Archive pour la catégorie 'Saint Augustin'

28 AOÛT SAINT AUGUSTIN (1) – BENOÎT XVI (9 JANVIER 2008)

28 août, 2018

http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2008/documents/hf_ben-xvi_aud_20080109.html

imm fr benvenuto Garofalo, visione della Trinità

Benvenuto Garofalo, vision de la Trinité

28 AOÛT SAINT AUGUSTIN (1) – BENOÎT XVI (9 JANVIER 2008)

AUDIENCE GÉNÉRALE

Chers frères et sœurs,

Après les grandes festivités de Noël, je voudrais revenir aux méditations sur les Pères de l’Eglise et parler aujourd’hui du plus grand Père de l’Eglise latine, saint Augustin: homme de passion et de foi, d’une très grande intelligence et d’une sollicitude pastorale inlassable, ce grand saint et docteur de l’Eglise est souvent connu, tout au moins de réputation, par ceux qui ignorent le christianisme ou qui ne le connaissent pas bien, car il a laissé une empreinte très profonde dans la vie culturelle de l’Occident et du monde entier. En raison de son importance particulière, saint Augustin a eu une influence considérable et l’on pourrait affirmer, d’une part, que toutes les routes de la littérature chrétienne latine mènent à Hippone (aujourd’hui Annaba, sur la côte algérienne), le lieu où il était Evêque et, de l’autre, que de cette ville de l’Afrique romaine, dont Augustin fut l’Evêque de 395 jusqu’à sa mort en 430, partent de nombreuses autres routes du christianisme successif et de la culture occidentale elle-même.
Rarement une civilisation ne rencontra un aussi grand esprit, qui sache en accueillir les valeurs et en exalter la richesse intrinsèque, en inventant des idées et des formes dont la postérité se nourrirait, comme le souligna également Paul VI: « On peut dire que toute la pensée de l’Antiquité conflue dans son œuvre et que de celle-ci dérivent des courants de pensée qui parcourent toute la tradition doctrinale des siècles suivants » (AAS, 62, 1970, p. 426). Augustin est également le Père de l’Eglise qui a laissé le plus grand nombre d’œuvres. Son biographe Possidius dit qu’il semblait impossible qu’un homme puisse écrire autant de choses dans sa vie. Nous parlerons de ces diverses œuvres lors d’une prochaine rencontre. Aujourd’hui, nous réserverons notre attention à sa vie, que l’on reconstruit bien à partir de ses écrits, et en particulier des Confessions, son extraordinaire autobiographie spirituelle, écrite en louange à Dieu, qui est son œuvre la plus célèbre. Et à juste titre, car ce sont précisément les Confessions d’Augustin, avec leur attention à la vie intérieure et à la psychologie, qui constituent un modèle unique dans la littérature occidentale, et pas seulement occidentale, même non religieuse, jusqu’à la modernité. Cette attention à la vie spirituelle, au mystère du « moi », au mystère de Dieu qui se cache derrière le « moi », est une chose extraordinaire sans précédent et restera pour toujours, pour ainsi dire, un « sommet » spirituel.
Mais pour en venir à sa vie, Augustin naquit à Taghaste – dans la province de Numidie de l’Afrique romaine – le 13 novembre 354, de Patrice, un païen qui devint ensuite catéchumène, et de Monique, fervente chrétienne. Cette femme passionnée, vénérée comme une sainte, exerça sur son fils une très grande influence et l’éduqua dans la foi chrétienne. Augustin avait également reçu le sel, comme signe de l’accueil dans le catéchuménat. Et il est resté fasciné pour toujours par la figure de Jésus Christ; il dit même avoir toujours aimé Jésus, mais s’être éloigné toujours plus de la foi ecclésiale, de la pratique ecclésiale, comme cela arrive pour de nombreux jeunes aujourd’hui aussi.
Augustin avait aussi un frère, Navigius, et une sœur, dont nous ignorons le nom et qui, devenue veuve, fut ensuite à la tête d’un monastère féminin. Le jeune garçon, d’une très vive intelligence, reçut une bonne éducation, même s’il ne fut pas un étudiant exemplaire. Il étudia cependant bien la grammaire, tout d’abord dans sa ville natale, puis à Madaure et, à partir de 370, la rhétorique à Carthage, capitale de l’Afrique romaine: maîtrisant parfaitement la langue latine, il n’arriva cependant pas à la même maîtrise du grec et n’apprit pas le punique, parlé par ses compatriotes. Ce fut précisément à Carthage qu’Augustin lut pour la première fois l’Hortensius, une œuvre de Cicéron qui fut ensuite perdue et qui marqua le début de son chemin vers la conversion. En effet, le texte cicéronien éveilla en lui l’amour pour la sagesse, comme il l’écrira, devenu Evêque, dans les Confessiones: « Ce livre changea véritablement ma façon de voir », si bien qu’ »à l’improviste toute espérance vaine perdit de sa valeur et que je désirai avec une incroyable ardeur du cœur l’immortalité de la sagesse » (III, 4, 7).
Mais comme il était convaincu que sans Jésus on ne peut pas dire avoir effectivement trouvé la vérité, et comme dans ce livre passionné ce nom lui manquait, immédiatement après l’avoir lu, il commença à lire l’Ecriture, la Bible. Mais il en fut déçu. Non seulement parce que le style latin de la traduction de l’Ecriture Sainte était insuffisant, mais également parce que le contenu lui-même ne lui parut pas satisfaisant. Dans les récits de l’Ecriture sur les guerres et les autres événements humains, il ne trouva pas l’élévation de la philosophie, la splendeur de la recherche de la vérité qui lui est propre. Toutefois, il ne voulait pas vivre sans Dieu et il cherchait ainsi une religion correspondant à son désir de vérité et également à son désir de se rapprocher de Jésus. Il tomba ainsi dans les filets des manichéens, qui se présentaient comme des chrétiens et promettaient une religion totalement rationnelle. Ils affirmaient que le monde est divisé en deux principes: le bien et le mal. Et ainsi s’expliquerait toute la complexité de l’histoire humaine. La morale dualiste plaisait aussi à saint Augustin, car elle comportait une morale très élevée pour les élus: et pour celui qui y adhérait, comme lui, il était possible de vivre une vie beaucoup plus adaptée à la situation de l’époque, en particulier pour un homme jeune. Il devint donc manichéen, convaincu à ce moment-là d’avoir trouvé la synthèse entre rationalité, recherche de la vérité et amour de Jésus Christ. Il en tira également un avantage concret pour sa vie: l’adhésion aux manichéens ouvrait en effet des perspectives faciles de carrière. Adhérer à cette religion qui comptait tant de personnalités influentes lui permettait également de poursuivre une relation tissée avec une femme et d’aller de l’avant dans sa carrière. Il eut un fils de cette femme, Adéodat, qui lui était très cher, très intelligent, et qui sera ensuite très présent lors de sa préparation au baptême près du lac de Côme, participant à ces « Dialogues » que saint Augustin nous a légués. Malheureusement, l’enfant mourut prématurément. Professeur de grammaire vers l’âge de vingt ans dans sa ville natale, il revint bien vite à Carthage, où il devint un maître de rhétorique brillant et célèbre. Avec le temps, toutefois, Augustin commença à s’éloigner de la foi des manichéens, qui le déçurent précisément du point de vue intellectuel car ils étaient incapables de résoudre ses doutes, et il se transféra à Rome, puis à Milan, où résidait alors la cour impériale et où il avait obtenu un poste de prestige grâce à l’intervention et aux recommandations du préfet de Rome, le païen Simmaque, hostile à l’Evêque de Milan saint Ambroise.
A Milan, Augustin prit l’habitude d’écouter – tout d’abord dans le but d’enrichir son bagage rhétorique – les très belles prédications de l’Evêque Ambroise, qui avait été le représentant de l’empereur pour l’Italie du Nord, et le rhéteur africain fut fasciné par la parole du grand prélat milanais et pas seulement par sa rhétorique; c’est surtout son contenu qui toucha toujours plus son cœur. Le grand problème de l’Ancien Testament, du manque de beauté rhétorique, d’élévation philosophique se résolvait, dans les prédications de saint Ambroise, grâce à l’interprétation typologique de l’Ancien Testament: Augustin comprit que tout l’Ancien Testament est un chemin vers Jésus Christ. Il trouva ainsi la clef pour comprendre la beauté, la profondeur également philosophique de l’Ancien Testament et il comprit toute l’unité du mystère du Christ dans l’histoire et également la synthèse entre philosophie, rationalité et foi dans le Logos, dans le Christ Verbe éternel qui s’est fait chair.
Augustin se rendit rapidement compte que la lecture allégorique des Ecritures et la philosophie néoplatonicienne pratiquées par l’Evêque de Milan lui permettaient de résoudre les difficultés intellectuelles qui, lorsqu’il était plus jeune, lors de sa première approche des textes bibliques, lui avaient paru insurmontables.
A la lecture des écrits des philosophes, Augustin fit ainsi suivre à nouveau celle de l’Ecriture et surtout des lettres pauliniennes. Sa conversion au christianisme, le 15 août 386, se situa donc au sommet d’un itinéraire intérieur long et tourmenté dont nous parlerons dans une autre catéchèse, et l’Africain s’installa à la campagne au nord de Milan, près du lac de Côme – avec sa mère Monique, son fils Adéodat et un petit groupe d’amis – pour se préparer au baptême. Ainsi, à trente-deux ans, Augustin fut baptisé par Ambroise, le 24 avril 387, au cours de la veillée pascale, dans la cathédrale de Milan.
Après son baptême, Augustin décida de revenir en Afrique avec ses amis, avec l’idée de pratiquer une vie commune, de type monastique, au service de Dieu. Mais à Ostie, dans l’attente du départ, sa mère tomba brusquement malade et mourut un peu plus tard, déchirant le cœur de son fils. Finalement de retour dans sa patrie, le converti s’établit à Hippone pour y fonder précisément un monastère. Dans cette ville de la côte africaine, malgré la présence d’hérésies, il fut ordonné prêtre en 391 et commença avec plusieurs compagnons la vie monastique à laquelle il pensait depuis longtemps, partageant son temps entre la prière, l’étude et la prédication. Il voulait uniquement être au service de la vérité, il ne se sentait pas appelé à la vie pastorale, mais il comprit ensuite que l’appel de Dieu était celui d’être un pasteur parmi les autres, en offrant ainsi le don de la vérité aux autres. C’est à Hippone, quatre ans plus tard, en 395, qu’il fut consacré Evêque. Continuant à approfondir l’étude des Ecritures et des textes de la tradition chrétienne, Augustin fut un Evêque exemplaire dans son engagement pastoral inlassable: il prêchait plusieurs fois par semaine à ses fidèles, il assistait les pauvres et les orphelins, il soignait la formation du clergé et l’organisation de monastères féminins et masculins. En peu de mots, ce rhéteur de l’antiquité s’affirma comme l’un des représentants les plus importants du christianisme de cette époque: très actif dans le gouvernement de son diocèse – avec également d’importantes conséquences au niveau civil – pendant ses plus de trente-cinq années d’épiscopat, l’Evêque d’Hippone exerça en effet une grande influence dans la conduite de l’Eglise catholique de l’Afrique romaine et de manière plus générale sur le christianisme de son temps, faisant face à des tendances religieuses et des hérésies tenaces et sources de division telles que le manichéisme, le donatisme et le pélagianisme, qui mettaient en danger la foi chrétienne dans le Dieu unique et riche en miséricorde.
Et c’est à Dieu qu’Augustin se confia chaque jour, jusqu’à la fin de sa vie: frappé par la fièvre, alors que depuis presque trois mois sa ville d’Hippone était assiégée par les envahisseurs vandales, l’Evêque – raconte son ami Possidius dans la Vita Augustini – demanda que l’on transcrive en gros caractères les psaumes pénitentiels « et il fit afficher les feuilles sur le mur, de sorte que se trouvant au lit pendant sa maladie il pouvait les voir et les lire, et il pleurait sans cesse à chaudes larmes » (31, 2). C’est ainsi que s’écoulèrent les derniers jours de la vie d’Augustin, qui mourut le 28 août 430, alors qu’il n’avait pas encore 76 ans. Nous consacrerons les prochaines rencontres à ses œuvres, à son message et à son parcours intérieur.

BENOÎT XVI – SAINT AUGUSTIN (1)

29 août, 2017

http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2008/documents/hf_ben-xvi_aud_20080109.html

pens e fr - Copia

BENOÎT XVI – SAINT AUGUSTIN (1)

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 9 janvier 2008

Chers frères et sœurs,

Après les grandes festivités de Noël, je voudrais revenir aux méditations sur les Pères de l’Eglise et parler aujourd’hui du plus grand Père de l’Eglise latine, saint Augustin: homme de passion et de foi, d’une très grande intelligence et d’une sollicitude pastorale inlassable, ce grand saint et docteur de l’Eglise est souvent connu, tout au moins de réputation, par ceux qui ignorent le christianisme ou qui ne le connaissent pas bien, car il a laissé une empreinte très profonde dans la vie culturelle de l’Occident et du monde entier. En raison de son importance particulière, saint Augustin a eu une influence considérable et l’on pourrait affirmer, d’une part, que toutes les routes de la littérature chrétienne latine mènent à Hippone (aujourd’hui Annaba, sur la côte algérienne), le lieu où il était Evêque et, de l’autre, que de cette ville de l’Afrique romaine, dont Augustin fut l’Evêque de 395 jusqu’à sa mort en 430, partent de nombreuses autres routes du christianisme successif et de la culture occidentale elle-même.
Rarement une civilisation ne rencontra un aussi grand esprit, qui sache en accueillir les valeurs et en exalter la richesse intrinsèque, en inventant des idées et des formes dont la postérité se nourrirait, comme le souligna également Paul VI: « On peut dire que toute la pensée de l’Antiquité conflue dans son œuvre et que de celle-ci dérivent des courants de pensée qui parcourent toute la tradition doctrinale des siècles suivants » (AAS, 62, 1970, p. 426). Augustin est également le Père de l’Eglise qui a laissé le plus grand nombre d’œuvres. Son biographe Possidius dit qu’il semblait impossible qu’un homme puisse écrire autant de choses dans sa vie. Nous parlerons de ces diverses œuvres lors d’une prochaine rencontre. Aujourd’hui, nous réserverons notre attention à sa vie, que l’on reconstruit bien à partir de ses écrits, et en particulier des Confessions, son extraordinaire autobiographie spirituelle, écrite en louange à Dieu, qui est son œuvre la plus célèbre. Et à juste titre, car ce sont précisément les Confessions d’Augustin, avec leur attention à la vie intérieure et à la psychologie, qui constituent un modèle unique dans la littérature occidentale, et pas seulement occidentale, même non religieuse, jusqu’à la modernité. Cette attention à la vie spirituelle, au mystère du « moi », au mystère de Dieu qui se cache derrière le « moi », est une chose extraordinaire sans précédent et restera pour toujours, pour ainsi dire, un « sommet » spirituel.
Mais pour en venir à sa vie, Augustin naquit à Taghaste – dans la province de Numidie de l’Afrique romaine – le 13 novembre 354, de Patrice, un païen qui devint ensuite catéchumène, et de Monique, fervente chrétienne. Cette femme passionnée, vénérée comme une sainte, exerça sur son fils une très grande influence et l’éduqua dans la foi chrétienne. Augustin avait également reçu le sel, comme signe de l’accueil dans le catéchuménat. Et il est resté fasciné pour toujours par la figure de Jésus Christ; il dit même avoir toujours aimé Jésus, mais s’être éloigné toujours plus de la foi ecclésiale, de la pratique ecclésiale, comme cela arrive pour de nombreux jeunes aujourd’hui aussi.
Augustin avait aussi un frère, Navigius, et une sœur, dont nous ignorons le nom et qui, devenue veuve, fut ensuite à la tête d’un monastère féminin. Le jeune garçon, d’une très vive intelligence, reçut une bonne éducation, même s’il ne fut pas un étudiant exemplaire. Il étudia cependant bien la grammaire, tout d’abord dans sa ville natale, puis à Madaure et, à partir de 370, la rhétorique à Carthage, capitale de l’Afrique romaine: maîtrisant parfaitement la langue latine, il n’arriva cependant pas à la même maîtrise du grec et n’apprit pas le punique, parlé par ses compatriotes. Ce fut précisément à Carthage qu’Augustin lut pour la première fois l’Hortensius, une œuvre de Cicéron qui fut ensuite perdue et qui marqua le début de son chemin vers la conversion. En effet, le texte cicéronien éveilla en lui l’amour pour la sagesse, comme il l’écrira, devenu Evêque, dans les Confessiones: « Ce livre changea véritablement ma façon de voir », si bien qu’ »à l’improviste toute espérance vaine perdit de sa valeur et que je désirai avec une incroyable ardeur du cœur l’immortalité de la sagesse » (III, 4, 7).
Mais comme il était convaincu que sans Jésus on ne peut pas dire avoir effectivement trouvé la vérité, et comme dans ce livre passionné ce nom lui manquait, immédiatement après l’avoir lu, il commença à lire l’Ecriture, la Bible. Mais il en fut déçu. Non seulement parce que le style latin de la traduction de l’Ecriture Sainte était insuffisant, mais également parce que le contenu lui-même ne lui parut pas satisfaisant. Dans les récits de l’Ecriture sur les guerres et les autres événements humains, il ne trouva pas l’élévation de la philosophie, la splendeur de la recherche de la vérité qui lui est propre. Toutefois, il ne voulait pas vivre sans Dieu et il cherchait ainsi une religion correspondant à son désir de vérité et également à son désir de se rapprocher de Jésus. Il tomba ainsi dans les filets des manichéens, qui se présentaient comme des chrétiens et promettaient une religion totalement rationnelle. Ils affirmaient que le monde est divisé en deux principes: le bien et le mal. Et ainsi s’expliquerait toute la complexité de l’histoire humaine. La morale dualiste plaisait aussi à saint Augustin, car elle comportait une morale très élevée pour les élus: et pour celui qui y adhérait, comme lui, il était possible de vivre une vie beaucoup plus adaptée à la situation de l’époque, en particulier pour un homme jeune. Il devint donc manichéen, convaincu à ce moment-là d’avoir trouvé la synthèse entre rationalité, recherche de la vérité et amour de Jésus Christ. Il en tira également un avantage concret pour sa vie: l’adhésion aux manichéens ouvrait en effet des perspectives faciles de carrière. Adhérer à cette religion qui comptait tant de personnalités influentes lui permettait également de poursuivre une relation tissée avec une femme et d’aller de l’avant dans sa carrière. Il eut un fils de cette femme, Adéodat, qui lui était très cher, très intelligent, et qui sera ensuite très présent lors de sa préparation au baptême près du lac de Côme, participant à ces « Dialogues » que saint Augustin nous a légués. Malheureusement, l’enfant mourut prématurément. Professeur de grammaire vers l’âge de vingt ans dans sa ville natale, il revint bien vite à Carthage, où il devint un maître de rhétorique brillant et célèbre. Avec le temps, toutefois, Augustin commença à s’éloigner de la foi des manichéens, qui le déçurent précisément du point de vue intellectuel car ils étaient incapables de résoudre ses doutes, et il se transféra à Rome, puis à Milan, où résidait alors la cour impériale et où il avait obtenu un poste de prestige grâce à l’intervention et aux recommandations du préfet de Rome, le païen Simmaque, hostile à l’Evêque de Milan saint Ambroise.
A Milan, Augustin prit l’habitude d’écouter – tout d’abord dans le but d’enrichir son bagage rhétorique – les très belles prédications de l’Evêque Ambroise, qui avait été le représentant de l’empereur pour l’Italie du Nord, et le rhéteur africain fut fasciné par la parole du grand prélat milanais et pas seulement par sa rhétorique; c’est surtout son contenu qui toucha toujours plus son cœur. Le grand problème de l’Ancien Testament, du manque de beauté rhétorique, d’élévation philosophique se résolvait, dans les prédications de saint Ambroise, grâce à l’interprétation typologique de l’Ancien Testament: Augustin comprit que tout l’Ancien Testament est un chemin vers Jésus Christ. Il trouva ainsi la clef pour comprendre la beauté, la profondeur également philosophique de l’Ancien Testament et il comprit toute l’unité du mystère du Christ dans l’histoire et également la synthèse entre philosophie, rationalité et foi dans le Logos, dans le Christ Verbe éternel qui s’est fait chair.
Augustin se rendit rapidement compte que la lecture allégorique des Ecritures et la philosophie néoplatonicienne pratiquées par l’Evêque de Milan lui permettaient de résoudre les difficultés intellectuelles qui, lorsqu’il était plus jeune, lors de sa première approche des textes bibliques, lui avaient paru insurmontables.
A la lecture des écrits des philosophes, Augustin fit ainsi suivre à nouveau celle de l’Ecriture et surtout des lettres pauliniennes. Sa conversion au christianisme, le 15 août 386, se situa donc au sommet d’un itinéraire intérieur long et tourmenté dont nous parlerons dans une autre catéchèse, et l’Africain s’installa à la campagne au nord de Milan, près du lac de Côme – avec sa mère Monique, son fils Adéodat et un petit groupe d’amis – pour se préparer au baptême. Ainsi, à trente-deux ans, Augustin fut baptisé par Ambroise, le 24 avril 387, au cours de la veillée pascale, dans la cathédrale de Milan.
Après son baptême, Augustin décida de revenir en Afrique avec ses amis, avec l’idée de pratiquer une vie commune, de type monastique, au service de Dieu. Mais à Ostie, dans l’attente du départ, sa mère tomba brusquement malade et mourut un peu plus tard, déchirant le cœur de son fils. Finalement de retour dans sa patrie, le converti s’établit à Hippone pour y fonder précisément un monastère. Dans cette ville de la côte africaine, malgré la présence d’hérésies, il fut ordonné prêtre en 391 et commença avec plusieurs compagnons la vie monastique à laquelle il pensait depuis longtemps, partageant son temps entre la prière, l’étude et la prédication. Il voulait uniquement être au service de la vérité, il ne se sentait pas appelé à la vie pastorale, mais il comprit ensuite que l’appel de Dieu était celui d’être un pasteur parmi les autres, en offrant ainsi le don de la vérité aux autres. C’est à Hippone, quatre ans plus tard, en 395, qu’il fut consacré Evêque. Continuant à approfondir l’étude des Ecritures et des textes de la tradition chrétienne, Augustin fut un Evêque exemplaire dans son engagement pastoral inlassable: il prêchait plusieurs fois par semaine à ses fidèles, il assistait les pauvres et les orphelins, il soignait la formation du clergé et l’organisation de monastères féminins et masculins. En peu de mots, ce rhéteur de l’antiquité s’affirma comme l’un des représentants les plus importants du christianisme de cette époque: très actif dans le gouvernement de son diocèse – avec également d’importantes conséquences au niveau civil – pendant ses plus de trente-cinq années d’épiscopat, l’Evêque d’Hippone exerça en effet une grande influence dans la conduite de l’Eglise catholique de l’Afrique romaine et de manière plus générale sur le christianisme de son temps, faisant face à des tendances religieuses et des hérésies tenaces et sources de division telles que le manichéisme, le donatisme et le pélagianisme, qui mettaient en danger la foi chrétienne dans le Dieu unique et riche en miséricorde.
Et c’est à Dieu qu’Augustin se confia chaque jour, jusqu’à la fin de sa vie: frappé par la fièvre, alors que depuis presque trois mois sa ville d’Hippone était assiégée par les envahisseurs vandales, l’Evêque – raconte son ami Possidius dans la Vita Augustini – demanda que l’on transcrive en gros caractères les psaumes pénitentiels « et il fit afficher les feuilles sur le mur, de sorte que se trouvant au lit pendant sa maladie il pouvait les voir et les lire, et il pleurait sans cesse à chaudes larmes » (31, 2). C’est ainsi que s’écoulèrent les derniers jours de la vie d’Augustin, qui mourut le 28 août 430, alors qu’il n’avait pas encore 76 ans. Nous consacrerons les prochaines rencontres à ses œuvres, à son message et à son parcours intérieur.

SAINT AUGUSTIN – LAISSONS ICI ENTIÈREMENT LA PAROLE À L’AUTEUR LUI-MÊME DES CONFESSIONS.

13 octobre, 2015

http://www.meta-noia.org/anthropologie/7/a20.HTM

SAINT AUGUSTIN

LAISSONS ICI ENTIÈREMENT LA PAROLE À L’AUTEUR LUI-MÊME DES CONFESSIONS.

Tard je t’ai aimée, ô Beauté si ancienne et si nouvelle, tard je t’ai aimée ! Mais quoi ! tu étais au-dedans de moi, et j’étais, moi, en dehors de moi-même ! Et c’est au-dehors que je te cherchais; je me ruais, dans ma laideur, sur la grâce de tes créatures. Tu étais avec moi et je n’étais pas avec toi, retenu loin de toi par ces choses qui ne seraient point, si elles n’étaient en toi. (Conf. X.27).

Je ne t’ai pas aimé… Toi, ô Dieu, lumière de mon cœur, pain de la bouche intérieure de mon âme, force qui féconde mon intelligence et le sein de ma pensée. (Conf. I.19).

Que se passe-t-il donc dans l’âme, pour qu’elle sente plus de joie à trouver ou à recouvrer ce qu’elle aime qu’à le garder constamment ? (Conf. VIII.3).

Tu nous as fait pour toi. Aussi notre cœur est-il inquiet jusqu’à ce qu’il repose en toi. (conf. I,1).

Ces paroles formées pour un court moment, c’est l’oreille extérieure qui les transmet à la raison intelligente, dont l’oreille intérieure est tendue vers votre Verbe éternel. (Conf. XI.6).

Aussi avec ce Verbe qui vous est éternel, dites-vous éternellement ce que vous dites, et tout ce à quoi vous ordonnez d’être commence d’être. C’est seulement par la parole que vous créez; et néanmoins les choses que vous créez par votre parole ne reçoivent pas l’être toutes à la fois. ni de toute éternité. (Conf. XI.7).

Quand nous revenons de l’erreur, c’est naturellement parce que nous connaissons que nous revenons; cette connaissance nous la devons à son enseignement, parce qu’il est le ‘Principe’, et que ‘c’est à nous qu’il parle’. (Conf. XI.8).

Alors averti de revenir à moi, j’entrai dans l’intimité de mon cœur, et c’était toi mon guide…. J’y entrai et je vis avec l’œil de mon âme, si trouble fut-il, au-dessus de l’œil de mon âme, au-dessus de mon intelligence, la lumière immuable.
Ce n’était pas cette lumière ordinaire qui est visible à toute chair, non plus qu’une lumière de même nature, mais qui eût semblé seulement plus puissante, avec un éclat bien plus vif, projetant sur toutes choses la force de ses rayons.
Non, cette lumière n’était pas cela. Elle était autre chose, tout autre chose…. (Conf. VII.10).

C’est au dedans de moi, dans l’intime habitacle de ma pensée que la Vérité me dit…” (Conf. XI.3).

Moi qui ne serais pas si tu n’étais en moi. (Conf. II.2).

Voici que l’oreille de mon cœur est devant toi, Seigneur. Ouvre-la et dis à mon âme: ‘C’est moi qui suis ton salut’. (Conf. II.5.).

Tu m’as prévenu, Seigneur, avant que je ne t’invoque, et tu m’as appelé avant que je ne t’appelle. (Conf. XIII,1).

Tes paroles s’étaient gravées au fond de mon cœur et tu m’as investi de tous côtés. (Conf. VIII.1).

Toi qui es avec moi avant même que je ne sois avec toi. (Conf. X.4).

Déjà tu me connais… Pourquoi n’arriverai-je pas à te connaître ? (Conf. X.6).

Et cependant il est une lumière, une voix, un parfum, une nourriture, une étreinte que j’aime, quand j’aime mon Dieu: c’est la lumière, la voix, le parfum, l’étreinte de l’homme intérieur qui est en moi, là où resplendit pour mon âme une lumière que ne limite aucune étendue, où se déroulent des mélodies que n’emportent pas le temps, où s’exhalent des parfums qui ne se dissipent pas au vent, où l’on goûte un aliment que nulle voracité ne fait disparaître, et des étreintes que nulle satiété ne désenlace; voilà ce que j’aime quand j’aime mon Dieu. (Conf. X.6).

Le plus précieux est en moi l’élément intérieur. (Conf. X.6).

Les beautés du monde, etc. restent muettes pour l’un, tandis qu’elles répondent à l’autre. Ou pour mieux dire, elles parlent à tous, mais ceux-là seuls les comprennent, qui comparent cette voix venue du dehors avec la vérité qu’ils portent en eux. (Conf. X.6).

Nous ouvrions avec avidité les lèvres de notre âme aux courants célestes de ta source, la source de vie. Et nous montions, méditant, célébrant, admirant tes œuvres au dedans de nous-mêmes. Et nous parvînmes jusqu’à nos âmes et nous les dépassâmes pour atteindre cette région d’inépuisable abondance où tu rassasies éternellement Israël de l’aliment de vérité, là où la vie est la Sagesse, principe de tout ce qui est, a été, sera,.. (Conf. IX. 10).

Pour toi, Seigneur, aux yeux de qui l’abîme de la conscience humaine reste découvert, qu’est-ce qui pourrait demeurer secret en moi, même si je ne voulais pas te le confesser ? C’est toi que je cacherais à moi-même, sans réussir à me cacher à toi. (Conf. X.2).

M’élever progressivement jusqu’à Celui qui m’a fait. Et voici que j’arrive aux domaines, aux vastes palais de la mémoire. (Conf. X.8).

C’est un sanctuaire immense, infini… (Conf. X.8).

Ce n’est pourtant qu’une puissance de mon esprit, liée à ma nature: mais je ne puis concevoir intégralement ce que je suis. L’esprit est donc trop étroit pour se contenir lui-même. (Conf. X.8).

Mais quand j’entends dire qu’il y a trois genres de questions, à savoir: telle chose existe-t-elle ? Quelle en est l’essence ? Quelle en est la qualité ? je retiens bien l’image des sons dont ces mots sont composés, je sais que ces sons ont traversé l’air en s’accompagnant d’un bruit, et qu’ils ont déjà cessé d’être. Mais les choses elles-mêmes signifiées par ces sons, je ne les ai atteintes par aucun sens corporel, je ne les ai vues nulle part ailleurs que dans mon esprit. Ce que j’ai enfermé dans ma mémoire, ce ne sont pas leurs images, c’est elles-mêmes. D’où sont-elles ainsi entrées en moi ? Qu’elles le disent si elles le peuvent. J’ai beau parcourir toutes les portes de ma chair, je n’en trouve aucune par où elles seraient entrées.

Les yeux disent ‘Si elles sont colorées, c’est nous qui les avons transmises.’ Les oreilles disent: ‘Si elles sont sonores, c’est nous qui les avons signalées. Les narines disent: ‘Si elles sont odorantes, c’est par nous qu’elles ont passé.’ Et le goût dit encore: ‘Si elles sont sans saveur, inutile de m’interroger.’ Le tact déclare: ‘Si elles ne sont point corps, je ne les ai pas touchées, et si je ne les ai pas touchées, je n’ai pu les signaler.’

D’où, par où ont-elles donc pénétré dans ma mémoire ? Je n’en sais rien. Quand je les ai apprises, je ne les ai pas reçues sur la foi d’autrui: c’est dans mon propre esprit que je les ai reconnues, Que je les ai approuvées comme vraies; c’est à lui que je les ai confiées, comme un dépôt d’où je les pourrais tirer quand il me plairait. ElIes y étaient donc même avant que je les apprisse; mais elles n’étaient pas encore dans ma mémoire.

Alors, où étaient-elles, et comment se fait-il que, lorsqu’on me les a exposées, je les aie reconnues et me sois écrié: “Mais oui, cela est vrai !” C’est donc que déjà elles étaient bien dans ma mémoire mais reléguées, ensevelies dans de si merveilleuses profondeurs, qu’à défaut des leçons qui les en ont exhumées, jamais peut-être je n’y eusse songé. (Conf. X.10).

La mémoire renferme aussi les rapports, les lois innombrables, les nombres et les mesures. Rien de tout cela n’a été imprimé en nous par les sens corporels, car ces notions ne sont ni colorées, ni sonores, ni odorantes, ni sapides, ni tangibles. J’entends bien, quand on me parle, le son des mots qui les désignent; mais autres sont les mots, autres les choses. Les mots ont un son différent, selon qu’ils sont grecs ou latins, ces notions, elles, ne sont ni grecques ni latines, elles n’appartiennent en propre à aucune langue. J’ai vu des lignes tracées par des gens de métier, aussi déliées qu’un fil d’araignée. Mais les lignes (mathématiques) ne sont nullement l’image de celles que m’a fait connaître mon œil charnel. Celui-là les connaît, qui les reconnaît en lui-même, sans songer le moins du monde à une réalité quelconque. Tous mes sens corporels m’ont fait connaître les nombres nombrés; mais autres sont les nombres nombrants; ils ne sont point l’image des premiers, et c’est pourquoi ils ont une existence absolue. Qu’il rie de moi, en me lisant, celui qui ne les voit pas. Je le plaindrais de son rire même ! (Conf. X.12).

Toutes ces notions, je les retiens par la mémoire; et, comment je les ai acquises, je m’en souviens de même. J’ai entendu maintes objections qu’on oppose bien à tort à ces évidences, et je les retiens aussi par la mémoire. Les dites objections ont beau être fausses, le fait que je m’en souviens subsiste. Le départ que j’ai fait entre ces vérités, et les contradictions sans fondement qu’on dresse contre elles, je me les rappelle; et c’est deux opérations différentes que je vois maintenant, d’une part, que je fais cette distinction, et que je me rappelle, d’autre part, l’avoir faite souvent, en y songeant à mainte reprise. Ainsi, je me souviens d’avoir souvent compris ces choses, et quant à ce fait que je les démêle et les comprends, je le serre dans ma mémoire pour me rappeler plus tard que je les ai comprises aujourd’hui. Je me souviens donc de m’être souvenu; et si dans l’avenir, je me rappelle que J’ai pu m’en souvenir présentement, ce sera, bien entendu, à la force de ma mémoire que je devrai de me le rappeler. (Conf. X.13).

Donc, si la mémoire conserve, non pas l’oubli lui-même, mais son image, il a bien fallu qu’il fût présent, pour que son image fût prise. Mais s’il était présent, comment pouvait-il inscrire son image dans la mémoire, puisque par sa seule présence l’oubli efface tout ce qu’il trouve déjà noté ? Et pourtant quelque incompréhensible, quelqu’inexplicable que cela soit, je suis certain que d’une façon ou d’une autre, je me souviens de l’oubli même, ce destructeur de tout souvenir. (Conf. X.16).

Quelle force dans la mémoire ! C’est un je ne sais quoi, digne d’inspirer un effroi sacré, ô mon Dieu, que sa profondeur, son infinie multiplicité ! Et cela c’est mon esprit; et cela, c’est moi-même ! Que suis-je donc, ô mon Dieu ? Quelle est mon essence ? Une vie variée, multiforme, d’une immensité prodigieuse. Voyez, il y a dans ma mémoire des champs, des antres, des cavernes innombrables, peuplées à l’infini d’innombrables choses de toute espèce, qui y habitent, soit en images seulement, comme pour les corps; soit en elles-mêmes, comme pour les sciences; soit sous forme de je ne sais quelles notions ou notations, comme pour les affections de l’âme, que la mémoire retient, alors même que l’âme ne les éprouve plus, quoiqu’il n’y ait rien dans la mémoire qui ne soit dans l’esprit. A travers tout ce domaine, je cours de ci de là, je vole d’un côté puis de l’autre, je m’enfonce aussi loin que je peux: de limites nulle part ! Tant est grande la puissance de la mémoire, tant est grande la puissance de la vie chez l’homme, qui ne vit que pour mourir ! (Conf. X.17).

Que faire, ô vous, ma véritable vie, ô mon Dieu ! Je dépasserai (transibo) aussi cette puissance mienne qu’on appelle la mémoire, je la dépasserai pour m’élancer vers vous, douce lumière. Que me dites-vous ? Voici que m’aidant de mon âme pour monter jusqu’à vous, qui demeurez là-haut au-dessus de moi, je dépasserai aussi cette puissance mienne qu’on appelle la mémoire, dans mon désir de vous atteindre du côté où vous êtes accessible et de vous embrasser du côté où cet embrassement est possible. La mémoire, les bêtes, les oiseaux l’ont aussi; autrement ils ne retrouveraient pas leurs nids et tant d’habitudes qui leur sont familières. Ces habitudes même impliquent qu’ils ont la mémoire.

Je dépasserai donc aussi la mémoire pour atteindre Celui qui m’a séparé des animaux et m’a fait plus sage que les oiseaux du ciel. Je dépasserai aussi la mémoire, mais pour vous trouver où ? Ô Dieu véritablement bon, sécurité de douceur, pour vous trouver où ? Si je vous trouve en dehors de ma mémoire, c’est donc que je suis oublieux de vous ? Et comment vous trouverai-je si je ne me souviens plus de vous ? (Conf. X.17).

Se souvenir d’avoir oublié quelque chose, c’est ne pas l’avoir oubliée totalement. Un objet, fut-il perdu, nous n’irions pas le rechercher si aucun souvenir ne nous en était resté. (Conf. X.19)

Comment donc vous chercher, ô mon Dieu ? Quand je vous cherche, vous, mon Dieu, c’est le bonheur que je cherche. Ah ! puissé-je vous chercher pour que vive mon âme ! Car mon corps vit de mon âme, et mon âme vit de vous !
Comment, dès lors, chercher le bonheur, puisque je ne le possède pas tant que je n’ai pas dit, tant que je n’ai pas été obligé de dire: ‘C’est assez; il est là…’ ? Comment le chercher ? Est-ce par le ressouvenir, comme si, l’ayant oublié, j’avais encore conscience de mon oubli ? Le bonheur, n’est-ce pas ce que tous veulent. Ce à quoi il n’est personne qui n’aspire ? Où donc l’ont-ils connu pour le vouloir ainsi ? Où l’ont-ils vu pour l’aimer de la sorte ? Sûrement nous le possédons: comment ? Je ne sais. Il y a une certaine mesure de félicité qu’il suffit de posséder pour être heureux; d’autres ne sont heureux qu’en espérance. Ceux-ci n’ont qu’une dose de bonheur inférieure à ceux qui sont déjà en possession du bonheur, mais ils sont cependant plus avantagés que ceux qui ne sont heureux ni en fait, ni en espérance. Encore ces déshérités doivent ils connaître quelque chose, autrement ils n’auraient pas une telle volonté d’être heureux, volonté qui chez eux n’est pas douteuse. Oui, ils le connaissent; comment ? Je ne sais. Ils en ont je ne sais quelle notion. Et le problème qui me préoccupe, c’est de déterminer si cette notion réside dans la mémoire; si elle y réside, c’est donc que nous avons été heureux autrefois. Le fûmes-nous tous individuellement, ou seulement en cet homme qui, le premier, commit le péché, en qui nous sommes tous morts, et de qui nous sommes nés des êtres de misère ? Je ne veux pas l’examiner présentement; je cherche simplement si la notion de vie heureuse se trouve dans la mémoire. Si nous ne la connaissions pas nous ne l’aimerions pas. A peine en entendons-nous le nom, qu’aussitôt nous avouons tous que c’est à la chose-même que nous aspirons. Car ce n’est pas le son de ce mot qui nous séduit: qu’un Grec l’entende articuler en latin, il y restera insensible, ne comprenant pas de quoi il s’agit. Mais nous autres nous y prenons le même plaisir qu’il y goûte à l’entendre prononcer en grec. C’est que la chose signifiée n’est en elle-même ni grecque, ni latine; et c’est elle que les Grecs, les Latins, les étrangers qui parlent n’importe quelle autre langue, rêvent d’atteindre. Elle est donc connue de tous les hommes; si on pouvait leur demander, en une interrogation unique, s’ils veulent être heureux, tous, sans hésiter, répondraient que oui. Unanimité invraisemblable si leur mémoire ne gardait quelque souvenir de la réalité que ce mot exprime. (Conf.X.20).

Ce souvenir est-il du même genre que le souvenir que garde de Carthage celui qui l’a vue ? Non: le bonheur ne se voit pas avec les yeux, parce que ce n’est pas un corps. Est-il du même genre que celui que nous gardons des nombres ? Non, car celui qui connaît les nombres ne cherche plus à en acquérir la possession, tandis que c’est la notion que nous avons du bonheur qui nous le fait aimer, et pourtant nous voulons encore y atteindre pour être heureux. Est-il du même genre que celui que nous gardons des règles de l’éloquence ? Non, bien qu’à entendre ce mot, ceux qui ne sont pas encore éloquents pensent à la chose elle-même, et ils sont nombreux à vouloir être éloquents – ce qui prouve bien qu’ils ont quelque notion de l’éloquence. Cependant c’est par les sens corporels qu’ils ont connu l’éloquence d’autrui, qu’ils l’ont goûtée, qu’ils souhaitent en disposer aussi. Il est vrai que ce plaisir même implique qu’ils en avaient une notion intérieure, et, s’ils ne l’eussent goûté, ils ne souhaiteraient pas d’être eux aussi des orateurs. Mais le bonheur, il n’est pas de sens corporel qui nous le décèle chez autrui.

En est-il de ce souvenir comme du souvenir de la joie ? Peut-être, car je me souviens, dans la tristesse, de ma joie; de même que, dans ma misère, je songe au bonheur. Or cette joie n’a jamais été pour moi sensible ni à la vue, ni à l’ouïe, ni à l’odorat, ni au goût, ni au toucher; c’est dans mon âme que je l’ai expérimentée, quand je me suis réjoui, et la notion en est demeurée liée à ma mémoire, afin que je puisse me la rappeler, tantôt avec dédain, tantôt avec désir, selon la diversité des objets à propos desquels je me souviens qu’elle m’est venue. I1 m’est arrivé de m’en sentir inondé en de honteuses occasions que je ne me rappelle pas aujourd’hui sans mépris, sans horreur; quelquefois aussi, pour des raisons légitimes et honorables dont le souvenir s’accompagne pour moi de regrets. Et comme celles-ci me sont refusées parfois, c’est avec tristesse que j’évoque ma joie passée.

Mais où donc et quand ai-je connu par expérience mon bonheur, pour pouvoir m’en souvenir, l’aimer, le désirer ainsi ? Et il ne s’agit pas seulement de moi, ou d’une faible élite: tous, nous voulons être heureux. Une notion moins ferme ne nous inspirerait pas une si ferme volonté. Or que signifie ceci: demandez à deux hommes s’ils veulent porter les armes; il pourra se faire que l’un réponde oui, l’autre non. Mais demandez-leur s’ils veulent être heureux, tous deux répondront sans hésiter que tel est leur désir. Et si l’un accepte de porter les armes tandis que l’autre s’y refuse, c’est pour être heureux l’un et l’autre. L’un préfère tel état, l’autre tel autre, mais ils s’accordent sur ce point de vouloir être heureux, de même qu’ils s’accorderaient dans leur réponse à qui leur demanderait s’ils veulent avoir de la joie. Cette joie même, c’est ce qu’ils appellent le bonheur, but unique auquel chacun tend par sa voie propre, pour arriver à la joie. Comme il n’est personne qui puisse prétendre qu’il n’a jamais connu la joie, on la retrouve dans la mémoire et on la reconnaît, quand on entend prononcer le mot ‘bonheur’. (Conf. X.21).

Loin de mon cœur, loin du cœur de votre serviteur qui se confesse à vous, Seigneur, l’idée que n’importe quelle joie puisse me rendre heureux ! Car il y a une joie qui n’est pas donnée aux impies, mais à ceux qui vous servent pour l’amour de vous, et c’est vous-même qui êtes cette joie. Le voilà le bonheur ! Se réjouir de vous, pour vous à cause de vous: le voilà, il n’en est point d’autre. Ceux qui s’imaginent qu’il y en a un autre, poursuivent une autre joie qui n’est point la véritable. Et cependant il y a toujours une certaine image de joie, que leur volonté ne cesse de poursuivre. (Conf. X.22).

Ne serait-il donc pas certain que tous veulent être heureux, puisque ceux qui ne cherchent pas leur joie en vous – qui êtes la seule vie heureuse – ne veulent pas, par le fait même, la vie heureuse ? Ou bien ne serait-ce pas que tous la veulent, mais que ‘comme la chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair’, ils ne font point ce qu’ils veulent, retombent à ce qu’ils peuvent et s’en contentent, vu que ce qu’ils ne peuvent pas, ils ne le veulent pas d’une volonté assez forte pour le pouvoir ?

Je leur demande à tous: où préfèrent-ils trouver leur joie, dans la vérité ou dans le mensonge ? Ils mettent aussi peu d’hésitation à préférer la vérité qu’à affirmer qu’ils veulent être heureux. Eh bien ! la joie qui naît de 1a vérité, voilà le bonheur. Car c’est la joie qui vient de vous, qui êtes la Vérité même, ô Dieu, “ma lumière, salut de ma face, mon Dieu” ! Oui, cette vie heureuse, tous la veulent; cette vie qui est la seule heureuse, tous la veulent; la joie qui naît de la vérité, tous la veulent.

J’ai vu bien des gens pour tromper autrui, je n’ai vu personne qui voulût être trompé. Où donc ont-ils pris cette notion de la vie heureuse sinon là où ils ont pris aussi celle de la vérité ? Ils l’aiment aussi, la vérité, puisqu’ils ne veulent pas être trompés, et, aimant la vie heureuse qui n’est autre chose que la joie née de la vérité, ils aiment naturellement aussi la vérité; et ils ne l’aimeraient pas, si, dans leur mémoire, ne subsistait d’elle quelque idée.

Pourquoi donc n’y trouvent-ils pas leur joie ? Pourquoi ne sont-ils pas heureux ? C’est qu’ils sont fortement préoccupés d’autres choses qui les rendent plus malheureux que ne peut leur donner de bonheur un si frêle souvenir. ‘Il est encore une faible lumière chez les hommes’. Qu’ils marchent, ah ! qu’ils marchent, ‘pour ne pas se laisser surprendre par les ténèbres !’

Mais d’où vient que ‘la vérité engendre la haine ?’ D’où vient qu’ils voient un ennemi dans l’homme qui l’annonce en votre nom, alors qu’on aime la vie heureuse qui n’est que la joie née de la vérité ? C’est que la vérité est tant aimée que ceux qui aiment autre chose qu’elle veulent que ce qu’ils aiment soit la vérité et comme ils n’admettent pas qu’ils se trompent, ils n’admettent pas non plus qu’on leur démontre leur erreur. Voilà pourquoi ils haïssent la vérité, par amour de ce qu’ils prennent pour la vérité. Ils en aiment la lumière; ils en détestent les reproches; voulant, sans être trompés, tromper eux-mêmes, ils l’aiment quand elle se décèle, ils la haïssent quand elle les décèle. Et la sanction qu’elle leur inflige est celle-ci: ils ne veulent pas être dévoilés elle les dévoile tout de même, et reste pour eux voilée.

C’est ainsi, c’est ainsi, oui ainsi qu’est fait le cœur humain ! Aveugle et paresseux, indigne et déshonnête, il veut rester caché, mais il n’admet pas que rien lui reste caché. Or, ce qui lui arrive, c’est qu’il n’échappe pas au regard de la vérité, tandis que la vérité échappe à son regard. Et pourtant, si lamentable soit-il, il aime mieux trouver sa joie dans la vérité que dans le mensonge. Il sera donc heureux, lorsque, sans entraves ni tracas, il jouira de la seule Vérité, de qui toute vérité découle. (Conf. X.23).

Voyez comme j’ai parcouru les espaces de ma mémoire, en vous cherchant, ô mon Dieu, et je ne vous ai pas trouvé en)dehors d’elle. Non je n’ai rien trouvé de vous que je ne me sois rappelé, depuis le jour où j’ai appris à vous connaître. Car de ce jour-là je ne vous ai pas oublié. Où j’ai trouvé la vérité, là j’ai trouvé mon Dieu qui est la vérité même, et du jour où j’ai connu la vérité je ne l’ai plus oubliée. Voilà pourquoi, depuis que je vous connais, vous demeurez dans ma mémoire. C’est 1à que je vous trouve quand je me souviens de vous et que je me délecte en vous. Voilà mes saintes délices, don de votre miséricorde qui a jeté sur ma pauvreté son regard compatissant. (Conf. X.24).

Mais où demeurez-vous dans ma mémoire, Seigneur ? Où y demeurez-vous ? Quel habitacle vous y êtes-vous fait ? Quel sanctuaire vous y êtes-vous élevé ? Vous avez accordé à ma mémoire l’honneur de séjourner en elle, mais dans quelle partie y séjournez-vous, voilà ce que je me demande. Quand mon souvenir est allé à vous, j’ai dépassé les parties de ma mémoire qui me sont communes avec les bêtes; je ne vous y trouvais point parmi les images des choses corporelles. J’en suis venu à ces parties où j’ai mis en dépôt les affections de mon âme, et je ne vous y ai pas trouvé non plus. J’ai pénétré alors jusqu’au siège réservé à mon esprit dans ma mémoire (car l’esprit se souvient aussi de soi-même), mais vous n’étiez pas là non plus. C’est que vous n’êtes ni une image corporelle, ni une affection d’être vivant – joie, tristesse, désir, crainte, souvenir, oubli, etc. – , et vous n’êtes pas davantage l’esprit lui-même, étant le Seigneur et le Dieu de l’esprit. Tout cela est sujet au changement, mais vous, immuable, vous restez au-dessus de tout cela, et vous avez daigné habiter dans ma mémoire, du jour où je vous ai connu.

Pourquoi chercher en quelle partie d’elle vous habitez, comme s’il y avait réellement en elle des lieux distincts ? Ce qui est sûr, c’est que vous habitez en elle, puisque je me souviens de vous depuis le jour ou je vous ai connu, et que c’est en elle que je vous trouve, lorsque ma pensée va vers vous. (Conf. X.25).

Mais où donc vous ai-je trouvé, pour apprendre à vous connaître ? Vous n’étiez pas encore dans ma mémoire, avant que je vous connusse. Où donc vous ai-je trouvé, pour vous connaître, si ce n’est en vous, au-dessus de moi ? Entre vous et nous, point d’espace. Que nous allions à vous, ou que nous nous en écartions, point d’espace. Vous êtes la vérité et vous siégez partout pour répondre à ceux qui vous consultent, et vous répondez en même temps à toutes les consultations diverses qui vous sont soumises. Vous, vous répondez clairement, mais tous n’entendent pas clairement. Leurs consultations, ils les font sur ce qu’ils veulent: mais vos réponses ne sont pas toujours celles qu’ils veulent. Votre serviteur le plus zélé, c’est celui qui a moins souci d’entendre de vous ce qu’il veut, que de vouloir ce qu’il entend de vous. (Conf. X.26).

 

MARIE, DISCIPLE DU CHRIST – SAINT AUGUSTIN

29 septembre, 2015

http://www.vatican.va/spirit/documents/spirit_20001208_agostino_fr.html

MARIE, DISCIPLE DU CHRIST

« Quant il parlait aux foules, sa mère et ses frères étaient là dehors, et voulaient lui parler… Et lui: qui est ma mère? ou qui sont mem frères? Et étendant la main sur ses disciples, il dit: Ceux-ci sont ma mère et mes frères. Et quiconque fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux, il est pour moi un frère, une soeur et une mère… Comment le Christ Seigneur pouvait-il avec piété repousser sa mère, et pas une mère quelconque, mais une mère d’autant plus grande qu’elle était une mère vierge… Il a repoussé cette mère, pour que l’affection maternelle ne se mêle pas à l’oeuvre qu’il accomplissait, et ne l’empêche pas. Quelle était cette oeuvre? Il parlait au peuple, il détruisait le vieil homme, il édifiait l’homme nouveau, il délivrait les âmes, il déliait les captifs, il illuminait les esprit aveugles, il accomplissait une oeuvre bonne, et dans cette oeuvre bonne il était dans la ferveur de l’action et de la parole. A ce moment, on lui annonce cet affection maternelle… Que les mères entendent ce qu’il a répondu, pour que leur affection charnelle n’empeche pas les oeuvres bonnes de leurs fils… Mais tu me diras: Tu compares donc mon fils au Christ? Je ne le compare pas au Christ, ni toi à Marie. Le Christ Seigneur n’a donc pas condamné l’affection maternelle, mais il a montré en lui-même, par un grand exemple, qu’il fallait repousser sa mère pour l’oeuvre de Dieu. Il était notre maître. S’il a daigné repousser sa mère, c’est pour t’apprendre à repousser aussi ton père pour l’oeuvre de Dieu.

Faites donc plus attention, mes frères, faites plus attention, je vous en conjure, a` ce que dit le Seigneur Christ, en étendant la main sur ses disciples: Ceux-ci sont ma mère et mes frères; et celui qui fera la volonté de mon Père qui m’a envoyé, celui-là est pour moi un frère et und soeur et une mère. Est-ce qu’elle n’a pas fait la volonté du Père, la Vierge Marie, qui a cru par la foi, qui a conçu par la foi, qui a été choisie pour que d’elle naisse pour nous le salut parmi les hommes, qui a été créée par le Christ, avant que le Christ ne fût créé en elle? Elle a fait, elle a fait absolument la volonté du Père, sainte Marie; et c’est plus pour Marie d’avoir été la disciple du Christ, que d’avoir été la mère du Christ. aussi Marie a été bienheureuse, parce qu’avant de l’enfanter, elle a porté son maître dons son sein. Vois si ce n’est pas comme je le dis. Quand le Seigneur passait avec des foules a` sa suite, et qu’il faisait des miracles divins, une femme dit: Bienheureux le sein qui t’a porte. Et qu’a répondu le Seigneur, pour qu’on n’aille pas chercher la félicité dans la chair? oui, heureux, ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent. Ainsi Marie est bienheureuse d’avoir écouté la parole de Dieu et de l’avoir gardée: ella a gardé la vérité en son coeur plus que la chair en son sein. Le Christ est vérité, le Christ est chair. Le Christ vérité est dans le coeur de Marie, le Christ chair dans le sein de Marie; ce qui est dans le coeur est plus que ce qui est dans le ventre. Sainte est Marie, bienheureuse est Marie, mais l’Eglise est meilleure que la Vierge Marie. Pourquoi? parce que Marie est une partie de l’Eglise, un membre saint, un membre excellent, un membre suréeminent, mais pourtant un membre de corps tout entier. Si elle est membre du corps tout entier, le corps est plus assurément qu’un seule membre. la tête, c’est le Seigneur, et le Christ tout entier est tête et corps. Que dire? Nous avons une tête divine, nous avons Dieu pour tête. »

Saint Augustin, Sermon 72/A, 7

Prière
C’est toi que j’invoque, O Dieu Vérité, source, principe, auteur de la vérité de tout ce qui est vrai. Dieu, de qui on ne se détourne que pour choir, vers qui se tourner, c’est se laver à nouveau et en qui demeurer, c’est trover un solide appui, sois-moi propice, o mon Dieu. Cfr. Soliloq. 1.3

Par l’Athénée Pontifical « Augustinianum »

SAINT AUGUSTIN – 28 AOÛT

28 août, 2015

https://magnificat.ca/cal/fr/saints/saint_augustin.html

SAINT AUGUSTIN – 28 AOÛT

Évêque d’Hippone, Père et Docteur de l’Église, (354-430)

Saint Augustin est l’un des plus grands génies qui aient paru sur la terre et l’un des plus grands Saints dont Dieu ait orné Son Église. Moine, pontife, orateur, écrivain, philosophe, théologien, interprète de la Sainte Écriture, homme de prière et homme de zèle, il est une des figures les plus complètes que l’on puisse imaginer. Ce qu’il y a de plus admirable, c’est que Dieu tira cet homme extraordinaire de la boue profonde du vice pour l’élever presque aussi haut qu’un homme puisse atteindre; c’est bien à son sujet qu’on peut dire: « Dieu est admirable dans Ses Saints! »
Augustin naquit à Tagaste, en Afrique, l’an 354, et, s’il reçut de la part de sa sainte mère, Monique, les leçons et les exemples de la vertu, il reçut les exemples les plus déplorables de la part d’un malheureux père, qui ne se convertit qu’au moment de la mort. A l’histoire des égarements de coeur du jeune et brillant étudiant se joint l’histoire des égarements étranges de son esprit; mais enfin, grâce à trente années de larmes versées par sa mère, Dieu fit éclater invinciblement aux yeux d’Augustin les splendeurs de la vérité et les beautés seules vraies de la vertu, et le prodigue se donna tout à Dieu: « Le fils de tant de larmes ne saurait périr! » avait dit un prêtre vénérable à la mère désolée. Parole prophétique, qui renferme de grands enseignements pour les nombreuses Moniques des Augustins modernes.
C’est à Milan, sous l’influence d’Ambroise, qu’Augustin était rentré en lui-même. La voix du Ciel le rappela en Afrique où, dans une retraite laborieuse et paisible, avec quelques amis revenus à Dieu avec lui, il se prépara aux grandes destinées qui l’attendaient.
Augustin n’accepta qu’avec larmes l’évêché d’Hippone, car son péché était toujours sous ses yeux, et l’humilité fut la grande vertu de sa vie nouvelle. Il fut le marteau de toutes les hérésies de son temps; ses innombrables ouvrages sont un des plus splendides monuments de l’intelligence humaine éclairée par la foi, et ils demeurent comme la source obligée de toutes les études théologiques et philosophiques.
Si les écrits d’Augustin sont admirables par leur science, ils ne le sont pas moins par le souffle de la charité qui les anime; nul coeur ne fut plus tendre que le sien, nul plus compatissant au malheur des autres, nul plus sensible aux désastres de la patrie, nul plus touché des intérêts de Dieu, de l’Église et des âmes. Il passa les dix derniers jours de sa vie seul avec Dieu, dans le silence le plus absolu, goûtant à l’avance les délices de l’éternité bienheureuse.

Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’année, Tours, Mame, 1950

LA FAIBLESSE DU CHRIST EST NOTRE FORCE – HOMÉLIE DE ST AUGUSTIN

4 août, 2015

http://www.croire.com/Definitions/Bible/Evangile/La-faiblesse-du-Christ-est-notre-force

LA FAIBLESSE DU CHRIST EST NOTRE FORCE

HOMÉLIE DE ST AUGUSTIN

Jésus fatigué par la route s’assit sur la margelle du puits ; c’était environ la sixième heure. Là commencent les mystères : ce n’est pas sans raison que Jésus est fatigué. Ce n’est pas sans raison qu’est fatiguée la force de Dieu, Ce n’est pas sans raison qu’il est fatigué, celui par qui ceux qui sont las retrouvent force, lui dont l’absence nous fatigue et la présence nous rend forts. Jésus cependant, fatigué par la route s’assied au bord du puits. A la sixième heure. Tous ces détails évoquent quelque chose. Ils veulent éveiller notre attention, ils nous poussent à chercher plus avant. Que daigne nous ouvrir, à vous et à nous, celui qui n’a cessé de nous exhorter en disant : « Frappez et l’on vous ouvrira. »
C’est pour toi que Jésus s’est fatigué on chemin. Nous trouvons Jésus, force de Dieu ; nous trouvons Jésus faible ; Jésus fort et faible : Fort parce que « Au commencement était le Verbe et le Verbe était auprès de Dieu et le Verbe était Dieu : et il était cela au commencement auprès de Dieu ». Veux-tu voir la force de Dieu ? « Tout a été fait par lui et sans lui rien n’a été fait, et il a tout fait » sans effort. Qui de plus fort que celui qui a fait tout l’univers sans effort ? Veux-tu connaître sa faiblesse ? « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. » La force du Christ t’a créé. La faiblesse du Christ t’a recréé. La force du Christ a donné l’existence à ce qui n’était pas. La faiblesse du Christ a fait que ce qui était ne périsse pas. Il nous a créés par sa force, il nous a cherchés par sa faiblesse. C’est par sa faiblesse qu’il nourrit ceux qui sont faibles, comme la poule nourrit ses petits : c’est lui-même qui a pris cette image : « Combien de fois, dit-il à Jérusalem, ai-je voulu rassembler tes enfants comme la poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et tu ne l’as pas voulu ?… » Telle est l’image de la faiblesse de Jésus fatigué de la route. Sa route, c’est la chair qu’il a prise pour nous. Quel autre chemin aurait-il, celui qui est partout, qui est partout présent ? Où va-t-il, et d’où vient-il, sinon habiter parmi nous et pour cela il a pris chair ? Il a daigné en effet venir à nous, pour se manifester dans la forme d’esclave, et qu’il ait pris chair est le chemin qu’il a choisi. C’est pourquoi la fatigue du chemin n’est rien d’autre que la faiblesse de la chair. Jésus est faible dans la chair. Mais toi, ne te laisse pas aller à la faiblesse : toi, sois fort dans sa faiblesse à lui. Parce que « ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes ». La faiblesse du Christ est notre force.

SAINT AUGUSTIN – LETTRE CXXX. (sur la prière)

27 août, 2014

http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

SAINT AUGUSTIN - LETTRE CXXX. (AU COMMENCEMENT DE L’ANNÉE 412.)

(Vous trouverez la lettre suivante au lien, ce n’est pas tout, bien sûr, de continuer le chapitre par le nombre 269, en petits caractères sur la gauche)

Cette belle lettre forme comme un livre sur la prière; elle est adressée à une veuve romaine, d’un sang illustre, qui avait été femme de Probus, préfet du prétoire et consul; elle était aïeule de Démétrias à qui saint Jérôme écrivit une lettre célèbre sur la virginité, et belle-mère de Juliana qui eut Démétrias pour fille. Proba,surnommée Faltonie, s’était retirée en Afrique après le sac de Rome. Saint Jérôme s’exprime ainsi sur l’aïeule de la jeune vierge romaine : « Proba, ce nom plus illustre que toute dignité et que toute noblesse dans l’univers romain; à Proba qui, par sa sainteté et sa bonté envers tous, s’est rendue vénérable aux Barbares mêmes, et qui s’est peu inquiétée des consulats ordinaires de ses trois fils, Probinus, Olybrius et Probus; cette femme, pendant que tout est esclave à Rome au milieu de l’incendie et de la dévastation, vend, dit-on, en ce moment, les biens qu’elle tient de ses pères, et se fait, avec l’unique Mammone, des amis qui puissent la recevoir dans les tabernacles éternels. » Voilà ce qu’était la veuve à laquelle saint Augustin parle de la prière avec tant d’âme, de charme et d’élévation. Les gens du monde et surtout les riches de la terre qui ont le goût de la vie chrétienne ne peuvent rien lire de meilleur et de plus nourrissant que cet écrit de l’évêque d’Hippone.

AUGUSTIN, ÉVÊQUE , SERVITEUR DU CHRIST ET DES SERVITEURS DU CHRIST, A PROBA, PIEUSE SERVANTE DE DIEU, SALUT DANS LE SEIGNEUR DES SEIGNEURS.

1. Je me rappelle que vous m’avez demandé et que je vous ai promis de vous écrire quelque chose sur la prière: grâce à celui que nous prions, j’en ai le temps et le pouvoir; il faut donc que je vous paye ma dette et que je serve votre zèle pieux dans la charité du Christ. Je ne puis vous dire combien je me suis réjoui de votre demande même; elle m’a fait connaître quel soin vous prenez d’une si grande chose. Quelle plus grande affaire dans votre veuvage, que de persévérer dans la prière, la nuit et le jour, selon le conseil de l’Apôtre : « Celle qui est véritablement veuve et abandonnée, dit saint Paul, a mis son espérance dans le Seigneur et persévère dans la prière, la nuit et le jour. (1) » Ce qui peut paraître admirable, c’est que noble selon le siècle , riche, mère d’une si grande famille , veuve, mais sans être abandonnée, votre coeur ait fait de l’oraison son occupation principale et le plus important de ses soins; mais vous avez sagement compris que, dans ce monde et dans cette vie, il ne peut y avoir de repos pour aucune âme.
2. Celui qui vous a donné cette pensée, c’est assurément ce divin Maître qui répondit à ses disciples que ce qui est impossible aux hommes est facile à Dieu (2) ; le Seigneur leur fit cette admirable et miséricordieuse réponse , après qu’il leur eut dit qu’il était plus aisé à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux ; car ces paroles les avaient attristés , non pour eux, mais pour le genre humain; ils n’espéraient pas que personne pût être sauvé. Celui donc à qui il est facile même de faire entrer un riche dans le royaume des cieux, vous a inspiré le pieux désir de me demander comment il faut prier. Durant sa vie mortelle, il a ouvert le royaume des cieux au riche Zachée (3) ; et, après sa résurrection et son ascension, il a fait de plusieurs riches, éclairés de l’Esprit Saint, des contempteurs de ce siècle, et les a
1. I Tim. V, 5. — 2. Matth. XIX, 24-26. — 3. Luc, XIX, 9.

d’autant plus enrichis, qu’ils ont plus entièrement éteint dans leurs coeurs la soif des biens humains. Comment vous appliqueriez -vous ainsi à prier Dieu, si vous n’espériez pas en lui ! et comment espéreriez-vous en lui si vous mettiez votre confiance dans des richesses incertaines, si vous méprisiez ce salutaire précepte de l’Apôtre : « Ordonne aux riches de ce monde de n’être point orgueilleux, de ne pas mettre leur confiance dans des richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant qui nous donne tout en abondance pour en jouir; afin qu’ils deviennent riches en bonnes oeuvres, qu’ils donnent et répandent aisément, et qu’en se préparant ainsi un trésor qui soit un bon fondement pour l’avenir, ils arrivent à la possession de la véritable vie (1) ? »
3. Quel que soit donc votre bonheur dans ce siècle, vous devez vous y croire comme abandonnée, si vous songez avec amour à la vie future ; de même, en effet, qu’elle est la véritable vie en comparaison de laquelle la vie présente, qu’on aime tant, ne mérite pas qu’on l’appelle une vie, quelque joie qu’on puisse y trouver; ainsi, la consolation véritable est celle que le Seigneur promet lorsqu’il dit par son prophète: «Je lui donnerai la vraie consolation, une paix au-dessus de toute paix (2) ; » et sans laquelle il y a dans tous les adoucissements humains plus de peine que de douceur. Les richesses et les hautes dignités, les grandeurs de ce genre par lesquelles se croient heureux les mortels qui n’ont jamais connu la vraie félicité, que peuvent-elles donner de bon, puisque mieux vaut ne pas en avoir besoin que d’y briller, et qu’on est bien plus tourmenté de la crainte de les perdre qu’on ne l’était du désir d’y parvenir? Ce n’est point par de tels biens que les hommes deviennent bons, mais ceux qui le sont devenus d’ailleurs changent en biens ces richesses périssables par le bon usage qu’ils en font. Là ne sont donc pas les vraies consolations, elles sont plutôt là où est la vraie vie ; car il est nécessaire que l’homme devienne heureux par ce qui le rend bon.
4. Mais, même dans cette vie, les hommes bons donnent de grandes consolations. Est-on pressé par la pauvreté ou sous le coup d’un deuil, en proie à la maladie ou condamné aux tristesses de l’exil, ou livré à tout autre malheur? Que les hommes bons soient là; ils ne

1. I Tim., VI, 17-19.
2. Isaïe, LVII, 18, 19, version des Septante.

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partagent pas seulement la joie de ceux qui se réjouissent, mais ils pleurent avec ceux qui pleurent (1), et, par leur manière de dire et de converser, adoucissent ce qui est dur, diminuent le poids de ce qui accable, et aident à surmonter l’adversité. Celui qui fait cela, en eux et par eux, est celui-là même qui les a rendus bons par son Esprit. Supposez, au contraire, qu’on nage dans l’opulence, qu’on n’ait rien perdu de ce qu’on aime, qu’on jouisse de la santé et qu’on demeure sain et sauf dans son pays, mais qu’on ne soit entouré que d’hommes méchants dont on doive toujours craindre et endurer la mauvaise foi, la tromperie, la fraude, la colère, la dérision, les piéges : toutes ces choses ne perdent-elles pas de leur prix et leur reste-t-il quelque charme, quelque douceur? C’est ainsi que, dans toutes les choses humaines, quelles qu’elles soient, il n’y a rien de doux pour l’homme sans un ami. Mais combien en trouve-t-on dont on soit sûr en cette vie pour le coeur et les moeurs ? car personne n’est connu d’un autre comme il l’est de lui-même; et encore personne ne se connaît assez pour être sûr de ce qu’il sera le lendemain. Aussi, quoique plusieurs se fassent connaître par leurs fruits, et que la bonne vie des uns soit une joie et la mauvaise vie des autres soit une affliction pour le prochain, cependant, à cause des secrets et des incertitudes des coeurs humains, l’Apôtre nous avertit avec raison de ne pas juger avant le temps et d’attendre que le Seigneur soit venu, qu’il mette en vive lumière ce qui est caché dans les ténèbres et qu’il découvre les pensées du coeur; alors chacun recevra de Dieu la louange qui lui est due (2).
5. Dans les ténèbres de cette vie où nous cheminons comme des étrangers loin du Seigneur, appuyés sur la foi et non point illuminés par la claire vision (3), l’âme chrétienne doit donc se regarder comme abandonnée, de peur qu’elle ne cesse de prier; il faut qu’elle apprenne à attacher l’œil de la foi sur les saintes et divines Ecritures, comme sur une lampe posée en un lieu obscur, jusqu’à ce que le jour brille et que l’étoile du matin se lève dans nos coeurs (4). Car cette lampe emprunte ses clartés à la Lumière qui luit dans les ténèbres, que les ténèbres n’ont pas comprise et qu’on ne peut parvenir à voir qu’en purifiant son coeur par la foi : « Heureux ceux qui ont
1. Rom, XII, 15. — 2. I Cor. IV, 5. — 3. II Cor. V, 8. — 4. II Pierre, I,19.

le coeur pur, » dit l’Evangile, « car ils verront Dieu (1). » — « Nous savons que quand il apparaîtra, nous serons semblables à lui, car nous le verrons tel qu’il est (2). » Alors commencera la vraie vie après la mort, la vraie consolation après la désolation : cette vie délivrera notre âme de la mort, cette consolation sèchera pour jamais nos larmes (3) ; et comme il n’y aura plus de tentation, le Psalmiste ajoute que ses pieds seront préservés de toute chute (4). Or, s’il n’y a plus de tentation, il n’y aura plus besoin de prière; nous n’aurons plus à attendre un bien promis, mais à contempler le bien accordé. Voilà pourquoi il est dit : « Je plairai au Seigneur dans la région des vivants (5), » où nous serons alors, et non pas dans le désert des morts où maintenant nous sommes. « Car vous êtes des morts, dit l’Apôtre, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu; mais lorsque le Christ, votre vie, apparaîtra, alors vous apparaîtrez avec lui dans la gloire (6). » Telle est la vraie vie qu’il est ordonné aux riches d’acquérir par les bonnes oeuvres; là est la vraie consolation, sans laquelle la veuve reste maintenant désolée, même celle qui a des fils et des neveux, qui gouverne pieusement sa maison et qui, amenant tous les siens à mettre en Dieu leur confiance, dit dans son oraison : « Mon âme a soif de vous, et combien ma chair aussi soupire vers vous dans cette terre déserte, sans chemin et sans eau (7) ! » Cette vie mourante n’est rien de plus, quelles que soient les consolations mortelles qui s’y mêlent; quel que soit le nombre de ceux avec qui l’on marche, quelle que soit l’abondance des biens qu’on y trouve. Car vous savez combien toutes ces choses sont incertaines; et ne le fussent-elles pas, on devrait encore les compter pour rien à côté de la félicité qui nous est promise.
6. Je vous parle ainsi parce que, veuve, riche et noble, mère d’une si grande famille, vous avez désiré une instruction de moi sur la prière; je voudrais que, même au milieu des soins et des services de ceux qui vous environnent, vous vous regardassiez comme abandonnée en cette vie, tant que vous ne serez pas arrivée à l’immortalité future où est la vraie et certaine consolation, où s’accomplit cette prophétique parole : « Nous avons été dès le matin rassasiés par votre miséricorde; et nous
1. Matth. V, 8. — 2. I Jean, III, 2. — 3. Ps. CXIV, 8. — 4. Ibid. V. 9. — 5. Ibid, 8, 9. — 6. Coloss. III, 3, 4. — 7. Ps. LXII, 2, 3.

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avons tressailli et nous avons été satisfaits dans tous nos jours. Nous avons eu des jours de joie à proportion de nos jours l’humiliation et des années où nous avons vu les maux (1). »
7. Avant donc que cette consolation arrive , n’oubliez pas, malgré l’abondance de vos félicités temporelles, n’oubliez pas que vous êtes abandonnée, pour que vous persévériez jour et nuit dans la prière. Ce n’est pas à toute veuve, quelle qu’elle soit, que l’Apôtre attribue ce don, « c’est à la veuve qui l’est véritablement, qui a mis son espérance dans le Seigneur et qui prie jour et nuit. » Prenez bien garde à ce qui suit : « Quant à celle qui vit dans les délices, elle est morte quoique vivante encore (2) ; » car l’homme vit dans ce qu’il aime, dans ce qu’il désire , dans ce qu’il croit être son bonheur. Aussi ce que l’Ecriture a dit des richesses, je vous le dis des délices : « Si elles abondent autour de vous, n’y placez pas votre coeur (3). » Ne tirez point vanité de ce que les délices ne manquent pas à votre vie, de ce qu’elles se présentent à vous de toutes parts, de ce qu’elles coulent pour vous comme d’une source abondante de terrestre félicité. Dédaignez et méprisez en voles ces choses, et n’y cherchez que ce qu’il faut pour entretenir la santé du corps ; car nous devons en prendre soin à cause des nécessités de la vie, en attendant que ce qu’il y a de mortel en nous soit revêtu d’immortalité (4), c’est-à-dire d’une santé vraie, parfaite et perpétuelle, ne pouvant plus défaillir par l’infirmité terrestre et n’ayant plus besoin d’être réparée par le plaisir corruptible, mais subsistant par une force céleste et tirant sa vigueur d’une éternelle incorruptibilité. « Ne cherchez pas à contenter la chair dans ses désirs, » dit l’Apôtre (5); nous ne devons avoir soin de notre corps, que pour le besoin de la santé. « Car personne, dit encore l’Apôtre, n’a jamais haï sa propre chair (6). » Voilà pourquoi il avertit Timothée , qui apparemment châtiait trop durement son corps, d’user d’un peu de vin à cause de son estomac et de ses fréquentes souffrances (7).
8. Beaucoup de saints et de saintes, se défiant, en toute manière, de ces délices dans lesquelles une veuve ne peut mettre son coeur, sans qu’elle soit morte quoique vivant encore,
1. Ps. LXXXIX, 14, 15. — 2. I Tim. V, 5, 6. — 3. Ps. LXI , 11. — 4. I Cor. XV, 54. — 5. Rom. XIII, 14. — 6. Ephés. V, 29. — 7. I Tim. V, 23.
rejetèrent les richesses comme étant les mères de ces délices, en les distribuant aux pauvres , et c’est ainsi qu’ils les cachèrent plus sûrement dans les trésors célestes. Si , liée par quelque devoir d’affection, vous ne pouvez en faire autant, vous savez le compte que vous avez à rendre à Dieu à cet égard ; car nul ne sait ce qui se passe dans l’homme, si ce n’est l’esprit de l’homme qui est en lui-même (1). Nous ne devons, quant à nous, rien juger avant le temps, jusqu’à ce que le Seigneur vienne; il éclairera ce qui est caché dans les ténèbres , découvrira les pensées du coeur, et alors chacun recevra de Dieu la louange qui lui est due (2). Toutefois il appartient à vos devoirs de veuve , si les délices abondent autour de vous, de ne pas vous y attacher, de peur qu’une corruption mortelle n’atteigne ce coeur qui ne peut vivre qu’en se tenant élevé vers le ciel. Comptez-vous au nombre de ceux dont il est dit: « Leurs coeurs vivront éternellement (3).»
9. Vous avez entendu comment vous devez être pour prier; voici maintenant ce que vous devez demander en priant; c’est principalement sur cela que vous avez cru devoir me consulter, parce que vous êtes en peine de ces paroles de l’Apôtre : « Car nous ne savons pas comment prier pour prier comme il faut (4), » et que vous avez craint qu’il ne vous soit plus nuisible de ne pas prier comme il faut que de ne pas prier du tout. Ceci peut se dire brièvement : demandez la vie heureuse. Tous les hommes veulent l’avoir; ceux qui vivent le plus mal, le plus vicieusement, ne vivraient pas de la sorte s’ils ne pensaient pas y trouver le bonheur. Que faut-il donc que vous demandiez, si ce n’est ce que désirent les méchants et les bons, mais ce que les bons seuls obtiennent?
10. Ici, vous demandez, peut-être, ce que c’est que la vie heureuse elle-même. Cette question a fatigué le génie et les loisirs de bien des philosophes ; ils ont pu d’autant moins découvrir la vie heureuse qu’ils out rendu moins d’hommages et d’actions de grâces à celui qui en est la source. C’est pourquoi voyez d’abord s’il faut adhérer au sentiment de ceux qui disent qu’on est heureux en vivant selon sa propre volonté. Mais à Dieu ne plaise que nous croyions cela vrai ! Si on voulait vivre dans l’iniquité, ne serait-on pas d’autant plus misérable
1. I Cor. II, 11. — 2. Ibid. IV, 5. — 3. Ps. XXI, 27. — 4. Rom. VIII, 26.

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qu’on accomplirait plus aisément les inspirations de sa mauvaise volonté ? C’est avec raison que ce sentiment a été repoussé par ceux-là même qui ont philosophé sans la connaissance de Dieu. Le plus éloquent d’entre eux a dit : « Il en est d’autres qui ne sont pas philosophes, mais qui aiment la dispute, et selon lesquels le bonheur consiste à vivre comme on veut. Cela est faux, car rien n’est plus misérable que de vouloir ce qui ne convient pas, et il n’est pas aussi misérable de ne pas atteindre à ce qu’on veut que de vouloir atteindre à ce qu’il ne faut pas (1). » Que vous en semble? Quel que soit l’homme qui ait prononcé ces paroles, n’est-ce pas la vérité elle-même qui les a dictées? Nous pensons donc dire ici ce que dit l’Apôtre d’un certain prophète crétois (2) dont une sentence lui avait plu : « Ce témoignage est véritable (3). »
11. Celui-là est heureux qui a tout ce qu’il veut et ne veut que ce qui convient. S’il en est ainsi, voyez ce qu’il convient aux hommes de vouloir. L’un veut se marier, l’autre, devenu veuf, choisit une vie de continence, un autre veut garder la continence et ne se marie même pas. Si, parmi ces conditions diverses, il en est de plus parfaites les unes que les autres, nous te pouvons pas dire cependant qu’il y ait dans aucune d’elles quelque chose qu’il ne soit pas convenable de vouloir. Il est également dans l’ordre de souhaiter d’avoir des enfants qui sont le fruit du mariage, et de souhaiter vie et santé aux enfants qu’on a reçus : ces derniers veaux restent souvent au coeur même de ceux qui passent leur veuvage dans la continence, car si, rejetant le mariage, ils ne désirent plus avoir d’enfants, ils désirent pourtant conserver sains et saufs ceux qu’ils ont. La vie virginale est affranchie de tous ces soins. Tous ont cependant des personnes qui leur sont chères et auxquelles il leur est permis de souhaiter la santé. Mais, après que les hommes l’auront obtenue pour eux et pour ceux qu’ils aiment, pourrons-nous dire qu’ils sont heureux? Ils auront, en effet, quelque chose qu’il n’est pas défendu de -vouloir; mais s’ils n’ont pas d’autres biens plus grands et meilleurs, d’une utilité plus vraie et d’une plus vraie beauté , ils restent encore bien éloignés de la vie heureuse.
1. Cicéron. Hortensius.
2. Celui dont les Crétois parlaient comme d’un prophète, au dite de saint Paul, c’est le poète grec Epiménides. —3. I Tite,1, 13.
12. Voulons-nous qu’ils souhaitent, par-dessus la santé , des honneurs et du pouvoir pour eux et pour ceux qu’ils aiment? Ils peuvent désirer ces dignités, pourvu que ce ne soit pas pour elles-mêmes, ruais pour le bien qu’elles aident à accomplir et pour l’avantage de ceux qui vivent sous leur dépendance; litais si c’est pour l’amour d’un vain faste et d’une pompe inutile ou même dangereuse, ils font mal. Peuvent-ils vouloir pour eux, pour leurs proches ou leurs amis, de quoi suffire aux besoins de la vie? « C’est une grande richesse, dit l’Apôtre, que la piété avec ce qui suffit ; car nous n’avons rien apporté en ce monde et nous n’en pouvons rien emporter : ayant notre nourriture et notre vêtement, contentons-nous en. Parce que ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation, les pièges, les désirs insensés et dangereux qui précipitent les hommes dans la mort et la perdition. Car la passion des richesses est la racine de tous les maux; quelques-uns, en étant possédés, se sont écartés de la foi et se sont jetés en beaucoup de douleurs (1). » Celui qui veut donc le nécessaire, et rien de plus , n’est pas répréhensible; il le serait en voulant davantage, puisqu’alors ce ne serait plus le nécessaire qu’il voudrait. C’est ce que demandait et c’est pour cela que priait celui qui adressait à Dieu ces paroles: « Ne me donnez ni les richesses ni la pauvreté ; accordez-moi seulement ce qui m’est nécessaire pour vivre , de peur que, rassasié, je ne tombe dans le mensonge et je ne dise : Qui me voit? ou de peur que, pauvre, je ne vole, et que je n’outrage, par un parjure, le nom de mon Dieu (2). » Vous voyez assurément que ce n’est pas pour lui-même qu’on recherche le nécessaire , mais pour la conservation de la santé et ce convenable entretien de la personne de l’homme, sans quoi on ne pourrait pas paraître décemment au milieu de ceux avec qui des devoirs mutuels nous obligent à vivre.
13. Dans toutes ces choses on ne désire pour elles-mêmes que la santé et l’amitié; c’est pour elles qu’on cherche le nécessaire, quand on le cherche convenablement. La santé comprend à la fois la vie, le bon état et l’intégrité du corps et de l’esprit. Nous ne devons pas non plus réduire l’amitié à d’étroites limites; elle embrassé tous ceux à qui sont dus l’attachement et l’affection, quoiqu’on ait plus de penchant
1. Tim. VI, 6-10. — 2. Prov. XXX, 8, 9.

BENOÎT XVI : SAINTE AUGUSTIN (1) – 28 AOÛT

27 août, 2014

http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/audiences/2008/documents/hf_ben-xvi_aud_20080109_fr.html

BENOÎT XVI

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 9 janvier 2008

SAINTE AUGUSTIN (1) – 28 AOÛT

Chers frères et sœurs,

Après les grandes festivités de Noël, je voudrais revenir aux méditations sur les Pères de l’Eglise et parler aujourd’hui du plus grand Père de l’Eglise latine, saint Augustin: homme de passion et de foi, d’une très grande intelligence et d’une sollicitude pastorale inlassable, ce grand saint et docteur de l’Eglise est souvent connu, tout au moins de réputation, par ceux qui ignorent le christianisme ou qui ne le connaissent pas bien, car il a laissé une empreinte très profonde dans la vie culturelle de l’Occident et du monde entier. En raison de son importance particulière, saint Augustin a eu une influence considérable et l’on pourrait affirmer, d’une part, que toutes les routes de la littérature chrétienne latine mènent à Hippone (aujourd’hui Annaba, sur la côte algérienne), le lieu où il était Evêque et, de l’autre, que de cette ville de l’Afrique romaine, dont Augustin fut l’Evêque de 395 jusqu’à sa mort en 430, partent de nombreuses autres routes du christianisme successif et de la culture occidentale elle-même.
Rarement une civilisation ne rencontra un aussi grand esprit, qui sache en accueillir les valeurs et en exalter la richesse intrinsèque, en inventant des idées et des formes dont la postérité se nourrirait, comme le souligna également Paul VI: « On peut dire que toute la pensée de l’Antiquité conflue dans son œuvre et que de celle-ci dérivent des courants de pensée qui parcourent toute la tradition doctrinale des siècles suivants » (AAS, 62, 1970, p. 426). Augustin est également le Père de l’Eglise qui a laissé le plus grand nombre d’œuvres. Son biographe Possidius dit qu’il semblait impossible qu’un homme puisse écrire autant de choses dans sa vie. Nous parlerons de ces diverses œuvres lors d’une prochaine rencontre. Aujourd’hui, nous réserverons notre attention à sa vie, que l’on reconstruit bien à partir de ses écrits, et en particulier des Confessiones, son extraordinaire autobiographie spirituelle, écrite en louange à Dieu, qui est son œuvre la plus célèbre. Et à juste titre, car ce sont précisément les Confessiones d’Augustin, avec leur attention à la vie intérieure et à la psychologie, qui constituent un modèle unique dans la littérature occidentale, et pas seulement occidentale, même non religieuse, jusqu’à la modernité. Cette attention à la vie spirituelle, au mystère du « moi », au mystère de Dieu qui se cache derrière le « moi », est une chose extraordinaire sans précédent et restera pour toujours, pour ainsi dire, un « sommet » spirituel.
Mais pour en venir à sa vie, Augustin naquit à Taghaste – dans la province de Numidie de l’Afrique romaine – le 13 novembre 354, de Patrice, un païen qui devint ensuite catéchumène, et de Monique, fervente chrétienne. Cette femme passionnée, vénérée comme une sainte, exerça sur son fils une très grande influence et l’éduqua dans la foi chrétienne. Augustin avait également reçu le sel, comme signe de l’accueil dans le catéchuménat. Et il est resté fasciné pour toujours par la figure de Jésus Christ; il dit même avoir toujours aimé Jésus, mais s’être éloigné toujours plus de la foi ecclésiale, de la pratique ecclésiale, comme cela arrive pour de nombreux jeunes aujourd’hui aussi.
Augustin avait aussi un frère, Navigius, et une sœur, dont nous ignorons le nom et qui, devenue veuve, fut ensuite à la tête d’un monastère féminin. Le jeune garçon, d’une très vive intelligence, reçut une bonne éducation, même s’il ne fut pas un étudiant exemplaire. Il étudia cependant bien la grammaire, tout d’abord dans sa ville natale, puis à Madaure et, à partir de 370, la rhétorique à Carthage, capitale de l’Afrique romaine: maîtrisant parfaitement la langue latine, il n’arriva cependant pas à la même maîtrise du grec et n’apprit pas le punique, parlé par ses compatriotes. Ce fut précisément à Carthage qu’Augustin lut pour la première fois l’Hortensius, une œuvre de Cicéron qui fut ensuite perdue et qui marqua le début de son chemin vers la conversion. En effet, le texte cicéronien éveilla en lui l’amour pour la sagesse, comme il l’écrira, devenu Evêque, dans les Confessiones: « Ce livre changea véritablement ma façon de voir », si bien qu’ »à l’improviste toute espérance vaine perdit de sa valeur et que je désirai avec une incroyable ardeur du cœur l’immortalité de la sagesse » (III, 4, 7).
Mais comme il était convaincu que sans Jésus on ne peut pas dire avoir effectivement trouvé la vérité, et comme dans ce livre passionné ce nom lui manquait, immédiatement après l’avoir lu, il commença à lire l’Ecriture, la Bible. Mais il en fut déçu. Non seulement parce que le style latin de la traduction de l’Ecriture Sainte était insuffisant, mais également parce que le contenu lui-même ne lui parut pas satisfaisant. Dans les récits de l’Ecriture sur les guerres et les autres événements humains, il ne trouva pas l’élévation de la philosophie, la splendeur de la recherche de la vérité qui lui est propre. Toutefois, il ne voulait pas vivre sans Dieu et il cherchait ainsi une religion correspondant à son désir de vérité et également à son désir de se rapprocher de Jésus. Il tomba ainsi dans les filets des manichéens, qui se présentaient comme des chrétiens et promettaient une religion totalement rationnelle. Ils affirmaient que le monde est divisé en deux principes: le bien et le mal. Et ainsi s’expliquerait toute la complexité de l’histoire humaine. La morale dualiste plaisait aussi à saint Augustin, car elle comportait une morale très élevée pour les élus: et pour celui qui y adhérait, comme lui, il était possible de vivre une vie beaucoup plus adaptée à la situation de l’époque, en particulier pour un homme jeune. Il devint donc manichéen, convaincu à ce moment-là d’avoir trouvé la synthèse entre rationalité, recherche de la vérité et amour de Jésus Christ. Il en tira également un avantage concret pour sa vie: l’adhésion aux manichéens ouvrait en effet des perspectives faciles de carrière. Adhérer à cette religion qui comptait tant de personnalités influentes lui permettait également de poursuivre une relation tissée avec une femme et d’aller de l’avant dans sa carrière. Il eut un fils de cette femme, Adéodat, qui lui était très cher, très intelligent, et qui sera ensuite très présent lors de sa préparation au baptême près du lac de Côme, participant à ces « Dialogues » que saint Augustin nous a légués. Malheureusement, l’enfant mourut prématurément. Professeur de grammaire vers l’âge de vingt ans dans sa ville natale, il revint bien vite à Carthage, où il devint un maître de rhétorique brillant et célèbre. Avec le temps, toutefois, Augustin commença à s’éloigner de la foi des manichéens, qui le déçurent précisément du point de vue intellectuel car ils étaient incapables de résoudre ses doutes, et il se transféra à Rome, puis à Milan, où résidait alors la cour impériale et où il avait obtenu un poste de prestige grâce à l’intervention et aux recommandations du préfet de Rome, le païen Simmaque, hostile à l’Evêque de Milan saint Ambroise.
A Milan, Augustin prit l’habitude d’écouter – tout d’abord dans le but d’enrichir son bagage rhétorique – les très belles prédications de l’Evêque Ambroise, qui avait été le représentant de l’empereur pour l’Italie du Nord, et le rhéteur africain fut fasciné par la parole du grand prélat milanais et pas seulement par sa rhétorique; c’est surtout son contenu qui toucha toujours plus son cœur. Le grand problème de l’Ancien Testament, du manque de beauté rhétorique, d’élévation philosophique se résolvait, dans les prédications de saint Ambroise, grâce à l’interprétation typologique de l’Ancien Testament: Augustin comprit que tout l’Ancien Testament est un chemin vers Jésus Christ. Il trouva ainsi la clef pour comprendre la beauté, la profondeur également philosophique de l’Ancien Testament et il comprit toute l’unité du mystère du Christ dans l’histoire et également la synthèse entre philosophie, rationalité et foi dans le Logos, dans le Christ Verbe éternel qui s’est fait chair.
Augustin se rendit rapidement compte que la lecture allégorique des Ecritures et la philosophie néoplatonicienne pratiquées par l’Evêque de Milan lui permettaient de résoudre les difficultés intellectuelles qui, lorsqu’il était plus jeune, lors de sa première approche des textes bibliques, lui avaient paru insurmontables.
A la lecture des écrits des philosophes, Augustin fit ainsi suivre à nouveau celle de l’Ecriture et surtout des lettres pauliniennes. Sa conversion au christianisme, le 15 août 386, se situa donc au sommet d’un itinéraire intérieur long et tourmenté dont nous parlerons dans une autre catéchèse, et l’Africain s’installa à la campagne au nord de Milan, près du lac de Côme – avec sa mère Monique, son fils Adéodat et un petit groupe d’amis – pour se préparer au baptême. Ainsi, à trente-deux ans, Augustin fut baptisé par Ambroise, le 24 avril 387, au cours de la veillée pascale, dans la cathédrale de Milan.
Après son baptême, Augustin décida de revenir en Afrique avec ses amis, avec l’idée de pratiquer une vie commune, de type monastique, au service de Dieu. Mais à Ostie, dans l’attente du départ, sa mère tomba brusquement malade et mourut un peu plus tard, déchirant le cœur de son fils. Finalement de retour dans sa patrie, le converti s’établit à Hippone pour y fonder précisément un monastère. Dans cette ville de la côte africaine, malgré la présence d’hérésies, il fut ordonné prêtre en 391 et commença avec plusieurs compagnons la vie monastique à laquelle il pensait depuis longtemps, partageant son temps entre la prière, l’étude et la prédication. Il voulait uniquement être au service de la vérité, il ne se sentait pas appelé à la vie pastorale, mais il comprit ensuite que l’appel de Dieu était celui d’être un pasteur parmi les autres, en offrant ainsi le don de la vérité aux autres. C’est à Hippone, quatre ans plus tard, en 395, qu’il fut consacré Evêque. Continuant à approfondir l’étude des Ecritures et des textes de la tradition chrétienne, Augustin fut un Evêque exemplaire dans son engagement pastoral inlassable: il prêchait plusieurs fois par semaine à ses fidèles, il assistait les pauvres et les orphelins, il soignait la formation du clergé et l’organisation de monastères féminins et masculins. En peu de mots, ce rhéteur de l’antiquité s’affirma comme l’un des représentants les plus importants du christianisme de cette époque: très actif dans le gouvernement de son diocèse – avec également d’importantes conséquences au niveau civil – pendant ses plus de trente-cinq années d’épiscopat, l’Evêque d’Hippone exerça en effet une grande influence dans la conduite de l’Eglise catholique de l’Afrique romaine et de manière plus générale sur le christianisme de son temps, faisant face à des tendances religieuses et des hérésies tenaces et sources de division telles que le manichéisme, le donatisme et le pélagianisme, qui mettaient en danger la foi chrétienne dans le Dieu unique et riche en miséricorde.
Et c’est à Dieu qu’Augustin se confia chaque jour, jusqu’à la fin de sa vie: frappé par la fièvre, alors que depuis presque trois mois sa ville d’Hippone était assiégée par les envahisseurs vandales, l’Evêque – raconte son ami Possidius dans la Vita Augustini – demanda que l’on transcrive en gros caractères les psaumes pénitentiels « et il fit afficher les feuilles sur le mur, de sorte que se trouvant au lit pendant sa maladie il pouvait les voir et les lire, et il pleurait sans cesse à chaudes larmes » (31, 2). C’est ainsi que s’écoulèrent les derniers jours de la vie d’Augustin, qui mourut le 28 août 430, alors qu’il n’avait pas encore 76 ans. Nous consacrerons les prochaines rencontres à ses œuvres, à son message et à son parcours intérieur.

ST AUGUSTIN LIT ET COMMENTE ST JEAN – L’EGLISE ET LES PÊCHES MIRACULEU

1 août, 2014

http://peresdeleglise.free.fr/Augustin/eglise2.htm

ST AUGUSTIN LIT ET COMMENTE ST JEAN

CHAPITRE 8E : L’EGLISE (SUITE ET FIN)

L’EGLISE ET LES PÊCHES MIRACULEUSES.

Au Tr. 122, 6-7, Augustin, en rapprochant la pêche après la Résurrection avec la première pêche miraculeuse intervenue avant que Jésus ne commence sa prédication, montre que ces pêches sont des figures de l’Eglise :

ON RELIRA JN XXI, 3-11 :

Simon-Pierre leur dit: « Je m’en vais pêcher. » Ils lui dirent: « Nous venons nous aussi avec toi. » Ils sortirent, montèrent dans le bateau et, cette nuit-là, ils ne prirent rien.
Or, le matin déjà venu, Jésus se tint sur le rivage; pourtant les disciples ne savaient pas que c’était Jésus.
Jésus leur dit: « Mes enfants, n’auriez vous rien à manger? » Ils lui répondirent: « Non! »
Il leur dit: « Jetez le filet à droite du bateau et vous trouverez. » Ils le jetèrent donc et ils n’avaient plus la force de le tirer, tant il était plein de poissons.
Le disciple que Jésus aimait dit alors à Pierre: « C’est le Seigneur! » A ces mots: « C’est le Seigneur! » Simon-Pierre mit son vêtement-car il était nu-et il se jeta à l’eau.
Les autres disciples, qui n’étaient pas loin de la terre, mais à environ deux cents coudées, vinrent avec la barque, traînant le filet de poissons.
Une fois descendus à terre, ils aperçoivent, disposé là, un feu de braise, avec du poisson dessus, et du pain.
Jésus leur dit: « Apportez de ces poissons que vous venez de prendre. »
Alors Simon-Pierre monta dans le bateau et tira à terre le filet, plein de gros poissons: cent cinquante-trois; et quoiqu’il y en eût tant, le filet ne se déchira pas.
« Voici un grand mystère renfermé dans le sublime Evangile de saint Jean, et il l’a écrit en dernier lieu pour en faire ressortir l’importance à nos yeux. Les sept disciples qui prennent part à cette pêche, Pierre, Thomas, Nathanaël, les deux fils de Zébédée, et deux autres dont l’Evangéliste ne dit pas les noms, sont par leur nombre de sept la figure de la fin des temps, dont la révolution s’accomplit dans un espace de sept jours. C’est pour signifier la même vérité que le matin venu, Jésus se tient sur le rivage, car le rivage est comme l’extrémité de la mer et représente la fin du monde. Une autre figure de la fin du monde, c’est que Pierre tire le filet à terre, c’est-à-dire sur le rivage. Notre-Seigneur nous découvre lui-même le sens de cette figure, lorsque parlant dans un autre endroit de la comparaison du filet jeté dans la mer, il dit : « Et ils le tirent sur le rivage. » Qu’est-ce que ce rivage ? Il nous l’explique en ajoutant : « Il en sera ainsi à la fin du monde. » (Mt 13, 49)
Mais ce n’était là qu’un récit parabolique, et non un fait réel quoique figuratif. Or, c’est par un fait véritable que Notre-Seigneur a voulu figurer ici ce que sera l’Eglise à la fin du monde, de même qu’il a voulu figurer par une autre pêche (Luc, 5) ce qu’elle est pendant cette vie. Le premier miracle eut lieu au commencement de sa prédication, le second après sa résurrection. La première pêche représente les bons et les mauvais dont l’Eglise est maintenant composée, et la seconde les bons seulement dont elle sera exclusivement formée pour l’éternité après la résurrection des morts. Enfin la première fois Jésus ne se tenait pas comme ici sur le rivage, lorsqu’il commanda de jeter les filets, mais : « Etant monté dans une des barques qui était à Simon, il le pria de s’éloigner un peu de terre ; et s’étant assis il enseignait le peuple de dessus la barque. Lorsqu’il eut cessé de parler, il dit à Simon : Avance en pleine mer, et jetez vos filets pour pêcher. » (Ibid, 3, etc.) Les poissons qui furent pris alors, restèrent dans la barque, et on ne tira point comme ici le filet sur la terre. Toutes ces circonstances et les autres qu’on pourrait encore trouver sont autant de figures de l’Eglise tant qu’elle est dans ce monde ; la pêche actuelle représente au contraire l’Eglise à la fin du monde, voilà pourquoi l’une eut lieu avant, l’autre après la résurrection du Sauveur, d’un côté, Notre-Seigneur voulait figurer notre vocation, de l’autre notre résurrection. Dans la première pêche, les filets ne sont point jetés à droite de la barque pour n’être point le symbole exclusif des bons, ni à gauche pour n’être que la figure des mauvais, mais ils sont jetés indifféremment et sans distinction : « Jetez vos filets pour pêcher », leur dit Jésus pour nous faire comprendre le mélange nécessaire des bons et des mauvais. Ici, au contraire, il dit à Pierre : « Jetez le filet à droite de la barque », pour figurer seulement ceux qui se tiendront à la droite c’est-à-dire les bons exclusivement. La première fois le filet se rompait, image des schismes qui devaient déchirer l’Eglise ; ici ou dans la paix suprême dont jouiront des saints les schismes ne pourront plus trouver place, l’Evangéliste a pu dire : « Et malgré la grosseur des poissons, le filet ne se rompit pas. » Il semble faire allusion à la première pêche où le filet se rompit et faire ressortir par opposition la supériorité de la pêche actuelle où le filet ne se rompit pas. D’un côté, ils prirent une si grande quantité de poissons que les deux barques qui en étaient remplies étaient près de couler à fond, c’est-à-dire qu’elles étaient surchargées au point de couler à fond, car elles évitèrent en réalité ce danger dont elles avaient été menacées. D’où viennent dans l’Eglise ces scandales déplorables qui nous arrachent tant de gémissements ? C’est que nous sommes impuissants contre cette multitude innombrable qui entre dans l’Eglise et par ses mœurs diamétralement opposées à la voie que suivent les saints menace de submerger pour ainsi dire la discipline. Ici au contraire ils jetèrent le filet à la droite de la barque, « et ils ne pouvaient le tirer tant il y avait de poissons ». Que signifie cette circonstance : « Ils ne pouvaient le tirer » ? c’est que ceux qui auront part à la résurrection de la vie, en d’autres termes ceux qui sont à droite et sont morts dans les filets du nom chrétien, n’apparaîtront que sur le rivage, c’est-à-dire à la fin des siècles, après la résurrection. Aussi les disciples ne purent tirer les filets pour verser dans la barque les poissons qu’ils avaient pris, comme on avait fait pour cette multitude de poissons qui rompaient les filets et surchargeaient les barques. Ces poissons qui sont à la droite, l’Eglise les conserve cachés dans le sommeil de la paix comme dans les profondeurs de la mer, jusqu’à ce que le filet soit tiré sur le rivage distant de deux cents coudées. Dans la première pêche il y avait deux barques qui figuraient le peuple de la circoncision et les Gentils ; dans la seconde ces deux cents coudées figuraient les élus des deux peuples de la circoncision et des Gentils, composé chacun du nombre cent ; parce qu’arrivé à la somme de cent le nombre passe à droite. Enfin dans la première pêche on ne parle point du nombre des poissons, et nous y voyons comme un accomplissement de la prédiction du Roi-prophète : « J’ai voulu annoncer vos œuvres, leur multitude m’a paru innombrable ». (Ps 39, 6). Ici au contraire ce nombre est précisé, il y en avait cent cinquante-trois, et il nous faut avec la grâce de Dieu donner la raison de ce nombre. »
Augustin va commenter ce chiffre, y voyant un chiffre symbolique, dont il veut donner la raison à son auditoire : même si le goût d’Augustin pour la numérologie et les explications qu’ils donnent prêtent souvent à sourire, et sans s’arrêter sur tout le détail de sa démonstration dont l »intérêt est inégal, on y verra cependant, si l’on veut aller au bout de la lecture, en se reportant au Tr. 122, 8-9 une source supplémentaire de méditation spirituelle car Augustin découvre à nos yeux et développe de nouveaux symboles et de nouveaux sens.

Les sacrements de l’Eglise

Augustin va développer, après plusieurs Pères, l’idée que l’Eglise a été formée, comme la nouvelle Eve, du côté percé du Christ en croix. : cette blessure est la source des sacrements. Dans les Tr. IX, 10, 15, 8, 120, 2… (ci-dessous), mais ailleurs aussi (Sermons, Enn in Ps…). On a là le rapprochement mystérieux de l’épisode du coup de lance (Jn 19, 34) de la création de la femme à partir de la côte d’Adam (Gn 2, 21-24).

Augustin souligne le parallélisme des deux scènes : on a deux éléments semblables sur trois :

« Deux sont semblables, le sommeil et la mort, le côté et le côté… Mais du côté d’Adam Eve a été formée qui, en péchant, nous mènerait à la mort ; du côté du Christ l’Eglise a été formée qui, en nous enfantant, nous mènerait à la vie. »
Avec ce thème, Augustin prolonge ce qu’il a déjà dit de l’Eglise : en s’unissant à la chair humaine dans le sein de la Vierge, le Verbe a épousé l’Eglise dans son principe puisque « l’origine et les prémices de l’Eglise sont la chair du Christ » (Commentaire sur la 1ère Ep. de St Jean, Tr. 2, 2).
Noter encore que l’ouverture pratiquée sur le côté de l’arche de Noé explique ce que signifie l’ouverture du côté du Christ :
« La porte que l’arche reçut sur le côté, c’est assurément la blessure qu’ouvrit la lance dans le côté du Crucifié : par là, en vérité, entrent ceux qui viennent à lui, car de là découlèrent les sacrements par lesquels les croyants sont initiés » (De la cité de Dieu, 15, 26, 1)
« Adam dort pour qu’Eve soit formée ; le Christ meurt pour que l’Eglise soit formée. Pendant le sommeil d’Adam Eve est formée de son côté ; après la mort du Christ son côté est frappé par la lance afin que jaillissent les sacrements dont sera formée l’Eglise. Qui ne verrait que dans ces faits du passé l’avenir était figuré, puisque l’Apôtre déclare qu’Adam lui-même était le type de celui qui doit venir : Il est, dit-il, le type de celui qui doit venir. Tout était d’avance mystérieusement figuré. Il ne faut pas croire en effet que Dieu n’était pas réellement capable de tirer une côte d’Adam éveillé pour en former la femme. Ou bien pour que son côté ne souffrît pas quand la côte lui fut enlevée, était-il nécessaire qu’il dormît ? Mais qui pourrait dormir si profondément qu’on puisse lui arracher des os sans qu’il s’éveille ? Ou bien l’homme était-il insensible parce que c’était Dieu qui lui enlevait cette côte ? Il pouvait donc aussi la lui arracher sans douleur pendant qu’il était éveillé puisqu’il a pu le faire durant son sommeil. » (Tr. IX, 10, p. 531).
« Des soldats vinrent donc et rompirent les jambes du premier et de l’autre qu’on avait crucifié avec lui. Et s’approchant de Jésus, quand ils virent qu’il était déjà mort, ils ne lui rompirent point les jambes ; mais un des soldats lui ouvrit le côté avec une lance, et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau » (Jn 19, 32, 34). L’Evangéliste s’est servi d’une expression choisie à dessein ; il ne dit pas : il frappa ou il blessa son côté, ou toute autre chose semblable ; mais : « Il ouvrit son côté », pour nous apprendre qu’il ouvrait ainsi la porte de la vie d’où sont sortis les sacrements de l’Eglise, sans lesquels on ne peut avoir d’accès à la véritable vie. Ce sang a été répandu pour la rémission des péchés ; cette eau vient se mêler pour nous au breuvage du salut ; elle est à la fois un bain qui purifie et une boisson rafraîchissante. Nous voyons une figure de ce mystère dans l’ordre donné à Noé d’ouvrir sur un des côtés de l’arche une porte par où pussent entrer les animaux qui devaient échapper au déluge et qui représentaient l’Eglise (Gn 6, 16). C’est en vue de ce même mystère que la première femme fut faite d’une des côtes d’Adam pendant son sommeil, et qu’elle fut appelée la vie et la mère des vivants. (Gn 2, 22). Elle était la figure d’un grand bien, avant le grand mal de la prévarication. Nous voyons ici le second Adam s’endormir sur la croix, après avoir incliné la tête, pour qu’une épouse aussi lui fût formée par ce sang et cette eau qui coulèrent de con côté après sa mort. O mort, qui devient pour les morts un principe de résurrection et de vie ! Quoi de plus pur que ce sang ? Quoi de plus salutaire que cette blessure ? » (Tr 120, 2).
L’Eglise Corps du Christ.

Il convient d’approfondir cette idée partout développée. Le Temple de Jérusalem, construction de pierres et de bois, n’était pour Augustin qu’une image du vrai Temple qu’est le Corps du Christ (en entendant alors que le Temple est l’assemblée des croyants). En tant qu’ils vivent dans la charité, les fidèles forment tous ensemble l’Eglise qui est ainsi le Corps du Christ. Tous ceux qui croient dans le Christ en aimant « sont comme les pierres vivantes dont le Temple de Dieu est bâti » (Tr. 10). Dans cette perspective prend tout son sens l’expulsion des vendeurs du Temple :
« C’est en figure que le Seigneur a chassé du Temple les hommes qui cherchaient leurs propres intérêts, c’est-à-dire qui allaient au Temple pour vendre et pour acheter. Mais si ce Temple était une figure, il est évident que le corps du Christ, qui est le vrai Temple dont l’autre était une image, renferme aussi des acheteurs et des vendeurs, c’est-à-dire des gens qui recherchent leurs propres intérêts, non ceux de Jésus-Christ. » (Enn. in Ps. 130).
L’union de la Tête et du Corps, du Christ et de l’Eglise n’est pas pour Augustin un image ou une comparaison : il prend toujours cela au sens littéral comme exprimant une réalité mystérieuse et désignant l’organisme vivant que forment ensemble le Christ et l’Eglise avec ses membres. Il dit notamment à propos de la Vigne et des sarments :
« [Le Seigneur] s’exprime en tant que le Christ Jésus homme, médiateur entre Dieu et les hommes est la Tête de l’Eglise et que nous sommes ses membres. La vigne et les sarments sont en effet d’une seule nature : c’est pourquoi, alors qu’il était Dieu, à la nature duquel nous n’appartenons pas, il s’est fait homme pour que la nature humaine soit en lui la vigne dont nous-mêmes, les hommes, nous pourrions être les sarments. » (Tr. 80, 1, vol. 74B, p. 69).
Les apôtres et l’Eglise.
Augustin insiste tout particulièrement sur Pierre et Jean tels qu’ils sont présentés dans la fin de l’Evangile de Jean (Jn, 21). Tous deux sont les figures de l’Eglise, chacun à sa façon.
Pierre à qui sont données les clefs du royaume (pour suivre Jésus : Viens, suis moi)
Jean qui reposa sur Sa poitrine (pour contempler et attendre dans le désir le retour du Christ : « s’il me plaît qu’il demeure… « )
Nous avons un commentaire concernant les caractéristiques symboliques des deux apôtres tout particulièrement dans le Tr 122, mais Augustin revient à diverses reprises sur cette « opposition » significative qui révèle le mystère de l’Eglise : chacun à sa façon est figure de l’Eglise.

Pierre
Le Christ ne confie pas les clefs à Pierre à titre personnel, mais comme un don qu’il fait à son Eglise : « En beaucoup de passages des Ecritures, il apparaît que Pierre joue le rôle de l’Eglise, mais surtout dans ce passage où il est dit : Je te donnerai les clefs du Royaume des cieux ; tout ce que tu lieras sur la terre sera aussi lié dans le ciel et tout ce que tu délieras sur la terre sera aussi délié dans le ciel [Mt 16, 19]. Est-ce que Pierre a reçu ces clefs et que Paul ne les a pas reçues ? Est-ce que Pierre a reçu ces clefs et que Jacques, Jean et les autres apôtres ne les ont pas reçues ? Ou bien ces clefs ne sont-elles pas dans l’Eglise où chaque jour les péchés sont remis ? Mais parce que Pierre jouait le rôle de l’Eglise en figure, ce qui lui a été donné à lui seul a été donné à l’Eglise. Pierre par conséquent figurait l’Eglise et l’Eglise est le Corps du Christ. » (Sermon 149, 6, 7)
« … si le mystère de l’Eglise ne se trouvait pas symboliquement en Pierre, le Seigneur ne lui dirait pas : Je te donnerai les clefs du Royaume des cieux ; tout ce que tu délieras sur la terre sera aussi délié dans le ciel et tout ce que tu lieras sur la terre sera aussi lié dans le ciel. Si cette parole a été dite seulement à Pierre, l’Eglise ne le fait pas. Mais s’il se fait aussi dans l’Eglise que ce qui est lié sur la terre est lié dans le ciel et que ce qui est délié sur la terre est délié dans le ciel, puisque, quand l’Eglise prive de sa communion, celui qui est privé de sa communion est lié dans le ciel et que, quand il est réconcilié, celui qui est réconcilié est délié dans le ciel, si donc cela se fait dans l’Eglise, c’est que Pierre, quand il recevait les clefs, signifiait la sainte Eglise. » (Tract L, 12, p. 281).
Jean
« Le disciple que Jésus aimait ». De toute la vie de l’apôtre c’est l’épisode du dernier repas qu’Augustin rappelle le plus souvent et avec le plus d’insistance.
Augustin insiste à maintes reprises sur le type de connaissance donné à Jean qui reposait sur la poitrine du Christ. Nous avons déjà cité dans l’introduction :
« Il reposait à la Cène sur la poitrine du Seigneur pour indiquer par là en signe qu’il buvait les plus profonds secrets à l’intime de son cœur » (Tr 18, 1)
« L’évangéliste Jean ne reposait pas sans cause sur la poitrine du Seigneur, mais pour y boire les secrets de sa plus haute sagesse et reprêcher dans son Evangile ce qu’il avait bu dans son amour. » (Tr 20, 1)
« En le faisant reposer sur sa poitrine, je crois que le Seigneur recommandait plus fortement de cette manière l’excellence divine de cet Evangile qui serait prêché par lui. » (Tr 119, 2)
On peut signaler à ce propos que la traduction de la « Bible Bayard » rapproche explicitement le Prologue et Jn 13, 23-25 :
« Dieu, personne ne l’a jamais vu, mais le Fils unique, Dieu appuyé contre le cœur du Père, l’a raconté. »
« Un des disciples était appuyé contre le cœur de Jésus, le bien-aimé de Jésus : Simon-Pierre lui fait signe de s’informer : De qui peut-il bien parler ? Et lui, appuyé contre le cœur de Jésus demande : Qui est-ce, Seigneur ? » [c'est nous qui soulignons].
Ce repos sur la poitrine est ce qui explique le caractère si singulier des écrits de Jean qui est le seul à souligner aussi profondément l’intimité du Père et du Fils : Le Père et moi nous sommes un, Celui qui m’a vu a vu le Père, etc.
Augustin met explicitement en rapport avec le geste de la Cène, la solennelle proclamation qui ouvre le 4e Evangile :
« A la poitrine du Seigneur Jean buvait les secrets des mystères et, ayant bu à la poitrine du Seigneur, il a reprêché sa divinité : Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu. » (Comment. 1ère Epître, 1, 8).
Nous avons déjà signalé le rapport entre « sein » et « secret » que l’on peut établir à partir du mot latin sinus.

 

PAR SAINT AUGUSTIN PSAUME 4: LE VRAI BONHEUR

30 juin, 2014

http://docteurangelique.free.fr/livresformatweb/complements/psaumessaintaugustin.htm#_Toc71884705

PAR SAINT AUGUSTIN

PSAUME 4: LE VRAI BONHEUR

Le Prophète nous montre dans ce cantique l’âme qui s’élève au-dessus des biens terrestres et périssables pour trouver en Dieu le repos et le bonheur.
POUR LA FIN, PSAUME CANTIQUE DE DAVID (Ps. IV, 1).
1. « Le Christ est la fin de la loi pour justifier tous ceux qui croiront en lui (Rom. X, 4) »; mais cette fin a le sens de perfectionnement et non de destruction. On peut se demander si tout cantique est un psaume, ou plutôt si tout psaume ne serait pas un cantique; s’il y a des cantiques auxquels ne conviendrait pas le nom de psaume, et des psaumes que l’on ne pourrait appeler cantiques. Mais il est bon de voir dans les Ecritures, si le titre de cantique n’indiquerait pas la joie; et le nom de psaumes indiquerait des chants exécutés sur le psaltérion, dont se servit David, au rapport de l’histoire (I Par. XIII, 8), pour figurer un grand mystère, que nous n’approfondirons pas ici; cela exige de longues recherches, et une longue discussion. Ecoutons aujourd’hui la parole de l’Homme-Dieu, après sa résurrection, ou du disciple de l’Eglise qui croit et qui espère en lui.
2. « Quand je priais, le Dieu de ma justice m’a exaucé (Ps. IV, 2) ». Ma prière, dit-il, a été exaucée par Dieu, auteur de ma justice. « Dans les tribulations, vous avez dilaté mon cœur (Ibid.), vous m’avez fait passer des étreintes de la douleur aux dilatations de la joie; car la tribulation et l’étreinte sont le partage de l’âme, chez tout homme qui fait le mal (Rom. II, 9) ». Mais celui qui dit: « Nous nous réjouissons dans les afflictions, sachant que l’affliction produit la patience »; jusqu’à ces paroles: « Parce que l’amour de Dieu est répandu dans nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné (Rom. V, 3-5) »: celui-là n’endure point les étreintes du coeur, quoi que fassent pour les lui causer ses persécuteurs du dehors. Le verbe est à la troisième personne, quand le Prophète s’écrie: « Dieu m’a exaucé », et à la seconde, quand il dit: « Vous avez dilaté mon coeur »; si ce changement n’a point pour but la variété ou l’agrément du discours, on peut s’étonner qu’il ait voulu d’abord proclamer devant les hommes qu’il a été exaucé, puis interpeller son bienfaiteur. Sans doute qu’après avoir dit qu’il a été exaucé dans la dilatation de son coeur, il a préféré s’entretenir avec Dieu, afin de nous montrer par là que dans cette dilatation du coeur, Dieu lui-même se répand dans notre âme qui s’entretient avec lui intérieurement. Ceci s’applique très-bien au fidèle qui croit en Jésus-Christ, et en reçoit la lumière; mais je ne vois point comment nous pourrions l’entendre de Notre Seigneur, puisque la divine sagesse unie à son humanité, ne l’a point abandonné un instant. Toutefois, de même que dans la prière il faisait ressortir notre faiblesse plutôt que la sienne; de même aussi, dans cette dilatation du coeur, Notre Seigneur peut parler au nom des fidèles, dont il s’attribue le rôle quand il dit: « J’ai eu faim, et vous ne m’avez pas nourri; j’ai eu soif, et vous ne m’avez point donné à boire (Matt. XXV, 35), et le reste.
De même encore Notre Seigneur peut dire: « Vous avez dilaté mon coeur», en parlant au
nom de quelque humble fidèle, qui s’entretient avec Dieu dont il ressent en son âme l’amour répandu par l’Esprit-Saint qui a été donné. « Ayez pitié de moi, écoutez mes supplications (Ps. IV, 2) ». Pourquoi cette nouvelle prière, lorsque déjà il s’est dit exaucé et dilaté? Serait-ce à cause de nous dont il est dit: « Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons par la patience (Rom. VIII, 25)? » ou bien demanderait-il à Dieu de perfectionner ce qui est commencé chez celui qui a cru?
3. « Enfants des hommes, jusques à quand vos coeurs seront-ils appesantis (Ps. IV, 3)?» Du moins, si vos égarements ont duré jusqu’à l’avènement du Fils de Dieu, pourquoi prolonger au delà cette torpeur de vos âmes? Quand cesserez-vous de vous tromper, sinon en présence de la vérité? « A quoi bon vous éprendre des vanités, et rechercher le mensonge (Ibid.)? » Pourquoi demander à des choses sans prix, un bonheur que peut seule vous donner la vérité, qui donne à tout le reste la consistance? « Car vanité des vanités, tout est vanité. Qu’a de plus l’homme de tout le labeur dans lequel il se consume sous le soleil (Eccl. I, 2,4)?» Pourquoi vous laisser absorber par l’amour des biens périssables? Pourquoi rechercher comme excellents des biens sans valeur? C’est là une vanité, un mensonge; car vous prétendez donner la durée auprès de vous à ce qui doit passer comme une ombre.
4. « Et sachez que le Seigneur a glorifié son saint (Ps. IV, 4) ». Quel saint, sinon celui qu’il a ressuscité d’entre les morts, et qu’il a fait asseoir à sa droite dans les cieux? Le Prophète excite ici les hommes à se détacher du monde pour s’attacher à Dieu. Si cette liaison « et sachez »paraît étrange, il est facile de remarquer dans les Ecritures, que cette manière de parler est familière à la langue des Prophètes. Vous les voyez souvent commencer ainsi: « Et le Seigneur lui dit, et la parole du Seigneur se fit entendre à lui (Ezéch., I, 3) ». Cette liaison que ne précède aucune pensée, et qui ne peut y rattacher la pensée suivante, nous montrerait la transition merveilleuse entre l’émission de la vérité par la bouche du Prophète, et la vision qui a lieu dans son âme. Ici néanmoins, on pourrait dire que la première pensée: « Pourquoi aimer la vanité et rechercher le mensonge? » signifie: gardez-vous d’aimer la vanité, et de courir après le mensonge; après viendrait fort bien cette parole: « Et sachez que le Seigneur a glorifié son Saint ». Mais un Diapsalma, qui sépare ces deux versets, nous empêche de les rattacher l’un à l’autre. On peut, avec les uns, prendre ce Diapsalma, pour un mot hébreu qui signifie: Ainsi soit-il! ou avec d’autres, pour un mot grec désignant un intervalle dans la psalmodie; en sorte qu’on appellerait Psalma le chant qui s’exécute, Diapsalma un silence dans le chant, et que Sympsalma, indiquant l’union des voix, pour exécuter une symphonie, Diapsalma en marquerait la désunion, un repos, une discontinuation. Quel que soit le sens que l’on adopte, il en résulte du moins cette probabilité, qu’après un Diapsalma le sens est interrompu et ne se rattache point à ce qui précède.
5. « Le Seigneur m’exaucera quand je crierai vers lui (Ps. IV, 4) ». Cette parole me paraît une exhortation à demander le secours de Dieu, dans toute la force de notre coeur, ou plutôt avec un gémissement intérieur et sans bruit. Comme c’est un devoir de remercier Dieu du don de la lumière en cette vie, c’en est un aussi, de lui demander le repos après la mort. Que nous mettions ces paroles dans la bouche du prédicateur fidèle, ou de notre Seigneur, elles signifient: « Le Seigneur vous exaucera quand vous l’invoquerez ».
6. « Mettez-vous en colère, mais ne péchez point (Ps. IV, 5) ». On pouvait se demander: Qui est digne d’être exaucé, ou comment ne serait-il pas inutile pour le pécheur de s’adresser à Dieu? Le Prophète répond donc: « Entrez en colère, mais ne péchez point ». Réponse qui peut s’entendre en deux manières; ou bien: « Même dans votre colère, ne péchez point », c’est-à-dire, quand s’élèverait en vous ce mouvement de l’âme que, par un châtiment du péché, nous ne pouvons dominer, que du moins il soit désavoué par cette raison, par cette âme que Dieu a régénérée intérieurement, afin que du moins nous fussions soumis à la loi de Dieu par l’esprit, si par la chair nous obéissons encore à la loi du péché (Rom. VII, 25). Ou bien: Faites pénitence, entrez en colère contre vous-mêmes, à cause de vos désordres passés, et ne péchez plus à l’avenir. « Ce que vous dites, dans vos cœurs », suppléez: « dites-le », de manière que la pensée complète soit celle-ci: Dites bien de coeur ce que vous dites, et ne soyez pas un peuple dont il est écrit: « Ce peuple m’honore des lèvres, et les coeurs sont loin de moi (Isa. XXIX, 13). Soyez contrits dans le secret de vos demeures (Ps. IV, 5)». Le Prophète avait dit dans le même sens: « Dans vos cœurs », c’est-à-dire dans ces endroits secrets où le Seigneur nous avertit de prier après en avoir fermé les portes (Matt. VI, 6). Ce conseil: « Soyez contrits », ou bien recommande cette douleur de la pénitence qui porte l’âme à s’affliger, à se châtier elle-même, pour échapper à cette sentence de Dieu qui la condamnerait aux tourments, ou bien c’est un stimulant qui nous tient dans l’éveil, afin que nous jouissions de la lumière du Christ. Au lieu de: « Repentez-vous », d’autres préfèrent: « Ouvrez-vous », à cause de cette expression du psautier grec: katanugete, qui a rapport à cette dilatation du coeur nécessaire à la diffusion de la charité par l’Esprit-Saint.
7. « Offrez un sacrifice de justice, et espérez au Seigneur (Ps. IV, 6) ». Le Psalmiste a dit ailleurs: « Le sacrifice agréable à Dieu est un cœur contrit (Id. L, 19) ». Alors un sacrifice de justice peut bien s’entendre de celui qu’offre une âme pénitente. Quoi de plus juste que de s’irriter plutôt contre ses propres fautes que contre celles des autres, et de s’immoler à Dieu en se châtiant? Ou bien, par sacrifice de justice faudrait-il entendre les bonnes oeuvres faites après la pénitence? Car le « Diapsalma» placé ici pourrait fort bien nous indiquer la transition de la vie passée à une vie nouvelle; en sorte que le vieil homme étant détruit ou du moins affaibli par la pénitence, l’homme devenu nouveau par la régénération, offre à Dieu un sacrifice de justice, quand l’âme purifiée s’offre et s’immole sur l’autel de la foi, pour être consumée par le feu divin ou par le Saint-Esprit. En sorte que: « Offrez un sacrifice de justice et espérez dans le Seigneur », reviendrait à dire: Vivez saintement, attendez le don de l’Esprit-Saint, afin que vous soyez éclairés par cette vérité à laquelle vous avez cru.
8. Néanmoins « espérez dans le Seigneur » est encore obscur. Qu’espérons-nous, sinon des biens? Mais chacun veut obtenir de Dieu le bien qu’il préfère, et l’on trouve rarement un homme pour aimer les biens invisibles, ces biens de l’homme intérieur, seuls dignes de notre attachement, puisqu’on ne doit user des autres que par nécessité, et non pour y mettre sa joie. Aussi le Prophète, après avoir dit: « Espérez dans le Seigneur », ajoute avec beaucoup de raison: « Beaucoup disent: Qui nous montre des biens (Ps. IV, 6)?» discours et question que nous trouvons journellement dans la bouche des insensés et des méchants qui veulent jouir ici-bas d’une paix, d’une tranquillité que la malignité des hommes les empêche d’y trouver. Dans leur aveuglement, ils osent accuser l’ordre providentiel, et se roulant dans leurs propres forfaits, ils pensent que les temps actuels sont pires que ceux d’autrefois. Ou bien aux promesses que Dieu nous fait de la vie future, ils opposent le doute et le désespoir, et nous répètent sans cesse Qui sait si tout cela est vrai, ou qui est revenu d’entre les morts pour nous en parler? Le Prophète expose donc admirablement et en peu de mots, mais seulement aux yeux de la foi, les biens que nous devons chercher. Quant à ceux qui demandent: « Qui nous montrera la félicité? » il répond: « La lumière de votre face est empreinte sur nous, ô Dieu (Ibid. 7) ». Cette lumière qui brille à l’esprit et non aux yeux, est tout le bien réel de l’homme. Selon le Prophète, « nous en portons l’empreinte », comme le denier porte l’image du prince. Car l’homme à sa création reflétait l’image et la ressemblance de Dieu (Gen. I, 26), image que défigura le péché: le bien véritable et solide pour lui est donc d’être marqué de nouveau par la régénération. Tel est, je crois, le sens que de sages interprètes ont donné à ce que dit le Sauveur, en voyant la monnaie de César: « Rendez à César ce qui est de César, et à Dieu ce qui est de Dieu (Matt. XXII, 21) », comme s’il eût dit: Il en est de Dieu comme de César, qui exige que son image soit empreinte sur la monnaie; si vous rendez cette monnaie au prince, rendez à Dieu votre âme marquée à la lumière de sa face. « Vous avez mis la joie dans mon coeur ». Ce n’est donc point à l’extérieur que doivent chercher la joie, ces hommes lents de coeur, aimant la joie et recherchant le mensonge, mais à l’intérieur, où Dieu a gravé le signe de sa lumière. Car l’Apôtre l’a dit: « Le Christ habite chez l’homme (133) intérieur (Ephés. III, 17)», auquel il appartient de voir cette vérité dont le Sauveur a dit: « La vérité, c’est moi (Jean, XIV, 6) ». Il parlait par la bouche de saint Paul, qui disait: « Voulez-vous éprouver le pouvoir de Jésus-Christ qui parle en moi (II Cor. XIII, 3)?» et son langage n’était point extérieur, mais dans l’intimité du coeur, dans ce lieu secret où nous devons prier (Matt. VI, 6).
9. Mais les hommes, en grand nombre, épris des biens temporels, incapables de voir dans leurs coeurs les biens réels et solides, n’ont su que demander: « Qui nous montrera les biens? » C’est donc avec justesse qu’on peut leur appliquer le verset suivant « Ils se sont multipliés à la récolte de leur froment, de leur vin et de leur huile (Ps. IV, 8) ». Et s’il est dit « leur froment », ce n’est pas sans raison; car il y a aussi un froment de Dieu, « qui est le pain vivant descendu du ciel (Jean, VI, 51) ». Il y a un vin de Dieu, puisqu’ils « seront enivrés dans l’abondance de sa maison (Ps. XXXV, 9) ». Il y a aussi une huile de Dieu, dont il est dit « Votre huile a parfumé ma tête (Ibid. XXII, 5) ». Ces hommes nombreux, qui disent: « Qui nous montrera les biens? » et ne voient pas le royaume de Dieu qui est en eux-mêmes (Luc, XVII, 22), « se sont donc multipliés par la récolte de leur froment, de leur vin et de leur huile». Se multiplier, en effet, ne se dit pas toujours de l’abondance, mais quelquefois de la pénurie, alors qu’une âme enflammée pour les voluptés temporelles d’un désir insatiable, devient la proie de pensées inquiètes qui la partagent, et l’empêchent de comprendre le vrai bien qui est simple. C’est d’une âme en cet état qu’il est dit: « Le corps qui se corrompt appesantit l’âme, et cette habitation terrestre accable l’esprit d’une foule de pensées (Sag. IX, 15) ». Partagée par cette foule innombrable de fantômes que lui causent les biens terrestres, s’approchant d’elle sans relâche pour s’en éloigner, ou la récolte de son froment, de son vin et de son huile, elle est loin d’accomplir ce précepte: « Aimez Dieu dans sa bonté, et recherchez-le dans la simplicité de l’âme (Id. I, 1)». Cette simplicité est incompatible avec ses occupations multiples. Mais, à l’encontre de ces hommes nombreux qui se jettent sur l’appât des biens temporels, et qui disent: « Qui nous montrera les biens » que l’on ne voit point des yeux, mais qu’il faut chercher dans la simplicité du coeur? l’homme fidèle dit avec transport: « C’est en paix que je m’endormirai dans le Seigneur et que je prendrai mon repos (Ps. IV, 9)». Il a droit d’espérer en effet que son coeur deviendra étranger aux choses périssables, qu’il oubliera les misères de ce monde, ce que le Prophète appelle justement un sommeil et un repos, et ce qui est la figure de cette paix que nul trouble n’interrompt. Mais un tel bien n’est point de cette vie, nous devons l’attendre seulement après la mort, comme nous l’enseignent encore les paroles du Prophète qui sont au futur, car il n’est pas dit: J’ai pris mon sommeil, mon repos; non plus que: Je m’endors, je me repose; mais bien: « Je dormirai, je prendrai mon repos. Alors ce corps corruptible sera revêtu d’incorruptibilité, ce corps mortel sera revêtu d’immortalité, et la mort elle-même sera absorbée dans la victoire (I Cor. XV, 54) ». De là ce mot de l’Apôtre: « Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons par la patience (Rom. VIII, 25).
10. Aussi le Prophète a-t-il eu raison d’ajouter: « Parce que c’est vous, Seigneur, qui m’avez singulièrement affermi, d’une manière unique, dans l’espérance (Ps. IX, 10) ». Il ne dit point ici: qui m’affermirez, mais bien: « Qui m’avez affermi ». Celui-là donc qui a conçu une telle espérance jouira certainement de ce qu’il espère. L’adverbe « singulièrement», est plein de sens, car on peut l’opposer à cette foule qui se multiplie, par la récolte de son froment, de son vin et de son huile, e-t qui s’écrie: « Qui nous montrera les biens? »Cette multitude périra, mais l’unité subsistera dans les saints, dont il est dit dans les Actes des Apôtres: « La multitude de ceux qui « croyaient n’avait qu’un coeur et qu’une âme (Act. IX, 32) ». Il nous faut donc embrasser la singularité, la simplicité, c’est-à-dire nous soustraire à cette foule sans nombre de choses terrestres qui naissent pour mourir bientôt, et nous attacher à ce qui est un et éternel, si nous voulons adhérer au seul Dieu, notre Seigneur.

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