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(Imago dei) L’ineffabilité de l’humain : une possible voie d’accès au divin ? (Roberto Adorno)

4 juillet, 2012

http://philo.pourtous.free.fr/Articles/R.Andorno/imagodei.htm

(apprécié un peu de philosophie?)

L’ineffabilité de l’humain : une possible voie d’accès au divin ?

Quelques réflexions sur la notion d’imago Dei

(Roberto ANDORNO, Centre Interdépartemental d’Ethique des Sciences (IZEW), Université de Tübingen, Allemagne)

Introduction

Nous savons bien – et cela n’est pas une simple hypothèse métaphysique – que nous sommes des êtres contingents, que chacun de nous aurait pu ne pas exister car, absolument parlant, rien ne l’exigeait. Nous savons aussi que nous sommes des êtres mortels, que notre vie présente aura certainement une fin, et cela, dans un délai extrêmement court, du moins si on le compare à la durée de l’univers. En dépit de la fragilité de notre être, notre conscience et la plupart des traditions morales et religieuses nous commandent de respecter notre prochain de manière inconditionnelle. Il existe des conduites absolument inacceptables à l’égard de tout individu, quel que soit son âge, son état de santé physique ou mentale, son sexe, sa religion, sa condition sociale ou son origine ethnique. Toutes les déclarations et conventions sur les droits de l’homme en témoignent. Sans ce respect inconditionnel de l’être humain, la vie sociale deviendrait vite insupportable. Or, comment ne pas s’étonner devant ce contraste ? Ne nous demandons-nous pas d’où vient ce respect absolu que chaque personne, tout en étant elle-même un être relatif, impose ? L’expérience de notre attitude de respect à l’égard des personnes ne pourrait-elle pas contribuer à montrer l’existence d’un lien particulier entre chaque être humain et la Divinité ? Plus encore – et cette hypothèse est peut-être encore plus audacieuse –, cette voie empirique ne nous permettrait-elle pas de connaître qu’il y a un Dieu ?
Le but de cet article est de réfléchir sur une notion fondatrice des sociétés occidentales, comme celle de l’homme en tant qu’image de Dieu (imago Dei), afin de mieux cerner l’ineffabilité de chaque être humain, et de suggérer la possibilité de remonter à partir de là jusqu’à la source ultime d’une telle ineffabilité. Le thème de l’homme comme « image de Dieu » est à la charnière entre l’anthropologie philosophique et la théologie, car la réflexion sur la part de divinité qu’il y a chez l’homme – ou que l’on peut supposer chez lui – est en dernière instance une réflexion sur Dieu. En effet, si l’âme humaine est ce qui, sur terre, reflète Dieu de la manière la plus parfaite, ainsi que le soutiennent la tradition judéo-chrétienne et la philosophie platonicienne, il n’est peut-être pas exagéré de soutenir que la meilleure voie d’accès à la connaissance de Dieu, c’est la connaissance de l’âme humaine[1]. Autrement dit, si l’auteur de tout ce qui est échappe aux prises de nos sens, et si son existence et ses qualités ne se présentent que de manière indirecte et imparfaite à notre intelligence, il paraît raisonnable, en vue de mieux connaître cette réalité sublime, de faire un effort pour déceler la part de divinité qu’on attribue classiquement à l’âme humaine.

I. Homme et infini
Il est d’expérience courante que nous reconnaissons dans nos semblables une valeur intrinsèque et absolue, qui ne dépend pas des qualités physiques, intellectuelles ou morales qu’ils possèdent. Ce respect de ce que l’on appelle la dignité humaine s’appuie sur la conviction que « quelque chose est dû à l’homme du seul fait qu’il est humain »[2]. L’acceptation universelle de la valeur inhérente à l’être humain a été qualifiée d’« attitude standard » dans nos sociétés modernes[3]. En fait, nous sommes habitués à voir chaque personne, non pas comme le simple individu d’une espèce, qui pourrait être remplacé par un autre individu de la même espèce possédant des qualités analogues, mais comme un être insubstituable, unique, ineffable. Affirmer qu’un être est insubstituable veut dire qu’il existe comme s’il était le seul au monde[4]. Celui qui oserait dire à quelqu’un qui vient de perdre un être cher, pour le consoler : « après tout, il existe beaucoup d’autres personnes avec les mêmes qualités », serait jugé, avec raison, comme cruel et dépourvu d’humanité. Pourquoi ? Parce qu’il chosifierait la personne venant de décéder, comme si elle était parfaitement remplaçable par une autre, alors que nous étions convaincus qu’elle était unique au monde. Bien évidemment, il ne s’agit pas du tout ici du caractère unique de son apparence physique, de ses qualités intellectuelles ou morales, ou, moins encore, de son information génétique. Car il serait bien possible de trouver d’autres individus avec des qualités plus ou moins semblables. Il serait même possible, bien qu’extrêmement rare, de trouver un autre individu avec la même information génétique (c’est le cas des jumeaux monozygotes et peut-être dans l’avenir, le cas des clones). Mais il est clair que l’unicité de chaque être humain dont il est question ici n’a rien à voir avec ces éléments accidentels, car elle est de nature existentielle ; elle est littéralement ineffable, c’est-à-dire qu’elle échappe à nos prises conceptuelles. C’est pourquoi, strictement parlant, la personne humaine ne peut pas être définie, car on ne peut définir que ce qui tombe dans un genre. Mais la personne, ou mieux, chaque personne, ne rentre dans aucun genre, puisqu’elle est unique au sens le plus fort du terme[5]. Comme l’a souligné Mounier, la personne ne se résume pas à une combinaison définissable de traits. Si elle était une somme, elle serait inventoriable. Or, elle est le lieu du non-inventoriable[6].
Cette même intuition de l’ineffabilité de chaque personne a été exprimée de manière très originale par Lévinas avec sa célèbre phénoménologie du visage. C’est le visage ce qui révèle le mieux l’infini propre à chaque personne. C’est justement le visage de l’autre qui met en question ma tendance à vouloir dominer le monde, car il résiste à toute domination. L’autre c’est le tout autre, il est irréductible à moi, à mes pensées, à mes possessions[7]. Je ne peux le comprendre comme « vraiment autre » si je le conçois seulement comme partie d’une totalité autre que lui-même. Lévinas va encore plus loin lorsqu’il affirme que « dans l’accès au visage il y a certainement aussi un accès à l’idée de Dieu »[8].
Il convient de remarquer que nous ne sommes pas ici dans le cadre cartésien selon lequel l’idée d’infini que chacun de nous trouve en soi nous permet de parvenir à Dieu, étant donné que seulement un Être infini pourrait être capable d’ « introduire » en nous une telle idée. Notre approche est tout autre, car nous ne partons pas de l’idée d’infini que chacun de nous trouve en soi-même, mais plutôt de la valeur infinie que chacun de nous reconnaît et en soi-même et dans l’autre. Le point de départ de notre démarche n’est donc pas un infini ontologique, mais plutôt un infini éthique. Certes, il est bien possible que cette reconnaissance d’une valeur infinie dans l’autre dérive du fait que chacun de nous reconnaît en lui-même une valeur absolue. Mais ce n’est pas une idée purement théorique, froide et distante, comme celle de l’infini cartésien. C’est une réalité remplie de valeur ou plutôt, une dignité.
Chez Kant il est possible de trouver une idée plus proche de celle que nous suggérons, car selon le philosophe de Königsberg, l’expérience du sublime peut nous donner une image de la sublimité de Dieu[9]. Certes, pour Kant l’existence de Dieu échappe au pouvoir de notre raison spéculative[10] et ne constitue qu’un postulat de la raison pratique[11]. Cependant, dans son analyse de l’idée du sublime (das Erhabene), il établit un parallèle entre le sublime chez l’homme et sa destination dans l’au-delà. Le sublime est ce qui échappe à toute mesure, ce qui est au-delà de toute comparaison, ce qui est purement et simplement grand[12], ce en comparaison de quoi tout le reste est petit[13]. Par la voie négative, on pourrait dire que rien de ce qui est objet des sens ne peut être qualifié de sublime[14]. L’expérience du sublime que nous avons, par exemple, devant certains phénomènes de la nature, montre en fait notre supériorité sur la nature elle-même et révèle notre pouvoir de penser l’infini comme un tout[15]. A proprement parler, ce n’est pas tellement l’objet qui est sublime, mais notre capacité de le penser[16]. C’est pourquoi, au fond, le sentiment du sublime consiste en un respect pour notre propre destination ou pour le dire autrement, en un respect pour l’idée d’humanité[17]. Selon Kant, le sublime se trouve d’une manière particulière dans la religion. L’homme éveille en lui la conscience de la sublimité de Dieu spécialement lorsqu’il vit en accord avec la volonté divine[18]. Enfin, « c’est seulement en présupposant cette idée [du sublime] en nous et par rapport à elle que nous sommes en mesure de parvenir à l’idée du caractère sublime de cet être [Dieu] qui suscite en nous un profond respect »[19].
Dans un ordre d’idées voisin, on peut dire que c’est à travers l’évidence de notre propre dignité que nous pouvons accéder à la dignité transcendante de Dieu. Cette approche permet de voir Dieu non pas comme une sorte de Chose infinie et extérieure, mais plutôt comme un Sujet qui contient en soi toute la richesse de la subjectivité et de la personnalité[20]. Beaucoup de malentendus à propos de Dieu proviennent probablement du fait de le voir comme une Abstraction suprême, comme une sorte d’Objet universel et lointain, et non pas comme un Sujet infiniment riche de virtualités et d’amour. Dieu est souvent vu comme quelque chose qui vient, comme du dehors, limiter notre liberté. Peut-être, si nous avions la conviction de sa présence au centre de notre être, notre attitude à son égard serait complètement différente. Notre idée de Dieu pourrait changer du tout à tout si nous ne le considérions pas seulement comme l’Absolu de l’être objectif, mais comme l’Absolu de la subjectivité et de l’intériorité[21]. Et à cette fin, il semble bien qu’il n’y ait d’autre chemin que de partir de notre propre subjectivité, car c’est la seule que nous avons « à la portée de la main »[22]. Cela signifie que nous ne pouvons saisir Dieu comme « Sujet » si nous n’avons pas préalablement saisi ce que signifie pour nous-mêmes être des « sujets » ; que nous ne pouvons nous approcher de la dignité infinie de Dieu si nous avons une idée trop vague de notre propre dignité. En d’autres termes, on ne peut pas comprendre ce qu’est Dieu si l’on n’a pas auparavant compris ce qu’est l’homme. De même, on ne parvient pas à pleinement comprendre la dignité humaine si l’on n’a pas auparavant saisi Dieu comme l’Être digne par excellence. Mais, n’y a-t-il pas ici un cercle vicieux ? Ne manquons-nous pas d’un point de départ ? Non, car nous pouvons initialement appréhender d’une manière intuitive et encore précaire notre propre dignité pour remonter après jusqu’à Dieu, et enrichir ensuite notre propre vision de nous-mêmes. Il s’agit donc plutôt d’un d’aller et retour continuel : une fois approché de la dignité de Dieu, nous pouvons encore « redescendre » pour mieux comprendre notre propre dignité. Dés lors, il semble extrêmement utile d’examiner de plus près la notion d’imago Dei, car elle a donné lieu au cours des siècles à des réflexions très riches sur la valeur inhérente de l’être humain.

II. Homme-image de Dieu
Le thème de l’homme en tant qu’image de Dieu est au coeur de la tradition judéo-chrétienne. Le texte fondamental est certainement le récit de la création de l’homme et de la femme, Gen. 1, 26-27 : « Elohim dit : Faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance, et qu’ils dominent sur les poissons… Elohim créa l’homme à son image, à l’image d’Elohim il le créa, mâle et femelle il les créa ». La même notion apparaît aussi à plusieurs reprises dans le Nouveau Testament, notamment dans les Epîtres de saint Paul, où elle enrichie sa signification : l’image parfaite de Dieu, c’est le Christ ; l’homme est appelé à devenir une image du Christ[23].
Au cours des premiers siècles du christianisme, le thème de l’homme imago Dei fut au centre des réflexions et de la prédication, tant dans la tradition latine que dans la tradition grecque. Il apparaît notamment, en Occident, chez Tertullien, saint Hilaire de Poitiers, saint Ambroise et saint Augustin ; en Orient, il a été surtout développé par saint Clément d’Alexandrie, saint Cyrille d’Alexandrie, saint Grégoire de Nysse et Origène, entre autres[24]. Nous allons nous centrer ici sur l’analyse du thème par saint Thomas d’Aquin, qui reprend en bonne partie les réflexions de ses prédécesseurs, notamment de saint Augustin. La thèse de saint Thomas, exposée notamment dans la question 93 de la prima pars de la Somme théologique, peut se résumer dans les cinq points suivants[25] :
1. La distinction entre « image » et « ressemblance »
Les notions d’ « image » et de « ressemblance », qui apparaissent dans le texte biblique ne sont pas identiques, selon saint Thomas. Il ne s’agit pas d’une répétition inutile, mais elle a un sens, comme d’ailleurs tout dans le texte sacré. En rappelant des mots de saint Augustin, saint Thomas établit une distinction entre les deux termes : « là où il y a image il y a à coup sûr ressemblance, mais là où il y a ressemblance, il n’y a pas à coup sûr image ». L’image est donc incluse dans la notion de ressemblance ; celle-ci est le genre, celle-là l’espèce.
Une chose est « à l’image » d’une autre lorsqu’elle tire son origine de l’autre. L’image ajoute donc quelque chose à la ressemblance. En effet, deux choses peuvent se ressembler sans être l’une l’image de l’autre, car être « image » veut dire « être issu d’un autre ». Ainsi, poursuit saint Thomas, de deux oeufs parfaitement semblables il n’est pas dit que l’un est l’image de l’autre. Au contraire, on peut dire que le fils est l’image du père, car la ressemblance qu’il a avec lui, c’est de lui qu’il la tient[26].
Mais il y a encore plus. Ce n’est pas n’importe quelle ressemblance, même dérivée d’un autre, qui suffit pour vérifier la notion d’image. Une similitude purement générique entre deux êtres, même si l’un provient de l’autre, n’implique pas forcément que l’un soit l’image de l’autre. Ainsi, le parasite qui vit à l’intérieur du corps humain, même s’il a en commun avec l’homme la condition animale, ne peut être qualifié d’image de l’homme[27]. Une similitude purement générique ne donne pas lieu à l’image. Il faut qu’elle soit spécifique, à la façon dont l’image du père est dans son fils, ou du moins, à la façon dont l’image de l’homme est dite se trouver dans le cuivre, par exemple, d’une monnaie ou d’une statue. Dès lors, l’idée d’image implique que quelque chose est faite en prenant une autre comme modèle. Cela suppose, pour qu’on puisse parler d’imago Dei chez une créature, que la différence avec le modèle (Dieu) doit porter sur la différence ultime ou du moins sur un accident propre à l’espèce. Saint Thomas conclut par là qu’il n’y a que les êtres doués de raison qui peuvent être appelés « image de Dieu », car il n’y a que chez eux où se vérifie une similitude avec Dieu qui porte sur la différence ultime. En effet, bien que, dans un sens générique, toute créature soit image de la représentation exemplaire qu’elle possède dans l’esprit divin, toute créature ne peut pas être qualifiée, à proprement parler, d’image de Dieu. Pour cela, il faut une certaine ressemblance de nature[28]. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit toujours d’une image imparfaite[29], car image ne veut pas dire égalité avec le modèle, mais seulement une certaine ressemblance. En effet, il existe une distance infinie entre Dieu et toute créature, même celles douées d’une nature rationnelle. Pour saint Thomas, l’idée de l’imperfection de l’image est bien mise en évidence par le langage qu’emploie le texte sacré (à l’image, « ad imaginem »). La préposition « à » (« ad ») traduit une certaine approximation, et marque que l’image reste toujours à une certaine distance du modèle.
2. L’image de Dieu se trouve dans la nature spirituelle de l’homme
En suivant ici les vues de saint Augustin, qui à son tour s’inspirait sur ce point de saint Ambroise, Thomas d’Aquin situe l’image de Dieu au niveau de l’âme spirituelle. Selon saint Ambroise, en effet, l’âme seule est faite à l’image de Dieu ; dire que la chair est à l’image de Dieu obligerait à penser que Dieu est corporel. Saint Augustin reprend la même affirmation, en ajoutant que l’image se trouve dans ce qu’il y a de plus élevé dans l’âme : mens ou intellectus qui est « ce qui excelle en elle », « comme son visage, son oeil intérieur et intelligible ». Ainsi, saint Augustin prétend échapper aux reproches manichéens qui attribuaient aux chrétiens, sous prétexte d’une réciprocité de similitude, la croyance en un Dieu corporel[30]. Le corps n’est donc pas le lieu de l’image ; cependant, « fait pour le service d’une âme rationnelle », il participe indirectement à la qualité d’image parce qu’il existe et vit, parce que, apte à contempler le ciel par sa stature droite, il approche de l’image plus que le corps animal[31].
Saint Thomas reprend l’idée de l’âme comme siège privilégié de l’image et pour cela s’appuie sur la distinction entre image et vestige. L’image représente une ressemblance spécifique, tandis que le vestige représente son origine à la façon d’un effet qui renvoie à sa cause mais sans atteindre à la ressemblance spécifique, « telles les empreintes qui sont laissées par les mouvements des animaux (…), telle la cendre qui est appelée vestige du feu, ou la désolation d’un pays, qui est appelé vestige de l’armée ennemie »[32]. Ainsi donc, dans la créature raisonnable, « c’est au niveau de l’esprit seulement que se vérifie l’image de Dieu, tandis que dans les autres parties [c’est-à-dire le corps] c’est une ressemblance par mode de vestige (per modum uestigii) que l’on trouve »[33]. Pourquoi ? Parce que la chose par laquelle l’être humain ressemble Dieu, c’est précisément l’intelligence ou esprit, puisque Dieu est esprit. En revanche, le corps humain est mis en parallèle avec le corps des animaux et le reste de la création matérielle, même si parmi les êtres corporels, le corps humain est celui qui s’approche le plus de l’image de Dieu, en raison de sa station droite, qui le fait regarder vers le ciel.
3. Image naturelle et image surnaturelle
Chez tout être humain, quel que soit ses qualités morales, son âge ou son sexe, on trouve également l’image de Dieu, car c’est en vertu de sa seule nature rationnelle qu’il est un reflet de la Divinité. Thomas d’Aquin établit cependant une distinction entre l’image de Dieu qui se trouve en tout homme par nature (imago creationis), de celle qui se réalise dans les hommes justes par la grâce, qui est comme une nouvelle création (imago recreationis) et il en ajoute encore une troisième, l’imago similitudinis, qui est le niveau le plus élevé, qui correspond aux bienheureux, c’est-à-dire à ceux qui participent déjà de la vision de Dieu dans l’au-delà.
Ces trois niveaux de l’image sont liés l’un à l’autre comme les trois moments d’un même itinéraire spirituel. Le premier correspond à l’aptitude naturelle à connaître et aimer Dieu, aptitude qui réside dans la nature même de l’âme spirituelle, laquelle est commune à tous les hommes ; le deuxième se vérifie en ce que l’homme connaît et aime actuellement Dieu, quoique de façon imparfaite ; le troisième consiste en que l’homme connaît et aime actuellement Dieu d’une manière parfaite[34].
Mais ce qu’il est surtout intéressant à mettre en relief ici, c’est que selon saint Thomas – et selon la pensée chrétienne en général – tout homme est image de Dieu par nature. Cette affirmation a des conséquences remarquables sur le plan pratique, notamment de l’éthique et du droit : la première, celle de l’égalité : tous les hommes, sans aucune distinction d’âge, de religion, de sexe, d’état de santé, possèdent la même valeur et méritent donc d’être également respectés ; la deuxième conséquence, c’est que la dignité ne se perd pas, ni par la propre conduite, ni par la décision des autorités publiques ; elle est « inhérente » à notre condition humaine, ainsi que l’affirme, par exemple, la Préface de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948.
4. Image statique et image dynamique
Saint Thomas conçoit de deux manières différentes la distinction entre « image » et « ressemblance ». La première, déjà signalée, qui fait référence à la notion commune de ressemblance, consiste à dire que celle-ci est le genre et que l’image est l’espèce. La deuxième manière consiste à considérer la ressemblance comme le perfectionnement de l’image[35]. La ressemblance serait l’image en mouvement. Dès lors, tandis que l’image originaire ferait référence à l’être de l’homme, la ressemblance (l’image dynamique) nous renverrait à son agir. Ontologie et éthique seraient donc les deux dimensions qui correspondraient respectivement aux notions d’image et de ressemblance. L’image, initialement statique, deviendrait une réalité dynamique, qui évolue vers la perfection lorsqu’on la considère du point de vue de la fin de l’homme, qui n’est autre que l’union avec Dieu. L’image est le point de départ ; la ressemblance, le point d’arrivée.
Cette perspective, très riche de conséquences, a été particulièrement développée dans la théologie grecque, qui a insisté sur le caractère dynamique de la ressemblance[36]. Chez les Grecs, en effet, l’image apparaît liée à l’origine divine de âme humaine tandis que la ressemblance renvoie à sa destinée, aussi divine ; l’image correspond à la nature, la ressemblance correspond à la grâce. Un texte d’Origène exprime cette idée (même si, peut-être, il ne souligne pas suffisamment l’importance de la grâce) : « Par ces mots : ‘Il le fit à l’image de Dieu’, en ne parlant pas de la ressemblance, il montre que l’homme a reçu dans sa première création la dignité de l’image, mais que la perfection de la ressemblance est réservée pour la fin : à savoir que lui-même doit l’acquérir par ses propres forces en imitant Dieu, afin qu’ayant reçu au début par la dignité de l’image une possibilité de perfection, il puisse la consommer à la fin en parfaite ressemblance par l’accomplissement des œuvres »[37].
Chez saint Augustin la notion dynamique de l’image prend une force toute particulière. Il distingue en effet deux moments de l’image dans la vie de l’âme : l’image virtuelle et l’image actuelle. Le premier moment correspond à la création originelle et consiste en une capacité de connaître et d’aimer Dieu ; on dit que l’image est encore virtuelle, car l’âme n’exerce pas encore sa capacité ; elle est encore centrée sur l’amour de soi (amor sui) et ne sait même pas qu’elle est image de Dieu. Le deuxième moment (renovatio) intervient quand l’âme passe de l’amour de soi à l’amour de Dieu (amor Dei). L’accès au second moment dépasse l’activité naturelle de l’homme ; elle est enveloppée par une grâce divine qui attire l’âme vers Dieu ; ce mouvement graduel exige une conversion spirituelle qui se produit dans la mesure où l’âme exerce le culte de Dieu et devient ainsi sage et heureuse participant à la lumière divine ; l’âme commence alors à entrer en possession de Dieu ; l’image de Dieu devient actuelle, ou plutôt actualisée chez elle ; la ressemblance devient alors de plus en plus discernable[38].
Chez saint Thomas cet aspect dynamique de l’image est aussi mis en relief, même s’il n’est pas développé avec la même extension que chez saint Augustin[39]. En ce sens, saint Thomas n’hésite pas à présenter l’image de Dieu comme étant la fin même de la création de l’homme[40]. Autrement dit, l’homme a été créé, non seulement en tant qu’image de Dieu (sens statique), mais en même temps pour devenir image de Dieu (sens dynamique). Enfin, selon Gardeil, la notion d’image de Dieu est implicitement au centre du grand mouvement de procession (exitus) et de retour (reditus) des créatures qui constitue le thème d’ensemble de la Somme théologique[41].
5. L’entendement humain atteint le plus haut niveau de l’image de Dieu lorsqu’il prend Dieu même pour objet
Dans le contexte de l’image de Dieu en tant que notion dynamique, on peut comprendre que cette image puisse présenter différents niveaux d’intensité, non seulement sur le plan de la volonté, c’est-à-dire de l’amour de Dieu, mais aussi sur le plan de l’intelligence. L’homme est plus image de Dieu lorsque ses facultés intellectuelles prennent Dieu pour objet. C’est la thèse de saint Thomas, directement inspirée des réflexions de saint Augustin[42].
Bien qu’en tout homme, en tant qu’être rationnel, on trouve configurée l’image de Dieu, l’intensité de cette image augmente lorsque les facultés typiquement humaines (intelligence et volonté) sont actuellement exercées. Elle augmente encore plus, pour atteindre leur plus haut niveau, lorsque l’objet des facultés est Dieu, que ce soit de manière directe, ou de manière indirecte, c’est-à-dire par l’intermédiaire d’une connaissance de soi[43]. En d’autres termes, l’âme est au plus haut degré image de Dieu lorsqu’elle connaît et aime Dieu directement, ou lorsque, se prenant elle-même pour objet de connaissance ou d’amour, elle revient à Dieu de manière indirecte[44].
En ce même sens, dans un texte très suggestif, un commentateur dit que le rôle que les créatures rationnelles jouent dans le plan divin de la création justifie pleinement leur existence, car les oeuvres de Dieu sont pleinement réalisées lorsqu’elles reviennent à leur origine. Or, ce retour des choses créées à leur Créateur s’opère de la manière la plus parfaite à travers les êtres rationnels. En effet, ces derniers reflètent Dieu, non seulement dans leur être, mais aussi dans l’objet de leurs facultés intellectuelles. Seules les créatures rationnelles peuvent porter une image de la bonté divine dans leur esprit, en tant qu’un objet de leurs facultés de connaître et d’aimer. En ce sens, elles sont, au plus haut degré, image de Dieu[45].

Conclusion
Tout le monde s’accorde pour reconnaître qu’il y a chez tout être humain quelque chose qui nous empêche de le traiter comme un simple moyen, comme une « chose ». Nous ressentons qu’il y a de l’irréductible en l’homme. Nous avons la conviction que tout être humain, même le plus faible, même le plus malade, a une valeur intrinsèque, ou pour le dire avec la formule de Pascal, que « l’homme passe infiniment l’homme »[46]. C’est pourquoi il est couramment admis, dans la conscience sociale, dans l’éthique et dans le droit, qu’il y a des conduites absolument inacceptables à l’égard de tout individu, même à l’égard du pire des criminels. La croyance en la dignité humaine est normalement plus le constat d’un fait, d’un a priori irréfutable, que le résultat d’une élucubration théorique.
Cette conviction, issue de l’expérience, de la présence de quelque chose d’absolu dans l’être humain devrait nous faire réfléchir. Pourquoi en est-il ainsi ? Pourquoi avons-nous horreur de vivre dans une société où les droits de l’homme seraient bafoués de la manière la plus brutale ? Pourquoi les récits des atrocités commises dans les camps de concentration nazis nous révoltent-ils ? N’y aurait-il pas des vérités qui sont gravées dans notre conscience morale ? Parmi ces vérités, n’y aurait-il pas celle de la présence en nous d’un infini qui nous dépasse complètement et qui impose le respect ? Et alors, comment ne pas se poser la question de l’existence d’un Infini en soi, de ce que l’on appelle classiquement « Dieu » ?
A ce propos, il est intéressant de constater que l’intuition courante de l’existence de quelque chose d’irréductible chez tout homme est confirmée par la pensée religieuse, notamment celle de racine judéo-chrétienne. En particulier, c’est à travers la notion d’imago Dei que s’exprime théoriquement cette conviction, qui a façonné le monde occidentale et à partir d’Occident, a influencé d’une manière ou d’une autre toute la planète. Selon cette notion, chaque homme, du fait d’être doué de raison et d’être capable d’aimer, reflète d’une manière unique et ineffable l’intelligence et l’amour divin.
Il reste à savoir, et c’est le plus difficile, s’il est possible d’établir un pont entre la conviction courante de la présence d’un absolu chez l’humain et l’existence de l’Absolu en soi et comment ce passage entre l’un et l’autre pourrait s’opérer. Peut-être le « tournant vers le sujet », propre à la modernité et mis en relief, entre autres, par Charles Taylor, loin de constituer un obstacle dans cette démarche, pourrait se révéler très fructueux. Car, si Dieu est sujet, quelle meilleure manière de l’atteindre peut-il y avoir que de partir de notre propre condition de sujets ?

L’éternité, une certitude ! : «Qu’y a-t-il de plus incompréhensible que l’Eternité, et qu’y a-t-il en même temps de plus certain ?»

29 juillet, 2011

du site:

http://bouquetphilosophique.pagesperso-orange.fr/newpage5.html

L’éternité, une certitude !
 
«Qu’y a-t-il de plus incompréhensible que l’Eternité, et qu’y a-t-il en même temps de plus certain ?»

(Pierre Nicole)
 
Dans les années 80, un vieil homme plein de sagesse interrogeait ainsi son petit-fils, jeune lycéen : «Que comptes-tu faire après tes études secondaires ?» Le garçon, sûr de lui : «De hautes études de commerce ! – Dans quelle intention ?» Réponse immédiate du futur étudiant : «Je veux créer ma propre entreprise en Australie où je compte vivre avec ma famille. – Et ensuite ? – Après avoir gagné beaucoup d’argent, je pourrai alors couler une retraite heureuse dans une petite île paradisiaque du Pacifique sud. – Et après ?» Le futur décideur qui n’avait pas fait de projets au-delà de sa retraite pas plus d’ailleurs qu’il n’avait prévu cette question pertinente, ne sut hélas, que répondre à son grand-père ! Comme ce garçon, notre pensée bornée est-elle incapable de dépasser ces projets humains à “court terme” ? Bien que le sens profond du mot éternité nous échappe, il existe néanmoins en nous une soif d’immortalité, de vie éternelle. La croyance en une “survie de l’individu” après la mort semble remonter aux origines de l’espèce humaine et de tout temps, dans toutes les civilisations, ce qui peut paraître étonnant, une grande majorité s’est ralliée à l’idée que l’homme est immortel par nature. Dans l’un de ses livres, le scientifique et ministre Claude Allègre a pu affirmer : «Ce qui est commun aux religions, depuis celles des Sumériens ou des Égyptiens en passant par celles des Perses, des Babyloniens, des Assyriens, des Indiens ou des Chinois jusqu’à celles qui inspirent les Sepik de Nouvelle-Guinée ou les Indiens d’Amazonie, c’est qu’elles ont toutes développé le concept de dieu, de transcendance et d’au-delà, faisant toutes espérer aux meilleurs, l’immortalité.» (1). Ainsi, il y a plus de 4000 ans, l’Egypte pharaonique, pour ne retenir que cette civilisation, s’édifiait dans la perspective de l’éternité. Les Egyptiens en effet, tout en reconnaissant la brièveté du temps terrestre, croyaient en une autre forme d’existence. Osiris, mort et ressuscité, devenu Dieu de l’au-delà, leur apportait à tous l’assurance d’une survie éternelle. Une vision d’éternité qui marqua la philosophie grecque avant qu’elle-même, par l’intermédiaire des Pères de l’Eglise, n’influence considérablement le christianisme (2).
On conçoit aisément que l’idée que les hommes se font de l’au-delà, dépend beaucoup de la culture à laquelle ils adhèrent. Aussi, l’important en la matière n’est-il pas d’abord d’identifier les sources auxquelles on s’alimente. C’est ce que nous nous efforcerons de faire dans cet article avant de tenter de répondre succinctement à une double question : pouvons nous concevoir l’éternité et, si oui, comment y accéder ?

Une perspective réconfortante
Rien que par son caractère illimité (par rapport à notre courte vie terrestre), l’éternité à de quoi nous intriguer. Un sage oriental l’a comparée symboliquement à un énorme diamant de la taille du poing sur lequel, chaque matin, une colombe viendrait donner un coup de bec. Une fois que cette pierre précieuse, progressivement usée par les assauts répétés – rappelons que le diamant est le plus dur des minéraux naturels – ait complètement disparu, il se serait écoulé “une seconde de l’éternité” ! Et si nous considérons maintenant le fait, qu’à celle-ci, les différentes religions ont en général associé (avec quelques nuances) la notion de bonheur, alors vraiment il n’est pas anormal d’en rêver sérieusement un jour ou l’autre ici-bas… à moins d’y avoir déjà trouvé le paradis !
Mais dans notre compréhension de l’éternité, encore faut-il discerner ce qui n’est que fable, fantaisie ou débat philosophique hypothétique ! Les avis à ce sujet sont divers et contradictoires. Par contre un point est sûr, pour tous les descendants d’Abraham (Juifs, Chrétiens et Musulmans), l’éternité est le premier attribut de Dieu, d’où son nom : “l’Eternel”. Puisque nous vivons dans une civilisation dite “judéo-chrétienne”, pourquoi ne pas revenir tout naturellement au fondement de cette dernière en choisissant la conception de la Bible qui apporte sur l’au-delà, une réponse saine et juste tout en nous amenant à vivre pleinement dans le présent ?
Certes, aujourd’hui, curieusement, les prédicateurs semblent plutôt réticents à parler du ciel du haut de la chaire (sauf aux enterrements) ! Et pourtant, la pensée du ciel fait partie intégrante – avec le retour du Christ et la résurrection des morts – de l’authentique espérance chrétienne ! D’autre part, aimerions nous peut-être trouver dans les Ecritures plus de précisions sur l’éternité ? Un ironiste n’a-t-il pas dit que nous ne sommes pas plus au clair sur le mobilier du ciel que sur la température de l’enfer ! Rappelons que bien avant lui, Galilée avait témoigné que “la Bible ne nous enseigne pas comment est fait le ciel mais comment y aller !
Cependant, l’aperçu que nous y découvrons suffit déjà pour nous donner une petite idée sur cette vie perpétuelle auprès de Dieu, en fait une qualité de vie incomparable en grande partie indescriptible car au-delà de toute imagination humaine. «Il s’agit de ce que l’œil n’a pas vu et que l’oreille n’a pas entendu, de ce que l’esprit humain n’a jamais soupçonné, mais que Dieu tient en réserve pour ceux qui l’aiment.» (1 Corinthiens 2.9). Même si l’on touche ici l’insondable, le fait de savoir seulement que dans l’éternité, il n’y aura plus de souffrances ni de mort (Apocalypse 21.3-4), que nous profiterons à jamais de la justice de Dieu (2 Pierre 3.13) et surtout que nous serons parfaitement semblables au Fils de Dieu (1 Jean 3.2), a de quoi nous inciter à prêter encore plus attention à cette apothéose promise au terme de notre vie terrestre (3). Qui plus est, ce diamant inestimable, nous est offert gracieusement (Apocalypse 21.6)… toutefois, à une condition.

Une seule condition
En nous référant à la Bible, beaucoup moins étonnante est la quête humaine d’éternité manifestée à toutes les époques car on peut y lire notamment que «Dieu a implanté au tréfonds de l’être humain le sens de l’éternité.» (Ecclésiaste 3.11). Ainsi, observe Charles Gerber : «Quoiqu’il prétende, l’homme possède au fond de lui-même un sentiment religieux extrêmement puissant [...] A toutes les époques, sous toutes les latitudes et à quelque race qu’il appartienne, il manifeste en effet une soif, une aspiration, un vrai tourment de quelque chose ou de quelqu’un, une inquiétude de Dieu. [...] Partout et toujours, même dans les conditions les plus défavorables, il adore une force supérieure.» (4). Toutefois, Dieu ne se contente pas d’inculquer un sentiment religieux aux hommes, il désire tout simplement partager son éternité avec eux, du moins avec tous ceux qui acceptent ce dessein inouï.
Car en plus, Dieu gratifie ses créatures du libre arbitre (Genèse 2.16-17). Celles-ci sont donc mises dans l’alternative de choisir entre l’obéissance et la désobéissance, entre le bien et le mal : «Voyez, je place aujourd’hui devant vous, d’un côté, la vie et le bonheur, de l’autre, la mort et le malheur.» (Deutéronome 30.15). A ce propos, J. H. Kurtz fait une observation très juste : «Image de Dieu, l’homme est destiné et préparé à être et à devenir comme Dieu, semblable à lui en sainteté, en félicité, en sagesse, en puissance, en majesté, dans la mesure où le permettent les limitations nécessaires d’un être créé et autant que l’exige sa position de représentant de Dieu sur la terre. Mais la création n’a pas porté l’homme de prime abord au degré de développement dont il est susceptible et auquel il est appelé. Tout ce qu’il devait devenir, il le possédait à l’état de germe et de virtualité. Car placé, comme être spirituel semblable à Dieu, au-dessus de la nature privée de liberté, son développement ne lui était pas imposé comme à la plante par exemple. Il avait à se déterminer et à s’épanouir pour réaliser la destinée à laquelle l’appelait son Créateur, par sa libre décision, sa libre activité. Il est clair dans ces conditions, qu’un autre choix, qu’une détermination contraire à la volonté divine, deviennent possibles.» (5). Respectant notre liberté, Dieu ne nous contraint pas d’accepter son éternité mais nous invite par contre, à choisir le bon chemin pour y avoir accès : «Choisissez donc la vie, afin que vous viviez, vous et vos descendants.» (Deutéronome 30.19).
Hélas, on peut constater que l’homme a toujours fait un triste usage de sa liberté, à commencer par nos premiers ancêtres ! Dès que ceux-ci tournent le dos à leur Seigneur, l’accès à l’arbre de vie (Genèse 2.9), leur est interdit. «L’Eternel Dieu dit : évitons que l’homme tende la main pour prendre aussi de l’arbre de vie, en manger et vivre éternellement.» (Genèse 3.22). Ainsi, dans le jardin d’Eden, l’éternité offerte à l’homme est conditionnelle, pour bénéficier de la vie éternelle, il doit cueillir et manger le fruit de l’arbre de vie, expression de la communication avec Dieu (6).
Dans la Bible, Dieu apparaît comme un Père compatissant et miséricordieux, aimant ses créatures d’un amour absolu. Certes, en leur donnant la liberté, il prend des risques mais ne veut pas d’esclaves ni de robots programmés pour faire le bien ! Il souffre de ce choix de l’homme qu’il a créé candidat à l’éternité et dès la chute du premier couple, fait la promesse de le délivrer de la mort éternelle (Genèse 3.15) (7). Mystère insondable exprimant son éternelle bonté, ce plan de rachat de l’humanité, déjà conçu avant la fondation du monde, est admirablement bien résumé par l’apôtre Jean : «Oui, Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, pour que tous ceux qui mettent leur confiance en lui échappent à la perdition et qu’ils aient la vie éternelle.» (Jean 3.16). L’éternité – qui devient effective à la résurrection – est donc acquise par la rédemption (8) et le chrétien s’en empare par la foi en Jésus-Christ, c’est la seule condition (Romains 10.13 ; Jean 3.36 ; Jean 6.47 ; 1 Jean 5.13) pareillement à l’arbre de vie (9) du jardin d’Eden, lien indispensable à nos premiers parents pour recevoir la vie éternelle.
Croire (ou avoir la foi) au sens biblique implique la personne du Christ, c’est consentir à un contact permanent avec lui afin qu’il manifeste en nous sa vie (éternelle). Là encore, l’accès à l’éternité exige une communication avec la source de la vie éternelle. Le libre arbitre subsistant et la foi se définissant entre autres (10) comme un acte de volonté, notons que l’homme a toujours la liberté de croire ou de ne pas croire (11). En croyant, il ne fait pas un acte méritoire mais accepte tout simplement un don extraordinaire immérité (le salut éternel), cette acceptation étant comme nous l’avons déjà dit la condition du salut.
Ainsi, la vie éternelle est véritablement un don de Dieu (Romains 6.23), un diamant inestimable offert gracieusement. Nul ne peut l’acquérir par ses œuvres si belles soient-elles ! Saint Paul écrit aux chrétiens d’Ephèse que : «C’est par la grâce en effet que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Ce n’est point par les œuvres, afin que personne ne se glorifie.» (Ephésiens 2.8-9) (12). A cet égard, quelqu’un a dit aussi pertinemment que Dieu est trop riche pour vendre le salut et l’homme bien trop pauvre pour l’acheter !
Cela dit, que penser de l’enseignement de l’apôtre Jacques lorsqu’il dit «que la foi sans les actes ne sert à rien» (Jacques 2.20) ? Son exhortation ne s’oppose-t-elle pas au message de Saint Paul ? Non, au contraire, l’action du croyant est la démonstration de sa foi, son prolongement, sa forme (Galates 5.6 ; 1 Jean 2.6). On pourrait dire qu’il fait des œuvres non pour être sauvé mais parce qu’il est sauvé ! Et ces actions là ne s’apparentent plus à des mérites. D’ailleurs, toujours selon Saint Paul, même les œuvres effectuées par le chrétien ne viennent pas de lui mais constituent encore un “don” de Dieu : «Ce que nous sommes, nous le devons à Dieu, car par notre union avec le Christ, Dieu nous a créé pour une vie riche d’œuvres bonnes qu’il a préparées à l’avance afin que nous les accomplissions.» (Ephésiens 2.10) !
Pourtant, même si le croyant dès le premier pas de la foi, vit déjà virtuellement dans l’éternité (1 Jean 5.11-13), il ne peut se soustraire à la condition humaine, douloureuse pour lui aussi. On peut même affirmer que la souffrance est inévitable pour celui qui marche avec Dieu mais par contre, elle apprend à compter sur lui et sur le chemin étroit jonché d’épreuves conduisant au seuil de l’éternité, les auteurs bibliques attestent que le Christ soutient tous ceux qui se confient en lui (Matthieu 11.28 ; 1 Pierre 5.7). «Si tu ne marches que pendant les jours de beau temps, [disait à ce sujet un sage chinois] tu n’atteindras jamais ta destination.» !
Cette réflexion sur l’éternité sous l’éclairage de la Bible est loin d’être achevée. Nous avons conscience que traiter ainsi en quelques pages un sujet si élevé, si profond et à priori tellement inaccessible aux facultés humaines, ne peut qu’en appauvrir le contenu. Toutefois, le côté insatisfaisant ou incomplet des réponses avancées incitera peut-être le lecteur à examiner plus à fond cette pensée commune à tout un chacun. En tout cas, nous espérons avoir démontré la simplicité avec laquelle la Bible met les hommes de toute condition à même de comprendre le chemin de l’éternité.

Claude Bouchot


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(1) Allègre Claude, Dieu face à la science, Fayard, 1997, p. 223 (LP).
(2) Citons à ce propos la doctrine de l’immortalité de l’âme partagée par beaucoup de chrétiens et de croyants d’autres religions. Celle-ci, affirmée par Platon (dans son œuvre le Phédon) a été reprise par la plupart des Pères de l’Eglise, de Saint Augustin à Saint Thomas d’Aquin, avant d’être proclamée comme dogme par le concile de Latran V en 1513.
(3) «L’idée de la vie éternelle déplaît à certains, parce que leurs vies sont misérables. Mais ce n’est pas un simple prolongement de cette vie mortelle. C’est la vie de Dieu manifestée en Christ, qui donne dès à présent l’assurance de l’éternité à tous les croyants. La vie éternelle ne connaît pas la mort, la maladie, l’ennemi, le mal ou le péché. Ceux qui ne connaissent pas Christ agissent comme s’il n’existait rien au-delà de leur vie sur terre. En réalité, cette vie est une introduction à l’éternité.» (Extrait d’une note de la Bible d’étude Vie Nouvelle, Version Segond 21, Copyright © Société Biblique de Genève, CH-1204 Genève, 2004, Reproduit avec aimable autorisation – Tous droits réservés).
(4) Gerber Charles, Les sentiers de la foi, SDT, 1981, p. 35.
(5) Kurtz Johann-Heinrich, La révélation salutaire de Dieu, trad. Paul Chapuis, Lausanne, 1886, p. 21.
(6) Les écrivains bibliques utilisent souvent la symbolique des plantes pour révéler les mystères de Dieu. Dans cet arbre de vie, pourquoi ne pas reconnaître tout simplement l’éternité proprement dite ? Arbre de vie d’un jardin perdu anticipant celui de la Jérusalem céleste qui fructifiera chaque mois (Apocalypse 22.2) et dont pourront disposer éternellement tous ceux qui auront choisi la vie. Quant à l’arbre de la connaissance du bien et du mal, il exprime la différence entre la créature qui reçoit la vie et le créateur qui donne la vie, inévitable frontière que l’homme doit respecter sous peine de déchéance.
(7) Dans cette image initiale, se profile la victoire du Christ sur le mal.
(8) La Bible est tout simplement l’histoire de cette rédemption de l’homme perdu, par un Dieu Sauveur. «L’histoire du salut dans la Bible [écrit Suzanne de Dietrich] s’encadre entre deux visions qui constituent le prologue et l’épilogue du drame humain : la vision du paradis perdu et la vision de la Cité de Dieu. Ce sont comme deux fenêtres ouvertes sur l’éternité : la révélation de ce qui eût pu être si l’homme ne s’était séparé de Dieu ; la révélation de ce qui sera lorsque l’œuvre rédemptrice du Seigneur sera achevée et que l’humanité réconciliée s’épanouira dans la joie de Dieu.» (Le Dessein de Dieu, 4e éd., Neuchâtel, 1951, p. 11).
(9) Certains reconnaissent aussi dans cet arbre un symbole du Christ.
(10) Etant donné que pour croire, il faut savoir que croire, la foi suppose donc également la connaissance de Dieu qui résulte en particulier de la lecture et de la méditation de sa Parole. A cet égard, Saint Paul écrit que «la foi vient de ce qu’on entend, et ce qu’on entend vient de la parole du Christ.» (Romains 10.17).
(11) En d’autres termes et en simplifiant à l’extrême, on peut dire que l’existence terrestre a pour but d’amener l’être humain devant l’alternative suivante : vivre pour le moment ou vivre pour l’éternité. Il n’est pas de choix plus crucial ici-bas ! D’autant plus que jamais la Parole ne laisse entendre qu’une seconde occasion soit offerte après la mort pour revoir cette décision. Aussi, il paraît risqué de compter sur un hypothétique purgatoire, doctrine liée à celle de l’immortalité de l’âme qui remporte de moins en moins d’adhésion parmi les croyants et qui ne figure pas dans la Bible comme le reconnaît Mgr Bartmann dans son fameux Précis de Théologie Dogmatique (1951, II.525) : «Si l’on compare notre doctrine actuelle du purgatoire, à la lumière de la pratique de l’Eglise, avec celle de l’Eglise primitive, on reconnaîtra que ce dogme, comme tous les autres dogmes, a connu un développement. L’Ecriture n’en a pas parlé d’une manière formelle et précise».
(12) Malgré ce passage fort de l’Ecriture, bon nombre de chrétiens (certes, profondément sincères et respectables) pensent qu’ils doivent coopérer à l’œuvre du salut en faisant des œuvres méritoires mais comme nous le lisons, ce n’est pas ce qui ressort des écrits de Saint Paul. Cette tentative bien humaine est totalement inutile. Pire, elle annule “l’efficacité” du sacrifice du Christ, autrement dit, c’est une insulte à la grâce de Dieu ! On peut aussi se référer au texte de Galates 5.4, particulièrement explicite : «Mais, si c’est à la Loi que vous demandez de vous conduire à la vraie vie, vous n’avez plus rien de commun avec Christ ; si vous voulez gagner l’approbation divine par vos efforts et vos œuvres, vous vous coupez de la communion avec Christ, vous quittez le domaine de la grâce de Dieu.» (Parole vivante, la Bible transcrite par A. Kuen). Le merveilleux diamant ne serait-il plus gratuit et la foi ne serait-elle plus la seule condition pour l’acquérir ?

La grâce de Dieu, source de salut pour tous les hommes: «Grâce et paix à vous de la part de Dieu, notre Père, et du Seigneur Jésus-Christ !» (Philosophie)

15 juillet, 2011

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La grâce de Dieu, source de salut pour tous les hommes  
 
«Grâce et paix à vous de la part de Dieu, notre Père, et du Seigneur Jésus-Christ !»
(Ephésiens 1.2) 
 
Un jour, un chef d’état accordait la libération à un prisonnier condamné à mort. Cette amnistie fit la une des médias. L’homme libéré inopinément en fut reconnaissant toute sa vie. Un don immérité lui tombait littéralement du ciel. Enfin, il pouvait recommencer une vie nouvelle et n’avait plus envie de retourner dans son ancienne situation de vie débauchée. Cette décision inattendue l’avait complètement transformé, l’amenant désormais à être un membre utile pour sa famille et son entourage. Il parlait de son expérience merveilleuse à qui voulait l’entendre. Un proverbe ne dit-il pas que «de l’abondance du cœur, la bouche parle» ! Désormais, il avait trouvé un sens à sa vie et pouvait en apprécier chaque instant. Ce fut non la prison mais une grâce présidentielle inespérée qui conduisit cet homme dépravé à sa transformation complète.
Il y a plus de deux mille ans, il s’est passé dans notre monde une histoire analogue… mais combien plus merveilleuse encore ! Non seulement un prisonnier mais toute l’humanité a été graciée par un acte d’amour inconditionnel. Et ce ne fut pas la grâce d’un chef d’état mais celle de Dieu, manifestée par Jésus-Christ annoncé plusieurs siècles auparavant (Esaïe 53). Ce Messie (1) à venir de l’Ancien Testament accepta de vivre la condition humaine et toutes les souffrances d’ici-bas afin de libérer l’homme de l’esclavage du mal. La grâce (faveur imméritée) de Dieu est la seule «source de salut pour tous les hommes.» (Tite 2.11), elle exclut le désir de justice par les œuvres et transforme miraculeusement tous ceux qui l’acceptent.

Le salut de l’homme résulte uniquement de la grâce de Dieu
Concept humainement inconcevable, par amour pour ses créatures vouées à la perdition éternelle, Jésus-Christ, Fils de Dieu – devenu fils de l’homme – s’est dépouillé de tout, même de sa vie… afin de les sauver ! Autrement dit, il a pris sur lui le châtiment que l’humanité aurait mérité à cause de ses péchés. Il a ainsi accepté la mort la plus atroce – celle de la croix – pour payer le prix des transgressions des hommes. Mais la mort (étant le salaire du péché selon les Ecritures) ne pouvait le retenir dans la tombe, lui qui était parfaitement innocent. C’est pourquoi Dieu l’a rendu à la vie… et en même temps, tous ceux qui acceptent sa grâce. Dans sa lettre aux Ephésiens, Paul explique justement comment Dieu arrache ses créatures à la mort spirituelle : «Autrefois, vous étiez spirituellement morts à cause de vos fautes, à cause de vos péchés. [...] Mais la compassion de Dieu est immense, son amour pour nous est tel que, [...] il nous a fait revivre avec le Christ. C’est par la grâce de Dieu que vous avez été sauvés. Dans notre union avec Jésus-Christ, Dieu nous a ramenés de la mort avec lui pour nous faire régner avec lui dans le monde céleste. Par la bonté qu’il nous a manifestée en Jésus-Christ, il a voulu démontrer pour tous les siècles à venir la richesse extraordinaire de sa grâce.» (Ephésiens 2.1-7, BFC).
La grâce de Dieu est un concept tellement inouï qu’il semble effectivement dépasser l’intelligence humaine… à tel point que beaucoup d’hommes l’acceptent difficilement ! Et pourtant, l’Ecriture ne cesse de souligner cet attribut divin qui est en fait le thème principal de l’Evangile (le mot grâce revient plus de 160 fois dans la Bible). La grâce est l’expression de l’amour de Dieu envers ses créatures : «Dieu a tant aimé le monde [écrit l'apôtre Jean] qu’il a donné son fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle.» (Jean 3.16). Si à cause du péché tous les hommes méritent la mort, à tous cependant est offerte la grâce d’un Dieu aimant… la dette de chacun a déjà été payée par le créateur, c’est la bonne nouvelle de l’Evangile !
Par sa mort et sa résurrection (trois jours après comme il l’avait annoncé à ses disciples), le Christ a donc sauvé non seulement un prisonnier mais toute l’humanité. Cette bonne nouvelle a bouleversé la vie de ses disciples avant que ceux-ci – et leurs successeurs – la propagent dans le monde entier. Mais est-ce si facile de croire à cette grâce divine ? Peut-être quelqu’un mourrait-il pour un homme de bien, mais qui serait prêt à se sacrifier pour des gens de mauvaise vie ? Certainement personne ! Cet amour insensé nous dépasse et nous empêche souvent de saisir ce don immérité. Et pourtant, son acceptation constitue la seule condition du salut comme le rappelle clairement le livre des Actes des Apôtres : «Crois au Seigneur Jésus et tu seras sauvé, et ta famille avec toi.» (Actes 16.31, BFC).

La grâce exclut les œuvres méritoires
Revenons à notre prisonnier condamné à mort et gracié. Il a dû certainement faire un bond en lisant le décret de sa libération ! Assurément, il a bien entendu les paroles du directeur de la prison lui disant de se préparer pour la sortie et n’a pas préféré rester dans ce lieu le privant, comme un esclave, de toute dignité humaine. Quant à nous, chrétiens, qui «avons été rendus justes devant Dieu à cause de notre foi» (Romains 5.1, BFC), sommes-nous vraiment conscients de ce salut extraordinaire à la manière de cet homme apprenant sa libération ? Ayant découvert et accepté depuis longtemps ce message extraordinaire du salut par la foi ou l’ayant peut-être reçu récemment, comment perçevons-nous réellement cette bonne nouvelle, plus précisément, comment la vivons-nous chaque jour de notre vie ? Par exemple, grande est la tentation de vivre le christianisme à la lettre c’est-à-dire intellectuellement. Nous avons bien compris les faits historico-religieux et en sommes même convaincus mais l’Esprit de Dieu n’a pas réussi à nous transformer complètement.
Ou avons-nous peut-être gardé une certaine réserve, de petites incertitudes. Alors, hésitant à nous approcher de Dieu avec confiance comme de petits enfants afin de lui demander pardon et ne voulant surtout pas reconnaître notre totale impuissance à gagner le ciel par nos propres moyens, nous essayons de travailler durement pour acquérir la vie éternelle promise. Autrement dit, nous écoutons la bonne nouvelle du salut gratuit par la foi en Jésus Christ tout en continuant à nous comporter comme des prisonniers cherchant à mériter leur libération ! Bref, notre orgueil humain ne nous incite pas à accepter volontiers – à titre gracieux – une place dans l’éternité, mais nous pousse plutôt à rechercher ce salut par nos propres œuvres ! Dans plusieurs de ses lettres où il aborde la question, Paul nous fait comprendre que le salut ne s’obtient que par la foi, non par l’obéissance à la loi : «Ce n’est pas par les œuvres de la loi que l’homme est justifié, mais par la foi en Jésus-Christ.» (Galates 2.16) ; «Et que nul ne soit justifié devant Dieu par la loi, cela est évident, puisqu’il est dit : Le juste vivra par la foi.» (Galates 3.11) ; «En effet, c’est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Ce n’est pas par les œuvres, afin que personne ne puisse se vanter.» (Ephésiens 2.8-9).

La grâce transforme le croyant
La conséquence naturelle du bénéfice de la grâce chez les chrétiens devrait être la même que pour le prisonnier gracié. Le fait de savoir qu’une vie nouvelle avec un idéal élevé peut commencer et que les choses anciennes sont effacées et pardonnées par un Sauveur aimant, devrait nous inciter à lui être agréables par des actes de reconnaissance et non plus méritoires. Et même ces actes de gratitude, ces «bonnes actions [c'est Dieu qui les] a préparées depuis longtemps pour nous.» (Ephésiens 2.10, Parole vivante par Alfred Kuen). De surcroît, en acceptant la grâce divine «Dieu lui-même œuvre en [nous], sa bienveillance suscite en [nous] à la fois la volonté et l’action, afin que ses desseins soient exécutés.» (Philippiens 2.13, Parole vivante par Alfred Kuen).
Complètement transformés, nos visages devraient être enfin rayonnants amenant les gens de notre entourage à se poser des questions sur notre métamorphose inexplicable. Ayant reçu la vraie vie en abondance, nous ne saurions nous taire comme les premiers disciples. Répandre cette bonne nouvelle de la grâce en toute occasion autour de nous devrait être notre objectif suprême, non dans le but d’amener nos amis à une quelconque dénomination religieuse mais surtout au pied de la croix du rédempteur Jésus-Christ.
«En effet, la grâce de Dieu s’est révélée comme une source de salut pour tous les hommes ; elle s’est levée sur ce monde, illuminant l’humanité entière et apportant à tous la possibilité d’être délivrés du péché. Elle veut nous éduquer et nous amener à nous détourner de toute impiété, à rejeter toutes les passions et convoitises terrestres et à renoncer à la course aux plaisirs. Elle nous enseigne à vivre dans le monde présent avec sagesse, réserve et maîtrise de soi, en toute intégrité et honorabilité devant Dieu. Elle remplit nos cœurs de l’attente ardente de la réalisation de notre bienheureuse espérance : l’avénement glorieux de notre grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ. Ne s’est-il pas livré lui-même pour nous afin de payer la rançon de toutes nos injustices et de nous racheter ainsi de l’asservissement au péché, en vue de se créer un peuple purifié du mal qui lui appartienne tout entier et qui se passionne pour l’accomplissement d’œuvres bonnes.» (Tite 2 .11-14, Parole vivante par Alfred Kuen).

Karin Bouchot
 
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(1) Notons en passant que son existence et sa mort sont attestées par les historiens de l’époque, en particulier par Flavius Josèphe.  

«Grâce et paix à vous de la part de Dieu, notre Père, et du Seigneur Jésus-Christ !» (Philosophie)

16 mars, 2011

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La grâce de Dieu, source de salut pour tous les hommes
 
«Grâce et paix à vous de la part de Dieu, notre Père, et du Seigneur Jésus-Christ !»
(Ephésiens 1.2)
 
Un jour, un chef d’état accordait la libération à un prisonnier condamné à mort. Cette amnistie fit la une des médias. L’homme libéré inopinément en fut reconnaissant toute sa vie. Un don immérité lui tombait littéralement du ciel. Enfin, il pouvait recommencer une vie nouvelle et n’avait plus envie de retourner dans son ancienne situation de vie débauchée. Cette décision inattendue l’avait complètement transformé, l’amenant désormais à être un membre utile pour sa famille et son entourage. Il parlait de son expérience merveilleuse à qui voulait l’entendre. Un proverbe ne dit-il pas que «de l’abondance du cœur, la bouche parle» ! Désormais, il avait trouvé un sens à sa vie et pouvait en apprécier chaque instant. Ce fut non la prison mais une grâce présidentielle inespérée qui conduisit cet homme dépravé à sa transformation complète.
Il y a plus de deux mille ans, il s’est passé dans notre monde une histoire analogue… mais combien plus merveilleuse encore ! Non seulement un prisonnier mais toute l’humanité a été graciée par un acte d’amour inconditionnel. Et ce ne fut pas la grâce d’un chef d’état mais celle de Dieu, manifestée par Jésus-Christ annoncé plusieurs siècles auparavant (Esaïe 53). Ce Messie (1) à venir de l’Ancien Testament accepta de vivre la condition humaine et toutes les souffrances d’ici-bas afin de libérer l’homme de l’esclavage du mal. La grâce (faveur imméritée) de Dieu est la seule «source de salut pour tous les hommes.» (Tite 2.11), elle exclut le désir de justice par les œuvres et transforme miraculeusement tous ceux qui l’acceptent.

Le salut de l’homme résulte uniquement de la grâce de Dieu
Concept humainement inconcevable, par amour pour ses créatures vouées à la perdition éternelle, Jésus-Christ, Fils de Dieu – devenu fils de l’homme – s’est dépouillé de tout, même de sa vie… afin de les sauver ! Autrement dit, il a pris sur lui le châtiment que l’humanité aurait mérité à cause de ses péchés. Il a ainsi accepté la mort la plus atroce – celle de la croix – pour payer le prix des transgressions des hommes. Mais la mort (étant le salaire du péché selon les Ecritures) ne pouvait le retenir dans la tombe, lui qui était parfaitement innocent. C’est pourquoi Dieu l’a rendu à la vie… et en même temps, tous ceux qui acceptent sa grâce. Dans sa lettre aux Ephésiens, Paul explique justement comment Dieu arrache ses créatures à la mort spirituelle : «Autrefois, vous étiez spirituellement morts à cause de vos fautes, à cause de vos péchés. [...] Mais la compassion de Dieu est immense, son amour pour nous est tel que, [...] il nous a fait revivre avec le Christ. C’est par la grâce de Dieu que vous avez été sauvés. Dans notre union avec Jésus-Christ, Dieu nous a ramenés de la mort avec lui pour nous faire régner avec lui dans le monde céleste. Par la bonté qu’il nous a manifestée en Jésus-Christ, il a voulu démontrer pour tous les siècles à venir la richesse extraordinaire de sa grâce.» (Ephésiens 2.1-7, BFC).
La grâce de Dieu est un concept tellement inouï qu’il semble effectivement dépasser l’intelligence humaine… à tel point que beaucoup d’hommes l’acceptent difficilement ! Et pourtant, l’Ecriture ne cesse de souligner cet attribut divin qui est en fait le thème principal de l’Evangile (le mot grâce revient plus de 160 fois dans la Bible). La grâce est l’expression de l’amour de Dieu envers ses créatures : «Dieu a tant aimé le monde [écrit l'apôtre Jean] qu’il a donné son fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle.» (Jean 3.16). Si à cause du péché tous les hommes méritent la mort, à tous cependant est offerte la grâce d’un Dieu aimant… la dette de chacun a déjà été payée par le créateur, c’est la bonne nouvelle de l’Evangile !
Par sa mort et sa résurrection (trois jours après comme il l’avait annoncé à ses disciples), le Christ a donc sauvé non seulement un prisonnier mais toute l’humanité. Cette bonne nouvelle a bouleversé la vie de ses disciples avant que ceux-ci – et leurs successeurs – la propagent dans le monde entier. Mais est-ce si facile de croire à cette grâce divine ? Peut-être quelqu’un mourrait-il pour un homme de bien, mais qui serait prêt à se sacrifier pour des gens de mauvaise vie ? Certainement personne ! Cet amour insensé nous dépasse et nous empêche souvent de saisir ce don immérité. Et pourtant, son acceptation constitue la seule condition du salut comme le rappelle clairement le livre des Actes des Apôtres : «Crois au Seigneur Jésus et tu seras sauvé, et ta famille avec toi.» (Actes 16.31, BFC).

La grâce exclut les œuvres méritoires
Revenons à notre prisonnier condamné à mort et gracié. Il a dû certainement faire un bond en lisant le décret de sa libération ! Assurément, il a bien entendu les paroles du directeur de la prison lui disant de se préparer pour la sortie et n’a pas préféré rester dans ce lieu le privant, comme un esclave, de toute dignité humaine. Quant à nous, chrétiens, qui «avons été rendus justes devant Dieu à cause de notre foi» (Romains 5.1, BFC), sommes-nous vraiment conscients de ce salut extraordinaire à la manière de cet homme apprenant sa libération ? Ayant découvert et accepté depuis longtemps ce message extraordinaire du salut par la foi ou l’ayant peut-être reçu récemment, comment perçevons-nous réellement cette bonne nouvelle, plus précisément, comment la vivons-nous chaque jour de notre vie ? Par exemple, grande est la tentation de vivre le christianisme à la lettre c’est-à-dire intellectuellement. Nous avons bien compris les faits historico-religieux et en sommes même convaincus mais l’Esprit de Dieu n’a pas réussi à nous transformer complètement.
Ou avons-nous peut-être gardé une certaine réserve, de petites incertitudes. Alors, hésitant à nous approcher de Dieu avec confiance comme de petits enfants afin de lui demander pardon et ne voulant surtout pas reconnaître notre totale impuissance à gagner le ciel par nos propres moyens, nous essayons de travailler durement pour acquérir la vie éternelle promise. Autrement dit, nous écoutons la bonne nouvelle du salut gratuit par la foi en Jésus Christ tout en continuant à nous comporter comme des prisonniers cherchant à mériter leur libération ! Bref, notre orgueil humain ne nous incite pas à accepter volontiers – à titre gracieux – une place dans l’éternité, mais nous pousse plutôt à rechercher ce salut par nos propres œuvres ! Dans plusieurs de ses lettres où il aborde la question, Paul nous fait comprendre que le salut ne s’obtient que par la foi, non par l’obéissance à la loi : «Ce n’est pas par les œuvres de la loi que l’homme est justifié, mais par la foi en Jésus-Christ.» (Galates 2.16) ; «Et que nul ne soit justifié devant Dieu par la loi, cela est évident, puisqu’il est dit : Le juste vivra par la foi.» (Galates 3.11) ; «En effet, c’est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Ce n’est pas par les œuvres, afin que personne ne puisse se vanter.» (Ephésiens 2.8-9).

La grâce transforme le croyant
La conséquence naturelle du bénéfice de la grâce chez les chrétiens devrait être la même que pour le prisonnier gracié. Le fait de savoir qu’une vie nouvelle avec un idéal élevé peut commencer et que les choses anciennes sont effacées et pardonnées par un Sauveur aimant, devrait nous inciter à lui être agréables par des actes de reconnaissance et non plus méritoires. Et même ces actes de gratitude, ces «bonnes actions [c'est Dieu qui les] a préparées depuis longtemps pour nous.» (Ephésiens 2.10, Parole vivante par Alfred Kuen). De surcroît, en acceptant la grâce divine «Dieu lui-même œuvre en [nous], sa bienveillance suscite en [nous] à la fois la volonté et l’action, afin que ses desseins soient exécutés.» (Philippiens 2.13, Parole vivante par Alfred Kuen).
Complètement transformés, nos visages devraient être enfin rayonnants amenant les gens de notre entourage à se poser des questions sur notre métamorphose inexplicable. Ayant reçu la vraie vie en abondance, nous ne saurions nous taire comme les premiers disciples. Répandre cette bonne nouvelle de la grâce en toute occasion autour de nous devrait être notre objectif suprême, non dans le but d’amener nos amis à une quelconque dénomination religieuse mais surtout au pied de la croix du rédempteur Jésus-Christ.
«En effet, la grâce de Dieu s’est révélée comme une source de salut pour tous les hommes ; elle s’est levée sur ce monde, illuminant l’humanité entière et apportant à tous la possibilité d’être délivrés du péché. Elle veut nous éduquer et nous amener à nous détourner de toute impiété, à rejeter toutes les passions et convoitises terrestres et à renoncer à la course aux plaisirs. Elle nous enseigne à vivre dans le monde présent avec sagesse, réserve et maîtrise de soi, en toute intégrité et honorabilité devant Dieu. Elle remplit nos cœurs de l’attente ardente de la réalisation de notre bienheureuse espérance : l’avénement glorieux de notre grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ. Ne s’est-il pas livré lui-même pour nous afin de payer la rançon de toutes nos injustices et de nous racheter ainsi de l’asservissement au péché, en vue de se créer un peuple purifié du mal qui lui appartienne tout entier et qui se passionne pour l’accomplissement d’œuvres bonnes.» (Tite 2 .11-14, Parole vivante par Alfred Kuen).

Karin Bouchot
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1) Notons en passant que son existence et sa mort sont attestées par les historiens de l’époque, en particulier par Flavius Josèphe.

Extrait de « La proximité de l’autre » et de « Violence du visage » (Emanuel Levinas)

5 janvier, 2011

du site:

http://www.philo5.com/Les%20philosophes%20Textes/Levinas_Visage.htm

Visage de l’autre
par Emmanuel Levinas

Levinas Histoir:

http://fr.wikipedia.org/wiki/Emmanuel_Levinas

Extrait de « La proximité de l’autre » et de « Violence du visage »

1. La proximité de l’autre
2. Violence du visage

La proximité de l’autre [1]
Quand je parle de philosophie première, je me réfère à une philosophie du dialogue qui ne peut pas ne pas être une éthique. Même la philosophie qui questionne le sens de l’être le fait à partir de la rencontre d’autrui.
[...]
Toute rencontre commence par une bénédiction, contenue dans le mot bonjour. Ce bonjour que tout cogito, que toute réflexion sur soi présuppose déjà et qui serait la première transcendance. Ce salut adressé à l’autre homme est une invocation. J’insiste donc sur la primauté de la relation bienveillante à l’égard d’autrui. Quand bien même il y aurait malveillance de la part de l’autre, l’attention, l’accueil de l’autre, comme sa reconnaissance marque cette antériorité du bien sur le mal.
[...]
Autrui à qui je m’adresse, ne serait-il pas d’abord celui envers qui j’ai la relation que l’on a à l’égard de celui qui est plus faible. Par exemple : je suis généreux envers autrui sans que cette générosité soit aussitôt réclamée comme réciproque. Bien que Buber soit l’un des premiers penseurs à mettre l’accent sur une relation du Je-tu par rapport au Je-cela, ce concept de réciprocité me troublait parce que dès lors que l’on est généreux en espérant la réciprocité, cette relation ne relève plus de la générosité mais de la relation commerciale, l’échange de bons procédés. Dans la relation à autrui, l’autre m’apparaît comme celui à qui je dois quelque chose, à l’égard de qui j’ai une responsabilité. De là, l’asymétrie de la relation du Je-tu, et l’inégalité radicale entre le Je et le tu, car toute relation avec autrui est une relation avec un être envers lequel j’ai des obligations.
[...]
Dans cette relation à l’autre, il n’y a pas de fusion, la relation à l’autre est envisagée comme altérité. L’autre est l’altérité. La pensée de Buber m’a poussé à m’engager dans une phénoménologie de la socialité, qui est plus que l’humain. La socialité est pour moi le meilleur de l’humain. C’est le bien, et non pas le pis-aller d’une fusion impossible. Dans l’altérité du visage, le pour-l’autre commande le moi. Il s’agit enfin de fonder la justice qui offusque le visage sur l’obligation à l’égard du visage, extériorité extraordinaire du visage.
La sociabilité est cette altérité du visage, du pour-l’autre, qui m’interpelle, voix qui monte en moi avant toute expression verbale, dans la mortalité du moi, du fond de ma faiblesse. Cette voix est un ordre, j’ai l’ordre de répondre de la vie de l’autre homme. Je n’ai pas le droit de le laisser seul à sa mort.
[...]
Le visage est seigneurie et le sans-défense même. Que dit le visage quand je l’aborde? Ce visage exposé à mon regard est désarmé. Quelle que soit la contenance qu’il se donne, que ce visage appartienne à un personnage important, étiqueté ou en apparence plus simple. Ce visage est le même, exposé dans sa nudité. Sous la contenance qu’il se donne perce toute sa faiblesse et en même temps surgit sa mortalité. À tel point que je peux vouloir le liquider complètement, pourquoi pas? Cependant, c’est là que réside toute l’ambiguïté du visage, et de la relation à l’autre. Ce visage de l’autre, sans recours, sans sécurité, exposé à mon regard dans sa faiblesse et sa mortalité est aussi celui qui m’ordonne : « Tu ne tueras point ». Il y a dans le visage la suprême autorité qui commande, et je dis toujours, c’est la parole de Dieu. Le visage est le lieu de la parole de Dieu. Il y a la parole de Dieu en autrui, parole non thématisée.
Le visage est cette possibilité du meurtre, cette impuissance de l’être et cette autorité qui me commande «tu ne tueras point».
Ce qui distingue donc le visage dans son statut de tout objet connu, tient à son caractère contradictoire. Il est toute faiblesse et toute autorité.
Cet ordre qu’il expose à l’autre relève aussi de l’exigence de responsabilité de ma part. Cet infini en un sens qui s’offre à moi, marque une non-indifférence pour moi dans mon rapport à l’autre, où je n’en ai jamais fini avec lui. Quand je dis « Je fais mon devoir », je mens, car je ne suis jamais quitte envers l’autre. Et dans ce jamais quitte, il y a la « mise en scène » de l’infini, responsabilité inépuisable, concrète. Impossibilité de dire non.
[...]
Cette manière d’être pour l’autre, c’est-à-dire, d’être responsable pour l’autre, c’est quelque chose de terrible car cela signifie que si l’autre fait quelque chose, c’est moi qui suis responsable. L’otage est celui que l’on trouve responsable de ce qu’il n’a pas fait. Celui qui est responsable de la faute d’autrui. Je suis en principe responsable, et avant la justice qui distribue, avant les mesures de la justice. C’est concret vous savez! Ce n’est pas inventé! Quand vous avez rencontré un être humain, vous ne pouvez pas le laisser tomber. La plupart du temps, on laisse tomber, on dit, j’ai tout fait! Or, on n’a rien fait ! C’est ce sentiment, cette conscience qu’on n’a rien fait qui nous donne le statut d’otage avec la responsabilité de celui qui n’est pas coupable, qui est innocent. L’innocent, quel paradoxe! C’est celui qui ne nuit pas. C’est celui qui paye pour un autre.
Autrui nous engage dans une situation où vous êtes obligé sans culpabilité mais votre obligation n’en est pas moindre. C’est en même temps une charge. C’est lourd et si vous voulez, la bonté c’est cela.

Violence du visage [2]
L’idée importante quand j’évoque le visage d’autrui, la trace de l’Infini, ou la Parole de Dieu, est celle d’une signifiance de sens qui, originellement, n’est pas thème, n’est pas objet d’un savoir, n’est pas être d’un étant, n’est pas représentation. Un Dieu qui me concerne par une Parole exprimée en guise de visage de l’autre homme, est une transcendance qui ne devient jamais immanence. Le visage d’autrui est sa manière de signifier. J’emploie aussi une autre formule : Dieu ne prend jamais corps. Il ne devient jamais, à proprement parler, étant. C’est cela son invisibilité. [...]
J’ai toujours décrit le visage du prochain comme porteur d’un ordre, imposant au moi à l’égard d’autrui une responsabilité gratuite – et incessible, comme si le moi était élu et unique – et où autrui était absolument autre, c’est-à-dire encore incomparable et, ainsi, unique. Mais les hommes qui m’entourent font nombre. D’où la question : qui est mon prochain? Question inévitable de la justice. Nécessité de comparer les incomparables, de connaître les hommes ; d’où leur apparaître comme formes plastiques de figures visibles et, en quelque façon, « dé-visagés » : comme un groupement auquel l’unicité du visage s’arrache comme à un contexte, source de mon obligation envers les autres hommes ; source à laquelle la recherche même de la justice remonte en fin de compte et dont l’oubli risque de transformer en calcul purement politique – et jusqu’aux abus totalitaires –l’œuvre sublime et difficile de la justice. [...]
[...] la responsabilité pour l’autre homme ou, si vous voulez, l’épiphanie du visage humain constitue comme une percée de la croûte de « l’être persévérant dans son être » et soucieux de lui-même. Responsabilité pour autrui, le pour-1′autre « dés-intéressé » de la sainteté. Je ne dis pas que les hommes sont des saints ou vont vers la sainteté. Je dis seulement que la vocation de la sainteté est reconnue par tout être humain comme valeur et que cette reconnaissance définit l’humain. L’humain a percé l’être imperturbable. Même si aucune organisation sociale, ni aucune institution ne peut au nom des nécessités purement ontologiques, assurer, ni même produire la sainteté. Or, il y eut des saints.
[...] l’origine du sensé dans le visage d’autrui appelle cependant – devant la pluralité de fait des humains – la justice et le savoir ; l’exercice de la justice demande des tribunaux et des institutions politiques et même – paradoxalement – une certaine violence que toute justice implique. La violence est originellement justifiée comme la défense de l’autre, du prochain (fût-il mon parent ou mon peuple!), mais est violence pour quelqu’un.
[...] le philosophe et le savant qui raisonnent et jugent et l’homme d’État ne seront pas exclus du spirituel. Mais son sens est originellement dans l’humain, dans le fait initial que l’homme est concerné par l’autre homme. Il est à la base de la banalité selon laquelle peu de choses intéressent autant l’homme que l’autre homme.
[...]
Rechercher l’« origine » du mot Dieu, les circonstances concrètes de sa signifiance, est absolument nécessaire. On commence par accepter sa Parole au nom de l’autorité sociale de la religion. Comment être sûr que la Parole ainsi acceptée est bien celle que parle Dieu? Il faut rechercher l’expérience originelle. La philosophie – ou la phénoménologie – est nécessaire pour reconnaître Sa voix. J’ai pensé que c’est dans le visage d’autrui qu’il me parle pour la « première fois ». C’est dans la rencontre de l’autre homme qu’il me « vient à l’esprit » ou « tombe sous le sens ».
[...] j’ai fait une tentative de rejoindre la justice à partir de ce qu’on peut appeler la charité et qui m’apparaît comme une obligation illimitée à l’égard d’autrui, et en ce sens accession à son unicité de personne, et en ce sens amour : amour désintéressé, sans concupiscence. Je vous ai déjà dit comment cette obligation initiale, devant la multiplicité des humains, se fait justice. Mais il est très important à mes yeux que la justice découle, soit issue, de la prééminence d’autrui. Il faut que les institutions que la justice exige, soient contrôlées par la charité dont la justice est issue. La justice inséparable des institutions, et ainsi de la politique risque de faire méconnaître le visage de l’autre homme.
[...] La théologie naturelle [le discours philosophique] est nécessaire pour reconnaître ensuite la voix et l’« accent » de Dieu dans les Écritures mêmes. Nécessité qui est peut-être le motif de la philosophie religieuse elle-même. Le séducteur connaît toutes les astuces du langage et toutes ses ambiguïtés, il connaît tous les termes de la dialectique. Il existe précisément en tant que moment de la liberté humaine et le plus dangereux des séducteurs est celui qui vous entraîne par des paroles pieuses à la violence et au mépris de l’autre homme.
[...]
[...] la dépravation humaine elle-même ne saurait effacer la vocation humaine à la sainteté. Je n’affirme pas la sainteté humaine, je dis que l’homme ne saurait contester la suprême valeur de la sainteté. En 1968 – année de la contestation dans les universités et autour des universités – toutes les valeurs étaient « en l’air », sauf la valeur de l’« autre homme » auquel il fallait se vouer. Les jeunes gens qui durant des heures se livraient à tous les amusements et à tous les désordres allaient en fin de journée rendre visite aux « ouvriers en grève chez Renault » comme à une prière. L’homme est l’être qui reconnaît la sainteté et l’oubli de soi. Le « pour soi » se prête toujours à la suspicion. Nous vivons dans un État où l’idée de justice est superposée à cette charité initiale, mais dans cette charité initiale réside l’humain ; à elle remonte la justice elle-même. L’homme n’est pas seulement l’être qui comprend ce que signifie l’être, comme le voudrait Heidegger, mais l’être qui a déjà entendu et compris le commandement de la sainteté dans le visage de l’autre homme.
 

[1] Emmanuel Levinas, Entretiens avec Anne-Catherine Benchelah, dans Phréatique, 1986. Extrait de Emmanuel Levinas,  Altérité et transcendance, Fata Morgana (Livre de Poche # 4397) © 1995, pages 108 à 115.
[2] Emmanuel Levinas, Entretiens avec Angelo Bianchi, dans Hermeneutica, 1985. Extrait de Ibid., pages 171 à 182.

Aristote au Mont Saint Michel

20 novembre, 2009

pour ce post regardez le commentaire et ma response à Trikapalanet, du site:

http://www.ichtus.fr/ichtus_article_impression.php3?id_article=418

Livres en vitrine

Aristote au Mont Saint Michel

Date de mise en ligne : 18 juillet 2008

Date de publication : juillet 2008

Malgré les travaux de nombreux médiévistes, nous assistons à une réécriture de l’histoire qui fait dire à certains que les « racines de l’Europe sont autant chrétiennes que musulmanes ». Ainsi s’impose l’idée d’une chrétienté qui devrait tout à l’Islam dans le domaine de la transmission du savoir grec, responsable de son essor culturel et scientifique et que le haut Moyen-âge aurait oublié. C’est cette thèse, cette théorie de la dette qui repose sur des raccourcis, des approximations et un parti prit idéologique, que Sylvain Gouguenheim entend réfuter en présentant une histoire dense et complexe qui n’obéit pas au schéma simpliste et lacunaire qui a cours de nos jours.
 
Aristote au Mont Saint Mchel
Sylvain Gougenheim – Editions du Seuil – 21€Aristote au Mont Saint Michel raconte l’histoire de la sauvegarde, de la transmission et de l’exploitation du savoir grec, depuis Byzance qui se tourna vers ses origines grecques, puis les chrétiens Syriaques et les moines d’Occident.

Les grands centres d’études grecques ne se situaient pas en terre d’Islam, mais à Byzance qui avait pris le relais de la culture antique. Les relations avec Constantinople se sont toujours maintenues par le biais d’échanges culturels directs, telle la circulation des manuscrits et des lettrés grecs et latins. Car en Occident les élites étaient à la recherche d’un tel savoir. Si le Moyen-âge s’est réapproprié la culture antique, il fut un temps où il l’avait presque perdue. Néanmoins des brides de savoir grec ont toujours subsisté et l’Occident chrétien a mené une quête pluri séculaire pour le retrouver, convaincu que c’était là que résidait la matrice de sa civilisation. Cette permanence d’un intérêt pour le savoir grec explique en partie les « Renaissances » culturelles successives de Charlemagne au XIIe siècle. On assista alors au développement de la culture livresque. Si l’Europe a une dette, c’est bien envers Constantinople, l’Empire Romain d’Orient.

Les Chrétiens syriaques n’ont pas tous choisi l’exil et sont restés chez eux, pour résister à l’islamisation en s’accommodant du pouvoir musulman. Le savoir et la science des Grecs ont été conservés et transmis grâce à ces communautés et au rayonnement de leurs innombrables monastères. Au alentour de l’an Mil, la moitié de la population du Moyen Orient était chrétienne. Le syriaque est une langue issue d’une branche de l’araméen, parlée par l’ensemble de ces populations chrétiennes, qui pratiquaient également le grec. Les syriaques avaient traduit dans leur langue Aristote, Galien, Hippocrate, Ptolémée pour comprendre les Grecs et lutter contre les hérésies. Ils les ont traduits à leur tour du syriaque à l’arabe. Ils ont même du créer un vocabulaire arabe pour les termes médicaux, techniques et scientifiques qui n’existaient pas dans cette langue réputée « parfaite ». Les conquérants étaient des guerriers, des marchands, pas des ingénieurs ou des savants, d’où une absence totale de termes scientifiques en arabe. L’Orient musulman doit tout à l’Orient chrétien.

Toujours dans le domaine des traductions, si l’Occident eut recourt au travail des chrétiens syriaques, il entreprit à son tour ses propres traduction du grec au latin. 50 ans avant les traductions d’Espagne (traductions d’après des versions arabes), oeuvra à l’abbaye du Mont Saint Michel un personnage hors du commun, Jacques de Venise. Ce clerc Italien qui vécut à Constantinople, traduisit du grec en latin les œuvres philosophiques et scientifiques d’Aristote avant 1127 et poursuivi son œuvre jusqu’à sa mort vers 1150. Ses traductions connurent un succès stupéfiant, ainsi que celles d’autres traducteurs, demeurés anonymes, qui ont également toutes précédé les traductions venues d’Espagne.

Il ne fait pas de doute que ces traducteurs ont œuvré sur demandes des abbés et des théologiens du nord de la France et d’Angleterre, ce qui leur permit de disposer de l’intégralité des manuscrits d’Aristote et de les faire fructifier. Car ces textes aussitôt traduits, étaient commentés, et cela dans la première moitié du XIIe siècle, au Mont Saint Michel.

Comment cet héritage a-t-il été exploité ? La Grèce avait inventé la politique et l’Europe s’en est inspirée, même s’il faut nuancer « le miracle grec ». Face aux pouvoirs d’une papauté en plein essor, les rois et leurs juristes se sont tournés vers la pensée politique antique, tel Philippe le Bel qui imposa l’antériorité et l’extériorité du pouvoir laïc face à celui de l’Eglise. En Orient musulman, qui disposait des textes d’Aristote depuis 400 ans, personne n’eut une telle audace, nul n’a élaboré de vision laïque du pouvoir. Aristote n’a pas fait évoluer la pensée politique des Abbassides ou des Seldjoukides. Le système juridique gréco-romain n’a jamais eu cours en terre d’Islam, car le droit doit « demeurer dans l’orbite tracée par le Coran » (p 162). En Occident, la naissance de « l’Etat moderne » est l’héritage politique et juridique des mondes gréco-romain et germanique.

Les auteurs musulmans placent la perfection à l’origine, donc ne peuvent ne serait-ce qu’envisager l’idée de progrès. La culture grecque a peu pénétré le monde islamique, car les Arabes musulmans n’ont jamais su le grec, ils n’ont eu accès qu’à des textes traduits et la langue est le premier véhicule de la pensée. La culture grecque a été sélectionnée en Occident, mais il en est resté l’esprit. L’Islam a pris ce qui l’intéressait, mais a rejeté l’esprit. Seule la logique avec quelques restrictions a été admise ; la littérature, la tragédie, la philosophie ont été repoussées. L’héritage grec fut trié selon les exigences du coran. Les deux civilisations, grecque et l’Islam, ne se sont pas mélangées.

Dans le monde chrétien, la philosophie a investi la théologie l’amenant à se modifier. En Islam, le logos grec fut écarté de la réflexion théologique, politique et juridique. Seuls quelques ouvrages mathématiques ou d’optique ont trouvé grâce. Aristote a eu une bien faible influence, alors que ses conceptions du monde, de la science, de la politique ont bouleversé l’Occident. A partir de la foi en un dieu unique, le christianisme et l’Islam ont développé des systèmes de pensée et des pratiques sociales totalement éloignés l’une de l’autre. Les échanges culturels ont été minimes et la civilisation européenne n’a rien emprunté à l’islam en tant que religion.

L’intermédiaire arabe, sans être inexistant, n’a pas eu l’impact qu’on lui attribue. Ce livre s’arrête au XIIe siècle, à l’époque de Saint Louis où l’on peut dater les débuts de la science moderne qui sont au crédit des seuls Européens. Si l’Occident a progressé avec la Physique et les Métaphysique d’Aristote, il s’est surtout développé en exerçant son esprit critique sur ces œuvres. Sans doute à cause de sa longue habitude de l’exercice de la critique, il se libère de la pensée d’Aristote au XVIe siècle.

Avertissement

Vous n’êtes pas sans ignorer qu’il existe aujourd’hui une polémique à propos de cet ouvrage. En effet, Sylvain Gougenheim a osé démontrer que la transmission du savoir grec est passée en Occident en négligeant la case Islam. Proposer une thèse qui ne correspond pas à l’historiquement correct imposé par le législateur, fait que cet historien est victime d’une « fatwa » non pas de n’importe quelle mosquée, mais de ses « distingués » collègues de l’Ecole Normale Supérieure. Dans une pétition, publiée dans Télérama, ses recherches sont dénoncées comme non scientifiques, mais « il serait fastidieux de relever les erreurs » et il est reproché à l’auteur de faire une trop belle part à ce que notre culture doit aux chrétiens. Vous n’êtes pas sans savoir que le mot « chrétien » est devenu un gros mot pour ceux qui cultive ce curieux penchant qui consiste à se dénigrer soi-même. L’ignorance de la tradition culturelle européenne est à ce point patente chez certains professeurs qui croient que ce qu’ils méconnaissent n’existe pas. Rappelons-leur que la rigidité idéologique n’a jamais été favorable à la recherche et qu’ils devraient plutôt s’interroger sur leur responsabilité dans le classement désastreux des universités françaises à l’échelle mondiale.

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