Archive pour la catégorie 'Père Cantalamessa'

P. Cantalamessa : Ce n’est plus Dieu qui juge les hommes, mais l’inverse

7 juillet, 2007

du site:

http://www.zenit.org/article-15796?l=french

P. Cantalamessa : Ce n’est plus Dieu qui juge les hommes, mais l’inverse

ROME, vendredi 6 juillet 2007 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le commentaire de l’Evangile du dimanche 8 juillet, proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.

Evangile de Jésus Christ selon saint Luc 10, 1-12.17-20

Après cela, le Seigneur en désigna encore soixante-douze, et il les envoya deux par deux devant lui dans toutes les villes et localités où lui-même devait aller.
Il leur dit : « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson.
Allez ! Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups.
N’emportez ni argent, ni sac, ni sandales, et ne vous attardez pas en salutations sur la route.
Dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord : ‘Paix à cette maison.’
S’il y a là un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui ; sinon, elle reviendra sur vous.
Restez dans cette maison, mangeant et buvant ce que l’on vous servira ; car le travailleur mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison.
Dans toute ville où vous entrerez et où vous serez accueillis, mangez ce qu’on vous offrira.
Là, guérissez les malades, et dites aux habitants : ‘Le règne de Dieu est tout proche de vous.’
Mais dans toute ville où vous entrerez et où vous ne serez pas accueillis, sortez sur les places et dites :
‘Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds, nous la secouons pour vous la laisser. Pourtant sachez-le : le règne de Dieu est tout proche.’
Je vous le déclare : au jour du Jugement, Sodome sera traitée moins sévèrement que cette ville.
Les soixante-douze disciples revinrent tout joyeux. Ils racontaient : « Seigneur, même les esprits mauvais nous sont soumis en ton nom. »
Jésus leur dit : « Je voyais Satan tomber du ciel comme l’éclair.
Vous, je vous ai donné pouvoir d’écraser serpents et scorpions, et pouvoir sur toute la puissance de l’Ennemi ; et rien ne pourra vous faire du mal.
Cependant, ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms sont inscrits dans les cieux. »

© http://www.aelf.org

Le royaume de Dieu est proche

Cette fois encore nous commentons l’Evangile avec l’aide du livre du pape Benoît XVI sur Jésus. Auparavant je voudrais toutefois faire une observation de caractère général. La critique adressée au livre du pape par certains préconise de se limiter à ce que disent les Evangiles sans tenir compte des résultats de la recherche historique moderne qui porteraient, selon eux, à des conclusions très diverses. Il s’agit d’une idée très répandue qui alimente une littérature du type « Le Da Vinci Code » de Dan Brown, ainsi que des œuvres de vulgarisation historique basées sur ce même présupposé.

Je crois qu’il est urgent de souligner une équivoque fondamentale présente dans tout cela. L’idée d’une recherche historique sur Jésus, cohérente, rectiligne, qui procède inexorablement vers une pleine lumière sur Jésus, est un pur mythe que l’on tente de faire croire aux gens mais auquel plus aucun historien sérieux ne croit aujourd’hui.

L’une des plus célèbres représentantes de la recherche historique sur Jésus, l’Américaine Paula Fredriksen écrit : « Les livres se multiplient. Dans la recherche scientifique récente Jésus a été présenté comme une figure de chaman du premier siècle, comme un philosophe itinérant cynique, comme un visionnaire radical et un réformateur social qui prêche une éthique égalitaire en faveur des hommes, comme un régionaliste galiléen qui se bat contre les conventions religieuses de l’élite de Judée (le temple et la Torah), comme un champion de la libération nationale ou, au contraire comme son opposant et critique, et ainsi de suite. Toutes ces figures ont été présentées avec des arguments solides et des méthodes académiques ; elles sont toutes des défenses qui font appel à des données très anciennes. Les débats vont bon train et un consensus, même sur des points essentiels tels que les critères à partir desquels procéder, semble une espérance lointaine ».

On fait souvent appel aux nouvelles données et aux découvertes récentes qui auraient finalement mis la recherche historique dans une position plus avantageuse que par le passé. Mais le fait que ces nouvelles sources historiques aient donné lieu à deux images du Christ opposées et inconciliables entre elles, toujours présentes aujourd’hui, montre combien les conséquences à tirer de ces nouvelles sources historiques sont vastes. D’une part un Jésus « juif en tout et pour tout » ; de l’autre un Jésus fils de la Galilée hellénisée de son temps, imprégné de philosophie cynique.

A la lumière de cet état de fait je m’interroge : qu’aurait dû faire le pape : écrire une énième reconstruction historique pour discuter et combattre toutes les objections contraires ? Le pape a choisi de présenter de manière positive la figure et l’enseignement de Jésus tel qu’il est compris par l’Eglise, en partant de la conviction que le Christ des Evangiles est, également du point de vue historique, la figure la plus crédible et la plus sûre.

Après cette parenthèse, venons-en à l’Evangile de ce dimanche. Il s’agit de l’épisode de l’envoi en mission des 72 disciples. Après leur avoir dit comment ils doivent partir (deux par deux, comme des agneaux, sans apporter d’argent…), Jésus leur explique également ce qu’ils doivent dire : « Dites aux habitants : Le règne de Dieu est tout proche de vous ».

Nous savons que la phrase « Voici que le Royaume de Dieu est au milieu de vous » est au cœur de la prédication de Jésus et le présupposé implicite de tous ses enseignements. Le royaume de Dieu est au milieu de vous, et par conséquent aimez vos ennemis ; « voici que le Royaume de Dieu est au milieu de vous », par conséquent si ta main te scandalise, coupe-là : il vaut mieux entrer manchot dans le royaume de Dieu que rester en dehors, avec les deux mains… Le royaume donne son sens à chaque chose.

On a toujours débattu sur ce qu’entendait précisément Jésus par l’expression « royaume de Dieu ». Pour certains il s’agirait d’un royaume purement intérieur consistant en une vie conforme à la loi de Dieu ; pour d’autres en revanche, il s’agirait d’un royaume social et politique que l’homme devrait réaliser, si nécessaire, également à travers le combat et la révolution. Le pape passe en revue ces différentes interprétations du passé et souligne ce qu’elles ont en commun : l’intérêt n’est plus centré sur Dieu mais sur l’homme ; il ne s’agit plus d’un royaume de Dieu mais de l’homme, un royaume dont l’homme est le principal artisan. Il s’agit d’une idée du royaume compatible, à la limite, également avec l’athéisme.

Dans la prédication de Jésus, la venue du royaume de Dieu indique qu’en envoyant son Fils dans le monde, Dieu a décidé d’une certaine manière de prendre en main le destin du monde, de s’engager dans ce destin, d’agir de l’intérieur. Il est plus facile de deviner intuitivement ce que signifie le royaume de Dieu que de l’expliquer, car il est au-delà de toute explication.

L’idée que Jésus attendait une fin du monde imminente et que par conséquent le royaume de Dieu qu’il prêchait ne se réaliserait pas dans ce monde mais dans celui que nous appelons « l’au-delà », est encore très répandue. Les Evangiles contiennent en effet quelques affirmations qui se prêtent à cette interprétation. Mais celle-ci ne tient pas si l’on considère l’ensemble des paroles du Christ. « L’enseignement de Jésus n’est pas une éthique pour ceux qui attendent une fin du monde proche mais pour ceux qui ont fait l’expérience de la fin de ce monde et de l’avènement dans ce monde, du royaume de Dieu : pour ceux qui savent que ‘les choses anciennes sont passées’ et que le monde est devenu une ‘nouvelle création’, car Dieu y est descendu comme un roi » (Ch. Dodd). En d’autres termes, Jésus n’a pas annoncé la fin du monde, mais la fin d’un monde, et cela n’a pas été démenti par les faits.

Jean-Baptiste également prêchait ce changement, parlant d’un imminent jugement de Dieu. Où se trouve donc la nouveauté du Christ ? La nouveauté est entièrement renfermée dans un adverbe de temps : « à présent », « maintenant ». Avec Jésus, le royaume de Dieu n’est plus seulement une chose « imminente », mais présente. « L’aspect nouveau et exclusif du message de Jésus, écrit le pape, consiste dans le fait qu’il nous dise : Dieu agit maintenant – c’est l’heure à laquelle Dieu, d’une manière qui dépasse toutes les précédentes, se révèle dans l’histoire comme son Seigneur, comme le Dieu vivant ».

C’est de là que vient le sentiment d’urgence qui transparaît dans toutes les paraboles de Jésus, spécialement celles que l’on appelle les « paraboles du royaume ». L’heure décisive de l’histoire a sonné, le moment est venu de prendre la décision qui sauve ; le banquet est prêt : refuser d’entrer parce que l’on vient de se marier ou que l’on vient d’acheter un bœuf ou pour tout autre motif, signifie en être exclu pour toujours et voir sa place prise par d’autres.

Partons de cette dernière réflexion pour une application pratique et actuelle du message écouté. Ce que Jésus disait à ses contemporains vaut également pour nous aujourd’hui. Cet « à présent » et cet « aujourd’hui » resteront inchangés jusqu’à la fin du monde (He 3, 13). Ceci signifie que la personne qui écoute aujourd’hui, peut-être par hasard, la parole du Christ : « Le temps est accompli et le Royaume de Dieu est tout proche : repentez-vous et croyez à l’Evangile » (Mc , 15), se trouve face au même choix que ceux qui l’écoutaient il y a deux mille ans dans un village de Galilée : ou croire et entrer dans le royaume, ou refuser de croire et en être exclu.

Malheureusement, croire semble être la dernière des préoccupations de beaucoup de ceux qui lisent aujourd’hui l’Evangile ou écrivent des livres sur l’Evangile. Au lieu de se soumettre au jugement du Christ, beaucoup se font ses juges. Jésus n’a jamais été autant jugé. Il s’agit d’une sorte de « jugement universel » à l’envers. Ce sont surtout les chercheurs qui courent ce risque. Un chercheur doit « dominer » l’objet de la science qu’il cultive et rester neutre face à cet objet ; mais comment peut-on « dominer » ou rester neutre face à l’objet quand celui-ci est Jésus Christ ? Dans ce cas, plus que « dominer », ce qui compte, c’est « se laisser dominer ».

Le Royaume de Dieu était tellement important pour Jésus qu’il nous a enseigné à prier chaque jour pour qu’il vienne. Nous nous tournons vers Dieu en disant : « Que ton règne vienne », mais Dieu se tourne aussi vers nous et nous dit, par l’intermédiaire de Jésus : « Le royaume de Dieu est arrivé au milieu de vous : n’attendez pas, entrez ! »

ROME, vendredi 6 juillet 2007 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le commentaire de l’Evangile du dimanche 8 juillet, proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.

Evangile de Jésus Christ selon saint Luc 10, 1-12.17-20

Après cela, le Seigneur en désigna encore soixante-douze, et il les envoya deux par deux devant lui dans toutes les villes et localités où lui-même devait aller.
Il leur dit : « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson.
Allez ! Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups.
N’emportez ni argent, ni sac, ni sandales, et ne vous attardez pas en salutations sur la route.
Dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord : ‘Paix à cette maison.’
S’il y a là un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui ; sinon, elle reviendra sur vous.
Restez dans cette maison, mangeant et buvant ce que l’on vous servira ; car le travailleur mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison.
Dans toute ville où vous entrerez et où vous serez accueillis, mangez ce qu’on vous offrira.
Là, guérissez les malades, et dites aux habitants : ‘Le règne de Dieu est tout proche de vous.’
Mais dans toute ville où vous entrerez et où vous ne serez pas accueillis, sortez sur les places et dites :
‘Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds, nous la secouons pour vous la laisser. Pourtant sachez-le : le règne de Dieu est tout proche.’
Je vous le déclare : au jour du Jugement, Sodome sera traitée moins sévèrement que cette ville.
Les soixante-douze disciples revinrent tout joyeux. Ils racontaient : « Seigneur, même les esprits mauvais nous sont soumis en ton nom. »
Jésus leur dit : « Je voyais Satan tomber du ciel comme l’éclair.
Vous, je vous ai donné pouvoir d’écraser serpents et scorpions, et pouvoir sur toute la puissance de l’Ennemi ; et rien ne pourra vous faire du mal.
Cependant, ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms sont inscrits dans les cieux. »

© http://www.aelf.org

Le royaume de Dieu est proche

Cette fois encore nous commentons l’Evangile avec l’aide du livre du pape Benoît XVI sur Jésus. Auparavant je voudrais toutefois faire une observation de caractère général. La critique adressée au livre du pape par certains préconise de se limiter à ce que disent les Evangiles sans tenir compte des résultats de la recherche historique moderne qui porteraient, selon eux, à des conclusions très diverses. Il s’agit d’une idée très répandue qui alimente une littérature du type « Le Da Vinci Code » de Dan Brown, ainsi que des œuvres de vulgarisation historique basées sur ce même présupposé.

Je crois qu’il est urgent de souligner une équivoque fondamentale présente dans tout cela. L’idée d’une recherche historique sur Jésus, cohérente, rectiligne, qui procède inexorablement vers une pleine lumière sur Jésus, est un pur mythe que l’on tente de faire croire aux gens mais auquel plus aucun historien sérieux ne croit aujourd’hui.

L’une des plus célèbres représentantes de la recherche historique sur Jésus, l’Américaine Paula Fredriksen écrit : « Les livres se multiplient. Dans la recherche scientifique récente Jésus a été présenté comme une figure de chaman du premier siècle, comme un philosophe itinérant cynique, comme un visionnaire radical et un réformateur social qui prêche une éthique égalitaire en faveur des hommes, comme un régionaliste galiléen qui se bat contre les conventions religieuses de l’élite de Judée (le temple et la Torah), comme un champion de la libération nationale ou, au contraire comme son opposant et critique, et ainsi de suite. Toutes ces figures ont été présentées avec des arguments solides et des méthodes académiques ; elles sont toutes des défenses qui font appel à des données très anciennes. Les débats vont bon train et un consensus, même sur des points essentiels tels que les critères à partir desquels procéder, semble une espérance lointaine ».

On fait souvent appel aux nouvelles données et aux découvertes récentes qui auraient finalement mis la recherche historique dans une position plus avantageuse que par le passé. Mais le fait que ces nouvelles sources historiques aient donné lieu à deux images du Christ opposées et inconciliables entre elles, toujours présentes aujourd’hui, montre combien les conséquences à tirer de ces nouvelles sources historiques sont vastes. D’une part un Jésus « juif en tout et pour tout » ; de l’autre un Jésus fils de la Galilée hellénisée de son temps, imprégné de philosophie cynique.

A la lumière de cet état de fait je m’interroge : qu’aurait dû faire le pape : écrire une énième reconstruction historique pour discuter et combattre toutes les objections contraires ? Le pape a choisi de présenter de manière positive la figure et l’enseignement de Jésus tel qu’il est compris par l’Eglise, en partant de la conviction que le Christ des Evangiles est, également du point de vue historique, la figure la plus crédible et la plus sûre.

Après cette parenthèse, venons-en à l’Evangile de ce dimanche. Il s’agit de l’épisode de l’envoi en mission des 72 disciples. Après leur avoir dit comment ils doivent partir (deux par deux, comme des agneaux, sans apporter d’argent…), Jésus leur explique également ce qu’ils doivent dire : « Dites aux habitants : Le règne de Dieu est tout proche de vous ».

Nous savons que la phrase « Voici que le Royaume de Dieu est au milieu de vous » est au cœur de la prédication de Jésus et le présupposé implicite de tous ses enseignements. Le royaume de Dieu est au milieu de vous, et par conséquent aimez vos ennemis ; « voici que le Royaume de Dieu est au milieu de vous », par conséquent si ta main te scandalise, coupe-là : il vaut mieux entrer manchot dans le royaume de Dieu que rester en dehors, avec les deux mains… Le royaume donne son sens à chaque chose.

On a toujours débattu sur ce qu’entendait précisément Jésus par l’expression « royaume de Dieu ». Pour certains il s’agirait d’un royaume purement intérieur consistant en une vie conforme à la loi de Dieu ; pour d’autres en revanche, il s’agirait d’un royaume social et politique que l’homme devrait réaliser, si nécessaire, également à travers le combat et la révolution. Le pape passe en revue ces différentes interprétations du passé et souligne ce qu’elles ont en commun : l’intérêt n’est plus centré sur Dieu mais sur l’homme ; il ne s’agit plus d’un royaume de Dieu mais de l’homme, un royaume dont l’homme est le principal artisan. Il s’agit d’une idée du royaume compatible, à la limite, également avec l’athéisme.

Dans la prédication de Jésus, la venue du royaume de Dieu indique qu’en envoyant son Fils dans le monde, Dieu a décidé d’une certaine manière de prendre en main le destin du monde, de s’engager dans ce destin, d’agir de l’intérieur. Il est plus facile de deviner intuitivement ce que signifie le royaume de Dieu que de l’expliquer, car il est au-delà de toute explication.

L’idée que Jésus attendait une fin du monde imminente et que par conséquent le royaume de Dieu qu’il prêchait ne se réaliserait pas dans ce monde mais dans celui que nous appelons « l’au-delà », est encore très répandue. Les Evangiles contiennent en effet quelques affirmations qui se prêtent à cette interprétation. Mais celle-ci ne tient pas si l’on considère l’ensemble des paroles du Christ. « L’enseignement de Jésus n’est pas une éthique pour ceux qui attendent une fin du monde proche mais pour ceux qui ont fait l’expérience de la fin de ce monde et de l’avènement dans ce monde, du royaume de Dieu : pour ceux qui savent que ‘les choses anciennes sont passées’ et que le monde est devenu une ‘nouvelle création’, car Dieu y est descendu comme un roi » (Ch. Dodd). En d’autres termes, Jésus n’a pas annoncé la fin du monde, mais la fin d’un monde, et cela n’a pas été démenti par les faits.

Jean-Baptiste également prêchait ce changement, parlant d’un imminent jugement de Dieu. Où se trouve donc la nouveauté du Christ ? La nouveauté est entièrement renfermée dans un adverbe de temps : « à présent », « maintenant ». Avec Jésus, le royaume de Dieu n’est plus seulement une chose « imminente », mais présente. « L’aspect nouveau et exclusif du message de Jésus, écrit le pape, consiste dans le fait qu’il nous dise : Dieu agit maintenant – c’est l’heure à laquelle Dieu, d’une manière qui dépasse toutes les précédentes, se révèle dans l’histoire comme son Seigneur, comme le Dieu vivant ».

C’est de là que vient le sentiment d’urgence qui transparaît dans toutes les paraboles de Jésus, spécialement celles que l’on appelle les « paraboles du royaume ». L’heure décisive de l’histoire a sonné, le moment est venu de prendre la décision qui sauve ; le banquet est prêt : refuser d’entrer parce que l’on vient de se marier ou que l’on vient d’acheter un bœuf ou pour tout autre motif, signifie en être exclu pour toujours et voir sa place prise par d’autres.

Partons de cette dernière réflexion pour une application pratique et actuelle du message écouté. Ce que Jésus disait à ses contemporains vaut également pour nous aujourd’hui. Cet « à présent » et cet « aujourd’hui » resteront inchangés jusqu’à la fin du monde (He 3, 13). Ceci signifie que la personne qui écoute aujourd’hui, peut-être par hasard, la parole du Christ : « Le temps est accompli et le Royaume de Dieu est tout proche : repentez-vous et croyez à l’Evangile » (Mc , 15), se trouve face au même choix que ceux qui l’écoutaient il y a deux mille ans dans un village de Galilée : ou croire et entrer dans le royaume, ou refuser de croire et en être exclu.

Malheureusement, croire semble être la dernière des préoccupations de beaucoup de ceux qui lisent aujourd’hui l’Evangile ou écrivent des livres sur l’Evangile. Au lieu de se soumettre au jugement du Christ, beaucoup se font ses juges. Jésus n’a jamais été autant jugé. Il s’agit d’une sorte de « jugement universel » à l’envers. Ce sont surtout les chercheurs qui courent ce risque. Un chercheur doit « dominer » l’objet de la science qu’il cultive et rester neutre face à cet objet ; mais comment peut-on « dominer » ou rester neutre face à l’objet quand celui-ci est Jésus Christ ? Dans ce cas, plus que « dominer », ce qui compte, c’est « se laisser dominer ».

Le Royaume de Dieu était tellement important pour Jésus qu’il nous a enseigné à prier chaque jour pour qu’il vienne. Nous nous tournons vers Dieu en disant : « Que ton règne vienne », mais Dieu se tourne aussi vers nous et nous dit, par l’intermédiaire de Jésus : « Le royaume de Dieu est arrivé au milieu de vous : n’attendez pas, entrez ! »

P. Cantalamessa : Jésus et les liens de parenté

29 juin, 2007

du site:

http://www.zenit.org/article-15744?l=french

P. Cantalamessa : Jésus et les liens de parenté

ROME, vendredi 1 juillet 2007 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le commentaire de l’Evangile du dimanche 1 juillet, proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.

Evangile de Jésus Christ selon saint Luc 9, 51-62

Comme le temps approchait où Jésus allait être enlevé de ce monde, il prit avec courage la route de Jérusalem.
Il envoya des messagers devant lui ; ceux-ci se mirent en route et entrèrent dans un village de Samaritains pour préparer sa venue. Mais on refusa de le recevoir, parce qu’il se dirigeait vers Jérusalem. Devant ce refus, les disciples Jacques et Jean intervinrent : « Seigneur, veux-tu que nous ordonnions que le feu tombe du ciel pour les détruire ? » Mais Jésus se retourna et les interpella vivement. Et ils partirent pour un autre village.
En cours de route, un homme dit à Jésus : « Je te suivrai partout où tu iras. » Jésus lui déclara : « Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête. »
Il dit à un autre : « Suis-moi. » L’homme répondit : « Permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père. » Mais Jésus répliqua : « Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, va annoncer le règne de Dieu. »
Un autre encore lui dit : « Je te suivrai, Seigneur ; mais laisse-moi d’abord faire mes adieux aux gens de ma maison. » Jésus lui répondit : « Celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas fait pour le royaume de Dieu. »

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Laisse les morts enterrer leurs morts

En avril dernier est sorti le livre de Benoît XVI « Jésus de Nazareth ». Je voudrais commenter certains des prochains Evangiles du dimanche en me basant sur les réflexions du pape. Tout d’abord, quelques mots sur le contenu et l’objectif du livre. Il est centré sur Jésus dans la période qui va de son baptême dans le Jourdain jusqu’au moment de la transfiguration, c’est-à-dire du début de son ministère public, environ jusqu’à la fin de son ministère. Un deuxième tome, si Dieu, confie le pape, lui donne les forces et le temps nécessaire pour l’écrire, sera centré sur le récit de la mort et de la résurrection, ainsi que les récits de l’enfance, qui n’ont pas été traités dans ce premier tome.

Le livre tient compte de l’exégèse historico-critique et se sert de ses résultats mais va au-delà de cette méthode, en cherchant une interprétation véritablement théologique, c’est-à-dire globale, et non sectorielle, qui prend au sérieux le témoignage des Evangiles et des Ecritures, comme des livres inspirés par Dieu.

Le but du livre est de montrer que la figure de Jésus que l’on obtient ainsi « est beaucoup plus logique et, du point de vue historique, également plus compréhensible que les reconstructions auxquelles nous avons été confrontés au cours des dernières décennies. J’estime, ajoute le pape, que ce Jésus précisément, celui des Evangiles, est une figure historiquement sensée et convaincante ».

Il est très significatif que le choix du pape de s’en tenir au Jésus des Evangiles trouve une confirmation dans les orientations les plus récentes, et qui font autorité, de la critique historique même, comme dans l’œuvre monumentale de l’écossais James Dunn (Christianity in the Making), selon lequel « les Evangiles synoptiques attestent un modèle et une technique de transmission orale qui ont garanti une stabilité et une continuité dans la tradition de Jésus, meilleures que celles que l’on a généralement imaginées jusqu’ici ».

Mais revenons au passage de l’Evangile de ce XIIIe dimanche du temps ordinaire. Il fait état de trois rencontres de Jésus au cours du même voyage. Concentrons-nous sur l’une de ces rencontres. « Il dit à un autre : ‘Suis-moi.’ L’homme répondit : ‘Permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père.’ Mais Jésus répliqua : ‘Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, va annoncer le règne de Dieu’ ».

Dans son livre, le pape commente le thème des relations de parenté, sous-entendu ici, en dialogue avec le rabbin juif américain Jacob Neusner. Neusner a écrit un livre (A Rabbi Talks with Jesus) dans lequel il imagine être l’un des auditeurs présents lorsque Jésus parlait aux foules et explique pourquoi, malgré sa grande admiration pour le rabbin de Nazareth, il n’aurait pas pu devenir son disciple. L’une de ses raisons est précisément la position de Jésus vis-à-vis des liens familiaux. A plusieurs reprises, affirme le rabbin, il semble inviter à enfreindre le quatrième commandement qui demande d’honorer son père et sa mère. Il demande, comme nous l’avons entendu, de renoncer à aller enterrer son propre père. A un autre endroit, il affirme que celui qui aime son père et sa mère plus que lui n’est pas digne de lui.

On répond généralement à ces objections en rappelant d’autres paroles de Jésus qui affirment avec force la validité permanente des liens familiaux : l’indissolubilité du mariage, le devoir d’assister son père et sa mère. Dans son livre, le pape donne cependant une réponse plus profonde et plus éclairante à cette objection, qui n’est pas seulement celle du rabbin Neusner mais de tant de chrétiens qui lisent l’Evangile. Il part d’une parole de Jésus qui répondit un jour à des personnes qui lui annonçaient la venue de sa famille : « Qui est ma mère et qui sont mes frères ?… quiconque fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là m’est un frère et une sœur et une mère » (Mt 12, 49-50).

Jésus n’abolit pas ainsi la famille naturelle, mais révèle une nouvelle famille dans laquelle le père est Dieu et les hommes et les femmes sont tous frères et sœurs, grâce à la foi commune en lui, le Christ. Avait-il le droit de le faire ? s’interroge le rabbin Neusner. Cette famille spirituelle existait déjà : c’était le peuple d’Israël uni par l’observance de la Torah, c’est-à-dire de la Loi mosaïque. Il n’était permis à un fils de quitter la maison paternelle que pour étudier la Torah. Mais Jésus ne dit pas : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que la Torah, n’est pas digne de la Torah ». Il dit : « Qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ». Il se met à la place de la Torah et seul quelqu’un qui est supérieur à la Torah et à Moïse qui l’a promulguée, peut faire cela.

Selon Benoît XVI, le rabbin juif a raison de conclure : « Seul Dieu peut exiger de moi ce que Jésus exige ». La discussion sur Jésus et les liens de parenté (comme la discussion sur Jésus et l’observance du Sabbat) nous ramène, fait remarquer le pape, au cœur de la question sur qui est Jésus. Si un chrétien ne croit pas que Jésus agit avec l’autorité même de Dieu et qu’il est lui-même Dieu, il y a davantage de cohérence dans la position du rabbin juif qui refuse de le suivre que dans la sienne. On ne peut accepter l’enseignement de Jésus si l’on n’accepte pas également sa personne.

Relevons quelques enseignements pratiques de cette discussion. La « famille de Dieu », qui est l’Eglise, non seulement n’est pas contre la famille naturelle, mais elle en est la garantie et la promotrice. Nous le voyons aujourd’hui. Il est dommage que certaines divergences d’opinions au sein de la société actuelle sur des questions liées au mariage et à la famille empêchent tant de personnes de reconnaître l’œuvre providentielle de l’Eglise en faveur de la famille et qu’on la laisse souvent seule dans cette bataille décisive pour l’avenir de l’humanité.

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L’accord préalable écrit de l’éditeur est nécessaire pour toute reproduction des informations de ZENIT.

P. Cantalamessa : Y a-t-il un salut pour les enfants morts sans baptême ?

23 juin, 2007

du site:

http://www.zenit.org/article-15695?l=french

P. Cantalamessa : Y a-t-il un salut pour les enfants morts sans baptême ?

ROME, vendredi 22 juin 2007 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le commentaire de l’Evangile du dimanche 24 juin, proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.

Evangile de Jésus Christ selon saint Luc 1, 57-66.80

Quand arriva le moment où Élisabeth devait enfanter, elle mit au monde un fils.
Ses voisins et sa famille apprirent que le Seigneur lui avait prodigué sa miséricorde, et ils se réjouissaient avec elle.
Le huitième jour, ils vinrent pour la circoncision de l’enfant. Ils voulaient le nommer Zacharie comme son père.
Mais sa mère déclara : « Non, il s’appellera Jean. »
On lui répondit : « Personne dans ta famille ne porte ce nom-là ! »
On demandait par signes au père comment il voulait l’appeler.
Il se fit donner une tablette sur laquelle il écrivit : « Son nom est Jean. » Et tout le monde en fut étonné.
A l’instant même, sa bouche s’ouvrit, sa langue se délia : il parlait et il bénissait Dieu.
La crainte saisit alors les gens du voisinage, et dans toute la montagne de Judée on racontait tous ces événements.
Tous ceux qui les apprenaient en étaient frappés et disaient : « Que sera donc cet enfant ? » En effet, la main du Seigneur était avec lui.
L’enfant grandit et son esprit se fortifiait. Il alla vivre au désert jusqu’au jour où il devait être manifesté à Israël.

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On célèbre cette année la fête de la Nativité de saint Jean-Baptiste à la place du XIIe dimanche du temps ordinaire. Il s’agit d’une fête très ancienne qui remonte au IVème siècle. Pourquoi la date du 24 juin ? Lorsque l’ange annonça la naissance du Christ à Marie, il lui dit qu’Elizabeth, sa parente, était au sixième mois. Jean-Baptiste devait donc naître six mois avant Jésus et la chronologie était ainsi respectée (la date du 24 au lieu du 25 juin est due à la manière dont calculaient les anciens, non en jour mais en calende, ide, et none). Ces dates ont naturellement une valeur liturgique et symbolique et non historique. Nous ne connaissons ni le jour ni l’année exacte de la naissance de Jésus et par conséquent, pas plus de Jean-Baptiste. Mais que cela change-t-il ? L’important pour la foi est le fait qu’il soit né et non quand il est né.

Le culte de Jean-Baptiste se diffusa rapidement et celui-ci devint l’un des saints auquel sont consacrées le plus d’églises dans le monde. Vingt-trois papes prirent son nom. Au dernier d’entre eux, le pape Jean XXIII, on a appliqué la phrase du quatrième Evangile qui dit du Baptiste : « Il y eut un homme envoyé de Dieu ; son nom était Jean ». Peu de personnes savent que les noms des sept notes de musique (do, ré, mi, fa, sol, la, si, do) ont un lien avec Jean- Baptiste. Elles sont tirées de la première syllabe des sept vers de la première strophe de l’hymne liturgique composé en honneur de Jean-Baptiste.

L’Evangile parle du choix du nom de Jean. Mais ce que disent la première lecture et l’antienne du psaume de la fête est également important. La première lecture, du livre d’Isaïe, dit : « J’étais encore dans le sein maternel quand le Seigneur m’a appelé ; j’étais encore dans les entrailles de ma mère quand il a prononcé mon nom. Il a fait de ma bouche une épée tranchante, il m’a protégé par l’ombre de sa main ; il a fait de moi sa flèche préférée, il m’a serré dans son carquois ». L’antienne du psaume revient sur le fait que Dieu nous connaît depuis le sein maternel : « C’est toi qui as créé mes reins, qui m’as tissé dans le sein de ma mère… J’étais encore inachevé, tu me voyais ».

Nous avons une idée très réductive et juridique de la personne, qui engendre une grande confusion dans le débat sur l’avortement. Il semble qu’un enfant acquière la dignité de personne au moment où les autorités humaines la lui reconnaissent. Pour la Bible, une personne est celle qui est connue de Dieu et que Dieu appelle par son nom ; et Dieu, nous est-il dit, nous connaît depuis le sein maternel, il nous voyait alors que nous étions « encore inachevés », dans le sein maternel. La science nous dit que l’embryon renferme tout l’homme en devenir, projeté dans les plus infimes détails ; la foi ajoute qu’il ne s’agit pas uniquement d’un projet inconscient de la nature mais d’un projet d’amour du Créateur. La mission de Jean-Baptiste est entièrement tracée avant sa naissance : « Toi aussi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut ; car tu marcheras devant le Seigneur, pour lui préparer les voies ».

L’Eglise a estimé que Jean-Baptiste a déjà été sanctifié dans le sein maternel, par la présence du Christ ; c’est pour cette raison qu’elle célèbre la fête de sa naissance. Ceci nous donne l’occasion d’évoquer une question délicate, qui a pris aujourd’hui une importance particulière à cause des millions d’enfants qui, surtout en raison de la diffusion effrayante de l’avortement, meurent sans avoir reçu le baptême. Que dire de ces enfants ? Sont-ils eux aussi d’une certaine manière sanctifiés dans le sein maternel ? Il y a-t-il un salut pour eux ?
Sans hésiter je réponds : bien sûr que le salut existe pour eux. Jésus ressuscité dit également d’eux : « Laissez venir à moi les petits enfants ». L’idée selon laquelle les enfants non baptisés étaient destinés aux Limbes, un lieu intermédiaire dans lequel on ne souffre pas mais dans lequel on ne jouit pas non plus de la vision de Dieu, s’est répandue à partir du Moyen-âge. Mais il s’agit d’une idée qui n’a jamais été définie comme vérité de foi de l’Eglise. Il s’agissait d’une hypothèse des théologiens qu’à la lumière du développement de la conscience chrétienne et de la compréhension des Ecritures, nous ne pouvons plus maintenir.

Cette opinion, que j’exprimai, il y a quelque temps, dans l’un de ces commentaires de l’Evangile, fut l’objet de réactions diverses. Certains exprimèrent de la reconnaissance pour cette prise de position qui leur ôtait un poids sur le cœur, d’autres me reprochèrent de donner trop de poids à la doctrine traditionnelle et de diminuer ainsi l’importance du baptême. La discussion est aujourd’hui close car récemment, la Commission théologique internationale, qui travaille pour la congrégation pour la Doctrine de la foi a publié un document affirmant précisément cela.

Il me semble utile de revenir sur ce thème à la lumière de cet important document pour expliquer certaines des raisons qui ont conduit l’Eglise à tirer cette conclusion. Jésus a institué les sacrements comme moyens ordinaires pour le salut. Ceux-ci sont donc nécessaires et celui qui, alors qu’il peut les recevoir, les refuse contre sa conscience ou les néglige, compromet sérieusement son salut éternel. Mais Dieu ne s’est pas lié à ces moyens. Il peut sauver également à travers des chemins extraordinaires, lorsque la personne, sans aucune faute de sa part, est privée du baptême. Il l’a fait par exemple avec les Saints Innocents, morts eux aussi sans baptême. L’Eglise a toujours admis la possibilité d’un baptême de désir et d’un baptême de sang, et tant de ces enfants ont vraiment connu un baptême de sang, même s’il est de nature différente

Je ne crois pas que la clarification de l’Eglise encourage l’avortement ; si c’était le cas, ce serait véritablement tragique et il faudrait se préoccuper sérieusement, non pas du salut des enfants non baptisés mais de celui des parents baptisés. Ce serait se moquer de Dieu. Cette déclaration donnera en revanche un peu de soulagement aux croyants qui, comme chacun, s’interrogent, effarés, sur le sort atroce de tant d’enfants dans le monde aujourd’hui.

Revenons maintenant à Jean-Baptiste et à la fête de dimanche. Lorsqu’il annonça à Zacharie la naissance de son fils, l’ange lui dit : « Ta femme Elizabeth t’enfantera un fils, et tu l’appelleras du nom de Jean. Tu auras joie et allégresse, et beaucoup se réjouiront de sa naissance » (Lc 1, 13-14). Beaucoup en effet se sont réjouis de sa naissance, et vingt siècles plus tard, nous continuons à parler de cet enfant.

Je voudrais faire de ces paroles également un souhait pour tous les pères et les mères qui, comme Elizabeth et Zacharie, vivent le moment de l’attente ou de la naissance d’un enfant : puissiez-vous également éprouver de la joie et de l’allégresse pour l’enfant que Dieu vous a confié et vous réjouir de sa naissance toute votre vie et pour l’éternité !

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P. Cantalamessa : L’important est de faire l’expérience de la puissance créatrice de l’Esprit Saint

26 mai, 2007

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2007-05-25

P. Cantalamessa : L’important est de faire l’expérience de la puissance créatrice de l’Esprit Saint

Commentaire sur la Pentecôte

ROME, Vendredi 25 mai 2007 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le commentaire sur la Pentecôte proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.

Envoie ton Esprit qui renouvelle la face de la terre

Jésus, au cénacle, le soir de Pâques, « répandit sur eux son souffle et… leur dit : ‘Recevez l’Esprit Saint’ ». Ce geste du Christ rappelle celui de Dieu qui, lors de la création « modela l’homme avec la glaise du sol, insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’homme devint un être vivant » (cf. Gn 2, 7). Par ce geste, Jésus signifie donc que l’Esprit Saint est le souffle divin qui donne vie à la nouvelle création, comme il donna vie à la première création. L’antienne du psaume souligne ce thème : « O Seigneur, envoie ton Esprit qui renouvelle la face de la terre ! »

Proclamer que l’Esprit Saint est créateur signifie affirmer que son champ d’action n’est pas uniquement limité à l’Eglise mais s’étend à toute la création. Aucun moment, aucun lieu n’est privé de sa présence active. Il agit dans la Bible et en dehors de la Bible ; il agit avant le Christ, à l’époque du Christ et après le Christ, même s’il n’agit jamais sans lui. « Toute vérité, quelle que soit la personne qui la prononce – a écrit saint Thomas d’Aquin – vient de l’Esprit Saint ». L’action de l’Esprit du Christ en dehors de l’Eglise n’est certes pas la même qu’à l’intérieur de l’Eglise et dans les sacrements. Dans le premier cas il agit par sapuissance, dans le deuxième, par sa présence, en personne.

Cependant, le plus important, à propos de la puissance créatrice de l’Esprit Saint n’est pas de la comprendre ou d’en expliquer les implications mais d’en faire l’expérience. Et que signifie faire l’expérience de l’Esprit comme créateur ? Pour le découvrir, partons du récit de la création. « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Or la terre était vide et vague, les ténèbres couvraient l’abîme et un souffle de Dieu agitait la surface des eaux « (Gn 1, 1-2). Nous en déduisons que l’univers existait déjà au moment où l’Esprit Saint intervint, mais il était encore sans forme et plongé dans les ténèbres, un chaos. C’est après son action que la création assume des contours précis ; la lumière se sépare des ténèbres, la terre ferme de la mer et tout prend une forme définie.

L’Esprit Saint est donc celui qui fait passer la création du chaos au cosmos, qui fait d’elle quelque chose de beau, d’ordonné, de propre (cosmo vient de la même racine que cosmétique et signifie beau !), il en fait un « monde » au deux sens du terme. La science nous enseigne aujourd’hui que ce processus a duré des milliards d’années mais ce que la Bible veut nous dire, à travers son langage simple et imagé, est que la lente évolution vers la vie et l’ordre actuel du monde n’est pas le fruit du hasard, qu’elle n’est pas l’obéissance à des impulsions aveugles de la matière mais qu’elle est le fruit d’un projet placé dans le monde dès le commencement, par le créateur.

L’action créatrice de Dieu n’est pas limitée à l’instant initial ; il est toujours en train de créer. Appliqué à l’Esprit Saint, cela signifie qu’il est toujours celui qui fait passer du chaos au cosmos, c’est-à-dire du désordre à l’ordre, de la confusion à l’harmonie, de la difformité à la beauté, de la vieillesse à la jeunesse. Ceci à tous les niveaux : dans le macrocosme comme dans le microcosme, c’est-à-dire dans l’univers tout entier comme en toute personne individuelle.

Nous devons croire qu’en dépit des apparences, l’Esprit Saint est à l’œuvre dans le monde et le fait progresser. Pensons à toutes les nouvelles découvertes, non seulement dans le domaine physique mais également sur le plan moral et social ! Un texte du Concile Vatican II affirme que l’Esprit Saint est à l’œuvre dans l’évolution de l’ordre social du monde (cf. Gaudium et spes, 26). Il n’y a pas que le mal qui grandit, le bien grandit également, avec la différence que le mal s’annule, finit avec lui-même mais le bien s’accumule et demeure. Il y a encore certes beaucoup de chaos autour de nous : un chaos moral, politique, social. Le monde a encore tant besoin de l’Esprit de Dieu ! Pour cette raison, nous ne devons pas nous lasser de l’invoquer avec les paroles du psaume : « O Seigneur, envoie ton Esprit qui renouvelle la face de la terre ! »

P. Cantalamessa : Seul le Christ peut nous rendre capables de nous aimer les uns les autres

6 mai, 2007

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P. Cantalamessa : Seul le Christ peut nous rendre capables de nous aimer les uns les autres

Evangile du Dimanche 6 mai

ROME, Vendredi 4 mai 2007 (ZENIT.org) Nous publions ci-dessous le commentaire de lEvangile du Dimanche 6 mai, proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.

Evangile de Jésus Christ selon saint Jean 13, 31-35

Quand il fut sorti, Jésus déclara : « Maintenant le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui. Si Dieu est glorifié en lui, Dieu en retour lui donnera sa propre gloire ; et il la lui donnera bientôt.
Mes petits enfants, je suis encore avec vous, mais pour peu de temps, et vous me chercherez. J’ai dit aux Juifs : Là où je m’en vais, vous ne pouvez pas y aller. Je vous le dis maintenant à vous aussi. Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres. »

© AELF

Un commandement nouveau Il y a un mot qui revient à plusieurs reprises dans les lectures de ce Dimanche. On parle dun « ciel nouveau » et dune « terre nouvelle », de la « nouvelle Jérusalem », de Dieu qui fait « toutes choses nouvelles » et enfin, dans lEvangile, du « commandement nouveau » : « Je vous donne un commandement nouveau : () comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres »

.

Les mots « nouveau », « nouveauté » appartiennent à ce petit nombre de mots « magiques » qui évoquent toujours et uniquement un sens positif. Flambant neuf, un vêtement neuf, une vie nouvelle, un jour nouveau, une année nouvelle. Ce qui est nouveau devient une « nouvelle ». Ils sont synonymes. « Nouvelle » comme adjectif, signifie une chose nouvelle et comme substantif, une information. LEvangile est appelé « bonne nouvelle » précisément parce quil contient la nouveauté par excellence. Pourquoi ce qui est nouveau nous plaît tant ? Pas seulement parce que ce qui est nouveau, qui na pas été utilisé (par exemple une automobile), en général fonctionne mieux. Si ce n’était que pour cette raison, pourquoi accueillerions-nous lannée nouvelle, le jour nouveau, avec tant de joie ? La raison profonde est que la nouveauté, ce que lon ne connaît pas encore et que lon na pas expérimenté, laisse davantage de place à lattente, à la surprise, à lespérance, au rêve. Et le bonheur est précisément engendré par tout cela. Si nous étions certains que la nouvelle année nous réserverait exactement les mêmes choses que la précé

dente, ni plus, ni moins, elle ne nous plairait plus.

Nouveau ne soppose pas à « ancien » mais à « vieux ». « Ancien », « antiquité », « antiquaire » ont en effet une connotation positive. Quelle est la différence ? Est « vieux » ce qui se détériore avec le temps et perd de sa valeur ; est « ancien » ce qui avec le temps saméliore et acquiert de la valeur. Cest pour cette raison que lon essaie aujourdhui d’éviter lexpression « Vieux Testament » et que lon préfère parler d « Ancien Testament ». Cela dit, passons maintenant à la parole de lEvangile. Une question vient immédiatement à lesprit : comment se fait-il que lon qualifie de « nouveau » un commandement qui était connu depuis lAncien Testament (cf. Lv 19, 18) ? Ici, la distinction entre vieux et ancien est à nouveau utile. « Nouveau » ne soppose pas, dans ce cas, à « ancien » mais à « vieux ». L’évangéliste Jean lui-même écrit dans un autre passage : « Mes bien aimés, ce que je vous écris n’est pas un commandement nouveau, mais un commandement ancien Et pourtant, ce commandement que je vous écris est nouveau » (1Jn 2, 7-8). Alors, cest un commandement nouveau ou un commandement ancien ? Lun et lautre. Ancien selon l’écriture

car il avait été donné depuis longtemps ; nouveau selon l’Esprit, car la force de le mettre en pratique nest donnée quavec le Christ. Nouveau ne soppose pas, ici, je le disais, à ancien mais à vieux. Le commandement daimer son prochain « comme soi-même » était devenu un commandement « vieux » cest-à-dire faible et usé, à force d’être transgressé, car la Loi imposait certes lobligation daimer, mais elle ne donnait pas la force pour le faire. Pour cela, il fallait la grâce. Et en réalité, le commandement de lamour nest pas devenu, en soi, un commandement nouveau lorsque Jésus la formulé, durant sa vie, mais lorsque, mourant sur la croix et nous donnant lEsprit Saint, il nous rend de fait capables de nous aimer les uns les autres, infusant en nous lamour quil a lui-même pour chacun de nous.

Le commandement de Jésus est un commandement nouveau au sens actif et dynamique : parce quil « renouvelle », rend nouveau, transforme tout. « Cest cet amour qui nous renouvelle, faisant de nous des hommes nouveaux, héritiers du nouveau Testament, qui chantent le cantique nouveau » (St Augustin). Si lamour parlait, il pourrait faire siennes les paroles que Dieu prononce dans la deuxième lecture daujourdhui : « Voici que je fais toutes choses nouvelles ».

Père Cantalamessa – Je suis le bon pasteur

28 avril, 2007

du site:

http://www.cantalamessa.org/fr/omelieView.php?id=56

Je suis le bon pasteur

Dimanche 29 avril -Jean 10, 27-30.

Dans les trois cycles liturgiques, le quatri
ème dimanche de Pâques présente un passage de lEvangile de Jean sur le bon pasteur. Après nous avoir conduits, dimanche dernier, parmi les pêcheurs, lEvangile nous conduit parmi les pasteurs. Deux catégories dimportance égale dans les Evangiles. De lune dérive le titre de « pêcheurs dhommes », de lautre celui de « pasteurs d’âmes », donné aux apôtres.

La plus grande partie du territoire de Galilée était un haut plateau au sol rude et rocailleux, plus adapté à l’élevage de brebis qu’à lagriculture. Lherbe était rare et le troupeau devait se déplacer en permanence ; il nexistait pas de murs de protection et pour cette raison, la présence constante du pasteur au milieu de son troupeau était nécessaire. Un voyageur du siècle dernier nous a laissé un portrait du pasteur palestinien de l’époque : « Quand je le vis, sur un pâturage des hauteurs, fatigué, le regard scrutant au loin, exposé aux intempéries, appuyé sur son bâton, toujours attentif aux mouvements du troupeau, je compris pourquoi le pasteur a acquis une telle importance dans lhistoire dIsraël, au point quils ont donné ce titre à leur roi, et que le Christ la choisi comme emblème du sacrifice de soi ».

Dans lAncien Testament, Dieu lui-même est représenté comme pasteur de son peuple. « Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien » (Ps 22 [23], 1). « Il est notre Dieu ; nous sommes le peuple qu’il conduit, le troupeau guidé par sa main » (Ps 94 [95], 7). Le futur Messie est lui aussi décrit avec limage du pasteur : « Comme un berger, il conduit son troupeau : son bras rassemble les agneaux, il les porte sur son coeur, et il prend soin des brebis qui allaitent leurs petits » (Is 40, 11). Cette image idéale du pasteur est pleinement réalisée dans le Christ. Il est le bon pasteur qui va à la recherche de la brebis perdue ; il a pitié du peuple car il le voit « comme des brebis sans berger » (Mt 9, 36) ; il appelle ses disciples « le petit troupeau » (Lc 12, 32). Pierre appelle Jésus « le pasteur de nos âmes » ( cf. 1P 2, 25) et la Lettre aux Hébreux « le berger des brebis, Pasteur par excellence » (He, 13, 20).

Le passage de lEvangile de ce dimanche souligne quelques caractéristiques de Jésus bon pasteur. La première concerne la connaissance mutuelle entre la brebis et le berger : « Mes brebis écoutent ma voix ; moi, je les connais, et elles me suivent ». Dans certains pays dEurope les ovins sont élevés principalement pour la viande ; en Israël ils sont élevés essentiellement pour la laine et le lait. Celles-ci demeuraient par conséquent pendant de longues années en compagnie du berger qui finissait par connaître le caractère de chacune et par leur donner un nom affectueux.

Ce que veut dire Jésus à travers ces images est clair. Il connaît ses disciples (et, en tant que Dieu, tous les hommes), il les connaît par « leurs noms », ce qui, pour la Bible, signifie dans leur moi le plus intime. Il les aime dun amour personnel qui atteint chacun comme sil était le seul à exister devant lui. Le Christ ne sait compter que jusqu’à un : et ce « un » cest chacun de nous.

L’évangile daujourdhui nous dit une autre chose du bon pasteur. Il donne sa vie aux brebis et pour les brebis et personne ne pourra les lui enlever. Le cauchemar des bergers dIsraël étaient les bêtes sauvages les loups et les hyènes et les bandits. Dans des lieux aussi isolés ils constituaient une menace permanente. Cest là que lon voyait la différence entre le véritable pasteur celui qui pais les brebis de la famille, qui a la vocation de pasteur et lemployé qui se met au service de quelque berger uniquement pour le salaire quil reçoit en retour, mais naime pas, et souvent hait même les brebis. Face au danger, le mercenaire fuit et abandonne les brebis à la merci du loup ou des bandits ; le véritable pasteur affronte courageusement le danger pour sauver son troupeau. Cela explique la raison pour laquelle la liturgie nous propose lEvangile du bon pasteur pendant le temps pascal : A Pâques, le Christ a montré quil était le bon pasteur qui donne sa vie pour ses brebis.

P. Cantalamessa : Jésus continue à demander à chacun : « M’aimes-tu ? »

22 avril, 2007

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2007-04-20

P. Cantalamessa : Jésus continue à demander à chacun : « M’aimes-tu ? »

Evangile du Dimanche 22 avril

ROME, Vendredi 23 mars 2007 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le commentaire de l’Evangile du Dimanche 22 avril proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.Evangile de Jésus Christ selon saint Jean 21, 1-19

Après cela, Jésus se manifesta encore aux disciples sur le bord du lac de Tibériade, et voici comment. Il y avait là Simon-Pierre, avec Thomas (dont le nom signifie : Jumeau), Nathanaël, de Cana en Galilée, les fils de Zébédée, et deux autres disciples. Simon-Pierre leur dit : « Je m’en vais à la pêche. » Ils lui répondent : « Nous allons avec toi. » Ils partirent et montèrent dans la barque ; or, ils passèrent la nuit sans rien prendre.

Au lever du jour, Jésus était là, sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c’était lui. Jésus les appelle : « Les enfants, auriez-vous un peu de poisson ? » Ils lui répondent : « Non. » Il leur dit : « Jetez le filet à droite de la barque, et vous trouverez. » Ils jetèrent donc le filet, et cette fois ils n’arrivaient pas à le ramener, tellement il y avait de poisson. Alors, le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : « C’est le Seigneur ! » Quand Simon-Pierre l’entendit déclarer que c’était le Seigneur, il passa un vêtement, car il n’avait rien sur lui, et il se jeta à l’eau. Les autres disciples arrivent en barque, tirant le filet plein de poissons ; la terre n’était qu’à une centaine de mètres.

En débarquant sur le rivage, ils voient un feu de braise avec du poisson posé dessus, et du pain. Jésus leur dit : « Apportez donc de ce poisson que vous venez de prendre. » Simon-Pierre monta dans la barque et amena jusqu’à terre le filet plein de gros poissons : il y en avait cent cinquante-trois. Et, malgré cette quantité, le filet ne s’était pas déchiré. Jésus dit alors : « Venez déjeuner. » Aucun des disciples n’osait lui demander : « Qui es-tu ? » Ils savaient que c’était le Seigneur. Jésus s’approche, prend le pain et le leur donne, ainsi que le poisson.

C’était la troisième fois que Jésus ressuscité d’entre les morts se manifestait à ses disciples.

Quand ils eurent déjeuné, Jésus dit à Simon-Pierre : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? » Il lui répond : « Oui, Seigneur, je t’aime, tu le sais. » Jésus lui dit : « Sois le berger de mes agneaux. » Il lui dit une deuxième fois : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? » Il lui répond : « Oui, Seigneur, je t’aime, tu le sais. » Jésus lui dit : « Sois le pasteur de mes brebis. » Il lui dit, pour la troisième fois : « Simon, fils de Jean, est-ce que tu m’aimes ? » Pierre fut peiné parce que, pour la troisième fois, il lui demandait : « Est-ce que tu m’aimes ? » et il répondit : « Seigneur, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le berger de mes brebis. Amen, amen, je te le dis : quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller. » Jésus disait cela pour signifier par quel genre de mort Pierre rendrait gloire à Dieu. Puis il lui dit encore : « Suis-moi. »

M’aimes-tu?

Lorsqu’on lit l’Evangile de Jean on constate qu’à l’origine il se terminait au chapitre 20. Si ce nouveau chapitre 21 fut ajouté, c’est parce que l’évangéliste lui-même ou l’un de ses disciples a senti le besoin d’insister encore une fois sur la réalité de la résurrection. C’est en effet l’enseignement que l’on tire de ce passage de l’Evangile : que Jésus est bien ressuscité, avec un vrai corps ; que ce n’est pas une façon de parler. « Nous avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts », dira Pierre dans les Actes des apôtres, en se référant sans doute précisément à cet épisode (Ac 10, 41).

La scène décrivant Jésus en train de manger du poisson grillé avec ses apôtres est suivie du dialogue entre Jésus et Pierre. Trois questions : « M’aimes-tu ? » ; trois réponses : « Tu sais que je t’aime » ; trois conclusions : « Pais mes brebis ! ». Par ces paroles Jésus confère de fait à Pierre – et, selon l’interprétation catholique, à ses successeurs – la tâche de pasteur suprême et universel du troupeau du Christ. Il lui confère le primat qu’il lui avait promis lorsqu’il avait dit : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise. Je te donnerai les clés du Royaume des Cieux » (Mt 16, 18-19).

Le plus émouvant dans cette page de l’Evangile est que Jésus reste fidèle à la promesse faite à Pierre, alors que Pierre, lui, n’a pas tenu celle qu’il lui avait faite de ne jamais le trahir, au prix même de sa vie (cf. Mt 26, 35). (La triple demande de Jésus s’explique par le désir de donner à Pierre la possibilité d’effacer son triple reniement au cours de la passion). Dieu donne toujours aux hommes une deuxième possibilité ; souvent une troisième, une quatrième, un nombre infini de possibilités. Il ne raye pas les personnes de son livre à la première erreur de leur part. Alors, que ce passe-t-il ? La confiance et le pardon du Maître ont fait de Pierre une personne nouvelle, forte, fidèle jusqu’à la mort. Il a conduit le troupeau du Christ dans les moments difficiles du commencement, lorsqu’il fallait sortir de Galilée et se lancer sur les routes du monde. Pierre sera enfin en mesure de tenir sa promesse de donner sa vie pour le Christ. Si nous apprenions la leçon que renferme l’attitude du Christ envers Pierre, et faisions confiance à notre prochain, même s’il s’est trompé une fois, que de personnes en moins souffriraient d’échec dans leur vie et que de laissés-pour-compte en moins il y aurait sur terre !

Le dialogue entre Jésus et Pierre peut-être transposé dans la vie de chacun d’entre nous. Commentant ce passage de l’Evangile, saint Augustin affirme : « En interrogeant Pierre, Jésus interrogeait également chacun de nous ». La question : « M’aimes-tu ? » s’adresse à tous les disciples. Le christianisme n’est pas un ensemble de doctrines et de pratiques ; c’est quelque chose de beaucoup plus intime et profond. C’est une relation d’amitié avec la personne de Jésus Christ. Au cours de sa vie terrestre il avait très souvent demandé aux personnes : « Est-ce que tu crois ? » mais jamais : « M’aimes-tu ? ». Il ne le fait que maintenant, après avoir donné la preuve, à travers sa passion et sa mort, de combien Lui il nous a aimés.

Jésus explique que la manière de l’aimer est de servir les autres : « M’aimes-tu ? Pais mes brebis ». Il ne veut pas recevoir les fruits de cet amour, il veut que ce soient ses brebis à les recevoir. Il est le destinataire de l’amour de Pierre, mais pas son bénéficiaire. C’est comme s’il lui disait : « Je considère que ce que tu feras pour mon troupeau, c’est à moi que tu l’auras fait ». Notre amour pour le Christ ne doit pas non plus demeurer quelque chose d’intimiste et de sentimental, mais il doit s’exprimer dans le service aux autres, dans le bien que nous faisons à notre prochain. Mère Teresa de Calcutta disait toujours : « Le fruit de l’amour est le service et le fruit du service est la paix ».

Quatrième prédication de Carême du P. Cantalamessa : « Heureux les miséricordieux »

31 mars, 2007

du site Zenith:

2007-03-30

Quatrième prédication de Carême du P. Cantalamessa : « Heureux les miséricordieux »

Texte intégral

ROME, Vendredi 30 mars 2007 (ZENIT.org) Nous publions ci-dessous le texte intégral de la quatrième prédication de Carême que le père Raniero Cantalamessa O.F.M Cap. a prononcée ce matin au Vatican en présence du pape et de ses collaborateurs de la Curie romaine. Le thème de cette quatrième prédication était : « Heureux les miséricordieux car ils obtiendront miséricorde ». (Pour la première prédication, cf. Zenit, 9 mars, et pour la deuxième, cf. Zenit, 16 mars, pour la troisième, cf. Zenit, 23 mars).
P. Raniero Cantalamessa
« HEUREUX LES MISERICORDIEUX, CAR ILS OBTIENDRONT MISERICORDE »

Quatri
ème prédication de Carême à
la Maison pontificale1. La miséricorde du ChristLa béatitude sur laquelle nous voulons réfléchir, durant cette dernière méditation de Carême, est la cinquième béatitude selon saint Mathieu : « Heureux les miséricordieux car ils obtiendront miséricorde ». Toujours en partant de laffirmation que les béatitudes sont lautoportrait du Christ, nous nous demandons immédiatement, cette fois encore : comment Jésus a-t-il vécu la miséricorde ? Que nous dit sa vie sur cette béatitude ?Dans la Bible, le mot miséricorde a deux significations fondamentales : il illustre dabord lattitude du plus fort (dans lalliance, Dieu lui-même) vis-à-vis du plus faible, sexprimant généralement dans le pardon des infidélités et des fautes ; il illustre ensuite lattitude des uns par rapport aux autres, sexprimant cette fois-ci dans ce que lon appelle les œuvres de miséricorde. (Cette deuxième signification revient fréquemment dans le livre de Tobie). Il existe, dune certaine manière, une miséricorde du cœur et une misé

ricorde des mains.Ces deux formes de miséricorde resplendissent dans la vie de Jésus. Jésus reflète la miséricorde de Dieu envers les pécheurs, mais il éprouve de la pitié pour toutes les souffrances et nécessités humaines, donne à manger aux foules, guérit les malades, libère les opprimés. L’évangéliste dit de lui : « Il a pris nos infirmités et sest chargé de nos maladies » (Mt 8, 17).Dans notre béatitude, cest certainement le premier sens, celui du pardon et de la rémission des péchés, qui prévaut. Nous le déduisons de cette correspondance entre la béatitude et sa récompense : « Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde » auprès de Dieu qui, peut-on sous-entendre, pardonnera leurs péchés. La phrase : « Montrez-vous compatissants, comme votre Père est compatissant », est aussitôt expliquée par la phrase suivante « remettez et il vous sera remis »

(Lc 6, 36-37).Laccueil que Jésus réserve aux pécheurs dans lEvangile est bien connu, tout comme lopposition que cet accueil lui valut de la part des défenseurs de la Loi qui laccusaient d’être « un glouton et un ivrogne, un ami des publicains et des pécheurs » (Lc 7, 34). Lune des phrases de Jésus dont on a le plus de preuves historiques est : « Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs » (Mc 2, 17). Les pécheurs, se sentant accueillis et non jugés par Jésus, l’écoutaient volontiers.Mais qui étaient les pécheurs, à qui ce terme se référait-il ? Dans la ligne de la tendance actuellement répandue à vouloir disculper totalement les pharisiens de l’évangile, et attribuer une image négative aux adjonctions postérieures des évangélistes, certains ont affirmé que les pécheurs étaient les transgresseurs délibérés et impénitents de la loi » (1), autrement dit, les délinquants et les hors-la-loi de l’é

poque.Sil en avait été ainsi, les adversaires de Jésus auraient effectivement eu raison de se scandaliser et de le juger comme un homme irresponsable et socialement dangereux. Cest comme si aujourdhui un prêtre se mettait à fréquenter des mafieux, des truands et des criminels, et acceptait leurs invitations à dîner, sous prétexte de leur parler de Dieu.En réalité, les choses sont différentes. Les pharisiens avaient leur propre vision de la loi, de ce qui était conforme ou non à cette loi, et réprouvaient tous ceux qui ne sy conformaient pas. Jésus ne nie pas lexistence du péché et celle des pécheurs ; il ne justifie pas les fraudes de Zachée ou ladultère de la femme. Le fait de les appeler « malades »

le montre bien.Ce que Jésus condamne cest le fait d’établir soi-même que telle justice est la vraie justice et de considérer tous les autres comme des « voleurs, des personnes injustes et adultères », au point dailleurs de leur nier la possibilité de changer. La façon dont Luc introduit la parabole du pharisien et du publicain est significative : « Jésus dit une parabole pour certains hommes qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient tous les autres » (Lc 18, 9). Jésus était plus sévère avec ceux qui méprisaient ou condamnaient les pécheurs, quavec les pécheurs eux-mêmes (2).2. Un Dieu qui se complait à répandre sa miséricorde

Pour justifier sa conduite envers les pécheurs, Jésus affirme que son Père céleste agit ainsi. A ses adversaires, il rappelle la parole de Dieu dans les prophètes : « Cest la miséricorde que je veux et non pas le sacrifice » (Mt 9,13). Faire preuve de miséricorde envers le peuple infidèle, la hesed, est lun des traits saillants du Dieu de lalliance, et est présent du début jusqu’à la fin de la Bible. Un psaume, pour expliquer les événements de lhistoire dIsraël, répète, telle une litanie : « Car éternel est son amour » (Ps 136).Etre miséricordieux apparaît ici comme un aspect essentiel du fait d’être « à limage et à la ressemblance de Dieu ». « Montrez-vous compatissants, comme votre Père est compatissant » (Lc 6, 36) est une paraphrase du célèbre : « Soyez saints car moi, le Seigneur, votre Dieu, je suis saint »

(Lv 19, 2).Mais la chose la plus surprenante, concernant la miséricorde de Dieu, est quil éprouve de la joie à en avoir. Jésus conclut la parabole de la brebis perdue en disant : « Il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent que pour quatre-vingt-dix-neuf justes, qui nont pas besoin de repentir » (Lc 15, 7). La femme qui a retrouvé la drachme perdue crie à ses amies : « Réjouissez-vous avec moi ». Dans la parabole de lenfant prodigue, la joie explose et se transforme en fête, en banquet.Ce thème nest pas un thème isolé. Il est profondément enraciné dans la Bible. Dans Ezéchiel Dieu dit : « Je ne prends pas plaisir à la mort du méchant, mais (je prends plaisir !) à la conversion du méchant qui change de conduite pour avoir la vie » (Ez 33, 11). Michée dit que Dieu « prend plaisir à faire grâce » (Mi 7, 18), quil éprouve donc du plaisir à

le faire.Mais on se demande alors pourquoi une brebis devrait compter à elle seule plus que toutes les autres brebis réunies, et qui plus est, une brebis qui sest échappée et qui est celle qui a créé le plus de problèmes ? Jai trouvé une explication convaincante chez le poète Charles Péguy. En s’égarant, cette brebis, tout comme le fils cadet, a fait trembler le cœur de Dieu. Dieu a eu peur de la perdre pour toujours, d’être obligé de la condamner et de devoir sen priver à jamais. Cette peur a fait naître lespérance en Dieu, et cette espérance, une fois réalisée, sest transformée en joie et en fête. Tout acte de pénitence de lhomme est le couronnement dune espérance de Dieu (3). Ce langage est un langage imagé, comme celui de Dieu, mais il renferme une vérité.Pour nous les hommes, la condition qui rend possible lespérance est le fait que nous ne connaissons pas lavenir et que nous pouvons donc espérer ; pour Dieu, qui connaît lavenir, la condition est quil ne veut pas (et, en un certain sens, ne le peut pas) réaliser ce quil veut sans notre consentement. La liberté de lhomme explique lexistence de lespé

rance en Dieu.Que dire alors des quatre-vingt-dix-neuf brebis raisonnables et du fils aîné ? Quil ny a aucune joie au ciel pour eux ? Vaut-il la peine de vivre toute sa vie en bons chrétiens ? Rappelons ce que le père répond à son fils aîné : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi » (Lc 15, 31). Lerreur du fils aîné est de considérer que le fait d’être toujours resté chez lui et davoir tout partagé avec son père, nest pas un immense privilège, mais un mérite ; son attitude est plus celle dun mercenaire que celle dun fils. (Ceci devrait être un avertissement pour nous tous qui, dans notre manière de vivre nous trouvons dans la même position que le fils aîné !)Sur ce point la réalité a été meilleure que la parabole. Dans la réalité, le fils aîné Fils aîné du Père, le Verbe nest pas resté dans la maison paternelle ; il est parti dans « une région lointaine » à la recherche du fils cadet, autrement dit à la recherche de lhumanité déchue ; cest lui qui la reconduit chez lui, qui lui a procuré des vêtements neufs et dressé un banquet pour lui, auquel il peut sasseoir à

chaque Eucharistie.Dans lun de ses romans, Dostoïevsky décrit une scène qui a tout lair dune scène observée dans la réalité. Une femme du peuple tient dans ses bras son enfant de quelques semaines, lorsque celui-ci pour la première fois, selon elle lui sourit. Le cœur contrit, elle fait le signe de croix et répond à qui lui demande la raison de ce geste : Voilà, comme une mère devant le premier sourire de son enfant, Dieu se réjouit chaque fois quun pécheur se met à genoux et lui adresse une prière du fond du cœur (4).3. Notre miséricorde, cause ou effet de la miséricorde de Dieu ?

Jésus dit : « Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde » et dans le « Notre Père » il nous fait prier ainsi : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ». Il dit également : « Si vous ne remettez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous remettra pas vos manquements » (Mt 6, 15). Ces phrases pourraient laisser penser que la miséricorde de Dieu envers nous est un effet de notre miséricorde envers les autres et quelle est proportionnée à cette dernière.Mais sil en était ainsi le rapport entre la grâce et les bonnes œuvres serait complètement renversé et le caractère de pure gratuité de la miséricorde divine proclamé de manière solennelle par Dieu devant Moïse, serait détruit : « Je fais grâce à qui je fais grâce et j’ai pitié de qui j’ai pitié »

(Ex 33, 19).La parabole des deux serviteurs (Mt 18, 23 ss.) est la clé pour interpréter correctement ce rapport. On voit dans cette parabole que cest le patron qui, le premier, sans condition, remet une dette immense au serviteur (dix mille talents !) et cest précisément sa générosité qui aurait dû inciter le serviteur à avoir pitié de celui qui lui devait la modique somme de cent deniers.Nous devons par conséquent faire preuve de miséricorde parce que

nous avons reçu de la miséricorde, et non pour recevoir de la miséricorde ; nous devons toutefois faire preuve de miséricorde car autrement la miséricorde de Dieu naura aucun effet pour nous et elle nous sera enlevée, de même que le patron de la parabole la retira au serviteur impitoyable. La grâce « prévient » toujours et cest elle qui crée le devoir : « Le Seigneur vous a pardonné, faites de même à votre tour », écrit saint Paul aux Colossiens (Col 3, 13).Si, dans la béatitude, la miséricorde de Dieu envers nous semble être leffet de notre miséricorde envers nos frères, cest parce que Jésus se place ici dans la perspective du jugement dernier (« ils obtiendront miséricorde », au futur !). « Car le jugement est sans miséricorde pour qui n’a pas fait miséricorde ; mais la miséricorde se rit du jugement » (Jc 2, 13).4. Faire l’expérience de la miséricorde de Dieu

Si la miséricorde de Dieu est à lorigine de tout, et si cest elle qui rend possible la miséricorde des uns envers les autres, le plus important pour nous est alors de faire une expérience renouvelée de la miséricorde de Dieu. Pâques approche et il sagit de lexpérience pascale par excellence.L’écrivain Franz Kafka a écrit un roman intitulé Le procès

. Il raconte lhistoire dun homme qui, un jour, sans que personne ne sache pourquoi, est déclaré en état darrestation, alors quil ne faisait que poursuivre sa vie normale et son travail de modeste employé. Il se lance dans une recherche exténuante pour en découvrir les raisons, le tribunal, les accusations, la procédure. Mais personne ne réussit à lui donner dexplication. Une seule chose est sûre : il y a véritablement un procès en cours contre lui. Jusquau jour où lon viendra le chercher pour lexécution de la sentence.Au cours de laffaire, on apprend quil y aurait pour cet homme trois possibilités : labsolution réelle, labsolution apparente et le renvoi. Labsolution apparente et le renvoi ne résoudraient rien cependant ; ils ne serviraient qu’à maintenir laccusé dans un état dincertitude mortelle, toute sa vie. Dans labsolution réelle en revanche « les actes du procès doivent être complètement éliminés, ils disparaissent totalement de la procédure ; non seulement laccusation, mais également le procès et même la sentence sont détruits, tout est détruit ».Mais lon ne sait pas si ces absolutions réelles, tant désirées, ont un jour existé ; on en a seulement entendu parler, elles ne sont que « de très belles légendes ». L’œuvre se termine ainsi, comme toutes celles de lauteur : quelque chose que lon entrevoit de loin, que lon poursuit hors dhaleine dans un cauchemar nocturne mais sans jamais réussir à l

atteindre (5).A Pâques, la liturgie de lEglise nous transmet lincroyable nouvelle que labsolution réelle existe pour lhomme ; quelle nest pas seulement une légende, une chose très belle mais impossible à atteindre. Jésus a détruit « la cédule de notre dette, qui nous était contraire ; il l’a supprimée en la clouant à la croix » (Col 2, 14). Il a tout détruit. « Il n’y a donc plus maintenant de condamnation pour ceux qui sont dans le Christ Jésus » crie saint Paul (Rm 8, 1). Aucune condamnation ! Daucune sorte ! Pour ceux qui croient en Jésus Christ !A Jérusalem, il y avait une piscine miraculeuse et le premier à y entrer, après que l’eau avait été agitée, se trouvait guéri (cf. Jn 5, 2 ss.). La réalité cependant, même ici, est infiniment plus grande que le symbole. De la croix du Christ a jailli une source deau et de sang et tous ceux qui y entrent pas une personne seulement sortent gué

ris.Après le baptême, cette piscine miraculeuse est le sacrement de la réconciliation et cette dernière méditation voudrait servir précisément de préparation à une bonne confession pascale. Une confession « hors série », cest-à-dire différente des autres, dans laquelle nous permettons vraiment au Paraclet de « nous convaincre de péché ». Nous pourrons prendre comme miroir les béatitudes méditées au cours du Carême, en commençant dès maintenant et en répétant ensemble lexpression si ancienne et si belle : Kyrie eleison, Seigneur, prends pitié !« Heureux les cœurs purs » : Seigneur, je reconnais toute limpureté et lhypocrisie quil y a dans mon cœur ; peut-être la double vie que je mène devant toi et devant les autres. Kyrie eleison !

« Heureux les doux » : Seigneur, je te demande pardon pour limpatience et la violence cachées en moi, pour les jugements avancés, la souffrance provoquée chez les personnes qui mentourent Kyrie eleison« Heureux les affamés » : Seigneur, pardonne mon indifférence envers les pauvres et les affamés, ma recherche permanente de confort, mon style de vie bourgeois Kyrie eleison

« Heureux les miséricordieux » : Seigneur, jai souvent demandé et reçu ta miséricorde à la légère, sans me rendre compte à quel prix tu me las procurée ! Jai souvent été le serviteur pardonné qui ne sait pas pardonner : Kyrie eleison, Seigneur prends pitié !Il y a une grâce particulière lorsque toute la communauté et pas seulement la personne se place devant Dieu dans cette attitude pénitentielle. On sort renouvelé et plein despérance dune expérience profonde de la miséricorde de Dieu : « Mais Dieu, qui est riche en miséricorde, à cause du grand amour dont Il nous a aimés, alors que nous étions morts par suite de nos fautes, nous a fait revivre avec le Christ »

(Ep 2, 4-5).5. Une Eglise « riche en miséricorde »Dans son message pour le Carême de cette année, le Saint-Père écrit : « Que le Carême soit pour tout chrétien une expérience renouvelée de lamour de Dieu qui nous a été donné dans le Christ, amour que nous devons chaque jour, à notre tour, redonner à notre prochain ». Ceci sapplique à la miséricorde, la forme que prend lamour de Dieu envers lhomme pécheur : après en avoir fait lexpérience nous devons, à notre tour en témoigner à nos frères, aussi bien au niveau de la communauté ecclésiale qu

au niveau personnel.Prêchant les exercices spirituels à la Curie romaine, de cette même table,au cours du Jubilé de lan 2000, le cardinal François Xavier Van Thuan, faisant allusion au rite de louverture de la Porte sainte, déclara dans une méditation : « Je rêve dune Eglise qui soit une Porte sainte, ouverte, qui accueille toute personne, remplie de compassion et de compréhension pour les peines et les souffrances de lhumanité, entièrement portée à la consoler » (6).LEglise du Dieu « riche en miséricorde » dives in misericordia

ne peut pas elle-même ne pas être dives in misericordia. Nous déduisons quelques critères, de lattitude du Christ envers les pécheurs, examinée ci-dessus. Il ne banalise pas le péché mais trouve le moyen de ne jamais perdre laffection les pécheurs, mais au contraire de les attirer à lui. Il ne voit pas seulement en eux ce quils sont, mais ce quils peuvent devenir sils sont touchés par la miséricorde divine au plus profond de leur misère et de leur désespoir. Il nattend pas quils viennent à lui. Cest souvent lui qui va les chercher.Aujourdhui les exégètes sont relativement daccord pour admettre que Jésus navait pas une attitude hostile envers la loi mosaïque quil observait lui-même scrupuleusement. Ce qui lopposait à l’élite religieuse de son époque était une certaine rigidité, parfois inhumaine dans leur manière dinterpréter la loi. « Le sabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat » (Mc 2, 27), et ce quil dit du repos sabbatique, lune des lois les plus sacrées en Israël, vaut pour toute autre loi.Jésus est ferme et rigoureux sur les principes, mais il sait quand un principe doit céder le pas à un principe supérieur qui est celui de la miséricorde de Dieu et du salut de lhomme. La manière dont ces critères tirés de laction du Christ peuvent être appliqués concrètement aux problèmes nouveaux qui se posent dans la société, dépend de la recherche patiente et en définitive du discernement du magistère. Dans la vie de lEglise aussi, comme dans celle de Jésus, doivent resplendir ensemble la miséricorde des mains et celle du cœur, aussi bien les œuvres de miséricorde que les « entrailles de miséricorde »

.6. « Revêtez-vous de sentiments de miséricorde »Le dernier mot à propos de chaque béatitude doit toujours être celui qui nous touche personnellement et qui incite chacun de nous à la conversion et à

la pratique. Saint Paul exhortait les Colossiens avec ces paroles venues du coeur :« Vous donc, les élus de Dieu, ses saints et ses bien-aimés, revêtez des sentiments [mot à mot : des entrailles] de tendre compassion, de bienveillance, d’humilité, de douceur, de patience ; supportez-vous les uns les autres et pardonnez-vous mutuellement, si l’un a contre l’autre quelque sujet de plainte ; le Seigneur vous a pardonné, faites de même à votre tour » (Col 3, 12-13).« Nous les êtres humains, disait saint Augustin, sommes comme des vases dargile qui se font du mal rien quen seffleurant » ( lutea vasa quae faciunt invicem angustias

) (7). Il est impossible de vivre ensemble en harmonie, en famille et dans tout autre type de communauté, sans la pratique du pardon et de la miséricorde réciproque. Le mot « miséricorde » est composé de misereo et cor ; cela signifie sapitoyer en son cœur, s’émouvoir, face à la souffrance et lerreur de son frère. Cest ainsi que Dieu explique sa miséricorde face au fourvoiement de son peuple : « Mon cœur en moi est bouleversé, toutes mes entrailles frémissent » (Os 11, 8).Il sagit de réagir en pardonnant, et dans la mesure où cela est possible, en excusant et non en condamnant. Lorsquil sagit de nous-mêmes, nous faisons valoir le dicton suivant : « Celui qui sexcuse, Dieu laccuse ; celui qui saccuse, Dieu lexcuse » ; lorsquil sagit des autres, cest le contraire : « Celui qui excuse son frère, Dieu lexcuse ; Celui qui accuse son frère, Dieu laccuse ».Le pardon est pour une communauté ce quest lhuile pour un moteur. Si lon part avec sa voiture sans une goutte dhuile dans le moteur, au bout de quelques kilomètres, tout senflamme. Comme lhuile, le pardon réduit les frottements. Il y a un psaume qui chante la joie de vivre ensemble comme des frères réconciliés ; il dit que « c’est une huile excellente sur la tête, qui descend sur la barbe, qui descend sur la barbe d’Aaron, sur le col de ses tuniques »

(cf. Ps 133).Notre Aaron, notre Grand prêtre, auraient dit les Pères de lEglise, est le Christ ; la miséricorde et le pardon est lhuile qui descend de cette « tête » élevée sur la croix et qui se diffuse le long du corps de lEglise jusqu’à lextrémité de ses vêtements, jusqu’à ceux qui vivent en marge de lEglise. Là où lon vit ainsi, dans le pardon et la miséricorde réciproque, le Seigneur « a voulu la bénédiction, la vie à jamais ».Essayons de déterminer, parmi nos relations avec les personnes, celles dans lesquelles il nous semble nécessaire de faire pénétrer lhuile de la miséricorde et de la réconciliation et versons la en silence, abondamment, à Pâques. Unissons-nous à nos frères orthodoxes qui à Pâ

ques ne se lassent pas de chanter :« Cest le jour de la Résurrection !
R
épandons la joie pour la fê
te,
Embrassons-nous tous.
Appelons fr
ère mê
me celui qui nous hait,
Pardonnons tout par amour de la R
ésurrection »
(8).
_______________________________________________________
NOTES

1. Cf. E.P. Sanders, Jesus and Judaism, London 1985, p. 385
2. Cf. J.D.G. Dunn,
Gli albori del cristianesimo
, I, 2, Brescia 2006, pp.567-572.
3. Ch. P
éguy, Il portico del mistero della seconda virtù
, in Oeuvres poétiques complètes
, Gallimard, Parigi 1975, pp. 571 ss.
4. F. Dostoevskij,
L’Idiota
, Milano 1983, p. 272.
5. F. Kafka,
Il processo
, Garzanti, Milano 1993, pp. 129 ss.
6. F.X. Van Thuan,
Testimoni della speranza
, Città
Nuova, Roma 2000, p.58.
7. S. Agostino,
Sermoni
, 69, 1 (PL 38, 440)
8.
Stichirà di Pasqua
, testi citati in G. Gharib, Le icone festive della Chiesa Ortodossa
, Milano 1985, pp. 174-182.

Père Cantalamessa – commentaire a l’evangile du dimanche

24 mars, 2007

Du site Zenith

 2007-03-23  P. Cantalamessa : « Jésus est venu ramener le mariage à sa beauté originelle »  Commentaire de l’Evangile du dimanche 25 mars 

ROME, Vendredi 23 mars 2007 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le commentaire de l’Evangile de ce dimanche proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale .Evangile de Jésus Christ selon saint Jean 8, 1-11

Jésus s’était rendu au mont des Oliviers ; de bon matin, il retourna au Temple. Comme tout le peuple venait à lui, il s’assit et se mit à enseigner. Les scribes et les pharisiens lui amènent une femme qu’on avait surprise en train de commettre l’adultère. Ils la font avancer, et disent à Jésus : « Maître, cette femme a été prise en flagrant délit d’adultère. Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, qu’en dis-tu ? » Ils parlaient ainsi pour le mettre à l’épreuve, afin de pouvoir l’accuser. Mais Jésus s’était baissé et, du doigt, il traçait des traits sur le sol. Comme on persistait à l’interroger, il se redressa et leur dit : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter la pierre. » Et il se baissa de nouveau pour tracer des traits sur le sol. Quant à eux, sur cette réponse, ils s’en allaient l’un après l’autre, en commençant par les plus âgés. Jésus resta seul avec la femme en face de lui. Il se redressa et lui demanda : « Femme, où sont-il donc ? Alors, personne ne t’a condamnée ? » Elle répondit : « Personne, Seigneur. » Et Jésus lui dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. »©

AELF Jésus, la femme et la familleL’Evangile du cinquième dimanche de Carême est l’épisode de la femme surprise en flagrant délit d’adultère que Jésus sauve de la lapidation. Jésus n’entend pas dire par là que l’adultère n’est pas un péché ou qu’il ne s’agit pas de quelque chose de grave. Les paroles qu’il adresse à la femme, à la fin, sont une condamnation explicite de l’adultère, même si extrêmement délicate : « Ne pèche plus ». Jésus n’entend donc pas approuver ce qu’a fait la femme ; il entend plutôt condamner le comportement de ceux qui sont toujours prêts à dévoiler et dénoncer le péché des autres. Nous l’avons vu la semaine dernière, en analysant l’attitude de Jésus envers les pécheurs en général. A présent, comme de coutume, en partant de cet épisode, élargissons notre horizon en examinant l’attitude de Jésus envers le mariage et la famille dans l’ensemble de l’Evangile. Parmi les nombreuses thèses étranges avancées sur Jésus ces dernières années figure également la thèse d’un Jésus qui aurait répudié la famille naturelle et tous les liens familiaux, au nom de l’appartenance à une communauté différente, dont le père est Dieu et les disciples sont tous frères et sœurs. Jésus aurait proposé aux siens une vie errante comme le faisaient à cette époque, en dehors d’Israël, les philosophes ciniques.Il existe effectivement dans les Evangiles des paroles du Christ sur les liens familiaux qui, à première vue, semblent déconcertantes. Jésus dit : « Si quelqu’un vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et jusqu’à sa propre vie, il ne peut être mon disciple » (Lc 14, 26). Des paroles dures, certes, mais l’évangéliste Matthieu s’empresse d’expliquer le sens de la parole « haïr » dans ce contexte : « Qui aime son père ou sa mère… son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi » (Mt 10, 37). Jésus ne demande donc pas de haïr les parents ou les enfants, mais de ne pas les aimer au point de renoncer à cause d’eux à le suivre. Il existe un autre épisode déconcertant. Un jour Jésus dit à quelqu’un : « ‘Suis-moi’. Celui-ci dit : ‘Permets-moi de m’en aller d’abord enterrer mon père’. Mais Jésus réplique : ‘Laisse les morts enterrer leurs morts ; pour toi, va-t-en annoncer le Royaume de Dieu’ » (Lc 9, 59 s.). Ciel, ouvre-toi ! Certains critiques se déchaînent ici. Il s’agit d’une demande scandaleuse, une désobéissance à Dieu qui ordonne de prendre soin des parents, une violation éclatante des devoirs filiaux !Le scandale de ces critiques est pour nous une preuve précieuse. Il est impossible d’expliquer certaines paroles du Christ tant qu’on le considère simplement comme un homme, même en reconnaissant qu’il est exceptionnel. Seul Dieu peut demander qu’on l’aime davantage que son propre père et que, pour le suivre, on renonce par conséquent à assister à sa sépulture. D’ailleurs, dans une perspective de foi comme celle du Christ, qu’est-ce qui faisait davantage plaisir au père défunt : que son fils soit à la maison à ce moment-là à enterrer son corps ou qu’il soit en train de suivre l’envoyé de ce Dieu auquel son âme devait maintenant se présenter ? Mais dans ce cas, l’explication est peut-être encore plus simple. On sait que l’expression : « Permets-moi de m’en aller d’abord enterrer mon père » était parfois utilisée (comme elle l’est encore) pour dire : laisse-moi aller prendre soin de mon père tant qu’il est vivant ; lorsqu’il sera mort, je l’enterrerai puis je te suivrai ». Jésus demanderait par conséquent seulement de ne pas renvoyer à un moment indéterminé la réponse à son appel. Combien parmi nous religieux, prêtres et religieuses se sont retrouvés à devoir faire ce même choix et souvent les plus heureux de notre obéissance ont été nos parents.Le désarroi face à ces demandes de Jésus vient en grande partie du fait que l’on ne tient pas compte de la différence entre ce qu’il demandait à tous indistinctement et ce qu’il demandait seulement à quelques uns appelés à partager sa vie entièrement consacrée au royaume, comme c’est encore le cas aujourd’hui dans l’Eglise. On pourrait examiner d’autres phrases célèbres de Jésus. On pourrait même l’accuser d’être responsable des difficultés proverbiales que les belles-mères et les brus ont à s’entendre, car il a dit : « Je suis venu opposer l’homme à son père, la fille à sa mère et la bru à sa belle-mère » (Mt 10, 35). Mais ce n’est pas lui qui séparera ; ce sera l’attitude différente que chacun adoptera à son égard qui déterminera cette division. Un fait que l’on constate douloureusement également aujourd’hui dans de nombreuses familles.Tous les doutes sur l’attitude de Jésus envers la famille et le mariage tombent si l’on tient compte de l’ensemble de l’Evangile et pas seulement des passages qui nous arrangent. Jésus est plus rigoureux que n’importe qui envers l’indissolubilité du mariage, il répète avec force le commandement d’honorer son père et sa mère jusqu’à condamner la pratique de se soustraire, avec des prétextes religieux, au devoir de les assister (cf. Mc 7, 11-13). Combien de miracles Jésus accomplit-il précisément pour répondre à la douleur de pères (Jaïre, le père de l’épileptique), de mères (la Cananéenne, la veuve de Naïn !), ou de plusieurs personnes vivant ensemble (les sœurs de Lazare), c’est-à-dire pour honorer les liens de parenté. A plusieurs reprises il partage même la douleur des familles jusqu’àpleurer avec elles. A un moment comme aujourd’hui où tout semble concourir à l’affaiblissement des liens et des valeurs de la famille, il ne manquerait plus que l’on ne lui oppose également Jésus et l’Evangile ! Mais il s’agit de l’une des nombreuses choses étranges sur Jésus que nous devons connaître pour ne pas nous laisser impressionner lorsque nous entendons parler de nouvelles découvertes sur les Evangiles. Jésus est venu ramener le mariage à sa beauté originelle (cf. Mt 19, 4-9), pour le renforcer et non pour l’affaiblir. 

Troisième prédication de Carême du Père Cantalamessa : « Heureux les affamés »

24 mars, 2007

du site Zenith:

2007-03-23

Troisième prédication de Carême du p. Cantalamessa : « Heureux les affamés »  

Texte intégral 

ROME, Vendredi 23 mars 2007 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de la troisième prédication de Carême que le père Raniero Cantalamessa O.F.M Cap. a prononcée ce matin au Vatican en présence du pape et de ses collaborateurs de la Curie romaine. Le thème de cette deuxième prédication était : « Heureux les affamés car ils seront rassasiés ». (Pour la première prédication, cf. Zenit, 9 mars, et pour la deuxième, cf. Zenit, 16 mars).

 P. Raniero Cantalamessa
« HEUREUX LES AFFAMES, CAR ILS SERONT RASSASIES »


Troisième prédication de Carême à
la Maison pontificale . Histoire et EspritLa recherche sur le Jésus historique, très à la mode aujourd’hui – qu’elle soit faite par un expert, croyant ou radicalement incroyant – cache un grave danger : celui de faire croire que tout ce qui, par cette nouvelle voie, sera dit sur le Jésus terrestre est « authentique », et que tout le reste, parce que non historique, sera jugé non « authentique ». Ceci signifierait limiter à l’histoire seulement les moyens dont Dieu dispose pour se révéler. Ce serait abandonner tacitement la vérité de foi d’inspiration biblique et donc le caractère révélé

des Ecritures.Il semble que cette exigence de ne pas limiter la recherche sur le Nouveau Testament à l’histoire, commence à faire son chemin parmi les experts de la bible. En 2005, a eu lieu à Rome, à l’Institut biblique, une consultation « Critique canonique et interprétation théologique » (« Canon Criticism and Theological Interpretation »), à laquelle ont participé d’éminents experts du Nouveau Testament. Cette rencontre avait pour but de promouvoir le développement d’une recherche biblique qui tienne compte de la dimension canonique des Ecritures, en intégrant la recherche historique et la dimension théologique.Nous en déduisons que la « parole de Dieu », et donc la norme pour le croyant, n’est pas cet hypothétique « noyau originel » que les historiens ont voulu, de mille façons, reconstruire, mais ce qui est écrit dans les évangiles. Il est important que nous tenions compte du résultat des recherches historiques, car il permet de comprendre l’évolution postérieure de la tradition, mais nous continuerons à prononcer l’exclamation « Parole de Dieu ! » à la fin de la lecture du texte évangélique, et non à la fin de la lecture du dernier livre sur le Jésus historique.Ces observations nous sont particulièrement utiles quand il s’agit de faire usage des béatitudes évangéliques. On sait que les béatitudes nous sont parvenues en deux versions. Mathieu a huit béatitudes, Luc n’en a que quatre, suivies de quatre « avertissements » contraires ; chez Matthieu le discours est indirect : « Heureux ceux qui ont une âme de pauvre », « Heureux les affamés » ; chez Luc le discours est direct : « Heureux vous les pauvres », « Heureux vous qui avez faim » ; Luc parle de « pauvres » et d’ « affamés », Matthieu de ceux qui ont une « âme » de pauvres et des affamés « de la justice ».Après tout le travail critique qui a été fait pour distinguer ce qui, dans les béatitudes, remonte au Jésus historique et ce qui relève de Matthieu et de Luc (1), le devoir du croyant, aujourd’hui, n’est pas de décider que l’une des versions est authentique et de laisser tomber l’autre. Il s’agit plutôt de puiser le message qui est contenu dans chacune des versions évangéliques et – selon le cas et les nécessités actuelles – de mettre, tour à tour, en exergue les perspectives qui se dégagent de l’une ou de l’autre, comme le firent les deux évangé

listes en leur temps.2. Qui sont les affamés et qui sont les rassasiésTout en suivant ce principe, réfléchissons aujourd’hui sur la béatitude des affamés, en partant de la version de Luc : « Heureux, vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassasiés ». Nous verrons, dans un deuxième temps, que la version de Matthieu sur la « faim de justice » ne s’oppose pas àcelle de Luc. Elle la confirme et la renforce.Les affamés de la béatitude de Luc n’appartiennent pas à une catégorie différente de celle des pauvres mentionnés dans la première béatitude. Il s’agit des mêmes pauvres considérés dans l’aspect le plus dramatique de leur condition, le manque de nourriture.Parallèlement, les « rassasiés » sont les riches qui, dans leur prospérité, peuvent non seulement satisfaire leurs besoins, mais également leur voluptueuse envie de manger. Jésus lui-même a eu le souci d’expliquer qui sont les rassasiés et qui sont les affamés. Il l’a fait avec la parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare (Lc 16, 19-31), où sont considérés pauvreté et richesse sous l’angle du manque ou de la surabondance de nourriture : le riche « faisait chaque jour brillante chère » ; le pauvre aurait bien voulu, mais en vain, « se rassasier de ce qui tombait de la table du riche »

.Mais cette parabole ne dit pas seulement qui sont les affamés et qui sont les rassasiés, elle explique surtout pourquoi les premiers sont proclamés bienheureux et les seconds malheureux. « Or il advint que le pauvre mourut et fut emporté par les anges dans le sein d’Abraham. Le riche aussi mourut, et on l’ensevelit… dans l’Hadès, en proie à des tortures ». La fin révèle où conduisent les deux voies : la voie étroite de la pauvreté et la voie large et spacieuse de l’insouciance.La richesse et le rassasiement tendent à limiter l’homme aux seuls horizons terrestres car « où est votre trésor, là aussi sera votre cœur » (Lc 12, 34) ; ils alourdissent son cœur dans la débauche et l’ivrognerie, étouffant en lui le germe de la parole (cf. Lc 21,34) ; lui font oublier que la nuit suivante il pourrait avoir des comptes à rendre sur sa vie (Lc 16,19-31). Ils font, qu’entrer dans le royaume est « plus difficile qu’à un chameau de passer par un trou d’aiguille »(Lc 18,25).Le mauvais riche et tous les autres riches de l’Evangile ne sont pas condamnés pour le simple fait d’être riches mais pour l’utilisation qu’ils font ou ne font pas de la richesse. Dans la parabole du mauvais riche Jésus fait comprendre qu’il existait, pour le riche, une issue, celle de rappeler Lazare à sa porte et de partager avec lui son copieux repas.En d’autres termes, le remède consiste à se faire « des amis avec le malhonnête argent » (Lc 16, 9) ; on loue l’intendant infidèle pour avoir agi de façon avisée, même s’il le fait dans un cadre malhonnête (Lc 16, 1-8). Or la satiété engourdit l’esprit et rend extrêmement difficile l’accès à cette voie ; l’histoire de Zachée montre comment cela est possible, mais ô combien rare, ceci expliquant alors l’avertissement « malheur à vous » qui est adressé aux riches et aux rassasiés ; un « malheur à vous » qui est bien plus un « attention à vous », qu’un « soyez maudits ! »

.3. Il a comblé de biens les affamésDe ce point de vue, le meilleur commentaire à la béatitude des pauvres et des affamés se trouve dans le Magnificat, quand Marie dit :

« Il a déployé la force de son bras,
Il a dispersé les hommes au cœ
ur superbe;
Il a renversé les potentats de leurs trô
nes,
et élevé
les humbles ;
Il a comblé de biens les affamé
s,
et renvoyé les riches les mains vides » (Lc 1, 51-53)Avec une série de puissants verbes à l’aoriste, Marie décrit un renversement, un changement radical de situation entre les hommes : « Il a renversé – il a élevé ; il a comblé – il a renvoyé les mains vides ». Quelque chose qui a déjà eu lieu, ou qui a lieu habituellement sous l’action de Dieu. Si l’on considère l’histoire, rien ne dit qu’une révolution sociale a eu lieu, et que les riches se sont soudain appauvris et que les affamés ont pu manger à leur faim. Si l’on s’attendait donc à un bouleversement social et visible, l’histoire le dé

ment totalement.
Il y a eu un renversement, mais dans la foi ! Le royaume de Dieu s’est manifesté et cette chose a provoqué une révolution silencieuse mais radicale. Le riche apparaît sous les traits d’un homme qui a mis de côté une importante somme d’argent, mais dans la nuit, à la suite d’un coup d’Etat, cet argent a subi une dévaluation de 100% et le riche, à son réveil, s’aperçoit qu’il est devenu pauvre et miséreux. Les pauvres et les affamés, eux, partent au contraire avantagés, car ils sont mieux préparés à accueillir la nouvelle réalité ; ils ne craignent pas le changement ; leur cœur est prê
t.
Saint Jacques, s’adressant aux riches, a affirmé : « Pleurez, hurlez sur les malheurs qui vont vous arriver. Votre richesse est pourrie » (Jc 5, 1-2). Ici aussi, rien n’indique qu’au temps de Jacques les biens des riches pourrissaient au fond des greniers. L’apôtre veut dire par là qu’il s’est passé quelque chose qui a fait perdre toute valeur réelle à ces richesses ; qu’une nouvelle richesse s’est révélée. « Dieu – écrit encore saint Jacques – a choisi les pauvres selon le monde comme riches dans la foi et héritiers du Royaume » (Jc 2, 5).Plus qu’ « une incitation à renverser les puissants de leurs trônes pour élever les humbles », comme on trouve parfois écrit, le Magnificat est un avertissement salutaire adressé aux riches et aux puissants face au terrible danger qu’ils courent, exactement comme le « malheur à toi » de Jésus et la parabole du mauvais riche.4. Une parabole actuelle

Une réflexion sur la béatitude des affamés et des rassasiés ne peut se limiter à en expliquer la signification exégétique ; elle doit nous aider à lire ce qui se passe autour de nous avec le regard de l’Evangile et à agir dans le sens indiqué par la béatitude.La parabole du riche et du pauvre Lazare se répète aujourd’hui, au milieu de nous, à l’échelle mondiale. Les deux personnages représentent même les deux hémisphères : le riche représente l’hémisphère nord (Europe occidentale, Amérique, Japon) ; le pauvre Lazare est, à quelques exceptions près, l’hémisphère sud. Deux personnages, deux mondes : le premier monde et le « tiers monde ». Deux mondes de grandeur inégale : celui que nous appelons « tiers monde » représente en réalité les « deux tiers du monde ». (On temps de plus en plus à parler précisément du deux-tiers monde et non plus du tiers-monde

).Quelqu’un a un jour comparé la terre à un engin spatial en vol dans l’espace, dans lequel l’un des trois cosmonautes à bord consomme 85% des ressources présentes et cherche à s’accaparer également des 15% restants. Le gaspillage est commun dans les pays riches. Il y a quelques années le ministère de l’agriculture américain a calculé que sur 161 milliards de kilogrammes de produits alimentaires fabriqués, 43 milliards, soit près d’un quart, sont jetés à la poubelle. On pourrait facilement, si l’on voulait, récupérer environ deux milliards de kilogrammes de cette nourriture jetée, une quantité suffisante pour nourrir quatre millions de personnes pendant une année.Le plus grand péché contre les pauvres et les affamés est peut-être l’indifférence, faire semblant de ne pas voir, « passer outre » (cf. Lc 10, 31), passer outre, changer de trottoir. Ignorer les immenses multitudes d’affamés, de mendiants, de sans-abri, sans assistance médicale et surtout sans espérance d’un avenir meilleur – écrivait Jean-Paul II dans l’encyclique Sollicitudo rei socialis « reviendrait à s’identifier au ‘riche bon vivant’ qui feignait de ne pas connaître Lazare le mendiant qui gisait près de son portail »

(2).Nous avons tendance à mettre un double vitrage entre les pauvres et nous. L’effet du double vitrage, aujourd’hui si largement utilisé, est d’empêcher le passage du froid et des bruits, de tout affaiblir, amortir, feutrer. Et effectivement, nous voyons les pauvres bouger, s’agiter, hurler derrière les écrans de télévision, sur les pages des journaux ou des revues missionnaires, mais leur cri nous parvient comme de très loin. Il ne touche pas notre cœur, ou ne le touche qu’un bref instant.La première chose à faire, vis-à-vis des pauvres, est donc de rompre le « double vitrage », de surmonter l’indifférence, l’insensibilité, de laisser tomber ses propres défenses et de se laisser envahir par une saine inquiétude devant la misère épouvantable qui existe dans le monde. Nous sommes appelés à partager le soupir du Christ : « J’ai pitié de la foule, car voilà déjà trois jours qu’ils restent auprès de moi et ils n’ont pas de quoi manger » : misereor super turba (cf. Mc 8, 2). Lorsqu’on a l’occasion de voir de ses propres yeux ce que sont la misère et la faim, en visitant des villages ou les banlieues de grandes villes dans certains pays d’Afrique (je l’ai fait il y a quelques mois au Rwanda), la compassion monte à

la gorge et laisse sans voix.La tâche non résolue, la plus urgente et la plus lourde avec laquelle l’humanité est entrée dans le nouveau millénaire est celle d’éliminer ou de réduire l’abîme injuste et scandaleux qui existe entre les rassasiés et les affamés dans le monde. Une tâche dans laquelle les religions surtout devraient se distinguer et œuvrer, unies, au-delà de toute rivalité. Une entreprise aussi gigantesque ne peut être promue par aucun chef ou pouvoir politique, conditionnés comme ils le sont par les intérêts de leur nation et souvent par des pouvoirs économiques puissants. Le Saint-Père Benoît XVI en a donné un exemple à travers le vigoureux rappel adressé en janvier dernier au Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, comme il l’avait d’ailleurs fait également l’année précédente à la même occasion :« Parmi les questions essentielles, comment ne pas penser aux millions de personnes, spécialement aux femmes et aux enfants, qui manquent d’eau, de nourriture, de toit ? Le scandale de la faim, qui tend à s’aggraver, est inacceptable dans un monde qui dispose des biens, des connaissances et des moyens d’y mettre un terme »

. (3)5. « Heureux les affamés… de la justice »Je disais au début que les deux versions des béatitudes des affamés, celle de Luc et celle de Matthieu, ne se présentent pas comme deux alternatives mais s’intègrent l’une dans l’autre. Matthieu ne parle pas de faim matérielle mais de faim et soif « de justice ». Il existe deux interpré

tations fondamentales de ces paroles.L’une d’entre elles, dans la ligne de la théologie luthérienne, interprète la béatitude de Matthieu à la lumière de ce que dira plus tard saint Paul sur la justification par la foi. Avoir faim et soif de justice signifie prendre conscience de son propre besoin de justice et de son incapacité à l’obtenir seul par les œuvres, et donc de l’attendre humblement de Dieu. L’autre interprétation voit dans la justice non celle que Dieu lui-même réalise ou celle qu’il accorde, mais celle qu’il attend de l’homme (4), en d’autres termes, les œuvres de justice.A la lumière de cette interprétation, de loin la plus commune et la plus fondée sur le plan exégétique, la faim matérielle de Luc et la faim spirituelle de Matthieu ne sont plus sans rapport l’une avec l’autre. Se mettre du côté des affamés et des pauvres fait partie des œuvres de justice et sera même, selon Matthieu, le critère en fonction duquel se fera, à la fin, la sé

paration entre les justes et les exclus (cf. Mt 25).Toute la justice que Dieu attend de l’homme se résume dans le double précepte de l’amour de Dieu et du prochain (cf. Mt 22, 40). C’est par conséquent l’amour du prochain qui doit pousser les affamés de justice à se préoccuper des affamés de pain. Il s’agit du grand principe à travers lequel l’Evangile agit sur le plan social. La théologie libérale avait vu juste sur ce point.« En aucun point de l’Evangile, écrit l’un de ses plus illustres représentants, Adolph von Harnack, nous constatons que cela nous enseigne à rester indifférents à nos frères. L’indifférence évangélique (le fait de ne pas se préoccuper de la nourriture, du vêtement, du lendemain) exprime plutôt ce que toute âme doit ressentir face au monde, à ses propres biens et à ses illusions. Lorsqu’il s’agit en revanche du prochain, l’Evangile ne veut même pas entendre parler d’indifférence, mais il impose l’amour et la pitié. L’Evangile considère par ailleurs les besoins spirituels et temporels de nos frères comme absolument inséparables »

(5).L’Evangile n’encourage pas les affamés à se faire justice seuls, à se soulever, également parce qu’à l’époque de Jésus – contrairement à aujourd’hui – ceux-ci n’avaient aucun instrument, pas plus théorique que pratique, pour le faire ; il ne leur demande pas le sacrifice inutile d’aller se faire tuer derrière quelque agitateur zélote, ou quelque Spartacus du coin. Jésus agit sur la partie forte et non sur la partie faible ; il affronte, lui, la colère et le sarcasme des riches avec ses « malheur à » (cf. Lc 16, 14), il ne laisse pas les victimes le faire.Chercher à tout prix, dans l’Evangile, des modèles ou des invitations explicites aux pauvres et aux affamés à se prendre en main pour changer, seuls, leur situation, est vain et anachronique, et fait perdre de vue la vraie contribution que cela peut apporter à leur cause. Rudolph Bultmann a raison à ce propos, lorsqu’il écrit que « le christianisme ignore tout programme de transformation du monde et n’a pas de proposition à présenter pour la réforme des conditions politiques et sociales », (6) mê

me si son affirmation aurait besoin de quelques nuances.Les béatitudes ne constituent pas le seul moyen d’affronter le problème de la richesse et de la pauvreté, de la faim et de la satiété ; il en existe d’autres, rendus possibles par le progrès de la conscience sociale, que les chrétiens soutiennent, à juste titre, et auxquels l’Eglise apporte son discernement avec sa doctrine sociale.Le grand message des béatitudes est que, indépendamment de ce que feront ou ne feront pas pour eux, les riches et les rassasiés, la situation des pauvres et des affamés pour la justice, telle qu’elle est actuellement, est encore préférable à

celle des premiers.Il y a des niveaux et des aspects de la réalité que l’on ne perçoit pas à l’œil nu, mais seulement à l’aide d’une lumière spéciale, aux rayons infrarouges ou ultraviolets. Celle-ci est largement utilisée dans la photographie depuis les satellites. L’image obtenue avec cette lumière est très différente et surprenante pour une personne habituée à voir ce même panorama à la lumière naturelle. Les béatitudes sont une sorte de rayons infrarouges : elles nous donnent une image différente de la réalité, la seule vraie image car elle montre ce qui restera à la fin, lorsque « le modèle de ce monde » sera passé.6. Eucharistie et partage

Jésus nous a laissé une antithèse parfaite du banquet de l’homme riche, l’Eucharistie. Il s’agit de la célébration quotidienne du grand banquet auquel le patron invite « les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux » (Lc 14, 21), c’est-à-dire tous les pauvres Lazares autour de nous. Dans l’Eucharistie se réalise le « partage » parfait : la même nourriture et la même boisson, et en même quantité pour tous, aussi bien pour celui qui préside que pour le dernier arrivé dans la communauté, pour le très riche que pour le très pauvre.Le lien entre le pain matériel et le pain spirituel était bien visible dans l’Eglise primitive, lorsque la cène du Seigneur, dite agape avait lieu dans le cadre d’

un repas fraternel au cours duquel on partageait aussi bien le pain commun que le pain eucharistique.Saint Paul écrivait aux Corinthiens qui s’étaient éloignés sur ce point : « Lors donc que vous vous réunissez en commun, ce n’est plus le Repas du Seigneur que vous prenez. Dès qu’on est à table en effet, chacun prend d’abord son propre repas, et l’un a faim, tandis que l’autre est ivre » (1 Co 11, 20-22). Une accusation très grave, qui revenait à dire : votre Eucharistie n’est plus une Eucharistie !Aujourd’hui on ne célèbre plus l’Eucharistie dans le cadre d’un repas pris ensemble, mais le contraste entre ceux qui ont trop et ceux qui n’ont pas le minimum indispensable a pris des proportions planétaires. Si nous projetons la situation décrite par Paul de l’Eglise locale de Corinthe à l’échelle de l’Eglise universelle, nous constatons avec effroi que c’est ce qui ce produit encore aujourd’hui, pas toujours de manière coupable, mais objective. Parmi les millions de chrétiens qui, sur les différents continents, participent à la messe le dimanche, l’on en trouve qui rentrés chez eux ont tous les biens du monde à disposition tandis que d’autres n’ont rien à donner à manger àleurs enfants.La récente exhortation post-synodale sur l’Eucharistie rappelle avec force : « La nourriture de la vérité nous pousse à dénoncer les situations indignes de l’homme, dans lesquelles on meurt par manque de nourriture en raison de l’injustice et de l’exploitation, et elle nous donne des forces et un courage renouvelés pour travailler sans répit à l’édification de la civilisation de l’amour » (7).La part du « huit pour mille » [en italien « otto per mille », mécanisme par lequel l’Etat italien, à la demande explicite des contribuables qui le souhaitent, reverse huit pour mille des recettes fiscales, à l’Eglise catholique ou d’autres confessions religieuses, ndlr] la mieux utilisée est celle qui est destinée par l’Eglise à cet objectif à travers le soutien des différentes « caritas » nationales et diocésaines, les repas offerts aux pauvres, des initiatives d’aide à l’alimentation dans les pays en voie de développement. Les cantines pour les pauvres, qui existent dans presque toutes les villes, dans lesquelles sont distribués des milliers de repas chaque jour, dans un climat de respect et d’accueil, sont le signe de la vitalité de nos communautés religieuses traditionnelles. Il s’agit d’un goutte d’eau dans la mer, mais l’océan lui-même, disait Mère Teresa de Calcutta, est fait d’une multitudes de petites gouttes.Je voudrais terminer par la prière que nous récitons chaque jour, avant le repas, dans ma communauté : « Bénis Seigneur, cette nourriture que par ta bonté nous allons prendre, aide-nous à en procurer aussi à ceux qui n’en ont pas et fais-nous participer un jour à ton banquet céleste. Par le Christ notre Seigneur »._______________________

NOTES

1. Cf. J. Dupont, Le beatitudini, 2 voll. Edizioni Paoline 1992 (ed. originale, Les Béatitudes, Gabalda et C.ie, Parigi 19732).
2. Jean-Paul II, Enc. Sollicitudo rei socialis
, n. 42.
3. Discours du pape Benoît XVI pour les vœux au corps diplomatique accrédité près le saint- siè
ge, Lundi 8 janvier 2007.
4. Cf. Dupont, II, pp. 554 ss.
5. A. von Harnack, Il cristianesimo e la società
, Mendrisio 1911, pp. 12 ss.
6. R. Bultmann, Il cristianesimo primitivo, Milano 1964, p. 203 (Titre orig. Das Urchristentum im Rahmen der antiken Religionen
).
7.
Sacramentum caritatis
, n.90.

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