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Lectures patristiques du Pater
L’exégèse patristique du Pater, du IIe au VIe siècle, est d’une grande richesse mais aussi d’une grande unité. Sa dimension théologique est loin d’être négligeable, même si elle privilégie la dimension morale du texte, son caractère de règle de vie chrétienne.
La prière du chrétien et de l’Eglise. L’oraison dominicale ( » oratio dominica ») : telle est l’appellation donnée par les Pères de l’Eglise au » Notre Père ». Elle en souligne l’origine : c’est la prière du Seigneur ( » Dominus »), la seule que le Maître ait un jour enseignée à ses disciples. Elle était donc appelée à devenir la prière par excellence du chrétien et de l’Eglise. Avec le » Credo », elle constitue le second élément du dépôt de foi confié à chaque catéchumène au moment du baptême. Cela fait du » Notre Père » une prière spécifiquement chrétienne. Elle appartient en propre aux baptisés ; les catéchumènes ont à l’apprendre et à en pénétrer le sens au cours de leur initiation, mais ils ne pourront s’y associer qu’après leur baptême. Jusque-là, en effet, demeurant exclus de la liturgie eucharistique, ils le sont aussi de la récitation du » Pater » qui précède le rite de communion. Dans sa double dimension de prière communautaire et liturgique, et de prière personnelle du chrétien en son particulier, » dans le secret de sa chambre » (cf. Mt 6,5-8), le » Notre Père » est donc au cœur de la vie de tout baptisé ou, pour le dire avec le vocabulaire contemporain de la génétique, un » marqueur » de son identité chrétienne.Les commentaires patristiques C’est pourquoi le » Pater » est l’un des textes de l’Evangile les plus commentés par les Pères, et sous différentes formes. L’une des plus habituelles était naturellement celle des catéchèses baptismales, puisque le commentaire du » Pater » était un élément fondamental de l’initiation chrétienne : nous en avons conservé plusieurs, celles notamment de Cyrille de Jérusalem et de Théodore de Mopsueste (IVe s.). Il faut y ajouter le petit traité » Sur les sacrements », attribué à Ambroise de Milan (IVe s.), d’autant qu’il présente un certain nombre de ressemblances avec les » Catéchèses mystagogiques » de Cyrille et qu’il constitue, comme elles, une catéchèse post-baptismale, destinée à expliquer aux nouveaux baptisés le sens des sacrements qu’
ils viennent de recevoir.
Plus anciens toutefois sont les traités entièrement consacrés à un commentaire continu du » Pater » ou les traités sur la prière, qui lui réservent toujours une place importante. Le plus ancien de tous les traités sur le » Pater » qui nous sont parvenus est celui de Tertullien, rédigé à l’aube du IIIe s. Quelques décennies plus tard, Cyprien de Carthage s’en inspire largement pour écrire à son tour un traité sur L’Oraison dominicale (vers 252). Les deux traités exerceront une influence considérable en Occident, celui de Cyprien surtout dont Augustin faisait grand cas et dont sa propre explication du » Pater » porte la marque, alors que le passage de Tertullien au montanisme et sa rupture avec la Grande Eglise ont nui à la diffusion de son traité. Néanmoins, relayée par celle d’Augustin (IVe-Ve s.), c’est bien fondamentalement l’explication du » Pater » donnée par les deux premiers Africains qui demeure à la source de presque toute l’exégèse latine jusqu’au moyen âge et même au-delà.Près de vingt ans avant Cyprien, vers 233-234, le grand exégète grec Origène, à la demande de son mécène et ami Ambroise, compose un traité sur la prière ( » Peri euchè »s), dont les chapitres 22 à 30 forment un long commentaire du » Pater ». Comme celui de Tertullien pour l’exégèse latine, il joue pour l’exégèse grecque le rôle d’un texte fondateur et de référence, et son influence se fera sentir jusqu’en Occident. Au VIIe siècle, un grand théologien grec, Maxime le Confesseur, rédige à son tour un » Commentaire du Pater ».
De nombreux autres commentaires se présentent sous la forme d’homélies ou de sermons. Il peut s’agir d’homélies consacrées à l’explication intégrale de l’Evangile de Matthieu – celles, par exemple, de Jean Chrysostome, de Jérôme ou de Chromace d’Aquilée (IVe s.) – ou de l’Evangile de Luc — celles de Titus de Bostra (IVe s.), dont ne sont conservés que des fragments, ou celles de Cyrille d’Alexandrie (Ve s.), transmises dans une version syriaque. On peut aussi avoir affaire à des sermons adressés à des catéchumènes ou à de nouveaux baptisés, comme ceux d’Augustin, de Chromace ou de Pierre Chrysologue (Ve s.), ou encore à une série d’homélies destinées à raviver la foi et l’ardeur à la prière d’anciens baptisés, comme le sont peut-être celles de Grégoire de Nysse (IVe s.). L’explication du » Pater » peut aussi, comme chez Jean Cassien (Ve s.) avec ses » Conférences », revêtir la forme d’une instruction faite aux moines ; telle est encore celle que présente » La Règle du Maître » (VIe s.).Ajoutons à ces écrits, qui offrent tous un commentaire intégral du » Pater », les multiples références à un verset particulier contenues dans d’autres homélies ou traités, et on verra que la prière du Seigneur occupe une place centrale dans la pensée et la réflexion des Pères pour la raison même qu’elle est au centre de toute vie chré
tienne.
Une grande unité. Une impression de grande unité ressort de la lecture de ces commentaires. Dès Tertullien en Occident et Origène en Orient, les traits généraux de l’exégèse du Pater paraissent fixés pour ne plus varier. Sans doute, selon les Pères et selon les époques, on note des différences d’accent, tel père privilégiant le caractère ecclésial et liturgique de la prière, tel autre insistant plutôt sur son caractère d’enseignement théologique ou moral, tel autre encore choisissant d’en proposer une lecture spirituelle et mystique. Toutefois, malgré le statut particulier que confère à son exégèse du » Pater » ce dernier type de lecture, on voit bien que l’interprétation d’un Grégoire de Nysse ou d’un Maxime le Confesseur s’inscrit dans un schéma général depuis longtemps fixé et commun à tous les Pères. Il servira en partie à structurer notre exposé.Avant d’aborder leur explication des différentes demandes du » Pater », il nous a paru important, dans une première partie, de mettre en évidence le caractère de prière spécifiquement chrétienne rconnu par les pères. On appréciera l’attention qu’ils portent à la structure de cette prière, à la fois si brève et si dense, et leur intérêt, le plus souvent très limité, pour la critique textuelle, malgré les différences notables que présente le texte du » Pater » chez Matthieu et chez Luc. La deuxième partie de notre étude s’attachera à la dimension théologique et doctrinale que les Pères reconnaissent au » Pater », principalement dans l’invocation initiale et les trois premières demandes. Pour la clarté de l’exposition, nous laisserons de côté, momentanément, l’enseignement moral qu’ils tirent, pour y revenir dans une troisième partie qui traitera des quatre dernières demandes. Cela permettra de mieux comprendre l’importance que les Pères accordent au » Pater », non seulement en tant que prière par excellence du chrétien, mais plus encore comme règle de vie de tous les baptisés.
La prière chrétienne par excellence : la nouveauté de la prière du » Pater »
La plupart des commentaires patristiques soulignent en premier lieu le caractère de nouveauté de la prière enseignée par le Christ. Tel est le cas notamment de celui de Tertullien pour qui le » Notre Père » introduit, dans la manière de s’adresser à Dieu, un changement aussi radical que celui opéré dans l’histoire du salut par l’Incarnation et l’accomplissement des prophéties. L’ouverture majestueuse, pareille à celle d’une symphonie, que constituent les premières lignes du traité, où la poésie le dispute à la rhétorique, a pour effet de rendre sensible au lecteur ce caractère de surprenante nouveauté.
Tertullien, » La Prière » 1,1
Esprit de Dieu et parole de Dieu et sagesse de Dieu, parole de la sagesse et sagesse de la parole, et esprit de l’une et l’autre, Jésus-Christ, notre Seigneur, a fixé pour des disciples nouveaux d’un testament nouveau une forme nouvelle de prière. Car il fallait que, dans ce cas-là aussi, le vin nouveau fût mis dans des outres nouvelles et qu’un pan nouveau fût cousu au vêtement nouveau*. Du reste, tout ce qui existait auparavant a été ou bien changé, comme la circoncision, ou bien conduit à sa perfection, comme le reste de la Loi, ou bien accompli, comme la prophétie, ou bien achevé, comme la foi elle-même.