Archive pour la catégorie 'Père d’église et Docteur'

SUR LE SIXIÈME PSAUME – ÉCRIT PAR SAINT GRÉGOIRE DE NYSSE

22 juin, 2015

http://www.coptipedia.com/ancien-testament/sur-le-sixieme-psaume.html

SUR LE SIXIÈME PSAUME

ÉCRIT PAR SAINT GRÉGOIRE DE NYSSE

Ceux qui s’avancent « de puissance en puissance » selon la bénédiction du prophète et disposent en leur cœur « ces glorieuses ascensions », lorsqu’ils saisissent une pensée bonne, sont conduits par elle à une pensée plus élevée grâce à laquelle se fait l’ascension de l’âme vers les hauteurs. Et ainsi toujours « tendu en avant », il n’arrêtera jamais la bonne ascension, celui qui est toujours guidé par de sublimes pensées vers la compréhension des puissances d’en haut.
Je vous ai dit cela, frères, en réfléchissant sur le sixième psaume, et en observant l’ordre logique et nécessaire d’après lequel après « celle qui hérite » a été ajoutée la Parole concernant l’octave. Or vous n’ignorez absolument pas le mystère de l’octave. Il ne convient pas, en effet, que la pensée de quelques-uns soit entraînée vers les opinions des juifs, qui ramènent la grandeur du mystère de l’octave à ce qui concerne les parties honteuses de notre corps et disent que par le nombre de l’octave sont indiquées la loi de la circoncision et la purification après l’accouchement (Lev 12).
Mais nous, qui avons appris du grand Paul, que « la Loi est spirituelle », même si ce nombre est contenu dans les lois indiquées, instituant pour l’homme la circoncision et pour la femme le sacrifice pour la purification, ni nous ne rejetons ni n’admettons humblement la Loi, puisque nous savons qu’en vérité le huitième jour a lieu la véritable circoncision, pratiquée avec un couteau de pierre. Tu comprends, sans doute possible, que par la pierre qui tranche l’impureté, est désignée « la pierre même qu’est le Christ » parole de vérité, et que cesse le flux sordide des embarras de la vie, une fois l’existence humaine transformée dans le sens du plus divin. Pour rendre manifeste à tous le sens de tels propos, je vais tenter, autant que je le pourrai, de donner plus de clarté à mon discours.
Le temps de cette vie, dans la première réalisation de la création, a été accompli en une seule semaine : la création des réalités commença avec le premier jour et la fin de la création s’acheva avec le septième. En effet, « il y eut » dit le prophète, « un jour » où furent créées les premières réalités ; puis, de la même façon, un second, les deuxièmes, et ainsi de suite jusqu’au sixième jour où tout fut créé. Le septième, qui est la fin de la création, a clos en lui le temps coextensif à la création du monde. Comme donc, ni aucun autre ciel n’a été fait depuis ce moment, ni aucune des parties du monde n’a été ajoutée à celles qui existent depuis le commencement mais que la création a été constituée en elle-même, demeurant dans ses dimensions sans augmentation ni diminution, ainsi aucun autre temps n’a existé en dehors de celui qui a été déterminé avec la création, mais la réalité du temps a été circonscrite dans la semaine de jours. C’est pourquoi, lorsque nous mesurons le temps avec les jours, partant d’un jour et fermant le nombre avec le septième, nous revenons à un jour, mesurant toute l’étendue du temps par le cycle des semaines jusqu’à ce que, une fois les réalités mobiles passées et le flux du devenir du monde arrêté, viennent, comme dit l’Apôtre, les choses qui ne sont plus agitées, que n’atteignent plus ni altération, ni changement, puisque cette création-là demeure toujours semblable à elle-même dans les siècles successifs. On y verra la vraie circoncision de la nature humaine dans le dépouillement de la vie corporelle et la vraie purification de la vraie souillure. Or la souillure de l’homme, c’est le péché engendré avec la nature humaine (car « ma mère m’a conçu dans le péché ») dont Celui qui a opéré la purification de nos péchés nous purifie alors entièrement, faisant disparaître de la nature des êtres tout ce qui est sanglant, sordide et incirconcis. C’est en ce sens que nous prenons la loi de l’octave qui purifie et circoncit : à la fin de ce temps septénaire, le huitième jour apparaîtra après le septième, appelé huitième parce qu’il vient après le septième, mais n’ayant plus après lui de successeur. Il demeure en effet à jamais unique sans être jamais interrompu par l’obscurité nocturne ; c’est un autre soleil qui le fait, celui qui rayonne de la véritable lumière, qui, une fois qu’il nous est apparu, comme l’Apôtre n’est plus caché par les couchants, mais embrassant tout dans sa vertu illuminatrice, éclaire de la lumière perpétuelle et sans alternance ceux qui en sont dignes, faisant même de ceux qui participent à cette lumière d’autres soleils, selon la parole de l’Évangile : « Alors les justes brilleront comme le soleil ».
Puisque donc, dans le psaume précédent, le prophète parle « pour celle qui reçoit l’héritage » et que l’héritage est préparé aux justes dans l’octave et, là aussi, le juste jugement de Dieu qui distribue selon le mérite de chacun, le prophète a eu raison d’associer au rappel de l’octave sa parole sur le repentir. Qui, en effet, en se rappelant le redoutable jugement du Christ, n’est pas aussitôt déchiré dans sa conscience et saisi par la crainte et l’angoisse ? Et même s’il se trouve conscient d’avoir passé sa vie à se rendre meilleur, cependant, ayant les yeux fixés sur la rigueur du jugement où même la moindre des fautes est examinée, il est saisi d’un effroi extrême dans la crainte de maux redoutables, puisqu’il ne sait quels seront pour lui l’issue et le terme du jugement. Voilà pourquoi, comme il a pour ainsi dire sous les yeux ces châtiments redoutables – la Géhenne, le feu ténébreux et le ver de la conscience qui ne meurt pas , qui suce interminablement l’âme par la honte et, en lui rappelant ses actes mauvais, ravive ses souffrances – il supplie désormais Dieu, priant pour n’être pas livré dans sa fureur à la rigueur du jugement, pour n’être pas soumis par sa colère à la correction de ses fautes. Car pour ceux qui ont été condamnés à la cruelle correction de ce châtiment redoutable, le jugement est selon la tradition oeuvre de fureur et de colère. Et c’est pourquoi, comme s’il se trouvait déjà dans la douleur, il reprend les paroles de ceux qui souffrent, pour qui ce qui est exercé pour le châtiment des impies est fureur et colère. Il dit alors : je n’attends pas que vienne sur moi avec les châtiments redoutables dus à cette fureur le jugement qui me convaincra de mes fautes cachées mais je devance en les confessant la nécessité de cette colère. Car ce que produit la douleur chez ceux qui sont châtiés, en rendant manifeste malgré eux les secrets de leur iniquité, c’est ce qu’obtient par elle-même la libre décision de se punir et de se châtier par repentir, de rendre publique le péché dissimulé dans le secret du cœur.
Donc, en disant : « Ne me châtie pas dans ta fureur, ne me corrige pas dans ta colère », il cherche logiquement recours en la miséricorde, en rapportant la raison du mal non pas tant à une libre décision qu’à la faiblesse de notre nature : Moi qui suis né dans le mal, soigne-moi par ta miséricorde de faible que j’étais, je suis devenu la proie des passions. Mais quelle faiblesse ? Mes os se sont disloqués, ont perdu leurs articulations. Or, les os, c’est la sage raison qui affermit l’âme : « Guéris-moi, Seigneur, car mes os sont bouleversés ». Et il interprète le sens figuré de l’expression en ajoutant : « Mon âme est toute bouleversée ». Pourquoi donc, dit-il, remets-tu à plus tard la guérison, « Toi, Seigneur ? Jusqu’à quand » vas-tu refuser d’accorder ta miséricorde ? Ne vois-tu pas la brièveté de la vie humaine ? Préviens, en convertissant mon âme, cette nécessité de notre vie, de peur que, quand la mort viendra, toute intention de me soigner soit inutile. Car il ne sera plus dans la mort, celui qui peut par le souvenir de Dieu soigner la maladie que provoque en lui le mal, puisque l’aveu a de la force sur terre mais que ce n’est pas le cas dans l’Hadès. Ensuite, comme si quelqu’un demandait : comment implores-tu la miséricorde pour la guérison des fautes ? De quelle manière fléchir la divinité ? Il répond : « Je me suis épuisé en gémissements », et je baignerai du flot de mes larmes « mon lit » où s’entasse le péché. Pourquoi ? Parce que, dit-il, « dans ma fureur mon oeil a été bouleversé », et pour cela je suis devenu quelqu’un de vieux et de moisi, parce que la fureur que mettent en moi mes adversaires a gangrené mon âme. Or, si la fureur, à elle seule, met tant de crainte en celui qui a commis une faute à cause d’elle, combien, à plus forte raison, désespéreront du salut ceux qui sont conscients en leur vie particulière non seulement des passions qui viennent de la fureur, mais aussi de tout ce que provoquent désir, cupidité, orgueil, amour de la gloire, envie et tout l’essaim restant des vices humains. C’est pourquoi s’adressant à tous ses adversaires, il dit « Écartez-vous de moi, vous tous, artisans d’iniquité » (Ps 6, 9).
Mais il indique, dans le verset suivant, le bon espoir d’un heureux résultat qui nous vient du repentir. Aussitôt, en effet, en même temps qu’il a présenté à Dieu ses paroles de repentir, venant à sentir la bienveillance de Dieu à son égard, il révèle la grâce et se réjouit du don qui lui est fait, en disant : « Le Seigneur a entendu ma supplication : le Seigneur a accueilli ma prière ». Afin donc que le bien qui lui est venu de son repentir puisse subsister à jamais pour lui et que, dans sa vie il n’ait pas besoin d’un second repentir, il demande que ses adversaires se détournent sous le fouet de la honte. Car celui qui a honte d’avoir commis le mal, en se laissant guider par la honte pour ne plus se porter aux mêmes actes, s’écartera à l’avenir d’expériences semblables. Telle est donc la logique d’une bonne ascension : le quatrième psaume a distingué le bien immatériel de la réalité corporelle et charnelle ; le cinquième a appelé par ses prières l’héritage d’un tel bien ; le sixième, par la mention de l’octave, a indiqué le moment de l’héritage ; l’octave a manifesté la peur du jugement : le jugement a averti les pécheurs que nous sommes de prévenir par le repentir le châtiment redoutable. Puis le repentir offert à Dieu avec raison a annoncé le gain qu’il nous procure en inspirant ces mots : « Le Seigneur a entendu la voix de celui qui se tournait en larmes vers lui. Après quoi pour que le bien puisse subsister sans changement pour nous à l’avenir, le Prophète appelle la disparition, sous l’effet de la honte, des pensées adverses. Car une pensée adverse et injuste ne peut s’éteindre que si la honte la fait disparaître : c’est un profond abîme que la honte éprouvée pour le mal qu’on a commis, puisqu’elle sépare, comme par un mur, le péché de l’homme. Disons donc : « Qu’ils soient honteux » et changent entièrement, tous mes adversaires. Les adversaires, ce sont visiblement « les gens de la maison » qui sortent de notre cœur et souillent l’homme. Quand ils se seront rapidement détournés sous l’effet de la honte, nous attend l’espérance de la gloire qui n’aboutit pas à la honte par grâce du Seigneur, à qui appartient la gloire pour l’éternité. Amen.

LES CARACTÉRISTIQUES DE LA DOCTRINE DE ST GRÉGOIRE DE NAREK, PAR LE CARD. AMATO

28 mai, 2015

http://www.zenit.org/fr/articles/les-caracteristiques-de-la-doctrine-de-st-gregoire-de-narek-par-le-card-amato

LES CARACTÉRISTIQUES DE LA DOCTRINE DE ST GRÉGOIRE DE NAREK, PAR LE CARD. AMATO

LE SENS DU PÉCHÉ, LA TRINITÉ, LES SACREMENTS ET LA VIERGE MARIE

ROME, 15 AVRIL 2015 (ZENIT.ORG) STAFF REPORTER

La doctrine du saint arménien Grégoire de Narek se distingue dans quatre domaines particuliers : le sens du péché et des limites de l’homme, la réflexion sur le mystère de la Sainte Trinité, la défense de l’efficacité surnaturelle des sacrements et la dévotion à la Vierge Marie, explique le cardinal Amato lors de la messe de proclamation du saint comme docteur de l’Église, dimanche dernier, 12 avril 2015, en la basilique Saint-Pierre.
Au début du rite de la proclamation présidée par le pape François, le cardinal Angelo Amato, préfet de la Congrégation pour les causes des saints, a adressé quelques paroles, saluant « l’extraordinaire figure de saint Grégoire de Narek, semeur d’espérance et artisan de paix », dans le contexte du centenaire du génocide arménien.
A.K.

Allocution du cardinal Amato
Très Saint-Père,
Dès les premiers siècles de l’ère chrétienne, l’Esprit Saint a allumé en Orient tant d’étoiles, c’est-à-dire des hommes saints et sages qui, par l’exemple de leur vie et leur enseignement, ont ouvert la voie à la connaissance des mystères de Dieu et à la rencontre avec Jésus Christ.
Environ cent ans après l’attribution du titre de docteur de l’Église universelle à un autre fils de l’Église d’Orient, saint Ephrem le Syrien († 373), aujourd’hui, Très Saint-Père, nous vous demandons d’attribuer le même titre à saint Grégoire de Narek, maître et gloire du peuple arménien.
Ce grand théologien, mystique et poète, transmit son expérience spirituelle et religieuse par sa vie et son enseignement dogmatique, diffusant la théologie par la voie de la beauté.
La profondeur des idées théologiques du saint, la nouveauté de sa pensée et la vigueur de son verbe poétique ont toujours été appréciées au niveau populaire et par les hommes de culture. Il fut comparé de plus en plus à des pères de l’Église comme saint Jean Chrysostome, saint Ephrem le Syrien ou saint Grégoire l’Illuminateur. Son œuvre pénétra peu à peu tous les domaines de la vie religieuse et de la culture arménienne : la poésie, l’enluminure, la musique, l’hagiographie, la liturgie et le folklore. Sa constante popularité est encore aujourd’hui liée à son livre de méditations et de prières, que l’auteur a appelé « Livre des Lamentations », et connu populairement sous le nom de Narek. Après l’Évangile, ce texte est le plus vénéré et le plus répandu en Arménie. Très Saint-Père, la doctrine de saint Grégoire de Narek se distingua dans quatre domaines en particulier :
- le sens du péché et des limites de l’homme, incapable de parler de Dieu et avec Dieu sans la méditation de la Parole incarnée;
- la réflexion dogmatique sur le mystère de la Très Sainte Trinité, où il voyait se refléter l’âme humaine mais surtout une analogie avec les trois vertus théologales;
- la défense de l’efficacité surnaturelle des sacrements et leur rôle de transmission et de médiation dans l’Église, réaffirmant l’importance de la grâce divine et de la vie intérieure, par comparaison avec les tendances hérétiques des Thondrakiens, qui prétendaient remonter aux origines du christianisme reniant la hiérarchie, les sacrements, l’église et la liturgie;
- la dévotion à la Vierge Marie, la Panaghia, « Celle qui n’est que sainteté », la « Toute Sainte », exaltant « l’invulnérabilité absolue de la très Sainte Deipara par rapport au péché », en plus de son rôle de médiatrice, comme « pont entre Dieu et l’homme ».
Pour toutes ces raisons, les saints pasteurs de l’Église arménienne se sont adressés plusieurs fois aux souverains pontifes, leur demandant de proclamer saint Grégoire de Narek Docteur de l’Église universelle. Récemment, la Congrégation pour la doctrine de la foi a donné son avis positif sur l’eminens doctrina du candidat. Les consultants théologiens et, dans un deuxième temps, la séance plénière de la Congrégation pour les causes ont relevé dans le magistère du saint les notes qui étaient demandées pour le proclamer Docteur de l’Église. A l’audience qui m’a été accordée le 21 février 2015, Votre Sainteté a pris acte favorablement de l’avis des cardinaux et évêques.
Très Saint-Père, nous ne saurions négliger, pour finir, une circonstance qui rend notre demande encore plus riche de sens et de valeur: la célébration, cette année, du premier centenaire du massacre, le « grand mal » qui frappa très cruellement le peuple arménien. Dans ce contexte brille encore plus l’extraordinaire figure de saint Grégoire de Narek, semeur d’espérance et artisan de paix.

Traduction de Zenit, Océane Le Gall

BENOÎT XVI : BÈDE LE VÉNÉRABLE 25 MAI

25 mai, 2015

http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2009/documents/hf_ben-xvi_aud_20090218.html

BENOÎT XVI

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 18 février 2009

BÈDE LE VÉNÉRABLE 25 MAI

Chers frères et sœurs,

Le saint que nous évoquons aujourd’hui s’appelle Bède et naquit dans le Nord-Est de l’Angleterre, plus exactement dans le Northumberland, en 672/673. Il raconte lui-même que ses parents, à l’âge de sept ans, le confièrent à l’abbé du proche monastère bénédictin, afin qu’il l’instruise: « Depuis lors – rappelle-t-il -, j’ai toujours vécu dans ce monastère, me consacrant intensément à l’étude de l’Ecriture et, alors que j’observais la discipline de la Règle et l’engagement quotidien de chanter à l’église, il me fut toujours doux d’apprendre, d’enseigner ou d’écrire » (Historia eccl. Anglorum, v, 24). De fait, Bède devint l’une des plus éminentes figures d’érudit du haut Moyen-Age, pouvant utiliser les nombreux manuscrits précieux que ses abbés, revenant de leurs fréquents voyages sur le continent et à Rome, lui portaient. L’enseignement et la réputation de ses écrits lui valurent de nombreuses amitiés avec les principales personnalités de son époque, qui l’encouragèrent à poursuivre son travail, dont ils étaient nombreux à tirer bénéfice. Etant tombé malade, il ne cessa pas de travailler, conservant toujours une joie intérieure qui s’exprimait dans la prière et dans le chant. Il concluait son œuvre la plus importante, la Historia ecclesiastica gentis Anglorum, par cette invocation: « Je te prie, ô bon Jésus, qui avec bienveillance m’a permis de puiser aux douces paroles de ta sagesse, accorde-moi, dans ta bonté, de parvenir un jour à toi, source de toute sagesse, et de me trouver toujours face à ton visage ». La mort le saisit le 26 mai 735: c’était le jour de l’Ascension.
Les Saintes Ecritures sont la source constante de la réflexion théologique de Bède. Après une étude critique approfondie du texte (une copie du monumental Codex Amiatinus de la Vulgate, sur lequel Bède travailla, nous est parvenue), il commente la Bible, en la lisant dans une optique christologique, c’est-à-dire qu’il réunit deux choses: d’une part, il écoute ce que dit exactement le texte, il veut réellement écouter, comprendre le texte lui-même; de l’autre, il est convaincu que la clef pour comprendre l’Ecriture Sainte comme unique Parole de Dieu est le Christ et avec le Christ, dans sa lumière, on comprend l’Ancien et le Nouveau Testament comme « une » Ecriture Sainte. Les événements de l’Ancien et du Nouveau Testament vont de pair, ils sont un chemin vers le Christ, bien qu’ils soient exprimés à travers des signes et des institutions différentes (c’est ce qu’il appelle la concordia sacramentorum). Par exemple, la tente de l’alliance que Moïse dressa dans le désert et le premier et le deuxième temple de Jérusalem sont des images de l’Eglise, nouveau temple édifié sur le Christ et sur les Apôtres avec des pierres vivantes, cimentées par la charité de l’Esprit. Et de même qu’à la construction de l’antique temple contribuèrent également des populations païennes, mettant à disposition des matériaux précieux et l’expérience technique de leurs maîtres d’œuvre, à l’édification de l’Eglise contribuent les apôtres et les maîtres provenant non seulement des antiques souches juive, grecque et latine, mais également des nouveaux peuples, parmi lesquels Bède se plaît à citer les celtes irlandais et les Anglo-saxons. Saint Bède voit croître l’universalité de l’Eglise qui ne se restreint pas à une culture déterminée, mais se compose de toutes les cultures du monde qui doivent s’ouvrir au Christ et trouver en Lui leur point d’arrivée.
L’histoire de l’Eglise est un autre thème cher à Bède. Après s’être intéressé à l’époque décrite dans les Actes des Apôtres, il reparcourt l’histoire des Pères et des Conciles, convaincu que l’œuvre de l’Esprit Saint continue dans l’histoire. Dans la Chronica Maiora, Bède trace une chronologie qui deviendra la base du Calendrier universel « ab incarnatione Domini ». Déjà à l’époque, on calculait le temps depuis la fondation de la ville de Rome. Bède, voyant que le véritable point de référence, le centre de l’histoire est la naissance du Christ, nous a donné ce calendrier qui lit l’histoire en partant de l’Incarnation du Seigneur. Il enregistre les six premiers Conciles œcuméniques et leurs développements, présentant fidèlement la doctrine christologique, mariologique et sotériologique, et dénonçant les hérésies monophysite et monothélite, iconoclaste et néo-pélagienne. Enfin, il rédige avec beaucoup de rigueur documentaire et d’attention littéraire l’Histoire ecclésiastiques des peuples Angles, pour laquelle il est reconnu comme le « père de l’historiographie anglaise ». Les traits caractéristiques de l’Eglise que Bède aime souligner sont: a) la catholicité, comme fidélité à la tradition et en même temps ouverture aux développements historiques, et comme recherche de l’unité dans la multiplicité, dans la diversité de l’histoire et des cultures, selon les directives que le Pape Grégoire le Grand avait données à l’Apôtre de l’Angleterre, Augustin de Canterbury; b) l’apostolicité et la romanité: à cet égard, il considère comme d’une importance primordiale de convaincre toutes les Eglises celtiques et des Pictes à célébrer de manière unitaire la Pâque selon le calendrier romain. Le Calcul qu’il élabora scientifiquement pour établir la date exacte de la célébration pascale, et donc tout le cycle de l’année liturgique, est devenu le texte de référence pour toute l’Eglise catholique.
Bède fut également un éminent maître de théologie liturgique. Dans les homélies sur les Evangiles du dimanche et des fêtes, il accomplit une véritable mystagogie, en éduquant les fidèles à célébrer joyeusement les mystères de la foi et à les reproduire de façon cohérente dans la vie, dans l’attente de leur pleine manifestation au retour du Christ, lorsque, avec nos corps glorifiés, nous serons admis en procession d’offrande à l’éternelle liturgie de Dieu au ciel. En suivant le « réalisme » des catéchèses de Cyrille, d’Ambroise et d’Augustin, Bède enseigne que les sacrements de l’initiation chrétienne constituent chaque fidèle « non seulement chrétien, mais Christ ». En effet, chaque fois qu’une âme fidèle accueille et conserve avec amour la Parole de Dieu, à l’image de Marie, elle conçoit et engendre à nouveau le Christ. Et chaque fois qu’un groupe de néophytes reçoit les sacrements de Pâques, l’Eglise s’ »auto-engendre » ou, à travers une expression encore plus hardie, l’Eglise devient « Mère de Dieu » en participant à la génération de ses fils, par l’œuvre de l’Esprit Saint.

Grâce à sa façon de faire de la théologie en mêlant la Bible, la liturgie et l’histoire, Bède transmet un message actuel pour les divers « états de vie »: a) aux experts (doctores ac doctrices), il rappelle deux devoirs essentiels: sonder les merveilles de la Parole de Dieu pour les présenter sous une forme attrayante aux fidèles; exposer les vérités dogmatiques en évitant les complications hérétiques et en s’en tenant à la « simplicité catholique », avec l’attitude des petits et des humbles auxquels Dieu se complaît de révéler les mystères du royaume; b) les pasteurs, pour leur part, doivent donner la priorité à la prédication, non seulement à travers le langage verbal ou hagiographique, mais en valorisant également les icônes, les processions et les pèlerinages. Bède leur recommande l’utilisation de la langue vulgaire, comme il le fait lui-même, en expliquant en dialecte du Northumberland le « Notre Père », le « Credo » et en poursuivant jusqu’au dernier jour de sa vie le commentaire en langue vulgaire de l’Evangile de Jean; c) aux personnes consacrées qui se consacrent à l’Office divin, en vivant dans la joie de la communion fraternelle et en progressant dans la vie spirituelle à travers l’ascèse et la contemplation, Bède recommande de soigner l’apostolat – personne ne reçoit l’Evangile que pour soi, mais doit l’écouter comme un don également pour les autres – soit en collaborant avec les évêques dans des activités pastorales de divers types en faveur des jeunes communautés chrétiennes, soit en étant disponibles à la mission évangélisatrice auprès des païens, hors de leur pays, comme « peregrini pro amore Dei ».

En se plaçant dans cette perspective, dans le commentaire du Cantique des Cantiques, Bède présente la synagogue et l’Eglise comme des collaboratrices dans la diffusion de la Parole de Dieu. Le Christ Epoux veut une Eglise industrieuse, « le teint hâlé par les efforts de l’évangélisation » – il y a ici une claire évocation de la parole du Cantique des Cantiques (1, 5) où l’épouse dit: « Nigra sum sed formosa » (je suis noire, et pourtant belle) -, occupée à défricher d’autres champs ou vignes et à établir parmi les nouvelles populations « non pas une cabane provisoire, mais une demeure stable », c’est-à-dire à insérer l’Evangile dans le tissu social et dans les institutions culturelles. Dans cette perspective, le saint docteur exhorte les fidèles laïcs à être assidus à l’instruction religieuse, en imitant les « insatiables foules évangéliques, qui ne laissaient pas même le temps aux apôtres de manger un morceau de nourriture ». Il leur enseigne comment prier continuellement, « en reproduisant dans la vie ce qu’ils célèbrent dans la liturgie », en offrant toutes les actions comme sacrifice spirituel en union avec le Christ. Aux parents, il explique que même dans leur petit milieu familial, ils peuvent exercer « la charge sacerdotale de pasteurs et de guides », en formant de façon chrétienne leurs enfants et affirme connaître de nombreux fidèles (hommes et femmes, mariés ou célibataires), « capables d’une conduite irrépréhensible, qui, s’ils sont suivis de façon adéquate, pourraient s’approcher chaque jour de la communion eucharistique » (Epist. ad Ecgberctum, ed. Plummer, p. 419).
La renommée de sainteté et de sagesse dont, déjà au cours de sa vie, Bède jouit, lui valut le titre de « vénérable ». C’est ainsi également que l’appelle le Pape Serge i, lorsqu’en 701, il écrit à son abbé en lui demandant qu’il le fasse venir pour un certain temps à Rome afin de le consulter sur des questions d’intérêt universel. Après sa mort, ses écrits furent diffusés largement dans sa patrie et sur le continent européen. Le grand missionnaire d’Allemagne, l’Evêque saint Boniface (+ 754), demanda plusieurs fois à l’archevêque de York et à l’abbé de Wearmouth de faire transcrire certaines de ses œuvres et de les lui envoyer de sorte que lui-même et ses compagnons puissent aussi bénéficier de la lumière spirituelle qui en émanait. Un siècle plus tard, Notkero Galbulo, abbé de Saint-Gall (+ 912), prenant acte de l’extraordinaire influence de Bède, le compara à un nouveau soleil que Dieu avait fait lever non de l’orient, mais de l’occident pour illuminer le monde. Hormis l’emphase rhétorique, il est de fait que, à travers ses œuvres, Bède contribua de façon efficace à la construction d’une Europe chrétienne, dans laquelle les diverses populations et cultures se sont amalgamées, lui conférant une physionomie unitaire, inspirée par la foi chrétienne. Prions afin qu’aujourd’hui également, se trouvent des personnalités de la stature de Bède pour maintenir uni tout le continent; prions afin que nous soyons tous prêts à redécouvrir nos racines communes, pour être les bâtisseurs d’une Europe profondément humaine et authentiquement chrétienne.

SAINT JEAN CHRYSOSTOME – EXPLICATION DU PSAUME CXII.

19 mai, 2015

http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/chrysostome/psaumes/psaume112.htm

SAINT JEAN CHRYSOSTOME

EXPLICATION DU PSAUME CXII. «LOUEZ, ENFANTS, LE SEIGNEUR, LOUEZ LE NOM DU SEIGNEUR. »

ANALYSE.

1. Ce que c’est que bénir et glorifier Dieu.
2. La nouvelle loi prédite. Que le langage de l’Ancien Testament est un langage de condescendance.
3. Dieu relève ce qui est humble : allusion à la venue du Christ. Récapitulation.

1. Il est souvent question de ces louanges dans les Ecritures : ce n’est pas , en effet, une chose de peu d’importance, mais un sacrifice, une offrande agréable à Dieu: le sacrifice de louanges me glorifiera , est-il écrit. (Ps. XLIX, 23.) Et ailleurs: « Je louerai le nom de mon Dieu avec un chant, je le célébrerai dans une louange : et cela plaira à Dieu plus qu’un jeune veau à qui la corne pousse au front et au pied. » (Ps. LXVIII, 31, 32.) Les (135) saints Livres répètent le même précepte eu plusieurs endroits; et ceux qui sont sauvés croient témoigner avec éclat leur reconnaissance en offrant ce genre de sacrifice. Et qu’y a-t-il là de difficile? dira-t-on; n’est-il pas aisé au premier venu d’en faire autant, de louer Dieu? Pour peu que vous prêtiez une exacte attention vous verrez à la fois et la difficulté attachée à cette offrande et le profit qu’on en retire. D’abord c’est aux justes que sont demandés les hymnes de ce genre: avant de les chanter à Dieu, il faut commencer par bien vivre. « Il n’y a pas de belle louange dans la bouche d’un pécheur. » (Eccli. XV, 9.) En second lieu , comme il y a deux manières de louer, Soit en paroles, soit en actions, c’est la dernière que Dieu recherche surtout; telle est la glorification qu’il préfère. « Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu’ils voient vos belles actions, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. » (Matth. V, 16.) Telles sont les louanges des Chérubins. Et voilà pourquoi le Prophète, qui a entendu cette mélodie mystique, accuse sa propre misère, en disant: malheureux que je suis ! « Homme, ayant des lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple qui a des lèvres impures. » (Isaïe, VI, 3.) Aussi le Psalmiste, quand il prescrit d’offrir des louanges, commence-t-il par les puissances d’en-haut, en disant: « Louez le Seigneur du haut des cieux, louez-le, vous tous qui êtes ses anges. » (Ps. CXLVIII, 1, 2.) Il faut donc devenir un ange et ensuite chanter la louange. Ne voyons donc pas en cela un éloge ordinaire: avant notre bouche, il faut que notre vie résonne; avant notre langue, notre conduite doit faire entendre sa voix. De cette façon , jusque dans le silence nous pouvons louer Dieu: de cette façon, si notre voix s’élève, elle formera avec notre vie un concert harmonieux. Mais ce n’est pas la seule chose qui soit à considérer dans ce psaume : remarquez encore que tous les hommes y sont invités à concerter ensemble à former un choeur universel. Car ce n’est pas à une ni à deux personnes que s’adresse le Psalmiste, c’est au peuple tout entier. Le Christ nous invite à la concorde et à la charité , en nous prescrivant de faire en commun nos prières , et de nous confondre dans l’Eglise entière devenue comme une seule personne, en disant: « Notre Père, donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien. Remettez-nous nos offenses comme nous les remettons : et ne nous induisez pas en tentation, mais délivrez-nous du mal. » Partout il emploie le pluriel; et il prescrit à chaque fidèle en particulier, soit qu’il adresse sa prière isolément ou en commun, de prier en même temps pour ses frères. De même le Prophète invite tous les hommes à un concert de prières, et dit: « Louez le nom du Seigneur. » Que fait ici : « Le nom: » sans doute ce mot exprime la ferveur de la personne qui parle : mais il fait entendre quelque chose de plus, à savoir, que le nom du Seigneur soit glorifié par notre entremise, que notre vie même montre qu’il est digne d’hommages: il l’est en réalité : mais Dieu veut que notre conduite même rende cette vérité sensible. Que si vous voulez vous en convaincre, voyez la suite. « Que le nom du Seigneur soit béni dès ce jour et jusque dans l’éternité (2).» Qu’est-ce à dire, pour qu’il soit béni? votre souhait est-il nécessaire ? voyez-vous qu’il ne s’agit pas ici de la bénédiction attachée naturellement à Dieu, mais de celle qui s’exprime par l’entremise des hommes? C’est au sujet de cette dernière que Paul écrit pareillement: « Glorifiez Dieu dans votre corps et dans votre esprit. » (I Cor. VI, 20.) Par lui-même Dieu est grand , sublime, digne de toute louange: parmi les hommes, il devient tel quand ses serviteurs offrent le spectacle d’une vie capable d’appeler sur son nom les bénédictions de tous ceux qui les voient. Le Christ nous ordonne la même chose, lorsqu’il nous recommande de répéter toujours dans nos prières: « Que votre nom soit sanctifié. » (Matth. VI, 9.) C’est-à-dire que notre vie même le glorifie. En effet, si nous le blasphémons en vivant mal, nous le glorifions, le bénissons , le sanctifions , en pratiquant la vertu. Voici le sens de ces paroles : accordez-nous de passer toute notre vie dans la vertu , afin que nous contribuions aussi à faire de votre nom un objet de bénédictions. « Du lever du soleil à son couchant, louable est le nom du Seigneur (3). » Voyez-vous comment il annonce en quelque sorte la cité nouvelle, et fait entrevoir dès lors la noblesse de l’Eglise. Ce n’est plus seulement de la Palestine, de la Judée qu’il est ici question, mais de toutes les contrées de la terre. Or quand cela s’est-il vu,, sinon depuis les progrès de notre foi? Dans l’ancien temps, le nom de Dieu, loin d’être béni en Palestine ; était encore blasphémé à (136) cause des Juifs qui habitaient ce pays. Il est écrit.: « A cause de vous, mon nom est blasphémé parmi les nations. » (Isaïe, LII, 5.) Et aujourd’hui ce même nom est célébré par toute la terre. C’est ce qu’un autre prophète annonçait en disant: « Le Seigneur paraîtra, et exterminera tous les dieux des nations ; et ils l’honoreront, chacun de sa place. » (Soph. II, 11.) Un autre prophète dit également : « Parce qu’en nous les portes seront fermées, et que le feu de mon autel ne sera pas allumé gratuitement, car du lever du soleil à son couchant mon nom a été glorifié parmi les nations et en tout lieu l’on offre à mon nom l’encens et une oblation pure. » (Mal. I, 10, 11.)
2. Voyez-vous comment il ravale, il anéantit le judaïsme, étend sur toute la terre le gouvernement de l’Eglise, et prédit notre culte? Le prophète qui parle ainsi vivait après le retour de Babylone. S’il fit alors cette prophétie, ce fut pour empêcher les Juifs de dire que cette captivité, cet abandon sont ceux de Babylone. Ces épreuves étaient finies, les Juifs étaient revenus à leur premier régime: c’est alors que le messager de Dieu s’exprime ainsi, par allusion à l’abandon qui devait avoir lieu sous Vespasien et Titus, abandon qui doit rester à jamais irréparable. Car le tour de l’Eglise est venu. De là ces mots: « Mon nom est grand parmi les nations; » c’est-à-dire béni, loué par leur vie , dans le même sens qu’il dit ici; « Que le nom du Seigneur soit béni. Le Seigneur est élevé au-dessus de toutes les nations (4). »
Vous voyez encore ici son culte pénétrer chez les nations, non pas seulement chez une, deux ou trois, mais chez toutes les nations de la terre. Quoi de plus clair que cette prophétie ? Mais comment Dieu est-il élevé sur toutes les nations ! Est-ce nous qui l’élevons? Ce n’est pas sans doute qu’il nous appartienne d’ajouter quelque chose à sa grandeur? A Dieu ne plaise ! Il s’agit ici des dogmes, du culte, de l’adoration et de tous les autres hommages que nous lui rendons, en concevant de lui non pas une idée basse comme les Juifs, mais une idée beaucoup plus haute et plus relevée. Telle est en effet notre loi : autant le ciel est au-dessus de la terre, autant la nouvelle loi surpasse l’ancienne. De là ces expressions : «Le Seigneur est élevé sur toutes les nations. » En effet, lorsque nous le relevons en un sens par le culte que nous lui rendons, nous n’ignorons pas que ce culte appelle sa condescendance. Il surpasse celui de l’ancienne loi, mais il est encore bien peu digne de Celui à qui il s’adresse. Paul a dit, pour montrer cela et marquer la différence qui sépare la connaissance que nous avons aujourd’hui, de celle qui nous est réservée dans la vie future : « Quand j’étais petit enfant, je raisonnais comme un petit enfant, mais quand je suis devenu homme, je me suis dépouillé de ce qui était de l’enfant. » (I Cor. XIII, 11.) Et encore : « C’est imparfaitement que nous connaissons et imparfaitement que nous prophétisons. » Et enfin : « Nous voyons maintenant à travers un miroir en énigme, mais alors nous verrons face à face. » (Ibid. IX, 12.) Il montre par là que la connaissance actuelle diffère autant de la connaissance future que l’enfant diffère de l’homme parvenu à la pleine maturité. « Sa gloire est au-dessus des cieux. » Après avoir parlé de la louange, de la glorification qui résulte de la conduite humaine , après nous avoir invités à exalter Dieu, à le louer, le glorifier de la sorte; en progressant dans la vertu, il indique l’endroit où cela se fait principalement. Cet endroit est le ciel. Là réside la gloire de Dieu. Ce sont les anges, avant tout, qui le glorifient : ils le glorifient non-seulement par leur propre nature, mais encore par une obéissance de bons serviteurs, en accomplissant avec scrupule ses ordres et ses volontés. Voilà pourquoi il dit ailleurs : « Puissants, accomplissant sa parole. » (Ps. CII, 20.) Voilà pourquoi dans les Evangiles le Christ ordonne de prier et de dire : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme aux cieux. » C’est-à-dire qu’il nous soit donné, à nous aussi, de le sanctifier comme le sanctifient les anges, exempts de tout vice et fidèlement attachés à la pratique de la vertu. Le Psalmiste fait entendre la même chose en disant : « Sa gloire est au-dessus des cieux. » Ne vous bornez pas à considérer sur la terre les créatures visibles, ni même l’ordre des corps célestes, élevez-vous, par la pensée des choses sensibles aux choses intelligibles, contemplez la beauté des essences célestes , la magnificence de l’empire qui est là-haut, et vous saurez alors comment sa gloire est dans les cieux.
« Qui est comme le Seigneur notre Dieu qui habite les hauteurs (5) et regarde les choses humbles (6) ? » Ne vous semble-t-il pas que (137) voilà une grande parole? Néanmoins, si vous songez de qui il est question, vous la trouverez bien insuffisante. Il ne tarit pas, je l’ai dit, s’en tenir aux paroles, il tarit porter plus haut sa pensée. Comment peut-il habiter dans les cieux, celui dont la présence remplit le ciel et la terre, celui (lui est partout, celui qui dit : « C’est Dieu, c’est moi qui m’approche, Dieu n’est pas loin. (Jér. XXIII, 23.) Celui qui a mesuré le ciel à l’empan et la terre dans la paume de la main, celui qui embrasse le tour de la terre.» (Isaïe, XL, 12,22.) C’est parce qu’alors il s’adressait aux Juifs qu’il emploie ce langage afin d’initier peu à peu leur esprit, d’élever, de soulever de terre insensiblement leur pensée. Voilà pourquoi le Psalmiste ne se borne pas à dire : « Celui qui habite les hauteurs leurs et qui regarde ce qui est humble; » il commence par dire d’abord : « Qui est comme le Seigneur notre Dieu? » et par là il explique la seconde partie de sa phrase. Il parie ainsi pour condescendre à la faiblesse des Juifs qui avaient la superstition des images et adoraient des dieux enfermés dans des temples et des lieux déterminés. Voilà pourquoi il procède par comparaison, bien que Dieu soit hors de comparaison avec quelque chose que ce soit, comme je l’ai dit plus haut (et je ne me lasserai pas de le répéter) : il approprie ainsi son langage à la faiblesse de ses auditeurs. Il songeait moins alors à parler dignement de la majesté divine, qu’à se faire comprendre des Juifs. C’est pour cela qu’il n’avance que pas à pas, sans néanmoins s’en tenir à la bassesse de leurs idées et tout erg leur découvrant des perspectives plus hautes. En effet, après ces mots : « Lui qui habite les hauteurs et regarde ce qui est humble, » il passe à un ordre de conception plus relevé, en ajoutant : « Dans le ciel et sur la terre. » Par là il indique que Dieu est à la fois là-haut et ici-bas. S’il considère ce qui se passe sur la terre, ce n’est pas de loin ni du tond du ciel, il n’est pas emprisonné dans le ciel, il est partout présent, il est auprès de chaque être.
3. Voyez-vous comment il élève progressivement l’esprit de ses auditeurs? Après cela, quand il les a soulevés de terre, qu’il a fixé sur le ciel leurs regards, afin de leur proposer encore un plus grand spectacle, il passe à une autre preuve de la puissance divine, en disant: « Celui qui tire de la poussière l’indigent, et relève le pauvre de dessus son fumier (7). » (137) Car c’est le propre d’une grande, d’une infinie puissance, que d’élever jusqu’aux petites choses. Ailleurs l’Ecriture nous représente le contraire, à savoir, les grandes choses abaissées, par exemple en ce passage: « Broyant la force, et déchaînant le malheur contre les solides remparts. » (Amos, V, 9.) — Ici au contraire il est dit que Dieu sait élever les petits. Tout cela est dit en général. Si l’on veut néanmoins y chercher un sens figuré, on verra que cela s’applique très-bien aux nations, que le genre humain a passé par un tel changement lors de la venue du Christ. En effet, quoi de plus misérable que notre espèce? Cependant le Christ l’a relevée, l’a fait monter au ciel avec nos prémices, l’a fait asseoir sur le trône paternel. « Et relève le pauvre de dessus son fumier. Pour le faire asseoir avec les chefs, avec les chefs de son peuple (8). » Par ce mot fumier il désigne une basse condition, et le coup subit qui vient la changer, montrant ainsi que tout pour Dieu est aisé et facile. Il passe ensuite à quelque chose de plus élevé. Qu’est-ce donc? C’est que Dieu sait non-seulement bouleverser les fortunes et changer la bassesse en élévation, mais déplacer les bornes de la nature même, et rendre mère une femme stérile. Il poursuit donc ainsi : « Celui qui donne à celle qui était stérile la joie de se voir dans sa maison mère de plusieurs enfants (9). » C’est ce qui advint pour Anne et pour mille autres femmes. Voyez-vous que l’hymne est désormais complet et terminé? Le Psalmiste a dit le bonheur réservé à la terre, comment le judaïsme devait finir, comment la lumière d’une nouvelle loi, celle de l’Eglise; devait briller à son tour, comment le sacrifice serait offert désormais en tout lieu. Ensuite afin de convaincre les hommes les plus grossiers de la vérité de sa prédiction, il confirme au moyen de faits passés ce qu’il annonce pour l’avenir. Voici le sens de ses paroles: N’allez pas. douter de ce grand changement, qui doit porter au plus haut degré de gloire les nations perdues. Ne voyez-vous pas ces choses arriver tous les jours? Les petits grandir et prendre place au premier rang. Ne voyez-vous pas la nature corrigée dans ses imperfections, des lemmes stériles qui deviennent mères tout à coup? Il est arrivé quelque chose de semblable pour l’Eglise : elle était stérile, et elle est devenue mère d’innombrables enfants. De là ces paroles d’Isaïe : « Réjouis-toi, femme stérile, toi qui n’enfantes point: (138) élève la voix et crie, toi qui ne portes pas parce que les enfants de la délaissée sont plus nombreux que ceux de l’épouse.» (Isaïe, LIV, 1.) Il prédit ainsi la future destinée de l’Eglise. Voilà pourquoi le Psalmiste termine son hymne en cet endroit, après avoir donné à sa prophétie la confirmation des faits précédemment opérés par la grandeur de Dieu. Car tout ce que Dieu juge à propos, il n’a pas de peine à l’accomplir. Il peut changer l’ordre de la nature, convertir la bassesse en grandeur, et réformer le coeur de l’homme. Instruits de ces vérités, faisons notre devoir, et nous jouirons d’une gloire parfaite, nous atteindrons l’ineffable sommet, grâce à la protection de Dieu, à qui puissance et gloire, au Père, au Fils et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit il.

« DIEU N’ÉCOUTE PAS LA VOIX, MAIS LE CŒUR » (SAINT CYPRIEN DE CARTHAGE)

16 mai, 2015

http://notredamedesneiges.over-blog.com/tag/textes%20-%20peres%20de%20l%27eglise/

« DIEU N’ÉCOUTE PAS LA VOIX, MAIS LE CŒUR » (SAINT CYPRIEN DE CARTHAGE)

« Prions, mes frères bien-aimés, comme Dieu notre maître nous a appris à le faire. (…) Lorsque nous prions, que notre voix soit réglée par la décence et le respect. Souvenons-nous que nous sommes en présence de Dieu et que nous devons plaire à ses regards divins par l’attitude de notre corps et le calme de notre parole. L’insensé pousse de grands cris; l’homme respectueux prie avec modestie. Le Seigneur nous ordonne de prier en secret, dans des lieux solitaires et reculés, même dans nos chambres. C’est là ce qui convient le mieux à la foi. Nous savons, en effet, que Dieu est présent partout , qu’il voit et entend tous ses enfants, qu’il remplit de sa majesté les retraites les plus secrètes, selon cette parole : « Je suis avec vous, ne me cherchez pas au loin » (Jér., XXIII). « Quand l’homme se cacherait au centre de la terre, dit encore le Seigneur, est-ce que je ne le verrais pas ? Est-ce que je ne remplis pas et la terre et le ciel ? Et plus loin : Les yeux du Seigneur regardent partout les bons et les méchants » (Prov., XV.). Quand nous nous réunissons pour offrir avec le prêtre le divin sacrifice, prions avec recueillement. Gardons-nous bien de jeter à tous les vents des paroles sans suite et de formuler tumultueusement une demande dont la modestie doit faire tout le prix. Dieu n’écoute pas la voix, mais le cœur. Il n’est pas nécessaire de l’avertir par des cris, puisqu’il connaît les pensées des hommes. Nous en avons une preuve dans cette parole du Seigneur ! « Que pensez-vous de mauvais dans vos cœurs ? » (Luc, XV.). Et dans l’Apocalypse : « Toutes les Églises sauront que c’est moi qui sonde les cœurs et les reins » (Ap., II). Anne, dont nous trouvons l’histoire au premier livre des Rois, se soumit à cette règle, et en cela elle fut une figure de l’Eglise. Elle n’adressait pas au Seigneur des paroles bruyantes; mais, recueillie en elle-même, elle priait silencieusement et avec modestie. Sa prière était cachée, mais sa foi manifeste; elle parlait, non avec la voix, mais avec le cœur. Elle savait bien que Dieu entend des vœux ainsi formulés; aussi, grâce à la foi qui l’animait, elle obtint l’objet de sa demande. C’est ce que nous apprend l’Écriture : « Elle parlait dans son cœur et ses lèvres remuaient; mais sa voix n’était pas entendue; et le Seigneur l’exauça » (I Reg., I). Nous lisons de même dans les psaumes : « Priez du fond du cœur, priez sur votre couche et livrez, votre âme à la componction » (Ps., IV.). L’Esprit-Saint nous donne le même précepte par la bouche de Jérémie : « C’est par la pensée que vous devez adorer le Seigneur ». Lorsque vous remplissez le devoir de la prière, mes frères bien-aimés, n’oubliez pas la conduite du Pharisien et du Publicain dans le temple. Le Publicain n’élevait pas insolemment ses regards vers le ciel, il n’agitait pas ses mains hardies; mais frappant sa poitrine, et, par cet acte, se reconnaissant pécheur, il implorait le secours de la miséricorde divine. Le Pharisien, au contraire, s’applaudissait lui-même. Aussi le Publicain fut justifié et non pas l’autre. Il fut justifié à cause de sa prière, car il ne plaçait pas l’espoir de son salut dans une confiance aveugle en son innocence, attendu que personne n’est innocent; mais il confessait humblement ses péchés, et Dieu qui pardonne toujours aux humbles, entendit sa voix (…).

Nous venons de voir, mes frères bien-aimés, d’après les saints livres, quelle doit être notre attitude dans la prière. Voyons maintenant ce que nous devons demander. « Vous prierez ainsi, nous dit Jésus-Christ: Notre père qui êtes dans les cieux, que votre nom soit sanctifié. Que votre règne arrive. Que votre volonté soit faite sur la terre comme dans le ciel. Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien. Pardonnez-nous nos, offenses comme nous les pardonnons à ceux qui nous ont offensés. Ne souffrez pas que nous soyons induits en tentation; mais délivrez-nous du mal; ainsi soit-il » (Matth., VI). Avant toutes choses, le Dieu qui nous a si fortement recommandé la paix et l’unité n’a pas voulu que nos prières eussent un caractère personnel et égoïste; il n’a pas voulu, quand nous prions, que nous ne pensions qu’à nous-même. Nous ne disons pas : mon Père qui es dans les cieux, donne-moi aujourd’hui le pain dont j’ai besoin. Nous ne demandons pas seulement pour nous-mêmes le pardon de nos fautes, l’exemption de toute tentation et la délivrance du mal. Notre prière est publique et commune, et quand nous prions, nous ne pensons pas seulement à nous, mais à tout le peuple; car tout le peuple chrétien ne forme qu’un seul corps. Le Dieu qui nous a enseigné la paix la concorde et l’unité veut que notre prière embrasse tous nos frères, comme il nous a tous portés lui-même dans sou sein paternel. Ainsi prièrent les trois enfants dans la fournaise leurs voix étaient unies comme leurs cœurs. C’est ce que nous enseigne l’Écriture, en les proposant à notre imitation : « Les trois enfants, dit-elle, comme d’une seule bouche, chantaient un hymne au Seigneur et le bénissaient » (Dan., III). Et pourtant le Verbe fait homme ne leur avait pas appris à prier. Est-il donc étonnant qu’il ait exaucé leur demande, lui qui prête toujours l’oreille à la prière de l’homme simple et pacifique ? Nous voyons les apôtres et les disciples prier de la même manière, après l’ascension de Jésus-Christ. Tous, dit l’Écriture, unis par un même sentiment, persévéraient dans la prière avec les saintes femmes, avec Marie, mère de Jésus, et ses proches parents (Act., I). Nous voyons, par cette union, combien leur prière était sincère, persévérante et efficace. Dieu qui réunit dans la même maison les frères dont les sentiments sont unanimes, n’ouvre les portes de la demeure éternelle qu’à ceux dont les coeurs s’unissent dans la prière ».

De l’Oraison Dominicale, par Saint Cyprien de Carthage

SERMON DE SAINT LÉON LE GRAND POUR L’ASCENSION

15 mai, 2015

http://www.paris.catholique.fr/sermon-de-saint-leon-le-grand-pour.html

SERMON DE SAINT LÉON LE GRAND POUR L’ASCENSION

Ce qui était visible chez notre Rédempteur est passé dans les mystères sacramentels. Et pour rendre la foi plus pure et plus ferme, la vue a été remplacée par l’enseignement : c’est à l’autorité de celui-ci que devaient obéir les cœurs des croyants, éclairés par les rayons du ciel… C’est alors que la foi mieux instruite se rapprocha, par une démarche spirituelle, du Fils égal au Père ; elle n’avait plus besoin de toucher dans le Christ cette substance corporelle par laquelle il est inférieur au Père. Le corps glorifié gardait sa nature, mais la foi des croyants était appelée à toucher, non d’une main charnelle mais d’une intelligence spirituelle, le Fils unique égal à celui qui l’engendre. »
Dans la solennité pascale, la Résurrection du Seigneur était la cause de notre joie ; de même, sa montée au ciel nous donne lieu de nous réjouir, puisque nous commémorons et vénérons comme il convient ce grand jour où notre pauvre nature, en la personne du Christ, a été élevée plus haut que toute l’aimée des cieux, plus haut que tous les chœurs des anges, plus haut que toutes les puissances du ciel, jusqu’à s’asseoir auprès de Dieu le Père. C’est sur cette disposition des œuvres divines que nous sommes fondés et construits. La grâce de Dieu devient en effet plus admirable lorsque les hommes ayant vu disparaître ce qui leur inspirait de l’adoration, leur foi n’a pas connu le doute, leur espérance n’a pas été ébranlée, leur charité ne s’est pas refroidie.
Voici en quoi consiste la force des grands esprits, telle est la lumière des âmes pleines de foi : croire sans hésitation ce que les yeux du corps ne voient pas, fixer son désir là où le regard ne parvient pas. Mais comment une telle piété pourrait-elle naître en nos cœurs, comment pourrait-on être justifié par la foi, si notre salut ne consistait qu’en des réalités offertes à nos yeux ?
Ce qui était visible chez notre Rédempteur est passé dans les mystères sacramentels. Et pour rendre la foi plus pure et plus ferme, la vue a été remplacée par l’enseignement : c’est à l’autorité de celui-ci que devaient obéir les cœurs des croyants, éclairés par les rayons du ciel.
Cette foi, augmentée par l’Ascension du Seigneur, et fortifiée par le don du Saint-Esprit, n’a redouté ni les chaînes, ni les prisons, ni l’exil, ni la morsure des bêtes, ni les supplices raffinés de cruels persécuteurs. Dans le monde entier, c’est pour cette foi que non seulement des hommes, mais des femmes et aussi de jeunes enfants et de frêles jeunes filles, ont combattu jusqu’à répandre leur sang. Cette foi a chassé des démons, écarté des maladies, ressuscité des morts.
Les saints Apôtres eux-mêmes, fortifiés par tant de miracles, instruits par tant de discours, avaient cependant été terrifiés par la cruelle passion du Seigneur et n’avaient pas admis sans hésitation la réalité de sa résurrection. Mais son Ascension leur fit accomplir de tels progrès que tout ce qui, auparavant, leur avait inspiré de la crainte, les rendait joyeux, Ils avaient dirigé leur contemplation vers la divinité de celui qui avait pris place à la droite du Père. La vue de son corps ne pouvait plus les entraver ni les empêcher de considérer, par la fine pointe de leur esprit, qu’en descendant vers nous et qu’en montant vers le Père, il ne s’était pas éloigné de ses disciples.
C’est alors, mes bien-aimés, que ce fils d’homme fut connu, de façon plus haute et plus sainte, comme le Fils de Dieu. Lorsqu’il eut fait retour dans la gloire de son Père, il commença d’une manière mystérieuse à être plus présent par sa divinité, alors qu’il était plus éloigné quant à son humanité
C’est alors que la foi mieux instruite se rapprocha, par une démarche spirituelle, du Fils égal au Père ; elle n’avait plus besoin de toucher dans le Christ cette substance corporelle par laquelle il est inférieur au Père. Le corps glorifié gardait sa nature, mais la foi des croyants était appelée à toucher, non d’une main charnelle mais d’une intelligence spirituelle, le Fils unique égal à celui qui l’engendre.

Saint Léon le Grand, pape de 440 à 461
Sermon sur l’Ascension, 2,1-4

VIVRE L’IMPOSSIBLE HUMAIN DANS LA FOI AU FILS DE DIEU – SAINT MAXIME LE CONFESSEUR

12 mai, 2015

http://www.patristique.org/Vivre-l-impossible-humain-dans-la-foi-au-Fils-de-Dieu.html

VIVRE L’IMPOSSIBLE HUMAIN DANS LA FOI AU FILS DE DIEU

UNE LECTURE DU LIBER ASCETICUS DE SAINT MAXIME LE CONFESSEUR

PAR VÉRONIQUE DUPONT

Le commandement de l’amour des ennemis invite le chrétien à imiter le Christ jusqu’à devenir Dieu en lui. Ce n’est pas là une obligation qui serait imposée de l’extérieur à l’homme, mais une exigence de l’amour qui suscite la liberté. Tel est l’enseignement que Véronique Dupont nous invite à découvrir dans sa lecture du « Liber asceticus » de Maxime le Confesseur.
La théologie monastique de Maxime le Confesseur est indissociable du milieu politique et ecclésial dans lequel il a été plongé. En effet, Maxime vient au monde en 580, c’est-à-dire au seuil de ce terrible VIIe siècle qui verra la montée foudroyante de l’Islam, la dislocation de la chrétienté orientale et le rétrécissement de l’empire byzantin. Dans ce contexte de violence, qui n’est pas sans rapport avec notre époque, Maxime fut le champion de la foi catholique, témoignant envers l’Église d’une fidélité sans faille. Sa pensée théologique prit pour lui la forme du Christ, maître et Seigneur et le conduisit jusqu’au martyre dans l’abandon de tous sinon de son fidèle disciple Anastase.
Le Liber asceticus [1] fut rédigé dans les dernières années de la vie de Maxime [2]. Ce dialogue est un chef d’œuvre de la théologie monastique. Un dialogue, avec questions et réponses. Il semble que ce soit un genre littéraire dont Maxime fut coutumier, ainsi que d’autres auteurs de sa région culturelle et de son époque. Les Questions à Thalassios [3] et les Ambigua [4] sont aussi des réponses à des questions posées. Grégoire le Grand, qui a vécu à Constantinople comme apocrisiaire du pape un demi-siècle plus tôt, procède de la même manière pour écrire la vie de Benoît et d’une pléiade de saints d’Italie [5].
« Père, dis-moi une Parole : Comment être sauvé ? » Telle est la question classique d’un disciple à son père spirituel dans la tradition monastique des premiers siècles chrétiens. Au lieu d’interroger de la sorte son père spirituel, un jeune moine demande à Maxime : « Quel a été le but de l’Incarnation du Seigneur [6] ? ». Maxime ne se dérobe pas à la question du jeune moine. Il lui répond sérieusement, clairement, concrètement avec envergure et profondeur. Et pour répondre il brosse une grande synthèse théologique du salut offert par le Christ.
L’homme, créé par Dieu, placé dans le paradis, a transgressé le commandement et, par voie de conséquence, il est devenu mortel, sujet à la corruption et à la mort. Il a sombré dans les ténèbres et le désespoir.
« À cause de son trop grand amour » (Ep 2, 4), le Fils monogène de Dieu est venu illuminer l’homme et s’est fait homme pour le libérer de la mort en lui donnant la vie qu’il est lui-même. Comment a-t-il réalisé cela ? Par sa vie même, non pas par des discours. Il a pris l’homme exactement là où il était tombé en transgressant le commandement divin ; il l’a relevé, non pas de force mais en lui montrant que l’enjeu mort/vie est une question de liberté : transgresser le commandement conduit à la mort ; garder le commandement donne la vie. Mais quel est ce commandement et comment vivre ce rude combat ? Le Christ, Dieu fait homme, a gardé le commandement ; il nous a offert une manière de vivre divine ; il nous a « laissé un modèle pour que nous marchions sur ses traces » (1 P 2, 21) et, pour que, devenus fils dans le Fils, nous demeurions en son amour (Jn 15, 9) [7].
D’emblée Maxime met en lumière « Celui qui nous a fait passer des ténèbres à son admirable lumière » (1 P 2, 9). La compréhension de la christologie de Maxime dans ce traité nous semble nécessaire pour bien saisir ensuite les enjeux de l’anthropologie monastique qui en est issue.

1. La Christologie du Liber AsceticusMême si Maxime ne présente pas, à proprement parler, un traité de christologie, ce bref ouvrage est un condensé, un concentré de la christologie qui s’est cherchée pendant les sept premiers siècles et dont la formulation s’est précisée et fixée au concile de Chalcédoine (451). Si la christologie de Maxime est chalcédonienne, il l’expose cependant avec beaucoup de liberté et dans une référence constante à l’Écriture. Le Fils de Dieu s’est fait homme pour nous diviniser, nous déifier, nous répète Maxime. On retrouve là la célèbre affirmation de saint Irénée [8]. Autrement dit le Fils de Dieu est pleinement Dieu et pleinement homme [9].
Le Christ est Dieu
Il est le Monogène de Dieu. En Occident, nous sommes plus familiarisés avec l’expression « Fils unique ». Ces deux expressions recouvrent la même réalité : le Verbe est Fils unique de Dieu de toute éternité. Il est Dieu par nature ; il a reçu l’Esprit Saint, consubstantiel à lui-même ; il est source de vie et d’immortalité. Autrement dit, il est Dieu, totalement, par nature, par substance, par lien de filiation [10].
Le Verbe s’est fait homme
Il nous a illuminés en acceptant devenir homme (cf. Lc 1,79 ; Phi 2, 6-7) [11]. Il a pris chair de la Vierge Marie par l’Esprit saint (cf. Lc 1, 35). Il est né d’une femme et s’est fait sujet de la Loi afin qu’en observant le commandement il puisse détourner l’ancienne malédiction qui pesait sur Adam : « Dieu envoya son Fils, né d’une femme, né sujet de la Loi, afin de racheter les sujets de la Loi, afin de nous conférer l’adoption filiale » (Ga 4, 4-5) [12]. Maxime ne cherche pas à utiliser l’Écriture pour justifier son propos, sa réponse ; il transmet la Parole de Dieu, sans l’altérer et c’est ainsi qu’il trouve la réponse appropriée [13].
Le Christ est sujet de la loi : il est soumis à la loi. Il doit obéir, il va obéir. Il va vivre le commandement jusqu’au bout et son obéissance nous sauve de la désobéissance commise par Adam et dont nous avons « hérité ». À qui obéit le Dieu fait homme ? À son Père. Comment ? En gardant le commandement. Quel commandement ? Celui de l’Amour. Et cela le conduit jusqu’à la mort pour la vie [14].
Est-on bien sûr que cet homme est Dieu ? Oui, son Père lui a rendu témoignage à son baptême (cf. Mt 3, 13-17) et il a reçu « l’Esprit Saint venu du ciel, consubstantiel à lui-même [15]. »
Le Verbe vainqueur du mal
Pour obéir au commandement de l’amour, le Christ dut livrer un rude combat spirituel : il a été tenté par le démon dans le désert (cf. Mt 4, 1-11) mais il en est sorti vainqueur et a « ordonné au démon de se retirer [16] ». La triple tentation du Seigneur est le modèle de la lutte pour l’observation du commandement de la charité, l’unique commandement. Ce n’est pas uniquement pendant quarante jours au désert que le Seigneur combat, mais toute sa vie : « Il combat jusqu’à la mort pour garder le commandement de l’amour », il remporte la victoire complète sur le démon et nous en fait bénéficier [17].
Comment combat-il ? En se soumettant aux souffrances infligées par les scribes et les pharisiens [18]. En effet, à travers eux, le Seigneur combat l’instigateur de leurs actes, le Satan [19]. Il témoigne à ces scribes et pharisiens toutes les formes de l’amour. Il aime inlassablement. Il sait que les pharisiens et les juifs agissent par ignorance et ont été trompés par le démon. Il est donc rempli de compassion envers ceux qui se sont laissés duper ; c’est pourquoi, lorsqu’il meurt sur la croix, il supplie : « Père, pardonne-leur… » (Lc 23, 34). Il supporte patiemment la souffrance, endure les blasphèmes, les coups, etc. En échange de la haine, il donne l’amour. Par sa bonté il expulse le père du mal.
Il se laisse vaincre volontairement. Il est crucifié dans sa faiblesse (cf. 2 Co 13, 4 ; Rm 1, 4) et par le moyen de cette faiblesse, il tue la mort (cf. He 2, 14), il triomphe du démon sur la croix, il remporte la victoire complète sur lui. Il vainc celui qui comptait le vaincre et avait arraché le monde à sa domination. Il est le nouvel Adam qui restaure le premier Adam. Il obtient la résurrection à notre profit : il nous fait bénéficier de sa victoire sur le démon [20]. Il nous fait devenir Dieu par grâce. Grâce à lui, par lui, en lui, « lui qui par nature est Dieu et Maître [21] ». Par son exemple il nous enseigne les voies de la vie qu’il est lui-même [22]. Il est complètement homme par sa nature, par sa vie, par sa mort et, par sa résurrection, il est le premier de nous tous à monter au ciel. Suivons-le en gardant le commandement, c’est-à-dire en demeurant dans son amour (cf. Jn 15, 9).
« Cette profession de foi christologique de Maxime fonde son enseignement ascétique » écrit le Père Dalmais [23]. Contrairement à l’ascèse monastique traditionnelle principalement issue du courant évagrien, qui est anthropocentrique, l’ascèse de Maxime est christocentrique.
Le Liber asceticus est bâti, fondé, sur l’articulation : Transgression du commandement / Garde du commandement. Le Verbe de Dieu s’est fait homme pour nous offrir une manière de vivre divine : il a gardé le commandement [24]. « L’homme créé par Dieu à l’origine et placé dans le paradis, transgressa le commandement et devint sujet à la corruption et à la mort [25] ». Il conviendrait de creuser la théologie de la création et du péché dans les œuvres du Confesseur, mais ce n’est pas directement notre propos. Néanmoins, essayons brièvement de comprendre ce que veut dire Maxime dans cette première phrase qui est la clé, l’enjeu de toute la théologie qui s’ensuit.
Dans d’autres textes [26], on perçoit que pour notre auteur la condition paradisiaque de l’homme a été réelle, même si elle a duré un temps très court, et que l’homme n’a pas été créé par Dieu dans l’état où il se trouve actuellement. Adam a transgressé le commandement.

2. L’anthropologie du Liber Asceticus
Comment vit cet homme qui transgresse le commandement ?
Avec le péché d’Adam, « la vérité a disparu parmi les fils des hommes » (Ps 11, 2). L’être humain est entré dans le royaume du mensonge. Qu’est-ce que cela signifie ? Il a sombré dans l’impureté, c’est-à-dire dans ce qui ne vient pas de Dieu. La multiplicité, la duplicité, les divisions de toutes sortes, sont la conséquence du péché de l’homme. En assumant une nature humaine, le Verbe ramène tous les éléments dispersés à l’unité.
Cet homme est égoïste, ami de l’argent, orgueilleux, vaniteux, gonflé de suffisance, hautain, fanfaron, diffamateur, hypocrite, irréfléchi, sans cœur, méchant, cruel, traître, implacable, fourbe, calomniateur, coléreux, rancunier, railleur, emporté, haïssant ses frères, gourmand, aimant le plaisir, follement attaché aux choses matérielles, inconstant, insouciant, plein d’acédie, plein de malice, trahissant toutes les vertus. Il est devenu la demeure des esprits mauvais et non plus celle du Saint-Esprit. Rempli de souillure, il est devenu une maison de trafic, un repaire de brigands au lieu d’une maison de prière (cf. Mt 21, 12-13), une nation pécheresse au lieu d’une nation sainte (cf. 1 P 2, 9), une mauvaise graine au lieu d’une semence sainte. Il est tombé si bas parce qu’il a abandonné les commandements du Seigneur. Il était fils de Dieu, il est devenu fils de l’enfer, fils perverti. Il appelle Dieu son père, mais c’est une comédie. Il a transgressé le commandement du Seigneur [27]. « Cet homme, c’est toi » (2 S 12, 7).
Dans cette énumération nous repérons nombre de vices qui s’engendrent les uns les autres. Cependant Maxime ne les présente pas comme une chaîne de vices comme l’ont fait Évagre [28], le Pseudo-Macaire [29] et tant d’autres. Il les énumère pêle-mêle parce que tout cela pousse en nous si nous n’y veillons pas. La Sainte Écriture met en garde contre chacun de ces vices.
Nous vivons avec le bon grain et l’ivraie. Ne manquons-nous pas de cohérence ? La foi ne suffit pas, les œuvres sont nécessaires. Regardons ceux qui ont vraiment cru dans le Christ : ils l’ont fait pleinement demeurer en eux-mêmes. Comment ? En observant ses commandements. Ainsi, en vérité, ce n’est plus eux qui vivent, mais le Christ qui vit en eux (cf. Ga 2, 20). Ils vivent en supportant tout pour le Christ en vue du salut de tous et ceci est très important, essentiel : dans la tradition monastique antérieure, le disciple demandait à son Père spirituel comment être sauvé, ici, dans ce texte plus tardif mais issu de la même tradition monastique, le moine vit, donne sa vie, pour le salut universel [30].
Garder le commandement du Seigneur
Quel est donc le commandement du Seigneur ? Tous les commandements de l’Écritures se résument en un seul : « Tu aimeras le Seigneur de tout ton cœur, de toutes tes forces et de tout ton esprit, et tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Mt 22, 36-40). Textes du Deutéronome 6, 5 et du Lévitique 19, 18, repris par Jésus en Matthieu 22, 37 et 39. C’est le commandement de l’amour : « Voici mon commandement : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 15, 12). C’est la manière dont nous vivons cet impératif de l’amour du prochain qui prouve notre amour pour Dieu. Il n’y a donc bien qu’un unique commandement et non pas deux dont le premier dispenserait de l’amour fraternel. Cet amour unique, unifiant, accomplit tous les autres commandements : « la charité ne fait point de tort au prochain, la charité est donc la loi dans sa plénitude » (Ro 13, 10) [31].
Mais il convient de résoudre une question préalable à cet unique amour : après l’énumération de tous les actes et réactions du vieil homme immergé dans les choses matérielles, profitant de tout ce qui passe, doit-on dire que les choses de ce monde sont mauvaises ? Et qu’est-ce que les choses de ce monde ? Ce sont : la nourriture, l’argent, les possessions, les louanges, et le reste, à savoir tout ce qui existe ! Mais, dira-t-on, Dieu a créé ces choses, c’est dire qu’elles ne sont pas mauvaises et que l’on peut lui plaire en en usant bien : « Tout est à vous, mais vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu » (1 Co 3, 23). Là où cela devient une habitude mauvaise, un vice, c’est lorsque nous préférons ces choses matérielles, profanes, au commandement de l’amour. En effet, lorsque nous sommes attachés à ces choses, nous luttons contre les hommes au lieu de les aimer. C’est pour cela que le Christ demande à celui qui veut le suivre et garder son commandement, de renoncer à tout ce qu’il possède [32] .
Après avoir entendu cela, le frère fondit en larmes : « Je n’ai plus aucun espoir de salut. Que faire ? Le maître lui répondit : pour les hommes c’est impossible mais pour Dieu tout est possible (Mt 19, 26) [33]. Maxime nous livre alors un petit traité scripturaire de la componction [34]. Que faire donc ? Suivre l’itinéraire proposé par le psaume 94 : allons en présence du Seigneur, adorons-le, prosternons-nous, pleurons. Apprenons de toute l’Écriture ce qu’est la crainte de Dieu et convertissons-nous. Comment ? En pleurant nos péchés, en abandonnant nos vices, en purifiant nos cœurs, en en bannissant tous les esprits mauvais et impurs qui y rodent, en ne vivant plus dans la duplicité mais en nous laissant recréer pour devenir simples, unifiés, aimons-nous les uns les autres, appelons frères ceux qui nous haïssent, pardonnons-nous mutuellement puisque nous sommes en bute aux attaques du même ennemi, ce qu’on oublie trop souvent et on fait alors de nos frères, de nos sœurs, des ennemis au lieu de nous allier, de nous soutenir pour combattre ensemble l’ennemi. Excitons-nous les uns les autres dans un émulation de charité et de bonnes œuvres (He 10, 24). Et si la jalousie nous atteint, ne devenons pas féroces [35] ; par notre humilité, guérissons-nous les uns les autres. Ne désespérons pas de la miséricorde de Dieu. Nous obtiendrons le pardon de nos péchés en pardonnant à nos frères car la miséricorde de Dieu est cachée dans la miséricorde envers le prochain : Pardonnez-vous et il vous sera pardonné (Mt 6, 14). Heureux les miséricordieux car ils obtiendront miséricorde (Mt 5, 7) etc. C’est la mesure avec laquelle vous mesurez qui servira pour vous mesurer (Mt 7, 2).
Ainsi, le Seigneur nous a donné le moyen de nous sauver, de nous laisser sauver par lui. Mais ce salut n’échappe pas au pouvoir de notre volonté : il s’agit d’aimer, de donner, de pardonner. Cela nécessite le combat spirituel inévitable en vie chrétienne [36].
Le combat spirituel
L’apôtre Paul recommande à tous ceux qui soutiennent la guerre contre les esprits invisibles de revêtir la cuirasse de la justice, le casque de l’espérance, de prendre le bouclier de la foi et le glaive de l’esprit. Ainsi équipé on pourra éteindre les traits enflammés du mauvais. Ainsi on fait du pugilat sans frapper dans le vide (cf. Ep 6, 11-17) [37].
Paul combat en usant de la faiblesse de son propre corps pour mettre en fuite les esprits mauvais : « C’est lorsque que je suis faible que je suis fort » (2 Co 12, 10). Par la faiblesse il remporte la victoire sur les démons qui excitent les désirs charnels : la nourriture, la luxure, l’argent, c’est-à-dire tout ce qui est de l’ordre de l’avoir. Mais il est des démons qui nous font la guerre pour exciter la haine et dont le dessein est de faire transgresser le commandement de l’amour. Pour les en empêcher, il faut lutter en triomphant du mal par le bien, à l’imitation du Sauveur [38].
Les armes de notre combat ne sont point charnelles, elles sont spirituelles et ont le pouvoir de renverser des forteresses (2 Co 10, 4). Si, au lieu de mener ce combat nous sommes négligents ou paresseux et laissons les plaisirs charnels obscurcir notre esprit, nous faisons la guerre non aux démons mais à nous-mêmes et à nos frères. Nous nous mettons ainsi au service des démons au lieu de les combattre. Tandis que si je mène le bon combat, mon frère, je le sais, combat aussi. Alors, au lieu de combattre contre mon frère, je l’aide dans son combat. Je comprends que si je suis tenté, mon frère aussi est tenté et alors je lui pardonne. C’est ainsi que je résiste au Tentateur qui veut m’amener à haïr celui qui est tenté. De la sorte nous nous guérissons mutuellement [39].
La démonologie de Maxime est sotériologique. Le diable est l’anxieux, le haineux ; il a fait tomber l’homme dans ses pièges et depuis il a barre sur lui pour le livrer à la puissance de la mort. L’action du démon est au premier plan : comme il a tenté le Christ, il nous tente. Ne nous laissons pas vaincre ; utilisons deux remèdes efficaces : l’absence de soucis – la quiétude – pour ce qui est terrestre et l’application incessante à l’Écriture Sainte. Cette lutte corps à corps contre les démons se fait par la nepsis, la veille [40].
Imiter le Christ
Dans ce grand combat, le moine acquiert vertus et force, et Maxime propose pour cela un enchaînement des vertus [41] :
La crainte de Dieu engendre la sobriété. Devenir sobre, c’est détruire les pensées et toute puissance qui se dresse contre l’amour de Dieu. Nous faisons toute pensée captive pour l’amener à obéir au Christ (2 Co 10, 5). On fait le vide de tout ce qui n’est pas Dieu. Si tu appliques diligemment ton esprit à Dieu, tu auras la sobriété [42].
Mais comment s’appliquer continuellement à Dieu ? En pratiquant la charité, la continence, la prière. Ces trois vertus renferment toutes les autres [43]. La charité va dompter la colère par la miséricorde ; en faisant du bien, en étant patient avec le prochain et avec soi-même, en supportant tout ce qui nous incombe [44]. Maxime ne fait pas la théorie de la patience ; il dit comment être patient. Il nous offre véritablement un traité de vie baptismale, monastique et angélique.
Être patient, c’est tout supporter, c’est soutenir jusqu’au bout la tentation, c’est ne pas céder par surprise à la colère ; autrement dit, sans « surprise », il n’est même pas envisageable de se mettre en colère. C’est ne pas être soupçonneux, ni laisser échapper un seul mot sous le coup de l’émotion et n’avoir aucune pensée indigne d’un homme qui craint Dieu (cf. Si 23, 2) [45]. Être patient, c’est « estimer être soi-même la cause de l’épreuve que l’on subit » [46]. En effet, beaucoup de choses nous arrivent pour notre formation, pour nous rappeler nos péchés passés, pour nous faire sortir de notre négligence, et pour prévenir les fautes futures. Autrement dit, beaucoup de choses nous arrivent pour nous éviter de sombrer dans des maux plus grands. Alors supportons les avec patience. Devenu patient et, de ce fait, plus lucide sur soi-même, on n’accuse plus les autres, on se tourne vers Dieu qui pardonne et on accepte de bon cœur la correction (cf. He 12, 11) [47].
Être continent, c’est ne s’accorder que ce qui est nécessaire pour vivre et donc retrancher tout ce qui est in-utile et cause seulement du plaisir. La continence, pour Maxime, est synonyme de tempérance, laquelle tempérance éteint la concupiscence [48].
Le combat du moine s’exerce surtout contre les « pensées ». Nos pensées se rapportent naturellement aux objets extérieurs. Quand notre esprit s’attarde parmi ces objets, il s’emplit de pensées qui s’y rapportent. Au contraire la prière, le souvenir de Dieu, retire l’esprit de toute autre pensée et alors, s’entretenant avec Dieu, notre esprit devient déiforme. Il épouse Dieu, peut-on dire. À ce moment là, il demande à Dieu ce qui est convenable et il est toujours exaucé. En unissant notre esprit à Dieu, sans défaillance, on parvient peu à peu à briser nos attaches passionnées aux choses matérielles. Voilà pourquoi il faut prier sans cesse (Lc 18, 1 ; 1 Th 5, 17) [49]. Mais comment prier sans cesse ? L’Écriture ne demande rien d’impossible et pourtant il faut bien constater qu’on se disperse pendant la psalmodie et les divers services sur une multitude de pensées et d’images : ce sont les distractions desquelles peuvent naître bien des mauvaises pensées. La prière continuelle, c’est conserver son esprit attaché à Dieu avec beaucoup d’amour et de révérence. « Moi, je suis toujours avec toi » (Ps 72, 23). C’est être toujours ancré en Dieu par l’espérance ; c’est toujours puiser en lui force et courage en tout ce que nous avons à entreprendre ou supporter. « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? » (Ro 8, 35). C’est cela prier sans cesse ; c’est s’accrocher à l’espérance en Dieu, c’est tout vivre avec le Christ, c’est n’en être jamais séparé [50].
De la prière continuelle jaillit la joie parfaite, incessante, et la joie parfaite est le signe que la charité divine habite en nous [51]. Mais pour y parvenir, il reste une vraie question qu’ose poser ce frère honnête et désireux de marcher dans la voie du commandement de Dieu, question cruciale et douloureuse, question vitale, ou plutôt question dont la réponse, avec l’engagement qu’elle suppose, est vitale : « Comment aimer un homme qui me hait ? » [52]. Un homme qui m’a en aversion, qui m’envie, me lance des injures, me tend des pièges et essaie de me duper ? L’aimer est contre nature et semble impossible parce que par nature on se détourne, du fait des souffrances subies, de celui qui les cause.
La réponse de Maxime est abrupte et sans compromis possible. Les bêtes féroces [53] ne peuvent aimer les êtres qui les font souffrir, mais nous sommes créés à l’image de Dieu, il nous a été donné de connaître Dieu, nous avons reçu sa loi, alors il nous est possible de ne pas se détourner de ceux qui nous font souffrir et qui nous haïssent. C’est cela et cela seulement qui est spécifiquement chrétien [54]. « Aimez vos ennemis » (Mt 5, 44). Le Seigneur ne commande pas l’impossible, c’est donc que c’est possible. Il châtie le transgresseur. S’il châtie, c’est parce qu’il est possible de ne pas transgresser. Alors pourquoi est-ce si difficile d’aimer celui qui nous hait ? Parce que nous sommes pris par les choses matérielles. Et même ceux qui nous aiment, nous nous opposons à eux à cause des choses matérielles. Aimer un frère qui me hait, qui m’a en aversion et machine de quelque manière contre moi, c’est impossible si l’on n’a pas vraiment compris le but de l’incarnation du Sauveur ; mais on le peut si on l’a compris et si on y conforme notre vie avec ferveur [55].
« Oubliant tout ce qui est en arrière, tendus de tout notre être vers ce qui est en avant… » (Phi 3, 8), dénouons tous les liens de méchanceté qui entravent notre cœur, défaisons l’écheveau de nos contestations et de nos rancunes, empressons-nous de faire du bien à notre prochain de tout notre être, alors la Gloire de Dieu sera sans cesse avec nous. Donnons-nous tout entiers au Seigneur afin de le recevoir lui, tout entier ; devenons des dieux par sa grâce car c’est pour cela qu’il s’est fait homme, lui qui par nature est Dieu et maître. Obéissons-lui et il nous vengera sans peine de nos ennemis (Ps 80, 14). Aimons tous les hommes mais ne plaçons notre confiance en aucun, car le Seigneur nous garde. Aucun ennemi ne peut rien contre nous. Laissons-nous conduire par l’Esprit (cf. Ga 5, 16), veillons et soyons sobres (1 P 5, 8), rejetons le sommeil de la paresse, et devenons les émules des saints athlètes du Sauveur. Imitons leur combat, imitons leur course infatigable, imitons leur ardeur enflammée, imitons leur persévérance dans la continence, imitons leur sainteté dans la chasteté, imitons leur endurante patience, imitons la tendresse de leur compassion imitons leur douceur imperturbable, imitons la faveur de leur zèle, imitons leur amour sans feinte, imitons leur grandeur dans l’humilité, imitons leur simplicité dans la pauvreté, imitons leur force, imitons leur bonté, imitons leur pondération [56].
« Courons vers le ciel où nous aurons une cité permanente (cf. He 13, 14 et Phi 3, 20), jouissons de la fontaine de vie, joignons-nous au chœur des anges, et avec les archanges chantons des hymnes à Notre Seigneur Jésus-Christ à qui soit la gloire et la puissance, ainsi qu’au Père et à l’Esprit Saint, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles, Amen [57] ! »
3. Conclusion
Se tourner vers le Christ, marcher humblement avec le Christ et avec nos frères, préférer le Christ à tout ce qui est de la terre, aimer nos ennemis, vivre l’impossible humain dans la foi au Fils de Dieu, imiter le Christ jusqu’à devenir Dieu en lui, parvenir à la vie éternelle, est-ce là autre chose qu’un programme de vie chrétienne toute pure ? Dans ce texte, nous n’avons rien remarqué de spécifiquement monastique, tout simplement parce que la vie monastique, c’est la vie chrétienne dans toute sa pureté, sa radicalité.
Dans ce traité, comme à travers les Centuries sur la charité [58], Maxime se situe dans la droite ligne de Basile, du Pseudo-Macaire et de Grégoire de Nysse. Benoît, dans sa culture latine, ne trace pas une autre route.
Ayant séjourné récemment en Terre Sainte, j’ai été confrontée de plein fouet à la douloureuse situation des peuples d’Israël et de Palestine séparés par le mur de l’échec, de la peur, de la haine, signe visible des murs invisibles et parfois plus solides que le béton et dépourvus de check points, que nous dressons dans nos cœurs pour nous protéger de « l’autre », du frère ennemi, pour éviter les conflits. Dans cette situation révoltante et incompréhensible, des moines et des moniales cénobites et ermites errants « dans les déserts, dans les montagnes, les cavernes et les antres de la terre » (cf. He 11, 38) intercèdent et chantent à temps et à contre temps la louange du Christ Seigneur et vainqueur dans le mystère de vies broyées par la souffrance. À la suite du Confesseur, qui fut l’un d’eux [59], tous s’exercent au pardon des ennemis. Par leur vie donnée, le cœur de Dieu bat au centre de cette Terre Sainte, sa terre d’élection. Ils vivent le mystère de la charité.

NOTES SUR LE SITE

BENOÎT XVI: SAINT ATHANASE – 2 AVRIL

4 mai, 2015

http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2007/documents/hf_ben-xvi_aud_20070620.html

BENOÎT XVI

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 20 juin 2007

SAINT ATHANASE – 2 AVRIL

Chers frères et sœurs,

En poursuivant notre évocation des grands Maîtres de l’Eglise antique, nous voulons aujourd’hui tourner notre attention vers saint Athanase d’Alexandrie. Cet authentique protagoniste de la tradition chrétienne, déjà quelques années avant sa mort, fut célébré comme « la colonne de l’Eglise » par le grand théologien et Evêque de Constantinople Grégroire de Nazianze (Discours 21, 26), et il a toujours été considéré comme un modèle d’orthodoxie, aussi bien en Orient qu’en Occident. Ce n’est donc pas par hasard que Gian Lorenzo Bernini en plaça la statue parmi celles des quatre saints Docteurs de l’Eglise orientale et occidentale – avec Ambroise, Jean Chrysostome et Augustin -, qui dans la merveilleuse abside la Basilique vaticane entourent la Chaire de saint Pierre.
Athanase a été sans aucun doute l’un des Pères de l’Eglise antique les plus importants et les plus vénérés. Mais ce grand saint est surtout le théologien passionné de l’incarnation, du Logos, le Verbe de Dieu, qui – comme le dit le prologue du quatrième Evangile – « se fit chair et vint habiter parmi nous » (Jn 1, 14). C’est précisément pour cette raison qu’Athanase fut également l’adversaire le plus important et le plus tenace de l’hérésie arienne, qui menaçait alors la foi dans le Christ, réduit à une créature « intermédiaire » entre Dieu et l’homme, selon une tendance récurrente dans l’histoire et que nous voyons en œuvre de différentes façons aujourd’hui aussi. Probablement né à Alexandrie vers l’an 300, Athanase reçut une bonne éducation avant de devenir diacre et secrétaire de l’Evêque de la métropole égyptienne, Alexandre. Proche collaborateur de son Evêque, le jeune ecclésiastique prit part avec lui au Concile de Nicée, le premier à caractère œcuménique, convoqué par l’empereur Constantin en mai 325 pour assurer l’unité de l’Eglise. Les Pères nicéens purent ainsi affronter diverses questions et principalement le grave problème né quelques années auparavant à la suite de la prédication du prêtre alexandrin Arius.
Celui-ci, avec sa théorie, menaçait l’authentique foi dans le Christ, en déclarant que le Logos n’était pas le vrai Dieu, mais un Dieu créé, un être « intermédiaire » entre Dieu et l’homme, ce qui rendait ainsi le vrai Dieu toujours inaccessible pour nous. Les Evêques réunis à Nicée répondirent en mettant au point et en fixant le « Symbole de la foi » qui, complété plus tard par le premier Concile de Constantinople, est resté dans la tradition des différentes confessions chrétiennes et dans la liturgie comme le Credo de Nicée-Constantinople. Dans ce texte fondamental – qui exprime la foi de l’Eglise indivise, et que nous répétons aujourd’hui encore, chaque dimanche, dans la célébration eucharistique – figure le terme grec homooúsios, en latin consubstantialis: celui-ci veut indiquer que le Fils, le Logos est « de la même substance » que le Père, il est Dieu de Dieu, il est sa substance, et ainsi est mise en lumière la pleine divinité du Fils, qui était en revanche niée par le ariens.
A la mort de l’Evêque Alexandre, Athanase devint, en 328, son successeur comme Evêque d’Alexandrie, et il se révéla immédiatement décidé à refuser tout compromis à l’égard des théories ariennes condamnées par le Concile de Nicée. Son intransigeance, tenace et parfois également très dure, bien que nécessaire, contre ceux qui s’étaient opposés à son élection épiscopale et surtout contre les adversaires du Symbole de Nicée, lui valut l’hostilité implacable des ariens et des philo-ariens. Malgré l’issue sans équivoque du Concile, qui avait clairement affirmé que le Fils est de la même substance que le Père, peu après, ces idées fausses prévalurent à nouveau – dans ce contexte, Arius lui-même fut réhabilité -, et elles furent soutenues pour des raisons politiques par l’empereur Constantin lui-même et ensuite par son fils Constance II. Celui-ci, par ailleurs, qui ne se souciait pas tant de la vérité théologique que de l’unité de l’empire et de ses problèmes politiques, voulait politiser la foi, la rendant plus accessible – à son avis – à tous ses sujets dans l’empire.
La crise arienne, que l’on croyait résolue à Nicée, continua ainsi pendant des décennies, avec des événements difficiles et des divisions douloureuses dans l’Eglise. Et à cinq reprises au moins – pendant une période de trente ans, entre 336 et 366 – Athanase fut obligé d’abandonner sa ville, passant dix années en exil et souffrant pour la foi. Mais au cours de ses absences forcées d’Alexandrie, l’Evêque eut l’occasion de soutenir et de diffuser en Occident, d’abord à Trèves puis à Rome, la foi nicéenne et également les idéaux du monachisme, embrassés en Egypte par le grand ermite Antoine, à travers un choix de vie dont Athanase fut toujours proche. Saint Antoine, avec sa force spirituelle, était la personne qui soutenait le plus la foi de saint Athanase. Réinstallé définitivement dans son Siège, l’Evêque d’Alexandrie put se consacrer à la pacification religieuse et à la réorganisation des communautés chrétiennes. Il mourut le 2 mai 373, jour où nous célébrons sa mémoire liturgique.
L’oeuvre doctrinale la plus célèbre du saint Evêque alexandrin est le traité Sur l’incarnation du Verbe, le Logos divin qui s’est fait chair en devenant comme nous pour notre salut. Dans cette œuvre, Athanase dit, avec une affirmation devenue célèbre à juste titre, que le Verbe de Dieu « s’est fait homme pour que nous devenions Dieu; il s’est rendu visible dans le corps pour que nous ayons une idée du Père invisible, et il a lui-même supporté la violence des hommes pour que nous héritions de l’incorruptibilité » (54, 3). En effet, avec sa résurrection le Seigneur a fait disparaître la mort comme « la paille dans le feu » (8, 4). L’idée fondamentale de tout le combat théologique de saint Athanase était précisément celle que Dieu est accessible. Il n’est pas un Dieu secondaire, il est le vrai Dieu, et, à travers notre communion avec le Christ, nous pouvons nous unir réellement à Dieu. Il est devenu réellement « Dieu avec nous ».
Parmi les autres œuvres de ce grand Père de l’Eglise – qui demeurent en grande partie liées aux événements de la crise arienne – rappelons ensuite les autres lettres qu’il adressa à son ami Sérapion, Evêque de Thmuis, sur la divinité de l’Esprit Saint, qui est affirmée avec netteté, et une trentaine de lettres festales, adressées en chaque début d’année aux Eglises et aux monastères d’Egypte pour indiquer la date de la fête de Pâques, mais surtout pour assurer les liens entre les fidèles, en renforçant leur foi et en les préparant à cette grande solennité.
Enfin, Athanase est également l’auteur de textes de méditation sur les Psaumes, ensuite largement diffusés, et d’une œuvre qui constitue le best seller de la littérature chrétienne antique: la Vie d’Antoine, c’est-à-dire la biographie de saint Antoine abbé, écrite peu après la mort de ce saint, précisément alors que l’Evêque d’Alexandrie, exilé, vivait avec les moines dans le désert égyptien. Athanase fut l’ami du grand ermite, au point de recevoir l’une des deux peaux de moutons laissées par Antoine en héritage, avec le manteau que l’Evêque d’Alexandrie lui avait lui-même donné. Devenue rapidement très populaire, traduite presque immédiatement en latin à deux reprises et ensuite en diverses langues orientales, la biographie exemplaire de cette figure chère à la tradition chrétienne contribua beaucoup à la diffusion du monachisme en Orient et en Occident. Ce n’est pas un hasard si la lecture de ce texte, à Trèves, se trouve au centre d’un récit émouvant de la conversion de deux fonctionnaires impériaux, qu’Augustin place dans les Confessions (VIII, 6, 15) comme prémisses de sa conversion elle-même.
Du reste, Athanase lui-même montre avoir clairement conscience de l’influence que pouvait avoir sur le peuple chrétien la figure exemplaire d’Antoine. Il écrit en effet dans la conclusion de cette œuvre: « Qu’il fut partout connu, admiré par tous et désiré, également par ceux qui ne l’avaient jamais vu, est un signe de sa vertu et de son âme amie de Dieu. En effet, ce n’est pas par ses écrits ni par une sagesse profane, ni en raison de quelque capacité qu’Antoine est connu, mais seulement pour sa piété envers Dieu. Et personne ne pourrait nier que cela soit un don de Dieu. Comment, en effet, aurait-on entendu parler en Espagne et en Gaule, à Rome et en Afrique de cet homme, qui vivait retiré parmi les montagnes, si ce n’était Dieu lui-même qui l’avait partout fait connaître, comme il le fait avec ceux qui lui appartiennent, et comme il l’avait annoncé à Antoine dès le début? Et même si ceux-ci agissent dans le secret et veulent rester cachés, le Seigneur les montre à tous comme un phare, pour que ceux qui entendent parler d’eux sachent qu’il est possible de suivre les commandements et prennent courage pour parcourir le chemin de la vertu » (Vie d’Antoine 93, 5-6).
Oui, frères et soeurs! Nous avons de nombreux motifs de gratitude envers Athanase. Sa vie, comme celle d’Antoine et d’innombrables autres saints, nous montre que « celui qui va vers Dieu ne s’éloigne pas des hommes, mais qu’il se rend au contraire proche d’eux » (Deus caritas est, n. 42).

JOSEPH, GARDIEN FIDÈLE, Sermon de St Bernardin de Sienne

3 mai, 2015

http://www.vatican.va/spirit/documents/spirit_20010319_bernardino_fr.html

JOSEPH, GARDIEN FIDÈLE

Sermon de St Bernardin de Sienne

« C’est une loi générale, dans la communication de grâces particulières à une créature raisonnable: lorsque la bonté divine choisit quelqu’un pour une grâce singulière ou pour un état sublime, elle lui donne tous les charismes nécessaires à sa personne ainsi qu’à sa fonction, et qui augmentent fortement sa beauté spirituelle.

Cela s’est tout à fait vérifié chez saint Joseph, père présumé de notre Seigneur Jésus Christ, et véritable époux de la Reine du monde et Souveraine des anges. Le Père éternel l’a choisi pour être le nourricier et le gardien fidèle de ses principaux trésors, c’est-à-dire de son Fils et de son épouse; fonction qu’il a remplie très fidèlement. C’est pourquoi le Seigneur a dit: Bon et fidèle serviteur, entre dans la joie de ton maître.

Si tu compares Joseph à tout le reste de d’Eglise du Christ, n’est-il pas l’homme particulièrement choisi, par lequel et sous le couvert duquel le Christ est entré dans le monde de façon régulière et honorable? Si donc toute la sainte Eglise est débitrice envers la Vierge Marie parce que c’est par elle qu’elle a pu recevoir le Christ, après elle, c’est à saint Joseph qu’elle doit une reconnaissance et un respect sans pareil.

Il est en effet la conclusion de l’Ancien Testament: c’est en lui que la dignité des patriarches et des prophètes reçoit le fruit promis. Lui seul a possédé en réalité ce que la bonté divine leur avait promis.

Certes, il ne faut pas en douter: l’intimité, le respect, la très haute dignité que le Christ pendant sa vie humaine portait à Joseph, comme un fils à l’égard de son père, il n’a pas renié tout cela au ciel, il l’a plutôt enrichi et achevé. Aussi le Seigneur ajoute-t-il bien; Entre dans la joie de ton maître. Bien que la joie de l’éternelle béatitude entre dans le coeur, le Seigneur a préféré dire: Entre dans la joie de ton maître, pour faire comprendre mystérieusement que cette joie ne sera pas seulement en lui, mais qu’elle l’enveloppera et l’absorbera de tous côtés, qu’elle le submergera comme un abîme infini.
Souviens-toi de nous, bienheureux Joseph, intercède par le secours de ta prière auprès de ton Fils présumé; rends-nous propice également la bienheureuse Vierge, ton épouse, car elle est la mère de celui qui, avec le Père et le Saint-Esprit, vit et règne pour les siècles sans fin. Amen. »

Prière

Notre Père
Dieu tout-puissant, à l’aube des temps nouveaux, tu as confié à saint Joseph la garde des mystères du salut; accorde maintenant à ton Eglise, toujours soutenue par sa prière, de veiller sur leur achèvement.

Préparé par l’Institut de Spiritualité:
Université Pontificale Saint Thomas d’Aquinop

« VOTRE PÈRE QUI EST AUX CIEUX NE VEUT PAS QU’UN SEUL DE CES PETITS SOIT PERDU », Saint Ambroise de Milan

30 avril, 2015

http://voiemystique.free.fr/aucun_ne_se_perde.htm

« VOTRE PÈRE QUI EST AUX CIEUX NE VEUT PAS QU’UN SEUL DE CES PETITS SOIT PERDU »

Saint Ambroise de Milan

«Viens, Seigneur Jésus, cherche ton serviteur ; cherche ta brebis fatiguée ; viens, berger… Pendant que tu t’attardes sur les montagnes, voilà que ta brebis erre : laisse donc les quatre-vingt-dix-neuf autres qui sont tiennes et viens chercher l’unique qui s’est égarée. Viens, sans te faire aider, sans te faire annoncer ; c’est toi maintenant que j’attends. Ne prends pas de fouet, prends ton amour ; viens avec la douceur de ton Esprit. N’hésite pas à laisser sur les montagnes ces quatre-vingt-dix-neuf brebis qui sont tiennes ; sur les sommets où tu les a mises, les loups n’ont point d’accès… Viens à moi, qui me suis égaré loin des troupeaux d’en-haut, car tu m’avais mis là moi aussi, mais les loups de la nuit m’ont fait quitter tes bergeries.
Cherche-moi, Seigneur, puisque ma prière te cherche. Cherche-moi, trouve-moi, relève-moi, porte-moi ! Celui que tu cherches tu peux le trouver, celui que tu trouves, daigne le relever, et celui que tu relèves, pose-le sur tes épaules. Ce fardeau de ton amour, il ne t’est jamais à charge, et tu te fais sans lassitude le péager de la justice. Viens donc, Seigneur, car s’il est vrai que j’erre, « je n’ai pas oublié ta parole » (cf Ps 119/118), et je garde l’espoir du remède. Viens, Seigneur, tu es seul à pouvoir encore appeler ta brebis perdue, et aux autres que tu vas laisser, tu ne feras aucune peine ; elles aussi seront contentes de voir revenir le pécheur. Viens, il y aura salut sur la terre et il y aura joie dans le ciel (Lc 15,7).
N’envoie pas tes petits serviteurs, n’envoie pas de mercenaires, viens chercher ta brebis toi-même. Relève-moi dans cette chair qui avec Adam est tombée. Reconnais en moi par ce geste, non l’enfant d’Ève mais le fils de Marie, vierge pure, vierge par grâce, sans aucun soupçon de péché ; puis porte-moi jusque sur ta croix, elle est le salut des errants, le seul repos des fatigués, l’unique vie de tous ceux qui meurent».

“Commentaire du Ps 118, 22, 27-30” ; CSEL 62, 502-504

123456...28