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BERNARD DE CLAIRVAUX (tourner vers Dieu)

9 avril, 2014

http://peresdeleglise.free.fr/extraits.htm#B

BERNARD DE CLAIRVAUX (tourner vers Dieu)

« … que veut dire le Seigneur lorsqu’il nous commande de nous tourner vers lui [cf. Jl 2, 12] ? Car il est partout, il remplit tout, en même temps qu’il embrasse la totalité de ce qui est. Quelle direction prendre pour me tourner vers toi, Seigneur mon Dieu ? Si je monte au ciel tu es là ; que je descende aux enfers, t’y voici [Ps 138, 8]. Qu’attends-tu de moi ? Où me tourner pour me tourner vers toi ? En haut ? en bas ? à droite ? à gauche ?
A moins de vous convertir et de devenir comme ce petit enfant, non, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux [Mt 18, 3]. Je sais donc où il veut que nous nous tournions : vers le petit enfant. Voilà ce qui nous est nécessaire, de manière à apprendre de lui qu’il est doux et humble de coeur [Mt 11, 29]. C’est dans ce dessein que, petit enfant, il nous a été donné [Is 19, 5].
Voyons maintenant comment nous tourner vers ce petit enfant – vers ce Maître de douceur et d’humilité. Tournez-vous vers moi, dit-il, de tout votre coeur [Jl 2, 12). Frères, s’il avait dit : « Tournez-vous », sans rien ajouter d’autre, nous prendrions peut-être la liberté de lui répondre : « C’est fait ; propose-nous maintenant un autre commandement. » Mais la conversion spirituelle à laquelle il nous exhorte, si je l’entends bien, ne s’accomplit pas en un seul jour. Puisse-t-elle tout au moins s’achever au cours de la vie que nous menons dans ce corps. »
(2e sermon de Carême in Saint Bernard, Sermons pour l’année, Brépols/Taizé, 1990, pp. 255-256)
« Vous me demanderez comment j’ai pu connaître sa présence. C’est qu’il est vivant et actif : à peine était-il en moi qu’il tira du sommeil mon âme assoupie. Mon cœur était dur comme la pierre et malade : il l’a secoué, amolli et blessé. Il se mit aussi à sarcler, à arracher, à construire, à planter, à arroser les terres arides, à illuminer les endroits obscurs et à ouvrir les chambres closes, à embraser les parties glacées ; mieux encore, il redressa les voies tortueuses et aplanit les terrains raboteux, tant et si bien que mon âme bénit le Seigneur et que tout moi-même se prit à chanter les louanges de son saint nom. » (Homélies sur le Cantique des Cantiques, 74, 6).
« Frères, vous à qui le Seigneur, comme à des petits, révèle ce qui est caché aux sages et aux habiles, vous devez appliquer votre pensée à ce qui concerne vraiment le salut et trouver le sens de cet avent : Cherchez donc quel est celui qui vient, d’où et de qui il vient, cherchez aussi le motif de sa venue. Cette curiosité est sans aucun doute louable et salutaire : l’Eglise ne célèbrerait pas le présent Avent avec tant de ferveur s’il ne recélait en lui quelque grand sacrement. Et tout d’abord, avec l’Apôtre stupéfait et plein d’admiration, regardez vous aussi celui qui fait son entrée : Il est, au témoignage de Gabriel, le Fils du Très-Haut, Très-Haut lui-même. Vous avez entendu, frères, quel est celui qui vient, écoutez, maintenant, d’où il vient et où il va. Il vient du coeur de Dieu le Père dans le sein de la Vierge Mère. Il vient du plus haut des cieux jusqu’aux régions inférieures de la terre. »
(1er sermon pour l’Avent, 1, cité d’après le Lectionnaire pour les dimanches et fêtes de Jean-René Bouchet, Cerf, 1994, pp. 34 ).

« Il doit en être du pécheur par rapport à son Créateur, comme du malade par rapport à son médecin, et tout pécheur doit prier Dieu comme un malade prie son médecin. Mais la prière du pécheur rencontre deux obstacles, l’excès ou l’absence de lumière. Celui qui ne voit ni ne confesse point ses péchés est privé de toute lumière; au contraire celui qui les voit, mais si grands qu’il désespère du pardon, est offusqué par un excès de lumière : ni l’un ni l’autre ne prient. Que faire donc ? Il faut tempérer la lumière, afin que le pécheur voie ses péchés, les confesse, et prie pour eux afin d’en obtenir la rémission. Il faut donc d’abord qu’il prie avec un sentiment de confusion, c’est ce qui a lieu quand le pécheur n’ose point encore s’approcher lui-même de Dieu et cherche quelque homme saint, quelque saint pauvre d’esprit qui soit comme la frange du manteau du Seigneur, et par qui il puisse s’approcher de lui. »
(107e sermon « sur les sentiments qu’il faut avoir dans la prière »)
« …qui pourra se faire une juste idée de la gloire au sein de laquelle la reine du monde s’est avancée aujourd’hui, de l’empressement plein d’amour avec lequel toute la multitude des légions célestes s’est portée à sa rencontre ? Au milieu de quels cantiques de gloire elle a été conduite à son trône, avec quel visage paisible, quel air serein, quels joyeux embrassements, elle a été accueillie par son Fils, élevée par lui au-dessus de toutes les créatures avec tout l’honneur dont une telle mère est digne, et avec toute la pompe et l’éclat qui conviennent à un tel Fils ? Sans doute, les baisers que la Vierge mère recevait des lèvres de Jésus à la mamelle, quand elle lui souriait sur son sein virginal, étaient pleins de bonheur pour elle, mais je ne crois pas qu’ils l’aient été plus que ceux qu’elle reçoit aujourd’hui du même Jésus assis sur le trône de son Père, au moment heureux où il salue son arrivée, alors qu’elle monte elle-même à son trône de gloire, en chantant l’épithalame et en disant : « Qu’il me baise d’un baiser de sa bouche. » Qui pourra raconter la génération du Christ et l’Assomption de Marie ? Elle se trouve dans les cieux comblée d’une gloire d’autant plus singulière que, sur la terre, elle a obtenu une grâce plus insigne que toutes les autres femmes. Si l’œil n’a point vu, si l’oreille n’a point entendu, si le cœur de l’homme n’a point connu dans ses aspirations ce que le Seigneur a préparé à ceux qui l’aiment, qui pourrait dire ce qu’il a préparé à celle qui l’a enfanté, et, ce qui ne peut être douteux pour personne, qui l’aime plus que tous les hommes ? Heureuse est Marie, mille fois heureuse est-elle, soit quand elle reçoit le Sauveur, soit quand elle est elle-même reçue par lui; dans l’un et dans l’antre cas, la dignité de la Vierge Marie est admirable, et la faveur dont la majesté divine l’honore, digne de nos louanges. » (1er Sermon sur l’Assomption de la Vierge Marie, 4)
« Les actions du Seigneur proclament bien haut le motif de sa venue. Il est venu du haut des montagnes chercher la centième brebis qui était errante. Et pour que nous rendions grâces au Seigneur car il est bon, pour que nous chantions ses merveilles pour les fils des hommes, il est venu pour nous. Grandeur inouïe de Dieu qui cherche, grandeur aussi de l’homme cherché ! » (1er Sermon pour l’Avent, cité d’après Lectionnaire pour les dimanches et fêtes de Jean-René Bouchet, Cerf, 1994, pp. 34-36, 1er Sermon pour l’Avent, 7)
« L’amour se suffit à lui-même, il plaît par lui-même et pour lui-même. Il est à lui-même son mérite, il est à lui-même sa récompense. L’amour ne cherche hors de lui-même ni sa raison d’être ni son fruit : son fruit, c’est l’amour même. J’aime parce que j’aime, j’aime pour aimer. » (Homélies sur le Cantique des Cantiques, 83, 4)
« C’est vraiment le miel que tu as trouvé, en trouvant la sagesse. Pourtant n’en mange pas trop, pour ne pas la vomir d’écoeurement. Manges-en de manière à rester toujours sur ta faim. Car c’est elle qui dit : Ceux qui mangent auront encore faim. Ne va pas estimer comme une grande quantité ce que tu as ; ne t’en gorge pas pour ne pas la vomir : cela même que tu parais avoir te serait enlevé, car avant qu’il ne soit temps tu te serais arrêté dans ta recherche. Or, tant qu’on peut la trouver, tant qu’elle est proche, il ne faut cesser de la chercher et de l’appeler. sinon il en sera comme de celui qui mange beaucoup de miel : Salomon lui-même le dit bien : Cela ne lui vaut rien, car celui qui aura cherché sans discrétion la majesté sera écrasé par la gloire. » (Homélie pour la Toussaint, 2)
« De même qu’une petite goutte d’eau versée dans une grande quantité de vin semble ne plus exister, prenant le goût du vin et sa couleur ; et de même que le fer rougi à blanc est parfaitement semblable à du feu, ayant dépouillé sa forme première et propre ; et de même que l’air traversé par la lumière du soleil revêt l’éclat même de la lumière, au point qu’il semble non seulement illuminé mais lumière même, ainsi faudra-t-il que dans les Saints le sentiment humain se fonde, d’une certaine manière qu’il n’est pas possible de dire, se fonde tout entier dans la volonté de Dieu. Autrement, comment Dieu serait-il « tout en tous » si quelque chose de l’homme restait en l’homme ? Sa substance, certes, restera, mais en une autre forme, une autre gloire, une autre puissance. » (Traité de l’Amour de Dieu, X, 28)
« Voici que la paix n’est plus promise mais envoyée, non plus remise à plus tard mais donnée, non plus prophétisée mais proposée. C’est comme un couffin plein de sa miséricorde que Dieu le Père a envoyé sur la terre ; oui, dis-je, un couffin que la Passion devra déchirer pour laisser se répandre ce qu’il contient : notre paix ; un couffin, peut-être petit, mais rempli. Un petit enfant nous a été donné, mais en lui habite toute la plénitude de la divinité. Lorsqu’est venue la plénitude des temps est venue aussi la plénitude de la divinité. Elle est venue dans la chair, afin de se faire voir même de ceux qui sont charnels, et que son humanité ainsi manifestée permette de reconnaître sa bonté. En effet, dès que l’humanité de Dieu se fait connaître, sa bonté ne peut plus rester cachée. » (Sermon pour l’Epiphanie, I, 1)
« Que ton amour se convertisse de sorte que tu n’aimes rien sinon le Seigneur ou bien que tu n’aimes rien que pour Dieu. Que ta crainte se tourne aussi vers lui car toute crainte qui nous fait redouter quelque chose en dehors de lui et non pas à cause de lui est mauvaise. Que ta joie et ta tristesse se convertissent à lui ; il en sera ainsi si tu ne souffres ou ne te réjouis qu’en lui. Si donc tu t’affliges pour tes propres péchés ou pour ceux du prochain, tu fais bien et ta tristesse est salutaire. Si tu te réjouis des dons de la grâce, cette joie est sainte et tu peux la goûter en paix dans l’Esprit Saint. Tu dois te réjouir, dans l’amour du Christ, des prospérités de tes frères et compatir à leurs malheurs selon cette parole : « Réjouissez-vous avec ceux qui sont dans la joie, pleurez avec ceux qui pleurent. »"(2e Sermon pour le premier jour du Carême, 2-3, 5, cité in Lectionnaire pour les dimanches et pour les fêtes de Jean-René Bouchet, p. 143).
« Dans notre coeur, là où le Christ fait sa demeure, conduisons-nous avec jugement et intelligence, de manière à ne pas mettre notre confiance dans notre propre vie et à ne pas prendre appui sur un fragile rempart. » (Homélie sur Habaquq, 2, 1)

« La mesure de l’amour de Dieu c’est de l’aimer sans mesure » (Saint Bernard, Traité de l’amour de Dieu, chap. I.)

I. LES PÈRES ET L’ÉDUCATION CHRÉTIENNE AUX CINQ PREMIERS SIÈCLES.

31 mars, 2014

http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=3372

PÈRES DE L’ÉGLISE

Les Pères de l’Eglise ont été, aux cinq premiers siècles, les témoins et les directeurs de l’éducation chrétienne. En outre, depuis le moyen âge jusqu’à nos jours, leurs écrits n’ont pas cessé d’avoir sur l’éducation une influence dont il est nécessaire de tenir compte.

I. LES PÈRES ET L’ÉDUCATION CHRÉTIENNE AUX CINQ PREMIERS SIÈCLES.

Il n’est pas possible d’exposer les idées des Pères sur l’éducation sans avoir d’abord fait connaître leur point de vue. Pour eux, l’éducation était avant tout la préparation à la vie céleste. Comme on commençait à participer à cette vie une fois introduit dans l’Eglise, la véritable éducation était pour eux la préparation de l’homme, quel que fût son âge, à l’entrée dans la communion des fidèles. Relativement aux enfants, ce problème se compliquait de la nécessité de les préparer en même temps à vivre dans la société romaine, dont ils ne pouvaient pas ne pas faire partie.
Notre exposition se trouve naturellement divisée en deux parties par le fait si considérable de l’avènement de l’Eglise à la liberté sous Constantin.
À. LES PERES ET L’EDUCATION CHRETIENNE AUX TROTS PREMIERS SIECLES.— Aux trois premiers siècles, les témoignages des Pères sur les soins à donner à la jeunesse sont rares. Aucun traité ; des indications éparses, le plus souvent à propos d’un autre objet. L’Eglise s’occupait de s’agrandir et de s’organiser au milieu des persécutions et des hérésies. Sa véritable jeunesse fut alors les catéchumènes, qui lui venaient surtout du dehors.
Dans cette première période, où la diversité des sentiments des Pères est plus marquée, il nous a paru préférable de subordonner l’ordre des matières et celui des temps à celui des races. Nous diviserons les écrivains ecclésiastiques en trois groupes, suivant la prédominance de l’élément juif, de l’élément grec, et de l’élément romain. Le premier groupe nous renseignera surtout sur la famille ; le second sur la catéchèse ; le troisième sur la manière dont les fils des chrétiens devaient participer à l’éducation païenne. Le premier groupe a pour centres principaux Home et la Syrie, le second l’Egypte, le troisième l’Afrique proconsulaire.
Premier groupe. — Les conseils aux parents relativement à l’éducation de leurs enfants ne se trouvent que dans un groupe d’écrits très anciens, antérieurs ou indifférents au mouvement pagano-chrétien des apologètes du second siècle contre la persécution, et plus ou moins pénétrés de l’esprit juif qui solidarisait la destinée de tous les membres de la famille. Ils ont tous été composés en langue grecque, et, sauf une exception, à Rome ou en Syrie. Ce sont d’un côté l’Epitre de Clément de Rome avec l’Epître de Polycarpe qui paraît l’avoir imitée sur ce point ; de l’autre, l’Enseignement des douze apôtres, le Pasteur d’Hermas, les Homélies clémentines, les Reconnaissances, et enfin le fond des Constitutions apostoliques, qui est d’une grande antiquité. On y recommande d’abord, il est à peine besoin de le dire, de ne pas se débarrasser des enfants par l’avortement ou après leur naissance. Les Juifs de la dispersion avaient déjà protesté contre la coutume grecque et romaine d’exposer les nouveau-nés. Ensuite il faut enseigner aux enfants dès le jeune âge la crainte de Dieu. Pour ce but on leur apprendra des passages de l’Ecriture dès qu’ils sauront parler. Telle était aussi la coutume juive. De même que chez les Juifs, et comme on devait d’ailleurs s’y attendre, c’est la mère qui sera plus particulièrement chargée de ce soin. On leur mettait ensuite entre les mains les saintes Lettres. Nous pouvons généraliser avec certitude les renseignements qui nous sont donnés par les écrivains de ce groupe, et dire que, partout où ce fut possible, l’instruction religieuse dans la famille précéda les autres éludes, quand on appliquait l’enfant à d’autres études.

Nos écrivains recommandent de ne pas se laisser aller par tendresse à une indulgence qui pourrait être funeste, mais d’être constamment vigilant et ferme, et d’user sans crainte des corrections corporelles. Les Constitutions apostoliques développent cette dernière prescription bien longuement. « Ne craignez donc pas de les châtier : corrigez-les avec sévérité, car en les formant ainsi vous ne les tuerez pas, mais plutôt vous les sauverez. Comme le dit quelque part Salomon, dans sa Sagesse, châtie ton fils et il te donnera du repos. Car c’est ainsi qu’il deviendra un enfant de bonne espérance. Tu le frappera avec la verge, mais lu délivreras son âme de la mort. Il dit encore : Qui ménage le bâton hait son fils. Et encore : Romps-lui les côtes pendant qu’il est enfant, de peur qu’il ne s’endurcisse et ne devienne rebelle. Ainsi, quiconque craint d’exhorter et de corriger son fils hait son propre enfant. » Il est douteux que la tendance juive à courber l’homme sous la loi, à briser les résistances avec le bâton, à faire prédominer non la raison mais la crainte, fût facilement acceptée par les chrétiens grecs.

Dans ce groupe (en mettant de côté Clément avec Polycarpe, qui s’y rattachent à peine), on ne peut être que défavorable à l’éducation ou à la culture grecque, à laquelle les judéo-chrétiens devaient être d’autant plus antipathiques que, pour le Juif, de même que la loi religieuse, la loi politique et la loi civile n’en faisaient qu’une, de même l’instruction formait un tout original, dans lequel les éléments religieux, juridique et littéraire se confondaient. Seulement, pour les judéochrétiens, l’étude de l’Ancien et du Nouveau Testament remplaçait celle de la Loi.
La culture grecque devait donc paraître à nos auteurs non seulement dangereuse, mais tout à fait inutile. Elle est en effet condamnée par les Constitutions apostoliques, par les Reconnaissances et les Homélies clémentines (par ces dernières avec une grande énergie) comme contraire au monothéisme et aux bonnes moeurs. On sait que ce qui correspondait chez les anciens à notre enseignement secondaire, c’était surtout l’explication des poètes par les grammairiens, qui donnaient à cette occasion des notions de toute sorte, en insistant sur l’histoire des dieux et celle des héros. Les païens n’avaient pas tardé à sentir que lit plupart des aventures de leurs dieux étaient scandaleuses. Les philosophes, pour mettre la religion populaire en harmonie avec la conscience et le progrès de la pensée, et les grammairiens pour pouvoir maintenir Homère et Hésiode entre les mains des enfants, avaient réussi à trouver, au moyen de l’exégèse allégorique, toute une physique et toute une morale dans les fables. Ils prétendaient qu’elles avaient été composées avec un art savant par des sages pour une élite capable de les entendre. Cet expédient ne désarme pas l’auteur des Homélies. Il s’étonne avec raison qu’on ait voulu cacher des vérités utiles sous une enveloppe, et qu’on ait imaginé comme enveloppe des récits licencieux. En réalité la mythologie, dit-il, est une invention des démons. Instruire les enfants par la lecture des poètes, c’est les corrompre, d’autant plus que les habitudes prises à cet âge sont particulièrement douces et difficiles à détruire. Voilà pourquoi ceux qui vivent aux champs et dans l’ignorance sont moins vicieux. Il ne faut donc pas exercer la jeunesse à ces études. On doit aussi se délier des philosophes. Les parents, dans leur prévoyance, formeront l’esprit de leurs enfants, avant l’âge des passions, par des livres qui donnent l’habitude de la vertu, et, pour plus Me sûreté, les marieront de très bonne heure. Il est à peine besoin d’ajouter que les hommes faits devront aussi s’abstenir de lire les livres grecs, et, s’ils les avaient auparavant pratiqués, ne s’en souvenir que pour la controverse avec les païens. C’est dans les Reconnaissances, dont le sentiment est d’ailleurs tout à fait analogue, mais un peu plus doux, qu’on trouve cette permission. L’idéal de la littérature clémentine est un chrétien aux trois quarts juif, simple et laborieux, formé par l’Ancien Testament et ne connaissant pour ainsi pas d’autre lecture. Ce type se modifiera sans doute dans le cours des cinq premiers siècles. Ce n’est pas d’après lui que se formera l’éducation chrétienne, mais la tendance qu’il représente ne disparaîtra pas. Nous la retrouverons dans le recueil définitif des Constitutions apostoliques, et il en restera quelque chose chez le Syrien Chrysostome.
Deuxième groupe. — En Egypte, nous voyons aussi le christianisme sous l’influence de l’esprit juif, mais, cette fois, de l’esprit juif profondément modifié par sa combinaison avec l’élément grec. Dans le milieu alexandrin, le judaïsme était devenu une philosophie : il en arrive autant au christianisme. Les maîtres chrétiens empruntent la méthode de Philon, ainsi que plusieurs de ses résultats, comme ils en conviennent (Origène, Contre Celsc, IV, 51) : ils l’admirent et le citent avec honneur. Ici, pour ce qui concerne notre sujet, le centre n’est plus la famille, mais l’école où se pressent les catéchumènes. Elle est un organe officiel de l’Eglise et grandit sous la surveillance de l’évêque. A Alexandrie, nous ne saurions pas ce qui se passe dans la famille si Eusèbe (Hist. eccl., VI, 2) ne nous avait fait entrevoir Origène enfant, tenu chaque jour de réciter ou de raconter à son père quelque partie des Ecritures.
On rivalise avant tout avec les philosophes païens, dont l’enseignement si étendu correspondait à celui de nos Facultés des lettres et des sciences. Cet enseignement supposait de même une instruction préparatoire, qui se donnait plus ou moins dans les écoles des philosophes. On sait, par exemple, que les stoïciens, dans la première partie de leur système, c’est-à-dire dans leur logique, comprenaient, avec la dialectique, la rhétorique et la science grammaticale. Ils commentaient les poètes, et ce sont eux qui les premiers avaient appliqué systématiquement l’allégorie aux poèmes d’Homère et d’Hésiode. Philon, faisant tout aboutir à une philosophie éclectique qu’il retrouvait par l’allégorie dans le Pentateuque, avait exigé de ceux qui voudraient étudier fructueusement les livres de Moïse la connaissance préalable des philosophes païens et, en remontant : celle de la dialectique, afin qu’ils fussent capables de réfuter les sophismes ; celle de la rhétorique, la raison s’exprimant par la parole ; celle des mathématiques et de l’astronomie, non seulement pour habituer l’esprit à la généralisation et lui faire admirer l’ordre du monde, niais aussi pour le rendre capable de saisir, parmi les sens mystérieux des Ecritures, ceux qu’il expliquait par la science des nombres ; enfin, en premier lieu, celle des poètes, dont les fables ne le scandalisaient pas, puisqu’il y voyait avec les stoïciens et les grammairiens un sens profond. C’était, à l’encontre des Palestiniens, non seulement permettre, mais nécessiter la culture grecque dans toute son étendue. Cette préparation est justement celle que le premier maître chrétien d’Alexandrie dont les ouvrages nous soient parvenus, Clément, exige du chrétien gnostique, c’est-à-dire du chrétien qui tend à la perfection par la science. Les vues de son successeur Origène seront les mêmes et, après les avoir exposées, après avoir énuméré toutes les sciences qui sont nécessaires à l’interprétation des saintes Lettres (et qui pour lui viennent de Dieu comme toutes les parcelles de la vérité dans quelque ordre que ce soit), il ajoutera, comme pour mieux nous faire comprendre qu’il s’agit de rivaliser avec les écoles des philosophes : « Ce que disent les philosophes au sujet de la géométrie et de la musique, de la grammaire, de la rhétorique, et de l’astronomie, qu’elles sont les auxiliaires de la philosophie, nous le dirons de la philosophie relativement au christianisme » [Epître à Grégoire le Thaumaturge).
La science, aujourd’hui encore, n’est accessible qu’au petit nombre. Philon voulait qu’on maintînt les Juifs du commun, pour leur bien, dans ce qui n’était à ses yeux que superstition, en leur donnant un enseignement conforme à la médiocrité de leur esprit. Une telle dureté était contraire au caractère du christianisme, dont le fond est l’amour, et qui par cela même attirait à lui la foule des malheureux et des ignorants. Cependant il fallait se résigner à la nécessité, et, pour la multitude, une fois les éléments du dogme transmis, s’en tenir aux instructions morales, qui d’ailleurs sont aussi comprises pour Clément dans la philosophie. Clément, le même maître qui insiste si souvent sur l’utilité de la culture grecque, apprenait avec le plus grand détail aux prosélytes et aux fidèles comment ils devaient se conduire dans les diverses circonstances de la vie. Non seulement il recommandait la simplicité et la sobriété sous toutes les formes, mais il descendait jusqu’aux plus menues instructions relatives aux manières, dont la délicatesse est une conséquence de la délicatesse des moeurs. Une partie de ces préceptes de savoir-vivre, donnés dans le Pédagogue aux personnes de tout âge, se retrouveront au seizième siècle dans le traité de civilité écrit par Erasme pour les enfants. Dans ces leçons, Clement ne parle que rarement pour la jeunesse et alors en général d’une manière indirecte. Il lui interdit le vin, de peur d’exciter les passions. Il tolère à peine pour elle la fréquentation des bains, ma s il encourage à celle des gymnases.
Son successeur Origène dut bientôt, à cause de l’affluence des disciples, laisser aux soins d’un aide la direction de ce qu’on pourrait appeler la classe inférieure, et se borner à enseigner les plus avancés, dans un auditoire où se pressaient même des païens qui n’étaient attirés par aucun autre désir que par la curiosité de l’entendre. Il discutait publiquement les systèmes des philosophes ; il apprenait les mathématiques aux disciples les mieux doués, en les engageant à l’élude de la philosophie ; il excitait les ignorants à la culture littéraire en leur disant qu’elle leur serait d’un grand secours pour l’intelligence des Ecritures. Quand il eut quitté la ville, le même esprit s’y maintint, quoique avec plus de discrétion, sous ses successeurs, au moins jusqu’à la fin du quatorzième siècle.
A Césarée de Palestine, sous la protection des évêques de Césarée et de Jérusalem, Origène rouvrit brillamment son école et fit de sa nouvelle résidence une sorte de ville universitaire chrétienne, avec cette différence que, conformément à la coutume antique, si propre à développer l’étendue et l’originalité de l’esprit, il portait seul le poids de toutes les parties de l’enseignement. Un de ses disciples, Grégoire le Thaumaturge, nous a transmis dans un discours célèbre (Panégyrique d’Origène) son programme, où l’on reconnaît les principales divisions usitées dans les écoles des philosophes. Origène commençait par préparer les esprits à la manière de Socrate, labourant ta terre avant de semer. Puis il enseignait successivement la dialectique, la science de Ta nature et les transformai ions de la matière ou la physique, ainsi que la géométrie et l’astronomie, ensuite la morale, et enfin la théologie, en recommandant à ses disciples de lire tous les philosophes et les poètes, à l’exception des athées : car, disait-il, lorsqu’on ne connaît qu’une opinion, elle exerce sur vous une domination nuisible. Il examinait donc avec eux tous les systèmes, en séparant le vrai du faux. A parcourir ainsi librement toutes les parties du domaine de la science, ils se croyaient, dit Grégoire, dans le paradis. On accourait à l’auditoire d’Origène de plusieurs contrées de l’Asie ; des évêques même venaient de loin pour l’entendre : ses disciples répandirent son esprit en différentes capitales de province, où quelques-uns occupèrent des sièges épiscopaux. Jérusalem, sous l’action de son vieil ami Alexandre, devint un centre de culture chrétienne comme Césarée de Palestine. Il faut en dire autant de Césarée de Cappadoce, dont l’évêque bien connu, Firmilien, avait attiré quelque temps chez lui Origène, et de Néo-Césarée dans le Pont, qui eut pour évêque Grégoire le Thaumaturge. Ainsi se propageait un amour de la philosophie et des lettres que nous retrouverons dans ces pays au quatrième siècle.
Cette culture qui attirait au christianisme les intelligences autant que les âmes, et qui avait, au moyen de l’explication allégorique des Ecritures, transformé la foi primitive en un système complet et hardi, n’allait évidemment pas sans opposition. Dans Alexandrie même (car un extrême en appelle un autre, et il en était arrivé autant à Philon), tout un parti, que Clément combat souvent et qui rappelle celui que représentent les Homélies clémentines, prétendait, par horreur de la civilisation païenne, que la philosophie et les lettres venaient du diable. Mais s’il gêna l’essor des Clément et des Origène, il ne réussit pas à l’empêcher.
Troisième groupe. — Les écrivains ecclésiastiques des premiers temps, avec les judéo-chrétiens de Rome et de la Syrie, nous ont dit comment ils entendaient les devoirs des parents ; les Alexandrins nous ont renseigné sur le catéchuménat, tel qu’ils le concevaient ; le reste des auteurs chrétiens des trois premiers siècles se tait d’une manière à peu près complète sur l’éducation.
On comprend le silence des apologètes, dont il faut pourtant excepter les invectives d’un Tatien contre la philosophie, la rhétorique et la grammaire, mais sans oublier qu’il s’agit d’un homme échauffé par la lutte et qui serait sans doute bien fâché d’être étranger à la culture contre laquelle il déclame. Un Irénée est absorbé par la réfutation du gnosticisme Mais le silence des autres est bien surprenant, surtout celui des deux grands écrivains latins de l’Afrique proconsulaire, Tertullien, dont il nous reste tant d’ouvrages, qui règle sur tant de points la conduite des fidèles, n’a pas un conseil à leur donner sur leurs enfants. Il s’occupe avec détail de la femme, vierge ou mariée, réprime son luxe, analyse les difficultés créées à l’épouse chrétienne par les unions mixtes, mais n’a rien à dire à la mère. Cyprien, dans sa correspondance et dans les exhortations de toute sorte qui remplissent ses traités, ne s’occupe qu’une fois et en passant de notre sujet.
On peut d’abord dire, afin d’expliquer leur abstention, que l’Afrique représente au plus haut degré l’esprit romain, et que la législation romaine, qui ne craignait pas d’intervenir dans la vie privée pour borner le luxe et gêner le célibat, n’a jamais pensé, par une singularité dont on s’est étonné, mais qui s’explique par le respect absolu pour l’autorité du père de famille, à réglementer l’éducation. On peut ajouter que l’Eglise était d’autant plus disposée à laisser toute liberté au père de famille, que les chrétiens avaient par leur baptême renoncé au monde pour vivre dans une société entièrement différente, et que, tant que leurs enfants restaient dans le monde, l’Eglise, à laquelle ils étaient étrangers, n’avait pas à s’en occuper. On serrerait ainsi la vérité de plus près ; car celle scission, si peu judéo-chrétienne, dans l’intérieur de la famille, est marquée par Cyprien, au moins à deux reprises, avec énergie. Dans son traité sur l’Oraison dominicale, il dit que les chrétiens ont, depuis leur naissance, c’est-à-dire depuis leur baptême, et dès les premiers mots qu’ils ont alors prononcés, en appelant Dieu « Noire Père », renoncé à leur père terrestre et charnel, et qu’ils ne reconnaissent dorénavant pour père que « celui qui est aux cieux ». Car, ajoute-t-il, il est écrit : « Ceux qui disent à leur père et à leur mère : Je ne te connais pas, et qui ne reconnaissent plus leur fils, ceux-là ont gardé tes préceptes et conservé ton alliance ». Dans son discours sur les oeuvres et les aumônes, s’adressant à ceux qui mettaient en avant la nécessité de réserver leur fortune à leurs enfants, il leur répète la citation sur les vrais fidèles qui ne connaissent ni parents, ni fils, leur fait un crime de préférer leurs enfants aux frères pauvres, et ne voit dans une nombreuse famille que la nécessité de racheter par des aumônes les péchés d’un plus grand nombre de personnes. Tel est le seul passage où il s’occupe des devoirs des parents.
Le respect tout romain de la liberté du père de famille, et surtout le soin de séparer les deux sociétés, expliquent sans doute en quelque mesure le silence des deux écrivains d’Afrique sur les études littéraires des fils des fidèles ; mais ils n’expliquent pas d’une manière tout à fait suffisante leur indifférence relativement à l’éducation domestique. Il faut aller plus loin, jusqu’aux causes qui font de l’enfant, dans la famille chrétienne elle-même, pour nos deux écrivains, un objet secondaire et un embarras. Tertullien, dans son premier livre A sa femme, manifeste à la fois cette tendance et ses causes, qui sont surtout l’ascétique élan vers le ciel et la violence du conflit entre les deux sociétés dans la partie occidentale de l’empire. Pour lui, le plaisir d’être père, le plus amer de tous, doit être étranger au chrétien. A quoi bon désirer des enfants, puisque, dès que nous les avons, nous souhaitons qu’ils nous devancent dans le ciel à cause des dangers de toute sorte qui les menacent? Vraiment, ajoute-t-il avec ironie, une postérité est bien nécessaire au serviteur de Dieu ! Nous sommes, en effet, assez assurés de notre salut pour y joindre la responsabilité des enfants ! Il faut aller chercher des charges, que la plupart des païens évitent, que les lois imposent, auxquelles on se dérobe par des infanticides, qui, en un mot, nous sont extrêmement importunes et mettent la foi en péril ! En conséquence, il préconise non seulement la virginité, mais aussi la continence dans le mariage, dont il y avait déjà de son temps de nombreux exemples.
Qu’on ne s en prenne pas au montanisme de Tertullien. Cyprien est dans les mêmes sentiments. Il déclare que l’ordre de croître et de multiplier, bon au commencement pour peupler la terre, est remplacé, maintenant que le monde est plein, par l’exhortation à la continence.
Les parents chrétiens auraient donc été laissés ici sans direction à nous connue, si, dans ses Témoignages, sorte de manuel de religion, composé de passages de l’Ecriture à apprendre par coeur, et qui devait naturellement être complet, Cyprien n’avait inséré les préceptes de saint Paul relatifs aux parents et aux enfants. Ces préceptes, pleins de bon sens et de mesure, où le devoir de l’obéissance, exprimé sans rudesse, est tempéré par la recommandation aux pères de ne pas aigrir leurs enfants, respectaient la liberté des parents dans les cas particuliers et les guidaient excellemment d’une manière générale.
C’est cependant dans cette littérature africaine, si stérile en l’ait d’éducation, que nous trouvons un renseignement capital, à la fois par son objet (puisqu’il concerne la nature des études et le choix des maîtres) et par son étendue (puisqu’on peut l’appliquer avec quelque confiance à la partie occidentale de l’empire). Nous devons ce renseignement à Tertullien, sans qu’il ait eu l’intention de le donner. On le trouve dans un traité où il s’occupe de déterminer quelles sont les pratiques et les professions qu’un chrétien peut se permettre sans tomber dans le péché d’idolâtrie.
Il y reconnaît sans hésitation que la culture littéraire est indispensable aux rapports avec les hommes et que, sans elle, les études sacrées sont impossibles. On ne devait pas attendre moins d’un aussi grand homme et qui savait mieux que personne combien les études étaient nécessaires dans la lutte contre les païens pour la victoire définitive du christianisme. Mais, en même temps, c’était concéder, à moins de porter ses réflexions sur un plan d’études, ce qui, nous l’avons dit, était étranger à ses préoccupations, qu’il fallait confier les enfants à des grammairiens. En effet, il ne paraît pas soupçonner qu’on puisse instruire la jeunesse autrement que par leur méthode. Pour lui, comme pour eux, Homère est le père des études libérales (De anima, 33). Maintenant, pouvait-on s’attendre à le trouver favorable à l’établissement de grammairiens chrétiens qui adouciraient les inconvénients d’une instruction toute païenne? En aucune façon, car l’intérêt des disciples n’est pas ce qu’il cherche ; c’est à l’âme des maîtres qu’il fait attention. Or, quoique l’enseignement fût libre, il fallait, pour l’exercer sans être inquiété, se conformer à des coutumes que le sévère docteur, élevant la voix dans l’Eglise dont il était encore membre, considérait comme idolâtriques. Il condamne donc formellement les professions de maître d’école et de grammairien. Il ne lui restait alors qu’à indiquer la fréquentation des maîtres païens. C’est ce qu’il fait, expressément pour les fidèles, car il ne dit pas un mot des fils non convertis de parents chrétiens. Mais cette règle s’appliquait à eux à plus forte raison.
Elle dut être d’un usage général, car, quand même il n’y aurait pas eu les difficultés des familles mixtes, il n’est pas dans la nature que les parents s’opposent au développement de leurs enfants, et les condamnent, lorsqu’ils peuvent faire autrement, à occuper un rang inférieur dans la société. L’abstention recommandée par les Homélies clémentines était, d’ailleurs, de plus en plus difficile à mesure que les communautés d’origine juive étaient de plus en plus absorbées par la grande Eglise, et que les familles de distinction entraient en nombre de plus en plus grand dans les rangs chrétiens. Ceux qui ne savaient pas lire se contentaient de savoir par coeur des passages des Ecritures ; d’autres, un peu plus instruits, se bornèrent à lire les Ecritures ; mais, dans les classes aisées, les fils des fidèles, prémunis autant que possible par l’éducation domestique, furent généralement envoyés aux écoles païennes, sauf peut-être dans quelques parties de l’Asie, où l’étendue de la population chrétienne et la largeur d’esprit alexandrine facilitaient aux maîtres chrétiens l’exercice de leur profession.

C’est de cette double éducation, chrétienne à la maison, païenne au dehors, que nous partirons au quatrième siècle, en poursuivant dorénavant cette exposition dans l’ordre chronologique, qui devient le plus important: les diversités, sans disparaître, s’étant de plus en plus subordonnées à l’uniformité de l’Eglise.

B. LES PERES ET L’EDUCATION DES CHRETIENS AUX IVe ET Ve SIECLES. — Au quatrième siècle, on pouvait s’attendre à voir l’Eglise, devenue libre, s’opposer à l’envoi des fils des fidèles chez les maîtres païens et penser à organiser pour les générations de plus en plus nombreuses dont elle avait la charge une éducation nouvelle. Il n’en fut rien. On ne tarda pas à interdire les sacrifices et toutes les manifestations du polythéisme, mais ni un canon de concile, ni un décret impérial ne furent dirigés contre les écoles païennes ou n’eurent pour objet de les remplacer. Bien plus, dans la période qui s’étend jusqu’à Julien, ou plutôt qui comprend la vie entière des principaux Pères qui étaient nés dans les premiers temps de la liberté, l’instruction païenne fut en faveur, et l’on voit de grands évêques liés d’amitié avec les maîtres qui la donnaient, quoique ceux-ci se considérassent comme les soutiens de la religion ancienne et de la civilisation païenne.
Il est facile de trouver les causes de cette situation. D’abord, sous le régime précédent, une longue habitude s’était formée. Ensuite, les empereurs chrétiens n avaient eu qu’à rester fidèles à l’esprit des lois romaines pour laisser l’enseignement des païens entièrement libre. Mais surtout l’Eglise, en recevant les multitudes qui trouvaient avantage à entrer chez elle, était devenue moins sévère. Elle prenait les moeurs du monde au lieu de lui imposer les siennes. Quand elle lui cédait sur tant de points pour le conquérir, comment aurait-elle songé à lui ôter ce qu’il avait de plus cher et de plus beau, et à procéder violemment contre la coutume qui faisait de la culture grecque le meilleur moyen d’arriver aux honneurs et aux dignités? D’ailleurs, la supériorité que donnait cette culture paraissait plus que jamais nécessaire aux évêques.
Depuis longtemps, le but de l’éducation païenne était la science de la parole. On apprenait tout, mais c’était pour charmer par ses discours. La philosophie elle-même s’était vue subordonnée à la rhétorique. Déjà, sous Marc-Aurèle, en organisant les écoles d’Athènes, on l’avait placée au commencement des études. Or, dans un temps où l’on ne persécutait pas encore les païens, mais où l’on cherchait à les attirer, les églises étaient devenues comme les rivales des auditoires des rhéteurs, et elles retentissaient des applaudissements de la foule. Le panégyrique, un des genres alors les plus en faveur, y alternait avec l’homélie. Comment n’aurait-on pas été généralement disposé à envoyer la jeunesse chrétienne aux écoles de rhétorique pour qu’elle y apprit à combattre plus tard les païens avec leurs propres armes ?
Ce n’est pas tout. En face du christianisme, les maîtres avaient pris plus de gravité et même quelque chose de réellement religieux, en même temps que dans la lutte, et au sortir des misères du troisième siècle, leur influence s’était agrandie.
Dans ces circonstances, le nombre très petit des grammairiens et des rhéteurs chrétiens devait augmenter Ils n’étaient plus tenus de se conformer aux pratiques de l’idolâtrie et pouvaient expliquer les poètes avec un esprit nouveau. Nous en connaissons quelques-uns. Le plus ancien, de souche chrétienne, fut le père de saint Basile et de saint Grégoire de Nysse : il était à la fois grammairien et rhéteur dans le Pont, qui avait été pour ainsi dire colonisé, nous l’avons vu par les disciples d’Origène. Grégoire de Nazianze, qui nous le fait connaître, nous dit dans son langage un peu emphatique que le Pont le montrait comme un maître public de vertu. Trois de ses fils se firent entendre dans les auditoires ; deux d’entre eux, saint Basile et saint Grégoire de Nysse, furent quelque temps professeurs de rhétorique. Vers le même temps, à Laodicée en Syrie, deux chrétiens, le père (natif d’Alexandrie) et le fils, Apollinaire l’Ancien et le Jeune, étaient à la fois, l’un grammairien et prêtre, l’autre rhéteur et lecteur. On ne trouvait pas ce cumul des Apollinaires blâmable ; seulement, on s’inquiétait de les voir cultiver l’amitié et applaudir les leçons d’un rhéteur païen ; on craignait qu’ils ne fussent gagnés à l’hellénisme. La diffusion de la culture païenne se faisait d’ailleurs singulièrement sentir dans le langage des évêques. Ils se plaisent souvent aux allusions mythologiques, d’une manière qui aurait choqué leurs prédécesseurs des trois premiers siècles.
Julien voulut arrêter les progrès du christianisme en le refoulant dans l’ignorance. Par une mesure avant lui sans exemple, il limita la liberté de l’enseignement et interdit aux professeurs chrétiens la lecture publique des auteurs grecs. On vil combien le coup avait porté, à l’indignation des chrétiens et à leurs réclamations, après la mort de l’empereur, pour le rétablissement de l’ancienne liberté. Pendant la prospérité de Julien, les Apollinaires purent garder leurs chaires et continuer de mettre leur culture au service de l’Eglise grâce à un expédient qu’ils imaginèrent. Ils eurent l’idée, puisque on leur interdisait les auteurs anciens, de composer sur des sujets chrétiens des ouvrages de diverses sortes pour en faire le thème de leurs leçons. Ainsi le père fabriqua une épopée en vingt quatre chants sur l’histoire des Israélites, pour remplacer Homère ; il fit de même des tragédies, des comédies et des odes pour remplacer Euripide, Ménandre et Pindare : tout cela en hâte, mais de manière à pouvoir faire connaître à ses élèves, par des exemples, les divers genres de la poésie et leur en expliquer tout le mécanisme. Le fils de son côté mit les Evangiles et les Epîtres en dialogues à la manière de Platon. On nous dit qu’ils furent ainsi très utiles, sans doute parce que leurs ouvrages furent aussitôt adoptés dans plusieurs écoles et qu’on put ainsi donner publiquement aux fils des fidèles une sorte d’éducation libérale. Mais il n’y avait là qu’un expédient, qui fut abandonné à la mort de Julien. Un système sérieux eut été de substituer aux auteurs classiques les oeuvres des Pères, qui formaient déjà toute une littérature. L’idée des Apollinaires, de ces maîtres qui passaient de leur chaire à l’auditoire d’un rhéteur païen pour aller l’applaudir, avait été toute différente.
Parmi les Pères de la même génération que Julien, il faut citer saint Grégoire de Nazianze et saint Basile, déjà nommés, de pays origénistes, et saint Ambroise.
Grégoire, né en Cappadoce dans une famille pieuse et pieusement élevé, paraît cependant avoir parcouru le cycle entier de ses études aux écoles des païens. On sait qu’il était lié avec des rhéteurs païens, et que, tout en essayant de les amener à sa foi, il leur envoyait des élèves. On sait qu’en particulier il insiste auprès d’un de ses parents pour qu’il envoie son fils compléter son éducation aux écoles les plus célèbres. On sait aussi que, dans son invective contre Julien, tout en maintenant très haut la supériorité du christianisme, il réclame avec énergie pour les chrétiens le droit à la culture grecque. Dans son panégyrique de Basile, il va jusqu’à déclarer en pleine église qu’elle est, avec la science chrétienne, le premier des biens ; que, si grand que soit le grand nombre de ses adversaires ; ils ont tort ; que sans doute il faut en user avec discernement, puisque elle peut conduire au vice comme à la vertu, mais qu’il faut s’en aider pour fortifier la vraie doctrine, et enfin que ceux qui la méprisent sont des gens grossiers et sans instruction, qui voudraient, pour n’avoir pas à rougir de leur ignorance, que tout le monde fût comme eux.
Quant à saint Basile, disciple, par l’intermédiaire de son aïeul, d’un des plus brillants disciples d’Origène, et plus tard compagnon de saint Grégoire de Nazianze aux écoles de Césarée et d’Athènes, c’est avec raison que son Discours sur la lecture des auteurs profanes, qu’il écrivit à un âge dont il invoque l’autorité ; pour des enfants dont il était proche parent, est demeuré comme l’expression de la sagesse sur ce sujet, tout incomplète qu’en soit la pensée. En effet, il ne voit dans la lecture des auteurs profanes qu’une préparation à la science chrétienne et ne les considère qu’au point de vue de l’honnête. Mais, sous ce rapport, il ne craint pas de dire qu’Homère est un manuel de vertu, comme il le tient d’un grammairien (peut-être de son père). La patience de Socrate frappé au visage, la continence d’Alexandre qui ne veut pas voir les filles de Darius, le refus d’un pythagoricien de prêter serment, lui paraissent des réalisations anticipées des préceptes de Jésus. Que si, dans un passage souvent cité, il regrette d’avoir perdu sa jeunesse à l’acquisition d’une sagesse qui n’est que folie aux yeux de Dieu, souvenons-nous qu’au retour d’Athènes il avait été enivré de ses talents jusqu’au plus dédaigneux orgueil, qu’à la suite d’une crise intérieure il se jeta dans la vie solitaire, et que dans ce passage il rappelle cette crise. N’oublions pas non plus qu’en parlant ainsi, ce qu’il en a vue c’est plutôt l’art de discourir, auquel aboutissait l’enseignement des sophistes, que la lecture des auteurs chez les grammairiens, et enfin que dans cette lettre il se disculpe, il fait son apologie.
Chez les Latins, saint Ambroise, qui florissait vers le même temps, ne se prononce pas au sujet de l’éducation païenne, mais il l’a reçue et il en profite.
Cependant le nombre de ceux qui n’étaient chrétiens que de nom allait en augmentant. Le commun des parents poussait les enfants aux études, uniquement en vue des avantages de la vie présente. Des femmes et des prêtres, même des moines, avaient à la bouche des poésies mythologiques ou licencieuses (Jérôme, Epîtres). D’un autre côté, les maîtres chrétiens, qui nécessairement se multipliaient, — tandis que leurs confrères païens, depuis la mort de Julien, se décourageaient, et, s’ils n’étaient pas persécutés directement, étaient en butte à l’accusation de magie, — s’enfonçaient de plus dans les études profanes et participaient au relâchement général.
Dans ces circonstances, le parti de l’austérité devait réagir avec une notable vigueur. En 398, le quatrième concile de Carthage interdit aux évêques la lecture des livres païens. C’est alors aussi, probablement, que les Constitutions apostoliques, dans leur forme définitive, font à peu près avec les mêmes termes la même défense à tous les fidèles, en leur montrant que la loi de Dieu contient tous les genres de littérature par lesquels on peut cultiver l’esprit.
La virginité et le monachisme, qui formaient depuis longtemps une classe de purs dans l’Eglise même, eurent leur effet sur l’éducation. Les moines recevaient des enfants et les élevaient dans l’ignorance des lettres profanes (Règle de saint Basile, etc.). La soeur de saint Basile, vivant en vierge à la maison, éleva un de ses frères uniquement dans les saintes Lettres et l’inclina à se faire moine : ce fait ne fut certainement pas isolé. Enfin des parents offraient souvent leurs enfants au Seigneur avant leur naissance, c’est-à-dire les destinaient à la virginité et les élevaient chez eux en conséquence, ou les envoyaient chez les moines. Quelque hommage qu’on doive en général à cette lutte contre la corruption du siècle au moyen de la virginité, on ne peut pas ne pas condamner avec force cette manière de disposer à l’avance de la liberté des enfants.
Nous avons à signaler, dans cette seconde et dernière période, saint Chrysostome, saint Jérôme et saint Augustin.
Saint Chrysostome sort d’un centre théologique syrien et de la ville la plus voluptueuse de l’empire. Dans le traité où il s’étend sur les études (Contre les adversaires des moines, livre III), il blâme avec vivacité les parents qui envoyaient leurs fils aux écoles. Parlant de l’idée que la véritable éducation est celle qui mène au salut, il ne voit dans l’autre, telle qu’on la donnait alors, qu’un obstacle ou même la perte des âmes, par les passions ou l’ambition qu’on développe chez les enfants, ainsi que par la corruption des maîtres. Il adjure les parents d’envoyer leur fils chez les moines pour y apprendre la vertu dès leurs premiers ans, avant d’avoir commencé leurs études, et de les laisser sous cette discipline jusqu’à ce que leur caractère se soit formé, pendant dix ans, vingt s’il le faut, ou même davantage. Est-il donc par principe ennemi de toute culture? Non, répond-il, mais il faut commencer par sauver les âmes. Qu’on lui indique un autre moyen, il est tout disposé à le suivre. Ici encore on s’étonne, car l’Eglise n’avait-elle pas le devoir de chercher elle-même cet autre moyen, de porter ses réflexions sur un plan d’éludes ? La pensée ne lui en était pas encore venue. Saint Chrysostome ne renouvelle d’ailleurs dans un aucun autre de ses écrits ni le conseil d’envoyer ainsi les enfants chez les moines, ni la condamnation des écoles. Seulement il insiste à plusieurs reprises sur la responsabilité des parents, sur le devoir de faire passer la piété avant tout, et d’être sévère. Quant aux prêtres, il veut qu’ils soient sérieusement préparés par la dialectique et la rhétorique à l’exercice de leur ministère.
Jérôme a la passion des lettres ; elles font partie de son être, même lorsqu’il s’élève contre elles. Je ne connais pas d’autre solitaire qui ait emporté une bibliothèque profane au désert. Il ne varie pas sur la nécessité des études libérales pour les enfants. Il la reconnaît pour eux, même dans l’épître si souvent citée où il compare ces études aux gousses que les pourceaux mangeaient (Ep. 21, alias 140). Longtemps après sa décision de ne plus lire les auteurs profanes, il les expliquera à des enfants dans le monastère de Bethléem. Certainement il ne veut pas que les fidèles et surtout les prêtres se nourrissent des oeuvres des poètes, mais il veut que le prêtre ait été mis en état, par une forte culture, de bien raisonner et de tenir tête aux adversaires de toute sorte. Suivant la coutume, il accuse d’orgueil les philosophes païens, mais il maintient avec énergie pour le prêtre la nécessité de les lire et de faire passer dans le trésor chrétien ce qu’ils ont de bon. Il en dit même autant en faveur des poètes, dont il ne condamne que la lecture pour le plaisir, et non l’usage intelligent. Je me contente de rappeler ses débats sur ce point avec Rufin. Attaqué par un rhéteur chrétien qui, tout entier à la lecture de Cicéron, faisait sans scrupule comme laïque ce qu’il réprouvait chez un prêtre, il lui répond dans une lettre fameuse par l’exemple de la série des auteurs ecclésiastiques grecs et latins (Ep. 70, ad Magnum, alias 84)
Saint Jérôme est bien connu pour les directions qu’il a données à diverses dames romaines relativement à l’éducation de leurs filles, dans des lettres dont le type est la Lettre à Loeta (Ep. 107, alias 7), qui fait pendant avec le Discours de saint Basile aux jeunes gens. Déjà la Vie de Macrine (soeur de saint Basile et de saint Grégoire de Nysse), par Grégoire de Nysse, avait l’ait connaître avec détail comment une mère pieuse devait élever sa fille. La mère la tient toujours à ses côtes. Pas d auteurs profanes, les passions qu’inspirent les femmes faisant trop souvent le sujet de leurs compositions : mais l’Ecriture sainte, surtout celles de ses parties qui dès le jeune âge peuvent le mieux former les moeurs, en particulier la Sagesse de Salomon. On apprendra par coeur les psaumes, dont le chant ouvrira et terminera les diverses occupations de la journée. Le travail de la laine et les soins du ménage alterneront avec les éludes. C’est ainsi qu’on élevait la fille d’un grammairien dont les frères faisaient de si brillantes études et qui devait elle-même, à l’âge de douze ans, être fiancée à un homme réputé pour son éloquence. Un peu plus tard saint Chrysostome avait donné sur le même sujet des conseils courts et pratiques ; il avait ajouté qu’en faisant des jeunes filles de bonnes femmes on travaillait pour leurs maris, pour leurs enfants et pour toute leur descendance.
C’est pour des jeunes filles vouées à la virginité, comme celle de Loeta, que sont données les directions de saint Jérôme. Ici plus que jamais tout est tourné vers le développement de la piété et le raffinement de la pudeur. Ne sortir qu’avec sa mère, craindre d’être seule, filer la laine, être simple dans ses habits, vivre sobrement, ne lire aucun auteur profane, se nourrir de l’Ecriture sainte et des oeuvres choisies d’auteurs ecclésiastiques (qu’on voit entrer pour la première fois dans un plan d’études), tels sont les principaux devoirs de la vierge chrétienne dont le portrait servira en même temps de modèle aux jeunes filles, L’Eglise, obligée de livrer les jeunes gens à la société, retenait pour elle la femme et formait un type d’une pureté céleste, jusqu’alors inconnu, qu’on peut trouver excessif et incomplet, mais devant lequel il est difficile de rester insensible.
Si saint Jérôme est un lettré, saint Augustin, quoiqu’il ait été professeur de rhétorique, est par excellence un philosophe idéaliste. Il ne voit guère dans les études profanes que l’immoralité des fables et de frivoles exercices ; allant plus loin que saint Chrysostome, il désapprouve l’éducation des grammairiens en elle-même, et voudrait qu’on exerçât les enfants sur des sujets tirés non de Virgile, mais des Ecritures. Il ne faut pas croire que ses Confessions, où il parle ainsi, ne donnent pas la véritable expression de sa pensée. Il ne faut pas chercher cette pensée dans son traité De l’Ordre, un de ses premiers ouvrages, car il en a dit : « Il me déplaît d’avoir beaucoup accordé dans ce traité aux études libérales que beaucoup de saints ignorent beaucoup, tandis que d’autres qui y sont habiles ne sont pas saints ». Il ne faut pas dire non plus que dans sa Doctrine chrétienne il est réellement favorable à la culture profane. Dans cet ouvrage, compose surtout pour les membres du clergé, il veut, connue saint Chrysostome, qu’ils soient en état de bien raisonner et de bien parler et qu’en conséquence ils aient appris la dialectique et la rhétorique ; il veut qu’ils connaissent les sciences et l’histoire pour bien entendre les Ecritures et que pour le mérite but ils lisent les philosophes, surtout les platoniciens ; sous ce rapport il suit les Clément et les Origène : mais il ne dit un mot des fables que pour les rejeter ; c’est aux auteurs chrétiens qu’il demande des modèles d’éloquence ; c’est saint Paul, ce sont Cyprien et Ambroise qu’il cite pour le style simple, tempéré et sublime.
Pendant ce temps le système païen régnait plus que jamais dans les écoles publiques. Elles périrent par les invasions des Barbares plutôt que par la défaveur de l’Eglise, qui leur demeurait indifférente et concentrait de plus en plus son action sur l’éducation de ses futurs ministres.
Au sixième siècle l’Occident, où nous allons nous borner, est définitivement possédé par les Barbares. L’âge des Pères de l’Eglise, dans le sens restreint où nous l’avons pris, est à peu près clos. De leur influence pédagogique sur leur temps nous passons à celle qu’ils vont exercer dans les siècles suivants.

II. Influence des Pérès de l’Eglise sur l’éducation depuis le moyen âge jusqu’à nos jours.
Les deux créations originales du christianisme avaient été une éducation domestique fondée sur les Ecritures et l’instruction en commun du catéchuménat. L’invasion du monde dans l’Eglise et celle des Barbares dans l’empire, c’est-à-dire les progrès de l’indifférence et de l’ignorance, les avaient peu à peu ruinées. D’un autre côté la barbarie n’avait pas été moins funeste aux écoles publiques où s’enseignaient les lettres profanes. Alors parut un nouvel ordre de choses. Du seizième au douzième siècle, l’instruction fut donnée uniquement, sauf en Italie, par les moines ou les membres du clergé, pour faire des moines ou des membres du clergé. C’est à une telle instruction que participèrent d’une manière plus ou moins restreinte les rares laïcs que leurs parents ne laissèrent pas dans l’ignorance. Ainsi l’Eglise, contrairement à ce qui avait eu lieu aux cinq premiers siècles, commença, pour ainsi dire sans s’en douter et par la force même des choses, à prendre la direction générale des études.
En conséquence de ce qui précède, le but des études fut la théologie, c’est-à-dire avant tout la connaissance des Ecritures. Mais les Ecritures furent uniquement interprétées d’après les commentaires des Pères, qui, depuis le quatrième siècle, étaient considérés comme les dépositaires de la vraie doctrine et comme les organes dont le Saint-Esprit s’était servi pour perpétuer son action dans l’Eglise. On les appelait saints, leur autorité était regardée comme sacrée. C’est d’après leurs homélies qu’on instruisait le peuple, et autant que possible d’après leur argumentation qu’on réfutait les hérésies. Leurs ouvrages, dont on fit des quantités d’extraits, devinrent la principale matière de l’enseignement dans les écoles. La nécessité de continuer à les comprendre fut certainement une des causes qui maintinrent dans l’Eglise et qui conservèrent au monde la connaissance de la langue latine.
L’étude des Ecritures par les Pères était impossible sans la culture préalable qui avait été jusqu’alors donnée dans les écoles publiques et que l’Eglise avait désignée sous le nom d’ « études du dehors ». Mais maintenant les membres du clergé et les moines, s’étant chargés de toute l’éducation, devront aussi donner cette culture. Ils le feront, soit en s’en tenant aux règles indispensables de la grammaire, de la dialectique, etc., connues sous le nom de trivium et de quadrivium, soit en y joignant avec des restrictions plus ou moins grandes la lecture des auteurs profanes. Dans ce dernier cas, ils en appelleront à l’autorité de saint Augustin ou de saint Jérôme, surtout à celle du premier qui, dans notre sujet comme en tout, sera jusqu’au douzième siècle le maître du moyen âge.
L’éducation a lieu en commun, sous la forme de l’internat. Les enfants donnés par leurs parents pour devenir membres du clergé sont élevés dans la maison de l’église sous la haute direction de l’évêque ; les enfants donnés par leurs parents pour devenir moines avaient pris, au moins depuis le quatrième siècle, une place importante dans l’économie générale des monastères, où se formeront aussi de plus en plus les futurs membres du clergé. Il fallait une sévère discipline pour maintenir ces candidats à la vie ecclésiastique qui n’avaient pus toujours la vocation, ces jeunes Barbares. Les Pères ont participé à la formation de l’internat par les règles de saint Basile et de saint Benoit ainsi que par les conseils de saint Chrysostome.
Cassiodore paraît avoir été le premier qui introduisit régulièrement les éludes libérales dans un monastère. C’est ce qu’il fit, comme on sait, à Viviers, en Italie, au sixième siècle. En donnant dans ses Institutions, qui sont un plan général d’études, une part aux « lettres mondaines », il se couvre de l’autorité des « très saints Pères », qui les ont jugées très utiles à l’intelligence des Ecritures à condition qu’on en fît usage avec sobriété et discernement. « Beaucoup de nos Pères, instruits dans ces lettres et n’en persévérant pas moins dans leur fidélité à la loi du Seigneur, sont parvenus à la vraie sagesse, comme le dit saint Augustin dans sa Doctrine chrétienne. Imitons-les, car, après les nombreux exemples donnés par de tels hommes, qui pourrait hésiter? » Il faut dire que saint Augustin, dans le passage cité par Cassiodore, n’avait recommandé que la lecture des philosophes.
L’Italie conservait encore alors des écoles publiques où les études profanes étaient en honneur, et où on les enseignait avec un grand luxe de mythologie (Cf. Ozanam, Les Ecoles en Italie). La religion païenne elle-même était encore vivante en plusieurs endroits de ce pays. C’est une des raisons qui font comprendre que Cassiodore se soit cru obligé de justifier les éludes profanes par l’autorité des Pères, et qu’un peu plus tard dans le même siècle Grégoire le Grand, le dernier des Pères latins, se soit montré défavorable à ces études. Grégoire blâme un évêque d’enseigner la grammaire, c’est-à-dire la littérature, en disant que les louanges du Christ ne peuvent se trouver avec celles de Jupiter dans une même bouche. Il déclare même, en tête de ses Morales, qu’il se soucie peu de la correction du langage, déclaration dont il ne faut pas exagérer l’importance, car le style de Grégoire n’est pas inculte, mais à laquelle il ne faut pas non plus enlever son énergie et son caractère.
Dans le reste de l’Occident, où l’on n’eut pas à soutenir la même lutte contre les débris de la religion gréco-romaine, la culture antique, redevenue comme au temps d’origine la servante de la théologie, parait avoir été acceptée dans les monastères avec moins de scrupule. Cassiodore avait du reste frayé la voie. Le commerce avec les poètes chrétiens, qu’on aimait beaucoup, contribua certainement a la fréquentation des poètes païens, qu’on moralisait, et pour la lecture desquels on s’appuyait sur l’autorité de saint Jérôme. On peut dire que la littérature païenne fut, autant que le permettait le malheur des temps et malgré des oscillations inévitables, en honneur jusqu’à la fin du douzième siècle. De son côté saint Augustin, qu’on croyait suivre en étudiant la dialectique dans un ouvrage qui lui était faussement attribué, et dont les vrais ouvrages formaient plus sérieusement à la philosophie, comme on peut le voir par l’exemple de saint Anselme, fournissait encore dans la première moitié de sa Cité de Dieu une sorte d’encyclopédie, surtout pour l’histoire romaine, celle de la philosophie et la mythologie. Sans parler du cas que Charlemagne faisait de ce livre, il faut rappeler qu’Abélard reconnaît devoir à saint Augustin tout ce qu’il sait sur les philosophes de l’antiquité.
D’un autre côté, la lettre de saint Jérôme à Loeta entre dans la règle d’un couvent de filles (Amalaire, au neuvième siècle, Regula sanctimonialum). Je ne connais pas d’autre exemple que celui de la règle d’Amalaire, mais on peut sans trop de témérité le généraliser et admettre que les instructions de saint Jérôme à la fille de Loeta, qu’on suit à la trace du seizième siècle jusqu’à nos jours, furent au moyen âge souvent mises à profit pour les novices et pour les jeunes filles du monde qu’on envoyait faire leur éducation dans les monastères.
Au treizième siècle, la dialectique, envahissant la théologie et prenant pour ainsi dire toute la place dans les éludes préparatoires, fait oublier dans la théologie les Pères et dans les études préparatoires les auteurs profanes. Nous avons vu que la dialectique, constamment cultivée par les anciens à cause de son importance pour l’art oratoire, avait aussi été constamment prisée par les Pères à cause de son utilité dans les controverses contre les païens et les hérétiques. Clément d’Alexandrie, après Philon, en avait souvent fait l’éloge ; saint Augustin l’avait longuement appréciée dans sa Doctrine chrétienne ; au sixième siècle elle avait passé, à sa place entre la grammaire et la rhétorique, dans le plan d’études chrétien. Il est inutile de rappeler comment la seule faculté de l’esprit à laquelle fut permis un développement entièrement libre en vint à dévorer toutes les autres.
Lorsque arriva la réaction connue sous le nom de Renaissance, Erasme se servit avec verve des témoignages des Pères contre les « scotistes », comme il les appelait, qui s’opposaient à la restauration de la littérature classique dans les écoles. Il faut lire à ce sujet son premier livre des Anti-Barbares, le seul qui nous ait été conservé et où il en appelle presque à chaque page à saint Augustin et surtout à saint Jérôme. A côté de lui, l’humaniste alsacien Jacques Wimpheling représente un parti plus timide, qui veut bien admettre les philosophes et les orateurs, mais fait quelques réserves relativement aux poètes. Dès 1475 on avait publié comme une sorte de manifeste le discours de saint Basile sur la lecture des auteurs profanes, Wimpheling l’édite aussi en 1507 et s’en fait une arme contre les scotistes ; mais il ne permet l’étude des poètes qu’aux enfants, avant l’âge où les passions s’éveillent. Il appuyait certainement cette opinion singulière sur un passage bien connu de la lettre de saint Jérôme à Damase (Ep. 21, 13, quod in pueris nécessitatis est).
Les humanistes se contentèrent-ils d’employer les Pères comme auxiliaires? ne les mirent-ils pas aussi entre les mains de la jeunesse?
Certainement ils ne pouvaient penser à les rejeter à cause de leur caractère religieux. On avait réveillé l’étude des Pères avec autant d’enthousiasme que celle des auteurs profanes. Erasme, dont le nom dit tant pour les lettres, avait aussi renouvelé la théologie. Les maîtres de la Renaissance ne séparaient pas l’éducation de l’instruction et l’enseignement religieux de l’une et de l’autre. Ils se chargeaient de former l’esprit de l’enfant dans son entier.
La première conséquence de ces principes devait être une sorte d’obligation pour le maître de ne pas ignorer les Pères de l’Eglise. De plus, on pensait alors, et c’était expressément l’opinion d’Erasme, que celui qui se proposait d’enseigner devait tout savoir, ou du moins connaître ce qu’il y a d’essentiel dans chaque science. Il fallait qu’il eût tout lu pour éviter cette peine à ses élèves. La théologie ne devait donc pas lui être étrangère, et c’est surtout chez Origène, Chrysostome, Basile, Ambroise et Jérôme qu’il devait la puiser. Vivès, de son côté, conseille au maître la Cité de Dieu, qui est pour lui un des grands arsenaux de l’érudition, « philologiae » (De tradendis disciplinis). Il serait facile de montrer par plus d’un exemple que les maîtres étaient en effet plus ou moins familiers avec les ouvrages des Pères.
Dans les premiers temps de la Renaissance, comme chacun expliquait ce qui lui plaisait, ils les prirent plus d’une fois pour sujet de leurs leçons. C’est ce que firent à Leipzig Mosellanus et Aesticampianus (Ch. Schmidt, Jean Sturm). Vivès veut que les garçons et les filles lisent les poètes chrétiens qui, dit-il, non seulement ont des sens profonds et salutaires, mais rivalisent avec les anciens en élégance et en grâce, quand ils ne leur sont pas supérieurs (De ratione stuii ; — De institutione puellae). Plus sévère pour les prosateurs, il n’indique aux garçons que les lettres de Sidoine Apollinaire, et encore s’il y a du temps de reste. Mais il recommande aux filles, auxquelles il faut des auteurs qui règlent les moeurs non moins que le langage, les lettres de saint Jérôme et certains traités de saint Augustin. Quant à Erasme, moins pieux que Vivès et beaucoup plus difficile, il ne signale, à ma connaissance, que Prudence, et encore se contente-t-il de le prévoir comme possible au lieu de le recommander (De ratione instituendi discipulos). On continua assez longtemps de lire Prudence dans les écoles les jours de fête (Mosellanus, Paedologia). Mais peu à peu tous les auteurs chrétiens disparurent des mains des écoliers. On avait le culte de la bonne latinité : on travaillait avec ardeur à purifier la langue latine des souillures du moyen âge : les Pères latins, c’est-à-dire les plus accessibles, ceux dont il s’agissait surtout dans une éducation foncièrement latine, devinrent de plus en plus un embarras. On finit par les éliminer à cause de leur style plutôt qu’à cause de leurs idées : sans doute aussi les luttes religieuses contribuèrent à rendre de plus en plus complète la séparation entre les deux domaines.
Pour la France, dont nous allons maintenant nous occuper exclusivement, il est difficile de savoir si les Pères, à la Renaissance, furent jamais expliqués dans les collèges (en dehors de la section de théologie). Quoi qu’il en soit, à la fin du seizième siècle, dans les statuts de l’université de Paris en 1598, la liste des auteurs de la Faculté des arts est entièrement profane (articles 23 et 39-42). Il n’est question des Pères de l’Eglise que pour la Faculté de théologie (art. 6). Quelques années auparavant, les Jésuites avaient publié la première édition de leur plan d’études, où il n’était non plus question d’aucun Père. Mais dans l’édition de 1603, très modifiée, faite à Tournon, on voit figurer saint Jean Chrysostome, saint Basile, saint Grégoire de Nazianze, Synésius, Agapet. Saint Jean Chrysostome y reparaît à trois reprises. Il est probable que l’ardeur pour l’étude des Pères, qui se manifesta sous Henri IV à l’occasion des controverses religieuses, ne fut pas sans influence sur cette modification du programme de la Société.
Au dix-septième siècle, nous savons que les maîtres de Port-Royal commentaient à leurs élèves les Pères de l’Eglise. Il reste un cahier d’extraits de saint Basile faits par Racine quand il étudiait à Port-Royal.
Rollin, dans son Traité des études, parle souvent des Pères en homme à qui ils étaient familiers. On voit que dans sa pensée ceux qui enseignent doivent en être nourris, comme il l’est lui-même. Il dit, par exemple, du traité de saint Augustin sur la Doctrine chrétienne, qu’on ne peut trop en recommander la lecture aux maîtres de rhétorique (livre V, ch. II). D’autres sentiments étonneraient chez un homme qui, d’accord avec les tendances avouées de l’Université, considérait l’article de la religion comme le plus important de tous et qui déclare que « la négligence des maîtres sur ce point serait très criminelle, parce qu’elle aurait des suites d’une conséquence infinie » (liv. VIII, ch. I, art. 5). Mais quoiqu’il parle souvent des Pères dans son ouvrage, il n’en recommande la lecture qu’aux jeunes gens que « Dieu appellerait au ministère ecclésiastique » et surtout en vue de la prédication (livre V, ch. II).
Après la Révolution, l’attention fut de nouveau appelée sur les Pères par le brillant Tableau de l’éloquence chrétienne au quatrième siècle de Villemain (1827). En se plaçant au point de vue des études historiques qui se renouvelaient alors, et à celui de l’analyse littéraire des chefs-d’oeuvre du dix-septième siècle, on fut frappé de la nécessité de faire connaître aux professeurs, pour ce double objet, la littérature chrétienne des premiers siècles. P. Dubois et Saint-Marc Girardin, qui dirigèrent longtemps, l’un l’enseignement littéraire, l’autre l’enseignement historique, indiquèrent souvent pour l’agrégation des lettres cl celle d’histoire des sujets de questions empruntés aux oeuvres des Pères.
Le contre-coup de ces directions se fit sentir d’une manière continue dans les thèses pour le doctorat ès lettres et quelquefois aussi dans les chaires de l’enseignement supérieur (cours de MM. Rigault et Nourrisson). De plus, le catalogue des ouvrages adoptés pour l’enseignement dans les collèges comprend de 1834 à 1851, avec quelques variations dans le titre, un choix de discours des Pères grecs ; le programme du baccalauréat, indépendant alors du plan d’études, ne contenait aucune indication de ce genre (communication de M. Paul Delalain).
Une partie du clergé voulut pousser ce mouvement à l’excès, en réclamant la substitution presque totale, dans les classes, des auteurs chrétiens aux auteurs païens. Dans l’ardeur de la lutte contre l’Université et en profitant d’inquiétudes excitées par la révolution de 1848, on accusait ce qu’on appelait l’éducation païenne d’avoir établi depuis le quinzième siècle la séparation entre le christianisme et la société, et d’être la cause du socialisme et du communisme (l’abbé Gaume, Le Ver rongeur des sociétés modernes, 1831). L’abbé Gaume, qui dirigea avec vivacité cette campagne, eut pour principal adversaire l’évêque Dupanloup (Gaume, Lettres à Mgr Dupanloup sur le paganisme dans l’éducation, 1852, au sujet d’une lettre de l’évêque d’Orléans aux professeurs de son petit séminaire, qui se trouve à la (in de l’ouvrage). Pour passer de la théorie à la pratique, il publia une série de classiques chrétiens, qui sont encore utilisés dans les petits séminaires, ainsi qu’une autre collection faite par Dübner.
Après le coup d’Etat, les questions disparurent des programmes de l’agrégation, où depuis lors on n’a rien inscrit de relatif aux Pères, à notre connaissance. En revanche, le Choix de discours des Pères grecs passa du plan d’études des lycées dans le programme du baccalauréat, où il a été maintenu, avec des variantes, jusqu’en 1864 (inclusivement : réforme du baccalauréat par Duruy). En 18 4 (arrêté du 11 juillet 1873) et en 1877 (arrêté du 26 décembre 1876), des ou rages ou parties d’ouvrages de Pères grecs et latins furent inscrits dans le programme de la licence ès lettres. Il cessa d’en être ainsi en 1881 (arrêté du 17 juin 1880). Depuis lors les Pères de l’Eglise ont été complètement rayés des programmes de l’Université.
Il est facile de voir, même sans tenir compte de la nécessité de rester neutre entre les dogmes qui est imposée à en enseignement donné au nom de l’Etat, que l’étude des Pères de l’Eglise n’est pas à sa place dans l’instruction secondaire. Les lettres profanes, en dehors de leur supériorité sous le rapport du goût, ont l’avantage de faire connaître l’homme dans son activité harmonieuse, avec le jeu de ses passions (évidemment dans la mesure reconnue convenable par le maître, qui doit aussi montrer, quand les auteurs ne le font pas d’une manière suffisante, comment cette activité doit être réglée par la raison). La connaissance de l’homme, insinuée ainsi peu à peu, sans appareil théorique, dispose la jeunesse à aimer l’homme en tant qu’homme et à exercer plus lard une action utile et noble dans la société. Les Pères, ayant vécu dans un temps de crise, soit pendant la persécution, soit après la victoire, et détachés d’un monde dont ils attendaient incessamment la fin, sont au fond contraires au développement de l’activité humaine, et détruisent les passions au lieu de chercher à les diriger. Il faut que chacun concoure à sa place et suivant ses forces à l’oeuvre sociale : dégoûter d’avance de cette tâche l’enfant, d’abord plein de candeur et d’espérance confiante, puis d’une généreuse ardeur pour l’oeuvre commune, ce serait, à un certain point de vue, fonder l’éducation sur le pessimisme.

Louis Massebieau

SAINT THOMAS D’AQUIN: LE MYSTÈRE DE L’INCARNATION DE DIEU

24 mars, 2014

http://docteurangelique.free.fr/livresformatweb/opuscules/59humanitejesus.htm#_Toc71287491

(Je propose chapitres V, VI, VII, bien sûr, l’étude est beaucoup plus large, pour en savoir plus sur le lien mentionné ci-dessus)

SAINT THOMAS D’AQUIN, DOCTEUR DE L’ÉGLISE

LIVRE I: LE MYSTÈRE DE L’INCARNATION DE DIEU

CHAPITRE V: UN ANGE EST ENVOYÉ POUR ANNONCER LE MYSTÈRE DE L’INCARNATION

Conçue et ordonnée dans l’éternité, préparée sur la terre, attendue des justes, l’incarnation du Sauveur est enfin sur le point de s’accomplir. Dieu envoie un ange pour l’annoncer à Marie. Saint Luc le rapporte en ces termes: « L’ange Gabriel fut envoyé de Dieu en une ville de Galilée appelée Nazareth, à une Vierge qui avait épousé un homme nommé Joseph, de la maison de David, et cette Vierge s’appelait Marie. L’ange, étant entré dans le lieu où elle était, lui dit: « Je vous salue, pleine de  grâces, le Seigneur est avec vous; vous êtes bénie entre toutes « les femmes. » Marie, l’ayant entendu, fut troublée de ses paroles, et elle pensait en elle-même quelle pouvait être cette salutation. L’ange lui dit: « Ne craignez point, Marie; car vous avez trouvé « grâce devant Dieu; voici que vous concevrez dans votre sein, et « vous enfanterez un Fils à qui vous donnerez le nom de Jésus. » (Luc., 1, 26-31). Il y a trois choses à considérer au sujet de cette annonciation: l’envoi nième de l’ange, la manière dont il apparut à Marie et l’ordre dans lequel il accomplit sa mission. Tout d’abord, il est dit que l’ange Gabriel fut envoyé de Dieu. Sur quoi il faut bien comprendre trois choses: la dignité du messager, la profondeur du mystère et sa convenance. I. C’est un ange qui est envoyé, c’est-à-dire la plus digne des créatures, parce que c’est la plus semblable à Dieu, comme Ézéchiel le dit du premier des anges: « Vous étiez le sceau de la ressemblance divine. » (Ezech., XXVIII, 12). En effet, plus la nature de l’ange est subtile et sa substance épurée, plus l’image de Dieu s’y trouve véritablement exprimée. De plus, Gabriel était de l’ordre des archanges, et, par conséquent, d’une haute dignité. « Ce n’est pas le premier ange venu, dit saint Grégoire, que Dieu envoie à la Vierge Marie, mais c’est l’archange Gabriel. Un tel mystère méritait la venue du plus grand des anges pour apporter le plus sublime des messages. » II. La profondeur du mystère est indiquée parle nom de l’ange. Gabriel signifie la force de Dieu. « Le Seigneur, dit saint Grégoire, envoie à Marie l’ange Gabriel, dont le nom veut dire la force de Dieu; c’est qu’il venait annoncer celui qui a daigné apparaître parmi les hommes pour vaincre les puissances de l’air. » Il annonçait le Roi et le Seigneur dont il est parlé dans les psaumes: « Ouvrez vos portes, ô prince des cieux; et vous, portes éternelles, ouvrez-vous afin de laisser entrer le Roi de gloire. Où est le Roi de gloire? C’est le Seigneur fort et puissant, le Seigneur puissant dans les combats. » (Ps., XXIII, 7-8). Mystère véritablement profond, dans lequel, selon saint Jean Damascène, apparaissent à la fois la bonté, la justice, la sagesse, la puissance la bonté, puisque, loin de mépriser l’infirmité de sa créature, il a été ému jusqu’au fond des entrailles en la voyant tomber, et lui a tendu la main pour la relever; la justice, parce que l’homme, ayant été vaincu par le démon, Dieu n’appela pas un tiers pour vaincre son tyran, mais il donna la victoire et la vengeance à un homme, c’est-à-dire à celui-là même qui avait été réduit en servitude par le péché; la sagesse, parce que l’Incarnation est la solution la plus simple et la plus aisée d’une difficulté qui semblait impossible à dénouer; la puissance enfin et la vertu infinie de Dieu, car, qu’un Dieu se soit fait homme, c’est l’ouvrage le plus grand qui se puisse concevoir. III. Il y a dans cette mission de l’ange Gabriel des convenances admirables. « Tout ce qui vient de Dieu est dans l’ordre, » dit saint Paul. (Rom., XIII, 1). C’est Dieu qui, selon la parole du Sage, « atteint d’une extrémité à l’autre avec force et dispose tout avec douceur » (Sagesse VIII, 1), c’est-à-dire que, depuis l’éternité qui précède les siècles jusqu’à l’éternité qui les suit, durant tout le temps qui s’écoule entre ces deux termes extrêmes, Dieu opère partout avec une perfection souveraine; car l’extrémité, le terme, la fin, signifie la perfection. Cet ordre parfait, qui paraît dans toutes les oeuvres de Dieu, brille dans le mystère de l’Annonciation. En effet, d’abord il est d’accord avec le plan de Dieu qui est de communiquer aux hommes les choses divines par le moyen des anges. C’est la pensée de saint Denys au chapitre IV de la Hiérarchie céleste, lorsqu’il dit que les célestes essences qui contemplent Dieu le réfléchissent d’abord en elles-mêmes, en recevant l’illumination, et qu’ensuite elles nous transmettent par leur intermédiaire les manifestations supérieures. Et, plus loin, appliquant ce qu’il adit, il ajoute que le divin mystère de l’humanité du Christ a été d’abord enseigné par les anges et que c’est par eux que la grâce de le connaître est descendue jusqu’à nous. Ainsi, l’ange Gabriel vient instruire le prêtre Zacharie et il annonce la naissance de Jean qui doit arriver contre toute attente par la grâce divine. Il apprend aussi à Marie de quelle manière ineffable un Homme-Dieu sera formé dans ses entrailles, et, en même temps, un autre ange instruit Joseph, un autre encore annonce aux pasteurs la bonne nouvelle, et avec lui toute la multitude des armées célestes chante avec des transports de louanges aux habitants de la terre cette admirable doxologie ou hymne de gloire « Gloire à Dieu au plus haut des cieux. » Ce même mystère convient aussi à la réparation de la nature humaine. « C’est bien justement dit Bède, que l’oeuvre de la réparation de l’homme commence par l’envoi d’un ange à la Vierge qui allait devenir si sacrée par l’enfantement d’un Dieu, puisque, pour perdre l’homme, le démon avait envoyé le serpent à la femme afin de la tromper par l’esprit d’orgueil. » Enfin, la mission de l’ange convenait à la parfaite virginité de Marie, comme saint Jérôme le fait observer: « C’est à bon droit, dit-il, que l’ange est envoyé à la Vierge; en effet, l’âme vierge est soeur des anges; car Vivre dans la chair sans rien tenir de la chair, ce n’est plus une vie terrestre, mais divine. »   CHAPITRE VI: DE QUELLE MANIÈRE L’ANGE APPARUT A MARIE  Les anges peuvent apparaître de trois manières, selon les trois modes de vision qui peuvent être donnés à l’homme: la vision intellectuelle, la vision imaginaire et la vision corporelle. La vision intellectuelle est la vision de l’essence même ou de la substance spirituelle de l’ange; elle est réservée à la patrie céleste. La vision imaginaire représente l’ange sous certaines figures ou ressemblances des choses corporelles; c’est de cette manière qu’un ange apparut en songe à Joseph, comme il est rapporté en saint Matthieu (II, 13 et 19). La vision corporelle a lieu lorsque l’ange apparaît dans un corps emprunté; c’est ainsi que Gabriel se montra à la Bienheureuse Vierge Marie. Saint Augustin met ces paroles dans la bouche de Marie: « L’archange Gabriel vint à moi avec un visage resplendissant, vêtu d’habits éclatants, admirablement beau dans sa démarche. » Et saint Ambroise, expliquant le passage de saint Luc où il est dit que la Sainte Vierge se troubla des paroles de l’ange (Luc., I, 29), fait cette remarque: « C’est le propre des vierges de craindre, de trembler en présence d’un homme, et de redouter sa conversation. » Ces paroles des deux saints Docteurs supposent évidemment que l’archange Gabriel apparut corporellement à Marie. Et il convenait qu’il en fût ainsi, d’abord à cause du mystère qui était annoncé. Ce mystère était l’Incarnation du Dieu invisible, mais qui voulait se rendre visible à nous; et le messager qui l’annonce est invisible de sa nature, mais il apparaît sous une forme visible. On peut même généraliser ceci et remarquer que toutes les apparitions qui eurent lieu sous l’ancienne loi se rapportaient figurativement à la grande manifestation du Fils de Dieu dans la chair. De plus, comme la Bienheureuse Vierge devait concevoir Dieu, non pas seulement dans son esprit, mais aussi dans ses entrailles, il convenait que les sens mêmes de son corps si noble et si auguste eussent la joie de voir l’ange. Enfin, il le fallait encore pour qu’elle fût plus assurée de la merveille qui lui était annoncée. Car nous possédons une certitude bien plus grande des choses placées sous nos yeux que de celles qui ne sont que présentées à notre imagination. Voilà pourquoi l’ange n’apparut pas en songe à Marie, mais visiblement et corporellement. La grandeur de la révélation que Marie recevait de l’ange exigeait une apparition solennelle et digne du grand événement qui en était le motif. Il se présente cependant sur ce sujet une difficulté. Saint Augustin dit que la vision intellectuelle est plus noble que la vision corporelle. Il semblerait donc que l’apparition de l’ange à la Sainte Vierge, si elle fut corporelle, n’a pas été aussi digne qu’elle devait l’être. — Mais saint Augustin parle de la vision intellectuelle considérée seule, en elle-même, et comparée à la vision corporelle aussi prise à part. Or, la Bienheureuse Vierge ne vit pas seulement l’ange des yeux du corps, elle reçut aussi de sa vision une illumination intellectuelle; c’est pourquoi cette apparition fut plus noble qu’une simple vue de l’esprit. Elle aurait été toutefois plus excellente encore et aurait atteint la suprême noblesse si Marie avait vu par son intelligence l’essence spirituelle de l’ange; mais l’état de la vie présente ne le comportait pas.   CHAPITRE VII: DE L’ORDRE DANS LEQUEL S’ACCOMPLIT LA MISSION DE L’ANGE GABRIEL L’ange Gabriel accomplit sa mission auprès de Marie dans un ordre parfaitement juste et convenable. Il faut considérer trois circonstances de son apparition. D’abord, il aborde la Sainte Vierge en la saluant, ensuite il apaise son trouble et la console, et enfin il annonce qu’elle sera Mère de Dieu et comment elle le deviendra. Dans la première circonstance, on voit paraître l’excellence de cette Vierge, dans la seconde l’ardent désir qu’elle avait du salut du genre humain, et dans la troisième la merveilleuse grandeur de la bonté divine. I. Considérons d’abord le salut que l’ange adresse à Marie: « Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes. » « Oui, dit saint Jérôme, elle est vraiment pleine de grâce. La grâce n’est donnée aux autres que partiellement; mais toute la plénitude de la grâce se répand à la fois dans Marie. Elle est vraiment remplie de grâce, la Vierge par qui toute créature a été inondée comme d’une pluie abondante des dons du Saint Esprit. » – « Il n’est personne, dit de son côté saint Bernard, qui ne reçoive de sa plénitude. Le malade obtient par elle sa guérison, le captif sa délivrance, l’affligé sa consolation, le pécheur son pardon, le juste un surcroît de grâce; les anges reçoivent une nouvelle allégresse, toute la Sainte Trinité une nouvelle gloire, et le Fils de l’homme la chair dans laquelle il s’est fait homme. » – « Je vois, ajoute ailleurs saint Bernard, dans ses entrailles, la grâce de la divinité, dans son coeur la grâce de la charité, sur ses lèvres la grâce de la bonté et de l’affabilité, dans ses mains la grâce de la miséricorde et de la largesse. » « Le Seigneur est avec vous, » continue l’ange. » Celui qui envoyait l’ange à la Vierge était déjà dans l’âme de la Vierge, dit saint Jérôme, et le Seigneur avait devancé son messager. » Aussi l’ange pouvait, comme saint Augustin le remarque, lui tenir ce discours: « Le Seigneur est avec vous bien plus qu’avec moi. Car il est dans votre coeur, et il sera dans votre sein, il remplit votre âme afin de remplir vos entrailles. » Et il pouvait ajouter, selon saint Bernard: « Ce n’est pas seulement le Seigneur, le Fils de Dieu que vous revêtez de la chair, qui est avec vous; mais c’est encore l’Esprit Saint par l’opération duquel vous concevez le Fils de Dieu. » L’ange poursuit, dans le texte sacré « Vous êtes bénie entre les femmes. » Vous seule entre toutes, et avant toutes les autres; » car, dit saint Jérôme, tout ce qu’Eve a répandu de malédiction a été ôté par la bénédiction accordée à Marie. » Trois malédictions pesaient sur les femmes: la malédiction de l’opprobre quand elles étaient stériles; en effet, Rachel, en donnant le jour à Joseph après une longue stérilité, s’écrie: « Dieu a éloigné mon opprobre (Gen XXX, 23); « la malédiction du péché, quand elles devenaient mères; c’est ce dont se plaint David « Voici que j’ai été conçu dans l’iniquité, ma mère m’a conçu dans le péché (Ps. L, 7); « la malédiction de la peine dans l’enfantement car Dieu avait dit à Eve « Tu enfanteras tes fils dans la douleur. » (Gen., III, 16). Seule, la Bienheureuse Vierge est bénie entre toutes les femmes, car elle a uni la fécondité à la virginité, une sainteté parfaite à la fécondité, et un enfantement sans douleurs à cette parfaite sainteté. Abondance de grâce, présence intime de Dieu, excellence de la bénédiction divine, ces trois privilèges que l’ange salue en Marie nous font assez connaître quelle est la suréminente dignité de cette Vierge. II. « Ne craignez point, Marie, dit l’ange, vous avez trouvé grâce devant le Seigneur. » Ce sont les paroles par lesquelles l’ange, après avoir salué Marie, la rassure dans son trouble et la console. Ce qui avait troublé la Sainte Vierge, ce n’était pas la vue, mais le discours de l’ange. Elle était habituée à ces sortes de visions et ne s’en étonnait plus, aussi l’Evangéliste attribue t-il expressément son trouble aux paroles de l’ange. « L’archange Gabriel, dit saint Pierre Damien, vint avec une douce figure, mais avec des discours terribles; sa vue n’émut guère Marie, mais ses discours la troublèrent étrangement, et c’est pourquoi il dit: « Ne craignez pointa Marie, vous « avez trouvé grâce devant le Seigneur. » On peut voir dans ces dernières paroles comme remarque saint Bernard, quelle sollicitude avait Marie pour le salut de tout le genre humain. Elle a trouvé grâce, la grâce qu’elle souhaitait. Mais quelle était cette grâce? La paix entre Dieu et les hommes, la destruction de la mort, la réparation de la vie, voilà ce qu’elle a trouvé devant le Seigneur. Avec quelle ardeur elle désira donc le salut de l’homme Elle souhaite pour les hommes la grâce du salut; la souhaitant, elle la trouve, et, l’ayant trouvée, elle la répand sur toutes les âmes. « Marie, dit saint Bernard, par la véhémence de son désir, par la ferveur de sa charité, par la pureté de sa prière a atteint jusqu’à cette source sublime, dont la plénitude du coeur môme du Père, est descendue en elle, comme en un canal qui nous l’a distribuée non pas telle qu’elle est en elle-même, mais telle que nous étions capables de la recevoir. » Remarquons, en passant que l’ange Gabriel dit à Zacharie, père de Jean-Baptiste aussi bien qu’à Marie: « Ne craignez pas. » L’ange qui apparaît aux pasteurs à la naissance de Jésus les rassure aussi en leur disant de ne point craindre. Ce soin de rassurer les hommes est le propre des bons anges, comme nous le lisons dans la vie de saint Antoine « Il n’est pas difficile de faire le discernement des bons et des mauvais esprits. Si à la crainte que cause leur apparition succède la joie, c’est que l’ange vient de la part de Dieu, car la sécurité de l’âme atteste la présence d’une majesté céleste. Si, au contraire, la frayeur persévère, c’est l’ennemi qui est apparu. » III. L’ange, après avoir salué et consolé Marie, lui annonce qu’elle deviendra Mère de Dieu: « Voici que vous concevrez et enfanterez un Fils à qui vous donnerez le nom de Jésus. » Voici que: par ces mots, l’ange lui montre le mystère étonnant et inouï qui va s’accomplir. Il le montre non pas sans doute à son regard corporel, mais à son intelligence, dans la lumière de la foi; ce qui fait dire à saint Jérôme: « Ce que la nature n’a point possédé dans son sein, ce que l’oeil n’a point connu, que la raison n’a point deviné, que l’esprit de l’homme ne saurait comprendre; un mystère qui étonne le ciel, qui confond la terre, qui surprend même les esprits célestes, voilà ce que Gabriel annonce à Marie de la part de Dieu et ce qui est accompli par Jésus-Christ. » Assurément, notre foi nous fait découvrir ici une grande charité et une grande puissance, où il faut reconnaître l’action de Dieu même. Aussi la Sainte Vierge dit-elle: « Le Tout-Puissant a fait en moi de grandes choses, » (Luc, 1,49). « Non, lui fait dire saint Bernard, développant cette parole, ce bien qui me fait déclarer bienheureuse par toutes les générations, je ne me l’attribue pas à moi-même, je ne le rapporte pas à mes mérites, mais bien à celui qui a fait ces grandes choses. Que je sois vierge, cela est grand; que je sois mère, cela est grand; que le sois vierge et mère à la fois, voilà ce qui est grand par-dessus tout. » Marie atteste elle-même sa grandeur quand elle dit que le Tout-Puissant a fait en elle de grandes choses; ineffablement grandes, en vérité, car elle est mère et vierge, et Mère du Seigneur; et l’Eglise dit qu’elle n’a point eu son égale dans le passé et que personne ne l’égalera dans la suite des siècles.

18 MARS : SAINT CYRILLE DE JÉRUSALEM – ÉVÊQUE, CONFESSEUR ET DOCTEUR (+ 386)

18 mars, 2014

http://home.scarlet.be/amdg/oldies/sankt/cyrile-jerusalem.html

18 MARS : SAINT CYRILLE DE JÉRUSALEM – ÉVÊQUE, CONFESSEUR ET DOCTEUR (+ 386)

I. VIE. – Cyrille naquit à Jérusalem ou dans les environs, vers 315. Si l’on en juge par ses écrits, il connut personnellement l’état des Lieux saints avant les restaurations entreprises par les soins de Constantin et de sa pieuse mère. Il reçut une éducation soignée et étendue, étudia avec un attrait spécial les divines Écritures, et, pour l’interprétation, suivit les théologiens de l’école d’Antioche. On ignore à quel moment il reçut le baptême; un synaxaire grec donne à entendre qu’il embrassa la vie monastique : si l’on ne peut affirmer avec certitude ce dernier point, on doit convenir cependant, en lisant les « Catéchèses », que Cyrille avait en haute estime ce genre de vie et que, par conséquent, il ne lui était pas inconnu. On a dit aussi que saint Macaire avait conféré à Cyrille l’ordre du diaconat, ce qui est également douteux. Il est certain que saint Maxime, successeur de Macaire, donna la prêtrise à Cyrille vers 345. Malgré sa jeunesse, le nouveau prêtre fut chargé de préparer les catéchumènes au baptême : il eut ainsi l’occasion de prêcher les « Catéchèses », qui l’ont rendu célèbre vers 348, soit à la veille de son épiscopat.
A la mort de Maxime, Cyrille devint évêque de Jérusalem.
Deux questions se sont posées au sujet de cette élévation :
1° Question de la date. On a indiqué l’an 350, car on devait supposer que Cyrille avait trente-cinq ans, âge minimum requis alors pour cette dignité; on a dit de plus que Cyrille était déjà évêque au moment où, dans une lettre à l’empereur Constance, il signalait l’apparition d’une croix lumineuse dans les airs (7 mai 351). Un historien récent, J.-Mader, a avancé que l’élévation de Cyrille à l’épiscopat datait de 348, mais il a placé la naissance en 313, et prétendu que la lettre à Constance ne se rattache pas nécessairement aux prémices de l’épiscopat de Cyrille.
2° Question de la manière dont se fit cette élévation. Des auteurs anciens (Jérôme, par exemple, et Rufin) ont prétendu que l’élection avait été entachée d’arianisme : d’après eux Acace de Césarée et les évêques ariens de la région auraient offert le siège épiscopal de Jérusalem à Cyrille, sous la condition que celui-ci répudierait l’ordination sacerdotale reçue des mains de Maxime et que Cyrille avait accepté cette condition. Mais Théodoret (Hist. eccles., 1. 2, c. 22), parlant de l’élévation de Cyrille, le présente comme un vaillant défenseur de la doctrine catholique. Il est donc bien à craindre que saint Jérôme, prévenu contre Cyrille, ne se soit fait l’écho d’un récit calomnieux répandu par les adversaires du nouvel évêque de Jérusalem.
Si Acace de Césarée crut qu’en favorisant l’élection de Cyrille, il le gagnerait aisément au parti arien, il fut vite détrompé, car Cyrille se montra fidèle gardien de la foi catholique dès le début de son épiscopat. On a dit que le nouvel évêque s’effrayait de l’expression « Consubstantiel », « omoousios »; que celle-ci ne figure pas dans les « Catéchèses » : mais cette omission s’explique par le caractère même de Cyrifle, homme pacifique, péniblement impressionné par les divisions qui existaient au sein de l’Eglise et préoccupé avant tout de les faire disparaître. Les premières années de son épiscopat furent assez calmes bientôt le ressentiment d’Acace de Césarée contre lui se fit jour, et l’occasion vint d’une revendication de Cyrille. Le septième canon du concile de Nicée avait reconnu au titulaire de Jérusalem une préséance de rang et d’honneur sur les autres évêques, sous réserve de la dignité propre au siège métropolitain. En conséquence de cette concession, Cyrille demanda pour son Église une immunité de privilège. Acace qui voyait dans l’évêque de Jérusalem un défenseur de la parfaite ressemblance du Père et du Fils dans la Trinité, l’invita à comparaître devant son tribunal : il lui reprochait en même temps d’avoir dilapidé les biens de son église et fait un usage profane des ornements sacrés. L’accusation, réduite à ses vraies proportions, portait sur ce fait qu’en un temps de grande famine à Jérusalem, Cyrille avait vendu une partie des meubles et des ornements de son église pour venir en aide aux pauvres. Cyrille refusa de comparaître, et Acace, dans une assemblée d’évêques ariens, le déposa de son siège, et lui substitua apparemment Eutyque (vers 357).
A cette nouvelle, l’évêque de Jérusalem envoya à ses juges un acte d’appel et demanda que la sentence fut revisée par un tribunal supérieur. Puis, obligé de céder à la force, il se rendit d’abord à Antioche, et comme le siège patriarcal était vacant, il alla à Tarse en Cilicie, où l’évêque Silvain l’accueillit avec faveur, lui permit d’exercer dans son diocèse les fonctions épiscopales, notamment celle de la prédication où Cyrille avait beaucoup de succès. Par là aussi, Cyrille fut mis en relation avec Basile d’Ancyre, Georges de Laodicée, etc. Au concile de Séleucie, fin septembre 359, il obtint d’être rétabli sur son siège. L’année suivante, Acace, qui avait été déposé dans ce même concile, prit sa revanche, et au début de 360, dans un concile de Constantinople, il déposa de nouveau Cyrille qui fut contraint de se tenir éloigné de son Église. Les rapports intimes qu’il avait avec Mélèce d’Antioche permettent de supposer qu’il séjourna au moins quelque temps dans cette ville.
A l’avènement de Julien l’Apostat, Cyrille profita du rappel de tous les évêques exilés pour revenir à Jérusalem : on sait comment le nouvel empereur désireux de faire mentir les prophéties, résolut de relever le temple et de rétablir le culte judaïque. Cyrille, placé entre les insultes des infidèles et les alarmes des chrétiens trop faibles dans la foi, ne se laissa pas déconcerter. Il montra toute sa confiance en la parole de Dieu et soutint qu’elle se réaliserait. L’entreprise était vouée à l’insuccès, elle contribua même à l’accomplissement des prophéties, car pour asseoir les fondements du nouvel édifice, il fallut ôter ceux de l’ancien et en faire disparaître les vestiges. Ammien Marcellin a décrit en ces termes l’intervention de Dieu : « Pendant que le comte Alypius, assisté du gouverneur de la province, pressait vivement les travaux, d’effroyables tourbillons de flammes s’élancèrent des endroits contigus aux fondements, brûlèrent les ouvriers, rendirent la place inaccessible. Et l’élément persistant à repousser les ouvriers, il fallut à la fin renoncer à l’entreprise. » Les écrivains ecclésiastiques ont donné sur ces phénomènes extraordinaires des détails plus circonstanciés :  » Les ouvriers, ont-ils dit, poursuivis par les flammes, voulurent se sauver dans une église voisine, ils ne purent y pénétrer soit qu’une main invisible les repoussât, soit que la Providence permît qu’ils fussent un embarras les uns pour les autres. Un feu sortit des fondements mêmes du temple, consuma les uns, mutila les autres, laissa à tous les marques les plus visibles de la colère du ciel.  » Julien s’était promis de se venger de cet insuccès contre Cyrille; la mort ne lui en laissa pas le temps.
A cette époque, l’évêque de Jérusalem sembla concentrer toute son activité dans l’intérieur de son diocèse. Cependant quand Acace vint à mourir, vers 365, Cyrille mit sur le siège métropolitain de Césarée, un nommé Philumène, puis, en 367, son propre neveu, Gélase. Les ariens s’agitèrent et à Gélase substituèrent Euzoius; ils obtinrent en même temps de l’empereur Valens une nouvelle sentence d’exil contre Cyrille. Ce dernier fut englobé dans l’édit de 367, qui chassait de leurs sièges tous les évêques bannis jadis sous Constance. L’exil cette fois dura onze ans, et nous ignorons ce que devint Cyrille durant cette longue période. En 378, la mort de Valens mit un terme à l’exil; à la fin de l’année, l’évêque de Jérusalem rentrait dans sa ville épiscopale. Il trouva son diocèse divisé par le schisme, corrompu par l’hérésie, les moeurs y étaient dans un état lamentable. Un concile d’Antioche tenu en 379 confia à saint Grégoire de Nysse le soin de visiter les églises d’Arabie et de Palestine pour aviser avec leurs chefs des remèdes convenables, mais cette mission demeura sans résultat immédiat. Il paraît bien cependant que, durant ses dernières années, Cyrille réussit à mettre un terme à tous ces maux.
En 381, il prit part au deuxième concile oecuménique, premier de Constantinople; il siégea parmi les chefs reconnus du parti orthodoxe après les patriarches d’Alexandrie et d’Antioche, et souscrivit à la condamnation des semi-ariens et des macédoniens. Dans une réunion complémentaire tenue en 382, les Pères du concile écrivirent au pape saint Damase; la lettre renferme ce témoignage en faveur de Cyrille « Nous vous faisons savoir que l’évêque de l’Église de Jérusalem est le révérend et très chéri de Dieu Cyrille, lequel a été jadis ordonné canoniquement par les évêques de sa province, et a soutenu, en divers lieux, de nombreux combats contre les ariens. « 
C’est le dernier renseignement que nous possédons sur saint Cyrille. Il semble qu’il y a lieu de rattacher à son pontificat la réunion à l’Église, des macédoniens de Jérusalem et la soumission de quatre cents moines dont il est question dans l’Histoire lausiaque (c. 143i, P. G., t. 34, col. 1226) : conquêtes dues au concours de Rufin et de Mélanie l’Ancienne, prémices d’une restauration religieuse qui avait suivi son dernier retour d’exil.
D’après saint Jérôme (De viris illustribus, c. 30), on peut conclure que Cyrille mourut en 386 (ou 387) après 35 ou 37 années d’épiscopat, dont près de 16 se passèrent en exil.
Dans ses écrits, Cyrille a toujours professé une doctrine orthodoxe. Qu’il ait varié dans sa communion, c’est un fait, vrai en ce sens que nous le voyons en rapport, d’abord avec des eusébiens, puis avec les homéousiens et les méléciens, enfin avec les nicéens. Mais pour réduire ces apparentes évolutions à leur juste valeur, il ne faut oublier ni les circonstances où il vécut, ni son caractère d’homme de paix péniblement impressionné par les divisions.
Les livres liturgiques d’Orient et d’Occident lui décernent des éloges qui portent directement sur son orthodoxie. Les Ménées l’appellent, en reprenant les termes mêmes de Théodoret, « un ardent défenseur de la doctrine ». Le martyrologe romain au 18 mars, s’approprie le témoignage éclatant que, dans leur lettre au pape Damase, les évêques orientaux rendirent à la pureté de sa foi. Enfin Léon XIII étendant en 1882 la fête de saint Cyrille à toute la catholicité lui a décerné solennellement le titre de docteur de l’Église.
Bibl. – La vie de saint Cyrille se trouve en tête de ses oeuvres, P. G., t. 33, 1ère dissertation de dom Touttée, O. S. B., défendue par dom Maran dans sa dissertation sur les ariens. – Voir aussi G. Delacroix, Saint Cyrilie de Jérusaiem, vie et oeuvres, Paris, 1865.- J. Mader, Der hl. Cyrilus, Bischoff von Jerusalem, Einsiedeln, 1891. – Tillemont, Mémoires pour servir…, t.8, p. 428 et 799. – Dom Ceillier, Hist. ant. sacrés, t. 5, p. 25. Dictionn. de théol. cath., col. 2533.

in: sanctoral des RP Bénédictins, éditions Letouzey & Ané 1936

LA SIMPLICITÉ (LE PARADIS DE L’ÂME) – PAR SAINT ALBERT LE GRAND

27 février, 2014

http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/albert/albert/30simplicite.htm

LE PARADIS DE L’ÂME

PAR SAINT ALBERT LE GRAND

CHAPITRE XXX

LA SIMPLICITÉ

1. La simplicité véritable et parfaite consiste à ne nuire à personne, mais à être utile à tous, comme le dit la Glose sur les paraboles (1). C’est la première vertu que l’on fait valoir chez Job. « Il y avait, dans le pays de Hus, un homme du nom de Job, et cet homme était simple et droit » (ch. 1, v. 1). Apparemment, cette vertu l’emportait, en lui, sur toutes les autres.
C’est elle aussi que le Seigneur a ordonnée, lorsqu’il envoya ses apôtres dans le monde pour appeler les incrédules à l’unité de la foi catholique : « Soyez prudents comme les serpents et simples comme les colombes » (Matt., ch. 10, v. 16). Dans son commandement, il joint la prudence à la simplicité ; car la prudence sans la simplicité, c’est de la ruse ; la simplicité sans la prudence, c’est de la sottise. La colombe ne blesse ni du bec ni des ongles ; de même, l’âme vraiment simple ne fait du mal ni en parole ni par action.
2. Il aime vraiment la simplicité, celui qui ne s’occupe pas, comme Marthe, à une multitude d’affaires, – car le grand nombre entraîne la complication– mais qui n’en cherche qu’une seule, celle dont Notre-Seigneur disait : « Une seule chose est nécessaire » (Luc, ch. 10, v. 42) ; et il en félicitait Marie-Madeleine : « Elle a choisi la meilleure part qui ne lui sera pas enlevée. » Il s’agit du seul Bien, où se trouvent tous les biens, immenses et éternels.
3. Les avantages de la simplicité doivent nous exciter à l’amour de cette vertu. Il est écrit que Dieu aime à s’entretenir avec les âmes simples » (Prov., ch. 3, v. 32). Le Seigneur est familier avec elles et il ne dédaigne pas de leur révéler ses secrets. Ainsi, aux apôtres qui empêchaient les petits enfants d’aller jusqu’à lui, Notre-Seigneur disait : « Laissez-les, ne les empêchez pas de venir à moi, car le royaume des cieux appartient à ceux qui leur ressemblent » (Matt., ch. 19, v. 14). Sans cette vertu, le salut est impossible : « Si vous ne devenez comme les petits enfants, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux » (ch. 18, v. 3). Le Seigneur Jésus ne dit pas : Si vous ne devenez petits enfants, mais « comme les enfants », ce qui signifie simples et innocents.
Voici une autre utilité de cette vertu. « Celui qui marche dans la simplicité marche en confiance » (Prov., ch. 10, v. 9). La voie de la simplicité, c’est le chemin le plus sûr dans le royaume des cieux. « Dieu protégera ceux qui marchent dans la simplicité » (ch. 2, v. 7).
4. Les preuves de la simplicité véritable sont de bien présumer de tous, loin de tourner en mauvaise part les actions du prochain ; de ne dénaturer le bien de personne ni de le diminuer ; de ne souhaiter le mal à aucun et de désirer le salut de tous, de faire de bonnes actions et de les bien faire, d’avoir des idées justes sur Dieu et de le chercher dans la simplicité du cœur, de se soumettre aussi à sa volonté et de garder ses commandements.
5. Il est convaincu de duplicité, celui dont les paroles diffèrent des pensées et des actions. Ainsi Joab s’apprête à baiser Amasa en lui disant : Salut, mon frère ; mais en même temps il tire en secret son épée et le frappe mortellement (IIe livre des Rois, ch. 20, v. 9-10).
Le Seigneur Jésus s’oppose à cette duplicité : « Que votre langage soit : Cela est, cela n’est pas » (Matt., ch. 5, v. 37) ; autrement dit : Ce que vous avez dans le cœur, proférez-le de vive voix et montrez-le par vos œuvres. « L’homme à deux âmes est inconstant dans toutes ses voies » (Jacq., ch. 1, v. 8). Notre-Seigneur maudit les hommes de duplicité qui veulent servir en même temps Dieu et le diable, ou s’exercer au péché et aux bonnes œuvres. Et il disait à leur adresse : « Personne ne peut servir deux maîtres » (Matt., ch. 6, v. 24) ; il s’agit de deux maîtres qui s’opposent : le bien et le mal, la vertu et le vice sont absolument contraires. Et pour ceux qui voudraient plaire à Dieu et au monde, voici la pensée de saint Jacques : « Quiconque veut être ami du monde se rend ennemi de Dieu » (ch. 4, v. 4).
Se montrer simple, à l’extérieur, dans la manière de se conduire, et porter la fourberie dans son mur, c’est une marque de fausse simplicité. Jérémie s’en plaignait de la sorte : « Que chacun de vous se garde de son ami ; et ne vous fiez à aucun frère, car les frères se supplanteront les uns les autres, et les amis sont des trompeurs » (ch. 9, v. 5).

(1) On n’a pas trouvé cette glose.

28 JANVIER: SAINT THOMAS D’AQUIN

28 janvier, 2014

http://missel.free.fr/Sanctoral/01/28.php#encens

28 JANVIER: SAINT THOMAS D’AQUIN

Sommaire :
Biographie
Historique
De l’usage de l’encens
Des offrandes
De la prière

Biographie
Issu d’une vieille famille féodale d’origine normande et germanique, saint Thomas d’Aquin naquit vers la fin de l’année 1224 ; son père, Landolphe, comte d’Aquin, seigneur de Loretto et de Belcastro, était allié à la famille impériale (le père de Landolphe, Thomas, avait épousé Françoise de Souabe, sœur de l’Empereur), tandis que sa mère, Théodora , comtesse de Teano, descendait des princes normands qui s’étaient taillé un royaume, au sud de l’Italie. Alors qu’elle était enceinte, Théodora reçut au château de Rocca Secca un ermite qui, lui montrant un portrait de saint Dominique [saint Dominique était déjà mort (6 août 1221) mais il n’était pas encore canonisé (3 juillet 1234)], lui dit : « Réjouissez-vous, Madame, vous donnerez le jour à un enfant que vous nommerez Thomas ; vous songerez à en faire un moine du Mont-Cassin, mais Dieu en a disposé autrement ; l’enfant deviendra un frère de l’ordre des frères prêcheurs et il brillera d’un tel éclat de science et de sainteté qu’il n’aura pas son pareil au monde. »
L’enfant dont le parrain fut le pape Honorius III, reçut le prénom de Thomas et fut très tôt confié au monastère bénédictin du Mont-Cassin dont son oncle, Sunnibald, était l’abbé. Thomas se fit autant remarquer par sa piété que son intelligence ; l’abbé du Mont-Cassin et son père décidèrent de l’inscrire à l’université de Naples pour étudier les Arts libéraux. C’est à l’université de Naples qu’il s’initia aux écrits d’Aristote et à l’antique droit romain.
C’est aussi à Naples qu’il rencontra l’ordre des frères prêcheurs. Contre l’avis de sa famille, il reçut l’habit des Dominicains. Sa mère qui était ulcérée que son fils entrât dans un ordre mendiant, se plaignit sans succès au prieur du couvent de Naples, au maître général de l’Ordre et au Pape. Abandonnant les plaintes, elle se décida à venir chercher elle-même Thomas mais, lorsqu’elle arriva au couvent de Naples, il s’était enfui à Rome, au couvent de Sainte-Sabine, d’où le maître général de l’Ordre le firent discrètement partir pour Paris. Rattrapé par ses deux frères, Landolphe et Raynald, entre Sienne et le lac de Bolsenne, près d’Aquapendente, il fut enfermé au château du Mont-Saint-Jean. Ni ses frères ni sa mère ne réussirent à fléchir sa décision, quant à ses deux sœurs, elles prirent secrètement son parti au point que l’aîné résolut de se faire religieuse à Sainte-Marie de Capoue. Pour perdre sa réputation, ses frères firent entrer une prostituée dans sa chambre ; Thomas prit un tison enflammé, traça une croix sur le mur et se mit à genoux pour renouveler son vœu de chasteté ; il tomba alors en sommeil et eut l’apparition de deux anges qui ceignirent ses reins en lui disant : « Nous venons à toi de la part de Dieu pour te conférer le don de la virginité perpétuelle qu’il t’accorde dès ce moment. » Il était enfermé depuis deux ans quand les Dominicains portèrent plainte auprès du pape Innocent IV et de l’Empereur qui venaient de se réconcilier : l’empereur Frédéric exigea sa libération. La famille ne voulant pas perdre la face, les deux sœurs prièrent les dominicains de Naples de se rendre nuitamment au pied de la tour dont Thomas descendit dans un panier.

Historique
On s’étonne que les ecclésiastiques français ne fassent plus grand cas de saint Thomas d’Aquin dont, pourtant, le deuxième concile du Vatican qu’ils font mine de regarder comme la référence absolue de la religion toute entière, recommande par deux fois l’étude1. Cet ignorant mépris est d’autant plus surprenant que saint Thomas d’Aquin vécut treize ans à Paris, qu’il fut canonisé en Avignon, et que la plus grande part de ses reliques sont à Toulouse2.
Thomas d’Aquin qui, depuis deux ans, était retourné en Italie, fut invité par le pape Grégoire X à se rendre au deuxième concile de Lyon qui devait s’ouvrir le 1° mai 1274. Le 28 janvier 1274, il quitta Naples à pied, accompagné de deux autres frères prêcheurs. Il passa par Aquin où il était né, et par le château de Maenza où habitait sa nièce. Arrivé aux confins de la Campanie et du Latium, entre Terracina et Rome, pris d’un mal mystérieux, il demanda l’hospitalité à l’abbaye cistercienne de Fossanova où il mourut le 7 mars 1274.
Une quarantaine d’années plus tard, Dante3 rapporte que Thomas d’Aquin aurait été empoisonné par ordre de Charles d’Anjou4, roi de Naples, frère de saint Louis. Giovanni Villani5, contemporain de Dante, affirme que l’assassin de Thomas d’Aquin avait cru être agréable au roi Charles, puisqu’il appartenait à la famille des seigneurs d’Aquin6 qui étaient en rébellion contre lui. Vers 1328, le Bolognais Jacopo della Lana, l’un des premiers commentateurs de la Commedia, raconte que Thomas d’Aquin, avant de quitter Naples, vint prendre congé du roi Charles, et lui demanda s’il avait quelque commission à lui confier ; le roi lui dit : « Si le pape vous questionne sur moi, quelle réponse ferez-vous ? » Thomas répondit : « Je dirai la vérité » ; craignant que cette vérité ne soit pas à son avantage, le roi Charles fut si préoccupé que ses médecins s’aperçurent de sa mélancolie ; il en révéla la cause à l’un d’eux qui affirma que le remède était trouvé ; après avoir chevauché jour et nuit, il rejoignit Thomas d’Aquin, et lui dit que le roi ne voulait pas le laisser voyager sans la compagnie d’un médecin ; il lui fut facile d’employer le poison qui devait tuer Thomas d’Aquin.
Thomas d’Aquin jouissait déjà d’une réelle réputation de sainteté qui explique que les moines de Fossanova voulurent tant garder son corps. Le procès de canonisation, commencé à l’initiative de la province dominicaine de Sicile (1317-1318), fut immédiatement soutenu par Jean XXII7 qui, à peine élu, avait enrichi la bibliothèque pontificale des écrits de Thomas d’Aquin. La première enquête fut menée à Naples où, à partir du 23 juillet 1319, on entendit quarante-deux les témoins8. Une enquête supplémentaire fut faite à Fossanova (du 10 au 26 novembre 1321). La Bulle de canonisation fut donnée le 18 juillet 1323.
« Placer sur les autels l’illustre Docteur était une mesure d’une gravité extrême, parce que c’était consacrer définitivement une hégémonie doctrinale sans pareille… Avec le Docteur commun, il s’agissait d’un génie puissant et ordonnateur qui avait posé une emprise unique sur la pensée profane et sacrée. Déclarer sa sainteté, c’était jeter dans un des plateaux de la balance le poids d’un suffrage qui fixerait la position déjà acquise par l’excellence seule de sa doctrine… Le Saint-Siège, conscient des forces de dissolution qui travaillaient déjà le monde et désagrégeaient son unité religieuse, chercha à parer au danger en opposant aux puissances de destruction la puissance de résistance et de stabilité qu’était l’œuvre de Thomas d’Aquin9 ».
Sous le pontificat de Jean XXII, « tout le monde semble irrité, prompt aux critiques amères et aux invectives violentes. L’injure est partout, dans le geste des princes, dans la bouche des docteurs, dans les écrits des lettrés et chacun, pourrait-on ajouter, milite contre tous les autres… Dans ce régime général de conflits c’est l’autorité pontificale qui est finalement en butte à la plupart des agressions. C’est elle qui est, non seulement menacée, mais encore gravement atteinte et avec elle, et par elle, la constitution même de l’Eglise. Les clercs lettrés, séculiers et réguliers, dont l’activité doctrinale devrait être une force de conservation et de défense, subissent, en grand nombre, chacun à sa manière et dans son domaine, la contagion anarchique de l’époque et fourbissent, inconsciemment ou non, des armes dangereuses. L’Université de Paris est devenue, depuis le règne de Philippe le Bel, l’arsenal où se forgent ces armes… C’est en présence du désarroi des évènements et des idées que le Saint-Siège cherche le point d’appui ferme et stable qu’il pourrait donner à la société chrétienne, surtout en matière de doctrine. A vrai dire, il n’a pas à chercher. L’œuvre philosophique et théologique de Thomas d’Aquin s’est déjà universellement imposée au monde intellectuel. Il s’agit seulement de faire un pas de plus : confirmer et promouvoir la doctrine en déclarant la sainteté du maître. »
Jean XXII avait dit que Thomas d’Aquin avait plus illuminé l’Eglise que tous les autres docteurs et que l’on profite plus en une année avec ses livres qu’en toute une vie avec la doctrine des autres10 ; il avait ajouté : « Nous croyons que Frère Thomas est au ciel, car sa vie fut sainte et sa doctrine est un miracle. »
En présence du roi Robert de Naples11, de sa mère et de sa femme, les cérémonies de la canonisation de saint Thomas d’Aquin, en même temps que celle de saint Louis d’Anjou, commencèrent le jeudi 14 juillet, dans le palais pontifical. Jean XXII fit le panégyrique de saint Thomas d’Aquin12 et fut suivi par sept orateurs : le dominicain Pierre Cantier13, le roi Robert de Naples, le patriarche d’Antioche qui était dominicain, l’archevêque de Capoue, un évêque dont le nom n’est pas donné, l’archevêque d’Arles et l’évêque de Lodève qui était franciscain.
Le lundi suivant (18 juillet), à Notre-Dame des Doms, Jean XXII lut la bulle de canonisation où, après avoir résumé la vie de saint Thomas d’Aquin et exalté ses vertus éminentes, il énuméra les principaux miracles constatés. Le Pape célébra la messe où il prêcha, puis il retint à sa table le roi Robert et dix-sept cardinaux. Le roi Robert avait fait annoncer que ce jour serait célébré comme la fête de Noël. Pendant tous les jours suivants, des fêtes solennelles furent célébrées au couvent des Frères Prêcheurs d’Avignon par le roi et la reine et divers prélats.
La proclamation de la sainteté de Thomas d’Aquin repose sur son intense piété eucharistique, sa chasteté précieusement gardée par l’ascèse, sa vénération pour les docteurs anciens, son esprit d’obéissance. Saint Thomas d’Aquin a parfaitement conjugué la connaissance de la vérité et la perfection spirituelle, montrant qu’elles s’aident mutuellement, car Dieu est à la fois la Vérité et le Bien. De même qu’on ne peut prétendre bien connaître un pays lointain sans y avoir soi-même séjourné, on ne peut obtenir une science religieuse sans vivre dans l’intimité de Dieu ; « si quelqu’un veut avoir l’intelligence de ce qu’il a entendu, qu’il s’empresse d’accomplir ce qu’il a déjà pu entendre14. » La sagesse divine ne nous est pas communiquée par le travail abstrait de l’intelligence mais par la fidélité à Dieu. Il faut des efforts méritoires pour désirer la vérité malgré d’autres sollicitations qui l’obnubilent ; il faut toute l’application de l’intelligence, de la volonté et du cœur pour faire sérieusement attention à la vérité, pour s’assurer des intentions droites et pures, une parfaite probité intellectuelle ; il faut une résolution sincère et généreuse de changer de conduite si l’on découvre que la nôtre n’est pas conforme aux vérités que le Seigneur nous a révélées. La lumière est la récompense de l’effort, de l’observance et de la pratique des grâces. Il s’agit d’écouter Dieu plutôt que nous-mêmes, de croire en Dieu plutôt qu’aux hommes.
« Porter un jugement vrai sur les réalités divines d’après la recherche de la raison appartient à la sagesse, vertu intellectuelle ; mais porter sur elles un jugement vrai selon une certaine connaturalité avec elles appartient à la sagesse, don du Saint-Esprit… Or cette sorte de conformité de nature avec les réalités divines est produite par la charité, qui nous unit à Dieu, selon ces paroles de saint Paul dans la première épître aux Corinthiens15 : Celui qui est uni à Dieu ne fait qu’un esprit avec lui. »16
Par la limpidité de son âme, saint Thomas d’Aquin nous rappelle le sermon de Jésus sur la montagne : « Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu17. » A cause de son humilité, il a reçu les révélations réservées aux petits. Ces valeurs évangéliques sont d’un ordre supérieur à celui de la simple cogitation, et leur acquisition est plus difficile donc plus rare. Il n’en reste pas moins qu’en raison du rapport entre l’objet connu et le sujet connaissant, le Docteur Angélique demeure, par sa sainteté même, un modèle à imiter pour tous ceux qui s’adonnent à la théologie.
La pensée du Docteur Angélique a joué un rôle décisif et bienfaisant dans l’élaboration de la science sacrée et des idées philosophiques. Affirmant la valeur de l’intelligence, il établit les preuves rationnelles de l’existence de Dieu ; il précise la distinction entre les ordres naturel et surnaturel ; tout en proclamant l’immutabilité des données de la foi, connues grâce à la Révélation, il répand des lumières sur les dogmes qui les énoncent ; il formule les principes de la morale individuelle et sociale et du droit naturel ; il enseigne les voies de la perfection chrétienne ; il rappelle les droits de la Vérité première et l’autorité souveraine de Dieu ; il voit dans l’amour créateur et sauveur un seul amour, qui crée pour sauver et subordonne toute la création au salut.
Par la pénétration et la subtilité de son intelligence, par sa prodigieuse puissance de travail, en un temps où les moyens techniques dont nous disposons n’existaient pas et devaient être suppléés par la mémoire, par la lucidité dans l’exposé des questions les plus abstruses, et surtout par l’excellence de sa doctrine, saint Thomas d’Aquin, mort à quarante-neuf ans, constitue en lui-même un miracle.
Déjà dans sa plus tendre enfance, quand on l’avait confié aux bénédictins du Mont-Cassin18, saint Thomas d’Aquin était hanté par le problème de la Divinité, demandant sans cesse : « Qu’est-ce que Dieu ? » Adulte, il donna lui-même une réponse à cette question essentielle : dans presque tous les livres qu’il composa, qu’il s’agisse de la création du monde, de l’homme, des lois, des vertus ou des sacrements, il traite toujours de Dieu, auteur du salut éternel. Nul ne pourrait lire avec profit les œuvres de saint Thomas d’Aquin, s’il ne veut pas être porté à la vie intérieure, désirant grandir dans la prière, la méditation et la contemplation. Thomas d’Aquin s’est élevé à la sainteté parce que ses études l’ont fait vivre assidûment dans la familiarité de Dieu, s’offrant tout entier à l’objet de sa foi et de sa contemplation. C’est cette union intime à Dieu fut obtenue par le renoncement à soi-même qui l’a rendu capable d’entrevoir quelque chose du mystère divin. Dans sa prière habituelle, il demandait à Dieu de dissiper les ténèbres de son intelligence pour lui faire désirer, rechercher, connaître et accomplir ce qui plaît à Dieu. Parce que cette domination absolue de Dieu est radicalement incompatible avec l’orgueil, saint Thomas d’Aquin fut très humble ; parce que cette disponibilité de l’esprit pour les réalités divines s’acquiert grâce à la maîtrise de soi, saint Thomas d’Aquin fut très mortifié. Sa piété envers le mystère de l’Eucharistie lui valut d’être l’auteur de l’admirable « Office du Saint-Sacrement » et d’être appelé le Docteur eucharistique. En plus du Saint Sacrifice de la messe qu’il célébrait dévotement chaque jour, il assistait à une autre messe que, très souvent, il servait lui-même. Enfin, dans sa prière, comme dans celle de tous les véritables hommes de Dieu, la Vierge Marie, Mère de Dieu, tenait une place éminente.
La vie de saint Thomas d’Aquin nous invite à l’imitation. Comment pourrions-nous mieux le vénérer qu’en nous inspirant de ses exemples et de ses enseignements, afin que, dans ce monde qui se désagrège parce qu’il veut être sa propre fin, chacun de nous contribue, dans la mesure de son pouvoir, à établir en tout, et d’abord en soi-même, le règne de Dieu ?
1 « Puis pour mettre en lumière, autant qu’il est possible, les mystères du salut, ils apprendront à les pénétrer plus à fond, et à en percevoir la cohérence, par un travail spéculatif, avec saint Thomas pour maître » (Vatican II : décret sur la formation des prêtres, « Optatam totius Ecclesiæ renovationem », n° 16).
« On ne fera que suivre la voie ouverte par les docteurs de l’Eglise et spécialement par saint Thomas » (Vatican II : déclaration sur l’éducation chrétienne, « Gravissimum educationis momentum », n° 10).
2 Malgré bien des revendications, le corps de Thomas d’Aquin était resté chez les Cisterciens de Fossa Nova où il était mort ; après 1366, Elie de Toulouse, devenu maître général des Dominicains, monta une opération pour s’emparer du corps qui fut déposé au couvent des Dominicains de Fondi. L’abbé de Fossa Nova en appela au Pape qui fit comparaître Elie de Toulouse. Après avoir représenté au Pape que Thomas d’Aquin était le frère des Dominicains, Elie s’en remit à sa décision. Urbain V donna le corps de Thomas d’Aquin aux Dominicains pour qu’ils le portassent en France, leur laissant le soin de décider entre Paris et Toulouse ; le lendemain, comme Elie de Toulouse venait le remercier, Urbain V luit dit : « Il me semble préférable pour vous éviter tout ennui que je détermine moi-même le lieu. Je décide donc et je veux que le corps de saint Thomas repose dans votre église conventuelle de Toulouse. » La translation du corps de saint Thomas d’Aquin fut faite dans l’église des Dominicains de Toulouse le 28 janvier (très curieusement alors que la fête de saint Thomas d’Aquin était autrefois célébrée au jour anniversaire de sa mort, le 7 mars, la réforme du calendrier qui a ordinairement mis la fête des saints au jour de leur mort, fixa celle de saint Thomas d’Aquin au jour de la translation de ses reliques). Après avoir été sauvées des profanations protestantes, les reliques de saint Thomas furent sauvées des destructions de la révolution française, et transportées à Saint-Sernin où elles sont toujours.
3 « Il envoya Thomas au ciel, par pénitence » (Dante Alighieri : « La Divine Comédie », le Purgatoire, XX 69).
4 Charles I° d’Anjou, dixième fils de Louis VIII le Lion et de Blanche de Castille, naquit posthume en février 1227 ; il fut fait comte du Maine et d’Anjou (1232) ; il devint comte de Provence (1246) par son mariage avec Béatrice, fille de Raymond-Bérenger IV. Il participa à la septième croisade avec saint Louis et fut, comme lui, fait prisonnier en Egypte (1248-1250). A son retour de croisade, avec l’aide de son frère, Alphonse de Poitiers, il dut réprimer les désirs d’indépendance de l’aristocratie provençale : il prit Arles (1251), Marseille (1252), Tarascon (1256) et Apt (1258) ; il supprima les institutions et les libertés municipales, mit l’administration sous l’autorité d’un sénéchal ; il annexa le comté de Vintimille (1258) et imposa sa suzeraineté au marquisat de Saluces (1260). Malgré les réticences de saint Louis, il accepta les propositions du pape Clément IV, qui, dès 1253, offrait de lui inféoder le royaume de Sicile. Charles d’Anjou se constitua un parti en Italie, devint sénateur de Rome (1263) et prit la tête de la Ligue guelfe. Vainqueur de Manfred à Bénévent, il fut reconnu, en janvier 1266, comme roi de Naples et de Sicile. Après qu’il eut battu Coradin Hohenstaufen à Tagliacozzo (23 août 1268) et qu’il eut fait exécuter (29 octobre 1268), il fut totalement maître de son royaume. Vicaire impérial en Toscane et podestat de Florence, maître de l’Italie méridionale et de la Sicile, Charles d’Anjou reprit la politique traditionnelle des souverains siciliens contre Byzance. Il obtint la principauté d’Achaïe en 1267 puis acheta le titre de roi de Jérusalem (1277). L’énergie avec laquelle Charles d’Anjou instaura dans son royaume sicilien des cadres administratifs rigoureux et une fiscalité inadaptée à l’économie locale le rendit impopulaire. La révolte dite des Vêpres siciliennes (31 mars 1282) et l’intervention d’une armée aragonaise firent passer l’île sous la domination de Pierre III d’Aragon, gendre de Manfred. Charles conserva la partie continentale du royaume et sa capitale, Naples dont il avait fait le siège d’une cour brillante. Malgré d’âpres compétitions, dues en grande partie aux interventions du Saint-Siège, de qui il était tenu en fief, le royaume de Naples survécut deux siècles à son fondateur. Il mourut à Foggia le 7 janvier 1285.
5 Giovanni Villani : Chronique (IX. C. CCXVIII).
6 Thomas d’Aquin était issu d’une vieille famille féodale d’origine normande et germanique : son père-père (Thomas) avait épousé Françoise de Souabe, sœur de l’Empereur ; son père, Landolphe, comte d’Aquin, seigneur de Loretto et de Belcastro ; sa mère, Théodora, comtesse de Teano, descendait des princes normands qui s’étaient taillé un royaume, au sud de l’Italie.
7 Le 7 août 1316, le cardinal Jacques Duèse est élu à l’unanimité et prend le nom de Jean XXII. Jacques Duèse naquit à Cahors, vers 1245. Il étudia chez les Dominicains de Cahors puis à Montpellier où il prit ses grades en droit canonique, et à Orléans où il prit ses grades en droit civil. Docteur utriusque juris, il s’inscrivit à la faculté de théologie de Paris mais n’y passa aucun examen. Enseignant le droit à Toulouse et, peut-être, à Montpellier, il reçut de nombreux bénéfices ecclésiastiques : archiprêtre de Saint-André de Cahors, chanoine de Saint-Front de Périgueux et de Sainte-Cécile d’Albi, archiprêtre de Sarlat et doyen du Puy. Quand saint Louis d’Anjou arriva à Toulouse comme archevêque, il le choisit comme collaborateur. Remarqué par Charles II d’Anjou qui le prit comme conseiller et le fit élire évêque de Fréjus (4 février 1300), il fut, après la mort de Pierre de Ferrières, nommé chancelier du royaume de Naples (1308), ce qu’il resta jusqu’à ce que le Pape l’appelât à l’évêché d’Avignon (18 mars 1310). Clément V l’employa pour des missions diplomatiques auprès de Philippe le Bel, singulièrement autour du procès de Boniface VIII, puis lui confia la préparation du concile de Vienne. Le 24 décembre 1312, il fut créé cardinal-prêtre au titre de Saint-Vital et, vers le mois de mai suivant, nommé cardinal-évêque de Porto.
8 Seize religieux cisterciens du monastère de Fossanova, onze religieux de l’ordre des Prêcheurs, douze laïcs et trois des clercs séculiers ; douze de ces témoins avaient connu personnellement Thomas d’Aquin (cinq Cisterciens, cinq Prêcheurs et deux laïcs).
9 R.P. Mandonnet : Mélanges Thomistes publiés par les Dominicains de la Province de France à l’occasion du VI° centenaire de la canonisation de saint Thomas d’Aquin (18 juillet 1323), Le Saulchoir, Kain (Belgique), Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques, 1923. Vol. III de la Bibliothèque Thomiste.
10 Au consistoire, en 1318.
11 Robert I° d’Anjou, dit le Sage (né vers 1275, mort à Naples le l9 janvier 1343), fut duc d’Anjou, comte de Provence et roi de Naples. Troisième fils de Charles II le Boiteux auquel il succéda (1309), il fut le défenseur des intérêts pontificaux et le chef du parti guelfe contre les empereurs allemands. Sénateur de Rome et protecteur de Florence, chef de la ligue toscane, il s’opposa à l’empereur Henri VII lors de l’expédition de celui-ci en Italie (1311-1313) ; après la mort d’Henri VII, Clément V le nomma vicaire impérial (1313). Il contribua à l’élection à la papauté de Jean XXII (1316) qu’il défendit contre Louis de Bavière. Cependant, il ne put ni vaincre les gibelins d’Italie du Nord ni reconquérir la Sicile. Son règne fut très bénéfique à la Provence, où il fit d’assez longs séjours. Prince savant et protecteur des lettres, il avait accueilli à sa cour Pétrarque et Boccace.
12 « Ce glorieux docteur est celui qui, après les apôtres et les premiers docteurs, illumina le plus l’Eglise… Il y avait dans la Somme Théologique autant de miracles que d’articles… »
13 Pierre Cantier menait toute l’affaire, en l’absence du procureur, malade, Jean de Naples.
14 Homélie de saint Grégoire le Grand sur les disciples d’Emmaüs qui ne reconnurent le Christ qu’à la fraction du pain.
15 Saint Paul : première Epître aux Corinthiens, VI 1.
16 Saint Thomas d’Aquin : « Somme théologique », IIa-IIae, question 45, a. 2, c.
17 Evangile selon saint Matthieu, V 6.
18 Thomas d’Aquin dont le parrain fut le pape Honorius III, fut très tôt confié au monastère bénédictin du Mont-Cassin dont son oncle, Sunnibald, était l’abbé. Thomas se fit autant remarquer par sa piété que son intelligence ; l’abbé du Mont-Cassin et son père décidèrent de l’inscrire à l’université de Naples pour étudier les Arts libéraux. C’est à l’université de Naples qu’il s’initia aux écrits d’Aristote et à l’antique droit romain. C’est aussi à Naples qu’il rencontra l’ordre des frères prêcheurs où, contre l’avis de sa famille, il reçut l’habit. Sa mère, ulcérée que son fils entrât dans un ordre mendiant, se plaignit sans succès au prieur du couvent de Naples, au maître général de l’Ordre et au Pape. Elle décida de venir chercher elle-même Thomas mais, lorsqu’elle arriva au couvent de Naples, il s’était enfui au couvent Rome d’où le maître général le fit partir pour Paris. Rattrapé par ses deux frères, entre Sienne et le lac de Bolsenne, près d’Aquapendente, il fut enfermé au château du Mont-Saint-Jean. Ni ses frères ni sa mère ne réussirent à fléchir sa décision, quant à ses deux sœurs, elles prirent secrètement son parti au point que l’aînée résolut de se faire religieuse à Sainte-Marie de Capoue. Pour perdre sa réputation, ses frères firent entrer une prostituée dans sa chambre ; il prit un tison enflammé, traça une croix sur le mur et se mit à genoux pour renouveler son vœu de chasteté ; il tomba alors en sommeil et eut l’apparition de deux anges qui ceignirent ses reins en lui disant : « Nous venons à toi de la part de Dieu pour te conférer le don de la virginité perpétuelle qu’il t’accorde dès ce moment. » Il était enfermé depuis deux ans quand les Dominicains portèrent plainte auprès du pape Innocent IV et de l’Empereur qui venaient de se réconcilier : l’empereur Frédéric exigea sa libération. La famille ne voulant pas perdre la face, les deux sœurs prièrent les dominicains de Naples de se rendre nuitamment au pied de la tour d’où Thomas descendit dans un panier.

De l’usage de l’encens
Nous ne pratiquons pas l’encensement comme un précepte cérémoniel de l’ancienne Loi, mais comme une institution de l’Eglise. C’est pourquoi nous le pratiquons pas de la manière dont il était prescrit dans l’ancienne Loi.
L’encensement a un double objet. D’abord le respect envers ce sacrement : en répandant un parfum agréable, on chasse la mauvaise odeur corporelle qui règnerait dans le lieu du culte et pourrait provoquer le dégoût.
Ensuite l’encensement sert à représenter l’effet de la grâce, dont le Christ fut rempli comme d’un parfum agréable, selon la parole de la Genèse : « Voici que le parfum de mon fils est comme le parfum d’un champ fertile. » Et du Christ elle découle jusqu’aux fidèles par l’office des ministres, selon cette parole de la deuxième Epître aux Corinthiens : « Par nous (le Christ) répand en tous lieux le parfum de sa connaissance. » Et c’est pourquoi, lorsqu’on a encensé de tous côtés l’autel, qui symbolise le Christ, on encense tout le monde selon l’ordre hiérarchique.
saint Thomas d’Aquin

Des offrandes
Le prêtre est établi comme un négociateur et un intermédiaire entre le peuple et Dieu, selon ce qui est dit de Moïse (Deutéronome V 5). C’est pourquoi il lui appartient de transmettre au peuple les enseignements divins et les saints mystères ; et aussi de présenter à Dieu ce qui, venant du peuple, doit passer par lui : prières, sacrifices, oblations, selon l’Epître aux Hébreux (VI) : « Tout pontife, pris parmi les hommes, est établi pour intervenir en leur faveur dans leurs relations avec Dieu, afin d’offrir dons et sacrifices pour le péché. » Les oblations que le peuple présente à Dieu sont donc remise aux prêtres, non seulement pour qu’ils les emploient à leur usage, mais pour qu’ils en soient les fidèles dispensateurs. Ils les emploieront en partie aux frais du culte divin ; une autre part sera destinée à leur propre subsistance, car « ceux qui servent à l’autel partagent avec l’autel » (I Corinthiens IX 13) ; une autre partie sera allouée aux pauvres qui doivent, autant que faire se peut, être entretenus sur les biens de l’Eglise, car notre Seigneur lui-même avait une bourse pour les pauvres, remarque saint Jérôme.
Il ne semble pas qu’ici le prêtre prie pour que la consécration s’accomplisse, mais pour qu’elle soit fructueuse. Aussi dit-il expressément : « Qu’elle devienne pour nous le Corps et le Sang… » Et c’est le sens des paroles qu’il prononce auparavant : « Sanctifie pleinement cette offrande par la puissance de ta bénédiction » selon saint Augustin, c’est-à-dire : « par laquelle nous soyons bénis », à savoir par la grâce ; adscriptam, c’est-à-dire « par laquelle nous soyons inscrits dans le ciel » ; ratam, c’est-à-dire « par laquelle nous soyons reconnus comme appartenant au christ » ; rationabilem, c’est-à-dire « par laquelle nous soyons dépouillés du sens charnel » ; acceptabilem, c’est-à-dire « que nous, qui nous déplaisons à nous-mêmes, nous soyons agréables par elle à son Fils unique ».
Le prêtre ne demande pas que les espèces sacramentelles soient transportées au ciel ; ni le corps réel du Christ, qui ne cesse pas d’être présent sur l’autel. Mais il demande cela pour le Corps mystique, car c’est lui qui est signifié dans ce sacrement ; c’est-à-dire que l’ange qui assiste au divin mystère présente à Dieu les prières du prêtre et du peuple, selon ce texte de l’Apocalypse : « La fumée des parfums monta des mains de l’ange avec les offrandes des saints. » L’autel céleste signifie soit l’Eglise triomphante elle-même, où nous demandons d’être transférés ; ou bien Dieu lui-même, à qui nous demandons d’être unis ; car il est dit de cet autel, dans l’Exode : « Tu ne monteras pas à mon autel par des degrés », c’est-à-dire : « Tu ne feras pas de degrés dans la Trinité. »
Par l’ange on peut encore comprendre le Christ lui-même, qui est « l’Ange du grand conseil », qui unit son corps mystique à Dieu le Père et à l’Eglise triomphante. (Saint Thomas d’Aquin).
La fraction de l’hostie a une triple signification. D’abord la division subie par le corps du Christ dans sa passion ; ensuite la répartition du Corps mystique selon divers états ; enfin la distribution des grâces qui découlent de la passion du Christ, comme dit Denys dans la Hiérarchie Ecclésiastique. Cette fraction n’introduit donc pas de division dans le Christ.
Comme dit le pape Sergius, dans un texte qu’on trouve dans le Décret : « Le corps du Seigneur est triple. La partie de l’oblation qui est mise dans le calice désigne le corps du Christ qui a déjà ressuscité », c’est-à-dire le Christ lui-même et la sainte Vierge, et les autres saints, s’il y en a, qui sont entrés corporellement dans la gloire. « La partie qui est mangée représente le Christ qui est encore sur la terre », c’est-à-dire que ceux qui vivent sur terre sont unis par le sacrement et sont broyés par les épreuves, comme le pain qu’on mange est broyé par les dents. « La partie qui demeure sur l’autel jusqu’à la fin de la messe est le corps du Christ demeurant au sépulcre : car jusqu’à la fin du monde les corps des saints seront dans les sépulcres », tandis que leurs âmes sont soit au purgatoire, soit au ciel. Cependant ce dernier rite – qu’une partie de l’hostie soit réservée jusqu’à la fin de la messe – n’est plus observé car il présentait des risques. Mais ce symbolisme des parties reste valable. On l’a exprimé en vers : « L’hostie est divisée en parties : celle qui est trempée désigne ceux qui sont pleinement bienheureux ; celle qui est sèche, les vivants ; celle qui est réservée, les ensevelis. » Cependant certains disent que la partie mise dans le calice symbolise ceux qui vivent en ce monde ; la partie gardée hors du calice, ceux qui sont pleinement bienheureux dans leur âme et leur corps ; et la partie mangée symbolise les autres.

saint Thomas d’Aquin
De la prière
Auprès d’un homme, la prière s’impose d’abord pour lui faire connaître le désir de celui qui prie et son indigence ; elle a ensuite pour but de fléchir, jusqu’à le faire céder, le cœur de qui l’on prie. Or, ces deux choses n’ont plus leur raison d’être quand la prière s’adresse à Dieu. Nous ne voulons pas, en effet, quand nous le prions, lui faire connaître notre indigence ou nos désirs : il connaît tout. Le Psalmiste dit en effet : Seigneur, devant toi se trouve placé tout mon désir. Et dans l’Évangile de saint Matthieu, nous lisons : Votre Père sait ce dont vous avez besoin. Il ne s’agit pas non plus, par des paroles humaines, d’infléchir la divine volonté jusqu’à lui faire vouloir ce qu’elle rejetait auparavant. Car il est dit au livre des Nombres : Dieu n’est point un homme pour mentir, ni un fils de l’homme, pour changer. – Il n’est pas sujet au repentir, ajoute le premier livre des Rois.
Si la prière est nécessaire à l’homme pour obtenir les bienfaits de Dieu, c’est qu’elle exerce une influence sur celui-là même qui l’utilise. Il doit en effet s’attarder à la considération de ses propres pauvretés et incliner son âme à désirer avec ferveur et dans un esprit filial ce qu’il espère obtenir par la prière. Il se rend par là même capable de le recevoir.
Une autre différence se remarque entre la prière adressée à Dieu et celle adressée à un homme. Avant de se disposer à cette deuxième, il faut déjà la familiarité qui donne accès auprès de celui que l’on prie. Tandis que prier Dieu, c’est aussitôt nous introduire dans son intimité ; car alors notre esprit s’élève jusqu’à lui, l’adore en esprit et en vérité.
Et ainsi, en cette familière amitié que produit la prière, s’ouvre la voie pour une prière plus confiante encore. D’où l’on dit dans le Psaume : J’ai crié, – c’est-à-dire, j’ai prié avec foi, – parce que vous m’avez exaucé. On dirait que, reçu dans l’intimité divine par l’effet d’une première prière, il priait ensuite avec une confiance accrue.
Et c’est pourquoi, dans la prière adressée à Dieu, l’assiduité ou l’insistance dans la demande n’est pas importune ; au contraire, Dieu l’agrée. Car il faut toujours prier et ne pas se lasser, lisons-nous dans saint Luc. De là aussi, le Seigneur nous invite à la prière : Demandez et il vous sera donné ; frappez et l’on vous ouvrira.
Saint Thomas d’Aquin 

LA VIE DE SAINT ANTOINE – SAINT ATHANASE[1] -

16 janvier, 2014

http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/peres/antoine/viedesaintantoine.htm#_Toc104092621

LA VIE DE SAINT ANTOINE

SAINT ATHANASE[1]

(est très longue , tous les chapitres sont  XXXIII, je mets les 3 premiers)

C’est un combat très avantageux que celui où vous vous êtes engagés, d’égaler par votre vertu celle des Solitaires d’Egypte, et d’esssayer, même, de les surpasser par une généreuse émulation. Il y a déjà parmi vous plusieurs maisons de Solitaires où la discipline religieuse est très bien observée. Chacun louera avec raison votre dessein, et Dieu accordera sans doute à vos prières l’heureux accomplissement de vos désirs. Aussi, voyant que vous me demandez avec instance de vous faire une relation de la manière de vivre du bienheureux Antoine, et que vous désirez apprendre comment il commença à suivre une profession si sainte, ce qu’il était auparavant , quelle a été la fin de sa vie et si les choses que l’on publie à son sujet sont véritables, afin de pouvoir entrer encore dans une plus grande perfection par son imitation et par son exemple, j’ai entrepris avec beaucoup de joie ce que votre charité m’ordonne, parce que de mon côté, je ne saurais me remettre devant les yeux les saintes actions d’Antoine sans en tirer un grand avantage ; et je fuis assuré que du vôtre vous entendrez avec tant d’admiration ce que je vous en dirai, que cela fera naître en vous un ardent désir de marcher sur les pas de ce grand serviteur de Dieu, puisque pour des Solitaires, c’est connaître le vrai chemin de la perfection que de savoir quelle a été la vie d’Antoine.  Ne craignez donc point d’ajouter foi à ce que l’on vous a rapporté de lui, et croyez plutôt que ce ne sont que les moindres de ses excellentes vertus. Car comment aurait-on pu vous en informer entièrement, vu que tout ce que je vous en écrirai par cette lettre, après avoir rappelé ma mémoire pour satisfaire à votre désir, n’égale nullement ses actions. Mais vous-mêmes informez-vous-en soigneusement auprès de ceux qui passeront d’ici vers vous, mais même si chacun rapporte tout ce qu’il sait, il fera très difficile d’en faire une relation qui réponde à la dignité du sujet.  J’avais eu dessein après avoir reçu vos lettres, d’envoyer quérir quelques Solitaires, et principalement ceux qui allaient souvent le visiter, afin qu’en étant mieux informé, je puisse vous en donner une plus particulière connaissance : mais parce que le temps de la navigation était passé et que celui qui m’a rendu vos lettres, était pressé de s’en retourner, je me suis hâté de satisfaire à votre piété, en vous écrivant ce que j’en sais par moi-même, comme l’ayant souvent vu, et ce que j’en ai pu apprendre d’un Solitaire, qui a demeuré longtemps avec lui, et qui lui donnait souvent à laver les mains. J’ai eu soin partout de demeurer dans les termes de la vérité, ce dont j’estime devoir vous avertir, afin que si quelqu’un entend rapporter de lui des actions encore plus grandes que celles que je vous dirai, cette multitude de merveilles ne lui en diminue pas la créance ; et que si au contraire, il n’en apprend que des choses qui soient au dessus de son mérite, cela ne le porte pas à mépriser un si grand Saint.   CHAPITRE I.  La patrie d’Antoine fut l’Egypte, où il naquit de parents nobles et riches qui, étant chrétiens, l’élevèrent chrétiennement. Ils le nourrirent en leur maison, et il ne connaissait qu’eux et leur famille. Lors qu’il eut grandi, il ne voulut point apprendre les lettres, de peur que cela ne l’engageât à avoir communication avec les autres enfants. Car ainsi qu’il est écrit de Jacob : Tout son désir était de demeurer avec simplicité dans la maison. Quand on le menait à l’église, il ne s’amusait point à badiner comme les autres enfants ; et lorsqu’il fut plus grand, il ne se laissa nullement emporter à la négligence et à la paresse. Il était très attentif à la lecture, et conservait dans son cœur le fruit que l’on en pouvait tirer. Il rendait une grande obéissance à son père et à sa mère, et bien qu’il soient fort à l’aise, il ne les importunait jamais pour faire bonne chère, et ne cherchait point les plaisirs d’une nourriture délicate ; mais se contentait de ce qu’on lui donnait, et ne désirait rien de plus.  Lorsque son père et sa mère moururent, ils le laissèrent à l’âge de dix-huit à vingt ans avec une sœur encore fort jeune. Il prit soin d’elle et de la maison comme il le devait. Mais six mois s’étaient à peine écoulés, qu’un jour où il allait à l’église, selon sa coutume, avec grande dévotion, il pensait en lui-même pendant le chemin, comment les Apôtres avaient suivi Jésus-Christ en abandonnant toutes choses, et comment plusieurs autres, ainsi qu’on le voit dans les Actes, vendaient leurs biens et en mettaient le prix aux pieds des Apôtres, pour qu’il soit distribué à ceux qui en avaient besoin, et combien grande était la récompense qui les attendait dans le ciel. Alors qu’il avait, dis-je, l’esprit plein de ces pensées, il entra dans l’église au moment où on lisait l’Evangile où notre Seigneur a dit à ce jeune homme qui était riche : « Si tu veux être parfait, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres, et viens, et suis-moi, et tu aurais un trésor au Ciel » (Mt 19, 21). Antoine regarda la pensée qu’il avait eue de l’exemple des premiers Chrétiens, comme lui ayant été envoyée de Dieu, et ce qu’il avait entendu de l’Evangile, comme si ces paroles n’avaient été lues que pour lui. Il retourna soudain à son logis, et distribua à ses voisins, afin qu’ils n’aient rien à démêler avec lui ni avec sa sœur, tous les héritages qu’il avait de son patrimoine, qui étaient trois cents mesures de terre très fertile et très agréable. Et quant à ses meubles il les vendit tous, et en ayant tiré une somme considérable, il donna cet argent aux pauvres, à l’exception de quelque chose qu’il retint pour sa sœur.   CHAPITRE II Etant une autre fois entré dans l’église, et entendant lire l’Evangile où Jésus-Christ dit : « Ne vous inquiétez pas du lendemain » (Mt 6, 34), il ne put se résoudre à demeurer davantage dans le monde. Et ainsi, il donna aux plus pauvres ce qui lui restait et mit sa sœur entre les mains de quelques filles fort vertueuses qui étaient de sa connaissance, afin de l’élever dans la crainte de Dieu, et dans l’amour de la virginité. Il quitta sa maison pour embrasser une vie solitaire, veillant sur lui-même, et vivant dans une très grande tempérance : il n’y avait pas alors en Egypte beaucoup de maisons de solitaires, et nul d’entre eux ne s’était encore avisé de se retirer dans le désert, mais chacun de ceux qui voulaient penser sérieusement à son salut, demeurait seul en quelque lieu près de son village. Dans un petit champ proche d’Antoine, il y avait un bon vieillard, qui dès sa première jeunesse avait passé toute sa vie en solitude. L’ayant vu et étant touché d’un louable désir de l’imiter, il commença à demeurer aussi dans un lieu séparé du village, et s’il apprenait qu’il y avait quelqu’un qui travaillait avec soin pour s’avancer en cette sorte de vie, il imitait la prudence des abeilles en allant le voir ; et il ne s’en retournait pas sans l’avoir vu, afin de remporter de sa conversation quelques instructions qui lui serviraient à se former à la douceur des vertus chrétiennes.  Ayant commencé ainsi, il fortifiait son esprit dans le dessein de servir Dieu ; il ne se souvenait plus ni de ses parents, ni de ses alliés, et ne pensait à autre chose qu’à s’employer de tout son pouvoir à acquérir la perfection de la vie solitaire ; il travaillait de ses mains, sachant qu’il est écrit : « Que celui qui ne travaille pas, ne doit pas manger » (2 Th 3, 10) ; et ne gardant que ce qu’il lui fallait pour vivre, il donnait le reste aux pauvres. Il priait très souvent, parce qu’il avait appris qu’il fallait sans cesse prier dans son cœur (1 Th 5) ; et il lisait avec tant d’attention, que n’oubliant jamais rien de ce qu’il avait lu, sa mémoire lui servait de livres.  Cette manière de vivre le faisait aimer de tous. Il se soumettait avec joie aux serviteurs de Dieu qu’il allait visiter, et pour s’instruire de ce en quoi chacun d’eux excellait dans les exercices de la vie solitaire, il considérait l’humeur agréable de l’un et l’assiduité à prier de l’autre ; il observait quelle était la douceur d’esprit de celui-ci, et la bonté de celui-là ; il remarquait les veilles de l’un, et l’amour de l’étude d’un autre. Il admirait la patience des uns, et les jeûnes et les austérités de quelques autres qui n’avaient pour lit que la terre toute nue. Il se rendait attentif à voir la douceur de l’un et la constance de l’autre. Il gravait dans son cœur quel était leur amour à tous pour Jésus-Christ, et la charité qu’ils se portaient. Et ainsi rempli de toutes ces images, il s’en retournait dans sa solitude où, repassant en son esprit les vertus qu’il avait vues séparées en tant de personnes, il s’efforçait de les rassembler toutes en lui seul. Il n’était pas jaloux de ceux de son âge, si ce n’est à ne pas paraître le dernier dans les exercices de la vertu, mais même en cela même il fâchât personne ; au contraire ils en avaient de la joie, et ainsi tous ces saints amis qu’il avait dans son voisinage, et avec lesquels il communiquait, le voyant vivre de la sorte, l’appelaient le bien-aimé de Dieu, et le nommaient en le saluant, les uns leur fils, et les autres leur frère.   CHAPITRE III Mais le démon, qui hait tout ce qui est digne de louange et qui voit toutes les bonnes actions des hommes, ne pouvant souffrir de voir une personne de cet âge se porter avec tant d’ardeur dans un tel dessein, résolut d’user contre lui de tous les efforts qui seraient en son pouvoir. La première tentation, dont il se servit pour le détourner de la vie solitaire, fut de lui mettre devant les yeux les biens qu’il avait quittés, le soin qu’il devait prendre de sa sœur, la noblesse de sa race, l’amour des richesses, le désir de la gloire, les diverses voluptés qui se rencontrent dans les délices, et tous les autres plaisirs de la vie. Il lui représentait d’un autre côté les extrêmes difficultés et les travaux qui se rencontrent dans l’exercice de la vertu, la faiblesse de son corps, le long temps qui lui restait encore à vivre ; et enfin, pour tâcher de le détourner de la sainte résolution qu’il avait prise, il éleva dans son esprit comme une poussière et un nuage épais de diverses pensées. Mais se trouvant trop faible pour ébranler un aussi ferme dessein que celui d’Antoine, et voyant qu’au lieu d’en venir à bout il était vaincu par sa constance, renversé par la grandeur de sa foi, et mis à terre par ses prières continuelles, alors, se confiant avec orgueil, selon les paroles de l’Ecriture (Job 11) aux armes de ses reins, qui sont les premières embûches qu’il emploie contre les jeunes gens, il s’en servit pour l’attaquer, le troublant la nuit, et le tourmentant le jour, de telle sorte que ceux qui se trouvaient présents voyaient le combat qui se passait entre eux.  Le démon présentait à son esprit des pensées d’impureté ; mais Antoine les repoussait par ses prières. Le démon chatouillait ses sens ; mais Antoine, rougissant de honte, comme s’il y eut eu en cela de sa faute, fortifiait son corps par la foi, par l’oraison, et par les veilles. Le démon, se voyant ainsi surmonté, prit de nuit la figure d’une femme et en imita toutes les actions afin de le tromper. Mais Antoine, élevant ses pensées vers Jésus-Christ et considérant quelle est la noblesse et l’excellence de l’âme qu’il nous a donnée, éteignit ces charbons ardents dont il voulait par cette tromperie embraser son cœur. Le démon lui remit encore davantage devant les yeux les douceurs de la volupté ; mais Antoine, comme entrant en colère et en s’affligeant, se représenta les gênes éternelles dont les impudiques sont menacés, et les douleurs de ce remord qui, comme un ver insupportable, ronge pour jamais leur conscience.  Ainsi en opposant ces saintes considérations à tous ces efforts, ils n’eurent aucun pouvoir pour lui nuire. Et quelle plus grande honte pouvait recevoir le démon, lui qui ose s’égaler à Dieu, que de voir une personne de cet âge se moquer de lui, et de se trouver terrassé par un homme revêtu d’une chair fragile, lui qui se glorifie, comme il le fait, d’être par sa nature toute spirituelle élevé au-dessus de la chair et du sang ! Mais le Seigneur qui, par l’amour qu’il nous porte, a voulu prendre une chair mortelle, assistait son serviteur et le rendait victorieux du démon afin que chacun de ceux qui combattent contre lui puisse dire avec l’Apôtre : « Non pas moi, mais la grâce de Dieu qui est en moi » (1 Co 15).  Enfin, comme ce dragon infernal vit qu’il ne pouvait de cette manière surmonter Antoine qui l’avait si généreusement repoussé de son cœur, alors en grinçant des dents, ainsi qu’il est dit dans l’Ecriture (Mc 9), et tout transporté de fureur, il se présenta à lui sous la figure d’un enfant aussi noir qu’est son esprit, et, les tromperies lui ayant si mal réussi, il se confessa vaincu. Il ne l’aborda plus avec de simples raisonnements, mais prenant une voix humaine, il lui dit : J’en ai trompé plusieurs, et j’en ai surmonté encore davantage ; mais maintenant en voulant t’attaquer, ainsi que je l’ai fait bien d’autres fois, pour te faire sortir du chemin si laborieux où tu es entré, j’ai éprouvé ma faiblesse. Antoine lui demanda : Qui es-tu, qui me parle de la sorte ? Il répondit d’une voix lamentable : Je me nomme l’esprit de fornication, et c’est moi qui chatouille les sens des jeunes gens pour les porter à la volupté. Et combien en ai-je trompé qui avaient résolu de vivre chastement ? Je suis celui au sujet duquel le Prophète accuse ceux qui sont tombés dans le vice en leur disant : « Vous avez été trompé par l’esprit de fornication » ( ). Car c’était moi qui les avais surmontés. Je suis celui qui t’ai troublé tant de fois, et que tu as toujours repoussé.  Antoine, rendant grâces à Dieu, et prenant encore de nouvelles force par ce discours, lui dit : Tu es donc bien méprisable, puisque tu as l’esprit si noir, et la faiblesse d’un enfant. Ainsi je n’ai plus garde de t’appréhender, ni de te craindre. « Car le Seigneur est ma force et je mépriserai tous les ennemis » (Ps 117). Cet esprit de ténèbres, étonné par ces paroles, s’enfuit à l’instant et craignait de l’approcher.  reconnaissant comme leur Père, étaient sou

17 JANVIER: SAINT ANTOINE – Historique Vie de Saint Antoine par St Athanase

16 janvier, 2014

http://missel.free.fr/Sanctoral/01/17.php

17 JANVIER: SAINT ANTOINE

 Historique  Vie de Saint Antoine par St Athanase

Antoine, né vers 251 en Haute Egypte, avait dix-huit ans lorsque moururent ses parents, chrétiens à la fortune considérable, qui lui laissaient le soin d’élever sa petite sœur. Observant et pratiquant, il fut un jour vivement frappé par cette invitation de Jésus : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel : viens et suis-moi ! » (Mat, XIX 21). Il obéit, mais fit toutefois une réserve des ressources nécessaires à sa sœur. Bientôt il fut impressionné par une autre parole du Sauveur : « Ne vous mettez pas en peine du lendemain. » (Mat, VI 34). Il se débarrassa de sa réserve, confia sa sœur à une communauté de vierges, et se retira dans une solitude voisine de Qéman, entre Memphis et Arsinoé ; conduit par un vieil ascète, Antoine partagea son temps entre la prière et le travail. Cette demi-retraite ne lui suffit pas longtemps ; quand sa réputation lui amena trop des visiteurs, il se réfugia dans un des anciens tombeaux égyptiens de la montagne où, de temps à autre, un ami lui apportait des provisions. Là commencèrent ses tribulations : le démon lui livrait de furieuses attaques. Un matin l’ami charitable le trouva étendu inanimé sur le sol ; il le rapporta au village où, le croyant mort, on prépara ses funérailles. Antoine reprit ses sens et demanda à être ramené immédiatement dans sa grotte. Les assauts du démon continuèrent. Antoine chercha une retraite encore plus profonde, au delà du Nil. Vingt ans, il vécut enfermé dans un château ruiné, toujours aux prises avec Satan. « Le diable, qui hait tout ce qui est digne de louange et qui envie toutes les bonnes actions des hommes… résolut d’user contre lui de tous les efforts qui seraient en sa puissance. La première tentation dont il se servit pour le détourner de la vie solitaire, fut de lui mettre devant les yeux les biens qu’il avait quittés, le soin qu’il était obligé d’avoir de sa sœur, la noblesse de sa race, l’amour des richesses, le désir de la gloire, les diverses voluptés qui se rencontrent dans les délices, et tous les autres plaisirs de la vie. Il lui représentait d’un côté les extrêmes difficultés et les travaux qui se rencontrent dans l’exercice de la vertu, la faiblesse de son corps, le long temps qui lui restait encore à vivre ; et, enfin, pour tâcher de le détourner de la sainte résolution qu’il avait prise, il éleva dans son esprit comme une poussière et un nuage épais de diverses pensées. Mais se trouvant trop faible pour ébranler un aussi ferme dessein que celui d’Antoine, et voyant qu’au lieu d’en venir à bout, il était vaincu par sa constance, renversé par la grandeur de sa foi et porté par terre par ses prières continuelles, alors, se confiant avec orgueil, selon les paroles de l’Évangile, aux armes de ses reins, qui sont les premières embûches qu’il emploie contre les jeunes gens, il s’en servit pour l’attaquer, le troublant la nuit et le tourmentant de jour, de telle sorte que ceux qui se trouvaient présents voyaient le combat qui se passait entre eux. Le démon présentait à son esprit des pensées d’impureté, mais Antoine les repoussait par ses prières. Le démon chatouillait ses sens, mais Antoine rougissait de honte, comme s’il y eût en cela de sa faute, fortifiait son corps par la foi, par l’oraison et par les veilles. Le démon se voyant ainsi surmonté, prit de nuit la figure d’une femme et en imita toutes les actions afin de le tromper ; mais Antoine élevant ses pensées vers Jésus-Christ et considérant quelle est la noblesse et l’excellence de l’âme qu’il nous a donnée, éteignit ces charbons ardents dont il voulait, par cette tromperie, embraser son cœur. Le démon lui remit encore devant les yeux les douceurs de la volupté, mais Antoine, comme entrant en colère et s’en affligeant, se représenta les gênes mortelles dont les impudiques sont menacés et les douleurs de ce remords qui, comme un ver insupportable, rongera pour jamais leur conscience. Ainsi, en opposant ces saintes considérations à tous ces efforts, ils n’eurent aucun pouvoir de lui nuire. Et quelle plus grande honte pouvait recevoir le démon, lui qui ose s’égaler à Dieu, que de voir une personne de cet âge se moquer de lui et que, se glorifiant comme il fait, d’être par sa nature toute spirituelle élevé au-dessus de la chair et du sang, de se trouver terrassé par un homme revêtu d’une chair fragile ? Mais le Seigneur qui, par l’amour qu’il nous porte, a voulu prendre une chair mortelle, assistait son serviteur et le rendait victorieux du diable. » (Saint Athanase, Vie de Saint Antoine) Sollicité par les visiteurs qui venaient lui demander ou des miracles ou une règle de vie, il établit en 305 des ermitages où ses disciples, attentifs à ses discours et s’inspirant de ses exemples, pratiquaient un héroïque détachement. En 311, Antoine entendit dire que la persécution de Maximin ensanglantait l’Egypte ; il descendit à Alexandrie pour encourager les martyrs et partager leurs souffrances. Il s’attendait à être mis à mort, mais il ne fut pas inquiété. L’année suivante, il reprit le chemin de sa solitude ; animé d’une sainte émulation, il s’y imposa des jeûnes et des veilles plus austères. Il s’enfonça dans le désert de la Haute Egypte pour fixer sa résidence au mont Qualzoum, appelé plus tard Mont Saint Antoine, où il s’installa près d’une source, au milieu d’une palmeraie. Il cultivait lui-même un petit jardin pour aider à sa subsistance. Les disciples restés près du Nil construisirent le monastère de Pispir où Antoine les venait visiter à intervalles réguliers. Dans ses dernières années, il permit à deux de ses disciples, Macaire et Amathas, de rester près de lui. De 312 jusqu’à sa mort, Antoine demeura dans son ermitage où il y recevait des visiteurs animés de dispositions fort diverses : les uns lui demandant des miracles ou des enseignements, les autres cherchaient à l’embarrasser, comme ces philosophes grecs ou ces ariens qu’il réduisit au silence. Athanase, son futur biographe, y vint à plusieurs reprises ; l’empereur Constantin lui écrivit pour se recommander à ses prières. Vers 340, se place la rencontre d’Antoine et de l’ermite Paul dans les circonstances qu’a décrites saint Jérôme, dans la vie du second. Antoine ambitionnait d’imiter plus parfait que lui ; il apprit en songe qu’un anachorète, riche en mérites, vivait depuis longtemps dans une partie du désert qu’il croyait inhabitée. Sans tarder, il se mit à la recherche du saint homme, parvint non sans peine jusqu’à sa cellule, mais la trouva fermée. Paul qui l’avait pressenti, ne veut voir aucun être humain. Enfin, Paul céda aux instances réitérées d’Antoine, et les deux ermites tombèrent dans les bras l’un de l’autre, se saluant mutuellement par leur nom, s’entretenant des choses de Dieu, pendant qu’un corbeau apportait leur nourriture, un pain entier ce jour-là. On sait comment Paul mourut en l’absence de son visiteur, et reçut d’Antoine la sépulture dans une fosse que creusèrent deux lions du désert. Sur la fin de sa vie, Antoine descendit une seconde fois à Alexandrie où il convertit nombre d’hérétiques et d’infidèles. Peu après son retour, il annonça à ses deux disciples sa mort prochaine, leur fit promettre de ne révéler à personne le secret de sa tombe, légua à saint Athanase son manteau de peau et celui sur lequel il dormait. Il expira doucement en 356, un 17 janvier selon la tradition. Bien qu’il n’ait pas laissé de règle écrite, Antoine fut vraiment l’initiateur du monachisme. Antoine voulut que sa tombe fût secrète pour que l’on n’honorât pas ses reliques, mais son corps fut retrouvé et transféré à Alexandrie, puis à Constantinople (vers 633) où une église fut bâtie sous son vocable. Des documents du XIII° siècle, conservés à l’abbaye de Saint-Antoine de Viennois, attestaient que le corps fut apporté en Occident par un seigneur du Dauphiné, Jocelin, fils du comte Guillaume, qui l’aurait reçu de l’empereur de Constantinople, lors d’un pèlerinage en Terre Sainte. Aymar Falcon qui s’est servi de ces documents (XVI° siècle), place ce pèlerinage vers 1070, et la translation des reliques de saint Antoine à la Motte-Saint-Didier sous Urbain II. La localité prit le nom de Saint-Antoine-de-Viennois. Le culte de saint Antoine en Occident qui est devenu très populaire depuis cette époque, a pris son extension à l’occasion d’un mal étrange, une sorte de fièvre désignée sous les noms de feu sacré, de feu morbide, de feu infernal ou de feu de saint Antoine, le saint guérissant de ce mal ceux qui avaient recours à son intercession. Le noble Gaston, ayant avec son fils bénéficié de cette faveur, fonda à Saint-Antoine-de-Viennois un hôpital et une confrérie dont les membres devaient consacrer leur vie à soigner les malheureux atteints de ce mal. La confrérie, approuvée au concile de Clermont par Urbain II, fut confirmée comme ordre hospitalier par Honorius III (1228). Telle fut l’origine des Antonins qui furent chargés de la garde du sanctuaire et des reliques, enlevés aux bénédictins de Montmajour.

Vie de Saint Antoine Je vois que le Seigneur m’appelle à lui, et ainsi, je vais, comme il est écrit, entrer dans le chemin de mes pères. Continuez en votre abstinence ordinaire. Ne perdez pas malheureusement le fruit des saints exercices auxquels vous avez employé tant d’années, mais, comme si vous ne faisiez que commencer, efforcez-vous de demeurer dans votre ferveur ordinaire. Vous savez quelles sont les embûches des démons. Vous connaissez leur cruauté et n’ignorez pas aussi leur faiblesse. Ne les craignez donc point, mais croyez en Jésus-Christ et ne respirez jamais autre chose que le désir de le servir. Vivez comme chaque jour croyant devoir mourir. Veillez sur vous-mêmes et souvenez-vous de toutes les instructions que je vous ai données… Travaillez de tout votre pouvoir pour vous unir premièrement à Jésus et puis aux saints, afin qu’après votre mort ils vous reçoivent, comme étant de leurs amis et de leur connaissance, dans les tabernacles éternels. Gravez ces choses dans votre esprit. Gravez-les dans votre cœur… Ensevelissez-moi donc et me couvrez de terre ; et, afin que vous ne puissiez manquer à suivre mon intention, faites que nuls autres que vous ne sachent le lieu où sera le corps que je recevrai incorruptible de la main de mon Sauveur lors de la résurrection. Quant à mes habits, distribuez-les ainsi : donnez à l’évêque Athanase une de mes tuniques et le manteau que j’ai reçu de lui tout neuf et que je lui rends tout usé. Donnez mon autre tunique à l’évêque Sérapion, et gardez pour vous mon cilice. Adieu, mes chers enfants. Antoine s’en va et n’est plus avec vous. Saint Athanase

 » MONTRE-MOI TON DIEU  » – SAINT THEOPHILE, ÉVÊQUE D’ANTIOCHE (VERS 183-185)

8 janvier, 2014

http://eocf.free.fr/text_theophile_antioche.htm

 » MONTRE-MOI TON DIEU « 

SAINT THEOPHILE, ÉVÊQUE D’ANTIOCHE (VERS 183-185)

Extrait du Livre I, 1 à 7 (passim), Trois Livres à Autolycus, Sources Chrétiennes n° 20

OEcuménisme-Informations / 297: Juillet, Août, Septembre 1999     » Observez les lys de champs, comme ils croissent : ils ne peinent ni ne filent. Or je vous dis que Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n’ a pas été vêtu comme l’un deux ». Evangile de Matthieu, 6,28-29

 » Quelles merveilles sont tes oeuvres !  » Psaume 139

Si tu me dis:  » Montre-moi ton Dieu  » , je pourrai te répondre:  » Montre-moi ton homme, et moi je te montrerai mon Dieu « . Présente donc, en train de voir, les yeux de ton âme, et les oreilles de ton coeur en train d’écouter ! Dieu, en effet, est aperçu par ceux qui peuvent le voir, après que les yeux de leur âme se sont ouverts. Alors tu vas me dire:  » Toi qui vois, décris-moi l’aspect de Dieu « . Ecoute donc: l’aspect de Dieu est ineffable, inexprimable, et ne peut être vu avec les yeux charnels. Sa gloire le rend sans limite, sa grandeur sans bornes, sa hauteur au-dessus de toute idée, sa force incommensurable, sa sagesse sans équivalent, sa bonté illimitable, sa bienfaisance indicible. Il n’ a pas de commencement parce qu’il n’ est pas engendré; il est immuable, autant qu’immortel. On l’appelle Dieu parce qu’il a tout fondé sur sa propre stabilité. Il est Seigneur, parce qu’il est maître de tout; Père parce qu’il existe avant tout ; Fondateur, Créateur, parce qu’il a tout produit et créé; Très-Haut parce qu’il est supérieur à tout. Les hauteurs des cieux, les profondeurs des abîmes, les extrémités de la terre sont dans sa main, il n’ est pas de lieu où soit suspendue son action. Le ciel est son travail, la terre est son ouvrage, la mer est sa création, l’homme est son oeuvre et sa propre image. Le soleil, la lune et les étoiles sont les éléments de son ordre: ils doivent fournir des signes, des mesures temporelles, des jours et des années et d’être d’utiles serviteurs pour les hommes. L’univers a été créé par Dieu, tiré du néant à l’existence, afin que par ses oeuvres on connût et on imaginât sa grandeur .Dieu ne peut être perçu par les yeux humains, mais sa providence et ses oeuvres le font voir et imaginer . Souviens-toi donc de ses oeuvres : les saisons qui périodiquement changent et les variations du ciel; la course si bien réglée des astres alignés; le défilé bien ordonné des jours et des nuits, des mois et des années; la beauté si variée des semences, des plantes et des fruits; la grande diversité des races d’animaux quadrupèdes, d’oiseaux, de reptiles et de poissons d’eau douce et d’eau salée; l’instinct qui est inné aux animaux de se reproduire et de nourrir leurs petits, non pour leur propre utilité mais pour que l’homme en jouisse; et la prévoyance dont Dieu fait preuve en préparant à toute chair sa nourriture, ainsi que la soumission qu’il a prescrit à tout l’univers d’observer vis-à-vis de l’homme; le flux continuel des sources d’eau douce et des fleuves; l’appoint opportun des rosées, des averses et des pluies ; le mouvement infiniment divers des corps célestes, l’étoile du matin qui se lève et qui annonce la venue du grand astre; la conjonction de la Pléiade et d’Orion; Acturus et le reste des astres qui circulent dans la voûte des cieux et que la multiforme sagesse de Dieu a tous appelés par un nom particulier ! C’est ce Dieu seul qui a tiré des ténèbres la lumière, qui a constitué le dépôt du vent, établi les réserves de l’abîme et fixé les limites des mers; il a mis de côté la neige et la grêle, il rassemble les eaux dans les réserves abyssales, il serre l’obscurité dans ses réserves, il sort la lumière – l’agréable, l’exquise lumière – de ses réserves; il fait monter les nuages des extrémités de la terre.

Voilà mon Dieu, le Seigneur de l’univers.  

2 JANVIER: BASILE LE GRAND

2 janvier, 2014

http://nouvl.evangelisation.free.fr/leblanc_basile_le_grand.htm

2 JANVIER: BASILE LE GRAND

Moine, Évêque de Césarée, Saint Docteur de l’Église, (329-379) 

Saint Basile de Césarée est souvent présenté avec saint Grégoire de Nazianze, son ami. Aujourd’hui, nous nous attacherons surtout à saint Basile; nous découvrirons saint Grégoire de Nazianze le 25 janvier. Basile de Césarée, appelé également Basile le Grand, est né vers 329, à Césarée dans la région Cappadoce, en Turquie. Il appartenait à une chrétienne d’avocats et de rhéteurs, famille riche et influente qui eut 10 enfants. Famille de saints également: sa grand-mère, Macrine l’Ancienne, avait suivi les enseignements de saint Grégoire le Thaumaturge qu’elle transmit à sa famille. La mère de Basile, Emmélie, devenue veuve, et sa sœur, Macrine la Jeune, se fi-rent « religieuses ». Deux des frères de Basile, Grégoire de Nysse et Pierre de Sé-baste, devinrent évêques comme lui. Basile étudia d’abord auprès de son père. Puis, il fut confié à des écoles de grammairiens de Césarée. D’une intelligence hors pair, il poursuivit ses études à Constantinople et à Athènes en 351. Il apprit la rhétorique, la grammaire, la littérature grecque classique dont les écrits d’Homère, d’Euripide et de Sopho-cle. Il eut pour condisciple le futur empereur Julien, qui sera appelé plus tard Julien l’apostat. C’est là, à Athènes, qu’il se lia d’amitié avec un de ses camara-des: Grégoire de Nazianze. Cette amitié fut renforcée par la foi très forte que vi-vaient les deux amis à Athènes, ville où ils côtoyaient de nombreux païens. Les deux hommes avaient le même attrait pour la vie contemplative et monastique. Remarque: Julien doit son surnom d’ »apostat » à sa volonté de rétablir le pa-ganisme dans l’empire romain, alors qu’il avait été élevé dans la religion chré-tienne, plus précisément dans l’arianisme, sous la direction des évêques Eusène de Nicomédie, puis Georges de Capadoce. Nous sommes en 356. De retour à Césarée, Basile commença une carrière de rhéteur, mais il y renonça après un long voyage à travers l’Égypte, la Palestine, la Syrie et la Mésopotamie, où il rencontra plusieurs ascètes. À la mort de son père, en 358, il vendit ses biens. Sur les instances de sa sœur Macrine qui, nous le savons déjà, vivait une vie d’ascète, avec sa mère, alors veuve, Basile demanda le baptême qu’il reçut des mains de l’évêque de Césarée, Dianée; puis il décida de mener une vie monacale. Il se retira alors dans la solitude de la région du Pont, en Turquie, au bord de la rivière Iris, près du lieu où vivait la commu-nauté de femmes réunies autour de sa mère et de sa sœur. Sur la rive opposée, il créa un ermitage avec plusieurs de ses compagnons. C’est là que Basile reçut des visites de Grégoire de Nazianze et qu’il commença à développer une règle de vie monacale. Cette règle est la base des Règles de l’ordre de saint Basile, les-quelles deviendront la principale règle monastique de l’Église d’Orient. Saint Benoît s’inspirera beaucoup de ce document pour rédiger sa règle, fondement du monachisme en occident. La vie de saint basile sera de nouveau très mouvementée. En 362 il dut quitter son monastère afin d’assister l’évêque de Césarée de Cappadoce, Dianus, qui mourut peu de temps après. Le successeur de Dianus, Eusèbe ordonna basile prêtre, vers 364, et le prit comme auxiliaire pour l’aider à la gestion de l’évêché et prêcher à Césarée. Cependant Basile était resté en contact avec son monas-tère à travers une abondante correspondance. Après avoir fondé plu-sieurs mo-nastères, à la mort d’Eusèbe, Basile fut élu en 370, évêque de Césarée, métropo-lite de Cappadoce et exarque du diocèse civil du Pont. Par son action, Basile  acquit vite l’affection de son peuple: il créa des hôpitaux et des hospices et surtout une véritable cité hospitalière, la Basiliade. Il tenta de rétablir une unité des croyants, pour renouer pleinement avec l’Occident et l’Église d’Antioche. Effet, Basile eut à défendre la foi de Nicée contre l’arianisme. Nous devons ici vous donner quelques précisions. Une autre raison de la venue de Basile auprès de l’évêque de Césarée était de conseiller ce dernier face aux persécutions de l’empereur Julien. En effet, l’avènement de Julien comme em-pereur avait occasionné des troubles graves à Césarée. Par ailleurs, des divisions graves se manifestaient au sein du clergé, à cause de l’arianisme. En 364, Basile avait dû rédiger un traité intitulé Contre Eunomius, dans lequel il montrait la gravité des idées d’Eunome, évêque de Cyzique, en Turquie, qui niait la Trinité. Les autres écrits de saint Basile comprennent des traités dogmatiques, dont plusieurs sur le Saint-Esprit et la Trinité, des traités ascétiques, pédagogiques et liturgiques, et un grand nombre de sermons et de lettres. Sa renommée fut telle qu’on lui attribua aussi quantité d’autres traités, d’homélies et de lettres qu’il n’avait pas rédigés. Basile de Césarée, âgé de 50 ans, mourut le 1er janvier 379, à Césarée. Il fut reconnu Docteur de l’Église le 20 septembre 1568 par le pape Pie V. Saint Basile est vénéré en tant que saint par les orthodoxes comme par les catholiques. Il est fêté le 2 janvier en Occident, et, en orient, le premier janvier, son dies natali. Il est également fêté le 31 janvier, lors de la « fête des trois docteurs œcuméniques » avec Jean Chrysostome et Grégoire de Nazianze. Une fois élu évêque de Césarée, Basile fit tout son possible pour résister à l’aria-nisme, notamment en allant à l’encontre de l’empereur Valens qui tentait d’im-poser l’arianisme. Même menacé d’exil ou de supplice Basile refusa de professer la foi de l’arianisme. Saint Basile recherchait sans cesse l’unité de l’Église, par ses écrits hostiles aux divisions dans l’Église. Il écrivit, entre autres: « Le monde qui a été créé, nous fait bien connaître la puissance et la sagesse du Créateur, mais non son essence. La puissance du Créateur ne s’y révèle pas nécessairement tout entière. Il se peut même que le bras de l’Artiste divin n’y déploie pas toute sa force… En tout cas, le dilemme d’Eunomius ne saurait nous étreindre. Si nous ne connaissons pas l’essence de Dieu, nous ne connaissons rien de Lui. Si, pour être vraie, la connaissance devait être la pleine compréhension, que saurions-nous des choses finies elles-mêmes, qui par tant de côtés, nous échappent. Et il s’agit de l’infini! Connaître l’essence divine, c’est avant tout connaître l’incompréhensibilité de Dieu. » Nous allons insister maintenant sur la règle des Basiliens. Au cours de ses voyages en orient, Basile avait observé les différentes formes de vie consacrée. À partir de cette expérience il développa, en collaboration avec Grégoire de Na-zianze, une forme inédite de monachisme, qui deviendra l’Ordre de saint Basi-le. Mais en quoi consistait cette nouvelle vie monastique? Basile estimait que les grandes colonies de moines qui existaient en Égypte étaient trop actives et trop bruyantes. Quant aux nombreux ermitages, ils manquaient d’humilité et de charité. Basile leur écrivit: « Si vous vivez à l’écart des hommes comment pourrez-vous vous réjouir avec les heureux et pleurer avec ceux qui souffrent? Notre-Seigneur a lavé les pieds de ses apôtres: vous qui êtes seul, à qui les laverez-vous? Et comment vous exercerez-vous à l’humilité, vous qui n’avez personne devant qui vous humilier? » Basile désira donc que les monastères se réunissent dans un couvent de taille raisonnable, et que le supérieur de chaque couvent puisse être en rapport suivi avec chaque frère. » De plus, Basile de Césarée s’opposa à l’austérité systématique qu’il avait  obser-vée lors de son séjour en Orient. Même s’il pratiquait une vie de d’ascète, il refusait les trop grandes privations, celles-ci devant rester modérées. Dès lors, il recommandait aux futurs novices de ne pas se dépouiller de leurs biens en embrassant la vie religieuse, mais de les considérer comme consacrés à Dieu, afin de les employer pour des bonnes œuvres. La règle de Basile contribua à rapprocher les moines du clergé séculier. Dans les monastères orientaux, les moines avaient l’interdiction de devenir prêtres. Basile souhaita la présence de prêtres dans les monastères, contrairement à ce qui pratiquait alors couram-ment. Basile insista pour que les monastères soient proches des villes, certes coupés physiquement et moralement du monde, afin de pouvoir aider à l’instruction chrétienne des populations qui se convertissaient. Les règles rédigées par saint Basile furent reconnues par le pape Libère en 363. L’ordre de saint Basile se propage rapidement en Orient, au point de devenir l’un des ordres de référence de la vie cénobitique orthodoxe. La règle de saint Basile est la seule règle monastique qui a perduré jusqu’à nos jours dans les couvents d’Orient.

Paulette Leblanc 

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