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Divo Barsotti, un prophète pour l’Eglise d’aujourd’hui (Sandro Magister)

14 novembre, 2011

du site:

http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/163161?fr=y

Divo Barsotti, un prophète pour l’Eglise d’aujourd’hui

Il a anticipé de plusieurs décennies les axes majeurs de l’actuel pontificat. On découvre aujourd’hui son importance, grâce notamment à une exposition qui lui est consacrée. Il a vécu à Florence, en plein dans les conflits du Concile et de l’après-concile. Le commentaire critique du théologien Paolo Giannoni

par Sandro Magister

ROMA, le 28 août 2007 – Lors du rassemblement international organisé comme chaque année à Rimini au mois d’août, Communion et Libération a consacré une exposition à une personnalité chrétienne injustement méconnue mais de grande valeur: « Divo Barsotti, le dernier mystique du XXe siècle ».
Divo Barsotti – mort à 92 ans le 15 février 2006 dans son ermitage de San Sergio à Settignano, sur les hauteurs de Florence – a été prêtre, théologien, fondateur de la Communauté des Fils de Dieu, mystique renommé et maître spirituel.
Le père Luigi Giussani, le fondateur de Communion et Libération, était mort un an avant lui à Milan. Les deux hommes ne se sont jamais rencontrés, mais ils avaient une grande estime l’un pour l’autre.
Cette année, Communion et Libération a choisi le thème suivant pour son rassemblement: « La vérité est le destin pour lequel nous sommes faits ».
C’est justement sur le primat de la vérité que le père Barsotti a fondé toute sa vie et son enseignement, en parfaite harmonie avec les lignes directrices de l’actuel pontificat. Une raison supplémentaire pour redécouvrir son héritage et le mettre en valeur.

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Au cours de sa vie, Divo Barsotti s’est souvent retrouvé seul et incompris. Quand il était un jeune prêtre, isolé dans son diocèse de San Miniato. Quand il est arrivé à Florence, compris et soutenu par peu de gens. Quand il est resté seul, pendant plusieurs années, dans son ermitage de Settignano, abandonné par ses premiers disciples. Pus tard encore, ignoré et sous-évalué jusqu’à la fin de sa vie par la majorité des médias et de l’intelligentsia catholique.
C’était un autodidacte, qui n’avait jamais obtenu de diplôme en théologie. Il a beaucoup écrit: 160 livres et d’innombrables articles et textes divers, mais il n’a pas achevé une œuvre systématique. Pourtant, sa production écrite et orale témoigne d’une profondeur, d’une cohérence, d’une prévoyance, d’un sens aigu de la critique, d’une liberté d’esprit qui se révèlent aujourd’hui absolument hors du commun.
Alors que presque personne en Italie ne connaissait la spiritualité russe, il a été le premier à la faire connaître en 1946 avec son premier livre et ensuite à la répandre. Il a donné le nom du grand saint russe Serge de Radonège à son ermitage de Settignano, sur les hauteurs de Florence.
Mais lorsque l’orientalisme est devenu une mode, plus esthétisante que spirituelle, il l’a stigmatisé par des jugements tranchants: « Nous autres Florentins, nous avons Fra Angelico, Masaccio, Giotto, Cimabue. Ils ne tiendraient pas la comparaison face aux icônes russes? Mais bien sûr qu’ils tiennent la comparaison, ils en sortent même vainqueurs « .
Dans les années quarante et cinquante, alors que l’enseignement, en Italie et dans les facultés de théologie romaines, s’appuyait paresseusement sur les manuels, le père Barsotti ne manquait pas un livre des grandes figures françaises du « ressourcement », c’est-à-dire du retour aux sources bibliques, patristiques et liturgiques: Jean Daniélou, Louis Bouyer, Henri de Lubac.
En 1951, lorsqu’il a publié ce chef-d’œuvre qu’est « Il mistero cristiano nell’anno liturgico », Divo Barsotti a été le premier en Italie à développer et à approfondir des thèses proches de celles d’Odo Casel – le bénédictin allemand qui défendait l’efficacité objective de la liturgie dans la représentation de l’événement chrétien – avant même d’en avoir lu les œuvres.
Néanmoins, il n’a jamais caché les points faibles des auteurs qu’il estimait le plus. Divo Barsotti n’a pas ménagé Hans Urs von Balthasar – qui a été son directeur spirituel pendant six mois avant de mourir en 1988 – en critiquant ses thèses douteuses sur l’enfer: « Si l’enfer n’existait pas, je ne pourrais pas accepter le paradis ».
Il n’a pas été moins sévère avec ceux qui le considéraient comme leur maître spirituel. Giuseppe Dossetti a été son disciple spirituel à partir de 1951, quand il a abandonné la politique pour devenir moine et prêtre et se consacrer entièrement à rénover l’Eglise à sa façon jusqu’à sa mort, en 1966. Mais Barsotti n’a pas approuvé toutes ses thèses politiques et théologiques. Il a écrit un jour dans son journal intime: « Le père Giuseppe ferait mieux de se retirer sur un petit îlot à Hong Kong ». Surtout, Barsotti n’acceptait pas que Dossetti soit si lié avec Giuseppe Alberigo et avec son interprétation du Concile Vatican II et de l’après-concile comme un « nouveau départ » dans l’histoire de l’Eglise. Il considérait le contact entre les deux hommes comme un « danger ». Il en est venu à lancer un ultimatum à Dossetti: la rupture avec Alberigo ou la fin de la direction spirituelle.
Il en a été de même pour d’autres éminents catholiques florentins, tels que Giorgio La Pira, Gianpaolo Meucci, Mario Gozzini, lorsqu’il n’approuvait pas leurs positions politiques ou ecclésiales.

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Les papes ont également fait l’objet de critiques de la part du père Barsotti, qui les considérait comme un acte de justice « voulu par le Seigneur ».
En 1971, il est convoqué par le Vatican pour prêcher, au début du carême, les exercices spirituels destinés au pape Paul VI et à la curie. Au cours de ses prédications, il aborde le sujet du pouvoir de Pierre et déclare – comme il le rappellera ensuite dans son journal intime – que « l’Eglise a un pouvoir coercitif parce que Dieu le lui a confié et elle doit donc l’utiliser. En effet, pendant ces années, l’anarchie se répandait au sein de l’Eglise et l’on se moquait du pape dans les Eglises d’Europe du Nord ».
Par « pouvoir coercitif », Barsotti entend l’affirmation de la vérité et la condamnation de l’erreur. Exactement ce que le Concile Vatican II et, après le Concile, une grande partie de la hiérarchie catholique avaient renoncé à faire, comme il l’a dit et expliqué à plusieurs reprises: une renonciation « qui en clair niait l’essence même de l’Eglise ».
Barsotti était un fervent admirateur de Jean-Paul II, pour la même raison qui faisait que l’intelligentsia catholique le dévalorisait. « Ce qui nous a fait le plus comprendre que le Christ est présent en ce pape, c’est l’exercice d’un magistère qui, plus que le dernier Concile, a réaffirmé la vérité et a condamné l’erreur ». Un pape « qui a toujours enseigné l’exclusivité de la foi chrétienne: seul le Christ sauve ».
Pourtant, même Jean-Paul II, « colonne de l’Eglise », a fait l’objet de critiques de la part de du père Barsotti. Par exemple, lors de la rencontre interreligieuse d’Assise en 1986, selon lui, « les intentions du pape étaient très claires ». Ce qui n’était pas le cas des déductions de nombreux hommes d’Eglise, qui « affirment que l’événement d’Assise est le premier pas d’un cheminement qui devrait réaliser dans la paix l’unité de toutes les fois dogmatiques ».
Dans deux lettres, le père Barsotti a écrit à Jean-Paul II que son magistère de pape était « plus important ou au moins aussi important que le magistère du dernier Concile ». Ce dernier ayant « seulement introduit des virgules dans le discours ininterrompu de la tradition », il ne comprenait pas « pourquoi l’on cite presque exclusivement ce dernier Concile ».
Le père Barsotti inspirait aux catholiques progressistes un respect silencieux, mais pas parce qu’il répondait à leurs attentes. Au contraire. Dans l’histoire de l’Eglise italienne et mondiale, il représentait la résistance contre la dérive post-conciliaire, au nom des « fondamentaux » de la foi chrétienne. Il estimait que peu d’hommes d’Eglise de haut rang étaient aussi décidés que lui à « mettre l’accent sur l’essentiel, sur la nouveauté du Christ, qui est ce dont l’Eglise a le plus besoin aujourd’hui ». En 1990, il en indiquait deux: Joseph Ratzinger et Giacomo Biffi. Tous deux seront par la suite ses deux « papabili » préférés.
Lorsque le premier est effectivement devenu pape, en 2005, on aurait dit un passage de témoin. Alors que le père Barsotti, âgé de plus de 90 ans, infirme, cessait peu à peu d’écrire et de parler, les thèses que le prêtre toscan avait défendues tout au long de sa vie étaient reprises « urbi et orbi » sous le pontificat de Benoît XVI – avec l’autorité du successeur de Pierre.

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La ressemblance est frappante entre les diagnostics sur le Concile et l’après-concile formulés par Divo Barsotti et Joseph Ratzinger, avant ou après l’élection de ce dernier en tant que pape. Le dernier exemple en date remonte au 24 juillet dernier, lors de la rencontre du pape avec les prêtres à Lorenzago di Cadore, au nord-est de l’Italie.
Tout aussi remarquable, le souci commun au deux hommes de chercher la nourriture dans la grande tradition de l’Eglise et de partager ce pain avec les nombreux chrétiens de base. Il suffit de penser, en ce qui concerne Benoît XVI, à ses deux cycles de catéchèse pour l’audience du mercredi. Le premier était consacré à l’Eglise apostolique, avec les portraits de chaque apôtre et des autres protagonistes du Nouveau Testament. Le second est consacré aux pères de l’Eglise grecs et latins des premiers siècles. Le pape en est actuellement aux grands évêques et théologiens de la Cappadoce: Basile, Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse.
Divo Barsotti et Benoît XVI ont en commun leur manière de lire les Ecritures Saintes et de s’imprégner de leur sens profond. Non pas en s’appuyant seulement sur l’histoire ou la philologie mais à la lumière de leur Auteur premier, l’Esprit Saint, reconnaissable dans la tradition de l’Eglise.
Les visions des deux hommes sur la politique et l’histoire sont tout aussi semblables. Tous deux sont clairement contraires à l’idée qu’au cours de l’histoire terrestre, un royaume de paix et de justice se construise progressivement, presque par une évolution naturelle. Tous deux sont intimement convaincus que l’eschaton, à savoir l’acte ultime et définitif du salut de l’homme et du monde, est déjà présent ici et maintenant et n’est autre que Jésus crucifié et ressuscité.
Le « mystère chrétien », c’est lui, Jésus crucifié et ressuscité, qui est assis à la droite du Père mais qui, en même temps, se fait pain pour les hommes dans l’eucharistie. Les événements du mystère se réalisent au cours de la messe. On retrouve là aussi un accord remarquable entre le Barsotti du « Mystère chrétien dans l’année liturgique » et des réflexions ultérieures et les homélies de Benoît XVI lors des messes pontificales.
Qu’il s’agisse du livre « Jésus de Nazareth », une œuvre capitale de ce pontificat, de la place centrale donnée à l’eucharistie, de l’encyclique « Deus caritas est », le magistère de Benoît frappe par sa cohérence. La même cohérence se dégage de la vie et des œuvres de Barsotti. Une réflexion sur éros et agapè figurant dans une note de son « Mystère chrétien » daté de 1951, est remarquable par la manière dont elle préfigure le cœur de l’encyclique de Benoît XVI.
Chez les deux hommes, on trouve cette conscience que l’Eglise vit sur la base de la vérité et que c’est seulement de la « veritas » que jaillit la « caritas », comme l’Esprit Saint procède « ex Patre Filioque »: du Père et du Fils qui est le Logos, le Verbe de Dieu.
Divo Barsotti a justement laissé, dans ce qui est probablement son dernier écrit public, un commentaire d’un livre sorti en 2006 sur le philosophe chrétien Romano Amerio, la consigne suivante:
« Je vois le progrès de l’Eglise à partir d’ici, du retour de la sainte Vérité comme fondement de chaque acte. La paix promise par le Christ, la liberté, l’amour sont pour chaque homme l’objectif à atteindre, mais il faut l’atteindre uniquement après avoir construit le fondement de la vérité et les colonnes de la foi ».