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« PRÈS DE MOI SONT LES FRUITS MÛRS DE LA VÉRITÉ » (SAINT JEAN CHRYSOSTOME)

18 juillet, 2013

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« PRÈS DE MOI SONT LES FRUITS MÛRS DE LA VÉRITÉ » (SAINT JEAN CHRYSOSTOME)

C’est notre cadeau de Noël pour nos lecteurs . Ci-dessous, de nombreux extraits d’une homélie EXCEPTIONNELLE rédigée par Saint Jean Chrysostome à l’occasion de la Nativité de Notre Seigneur Jésus-Christ. Il faut le souligner : les interrogations sur la malice des juifs endurcis, les précisions, et les subtilités théologiques de Saint Jean Chrysostome sont remarquables, c’est une vraie catéchèse. N’ayez pas peur de vous FORMER en prenant le temps nécessaire pour lire et approfondir les mystères de notre foi ; trop de catholiques ont aujourd’hui un réel problème de formation doctrinale qu’il nous faut absolument réparer. Nous vous souhaitons à tous de saintes fêtes de Noël, jour où le Verbe de Dieu est né dans le temps d’une manière exclusivement DIVINE de la Vierge inviolée pour l’amour de nous tous. N’oublions pas dans nos prières les personnes sans familles, les personnes qui se sentent rejetées de tous, mais aussi toutes celles qui souffrent physiquement ou moralement. Pour elles aussi, le message de l’ange est vrai : « Ne craignez point; car je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera pour tout le peuple le sujet d’une grande joie : c’est qu’aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur » (Luc 2, 10-11)
 […] Aujourd’hui, celui qui est né du Père d’une manière ineffable est né de la Vierge, pour l’amour de moi, d’une manière inexplicable et merveilleuse. II est né du Père, avant les siècles, conformément aux lois de sa nature et Celui qui l’a engendré le sait ; aujourd’hui, il est né en dehors des lois de la nature et la grâce de l’Esprit-Saint en est témoin. Sa génération céleste est légitime et la génération terrestre ne l’est pas moins; il est vraiment le Dieu engendré de Dieu, il est vraiment homme né d’une vierge. Dans le ciel, il est le seul Fils unique d’un seul; sur la terre, il est le seul Fils unique d’une vierge seule. De même que dans sa génération céleste il serait impie de lui chercher une mère, de même dans sa génération terrestre ce serait un blasphème de lui chercher un père. Le Père a engendré sans écoulement de sa substance et la Vierge a enfanté sans connaître la corruption. Dieu n’a point souffert d’écoulement de sa substance, car il a engendré comme il convenait à un Dieu, et la Vierge n’a point connu la corruption lorsqu’elle enfantait, parce qu’elle a enfanté spirituellement. D’où il suit que sa génération céleste ne peut être expliquée par des paroles humaines et que sa venue dans le temps ne peut être le sujet de nos investigations. Je sais qu’une vierge a enfanté aujourd’hui, et je crois qu’un Dieu a engendré en dehors du temps; mais j’ai appris que le mode de cette génération doit être honoré par le silence et ne peut être l’objet d’une curiosité indiscrète. Car, lorsqu’il s’agit de Dieu, il ne faut pas nous arrêter à la nature des choses, mais croire à la puissance de Celui qui agit. C’est une loi de la nature qu’une femme mette au monde après qu’elle a contracté mariage; mais si une vierge, sans connaître le mariage, enfante et ensuite reste vierge, ceci est au-dessus de la nature. Que l’on scrute ce qui est conforme à la nature, j’y consens; mais on doit honorer par le silence ce qui est au-dessus de la nature, non parce qu’if faut s’éloigner de tels sujets, mais parce qu’ils sont ineffables et dignes d’être célébrés autrement que par des paroles.
 • […] De même que l’artisan qui trouve une matière très-belle et parfaitement disposée en fabrique un vase merveilleux, ainsi le Christ trouvant le corps saint et l’âme de la Vierge se construit un temple animé, il forme dans son sein l’homme tel qu’il l’a résolu, se revêt de cette nature humaine et se manifeste aujourd’hui, n’ayant point rougi de la difformité de notre nature. Ca n’a pas été pour lui un opprobre de se revêtir de son propre ouvrage, et c’était pour son œuvre une gloire éclatante que celle de devenir le vêtement de Celui qui l’avait faite. De même que dans la première formation il était impossible que l’homme existât avant que la terre dont il fut fait vînt entre les mains de son Créateur, ainsi il était impossible que le corps corruptible de l’homme reçût une nouvelle nature avant que Celui qui l’avait faite s’en fût revêtu. […] « Voici que la vierge concevra » (Isaïe, VII, I4.) La synagogue gardait la promesse écrite ; l’Eglise possède l’objet de la promesse. L’une a possédé le livre et l’autre les trésors promis par ce livre ; l’une a su teindre la laine et l’autre a revêtu la robe de pourpre qui en a été tissue. La Judée l’a enfanté; la terre entière l’a reçu. La synagogue l’a nourri et élevé ; l’Eglise le possède et recueille les fruits de sa présence. Celle-là eut le cep de la vigne et près de moi sont les fruits mûrs de la vérité. Celle-là a vendangé les raisins ; mais les nations boivent le breuvage mystique. Celle-là a semé le grain du froment dans la Judée; mais les nations ont moissonné avec la faux la moisson de la foi. Les nations ont recueilli avec piété la rose, tandis que l’épine de l’incrédulité est demeurée parmi les Juifs. Le petit s’est envolé et les insensés restent assis auprès du nid demeuré vide. Les Juifs interprètent la lettre, qui est semblable à la feuille, et les nations recueillent le fruit de l’Esprit.
 • « La Vierge concevra ». Dis-moi donc le reste, ô juif ! dis-moi quel est Celui qu’elle a enfanté ? Aie en moi autant de confiance qu’en Hérode. Mais tu manques de confiance, et je sais pourquoi. Tu ne penses qu’à tendre des embûches. Tu l’as dit à Hérode afin qu’il le mît à mort; tu ne me le dis pas, pour que je ne puisse l’adorer. Quel est donc Celui qu’elle a enfanté ? Quel est-il ? C’est le Maître de la nature. Lorsque tu gardes le silence, la nature crie. Elle a enfanté Celui qui a été mis au monde de la façon qu’il avait choisie pour naître. Ce n’est pas la nature qui avait réglé cet enfantement, mais c’est le Maître de la nature qui introduit ce mode inusité de naissance, afin de montrer, en se faisant homme, qu’il ne naît pas comme un homme, mais comme un Dieu. Il naît aujourd’hui d’une vierge qui triomphe de la nature et qui remporte la victoire sur le mariage. Il convenait au Dispensateur de la sainteté qu’il naquît d’un enfantement pur et saint. Il est Celui qui forma autrefois Adam d’une terre vierge et ensuite tira la femme d’Adam sans le concours d’une mère. De même qu’Adam, sans mère, donna naissance à la femme, ainsi la Vierge enfante aujourd’hui un homme sans le concours de l’homme. Et parce que le sexe de la femme était redevable envers l’homme depuis qu’Adam avait donné naissance à la femme sans le secours d’une femme, aujourd’hui la Vierge paye à l’homme la dette contractée par Eve, puisqu’elle enfante sans le secours de l’homme. Afin qu’Adam ne puisse s’enorgueillir d’avoir produit la femme sans le secours d’une femme, la Vierge engendre un homme sans le secours de l’homme, de telle sorte que l’égalité résulte de la parité des merveilles opérées. Adam perdit une de ses côtes et n’en fut pas amoindri; d’autre part, le Seigneur s’est formé dans le sein de la Vierge un temple animé et il n’a point détruit sa virginité. Adam demeura sain et sauf après l’enlèvement de sa côte; la Vierge n’a point été flétrie après la naissance de son fils. Le Seigneur […] naît d’une vierge et, en naissant, il garde le sein de sa mère immaculé, et cette vierge elle-même sans souillure, afin que les circonstances inusitées d’un pareil enfantement nous inspirent une foi plus grande. Donc, si le Gentil m’interroge ou si le juif m’interroge pour savoir si le Christ, étant Dieu par nature, s’est fait homme en dehors des lois de la nature, je répondrai qu’il en est ainsi, et j’en donnerai pour preuves les marques d’une virginité qui n’a point été violée. Car il n’y a qu’un Dieu qui puisse vaincre l’ordre de la nature, il n’y a que Celui qui a fait le sein de la femme et lui a donné sa virginité qui ait pu préparer pour lui-même ce mode immaculé de sa naissance et se construire, selon son désir, un temple bâti d’une manière ineffable.
 • Dis-moi donc, ô juif, si la Vierge a enfanté ou non ? Si elle a enfanté, reconnais la merveille de cet enfantement. Mais si elle n’a point enfanté, pourquoi as-tu trompé Hérode ? C’est toi-même qui as répondu lorsqu’il demandait où devait naître le Christ : « A Bethléem, dans la terre de Juda » (Matth. II, 5.) Est-ce que je connaissais cette bourgade ou ce lieu ? Est-ce que j’étais informé de la dignité de Celui qui venait de naître ? Est-ce que ce n’est pas Isaïe qui fait mention de lui comme d’un Dieu ? « Elle enfantera un fils », dit-il, « et on l’appellera Emmanuel » (Isaïe, VII, 14.). N’est-ce pas vous, adversaires sans bonne foi, qui nous avez appris la vérité ? N’est-ce pas vous, scribes et pharisiens, observateurs exacts de la loi, qui nous avez instruits de toute cette affaire ? (Matth. I, 23.) Est-ce que nous connaissions la langue hébraïque ? Est-ce que vous n’avez pas été vous-mêmes les interprètes des Ecritures ? Après que la Vierge eut enfanté, avant qu’elle enfantât, n’est-ce pas vous qui, interrogés par Hérode, afin qu’il fût clair que ce passage n’est pas interprété avec partialité, avez apporté en témoignage le prophète Michée, à l’appui de votre discours ? « Et toi », dit-il, « Béthléem, maison de paix, tu n’es pas la dernière entre les principales villes de Juda; car c’est de toi que sortira le chef qui gouvernera mon peuple d’Israël » (Mich. V, 2; Matth. 2, 6.) Le prophète a dit avec raison : « De toi », car c’est de vous qu’il est sorti pour être donné au monde. Celui qui est se manifeste, mais celui qui n’est pas est créé ou formé. Mais lui, il était; il était auparavant; il était toujours. Il était de toute éternité comme Dieu, gouvernant le monde. Aujourd’hui, il se manifeste comme homme afin de gouverner son peuple, mais comme Dieu il sauve toute la terre. O ennemis utiles ! O accusateurs bienveillants ! Vous dont l’imprudence a révélé le Dieu né dans Béthléem, vous qui avez fait connaître le Seigneur caché dans la crèche, vous qui sans le vouloir avez montré la retraite dans laquelle il repose, vous qui devenus nos bienfaiteurs contre votre gré avez découvert ce que vous vouliez laisser dans l’ombre ! Voyez-vous ces maîtres inhabiles ? Ce qu’ils enseignent, ils l’ignorent: ils meurent de faim et ils nous nourrissent; ils ont soif et ils nous désaltèrent; ils sont dans l’indigence et ils nous enrichissent.
  • Venez donc et célébrons cette fête; venez et que ce soit pour nous un jour de solennité. Que la manière de célébrer cette fête soit extraordinaire, puisque le récit de cette naissance est extraordinaire.  Aujourd’hui, le lien antique est brisé, le diable est couvert de confusion, les démons se sont enfuis, la mort est détruite, le paradis est ouvert, la malédiction est effacée, le péché a été banni, l’erreur a été vaincue, la vérité est revenue, et la parole de la piété est répandue et propagée en tous lieux. La vie du ciel est implantée sur la terre, les anges communiquent avec les hommes, les hommes ne craignent point de s’entretenir avec les anges. Et pourquoi ? Parce qu’un Dieu est venu sur la terre et l’homme dans le ciel, et qu’ainsi tout a été uni et mêlé. Il est venu sur la terre, lui qui est tout entier dans le ciel, et, étant tout entier dans le ciel, il est tout entier sur la terre. Etant Dieu, il s’est fait homme, sans renoncer à sa divinité. Etant le Verbe, non sujet au changement, il s’est fait chair : il s’est fait chair afin d’habiter parmi nous. Il n’est point devenu Dieu, mais il était Dieu. Mais il s’est fait chair, afin qu’une crèche pût recevoir Celui que le ciel ne pouvait contenir. Il est donc posé dans la crèche, afin que Celui qui nourrit toute créature reçoive d’une vierge mère la nourriture qui convient à un petit enfant. De la sorte, le Père des siècles à venir devient un enfant à la mamelle et repose sur les bras d’une vierge, afin d’offrir aux mages un accès plus facile. Car aujourd’hui les mages arrivent et donnent l’exemple de ne point obéir au tyran : le ciel se réjouit et indique le lieu où repose son Seigneur, et ce Seigneur porté sur le nuage léger du corps qu’il a choisi s’avance rapidement vers le pays d’Egypte. En apparence, il fuit les embûches d’Hérode ; dans la réalité, il accomplit ce qui avait été dit par le prophète Isaïe : « En ce jour-là », dit-il, « Israël sera le troisième, après l’Assyrien; parmi les Egyptiens sera mon peuple béni sur la terre que bénit le Seigneur Dieu des armées en disant : Béni sera mon peuple en Egypte, en Assyrie, et en Israël ! » (Isaïe, XIX, 24.)
 • Que diras-tu, ô juif, toi, le premier, qui deviens le troisième ? Les Egyptiens et les Assyriens sont mis avant toi, et Israël, le premier-né, est compté ensuite. Il en est ainsi à bon droit. Les Assyriens viendront d’abord, puisque les premiers, ils ont adoré en la personne des mages. Les Egyptiens après les Assyriens, parce qu’ils l’ont reçu fuyant les embûches d’Hérode. Israël sera compté le dernier parce qu’après la sortie du Jourdain, il l’a reconnu par la personne des apôtres. Il est entré en Egypte renversant les idoles de l’Egypte faites de la main de l’homme, après avoir fait mourir les premiers-nés des Egyptiens. (Isaïe, XIX, 1.) C’est pourquoi aujourd’hui il se présente en qualité de premier-né, afin de faire disparaître un deuil ancien. Qu’il soit appelé premier-né, c’est ce qu’atteste Luc l’évangéliste, en disant : « Et elle mit au monde son premier-né, et elle l’enveloppa de langes, et elle le plaça dans la crèche parce qu’il n’y avait point de place pour eux dans l’hôtellerie. » (Luc, II, 7.) Il entre en Egypte pour mettre fin au deuil antique, apportant la joie et non des plaies nouvelles, et au lieu de la nuit et des ténèbres la lumière du salut. Jadis, l’eau du fleuve avait été souillée par la mort des enfants enlevés avant l’âge. Maintenant, celui-là même entre en Egypte qui, autrefois, avait rougi ces ondes; il donne à l’eau du fleuve la vertu d’engendrer le salut, purifiant par la puissance de l’Esprit tout ce qu’il y avait en elle d’impur et de souillé. Les Egyptiens, frappés de diverses plaies et se laissant aller à leur fureur, avaient méconnu Dieu. Il entre en Egypte et remplit de la connaissance de Dieu les âmes religieuses qui sont dans cette contrée, en sorte que la terre arrosée par le Nil aurait bientôt plus de martyrs que d’épis.
  • A cause de la brièveté du temps, je terminerai ici mon discours. Je terminerai lorsque j’aurai dit comment le Verbe, qui est immuable, est devenu chair, sans changement de sa nature. Mais que dirai-je ou comment parlerai-je ? Je vois un artisan, une crèche, un enfant, des langes, enfant né de la Vierge privé des choses nécessaires, de toutes parts la pauvreté, de toutes parts l’indigence. Avez-vous vu le riche dans une pauvreté profonde ? Comment étant riche est-il devenu pauvre à cause de nous ? Comment n’a-t-il point un lit, point de molle toison, mais la crèche toute nue sur laquelle il est jeté ? O pauvreté, source de richesses ! 0 richesses sans mesure, qui n’avez que l’apparence de la pauvreté ! Il repose dans la crèche et il ébranle le monde entier. Il est enveloppé dans les liens de ses langes et il brise les liens du péché. Il n’a pas encore fait entendre sa voix et il a instruit les mages et il les a disposés à la conversion. Que dirai-je donc ou comment parlerai-je ? Voici l’enfant enveloppé de ses langes et couché dans la crèche ; Marie, vierge et mère est près de lui ; près de lui est Joseph, regardé comme son père. Celui-ci est appelé le mari, celle-là est saluée du nom de femme ; mais ces noms légitimes sont dépouillés de toute leur signification habituelle, ils doivent être compris comme une simple appellation, mais une appellation qui ne va point jusqu’à la nature des choses. Joseph est l’époux de Marie, mais l’Esprit-Saint l’a couverte de son ombre. Et c’est pour cela que Joseph hésite et ne sait quel nom donner à l’enfant. Il n’osait pas dire qu’il fût le fruit de l’adultère et ne pouvait proférer ce blasphème contre la Vierge, mais il ne pouvait pas dire qu’il fût son propre fils, car il savait qu’il ignorait comment et d’où l’enfant tirait son origine. C’est pour cela que, tandis qu’il doute, un oracle du ciel lui est apporté par la voix de l’ange : « Ne crains pas Joseph, car ce qui est né d’elle est de l’Esprit-Saint. » (Matth. I, 20.).
• L’Esprit-Saint a couvert la Vierge de son ombre. Pourquoi donc est-il né de la Vierge, en conservant sa virginité immaculée ? Afin que, si jadis Satan trompa Eve encore vierge, Gabriel, à son tour, vint apporter un heureux message à Marie, elle-même vierge. Mais Eve trompée enfanta une parole qui introduisit la mort dans le monde, tandis que Marie, recevant un heureux message, enfanta dans la chair le Verbe qui nous donne la vie éternelle. La parole d’Eve indiqua le bois par lequel Adam fut chassé du paradis; le Verbe sorti de la Vierge montre la croix par laquelle il introduit le larron à la place d’Adam dans le paradis. Car comme les gentils, les juifs et les hérétiques ne voulaient pas croire que Dieu engendre sans écoulement de sa substance, en demeurant immuable, c’est pourquoi aujourd’hui, sorti d’un corps sujet au changement, il a conservé, dans son intégrité, ce corps sujet au changement, pour nous faire comprendre que, de même qu’il est né d’une vierge sans briser sa virginité, ainsi Dieu, sans changement ni écoulement de sa substance sainte, comme Dieu, a engendré un Dieu, ainsi qu’il convenait à un Dieu. Et, parce que les hommes, ayant abandonné Dieu, se sont fait des statues de forme humaine auxquelles ils portaient leur culte, au mépris du Créateur; à cause de cela, aujourd’hui, le Verbe de Dieu, étant Dieu, apparaît sous la forme de l’homme, afin de détruire le mensonge et de transporter vers lui-même tout culte. A lui donc qui rétablit de la sorte toutes choses dans une voie meilleure, à Celui qui est le Christ Notre-Seigneur, gloire et honneur, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

PSEUDO-ÉPIPHANE DE SALAMINE : QU’EST-CECI ? UN GRAND SILENCE RÈGNE AUJOURD’HUI SUR LA TERRE, UN GRAND SILENCE ET UNE GRANDE SOLITUDE.

3 juillet, 2013

http://www.patristique.org/Pseudo-Epiphane-de-Salamine-Meditation-pour-un-samedi-saint.html

PSEUDO-ÉPIPHANE DE SALAMINE : MÉDITATION POUR UN SAMEDI SAINT

ATTRIBUÉE, À TORT, À ÉPIPHANE DE SALAMINE (315-403), CETTE MÉDITATION INTRODUIT AU MYSTÈRE DU SAMEDI SAINT.

QU’EST-CECI ? UN GRAND SILENCE RÈGNE AUJOURD’HUI SUR LA TERRE, UN GRAND SILENCE ET UNE GRANDE SOLITUDE.

Un grand silence parce que le roi dort. La terre a tremblé et s’est calmée parce que Dieu s’est endormi dans la chair, et qu’il est allé réveiller ceux qui dormaient depuis des siècles. Dieu est mort dans la chair et les enfers ont tressailli. Dieu s’est endormi pour un peu de temps et il a réveillé du sommeil ceux qui séjournaient dans les enfers…

Il va chercher Adam, notre premier père, la brebis perdue. Il veut aller visiter tous ceux qui sont assis dans les ténèbres et à l’ombre de la mort. Il va pour délivrer de leurs douleurs Adam dans ses liens et Ève captive avec lui, lui qui est en même temps leur Dieu et leur fils.

Descendons avec lui pour voir l’alliance entre Dieu et les hommes. Là se trouve Adam, le premier père et, comme premier créé, enterré plus profondément que tous les condamnés. Là se trouve Abel, le premier mort, et comme premier pasteur juste, figure du meurtre injuste du Christ pasteur. Là se trouve Noé, figure du Christ, le constructeur de la grande arche de Dieu, l’Église. Là se trouve Abraham, le père du Christ, le sacrificateur qui offrit à Dieu par le glaive et sans le glaive un sacrifice mortel sans mort. Là demeure Moïse, dans les ténèbres inférieures, lui qui jadis a séjourné dans les ténèbres supérieures de l’arche de Dieu. Là se trouve Daniel, dans la fosse de l’enfer, lui qui jadis a séjourné sur la terre, dans la fosse aux lions. Là se trouve Jérémie, dans la fosse de boue, dans le trou de l’enfer, dans la fosse de la mort. Là se trouve Jonas dans le monstre capable de contenir le monde, c’est-à-dire dans l’enfer en signe du Christ éternel. Et, parmi les prophètes, il en est un qui s’écrie : « du ventre de l’enfer, entends ma supplication, écoute mon cri ! » et un autre « des profondeurs, je crie vers toi, Seigneur, Seigneur, entends ma voix » – Et un autre encore : « Fais rayonner ton visage, et nous serons sauvés ! »…

Mais, comme par son avènement, le Seigneur voulait pénétrer dans les lieux les plus inférieurs, Adam en tant que premier père et que premier créé de tous les hommes et en tant que premier mortel, lui qui avait été tenu captif plus profondément que tous les autres, et avec le plus grand soin, il entendit le premier le bruit des pas du Seigneur qui venait vers les prisonniers. Et il reconnut la voix de celui qui cheminait dans la prison et s’adressant à tous ceux qui étaient enchaînés avec lui depuis le commencement du monde, il parla ainsi : « J’entends les pas de quelqu’un qui vient vers nous ! » Et pendant qu’il parlait, le Seigneur entra tenant les armes victorieuses de la croix. Et lorsque le premier père Adam le vit, plein de stupeur il se frappa la poitrine et cria aux autres : « Mon Seigneur soit avec vous tous ! » Et le Christ répondit à Adam : « Et avec ton esprit ». Et lui ayant saisi la main, il lui dit : « Tiens-toi debout, toi qui dormais, lève-toi d’entre les morts et le Christ t’illuminera. Je suis ton Dieu et, à cause de toi, je suis devenu ton fils. Lève-toi, toi qui dormais, car je ne t’ai pas créé pour que tu séjournes ici enchaîné dans l’enfer. Surgis d’entre les morts, je suis la Vie des morts. Lève-toi, toi, l’œuvre de mes mains, toi, mon effigie, qui a été faite à mon image. Lève-toi et partons d’ici car tu es en moi et je suis en toi, nous formons tous deux une personne unique et indivisible.

À cause de toi, moi, ton Dieu, je suis devenu ton fils ; à cause de toi, moi le Seigneur, j’ai pris la forme d’esclave ; à cause de toi, moi qui demeure au-dessus des cieux, je suis descendu sur la terre, et sous la terre. Pour toi, homme, je me suis fait comme un homme sans protection, livré aux juifs dans le jardin et j’ai été crucifié dans le jardin. Regarde sur mon visage les crachats que j’ai reçus pour toi, afin de te replacer dans l’antique paradis. Regarde sur mes joues la trace des soufflets que j’ai subis pour rétablir en mon image ta beauté détruite. Regarde sur mon dos la trace de la flagellation que j’ai reçue afin de te décharger du fardeau de tes péchés, qui avait été imposé sur ton dos. Regarde mes mains qui ont été solidement clouées au bois à cause de toi qui autrefois as mal étendu tes mains vers le bois… Je me suis endormi sur la croix et la lance a percé mon côté à cause de toi qui t’es endormi au paradis et as fait sortir Ève de ton côté. Ma douleur a guéri la douleur de ton côté. Et mon sommeil te fait sortir maintenant du sommeil de l’enfer. Lève-toi et partons d’ici, de la mort à la vie, de la corruption à l’immortalité, des ténèbres à la lumière éternelle. Levez-vous et partons d’ici et allons de la douleur à la joie, de la prison à la Jérusalem céleste, des chaînes à la liberté, de la captivité aux délices du paradis, de la terre au ciel.

Mon Père céleste attend la brebis perdue, un trône de chérubin est prêt, les porteurs sont debout et attendent, la salle de noces est préparée, les tentes et les demeures éternelles sont ornées, les trésors de tout bien sont ouverts, le royaume des cieux qui existait avant tous les siècles vous attend.

Source :

Homélie pour le Samedi-saint, PG 43, 444-464. Cité par H. Urs von Balthasar dans Dieu et l’homme d’aujourd’hui, « Foi Vivante » n° 16, Paris 1966, p. 258-262.

BENOÎT XVI : SAINT EPHREM LE SYRIEN (m.o. le 9 juin)

10 juin, 2013

http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/audiences/2007/documents/hf_ben-xvi_aud_20071128_fr.html

BENOÎT XVI

AUDIENCE GÉNÉRALE

MERCREDI 28 NOVEMBRE 2007

SAINT EPHREM LE SYRIEN (m.o. le 9 juin)

Chers frères et sœurs,

Selon l’opinion commune d’aujourd’hui, le christianisme serait une religion européenne, qui aurait ensuite exporté la culture de ce continent dans d’autres pays. Mais la réalité est beaucoup plus complexe, car la racine de la religion chrétienne se trouve dans l’ancien Testament et donc à Jérusalem et dans le monde sémitique. Le christianisme se nourrit toujours à cette racine de l’Ancien Testament. Son expansion au cours des premiers siècles a eu lieu aussi bien vers l’Occident – vers le monde gréco-latin, où il a ensuite inspiré la culture européenne – que vers l’Orient, jusqu’à la Perse, à l’Inde, contribuant ainsi à susciter une culture spécifique, en langues sémitiques, avec une identité propre. Pour montrer cette multiplicité culturelle de l’unique foi chrétienne des débuts, j’ai parlé dans la catéchèse de mercredi dernier d’un représentant de cet autre christianisme, Aphraate le Sage persan, presque inconnu chez nous. Dans cette même optique, je voudrais aujourd’hui parler de saint Ephrem le Syrien, né à Nisibe vers 306 dans une famille chrétienne. Il fut le représentant le plus important du christianisme de langue syriaque et réussit à concilier d’une manière unique la vocation du théologien et celle du poète. Il se forma et grandit à côté de Jacques, Evêque de Nisibe (303-338), et il fonda avec lui l’école de théologie de sa ville. Ordonné diacre, il vécut intensément la vie de la communauté chrétienne locale jusqu’en 363, année où la ville de Nisibe tomba entre les mains des Persans. Ephrem immigra alors à Edesse, où il poursuivit son activité de prédicateur. Il mourut dans cette ville en l’an 373, victime de la contagion de la peste qu’il avait contractée en soignant les malades. On ne sait pas avec certitude s’il était moine, mais il est cependant certain qu’il est resté diacre pendant toute sa vie et qu’il a embrassé l’état de virginité et de pauvreté. C’est ainsi qu’apparaît dans la spécificité de son expression culturelle, l’identité chrétienne commune et fondamentale:  la foi, l’espérance – cette espérance qui permet de vivre pauvre et chaste dans ce monde, en plaçant toutes ses attentes dans le Seigneur – et, enfin, la charité, jusqu’au don de soi-même dans le soin des malades de la peste.
Saint Ephrem nous a laissé un grand héritage  théologique:   sa  production considérable peut se regrouper en quatre catégories:  les œuvres écrites en prose ordinaire (ses œuvres polémiques, ou bien les commentaires bibliques); les œuvres en prose poétique; les homélies en vers; et enfin les hymnes, qui sont certainement l’œuvre la plus vaste d’Ephrem. Il s’agit d’un auteur riche et intéressant sous de nombreux aspects, mais en particulier sous le profil théologique. Si nous voulons aborder sa doctrine, nous devons insister dès le début sur ceci:  le fait qu’il fait de la théologie sous une forme poétique. La poésie  lui permet d’approfondir la réflexion  théologique  à  travers  des paradoxes et des images. Dans le même temps sa théologie devient liturgie, devient musique:  en effet, c’était un grand compositeur, un musicien. Théologie, réflexion sur la foi, poésie, chant, louange de Dieu vont de pair; et c’est précisément dans ce caractère liturgique qu’apparaît avec limpidité la théologie d’Ephrem, la vérité divine. Dans sa recherche de Dieu, dans sa façon de faire de la théologie, il suit le chemin du paradoxe et du symbole. Il privilégie largement les images contrastantes, car elles lui servent à souligner le mystère de Dieu.
Je ne peux pour le moment présenter que peu de chose de lui, également parce que la poésie est difficilement traduisible, mais pour donner au moins une idée de sa théologie poétique, je voudrais citer en partie deux hymnes. Tout d’abord, également en vue du prochain Avent, je vous propose plusieurs images splendides tirées des hymnes Sur la nativité du Christ. Devant la Vierge, Ephrem manifeste son émerveillement avec un ton inspiré:

« Le Seigneur vint en elle pour se faire serviteur.
Le Verbe vint en elle
pour se taire dans son sein.
La foudre vint en elle
pour ne faire aucun bruit.
Le pasteur vint en elle
et voici l’Agneau né, qui pleure sans bruit.
Car le sein de Marie
a renversé les rôles: 
Celui qui créa toutes choses
est entré en possession de celles-ci, mais pauvre.
Le Très-Haut vint en Elle (Marie),
mais il y entra humble.
La splendeur vint en elle,
mais revêtue de vêtements humbles.
Celui qui dispense toutes choses
connut la faim.
Celui qui étanche la soif de chacun
connut la soif.
Nu et dépouillé il naquit d’elle,
lui qui revêt (de beauté) toutes choses »
(Hymne « De Nativitate » 11, 6-8)

Pour exprimer le mystère du Christ, Ephrem utilise une grande diversité de thèmes, d’expressions, d’images. Dans l’une de ses hymnes, il relie de manière efficace Adam (au paradis) au Christ (dans l’Eucharistie):

« Ce fut en fermant
avec l’épée du chérubin,
que fut fermé
le chemin de l’arbre de la vie.
Mais pour les peuples,
le Seigneur de cet arbre
s’est donné comme nourriture
lui-même dans l’oblation (eucharistique).
Les arbres de l’Eden
furent donnés comme nourriture
au premier Adam.
Pour nous, le jardinier
du Jardin en personne
s’est fait nourriture
pour nos âmes.
En effet, nous étions tous sortis
du Paradis avec Adam,
qui le laissa derrière lui.
A présent que l’épée a été ôtée
là-bas (sur la croix) par la lance
nous pouvons y retourner »
(Hymne 49, 9-11).

Pour parler de l’Eucharistie, Ephrem se sert de deux images:  la braise ou le charbon ardent, et la perle. Le thème de la braise est tiré du prophète Isaïe (cf. 6, 6). C’est l’image du séraphin, qui prend la braise avec les pinces, et effleure simplement les lèvres du prophète pour les purifier; le chrétien, en revanche, touche et consume la Braise, qui est le Christ lui-même:

« Dans ton pain se cache l’Esprit
qui ne peut être consommé;
dans ton vin se trouve le feu
qui ne peut être bu.
L’Esprit dans ton pain, le feu dans ton vin: 
voilà une merveille accueillie par nos lèvres.
Le séraphin ne pouvait pas approcher ses doigts de la braise,
qui ne fut approchée que de la bouche d’Isaïe;
les doigts ne l’ont pas prise, les lèvres ne l’ont pas avalée;
mais à nous, le Seigneur a permis de faire les deux choses.
Le feu descendit avec colère pour détruire les pécheurs,
mais le feu de la grâce descend sur le pain et y reste.
Au lieu du feu qui détruisit l’homme,
nous avons mangé le feu dans le pain
et nous avons été vivifiés »
(Hymne « De Fide » 10, 8-10).

Voilà encore un dernier exemple des hymnes de saint Ephrem, où il parle de la perle comme symbole de la richesse et de la beauté de la foi: 
« Je posai (la perle), mes frères, sur la paume de ma main,
pour pouvoir l’examiner.
Je me mis à l’observer d’un côté puis de l’autre: 
elle n’avait qu’un seul aspect de tous les côtés.
(Ainsi) est la recherche du Fils, impénétrable, car elle n’est que lumière.
Dans sa clarté, je vis la Limpidité,
qui ne devient pas opaque;
et dans sa pureté,
le grand symbole du corps de notre Seigneur,
qui est pur.
Dans son indivisibilité, je vis la vérité,
qui est indivisible »
(Hymne « Sur la Perle » 1, 2-3).

La figure d’Ephrem est encore pleinement actuelle pour la vie des différentes Eglises chrétiennes. Nous le découvrons tout d’abord comme théologien, qui, à partir de l’Ecriture Sainte, réfléchit poétiquement sur le mystère de la rédemption de l’homme opérée par le Christ, le Verbe de Dieu incarné. Sa réflexion est une réflexion théologique exprimée par des images et des symboles tirés de la nature, de la vie quotidienne et de la Bible. Ephrem confère un caractère didactique et catéchistique à la poésie et aux hymnes pour la liturgie; il s’agit d’hymnes théologiques et, dans le même temps, adaptées à la récitation ou au chant liturgique. Ephrem se sert de ces hymnes pour diffuser, à l’occasion des fêtes liturgiques, la doctrine de l’Eglise. Au fil du temps, elles se sont révélées un moyen de catéchèse extrêmement efficace pour la communauté chrétienne.
La réflexion d’Ephrem sur le thème de Dieu créateur est importante:  rien n’est isolé dans la création, et le monde est, à côté de l’Ecriture Sainte, une Bible de Dieu. En utilisant de manière erronée sa liberté, l’homme renverse l’ordre de l’univers. Pour Ephrem, le rôle de la femme est important. La façon dont il en parle est toujours inspirée par la sensibilité et le respect:  la demeure de Jésus dans le sein de Marie a grandement élevé la dignité de la femme. Pour Ephrem, de même qu’il n’y a pas de Rédemption sans Jésus, il n’y a pas d’incarnation sans Marie. Les dimensions divines et humaines du mystère de notre rédemption se trouvent déjà dans les textes d’Ephrem; de manière poétique et avec des images fondamentalement tirées des Ecritures, il anticipe le cadre théologique et, d’une certaine manière, le langage même des grandes définitions christologiques des Conciles du V siècle.
Ephrem, honoré par la tradition chrétienne sous le titre de « lyre de l’Esprit Saint », resta diacre de son Eglise pendant toute sa vie. Ce fut un choix décisif et emblématique:  il fut diacre, c’est-à-dire serviteur, que ce soit dans le ministère liturgique, ou, plus radicalement, dans l’amour pour le Christ, qu’il chanta de manière inégalable, ou encore, dans la charité envers ses frères, qu’il introduisit avec une rare habileté dans la connaissance de la Révélation divine.

LITURGIE DES HEURES – OFFICE DES LECTURES – 28 MAI 2013: DES CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN

28 mai, 2013

http://www.aelf.org/office-lectures

LITURGIE DES HEURES – OFFICE DES LECTURES

28 MAI 2013: MARDI, 8ÈME SEMAINE DU TEMPS ORDINAIR, DE LA FÉRIE

DES CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN

« Je connaîtrai comme je suis connu ».

Je te connaîtrai, ô toi qui me connais, je te connaîtrai comme je suis connu de toi. Tu es la vie de mon âme ; pénètre donc en elle, modèle-la à ton image, qu’elle soit sans tache ni ride pour que tu l’habites et la possèdes entièrement. Telle est mon espérance, voilà pourquoi je parle, et cette espérance fait ma joie, quand ma joie est saine. Quant aux autres biens de cette vie, plus on les pleure, moins ils méritent d’être pleurés ; moins on pleure sur eux, plus ils méritent d’être pleurés.

Voici que tu as aimé la vérité, puisque celui qui fait la vérité vient à la lumière. Je veux donc la faire devant toi, dans mon cœur, par cette « confession », et devant de nombreux témoins par ce livre.

Du reste, Seigneur, le gouffre de la conscience humaine est à découvert devant tes yeux : qu’est-ce qui pourrait donc demeurer caché en moi, même si je ne voulais pas te le confesser ? C’est toi que je cacherais à moi-même, sans pouvoir me cacher à toi. Et maintenant, si mon gémissement témoigne que je me déplais, c’est toi qui m’illumines, qui me plais, que j’aime et que je désire ; de sorte que j’ai honte de moi, je me rejette moi-même pour te préférer ; je ne veux plaire ni à tes yeux ni aux miens, sinon pour toi.

Je suis donc à découvert devant toi, Seigneur, quel que je sois. Et je t’ai dit le fruit que je recherche en te faisant ma confession. Je ne la fais pas avec des sons et des paroles sensibles, mais avec ces paroles de l’âme, cette clameur de la pensée qui atteignent ton oreille. Quand je suis mauvais, ma confession envers toi consiste dans le déplaisir que je me donne ; lorsque je suis bon, la confession que je t’adresse consiste à ne pas m’attribuer ce bien, puisque c’est toi, Seigneur, qui bénis le juste ; mais auparavant, c’est toi qui en avais fait un homme juste, alors qu’il était un impie. Ainsi ma confession, telle que je la fais devant toi, mon Dieu, est silencieuse et ne l’est pas. Elle est silencieuse quant aux paroles, mais elle crie du fond du cœur. ~

C’est toi, Seigneur, qui me juges. Certes, personne, parmi les hommes, ne sait ce qu’il y a dans l’homme, sinon l’esprit de l’homme qui est en lui. Cependant, il y a dans l’homme quelque chose que l’esprit de l’homme lui-même, qui est en lui, ne sait pas. Mais toi, Seigneur, tu sais tout de lui, puisque tu l’as créé. Quant à moi, bien que, devant ton regard, je me méprise et me juge terre et poussière, je sais pourtant de toi quelque chose que j’ignore de moi-même. Nous voyons actuellement une image obscure dans un miroir et non pas encore face à face. C’est pourquoi, tandis que je suis en exil loin de toi, je suis plus près de moi que de toi. Cependant, je sais que nulle violence ne peut t’atteindre, tandis que, pour moi, j’ignore à quelles tentations je suis capable de résister ou non. Mais voici mon espérance : Tu es fidèle et tu ne permets pas que nous soyons tentés au-delà de nos forces. Avec la tentation, tu nous donnes aussi le moyen d’en sortir et la force de la supporter.

Je vais donc confesser ce que je sais de moi, je vais confesser aussi ce que je ne sais pas de moi. Ce que je sais de moi, je le sais à ta lumière ; et ce que je ne sais pas de moi, je l’ignorerai jusqu’à ce que mon obscurité devienne la lumière de midi sous ton regard.

LA JOIE CHEZ LES PÈRES DE L’EGLISE…: JOIE ET SAINTETÉ

21 mai, 2013

http://peresdeleglise.free.fr/Joie/saintete.htm

LA JOIE CHEZ LES PÈRES DE L’EGLISE…

(ET QUELQUES AUTEURS CHRÉTIENS ULTÉRIEURS)

CHAPITRE 1ER

JOIE ET SAINTETÉ

Soulignons toute la complexité du sens du mot « saint » : formellement, ce terme, en français, vient de sanctus (latin) qui signifie « rendu sacré et inviolable » (à l’issue d’un rite de caractère religieux, alors que sacer = sacré, marque un état initial(1)) ; mais le terme latin a été aussi sémantiquement influencé par le sens du mot grec hagios (terme qui s’appliquait d’abord à des lieux redoutés, puis a désigné ce à l’égard de quoi on éprouve une crainte respectueuse : La « sainteté » grecque est assez « distante » de l’homme, comme celle de l’hébreu d’ailleurs, langue où le terme correspondant, qadoch, ne s’applique guère qu’à Dieu, à la Ville (sainte) Jérusalem ou au Temple, et exprime fondamentalement la « séparation » : en hébreu, la sainteté est le caractère de ce qui est séparé. L’usage dans le Nouveau Testament (Actes des Apôtres par exemple)(2), mais surtout chez Paul qui s’adresse par le terme de « saints », par exemple, à « ceux qui sont à Ephèse »(3), donc applique le mot à des vivants, des hommes et des femmes de tous les jours, témoigne d’une étonnante évolution, marquée par une compréhension très profonde du message du Christ : il n’y a plus « ni hommes ni femmes, ni juifs ni païens, ni esclaves ni hommes libres »(4), il n’y a plus un peuple « séparé », mais des frères dans le Seigneur à qui, jusqu’aux extrémités de la terre, le message du Christ doit être porté.
On notera encore sémantiquement, depuis le XIIe siècle, le voisinage de « saint » avec « bienheureux », mot composé qui au sens premier désigne ceux qui ont trouvé la béatitude : la joie éternelle, infinie : les deux termes « saints » et « bienheureux » deviennent historiquement à peu près interchangeables pour désigner ceux que l’Eglise considère, après leur mort, comme entrés dans la joie de Dieu et qu’elle propose comme modèles aux vivants. Ce n’est pas pour rien que nous pouvons dire aussi bien la « bienheureuse Vierge Marie » que « la sainte Vierge Marie ». Plus tardivement et techniquement on s’est mis à distinguer les « bienheureux », comme un premier degré de sainteté (ceux qui ont été béatifiés), les saints étant ceux qui ont atteint un degré supérieur de reconnaissance et qui ont été canonisés.
Il convient bien sûr de ne pas oublier, pour un panorama complet, ce sens aussi que nous y mêlons (dès le latin, mais surtout en français) : ceux qui vivent (ou ont vécu) une vie conforme à la morale.
Chez les Pères de l’Antiquité chrétienne, il faut souligner que la sainteté est souvent étroitement mêlée avec la joie, et de façon complexe : le saint est certes promis au bonheur futur (béatitude éternelle), mais il connaît déjà la joie en ce monde, malgré les épreuves. Je voudrais ici vous inviter à retrouver le sens essentiel, qui apparaît très clairement à la lecture des premiers Pères : le saint est fondamentalement celui qui vit dans la joie de Dieu et le concept n’est pas encore confondu avec l’idée de « perfection morale » : les saints sont ceux qui ont choisi Dieu, la vie avec Dieu). C’est encore en ce sens que nous parlons de la « communion des saints » (qui inclut bien sûr les vivants). Qu’il y ait des retombées morales, sans doute (celui qui vit avec Dieu ne fait pas n’importe quoi) ; mais ce qui est premier dans la sainteté c’est la présence de Dieu dans la vie des saints, et cette présence fait leur joie. Le saint ne peut ainsi qu’être joyeux (les hagiographies de martyrs soulignent très souvent cette « joie » jusque dans le martyre). Sainteté et joie sont donc intimement liées. Si la sainteté ne peut qu’être joyeuse, la vraie joie est nécessairement sainte.
Une première référence fort intéressante est les Odes de Salomon, un « recueil de quarante-deux poèmes composés par un mystérieux chantre au début de l’ère chrétienne » (Marie-Joseph Pierre, Avant-propos à l’Edition Brepols des Odes, p. 13) : c’est au début du XXe siècle que l’on a retrouvé le texte syriaque, puis d’autres, dans d’autres langues (des extraits souvent), pour certains de ces poèmes, au hasard des bibliothèques. On sait très peu de choses de cette œuvre, classée cependant parmi les apocryphes du Nouveau Testament (malgré une attribution traditionnelle à « Salomon ») où elle occupe une place à part du fait de son genre littéraire poétique, genre très peu attesté dans cette littérature. Longtemps considérée comme perdues, les Odes de Salomon, sont largement mentionnées dans la tradition chrétienne, et la découverte du texte a été un événement important.
« … le chantre-auteur, ou la tradition qui dépend de lui, dit que c’est Salomon qui parle – évidemment pas le Salomon historique, mais la glorieuse figure de sagesse royale dont il est le type. L’auteur des Odes écrit sous le pseudonyme du grand roi de l’Ancien Testament, selon une habitude fréquente chez les auteurs chrétiens anciens, qui n’ont pas le même sens de la propriété littéraire que les modernes. Ils se mettent en quelque sorte sous le patronage d’une grande figure biblique qui donne de l’autorité à leur texte ; mais ce n’est généralement pas une duperie : la figure biblique choisie pour « autoriser » leur œuvre situe cette dernière dans un esprit, un genre littéraire et une tradition d’interprétation qui lui donnent de la profondeur de champ par rapport à la simple création littéraire individuelle. » (Introduction de Marie-Joseph Pierre, Edition Brepols, p. 26).
Cf. Salomon, le sage, Roi-Messie (oint de Dieu), exorciste, constructeur du temple :
« L’attribution des Odes à Salomon semble donner une des clés de lecture du poème. En s’assimilant à la figure de sagesse royale, le chantre-auteur des Odes, se fait l’héritier de toute cette typologie vétéro-testamentaire. Il disparaît en tant qu’individu physique, pour n’être plus que le chantre du mystère spirituel d’avènement messianique du fils de l’homme, du roi fils de roi ; mystère d’action de grâce et de communion, de lutte aussi contre les opposants à l’économie du dévoilement de la mystérieuse sagesse de l’unique Seigneur. » (ibid., p. 32)
L’étude de l’œuvre et de la signification du pseudonyme de Salomon permet de dater l’œuvre comme appartenant à la très haute antiquité chrétienne : les premières années du IIe siècle ? L’auteur pourrait provenir du milieu judéo-chrétien de Jérusalem, proche du Temple, « ayant gardé mémoire des modes d’écriture et d’interprétation traditionnels, de tendance ascétique, compositeur de chants liturgiques, peut-être même lié à la famille de Jésus » (ibid., p. 54) (cf. on parle par exemple de Jacques, le premier évêque de Jérusalem(5), comme « frère de Jésus » – et l’auteur des Odes pourrait appartenir précisément à ce groupe.
Si dans les Odes de Salomon (texte d’ailleurs court), il y a peu d’attestations a priori du mot « joie », ce texte dans son ensemble « respire » la joie, et les attestations précises du mot nous apprennent beaucoup, en particulier sur le lien entre joie et sainteté :

Ode VII, 1-2 :
Comme la course de l’ardeur, sur le crime,
Ainsi la course de la joie, sur l’aimé,
Rapporte de ses fruits sans barrage.
Ma joie, c’est le Seigneur,
Ma course, vers lui,
Que ma Voie est belle !

Pour un commentaire : La hâte de la joie, la course de celui qui aime. Cf. Cantique des Cantiques : Cantique 2, 8 « J’entends mon bien-aimé. Voici qu’il arrive, sautant sur les montagnes, bondissant sur les collines. »
Importance de la voie, du chemin, dont on nous dit aussi (lien avec la sainteté) dans l’Ode XXII, 11-12 :
 Incorruptible fut ta Voie,
ta Figure.
Tu amenas ton monde au corruptible,
que soit déliée toute chose, renouvelée.
Qu’elle soit l’assise pour toute chose,
ta Pierre,
sur elle tu bâtis ton Royaume,
il fut l’habitacle des saints,
Alléluia.

Pour un commentaire : On retrouve : la Voie (« Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie », Jn 14, 6), la permanence et la solidité de la pierre (bâtir sur le roc, Dieu = rocher : thématique biblique, (cf. mon article sur « La joie, demeure lumineuse de l’Autre », mais on retrouve… la sainteté : la pierre comme lieu d’habitation des saints, de ceux qui vivent dans la présence de Dieu.

Ode XXIII, 1
La joie, celle des saints,
qui la vêtirait,
sinon eux seuls ?

Mais lire aussi 2-3 :

« La grâce, celle des élus,
qui la recevrait,
sinon ceux qui lui sont confiés dès le principe ?
L’amour, celui des élus,
qui le vêtirait,
sinon ceux qui l’ont acquis dès le principe ? »

Pour un commentaire : Rapport entre la joie et la grâce : joie et gratuité, joie et don…
La joie comparée à un vêtement : importance du vêtement comme parure, pour montrer la beauté de l’homme, créature de Dieu. Le vêtement révèle la nature de l’homme ou de la femme : ainsi on parle de « vêtement de captive » (Dt 21, 13 : « elle quittera son vêtement de captive »), de « vêtement de veuve » (Dt 24, 17 : « Tu ne porteras pas atteinte au droit de l’étranger et de l’orphelin, et tu ne prendras pas en gage le vêtement de la veuve ») ; on souhaite à l’ennemi la malédiction comme vêtement (Ps 108, 19) : « Qu’elle lui soit un vêtement qui l’enveloppe, une ceinture qui l’enserre constamment ! » ; on parle aussi de laisser son « vêtement de deuil » : très belle traduction du Frère Daniel Bourgeois pour la fin du Ps 29 :

« Alors, tu as changé mon chant funèbre en une danse,
Tu as dénoué mon vêtement de deuil
pour me revêtir d’allégresse,

Pour que mon coeur Te chante et ne se taise plus.
Seigneur, mon Dieu, je Te rendrai grâce à jamais ! »

Et penser aussi au Ps 44, 8 : « ton vêtement n’est plus que myrrhe et aloès. Des palais d’ivoire, les harpes te ravissent. » Ceux qui habitent devant le Seigneur ont « nourriture à satiété et vêtement magnifique » (Is 23, 18)…
Vêtir la joie, c’est révéler son identité : identité du saint qui « a revêtu la joie de son Seigneur ». Penser aussi à l’importance du geste qui consiste à « déchirer son vêtement » = signe de deuil. Celui qui est dans la joie se vêt ; celui qui est en deuil, dans la tristesse déchire son vêtement.

Ode XXXII [entière]
Joie, en vrai

Les bienheureux, la joie est de leur cœur,
la Lumière, de celui qui habite en eux,
le Verbe, du Vrai,
celui qui fut de soi-même,
puisqu’il se roborait en la force sainte du Très-Haut,
lui qui est inébranlable aux siècles des siècles
Alléluia.

Pour un commentaire : La joie est toujours lumineuse (cf. « La joie demeure lumineuse de l’Autre ») : la joie est fondamentalement associée à la lumière dans la Bible, lumière de Dieu, soleil levant, lumière qui éclaire l’homme dans ce monde… Nous sommes invités à devenir des « fils de lumière », comme nous sommes invités à être « fils de Dieu » ( » Vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5, 48) (repris par Jésus de Lv 19, 2 : « Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint »). Mais aussi : « Tant que vous avez la lumière, croyez en la lumière, afin de devenir des fils de lumière. » (Jn 12, 36 ).
Tout au long des Odes, il est clairement dit : « Ma joie c’est le Seigneur ». C’est là cette joie des saints, des bienheureux (des « saints » qui ne sont pas seulement ces morts que nous honorons : les saints que nous sommes). En continuant la lecture des Odes, on peut mieux comprendre ce qu’est la sainteté pour l’auteur anonyme :

Lors je n’aurais su aimer le Seigneur
si lui ne m’avait aimé.
qui pourrait discerner l’amour
sinon celui qui est aimé ?
(Ode III, 3-4)

ou encore :

Lors, ce qui s’unit à ce qui ne meurt pas
sera lui aussi immortel
celui qui est agréé par la Vie
sera vivant.
(Ode III, 8-9)

La joie est interdite à celui qui est frustré. Mais le saint a reçu toute la grâce du Seigneur : comment serait-il frustré ?

Lors, celui qui vêtirait ta Grâce,
serait-il frustré ?
Puisque ton sceau est connu,
lui sont connues tes créatures.
(Ode IV, 6-7)

[noter encore le "vêtement"].

La sainteté (et la joie) sont liées à l’éternité : le saint est celui qui ne meurt pas parce que le Seigneur est avec lui (et il est dans la joie) :

Si branle toute chose,
moi je tiens debout.
Si périt chose du visible,
moi je ne mourrai pas,
puisque le Seigneur est avec moi,
et moi avec lui.
Alléluia.
(Ode V, 13-15)

On voit comment dans ce texte des premiers temps de l’Eglise, la sainteté n’est absolument pas la « moralité » : mais liée à la présence de Dieu qui ne nous abandonne pas : les saints sont ceux qui sont aimés de Dieu…
Nous avons vu que les images qui sont liées à la joie dans ces Odes sont très profondément nourries de la Bible : la course de celui qui est joyeux, le rocher, la lumière, la force, la grâce, la vie… mais également le chant :

Ode XXVI [entière]
Je fis sourdre la gloire au Seigneur
puisque je suis à lui,
J’énoncerai son saint chant,
puisque mon cœur est près de lui.

Lors sa cithare est en mes mains,
point ne feront silence les chants de son repos.
Je crierai près de lui de tout mon cœur,
le glorifierai, le surexalterai de tous mes membres.

Lors de l’orient jusqu’au couchant,
la gloire sienne,
du midi jusqu’au nord,
sienne la louange,
de la cime des hauts
jusqu’à leur lisière, la plénitude sienne.

Qui écrit les chants du Seigneur,
ou qui les lit ?
Ou qui s’exerce lui-même à la vie,
pour se sauver lui-même ?
Ou qui repose sur le Très-Haut
pour parler par sa bouche ?

Qui peut interpréter les merveilles du Seigneur ?
Puis lors qu’il les interprète, il est délié,
demeure l’interprété.

Lors, il suffit de connaître et de se reposer,
lors les chantres sont debout dans la reposée,
comme un fleuve à la riche source
coule à l’aide de tels qui le quêtent.
Alléluia.

Celui qui est dans la joie chante : il chante ce cantique nouveau de l’homme nouveau (de celui qui a reçu le commandement nouveau) : cf. Augustin, cours de l’année dernière sur « St Augustin lit et commente St Jean »
Si la sainteté est présence de Dieu, présence à chaque homme dans sa singularité, il y a nécessairement une grande variété de saints puisque chaque histoire est unique ; il n’y a pas un seul modèle de sainteté, mais autant que de saints. A nous d’inventer notre propre sainteté… Mais ce qui est commun à toutes, certainement, c’est la présence de Dieu, présence lumineuse, présence unifiante qui construit l’amour des frères comme sont construites et assemblées les pierres de l’édifice (cf. sermon d’Augustin pour la dédicace d’une église).

13 MAI 2013 – LUNDI, 7ÈME SEMAINE DU TEMPS PASCAL – CATÉCHÈSE DE SAINT CYRILLE DE JÉRUSALEM SUR LE SAINT ESPRIT

13 mai, 2013

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LITURGIE DES HEURES – OFFICE DES LECTURES

13 MAI 2013 – LUNDI, 7ÈME SEMAINE DU TEMPS PASCAL

LECTURE : LE PREMIER, DIEU NOUS AIME (1JN 4, 1-10)

CATÉCHÈSE DE SAINT CYRILLE DE JÉRUSALEM SUR LE SAINT ESPRIT

L’eau, symbole de l’Esprit
L’eau que je lui donnerai deviendra en lui source jaillissante pour la vie éternelle. C’est une eau toute nouvelle, vivante, et jaillissante, jaillissant pour ceux qui en sont dignes. Pour quelle raison le don de l’Esprit est-il appelé une « eau» ? C’est parce que l’eau est à la base de tout ; parce que l’eau produit la végétation et la vie ; parce que l’eau descend du ciel sous forme de pluie ; parce qu’en tombant sous une seule forme, elle opère de façon multiforme. ~ Elle est différente dans le palmier, différente dans la vigne, elle se fait toute à tous. Elle n’a qu’une seule manière d’être, et elle n’est pas différente d’elle-même. La pluie ne se transforme pas quand elle descend ici ou là, mais, en s’adaptant à la constitution des êtres qui la reçoivent, elle produit en chacun ce qui lui convient.
L’Esprit Saint agit ainsi. Il a beau être un, simple et indivisible, il distribue ses dons à chacun, selon sa volonté. De même que le bois sec, associé à l’eau, produit des bourgeons, de même l’âme qui vivait dans le péché, mais que la pénitence rend capable de recevoir le Saint-Esprit, apporte des fruits de justice. Bien que l’Esprit soit simple, c’est lui, sur l’ordre de Dieu et au nom du Christ, qui anime de nombreuses vertus.
Il emploie la langue de celui-ci au service de la sagesse ; il éclaire par la prophétie l’âme de celui-là ; il donne à un prêtre le pouvoir de chasser les démons ; à un autre encore celui d’interpréter les divines Écritures. Il fortifie la chasteté de l’un, il enseigne à un autre l’art de l’aumône, il enseigne à celui-ci le jeûne et l’ascèse, à un autre il enseigne à mépriser les intérêts du corps, il prépare un autre encore au martyre. Différent chez les différents hommes, il n’est pas différent de lui-même, ainsi qu’il est écrit : Chacun reçoit le don de manifester l’Esprit en vue du bien de tous. ~
Son entrée en nous se fait avec douceur, on l’accueille avec joie, son joug est facile à porter. Son arrivée est annoncée par des rayons de lumière et de science. Il vient avec la tendresse d’un défenseur véritable, car il vient pour sauver, guérir, enseigner, conseiller, fortifier, réconforter, éclairer l’esprit : chez celui qui le reçoit, tout d’abord ; et ensuite, par celui-ci, chez les autres.
Un homme qui se trouvait d’abord dans l’obscurité, en voyant soudain le soleil, a le regard éclairé et voit clairement ce qu’il ne voyait pas auparavant : ainsi celui qui a l’avantage de recevoir le Saint-Esprit a l’âme illuminée, et il voit de façon surhumaine ce qu’il ne connaissait pas.

R/ Allons dans la joie puiser aux sources du salut.

Celui qui boira de l’eau que je lui donnerai
n’aura plus jamais soif.
L’eau que je vous donnerai deviendra en vous
source jaillissant en vie éternelle.

JACQUES DE SAROUG : TOI LE PRÊTRE QUI EST NOTRE SEL

15 avril, 2013

http://www.patristique.org/Jacques-de-Saroug-Toi-le-pretre.html

JACQUES DE SAROUG : TOI LE PRÊTRE QUI EST NOTRE SEL

Jacques de Saroug († 521) est l’un des plus grands docteurs syriens. Il fit ses études dans l’école très réputée d’Édesse puis il devint moine. Son œuvre poétique est considérable. Nous publions ici un passage de son
Poème sur l’amour.

es actions mauvaises sont devenues de plus en plus graves
et même le prêtre se met en colère.
Lui, le gardien des mystères, il déteste son frère
et il se moque de lui.

Devant cela, est-ce que je vais me taire
ou parler avec respect ?
Est-ce que je vais parler clairement
ou fermer la bouche pour ne pas enseigner ?

Le prêtre est le sel de la terre
et c’est lui qui réconcilie ceux qui sont en colère.
Si lui-même est en colère,
qui va le réconcilier avec son prochain ?

Personne ne met du sel avec du sel
pour le rendre meilleur.
Si le sel perd son goût,
qui peut lui rendre son bon goût ?

Si le sel est sans goût,
qu’est-ce qu’on va mettre dans la nourriture ?
Si le sel perd son goût,
il n’a plus aucune chance de donner un bon goût.

Alors, toi, le prêtre qui es notre sel, apporte ton bon goût
pour nous rendre agréables aux autres.
Toi, tu ne perds pas ton bon goût,
et nous t’attendons pour que tu nous rendes purs.

Mélange-toi à nous qui avons perdu notre bon goût.
Nous sommes devenus mauvais et nous ne faisons plus le bien.
Remets-nous sur le droit chemin
et redonne-nous le bon goût que nous avons perdu.

Tous attendent le bon goût de ton sel
pour devenir purs.
Si ton bon goût disparaît,
on pleurera à cause de ton goût mauvais.

Prêtre, tu es le sel.
Fais attention
à ne pas te mettre en colère contre ton prochain,
sinon les gens vont dire :
le sel n’a plus de goût.

« Vous êtes le sel de la terre » (Mt 5, 13)
et vous donnez la paix à votre pays.
« Vous êtes la lumière du monde » (Mt 5, 14)
et vous enseignez aux autre qui est Dieu.

Vous réconciliez celui qui est en colère contre son prochain,
vous calmez celui qui s’énerve contre son compagnon.
Vous, les prêtres, vous apprenez aux autres à aimer leurs ennemis.
Vous leur donnez un enseignement qui donne la vie.

Vous annoncez de la part de Dieu :
« Si ton frère pèche sept fois,
pardonne-lui sept fois soixante fois. »

Sur vos instruments de musique,
vous chantez l’Évangile du Fils de Dieu,
vous chantez les chants de l’amour
pour que chacun aime celui qui le déteste.

Dans l’Église tous les chrétiens au cœur pur
vous entendent dire dans tous les pays :
« Personne ne doit rendre le mal pour le mal » (1 Th 5, 15).

Toi qui es prêtre, tu m’as enseigné ce que disent les Livres saints,
et, grâce à cela, j’ai aimé mon ennemi.
Mais, qu’est-ce que je vais faire
si je vois que toi, prêtre, tu détestes ton frère ?

Tu m’enseignes : « Aime celui qui te déteste. »
Mais quand ton frère est en colère contre toi,
tu ne trouve pas bien de faire la paix avec lui !

Tu m’as dit : « Dieu ne te pardonnera pas,
si tu ne pardonne pas. »
Et toi, tu ne veux pas pardonner à ton frère
qui s’est mis en colère contre toi !

Si tu ne respectes pas ce que tu dois faire,
est-ce que quelqu’un pourra t’instruire ?
J’ai peur de t’instruire, toi, un prêtre !

Quand tu nous as lu les Livres saints,
tu m’as appris à faire la paix avec mon frère.
En effet, le jour du Grand Pardon,
on ne recevait pas celui qui était en colère.

Dans la Bonne Nouvelle, on lit :
« Laisse ton offrande
et va d’abord faire la paix avec ton frère » (Mt 5, 24).

Oui, si quelqu’un est en colère,
et s’il fait la paix avec son frère,
ensuite il peut facilement présenter son offrande à Dieu.

Mais quand nous n’avons pas fait la paix,
si nous offrons de l’encens à Dieu, notre offrande sent mauvais.
Et si celui qui offre l’encens est en colère,
il méprise la maison de Dieu.

En effet, le jour où nous demandons pardon à Dieu,
l’encens est le signe de notre amour pour Dieu.
C’est l’intelligence du cœur qui l’a recueilli
dans les racines bénies de l’arbre du paradis.

Cet encens choisi
que le prêtre présente dans le lieu très saint du Temple
figure les pensées qui sont pures de tout mal.

Le chandelier à sept branches
qui éclairait autrefois la Tente de la Rencontre,
c’est l’amour du Seigneur
qui est dans le cœur de l’homme pur.

[…]

S’il aime, le prêtre peut entrer chez Dieu.
Mais, s’il n’aime pas,
un simple chrétien est meilleur que lui.

Source :

La prière des Pères, Sodec-a.i.m., Bayard Éditions 1997, p. 212-217.

SAINT JEAN CHRYSOSTOME : HOMÉLIE SUR LE JEÛNE

18 mars, 2013

 http://www.pagesorthodoxes.net/metanoia/jeune-ecrits.htm

 SAINT JEAN CHRYSOSTOME : HOMÉLIE SUR LE JEÛNE

Que la réunion de ce jour est brillante! comme cette assemblée est supérieure en éclat aux assemblées ordinaires ! Quelle en est la cause ? C’est, je le vois, au jeûne qu’il faut l’attribuer; non à un jeûne actuel, mais au jeûne que nous attendons. C’est ce jeûne qui nous rassemble dans la maison paternelle, c’est lui qui ramène aujourd’hui entre les mains de leur mère les fidèles qui se sont montrés jusqu’ici trop négligents. Si la perspective de ce temps consacré a réveillé parmi nous tant de zèle, de quelle piété serons-nous animés, lorsqu’il sera vraiment arrivé! C’est ainsi qu’on voit une cité bannir toute torpeur et déployer la plus grande activité pour recevoir un prince redouté. Ne croyez pas cependant que vous deviez redouter ce jeûne qui va prochainement arriver; ce n’est pas à vous, mais aux démons qu’il est redoutable. Faites entrevoir à un lunatique la présence du jeûne, et la crainte dont il est saisi le rend aussi immobile que les rochers, et charge en quelques manière ses membres de chaînes. Cela se produit surtout lorsque le jeûne est suivi de sa sœur et de sa compagne, la prière; car, dit le Sauveur, « cette espèce de démons n’est chassé que par le jeûne et la prière.» (Mt 17, 20) Puisque le jeûne met ainsi en fuite les ennemis de notre salut, puisqu’il inspire tant de frayeur aux ennemis de notre repos, nous devons l’aimer, le chérir, et non le craindre: à craindre quelque chose, c’est la débauche et l’intempérance et non le jeûne qui doivent nous inspirer de la crainte. La débauche et l’intempérance nous livrent, sans défense, à la tyrannie des vices, et nous rendent esclaves de ces maîtres pervers. Le jeûne au contraire brise les fers de notre servitude, rompt les liens qui garrottent nos mains, nous affranchit de toute tyrannie, et nous remet en possession de notre antique liberté. S’il triomphe de nos ennemis, s’il nous arrache à l’esclavage, s’il nous rend à la liberté, quelle preuve réclamerez-vous encore de sa bienfaisance envers le genre humain? La plus grande preuve d’amour ne consiste-t-elle pas à nourrir les mêmes sentiments de haine et d’amitié ?
Voulez-vous connaître quelle gloire, quelle protection et quelle sécurité le jeûne procure aux hommes? Considérez l’heureuse et admirable vie des solitaires. Ces hommes qui, fuyant loin des bruits du siècle, sont allés s’établir sur le faîte même des montagnes et ont bâti leurs cellules dans le calme du désert, port à l’abri des orages; ces hommes, dis-je, ont fait du jeûne le compagnon inséparable de leur vie. Aussi les a-t-il transformés en anges, et les a-t-il conduits sur les hauteurs de la philosophie; prodiges qu’il n’opère pas moins chez les habitants des villes qui en embrassent la pratique. Moïse et Elie, ces prophètes sublimes de l’Ancien Testament, avaient bien des titres de gloire; ils jouissaient d’un grand crédit auprès du Seigneur: cependant lorsqu’ils voulaient l’aborder et s’entretenir avec Lui, comme il est possible à l’homme de le faire, ils avaient recours au jeûne, qui les conduisait en quelque sorte par la main jusqu’à Dieu. C’est pour cela que Dieu, après avoir au commencement créé l’homme, le mit aussitôt sous la loi du jeûne, comme entre les mains d’une tendre mère et d’un maître parfait. En effet, cette défense : « Vous mangerez du fruit de tous les arbres du paradis, mais vous ne mangerez pas du fruit de l’arbre de la science du bien et du mal, » ne prescrit-elle pas une sorte de jeûne ? (Gn 2,16-17) Si le jeûne a été jugé indispensable dans le paradis, il l’est encore plus hors du paradis; s’il était un remède utile avant toute blessure, il le sera plus maintenant que nous sommes blessés; s’il fournissait des armes redoutables, même avant que les passions révoltées nous eussent déclaré la guerre, son alliance nous est beaucoup plus nécessaire, maintenant que nous avons à subir les violents assauts des démons et des passions. Ah! si Adam eût prêté l’oreille à cette parole, il n’eût pas entendu celle-ci : « Tu es terre, et tu retourneras dans la terre. » (Gn 3,19) Il enfreignit le précepte divin; et dès ce moment, la mort, les soucis,les afflictions, les chagrins, une vie plus affreuse même que la mort, les épines, les ronces, les labeurs, les tribulations et les angoisses devinrent son partage.
Voilà comment Dieu châtie le mépris que l’on fait du jeûne: apprenez d’autre part comment Il récompense cette pratique. Le mépris du jeûne, Il l’a châtié en condamnant à la mort; le respect du jeûne, Il le récompense en rappelant à la vie. Pour vous en montrer la vertu, Il a permis que le jeûne obtînt à des criminels leur grâce, quand la sentence avait été prononcée, quand elle était sur le point d’être mise à exécution, et que l’on s’acheminait déjà vers le lieu du supplice. Et il ne s’agit pas seulement de deux, de trois ou de vingt individus, mais d’un peuple tout entier. Cette grande et belle ville de Ninive déjà ébranlée dans ses fondements, déjà penchée sur l’abîme, déjà près de recevoir le coup fatal, le jeûne, semblable à un ange descendu du ciel, l’a arrachée des portes de la mort et l’a ramenée à la vie. Écoutons, si vous le voulez bien, l’historien sacré.
« La voix du Seigneur se fit entendre à Jonas et lui dit : ‘Lève-toi et va dans la grande ville de Ninive.’» (Jon 1,2) Dieu parle au prophète de la grandeur de cette ville pour mieux le persuader; car Il prévoyait sa fuite prochaine. Mais écoutons ce qu’il doit annoncer. « Encore trois jours, et Ninive sera détruite. » (Jon 3,4) Pourquoi, Seigneur, prédire les maux que tu devais accomplir? Pour ne pas réaliser mes menaces! – Il nous menace de l’enfer, mais pour nous préserver de l’enfer. Soyez pénétrés de crainte par mes paroles, si vous voulez n’être pas victimes des évènements. Mais pourquoi assigner un terme si proche? – Pour vous faire connaître la vertu de ces barbares, je veux dire des Ninivites, à qui il a suffi trois jours pour dissiper le courroux que leurs péchés leur avaient attiré; pour vous faire admirer la bonté de Dieu, qui se contente de trois jours de pénitence en expiation de tant de crimes; pour que vous ne vous abandonniez jamais au désespoir, alors même que vos péchés seraient innombrables. Au reste, de même que l’âme lâche et négligente, quelque temps qu’elle assigne à la pénitence, n’aboutit à aucun résultat important, et ne parvient pas, à cause de sa lâcheté, à fléchir le Seigneur, de même, l’âme pleine de résolution et d’énergie, par l’ardeur de sa pénitence, pourra expier en quelques instants les fautes de nombreuses années. Est-ce que Pierre ne renia pas trois fois son Maître ? Est-ce que, la troisième fois, il n’y ajouta pas un jurement? Est-ce qu’il ne faiblit pas devant la parole d’une vile servante ? Et bien, aura-t-il eu besoin de plusieurs années pour obtenir le pardon de son crime ? Point du tout: la même nuit le vit tomber et se relever, recevoir la blessure et en guérit, atteint par la maladie et rendu à la santé. Et comment cela s’accomplit-il? par ses pleurs et par ses gémissements; non par des pleurs ordinaires, mais par des pleurs que lui arrachait la vivacité de ses regrets. Aussi l’évangéliste ne se borne-t-il pas à dire qu’il pleura; il ajoute qu’il pleura amèrement. (Mt 26,75) Exprimer l’abondance de ses larmes est au-dessus de la parole humaine: l’issue de l’événement l’a fait seule comprendre. En effet, après cette épouvantable chute, car aucune faute n’est comparable à l’apostasie; après cette faute si grave, l’apôtre recouvra sa dignité première, et fut chargé du gouvernement de l’Église universelle: et, chose encore plus admirable, il témoigne envers son divin Maître un amour supérieur à celui de tous les autres apôtres. « Pierre, lui avait dit le Sauveur, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? » (Jn 21,15) Or nulle question n’était plus propre à mettre en évidence le degré de sa vertu.
Vous seriez peut-être tentés de dire que Dieu a eu raison de pardonner aux Ninivites en considération de leur barbarie et de leur ignorance, et vous rappelleriez ce mot de l’évangéliste: « Le serviteur qui ne connaît pas la volonté de son maître et qui ne l’accomplit pas, sera légèrement châtié. » (Luc 12,48) Pour vous convaincre du contraire, le Seigneur vous offre l’exemple de Pierre, serviteur qui certes connaissait bien la volonté de son Maître. Regardez à quel degré de confiance néanmoins il remonte, quoique s’étant rendu coupable d’un si grave péché. Quels que soient donc vos péchés, ne perdez jamais courage. Ce qu’il a de plus à craindre que le péché, c’est de rester dans le péché; ce qu’il y a de plus dangereux dans une chute, c’est de ne pas se relever de sa chute. Voilà ce qui arrachait à Paul des gémissements et des larmes, et ce qu’il jugeait digne d’être déploré. « Je crains, disait-il, que, à mon retour parmi vous, Dieu ne m’humilie, et que je n’aie à pleurer, non seulement sur ceux qui ont péché, mais encore sur ceux qui n’ont pas fait pénitence des impudicités, des impuretés et des fornications qu’ils ont commises. » (II Cor 21,21) Or quel temps plus propre à la pénitence que le temps consacré au jeûne ?
Mais revenons à notre histoire. « Ayant entendu ces paroles, le prophète descendit à Joppé pour s’enfuir vers Tharsis, loin de la face du Seigneur. (Jon 1,3) O homme, où fuis-tu? n’as-tu pas oui ces accents du psalmiste : « Où irai-je loin de ton Esprit ? Où fuirai-je loin de ta Face ?» (Ps 88,7) Sur la terre ? mais « la terre appartient au Seigneur avec tout ce qu’elle renferme». (Ps 23,1) Dans l’enfer ? mais si je descends dans les enfers, Tu y es présent. » (Ps 88,8) Dans le ciel ? Mais « si je monte vers les cieux, je T’y trouve encore. » (ibid. 7) Sur la mer ? « Là aussi ce sera ta droite qui me soutiendra. » (ibid. 10) C’est ce que Jonas apprit par sa propre expérience. telle est, en effet, la nature de la faute, qu’elle jette notre âme dans une ignorance profonde. De même que les personnes tourmentées par l’ivresse ou par une pesanteur de tête marchent au hasard, sauf à se précipiter inconsidérément dans l’abîme ou dans le précipice qui se présenteraient sous leurs pas, ainsi lorsque nous sommes entraînés par le péché, enivrés en quelque sorte par nos coupables désirs, nous ne savons ce que nous faisons; le présent et l’avenir également nous échappent. Vous fuyez le Seigneur, n’est-ce pas ? Eh bien, attendez un peu, et les évènements vous apprendront que vous ne sauriez même vous dérober à la mer, qui n’est que son esclave.
A peine Jonas était-il monte sur le vaisseau, que la mer soulève ses flots et amoncelle ses vagues. semblable à une esclave fidèle qui, surprenant un de ses compagnons d’esclavage en fuite, après avoir enlevé une partie des biens de son maître, ne se lasse pas de le poursuivre et d’inquiéter ceux qui seraient tentés de l’accueillir jusqu’à ce qu’elle s’en soit emparée et qu’elle l’ait ramené à son maître, la mer surprenant et reconnaissant ce fugitif, suscite mille difficultés aux matelots, gronde, mugit, et les menace, non de les traduire en jugement, mais de les engloutir avec les navires s’ils ne lui livrent l’esclave de son maître. Que firent les matelots en cette occurrence ? Ils jetèrent à la mer la cargaison du vaisseau; mais il n’en était pas plus soulagé.» (Jon 1,5) Le fardeau véritable restait encore tout entier. Jonas lui-même qui accablait le bâtiment, non du poids de son corps, mais du poids de son péché; car il n’est rien de si lourd et de si pesant que le péché et la désobéissance. A cause de cela Zacharie les compare à du plomb; (Za 35,7) et David s’écrie à ce même propos : « Mes iniquités se sont élevées au-dessus de ma tête, et elles se sont appesanties sur moi comme un fardeau insupportable.» (Ps 37,5) Le Christ disait aussi aux hommes qui vivaient au sein du péché: «Venez à Moi, vous tous qui êtes fatigués et qui succombez sous le faix, et je vous soulagerai. » (Mt 11,28) C’était donc le péché qui surchargeait la nef et qui la menaçait d’une ruine totale. Quant à Jonas, il était enseveli dans le sommeil: non dans le sommeil d’une paix délicieuse, mais dans le sommeil pesant du chagrin; non dans le sommeil du repos, mais dans celui de l’abattement. Les serviteurs bien nés comprennent vite leurs fautes. Ainsi en fut-il du prophète: à peine eut-il commis sa désobéissance qu’il en comprit la gravité. Telle est la condition du péché: dès qu’il paraît un jour, il déchire l’âme à laquelle il doit l’existence, tout au contraire de ce qui arrive en vertu des lois naturelles à notre naissance. Tandis que notre naissance met un terme aux douleurs de nos mères, la naissance du péché inaugure les souffrances qui déchirent l’âme dans laquelle il a pris son origine.
Cependant le pilote s’approcha de Jonas et lui dit : « Lève-toi et invoque ton Seigneur et ton Dieu.» (Jon 1,6) Son expérience lui indiquait que ce n’était pas là une tempête ordinaire, mais un fléau envoyé du ciel, que les efforts des nautoniers seraient inutiles et que les ressources de son art ne conjureraient pas la violence des flots. Il fallait en ce moment la main d’un pilote plus puissant, de celui qui gouverne le monde entier; il fallait le secours et le protection d’en haut. C’est pourquoi les matelots abandonnant les rames, les voiles et cordages, au lieu d’occuper leurs bras à la manœuvre, les élevaient vers les cieux en implorant le Seigneur. La tempête persistant avec toute sa fureur, on consulta le sort, et le sort enfin trahit le coupable. Néanmoins, on ne le précipita pas sur-le-champ dans les flots. Transformant le navire en tribunal, au milieu de ce fracas et de ce bouleversement horrible, comme si l’on eût joui d’un calme parfait, on permit au criminel de prendre la parole et de se défendre. L’instruction fut ouverte avec autant de soin que s’il eût fallu rendre un compte rigoureux de la sentence qu’elle devait amener. Prêtons l’oreille à ces questions aussi détaillées que celles de la justice. Quelle est votre condition? demande-t-on à Jonas. D’où viens-tu ? Où vas-tu ? En quelle contrée es-tu né ? A quel peuple appartiens-tu ? Quoique la mer l’accusât de sa voix tonnante, quoique le sort l’eût désigné, malgré les mugissements accusateurs de l’une, et le témoignage formel de l’autre, on ne prononce pas encore d’arrêt. De même que, dans une cause régulière, après avoir entendu l’accusation, après que les témoins ont parlé, après que les preuves et les indices de la culpabilité ont été produits, les juges attendent cependant pour porter leur sentence que l’accusé ait confessé son crime, de même, ces matelots, ces hommes ignorants et barbares, observent cette marche de la justice; et cela, en face du plus terrible danger, au milieu d’une tourmente affreuse, au milieu de vagues courroucées, quand la mer leur permet à peine de respirer, tant elle est furieuse et agitée, tant les bruits qui s’élèvent de son sein paraissent effrayants ! Pourquoi, mes bien-aimés, une disposition aussi favorable envers le prophète? C’était Dieu qui le permettait ainsi, et en le permettant, Il enseignait à son envoyé la douceur et la mansuétude; aImite la conduite de ces matelots, semblait-Il lui crier. Tout ignorants qu’ils sont, une âme n’est pas à leurs yeux un objet de mépris, et ils hésitent à sacrifier ta seule vie. Toi, au contraire, tu as exposé autant que tu le pouvais le salut d’une ville entière et de ses innombrables habitants. Quoiqu’ils connaissent la cause de leurs maux, tes compagnons de voyage ne se hâtent pas de te sacrifier, et toi, qui n’as rien eu à souffrir des Ninivites, tu les précipites dans la ruine et la désolation. Quand je t’ai ordonné de les ramener par ta prédication dans la voie du salut, tu n’as pas voulu m’obéir. Sans en avoir reçu l’ordre de personne, ceux-ci ne négligent aucun moyen pour te dérober au châtiment que tu as mérité.» En effet, la voix accusatrice de la mer, la décision du sort, les propres aveux du fugitif ne précipitèrent pas sa mort: les matelots faisaient, au contraire, tout ce qui était en leur pouvoir pour ne pas l’abandonner, même après une faute aussi éclatante, à la violence des flots. Mais ceux-ci, ou plutôt le Seigneur ne le permit pas, afin que le monstre marin achevât l’œuvre des matelots, et ramenât le prophète à de plus sages pensées. Jonas avait dit à ses compagnons: « prenez-moi, et jetez-moi dans la mer. » (Jon 1,12) Et ces derniers voulurent regagner le rivage, mais la tempête l’emporta sur leurs efforts.
Après avoir assisté à la fuite de Jonas, écoutez les aveux qu’il laisse échapper du sein du monstre qui l’a recueilli, car si cette punition est la punition de l’homme, ces accents sont les accents du prophète. Dès qu’il eut été jeté à la mer, celle-ci le renferma dans le ventre d’un monstre comme dans une prison, et conserva sain et sauf ce fugitif pour le ramener à son maître. Il n’eut à souffrir ni de la furie des flots qui se refermèrent sur lui, ni des étreintes du monstre encore plus redoutable qui le reçut dans cette obéissance de la mer et du monstre à une loi contraire aux lois de leur nature. Arrivé dans cette ville, il proclama aussitôt la sentence, comme s’il eût donné connaissance d’une lettre royale où il se fût agi d’un châtiment. Encore trois jours, criait-il, et Ninive sera détruite. (Jon 3,4) A ce cri, loin d’y répondre par l’incrédulité ou par l’insouciance, les Ninivites se précipitèrent tous vers le jeûne; les hommes aussi bien que les femmes, les esclaves aussi bien que leurs maîtres, les princes aussi bien que les sujets, les jeunes gens aussi bien que les vieillards et les enfants. Les animaux dépourvus de raison y furent même soumis. Partout le sac, partout la cendre, partout les gémissements et les larmes. Celui-là même dont le front était ceint du diadème descendit les degrés de son trône, se revêtit d’un sac, se couvrit de cendre, et arracha la ville au péril qui la menaçait. Spectacle inouï, le sac succédant à la pourpre; ce que la pourpre ne pouvait faire, le sac le faisait; ce que le diadème ne pouvait accomplir, la cendre l’accomplissait.
Voyez-vous si j’avais raison de vous dire que nous n’avions point à craindre le jeûne, mais l’intempérance et la débauche? Ce sont l’intempérance et la débauche qui ébranlèrent Ninive jusque dans ses fondements, et qui la mirent sur le penchant de sa chute. Grâce au jeûne, Daniel enfermé dans la fosse aux lions, resta sain et sauf au milieu de ces animaux comme il fût resté au milieu d’innocentes brebis. Bouillonnant de colère, la prunelle ensanglantée, ils n’osaient s’approcher de la table dressée devant eux; et, quoiqu’ils sentissent le double aiguillon de leur férocité native, plus terrible que la férocité des autres animaux, et de la faim qu’ils enduraient depuis sept jours, ils respectèrent cette proie, comme de toucher aux entrailles du prophète. Grâce au jeûne, les trois enfants qui avaient été jetés dans la fournaise de Babylone en sortirent le corps plus éclatant que les flammes dans lesquelles ils étaient longtemps restés. Mais si le feu de cette fournaise était un feu véritable, d’où vient qu’il ne produisit pas les effets du feu? Si le corps de ces enfants était un corps réel, d’où vient qu’il n’éprouvait pas ce que les corps éprouvent en pareil cas ? Demandez-le au jeûne, et il vous répondra, et il vous résoudra cette énigme; car c’est vraiment une énigme que ce prodige d’un corps livré aux flammes et en sortant néanmoins victorieux. Voyez-vous cette lutte merveilleuse. Voyez-vous cette victoire plus merveilleuse encore ? Soyez donc remplis d’admiration pour le jeune, et recevez-le à bras ouverts. Puisqu’il paralyse les ardeurs d’une fournaise, qu’il garantit de la cruauté des lions, qu’il chasse les démons, qu’il obtient la révocation des sentences divines, qu’il apaise la furie des passions, qu’il nous conduit à la liberté, qu’il ramène le calme dans nos pensées, ne ferions-nous pas un acte de la dernière folie, si nous redoutions et si nous repoussions une pratique à laquelle tant de biens sont attachés ? – Mais il brise et affaiblit notre corps, m’objectera-t-on. – Eh bien, plus l’homme extérieur s’affaiblira en nous, plus l’homme intérieur de jour en jour se renouvellera. Du reste, examinez sérieusement la chose, et vous trouverez que le jeune est un principe de santé. Si vous refusez d’ajouter foi à ma parole, consultez les médecins, et ils vous affirmeront cette vérité de la manière la plus formelle. Ils appellent l’abstinence la mère de la santé; ils regardent la goutte, les pesanteurs, les tumeurs, et une infinité d’autres maladies, comme la conséquence de la mollesse et de l’intempérance; véritable ruisseaux empoisonnés provenant d’une source empoisonnée, et qui nuisent également et à la santé du corps et à la vertu de l’âme.
Pourquoi donc serions-nous effrayés du jeûne, s’il nous préserve de tant de maux ? Ce n’est pas sans motifs que j’insiste sur ce point. Je vois des hommes aussi rebutés et effrayés par l’approche du jeûne, que s’ils étaient sur le point de s’unir à une femme d’un caractère insupportable; je vois des hommes se perdre dans l’intempérance et dans l’ivresse; et c’est pour cela que je vous exhorte à ne pas sacrifier à de semblables excès les avantages de ce genre de pénitence. Lorsqu’on se dispose à prendre quelque potion amère pour dissiper la répugnance qu’inspire à l’estomac la nourriture, si l’on commence par manger abondamment, on aura toute l’amertume de la médecine sans en éprouver l’efficacité du remède. Aussi les médecins nous ordonnent-ils en pareil cas de nous coucher sans prendre quoi que ce soit, afin que la médecine puisse agir énergiquement sur les humeurs mauvaises. Il en est de même du jeûne: Si vous vous plongez aujourd’hui dans l’ivresse, et que demain vous preniez ce remède, il sera pour vous vain et inutile; vous aurez enduré la privation qu’il entraîne, et vous ne recueillerez pas les avantages dont il est la source: toute sa vertu échouera contre le mal que vous auront causé vos excès de la veille. Mais si vous avez soin de diminuer le poids du corps, et d’user de ce remède après vous y être préparé par la sobriété, il vous sera facile de vous purifier d’une grande partie de vos fautes passées. En conséquence, prenons bien garde, et de tomber du jeûne dans l’intempérance: celui qui veut user trop vite des forces de son corps malade et à peine convalescent, n’en fera qu’une chute plus prompte. Tel est le sort de notre âme, lorsqu’au commencement et à la fin du temps consacré au jeûne, nous obscurcissons des nuages de l’intempérance les réformes opérées par l’abstinence en nos âmes. De même que les individus qui doivent combattre les bêtes féroces, n’abordent le combat qu’après avoir couvert d’armes défensives les principales parties de leur corps, de même, bien des hommes aujourd’hui se préparent aux combats du jeûne par les excès de la table; ils se gorgent de viandes, ils s’environnent de ténèbres, et c’est avec de telles folies qu’ils accueillent l’arrivée de ce temps de calme et de paix. Quel que soit celui à qui je demanderai : « Pourquoi t’empresses-tu d’aller aux bains ?» il me répondra : « Pour purifier mon corps, et commencer ensuite le jeûne. » Si je vous demande également: «Pourquoi vous enivrez-vous? » vous me répondez de nouveau: « Parce que je dois commencer le jeûne.» Mais n’est-il pas absurde d’accueillir ce saint temps à la fois et avec un corps pur et avec une âme abrutie et souillée ?
Nous aurions bien des choses à ajouter; ce que nous avons dit suffira pour éclairer la bonne volonté des fidèles. Aussi bien est-il nécessaire de terminer, car il nous tarde d’ouïr la voix de notre père. Pour nous, quand nous prenons la parole à l’ombre de ce sanctuaire, nous ressemblons à de jeunes bergers jouant d’un léger chalumeau sous les ombrages du hêtre et du chêne. Mais, pareil à un artiste divin qui tire de sa harpe d’or des accents dont l’harmonie ravit l’assemblée entière, notre père, par l’harmonie, non de ses accents, mais de ses paroles et de ses œuvres, enchante nos âmes. Tels sont les docteurs que recherche le Christ : « Celui qui parlera et qui enseignera de la sorte, disait-Il, celui-là sera appelé grand dans le royaume des cieux. » (Mt 5, 19) Tel est celui dont nous parlons; aussi est-il grand dans le royaume des cieux. Puissions-nous tous, avec le secours de ses prières et de celles de tous nos supérieurs, l’obtenir ce royaume, par la grâce et l’amour de notre Seigneur Jésus Christ, avec lequel la gloire apparient au Père dans l’unité du saint Esprit, maintenant, et toujours et dans les siècles des siècles. Amen.

SAINT AUGUSTIN ET LA JÉRUSALEM CÉLESTE.

20 février, 2013

http://www.eleves.ens.fr/aumonerie/numeros_en_ligne/automne99/elise.html

SAINT AUGUSTIN ET LA JÉRUSALEM CÉLESTE.

ÉLISE GILLON

Saint Augustin, né en 354 en Afrique du Nord, dans la Tunisie actuelle, a vécu les derniers moments de l’Empire romain d’Occident : l’évêque d’Hippone (aujourd’hui Annaba en Algérie) est mort en 430 dans une ville assiégée par les envahisseurs Vandales. Ce déclin de la puissance romaine lui a donné l’occasion de réfléchir à la précarité des pouvoirs séculiers comparés à l’éternité du Royaume de Dieu. L’évêque agonisant cerné par les Vandales ariens, qui niaient la divinité du Christ, avait combattu tout au long de sa vie chrétienne pour l’unité et la paix de l’Église, sans rien sacrifier de la rectitude de la foi, la regula fidei. Mais son parcours était avant tout celui d’un converti, à qui l’amour du Dieu-Trinité s’est révélé par le témoignage d’autres chrétiens, dans la tradition apostolique.

PRIONS POUR SAINT AUGUSTIN ET SAINTE MONIQUE !
Dans ses Confessions, le converti Augustin demande à ses lecteurs, quand ils approcheront de l’autel, de prier pour le repos de sa mère Monique, et de ne pas oublier l’auteur de l’ouvrage. Nous serions tentés plutôt, en « bons catholiques », de demander l’intercession de ceux qui furent reconnus par la suite comme saint Augustin et sainte Monique ; sans nier la légitimité de cette attitude, on peut donner à la requête d’Augustin une signification théologique très précise : les membres du corps du Christ, unis par l’Esprit Saint dans l’amour fraternel, ne peuvent se passer de la prière d’aucun frère, d’aucune soeur. Seul Dieu est saint, seul le Christ est le Médiateur parfait ; autrement dit, la solidarité des chrétiens entre eux est si forte que chaque homme, chaque pécheur (n’oublions pas que saint Augustin est le théoricien du péché originel) a besoin de la multitude de ses frères : « Ne gardez d’autre dette que celle de l’amour mutuel », exhorte saint Paul dans sa lettre aux Romains (XIII, 8). C’est ce caractère mutuel qui définit les relations entre chrétiens, maintenant comme dans la vision béatifique où les citoyens de la Cité sainte s’invitent mutuellement à louer et magnifier le Seigneur.
Cette Jérusalem céleste s’oppose, dans la pensée de saint Augustin, à la cité des hommes, aux formes toujours temporaires que revêt la dévastatrice et dérisoire volonté de puissance d’hommes faibles et déchus. Confronté à la prise de Rome, la Ville par excellence, tombée en 410 aux mains des barbares, l’intellectuel chrétien prend conscience que l’Empire confondu par beaucoup, depuis sa christianisation, avec le royaume de Dieu en train d’advenir, ne représente qu’une forme transitoire de gouvernement. L’absolu déserte l’état. L’effondrement de la civilisation romaine, de sa civilisation, enseigne à Augustin la primauté du Règne du Christ. Il en tirera l’opposition qui structure la Cité de Dieu, son oeuvre la plus connue avec les Confessions : « Deux amours ont bâti deux cités [...] ; l’amour de soi jusqu’à la haine de Dieu, la cité des hommes [...] ; l’amour de Dieu jusqu’à la haine de soi, la cité de Dieu. » La présentation antithétique et hyperbolique de l’ancien rhéteur, qui écrivait alors pour un public païen sensible aux séductions du langage, ne doit pas nous faire oublier l’essentiel, l’amour de Dieu à l’oeuvre dans Sa Providence depuis la création du monde, amour de Dieu révélé dans l’histoire et les écritures de Son peuple Israël, jusqu’à l’Événement suprême, la grâce de l’Incarnation, la mort et la Résurrection du Fils de Dieu, et l’annonce de la Bonne Nouvelle à l’humanité entière. La Civitas Dei, offerte à tout homme qui accepte humblement cette grâce pour devenir concitoyen du Christ, est ainsi déjà présente dans l’histoire humaine, de manière cachée ; elle sera révélée à la consommation des siècles, où nous aurons sans doute quelques surprises… En effet elle ne se confond pas avec l’Église visible, pas plus qu’elle ne se superposait à l’ordre romain : saint Augustin considère que l’Église, en lançant le filet de l’Évangile, ramène nécessairement toutes sortes de poissons au fond du bateau, et que le tri entre les bons et les mauvais n’incombe qu’à Dieu, au jugement dernier. L’Église temporelle ne peut ni ne doit être une église de purs : il faut laisser croître les semences sur son sol maternel, la laisser former ses enfants avec patience et miséricorde, jusqu’au jour de la moisson céleste où le blé sera entassé dans les greniers, enfin séparé de l’ivraie. Sur ce point, saint Augustin s’est farouchement opposé aux schismatiques donatistes pour défendre l’unité de l’Église.

AUGUSTIN, CHAMPION DE L’UNITÉ DE L’ÉGLISE.
Contre les donatistes qui défendaient une Église « intègre », d’où étaient exclus les faibles et les pécheurs, où l’excellence morale des ministres garantissait la validité des sacrements, saint Augustin interprète les paroles du Christ en faveur d’une église « mélangée », où « les scandales sont inévitables » (Luc XVII, 1, Matthieu XVIII, 7), bien que douloureux. La faute fondamentale des donatistes, dans leur recherche de pureté ecclésiale, est de s’être séparés de la Grande Église : saint Augustin leur reproche ce schisme comme une monstruosité, car si l’Église est le corps du Christ, si le « Christ total », totus Christus, est formé de la Tête et du corps, diviser l’Église, c’est diviser le Christ ! De fait, c’est une autre conception de l’intégrité que prêche saint Augustin : l’unité dans la foi, l’espérance et la charité.
La recherche constante de la vérité a conduit saint Augustin à combattre toutes les hérésies de son temps; en particulier, la fidélité à l’Amour l’a porté à « rendre à Dieu ce qui est à Dieu », à reconnaître et confesser la toute-puissance de la grâce de Dieu en s’opposant au pélagianisme naissant. Augustin y a gagné son titre de « docteur de la grâce », associé à la réputation de théologien pessimiste et sévère. Certes, son affirmation de la corruption radicale de l’humanité depuis le péché originel, qui affecte même les nouveaux-nés, peut sembler désespérante : l’homme est impuissant à faire son salut, trop débile pour accomplir le bien par lui-même, contrairement à ce qu’affirme le moine Pélage. Mais saint Augustin affirme simultanément la toute-puissance de la grâce de Dieu dans le Christ Jésus et Sa miséricorde infinie : cette espérance fondamentale lui arrache le cri de reconnaissance des Confessions ; non, Dieu n’abandonne pas l’homme pécheur à sa perte inévitable, il le guide, le conduit, le nourrit de Sa Vérité même, le Christ incarné, mort et ressuscité pour nous. L’obstination, les excès parfois, qui marquent la polémique anti-pélagienne ne pourraient se comprendre sans se référer à l’expérience personnelle de saint Augustin, au chemin de conversion où il a puisé la certitude de la déchéance humaine et de la toute-puissante sollicitude divine ; autant qu’il a pu, le philosophe Augustin s’est dressé en faveur de la liberté humaine, mais comme il le déclare lui-même, « à la fin, la grâce a vaincu ».

UNE FOULE IMMENSE DE TÉMOINS.
Les Confessions nous retracent le chemin qui conduit un jeune homme ambitieux et noceur, un sectateur de l’hérésie manichéenne, un professeur qui poursuivait une belle carrière de rhétorique à Milan, résidence impériale, jusqu’au baptême et à l’épiscopat : la parabole de l’enfant prodigue structure le parcours d’Augustin, qui se reconnaît pauvre et affamé au milieu des honneurs et des plaisirs, et revient vers son Père en abandonnant tout. La rencontre du Christ s’est faite toutefois à travers la rencontre de témoins directs ou indirects de l’amour de Dieu. C’est d’abord sa mère, Monique, vénérée depuis comme sainte, dont les larmes ont intercédé puissamment auprès de Dieu pour la conversion du fils dépravé ; saint Augustin a « sucé le nom du Christ avec son lait », selon sa propre expression, et n’a pu se satisfaire d’aucune des doctrines qu’on lui proposait comme vérités, si la personne du Christ n’y était associée. Saint Ambroise, évêque de Milan, amena le premier l’auditeur manichéen à écouter et respecter la « vérité catholique », dont saint Augustin n’avait rencontré auparavant que des défenseurs intellectuellement peu brillants, facilement désarmés par la subtilité de son argumentation ; Ambroise, ancien avocat, le séduit par la cohérence et l’harmonie de ses discours (Augustin allait à ses homélies comme on va au théâtre), par l’élaboration philosophique de sa foi, puisée au cercle néo-platonicien de Milan, par la beauté des liturgies cathédrales, rehaussées par le chant des psaumes et des hymnes. Le témoignage de saint Ambroise est aussi capital dans la rencontre de saint Augustin avec l’Écriture sainte : l’obscurité et la grossièreté des textes sacrés les rendaient opaques à l’orgueilleux philosophe ; Ambroise lui permet d’y entrer par la porte étroite de l’humilité, en lui révélant la profondeur symbolique des Écritures.
D’autres témoignages ont mené saint Augustin à la conversion, témoignages reçus par la parole ou l’écriture. La « scène du jardin » de Milan, où se concentre l’expérience décisive du renoncement au péché et de la vocation à suivre le Christ, est préparée par le récit d’un ami qui revient de Trèves avec des nouvelles extraordinaires : il a assisté à la conversion radicale d’une de ses connaissances, tombée par hasard sur le passage de la Vie de saint Antoine où saint Athanase relate la conversion du jeune homme ; le père des moines du désert avait abandonné tous ses biens en entendant la parole du Christ à l’homme riche, « Va, vends tout ce que tu as, et suis-moi. » : ainsi agira le camarade de Trèves, ainsi agira le futur saint Augustin quelques minutes après ce récit, en lisant une exhortation de saint Paul à quitter le péché. L’apôtre Paul est de fait le grand modèle de saint Augustin dans la vie chrétienne, le saint auquel le pécheur Augustin se réfère le plus volontiers : « Je ne fais pas le bien que je veux et commets le mal que je ne veux pas. » (Romains VII, 19). L’exemple du persécuteur de l’Église qui fut apôtre par la grâce du Christ soutiendra Augustin sa vie durant.
Sainte Monique, saint Ambroise, saint Antoine, saint Athanase, l’humble converti de Trèves, saint Paul, et tant d’autres après la conversion, saint Paulin de Noles, saint Jérôme avec qui les relations furent souvent tendues… Cette litanie nous montre saint Augustin soutenu par le témoignage de ses frères, par la communion des chrétiens sur son chemin de foi. Le docteur de la grâce, le chercheur de vérité, l’amant de la Parole de Dieu, le prédicateur infatigable, l’évêque plein de sollicitude envers les frères qui lui étaient confiés est solidaire de tous les membres du Christ dans son pèlerinage vers la Jérusalem céleste. « Ama et fac quod vis , aime et fais ce que tu veux »! : c’est la parole qu’on se plaît souvent à retenir du grand saint ; recevoir l’amour de Dieu du Frère par excellence, le Christ, et de tous Ses frères adoptifs, y répondre en suivant le Christ au service du peuple chrétien, telle est la voie de la sainteté selon saint Augustin.

É.G.

Article paru dans Sénevé

SAINT BERNARD DE CLAIRVAUX : CINQUIÈME PARABOLE. La Foi, l’Espérance et la Charité.

15 février, 2013

http://jesusmarie.free.fr/bernard_paraboles.html

SAINT BERNARD DE CLAIRVAUX  

PARABOLES ATTRIBUÉES À SAINT BERNARD

CINQUIÈME PARABOLE. La Foi, l’Espérance et la Charité. 

1. Notre noble et puissant roi a trois filles qui sont la Foi, l’Espérance et la Charité. Il leur a donné une ville d’une grande beauté, c’est l’âme humaine. Dans cette ville se trouvent trois citadelles, la Rationabilité, la Concupiscibilité et l’Irascibilité ; chacune de ses filles a la sienne : à la Foi il a donné la première, la seconde à l’Espérance et la troisième est le lot de la Charité. La Foi commande donc dans la citadelle de la Rationabilité, attendu que la Foi qui s’appuie sur l’expérience de la raison n’a aucun mérite. L’Espérance gouverne la Concupiscibilité, attendu que nous ne saurions désirer les choses que nous voyons, mais seulement celles que nous espérons. Enfin la Charité gouverne l’Irascibilité, la chaleur commande à la chaleur, en sorte que l’ardeur de la nature se trouve dominée par celle de la vertu. A peine sont-elles entrées chez elles qu’elles établissent et règlent leur demeure chacune suivant son pouvoir. Ainsi pour garder la sienne la Foi place en sentinelle la Prudence, qui doit lui conserver son droit dans la citadelle et main tenir la raison sous les lois et dans les limites que la Foi lui assigne ; mais pour que son action soit bien faite, elle lui adjoint l’Obéissance; puis, voulant donner à celle-ci le moyen de persévérer dans son couvre et lui faire supporter la peine de la fatigue, elle lui donne la Patience pour auxiliaire. Enfin, pour qu’elle pût régir comme il faut et gouverner convenablement toute la domesticité des actes et des sentiments, elle lui donne encore la vertu de discrétion. Voulant que tout se passe chez elle selon le conseil de l’Apôtre, dans l’ordre et l’honnêteté, elle ajoute l’ordre à ses gardiens. Et pour que la malédiction n’entre jamais dans cette demeure, car on sait que toute maison sans discipline est maudite, elle place un dernier gardien à la porte, c’est la Discipline.

2. Quant à l’Espérance, elle place à la tête de sa maison, dans la Concupiscibilité, la Sobriété, pour s’assurer la possession de ses droits chez elle et pour forcer les principaux habitants de la citadelle à la servir. Pour lui donner le moyen de gouverner avec discernement toute la famille des volontés et des voluptés elle lui adjoint la Discrétion, puis, pour combattre la concupiscence de la chair, elle lui donne la Continence, pour dompter celle des yeux, elle lui donne la Constance, et pour lutter contre l’ambition du siècle, elle lui donne l’Humilité. Enfin, pour fermer la porte à la pauvreté, se rappelant ce mot de Salomon, «beaucoup de paroles, beaucoup de misère (Prov. XIV, 23), » elle confie la garde de porte au Silence.

3. Pour ce qui est de la Charité, elle a placé sa demeure du côté où souffle l’Auster, faisant face au Midi, elle la confie à son amie la Piété, lui remet tous ses droits ou lui donne pour premier serviteur la propreté du corps, puis des exercices appropriés, les lectures, les méditations, les oraisons, et les aspirations de l’âme; enfin, pour empêcher la misère d’entrer dans la maison et d’y semer le désordre, elle confie la garde de la porte à la Paix en personne, la Béatitude des enfants de Dieu qui, placés dans la perfection du bonheur au septième degré, se jouent et goûtent le bonheur dans la maison de la Charité. Leurs habitations étant ainsi réglées, on mit à la tête de la. cité tout entière une sorte de prévôt et d’économe appelé le Libre arbitre.

4. Cela fait, les trois filles du roi reviennent dans la maison de leur père. Mais alors survient l’ennemi qui, à la vue de l’ordre et de la gloire de la cité, est saisi d’envie, et machine des embûches contre elle. Dans ses désirs d’y pénétrer il en corrompt deux des principaux citoyens, la discrétion et la dispensation, et, grâce à eux, il fait entrer toute sa détestable armée par les deux portes du Rationalisme et de la Concupiscence. Il charge de chaires et jette au fond d’un cachot, le prévôt de la ville, le Libre arbitre, à qui la garde et l’administration en avaient été confiées, car le père de famille, en s’en allant en voyage, avait donné à tous ses serviteurs le pouvoir de faire chacun ce qui le concerne. Après avoir précipité du haut des murailles du Rationalisme ceux qui. en étaient les gardiens, l’ennemi fait entrer le Blasphème, ennemi juré de la Foi. Avec lui se précipitent dans le donjon les contradictions, les troubles, les confusions et mille autres ennemis du même genre qui, se jetant sur tout ce qu’ils rencontrent, et, n’appropriant tout ce qui leur convient, ne laissent presque rien de la raison dans le Rationalisme; puis après avoir tué le portier, je veux dire la discipline, ils laissent à tout venant la liberté d’entrer et de sortir.

5. Quant à la demeure de l’Espérances, la Concupiscibilité, c’est la Luxure qui s’y précipite, elle s’approprie tout ce qu’elle y trouve, elle précipite du haut en bas l’Espérance elle-même, jette la Continence, la Constance et l’Humilité, sous les pieds de leurs ennemis, la Concupiscence de la chair, la Concupiscence des yeux et l’Ambition du siècle, et les expose à leurs insultes. Puis, après avoir tué le Silence qui gardait la porte de la forteresse, elle ouvre la porte à deux battants à quiconque veut entrer ou sortir. Quant à la Sobriété et à ses compagnes, ou bien elles sont mises à mort, ou bien elles sont précipitées au fond d’un cachot, ou enfin envoyées en exil. Puis, montant jusqu’au haut de la citadelle, l’ennemi tue la Paix qui était le portier et le gardien de la souveraine béatitude, elle livre un libre accès à la Misère. Bientôt après, sa Seigneurie l’Orgueil monte dans la citadelle, car « l’orgueil de ceux qui vous haïssent, Seigneur, monte toujours (Psal. LXXIII, 23), » et d’une main impie renverse la Piété et condamne à la mort ou à l’exil toute la domesticité de la Foi et de la Piété. Après cela, quiconque le veut, entre dans le sanctuaire de Dieu, et tout ce qui s’y trouvé de saint, tout ce qui jusqu’alors n’avait été accessible et visible qu’aux enfants de Lévi, est profané, devient la proie des ennemis, est emporté à Babylone, dont le roi verse à boire à ses concubines dans les vases du temple. Voilà, comment la ville entière fut prise et saccagée : sa honte fut égale à ce qu’avait été sa gloire.

6. Tout étant ainsi bouleversé, un messager de la malheureuse cité vint tristement trouver celles qui en étaient les maîtresses. Consternées, celles-ci montent à pied vers leur père et implorent son secours. Celui-ci s’en prenant ail Libre arbitre, chargé de la garde de ces villes, l’accuse de négligence. Mais, ô père, s’écrient les trois filles, que pouvait-il faire sans le secours de la grâce ? Eh bien, dit le roi, je lui donnerai la grâce, mais commençons par envoyer la Crainte en avant, elle la précédera et lui préparera la voie. La Crainte s’éloigne donc de la présence du Seigneur, et s’approche de la cité, le bâton de la discipline à la main, mais elle trouve la porte de la difficulté fermée avec les gonds de fer de la mauvaise habitude. Sur le seuil, elle aperçoit le gardien de la porte, l’arrogante et malhonnête Lasciveté de la chair, l’ennemie déclarée de la Crainte. Elle accueille cette dernière par un torrent d’injures et de provocations. Mais la Crainte, du choc de la Confiance, brise les gonds de la mauvaise habitude, et, renversant la porte de la difficulté, elle s’empare du malheureux portier et le frappe du bâton de la discipline qu’elle tenait à la main, jusqu’à ce que mort s’en suive ; puis, hissant aussitôt au dessus de la porte, l’enseigne de la Grâce qui arrive, elle répand la terreur dans toute la ville. Après la Crainte se présente la Grâce qui entre dans la ville, menant à sa suite toute la troupe des vertus célestes. En un clin d’eeil tous les ennemis ont disparu et les vertus reprennent le poste qui leur était assigné. Alors on vit paraître d’abord la Discrétion et la Dispensation qui reconnaissent qu’elles se sont laissé tromper, et sollicitent leur pardon. Le libre arbitre sort aussi de ses fers et court en toute hôte au devant de sa maîtresse la Grâce, certain sous son règne de vivre en liberté. On prépare un repas aux filles du roi, dans leur demeure, et on dresse des tables pour chacune d’elles; sur celle de, la Foi on voit figurer le pain de la douleur, l’eau de la tristesse, et tous les autres mets de la pénitence. Sur celle de l’Espérance, on voit le pain qui fortifie, l’huile qui réjouit le visage, et tous les autres mets de la consolation. Sur la table de la Charité se trouvent le pain de vie, et le vin qui réjouit le coeur, et toutes les autres délices du paradis. On entre, on se met à table et on place des gardes à l’entrée de la ville, « mais si le Seigneur ne garde une ville, c’est en vain que veille celui qui la garde (Psal. CXXVI, 2). »

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