Archive pour la catégorie 'SAINT BENOÎT DE NURSIE'

BENOÎT XVI – SAINT BENOÎT DE NURSIE – 11 JUILLET

10 juillet, 2018

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Saint Benoit de Nurcie

BENOÎT XVI – SAINT BENOÎT DE NURSIE – 11 JUILLET

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 9 avril 2008

Chers frères et sœurs,

Je voudrais parler aujourd’hui de saint Benoît, fondateur du monachisme occidental, et aussi Patron de mon pontificat. Je commence par une parole de saint Grégoire le Grand, qui écrit à propos de saint Benoît: « L’homme de Dieu qui brilla sur cette terre par de si nombreux miracles, ne brilla pas moins par l’éloquence avec laquelle il sut exposer sa doctrine » (Dial. II, 36). Telles sont les paroles que ce grand Pape écrivit en l’an 592; le saint moine était mort à peine 50 ans auparavant et il était encore vivant dans la mémoire des personnes et en particulier dans le florissant Ordre religieux qu’il avait fondé. Saint Benoît de Nursie, par sa vie et par son œuvre, a exercé une influence fondamentale sur le développement de la civilisation et de la culture européenne. La source la plus importante à propos de la vie de ce saint est le deuxième livre des Dialogues de saint Grégoire le Grand. Il ne s’agit pas d’une biographie au sens classique. Selon les idées de son temps, il voulut illustrer à travers l’exemple d’un homme concret – précisément saint Benoît – l’ascension au sommet de la contemplation, qui peut être réalisée par celui qui s’abandonne à Dieu. Il nous donne donc un modèle de la vie humaine comme ascension vers le sommet de la perfection. Saint Grégoire le Grand raconte également dans ce livre des Dialogues de nombreux miracles accomplis par le saint, et ici aussi il ne veut pas raconter simplement quelque chose d’étrange, mais démontrer comment Dieu, en admonestant, en aidant et aussi en punissant, intervient dans les situations concrètes de la vie de l’homme. Il veut démontrer que Dieu n’est pas une hypothèse lointaine placée à l’origine du monde, mais qu’il est présent dans la vie de l’homme, de tout homme.
Cette perspective du « biographe » s’explique également à la lumière du contexte général de son époque: entre le V et le VI siècle, le monde était bouleversé par une terrible crise des valeurs et des institutions, causée par la chute de l’Empire romain, par l’invasion des nouveaux peuples et par la décadence des mœurs. En présentant saint Benoît comme un « astre lumineux », Grégoire voulait indiquer dans cette situation terrible, précisément ici dans cette ville de Rome, l’issue de la « nuit obscure de l’histoire » (Jean-Paul II, Insegnamenti, II/1, 1979, p. 1158). De fait, l’œuvre du saint et, en particulier, sa Règle se révélèrent détentrices d’un authentique ferment spirituel qui transforma le visage de l’Europe au cours des siècles, bien au-delà des frontières de sa patrie et de son temps, suscitant après la chute de l’unité politique créée par l’empire romain une nouvelle unité spirituelle et culturelle, celle de la foi chrétienne partagée par les peuples du continent. C’est précisément ainsi qu’est née la réalité que nous appelons « Europe ».
La naissance de saint Benoît se situe autour de l’an 480. Il provenait, comme le dit saint Grégoire, « ex provincia Nursiae » – de la région de la Nursie. Ses parents, qui étaient aisés, l’envoyèrent suivre des études à Rome pour sa formation. Il ne s’arrêta cependant pas longtemps dans la Ville éternelle. Comme explication, pleinement crédible, Grégoire mentionne le fait que le jeune Benoît était écoeuré par le style de vie d’un grand nombre de ses compagnons d’étude, qui vivaient de manière dissolue, et qu’il ne voulait pas tomber dans les mêmes erreurs. Il voulait ne plaire qu’à Dieu seul; « soli Deo placere desiderans » (II Dial. Prol. 1). Ainsi, avant même la conclusion de ses études, Benoît quitta Rome et se retira dans la solitude des montagnes à l’est de Rome. Après un premier séjour dans le village d’Effide (aujourd’hui Affile), où il s’associa pendant un certain temps à une « communauté religieuse » de moines, il devint ermite dans la proche Subiaco. Il vécut là pendant trois ans complètement seul dans une grotte qui, depuis le Haut Moyen-âge, constitue le « coeur » d’un monastère bénédictin appelé « Sacro Speco ». La période à Subiaco, une période de solitude avec Dieu, fut un temps de maturation pour Benoît. Il dut supporter et surmonter en ce lieu les trois tentations fondamentales de chaque être humain: la tentation de l’affirmation personnelle et du désir de se placer lui-même au centre, la tentation de la sensualité et, enfin, la tentation de la colère et de la vengeance. Benoît était en effet convaincu que ce n’était qu’après avoir vaincu ces tentations qu’il aurait pu adresser aux autres une parole pouvant être utile à leur situation de besoin. Et ainsi, son âme désormais pacifiée était en mesure de contrôler pleinement les pulsions du « moi » pour être un créateur de paix autour de lui. Ce n’est qu’alors qu’il décida de fonder ses premiers monastères dans la vallée de l’Anio, près de Subiaco.
En l’an 529, Benoît quitta Subiaco pour s’installer à Montecassino. Certains ont expliqué ce déplacement comme une fuite face aux intrigues d’un ecclésiastique local envieux. Mais cette tentative d’explication s’est révélée peu convaincante, car la mort soudaine de ce dernier n’incita pas Benoît à revenir (II Dial. 8). En réalité, cette décision s’imposa à lui car il était entré dans une nouvelle phase de sa maturation intérieure et de son expérience monastique. Selon Grégoire le Grand, l’exode de la lointaine vallée de l’Anio vers le Mont Cassio – une hauteur qui, dominant la vaste plaine environnante, est visible de loin – revêt un caractère symbolique: la vie monastique cachée a sa raison d’être, mais un monastère possède également une finalité publique dans la vie de l’Eglise et de la société, il doit donner de la visibilité à la foi comme force de vie. De fait, lorsque Benoît conclut sa vie terrestre le 21 mars 547, il laissa avec sa Règle et avec la famille bénédictine qu’il avait fondée un patrimoine qui a porté des fruits dans le monde entier jusqu’à aujourd’hui.
Dans tout le deuxième livre des Dialogues, Grégoire nous montre la façon dont la vie de saint Benoît était plongée dans une atmosphère de prière, fondement central de son existence. Sans prière l’expérience de Dieu n’existe pas. Mais la spiritualité de Benoît n’était pas une intériorité en dehors de la réalité. Dans la tourmente et la confusion de son temps, il vivait sous le regard de Dieu et ne perdit ainsi jamais de vue les devoirs de la vie quotidienne et l’homme avec ses besoins concrets. En voyant Dieu, il comprit la réalité de l’homme et sa mission. Dans sa Règle, il qualifie la vie monastique d’ »école du service du Seigneur » (Prol. 45) et il demande à ses moines de « ne rien placer avant l’Œuvre de Dieu [c'est-à-dire l'Office divin ou la Liturgie des Heures] » (43, 3). Il souligne cependant que la prière est en premier lieu un acte d’écoute (Prol. 9-11), qui doit ensuite se traduire par l’action concrète. « Le Seigneur attend que nous répondions chaque jour par les faits à ses saints enseignements », affirme-t-il (Prol. 35). Ainsi, la vie du moine devient une symbiose féconde entre action et contemplation « afin que Dieu soit glorifié en tout » (57, 9). En opposition avec une réalisation personnelle facile et égocentrique, aujourd’hui souvent exaltée, l’engagement premier et incontournable du disciple de saint Benoît est la recherche sincère de Dieu (58, 7) sur la voie tracée par le Christ humble et obéissant (5, 13), ne devant rien placer avant l’amour pour celui-ci (4, 21; 72, 11) et c’est précisément ainsi, au service de l’autre, qu’il devient un homme du service et de la paix. Dans l’exercice de l’obéissance mise en acte avec une foi animée par l’amour (5, 2), le moine conquiert l’humilité (5, 1), à laquelle la Règle consacre un chapitre entier (7). De cette manière, l’homme devient toujours plus conforme au Christ et atteint la véritable réalisation personnelle comme créature à l’image et à la ressemblance de Dieu.
A l’obéissance du disciple doit correspondre la sagesse de l’Abbé, qui dans le monastère remplit « les fonctions du Christ » (2, 2; 63, 13). Sa figure, définie en particulier dans le deuxième chapitre de la Règle, avec ses qualités de beauté spirituelle et d’engagement exigeant, peut-être considérée comme un autoportrait de Benoît, car – comme l’écrit Grégoire le Grand – « le saint ne put en aucune manière enseigner différemment de la façon dont il vécut » (Dial. II, 36). L’Abbé doit être à la fois un père tendre et également un maître sévère (2, 24), un véritable éducateur. Inflexible contre les vices, il est cependant appelé à imiter en particulier la tendresse du Bon Pasteur (27, 8), à « aider plutôt qu’à dominer » (64, 8), à « accentuer davantage à travers les faits qu’à travers les paroles tout ce qui est bon et saint » et à « illustrer les commandements divins par son exemple » (2, 12). Pour être en mesure de décider de manière responsable, l’Abbé doit aussi être un personne qui écoute « le conseil de ses frères » (3, 2), car « souvent Dieu révèle au plus jeune la solution la meilleure » (3, 3). Cette disposition rend étonnamment moderne une Règle écrite il y a presque quinze siècles! Un homme de responsabilité publique, même à une petite échelle, doit toujours être également un homme qui sait écouter et qui sait apprendre de ce qu’il écoute.
Benoît qualifie la Règle de « Règle minimale tracée uniquement pour le début » (73, 8); en réalité, celle-ci offre cependant des indications utiles non seulement aux moines, mais également à tous ceux qui cherchent un guide sur leur chemin vers Dieu. En raison de sa mesure, de son humanité et de son sobre discernement entre ce qui est essentiel et secondaire dans la vie spirituelle, elle a pu conserver sa force illuminatrice jusqu’à aujourd’hui. Paul VI, en proclamant saint Benoît Patron de l’Europe le 24 octobre 1964, voulut reconnaître l’œuvre merveilleuse accomplie par le saint à travers la Règle pour la formation de la civilisation et de la culture européenne. Aujourd’hui, l’Europe – à peine sortie d’un siècle profondément blessé par deux guerres mondiales et après l’effondrement des grandes idéologies qui se sont révélées de tragiques utopies – est à la recherche de sa propre identité. Pour créer une unité nouvelle et durable, les instruments politiques, économiques et juridiques sont assurément importants, mais il faut également susciter un renouveau éthique et spirituel qui puise aux racines chrétiennes du continent, autrement on ne peut pas reconstruire l’Europe. Sans cette sève vitale, l’homme reste exposé au danger de succomber à l’antique tentation de vouloir se racheter tout seul – une utopie qui, de différentes manières, a causé dans l’Europe du XX siècle, comme l’a remarqué le Pape Jean-Paul II, « un recul sans précédent dans l’histoire tourmentée de l’humanité » (Insegnamenti, XIII/1, 1990, p. 58). En recherchant le vrai progrès, nous écoutons encore aujourd’hui la Règle de saint Benoît comme une lumière pour notre chemin. Le grand moine demeure un véritable maître à l’école de qui nous pouvons apprendre l’art de vivre le véritable humanisme.

BENOÎT XVI – SAINT BENOÎT DE NURSIE (2008) (FÊTE 11 JUILLET)

10 juillet, 2017

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Saint-Benoît de Nursie

BENOÎT XVI – SAINT BENOÎT DE NURSIE (2008) (FÊTE 11 JUILLET)

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 9 avril 2008

Chers frères et sœurs,

Je voudrais parler aujourd’hui de saint Benoît, fondateur du monachisme occidental, et aussi Patron de mon pontificat. Je commence par une parole de saint Grégoire le Grand, qui écrit à propos de saint Benoît: « L’homme de Dieu qui brilla sur cette terre par de si nombreux miracles, ne brilla pas moins par l’éloquence avec laquelle il sut exposer sa doctrine » (Dial. II, 36). Telles sont les paroles que ce grand Pape écrivit en l’an 592; le saint moine était mort à peine 50 ans auparavant et il était encore vivant dans la mémoire des personnes et en particulier dans le florissant Ordre religieux qu’il avait fondé. Saint Benoît de Nursie, par sa vie et par son œuvre, a exercé une influence fondamentale sur le développement de la civilisation et de la culture européenne. La source la plus importante à propos de la vie de ce saint est le deuxième livre des Dialogues de saint Grégoire le Grand. Il ne s’agit pas d’une biographie au sens classique. Selon les idées de son temps, il voulut illustrer à travers l’exemple d’un homme concret – précisément saint Benoît – l’ascension au sommet de la contemplation, qui peut être réalisée par celui qui s’abandonne à Dieu. Il nous donne donc un modèle de la vie humaine comme ascension vers le sommet de la perfection. Saint Grégoire le Grand raconte également dans ce livre des Dialogues de nombreux miracles accomplis par le saint, et ici aussi il ne veut pas raconter simplement quelque chose d’étrange, mais démontrer comment Dieu, en admonestant, en aidant et aussi en punissant, intervient dans les situations concrètes de la vie de l’homme. Il veut démontrer que Dieu n’est pas une hypothèse lointaine placée à l’origine du monde, mais qu’il est présent dans la vie de l’homme, de tout homme.
Cette perspective du « biographe » s’explique également à la lumière du contexte général de son époque: entre le V et le VI siècle, le monde était bouleversé par une terrible crise des valeurs et des institutions, causée par la chute de l’Empire romain, par l’invasion des nouveaux peuples et par la décadence des mœurs. En présentant saint Benoît comme un « astre lumineux », Grégoire voulait indiquer dans cette situation terrible, précisément ici dans cette ville de Rome, l’issue de la « nuit obscure de l’histoire » (Jean-Paul II, Insegnamenti, II/1, 1979, p. 1158). De fait, l’œuvre du saint et, en particulier, sa Règle se révélèrent détentrices d’un authentique ferment spirituel qui transforma le visage de l’Europe au cours des siècles, bien au-delà des frontières de sa patrie et de son temps, suscitant après la chute de l’unité politique créée par l’empire romain une nouvelle unité spirituelle et culturelle, celle de la foi chrétienne partagée par les peuples du continent. C’est précisément ainsi qu’est née la réalité que nous appelons « Europe ».
La naissance de saint Benoît se situe autour de l’an 480. Il provenait, comme le dit saint Grégoire, « ex provincia Nursiae » – de la région de la Nursie. Ses parents, qui étaient aisés, l’envoyèrent suivre des études à Rome pour sa formation. Il ne s’arrêta cependant pas longtemps dans la Ville éternelle. Comme explication, pleinement crédible, Grégoire mentionne le fait que le jeune Benoît était écoeuré par le style de vie d’un grand nombre de ses compagnons d’étude, qui vivaient de manière dissolue, et qu’il ne voulait pas tomber dans les mêmes erreurs. Il voulait ne plaire qu’à Dieu seul; « soli Deo placere desiderans » (II Dial. Prol. 1). Ainsi, avant même la conclusion de ses études, Benoît quitta Rome et se retira dans la solitude des montagnes à l’est de Rome. Après un premier séjour dans le village d’Effide (aujourd’hui Affile), où il s’associa pendant un certain temps à une « communauté religieuse » de moines, il devint ermite dans la proche Subiaco. Il vécut là pendant trois ans complètement seul dans une grotte qui, depuis le Haut Moyen-âge, constitue le « coeur » d’un monastère bénédictin appelé « Sacro Speco ». La période à Subiaco, une période de solitude avec Dieu, fut un temps de maturation pour Benoît. Il dut supporter et surmonter en ce lieu les trois tentations fondamentales de chaque être humain: la tentation de l’affirmation personnelle et du désir de se placer lui-même au centre, la tentation de la sensualité et, enfin, la tentation de la colère et de la vengeance. Benoît était en effet convaincu que ce n’était qu’après avoir vaincu ces tentations qu’il aurait pu adresser aux autres une parole pouvant être utile à leur situation de besoin. Et ainsi, son âme désormais pacifiée était en mesure de contrôler pleinement les pulsions du « moi » pour être un créateur de paix autour de lui. Ce n’est qu’alors qu’il décida de fonder ses premiers monastères dans la vallée de l’Anio, près de Subiaco.
En l’an 529, Benoît quitta Subiaco pour s’installer à Montecassino. Certains ont expliqué ce déplacement comme une fuite face aux intrigues d’un ecclésiastique local envieux. Mais cette tentative d’explication s’est révélée peu convaincante, car la mort soudaine de ce dernier n’incita pas Benoît à revenir (II Dial. 8). En réalité, cette décision s’imposa à lui car il était entré dans une nouvelle phase de sa maturation intérieure et de son expérience monastique. Selon Grégoire le Grand, l’exode de la lointaine vallée de l’Anio vers le Mont Cassio – une hauteur qui, dominant la vaste plaine environnante, est visible de loin – revêt un caractère symbolique: la vie monastique cachée a sa raison d’être, mais un monastère possède également une finalité publique dans la vie de l’Eglise et de la société, il doit donner de la visibilité à la foi comme force de vie. De fait, lorsque Benoît conclut sa vie terrestre le 21 mars 547, il laissa avec sa Règle et avec la famille bénédictine qu’il avait fondée un patrimoine qui a porté des fruits dans le monde entier jusqu’à aujourd’hui.
Dans tout le deuxième livre des Dialogues, Grégoire nous montre la façon dont la vie de saint Benoît était plongée dans une atmosphère de prière, fondement central de son existence. Sans prière l’expérience de Dieu n’existe pas. Mais la spiritualité de Benoît n’était pas une intériorité en dehors de la réalité. Dans la tourmente et la confusion de son temps, il vivait sous le regard de Dieu et ne perdit ainsi jamais de vue les devoirs de la vie quotidienne et l’homme avec ses besoins concrets. En voyant Dieu, il comprit la réalité de l’homme et sa mission. Dans sa Règle, il qualifie la vie monastique d’ »école du service du Seigneur » (Prol. 45) et il demande à ses moines de « ne rien placer avant l’Œuvre de Dieu [c'est-à-dire l'Office divin ou la Liturgie des Heures] » (43, 3). Il souligne cependant que la prière est en premier lieu un acte d’écoute (Prol. 9-11), qui doit ensuite se traduire par l’action concrète. « Le Seigneur attend que nous répondions chaque jour par les faits à ses saints enseignements », affirme-t-il (Prol. 35). Ainsi, la vie du moine devient une symbiose féconde entre action et contemplation « afin que Dieu soit glorifié en tout » (57, 9). En opposition avec une réalisation personnelle facile et égocentrique, aujourd’hui souvent exaltée, l’engagement premier et incontournable du disciple de saint Benoît est la recherche sincère de Dieu (58, 7) sur la voie tracée par le Christ humble et obéissant (5, 13), ne devant rien placer avant l’amour pour celui-ci (4, 21; 72, 11) et c’est précisément ainsi, au service de l’autre, qu’il devient un homme du service et de la paix. Dans l’exercice de l’obéissance mise en acte avec une foi animée par l’amour (5, 2), le moine conquiert l’humilité (5, 1), à laquelle la Règle consacre un chapitre entier (7). De cette manière, l’homme devient toujours plus conforme au Christ et atteint la véritable réalisation personnelle comme créature à l’image et à la ressemblance de Dieu.
A l’obéissance du disciple doit correspondre la sagesse de l’Abbé, qui dans le monastère remplit « les fonctions du Christ » (2, 2; 63, 13). Sa figure, définie en particulier dans le deuxième chapitre de la Règle, avec ses qualités de beauté spirituelle et d’engagement exigeant, peut-être considérée comme un autoportrait de Benoît, car – comme l’écrit Grégoire le Grand – « le saint ne put en aucune manière enseigner différemment de la façon dont il vécut » (Dial. II, 36). L’Abbé doit être à la fois un père tendre et également un maître sévère (2, 24), un véritable éducateur. Inflexible contre les vices, il est cependant appelé à imiter en particulier la tendresse du Bon Pasteur (27, 8), à « aider plutôt qu’à dominer » (64, 8), à « accentuer davantage à travers les faits qu’à travers les paroles tout ce qui est bon et saint » et à « illustrer les commandements divins par son exemple » (2, 12). Pour être en mesure de décider de manière responsable, l’Abbé doit aussi être un personne qui écoute « le conseil de ses frères » (3, 2), car « souvent Dieu révèle au plus jeune la solution la meilleure » (3, 3). Cette disposition rend étonnamment moderne une Règle écrite il y a presque quinze siècles! Un homme de responsabilité publique, même à une petite échelle, doit toujours être également un homme qui sait écouter et qui sait apprendre de ce qu’il écoute.
Benoît qualifie la Règle de « Règle minimale tracée uniquement pour le début » (73, 8); en réalité, celle-ci offre cependant des indications utiles non seulement aux moines, mais également à tous ceux qui cherchent un guide sur leur chemin vers Dieu. En raison de sa mesure, de son humanité et de son sobre discernement entre ce qui est essentiel et secondaire dans la vie spirituelle, elle a pu conserver sa force illuminatrice jusqu’à aujourd’hui. Paul VI, en proclamant saint Benoît Patron de l’Europe le 24 octobre 1964, voulut reconnaître l’œuvre merveilleuse accomplie par le saint à travers la Règle pour la formation de la civilisation et de la culture européenne. Aujourd’hui, l’Europe – à peine sortie d’un siècle profondément blessé par deux guerres mondiales et après l’effondrement des grandes idéologies qui se sont révélées de tragiques utopies – est à la recherche de sa propre identité. Pour créer une unité nouvelle et durable, les instruments politiques, économiques et juridiques sont assurément importants, mais il faut également susciter un renouveau éthique et spirituel qui puise aux racines chrétiennes du continent, autrement on ne peut pas reconstruire l’Europe. Sans cette sève vitale, l’homme reste exposé au danger de succomber à l’antique tentation de vouloir se racheter tout seul – une utopie qui, de différentes manières, a causé dans l’Europe du XX siècle, comme l’a remarqué le Pape Jean-Paul II, « un recul sans précédent dans l’histoire tourmentée de l’humanité » (Insegnamenti, XIII/1, 1990, p. 58). En recherchant le vrai progrès, nous écoutons encore aujourd’hui la Règle de saint Benoît comme une lumière pour notre chemin. Le grand moine demeure un véritable maître à l’école de qui nous pouvons apprendre l’art de vivre le véritable humanisme.

JEAN-PAUL II, VISITE PASTORALE À CASCIA ET À NURSIE – 1980 – HOMÉLIE

9 juillet, 2015

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VISITE PASTORALE À CASCIA ET À NURSIE (ITALIE) – 1980

HOMÉLIE DU PAPE JEAN-PAUL II

Nursie (Italie)

Dimanche 23 mars 1980

1. Gloire à toi, Christ, Verbe de Dieu.

Gloire à toi chaque jour dans cette période bienheureuse qu’est le Carême. Gloire à toi, aujourd’hui, jour du Seigneur et cinquième dimanche après le Carême.
Gloire à toi, Verbe de Dieu, qui t’es fait chair, qui t’es manifesté par ta vie et qui as accompli ta mission sur terre par ta mort et ta résurrection.
Gloire à toi, Verbe de Dieu, qui pénètres au plus intime des cœurs humains et qui leur montres la route du salut.
Gloire à toi dans chaque lieu de la terre.
Gloire à toi dans cette péninsule comprise entre les sommets des Alpes et la Méditerranée. Gloire à toi dans tous les lieux de cette région bienheureuse ; gloire à toi dans chaque ville et dans chaque village où déjà, depuis presque deux mille ans, les habitants t’écoutent et cheminent dans ta lumière.
Gloire à toi, Verbe de Dieu, Verbe du Carême qui est le temps de notre salut, de la miséricorde et de la pénitence.
Gloire à toi pour un fils illustre de cette terre.
Gloire à toi, Verbe de Dieu, qu’ici, dans cette localité appelée Nursie, un fils de cette terre — connu de toute l’Église et du monde entier sous le nom de Benoît — a écouté pour la première fois et accueilli comme lumière de sa vie et également de celle de ses frères et sœurs.
Verbe de Dieu qui ne passera jamais, voici que sont maintenant passés mille cinq cents ans depuis la naissance de Benoît, ton confesseur et moine, fondateur d’ordre, patriarche de l’Occident, patron de l’Europe.
Gloire à toi, Verbe de Dieu.

2. Vous me permettrez, chers frères et sœurs d’insérer ces expressions de vénération et d’action de grâces dans les paroles de la liturgie d’aujourd’hui, liturgie du Carême. La vénération et l‘action de grâces sont la raison de notre présence ici aujourd’hui, celle de mon pèlerinage avec vous, dans ce lieu de la naissance de saint Benoît, pour la célébration du mille cinq centième anniversaire de sa naissance.
Nous savons que l’homme vient au monde grâce à ses parents. Nous confessons que venu dans le monde par l’intermédiaire de parents terrestres qui sont le père et la mère il renaît à la grâce du baptême en s’immergeant dans l’amour du Christ crucifié, pour recevoir la participation à cette vie que le Christ lui-même a révélée par sa résurrection. Par la grâce reçue dans le baptême, l’homme participe à la naissance éternelle du fils par le père puisqu’il devient fils adoptif de Dieu : fils dans le Fils.
On ne peut pas ne pas rappeler cette vérité humaine et chrétienne au sujet de la naissance de l’homme aujourd’hui, à Nursie, sur le lieu de la naissance de saint Benoît. En même temps on peut et on doit dire qu’avec lui, naissait, dans un certain sens, une nouvelle époque, une nouvelle Italie, une nouvelle Europe. L’homme vient toujours au monde dans des conditions historiques déterminées ; le Fils de Dieu aussi est devenu fils de l’homme à une certaine période du temps et c’est grâce à elle qu’il a donné naissance aux temps nouveaux qui sont venus après lui. De la même manière Benoît est né à une certaine époque historique à Nursie et c’est grâce à la foi dans le Christ qu’il a obtenu « la justice qui vient de Dieu » (Ph 3, 9), et qu’il a su inoculer cette justice dans les âmes de ses contemporains et de ses descendants.
3. L’année où, selon la tradition, Benoît vint au monde l’année 480, suit de très près une date fatidique ou plutôt fatale pour Rome : je fais allusion à l’année 476 où, avec l’envoi à Constantinople des insignes impériaux, l’empire romain d’Occident, après une longue période de décadence, connaît sa fin officielle. En cette année s’écroulait une certaine structure politique, c’est-à-dire un système qui avait fini par conditionner, durant près d’un millénaire, le cheminement et le développement de la civilisation humaine dans l’espace du bassin méditerranéen tout entier.
Le Christ lui-même est venu dans le monde selon les coordonnées — temps, lieu, milieu, conditions politiques, etc. — créées par ce même système. La chrétienté aussi, dans l’histoire glorieuse et douloureuse de « la première Église », que ce soit à l’époque des persécutions ou à celle de liberté qui a suivi, s’est développée dans le cadre de l’ « ordo romanus », même si elle s’est développée dans un certain sens « malgré » cet « ordo », en ce qu’elle avait sa propre dynamique qui la rendait indépendante de cet ordre et qui permettait de vivre une vie « parallèle » à son développement historique.
Même le soi-disant édit de Constantin en 313 n’a pas fait dépendre l’Église de l’Empire : s’il lui a reconnu la juste liberté « ad extra » après les sanglantes répressions de l’âge antérieur, il ne lui a pas donné cette liberté « ad intra » qui lui était aussi nécessaire et, qui, en conformité avec la volonté de son fondateur, découle de manière indéfectible de l’impulsion de vie qui lui a été communiquée par l’Esprit. Même après cet événement important, qui marque la paix religieuse, l’empire romain a continué à se désagréger : pendant que le système impérial, en Orient, pouvait se renforcer, même par des transformations considérables, en Occident, il s’est affaibli progressivement pour différentes raisons internes et externes dont le choc des migrations des peuples et, dans une certaine mesure, il n’a plus eu la force de survivre.
4. C’est un fait que lorsque saint Benoît est venu au monde, ici à Nursie non seulement « le monde antique s’en allait vers sa fin » (Krasinki, Irydion), mais en réalité ce monde avait déjà été transformé : les « tempora christiana » avaient pris sa place. Rome qui, pendant un temps, avait été le témoin principal de sa puissance et la ville de sa plus grande splendeur était devenue la « Rome chrétienne ». Dans un certain sens, elle avait été vraiment la ville où s’était identifié l’Empire. La Rome des Césars était désormais dépassée. Elle était demeurée la Rome des apôtres. La Rome de Pierre et de Paul, la Rome des martyrs dont la mémoire était encore relativement fraîche et vive. Et à travers cette mémoire, la conscience de l’Église et le sens de la présence du Christ auquel tant d’hommes et de femmes n’avaient pas hésité à rendre leur témoignage par le sacrifice de leur vie, étaient vifs.
Voici donc que Benoît naît à Nursie et grandit dans ce climat particulier où la fin de la puissance terrestre parle à l’âme le langage des réalités ultimes, pendant qu’en même temps le Christ et l’Évangile parlent d’une autre aspiration, d’une autre dimension de la vie, d’une autre justice, d’un autre royaume.
Benoît de Nursie grandit dans ce climat. Il sait que la pleine vérité sur la signification de la vie humaine, saint Paul l’a exprimée quand il a écrit dans la lettre aux Philippiens : « Oubliant le chemin parcouru, je vais droit de l’avant, tendu de tout mon être, et je cours vers le but, en vue du prix que Dieu nous appelle à recevoir là-haut, dans le Christ Jésus. » (Ph 3, 13-14.)
Ces paroles ont été écrites par l’apôtre des nations, le pharisien converti, qui avait donné de cette manière le témoignage de sa conversion et de sa foi. Ces paroles révélées contiennent aussi la vérité qui retourne à l’Église et à ’humanité au cours de différentes étapes de l’histoire. Dans cette étape où le Christ a appelé Benoît de Nursie, ces paroles préfiguraient l’annonce d’une époque qui a été précisément l’époque de la grande aspiration « vers le haut » derrière le Christ crucifié et ressuscité, précisément comme l’écrit saint Paul : « Le connaître, lui, avec la puissance de sa résurrection et la communion à ses souffrances, lui devenir conforme dans l’amour, afin de parvenir si possible à ressusciter d’entre les morts. » (Ph 3, 10-11.)
Ainsi donc, au-delà de l’horizon de la mort qu’a subi tout le monde construit sur la puissance temporelle de Rome et de l’Empire, émerge cette nouvelle aspiration : l’aspiration « vers le haut », suscitée par le défi de la vie nouvelle, le défi porté à l’homme par le Christ en même temps que l’espérance de la résurrection future. Le monde terrestre — le monde des puissants et des défaites de l’homme — est devenu le monde visité par le Christ de Dieu, le monde soutenu par la croix dans la perspective du futur définitif de l’homme qui est l’éternité : le règne de Dieu.
5.b> Benoît a été pour sa génération, et encore davantage pour les générations qui ont suivi, l’apôtre de ce règne et de cette aspiration. Cependant, le message qu’il a proclamé par toute sa règle de vie semblait — et semble encore aujourd’hui — quotidien, commun et presque moins « héroïque » que celui que les apôtres et les martyrs ont laissé sur les ruines de la Rome antique.
En réalité, c’est le même message de vie éternelle, révélé à l’homme dans le Christ Jésus, même s’il est prononcé dans le langage des temps désormais différents. L’Église relit toujours le même Évangile — Verbe de Dieu qui ne passe pas — dans le contexte de la réalité humaine qui change. Benoît a su interpréter avec perspicacité et de manière certaine les signes des temps de l’époque, quand il a écrit sa règle dans laquelle l’union de la prière et du travail devenait pour ceux qui l’auraient acceptée le principe de l’aspiration à l’éternité.
« Ora et labora » était pour le grand fondateur du monachisme occidental la même vérité que celle que l’apôtre proclame dans la lecture d’aujourd’hui lorsqu’il affirme avoir accepté de tout perdre pour le Christ : « Je tiens tout désormais pour désavantageux au prix du gain suréminent qu’est la connaissance du Christ Jésus mon Seigneur. Pour lui, j’ai accepté de tout perdre, je regarde tout comme déchet, afin de gagner le Christ et d’être trouvé en lui. » (Ph 3, 8-9.)
En lisant les signes des temps Benoît a vu qu’il était nécessaire de réaliser le programme radical de la sainteté évangélique, exprimée par les paroles de saint Paul, dans une forme ordinaire, dans les dimensions de la vie quotidienne de tous les hommes. Il était nécessaire que l’héroïque devint normal, quotidien, et que le normal et le quotidien deviennent héroïques. De cette manière, père des moines, législateur de la vie monastique en Occident, il est devenu également indirectement le pionnier d’une nouvelle civilisation. Partout où le travail humain conditionnait le développement de la culture, de l’économie, de la vie sociale, il lui ajoutait le programme bénédictin de l’évangélisation qui unissait le travail à la prière et la prière au travail.
Il faut admirer la simplicité de ce programme et, en même temps, son universalité. On peut dire que ce programme a contribué à la christianisation des nouveaux peuples du continent européen et, en même temps, il s’est trouvé également à la base de leur histoire nationale, d’une histoire qui compte plus d’un millénaire.
De cette manière, saint Benoît est devenu le patron de l’Europe au cours des siècles : bien avant qu’il le soit proclamé par le Pape Paul VI.
6. Il est le patron de l’Europe en notre époque. Il l’est non seulement en considération de ses mérites particuliers envers ce continent, envers son histoire et sa civilisation. Il l’est aussi en considération de la nouvelle actualité de sa figure à l’égard de l’Europe contemporaine.
On peut détacher le travail de la prière et en faire l’unique dimension de l’existence humaine. L’époque d’aujourd’hui porte en elle cette tendance. Elle se différencie de celle de Benoît de Nursie parce qu’alors l’Occident regardait derrière lui en s’inspirant de la grande tradition de Rome et du monde antique. Aujourd’hui, l’Europe a derrière elle la terrible Seconde Guerre mondiale et les changements importants qui ont suivi sur la carte du globe et qui ont limité la domination de l’Occident sur d’autres continents. L’Europe, dans un certain sens, est retournée à l’intérieur de ses frontières.
Cependant, ce qui est derrière nous ne constitue pas l’objet principal de l’attention et de l’inquiétude des hommes et des peuples. Cet objet ne cesse d’être ce qui est devant nous.
Vers quoi chemine l’humanité entière liée par les multiples liens des problèmes et des dépendances réciproques qui s’étendent à tous les peuples et à tous les continents ?
Vers quoi chemine notre continent et en lui tous ses peuples et ses traditions qui décident de la vie et de l’histoire de tant de pays et de nations ?

Vers quoi chemine l’homme ?
La société et les hommes au cours de ces quinze siècles qui nous séparent de la naissance de saint Benoît de Nursie sont devenus les héritiers d’une grande civilisation, les héritiers de ses victoires mais aussi de ses défaites, de ses lumières mais aussi de ses obscurités.
On a l’impression d’une priorité de l’économie sur la morale, d’une priorité du temporel sur le spirituel.
D’une part, l’orientation presque exclusive vers la consommation des biens matériels enlève à la vie humaine son sens le plus profond. D’autre part, le travail est devenu, dans de nombreux cas, une contrainte aliénante pour l’homme, soumis aux collectifs, et il se détache, presque malgré lui, de la prière, enlevant à la vie humaine sa dimension transcendante.
Parmi les conséquences négatives d’un semblable barrage aux valeurs transcendantes, il y en a une qui est aujourd’hui préoccupante d’une manière particulière : elle consiste dans le climat toujours plus diffus des tensions sociales qui, si fréquemment, dégénèrent en épisodes absurdes de violence terroriste et atroce. L’opinion publique en est profondément secouée et troublée. Seul le recouvrement de la conscience de la dimension transcendante du destin humain peut concilier l’engagement pour la justice et le respect pour le caractère sacré de chaque vie humaine innocente. C’est pour cela que l’Église italienne se recueille aujourd’hui dans une prière particulière et pleine de tristesse.
On ne peut pas vivre pour l’avenir sans comprendre que le sens de la vie est plus grand que celui du temporel, que ce sens est au-dessus de ce temporel. Si la société et les hommes de notre continent ont perdu l’intérêt pour ce sens, ils doivent le retrouver. Peuvent-ils, dans ce but, revenir quinze siècles en arrière ? Au temps où naquit saint Benoît de Nursie ?
Non, ils ne le peuvent pas. Le sens de la vie, ils doivent le retrouver dans le contexte de notre temps Ce n’est pas possible autrement. Ils ne doivent pas et ils ne peuvent pas retourner au temps de Benoit, mais ils doivent retrouver le sens de l’existence humaine tel qu’il était vécu par Benoît. C’est seulement alors qu’ils vivront pour l’avenir. Ils travailleront pour l’avenir. Ils mourront dans la perspective de l’éternité.
Si mon prédécesseur Paul VI a appelé saint Benoît de Nursie le patron de l’Europe, c’est parce qu’il pouvait aider à ce sujet l’Église et les nations d’Europe. Je souhaite de tout cœur que ce pèlerinage d’aujourd’hui sur les lieux de sa naissance puisse servir à cette cause.

BENOÎT XVI: SAINT BENOÎT DE NURSIE – 11 JUILLET

9 juillet, 2015

http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2008/documents/hf_ben-xvi_aud_20080409.html

BENOÎT XVI

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 9 avril 2008

SAINT BENOÎT DE NURSIE – 11 JUILLET

Chers frères et sœurs,

Je voudrais parler aujourd’hui de saint Benoît, fondateur du monachisme occidental, et aussi Patron de mon pontificat. Je commence par une parole de saint Grégoire le Grand, qui écrit à propos de saint Benoît: « L’homme de Dieu qui brilla sur cette terre par de si nombreux miracles, ne brilla pas moins par l’éloquence avec laquelle il sut exposer sa doctrine » (Dial. II, 36). Telles sont les paroles que ce grand Pape écrivit en l’an 592; le saint moine était mort à peine 50 ans auparavant et il était encore vivant dans la mémoire des personnes et en particulier dans le florissant Ordre religieux qu’il avait fondé. Saint Benoît de Nursie, par sa vie et par son œuvre, a exercé une influence fondamentale sur le développement de la civilisation et de la culture européenne. La source la plus importante à propos de la vie de ce saint est le deuxième livre des Dialogues de saint Grégoire le Grand. Il ne s’agit pas d’une biographie au sens classique. Selon les idées de son temps, il voulut illustrer à travers l’exemple d’un homme concret – précisément saint Benoît – l’ascension au sommet de la contemplation, qui peut être réalisée par celui qui s’abandonne à Dieu. Il nous donne donc un modèle de la vie humaine comme ascension vers le sommet de la perfection. Saint Grégoire le Grand raconte également dans ce livre des Dialogues de nombreux miracles accomplis par le saint, et ici aussi il ne veut pas raconter simplement quelque chose d’étrange, mais démontrer comment Dieu, en admonestant, en aidant et aussi en punissant, intervient dans les situations concrètes de la vie de l’homme. Il veut démontrer que Dieu n’est pas une hypothèse lointaine placée à l’origine du monde, mais qu’il est présent dans la vie de l’homme, de tout homme.
Cette perspective du « biographe » s’explique également à la lumière du contexte général de son époque: entre le V et le VI siècle, le monde était bouleversé par une terrible crise des valeurs et des institutions, causée par la chute de l’Empire romain, par l’invasion des nouveaux peuples et par la décadence des mœurs. En présentant saint Benoît comme un « astre lumineux », Grégoire voulait indiquer dans cette situation terrible, précisément ici dans cette ville de Rome, l’issue de la « nuit obscure de l’histoire » (Jean-Paul II, Insegnamenti, II/1, 1979, p. 1158). De fait, l’œuvre du saint et, en particulier, sa Règle se révélèrent détentrices d’un authentique ferment spirituel qui transforma le visage de l’Europe au cours des siècles, bien au-delà des frontières de sa patrie et de son temps, suscitant après la chute de l’unité politique créée par l’empire romain une nouvelle unité spirituelle et culturelle, celle de la foi chrétienne partagée par les peuples du continent. C’est précisément ainsi qu’est née la réalité que nous appelons « Europe ».
La naissance de saint Benoît se situe autour de l’an 480. Il provenait, comme le dit saint Grégoire, « ex provincia Nursiae » – de la région de la Nursie. Ses parents, qui étaient aisés, l’envoyèrent suivre des études à Rome pour sa formation. Il ne s’arrêta cependant pas longtemps dans la Ville éternelle. Comme explication, pleinement crédible, Grégoire mentionne le fait que le jeune Benoît était écoeuré par le style de vie d’un grand nombre de ses compagnons d’étude, qui vivaient de manière dissolue, et qu’il ne voulait pas tomber dans les mêmes erreurs. Il voulait ne plaire qu’à Dieu seul; « soli Deo placere desiderans » (II Dial. Prol. 1). Ainsi, avant même la conclusion de ses études, Benoît quitta Rome et se retira dans la solitude des montagnes à l’est de Rome. Après un premier séjour dans le village d’Effide (aujourd’hui Affile), où il s’associa pendant un certain temps à une « communauté religieuse » de moines, il devint ermite dans la proche Subiaco. Il vécut là pendant trois ans complètement seul dans une grotte qui, depuis le Haut Moyen-âge, constitue le « coeur » d’un monastère bénédictin appelé « Sacro Speco ». La période à Subiaco, une période de solitude avec Dieu, fut un temps de maturation pour Benoît. Il dut supporter et surmonter en ce lieu les trois tentations fondamentales de chaque être humain: la tentation de l’affirmation personnelle et du désir de se placer lui-même au centre, la tentation de la sensualité et, enfin, la tentation de la colère et de la vengeance. Benoît était en effet convaincu que ce n’était qu’après avoir vaincu ces tentations qu’il aurait pu adresser aux autres une parole pouvant être utile à leur situation de besoin. Et ainsi, son âme désormais pacifiée était en mesure de contrôler pleinement les pulsions du « moi » pour être un créateur de paix autour de lui. Ce n’est qu’alors qu’il décida de fonder ses premiers monastères dans la vallée de l’Anio, près de Subiaco.
En l’an 529, Benoît quitta Subiaco pour s’installer à Montecassino. Certains ont expliqué ce déplacement comme une fuite face aux intrigues d’un ecclésiastique local envieux. Mais cette tentative d’explication s’est révélée peu convaincante, car la mort soudaine de ce dernier n’incita pas Benoît à revenir (II Dial. 8). En réalité, cette décision s’imposa à lui car il était entré dans une nouvelle phase de sa maturation intérieure et de son expérience monastique. Selon Grégoire le Grand, l’exode de la lointaine vallée de l’Anio vers le Mont Cassio – une hauteur qui, dominant la vaste plaine environnante, est visible de loin – revêt un caractère symbolique: la vie monastique cachée a sa raison d’être, mais un monastère possède également une finalité publique dans la vie de l’Eglise et de la société, il doit donner de la visibilité à la foi comme force de vie. De fait, lorsque Benoît conclut sa vie terrestre le 21 mars 547, il laissa avec sa Règle et avec la famille bénédictine qu’il avait fondée un patrimoine qui a porté des fruits dans le monde entier jusqu’à aujourd’hui.
Dans tout le deuxième livre des Dialogues, Grégoire nous montre la façon dont la vie de saint Benoît était plongée dans une atmosphère de prière, fondement central de son existence. Sans prière l’expérience de Dieu n’existe pas. Mais la spiritualité de Benoît n’était pas une intériorité en dehors de la réalité. Dans la tourmente et la confusion de son temps, il vivait sous le regard de Dieu et ne perdit ainsi jamais de vue les devoirs de la vie quotidienne et l’homme avec ses besoins concrets. En voyant Dieu, il comprit la réalité de l’homme et sa mission. Dans sa Règle, il qualifie la vie monastique d’ »école du service du Seigneur » (Prol. 45) et il demande à ses moines de « ne rien placer avant l’Œuvre de Dieu [c'est-à-dire l'Office divin ou la Liturgie des Heures] » (43, 3). Il souligne cependant que la prière est en premier lieu un acte d’écoute (Prol. 9-11), qui doit ensuite se traduire par l’action concrète. « Le Seigneur attend que nous répondions chaque jour par les faits à ses saints enseignements », affirme-t-il (Prol. 35). Ainsi, la vie du moine devient une symbiose féconde entre action et contemplation « afin que Dieu soit glorifié en tout » (57, 9). En opposition avec une réalisation personnelle facile et égocentrique, aujourd’hui souvent exaltée, l’engagement premier et incontournable du disciple de saint Benoît est la recherche sincère de Dieu (58, 7) sur la voie tracée par le Christ humble et obéissant (5, 13), ne devant rien placer avant l’amour pour celui-ci (4, 21; 72, 11) et c’est précisément ainsi, au service de l’autre, qu’il devient un homme du service et de la paix. Dans l’exercice de l’obéissance mise en acte avec une foi animée par l’amour (5, 2), le moine conquiert l’humilité (5, 1), à laquelle la Règle consacre un chapitre entier (7). De cette manière, l’homme devient toujours plus conforme au Christ et atteint la véritable réalisation personnelle comme créature à l’image et à la ressemblance de Dieu.
A l’obéissance du disciple doit correspondre la sagesse de l’Abbé, qui dans le monastère remplit « les fonctions du Christ » (2, 2; 63, 13). Sa figure, définie en particulier dans le deuxième chapitre de la Règle, avec ses qualités de beauté spirituelle et d’engagement exigeant, peut-être considérée comme un autoportrait de Benoît, car – comme l’écrit Grégoire le Grand – « le saint ne put en aucune manière enseigner différemment de la façon dont il vécut » (Dial. II, 36). L’Abbé doit être à la fois un père tendre et également un maître sévère (2, 24), un véritable éducateur. Inflexible contre les vices, il est cependant appelé à imiter en particulier la tendresse du Bon Pasteur (27, 8), à « aider plutôt qu’à dominer » (64, 8), à « accentuer davantage à travers les faits qu’à travers les paroles tout ce qui est bon et saint » et à « illustrer les commandements divins par son exemple » (2, 12). Pour être en mesure de décider de manière responsable, l’Abbé doit aussi être un personne qui écoute « le conseil de ses frères » (3, 2), car « souvent Dieu révèle au plus jeune la solution la meilleure » (3, 3). Cette disposition rend étonnamment moderne une Règle écrite il y a presque quinze siècles! Un homme de responsabilité publique, même à une petite échelle, doit toujours être également un homme qui sait écouter et qui sait apprendre de ce qu’il écoute.
Benoît qualifie la Règle de « Règle minimale tracée uniquement pour le début » (73, 8); en réalité, celle-ci offre cependant des indications utiles non seulement aux moines, mais également à tous ceux qui cherchent un guide sur leur chemin vers Dieu. En raison de sa mesure, de son humanité et de son sobre discernement entre ce qui est essentiel et secondaire dans la vie spirituelle, elle a pu conserver sa force illuminatrice jusqu’à aujourd’hui. Paul VI, en proclamant saint Benoît Patron de l’Europe le 24 octobre 1964, voulut reconnaître l’œuvre merveilleuse accomplie par le saint à travers la Règle pour la formation de la civilisation et de la culture européenne. Aujourd’hui, l’Europe – à peine sortie d’un siècle profondément blessé par deux guerres mondiales et après l’effondrement des grandes idéologies qui se sont révélées de tragiques utopies – est à la recherche de sa propre identité. Pour créer une unité nouvelle et durable, les instruments politiques, économiques et juridiques sont assurément importants, mais il faut également susciter un renouveau éthique et spirituel qui puise aux racines chrétiennes du continent, autrement on ne peut pas reconstruire l’Europe. Sans cette sève vitale, l’homme reste exposé au danger de succomber à l’antique tentation de vouloir se racheter tout seul – une utopie qui, de différentes manières, a causé dans l’Europe du XX siècle, comme l’a remarqué le Pape Jean-Paul II, « un recul sans précédent dans l’histoire tourmentée de l’humanité » (Insegnamenti, XIII/1, 1990, p. 58). En recherchant le vrai progrès, nous écoutons encore aujourd’hui la Règle de saint Benoît comme une lumière pour notre chemin. Le grand moine demeure un véritable maître à l’école de qui nous pouvons apprendre l’art de vivre le véritable humanisme.

LA RÈGLE DE SAINT BENOÎT

10 juillet, 2014

http://abbaye-fleury.com/la-reacutegle.html

LA RÈGLE DE SAINT BENOÎT

(Sur le site tout au long de la Règle de saint Benoît)

PROLOGUE

Écoute, ô mon fils, ces préceptes de ton maître et tends l’oreille de ton cœur. Cette instruction de ton père qui t’aime, reçois-la cordialement et mets-la en pratique effectivement. Ainsi tu reviendras par le labeur de l’obéissance, à celui dont tu t’étais éloigné par la lâcheté de la désobéissance. A toi donc, quel que tu sois, s’adresse à présent mon discours, à toi qui, abandonnant tes propres volontés pour servir le Seigneur Christ, le roi véritable, prends les armes très puissantes et glorieuses de l’obéissance.
Avant tout, quand tu commences à faire quelque bien, demande-lui très instamment, dans la prière, de le conduire à sa perfection, afin que celui qui a daigné nous mettre au nombre de ses fils, n’ait jamais à se fâcher de nos mauvaises actions. En tout temps, en effet, il nous faut lui obéir au moyen des biens qu’il met en nous, de sorte que non seulement, tel un père irrité, il ne vienne jamais à déshériter ses fils, mais aussi que, tel un maître redoutable, courroucé de nos méfaits, il ne nous livre pas au châtiment perpétuel, comme des serviteurs détestables qui n’auraient pas voulu le suivre jusqu’à la gloire
Levons-nous donc enfin, puisque l’Écriture nous éveille en disant :  » L’heure est venue de nous lever du sommeil « , et les yeux ouverts à la lumière de Dieu, écoutons d’une oreille attentive d’une oreille attentive ce que la voix divine nous montre par ses appels quotidiens :  » Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs  » ; et encore :  » Qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende ce que l’Esprit dit aux Églises.  » Et que dit-il ?  » Venez, mes fils, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte du Seigneur. Courez, pendant que vous avez la lumière de la vie, de peur que les ténèbres de la mort ne vous enveloppent. »
Et se cherchant un ouvrier dans la foule du peuple à laquelle il lance cet appel, le Seigneur dit de nouveau :  » Quel est l’homme qui désire la vie et désire voir des jours heureux ?  » Si, en entendant cela, tu réponds :  » Me voici ! « , Dieu te dit :  » Si tu veux avoir la vie véritable et perpétuelle, interdis le mal à ta langue et que tes lèvres ne prononcent point la tromperie. Évite le mal et fais le bien, cherche la paix et poursuis-la. Et quand vous aurez fait cela, j’aurai les yeux sur vous et je prêterai l’oreille à vos prières, et avant que vous m’invoquiez, je dirai : me voici !  » Quoi de plus doux que cette voix du Seigneur qui nous invite, frères bien-aimés ? Voici que, dans sa bonté, le Seigneur nous montre le chemin de la vie.
Ceignant donc nos reins de la foi et de l’accomplissement des bonnes actions, avançons sur ses voies, sous la conduite de l’évangile, afin de mériter de voir celui qui nous a appelés à son royaume.
Si nous voulons habiter dans la demeure de ce royaume, on ne saurait y parvenir, à moins d’y courir par de bonnes actions. Mais interrogeons le Seigneur avec le prophète, en lui disant :  » Seigneur, qui habitera dans ta demeure, et qui reposera sur ta montagne sainte ?  » Cette question posée, frères, écoutons le Seigneur nous répondre et nous montrer le chemin de cette demeure, en disant :  » C’est celui qui marche sans se souiller et accomplit ce qui est juste ; qui dit la vérité dans son cœur, qui n’a pas commis de tromperie par sa langue ; qui n’a pas fait de mal à son prochain, qui n’a pas laissé l’injure atteindre son prochain ; qui, lorsque le malin, le diable, lui suggérait quelque chose, l’a repoussé loin des regards de son cœur, lui et sa suggestion, l’a réduit à néant et, s’emparant de ses rejetons – les pensées qu’il lui inspirait -, les a écrasés contre le Christ. Ce sont ceux-là qui, craignant le Seigneur, ne s’enorgueillissent pas de leur bonne observance, mais qui, estimant que ce qui est bon en eux ne peut être leur propre œuvre, mais celle du Seigneur, magnifient le Seigneur qui opère en eux, en disant avec le prophète :  » Non pas à nous, Seigneur, non pas à nous, mais à ton nom rends gloire ! « , de même que l’apôtre Paul, lui non plus, ne s’attribuait rien de sa prédication et disait :  » C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis.  » Et il dit encore :  » Celui qui se glorifie, qu’il se glorifie dans le Seigneur. « 
De là aussi cette parole du Seigneur dans l’Évangile :  » Celui qui écoute ce que je viens de dire et le met en pratique, je le comparerai à un homme sage qui a bâti sa maison sur le pierre. Les eaux sont venues, les vents ont soufflé et ont heurté cette maison, et elle n’est pas tombée parce qu’elle était fondée sur la pierre. « 
Achevant ainsi son discours, le Seigneur attend que nous répondions chaque jour par des actes aux saints enseignements qu’il vient de nous donner. Voilà pourquoi les jours de cette vie nous sont accordés comme un sursis en vue de l’amendement de notre mauvaise conduite, selon le mot de l’Apôtre :  » Ne sais-tu pas que la patience de Dieu te conduit à la pénitence ?  » Car le Seigneur dit dans sa bonté :  » Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive. « 
Nous avons donc interrogé le Seigneur, frères, au sujet de celui qui habitera dans sa demeure, et nous avons entendu le précepte donné pour y habiter, mais pourvu que nous remplissions les devoirs incombant à l’habitant. Il nous faut donc tenir nos cœurs et nos corps prêts à servir sous la sainte obéissance due aux préceptes. Et pour ce que la nature en nous trouve impossible, prions le Seigneur d’ordonner au secours de sa grâce de nous l’accorder. Et si, fuyant les châtiments de la géhenne, nous voulons parvenir à la vie perpétuelle, tandis qu’il en est encore temps et que nous sommes en ce corps et qu’il reste le temps d’exécuter tout cela à la lumière de cette vie, il nous faut à présent courir et accomplir ce qui nous profitera pour toujours.
Il nous faut donc instituer une école pour le service du Seigneur. En l’organisant, nous espérons n’instituer rien de dur, rien de pesant. Si toutefois une raison d’équité commandait d’y introduire quelque chose d’un peu strict en vue d’amender les vices et de conserver la charité, ne te laisse pas aussitôt troubler par la crainte et ne t’enfuis pas loin de la voie du salut, qui ne peut être qu’étroite au début. Mais en avançant dans la vie religieuse et la foi,  » le cœur se dilate et l’on court sur la voie des commandements  » de Dieu avec une douceur d’amour inexprimable. Ainsi, n’abandonnant jamais ce maître, persévérant au monastère dans son enseignement jusqu’à la mort, nous partagerons les souffrances du Christ par la patience, afin de mériter de prendre place en son royaume. Amen

BENOÎT XVI : SAINT BENOÎT DE NURSIE – 11 JUILLET

10 juillet, 2014

http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/audiences/2008/documents/hf_ben-xvi_aud_20080409_fr.html

BENOÎT XVI

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 9 avril 2008

SAINT BENOÎT DE NURSIE – 11 JUILLET

Chers frères et sœurs,

Je voudrais parler aujourd’hui de saint Benoît, fondateur du monachisme occidental, et aussi Patron de mon pontificat. Je commence par une parole de saint Grégoire le Grand, qui écrit à propos de saint Benoît: « L’homme de Dieu qui brilla sur cette terre par de si nombreux miracles, ne brilla pas moins par l’éloquence avec laquelle il sut exposer sa doctrine » (Dial. II, 36). Telles sont les paroles que ce grand Pape écrivit en l’an 592; le saint moine était mort à peine 50 ans auparavant et il était encore vivant dans la mémoire des personnes et en particulier dans le florissant Ordre religieux qu’il avait fondé. Saint Benoît de Nursie, par sa vie et par son œuvre, a exercé une influence fondamentale sur le développement de la civilisation et de la culture européenne. La source la plus importante à propos de la vie de ce saint est le deuxième livre des Dialogues de saint Grégoire le Grand. Il ne s’agit pas d’une biographie au sens classique. Selon les idées de son temps, il voulut illustrer à travers l’exemple d’un homme concret – précisément saint Benoît – l’ascension au sommet de la contemplation, qui peut être réalisée par celui qui s’abandonne à Dieu. Il nous donne donc un modèle de la vie humaine comme ascension vers le sommet de la perfection. Saint Grégoire le Grand raconte également dans ce livre des Dialogues de nombreux miracles accomplis par le saint, et ici aussi il ne veut pas raconter simplement quelque chose d’étrange, mais démontrer comment Dieu, en admonestant, en aidant et aussi en punissant, intervient dans les situations concrètes de la vie de l’homme. Il veut démontrer que Dieu n’est pas une hypothèse lointaine placée à l’origine du monde, mais qu’il est présent dans la vie de l’homme, de tout homme.
Cette perspective du « biographe » s’explique également à la lumière du contexte général de son époque: entre le V et le VI siècle, le monde était bouleversé par une terrible crise des valeurs et des institutions, causée par la chute de l’Empire romain, par l’invasion des nouveaux peuples et par la décadence des mœurs. En présentant saint Benoît comme un « astre lumineux », Grégoire voulait indiquer dans cette situation terrible, précisément ici dans cette ville de Rome, l’issue de la « nuit obscure de l’histoire » (Jean-Paul II, Insegnamenti, II/1, 1979, p. 1158). De fait, l’œuvre du saint et, en particulier, sa Règle se révélèrent détentrices d’un authentique ferment spirituel qui transforma le visage de l’Europe au cours des siècles, bien au-delà des frontières de sa patrie et de son temps, suscitant après la chute de l’unité politique créée par l’empire romain une nouvelle unité spirituelle et culturelle, celle de la foi chrétienne partagée par les peuples du continent. C’est précisément ainsi qu’est née la réalité que nous appelons « Europe ».
La naissance de saint Benoît se situe autour de l’an 480. Il provenait, comme le dit saint Grégoire, « ex provincia Nursiae » – de la région de la Nursie. Ses parents, qui étaient aisés, l’envoyèrent suivre des études à Rome pour sa formation. Il ne s’arrêta cependant pas longtemps dans la Ville éternelle. Comme explication, pleinement crédible, Grégoire mentionne le fait que le jeune Benoît était écoeuré par le style de vie d’un grand nombre de ses compagnons d’étude, qui vivaient de manière dissolue, et qu’il ne voulait pas tomber dans les mêmes erreurs. Il voulait ne plaire qu’à Dieu seul; « soli Deo placere desiderans » (II Dial. Prol. 1). Ainsi, avant même la conclusion de ses études, Benoît quitta Rome et se retira dans la solitude des montagnes à l’est de Rome. Après un premier séjour dans le village d’Effide (aujourd’hui Affile), où il s’associa pendant un certain temps à une « communauté religieuse » de moines, il devint ermite dans la proche Subiaco. Il vécut là pendant trois ans complètement seul dans une grotte qui, depuis le Haut Moyen-âge, constitue le « coeur » d’un monastère bénédictin appelé « Sacro Speco ». La période à Subiaco, une période de solitude avec Dieu, fut un temps de maturation pour Benoît. Il dut supporter et surmonter en ce lieu les trois tentations fondamentales de chaque être humain: la tentation de l’affirmation personnelle et du désir de se placer lui-même au centre, la tentation de la sensualité et, enfin, la tentation de la colère et de la vengeance. Benoît était en effet convaincu que ce n’était qu’après avoir vaincu ces tentations qu’il aurait pu adresser aux autres une parole pouvant être utile à leur situation de besoin. Et ainsi, son âme désormais pacifiée était en mesure de contrôler pleinement les pulsions du « moi » pour être un créateur de paix autour de lui. Ce n’est qu’alors qu’il décida de fonder ses premiers monastères dans la vallée de l’Anio, près de Subiaco.
En l’an 529, Benoît quitta Subiaco pour s’installer à Montecassino. Certains ont expliqué ce déplacement comme une fuite face aux intrigues d’un ecclésiastique local envieux. Mais cette tentative d’explication s’est révélée peu convaincante, car la mort soudaine de ce dernier n’incita pas Benoît à revenir (II Dial. 8). En réalité, cette décision s’imposa à lui car il était entré dans une nouvelle phase de sa maturation intérieure et de son expérience monastique. Selon Grégoire le Grand, l’exode de la lointaine vallée de l’Anio vers le Mont Cassio – une hauteur qui, dominant la vaste plaine environnante, est visible de loin – revêt un caractère symbolique: la vie monastique cachée a sa raison d’être, mais un monastère possède également une finalité publique dans la vie de l’Eglise et de la société, il doit donner de la visibilité à la foi comme force de vie. De fait, lorsque Benoît conclut sa vie terrestre le 21 mars 547, il laissa avec sa Règle et avec la famille bénédictine qu’il avait fondée un patrimoine qui a porté des fruits dans le monde entier jusqu’à aujourd’hui.
Dans tout le deuxième livre des Dialogues, Grégoire nous montre la façon dont la vie de saint Benoît était plongée dans une atmosphère de prière, fondement central de son existence. Sans prière l’expérience de Dieu n’existe pas. Mais la spiritualité de Benoît n’était pas une intériorité en dehors de la réalité. Dans la tourmente et la confusion de son temps, il vivait sous le regard de Dieu et ne perdit ainsi jamais de vue les devoirs de la vie quotidienne et l’homme avec ses besoins concrets. En voyant Dieu, il comprit la réalité de l’homme et sa mission. Dans sa Règle, il qualifie la vie monastique d’ »école du service du Seigneur » (Prol. 45) et il demande à ses moines de « ne rien placer avant l’Œuvre de Dieu [c'est-à-dire l'Office divin ou la Liturgie des Heures] » (43, 3). Il souligne cependant que la prière est en premier lieu un acte d’écoute (Prol. 9-11), qui doit ensuite se traduire par l’action concrète. « Le Seigneur attend que nous répondions chaque jour par les faits à ses saints enseignements », affirme-t-il (Prol. 35). Ainsi, la vie du moine devient une symbiose féconde entre action et contemplation « afin que Dieu soit glorifié en tout » (57, 9). En opposition avec une réalisation personnelle facile et égocentrique, aujourd’hui souvent exaltée, l’engagement premier et incontournable du disciple de saint Benoît est la recherche sincère de Dieu (58, 7) sur la voie tracée par le Christ humble et obéissant (5, 13), ne devant rien placer avant l’amour pour celui-ci (4, 21; 72, 11) et c’est précisément ainsi, au service de l’autre, qu’il devient un homme du service et de la paix. Dans l’exercice de l’obéissance mise en acte avec une foi animée par l’amour (5, 2), le moine conquiert l’humilité (5, 1), à laquelle la Règle consacre un chapitre entier (7). De cette manière, l’homme devient toujours plus conforme au Christ et atteint la véritable réalisation personnelle comme créature à l’image et à la ressemblance de Dieu.
A l’obéissance du disciple doit correspondre la sagesse de l’Abbé, qui dans le monastère remplit « les fonctions du Christ » (2, 2; 63, 13). Sa figure, définie en particulier dans le deuxième chapitre de la Règle, avec ses qualités de beauté spirituelle et d’engagement exigeant, peut-être considérée comme un autoportrait de Benoît, car – comme l’écrit Grégoire le Grand – « le saint ne put en aucune manière enseigner différemment de la façon dont il vécut » (Dial. II, 36). L’Abbé doit être à la fois un père tendre et également un maître sévère (2, 24), un véritable éducateur. Inflexible contre les vices, il est cependant appelé à imiter en particulier la tendresse du Bon Pasteur (27, 8), à « aider plutôt qu’à dominer » (64, 8), à « accentuer davantage à travers les faits qu’à travers les paroles tout ce qui est bon et saint » et à « illustrer les commandements divins par son exemple » (2, 12). Pour être en mesure de décider de manière responsable, l’Abbé doit aussi être un personne qui écoute « le conseil de ses frères » (3, 2), car « souvent Dieu révèle au plus jeune la solution la meilleure » (3, 3). Cette disposition rend étonnamment moderne une Règle écrite il y a presque quinze siècles! Un homme de responsabilité publique, même à une petite échelle, doit toujours être également un homme qui sait écouter et qui sait apprendre de ce qu’il écoute.
Benoît qualifie la Règle de « Règle minimale tracée uniquement pour le début » (73, 8); en réalité, celle-ci offre cependant des indications utiles non seulement aux moines, mais également à tous ceux qui cherchent un guide sur leur chemin vers Dieu. En raison de sa mesure, de son humanité et de son sobre discernement entre ce qui est essentiel et secondaire dans la vie spirituelle, elle a pu conserver sa force illuminatrice jusqu’à aujourd’hui. Paul VI, en proclamant saint Benoît Patron de l’Europe le 24 octobre 1964, voulut reconnaître l’œuvre merveilleuse accomplie par le saint à travers la Règle pour la formation de la civilisation et de la culture européenne. Aujourd’hui, l’Europe – à peine sortie d’un siècle profondément blessé par deux guerres mondiales et après l’effondrement des grandes idéologies qui se sont révélées de tragiques utopies – est à la recherche de sa propre identité. Pour créer une unité nouvelle et durable, les instruments politiques, économiques et juridiques sont assurément importants, mais il faut également susciter un renouveau éthique et spirituel qui puise aux racines chrétiennes du continent, autrement on ne peut pas reconstruire l’Europe. Sans cette sève vitale, l’homme reste exposé au danger de succomber à l’antique tentation de vouloir se racheter tout seul – une utopie qui, de différentes manières, a causé dans l’Europe du XX siècle, comme l’a remarqué le Pape Jean-Paul II, « un recul sans précédent dans l’histoire tourmentée de l’humanité » (Insegnamenti, XIII/1, 1990, p. 58). En recherchant le vrai progrès, nous écoutons encore aujourd’hui la Règle de saint Benoît comme une lumière pour notre chemin. Le grand moine demeure un véritable maître à l’école de qui nous pouvons apprendre l’art de vivre le véritable humanisme.

 

SAINT PAUL, APÔTRE DES NATIONS, ET SAINT BENOÎT, PATRIARCHE DES MOINES D’OCCIDENT…:

24 février, 2014

http://www.benedictinesjoliette.org/pdfdocuments/806-44-mai-2009-saint-paul-et-saint-benoit-vie-et-ecrits.pdf

SAINT PAUL, APÔTRE DES NATIONS, ET SAINT BENOÎT, PATRIARCHE DES MOINES D’OCCIDENT…:

en l’année paulinienne

28 juin 2008 – 29 juin 2009

un même zèle missionnaire par amour du Christ En nous penchant avec le Pape Benoît XVI et tous les croyants sur la
vie et les écrits de saint Paul, durant l’Année paulinienne, la vie de notre bienheureux Père saint Benoît, de même que sa mission et sa Règle, nous sont apparues dans une lumière nouvelle. Avec des charismes apparemment différents, l’apôtre des nations et le patriarche des moines d’Occident ont des points communs; ils présentent certaines similitudes, ayant œuvré à la construction de l’Église de manière éminente, chacun suivant sa propre vocation. Leur pensée ne fait qu’une, saint Benoît ayant largement puisé dans les lettres de l’apôtre Paul, comme en fait foi la rédaction de sa Règle, dont la première citation scripturaire est un passage de la Lettre aux Romains (13, 11).

ROME : terme de la vie de Paul, départ de la vocation de Benoît
La ville de Rome, capitale de l’Empire romain des premiers siècles et devenue centre de la chrétienté, a joué un rôle important dans la vie de saint Paul comme dans celle de saint Benoît. Saint Paul possédait de naissance la citoyenneté romaine. Sans avoir été le premier évangélisateur des habitants de Rome, il leur a cependant adressé sa lettre la plus longue et la plus importante. Après sa conversion sur le chemin de Damas, le Christ envoie Paul prêcher aux nations, dans le vaste empire romain qui continue son expansion autour de la mer Méditerranée. Pour lui, Rome évoque ensuite de longues années de captivité, après qu’il eût fait la demande d’être jugé par le tribunal impérial. C’est Jésus qui demande à l’apôtre de témoigner de lui à Rome comme il l’avait fait à Jérusalem. Paul profite de cette période pour évangéliser ceux qui viennent le voir. Il y rencontre une dernière fois saint Pierre; et cette ville de Rome incendiée en juillet 64 sous l’empereur Néron, devient le lieu du martyre des deux apôtres inséparables : saint Pierre en l’an 64 même, peut-être, ou en 67 comme saint Paul. Leurs restes y sont conservés respectivement à la Basilique Saint-Pierre et à la Basilique Saint-Paul-hors-les Murs.Quant à saint Benoît, il naît vers l’an 480, à l’époque du déclin de l’empire romain, et passe toute sa vie aux environs de Rome. De la région de Nursie, lieu de sa naissance, l’adolescent est envoyé à Rome pour étudier les belles-lettres. Mais Benoît n’y demeure pas longtemps. La décadence de mœurs qu’il y rencontre le presse de quitter la ville en bandonnant ses études. En quête d’une vie sainte, il va s’établir au désert de Subiaco, à l’Est de la capitale. C’est le début de sa vocation érémitique, laquelle évoluera vers la vie cénobitique sous l’action de l’Esprit Saint et des événements. Il finira ses jours au Mont-Cassin, situé au Sud-Est de Rome.

LA MISSION : PAUL ET LES COMMUNAUTÉS CHRÉTIENNES,
Benoît et les communautés monastiques Annoncer la Bonne Nouvelle à toutes les nations, telle est la mission laissée par Jésus à ses disciples et déjà entreprise par les douze apôtres. Mais Paul – qui n’a pas connu Jésus de son vivant – reçoit personnellement du Christ cette mission d’annoncer l’Évangile. Par un séjour au désert d’Arabie, il se prépare à commencer sa prédication auprès de ses frères de race, à Jérusalem et dans les contrées voisines, avant d’aller
fonder de nouvelles communautés chrétiennes en territoire païen. Benoît gagne également le désert, celui de Subiaco, où il vit seul durant trois ans, avant d’entreprendre une mission d’évangélisation auprès des gens qui viennent à lui, attirés par sa renommée de sainteté. De nombreux disciples voulant se joindre à lui, il fonde en ce lieu douze petits monastères. Les deux prédicateurs persécutés comme leur Maître, le Christ Paul et Benoît n’ont pas été accueillis par tous, comme Jésus lui-même a été rejeté par un grand nombre. Leur prédication et leur action apparaissent comme un danger pour les uns, suscitent la jalousie chez les autres, d’autant plus que ces deux passionnés du Christ sont doués de divers charismes dont celui des miracles. Saint Paul raconte dans ses lettres tout ce qu’il a eu à souffrir de mauvais traitements et d’atteintes à sa vie, au point qu’il dut souvent s’enfuir. Une fois même, il ne put quitter la ville que dans un panier descendu le long de la muraille. Cette évasion de l’apôtre est rapportée dans la vie de saint Benoît écrite par le pape saint Grégoire le Grand. Saint Benoît n’a pas subi les mêmes tortures physiques et morales que saint Paul, bien
qu’il ait été victime des attaques du démon et se soit imposé lui-même un ascétisme rigoureux. Mais il est raconté par saint Grégoire que des opposants envieux ont cherché à le faire disparaître par deux fois, en lui présentant des aliments empoisonnés. La prière du saint anéantit par miracle leur projet meurtrier. Cependant Benoît, lui aussi, finit par choisir la fuit e d’un milieu hostile; en effet, ne pouvant rien contre le saint Abbé, on s’attaquait maintenant à l’âme de ses disciples.

L’expansion des commaunautés jusqu’au bout du monde
Les obstacles rencontrés en cours d’évangélisation, tant chez saint Paul que chez saint Benoît, ont eu pour
avantage la multiplication des communautés fondées par eux.Repoussé par les Juifs d’Antioche de Pisidie, Paul avait rétorqué : Alors nous nous tournons vers les païens (Ac 13, 46). Ses grands voyages missionnaires permettent à l’infatigable témoin du Christ d’implanter de nouvelles communautés chrétiennes dans les principales villes de l’Orient grec. À partir de celles-ci, le message évangélique se transmettra aux localités plus éloignées. Saint Benoît, suite à la persécution de Subiaco, prend la route du Mont-Cassin où il trouve un nouveau terrain de mission. Il convertit ce lieu païen en lieu de culte chrétien, où s’élève la célèbre abbaye que nous connaissons. Par une prédication continuelle, note saint Grégoire, il appelait à la foi toute la population des alentours. Mais Benoît n’entreprend pas de sillonner mers et continents. Comme Jésus qui ne dépassa guère les frontières de la Palestine, il fixe sa stabilité au M ont-Cassin. Et là, il écrit sa Règle en déclarant qu’il institue une “école du service du Seigneur” où dans la prière, l’écoute de la Parole de Dieu et le travail, ses disciples marcheraient dans les sentiers du Christ, à la suite de l’Évangile. Si la mission évangélique de saint Paul et de saint Benoît a connu un tel rayonnement dans l’Église universelle, les écrits qu’ils ont laissés y comptent sans doute pour beaucoup.

LES ÉCRITS : Les lettres de saint Paul et la Règle de saint Benoît
Les lettres envoyées par Paul à ses communautés chrétiennes sont les premiers écrits du Nouveau Testament à circuler dans l’Église naissante. Écrites pour répondre à des situations concrètes, ces lettres renferment en même temps une
riche doctrine théologique, ainsi que l’expression de la pensée et des sentiments de l’apôtre. Lorsque saint Benoît écrit sa Règle, en s’inspirant de la Règle du Maître, la figure du grand apôtre lui est présente. Il le nomme par son nom une douzaine de fois : “l’apôtre Paul”, alors qu’il ne nomme aucun autre apôtre, sinon une fois “l’apôtre saint Jean”. C’est dire sa familiarité avec les lettres pauliniennes. À la manière de Paul, saint Benoît s’appuie fortement sur les Saintes Écritures dans la rédaction de sa Règle. Après les psaumes et les évangiles, ce sont les lettres de saint Paul qui sont citées le plus souvent (plus de vingt fois), surtout les deux lettres aux Corinthiens et l’épître aux Romains. La première citation de la Règle est justement un passage de la lettre aux Romains (13, 11) : Voici l’heure pour nous de sortir du sommeil. Outre des citations littérales, nous retrouvons la pensée de saint Paul en filigrane, au travers de mots qui
traduisent des thèmes spirituels chers à l’apôtre. En voici quelques-uns.

Esprit filial, esprit paternel, esprit fraternel
Dès les premières lignes de sa Règle, saint Benoît emploie le mot “fils” et le mot “père” : un tendre père, dit-il. Il entend que le disciple vive en enfant de Dieu, sous le regard de son père du ciel qui lui promet le royaume. Plus loin, on remarque l’importance donnée à l’abbé dont le nom signifie “père”. L’esprit fraternel en est inséparable : partout il est question des “frères”. On reconnaît là le thème de l’adoption des fils dont parle souvent saint Paul, et que nous résumons par ces mots cités par saint Benoît au chapitre de l’abbé : Vous avez reçu l’Esprit d’adoption des fils, qui nous fait nous écrier : Abba, Père!(Romains 8, 15) La théologie paulinienne est centrée sur le Père aussi bien que sur le Christ. L’apôtre se complaît à répéter des centaines de fois le nom de Dieu dans ses lettres, et par ce nom il désigne le Père : “Dieu l’a dit : Je serai pour vous un père, et vous serez pour moi des fils et des filles” (2 Co 6, 18).

Par-dessus tout : l’amour
Au coeur du message paulinien, comme de l’Évangile, il y a l’amour, la charité qui surpasse tous les charismes et sans laquelle on n’est plus rien. L’amour du Christ mort et ressuscité l’a saisi, lui, Paul : qui pourra le séparer de l’amour du Christ qui l’a aimé et s’est livré pour lui? Il s’écrie dans toute son ardeur : L’amour du Christ nous presse (2 Co 5, 14). C’est la grande passion de sa vie. Conscient que le Christ vit en lui, il se met à son service avec un zèle infatigable. Dans le Christ, il aime les communautés chrétiennes auxquelles il s’adresse : Mon amour est avec vous tous en Jésus Christ (1 Co 16, 24). Il exhorte de même les disciples à rechercher la charité, à abonder toujours plus dans l’amour. Saint Benoît répète à son tour : Ne rien préférer à l’amour du Christ… Par-dessus tout, aimer Dieu de tout son coeur, de toute son âme, de toute sa force… Ils ne préféreront absolument rien au Christ (ch. 4 et 72). Les préceptes de sa Règle veulent conduire le disciple à un très grand amour traduit dans les actes, pour parvenir à aimer Dieu d’un amour parfait qui chasse la crainte. Il rappelle aussi la charité fraternelle : Aimer le prochain comme soi-même. Pour cela se servir mutuellement avec charité, être pleins de respect et d’affection les uns pour les autres, comme des membres d’une même famille.Tous appelés, tous un dans le Christ Avec la conversion des païens, des divisions surviennent dans l’Église primitive. Dans sa lettre aux Romains, saint Paul aborde le mystère de l’élection divine : celle-ci, reposant sur le peuple juif d’abord, s’est étendue ensuite à toutes les nations. C’est la foi, non la Loi, qui obtient la grâce du salut par Jésus
Christ. Donc tous les baptisés ne font qu’un dans le Christ Jésus(Ga 3, 28). Benoît adresse également un appel à tous : Qui que tu sois, dit-il. (Prologue) Et dans ses directives à l’abbé (ch. 2), il reprend un verset de l’épître aux Romains : Il n’y a pas acception de personnes auprès de Dieu. Comme Paul il reconnaît l’égalité entre frères, à cette époque de l’invasion des barbares où certains convertis entraient au monastère. Il demande que l’homme libre ne soit pas préféré à un autre venu d’une condition servile, et que tous soient aimés et traités également, sauf motif raisonnable. Car, libres ou esclaves, dit-il, nous sommes tous un dans le Christ, et nous faisons le même service dans la milice du
même Seigneur (2, 20).

Marcher, courir, combattre
Militer sous le Seigneur engage à marcher selon l’Évangile sur la voie du salut dont l’entrée est toujours étroite. Aussi saint Benoît emprunte-t-il à saint Paul des mots reliés à une aventure spirituelle d’allure routière, militaire et sportive, pour laquelle on s’impose toutes sortes de privations en vue de la réussite.
Saint Paul rappelle à ce propos les courses du stade, et il exhorte les croyants à courir de manière à remporter le prix (1 Co 9, 24), comme il le fera lui-même : J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé la course,
j’ai gardé la foi. (2 Tm 4, 7) Saint Benoît retient ce terme de course, action plus intense et rapide que la
marche, pour exprimer la hâte de parvenir à la patrie céleste : Courez pendant que vous avez la lumière de
la vie… Il nous faut courir et agir d’une façon qui nous profite pour l’éternité. (Prologue)
Tout un arsenal de combat est proposé par saint Paul (Éph 6, 13-17). Saint Benoît en simplifie la
description : Les reins ceints de la foi et de l’accomplissement des bonnes actions, avec en main les armes
très puissantes et glorieuses de l’obéissance. (Prologue)

Avec le Christ obéissant jusqu’à la mort
Saint Paul a écrit une hymne magnifique sur l’abaissement du Christ qui s’est fait obéissant jusqu’à la mort pour être ensuite exalté par Dieu (Phil 2, 6-11). L’apôtre ne voulait savoir qu’une chose : Jésus crucifié. Se considérant le dernier des apôtres, il acceptait de tout endurer pour se conformer à la Passion et à la Croix de son Maître. Il déclarait : Je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son Corps, qui est l’Église (Col 1, 24). Saint Benoît, lui aussi, veut que nous prenions part aux souffrances du Christ par la patience. En écrivant son chapitre sur l’humilité (7), il rappelle d’obéir en imitant le Seigneur dont l’apôtre dit : Il a été obéissant jusqu’à la mort (Phil 2, 8). Plus loin il propose d’imiter Paul lui-même : Avec l’apôtre Paul, ils supportent les faux frères et la persécution (2 Co 11, 26), et ils bénissent ceux qui les maudissent (1 Co 4, 12).

Tant d’autres richesses pauliniennes à découvrir
Les lettres de saint Paul, en particulier celles adressées aux chrétiens de Corinthe, contiennent tant de directives pratiques pour l’organisation d’une communauté, qu’il serait intéressant de mettre en parallèle bien d’autres passages de la Règle de saint Benoît, par exemple : le chapitre des bonnes actions (4) et celui du bon zèle (72), la prière, le travail, les forts et les faibles, la discrétion, les corrections, la sainteté de vie, la paix, la vigilance dans l’attente de la venue du Seigneur, etc… Autant de richesses à découvrir encore.

* * *
Si la vie et les écrits de saint Paul ont été une telle source d’inspiration pour saint Benoît, nul doute que les familles et les groupes, et chaque personne, peuvent en retirer aujourd’hui encore un très grand profit spirituel. C’est la grâce que nous demandons à l’apôtre des nations ainsi qu’au patriarche des moines
Supplément à la circulaire no 44 – Mai 2009.- Bénédictines Joliette

LA RÈGLE DE SAINT BENOÎT – CHAPITRE VII: DE L’HUMILITE

10 juillet, 2013

http://www.abbaye-saint-benoit.ch/benoit/regle.htm#_Toc502483631

LA RÈGLE DE SAINT BENOÎT

CHAPITRE VII: DE L’HUMILITE

La divine Ecriture, mes frères, proclame pour notre gouverne : « Quiconque s’élève sera humilié, et celui qui s’humilie sera glorifié. » En tenant ce langage, elle nous montre que tout élèvement s’apparente à l’orgueil, et nécessite les précautions dont se munit le Prophète disant : « Seigneur, j’ai fui l’élèvement du cœur et les hautes ambitions ; je n’ai point marché dans des voies prétentieuses, ni vers le mirage d’une condition supérieure à la mienne.  » Bien plus, il poursuit :  » Si je n’entretiens de bas sentiments de moi-même, Si je m’estime plus que je ne dois, tu me traiteras dans ta justice comme l’enfant trop tôt sevré, qu’on arrache des bras de sa mère.
Voulons-nous, par conséquent, mes frères, atteindre au sommet de cette souveraine humilité, voulons-nous parvenir par une ascension rapide à ces hauteurs célestes où mène l’abaissement de la vie présente, il s’agit alors d’y monter par la gradation de nos œuvres, et de dresser vers le ciel cette même échelle où Jacob vit en songe monter et descendre les anges. Il est ici hors de doute que monter et descendre signifient pour nous que l’on s’abaisse en voulant s’élever, et qu’on s’élève en s’abaissant. Quant à cette échelle dressée, c’est proprement notre vie d’ici-bas, pour alitant que le Seigneur élève jusqu’aux cieux le cœur qui s’humilie. Convenons maintenant que les deux côtés de l’échelle figurent notre corps et notre âme : entre ces montants, Dieu a inséré, nous invitant à les gravir, les échelons successifs de l’art spirituel qui porte nom humilité.
Le premier degré d’humilité est que, par l’effet d’une constante attention à la crainte de Dieu, on échappe résolument à la légèreté d’esprit et qu’on se remémore tous les préceptes divins. Si l’on ne cesse, en effet, de retourner dans son esprit la menace de la géhenne où brûlent pour leurs péchés ceux qui méprisent Dieu, et la promesse de vie éternelle réservée à ceux qui le craignent, on saura se garder à toute heure des péchés et des vices, ceux des pensées, de la langue, des mains, des pieds, ceux de la volonté propre, ou encore des désirs de la chair. Que l’homme considère donc que Dieu le regarde à tout moment du haut du ciel ? en quelque lieu que nous soyons, nos actions sont à découvert sous les yeux de la Divinité et lui sont à tout instant rapportées par les anges. Le Prophète nous donne à entendre cette vérité, et témoigne à quel point nos plus secrètes pensées sont à nu devant Dieu, quand il dit :  » Dieu scrute les reins et les cœurs, » et de même : « Le Seigneur connaît les desseins des hommes  » ; il dit encore : « Tu pénètres de loin mes pensées, » et : « Tout ce qui s’agite en l’homme vient se déclarer devant Toi. » Dès lors, pour exercer la vigilance sur ses pensées mauvaises, un frère avisé ne manquera pas de se redire au fond du cœur : Pour être sans tache devant Lui, il faut me bien garder de jamais l’offenser.
Quant à la volonté propre, nous trouvons dans l’Ecriture cette défense expresse de la suivre : « Détourne-toi de tes volontés.  » Nous demandons d’ailleurs nous-mêmes à Dieu dans la Prière  » que ce soit sa volonté qui s’accomplisse en nous. « On voit par là combien justifiée est la doctrine du renoncement à la volonté propre; car on évite ainsi l’écueil signalé dans l’Ecriture :  » Il est des chemins qui aux yeux des hommes semblent droits, mais qui, au terme, vous plongent jusqu’au fond de l’enfer. » Et nous serons bien inspirés d’envisager avec frayeur le sort de ceux qui se laissent aller à leurs penchants, et dont il est écrit  » qu’ils s’y corrompent et y deviennent abominables à Dieu. »
Enfin, pour maîtriser les désirs de la chair, recourons encore et toujours au sentiment de la présence de Dieu, et disons avec le Prophète : « Tous mes désirs, Seigneur, sont devant Toi. » S’il faut ainsi nous garder du désir mauvais, c’est que la mort est postée sur le seuil même de l’accès au plaisir ; d’où le précepte de l’Ecriture : « Ne te laisse pas entraîner par tes convoitises. »
En résumé, si les yeux du Seigneur observent sans cesse les bons et les méchants, si le Seigneur jette du haut du ciel ses regards sur les enfants des hommes pour discerner ceux qui se montrent attentifs à Le chercher, si enfin les anges établis sur nous font chaque jour, font nuit et jour, rapport à Dieu de nos actions, il nous faut prendre garde à tout instant, mes frères, comme dit le Prophète dans les psaumes, que Dieu ne nous voie à quelque moment enclins à pécher, abusant de sa grâce, de peur que, nous ayant épargnés aujourd’hui par grande indulgence et parce qu’il nous laisse le temps de nous amender et de nous tourner vers lui, il ne nous dise un jour :  » Voilà ce que tu as fait, et je patientais. »
Le second degré d’humilité consiste à se détacher assez de la volonté propre pour ne plus goûter la satisfaction d’en suivre les mouvements, et pour réaliser dans sa conduite ce que le Seigneur dit de lui-même : « Je ne suis pas venu faire ici-bas ma volonté, mais celle du Père qui m’a envoyé. » L’Ecriture dit ailleurs : « Courir au plaisir c’est encourir la peine, et plier sous la loi c’est gagner la couronne. »
Le troisième degré d’humilité est que, pour l’amour de Dieu, on se soumette au supérieur avec une obéissance sans réserve, à l’imitation du Seigneur qui, nous dit l’Apôtre, « s’est fait obéissant jusqu’à la mort. »
Au quatrième degré d’humilité, s’il arrive que, dans cette voie d’obéissance, on soit en butte à toute sorte de difficultés, de traitements durs ou même injustes, alors, au lieu de protester, on met tout son cœur à embrasser la patience, et à tout supporter sans lâcher prise ni reculer d’un pas, car l’Ecriture dit : « Qui persévère jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé. » Et en un autre endroit : « Que ton cœur s’affermisse, et soutienne les délais du Seigneur. Elle montre encore que l’âme fidèle doit, pour le Seigneur, tout endurer et jusqu’aux pires contrariétés, quand elle fait ainsi parler ceux qui sont dans l’épreuve :  » C’est à cause de Toi qu’à longueur de journée nous sommes exposés à la mort et traités comme menu bétail de boucherie. » Inébranlables toutefois dans l’espérance de la rétribution divine, ils poursuivent avec joie : « Mais en toutes ces rencontres nous gardons l’avantage, pour l’amour de Celui qui nous a aimés. » Ailleurs on lit encore dans l’Ecriture : « Tu nous as éprouvés, Seigneur, tu nous as fait passer par le feu, comme l’argent qu’on éprouve dans la fournaise ; tu nous as fait prendre au lacet, tu as accumulé les tribulations sur nos épaules. » Et qu’il nous faille ainsi subir le joug d’un supérieur, la suite du texte le montre bien : « Tu as placé des hommes comme un poids sur nos têtes. » De fait, c’est par la patience au milieu des contradictions et des injustices qu’on accomplira jusqu’au bout le précepte du Seigneur : frappé sur une joue, on tendra l’autre ; à qui ravit la tunique, on abandonne par surcroît le manteau ; angarié pour une corvée d’un mille, on en fera deux ; avec l’Apôtre Paul on supporte les faux frères, et à ceux qui maudissent, on adresse en retour des paroles de bénédiction.
Le cinquième degré d’humilité est de ne rien cacher à son Abbé des pensées mauvaises qui se présentent à l’esprit, ni des fautes commises dans le secret. L’Ecriture nous exhorte à pratiquer cette humble confession quand elle nous dit : « Expose devant Dieu ta conduite et espère en Lui, » ou encore :  » Confessez-vous au Seigneur, car il est bon, et sa miséricorde est éternelle. » Le Roi Prophète dit aussi :  » Je T’ai déclaré mon péché, et je n’ai pas celé mon iniquité ; j’ai dit : je prononcerai contre moi-même devant le Seigneur que j’ai offensé ; mais Ta bonté corrigera la malice de mon âme. »
Le sixième degré d’humilité est qu’un moine trouve son contentement dans tout ce qu’il y a de plus commun et de moindre. Dans les tâches où on l’emploie, il se regarde comme un piètre ouvrier et un incapable. Avec le Prophète il se dit : Me voilà ramené à rien, et je ne sais rien ; Tu le vois, je suis traité comme une bête de somme ; mais je me tiens toujours avec Toi.
Le septième degré d’humilité est que le moine, non en protestations purement verbales, mais par un sentiment profond et une intime conviction du cœur, se reconnaisse comme le plus vil et le dernier de tous les êtres, et que s’abaissant jusqu’à terre il dise avec le Prophète : « Moi, je ne suis qu’un ver, et non un homme, la honte de l’humanité et le rebut du peuple. Je m’étais exalté, et me voici dans l’abjection et la confusion. » Le Prophète dit encore : « Comme il est bon pour moi que Tu m’aies humilié ! par là j’ai appris à T’obéir. »
Le huitième degré d’humilité est qu’un moine ne fasse rien qui ne soit conforme à la règle commune du monastère, ou encouragé par la tradition des anciens.
Le neuvième degré d’humilité est qu’un moine sache retenir sa langue et que, fidèle à la loi du silence, il attende pour parler qu’on l’interroge, d’autant que l’Ecriture témoigne qu’ « à parler beaucoup, on ne peut manquer de pécher  » ; et que « le bavard ne trouve pas le droit chemin sur la terre. »
Le dixième degré d’humilité condamne l’habitude de rire à tout propos. Il est écrit : « Le rire bruyant trahit la sottise. »
Le onzième degré d’humilité est que le moine, amené à parler, le fasse sans élever le ton ni badiner, avec une humble gravité, dans un langage sobre et sensé, et qu’il évite les éclats de voix. On dit en effet que « le sage, pour se faire connaître, n’a pas besoin de beaucoup de mots. »
Au douzième degré, l’humilité dont le cœur du moine est rempli passe dans tout son extérieur, et se laisse apercevoir aux regards d’autrui.
A l’Œuvre de Dieu, à l’oratoire, dans le cloître, au jardin, sur les chemins, par les champs, en tout lieu, qu’il soit assis, en marche ou debout, on le voit toujours penchant la tête et fixant les yeux à terre, dans le grave sentiment de sa culpabilité et sous le poids de ses fautes, comme si, à cette heure même, il avait conscience d’affronter le redoutable jugement de Dieu. Dans son cœur il redit sans cesse les paroles que prononçait le publicain de l’Evangile, les yeux humblement baissés: « Seigneur, je ne suis pas digne, moi pécheur, de lever mes regards vers le ciel, » et avec le Prophète il ajoute : « Je me tiens courbé et profondément humilié. »
Lorsqu’enfin le moine a gravi tous ces échelons d’humilité, il atteint bien vite le sommet de la charité divine d’où est bannie la crainte. Tout ce qu’il ne pouvait accomplir au début sans l’appui de cette crainte, il se met à l’observer par amour, sans nul effort, et, pour ainsi dire, avec l’aisance de l’habitude acquise. Ce n’est plus la peur de l’enfer, c’est l’amour du Christ qui le meut, ainsi que l’entraînement au bien et le charme de la vertu. Cette œuvre de L’Esprit-Saint, daigne le Seigneur la montrer achevée en celui qui avec son concours travaille à se purifier des vices et des péchés.

BENOÎT XVI: SAINT BENOÎT DE NURSIE (11 JUILLET)

10 juillet, 2013

http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/audiences/2008/documents/hf_ben-xvi_aud_20080409_fr.html

BENOÎT XVI

AUDIENCE GÉNÉRALE

MERCREDI 9 AVRIL 2008

SAINT BENOÎT DE NURSIE (11 JUILLET)

Chers frères et sœurs,

Je voudrais parler aujourd’hui de saint Benoît, fondateur du monachisme occidental, et aussi Patron de mon pontificat. Je commence par une parole de saint Grégoire le Grand, qui écrit à propos de saint Benoît:  « L’homme de Dieu qui brilla sur cette terre par de si nombreux miracles, ne brilla pas moins par l’éloquence avec laquelle il sut exposer sa doctrine » (Dial. II, 36). Telles sont les paroles que ce grand Pape écrivit en l’an 592; le saint moine était mort à peine 50 ans auparavant et il était encore vivant dans la mémoire des personnes et en particulier dans le florissant Ordre religieux qu’il avait fondé. Saint Benoît de Nursie, par sa vie et par son œuvre, a exercé une influence fondamentale sur le développement de la civilisation et de la culture européenne. La source la plus importante à propos de la vie de ce saint est le deuxième livre des Dialogues de saint Grégoire le Grand. Il ne s’agit pas d’une biographie au sens classique. Selon les idées de son temps, il voulut illustrer à travers l’exemple d’un homme concret – précisément saint Benoît – l’ascension au sommet de la contemplation, qui peut être réalisée par celui qui s’abandonne à Dieu. Il nous donne donc un modèle  de  la  vie  humaine  comme ascension vers le sommet de la perfection. Saint Grégoire le Grand raconte également dans ce livre des Dialogues de nombreux miracles accomplis par le saint, et ici aussi il ne veut pas raconter simplement quelque chose d’étrange, mais démontrer comment Dieu, en admonestant, en aidant et aussi en punissant, intervient dans les situations concrètes de la vie de l’homme. Il veut démontrer que Dieu n’est pas une hypothèse lointaine placée à l’origine du monde, mais qu’il est présent dans la vie de l’homme, de tout homme.

Cette perspective du « biographe » s’explique également à la lumière du contexte général de son époque:  entre le V et le VI siècle, le monde était bouleversé par une terrible crise des valeurs et des institutions, causée par la chute de l’Empire romain, par l’invasion des nouveaux peuples et par la décadence des mœurs. En présentant saint Benoît comme un « astre lumineux », Grégoire voulait indiquer dans cette situation terrible, précisément ici dans cette ville de Rome, l’issue de la « nuit obscure de l’histoire » (Jean-Paul II, Insegnamenti, II/1, 1979, p. 1158). De fait, l’œuvre du saint et, en particulier, sa Règle se révélèrent détentrices d’un authentique ferment spirituel qui transforma le visage de l’Europe au cours des siècles, bien au-delà des frontières de sa patrie et de son temps, suscitant après la chute de l’unité politique créée par l’empire romain une nouvelle unité spirituelle et culturelle, celle de la foi chrétienne partagée par les peuples du continent. C’est précisément ainsi qu’est née la réalité que nous appelons « Europe ».

La naissance de saint Benoît se situe autour de l’an 480. Il provenait, comme le dit saint Grégoire, « ex provincia Nursiae » – de la région de la Nursie. Ses parents, qui étaient aisés, l’envoyèrent suivre des études à Rome pour sa formation. Il ne s’arrêta cependant pas longtemps dans la Ville éternelle. Comme explication, pleinement crédible, Grégoire mentionne le fait que le jeune Benoît était écoeuré par le style de vie d’un grand nombre de ses compagnons d’étude, qui vivaient de manière dissolue, et qu’il ne voulait pas tomber dans les mêmes erreurs. Il voulait ne plaire qu’à Dieu seul; « soli Deo placere desiderans »  (II  Dial.  Prol. 1). Ainsi, avant même la conclusion de ses études, Benoît quitta Rome et se retira dans la solitude des montagnes à l’est de Rome. Après un premier séjour dans le village d’Effide (aujourd’hui Affile), où il s’associa pendant un certain temps à une « communauté religieuse » de moines, il devint ermite dans la proche Subiaco. Il vécut là pendant trois ans complètement seul dans une grotte qui, depuis le Haut Moyen-âge, constitue le « coeur » d’un monastère bénédictin appelé « Sacro Speco ». La période à Subiaco, une période de solitude avec Dieu, fut un temps de maturation pour Benoît. Il dut supporter et surmonter en ce lieu les trois tentations fondamentales de chaque être humain:  la tentation de l’affirmation personnelle et du désir de se placer lui-même au centre, la tentation de la sensualité et, enfin, la tentation de la colère et de la vengeance. Benoît était en effet convaincu que ce n’était qu’après avoir vaincu ces tentations qu’il aurait pu adresser aux autres une parole pouvant être utile à leur situation de besoin. Et ainsi, son âme désormais pacifiée était en mesure de contrôler pleinement les pulsions du « moi » pour être un créateur de paix autour de lui. Ce n’est qu’alors qu’il décida de fonder ses premiers monastères dans la vallée de l’Anio, près de Subiaco.

En l’an 529, Benoît quitta Subiaco pour s’installer à Montecassino. Certains ont expliqué ce déplacement comme une fuite face aux intrigues d’un ecclésiastique local envieux. Mais cette tentative d’explication s’est révélée peu convaincante, car la mort soudaine de ce dernier n’incita pas Benoît à revenir (II Dial. 8). En réalité, cette décision s’imposa à lui car il était entré dans une nouvelle phase de sa maturation intérieure et de son expérience monastique. Selon Grégoire le Grand, l’exode de la lointaine vallée de l’Anio vers le Mont Cassio – une hauteur qui, dominant la vaste plaine environnante, est visible de loin – revêt un caractère symbolique:  la vie monastique cachée a sa raison d’être, mais un monastère possède également une finalité publique dans la vie de l’Eglise et de la société, il doit donner de la visibilité à la foi comme force de vie. De fait, lorsque Benoît conclut sa vie terrestre le 21 mars 547, il laissa avec sa Règle et avec la famille bénédictine qu’il avait fondée un patrimoine qui a porté des fruits dans le monde entier jusqu’à aujourd’hui.

Dans tout le deuxième livre des Dialogues, Grégoire nous montre la façon dont la vie de saint Benoît était plongée dans une atmosphère de prière, fondement central de son existence. Sans prière l’expérience de Dieu n’existe pas. Mais la spiritualité de Benoît n’était pas une intériorité en dehors de la réalité. Dans la tourmente et la confusion de son temps, il vivait sous le regard de Dieu et ne perdit ainsi jamais de vue les devoirs de la vie quotidienne et l’homme avec ses besoins concrets. En voyant Dieu, il comprit la réalité de l’homme et sa mission. Dans sa Règle, il qualifie la vie monastique d’ »école du service du Seigneur » (Prol. 45) et il demande à ses moines de « ne rien placer avant l’Œuvre de Dieu [c'est-à-dire l'Office divin ou la Liturgie des Heures] » (43, 3). Il souligne cependant que la prière est en premier lieu un acte d’écoute (Prol. 9-11), qui doit ensuite se traduire par l’action concrète. « Le Seigneur attend que nous répondions chaque jour par les faits à ses saints enseignements », affirme-t-il (Prol. 35). Ainsi, la vie du moine devient une symbiose féconde entre action et contemplation « afin que Dieu soit glorifié en tout » (57, 9). En opposition avec une réalisation personnelle facile et égocentrique, aujourd’hui souvent exaltée, l’engagement premier et incontournable du disciple de saint Benoît est la recherche sincère de Dieu (58, 7) sur la voie tracée par le Christ humble et obéissant (5, 13), ne devant rien placer avant l’amour pour celui-ci (4, 21; 72, 11) et c’est précisément ainsi, au service de l’autre, qu’il devient un homme du service et de la paix. Dans l’exercice de l’obéissance mise en acte avec une foi animée par l’amour (5, 2), le moine conquiert l’humilité (5, 1), à laquelle la Règle consacre un chapitre entier (7). De cette manière, l’homme devient toujours plus conforme au Christ et atteint la véritable réalisation personnelle comme créature à l’image et à la ressemblance de Dieu.

A l’obéissance du disciple doit correspondre la sagesse de l’Abbé, qui dans le monastère remplit « les fonctions du Christ » (2, 2; 63, 13). Sa figure, définie en particulier dans le deuxième chapitre  de  la Règle, avec ses qualités de beauté spirituelle et d’engagement exigeant, peut-être considérée comme un autoportrait de Benoît, car – comme l’écrit Grégoire le Grand – « le saint ne put en aucune manière enseigner différemment de la façon dont il vécut » (Dial. II, 36). L’Abbé doit être à la fois un père tendre et également un maître sévère (2, 24), un véritable éducateur. Inflexible contre les vices, il est cependant appelé à imiter en particulier la tendresse du Bon Pasteur (27, 8), à « aider plutôt qu’à dominer » (64, 8), à « accentuer davantage à travers les faits qu’à travers les paroles tout ce qui est bon et saint » et à « illustrer les commandements divins par son exemple » (2, 12). Pour être en mesure de décider de manière responsable, l’Abbé doit aussi être un personne qui écoute « le conseil de ses frères » (3, 2), car « souvent Dieu révèle au plus jeune la solution la meilleure » (3, 3). Cette disposition rend étonnamment moderne une Règle écrite il y a presque quinze siècles! Un homme de responsabilité publique, même à une petite échelle, doit toujours être également un homme qui sait écouter et qui sait apprendre de ce qu’il écoute.

Benoît qualifie la Règle de « Règle minimale tracée uniquement pour le début » (73, 8); en réalité, celle-ci offre cependant des indications utiles non seulement aux moines, mais également à tous ceux qui cherchent un guide sur leur chemin vers Dieu. En raison de sa mesure, de son humanité et de son sobre discernement entre ce qui est essentiel et secondaire dans la vie spirituelle, elle a pu conserver sa force illuminatrice jusqu’à aujourd’hui. Paul VI, en proclamant saint Benoît Patron de l’Europe le 24 octobre 1964, voulut reconnaître l’œuvre merveilleuse accomplie par le saint à travers la Règle pour la formation de la civilisation et de la culture européenne. Aujourd’hui, l’Europe – à peine sortie d’un siècle profondément blessé par deux guerres mondiales et après l’effondrement des grandes idéologies qui se sont révélées de tragiques utopies – est à la recherche de sa propre identité. Pour créer une unité nouvelle et durable, les instruments politiques, économiques et juridiques sont assurément importants, mais il faut également susciter un renouveau éthique et spirituel qui puise aux racines chrétiennes du continent, autrement on ne peut pas reconstruire l’Europe. Sans cette sève vitale, l’homme reste exposé au danger de succomber à l’antique tentation de vouloir se racheter tout seul – une utopie qui, de différentes manières, a causé dans l’Europe du XX siècle, comme l’a remarqué le Pape Jean-Paul II, « un recul sans précédent dans l’histoire tourmentée de l’humanité » (Insegnamenti, XIII/1, 1990, p. 58). En recherchant le vrai progrès, nous écoutons encore aujourd’hui la Règle de saint Benoît comme une lumière pour notre chemin. Le grand moine demeure un véritable maître à l’école de qui nous pouvons apprendre l’art de vivre le véritable humanisme.