne, devanant pour lui un authentique fis spirituel, « engendré dans les chaînes », bien plus, l’objet d’uen affection particulière (versets 10.12, cf. verset 17).

Cet esclave fugitif, Paul le renvoie à son maître (verset 12) avec un billet dont le plan est le suivant :
- Adresse et supplication (versets 1-3)
- Action de grâce et félicitations (versets 4-7)
- Partie centrale : l’intercession pour Onésime (versets 8-20)
- Conclusion, salutation et souhait final (versets 21-25)

Qu’espérait Paul en écrivant ce mot à l’adresse de Philémon ? D’après ses propres paroles , il comptait bien que, grâce à ses recommandations et au nouvel état d’Onésime, Philémon le recevrait « non plus comme un esclave, mais bien mieux qu’un esclave, comme un frère très cher » (verset 16). Paul espère-t-il davantage ? On comprend souvent les versets13-14 dans ce sens que Paul aurait voulu garder Onésime auprès de lui, mais qu’il n’a pas voulu imposer ce geste à Philémon, le laissant à sa générosité. C’est possible. En tous cas, il n’apparaît pas que Paul sollicite en même temps l’affranchissement de l’esclave : celui-ci, tout en revenant assister Paul, serait resté la propriété de Philémon.
Ainsi l’institution elle-même n’est pas atteinte . Comment dès lors comprendre les phrases citées plus haut, selon lesquelles dans le Christ « il n’y a ni esclave ni homme libre » ?

Pour résoudre ce dilemme, revenons sur l’épître elle-même, afin d’en saisir à la fois la densité et les limites.

Une démarche normative
Ce billet a seulement les apparences de la correspondance privée. Sans doute vise-t-il à régler un cas personnel. Mais l’adresse, on l’a vu, s’étend jusqu’à la communauté qui s’assemble chez Philémon et c’est tous que Paul salue (verset 3) comme il le fait dans ses lettres aux communautés. Comme dans ses dernières, apparaît également ici l’action de grâce (verset 4) et la conclusion au caractère semi-liturgique (verset 25). C’est donc autre chose qu’une de ses lettres privées dont l’antiquité nous a transmis plus d’un exemplaire. A travers Philémon, c’est à l’Eglise locale, assurément au courant du cas traité et en partie intéressée à sa solution, que Paul s’adresse. On peut même aller plus loin : la conduite qu’il dessine et ses considérants peuvent difficilement passer pour l’expression d’une casuistique momentanée. Car la soin que met Paul à rédiger ses lignes permet d’y voir « un acte public qui se veut explicatif, régulateur et normatif [2] », donc susceptible d’étendre son influence à d’autres cas similaires et à d’autres églises.
C’est que Paul, ici comme ailleurs, ne doute pas de son autorité légitime. Il a « dans le Christ plein droit de prescrire [3] » (verset 8), tant à Philémon, par lui amené à la foi, qu’aux communautés dont il est le fondateur, les devoirs que lui dicte sa conscience apostolique. Ce droit lui vient de Dieu avec l’Evangile qu’il a pour mission de communiquer (Ga 1, 11-12 ; Rm 1, 1-5 ; 15, 15-16). Mais Paul est aussi capable de renoncer à certains droits quand il s’agit du bien de ce même Evangile et de ceux auquel il est destiné (1 Co 9, 15-18 ; cf. 2 Co 11, 7). C’est ce qu’il fait ici « à cause de la charité » (verset 8), cette charité dont, – Paul vient de le souligner (versets 5.7) – Philémon est animé. Avec cette assurance, Paul ne commande pas, mais il adresse une supplique, renforçant celle-ci de considérations personnelles : son âge d’abord donne plus de poids à la demande [4] si, comme il est permis de le supposer, Philémon est plus jeune que lui, et puis sa situation de prisonnier est bien faite pour attendrir son destinataire (verset 9). Enfin Paul a Philémon pour débiteur : dernier argument (verset 19) auquel la reconnaissance de celui-ci ne saurait se dérober. Qui a reçu de Paul un don si précieux que l’acheminement vers le Christ ne peut refuser la faveur demandée (verser 19b) – quoique, ici encore, Paul préfère au rapport d’obligation celui de l’affection spirituelle qui l’unit à son disciple : « Apaise mon coeur (littéralement : mes entrailles) dans le Christ ! [5] » (verset 20b).
Il reste que, pour finir (verset 21), Paul revient curieusement à l’obéissance. Faut-il croire qu’il a, en un court intervalle, oublié ce qu’il a écrit aux versets 8 et 9 ? Non, car Paul ne s’exprime jamais dans son ministère apostolique sans qu’il ait conscience de le faire sous la puissance de Dieu et au nom du Christ : « prêcher, ordonner, demander veulent être chez l’apôtre discours chrétien sous la puissance de l’Esprit (cf. 1 Co 7, 40), Dieu étant témoin [6]. » De plus, il invoque présentement la charité, autrement dit, le précepte central de la volonté de Dieu (Ga 5, 14 ; Rm 13, 9-10). Si Philémon n’a pas ici à obéir à un ordre de Paul, il le doit à sa prière et, plus encore, à la règle suprême de l’amour.

Paul et l’esclavage
Nous arrivons à présent au noeud de la question.
Nulle part, ni dans la lettre à Philémon, ni dans le reste de sa correspondance, Paul ne fait campagne contre l’esclavage. Son programme n’implique donc pas la fin de cette institution. On doit en dire autant du Nouveau Testament en général, lequel n’apporte aucune caution aux mouvements anti-esclavagistes : bien au contraire, pourrait-on dire, puisque dans les règles domestiques qu’il édicte [7] il considère l’esclavage comme normal. Logiquement, la « conquête » chrétienne n’a provoqué ni les révoltes d’esclaves, ni l’augmentation de leurs fuites, autant d’actes qui mettaient en péril l’ordre et l’économie de la société antique.
Mais à cette attitude conservatrice, Paul et l’ensemble du Nouveau testament ajoutent des vues capables de supprimer les abus. Si les esclaves sont exhortés à obéir à leurs maîtres, les maîtres sont aussi l’objet de recommandations : en Col 3, 22, « les possesseurs d’esclaves sont appelés »maîtres selon la chair« , ce qui laisse entendre qu’au dessus d’eux, il y a le maître divin ; c’est pourquoi ils doivent accorder à leurs esclaves ce »qui est juste et équitable« (Col 4, 1), termes qui sont repris de l’antique morale sociale. Du point de vue de l’Eglise et comme membres de celle-ci, les esclaves ne sont plus privés de tout droit [8] ». Ajoutons qu’à la différence de l’autorité politique (cf. Rm 13, 1-7), ni Paul ni au autre auteur du Nouveau Testament ne s’évertue à fonder religieusement la nécessité de l’esclavage comme un ordre dont Dieu serait le suprême garant. L’esclavage reste un fait qui n’est pas discuté comme tel : il est simplement soumis comme les autres rapports sociaux à des règles supérieures dont il nous faut à présent indiquer les contours.
Paul a défini la liberté. Elle n’est plus dégagement de toute contrainte extérieure et des commandements humains ; elle est, par la grâce de Dieu en Christ, possibilité de réaliser l’homme nouveau. Cet homme est un homme libre non parce qu’il n’a plus de maître sur terre, mais parce qu’étant soumis à Dieu, il n’est plus empêtré dans les filets que lui ont tendu les forces du mal et qu’il lui est simplement possible d’aimer. Cet amour se vit en communauté et se traduit concrètement par le service :
« Car vous, mes frères, vous avez été appelé à la liberté ; seulement que cette liberté ne se tourne pas en prétexte pour la chair ; mais par la charité mettez-vous au service des uns des autres » (Ga 5, 13)
L’essentiel est là, n’hésitons pas à le dire, il peut, il doit même se vivre dans le rapport maître-esclave là où ; il existe. La raison des directives pauliniennes en la matière n’est pas d’ordre pragmatique et, s’il n’a pas exhorté une seule fois les maîtres à affranchir leurs esclaves, ce n’est pas parce que l’émancipation pouvait être tout autre chose qu’un bienfait pour l’esclave. On ne trouvera pas d’avantage ici une motivation prudentielle, inspirée par le danger pour les communautés chrétiennes d’ébranler l’ordre social. Quant à alléguer le manque d’intérêt pour Paul pour les choses de ce monde en raison de la proximité de la Parousie (1 Co 7, 20-21), on peut être certain que si Paul avait perçu dans l’esclavage une institution immorale, c’est-à-dire à-dire contraire à l’existence vécue en Christ, il n’aurait pas manqué de l’interdire aux chrétiens, en vertu même de la prochaine venue du Sauveur et pour préparer cet événement final (cf. 1 Th 5, 1-19).
En fait la raison est ailleurs. SI Paul n’attaque pas l’institution, c’est que selon lui, il importe peu de changer le statut social des membres de la communauté : la réforme est à opérer sur un autre plan. Elle s’active dans la conversion d’un chacun à la norme de l’amour, lequel tend nécessairement à l’égalité, de sorte qu’« il n’y a ni esclave, ni homme libre », comme « il n’y a plus ni homme ni femme », et que l’esclave est aux yeux du maître chrétien « bien mieux qu’un esclave, un frère très cher » (Verset 16). Statutairement inchangée, la société est en réalité transformée : alors que les maîtres se libèrent de leurs instincts possessifs, les esclaves perdent leur sentiments d’infériorité, conscients d’appartenir avec leurs maîtres à la famille du Christ.
Ainsi l’envisageait Paul, qui ne visait que les Eglises et leur vie interne. Mais avec lui le christianisme primitif faisait acte déterminant bien avant qu’avant ne disparaisse la pratique de l’esclavage entre chrétiens.
A.-J. Fustigère souligne l’inédit lancé par le christianisme dans la société antique :
« A Rome, l’esclave est une res : chose achetée. Pour le paysan Caton, un esclave hors de service compte moins qu’une vieille vache : la vache, au moins, on la mange. Ayant rapporté le massacre de tous les serviteurs d’une maison, Tacite ajoute : vile damnum (dommage de nulle valeur). A ces déshérités la Bonne Nouvelle donnait tout : le sens de leur dignité, de leur personne humaine. Un Dieu les avait aimé, il était mort pour eux. Il leur assurait, dans son royaume, la meilleur place. Le patricien n’avait ici nul avantage. Cependant, à l’ »assemblée« , il se mêlait à cette tourbe mal lavée, dont l’haleine empestait l’ail et le gros vin. Ces êtres d’une autre race qu’il pouvait d’un mot, faire battre et mourir, étaient ses frères. Qu’on ne dise pas que ce progrès est l’oeuvre des moeurs du temps ou des préceptes du stoïcisme. Les beaux prêches de Sénèque n’ont point conduit à un changement. Après avoir fignolé la lettre XLVII à Lucilius, Sénèque n’eut dîné avec ses esclaves. Il n’eut pas goûté avec eux les viandes des sacrifices. On eut dressé au moins deux tables. Cette égalité dans la pratique n’a commencé qu’avec le repas du Seigneur. C’est un des plus grands miracles de la religion chrétienne [9]. »

[1] Onesimos, « utile », « profitable », nom fréquent chez les esclaves. Ce nom donne lieu à un jeu de mots au verset 11.
[2] R. Lehmann, Epître à Philémon : le christianisme primitif et l’esclavage, Genève, Labor et Fides, 1978, p.17
[3] Cf. 1 Co 7,6.17 ;11,34 ;16,1
[4] Le mot presbytès n’oblige cependant pas à vieillir Paul au-delà de 50-55 ans.
[5] Comparer avec le verset 12 où ; Paul applique la même expression à Onésime pour traduire sa tendresse envers lui.
[6] P. Stuhlmacher, Der Brief an Philemon (EKK), Neukirchen-Vluyn et Einsiedeln, 1975, p. 52)
[7] Col 3,22-25 ; Ep 6,5-8 ; Tit 2,9-10 ; 1 P 2,18-22.
[8] H.-D. Wendland, Ethique du Nouveau Testament, Genève, Labor et Fides, 1972, p. 98.
[9] A.-J. Festugère, L’enfant d’Agrigente, Paris, Cerf, 1941, pp. 104-105

BENOÎT XVI – (LA PRIÈRE DANS LES LETTRES DE SAINT PAUL) – [2012]

12 février, 2015

http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2012/documents/hf_ben-xvi_aud_20120516.html

BENOÎT XVI – (LA PRIÈRE DANS LES LETTRES DE SAINT PAUL) – [2012]

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint-Pierre

Mercredi 16 mai 2012

Chers frères et sœurs,

Au cours des dernières catéchèses, nous avons réfléchi sur la prière dans les Actes des Apôtres ; aujourd’hui, je voudrais commencer à parler de la prière dans les Lettres de saint Paul, l’apôtre des nations. Je voudrais avant tout souligner que ce n’est pas un hasard si ses Lettres sont introduites et se concluent par l’expression d’une prière : au début, l’action de grâce et la louange, et, à la fin, le vœu afin que la grâce de Dieu guide le chemin des communautés auxquelles s’adresse la lettre. Entre la formule d’ouverture « Je rends grâce à mon Dieu par Jésus Christ » (Rm 1, 8) et le souhait final : « Que la grâce du Seigneur Jésus soit avec vous » (1 Co 16, 23), se développent les contenus des Lettres de l’apôtre. La prière de saint Paul manifeste une grande richesse de formes qui vont de l’action de grâce à la bénédiction, de la louange à la demande et à l’intercession, de l’hymne à la supplique : une variété d’expressions qui montre que la prière touche et pénètre toutes les situations de la vie, tant celles des personnes que des communautés auxquelles il s’adresse.
Un premier élément que l’apôtre veut nous faire comprendre est que la prière ne doit pas être considérée comme une simple bonne œuvre que nous accomplissons pour Dieu, comme notre propre action. C’est avant tout un don, fruit de la présence vivante, vivifiante du Père et de Jésus Christ en nous. Dans la Lettre aux Romains, il écrit : « Bien plus, l’Esprit Saint vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut. L’Esprit lui-même intervient pour nous par des cris inexprimables » (8, 26). Et nous savons combien ce que dit l’apôtre est vrai : « Nous ne savons pas prier comme il faut ». Nous voulons prier, mais Dieu est loin, nous n’avons pas les paroles, le langage, pour parler à Dieu, ni même la pensée. Nous pouvons seulement nous ouvrir, mettre notre temps à la disposition de Dieu, attendre qu’il nous aide lui-même à entrer dans le vrai dialogue. L’apôtre dit : ce manque de paroles, cette absence de paroles, mais aussi ce désir d’entrer en contact avec Dieu, est précisément la prière que l’Esprit Saint non seulement comprend, mais apporte et interprète auprès de Dieu. Par l’intermédiaire de l’Esprit Saint, notre faiblesse devient précisément une véritable prière, un véritable contact avec Dieu. L’Esprit Saint est presque l’interprète qui nous fait comprendre à nous-mêmes et à Dieu ce que nous voulons dire.
Dans la prière, plus que dans les autres dimensions de notre existence, nous faisons l’expérience de notre faiblesse, de notre pauvreté, de notre condition de créatures, car nous sommes placés face à la toute-puissance et à la transcendance de Dieu. Et plus nous progressons dans l’écoute et dans le dialogue avec Dieu, afin que la prière devienne le souffle quotidien de notre âme, plus nous percevons le sens de nos limites, non seulement face aux situations concrètes de tous les jours, mais aussi dans notre relation même avec le Seigneur. Ainsi croît en nous le besoin de lui faire confiance, de nous en remettre toujours davantage à Lui ; nous comprenons que « nous ne savons pas… prier comme il faut » (Rm 8, 26). Et c’est l’Esprit Saint qui vient en aide à notre incapacité, qui éclaire notre esprit et qui réchauffe notre cœur, en nous guidant lorsque nous nous adressons à Dieu. Pour saint Paul, la prière est surtout l’œuvre de l’Esprit dans notre humanité, pour assumer notre faiblesse et nous transformer, d’hommes liés aux réalités matérielles en hommes spirituels. Dans la Première Lettre aux Corinthiens, l’apôtre dit : « Et nous, l’esprit que nous avons reçu, ce n’est pas celui du monde, c’est celui qui vient de Dieu, et ainsi nous avons conscience des dons que Dieu nous a faits. Et nous proclamons cela avec un langage que nous n’apprenons pas de la sagesse humaine, mais de l’Esprit, et nous interprétons de manière spirituelle ce qui vient de l’Esprit » (2, 12-13). En habitant notre fragilité humaine, l’Esprit Saint nous change, intercède pour nous et nous élève jusqu’à Dieu (cf. Rm 8, 26).
Par cette présence de l’Esprit Saint se réalise notre union au Christ car il s’agit de l’Esprit du Fils de Dieu, en qui nous devenons fils. Saint Paul parle de l’Esprit du Christ (cf. Rm 8, 9), et pas seulement de l’Esprit de Dieu. Cela est évident : si le Christ est le Fils de Dieu, son Esprit est aussi l’Esprit de Dieu ; ainsi, si l’Esprit de Dieu, l’Esprit du Christ, est devenu déjà très proche de nous dans le Fils de Dieu et le Fils de l’homme, l’Esprit de Dieu devient aussi un esprit humain et nous touche ; nous pouvons entrer dans la communion de l’Esprit. C’est comme s’il disait que non seulement Dieu le Père s’est rendu visible dans l’incarnation du Fils, mais aussi que l’Esprit de Dieu se manifeste dans la vie et dans l’action de Jésus, de Jésus Christ, qui a vécu, a été crucifié, est mort et ressuscité. L’apôtre rappelle que « personne n’est capable de dire : “Jésus est le Seigneur” sans l’action de l’Esprit Saint » (1 Co 12, 3). L’Esprit oriente donc notre cœur vers Jésus Christ, de sorte que « ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi » (cf. Ga 2, 20). Dans ses Catéchèses sur les sacrements, en réfléchissant sur l’Eucharistie, saint Ambroise affirme : « Celui qui s’enivre de l’Esprit est enraciné dans le Christ » (5, 3, 17: pl 16, 450).
Je voudrais à présent souligner trois conséquences pour notre vie chrétienne, lorsque nous laissons agir en nous non pas l’esprit du monde, mais l’Esprit du Christ comme principe intérieur de toutes nos actions.
Tout d’abord, avec la prière animée par l’Esprit Saint, nous sommes mis en condition d’abandonner et de surmonter toute forme de peur ou d’esclavage, en vivant la liberté authentique des fils de Dieu. Sans la prière qui alimente chaque jour notre être dans le Christ, dans une intimité croissante, nous nous trouvons dans la condition décrite par saint Paul dans la Lettre aux Romains : nous ne faisons pas le bien que nous voulons, mais le mal que nous ne voulons pas (cf. Rm 7, 19). Telle est l’expression de l’aliénation de l’être humain, de la destruction de notre liberté, à cause de la condition de notre être marqué par le péché originel : nous voulons le bien que nous ne faisons pas et nous faisons ce que nous ne voulons pas, le mal. L’apôtre veut faire comprendre que ce n’est pas avant tout notre volonté qui nous libère de cette condition, ni la Loi, mais l’Esprit Saint. Et puisque « là où l’Esprit du Seigneur est présent, là est la liberté » (2 Co 3, 17), avec la prière, nous faisons l’expérience de la liberté donnée par l’Esprit: une liberté authentique, qui est une liberté du mal et du péché, pour le bien et pour la vie, pour Dieu. La liberté de l’Esprit, continue saint Paul, ne s’identifie jamais ni avec le libertinage, ni avec la possibilité de faire le choix du mal, mais plutôt avec « ce que produit l’Esprit: amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, humilité et maîtrise de soi » (Ga 5, 22). Telle est la véritable liberté: pouvoir réellement suivre le désir du bien, de la vraie joie, de la communion avec Dieu et ne pas être opprimé par les circonstances qui nous attirent vers d’autres directions.
Une seconde conséquence qui se produit dans notre vie, quand nous laissons agir en nous l’Esprit du Christ, est que la relation même avec Dieu devient tellement profonde qu’elle n’est affectée par aucune réalité ni situation. Nous comprenons alors qu’avec la prière, nous ne sommes pas libérés des épreuves ou des souffrances, mais nous pouvons les vivre en union avec le Christ, avec ses souffrances, dans la perspective de participer également à sa gloire (cf. Rm 8, 17). Souvent, dans notre prière, nous demandons à Dieu d’être libérés du mal physique ou spirituel, et nous le faisons avec une grande confiance. Pourtant, nous avons souvent l’impression de ne pas être écoutés et nous risquons alors de nous décourager et de ne pas persévérer. En réalité, il n’y a pas un cri humain qui ne soit écouté par Dieu et c’est précisément dans la prière constante et fidèle que nous comprenons avec saint Paul qu’« il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire que Dieu va bientôt révéler en nous » (Rm 8, 18). La prière ne nous épargne pas les épreuves et les souffrances, au contraire — dit saint Paul — « nous crions en nous-mêmes notre souffrance ;… nous attendons notre adoption et la délivrance de notre corps » (Rm 8, 24) ; il dit que la prière ne nous épargne pas la souffrance mais qu’elle nous permet de la vivre et de l’affronter avec une force nouvelle, avec la même confiance que Jésus qui — selon la Lettre aux Hébreux — « pendant les jours de sa vie mortelle,… a présenté, avec un grand cri et dans les larmes, sa prière et sa supplication à Dieu qui pouvait le sauver de la mort ; et, parce qu’il s’est soumis en tout, il a été exaucé » (5, 7). La réponse de Dieu le Père à son Fils, à ses cris puissants et à ses larmes, n’a pas été la libération des souffrances, de la croix, de la mort, mais une réalisation beaucoup plus grande, une réponse beaucoup plus profonde ; à travers la croix et la mort, Dieu a répondu par la résurrection de son Fils, par une vie nouvelle. La prière animée par l’Esprit Saint nous porte, nous aussi, à vivre chaque jour le chemin de notre vie avec ses épreuves et ses souffrances, dans la pleine espérance, dans la confiance en Dieu qui répond comme il a répondu à son Fils.
Troisième point, la prière du croyant s’ouvre aussi aux dimensions de l’humanité et de toute la création, assumant « la création [qui] aspire de toutes ses forces à voir cette révélation des fils de Dieu » (Rm 8, 19). Cela signifie que la prière, soutenue par l’Esprit du Christ qui parle au plus profond de nous, ne reste jamais fermée sur elle-même, n’est jamais seulement une prière pour moi, mais qu’elle s’ouvre au partage des souffrances de notre temps, des autres. Elle devient une intercession pour les autres et ainsi, la libération de moi-même, le canal d’espérance pour toute la création, l’expression de cet amour de Dieu qui est répandu dans nos cœurs par l’Esprit qui nous a été donné (cf. Rm 5, 5). Et ceci est justement le signe d’une véritable prière, qui ne prend pas fin en nous-mêmes, mais qui s’ouvre aux autres et, ainsi, me libère et contribue à la rédemption du monde.
Chers frères et sœurs, saint Paul nous enseigne que, dans notre prière, nous devons nous ouvrir à la présence de l’Esprit Saint, qui prie en nous par des cris inexprimables, pour nous conduire à adhérer à Dieu de tout notre cœur et de tout notre être. L’Esprit du Christ devient la force de notre « faible » prière, la lumière de notre prière « éteinte », le feu de notre prière « sèche », et nous donne la véritable liberté intérieure, nous enseignant à vivre en affrontant les épreuves de l’existence, dans la certitude que nous ne sommes pas seuls, en nous ouvrant aux horizons de l’humanité et de la création qui « crie sa souffrance,… passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore » (Rm 8, 22). Merci.

BENOÎT XVI: LE CHRISTOCENTRISME DE SAINT PAUL (2008)

16 décembre, 2014

http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/audiences/2008/documents/hf_ben-xvi_aud_20081022_fr.html

BENOÎT XVI

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 22 octobre 2008

LE CHRISTOCENTRISME DE SAINT PAUL

Chers frères et sœurs,

Dans les catéchèses des semaines dernières nous avons médité sur la « conversion » de saint Paul, fruit de sa rencontre personnelle avec Jésus crucifié et ressuscité, et nous nous sommes interrogés sur ce qu’a été la relation de l’apôtre des nations avec Jésus terrestre. Aujourd’hui je voudrais parler de l’enseignement que saint Paul nous a laissé sur le caractère central du Christ ressuscité dans le mystère du salut, sur sa christologie. En vérité, Jésus Christ ressuscité, « exalté au dessus de tous les noms », est au centre de toutes ses réflexions. Le Christ est pour l’apôtre le critère d’évaluation des événements et des choses, l’objectif de chaque effort qu’il accomplit pour annoncer l’Evangile, la grande passion qui soutient ses pas sur les routes du monde. Et il s’agit d’un Christ vivant, concret: le Christ – dit Paul – « qui m’a aimé et qui s’est livré pour moi » (Ga 2, 20). Cette personne qui m’aime, avec laquelle je peux parler, qui m’écoute et me répond, telle est réellement le principe pour comprendre le monde et pour trouver le chemin dans l’histoire.
Celui qui a lu les écrits de saint Paul sait bien qu’il ne s’est pas soucié de rapporter chacun des faits qui composent la vie de Jésus, même si nous pouvons penser que dans ses catéchèses il a raconté bien davantage sur Jésus pré-pascal que ce qu’il écrit dans les Lettres, qui sont des avertissements dans des situations précises. Son intention pastorale et théologique visait à un tel point à l’édification des communautés naissantes, qu’il concentrait spontanément tout dans l’annonce de Jésus Christ comme « Seigneur » vivant aujourd’hui et présent aujourd’hui parmi les siens. D’où le caractère essentiel de la christologie paulinienne, qui développe les profondeurs du mystère avec un souci constant et précis: annoncer, bien sûr, Jésus vivant, son enseignement, mais annoncer surtout la réalité centrale de sa mort et de sa résurrection, comme sommet de son existence terrestre et racine du développement successif de toute la foi chrétienne, de toute la réalité de l’Eglise. Pour l’apôtre, la résurrection n’est pas un événement isolé, séparé de la mort: le Ressuscité est toujours celui qui, auparavant, a été crucifié. Même ressuscité il porte ses blessures: la passion est présente en Lui et l’on peut dire avec Pascal qu’il est souffrant jusqu’à la fin du monde, tout en étant ressuscité et en vivant avec nous et pour nous. Cette identité du Ressuscité avec le Christ crucifié, Paul l’avait compris lors de la rencontre sur le chemin de Damas: à cet instant-là, lui avait été clairement révélé que le Crucifié est le Ressuscité et que le Ressuscité est le Crucifié, qui dit à Paul: « Pourquoi me persécutes-tu? » (Ac 9, 4). Paul persécute le Christ dans l’Eglise et comprend alors que la croix est une « une malédiction de Dieu » (Dt 21, 23), mais un sacrifice pour notre rédemption.
L’apôtre contemple avec fascination le secret caché du Crucifié-ressuscité et, à travers les souffrances vécues par le Christ dans son humanité (dimension terrestre), il remonte à cette existence éternelle dans laquelle Il ne fait qu’un avec le Père (dimension pré-temporelle): « Mais lorsque les temps furent accomplis – écrit-il -, Dieu a envoyé son Fils; il est né d’une femme, il a été sous la domination de la loi de Moïse pour racheter ceux qui étaient sous la domination de la Loi et pour faire de nous des fils » (Ga 4, 4-5). Ces deux dimensions, la préexistence éternelle auprès du Père et la descente du Seigneur dans l’incarnation, s’annoncent déjà dans l’Ancien Testament, dans la figure de la Sagesse. Nous trouvons dans les Livres sapientiaux de l’Ancien Testament certains textes qui exaltent le rôle de la Sagesse préexistante à la création du monde. C’est dans ce sens que doivent être lus des passages comme celui du Psaume 90: « Avant que naissent les montagnes, que tu enfantes la terre et le monde, de toujours à toujours, toi, tu es Dieu » (v. 2); ou des passages comme celui qui parle de la Sagesse créatrice: « Yahvé m’a créée, prémices de son œuvre, avant ses œuvres les plus anciennes. Dès l’éternité je fus établie, dès le principe, avant l’origine de la terre » (Pr 8, 22-23). L’éloge de la Sagesse, contenu dans le livre homonyme, est également suggestif: « Elle s’étend avec force d’un bout du monde à l’autre et elle gouverne l’univers pour son bien » (Sg 8, 1).
Ces mêmes textes sapientiaux qui parlent de la préexistence éternelle de la Sagesse, parlent également de la descente, de l’abaissement de cette Sagesse, qui s’est créée une tente parmi les hommes. Nous entendons ainsi déjà résonner les paroles de l’évangile de Jean qui parle de la tente de la chair du Seigneur. Elle s’est créé une tente dans l’Ancien Testament: là est indiqué le temple, le culte selon la « Torah »; mais du point de vue du Nouveau Testament nous pouvons dire que celle-ci n’était qu’une préfiguration de la tente bien plus réelle et significative: la tente de la chair du Christ. Et nous voyons déjà dans les Livres de l’Ancien Testament que cet abaissement de la Sagesse, sa descente dans la chair, implique également la possibilité qu’elle soit refusée. Saint Paul, en développant sa christologie, fait précisément référence à cette perspective sapientielle: il reconnaît en Jésus la sagesse éternelle existant depuis toujours, la sagesse qui descend et se crée une tente parmi nous et ainsi il peut décrire le Christ, comme « puissance et sagesse de Dieu », il peut dire que le Christ est devenu pour nous « par lui [Dieu] notre sagesse, pour être notre justice, notre sanctification, notre rédemption » (1 Co 1, 24.30). De même, Paul explique que le Christ, de même que la Sagesse, peut être refusé en particulier par les dominateurs de ce monde (cf. 1 Co 2, 6-9), si bien que dans les desseins de Dieu peut se créer une situation paradoxale, la croix, qui se retournera en chemin de salut pour tout le genre humain.
Un développement ultérieur de ce cycle sapientiel, qui voit la Sagesse s’abaisser pour ensuite être exaltée malgré le refus qu’on peut lui opposer, se trouve dans le célèbre hymne contenu dans la Lettre aux Philippiens (cf. 2, 6-11). Il s’agit de l’un des textes les plus élevés de tout le Nouveau Testament. La plus grande majorité des exégètes s’accordent désormais à considérer que ce passage reproduit une composition antérieure au texte de la Lettre aux Philippiens. Il s’agit d’une donnée très importante, car cela signifie que le judéo-christianisme, avant saint Paul, croyait dans la divinité de Jésus. En d’autres termes, la foi dans la divinité de Jésus n’est pas une invention hellénistique, apparue bien après la vie terrestre de Jésus, une invention qui, oubliant son humanité, l’aurait divinisé; nous voyons en réalité que le premier judéo-christianisme croyait en la divinité de Jésus, et nous pouvons même dire que les Apôtres eux-mêmes, dans les grands moments de la vie de leur Maître, ont compris qu’Il était le Fils de Dieu, comme le dit saint Pierre à Césarée de Philippes: « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16). Mais revenons à l’hymne de la Lettre aux Philippiens. La structure de ce texte peut être articulée en trois strophes, qui illustrent les moments principaux du parcours accompli par le Christ. Sa préexistence est exprimée par les paroles: « lui qui était dans la condition de Dieu, il n’a pas jugé bon de revendiquer son droit d’être traité à l’égal de Dieu » (v. 6); suit alors l’abaissement volontaire du Fils dans la deuxième strophe: « mais au contraire, il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur » (v. 7), jusqu’à s’humilier lui-même « en devenant obéissant jusqu’à mourir, et à mourir sur une croix » (v. 8). La troisième strophe de l’hymne annonce la réponse du Père à l’humiliation du Fils: « C’est pourquoi Dieu l’a élevé au-dessus de tout; il lui a conféré le nom qui surpasse tous les noms » (v. 9). Ce qui frappe est le contraste entre l’abaissement radical et la glorification successive dans la gloire de Dieu. Il est évident que cette seconde strophe est en opposition avec la prétention d’Adam qui voulait lui-même se faire Dieu, est en opposition également avec le geste des bâtisseurs de la tour de Babel qui voulaient édifier seuls le pont vers le ciel et devenir eux-mêmes des divinités. Mais cette initiative de l’orgueil s’acheva dans l’autodestruction: ce n’est pas ainsi que l’on arrive au ciel, au bonheur véritable, à Dieu. Le geste du Fils de Dieu est exactement le contraire: non l’orgueil, mais l’humilité, qui est la réalisation de l’amour et l’amour est divin. L’initiative d’abaissement, d’humilité radicale du Christ, à laquelle s’oppose l’orgueil humain, est réellement l’expression de l’amour divin; celle-ci est suivie par cette élévation au ciel vers laquelle Dieu nous attire avec son amour.
Outre la Lettre aux Philippiens, il y a d’autres passages de la littérature paulinienne où les thèmes de la préexistence et de la descente du Fils de Dieu sur la terre sont reliés entre eux. Une réaffirmation de l’assimilation entre Sagesse et Christ, avec toutes les conséquences cosmiques et anthropologiques qui en découlent, se retrouve dans la première Lettre à Timothée: « C’est le Christ manifesté dans la chair, justifié par l’Esprit, apparu aux anges, proclamé chez les païens, accueilli dans le monde par la foi, enlevé au ciel dans la gloire » (3, 16). C’est surtout sur ces prémisses que l’on peut mieux définir la fonction du Christ comme Médiateur unique, avec en toile de fond l’unique Dieu de l’Ancien Testament (cf. 1 Tm 2, 5 en relation avec Is 43, 10-11; 44, 6). C’est le Christ le vrai pont qui nous conduit au ciel, à la communion avec Dieu.
Et enfin quelques mots sur les derniers développements de la christologie de saint Paul dans les Lettres aux Colossiens et aux Ephésiens. Dans la première, le Christ est qualifié de: « Premier né par rapport à toutes les créatures » (1, 15-20). Ce terme de « Premier né » implique que le premier parmi tant de fils, le premier parmi tant de frères et de sœurs est descendu pour nous attirer à lui et faire de nous ses frères et sœurs. Dans la Lettre aux Ephésiens nous trouvons une belle présentation du plan divin du salut, lorsque Paul dit que dans le Christ Dieu voulait récapituler toute chose (cf. Ep 1, 23). Le Christ est la récapitulation de toutes les choses, il résume toutes choses et nous guide vers Dieu. Et ainsi il nous implique dans un mouvement de descente et de montée, en nous invitant à participer à son humilité, c’est-à-dire à son amour envers le prochain, pour participer ainsi également de sa glorification en devenant comme lui fils dans le Fils. Prions le Seigneur afin qu’il nous aide à nous conformer à son humilité, à son amour, pour qu’il nous soit ainsi permis de participer de sa divinisation.

BENOÎT XVI: «FAISONS ATTENTION LES UNS AUX AUTRES POUR NOUS STIMULER DANS LA CHARITÉ ET LES ŒUVRES BONNES» (HE 10, 24)

15 décembre, 2014

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MESSAGE DE SA SAINTETÉ BENOÎT XVI POUR LE CARÊME 2012

«FAISONS ATTENTION LES UNS AUX AUTRES POUR NOUS STIMULER DANS LA CHARITÉ ET LES ŒUVRES BONNES» (HE 10, 24)

Frères et sœurs,
Le Carême nous offre encore une fois l’opportunité de réfléchir sur ce qui est au cœur de la vie chrétienne : la charité. En effet, c’est un temps favorable pour renouveler, à l’aide de la Parole de Dieu et des Sacrements, notre itinéraire de foi, aussi bien personnel que communautaire. C’est un cheminement marqué par la prière et le partage, par le silence et le jeûne, dans l’attente de vivre la joie pascale.
Cette année, je désire proposer quelques réflexions à la lumière d’un bref texte biblique tiré de la Lettre aux Hébreux : « Faisons attention les uns aux autres pour nous stimuler dans la charité et les œuvres bonnes » (10, 24). Cette phrase fait partie d’une péricope dans laquelle l’écrivain sacré exhorte à faire confiance à Jésus Christ comme Grand prêtre qui nous a obtenu le pardon et l’accès à Dieu. Le fruit de notre accueil du Christ est une vie selon les trois vertus théologales : il s’agit de nous approcher du Seigneur « avec un cœur sincère et dans la plénitude de la foi » (v. 22), de garder indéfectible « la confession de l’espérance » (v. 23) en faisant constamment attention à exercer avec nos frères « la charité et les œuvres bonnes » (v. 24). Pour étayer cette conduite évangélique – est-il également affirmé -, il est important de participer aux rencontres liturgiques et de prière de la communauté, en tenant compte du but eschatologique : la pleine communion en Dieu (v. 25). Je m’arrête sur le verset 24 qui, en quelques mots, offre un enseignement précieux et toujours actuel sur trois aspects de la vie chrétienne: l’attention à l’autre, la réciprocité et la sainteté personnelle.

1. « Faisons attention » : la responsabilité envers le frère.
Le premier élément est l’invitation à « faire attention » : le verbe grec utilisé est katanoein, qui signifie bien observer, être attentifs, regarder en étant conscient, se rendre compte d’une réalité. Nous le trouvons dans l’Évangile, lorsque Jésus invite les disciples à « observer » les oiseaux du ciel qui, bien qu’ils ne s’inquiètent pas, sont l’objet de l’empressement et de l’attention de la Providence divine (cf. Lc 12, 24), et à « se rendre compte » de la poutre qui se trouve dans leur œil avant de regarder la paille dans l’œil de leur frère (cf. Lc 6, 41). Nous trouvons aussi cet élément dans un autre passage de la même Lettre aux Hébreux, comme invitation à « prêter attention à Jésus » (3, 1), l’apôtre et le grand prêtre de notre foi. Ensuite, le verbe qui ouvre notre exhortation invite à fixer le regard sur l’autre, tout d’abord sur Jésus, et à être attentifs les uns envers les autres, à ne pas se montrer étrangers, indifférents au destin des frères. Souvent, au contraire, l’attitude inverse prédomine : l’indifférence, le désintérêt qui naissent de l’égoïsme dissimulé derrière une apparence de respect pour la « sphère privée ». Aujourd’hui aussi, la voix du Seigneur résonne avec force, appelant chacun de nous à prendre soin de l’autre. Aujourd’hui aussi, Dieu nous demande d’être les « gardiens » de nos frères (cf. Gn 4, 9), d’instaurer des relations caractérisées par un empressement réciproque, par une attention au bien de l’autre et à tout son bien. Le grand commandement de l’amour du prochain exige et sollicite d’être conscients d’avoir une responsabilité envers celui qui, comme moi, est une créature et un enfant de Dieu : le fait d’être frères en humanité et, dans bien des cas, aussi dans la foi, doit nous amener à voir dans l’autre un véritable alter ego, aimé infiniment par le Seigneur. Si nous cultivons ce regard de fraternité, la solidarité, la justice ainsi que la miséricorde et la compassion jailliront naturellement de notre cœur. Le Serviteur de Dieu Paul VI affirmait qu’aujourd’hui le monde souffre surtout d’un manque de fraternité : « Le monde est malade. Son mal réside moins dans la stérilisation des ressources ou dans leur accaparement par quelques-uns, que dans le manque de fraternité entre les hommes et entre les peuples » (Lett. enc. Populorum progressio [26 mars 1967], n. 66).
L’attention à l’autre comporte que l’on désire pour lui ou pour elle le bien, sous tous ses aspects : physique, moral et spirituel. La culture contemporaine semble avoir perdu le sens du bien et du mal, tandis qu’il est nécessaire de répéter avec force que le bien existe et triomphe, parce que Dieu est « le bon, le bienfaisant » (Ps 119, 68). Le bien est ce qui suscite, protège et promeut la vie, la fraternité et la communion. La responsabilité envers le prochain signifie alors vouloir et faire le bien de l’autre, désirant qu’il s’ouvre lui aussi à la logique du bien ; s’intéresser au frère veut dire ouvrir les yeux sur ses nécessités. L’Écriture Sainte met en garde contre le danger d’avoir le cœur endurci par une sorte d’« anesthésie spirituelle » qui rend aveugles aux souffrances des autres. L’évangéliste Luc rapporte deux paraboles de Jésus dans lesquelles sont indiqués deux exemples de cette situation qui peut se créer dans le cœur de l’homme. Dans celle du bon Samaritain, le prêtre et le lévite « passent outre », avec indifférence, devant l’homme dépouillé et roué de coups par les brigands (cf. Lc 10, 30-32), et dans la parabole du mauvais riche, cet homme repu de biens ne s’aperçoit pas de la condition du pauvre Lazare qui meurt de faim devant sa porte (cf. Lc 16, 19). Dans les deux cas, nous avons à faire au contraire du « prêter attention », du regarder avec amour et compassion. Qu’est-ce qui empêche ce regard humain et affectueux envers le frère ? Ce sont souvent la richesse matérielle et la satiété, mais c’est aussi le fait de faire passer avant tout nos intérêts et nos préoccupations personnels. Jamais, nous ne devons nous montrer incapables de « faire preuve de miséricorde » à l’égard de celui qui souffre ; jamais notre cœur ne doit être pris par nos propres intérêts et par nos problèmes au point d’être sourds au cri du pauvre. À l’inverse, c’est l’humilité de cœur et l’expérience personnelle de la souffrance qui peuvent se révéler source d’un éveil intérieur à la compassion et à l’empathie : « Le juste connaît la cause des faibles, le méchant n’a pas l’intelligence de la connaître » (Pr 29, 7). Nous comprenons ainsi la béatitude de « ceux qui sont affligés » (Mt 5, 4), c’est-à-dire de ceux qui sont en mesure de sortir d’eux-mêmes pour se laisser apitoyer par la souffrance des autres. Rencontrer l’autre et ouvrir son cœur à ce dont il a besoin sont une occasion de salut et de béatitude.
« Prêter attention » au frère comporte aussi la sollicitude pour son bien spirituel. Je désire rappeler ici un aspect de la vie chrétienne qui me semble être tombé en désuétude : la correction fraternelle en vue du salut éternel. En général, aujourd’hui, on est très sensible au thème des soins et de la charité à prodiguer pour le bien physique et matériel des autres, mais on ne parle pour ainsi dire pas de notre responsabilité spirituelle envers les frères. Il n’en est pas ainsi dans l’Église des premiers temps, ni dans les communautés vraiment mûres dans leur foi, où on se soucie non seulement de la santé corporelle du frère, mais aussi de celle de son âme en vue de son destin ultime. Dans l’Écriture Sainte, nous lisons : « Reprends le sage, il t’aimera. Donne au sage : il deviendra plus sage encore ; instruis le juste, il accroîtra son acquis » (Pr 9, 8s). Le Christ lui-même nous commande de reprendre le frère qui commet un péché (cf. Mt 18, 15). Le verbe utilisé pour définir la correction fraternelle – elenchein – est le même que celui qui indique la mission prophétique de la dénonciation propre aux chrétiens envers une génération qui s’adonne au mal (cf. Ep 5, 11). La tradition de l’Église a compté parmi les œuvres de miséricorde spirituelle celle d’« admonester les pécheurs ». Il est important de récupérer cette dimension de la charité chrétienne. Il ne faut pas se taire face au mal. Je pense ici à l’attitude de ces chrétiens qui, par respect humain ou par simple commodité, s’adaptent à la mentalité commune au lieu de mettre en garde leurs frères contre des manières de penser et d’agir qui sont contraires à la vérité, et ne suivent pas le chemin du bien. Toutefois le reproche chrétien n’est jamais fait dans un esprit de condamnation ou de récrimination. Il est toujours animée par l’amour et par la miséricorde et il naît de la véritable sollicitude pour le bien du frère. L’apôtre Paul affirme : « Dans le cas où quelqu’un serait pris en faute, vous les spirituels, rétablissez-le en esprit de douceur, te surveillant toi-même, car tu pourrais bien, toi aussi être tenté » (Ga 6, 1). Dans notre monde imprégné d’individualisme, il est nécessaire de redécouvrir l’importance de la correction fraternelle, pour marcher ensemble vers la sainteté. Même « le juste tombe sept fois » (Pr 24, 16) dit l’Écriture, et nous sommes tous faibles et imparfaits (cf.1 Jn 1, 8). Il est donc très utile d’aider et de se laisser aider à jeter un regard vrai sur soi-même pour améliorer sa propre vie et marcher avec plus de rectitude sur la voie du Seigneur. Nous avons toujours besoin d’un regard qui aime et corrige, qui connaît et reconnaît, qui discerne et pardonne (cf. Lc 22, 61), comme Dieu l’a fait et le fait avec chacun de nous.

2. « Les uns aux autres » : le don de la réciprocité.
Cette « garde » des autres contraste avec une mentalité qui, réduisant la vie à sa seule dimension terrestre, ne la considère pas dans une perspective eschatologique et accepte n’importe quel choix moral au nom de la liberté individuelle. Une société comme la société actuelle peut devenir sourde aux souffrances physiques comme aux exigences spirituelles et morales de la vie. Il ne doit pas en être ainsi dans la communauté chrétienne! L’apôtre Paul invite à chercher ce qui « favorise la paix et l’édification mutuelle » (Rm 14, 19), en plaisant « à son prochain pour le bien, en vue d’édifier » (Ibid.15, 2), ne recherchant pas son propre intérêt, « mais celui du plus grand nombre, afin qu’ils soient sauvés » (1 Co 10, 33). Cette correction réciproque et cette exhortation, dans un esprit d’humilité et de charité, doivent faire partie de la vie de la communauté chrétienne.
Les disciples du Seigneur, unis au Christ par l’Eucharistie, vivent dans une communion qui les lie les uns aux autres comme membres d’un seul corps. Cela veut dire que l’autre m’est uni de manière particulière, sa vie, son salut, concernent ma vie et mon salut. Nous abordons ici un élément très profond de la communion : notre existence est liée à celle des autres, dans le bien comme dans le mal ; le péché comme les œuvres d’amour ont aussi une dimension sociale. Dans l’Église, corps mystique du Christ, cette réciprocité se vérifie : la communauté ne cesse de faire pénitence et d’invoquer le pardon des péchés de ses enfants, mais elle se réjouit aussi constamment et exulte pour les témoignages de vertu et de charité qui adviennent en son sein. « Que les membres se témoignent une mutuelle sollicitude » (cf.1 Co 12, 25), affirme saint Paul, afin qu’ils soient un même corps. La charité envers les frères, dont l’aumône – une pratique caractéristique du carême avec la prière et le jeûne – est une expression, s’enracine dans cette appartenance commune. En se souciant concrètement des plus pauvres, le chrétien peut exprimer sa participation à l’unique corps qu’est l’Église. Faire attention aux autres dans la réciprocité c’est aussi reconnaître le bien que le Seigneur accomplit en eux et le remercier avec eux des prodiges de grâce que le Dieu bon et tout-puissant continue de réaliser dans ses enfants. Quand un chrétien perçoit dans l’autre l’action du Saint Esprit, il ne peut que s’en réjouir et rendre gloire au Père céleste (cf. Mt 5, 16).

3. « pour nous stimuler dans la charité et les œuvres bonnes » : marcher ensemble dans la sainteté.
Cette expression de la Lettre aux Hébreux (10, 24), nous pousse à considérer l’appel universel à la sainteté, le cheminement constant dans la vie spirituelle à aspirer aux charismes les plus grands et à une charité toujours plus élevée et plus féconde (cf.1 Co 12, 31-13, 13). L’attention réciproque a pour but de nous encourager mutuellement à un amour effectif toujours plus grand, « comme la lumière de l’aube, dont l’éclat grandit jusqu’au plein jour » (Pr 4, 18), dans l’attente de vivre le jour sans fin en Dieu. Le temps qui nous est accordé durant notre vie est précieux pour découvrir et accomplir les œuvres de bien, dans l’amour de Dieu. De cette manière, l’Église elle-même grandit et se développe pour parvenir à la pleine maturité du Christ (cf. Ep 4, 13). C’est dans cette perspective dynamique de croissance que se situe notre exhortation à nous stimuler réciproquement pour parvenir à la plénitude de l’amour et des œuvres bonnes.
Malheureusement, la tentation de la tiédeur, de l’asphyxie de l’Esprit, du refus d’« exploiter les talents » qui nous sont donnés pour notre bien et celui des autres (cf. Mt 25, 25s) demeure. Nous avons tous reçu des richesses spirituelles ou matérielles utiles à l’accomplissement du plan divin, pour le bien de l’Église et pour notre salut personnel (cf. Lc 12, 21b ; 1 Tm 6, 18). Les maîtres spirituels rappellent que dans la vie de la foi celui qui n’avance pas recule. Chers frères et sœurs, accueillons l’invitation toujours actuelle à tendre au « haut degré de la vie chrétienne » (Jean-Paul II, Lett. ap. Novo millennio ineunte [6 janvier 2001], n.31). En reconnaissant et en proclamant la béatitude et la sainteté de quelques chrétiens exemplaires, la sagesse de l’Église a aussi pour but de susciter le désir d’en imiter les vertus. Saint Paul exhorte : « rivalisez d’estime réciproque » (Rm 12, 10).
Face à un monde qui exige des chrétiens un témoignage renouvelé d’amour et de fidélité au Seigneur, tous sentent l’urgence de tout faire pour rivaliser dans la charité, dans le service et dans les œuvres bonnes (cf. He 6, 10). Ce rappel est particulièrement fort durant le saint temps de préparation à Pâques. Vous souhaitant un saint et fécond Carême, je vous confie à l’intercession de la Bienheureuse Vierge Marie et, de grand cœur, j’accorde à tous la Bénédiction apostolique.

Du Vatican, le 3 novembre 2011.

BENEDICTUS PP. XVI

LA TABLE DU SEIGNEUR // 1 CORINTHIENS 10, 14-22

25 novembre, 2014

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LA TABLE DU SEIGNEUR // 1 CORINTHIENS 10, 14-22

14 C’est pourquoi, mes bien-aimés, fuyez l’idolâtrie. 15 Je parle comme à des personnes intelligentes : jugez vous-mêmes de ce que je dis. 16 La coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas la communion du sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas la communion du corps du Christ ? 17 Car nous qui sommes plusieurs, sommes un seul pain, un seul corps, car nous participons tous à un seul et même pain. 18 Considérez l’Israël selon la chair : ceux qui mangent les sacrifices n’ont ils pas communion avec l’autel ? 19 Que dis-je donc ? que ce qui est sacrifié à une idole soit quelque chose ? ou qu’une idole soit quelque chose ? 20 [Non], mais que les choses que les nations sacrifient, elles les sacrifient à des démons et non pas à Dieu : or je ne veux pas que vous ayez communion avec les démons. 21 Vous ne pouvez boire la coupe du Seigneur et la coupe des démons ; vous ne pouvez participer à la table du Seigneur et à la table des démons. 22 Provoquons-nous le Seigneur à la jalousie ? Sommes-nous plus forts que lui ?

Le danger de l’idolâtrie (v. 14) était celui auquel les Corinthiens étaient le plus exposé. Ils devaient fuir. Le v. 20 montre l’énormité de l’idolâtrie aux yeux de Dieu en ce que derrière l’idole, il y a un démon.
Dès ce v. 14, un principe est mis en avant : il y a association et communion par le moyen de la table à laquelle nous participons avec ce qui y est placé. Et nous arrivons avec ces versets, le 17ème étant significatif, au cercle intérieur, au corps de Christ, à la vraie assemblée de Dieu, dont ceux qui la composent sont unis ensemble par l’Esprit Saint. La cène en est l’expression. Le v. 17 est comme une parenthèse entre les v. 16 et 18. Tout ce passage nous donne plusieurs exemples de communion : la cène au v. 16; les sacrifices en Israël au v. 18. Le v. 17 est une révélation à part et ce passage tout entier est comme une grande leçon de communion. La manière de répondre à l’invitation du Seigneur et celle de le faire détermine avec qui l’on peut et l’on doit rompre le pain. De ce principe ressort nécessairement le fait que tous ceux qui participent ensemble à la cène à une table quelconque sont solidaires ensemble de tout ce qui caractérise cette table …. et sont chacun responsable sciemment ou non de tout ce qui se rattache au terrain sur laquelle cette table est dressée. Selon la Parole et le v. 17, le terrain doit être l’unité du corps de Christ. Pour y participer, il faut être individuellement dans les conditions requises par le Seigneur; l’Assemblée est responsable de maintenir les droits du Seigneur sur sa propre table. Toute table dressée en dehors du principe énoncé au v. 17 est une table de l’homme. Ce serait faux de dire que c’est une table des démons car ce terme ne s’applique qu’à l’idolâtrie. Pour juger du terrain sur lequel une table repose, il faut remonter à l’origine de son existence : provient-elle d’un schisme, d’un esprit d’indépendance, d’une organisation humaine ? Et bien, répétons que ceux qui sont en communion à une table sont solidaires et responsables, le sachant ou non, du mal quel qu’il soit. Si une personne s’approche de l’Assemblée, pour pouvoir être reçue à la table du Seigneur, il faut qu’elle se purifie personnellement du mal qui se rattache à la table à laquelle elle a participé jusqu’alors. Si ce n’est pas le cas, l’Assemblée accepterait le mal qui se rattache à la table en question et deviendrait solidaire de ce mal. Il va de soit qu’une personne admise à la table du Seigneur ne peut pas retourner ensuite à son ancien état de choses. L’assemblée ne peut pas recevoir temporairement une personne. Citation d’un devancier : la différence de vue ecclésiastique n’est pas une raison suffisante pour exclure une âme mais si quelqu’un voudrait être un jour avec les frères et un autre jour avec d’autres, je ne pourrais pas le permettre et je ne recevrais pas une telle personne. Pour être reçue, une personne qui s’approche doit avoir la confiance de l’assemblée. Une personne qui rompt le pain est aussi sujette à la discipline de la maison de Dieu. En voyant le pain sur la table, nous voyons l’expression du corps entier et nous reconnaissons que tous les croyants font partie du corps de Christ qu’ils soient présents ou non à la table. Heureusement, il n’est pas nécessaire d’attendre que tous les croyants d’une localité veuillent obéir au Seigneur pour rompre le pain à sa table : ceux qui désirent être fidèles ont le privilège de pouvoir se réunir autour de sa table même s’ils ne sont que deux ou trois.
L’épître aux Corinthiens diffère de celle aux Éphésiens autant pour le sujet du “corps” que pour celui de la “maison”. Les Éphésiens nous montre cette Assemblée qui croît pour être un temple saint dans le Seigneur, une habitation de Dieu par l’Esprit, ainsi qu’un corps uni avec la tête glorifiée dans le ciel. Cette assemblée y est aussi présentée comme épouse de Christ. Et bien, dans les Corinthiens, c’est autre chose puisque nous y avons l’assemblée qui est vue comme une maison édifiée par l’homme qui est responsable des matériaux qu’il y introduit et de l’ordre qui doit y régner. Nous y voyons aussi le corps et la maison tels qu’ils devraient être et l’homme a tout ce qui est nécessaire pour que ce corps puisse fonctionner et manifester Christ ici-bas. Cette pensée est développée dès le ch. 10, 14 et se poursuit jusqu’à la fin du ch. 14. L’assemblée doit manifester le fonctionnement et l’unité qui appartiennent au corps de Christ. Cela est d’une immense importance car même en étant deux ou trois, nous sommes tenus de montrer l’unité du corps de Christ dans ce monde et l’ordre qui appartient à cette unité. C’est pourquoi, dans les v. 14 à 22, le rôle assigné à la table du Seigneur est très remarquable. En tout premier lieu, il faut ainsi établir que dans ce monde, il y a une manifestation de l’unité du corps de Christ et cette unité existe. Le témoignage rendu à cette unité est ce qui fait la valeur de la cène pour nous, mais une valeur partielle car il y a aussi le côté du mémorial (ch. 11) pour compléter. Si nous ne nous réunissons pas autour de la table du Seigneur, nous montrons alors une indifférence au sujet de la manifestation de l’unité confiée à notre responsabilité. Le corps est un aux yeux de Dieu; il ne l’est plus aux yeux du monde à cause de notre infidélité. Un point important est que des chrétiens peuvent être réunis autour de la table du Seigneur sans manifester l’unité du corps. Ainsi en était-il des Corinthiens dont l’état de l’assemblée a été relevé dans les chapitres précédents. “Communion” a ici le caractère de la participation des croyants, en commun, à toutes les bénédictions qui nous ont été apportées par le sang de Christ : c’est une coupe de bénédiction. On trouve d’abord la coupe et ensuite le pain car c’est le sang de Christ qui nous introduit dans ces bénédictions. Le seul pain est posé sur la table et quand nous le rompons nous manifestons en commun que nous faisons tous ensemble partie de ce seul corps, nous manifestons l’unité. Au ch. 11, le sang et le corps signifient ensemble la mort (le sang séparé du corps). De fausses doctrines, aux yeux d’un grand nombre paraissent moins offensantes que le mal moral, tandis qu’elles le sont davantage pour le Seigneur car elles portent atteinte à son autorité et aux gloires de sa personne adorable. Il peut même y avoir des chrétiens qui n’ont pas de fausses doctrines mais qui admettent à leur table ceux qui en ont. Au sujet de la table des démons, il y a le caractère des démons mais, le principe étant posé, une table qui n’est pas celle du Seigneur peut avoir plusieurs caractères. La bonne table, c’est celle qui a le caractère du Seigneur. C’est un caractère dans le sens de dénomination. Dans la suite de ces v. (v. 20+), la table du Seigneur est mise en contraste avec l’autel juif et en opposition avec la table des démons. Derrière l’idole, il y a les démons. Le chrétien doit en être séparé. Et bien, avons-nous à coeur de manifester l’unité du corps de Christ … ou faisons-nous comme le monde, allant où bon nous semble. Soyons intelligents et ne provoquons pas le Seigneur à jalousie. La cène, à la table du Seigneur, a donc la communion en vue au ch. 10 et le mémorial au ch. 11. Il y a une seule table du Seigneur comme il n’y avait qu’un seul autel en Israël (cf. Deut. 12, 27). Cette table est sainte car c’est celle du Seigneur. Le mal doctrinal et le mal moral doivent en être écartés. Les “or je ne veux pas” (v. 20) et “vous ne pouvez” (v. 21) montrent l’immense importance de la question et le sérieux de l’apôtre en relation avec cela.

L’APÔTRE PAUL CRAINTIF

24 novembre, 2014

http://www.promesses.org/arts/36p175-177f.html

L’APÔTRE PAUL CRAINTIF

Il a été accordé à l’apôtre des manifestations nombreuses et évidentes de la puissance de l’évangile pour le salut des hommes. Certes, les motifs d’avoir confiance lui ont été prodigués. Malgré cela, Paul, pendant sa carrière de chrétien, a été assiégé de craintes réelles, toujours présentes à son esprit: craintes fondées, exigeant prières et veilles. « J’ai été parmi vous dans la faiblesse et dans la crainte » (I Cor. 2: 3). « Je crains que vous ne laissiez vos pensées se corrompre » ; « Je crains que je ne vous trouve pas tels que je voudrais » (II Cor. 11 : 3 et 12 : 20). Paul craignait constamment; ce sentiment était en relation toute particulière avec son travail pour l’évangile. Tout prédicateur désireux de suivre le Maître connaît les mêmes craintes. Il est, d’une manière toute spéciale, le point de mire de Satan, car il défie l’ennemi ; ce dernier cherchera évidemment à le faire taire ou tout au moins à rendre son message sans force.
Voici quelques craintes de l’apôtre:
« De peur qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois moi-même désapprouvé » (I Cor. 9 : 27).
Il courait afin de remporter le prix (sa récompense); il asservissait son corps. Une conduite personnelle indigne, une vie non conforme à la vérité auraient amené sa déchéance, le retrait de sa mission ; sa lumière se serait éteinte, sa place comme prédicateur de l’évangile aurait été remise à d’autres. Nous sommes invités à la prudence: « Que celui qui croit être debout prenne garde qu’il ne tombe » (I Cor. 10: 12).
« Afin que je ne m’enorgueillisse pas de l’extraordinaire des révélations » (II Cor. 12: 7).
Les visions et les révélations reçues de la part du Seigneur constituaient un véritable péril ; son succès était aussi son danger. Il dut avoir un « messager de Satan » pour le garder humble devant le Seigneur; une écharde lui fut envoyée pour le souffleter ! L’orgueil de bien parler est peut-être la faute la plus laide parmi celles qui peuvent atteindre le prédicateur. Peu y résistent – alors l’humilité, la qualité la plus prisée, en souffre et disparaît.., l’oeuvre périclite et se meurt
.Il craignait d’être une occasion de chute pour son frère (I Cor. 8: 13).
L’influence du prédicateur est grande; non seulement ce qu’il prêche a de la valeur, mais ce qu’il fait porte aussi du fruit. Dans ce but, et dans ce but seulement, l’apôtre se restreignait, Il se privait de bonnes choses, de choses louables en elles-mêmes. L’exercice de sa liberté chrétienne ne devait pas être une occasion de chute « Que cette liberté ne devienne pas une pierre d’achoppement pour les faibles », car « Christ est mort pour lui ». Combien le prédicateur doit veiller à sa marche (car on l’observe), afin de ne pas faire tomber son frère (Matth. 18: 6).
« Afin que personne ne puisse dire que c’est en mon nom que vous avez été baptisés » (I Cor. 1 : 15).
A Corinthe, quelques personnes disaient: « Je suis de Paul – et moi d’Apollos », etc. Pour éviter ce danger, Paul ne baptisait généralement pas lui-même. « Car, disait-il, nous ne nous prêchons pas nous-mêmes, mais nous prêchons le Christ Jésus comme Seigneur » (II Cor. 4 : 5). Dans le travail pour Dieu, il est aisé de mettre en avant sa propre personnalité, de former un groupement autour de sa personne, d’attirer l’attention sur soi plutôt que sur le Seigneur. Car il n’est pas facile. pour un chrétien conscient de ses charismes et de ses capacités, de prendre en tout et partout une attitude non intéressée et de dépouiller le moi, afin d’être un canal spirituel d’où découle l’eau qui vivifie, et de dire avec Jean-Baptiste : « Il faut que lui croisse et que je diminue ».
« M’attachant à évangéliser, non pas là où Christ avait été prêché, afin que je n’édifiasse pas sur le fondement d’autrui » (Rom. 15 : 20).
Il y a du travail pour tous les serviteurs, cependant le danger existe de jouir d’une renommée non méritée. Dans tel endroit, il est facile d’annoncer l’évangile, le défrichage est exécuté, le semeur est allé plus loin ; il y a peu à faire pour rentrer des gerbes, pour annoncer un résultat et s’en prévaloir. « Je me suis fait un point d’honneur de n’annoncer l’évangile que là où le nom de Christ n’avait pas encore été prononcé, afin de ne pas bâtir sur les fondements posés par un autre » (Rom. 15: 20), écrivait l’apôtre. Cela dit, nous n’oublions pas ce verset qui garde sa valeur: « Celui qui sème et celui qui moissonne se réjouissent ensemble » (Jean 4 : 36).
Il craignait de placer un obstacle à la proclamation de la bonne nouvelle de Christ.
« Si nous avons semé pour vous des biens spirituels, est-ce beaucoup que nous moissonnions de vos biens matériels? » (1 Cor. 11 : 11-18). Ayant démontré son droit, le droit de vivre de son travail dans le domaine spirituel, l’apôtre y renonce.., pour garder sa liberté ? Par crainte d’être un obstacle à l’évangile ? Prêcher l’évangile sans frais était pour lui une source de satisfaction, Il ne voulait pas en rechercher une gloire quelconque, car il était obligé de le faire. « Malheur à moi si je ne prêche ». Sa récompense ? « C’est, en annonçant l’évangile, de l’offrir gratuitement ! ».
Peut-être la propagation de la bonne nouvelle n’eût-elle pas été si rapide parmi les hommes ? En général, il n’a pas été à l’avantage du christianisme qu’une classe d’hommes ait comme profession celle d’annoncer le salut éternel. Bien des messages ont été comptés comme étant sans valeur par des auditeurs incroyants parce que ceux qui prêchaient recevaient un salaire pour le faire : « Il n’est pas libre, il le fait par devoir ! ». A vrai dire, cela a été souvent une réflexion toute gratuite, mais la réflexion est restée et l’évangile en a souffert.
« Christ m’a envoyé.., pour évangéliser, afin que la croix de Christ ne soit pas rendue vaine » (I Cor. 1 : 7).
Il insiste sur ce point, il était déterminé à « ne savoir qu’une chose : Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié ». Sa prédication n’était pas faite avec éloquence, mais c’était « une démonstration d’esprit et de puissance », afin que la foi des hommes ne se fonde pas sur une sagesse d’homme, mais sur la puissance de Dieu. il craignait ainsi de mettre de côté la force inhérente à l’évangile. il est, hélas, facile de faire un discours qui plaise aux oreilles des auditeurs. La croix de Christ peut être dépeinte de telle façon qu’elle signifie tout autre chose. Une croix sur laquelle le sang n’a pas coulé n’est pas la croix de Christ ! Le message reste alors sans effet. Le scandale que suscite la mort du Fils de Dieu sur une croix est écarté et la prédication d’un Christ crucifié demeure sans objet.
Le porteur de la bonne nouvelle a là à sa disposition une arme qui est la puissance de Dieu pour le salut éternel. Si cette arme est sans force entre ses mains, il doit en rechercher la raison avec larmes; il doit sonder ses voies, examiner ses actes et son message. il se rendra ainsi compte que sa prédication est vaine ou pas.

« Ceux qui sèment avec larmes
Moissonneront avec chants de triomphe.
Il marche en pleurant,
Celui qui porte la semence pour la répandre
Mais il reviendra en poussant des cris de joie,
Quand il portera ses gerbes ! » (Ps. 126).

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