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BENOÎT XVI: SAINT THOMAS D’AQUIN (28 Janvier)

28 janvier, 2015

http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/audiences/2010/documents/hf_ben-xvi_aud_20100602_fr.html

BENOÎT XVI

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint-Pierre

Mercredi 2 juin 2010

SAINT THOMAS D’AQUIN

Chers frères et sœurs,

Après quelques catéchèses sur le sacerdoce et mes derniers voyages, nous revenons aujourd’hui à notre thème principal, c’est-à-dire la méditation de certains grands penseurs du Moyen-Age. Nous avions vu dernièrement la grande figure de saint Bonaventure, franciscain, et je voudrais aujourd’hui parler de celui que l’Eglise appelle le Doctor communis: c’est-à-dire saint Thomas d’Aquin. Mon vénéré prédécesseur, le Pape Jean-Paul II, dans son encyclique Fides et ratio, a rappelé que saint Thomas « a toujours été proposé à juste titre par l’Eglise comme un maître de pensée et le modèle d’une façon correcte de faire de la théologie » (n. 43). Il n’est donc pas surprenant que, après saint Augustin, parmi les écrivains ecclésiastiques mentionnés dans le Catéchisme de l’Eglise catholique, saint Thomas soit cité plus que tout autre, pas moins de soixante et une fois! Il a également été appelé Doctor Angelicus, sans doute en raison de ses vertus, en particulier le caractère sublime de sa pensée et la pureté de sa vie.
Thomas naquit entre 1224 et 1225 dans le château que sa famille, noble et riche, possédait à Roccasecca, près d’Aquin, à côté de la célèbre abbaye du Mont Cassin, où il fut envoyé par ses parents pour recevoir les premiers éléments de son instruction. Quelques années plus tard, il se rendit dans la capitale du Royaume de Sicile, Naples, où Frédéric II avait fondé une prestigieuse Université. On y enseignait, sans les limitations imposées ailleurs, la pensée du philosophe grec Aristote, auquel le jeune Thomas fut introduit, et dont il comprit immédiatement la grande valeur. Mais surtout, c’est au cours de ces années passées à Naples, que naquit sa vocation dominicaine. Thomas fut en effet attiré par l’idéal de l’Ordre fondé quelques années auparavant par saint Dominique. Toutefois, lorsqu’il revêtit l’habit dominicain, sa famille s’opposa à ce choix, et il fut contraint de quitter le couvent et de passer un certain temps auprès de sa famille.
En 1245, désormais majeur, il put reprendre son chemin de réponse à l’appel de Dieu. Il fut envoyé à Paris pour étudier la théologie sous la direction d’un autre saint, Albert le Grand, dont j’ai récemment parlé. Albert et Thomas nouèrent une véritable et profonde amitié, et apprirent à s’estimer et à s’aimer, au point qu’Albert voulut que son disciple le suivît également à Cologne, où il avait été envoyé par les supérieurs de l’Ordre pour fonder une école de théologie. Thomas se familiarisa alors avec toutes les œuvres d’Aristote et de ses commentateurs arabes, qu’Albert illustrait et expliquait.
A cette époque, la culture du monde latin avait été profondément stimulée par la rencontre avec les œuvres d’Aristote, qui étaient demeurées longtemps inconnues. Il s’agissait d’écrits sur la nature de la connaissance, sur les sciences naturelles, sur la métaphysique, sur l’âme et sur l’éthique, riches d’informations et d’intuitions, qui apparaissaient de grande valeur et convaincants. Il s’agissait d’une vision complète du monde, développée sans et avant le Christ, à travers la raison pure, et elle semblait s’imposer à la raison comme « la » vision elle-même: cela était donc une incroyable attraction pour les jeunes de voir et de connaître cette philosophie. De nombreuses personnes accueillirent avec enthousiasme, et même avec un enthousiasme acritique, cet immense bagage de savoir antique, qui semblait pouvoir renouveler avantageusement la culture, ouvrir des horizons entièrement nouveaux. D’autres, toutefois, craignaient que la pensée païenne d’Aristote fût en opposition avec la foi chrétienne, et se refusaient de l’étudier. Deux cultures se rencontrèrent: la culture pré-chrétienne d’Aristote, avec sa rationalité radicale, et la culture chrétienne classique. Certains milieux étaient conduits au refus d’Aristote également en raison de la présentation qui était faite de ce philosophe par les commentateurs arabes Avicenne et Averroès. En effet, c’était eux qui avaient transmis la philosophie d’Aristote au monde latin. Par exemple, ces commentateurs avaient enseigné que les hommes ne disposaient pas d’une intelligence personnelle, mais qu’il existe un unique esprit universel, une substance spirituelle commune à tous, qui œuvre en tous comme « unique »: par conséquent, une dépersonnalisation de l’homme. Un autre point discutable véhiculé par les commentateurs arabes était celui selon lequel le monde est éternel comme Dieu. De façon compréhensible, des discussions sans fin se déchaînèrent dans le monde universitaire et dans le monde ecclésiastique. La philosophie d’Aristote se diffusait même parmi les personnes communes.
Thomas d’Aquin, à l’école d’Albert le Grand, accomplit une opération d’une importance fondamentale pour l’histoire de la philosophie et de la théologie, je dirais même pour l’histoire de la culture: il étudia à fond Aristote et ses interprètes, se procurant de nouvelles traductions latines des textes originaux en grec. Ainsi, il ne s’appuyait plus seulement sur les commentateurs arabes, mais il pouvait également lire personnellement les textes originaux, et commenta une grande partie des œuvres d’Aristote, en y distinguant ce qui était juste de ce qui était sujet au doute ou devant même être entièrement rejeté, en montrant la correspondance avec les données de la Révélation chrétienne et en faisant un usage ample et précis de la pensée d’Aristote dans l’exposition des écrits théologiques qu’il composa. En définitive, Thomas d’Aquin démontra qu’entre foi chrétienne et raison, subsiste une harmonie naturelle. Et telle a été la grande œuvre de Thomas qui, en ce moment de conflit entre deux cultures – ce moment où il semblait que la foi devait capituler face à la raison – a montré que les deux vont de pair, que ce qui apparaissait comme une raison non compatible avec la foi n’était pas raison, et que ce qui apparaissait comme foi n’était pas la foi, si elle s’opposait à la véritable rationalité; il a ainsi créé une nouvelle synthèse, qui a formé la culture des siècles qui ont suivi.
En raison de ses excellentes capacités intellectuelles, Thomas fut rappelé à Paris comme professeur de théologie sur la chaire dominicaine. C’est là aussi que débuta sa production littéraire, qui se poursuivit jusqu’à sa mort, et qui tient du prodige: commentaires des Saintes Ecritures, parce que le professeur de théologie était surtout un interprète de l’Ecriture, commentaires des écrits d’Aristote, œuvres systématiques volumineuses, parmi elles l’excellente Summa Theologiae, traités et discours sur divers sujets. Pour la composition de ses écrits, il était aidé par des secrétaires, au nombre desquels Réginald de Piperno, qui le suivit fidèlement et auquel il fut lié par une amitié sincère et fraternelle, caractérisée par une grande proximité et confiance. C’est là une caractéristique des saints: ils cultivent l’amitié, parce qu’elle est une des manifestations les plus nobles du cœur humain et elle a quelque chose de divin, comme Thomas l’a lui-même expliqué dans certaines quaestiones de la Summa Theologiae, où il écrit: « La charité est l’amitié de l’homme avec Dieu principalement, et avec les êtres qui lui appartiennent » (II, q. 23, a. 1).
Il ne demeura pas longtemps ni de façon stable à Paris. En 1259, il participa au Chapitre général des Dominicains à Valenciennes, où il fut membre d’une commission qui établit le programme des études dans l’Ordre. De 1261 à 1265, ensuite, Thomas était à Orvieto. Le Pape Urbain iv, qui nourrissait à son égard une grande estime, lui commanda la composition de textes liturgiques pour la fête du Corpus Domini, que nous célébrons demain, instituée suite au miracle eucharistique de Bolsena. Thomas eut une âme d’une grande sensibilité eucharistique. Les très beaux hymnes que la liturgie de l’Eglise chante pour célébrer le mystère de la présence réelle du Corps et du Sang du Seigneur dans l’Eucharistie sont attribués à sa foi et à sa sagesse théologique. De 1265 à 1268, Thomas résida à Rome où, probablement, il dirigeait un Studium, c’est-à-dire une maison des études de l’ordre, et où il commença à écrire sa Summa Theologiae (cf. Jean-Pierre Torell, Thomas d’Aquin. L’homme et le théologien, Casale Monf., 1994).
En 1269, il fut rappelé à Paris pour un second cycle d’enseignement. Les étudiants – on les comprend – étaient enthousiastes de ses leçons. L’un de ses anciens élèves déclara qu’une très grande foule d’étudiants suivaient les cours de Thomas, au point que les salles parvenaient à peine à tous les contenir et il ajoutait dans une remarque personnelle que « l’écouter était pour lui un profond bonheur ». L’interprétation d’Aristote donnée par Thomas n’était pas acceptée par tous, mais même ses adversaires dans le domaine académique, comme Godefroid de Fontaines, par exemple, admettaient que la doctrine du frère Thomas était supérieure à d’autres par son utilité et sa valeur et permettait de corriger celles de tous les autres docteurs. Peut-être aussi pour le soustraire aux vives discussions en cours, les supérieurs l’envoyèrent encore une fois à Naples, pour être à disposition du roi Charles i, qui entendait réorganiser les études universitaires.
Outre les études et l’enseignement, Thomas se consacra également à la prédication au peuple. Et le peuple aussi venait volontiers l’écouter. Je dirais que c’est vraiment une grande grâce lorsque les théologiens savent parler avec simplicité et ferveur aux fidèles. Le ministère de la prédication, d’autre part, aide à son tour les chercheurs en théologie à un sain réalisme pastoral, et enrichit leur recherche de vifs élans.
Les derniers mois de la vie terrestre de Thomas restent entourés d’un climat particulier, mystérieux dirais-je. En décembre 1273, il appela son ami et secrétaire Réginald pour lui communiquer sa décision d’interrompre tout travail, parce que, pendant la célébration de la Messe, il avait compris, suite à une révélation surnaturelle, que tout ce qu’il avait écrit jusqu’alors n’était qu’ »un monceau de paille ». C’est un épisode mystérieux, qui nous aide à comprendre non seulement l’humilité personnelle de Thomas, mais aussi le fait que tout ce que nous réussissons à penser et à dire sur la foi, aussi élevé et pur que ce soit, est infiniment dépassé par la grandeur et par la beauté de Dieu, qui nous sera révélée en plénitude au Paradis. Quelques mois plus tard, absorbé toujours davantage dans une profonde méditation, Thomas mourut alors qu’il était en route vers Lyon, où il se rendait pour prendre part au Concile œcuménique convoqué par le Pape Grégoire X. Il s’éteignit dans l’Abbaye cistercienne de Fossanova, après avoir reçu le Viatique avec des sentiments de grande piété.
La vie et l’enseignement de saint Thomas d’Aquin pourrait être résumés dans un épisode rapporté par les anciens biographes. Tandis que le saint, comme il en avait l’habitude, était en prière devant le crucifix, tôt le matin dans la chapelle « San Nicola » à Naples, Domenico da Caserta, le sacristain de l’Eglise, entendit un dialogue. Thomas demandait inquiet, si ce qu’il avait écrit sur les mystères de la foi chrétienne était juste. Et le Crucifié répondit: « Tu as bien parlé de moi, Thomas. Quelle sera ta récompense? ». Et la réponse que Thomas donna est celle que nous aussi, amis et disciples de Jésus, nous voudrions toujours lui dire: « Rien d’autre que Toi, Seigneur! » (Ibid., p. 320).

BENOÎT XVI: SAINT JEAN DAMASCÈNE – 4 DÉCEMBRE

4 décembre, 2014

http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/audiences/2009/documents/hf_ben-xvi_aud_20090506_fr.html

BENOÎT XVI

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 6 mai 2009

SAINT JEAN DAMASCÈNE – 4 DÉCEMBRE

Chers frères et sœurs,

Je voudrais parler aujourd’hui de Jean Damascène, un personnage de premier plan dans l’histoire de la théologie byzantine, un grand docteur dans l’histoire de l’Eglise universelle. Il représente surtout un témoin oculaire du passage de la culture chrétienne grecque et syriaque, commune à la partie orientale de l’Empire byzantin, à la culture de l’islam, qui s’est imposée grâce à ses conquêtes militaires sur le territoire reconnu habituellement comme le Moyen ou le Proche Orient. Jean, né dans une riche famille chrétienne, assuma encore jeune la charge – remplie déjà sans doute par son père – de responsable économique du califat. Mais très vite, insatisfait de la vie de la cour, il choisit la vie monastique, en entrant dans le monastère de Saint-Saba, près de Jérusalem. C’était aux environs de l’an 700. Ne s’éloignant jamais du monastère, il consacra toutes ses forces à l’ascèse et à l’activité littéraire, ne dédaignant pas une certaine activité pastorale, dont témoignent avant tout ses nombreuses Homélies. Sa mémoire liturgique est célébrée le 4 décembre. Le Pape Léon XIII le proclama docteur de l’Eglise universelle en 1890.
En Orient, on se souvient surtout de ses trois Discours pour légitimer la vénération des images sacrées, qui furent condamnés, après sa mort, par le Concile iconoclaste de Hiéria (754). Mais ces discours furent également le motif fondamental de sa réhabilitation et de sa canonisation de la part des Pères orthodoxes convoqués par le second Concile de Nicée (787), septième Concile œcuménique. Dans ces textes, il est possible de retrouver les premières tentatives théologiques importantes de légitimer la vénération des images sacrées, en les reliant au mystère de l’Incarnation du Fils de Dieu dans le sein de la Vierge Marie.
Jean Damascène fut, en outre, parmi les premiers à distinguer, dans le culte public et privé des chrétiens, l’adoration (latreia) de la vénération (proskynesis): la première ne peut être adressée qu’à Dieu, suprêmement spirituel, la deuxième au contraire peut utiliser une image pour s’adresser à celui qui est représenté dans l’image même. Bien sûr, le saint ne peut en aucun cas être identifié avec la matière qui compose l’icône. Cette distinction se révéla immédiatement très importante pour répondre de façon chrétienne à ceux qui prétendaient universel et éternel l’observance de l’interdit sévère de l’Ancien Testament d’utiliser des images dans le culte. Tel était le grand débat également dans le monde islamique, qui accepte cette tradition juive de l’exclusion totale d’images dans le culte. Les chrétiens, en revanche, dans ce contexte, ont débattu du problème et trouvé la justification pour la vénération des images. Damascène écrit: « En d’autres temps, Dieu n’avait jamais été représenté en image, étant sans corps et sans visage. Mais à présent que Dieu a été vu dans sa chair et a vécu parmi les hommes, je représente ce qui est visible en Dieu. Je ne vénère pas la matière, mais le créateur de la matière, qui s’est fait matière pour moi et a daigné habiter dans la matière et opérer mon salut à travers la matière. Je ne cesserai donc pas de vénérer la matière à travers laquelle m’a été assuré le salut. Mais je ne la vénère absolument pas comme Dieu! Comment pourrait être Dieu ce qui a reçu l’existence à partir du non-être?… Mais je vénère et respecte également tout le reste de la matière qui m’a procuré le salut, car pleine d’énergie et de grâces saintes. Le bois de la croix trois fois bénie n’est-il pas matière? L’encre et le très saint livre des Evangiles ne sont-ils pas matière? L’autel salvifique qui nous donne le pain de vie n’est-il pas matière?…. Et, avant tout autre chose, la chair et le sang de mon Seigneur ne sont-ils pas matière? Ou bien tu dois supprimer le caractère sacré de toutes ces choses, ou bien tu dois accorder à la tradition de l’Eglise la vénération des images de Dieu et celle des amis de Dieu qui sont sanctifiés par le nom qu’ils portent, et qui, pour cette raison, sont habités par la grâce de l’Esprit Saint. N’offense donc pas la matière: celle-ci n’est pas méprisable; car rien de ce que Dieu a fait n’est méprisable » (Contra imaginum calumniatores, I, 16, ed; Kotter, pp. 89-90). Nous voyons que, à cause de l’incarnation, la matière apparaît comme divinisée, elle est vue comme la demeure de Dieu. Il s’agit d’une nouvelle vision du monde et des réalités matérielles. Dieu s’est fait chair et la chair est devenue réellement demeure de Dieu, dont la gloire resplendit sur le visage humain du Christ. C’est pourquoi, les sollicitations du Docteur oriental sont aujourd’hui encore d’une très grande actualité, étant donnée la très grande dignité que la matière a reçue dans l’Incarnation, pouvant devenir, dans la foi, le signe et le sacrement efficace de la rencontre de l’homme avec Dieu. Jean Damascène reste donc un témoin privilégié du culte des icônes, qui deviendra l’un des aspects les plus caractéristiques de la théologie et de la spiritualité orientale jusqu’à aujourd’hui. Il s’agit toutefois d’une forme de culte qui appartient simplement à la foi chrétienne, à la foi dans ce Dieu qui s’est fait chair et s’est rendu visible. L’enseignement de saint Jean Damascène s’inscrit ainsi dans la tradition de l’Eglise universelle, dont la doctrine sacramentelle prévoit que les éléments matériels issus de la nature peuvent devenir un instrument de grâce en vertu de l’invocation (epiclesis) de l’Esprit Saint, accompagnée par la confession de la foi véritable.
Jean Damascène met également en relation avec ces idées de fond la vénération des reliques des saints, sur la base de la conviction que les saints chrétiens, ayant participé de la résurrection du Christ, ne peuvent pas être considérés simplement comme des « morts ». En énumérant, par exemple, ceux dont les reliques ou les images sont dignes de vénération, Jean précise dans son troisième discours en défense des images: « Tout d’abord (nous vénérons) ceux parmi lesquels Dieu s’est reposé, lui le seul saint qui se repose parmi les saints (cf. Is 57, 15), comme la sainte Mère de Dieu et tous les saints. Ce sont eux qui, autant que cela est possible, se sont rendus semblables à Dieu par leur volonté et, par l’inhabitation et l’aide de Dieu, sont dits réellement dieux (cf. Ps 82, 6), non par nature, mais par contingence, de même que le fer incandescent est appelé feu, non par nature mais par contingence et par participation du feu. Il dit en effet: Vous serez saint parce que je suis saint (Lv 19, 2) » (III, 33, col. 1352 A). Après une série de références de ce type, Jean Damascène pouvait donc déduire avec sérénité: « Dieu, qui est bon et supérieur à toute bonté, ne se contenta pas de la contemplation de lui-même, mais il voulut qu’il y ait des êtres destinataires de ses bienfaits, qui puissent participer de sa bonté: c’est pourquoi il créa du néant toutes les choses, visibles et invisibles, y compris l’homme, réalité visible et invisible. Et il le créa en pensant et en le réalisant comme un être capable de pensée (ennoema ergon) enrichi par la parole (logo[i] sympleroumenon) et orienté vers l’esprit (pneumati teleioumenon) » (II, 2, PG, col. 865A). Et pour éclaircir ultérieurement sa pensée, il ajoute: « Il faut se laisser remplir d’étonnement (thaumazein) par toutes les œuvres de la providence (tes pronoias erga), les louer toutes et les accepter toutes, en surmontant la tentation de trouver en celles-ci des aspects qui, a beaucoup de personnes, semblent injustes ou iniques (adika), et en admettant en revanche que le projet de Dieu (pronoia) va au-delà des capacités cognitives et de compréhension (agnoston kai akatalepton) de l’homme, alors qu’au contraire lui seul connaît nos pensées, nos actions et même notre avenir » (II, 29, PG, col. 964C). Du reste, Platon disait déjà que toute la philosophie commence avec l’émerveillement: notre foi aussi commence avec l’émerveillement de la création, de la beauté de Dieu qui se fait visible.
L’optimisme de la contemplation naturelle (physikè theoria), de cette manière de voir dans la création visible ce qui est bon, beau et vrai, cet optimisme chrétien n’est pas un optimisme naïf: il tient compte de la blessure infligée à la nature humaine par une liberté de choix voulue par Dieu et utilisée de manière impropre par l’homme, avec toutes les conséquences d’un manque d’harmonie diffus qui en ont dérivées. D’où l’exigence, clairement perçue par le théologien de Damas, que la nature dans laquelle se reflète la bonté et la beauté de Dieu, blessées par notre faute, « soit renforcée et renouvelée » par la descente du Fils de Dieu dans la chair, après que de nombreuses manières et en diverses occasions Dieu lui-même ait cherché à démontrer qu’il avait créé l’homme pour qu’il soit non seulement dans l’ »être », mais dans le « bien-être » (cf. La foi orthodoxe, II, 1, PG 94, col. 981°). Avec un enthousiasme passionné, Jean explique: « Il était nécessaire que la nature soit renforcée et renouvelée et que soit indiquée et enseignée concrètement la voie de la vertu (didachthenai aretes hodòn), qui éloigne de la corruption et conduit à la vie éternelle… C’est ainsi qu’apparut à l’horizon de l’histoire la grande mer de l’amour de Dieu pour l’homme (philanthropias pelagos)… ». C’est une belle expression. Nous voyons, d’une part, la beauté de la création et, de l’autre, la destruction accomplie par la faute humaine. Mais nous voyons dans le Fils de Dieu, qui descend pour renouveler la nature, la mer de l’amour de Dieu pour l’homme. Jean Damascène poursuit:  » Lui-même, le Créateur et le Seigneur, lutta pour sa créature en lui transmettant à travers l’exemple son enseignement… Et ainsi, le Fils de Dieu, bien que subsistant dans la forme de Dieu, abaissa les cieux et descendit… auprès de ses serviteurs… en accomplissant la chose la plus nouvelle de toutes, l’unique chose vraiment nouvelle sous le soleil, à travers laquelle se manifesta de fait la puissance infinie de Dieu » (III, 1. PG 94, coll. 981C-984B).
Nous pouvons imaginer le réconfort et la joie que diffusaient dans le cœur des fidèles ces paroles riches d’images si fascinantes. Nous les écoutons nous aussi, aujourd’hui, en partageant les mêmes sentiments que les chrétiens de l’époque: Dieu veut reposer en nous, il veut renouveler la nature également par l’intermédiaire de notre conversion, il veut nous faire participer de sa divinité. Que le Seigneur nous aide à faire de ces mots la substance de notre vie.

EVEIL DE L’ESPRIT À LA CONTEMPLATION DE DIEU – SAINT ANSELME DE CANTERBURY

20 novembre, 2014

http://www.vatican.va/spirit/documents/spirit_20000630_anselmo_fr.html

EVEIL DE L’ESPRIT À LA CONTEMPLATION DE DIEU

SAINT ANSELME DE CANTERBURY, ÉVÊQUE : PROSLOGION, 1.

« Et maintenant, homme de rien, fuis un moment tes occupations, cache-toi un peu de tes pensées tumultueuses. Rejette maintenant tes pesants soucis, et remets à plus tard tes tensions laborieuses. Vaque quelque peu à Dieu, et repose-toi quelque peu en Lui. Entre dans la cellule de ton âme, exclus tout hormis Dieu et ce qui t’aide à le chercher ; porte fermée, cherche-le. Dis maintenant, tout mon cœur, dis maintenant à Dieu : Je cherche ton visage, ton visage, Seigneur, je le recherche. Et maintenant, Toi Seigneur mon Dieu, enseigne à mon cœur où et comment Te chercher, où et comment Te trouver. Seigneur, si Tu n’es pas ici, où Te chercherai-je absent ? Et, si Tu es partout, pourquoi ne Te vois-je pas présent ? Mais certainement Tu habites la lumière inaccessible. Où est la lumière inaccessible ? Ou bien comment accéderai-je à la lumière inaccessible ? Ou qui me conduira et introduira en elle pour qu’en elle je Te voie ? Par quels signes enfin, par quelle face Te chercherai-je ? Je ne T’ai jamais vu, Seigneur mon Dieu, je ne connais pas ta face. Que fera, très haut Seigneur, que fera cet exilé, tien et éloigné ? Que fera ton serviteur, anxieux de ton amour et projeté loin de ta face. II s’essouffle pour Te voir, et ta face lui est par trop absente. Il désire accéder à Toi, et ton habitation est inaccessible. Il souhaite vivement Te trouver, et il ne sait ton lieu. Il se dispose à Te chercher, et il ignore ton visage. Seigneur, Tu es mon Dieu, Tu es mon Seigneur, et je ne T’ai jamais vu. Tu m’as fait et fait à nouveau, Tu m’as conféré tous mes biens, et je ne Te connais pas encore. Bref, j’ai été fait pour Te voir et je n’ai pas encore fait ce pour quoi j’ai été fait.
Seigneur, et je ne T’ai jamais vu. Tu m’as fait et fait à nouveau, Tu m’as conféré tous mes biens, et je ne Te connais pas encore. Bref, j’ai été fait pour Te voir et je n’ai pas encore fait ce pour quoi j’ai été fait. Et Toi, ô Seigneur, jusques à quand ? Jusques à quand, Seigneur, nous oublieras-Tu, jusques à quand détournes-Tu de nous ta face? Quand nous regarderas-Tu et nous exauceras-Tu? Quand illumineras-Tu nos yeux et nous montreras-Tu ta face? Quand Te rendras-Tu à nous? Regarde-nous, Seigneur, exauce-nous, illumine-nous, montre-toi à nous. Rends-toi à nous, que nous soyons bien, nous qui, sans Toi, sommes si mal. Aie pitié de nos labeurs et de nos efforts vers Toi, nous qui ne valons rien sans Toi.

Enseigne-moi à Te chercher, montre-toi à qui Te cherche, car je ne puis Te chercher si Tu ne m’enseignes, ni Te trouver si Tu ne te montres. Que je Te cherche en désirant, que je désire en cherchant. Que je trouve en aimant, que j’aime en trouvant. »

Prière:

Ô Dieu qui as inspiré à Saint Anselme un ardent désir de Te trouver dans la prière et la contemplation, au milieu de l’agitation de ses occupations quotidiennes, aide-nous à interrompre le rythme fébrile de nos occupations, entre les soucis et les inquiétudes de la vie moderne, pour parler avec Toi, notre unique espérance et salut. Nous te Le demandons par Jésus le Christ notre Seigneur.

Par l’Athénée Pontifical « Regina Apostolorum »

HOMÉLIE SUR LA PENTECÔTE – SAINT GRÉGOIRE DE NYSSE

17 novembre, 2014

http://www.cathoweb.org/catho-bliotheque/lecture-spirituelle/docteurs-et-pere-de-l-eglise/homelie-sur-la-pentecote-saint.html

HOMÉLIE SUR LA PENTECÔTE – SAINT GRÉGOIRE DE NYSSE

30 mai 2009 par Jean-Baptiste Balleyguier

Traduction de Serge VIUDEZ

D’après l’édition de la P. G. 46 (695 – 702)

La cithare de David, toujours si harmonieusement accordée avec son sujet, donne au contenu de toute fête un éclat tout particulier. Laissons donc le chant de ce même prophète, entonnant avec le plectre de l’Esprit sur les cordes de la Sagesse, illustrer pour nous la grande fête de la Pentecôte, laissons lui nous dire, sur l’air de cette mélodie divine, le psaume en rapport avec la grâce de ce jour : « Venez crions de joie pour le Seigneur ! ». Mais songeons auparavant à nous enquérir de la nature de cette grâce puis à adapter les paroles du prophète au sujet de notre discours ; qu’il me soit permis aussi, par la même occasion, de vous exposer selon un ordre logique l’opinion sur la matière : au commencement du monde, l’humanité était plongée dans l’erreur au regard de la connaissance de Dieu.
Négligeant le Seigneur de l’univers, les uns adoraient par méprise les phénomènes naturels de ce monde, les autres rendaient un culte aux créatures démoniaques ; toutefois, la plupart étaient d’avis que Dieu résidait dans les images sculptées des idoles et, pour la vénération de ces prétendus dieux, on vit surgir autels, temples, célébrations à mystères, victimes, sanctuaires, statues et autres choses du même ordre. Aussi, c’est d’un œil bienveillant que le Maître de la nature contemplait la corruption naturelle des humains et conduisait progressivement leur vie de l’erreur à la connaissance de la vérité. Ils étaient comme ces personnes tiraillées par une longue faim et revigorées par une prescription médicale, qui ne se jettent pas aussitôt à manger jusqu’à satiété (eu égard à leur faiblesse), mais qui ne se rassasient pleinement, si elles le désirent, qu’une fois en pleine possession de leurs forces, par l’absorption de quantités de nourriture raisonnables. L’exemple vaut aussi pour le genre humain, au moment où il était épuisé par une faim effroyable, et que l’économie divine le fit participer à la nourriture des mystères.
Car ce qui nous sauve, c’est cette force de vie en laquelle nous avons foi sous le nom du Père, du Fils et de l’Esprit Saint. Cependant, le genre humain, à cause de la faiblesse d’âme qu’avait provoquée sa famine, était incapable d’englober la totalité. D’abord, abandonnant le polythéisme, il s’accoutuma grâce aux prophètes et à la loi, à ne considérer qu’une seule divinité, et à ne concevoir en elle que la seule puissance du Père, incapable qu’il était, comme je l’ai dit, de contenir la nourriture parfaite. Puis le Fils Monogène fut révélé par l’Évangile à ceux que la loi avait préparés. Ce n’est que par la suite que fut accordée à notre nature la nourriture parfaite, en qui réside la vie : l’Esprit Saint. Tel est le sujet de la fête d’aujourd’hui. Aussi nous faut-il, à nous les choreutes de l’Esprit, obéir à la voie du coryphée de ce cœur spirituel : « Venez crions de joie pour le Seigneur ! », or, « le Seigneur est Esprit », comme le dit l’apôtre.

Cinquante jours se sont en effet écoulés aujourd’hui au calendrier de l’année, depuis la fête de Pâques, et c’est à l’heure où nous sommes, la troisième, que fut accordée la grâce indicible. C’est alors que l’Esprit Saint se mêla de nouveau à l’humain, lui qui avait fui loin de sa nature parce qu’elle n’était devenue que chair. Lors de sa descente, il mit en fuite par la force de son souffle les puissances spirituelles du mal, il chassa des airs tous les démons impurs, et les hommes qui se trouvaient au dernier étage de la maison se virent investis par la puissance de Dieu qui avait l’aspect d’un feu. Comment penser, en effet, qu’on puisse prendre part à l’Esprit Saint si on ne réside pas soi-même au sommet de sa propre vie ! Quiconque connaît les choses d’en haut transformera son mode de vie terrestre en mode de vie divin, et ce n’est qu’en devenant l’habitant du dernier étage de cette sublime cité qu’il participe à l’Esprit Saint.
Les Actes des apôtres nous racontent qu’alors que les disciples [du Seigneur] étaient assemblés au dernier étage d’une maison, un feu pur et immatériel, sous la forme de langues, se répartit sur chacun d’eux, autant qu’ils étaient. Et les voilà qui se mettent à parler la langue des Parthes, des Mèdes, des Élamites et des autres peuples, adaptant à leur gré leurs paroles au parler de chaque peuple, « Mais, dans l’assemblée, j’aime mieux dire cinq paroles avec mon intelligence pour instruire les autres que dix mille en langues », ainsi parle l’apôtre. Toutefois à ce moment, il se révéla avantageux que ceux qui allaient prêcher adaptassent leur langue à celle des autres nations, pour que leur prédication ne restât pas sans effet sur ces peuples qui ignoraient [la langue des apôtres]. Cependant maintenant, puisque nous en utilisons une seule, il nous faut partir à la recherche de cette langue de feu de l’Esprit, afin d’éclairer ceux que l’erreur a plongés dans les ténèbres.
Que David nous en indique donc le chemin et avec lui l’apôtre [Paul]. Le psaume, en effet, qui au début nous livrait une parole de joie dans le Seigneur : « Venez crions de joie pour le Seigneur ! », n’est pas la seule voie qui conduit à la glorification de l’Esprit ; mais c’est bien davantage de ce qui va suivre que nous apprendrons son caractère divin : je vais vous exposer les paroles du prophète auxquelles souscrit aussi l’illustre apôtre ; elles nous disent : « Aujourd’hui si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs comme cela s’est produit dans la querelle, au jour de la tentation dans le désert où vos pères me tentèrent ». Se rappelant ces paroles, le divin apôtre s’exprime ainsi : C’est pourquoi, comme le dit l’Esprit Saint … », et ayant dit cela, il cite les paroles du prophète, les appliquant à la personne de l’Esprit Saint. Qui est donc celui que les pères tentèrent dans le désert ? Qui irritèrent-ils ? Apprenez-le donc du prophète : « Ils tentèrent le Dieu Très-Haut ». Or l’apôtre, en introduisant la personne de l’Esprit, lui fait dire ces mêmes mots et affirme : « C’est pourquoi, comme le dit l’Esprit Saint, … , comme au jour de la tentation dans le désert, où vos pères me tentèrent ».

Or de celui que le prophète a appelé le Dieu Très-Haut, le saint apôtre dit qu’il est l’Esprit Saint. Y a-t-il encore des sceptiques ? Considérons alors de nouveau ce qui a été dit : « C’est pourquoi, comme le dit l’Esprit Saint, n’endurcissez pas vos cœurs comme cela s’est produit dans la querelle, au jour de la tentation dans le désert où vos pères me tentèrent ». Le prophète affirme que celui qui a été tenté est le Dieu Très-Haut ; la bouche des Pneumatomaques est donc fermée, elle qui blasphème contre Dieu, alors que l’apôtre et le prophète proclament l’un et l’autre, par ce qu’ils ont dit, la divinité de l’Esprit : le prophète ne dit-il pas : « Ils tentèrent le Dieu Très-Haut », et ne prononce-t-il pas ces paroles : Vos pères me tentèrent dans le désert », comme venant de Dieu pour les Israélites, tandis que le grand [apôtre] Paul les attribue à l’Esprit Saint pour qu’il soit manifeste qu’il est le Dieu Très-Haut ?
Voient-ils vraiment ces gens, ennemis de la gloire de l’Esprit, la langue de flammes contenant les paroles de Dieu illuminer ce qui restait secret ? Ou se moqueront-ils de nous comme de gens ivres de vin doux ? Mais quoi qu’ils disent, suivez mon conseil, mes frères : ne craignez pas leurs injures, ne vous laissez pas abattre par leur mépris. Puisse-t-il un jour leur parvenir aussi ce vin doux, ce vin tout nouvellement pressé et qui jaillit du pressoir, que notre Seigneur a foulé avec l’aide de l’Évangile, pour que nous buvions le sang de sa propre grappe. Puissent-ils eux aussi être emplis de ce vin nouveau, qu’ils appellent vin doux, mais que le mélange des cabaretiers avec l’eau hérétique n’altère pas.
Ils seraient alors entièrement emplis de l’Esprit qui aide ceux qui bouillonnent de ferveur pour lui à rejeter la lie fangeuse de l’impiété. Mais ces hommes ne peuvent recueillir en eux ce vin doux, car ils transportent encore la vieille outre qui est incapable de contenir un vin tel que celui-là et que brise la fissure de l’hérésie. Quant à nous mes frères, « crions de joie pour le Seigneur ! » comme dit le prophète, et buvons la douceur de la piété, comme le recommande Esdras. Remplis de ce bonheur par le chœur des apôtres et des prophètes, crions de joie pour le don de l’Esprit et réjouissons-nous de ce jour qu’a fait le Seigneur, dans Jésus-Christ notre Seigneur à qui appartient toute gloire pour l’éternité. Amen.

BENOÎT XVI : SAINT IGNACE D’ANTIOCHE – 17 OCTOBRE

16 octobre, 2014

http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/audiences/2007/documents/hf_ben-xvi_aud_20070314_fr.html

BENOÎT XVI

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 14 mars 2007

SAINT IGNACE D’ANTIOCHE – 17 OCTOBRE

Chers frères et sœurs!

Comme nous l’avons déjà fait mercredi, nous parlons des personnalités de l’Eglise naissante. La semaine dernière, nous avons parlé du Pape Clément I, troisième Successeur de saint Pierre. Aujourd’hui, nous parlons de saint Ignace, qui a été le troisième Evêque d’Antioche, de 70 à 107, date de son martyre. A cette époque, Rome, Alexandrie et Antioche étaient les trois grandes métropoles de l’empire romain. Le Concile de Nicée parle de trois « primats »: celui de Rome, mais Alexandrie et Antioche également participent, d’une certaine manière, à un « primat ». Saint Ignace était Evêque d’Antioche, qui se trouve aujourd’hui en Turquie. Là, à Antioche, comme nous l’apprenons des Actes des Apôtres, se développa une communauté chrétienne florissante: le premier Evêque fut l’apôtre Pierre – c’est ce que nous rapporte la tradition – et là, « pour la première fois, les disciples reçurent le nom de chrétiens » (Ac 11, 26). Eusèbe de Césarée, un historien du IV siècle, consacre un chapitre entier de son Histoire ecclésiastique à la vie et à l’œuvre littéraire d’Ignace (3, 36). « De Syrie », écrit-il, « Ignace fut envoyé à Rome pour être livré en pâture aux bêtes sauvages, à cause du témoignage qu’il avait rendu du Christ. En accomplissant son voyage à travers l’Asie, sous la surveillance sévère des gardes » (qu’il appelle les « dix léopards » dans sa Lettre aux Romains, 5, 1), « dans toutes les villes où il s’arrêtait, à travers des prédications et des avertissements, il renforçait les Eglises; et surtout, il exhortait, avec la plus grande vigueur, à se garder des hérésies, qui commençaient alors à se multiplier, et recommandait de ne pas se détacher de la tradition apostolique ». La première étape du voyage d’Ignace vers le martyre fut la ville de Smyrne, où était Evêque saint Polycarpe, disciple de saint Jean. Ici, Ignace écrivit quatre lettres, respectivement aux Eglises d’Ephèse, de Magnésie, de Tralles et de Rome. « Parti de Smyrne », poursuit Eusèbe « Ignace arriva à Troade, et de là, envoya de nouvelles lettres »: deux aux Eglises de Philadelphie et de Smyrne, et une à l’Evêque Polycarpe. Eusèbe complète ainsi la liste des lettres, qui nous sont parvenues de l’Eglise du premier siècle comme un trésor précieux. En lisant ces textes, on sent la fraîcheur de la foi de la génération qui avait encore connu les Apôtres. On perçoit également dans ces lettres l’amour ardent d’un saint. Enfin, de Troade, le martyr arriva à Rome où, dans l’amphithéâtre Flavien, il fut livré aux bêtes féroces.
Aucun Père de l’Eglise n’a exprimé avec autant d’intensité qu’Ignace l’ardent désir d’union avec le Christ et de vie en Lui. C’est pourquoi nous avons lu le passage de l’Evangile sur la vigne qui, selon l’Evangile de Jean, est Jésus. En réalité, en Ignace confluent deux « courants » spirituels: celui de Paul, entièrement tendu vers l’union avec le Christ, et celui de Jean, concentré sur la vie en Lui. A leur tour, ces deux courants débouchent sur l’imitation du Christ, proclamé plusieurs fois par Ignace comme « mon » ou « notre Dieu ». Ainsi, Ignace supplie les chrétiens de Rome de ne pas empêcher son martyre, car il est impatient d’être « uni au Christ ». Et il explique: « Il est beau pour moi de mourir en allant vers (eis) Jésus Christ, plutôt que de régner jusqu’aux confins de la terre. Je le cherche lui, qui est mort pour moi, je le veux lui, qui est ressuscité pour moi… Laissez-moi imiter la Passion de mon Dieu! » (Romains 5, 6). On peut saisir dans ces expressions ardentes d’amour le « réalisme » christologique prononcé, typique de l’Eglise d’Antioche, plus que jamais attentive à l’incarnation du Fils de Dieu et à son humanité véritable et concrète: Jésus Christ, écrit Ignace aux Smyrniotes, « est réellement de la souche de David », « il est réellement né d’une vierge », « il fut réellement cloué pour nous » (1, 1).
L’irrésistible aspiration d’Ignace vers l’union au Christ donne naissance à une véritable « mystique de l’unité ». Lui-même se définit comme « un homme auquel est confié le devoir de l’unité » (Philadelphiens, 8, 1). Pour Ignace, l’unité est avant tout une prérogative de Dieu qui, existant dans trois personnes, est Un dans l’unité absolue. Il répète souvent que Dieu est unité, et que ce n’est qu’en Dieu que celle-ci se trouve à l’état pur et originel. L’unité à réaliser sur cette terre de la part des chrétiens n’est qu’une imitation, la plus conforme possible à l’archétype divin. De cette façon, Ignace arrive à élaborer une vision de l’Eglise qui rappelle de près certaines des expressions de la Lettre aux Corinthiens de Clément l’Evêque de Rome. « Il est bon pour vous », écrit-il par exemple aux chrétiens d’Ephèse, « de procéder ensemble en accord avec la pensée de l’Evêque, chose que vous faites déjà. En effet, votre collège des prêtres, à juste titre célèbre, digne de Dieu, est si harmonieusement uni à l’Evêque comme les cordes à la cithare. C’est pourquoi Jésus Christ est chanté dans votre concorde et dans votre amour symphonique. Et ainsi, un par un, vous devenez un chœur, afin que dans la symphonie de la concorde, après avoir pris le ton de Dieu dans l’unité, vous chantiez d’une seule voix » (4, 1-2). Et après avoir recommandé aux Smyrniotes de ne « rien entreprendre qui concerne l’Eglise sans l’évêque » (8, 1), confie à Polycarpe: « J’offre ma vie pour ceux qui sont soumis à l’Evêque, aux prêtres et aux diacres. Puissé-je avec eux être uni à Dieu. Travaillez ensemble les uns pour les autres, luttez ensemble, courez ensemble, souffrez ensemble, dormez et veillez ensemble comme administrateurs de Dieu, ses assesseurs et ses serviteurs. Cherchez à plaire à Celui pour lequel vous militez et dont vous recevez la récompense. Qu’aucun de nous ne soit jamais surpris déserteur. Que votre baptême demeure comme un bouclier, la foi comme un casque, la charité comme une lance, la patience comme une armure » (6, 1-2).
D’une manière générale, on peut percevoir dans les Lettres d’Ignace une sorte de dialectique constante et féconde entre les deux aspects caractéristiques de la vie chrétienne: d’une part, la structure hiérarchique de la communauté ecclésiale, et de l’autre, l’unité fondamentale qui lie entre eux les fidèles dans le Christ. Par conséquent, les rôles ne peuvent pas s’opposer. Au contraire, l’insistance sur la communauté des croyants entre eux et avec leurs pasteurs est continuellement reformulée à travers des images et des analogies éloquentes: la cithare, la corde, l’intonation, le concert, la symphonie. La responsabilité particulière des Evêques, des prêtres et des diacres dans l’édification de la communauté est évidente. C’est d’abord pour eux que vaut l’invitation à l’amour et à l’unité. « Ne soyez qu’un », écrit Ignace aux Magnésiens, en reprenant la prière de Jésus lors de la Dernière Cène: « Une seule supplique, un seul esprit, une seule espérance dans l’amour; accourez tous à Jésus Christ comme à l’unique temple de Dieu, comme à l’unique autel; il est un, et procédant du Père unique, il est demeuré uni à Lui, et il est retourné à Lui dans l’unité » (7, 1-2). Ignace, le premier dans la littérature chrétienne, attribue à l’Eglise l’adjectif de « catholique », c’est-à-dire « universelle »: « Là où est Jésus Christ », affirme-t-il, « là est l’Eglise catholique » (Smyrn. 8, 2). Et c’est précisément dans le service d’unité à l’Eglise catholique que la communauté chrétienne de Rome exerce une sorte de primat dans l’amour: « A Rome, celle-ci préside, digne de Dieu, vénérable, digne d’être appelée bienheureuse… Elle préside à la charité, qui reçoit du Christ la loi et porte le nom du Père » (Romains, prologue).
Comme on le voit, Ignace est véritablement le « docteur de l’unité »: unité de Dieu et unité du Christ (au mépris des diverses hérésies qui commençaient à circuler et divisaient l’homme et Dieu dans le Christ), unité de l’Eglise, unité des fidèles « dans la foi et dans la charité, par rapport auxquelles il n’y a rien de plus excellent » (Smyrn. 6, 1). En définitive, le « réalisme » d’Ignace invite les fidèles d’hier et d’aujourd’hui, il nous invite tous à une synthèse progressive entre la configuration au Christ (union avec lui, vie en lui) et le dévouement à son Eglise (unité avec l’Evêque, service généreux de la communauté et du monde). Bref, il faut parvenir à une synthèse entre communion de l’Eglise à l’intérieur d’elle-même et mission proclamation de l’Evangile pour les autres, jusqu’à ce que, à travers une dimension, l’autre parle, et que les croyants soient toujours davantage « dans la possession de l’esprit indivis, qui est Jésus Christ lui-même » (Magn. 15). En implorant du Seigneur cette « grâce de l’unité », et dans la conviction de présider à la charité de toute l’Eglise (cf. Romains, prologue), je vous adresse le même souhait que celui qui conclut la lettre d’Ignace aux chrétiens de Tralles: « Aimez-vous l’un l’autre avec un cœur non divisé. Mon esprit s’offre en sacrifice pour vous, non seulement à présent, mais également lorsqu’il aura rejoint Dieu… Dans le Christ, puissiez-vous être trouvés sans tache » (13). Et nous prions afin que le Seigneur nous aide à atteindre cette unité et à être enfin trouvés sans tache, car c’est l’amour qui purifie les âmes.

BENOÎT XVI – SAINT JÉRÔME (2007)- 30 SEPTEMBRE

30 septembre, 2014

http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/audiences/2007/documents/hf_ben-xvi_aud_20071114_fr.html

BENOÎT XVI – AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 14 novembre 2007

SAINT JÉRÔME

Chers frères et sœurs,

Nous poursuivons aujourd’hui la présentation de la figure de saint Jérôme. Comme nous l’avons dit mercredi dernier (1 lien), il consacra sa vie à l’étude de la Bible, au point d’être reconnu par l’un de mes prédécesseurs, le Pape Benoît XV, comme « docteur éminent dans l’interprétation des Saintes Ecritures ». Jérôme soulignait la joie et l’importance de se familiariser avec les textes bibliques: « Ne te semble-t-il pas habiter – déjà ici, sur terre – dans le royaume des cieux, lorsqu’on vit parmi ces textes, lorsqu’on les médite, lorsqu’on ne connaît ni ne recherche rien d’autre? » (Ep 53, 10). En réalité, dialoguer avec Dieu, avec sa Parole, est dans un certain sens une présence du Ciel, c’est-à-dire une présence de Dieu. S’approcher des textes bibliques, surtout du Nouveau Testament, est essentiel pour le croyant, car « ignorer l’Ecriture, c’est ignorer le Christ ». C’est à lui qu’appartient cette phrase célèbre, également citée par le Concile Vatican II dans la Constitution Dei Verbum (n. 25).
Réellement « amoureux » de la Parole de Dieu, il se demandait: « Comment pourrait-on vivre sans la science des Ecritures, à travers lesquelles on apprend à connaître le Christ lui-même, qui est la vie des croyants » (Ep 30, 7). La Bible, instrument « avec lequel Dieu parle chaque jour aux fidèles » (Ep 133, 13), devient ainsi un encouragement et la source de la vie chrétienne pour toutes les situations et pour chaque personne. Lire l’Ecriture signifie converser avec Dieu: « Si tu pries – écrit-il à une noble jeune fille de Rome -, tu parles avec l’Epoux; si tu lis, c’est Lui qui te parle » (Ep 22, 25). L’étude et la méditation de l’Ecriture rendent l’homme sage et serein (cf. In Eph., prol.). Assurément, pour pénétrer toujours plus profondément la Parole de Dieu, une application constante et progressive est nécessaire. Jérôme recommandait ainsi au prêtre Népotien: « Lis avec une grande fréquence les divines Ecritures; ou mieux, que le Livre Saint reste toujours entre tes mains. Apprends-là ce que tu dois enseigner » (Ep 52, 7). Il donnait les conseils suivants à la matrone romaine Leta pour l’éducation chrétienne de sa fille: « Assure-toi qu’elle étudie chaque jour un passage de l’Ecriture… Qu’à la prière elle fasse suivre la lecture, et à la lecture la prière… Au lieu des bijoux et des vêtements de soie, qu’elle aime les Livres divins » (Ep 107, 9.12). Avec la méditation et la science des Ecritures se « conserve l’équilibre de l’âme » (Ad Eph., prol.). Seul un profond esprit de prière et l’assistance de l’Esprit Saint peuvent nous introduire à la compréhension de la Bible: « Dans l’interprétation des Saintes Ecritures, nous avons toujours besoin de l’assistance de l’Esprit Saint » (In Mich. 1, 1, 10, 15).
Un amour passionné pour les Ecritures imprégna donc toute la vie de Jérôme, un amour qu’il chercha toujours à susciter également chez les fidèles. Il recommandait à l’une de ses filles spirituelles: « Aime l’Ecriture Sainte et la sagesse t’aimera; aime-la tendrement, et celle-ci te préservera; honore-la et tu recevras ses caresses. Qu’elle soit pour toi comme tes colliers et tes boucles d’oreille » (Ep 130, 20). Et encore: « Aime la science de l’Ecriture, et tu n’aimeras pas les vices de la chair » (Ep 125, 11).
Pour Jérôme, un critère de méthode fondamental dans l’interprétation des Ecritures était l’harmonie avec le magistère de l’Eglise. Nous ne pouvons jamais lire l’Ecriture seuls. Nous trouvons trop de portes fermées et nous glissons facilement dans l’erreur. La Bible a été écrite par le Peuple de Dieu et pour le Peuple de Dieu, sous l’inspiration de l’Esprit Saint. Ce n’est que dans cette communion avec le Peuple de Dieu que nous pouvons réellement entrer avec le « nous » au centre de la vérité que Dieu lui-même veut nous dire. Pour lui, une interprétation authentique de la Bible devait toujours être en harmonieuse concordance avec la foi de l’Eglise catholique. Il ne s’agit pas d’une exigence imposée à ce Livre de l’extérieur; le Livre est précisément la voix du Peuple de Dieu en pèlerinage et ce n’est que dans la foi de ce Peuple que nous sommes, pour ainsi dire, dans la juste tonalité pour comprendre l’Ecriture Sainte. Il admonestait donc: « Reste fermement attaché à la doctrine traditionnelle qui t’a été enseignée, afin que tu puisses exhorter selon la saine doctrine et réfuter ceux qui la contredisent » (Ep 52, 7). En particulier, étant donné que Jésus Christ a fondé son Eglise sur Pierre, chaque chrétien – concluait-il – doit être en communion « avec la Chaire de saint Pierre. Je sais que sur cette pierre l’Eglise est édifiée » (Ep 15, 2). Par conséquent, et de façon directe, il déclarait: « Je suis avec quiconque est uni à la Chaire de saint Pierre » (Ep 16).
Jérôme ne néglige pas, bien sûr, l’aspect éthique. Il rappelle au contraire souvent le devoir d’accorder sa propre vie avec la Parole divine et ce n’est qu’en la vivant que nous trouvons également la capacité de la comprendre. Cette cohérence est indispensable pour chaque chrétien, et en particulier pour le prédicateur, afin que ses actions, si elles étaient discordantes par rapport au discours, ne le mettent pas dans l’embarras. Ainsi exhorte-t-il le prêtre Népotien: « Que tes actions ne démentent pas tes paroles, afin que, lorsque tu prêches à l’église, il n’arrive pas que quelqu’un commente en son for intérieur: « Pourquoi n’agis-tu pas précisément ainsi? » Cela est vraiment plaisant de voir ce maître qui, le ventre plein, disserte sur le jeûne; même un voleur peut blâmer l’avarice; mais chez le prêtre du Christ, l’esprit et la parole doivent s’accorder » (Ep 52, 7). Dans une autre lettre, Jérôme réaffirme: « Même si elle possède une doctrine splendide, la personne qui se sent condamnée par sa propre conscience se sent honteuse » (Ep 127, 4). Toujours sur le thème de la cohérence, il observe: l’Evangile doit se traduire par des attitudes de charité véritable, car en chaque être humain, la Personne même du Christ est présente. En s’adressant, par exemple, au prêtre Paulin (qui devint ensuite Evêque de Nola et saint), Jérôme le conseillait ainsi: « Le véritable temple du Christ est l’âme du fidèle: orne-le, ce sanctuaire, embellis-le, dépose en lui tes offrandes et reçois le Christ. Dans quel but revêtir les murs de pierres précieuses, si le Christ meurt de faim dans la personne d’un pauvre? » (Ep 58, 7). Jérôme concrétise: il faut « vêtir le Christ chez les pauvres, lui rendre visite chez les personnes qui souffrent, le nourrir chez les affamés, le loger chez les sans-abris » (Ep 130, 14). L’amour pour le Christ, nourri par l’étude et la méditation, nous fait surmonter chaque difficulté: « Aimons nous aussi Jésus Christ, recherchons toujours l’union avec lui: alors, même ce qui est difficile nous semblera facile » (Ep 22, 40).
Jérôme, défini par Prospère d’Aquitaine comme un « modèle de conduite et maître du genre humain » (Carmen de ingratis, 57), nous a également laissé un enseignement riche et varié sur l’ascétisme chrétien. Il rappelle qu’un courageux engagement vers la perfection demande une vigilance constante, de fréquentes mortifications, toutefois avec modération et prudence, un travail intellectuel ou manuel assidu pour éviter l’oisiveté (cf. Epp 125, 11 et 130, 15), et surtout l’obéissance à Dieu: « Rien… ne plaît autant à Dieu que l’obéissance…, qui est la plus excellente et l’unique vertu » (Hom. de oboedientia: CCL 78,552). La pratique des pèlerinages peut également appartenir au chemin ascétique. Jérôme donna en particulier une impulsion à ceux en Terre Sainte, où les pèlerins étaient accueillis et logés dans des édifices élevés à côté du monastère de Bethléem, grâce à la générosité de la noble dame Paule, fille spirituelle de Jérôme (cf. Ep 108, 14).
Enfin, on ne peut pas oublier la contribution apportée par Jérôme dans le domaine de la pédagogie chrétienne (cf. Epp 107 et 128). Il se propose de former « une âme qui doit devenir le temple du Seigneur » (Ep 107, 4), une « pierre très précieuse » aux yeux de Dieu (Ep 107, 13). Avec une profonde intuition, il conseille de la préserver du mal et des occasions de pécher, d’exclure les amitiés équivoques ou débauchées (cf. Ep 107, 4 et 8-9; cf. également Ep 128, 3-4). Il exhorte surtout les parents pour qu’ils créent un environnement serein et joyeux autour des enfants, pour qu’ils les incitent à l’étude et au travail, également par la louange et l’émulation (cf. Epp 107, 4 et 128, 1), qu’ils les encouragent à surmonter les difficultés, qu’ils favorisent entre eux les bonnes habitudes et qu’ils les préservent d’en prendre de mauvaises car – et il cite là une phrase de Publilius Syrus entendue à l’école – « difficilement tu réussiras à te corriger de ces choses dont tu prends tranquillement l’habitude » (Ep 107, 8). Les parents sont les principaux éducateurs des enfants, les premiers maîtres de vie. Avec une grande clarté, Jérôme, s’adressant à la mère d’une jeune fille et mentionnant ensuite le père, admoneste, comme exprimant une exigence fondamentale de chaque créature humaine qui commence son existence: « Qu’elle trouve en toi sa maîtresse, et que sa jeunesse inexpérimentée regarde vers toi avec émerveillement. Que ni en toi, ni en son père elle ne voie jamais d’attitudes qui la conduisent au péché, si elles devaient être imitées. Rappelez-vous que… vous pouvez davantage l’éduquer par l’exemple que par la parole » (Ep 107, 9). Parmi les principales intuitions de Jérôme comme pédagogue, on doit souligner l’importance attribuée à une éducation saine et complète dès la prime enfance, la responsabilité particulière reconnue aux parents, l’urgence d’une sérieuse formation morale et religieuse, l’exigence de l’étude pour une formation humaine plus complète. En outre, un aspect assez négligé à l’époque antique, mais considéré comme vital par notre auteur, est la promotion de la femme, à laquelle il reconnaît le droit à une formation complète: humaine, scolaire, religieuse, professionnelle. Et nous voyons précisément aujourd’hui que l’éducation de la personnalité dans son intégralité, l’éducation à la responsabilité devant Dieu et devant l’homme, est la véritable condition de tout progrès, de toute paix, de toute réconciliation et d’exclusion de la violence. L’éducation devant Dieu et devant l’homme: c’est l’Ecriture Sainte qui nous indique la direction de l’éducation et ainsi, du véritable humanisme.
Nous ne pouvons pas conclure ces rapides annotations sur cet éminent Père de l’Eglise sans mentionner la contribution efficace qu’il apporta à la préservation d’éléments positifs et valables des antiques cultures juive, grecque et romaine au sein de la civilisation chrétienne naissante. Jérôme a reconnu et assimilé les valeurs artistiques, la richesse des sentiments et l’harmonie des images présentes chez les classiques, qui éduquent le cœur et l’imagination à de nobles sentiments. Il a en particulier placé au centre de sa vie et de son activité la Parole de Dieu, qui indique à l’homme les chemins de la vie, et lui révèle les secrets de la sainteté. Nous ne pouvons que lui être profondément reconnaissants pour tout cela, précisément dans le monde d’aujourd’hui.

1 . http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/audiences/2007/documents/hf_ben-xvi_aud_20071107_fr.html

HOMÉLIE DE S. ANDRÉ DE CRÈTE POUR LA NATIVITÉ DE LA SAINTE MÈRE DE DIEU

8 septembre, 2014

http://www.aelf.org/office-lectures

HOMÉLIE DE S. ANDRÉ DE CRÈTE POUR LA NATIVITÉ DE LA SAINTE MÈRE DE DIEU

La joie entre dans le monde

Le Christ est l’achèvement de la Loi ; car il nous éloigne de la terre, du fait même qu’il nous élève vers l’Esprit. Cet accomplissement consiste en ce que le législateur, après avoir tout déterminé, a rapporté la lettre à l’esprit, en récapitulant toutes choses en lui, en vivant d’une loi qui est la grâce. Après avoir réduit la loi en servitude, il y a joint harmonieusement la grâce. Il n’a pas mélangé ni confondu les propriétés de l’une avec celles de l’autre ; mais, d’une façon divine, il a changé ce qu’il pouvait y avoir dans la loi de pénible, de servile et de tyrannique, en ce qui est léger et libre dans la grâce. Ainsi nous ne vivons plus sous l’esclavage des éléments du monde, comme dit l’Apôtre, nous ne sommes plus asservis au joug de la lettre de la loi.
En effet, c’est en cela que consiste l’essentiel des bienfaits du Christ ; c’est là que le mystère se manifeste, que la nature est renouvelée : Dieu s’est fait homme et l’homme assumé est divinisé. Il a donc fallu que la splendide et très manifeste habitation de Dieu parmi les hommes fût précédée par une introduction à la joie, d’où découlerait pour nous le don magnifique du salut. Tel est l’objet de la fête que nous célébrons : la naissance de la Mère de Dieu inaugure le mystère qui a pour conclusion et pour terme l’union du Verbe avec la chair. ~ C’est maintenant que la Vierge vient de naître, qu’elle est allaitée, qu’elle se forme, qu’elle se prépare à être la mère du Roi universel de tous les siècles. ~
C’est alors que nous recevons du Verbe un double bienfait : il nous conduit à la Vérité, et il nous détache de la vie d’esclavage sous la lettre de la loi. De quelle manière, par quelle voie ? Sans aucun doute, parce que l’ombre s’éloigne à l’avènement de la lumière, parce que la grâce substitue la liberté à la lettre. La fête que nous célébrons se trouve à cette frontière, car elle fait se rejoindre la vérité avec les images qui la préfiguraient, puisqu’elle substitue le nouveau à l’ancien. ~
Que toute la création chante et danse, qu’elle contribue de son mieux à la joie de ce jour. Que le ciel et la terre forment aujourd’hui une seule assemblée. Que tout ce qui est dans le monde et au-dessus du monde s’unisse dans le même concert de fête. Aujourd’hui, en effet, s’élève le sanctuaire créé où résidera le Créateur de l’univers ; et une créature, par cette disposition toute nouvelle, est préparée pour offrir au Créateur une demeure sacrée.

 

SAINT JEAN DAMASCÈNE – HOMÉLIE SUR LA NATIVITÉ DE LA VIERGE

8 septembre, 2014

http://fr.wikisource.org/wiki/Saint_Jean_Damasc%C3%A8ne/Hom%C3%A9lie_sur_la_Nativit%C3%A9_de_la_Vierge

SAINT JEAN DAMASCÈNE/HOMÉLIE SUR LA NATIVITÉ DE LA VIERGE

Neuf mois étant accomplis, Anne mit au monde une fille et l’appela du Nom de Marie. Quand elle l’eut sevrée, la troisième année, Joachim et elle se rendirent au Temple du Seigneur et, ayant offert au Seigneur des victimes, ils présentèrent leur petite fille Marie pour qu’elle habitât avec les vierges qui, nuit et jour, sans cesse, louaient Dieu. Quand elle eut été amenée devant le Temple du Seigneur, Marie gravit en courant les quinze marches sans se retourner pour regarder en arrière et sans regarder ses parents comme le font les petits enfants. Et cela frappa d’étonnement toute l’assistance, au point que les prêtres du Temple eux-mêmes étaient dans l’admiration.
Puisque la Vierge Marie devait naître d’Anne, la nature n’a pas osé devancer le germe béni de la grâce. Elle est restée sans fruit jusqu’à ce que la grâce eût porté le sien. En effet il s’agissait de la naissance, non d’un enfant ordinaire, mais de cette première-née d’où allait naître le premier-né de toute créature, en qui subsistent toutes chose. O bienheureux couple, Joachim et Anne ! Toute la création vous doit de la reconnaissance, car c’est en vous et par vous qu’elle offre au créateur le don qui surpasse tous les dons, je veux dire la chaste Mère qui était seule digne du Créateur.
Aujourd’hui sort de la souche de Jessé le rejeton sur lequel va s’épanouir pour le monde une fleur divine. Aujourd’hui Celui qui avait fait autrefois sortir le firmament des eaux crée sur la terre un ciel nouveau, formé d’une substance terrestre ; et ce ciel est beaucoup plus beau, beaucoup plus divin que l’autre, car c’est de lui que va naître le soleil de justice, celui qui a créé l’autre soleil….
Que de miracles se réunissent en cette enfant, que d’alliances se font en elle ! Fille de la stérilité, elle sera la virginité qui enfante. En elle se fera l’union de la divinité et de l’humanité, de l’impassibilité et de la souffrance, de la vie et de la mort, pour qu’en tout ce qui était mauvais soit vaincu par le meilleur. O fille d’Adam et Mère de Dieu ! Et tout cela a été fait pour moi, Seigneur ! Si grand était votre amour pour moi que vous avez voulu, non pas assurer mon salut par les anges ou quelque autre créature, mais restaurer par vous-même celui que vous aviez d’abord créé vous-même. C’est pourquoi je tressaille d’allégresse et je suis plein de fierté, et dans ma joie, je me tourne vers la source de ces merveilles, et emporté par les flots de mon bonheur, je prendrai la cithare de l’Esprit pour chanter les hymnes divins de cette naissance…
Aujourd’hui le créateur de toutes choses, Dieu le Verbe compose un livre nouveau jailli du cœur de son Père, et qu’il écrit par le Saint-Esprit, qui est langue de Dieu…
O fille du roi David et Mère de Dieu, Roi universel. O divin et vivant objet, dont la beauté a charmé le Dieu créateur, vous dont l’âme est toute sous l’action divine et attentive à Dieu seul ; tous vos désirs sont tendus vers cela seul qui mérite qu’on le cherche, et qui est digne d’amour ; vous n’avez de colère que pour le péché et son auteur. Vous aurez une vie supérieure à la nature, mais vous ne l’aurez pas pour vous, vous qui n’avez pas été créée pour vous. Vous l’aurez consacrée tout entière à Dieu, qui vous a introduite dans le monde, afin de servir au salut du genre humain, afin d’accomplir le dessein de Dieu, I’Incarnation de son Fils et la déification du genre humain. Votre cœur se nourrira des paroles de Dieu : elles vous féconderont, comme l’olivier fertile dans la maison de Dieu, comme l’arbre planté au bord des eaux vives de l’Esprit, comme l’arbre de vie, qui a donné son fruit au temps fixé : le Dieu incarné, la vie de toutes choses. Vos pensées n’auront d’autre objet que ce qui profite à l’âme, et toute idée non seulement pernicieuse, mais inutile, vous la rejetterez avant même d’en avoir senti le goût.
Vos yeux seront toujours tournés vers le Seigneur, vers la lumière éternelle et inaccessible ; vos oreilles attentives aux paroles divines et aux sons de la harpe de l’Esprit, par qui le Verbe est venu assumer notre chair… vos narines respireront le parfum de l’époux, parfum divin dont il peut embaumer son humanité. Vos lèvres loueront le Seigneur, toujours attaché aux lèvres de Dieu. Votre bouche savourera les paroles de Dieu et jouira de leur divine suavité. Votre cœur très pur, exempt de toute tache, toujours verra le Dieu de toute pureté et brûlera de désir pour lui. Votre sein sera la demeure de celui qu’aucun lieu ne peut contenir. Votre lait nourrira Dieu, dans le petit enfant Jésus. Vous êtes la porte de Dieu, éclatante d’une perpétuelle virginité. Vos mains porteront Dieu, et vos genoux seront pour lui un trône plus sublime que celui des chérubins… Vos pieds, conduits par la lumière de la loi divine, le suivant dans une course sans détours, vous entraîneront jusqu’à la possession du Bien-Aimé. Vous êtes le temple de l’Esprit-Saint, la cité du Dieu vivant, que réjouissent les fleuves abondants, les fleuves saints de la grâce divine. Vous êtes toute belle, toute proche de Dieu ; dominant les Chérubins, plus haute que les Séraphins, très proche de Dieu lui-même.
Salut, Marie, douce enfant d’Anne ; l’amour à nouveau me conduit jusqu’à vous. Comment décrire votre démarche pleine de gravité ? votre vêtement ? le charme de votre visage ? cette sagesse que donne l’âge unie à la jeunesse du corps ? Votre vêtement fut plein de modestie, sans luxe et sans mollesse. Votre démarche grave, sans précipitation, sans heurt et sans relâchement. Votre conduite austère, tempérée par la joie, n’attirant jamais l’attention des hommes. Témoin cette crainte que vous éprouvâtes à la visite inaccoutumée de l’ange ; vous étiez soumise et docile à vos parents ; votre âme demeurait humble au milieu des plus sublimes contemplations. Une parole agréable, traduisant la douceur de l’âme. Quelle demeure eût été plus digne de Dieu ? Il est juste que toutes les générations vous proclament bienheureuse, insigne honneur du genre humain. Vous êtes la gloire du sacerdoce, l’espoir des chrétiens, la plante féconde de la virginité. Par vous s’est répandu partout l’honneur de la virginité Que ceux qui vous reconnaissent pour la Mère de Dieu soient bénis, maudits ceux qui refusent…
O vous qui êtes la fille et la souveraine de Joachim et d’Anne, accueillez la prière de votre pauvre serviteur qui n’est qu’un pécheur, et qui pourtant vous aime ardemment et vous honore, qui veut trouver en vous la seule espérance de son bonheur, le guide de sa vie, la réconciliation auprès de votre Fils et le gage certain de son salut. Délivrez-moi du fardeau de mes péchés, dissipez les ténèbres amoncelées autour de mon esprit, débarrassez-moi de mon épaisse fange, réprimez les tentations, gouvernez heureusement ma vie, afin que je sois conduit par vous à la béatitude céleste, et accordez la paix au monde. A tous les fidèles de cette ville, donnez la joie parfaite et le salut éternel, par les prières de vos parents et de toute l’Eglise
9/10 Une vigne aux beaux sarments (Os 10,1, Ps 128,3) a germé du sein d’Anne, mère de Marie, et elle a produit un raisin plein de douceur, source de nectar jaillissant pour les habitants de la terre en vie éternelle. Joachim et Anne se firent des semailles de justice et récoltèrent un fruit de vie. Ils se sont éclairés de la lumière de la connaissance, ils ont cherché le Seigneur et il leur vint un fruit de justice (Os 10,12 ; Is 61,11). Que la terre prenne confiance ! Enfants de Sion, réjouissez-vous dans le Seigneur votre Dieu, car le désert a verdoyé (Jl 2,21-23) : celle qui était stérile a porté son fruit. Joachim et Anne, comme des montagnes mystiques, ont fait couler le vin doux. Sois dans l’allégresse, Anne bienheureuse, d’avoir enfanté une femme. Car cette femme sera Mère de Dieu, porte de la lumière, source de vie, et elle réduit à néant l’accusation qui pesait sur la femme.
Le visage de cette femme, les hommes riches du peuple l’imploreront. Devant cette femme les rois des nations se prosterneront en lui offrant des présents. Cette femme, tu l’amèneras à Dieu, le Roi universel, parée de la beauté de ses vertus comme de franges d’or, ornée de la grâce de l’Esprit, et dont la gloire est au-dedans (Ps 45,13-14). La gloire de toute femme, c’est l’homme, qui lui est donné du dehors : mais la gloire de la Mère de Dieu est intérieure, elle est le fruit de son sein.
Ô femme tout aimable, trois fois heureuse ! Tu es bénie entre les femmes, et béni est le fruit de ton sein.
Ô femme, fille du roi David, et Mère de Dieu, le Roi universel ! Divin et vivant chef-d’œuvre, dont Dieu le Créateur s’est réjoui, dont l’esprit est gouverné de Dieu et attentif à Dieu seul, dont tout le désir se porte à ce qui seul est désirable et aimable, qui n’as de colère que contre le péché et celui qui l’a enfanté. Tu auras une vie supérieure à la nature. Car tu ne l’auras point pour toi, puisque aussi bien ce n’est point pour toi que tu es née. Aussi l’auras-tu pour Dieu : à cause de lui tu es venue à la vie, à cause de lui tu serviras au salut universel, pour que l’antique dessein de Dieu, qui est l’Incarnation du Verbe et notre divinisation, par toi s’accomplisse. Ton appétit est de te nourrir des paroles divines et de te fortifier de leur sève, comme l’olivier fertile dans la maison de Dieu (Ps 52,10), comme l’arbre planté près du cours des eaux (Ps 1,3) de l’Esprit, comme l’arbre de vie, qui a donné son fruit au temps qui lui fut marqué : le Dieu incarné, vie éternelle de tous les êtres. Tu retiens toute pensée nourrissante et utile à l’âme : mais toute pensée superflue et qui serait pour l’âme un dommage, tu la rejettes avant de la goûter. Tes yeux sont toujours vers le Seigneur (Ps 25,15), regardant la lumière éternelle et inaccessible (1 Tm 6,16). Tes oreilles écoutent la divine parole et se délectent de la cithare de l’Esprit ; par elles la Parole est entrée pour se faire chair. Tes narines respirent avec délices l’arôme des parfums de l’Époux, qui est lui-même un parfum, spontanément répandu pour oindre son humanité : Ton nom est un parfum qui s’épanche, dit l’Ecriture (Ct 1,2). Tes lèvres louent le Seigneur, et sont attachées à ses lèvres. Ta langue et ton palais discernent les paroles de Dieu et se rassasient de la suavité divine. Cœur pur et sans souillure, qui voit et désire le Dieu sans souillure !
Dans ce sein l’être illimité est venu demeurer ; de son lait, Dieu, l’enfant Jésus, s’est nourri. Porte de Dieu toujours virginale ! Voici les mains qui tiennent Dieu, et ces genoux sont un trône plus élevé que les Chérubins : par eux les mains affaiblies et les genoux chancelant (Is 35,3) furent affermis. Ses pieds sont guidés par la loi de Dieu comme par une lampe brillante, ils courent à sa suite sans se retourner, jusqu’à ce qu’ils aient attiré vers l’amante le Bien-Aimé. Par tout son être elle est la chambre nuptiale de l’Esprit, la cité du Dieu vivant, que réjouissent les canaux du fleuve (Ps 46,5), c’est-à-dire les flots des charismes de l’Esprit : toute belle, tout entière proche de Dieu. Car, dominant les Chérubins, plus haute que les Séraphins, proche de Dieu, c’est à elle que cette parole s’applique !
Merveille qui dépasse toutes les merveilles : une femme est placée plus haut que les Séraphins, parce que Dieu est apparu abaissé un peu au-dessous des anges (Ps 8,6) ! Que Salomon le très sage se taise, et qu’il ne dise plus : Rien de nouveau sous le soleil (Qo 1,9). Vierge pleine de la grâce divine, temple saint de Dieu, que le Salomon selon l’esprit, le Prince de la paix, a construit et habite, l’or et les pierres inanimées ne t’embellissent pas, mais, mieux que l’or, l’Esprit fait ta splendeur. Pour pierreries, tu as la perle toute précieuse, le Christ, la braise de la divinité.
Supplie-le de toucher nos lèvres, afin que, purifiés, nous le chantions avec le Père et l’Esprit, en nous écriant : Saint, Saint, Saint le Seigneur Sabaoth, la nature unique de la divinité en trois Personnes. Saint est Dieu, le Père, qui a bien voulu qu’en toi et par toi s’accomplît le mystère qu’il avait prédéterminé avant les siècles. Saint est le Fort, le Fils de Dieu, et Dieu le Monogène, qui aujourd’hui te fait naître, première-née d’une mère stérile, afin qu’étant lui-même Fils unique du Père et Premier-né de toute créature (1 Co 1,15), il naisse de toi, Fils unique d’une Vierge-Mère, Premier-né d’une multitude de frères (Ro 8,29), semblable à nous et participant par toi à notre chair et à notre sang. Cependant il ne t’a pas fait naître d’un frère seul, ou d’une mère seule, afin qu’au seul Monogène fût réservé, en perfection le privilège de fils unique : il est en effet Fils unique, lui seul d’un père seul, et seul d’une mère seule. Saint est l’immortel, l’Esprit de toute sainteté, qui par la rosée de sa divinité t’a gardée indemne du feu divin : car c’est là ce que signifiait par avance le buisson de Moïse.

BENOÎT XVI : GRÉGOIRE LE GRAND PACIFICATEUR DE L’EUROPE – SEPTEMBRE 3

3 septembre, 2014

http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/audiences/2008/documents/hf_ben-xvi_aud_20080528_fr.html

BENOÎT XVI

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 28 mai 2008

GRÉGOIRE LE GRAND PACIFICATEUR DE L’EUROPE – SEPTEMBRE 3

Chers frères et sœurs,

Mercredi dernier j’ai parlé d’un Père de l’Eglise peu connu en Occident, Romanos le Mélode, je voudrais aujourd’hui présenter la figure de l’un des plus grands Pères dans l’histoire de l’Eglise, un des quatre docteurs de l’Occident, le Pape saint Grégoire, qui fut évêque de Rome entre 590 et 604, et auquel la tradition attribua le titre de Magnus/Grand. Grégoire fut vraiment un grand Pape et un grand Docteur de l’Eglise! Il naquit à Rome vers 540, dans une riche famille patricienne de la gens Anicia, qui se distinguait non seulement par la noblesse de son sang, mais également par son attachement à la foi chrétienne et par les services rendus au Siège apostolique. Deux Papes étaient issus de cette famille: Félix III (483-492), trisaïeul de Grégoire et Agapit (535-536). La maison dans laquelle Grégoire grandit s’élevait sur le Clivus Scauri, entourée par des édifices solennels qui témoignaient de la grandeur de la Rome antique et de la force spirituelle du christianisme. Des sentiments chrétiens élevés lui furent aussi inspirés par ses parents, Gordien et Silvia, tous deux vénérés comme des saints, et par deux tantes paternelles, Emiliana et Tarsilia, qui vécurent dans leur maison en tant que vierges consacrées sur un chemin partagé de prière et d’ascèse.
Grégoire entra très tôt dans la carrière administrative, que son père avait également suivie et, en 572, il en atteint le sommet, devenant préfet de la ville. Cette fonction, compliquée par la difficulté des temps, lui permit de se consacrer à large échelle à chaque type de problèmes administratifs, en en tirant des lumières pour ses futures tâches. Il lui resta en particulier un profond sens de l’ordre et de la discipline: devenu Pape, il suggérera aux évêques de prendre pour modèle dans la gestion des affaires ecclésiastiques la diligence et le respect des lois propres aux fonctionnaires civils. Toutefois, cette vie ne devait pas le satisfaire car, peu après, il décida de quitter toute charge civile, pour se retirer dans sa maison et commencer une vie de moine, transformant la maison de famille dans le monastère Saint André au Celio. De cette période de vie monastique, vie de dialogue permanent avec le Seigneur dans l’écoute de sa parole, il lui restera toujours la nostalgie, qui apparaît toujours à nouveau et toujours davantage dans ses homélies: face aux assauts des préoccupations pastorales, il la rappellera plusieurs fois dans ses écrits comme un temps heureux de recueillement en Dieu, de consécration à la prière, d’immersion sereine dans l’étude. Il put ainsi acquérir cette profonde connaissance de l’Ecriture Sainte et des Pères de l’Eglise dont il se servit ensuite dans ses œuvres.
Mais la retraite dans la clôture de Grégoire ne dura pas longtemps. La précieuse expérience mûrie dans l’administration civile à une époque chargée de graves problèmes, les relations entretenues dans cette charge avec les byzantins, l’estime universelle qu’il avait acquise, poussèrent le Pape Pélage à le nommer diacre et à l’envoyer à Constantinople comme son « apocrisaire », on dirait aujourd’hui « Nonce apostolique », pour permettre de surmonter les dernières séquelles de la controverse monophysite et, surtout, pour obtenir l’appui de l’empereur dans son effort pour contenir la poussée lombarde. Son séjour à Constantinople, où avec un groupe de moines il avait repris la vie monastique, fut très important pour Grégoire, car il lui donna l’occasion d’acquérir une expérience directe du monde byzantin, ainsi que d’approcher la question des Lombards, qui aurait ensuite mis à rude épreuve son habileté et son énergie au cours années de son pontificat. Après quelques années, il fut rappelé à Rome par le Pape, qui le nomma son secrétaire. Il s’agissait d’années difficiles: les pluies incessantes, le débordement des fleuves, la famine qui frappait de nombreuses zones d’Italie et Rome elle-même. A la fin, la peste éclata également, faisant de nombreuses victimes, parmi lesquelles le Pape Pélage II. Le clergé, le peuple et le sénat furent unanime en choisissant précisément lui, Grégoire, pour être son Successeur sur le Siège de Pierre. Il chercha à résister, tentant également la fuite, mais il n’y eut rien à faire: à la fin il dut céder. C’était l’année 590.
Reconnaissant la volonté de Dieu dans ce qui était arrivé, le nouveau Pontife se mit immédiatement au travail avec zèle. Dès le début, il révéla une vision particulièrement clairvoyante de la réalité avec laquelle il devait se mesurer, une extraordinaire capacité de travail pour affronter les affaires ecclésiastiques et civiles, un équilibre constant dans les décisions, parfois courageuses, que sa charge lui imposait. On possède une vaste documentation sur son gouvernement grâce au Registre de ses lettres (environ 800), dans lesquelles se reflète la confrontation quotidienne avec les problèmes complexes qui affluaient sur sa table. Il s’agissait de questions qui provenaient des évêques, des abbés, des clercs, et également des autorités civiles de tout ordre et degré. Parmi les problèmes qui affligeaient l’Italie et Rome à cette époque, il y en avait un d’une importance particulière dans le domaine civil et ecclésial: la question lombarde. Le Pape y consacra toutes les énergies possibles en vue d’une solution vraiment pacificatrice. A la différence de l’empereur byzantin qui partait du présupposé que les Lombards étaient seulement des individus grossiers et prédateurs à vaincre ou à exterminer, saint Grégoire voyait ces personnes avec les yeux du bon pasteur, préoccupé de leur annoncer la parole du salut, établissant avec eux des relations fraternelles en vue d’un avenir de paix fondé sur le respect réciproque et sur la coexistence sereine entre les italiens, les impériaux et les lombards. Il se préoccupa de la conversion des jeunes peuples et de la nouvelle organisation civile de l’Europe: les Wisigoths d’Espagne, les Francs, les Saxons, les immigrés en Britannia et les Lombards furent les destinataires privilégiés de sa mission évangélisatrice. Nous avons célébré hier la mémoire liturgique de saint Augustin de Canterbury, le chef d’un groupe de moines chargés par Grégoire de se rendre en Britannia pour évangéliser l’Angleterre.
Pour obtenir une paix effective à Rome et en Italie, le Pape s’engagea à fond – c’était un véritable pacificateur -, entreprenant des négociations serrées avec le roi lombard Agilulf. Ces négociations conduisirent à une période de trêve qui dura environ trois ans (598-601), après lesquels il fut possible de stipuler, en 603, un armistice plus stable. Ce résultat positif fut rendu possible également grâce aux contacts parallèles que, entre temps, le Pape entretenait avec la reine Théodelinde, qui était une princesse bavaroise et qui, à la différence des chefs des autres peuples germaniques, était catholique, profondément catholique. On conserve une série de lettres du Pape Grégoire à cette reine, dans lesquelles il révèle son estime et son amitié pour elle. Théodelinde réussit peu à peu à guider le roi vers le catholicisme, préparant ainsi la voie à la paix. Le Pape se soucia également de lui envoyer les reliques pour la basilique Saint-Jean-Baptiste qu’elle fit ériger à Monza, et il ne manqua pas de lui faire parvenir ses vœux et des dons précieux à l’occasion de la naissance et du baptême de son fils Adaloald. L’histoire de cette reine constitue un beau témoignage à propos de l’importance des femmes dans l’histoire de l’Eglise. Au fond, les objectifs auxquels Grégoire aspira constamment furent trois: contenir l’expansion des Lombards en Italie; soustraire la reine Théodelinde à l’influence des schismatiques et renforcer sa foi catholique; servir de médiateur entre les Lombards et les Byzantins en vue d’un accord pour garantir la paix dans la péninsule, en permettant dans le même temps d’accomplir une action évangélisatrice parmi les Lombards eux-mêmes. Son orientation constante dans cette situation complexe fut donc double: promouvoir des ententes sur le plan diplomatique et politique, diffuser l’annonce de la vraie foi parmi les populations.
A côté de son action purement spirituelle et pastorale, le Pape Grégoire fut également le protagoniste actif d’une activité sociale multiple. Avec les rentes de l’important patrimoine que le Siège romain possédait en Italie, en particulier en Sicile, il acheta et distribua du blé, il secourut ceux qui étaient dans le besoin, il aida les prêtres, les moines et les moniales qui vivaient dans l’indigence, il paya les rançons des citoyens devenus prisonniers des Lombards, il conclut des armistices et des trêves. En outre, il accomplit aussi bien à Rome que dans d’autres parties de l’Italie une œuvre soignée de réorganisation administrative, en donnant des instructions précises afin que les biens de l’Eglise, utiles à sa subsistance et à son œuvre évangélisatrice dans le monde, soient gérés avec une rectitude absolue et selon les règles de la justice et de la miséricorde. Il exigeait que les colons soient protégés des abus des concessionnaires des terres appartenant à l’Eglise et, en cas de fraude, qu’ils soient rapidement dédommagés, afin que le visage de l’Epouse du Christ ne soit pas défiguré par des profits malhonnêtes.
Cette intense activité fut accomplie par Grégoire malgré sa santé fragile, qui le poussait souvent à rester au lit pendant de longs jours. Les jeûnes pratiqués au cours des années de sa vie monastique lui avaient procuré de sérieux problèmes digestifs. En outre, sa voix était très faible, si bien qu’il était souvent obligé de confier au diacre la lecture de ses homélies, afin que les fidèles présents dans les basiliques romaines puissent l’entendre. Il faisait cependant tout son possible pour célébrer les jours de fête Missarum sollemnia, c’est-à-dire la Messe solennelle, et il rencontrait alors personnellement le peuple de Dieu, qui lui était très attaché, car il voyait en lui la référence autorisée à laquelle puiser son assurance: ce n’est pas par hasard que lui fut très vite attribué le titre de consul Dei. Malgré les conditions très difficiles dans lesquelles il dut œuvrer, il réussit à conquérir, grâce à sa sainteté de vie et à sa riche humanité, la confiance des fidèles, en obtenant pour son époque et pour l’avenir des résultats vraiment grandioses. C’était un homme plongé en Dieu: le désir de Dieu était toujours vivant au fond de son âme et c’est précisément pour cela qu’il était toujours très proche de son prochain, des besoins des personnes de son époque. A une époque désastreuse, et même désespérée, il sut établir la paix et donner l’espérance. Cet homme de Dieu nous montre où sont les véritables sources de la paix, d’où vient la véritable espérance et il devient ainsi un guide également pour nous aujourd’hui.

SAINT JEAN CHRYSOSTOME – HOMÉLIES SUR LA GENÈSE – TREIZIÈME HOMÉLIE.

2 septembre, 2014

http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/chrysostome/genese/genes013.htm

SAINT JEAN CHRYSOSTOME

HOMÉLIES SUR LA GENÈSE – TREIZIÈME HOMÉLIE.

« Or le Seigneur Dieu avait dans Éden, vers l’Orient, un jardin de délices, et il y plaça l’homme qu’il avait formé. » (Gen. II, 8.)

ANALYSE.

1. Saint Chrysostome se réjouit de l’empressement de ses auditeurs, et leur promet d’y répondre par un zèle nouveau. — 2. Il reprend ensuite brièvement le récit de la formation de l’homme; et réfute en passant l’erreur de ceux qui regardaient l’âme comme une partie de la divinité. — 3. Abordant les paroles de son texte, il dit que le mot planté qu’emploie l’Écriture, exprime qu’à l’ordre du Seigneur là terre produisit les différents arbres du jardin de délices; et il ajoute que Moïse en détermine le lieu pour confondre par avance les fables dé quelques hérétiques. — 4. Le Seigneur y plaça l’homme afin qu’il jouit de toutes ses beautés et de tous ses agréments, et il lui défendit de toucher au fruit de l’arbre de vie, pour éprouver son obéissance, et lui rappeler sa dépendance.

1. Votre empressement et votre ardeur, votre attention et votre concours me ravissent d’admiration ; aussi, malgré le sentiment de ma faiblesse, je me propose de dresser chaque jour pour vous la table d’un festin spirituel. Sans doute cette table sera pauvre et frugale; mais j’ai confiance en votre zèle, et je sais que vous écouterez ma parole avec plus de joie que l’on n’en témoigne pour un repas grossier et matériel. Ne voyons-nous pas en effet que l’appétit des convives supplée à la frugalité de la table et à la pauvreté de l’hôte, en sorte qu’un maigre repas est mangé avec grand plaisir; tout au contraire, si on n’apporte qu’un faible appétit à un somptueux festin, la variété et l’abondance des mets deviennent inutiles, parce que personne ne peut en user pleinement? Mais ici, par la grâce de Dieu , vous vous approchez de cette table spirituelle pleins de ferveur et d’une pieuse avidité , et de mon côté je ne suis pas moins empressé à vous distribuer la parole sainte , parce que je sais que vous l’entendez avec une oreille bien disposée.
Le laboureur qui a trouvé un champ gras et fertile, le cultive avec le plus grand soin; il travaille le sol , le laboure et en arrache les épines ; il l’ensemence ensuite largement, et, tout rempli de confiance et d’espoir, il attend chaque jour le développement du grain qu’il a confié à une terre féconde. Cependant, il base ses calculs sur la fertilité du sol, et s’apprête à recueillir le centuple de ce qu’il a semé. C’est .ainsi qu’en voyant chaque jour votre ferveur s’accroître, votre empressement s’augmenter (71) et votre zèle se développer, je conçois les meilleures espérances; aussi, suis-je animé d’une ardeur nouvelle pour vous instruire , afin d’avancer quelque peu votre perfection , la gloire de Dieu et l’honneur de l’Eglise. Mais rappelons d’abord, s’il vous plaît, le sujet de notre dernier entretien, et puis nous passerons à l’explication du passage qui vient d’être lu. Voici donc ce que je vous disais, et ce que je vous développais en terminant notre dernière conférence; il est nécessaire d’y revenir brièvement : et Dieu forma l’homme du limon de la terre; et il répandit sur son visage un souffle de vie, et l’homme devint vivant et animé.
Or, je vous faisais observer, comme je le fais encore en ce moment, et comme je ne cesserai de le dire, que Dieu a donné à l’homme des marques d’une bonté extrême; il s’est occupé de notre salut avec un soin tout particulier, et il a comblé l’homme des plus grands honneurs. Bien plus, sa parole et ses actes ont déclaré hautement qu’à ses yeux l’homme était au-dessus de toutes les autres créatures: aussi, ne sera-t-il pas inutile de revenir sur ce sujet; car de même que les aromates rendent plus de parfum, selon qu’on les pétrit davantage, nos saintes Ecritures offrent à nos méditations profondes et multipliées, des trésors nouveaux, et elles présentent à notre piété des richesses immenses. Et Dieu forma l’homme du limon de la terre. Remarquez ici, je vous prie, combien ce langage diffère de celui que Dieu employa pour produire les autres créatures. Il dit, selon Moïse : Que la lumière soit, et la lumière fut; que le firmament soit, que les eaux se réunissent, que des corps lumineux soient, que la terre produise les plantes, que les eaux produisent les animaux qui nagent, et que la terre enfante les animaux vivants. C’est ainsi qu’une seule parole tira du néant toutes les créatures; mais s’agit-il de l’homme, Moïse dit : Et Dieu forma l’homme; cette expression, qui se proportionne à notre faiblesse, désigne également le mode de notre création et sa supériorité sur les créations antérieures. Car, pour parler un langage tout humain, elle-nous montre le Seigneur formant de ses propres mains le corps de l’homme; aussi, le bienheureux Job a-t-il dit:Vos mains m’ont formé et elles ont façonné mon corps. (Job, X, 8.) Nul doute que si Dieu eût commandé à la terre de produire l’homme, celle-ci n’eût exécuté cet ordre, mais il a voulu que le mode même de notre création nous fût une leçon d’humilité, et que ce souvenir nous retînt dans la dépendance qui convient à notre nature. Voilà pourquoi Moïse décrit si explicitement cette création, et nous dit que Dieu forma l’homme du limon de la terre.
2. Mais observez aussi combien ce mode de création nous est honorable; car Dieu ne prit pas seulement de la terre pour en former l’homme, mais du limon, de la poussière, tout ce qu’il y a de plus vil; et c’est ce limon et cette poussière qui, à son ordre, devint le corps de l’homme. Sa parole avait précédemment tiré la terre du néant, et, alors il voulut qu’un peu de limon se changeât en le corps de l’homme. Aussi, est-ce avec délices que je répète cette exclamation du Psalmiste : Qui racontera la puissance du Seigneur, et qui publiera toutes les louanges qui lui sont dues ? (Ps. CV, 2.) Et en effet, à quel degré d’honneur n’a-t-il pas élevé l’homme formé du limon de la terre ! et de quels bienfaits ne le comble-t-il pas tout aussitôt, lui donnant ainsi des témoignages d’une bonté toute spéciale! Car, dit l’Ecriture : Dieu répandit sur le visage de l’homme un souffle de vie; et il devint vivant et animé.
Mais ici, quelques- insensés qui ne suivent que leurs propres raisonnements, qui n’ont aucunes pensées dignes de Dieu, et qui né comprennent point la condescendance du langage de l’Ecriture, osent affirmer que notre âme est une portion de la divinité. O démence ! ô folie! combien sont nombreuses les voies de perdition que le démon ouvre devant ses sectateurs ! Car, voyez par quels chemins différents ils courent tous à leur perte. Les uns s’appuient sur ce mot : Dieu répandit un souffle, et ils en concluent que nos âmes sont une portion de la divinité; et les autres disent même qu’après la mort l’âme passe dans le corps des plus vils animaux. Quelle doctrine extravagante et dangereuse ! c’est que leur raison, obscurcie par d’épaisses ténèbres, ne peut comprendre le sens de l’Ecriture; aussi, semblables à des aveugles, ils tombent tous dans différents précipices; car les uns élèvent l’âme au-dessus de sa dignité, et les autres l’abaissent au-dessous.
S’ils veulent donner à Dieu une bouche parce que l’Ecriture dit qu’il répandit un souffle de vie sur le visage de l’homme, il faut donc également qu’ils lui donnent des mains puisque la même Ecriture dit qu’il forma l’homme. Mais il vaut mieux taire de pareilles extravagances (72) que s’exposer soi-même à tenir un langage insensé; évitons donc de suivre ces hérétiques dans les sentiers multipliés de leurs erreurs et attachons-nous à l’Écriture qui s’explique par elle-même; seulement la simplicité de ses expressions ne doit point nous arrêter, parce que cette simplicité n’a pour cause que la faiblesse de notre intelligence. Eh ! comment l’oreille de l’homme pourrait-elle recueillir la parole de Dieu, si cette parole ne s’accommodait à son infirmité? Convaincus de notre impuissance et de la véracité de Dieu, nous ne devons interpréter l’Écriture que dans un sens qui soit digne de lui; c’est pourquoi il faut écarter de Dieu toute idée de membres et de formes corporelles, et ne rien imaginer qui le déshonorerait; car, il est un être simple, immatériel, et qui ne tombe point sous les sens; et si nous lui donnons un corps et des membres, nous nous engagerons soudain dans les erreurs grossières du paganisme.
Quand vous lisez donc dans l’Écriture que Dieu forma l’homme, élevez-vous jusqu’à l’idée de cette puissance créatrice qui avait dit précédemment que la lumière soit. Et lorsque vous lisez encore que Dieu répandit surie visage de l’homme un souffle de vie, pensez également que ce même Dieu qui avait créé les anges , intelligences spirituelles, voulut unir au corps de l’homme, formé du limon de la terre, une âme raisonnable qui fit mouvoir les membres de ce corps. Et en effet, on peut dire que ce corps, l’oeuvre par excellence du Seigneur ; gisait sur la terre comme un instrument qui a besoin d’être touché. Oui, il était comme une lyre qui attend une main habile ; et l’âme, en imprimant à ces membres un mouvement harmonieux, leur fait rendre des sons qui sont agréables au Créateur. Et Dieu répandit sur le visage de l’homme un souffle de vie; et l’homme devint vivant et animé. Que signifie cette parole : il répandit un souffle de vie ? Elle nous apprend que Dieu unit au corps de l’homme une âme vivante qui lui communiqua la vie et le mouvement , et qui se servit des membres de ce même corps pour exercer ses propres facultés.
3. Mais je reviens encore sur la différence qui existe entre la création des animaux et celle de cet être raisonnable que nous appelons l’homme. Au sujet des premiers, Dieu avait dit : que les eaux produisent les animaux qui nagent; et soudain les eaux enfantèrent les poissons. Et de même il avait dit : que la terre produise des animaux vivants; mais il n’en est pas ainsi de l’homme. D’abord son corps fut formé du limon de la terre, et il reçut ensuite une âme raisonnable qui lui donna la vie et le mouvement. Aussi Moïse dit-il en parlant des animaux : leur vie est dans le sang. (Lév. XVII, 11.) Notre âme au contraire est une substance spirituelle et immortelle, et elle surpasse le corps de tout l’intervalle qui sépare une pure intelligence d’un corps brut et grossier. Mais peut-être me ferez-vous cette question : si l’âme est plus noble que le corps, pourquoi a-t-il été créé le premier, et l’âme la dernière? Eh ! ne voyez-vous pas, mon cher frère, que ce même ordre a été suivi dans la création ? Car le Seigneur fit d’abord le ciel et la terre, le soleil et la lune, lés animaux et toutes les autres créatures, et il forma ensuite l’homme qui devait leur commander. C’est ainsi que dans la création de l’homme, le corps a été formé le premier et l’âme la dernière, quoiqu’elle soit plus noble et plus excellente.
Observez encore que les animaux, étant destinés au service de l’homme, devaient être créés avant lui, pour qu’il pût tout d’abord les employer. Et de même le corps fut formé avant l’âme, afin que dès l’instant où elle existerait, par un acte de l’ineffable sagesse du Seigneur, elle pût agir au moyen du corps. Et Dieu, dit l’Écriture , planta un jardin de délices, dans Eden, vers l’Orient, et il y plaça l’homme qu’il avait formé. Oh ! combien le Seigneur se montre-t-il bon et généreux envers l’homme ! il avait créé l’univers pour lui, et voici que dès le premier instant de son existence, il le comble de nouveaux bienfaits. Car c’est pour lui qu’il planta un jardin de délices, dans Eden , vers l’Orient. Mais ici, mon cher frère, si l’on n’interprétait ces paroles dans un sens digne de Dieu, on tomberait dans l’abîme de l’extravagance. Et en effet que diront ceux qui prennent à la lettre et dans un sens humain tout ce que l’Écriture dit de Dieu ? il planta un jardin de délices : eh quoi ! eut-il besoin pour embellir ce jardin de travailler la terre, et d’y employer ses soins et son industrie ? A Dieu ne plaise ! Et cette expression, le Seigneur planta, signifie seulement qu’à son ordre la terre produisit le jardin de délices que l’homme devait habiter. C’est en effet pour l’homme que ce jardin fut planté ; et l’Écriture le marque expressément. Dieu, dit-elle, planta un jardin de délices dans (73) Eden, vers l’Orient, et il y plaça l’homme qu’il avait formé.
Je remarque aussi que Moïse spécifie le lieu où ce jardin était placé, afin de prévenir les vains discours de ceux qui veulent abuser de notre simplicité. Ils nous affirment que ce jardin était dans le ciel , et non sur la terre, et nous débitent mille autres fables semblables. L’extrême exactitude de l’historien sacré n’a pu les empêcher de s’enorgueillir de leur éloquence, et de leur science toute profane. Aussi osent-ils combattre l’Ecriture, et soutenir que le paradis terrestre n’existait point sur la terre. C’est ainsi qu’ils adoptent un sens tout contraire à celui de l’Ecriture, et qu’ils suivent une route semée d’erreurs en entendant du ciel ce qui est dit de la terre. Mais dans quel abîme ne seraient-ils point tombés, si, par l’inspiration divine, Moïse n’eût employé un langage simple et familier ! Sans doute l’Ecriture interprète elle-même ses enseignements, et ne donne aucune prise à l’erreur ; mais parce que plusieurs la lisent ou l’écoutent bien moins pour y chercher la doctrine du salut que l’agrément de l’esprit, ils préfèrent les interprétations qui les flattent à celles qui les instruiraient. C’est pourquoi je vous conjure de fermer l’oreille à tous ces discours séducteurs, et de n’entendre l’Ecriture que conformément aux saints canons. Ainsi quand elle nous dit que Dieu planta à l’orient d’Eden un jardin de délices, donnez à ce mot, mon cher frère, un sens digne de Dieu, et croyez qu’à l’ordre du Seigneur un jardin se forma dans le lieu que l’Ecriture désigne. Car on ne peut, sans un grand danger pour soi et pour ses auditeurs, préférer ses propres interprétations au sens vrai et réel des divines Ecritures.
4. Et Dieu y plaça l’homme qu’il avait formé. Voyez ici combien le Seigneur honora l’homme dès le premier instant de son existence. Il l’avait créé hors du paradis , mais il l’y introduisit immédiatement, afin d’éveiller en son coeur le sentiment de la reconnaissance, et de lui faire apprécier l’honneur qui lui était accordé. Il plaça donc dans le paradis l’homme qu’il avait formé; ce mot : il plaça, signifie que Dieu commanda à l’homme d’habiter le paradis terrestre, pour qu’il goûtât tous les charmes de ce séjour délicieux , et qu’il s’en montrât reconnaissant envers son bienfaiteur. Et en effet ces bontés du Seigneur étaient toutes gratuites , puisqu’elles prévenaient dans l’homme jusqu’au plus léger mérite. Ainsi ne vous étonnez point de cette expression : il plaça, car l’Ecriture ici, comme toujours, emploie un langage tout humain , afin de se rendre plus accessible et plus utile. C’est ainsi qu’en parlant des étoiles, elle avait dit précédemment que Dieu les plaça dans le ciel. Certes, l’écrivain sacré n’a point voulu nous faire croire que les astres sont attachés fixement à la place qu’ils occupent , puisqu’ils ont chacun leur mouvement de rotation; il s’est proposé seulement de nous enseigner que le Seigneur leur ordonna, de briller dans les espaces célestes, de même qu’il commanda à l’homme d’habiter le paradis terrestre.
Et Dieu, continue l’Ecriture, fit sortir de la terre toute sorte d’arbres beaux à voir, et dont les fruits étaient doux à manger : et au milieu du jardin étaient l’arbre de vie et l’arbre de la science du bien et du mal. (Gen. II, 9.) Voici, de la part du Seigneur un nouveau bienfait qui se rapporte tout spécialement à l’homme. Il lui destinait le paradis terrestre pour habitation: aussi fit-il sortir de la terre toutes sortes d’arbres dont l’aspect était agréable à la vue, et le fruit doux au goût. Toutes sortes d’arbres, dit expressément l’Ecriture, qui étaient beaux à voir, c’est-à-dire qui réjouissaient le regard de l’homme, et dont les fruits étaient doux à manger, c’est-à-dire qui lui fournissaient une nourriture délicieuse. Ajoutez encore que le nombre et la variété de ces arbres produisaient pour l’homme des charmes nouveaux; car vous ne sauriez nommer une seule espèce qui ne s’y trouvât pas. Mais si l’habitation de l’homme était si gracieuse, sa vie n’était pas moins admirable. Il vivait sur la terre comme un ange, et quoique revêtu d’un corps il n’en souffrait point les dures nécessités. C’était le roi de la création, portant la pourpre et le diadème; et parmi l’abondance de tous les biens, il coulait dans, le paradis terrestre une douce et libre existence.
Et au milieu du jardin étaient l’arbre de vie, et l’arbre de la science du bien et du mal. Après nous avoir appris qu’à l’ordre du Seigneur, la terre produisit toute sorte d’arbres beaux à la vue et dont les fruits étaient doux au goût, Moïse ajoute : qu’au milieu du jardin étaient l’arbre de vie, et l’arbre de la science du bien et du mal. C’est que le Créateur, dans sa prescience divine, n’ignorait point que par la suite l’homme abuserait de sa liberté et de sa (74) sécurité. Aussi plaça-t-il au milieu du paradis l’arbre de vie, et l’arbre de la science du bien et du mal, parce qu’il se proposait d’en défendre l’usage à l’homme. Et le but de cette défense devait être d’abord de rappeler à l’homme que Dieu lui donnait par bonté et par générosité l’usage de tous les autres arbres, et puis, qu’il était son Maître, non moins que celui de toutes les créatures. La mention de ces deux arbres amène naturellement celle des quatre fleuves qui sortaient d’une seule et même source, et qui se divisant ensuite en quatre branches, arrosaient les diverses contrées du globe, et en marquaient la séparation.
Mais il est possible qu’ici ceux qui ne veulent parler que d’après leur propre sagesse soutiennent que ces fleuves n’étaient point de véritables fleuves, ni ces eaux de véritables eaux. Laissons-les débiter ces rêveries à des auditeurs qui leur prêtent une oreille trop crédule; et pour nous, repoussons de tels hommes, et n’ajoutons aucune foi à leurs paroles. Car nous devons croire fermement tout ce que contiennent les divines Ecritures, et en nous attachant à leur véritable sens, nous imprimerons dans nos âmes la saine et vraie doctrine. Mais nous devons également régler notre vie sur leurs maximes, en sorte que nos moeurs rendent témoignage à la sainteté de la doctrine, et que la doctrine soit elle-même la règle de nos moeurs. Et en effet il est essentiel, si nous voulons éviter l’enfer et gagner le ciel, que nous brillions de la double auréole d’une foi orthodoxe et d’une conduite irréprochable. Eh ! dites-le-moi, peut-on appeler utile l’arbre élancé qui se couvre de feuilles, et ne se couronne jamais de fruits? Ainsi sont ces chrétiens orthodoxes dans leur foi, et hérétiques dans leur conduite.
D’ailleurs Jésus-Christ ne déclare heureux que celui qui fait et qui enseigne. (Matth. V, 19.) Car l’enseignement qui repose sur les actions est bien plus sûr et bien plus persuasif que celui qui ne s’appuie que sur de vaines paroles. Et en effet, le silence et l’obscurité n’empêchent point que nos bonnes oeuvres n’édifient nos frères, soit par nos exemples, soit par le récit qui leur en est fait. De plus, nous y trouvons nous-mêmes une source de grâces parce que, selon la mesure de nos forces, nous sommes cause que ceux qui nous voient glorifient le Seigneur. C’est ainsi que les bons exemples d’un chrétien sont autant de langues qui se multiplient comme à l’infini pour remercier et louer le Dieu de l’univers. Car non-seulement les témoins de sa vie l’admirent, et glorifient le Seigneur, mais les étrangers eux-mêmes, quelle que soit la distance des lieux qui les séparent; et les ennemis, non moins que les amis, s’édifient de sa vertu, et vénèrent son éminente sainteté. Telle est en effet la puissance de la vertu, qu’elle ferme la bouche à ses plus opiniâtres contradicteurs ; et de même qu’un oeil faible ne peut supporter l’éclat du soleil, le vice ne saurait sans honte contempler la vertu en face, il est contraint de se cacher, et de s’avouer vaincu. Convaincus de ces vérités, embrassons donc le parti de la vertu, et pour mieux régler notre vie, et assurer notre salut, évitons avec soin jusqu’aux péchés les plus légers dans nos paroles et nos actions; car nous ne tomberons point en des fautes graves, si nous sommes en garde contre les moindres, et, avec le secours de la grâce, nous pourrons, en avançant en âge, avancer aussi en sainteté. C’est ainsi que nous échapperons aux peines de l’enfer, et que nous acquerrons les biens éternels du ciel, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec le Père et l’Esprit-Saint, la gloire, l’honneur et l’empire, maintenant et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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