Archive pour la catégorie 'Père Frédéric Manns'

Paul, le missionnaire (Père Manns)

8 février, 2012

http://www.christusrex.org/www1/ofm/pope2/intros/GPint06.html

Paul, le missionnaire

by Frédéric Manns

(Studium Biblicum Franciscanum – Jerusalem)

L’expérience du chemin de Damas allait transformer Paul en missionnaire du ressuscité. L’ancien émissaire du Sanhédrin devint l’envoyé du Christ. La communauté d’Antioche où Paul était l’hôte comprit rapidement qu’elle ne pouvait pas garder le message du Christ en vases clos. Les Juifs de la diaspora attendaient la plénitude de la révélation. Barnabé, Paul et Jean Marc furent envoyés par la communauté pour proclamer que Jésus de Nazareth humilié par les hommes est le Christ ressuscité.
Au cours de la première mission en Asie Mineure, en passant par Chypre, l’évangile fut annoncé dans des petits centres tels Paphos, Pergé, Antioche de Pisidie, Iconium, Lystres et Derbé. Barnabé originaire de Chypre avait la direction. Lorsque Paul prendra le commandement lors des missions successives, il agira méthodiquement. Lorsqu’il fondait une communauté chrétienne il choisissait des villes qui par leur position géographique, économique et culturelle constituaient des centres de rayonnement pour tout un arrière-pays. Généralement ces villes étaient des capitales des provinces de l’empire.
Paul laissait derrière lui une communauté solide qui, en tant que centre missionnaire, devait propager la foi dans les villes les plus proches. Il ne voulait pas la conversion de quelques uns, mais cherchait à organiser l’Eglise. La ville d’Antioche sur l’Oronte à partir de laquelle Barnabé et Paul ont accompli leur premier voyage servit de modèle. Le message fut répandu ainsi à Philippes, point de rencontre entre la Grèce et le reste du monde occidental ; à Thessalonique, capitale de la province de Macédoine, à Corinthe, capitale de la province d’Achaïe, et à Ephèse qui servait de résidence au gouverneur d’Asie et qui avec son Temple d’Artémis était un centre important de pèlerinages.
Enfin Athènes, la ville des philosophes, allait réserver des surprises à Paul. Les philosophes ne se laissent pas facilement convaincre. Les nouveautés leur sont suspectes par principe. Une tentative d’implantation dans la capitale a probablement échoué. Sur l’impossibilité de fonder une communauté à Athènes, Luc s’explique de façon magistrale dans les Actes des Apôtres 17,34. Peut-être Paul a-t-il tiré une leçon de cet échec à Athènes ? En examinant les projets de Paul on voit que son but était plutôt d’atteindre les ports que les capitales. En effet le message du Christ crucifié et ressuscité s’est répandu dans le monde entier essentiellement à partir des ports, les plaques tournantes de la vie internationale.
S’il en est ainsi pourquoi Paul a-t-il porté l’Evangile aux Galates ? Ce voyage ne correspond pas à sa tactique missionnaire (Ac 16,6-7). Paul a néanmoins évangélisé les Galates. Il semblait avoir pour dessein de traverser la Galatie et la Phrygie jusqu’en Bithynie qui avec ses ports offrait un intérêt apostolique. Dans sa lettre aux Galates 4,13 reconnaît que c’est à l’occasion d’une maladie qu’il leur a annoncé la bonne nouvelle.
Les Actes des Apôtres rédigés par Luc révèlent une vision de l’histoire du salut centrée sur Rome. En fait Rome n’a pas été le but ultime de l’activité apostolique de Paul. Cette finalité aurait été en contradiction avec sa règle évangélique : en fait Rome possédait déjà une église chrétienne florissante. Lorsque Paul, avant d’aller à Jérusalem, écrit une lettre de Corinthe à la communauté de Rome, il ne le fait que pour annoncer son voyage missionnaire en Espagne et son passage par Rome. Le séjour projeté n’est qu’une étape et non pas une évangélisation. Mais à Jérusalem. Paul est arrêté et son voyage se passe différemment de ce qu’il avait projeté. Après une traversée difficile et un naufrage à Malte où il doit passer l’hiver, Paul est placé en liberté surveillée. Il est ensuite libéré. Tout ce que nous savons c’est qu’il fut décapité hors de Rome. En dépit de l’interprétation eschatologique que Luc donne des voyages de Paul, les Actes des Apôtres 16,6-10 montrent que Paul considérait sa mission dans la partie orientale de l’empire comme achevée avec la création de la communauté d’Ephèse. A partir de là l’activité de Paul se déroule telle qu’elle est racontée dans les Actes des Apôtres.
A lire ce texte on a l’impression qu’il n’existe que des communautés fondées par Paul. Or le monde chrétien de l’époque se situait dans son ensemble en Orient, en Palestine et en Syrie, sans parler du christianisme égyptien et éthiopien. Les compagnons de Paul sont à peine mentionnés comme s’ils n’étaient que des compagnons de voyages sans responsabilités ni initiatives.
Un autre cliché des Actes doit être revu. D’après les Actes Paul prêche d’abord méthodiquement à la synagogue et ne s’adresse aux Juifs que si ces derniers refusent son message. Cette interprétation de Luc reflète la pensée de Paul : le salut est d’abord offert au Juif, ensuite au non-Juif. Mais à partir du concile de Jérusalem les accords sont plus clairs. Dans la lettre aux Galates 2,8-9 Paul affirme clairement que sa mission est pour les païens. Il n’est pas faux de dire que Paul a commencé à prêcher à la synagogue. Mais c’est dans les synagogues qu’il rencontre les craignant-Dieu, les païens sympathisants du judaïsme. Pour Paul la crucifixion de Jésus est déjà un appel vers les païens (Ga 3,13-14).
Paul considérait son travail achevé dans la partie orientale de l’empire avec la fondation de la communauté d’Ephèse. Avant de se rendre à Jérusalem il se trouva confronté aux crises les plus graves de sa vie missionnaire : ces crises affectaient les communautés de Galatie, de Corinthe et d’Ephèse.
Des rapports lui étaient parvenus selon lesquels des missionnaires étrangers attaquaient son évangile. De même que Paul n’intervenait pas dans les communautés fondées par d’autres, de même il n’acceptait pas d’ingérence étrangère. L’évangile qu’il annonçait il l’avait reçu de Dieu même. Le fait d’être affronté à des schismes naissants dans l’Eglise lui montre ce que peut signifier une séparation dans l’Eglise.
Des difficultés de tous ordres avaient surgi en Galatie, à Corinthe et à Ephèse. C’est au cours de cette période difficile que Paul écrit ses lettres à Corinthe, son épître aux galates et aussi aux Philippiens.
L’épître écrite de Corinthe à Rome est une préparation à ce qui devait sauver la deuxième partie de son apostolat : une mise en forme des thèmes de l’Evangile qu’il avait propagés dans la partie orientale de l’empire. Paul traite les problèmes brûlants de la foi et nous connaissons son intention d’annoncer l’Evangile aux limites du monde occidental (Rom 15,24-28).
Les Actes des Apôtres racontent innocemment que Paul, en route vers Jérusalem, évite l’escale d’Ephèse pour gagner du temps (20,16), mais que toutefois il envoie un messager pour inviter les chefs de la communauté à lui rendre visite à Milet. Dans le testament que Paul leur fait la réalité douloureuse que Paul vit est décrite comme un événement menaçant à venir : « Je sais qu’après mon départ des loups féroces s’introduiront parmi vous qui n’épargneront pas le troupeau ». Dans la deuxième lettre à Timothée Paul confesse: « Tu le sais, ceux d’Asie m’ont abandonné ». La révolte des orfèvres d’Ephèse ne suffit pas à expliquer l’attitude de Paul. Paul s’est heurté aux anti-pauliniens et aux pseudo-pauliniens. Des gens qui se réclamaient de son Evangile de liberté répandaient un enseignement que Paul devait repousser. La doctrine paulinienne de la justification par la foi prend dans les épîtres aux Galates et aux Romains la forme d’un thème théologique en raison des difficultés rencontrées en Galatie et à Corinthe. Pour Paul il n’y a qu’un chemin vers le salut : Jésus dont la grandeur s’est révélée dans son abaissement.
La lettre de Jacques propose une théologie différente de celle de Paul. Pour Jacques on n’est heureux que par les oeuvres. Jacques ne s’attaque pas à Paul, mais à un paulinisme mal compris. Mais il est significatif que Jacques dans son enseignement de la justification par les oeuvres personnelles, tout comme Paul dans son enseignement sur la justification par la foi, citent le même verset de l’Ecriture relatif au consentement d’Abraham à sacrifier Isaac (Rom 4 et Jc 2,21-23). Tous deux citent Gen 15,6. Paul conclut en Rom 3,28 : « Donc sans les oeuvres », tandis que Jacques 2,24 affirme : « Non pas sans les oeuvres ». Jacques met en relation Gen 22,9 et Gen 15,6. Le consentement d’Abraham au sacrifice de son fils est une oeuvre et c’est la raison de sa justification. D’autre part Abraham a fait confiance à Dieu. Dans la justification apparaît une synergie, une union de la foi et de l’action. Dans les oeuvres la foi agit (Jc 2,22). Pour Paul aussi la foi dans le Christ exige les oeuvres (Rom 3,20) et s’accomplit dans l’amour. La collecte qu’il organise pour l’Eglise de Jérusalem fait partie de son évangile. Jacques ne combat pas le christianisme paulinien, mais propose une tradition chrétienne différente.
La manifestation actuelle du Règne du Christ est chez Paul une idée force. Le Christ exerce dès maintenant son pouvoir comme chef de l’Eglise qui est son corps. Par le baptême le croyant meurt avec le Christ, se libère du péché et ressuscite avec le Seigneur (Col 2,12). Dès maintenant les baptisés sont déjà assis avec le Christ à côté du Père et attendent la révélation de ce qu’ils sont déjà. Ils participent à la souffrance du Christ, car la souffrance découle de l’engagement total pour le bien, le bien du Royaume de Dieu.
On parle beaucoup de nouvelle évangélisation ces derniers temps. Une des plus belles figures d’évangélisateur reste celle de Paul : sa foi au Ressuscité, son dynamisme, son talent d’organisateur sont encore l’objet d’admiration de beaucoup d’Eglises locales et peuvent inspirer aujourd’hui les générations nouvelles.

JÉRUSALEM, MÈRE DE DIEU (Frédéric Manns)

22 octobre, 2011

du site:

http://198.62.75.4/www1/ofm/sbf/dialogue/mere_de_dieu.html

JÉRUSALEM, MÈRE DE DIEU

Frédéric Manns

Dans le dialogue inter religieux Marie tient peu de place, il faut l’avouer. Si les musulmans respectent la mère d’Issa, il n’en est pas toujours ainsi de la part des Juifs. Curieusement, la communauté judéo-chrétienne de Jérusalem, par souci de respect des frères aînés, répète qu’il est impossible de traduire en hébreu l’expression Marie, mère de Dieu, sans provoquer leur indignation. Pour ne choquer personne elle propose de traduire ’em immanouel ou ’em Yeshouah Eloheynou. Le concile d’Ephèse, qui a donné à Marie le titre de Theotokos, a connu les mêmes difficultés et les mêmes réticences. Les objections ne manquaient pas de la part de Nestorius. Malgré tout, l’Eglise a affirmé que Marie est la Theotokos ou la Dei Genitrix.
C’est un fait que l’inculturation du message chrétien s’est faite dans le monde hellénistique. Mais, puisqu’il est impossible de réécrire l’histoire à rebours, une réflexion préliminaire doit rappeler la signification de l’expression : Marie, mère de Dieu. Le catéchisme de l’Eglise universelle au paragraphe 466 s’exprime ainsi : « Le Verbe en s’unissant dans sa personne une chair animée par une âme rationnelle est devenu homme. L’humanité de Jésus n’a d’autre sujet que la personne divine du Fils de Dieu qui l’a assumée et faite sienne dès sa conception. Pour cela le concile d’Ephèse a proclamé en 431 que Marie est devenue en toute vérité Mère de Dieu par la conception humaine du Fils de Dieu dans son sein : Mère de Dieu non pas parce que le Verbe de Dieu a tiré d’elle sa nature divine, mais parce que c’est d’elle qu’il tient le corps sacré doté d’une âme rationnelle uni auquel en sa personne le Verbe est dit naître selon la chair ». Plus loin, au paragraphe 495, le catéchisme continue: « Marie appelée dans les Evangiles mère de Jésus est appelée aussi sous l’inspiration de l’Esprit la Mère de mon Seigneur (Lc1,43). De fait, celui que Marie a conçu comme homme par l’action de l’Esprit et qui est devenu son Fils selon la chair est le Fils éternel du Père, la seconde personne de la Trinité. L’Eglise confesse que Marie est la Theotokos ».
La traduction hébraïque de Lc 1,43 : ’em ’adony pourrait servir de modèle à une version moderne de l’expression Marie, mère de Dieu. La version syriaque de l’Evangile de Luc avait traduit : ’emeh de mary, Mar étant le titre réservé à Dieu.
L’expression Marie “mère de Dieu” ne devrait pas choquer les frères aînés, parce que ce titre est attribué à Jérusalem. Du fait que la ville contient la présence symbolique de Dieu, elle est appelée Mère de Dieu. C’est ce qui ressort du targum du cantique des cantiques III,11 “Sortez, filles de Sion, voyez le roi Salomon avec le diadème dont sa mère l’a couronné, le jour de ses noces, le jour de la joie de son coeur”.
“Quand le roi Salomon vint pour célébrer la dédicace du sanctuaire, un héraut cria à haute voix et dit ainsi : Sortez, habitants des districts de la terre d’Israël et peuple de Sion. Et regardez le roi Salomon avec le diadème et la couronne dont le peuple de la maison d’Israël le couronna au jour de la dédicace du Temple . Et réjouissez-vous pour la fête des Tentes pendant quatorze jours .”.
Dans ce commentare les filles de Sion sont les habitants de la terre d’Israël et le peuple de Jérusalem. Le Roi Salomon est Dieu. Le nom Salomon indique directement Dieu dans tout le targum. La mère du Roi est le peuple de la maison d’Israël. La couronne que le peuple a posée sur Dieu est le Temple.
Israël est mère de Dieu en tant qu’elle contient la présence de Dieu au temple. Le midrash Sifra Lev 9,221 applique la même interprétation à la tente du témoignage du désert après la théophanie du Sinaï. La présence de Dieu au milieu de son peuple fait de ce dernier la mère de Dieu.
L’expression « Marie mère de Dieu » en fait ne choque pas plus les frères aînés juifs que l’affirmation de l’Incarnation de Dieu. Ce mystère est refusé également au nom de la transcendance de Dieu. Est-ce à dire que les chrétiens ont renoncé au monothéisme strict pour retourner à la mythologie grecque ? L’accusation est fréquente même dans les milieux ouverts au dialogue inter religieux.
La foi au Christ dans la théologie chrétienne se remplit en Marie, mère de Dieu selon l’humanité, d’une lumière nouvelle : paradoxalement Marie ne cesse de dévoiler le visage humain de Dieu. Serge Boulgakov affirme que le secret que Marie dévoile est celui de la maternité de Dieu. L’amour de Dieu a un visage féminin, de nombreux théologiens l’ont rappelé récemment.
Marie révèle encore un autre secret : celui de l’Eglise : « Il n’y a qu’une seule Vierge Mère et il me plaît de l’appeler l’Eglise », écrivait Clément d’Alexandrie. « La Mère de Dieu c’est l’Eglise qui prie », affirme de son côté Serge Boulgakov. Il existe donc un lien étroit et profond entre la présence de Marie et l’action de l’Eglise, entre la purification de l’âme en Marie et celle en Eglise. L’auteur de cette purification est l’Esprit de Dieu. Marie et l’Eglise sont les deux manifestations visibles de Celui qui reste invisible. L’Esprit est la Vierge et la Vierge est l’Eglise, selon l’affirmation de Saint Ambroise. Les icônes de Marie aux titres si variés ne font rien d’autre que de souligner les aspects différents de l’Eglise, vierge et mère. Marie est également à l’origine de la mémoire de l’Eglise. Elle méditait tous les souvenirs de l’Eglise des origines dans son cœur. Elle est l’archétype et la personnification de l’Eglise, corps du Christ et Temple de l’Esprit.
Enfin, Marie, accueillant Dieu en elle lors de l’annonciation, montre que la nature humaine peut être complètement transfigurée par Dieu. Elle est l’image de l’âme fécondée par l’Esprit qui engendre le Seigneur. La Pentecôte, où Marie est présente comme mère de l’Eglise, n’est autre que la mission de l’Eglise visant à humaniser l’humanité tentée par l’animalité.
Curieusement Marie de Nazareth, chantée par le monde entier et peinte par d’innombrables artistes, n’a pas de place dans l’encyclopédie Judaica. Une omission curieuse pour le moins pour la femme juive la plus célèbre dans le monde entier.
« Les grands mystiques et les grands athées se rencontrent », disait Dostoïevski. C’est qu’il nous parlent d’un Dieu plus grand que notre cœur, que nos représentations mentales et que nos recherches spirituelles. Ce Dieu se révèle Autre et, pour qu’il vive, nos représentations confortables de Dieu et de Marie, doivent disparaître.

VOUS PUISEREZ AVEC JOIE AUX SOURCES DU SALUT (Père Manns)

13 mai, 2011

du site:

http://www.christusrex.org/www1/ofm/sbf/dialogue/fetes.html

VOUS PUISEREZ AVEC JOIE AUX SOURCES DU SALUT

Frédéric Manns

Dans le calendrier juif le mois de Tishri, qui correspond à notre mois de septembre/octobre, est le mois par excellence des fêtes. Le premier du mois la fête du nouvel an commémore la création de l’homme, le jugement final et la royauté de Dieu. Evoquer dans un même regard le début et la fin de l’humanité, c’est méditer sur le sens de l’aventure humaine. La corne de bélier qu’on sonne à la synagogue en souvenir du bélier qu’Abraham sacrifia à la place de son fils Isaac fait mémoire des mérites des Pères qui intercèdent aujourd’hui pour leurs enfants.
Le nouvel an est suivi de dix jours de pénitence au cours desquels on demande pardon à tous ceux qu’on a offensés. La réconciliation avec les frères prépare ainsi le don de la miséricorde de Dieu. « Confessez vos péchés les uns aux autres » recommandait Saint Jacques aux premiers chrétiens issus de la Synagogue.
Le dix du mois la fête des Expiations se déroule dans le jeûne, la prière et l’aveu des péchés. Le pardon de Dieu est accordé seulement pour les péchés commis contre Dieu. Les péchés commis contre le prochain ne sont pardonnés que si on se réconcilie avec eux. « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons » enseigne Jésus.
A l’époque du Temple le grand prêtre entrait dans le Saint des Saints pour en faire l’aspersion avec le sang des taureaux et des boucs. « Notre grand prêtre n’est pas dans la nécessité d’offrir des victimes d’abord pour ses propres péchés, ensuite pour ceux de son peuple. Il l’a fait une fois pour toutes en s’offrant lui-même », affirme l’auteur de la lettre aux Hébreux.
Du quinze au vingt-deux les juifs célèbrent la fête des Tentes sous le signe de la joie. Ils habitent dans des tentes pour faire mémoire du passage au désert après la sortie d’Egypte. Ils prennent en main un bouquet formé d’une branche de palmier, d’un rameau de myrte, d’un rameau de saule et d’un cédrat (etrog). Ces quatre « espèces » symbolisent le peuple: en effet, de même que certaines sont parfumées, des fidèles se distinguent par leurs bonnes oeuvres. De même que d’autres n’ont ni odeur ni beauté, certains pèlerins sont dépourvus de tout mérite. Mais Dieu considère le peuple dans son entier lorsqu’il le juge et le parfum des uns se communique aux autres. Ainsi le peuple expérimente la communion des saints.
Dans le Temple de Jérusalem chaque jour les prêtres descendaient à Siloé pour y puiser de l’eau qu’on versait en libation sur l’autel. Ce rite impliquait une supplication pour la pluie. C’est dans ce contexte que Jésus s’est écrié: « Que celui qui a soif vienne à moi et qu’il boive. De son sein couleront des fleuves d’eau vive ». Chaque soir, on allumait quatre chandeliers dans la cour des femmes au Temple. La cérémonie était appelée « joie du puisage de l’eau ». L’évangile de Jean situe dans ce contexte la déclaration de Jésus: « Je suis la lumière du monde ».
La liturgie des Tentes comportait un autre élément important. Au chant du Hosanna les pèlerins tournaient sept fois autour de l’autel tenant les palmes à la main. Ces cercles concentriques des pèlerins évoquaient l’expérience spirituelle de Dieu qui entoure son peuple et l’étreint: « Sa gauche, sous ma tête et sa droite m’étreint » chantait l’auteur du Cantique des cantiques. C’est aussi la prise de Jéricho, la ville des palmes, qu’évoquent ces cercles autour de l’autel. Jéricho symbolise les puissances du mal qui s’opposent à la prise de possession de la terre promise. Même si le mal est vaincu, il faut actualiser chaque année sa destruction pour évoquer le victoire eschatologique.
Enfin lors de la fête on offrait soixante-dix sacrifices pour toutes les nations du monde. Pour Israël c’était la promesse de l’intimité des nations et de la concorde universelle.
Les premières générations chrétiennes n’hésiteront pas un instant à montrer que la liturgie juive trouve son achèvement dans le Christ. C’est lui qui est roi, juge et grand prêtre. C’est lui qui donne l’eau vive de l’Esprit aux croyants et qui illumine le monde. C’est lui « notre paix » qui réconcilie juifs et païens.

ENCORE UNE FOIS LE PÉCHÉ ORIGINEL (Frédéric Manns)

11 mars, 2011

du site:

http://www.christusrex.org/www1/ofm/sbf/dialogue/peche.html

ENCORE UNE FOIS LE PÉCHÉ ORIGINEL

Frédéric Manns

L’anthropologie juive, affirment certains, voit l’homme comme un être irréductible, accompli dès sa création. Au joug de la loi juive l’Eglise semble avoir substitué celui du péché originel, lui-même constitutif d’une culpabilité généralisée à toute l’humanité
C’est au Ve siècle, que l’Eglise, avec saint Augustin, a instauré le péché originel comme constitutif de la condition humaine, s’éloignant en cela de la conception judaïque de l’homme. Qu’en est-il de la théologie du péché originel due à Saint Augustin ? Il convient d’examiner les choses de près.
Le judaïsme ancien avait maintes fois mis le Messie en rapport avec Adam. Le Testament de Lévi 18 avait prophétisé que le Messie ouvrirait la porte du Paradis et qu’il enlèverait le glaive menaçant Adam. Le midrash Genèse Rabbah 12,6 rapportait une ancienne tradition selon laquelle le Messie restituerait les six objets qui furent enlevés à l’humanité à cause de la faute d’Adam . L’apôtre Paul s’insérait dans cette tradition lorsqu’il traçait un parallèle entre Jésus et Adam et affirmait que Jésus, le nouvel Adam, était venu pour sauver le premier Adam . Les conséquences que Paul tirait de cette affirmation devaient surprendre ses anciens collègues pharisiens et ses condisciples de la yeshiba de Rabban Gamaliel. Si le Christ était la plénitude de la loi, celle-ci n’avait plus de raison d’être. Son rôle de pédagogue étant terminé, la loi devenait source de malédiction .
La réponse juive donnée aux affirmations de Paul se vérifie en trois domaines: celui de la désobéissance d’Adam, celui de la pénitence d’Adam et celui de la sépulture d’Adam. Il nous suffira d’examiner ici le premier domaine.
Gen 3 présente la désobéissance d’Adam comme l’origine de la mort: “Tu es glaise et tu retourneras à la glaise” (3,19). Le mythe de la chute forme un épisode isolé dans l’Écriture . Le premier écho à ce texte se trouve en Ben Sira 25,23: “C’est avec la femme qu’a commencé le péché, et c’est à cause d’elle que nous mourons tous”. L’auteur du livre de la Sagesse donne une autre explication du phénomène de la mort: “Dieu n’a pas créé la mort et il ne prend pas plaisir au trépas des justes” (1,13). “C’est par l’envie du diable que la mort est entrée dans le monde” (2,24). Formé à la philosophie platonicienne, l’auteur du livre de la Sagesse introduit le principe de l’immortalité de l’âme dans son texte. La condamnation d’Adam devenait une exhortation à vivre dans la justice, car “la justice est immortelle et l’injustice conduit à la mort” (1,15).
Dans les milieux apocalyptiques le péché d’Adam est à peine mentionné. Le livre d’Hénoch éthiopien, au livre des veilleurs (1-36), y fait une brève allusion lorsque Raphaël montre à Hénoch l’arbre de la sagesse du Paradis: “C’est pour avoir mangé de son fruit qu’Adam et Eve connurent la vérité et furent chassés du Paradis” (32,6). L’auteur du livre des veilleurs souligne par contre la responsabilité des anges qui se sont unis aux filles des hommes et ont introduit ainsi le mal dans le monde. Par contre l’auteur de 4 Esdras attache à nouveau une importance plus grande au péché d’Adam. C’est parce qu’il a désobéi à l’ordre de Dieu qu’Adam a été condamné à mort et dans sa condamnation il a entraîné tous ses descendants (3,7). Affligé d’un mauvais coeur, il fut puni, lui et tous ceux qui naquirent de lui (3,21). Même le don de la loi au Sinaï n’a pu arracher le coeur mauvais (3,20). Puisque la création entière a été frappée les difficultés s’amoncellent partout (7,11-12).
Dans les milieux piétistes l’accent est mis également sur le péché d’Adam. La Vie d’Adam et d’Eve en témoigne. Adam reproche à Eve de n’avoir pas été capable de faire pénitence dans l’eau du Jourdain après la chute. C’est par la jalousie du diable, qui a refusé d’adorer l’image de Dieu en Adam, que le péché est entré dans le monde (12-15). Et le péché d’Adam aura comme conséquence le péché de Caïn (22-24).
Les rabbins connaissent l’idée que la mort est entrée dans le monde à cause du péché d’Adam. Le midrash Genèse Rabbah 17,8 rapporte une tradition du maître tannaïte R. José affirmant que les femmes doivent se couvrir la tête, parce que celui qui a commis une faute a honte d’être vu. De plus, les femmes suivent le cercueil lors des funérailles pour indiquer que ce sont elles qui ont amené la mort dans le monde. Le midrash Sifre Dt 6,4 orchestre la croyance en la corruption des hommes due au péché d’Adam: Jacob craint qu’il ait un fils indigne, car d’Abraham naquit l’impur Ismaël et d’Isaac naquit l’impur Esaü. La liturgie juive répète cette tradition dans le Targum Néofiti Gen 49,2. Au troisième siècle les maîtres amoraim conservent encore des traces de cette croyance. Le Talmud, au traité Sabbat 55b, rapporte la tradition suivante de R. Johanan: “Quand le serpent eut raison d’Eve, il lui infligea une souillure qui disparut pour les Israélites lorsqu’ils se tinrent devant le Sinaï”. En d’autres termes, R. Johanan reconnaît qu’Eve fut souillée après le péché. Il s’agit probablement d’une souillure morale dont les Israélites furent lavés lorsqu’ils acceptèrent la loi. Mais leur innocence retrouvée fut de brève durée, puisqu’en fabriquant le veau d’or, ils redonnèrent autorité à l’ange de la mort sur eux. Le Talmud, au traité Jebamot 103b, fait état de cette tradition.
Un second témoin de l’existence d’une souillure dans l’humanité après la chute d’Adam se trouve dans le traité Aboda Zara 22b du Talmud de Babylone. Abba bar Kahana, un maître amora, affirme: “Jusqu’à la troisième génération des Patriarches, la souillure ne leur fut pas enlevée, car Abraham eut pour fils Ismaël et Isaac eut pour fils Esaü. C’est Jacob qui le premier engendra douze fils exempts de défauts”. Le traité Pesahim 56a attribue une tradition semblable à R. Simon ben Laqish .
Il semble donc que les maîtres tannaïtes et amoraim aient connu la thèse d’une transmission du péché à la postérité d’Adam. Bientôt, par réaction contre Paul qui orchestrait la même affirmation, la chute d’Adam allait perdre sa place centrale pour n’être considérée que comme un péché à côté d’autres péchés. Lorsque les rabbins affirment que la Shekinah remonte au premier ciel après le péché d’Adam, puis au second ciel après le péché de Caïn et ainsi de suite après les fautes de la génération d’Enosh et de celle du déluge, ils réduisent implicitement la faute d’Adam à n’être qu’une faute à côté d’autres. Cette conviction est répétée en Genèse Rabbah 19,7 et Nombres Rabbah 13,2. Mais il y a plus. R. Méir semble contredire le texte de Gen 3 et considère la mort comme nécessaire dans le plan du monde. Commentant Gen 1,31 “Et Dieu vit que cela était très bon” (twb m’wd), il s’exprime ainsi: “Le terme m’wd (très) signifie la mort (mwt). Ainsi le verset signifie que Dieu vit que la mort était très bonne” . Le problème de la mort trouve donc une explication différente de celle de la Bible. Dans d’autres textes les rabbins n’hésiteront pas à présenter la foi d’Abraham comme l’antidote de la chute d’Adam. L’auteur de Genèse Rabbah 14,6 émet l’hypothèse suivante: “C’est Abraham qui devait être créé le premier, mais Dieu se dit: Peut-être péchera-t-il et n’y aura-t-il personne pour réparer son oeuvre? En créant Adam, je suis sûr que s’il se pervertit, Abraham viendra et remettra les choses en ordre”.
Généralement les rabbins verront un correctif à la chute d’Adam dans l’acte de foi par lequel Israël accepte d’obéir à la loi de façon inconditionnée. Lorsque Dieu descendit sur le Sinaï, il était escorté de myriades d’anges; ceux-ci ornèrent les Israélites de couronnes et les pourvoyèrent d’armes qui les rendirent invulnérables contre la mort . Ces armes devaient faire contrepoids à l’épée des chérubins postés à la porte du Paradis pour en garder l’entrée. La loi devint ainsi un moyen de libération et d’affranchissement.
Pour éviter de trop mettre en évidence le péché d’Adam les rabbins souligneront toujours plus une autre cause du mal: la tendance au mal présente dans le coeur de l’homme. En effet Dieu avait créé Adam avec deux penchants . Quand Dieu dit que tout était bon, il embrassait du même regard le mauvais et le bon penchant . Comment le mauvais penchant pouvait-il être bon? C’est que sans lui l’homme ne bâtirait pas de maison, ne prendrait pas de femme et n’engendrerait pas d’enfants. La présence en l’homme de cet ennemi intérieur n’entache en rien sa pureté originelle et ne compromet pas sa vertu . Une telle conception s’éloignait des affirmations des rabbins tannaïtes et des maîtres chrétiens qui soulignaient le “péché originel” d’Adam .
Il faut relire les sources juives avant de faire des affirmations à l’emporte-pièce concernant le christianisme. Le judaïsme a connu bel et bien une affirmation de la souillure dans l’humanité après le péché d’Adam.

du Père Frédéric Manns : Une martyre juive de confession chrétienne – Edith Stein

5 novembre, 2009

du site:

http://198.62.75.1/www1/ofm/mag/TSmgfrB3.html

Une martyre juive de confession chrétienne – Edith Stein

Frédéric Manns, ofm

Carmélite à 43 ans, martyre à 52 ans

La figure de la philosophe Edith Stein est connue. Née dans la ville allemande de Breslau (aujourd’hui Wroclaw en Pologne) en 1891, la jeune juive a abandonné la foi de ses parents orthodoxes dès l’âge de 14 ans, avant d’entreprendre une brillante carrière de philosophe. A l’âge de 29 ans, après la lecture des oeuvres de sainte Thérèse d’Avila, elle embrasse la foi catholique et devient carmélite en 1934, comme la grande sainte dont elle venait de découvrir la recherche absolue de Dieu. Hitler était à peine arrivé au pouvoir dans une Allemagne en pleine crise et effervescence. En août 1942 elle est arrêtée dans un couvent des Pays-Bas où ses supérieures l’avaient envoyée pour tenter de la sauver. C’est le 9 août qu’elle s’offrit en sacrifice dans une chambre à gaz du camp d’Auschwitz.

Réaction du monde juif

De nombreuses voix se sont élevées en Israël pour protester contre cette canonisation. Pourquoi canoniser une martyre juive? N’assistons-nous pas à une récupération chrétienne de la Shoah? En répétant que chacun a été victime de la Shoah n’enlève-t-on pas toute responsabilité à l’Église? Le centre Simon-Wiesenthal de Paris et diverses personnalités juives avaient demandé au pape de renoncer à la canonisation de cette juive victime de la Shoah. M. Minervi, ambassadeur d’Israël auprès du Saint-Siège a dénoncé les manoeuvres du Vatican qui tendent non seulement à récupérer la Shoah par les chrétiens, mais à présenter au monde des juifs qui ont accepté Jésus comme messie d’Israël, en d’autres termes à affirmer que le christianisme n’est que l’accomplissement du judaïsme (émission de la Radio du 16.10.1998).

Jean Paul II ne s’est pas laissé intimider. Edith Stein est à la fois une éminente fille d’Israël et une fille fidèle de l’Église. Dans son homélie pour la canonisation le Pontife poursuit: « Consciente de ce que comportait son origine juive, Edith Stein avait à ce propos des mots éloquents: « Sous la croix j’ai compris le sort du peuple de Dieu… Mais comme cela est un mystère, on ne pourra jamais le comprendre par la raison seule.

Dialogue difficile

Les difficultés et ambiguïtés du dialogue judéo-chrétien sont de plus en plus apparentes. Il fallait s’y attendre. Mais ce dialogue ne peut pas être à sens unique au péril de perdre sa nature.

Jean Paul II dans son allocution à la synagogue de Mayence en 1980 affirme: « Quiconque rencontre Jésus-Christ, rencontre le judaïsme » Et à la synagogue de Rome en 1986 il ajoutait: « L’Église du Christ découvre son lien avec le judaïsme en scrutant son propre mystère ». La religion juive ne nous est pas extrinsèque, mais elle est intrinsèque à notre religion. Reconnaître les racines juives de la religion chrétienne est aujourd’hui chose acquise. Jésus, Marie, Joseph, les apôtres et les évangélistes étaient des juifs pratiquants.

Mais cela n’autorise pas à penser que l’Église et le judaïsme sont deux voies parallèles de salut. En canonisant Edith Stein le pape réaffirme que la voie du salut est unique, qu’on soit juif ou non.

Deux univers distincts mais reliés

La permanence en vis-en-vis d’Israël et de l’Église est le signe de l’inachèvement du dessein de Dieu. Le peuple juif et le peuple chrétien sont ainsi en situation de contestation réciproque. Cette contestation est incontournable. Elle est difficile à penser et à vivre au quotidien. L’affaire du carmel d’Auschwitz a bien illustré les difficultés et les ambiguïtés de la rencontre.

Vatican II dans le document Nostra Aetate avait rappelé le lien qui unit spirituellement le peuple du Nouveau Testament avec la lignée d’Abraham. Mais c’est à partir de son mystère que l’Église parle du peuple d’Abraham et de son lien avec lui. Son discours ne pourra pas coïncider avec ce que les juifs disent sur eux-mêmes. La confrontation demeure, mais elle n’exclut pas la relation.

Définir le peuple juif comme le font les documents de l’Église comme le peuple de l’Ancien Testament c’est passer souvent à côté de l’essentiel. L’Ancien Testament n’est rien sans la tradition orale. Bien plus, la Loi orale a sa propre manière de lire la Bible. La Bible lue par les chrétiens à la lumière du Christ mort et ressuscité et la Bible lue par les juifs à la lumière du midrash juif, ce sont deux univers différents. Il existe une lecture chrétienne de la Bible qui est différente de la lecture juive.

Judaïsme du Second Temple et judaïsme rabbinique

Le choc que peut produire cette découverte doit être intégré dans une perspective historique: après la Shoah les chrétiens ont éprouvé la nécessité de se rapprocher des juifs et de raviver ce qui les unit aux juifs. L’heure est venue d’aller plus loin et de reconnaître maintenant l’altérité. Sinon des confusions méthodologiques risquent de se produire.

Beaucoup de congrès bibliques cherchent à souligner les racines juives de la foi chrétienne. Mais ces racines juives concernent en fait le judaïsme de l’époque du Second Temple. La connaissance du judaïsme ne pourra pas contourner la loi orale et le midrash développé plus tard, souvent en opposition avec la foi chrétienne. Ne risque-t-on pas de mettre sur le même plan le monde juif textuel et le monde juif d’aujourd’hui? La confusion qui existe entre les racines juives du christianisme et le développement du judaïsme rabbinique n’aide pas à éclaircir la situation. Vouloir interpréter Jésus et son message à la lumière du judaïsme d’après 70, l’année de la destruction du Temple, est en fait une erreur de perspective.

Une confusion commune identifie le peuple juif au peuple de l’Ancien Testament. Une autre, non moins subtile, consiste à croire que celui qui rencontre Jésus rencontre le judaïsme au sens du judaïsme rabbinique qui a façonné le peuple juif depuis vingt siècles.

Dire que l’Ancien Testament est indispensable à la foi catholique, que le Nouveau Testament ne peut pas se comprendre sans l’Ancien, dire que la permanence du peuple d’Israël à travers l’histoire est le signe de l’inachèvement du dessein de Dieu, cela est vrai mais insuffisant: nos voisins juifs d’aujourd’hui ne sont pas ceux qui font ressortir à nos yeux la valeur permanente de l’Ancien Testament et l’inachèvement du dessein de Dieu. Ce sont des gens façonnés par la loi orale, le Talmud et le midrash qui comprennent l’inachèvement du dessein de Dieu de façon différente de nous.

Renouvellement de l’Alliance

Il est vrai d’affirmer que Jésus était juif et qu’il l’est resté. Mais il faut articuler cette affirmation avec le renouvellement de l’alliance de Dieu en Jésus. On ne peut nier la nouveauté apportée par Jésus qui a permis l’entrée des païens dans l’alliance. Ce n’est pas Paul qui est le fondateur du judaïsme comme le répètent les juifs. Jésus est plus qu’un rabbin charismatique. Il s’est désigné comme le Fils de l’Homme. La découverte de sa judéité ne peut pas faire oublier la christologie, en particulier la christologie judéo-chrétienne.

Jésus a observé la loi juive. L’écoute de la parole de Dieu et l’obéissance aux commandements caractérisent l’attitude du croyant. Mais un fait est certain: les chrétiens n’observent plus aujourd’hui les 613 commandements de la loi juive, tout en reconnaissant l’Ancien Testament comme parole de Dieu. La concentration sur le commandement de l’amour a une origine christologique. L’agir des chrétiens est structuré christologiquement. Le commandement de l’amour par lequel Jésus résume la loi juive prend chair en lui: il aima les siens jusqu’à la fin et jusqu’à la perfection de l’amour. Nous sommes loin de l’incessante interprétation de la loi qui caractérise le judaïsme.

Des deux côtés, transformation de l’héritage biblique

Il est clair que le christianisme est une transformation du judaïsme ancien. Ni le christianisme ni le judaïsme d’aujourd’hui ne peuvent se considérer comme l’unique détenteur de l’héritage biblique. Au niveau historique tous deux ont opéré des transformations de cet héritage. L’Église n’est pas fille de la Synagogue. Cette formule signifierait que seul le christianisme a transformé l’héritage commun. La métaphore fraternelle employée par le pape quand il appelle les juifs « nos frères aînés » rappelle que les juifs eux aussi ont opéré des transformations par rapport au judaïsme biblique.

Accepter que le christianisme et le judaïsme ont transformé le judaïsme ancien ne signifie pas qu’ils constituent deux voies parallèles de salut. Ce serait renoncer au coeur de la foi chrétienne. Par sa mort et sa résurrection le Christ a donné l’accès de tous auprès de Dieu. L’Église est le peuple de Dieu formé de toutes races, peuples et nations. Le don de l’Esprit permet à tous d’entrer dans l’alliance nouvelle. La foi chrétienne est fondée sur la personne de Jésus et non plus sur la loi juive, bien que Jésus fût juif.

Puisque le dialogue entre judaïsme et christianisme est un dialogue exigeant, il n’y a pas lieu de s’étonner des réactions viscérales de certains juifs devant les attitudes de l’Église. Ce que l’Église dit sur le judaïsme ne peut pas coïncider complètement avec la façon dont les juifs se définissent eux-mêmes. Lorsque cette unité de pensée et de coeur sera atteinte le dialogue aura fini son but. Edith Stein a encore une fonction de réconciliation à remplir. Les ponts entre juifs et chrétiens restent nécessaires aujourd’hui plus que jamais.

Père Frédéric Manns: Bethléem – Réflexions

2 janvier, 2009

du site:

http://198.62.75.5/www1/ofm/sites/TSbtmanns2.html

Bethléem – Réflexions

Frédéric Manns, ofm

« Maison du pain » : telle serait selon Jérôme l’étymologie populaire du terme Bethléem. Dans un village ignoré, loin des agitations impériales de la forteresse romaine située non loin de là et connue sous le nom de l’Hérodion, paraît un enfant qui dans la fragilité de sa venue met un terme à l’attente inquiète d’Israël. Sur la tige de Jessé une fleur vient d’éclore.
 
Jésus n’est pas l’homme divin que la mythologie grecque célébrait dans sa quête de sagesse. Il n’est pas non plus le symbole de l’humanité exaltée au point de devenir Dieu. Il est Dieu qui se fait homme. Le scandale chrétien est l’humanisation de Dieu, sa kénose, son humilité.
 
Le message d’un Dieu qui s’humilie est déjà contenu dans les évangiles de l’enfance. Tandis que l’Evangile de Marc s’ouvre sur la proclamation du Règne de Dieu, Matthieu et Luc ont senti le besoin d’insister sur le mystère de l’Incarnation de Dieu. Le Dieu qui se fait homme vient accomplir les Ecritures d’Israël: « Si tu pouvais déchirer les cieux et descendre ». Un Dieu qui partage la condition de l’homme, qui souffre avec son peuple, qui intervient pour le libérer, voilà une nouveauté surprenante, mais déjà annoncée par les Ecritures.
 
La Bible avait célébré l’efficacité de la Parole qui fut l’instrument de la création du monde. « Par sa Parole les cieux ont été faits ». Cette parole n’était autre que la Sagesse de Dieu. Ben Sira est arrivé à cette conclusion après de longues méditations. Le Nouveau Testament qui accomplit l’Ancien Testament en le dépassant, affirme dans le Prologue de l’Evangile de Jean: « Le Verbe s’est fait chair et il a demeuré parmi nous ». La Parole devient une personne en qui la gloire de Dieu se manifeste. Bethléem, la cité du roi David, accueille ce message révélé aux petits et non pas aux sages. La Sagesse a dressé sa tente au milieu des hommes. Dieu se révèle comme l’Emmanuel, un Dieu avec les hommes.
 
Les Pères de l’Eglise frappés par une telle nouveauté ont commenté bien des fois cet événement. Une bonne nouvelle de cette envergure ne peut être que chantée, car elle réjouit le coeur. Elle ouvre les portes à une espérance illimitée. Irénée de Lyon, héritier de la tradition johannique, célèbre la nouveauté absolue de l’incarnation. Dieu fait toutes choses nouvelles. La naissance du Verbe fait craquer l’écorce de vétusté du monde. Tout ce qui est vieux et usé recule devant la naissance de Jésus. Celui qui vient de Dieu apporte avec lui toute la nouveauté. « Cieux nouveaux, terre nouvelle », avait annoncé le prophète Isaïe. C’est dire que la naissance de l’enfant de Bethléem a une dimension cosmique. Toute la création attend la libération, puisqu’elle a été soumise au péché.
 
En s’incarnant la Parole de Dieu se fait ce que nous sommes pour que nous devenions ce qu’elle est. La terre est transformée en cieux au moment de l’incarnation par celui qui devient le « laboureur de Dieu », selon l’expression de Clément d’Alexandrie. Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu, répéteront les Pères de l’Eglise. Il s’est fait pauvre pour nous enrichir. Il s’est fait petit pour nous permettre de grandir.
 
L’incarnation du Fils de Dieu signifie la vocation de l’homme à être divinisé. Fils de Dieu, nous le sommes réellement, affirme Saint Jean dans sa première lettre. Reconnaître cette dignité, c’est renoncer à proclamer l’absurdité du monde. La condition humaine a été tellement ennoblie qu’une étincelle divine resplendit en chaque créature. L’Esprit de Dieu qui a couvert Marie de son ombre est encore capable de répéter le même miracle.
 
Les maîtres spirituels, en méditant le mystère du Verbe incarné, ont souvent parlé du Verbe abrégé. La parole longue de l’Ancien Testament qui a inspiré les prophètes s’abrège dans l’enfant qui naît à Bethléem. Et cette parole demande à naître dans le coeur des croyants. Saint François en conclura que le prédicateur doit faire une parole brève, puisque le Christ est la parole brève du Père, celle qui résume la Loi et les Prophètes. Le Christ, parole brève, résume son enseignement en un seul commandement: celui de l’amour. Il suffit que le prédicateur centre son homélie sur ce thème fondateur.
 
Noël évoque une triple naissance: la naissance du Fils unique engendré par le Père céleste dans l’essence divine, celle qui s’accomplit à Bethléem par une mère qui dans sa fécondité garde l’absolue pureté; et celle par laquelle Dieu naît chez ceux qui l’accueillent. C’est dire que la symphonie de Noël reste inachevée tant que le coeur des croyants reste fermé.
 
La Parole qui s’incarne demande de bannir tout ce qui est désincarné, rétréci et étriqué. Elle n’est plus simplement objet d’étude et d’approfondissements intellectuels. Etant devenue une personne, elle exige adoration, contemplation et respect. Plonger dans ce mystère c’est dilater son coeur et son regard pour éviter de se recroqueviller dans un repli frileux devant les possibilités étonnantes de notre monde.
 
Rappeler l’incarnation en tête des Evangiles c’est redire l’originalité de la pensée chrétienne. Le Fils de Dieu qui partage la condition de l’homme est l’Adam nouveau, celui qui réalise pleinement la vocation de l’homme. Il est la Sagesse de Dieu annoncée dans l’Ancien Testament qui établit sa demeure parmi les hommes. Il est l’Emmanuel qui souffre et se réjouit avec l’humanité et la ramène vers le Père. A partir de Noël tout s’achemine sous la poussée de l’amour vers la Face du Père. Le temps est déjà enveloppé par l’éternité, parce que l’éternité s’est engagée dans le temps. La nuit du monde se transforme progressivement en clarté.
 
Le Fils de Dieu lorsqu’il devient fils de la terre se laisse contenir en un point de l’espace et du temps. Bien plus il se laisse conditionner par une langue et une culture. En réalité, c’est lui qui contient l’univers. Il ne veut pas s’approprier à travers son corps le monde comme une proie, mais il le fait corps d’unité, chair cosmique et eucharistique. En lui le monde devient corporéité spirituelle, il est vivifié par l’Esprit.
 
Le judaïsme et l’Islam refusent l’incarnation du Fils de Dieu en raison de la transcendance de Dieu. Un Dieu ne peut se mêler à sa créature qu’au risque de perdre sa divinité, affirment-ils. Le christianisme proclame que Dieu aime les hommes au point de devenir homme. L’incarnation n’est pas une humiliation de la raison de l’homme, mais la reconnaissance de la vraie dignité de l’homme. Elle est la finalité de la création : tout a été créé pour lui, affirme saint Paul. Origène, dans son Commentaire de l’Evangile de Matthieu 14,7 rappelait que le corps du Christ n’est pas quelque chose à côté de l’Eglise qui est son corps. Dieu ne les a pas unis comme deux, mais en une seule chair, défendant que l’homme sépare l’Eglise et Dieu. D’une façon invisible le mystère de l’incarnation se prolonge dans l’Eglise.
 
La vie que Dieu a communiquée est une irradiation de son amour trinitaire. Le but de l’incarnation du Fils de Dieu a été de rendre possible la communion avec Dieu et entre les hommes. Un Dieu qui ne serait pas Trinité ne serait ni amour ni partage. Or ce partage commence à Noël et signifie le salut.
 
Faire étape à Bethléem, c’est pour Jean Paul II fêter la rencontre du Christ eucharistique qui est la maison du pain de vie. C’est aussi préparer l’humanité pour le retour du retour en gloire du Fils de Dieu.
 
Non loin de là au camp palestinien de Deheishe le pape en saluant les réfugiés qui depuis la guerre de 1948 connaissent une situation de précarité rend hommage à la dignité de tout homme. C’est une même logique qui le pousse à vénérer l’enfant de la crèche et le pauvre sans défense. Les réfugiés du monde entier connaissent une condition difficile qui fut celle de la sainte famille lorsqu’elle dut fuir en Egypte pour échapper à la colère d’Hérode. Il est urgent pour les chrétiens de déchiffrer les signes d’un autre monde qui commence à germer dans le nôtre.

Frédéric Manns, ofm: Comment lire la Bible ? Lecture critique de la Bible

4 septembre, 2008

du site: 

http://www.custodia.org/spip.php?article3798&lang=fr

SBF La parole de Dieu : Comment lire la Bible ? Lecture critique de la Bible

Frédéric Manns, ofm

Mis en ligne le lundi 1er septembre 2008 à 14h47
Par
Eugenio

La littérature mondiale abonde de chefs d’oeuvre supérieurs à certains livres de la Bible, voire plus édifiants au plan moral. De plus, il arrive que des archéologues contestent telle ou telle donnée historique relue dans la Bible à partir des documents extra-bibliques, d’Assyrie ou d’Ebla en particulier. Pourquoi perdre son temps à lire des récits dépassés ? Ces contestations font venir à l’esprit le récit biblique de Naaman le syrien.

Quand le prophète Elisée dit à Naaman, qui était venu le voir pour être guéri de la lèpre, de se laver sept fois dans le Jourdain, celui-ci répondit, indigné : « Est-ce que les fleuves de Damas, l’Abana et le Parpar, ne valent pas mieux que toutes les eaux d’Israël ? Ne pourrais-je pas m’y baigner pour être purifié ? » (2 R 5, 12). Naaman avait raison : les fleuves de Syrie étaient meilleurs et plus riches en eau que le Jourdain ; et pourtant, il fut guéri en se baignant dans ce fleuve et sa peau devint comme celle d’un jeune homme, ce qui ne se serait jamais produit s’il s’était baigné dans les grands fleuves de la Syrie.

De même aucun des livres classiques de la littérature mondiale ne produit les mêmes effets que le plus modeste des livres inspirés. Dans la parole des Ecritures, il y a quelque chose qui agit au-delà de toute explication humaine ; la disproportion évidente entre le signe et la réalité qu’il produit, fait penser à l’action des sacrements.

Les « eaux d’Israël », qui symbolisent les Ecritures inspirées par Dieu, continuent aujourd’hui de guérir de la lèpre du péché. Au cours de l’eucharistie, après la proclamation de l’Evangile le célébrant récite cette prière : « Que cet Evangile efface nos péchés ». Les Ecritures elles-mêmes attestent du pouvoir de guérison de la parole de Dieu. L’auteur du livre de la Sagesse, relisant le livre de l’Exode, affirme : « Et de fait, ce n’est ni herbe ni émollient qui leur rendit la santé, mais ta parole, Seigneur qui guérit tout ! » (Sg 16, 12).

Il n’en reste pas moins qu’il y a deux manières d’aborder la Bible – la lecture scientifique et celle de la foi. Elles ne s’excluent pas, au contraire, elles se complètent. Il est nécessaire d’étudier la Bible de façon critique pour éviter le fondamentalisme qui consiste à prendre un verset de la Bible, tel qu’il est, et l’appliquer aux situations concrètes, sans tenir compte des différences de culture, de temps, et en oubliant les genres littéraires de la Bible. On n’insistera jamais assez sur l’importance d’une étude scientifique de la Bible. Cependant, la Bible n’est pas un livre de science, mais elle relate l’histoire du salut. Dieu a adapté son langage pour que les hommes puissent le comprendre ; il n’a pas écrit pour les hommes de l’ère scientifique. La première page de la Bible est un hymne au Dieu créateur et n’a aucune prétention critique. Par contre, réduire la Bible à un objet d’érudition, en restant indifférent à son message, c’est s’exposer à un grand danger, car « la lettre tue et l’esprit donne la vie ». L’image du fiancé qui lit une lettre d’amour de sa fiancée est souvent reprise. Si le fiancé se contente d’examiner la lettre en scrutant la grammaire et la syntaxe, et s’arrête là, sans y reconnaître le message d’amour qu’elle contient à travers la pauvreté des mots, il passe à côté de l’essentiel. Lire la Bible sans la foi, c’est oublier l’intention de l’auteur. Lire l’Ecriture à la lumière de la foi signifie faire référence au Christ et à son Eglise, en relevant, dans chaque page, ce qui se rapporte à lui. Certains fondamentalistes veulent absolument que la Bible dise le vrai. La Bible dit vrai quand elle enseigne le vrai visage de Dieu et le sens de la destinée humaine. Mais elle le fait avec son langage, même avec divers langages. De même que Jésus est venu prendre chair en un pays déterminé, adoptant sa langue, ses coutumes, les écrivains sacrés se sont tous insérés dans un temps, une culture. Ils en partagent les vues et les limites. L’Esprit Saint a accepté de passer par leur médiation. Il y a une manière d’écrire qui est poétique, une autre qui relève de la sagesse populaire ou royale, une autre encore de la célébration épique et solennelle de la libération ou de l’identité d’un peuple. La Bible dit le vrai, mais que dit-elle de vrai ? et surtout comment le dit-elle ? Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de situer le texte de l’Ancien Testament dans son contexte historique et sa culture.

Le chrétien lit toute la Bible en partant du mystère pascal. Jésus lui-même y invitait les disciples d’Emmaüs : « Commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait » (Lc 24,27). C’est ainsi que, revenant avec le Christ et sous sa conduite, vers les textes de l’Ancien Testament, il y découvre le monde comme création, l’homme et la femme comme créatures aimées de Dieu, la vocation du peuple de Dieu à être ferment de communion et de justice au cśur du monde. Il y découvre également l’annonce du Messie et la préparation de sa venue : toutes les Ecritures sont orientés vers cette venue. Saint Augustin disait : « Le lièvre et l’âne boivent à la fontaine. L’âne boit davantage, mais chacun boit selon ses capacités ». Que nous soyons des lièvres ou des ânes, nous avons tous besoin de boire l’eau. Ayant étanché notre soif, il nous faudra revenir chaque jour nous approcher à la source d’eau vive.

Père Frédéric Manns: JÉRUSALEM, MÈRE DE DIEU

1 août, 2008

du site: 

http://198.62.75.1/www1/ofm/sbf/dialogue/mere_de_dieu.html

JÉRUSALEM, MÈRE DE DIEU

Frédéric Manns

Dans le dialogue inter religieux Marie tient peu de place, il faut l’avouer. Si les musulmans respectent la mère d’Issa, il n’en est pas toujours ainsi de la part des Juifs. Curieusement, la communauté judéo-chrétienne de Jérusalem, par souci de respect des frères aînés, répète qu’il est impossible de traduire en hébreu l’expression Marie, mère de Dieu, sans provoquer leur indignation. Pour ne choquer personne elle propose de traduire ’em immanouel ou ’em Yeshouah Eloheynou. Le concile d’Ephèse, qui a donné à Marie le titre de Theotokos, a connu les mêmes difficultés et les mêmes réticences. Les objections ne manquaient pas de la part de Nestorius. Malgré tout, l’Eglise a affirmé que Marie est la Theotokos ou la Dei Genitrix.


C’est un fait que l’inculturation du message chrétien s’est faite dans le monde hellénistique. Mais, puisqu’il est impossible de réécrire l’histoire à rebours, une réflexion préliminaire doit rappeler la signification de l’expression : Marie, mère de Dieu. Le catéchisme de l’Eglise universelle au paragraphe 466 s’exprime ainsi : « Le Verbe en s’unissant dans sa personne une chair animée par une âme rationnelle est devenu homme. L’humanité de Jésus n’a d’autre sujet que la personne divine du Fils de Dieu qui l’a assumée et faite sienne dès sa conception. Pour cela le concile d’Ephèse a proclamé en 431 que Marie est devenue en toute vérité Mère de Dieu par la conception humaine du Fils de Dieu dans son sein : Mère de Dieu non pas parce que le Verbe de Dieu a tiré d’elle sa nature divine, mais parce que c’est d’elle qu’il tient le corps sacré doté d’une âme rationnelle uni auquel en sa personne le Verbe est dit naître selon la chair ». Plus loin, au paragraphe 495, le catéchisme continue: « Marie appelée dans les Evangiles mère de Jésus est appelée aussi sous l’inspiration de l’Esprit la Mère de mon Seigneur (Lc1,43). De fait, celui que Marie a conçu comme homme par l’action de l’Esprit et qui est devenu son Fils selon la chair est le Fils éternel du Père, la seconde personne de la Trinité. L’Eglise confesse que Marie est la Theotokos ».La traduction hébraïque de Lc 1,43 : ’em ’adony pourrait servir de modèle à une version moderne de l’expression Marie, mère de Dieu. La version syriaque de l’Evangile de Luc avait traduit : ’emeh de mary, Mar étant le titre réservé à Dieu.

L’expression Marie “mère de Dieu” ne devrait pas choquer les frères aînés, parce que ce titre est attribué à Jérusalem. Du fait que la ville contient la présence symbolique de Dieu, elle est appelée Mère de Dieu. C’est ce qui ressort du targum du cantique des cantiques III,11 “Sortez, filles de Sion, voyez le roi Salomon avec le diadème dont sa mère l’a couronné, le jour de ses noces, le jour de la joie de son coeur”.

Quand le roi Salomon vint pour célébrer la dédicace du sanctuaire, un héraut cria à haute voix et dit ainsi : Sortez, habitants des districts de la terre d’Israël et peuple de Sion. Et regardez le roi Salomon avec le diadème et la couronne dont le peuple de la maison d’Israël le couronna au jour de la dédicace du Temple . Et réjouissez-vous pour la fête des Tentes pendant quatorze jours .”.

Dans ce commentare les filles de Sion sont les habitants de la terre d’Israël et le peuple de Jérusalem. Le Roi Salomon est Dieu. Le nom Salomon indique directement Dieu dans tout le targum. La mère du Roi est le peuple de la maison d’Israël. La couronne que le peuple a posée sur Dieu est le Temple. Israël est mère de Dieu en tant qu’elle contient la présence de Dieu au temple. Le midrash Sifra Lev 9,221 applique la même interprétation à la tente du témoignage du désert après la théophanie du Sinaï. La présence de Dieu au milieu de son peuple fait de ce dernier la mère de Dieu.

L’expression « Marie mère de Dieu » en fait ne choque pas plus les frères aînés juifs que l’affirmation de l’Incarnation de Dieu. Ce mystère est refusé également au nom de la transcendance de Dieu. Est-ce à dire que les chrétiens ont renoncé au monothéisme strict pour retourner à la mythologie grecque ? L’accusation est fréquente même dans les milieux ouverts au dialogue inter religieux.La foi au Christ dans la théologie chrétienne se remplit en Marie, mère de Dieu selon l’humanité, d’une lumière nouvelle : paradoxalement Marie ne cesse de dévoiler le visage humain de Dieu. Serge Boulgakov affirme que le secret que Marie dévoile est celui de la maternité de Dieu. L’amour de Dieu a un visage féminin, de nombreux théologiens l’ont rappelé récemment.

Marie révèle encore un autre secret : celui de l’Eglise : « Il n’y a qu’une seule Vierge Mère et il me plaît de l’appeler l’Eglise », écrivait Clément d’Alexandrie. « La Mère de Dieu c’est l’Eglise qui prie », affirme de son côté Serge Boulgakov. Il existe donc un lien étroit et profond entre la présence de Marie et l’action de l’Eglise, entre la purification de l’âme en Marie et celle en Eglise. L’auteur de cette purification est l’Esprit de Dieu. Marie et l’Eglise sont les deux manifestations visibles de Celui qui reste invisible. L’Esprit est la Vierge et la Vierge est l’Eglise, selon l’affirmation de Saint Ambroise. Les icônes de Marie aux titres si variés ne font rien d’autre que de souligner les aspects différents de l’Eglise, vierge et mère. Marie est également à l’origine de la mémoire de l’Eglise. Elle méditait tous les souvenirs de l’Eglise des origines dans son cœur. Elle est l’archétype et la personnification de l’Eglise, corps du Christ et Temple de l’Esprit.Enfin, Marie, accueillant Dieu en elle lors de l’annonciation, montre que la nature humaine peut être complètement transfigurée par Dieu. Elle est l’image de l’âme fécondée par l’Esprit qui engendre le Seigneur. La Pentecôte, où Marie est présente comme mère de l’Eglise, n’est autre que la mission de l’Eglise visant à humaniser l’humanité tentée par l’animalité.

Curieusement Marie de Nazareth, chantée par le monde entier et peinte par d’innombrables artistes, n’a pas de place dans l’encyclopédie Judaica. Une omission curieuse pour le moins pour la femme juive la plus célèbre dans le monde entier.

« Les grands mystiques et les grands athées se rencontrent », disait Dostoïevski. C’est qu’il nous parlent d’un Dieu plus grand que notre cœur, que nos représentations mentales et que nos recherches spirituelles. Ce Dieu se révèle Autre et, pour qu’il vive, nos représentations confortables de Dieu et de Marie, doivent disparaître.

Frédéric Manns : PAUL, FONDATEUR DU CHRISTIANISME ?

25 février, 2008

du site: 

http://198.62.75.5/www1/ofm/sbf/dialogue/paul.html

PAUL, FONDATEUR DU CHRISTIANISME ?

Frédéric Manns

Décidément l’idée lancée par Joseph Klausner en 1939 dans son ouvrage De Jésus à Paul fait son chemin. C’est à Paul de Tarse, juif de la Diaspora, que le christianisme devrait d’être devenu une religion qui a conquis le monde. Sans lui le christianisme serait resté une secte juive. Paul aurait été le premier à affirmer qu’on peut suivre le Messie, sans se soumettre à toutes les pratiques juives. En employant les mêmes mots, mais en leur donnant un sens différent, judaïsme et christianisme se sont dès le départ mal compris.
Paul n’a pas connu Jésus de son vivant. Il a même persécuté les adeptes du Crucifié. Il ne s’est converti qu’après avoir eu une vision du Christ ressuscité sur le chemin de Damas. Ses épîtres écrites avant les Evangiles rendent compte de la querelle qui oppose, depuis la crucifixion, les juifs qui suivent Jésus et leurs coreligionnaires qui se rattachent aux différents courants du judaïsme.
Un des textes fondateurs de Paul est à l’origine de vingt siècles de débats : «Abraham eut deux fils, un de la femme esclave et un de la femme libre, mais le fils de la servante était né selon la chair, tandis que le fils de la femme libre l’était par l’effet de la promesse. Il y a là une allégorie: ces femmes sont, en effet, les deux alliances. [...]Agar correspond à la Jérusalem actuelle puisqu’elle est esclave avec ses enfants. Mais la Jérusalem d’en haut est libre, et c’est elle notre mère» (Galates 4, 21-26).
Tout est dit : la femme esclave, c’est Israël, la Jérusalem terrestre, l’ancienne alliance entre Dieu et un peuple élu selon la chair. La femme libre est le «Nouvel Israël», dont la capitale est au ciel et dont le peuple est engendré selon l’esprit. Ce que la tradition postérieure va résumer ainsi : aux juifs la chair, aux chrétiens l’esprit.
La théologie chrétienne apparaît d’emblée aux juifs comme une captation d’héritage, à la fois dépossession, relégation et exclusion. Pour ne pas avoir reconnu le Messie, les juifs s’écarteraient eux-mêmes du projet de Dieu, jusqu’au jour où ils l’accepteraient. Du reste, la portée de ses propos n’échappe pas à Paul, qui persiste : «Je demande donc: est-ce pour une chute définitive qu’ils [les juifs] ont trébuché ? Certes non ! Mais grâce à leur faute, les païens ont accédé au salut, pour exciter la jalousie d’Israël» (Romains 11,11). «Exciter la jalousie d’Israël», Paul va y parvenir mieux que prévu. Il proclame qu’ «il n’y a plus ni juif ni Grec» (Galates 3, 28), et ajoute : «Si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous servira plus de rien. Et j’atteste encore une fois à tout homme qui se fait circoncire qu’il est tenu de pratiquer la Loi intégralement. Vous avez rompu avec le Christ si vous placez votre justice dans la Loi ; vous êtes déchu de la grâce» (Galates 5, 2-3). La grâce : autre sujet de discorde. Pour Paul, c’est la foi – don de Dieu – qui sauve l’homme et non ses œuvres ; c’est la sincérité de la croyance et non pas l’exemplarité de la pratique. Autrement dit, le respect de la Loi, pratiqué par les juifs, est pour l’apôtre insuffisant, voire inutile. Entre les deux religions, cette divergence-là est peut-être la plus grande.

Reprenons les différents éléments du débat. Paul a été marqué par son apparition du Ressuscité. Sa conviction profonde est que le Christ est vivant et continue à vivre dans la communauté des croyants. Pour lui, les deux femmes d’Abraham [1] symbolisent les deux alliances. Paul s’inspire en fait d’Ezéchiel 23,2 pour qui les deux femmes symbolisaient la Judée et la Samarie. Agar représente l’économie juive et la Jérusalem d’ici-bas. Quant à Sara, elle est le type [2] de la Jérusalem céleste et la mère des croyants.
La typologie que Paul exploite n’est pas une invention chrétienne. Elle est un procédé juif de lecture biblique, comme L. Ginzberg [3] l’a rappelé. Paul emploie le mot « allégorie ». Or l’allégorie se subdivise en interprétation typologique et en interprétation philosophique et mystique. Non seulement les rabbins tannaites connaissaient les dorshei reshumot [4], mais le livre de la Sagesse donne déjà une interprétation symbolique des plaies d’Egypte. Le serpent élevé par Moïse est un symbole de salut et la manne symbolise la parole de Dieu [5]. A Qumran le puits découvert dans le désert est le symbole de la Torah [6]. Bien plus, dans la Bible elle-même, en Osée 12,5, la lutte de Jacob avec l’ange devient l’objet d’une relecture : elle symbolise la prière.
Le judaïsme avait interprété également le conflit entre Isaac et Ismaël comme un combat spirituel. Le Targum Néofiti et Jonathan Gen 21,9 évoquent une rivalité spirituelle entre les deux. Sara vit qu’Ismaël adorait une idole [7]. Telle est aussi l’interprétation de Sifre Dt 6,4 et du midrash Genèse Rabba 53,11. Paul s’inscrit dans cette tradition juive. L’enfant de la chair persécutait l’enfant de l’esprit. Avec le problème des judaïsants Paul a sous les yeux un conflit entre chair et esprit.
Si Paul a choisi Agar comme symbole de l’ancienne alliance, c’est qu’il est convaincu que, comme Agar était esclave, les judaïsants demeurent esclaves de la Tora donnée au Sinaï [8]. Maintenant la valeur des 613 commandements, ils tombent sous le joug pesant de la Tora qui les asservit. Chassée de la maison, Agar s’enfuit vers le désert du Sud selon Gen 16,7. La version liturgique du Targum mentionne Hegra comme l’endroit où Agar découvrit le puits et rencontra l’ange. Gen 21,21 affirme qu’Ismaël s’établit dans le désert de Pharan. Or le Talmud, au traité Sab 89a identifie Pharan, à la suite de Dt 33,3, avec le Sinaï. Paul est en pleine harmonie avec la tradition juive.
La théologie de la grâce mérite un approfondissement. En Ga 3, 24-25 Paul reprend une pensée rabbinique : la loi a été notre surveillant, en attendant le Christ afin que nous soyons justifiés par la foi. Mais après la venue de la foi, nous ne sommes plus soumis à ce surveillant. En grec c’est le mot de pédagogue qui est employé. Or dans le livre des Proverbes 8,30 il est question de la sagesse qui se définit comme « enfant chéri ». Ce terme a été compris au sens de pédagogue. La Loi était donc auprès de Dieu comme sagesse et comme un pédagogue. Son but comme maître était de conduire les hommes à la foi qui donnerait la justice. « Avant la venue de la foi nous étions gardés en captivité sous la Loi, en vue de la foi qui devait être révélée» (Ga 3,23). Cette mission de la Loi a été accomplie par le Christ. L’homme n’a donc plus besoin d’un maître. Il est justifié par la foi, sans la loi. Voilà le résultat de la conversion dramatique de Paul.
Le renversement des valeurs pharisiennes se traduit curieusement chez Paul par un rapprochement de la théologie essénienne. Les Esséniens étaient une secte juive indépendante quant à leur idéologie et à leur organisation. Ils prétendaient être le véritable Israël, les élus de Dieu, et ils s’appelaient les fils de la lumière. Ils pensaient que leur élection était un effet de la grâce de Dieu et qu’elle remontait à la création du monde. « Et moi je sais que ce n’est pas à l’homme qu’appartiennent les oeuvres de justice, ni au fils de l’homme la perfection de la voie : c’est au Dieu très haut qu’appartiennent toutes les oeuvres de justice, tandis que la voie de l’homme n’est pas ferme, si ce n’est par l’Esprit que Dieu a créé pour lui en vue de rendre parfaite une voie pour les fils des hommes, afin que toutes ses oeuvres connaissent la force de sa puissance et l’immensité de sa miséricorde envers tous les fils de sa bienveillance » (1QH 4,30-32). Privé de la grâce de Dieu l’homme est esclave du péché. La nature pécheresse de l’homme, les esséniens la désignent du terme de « chair ».
La communauté des Esséniens se définit comme ville sainte, maison et temple de Dieu : «C’est la maison de sainteté pour Israël et la maison de sainteté pour Aaron; ils sont témoins de vérité en vue du jugement et les élus de la bienveillance chargés d’expier pour la terre et de faire les sanctions sur les impies. C’est le mur éprouvé, la pierre d’angle précieuse; ses fondements ne trembleront pas ni ne s’enfuiront de leur place. C’est la demeure de suprême sainteté pour Aaron dans la connaissance en vue de l’alliance du droit et pour faire des offrandes d’agréable odeur et la maison de perfection et de vérité en Israël pour établir l’alliance selon les préceptes éternels » (1QS 8,5-10).
Cet enseignement essénien est repris dans la lettre de Paul aux Romains 9,30-32 où il cite les textes de Is 28,16 et Osée 2,25 exploités par Qumran. Rom 9,6-23 est l’expression classique de la théologie de la double prédestination à la perdition et à la gloire. Les Esséniens auraient volontiers signés ces versets de Paul selon lesquels tous ceux qui sont de la postérité d’Israël ne sont pas Israël. Ils ont légué à Paul l’image de la communauté comme maison spirituelle, comme temple de Dieu et comme cité de Dieu. Paul a assimilé la conception essénienne selon laquelle la communauté et ses membres sont élus par un décret intemporel de la grâce de Dieu. Dans sa théologie de la croix il reprend l’enseignement de l’élection par grâce divine. La grâce de Dieu envers l’homme s’est accomplie dans le sacrifice du Christ par lequel les élus sont sauvés. Même la chute du premier homme n’est qu’une condition pour que la grâce soit manifestée en un seul homme, le Christ (Rom 5,15). Selon les rabbins l’humanité était souillée par la chute d’Adam jusqu’à ce que la loi vînt libérer Israël. Selon l’interprétation de Paul la mort gouvernait l’homme et le péché n’était pas compté. Mais depuis Moïse la loi est venue pour que la faute soit complète. Mais là où le péché avait abondé, la grâce surabondait par la mort du seul Jésus-Christ. Pour les rabbins le don de la loi entraînait la libération du péché originel, alors que pour Paul le péché est devenu par la révélation de la loi, intolérable. La puissance rédemptrice de la croix est au coeur de l’évangile de Paul. Par la doctrine essénienne de la grâce élective de Dieu, Paul peut justifier sa théorie selon laquelle la croix est un simple acte de grâce qui n’a pas dû aux mérites de l’homme, puisque le monde entier est sous l’emprise du péché et que c’est Dieu qui élit par sa grâce. La croix est donc le seul chemin du salut.
La conséquence en est que l’homme n’est justifié que par la foi. C’est la réponse de l’élu à la grâce de Dieu. Paul a ainsi transformé la structure de la doctrine essénienne de sorte qu’il lui a été possible d’affronter l’interprétation que le judaïsme donnait de la loi. La foi est rattachée au don de l’Esprit. Les actions exécutées en fonction de la loi sont inscrites dans le domaine de la chair. Pour Paul les bonnes actions sont liées à la chair dans une opposition entre la chair pécheresse et l’Esprit qui est un don de la grâce, hors de tout mérite. Pour les Esséniens l’homme ne peut être justifié par lui-même; il a besoin de Dieu. Les Esséniens reprochaient aux Pharisiens d’être des interprètes des «choses faciles». Ils avaient choisi la voie facile de la justification par les oeuvres de la loi. Or la Loi ne peut pas donner l’Esprit (Ga 3,1-5).
Paul s’est converti à la foi en Jésus deux ans après la crucifixion. Il n’a connu qu’indirectement les récits concernant le ministère de Jésus qui circulaient avant de devenir les évangiles. Il a dû penser l’événement-Jésus et particulièrement l’événement du salut représenté dans la mort et la résurrection de Jésus. Il lui fallait dire comment et pourquoi le salut est manifesté en Jésus. Paul se trouve en situation de rupture avec son monde : pour annoncer Jésus il faut comprendre et interpréter cette histoire récente comme un événement salvateur qui s’inscrit dans l’histoire des relations entre Dieu et son peuple. Il ne peut pas se contenter de répéter que le Royaume de Dieu est proche; il doit mettre au centre de son message que Dieu est intervenu en Jésus par pure grâce.

Ceux qui affirment que Paul est le fondateur du christianisme oublient que dans les Evangiles Jésus a fait une révolution concernant les lois de la pureté alimentaire. Dans l’Evangile de Marc, qui passe pour être le plus ancien, cet enseignement sur le pur et l’impur est rapporté: «Il n’est rien d’extérieur à l’homme qui pénétrant en lui, puisse le rendre impur, mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui le rend impur ». Dans les Actes des Apôtres Pierre qui se rend à Césarée chez le centurion romain reçoit l’ordre de manger des animaux impurs. Dieu venait de lui montrer qu’il ne faut appeler aucun homme souillé ou impur. L’épisode est suivi de la Pentecôte des païens,l’Esprit descendant sur les invités.
Bien avant Paul, Jésus et Pierre ont obligé les Juifs à repenser certaines idées reçues. Bien que les Evangiles relisent ces prises de position à la lumière de Pâque, il est impossible d’éliminer tout noyau historique de leur présentation. Impossible de dire que le christianisme est né dans un milieu païen et qu’il n’a rien en commun avec le judaïsme observant de Jésus. Que Klausner ait voulu faire de Paul le fondateur du christianisme, on le comprend, puisqu’il écrivait avant la découverte de Qumran. Mais depuis que les textes de la Mer Morte ont été publiés, il paraît de plus en plus difficile de maintenir cette position.
Autre élément de réflexion: le thème de l’humilité de Dieu qui « demeure avec le contrit et l’humble » (Is 57,15) est porté à son accomplissement dans l’enseignement de Jésus qui proclame bienheureux les pauvres. Pour Paul ce thème culmine dans l’idée de kénose, thème selon lequel Dieu se dépouille par amour de ses attributs divins pour se faire homme. Paul n’a pas kidnappé la Bible pour la soumettre à la culture hellénistique. La Bible est le livre de l’alliance de Dieu avec les hommes. Dieu parle avec Noé avant de parler à Abraham. Que Paul ait abandonné l’imposition de la circoncision aux convertis, c’est clair. Mais ce fait est à resituer dans le contexte culturel du monde païen qui assimilait la circoncision à la castration.
Jésus a affirmé avoir été envoyé aux brebis perdues de la maison d’Israël, mais cela ne l’a pas empêché de guérir la fille de la Cananéenne. Tout juif observant qu’il fût, il n’a pas hésité à sortir des limites territoriales d’Israël pour se rendre dans la Décapole. Pour le juif il était essentiel d’ériger un mur de protection devant la Tora pour maintenir sa propre identité. Pour Jésus et pour Paul, c’est dans l’ouverture, un excès d’ouverture, que se trouve l’identité du juif appelé à témoigner devant les hommes d’un Dieu d’alliance et de communion. Le chemin de la sainteté n’est pas celui des restrictions, il est celui qui porte à la liberté, liberté de Jésus devant les Pharisiens, liberté de Paul devant les judaïsants. C’est bien Jésus le juif qui demeure le fondateur du christianisme qu’il définit d’ailleurs comme le rassemblement de l’Israël eschatologique par le choix des douze. Le génie de Paul est d’avoir compris que l’inculturation était une nécessité vitale.

[1] K. Berger, «Abraham in den paulinischen Hauptbriefen», MThZ 17 (1966) 47-89. [texte]

[2] Il est plus juste de parler de typologie que d’allégorie. Eusèbe, Vita Const 3,33 présente le Saint-Sépulcre comme la nouvelle Jérusalem annoncée par prophètes. [texte]

[3] On Jewish Law and Lore, New York 1977, 132. Voir aussi I. Christiansen, Die Tecknik der allegorische Auslegungswissenschaft bei Philo von Alexandrien, Tübingen 1969. Paul lui-même exploite l’allégorie en 1 Co 10,1-13 et en 2 Co 3,14-18. [texte]

[4] Ainsi en Mekilta de R. Ismaël, Ex 15,22. «Ils ne trouvèrent pas d’eau» est interprété : «Ils ne trouvèrent pas la Torah», comme en Is 55,1. Dieu montra à Moïse un arbre signifie que Dieu enseigna la Torah (yarah) qui est appelé un arbre de vie en Pr 3,18. [texte]

[5] Sag 16,6.26. [texte]

[6] CD 6,2-10. [texte]

[7] Cf. Targum Ex 32,6 (Néofiti et Jonathan). Josèphe, Ant 1,215 et Jérôme, Quaestiones 24 connaissent cette tradition : quod idola ludo fecerit. Voir M. McNamara, The New Testament and the Palestinian Targum to the Pentateuch, Rome 1966,164-168. Par contre, Tosephta Sota 6,6 donne l’interprétation de R. Ismaël du verbe mshq : le verbe signifierait ‘verser le sang’. Cf. 2 Sam 2,14. [texte]

[8] On trouve des échos de cette problématique en Jn 8,33. [texte]

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