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P. Cantalamessa : Seul Dieu peut rendre l’homme heureux

14 décembre, 2007

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P. Cantalamessa : Seul Dieu peut rendre l’homme heureux

Homélie du dimanche 16 décembre

ROME, Vendredi 14 décembre 2007 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le commentaire de l’Evangile du dimanche 16 décembre, proposé par le père Raniero Cantalamessa, OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.

Evangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 11, 2-11Jean le Baptiste, dans sa prison, avait appris ce que faisait le Christ. Il lui envoya demander par ses disciples : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? »
Jésus leur répondit : « Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. Heureux celui qui ne tombera pas à cause de moi ! »
Tandis que les envoyés de Jean se retiraient, Jésus se mit à dire aux foules à propos de Jean :

« Qu’êtes-vous allés voir au désert ? un roseau agité par le vent ?… Alors, qu’êtes-vous donc allés voir ? un homme aux vêtements luxueux ? Mais ceux qui portent de tels vêtements vivent dans les palais des rois. Qu’êtes-vous donc allés voir ? un prophète ? Oui, je vous le dis, et bien plus qu’un prophète. C’est de lui qu’il est écrit : Voici que j’envoie mon messager en avant de toi, pour qu’il prépare le chemin devant toi. Amen, je vous le dis : Parmi les hommes, il n’en a pas existé de plus grand que Jean Baptiste ; et cependant le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui.

© Copyright AELF – Paris – 1980 – tous droits réservésRéjouissez-vous, le Seigneur est proche

Nous entamons notre réflexion par la phrase avec laquelle Jésus, dans l’Evangile, rassure les disciples de Jean Baptiste en affirmant qu’il est bien le Messie : « La Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres ». L’Evangile est un message de joie : c’est ce que proclame la liturgie du troisième dimanche de l’Avent qui, s’inspirant des paroles de Paul dans l’antienne d’ouverture, a pris le nom de dimanche Gaudete, réjouissez-vous, c’est-à-dire le dimanche de la joie. La première lecture, tirée du prophète Isaïe est entièrement un hymne à la joie : « Le désert et la terre de la soif, qu’ils se réjouissent ! Le pays aride, qu’il exulte et fleurisse… qu’il exulte et crie de joie… un bonheur sans fin illuminera leur visage ; allégresse et joie les rejoindront, douleur et plainte s’enfuiront ».

Nous voulons tous être heureux. Si nous pouvions représenter visuellement l’humanité tout entière, dans son mouvement le plus profond, nous verrions une foule immense autour d’un arbre fruitier se lever sur la pointe des pieds et tendre désespérément la main dans l’effort de cueillir un fruit qui échappe cependant à toute prise. Le bonheur, disait Dante, est « ce doux fruit que sur tant de rameaux va cherchant le souci des mortels » [Dante Alighieri, Divine Comédie, Purgatoire, 27, ndlr] : ce doux fruit que l’homme cherche parmi les branches de la vie.Mais si nous cherchons tous le bonheur, pourquoi ceux qui sont heureux sont-ils si peu nombreux et pourquoi ceux qui sont heureux le sont-ils pendant si peu de temps ? Je crois que la principale raison est que dans l’ascension de la montagne du bonheur, nous nous trompons de versant, nous choisissons un versant qui ne porte pas au sommet. La r

évélation dit : « Dieu est amour » ; l’homme a cru pouvoir renverser la phrase et dire : « L’amour est Dieu ! » (cette affirmation est de Feuerbach). La révélation dit : « Dieu est bonheur » ; l’homme inverse l’ordre une nouvelle fois et dit : « Le bonheur est Dieu ! ». Mais qu’est ce que cela signifie ? Sur terre, nous ne connaissons pas le bonheur à l’état pur, de même que nous ne connaissons pas l’amour absolu ; nous ne connaissons que des fragments de bonheur, qui se réduisent souvent à un enivrement passager des sens. Lorsque nous disons donc : « Le bonheur est Dieu ! », nous divinisons nos petites expériences, nous appelons « Dieu » l’œuvre de nos mains ou de notre esprit. Nous faisons du bonheur, une idole. Ceci explique pourquoi celui qui cherche Dieu trouve toujours le bonheur alors que celui qui cherche le bonheur ne trouve pas toujours Dieu. L’homme en est réduit à chercher le bonheur sur le plan quantitatif : en poursuivant des plaisirs et des émotions de plus en plus intenses ou en ajoutant un plaisir à un autre, comme la personne droguée qui a besoin de doses toujours plus grandes pour obtenir le même degré de plaisir.

Seul Dieu est heureux et rend heureux. Pour cette raison, un psaume exhorte : « Mets en Yahvé ta réjouissance : il t’accordera plus que les désirs de ton cœur » (Ps 37 (36), 4). Avec lui, même les joies de la vie présente conservent leur douce saveur et ne se transforment pas en angoisse. Pas seulement les joies spirituelles, mais toute joie humaine honnête : la joie de voir grandir ses enfants, du travail porté à terme, de l’amitié, de la santé retrouvée, de la créativité, de l’art, du repos en contact avec la nature. Seul Dieu a pu arracher des lèvres d’un saint le cri : « Cela suffit, Seigneur, avec la joie ; mon cœur ne peut en contenir davantage ! ». En Dieu se trouve tout ce que l’homme a l’habitude d’associer avec le mot bonheur et infiniment davantage car « l’œil n’a pas vu, l’oreille n’a pas entendu, il n’est pas monté au cœur de l’homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment » (cf. 1 Co 2, 9).

L’heure est venue de proclamer avec plus de courage la « bonne nouvelle » que Dieu est bonheur, que le bonheur – non la souffrance, la privation, la croix – aura le dernier mot. Que la souffrance ne sert qu’à ôter l’obstacle à la joie, à dilater l’âme pour qu’un jour elle puisse en accueillir la mesure la plus grande possible.

Première prédication de l’Avent : Jésus de Nazareth, « l’un des prophètes » ?

8 décembre, 2007

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Première prédication de l’Avent : Jésus de Nazareth, « l’un des prophètes » ?

Proposée par le P. Cantalamessa, au pape et à la curie romaine

ROME, Vendredi 7 décembre 2007 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de la première prédication de l’Avent proposée ce vendredi matin au pape et à la curie romaine, par le P. Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.

1. La troisième recherche

« Après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis aux Pères par les prophètes, Dieu, en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils, qu’il a établi héritier de toutes choses, par qui aussi il a fait les siècles. Resplendissement de sa gloire, effigie de sa substance, ce Fils qui soutient l’univers par sa parole puissante, ayant accompli la purification des péchés, s’est assis à la droite de la Majesté dans les hauteurs » (He 1, 1-3).

Cette entrée en matière de la Lettre aux Hébreux constitue une synthèse grandiose de toute l’histoire du salut. Celle-ci apparaît constituée par la succession de deux temps : le temps où Dieu parlait par l’intermédiaire des prophètes et le temps où Dieu parlait par l’intermédiaire du Fils ; le temps où il parlait « par personne interposée » et le temps où il parlait « en personne ». Le Fils, en effet, est « resplendissement de sa gloire et effigie de sa substance », c’est-à-dire, comme nous le dirons plus loin, de la même substance que le Père. Il y a

à la fois continuité et saut de qualité. C’est le même Dieu qui parle, la même révélation ; la nouveauté est qu’à présent le Révélateur devient révélation, la révélation et le révélateur coïncident. La formule d’introduction des oracles en est la meilleure démonstration : ce n’est plus « dit le Seigneur », mais « Je vous dis ».

A la lumière de cette puissante parole de Dieu que constitue Hébreux 1, 1-3, nous tenterons, dans cette prédication de l’Avent, d’opérer un discernement des opinions qui circulent aujourd’hui sur Jésus, à l’extérieur et à l’intérieur de l’Eglise, afin de pouvoir, à Noël, unir sans réserve notre voix à celle de la liturgie qui proclame sa foi dans le Fils de Dieu venu en ce monde. Nous sommes continuellement renvoyés au dialogue de Césarée de Philippe : pour moi Jésus est-il « l’un des prophètes », ou le « Fils du Dieu vivant » ? (cf. Mt 16, 14-16). Dans le domaine des

études historiques sur Jésus, nous sommes en train de vivre ce que l’on appelle la « troisième recherche ». Elle est appelée ainsi pour la distinguer à la fois de la « vieille recherche » historique d’inspiration rationaliste et libérale qui a dominé de la fin du XVIIIe siècle jusqu’à la fin du XIXe, et de la « nouvelle recherche historique » qui a commencé vers la moitié du siècle dernier, en réaction aux thèses de Bultmann qui avait proclamé le Jésus historique inaccessible et de surcroît sans importance pour la foi chrétienne.

En quoi la « troisième recherche » diffère-t-elle des précédentes ? Tout d’abord de par la conviction que nous pouvons, grâce aux sources, savoir beaucoup plus sur le Jésus historique, que ce que l’on admettait dans le passé. Mais surtout, la troisième recherche se différentie des autres au niveau des critères utilisés pour atteindre la vérité historique sur Jésus. Si auparavant on pensait que le critère fondamental pour établir la vérité d’un fait ou d’une déclaration de Jésus était le fait qu’il/elle soit opposé à ce que l’on faisait ou pensait dans le monde juif de l’époque, à présent on considère en revanche la compatibilité d’une donnée évangélique avec le judaïsme de l’époque. Si auparavant, la marque d’authenticité d’une déclaration ou d’un fait était sa nouveauté et son caractère inexplicable par rapport au contexte, aujourd’hui c’est au contraire le fait qu’il soit « explicable » à la lumière de nos connaissances du judaïsme et de la situation sociale de la Galilée à l’époque. Certains avantages de cette nouvelle approche sont

évidents. On retrouve la continuité de la révélation. Jésus se situe à l’intérieur du monde juif, dans la ligne des prophètes bibliques. On sourit même à l’idée qu’il fut un temps où l’on croyait pouvoir expliquer tout le christianisme en ayant recours aux influences hellénistiques.

Le problème est que l’on est allé tellement au-delà de cette conquête qu’on en a fait un échec. Dans la pensée de nombreux représentants de cette troisième recherche, Jésus finit par se dissoudre complètement dans le monde juif, sans plus se distinguer de ce monde si ce n’est par quelques détails ou interprétations particulières de la Torah. Il devient l’un des prophètes juifs ou, comme on dit, des « charismatiques itinérants ». Le titre d’un ouvrage célèbre de J.D. Crossmann, est significatif : « Le Jésus historique. Vie d’un paysan juif de la Méditerranée ». Sans arriver

à ces excès, l’auteur plus connu, et d’une certaine manière le précurseur de la troisième recherche, E. P. Sanders, est lui aussi sur cette ligne (1). En retrouvant la continuité on a perdu la nouveauté. La divulgation, y compris chez nous en Italie, a fait le reste, en diffusant l’image d’un Jésus juif parmi les juifs, qui n’a presque rien fait de nouveau, mais dont on continue à dire (on ne sait pas comment) qu’il a « changé le monde ».

On continue à reprocher aux générations de chercheurs du passé d’avoir chaque fois construit une image de Jésus selon la mode ou les goûts du moment, sans se rendre compte que l’on est en train de faire la même chose. Cette insistance sur le Jésus juif parmi les juifs vient, au moins en partie, du désir de réparer les torts historiques infligés à ce peuple et de favoriser le dialogue entre juifs et chrétiens. Un excellent objectif, poursuivi, nous allons le voir tout de suite, par un moyen (en raison de la manière dont il est utilisé) erroné. Il s’agit en effet d’une tendance pro-juive uniquement en apparence. En réalité on finit par attribuer au monde juif une responsabilité supplémentaire : celle de ne pas avoir reconnu l’un des siens, un homme dont la doctrine était parfaitement compatible avec ce que lui-même croyait.

2. Le rabbin Neusner et Benoît XVI

C’est précisément un juif, le rabbin américain Jacob Neusner, qui a souligné le caractère illusoire de cette approche à des fins de dialogue authentique entre le judaïsme et le christianisme. Ceux qui ont lu le livre du Pape Benoît XVI sur Jésus de Nazareth connaissent déjà bien la pensée de ce rabbin avec lequel il dialogue dans l’un des chapitres les plus passionnants du livre. En voici les grandes lignes. Le tr

ès célèbre savant juif a écrit un livre intitulé « Un rabbin parle avec Jésus », dans lequel il imagine être un contemporain du Christ qui un jour se joint à la foule qui le suit et écoute le sermon sur la montagne. Il explique pourquoi, malgré sa fascination pour la doctrine et la personne du Galiléen, il comprend à la fin, à contre-cœur, qu’il ne peut devenir son disciple, et décide de rester disciple de Moïse et fidèle à la Torah.

Tous les motifs de sa décision se réduisent en définitive à un seul : pour accepter ce que dit cet homme, il faut lui reconnaître la même autorité que Dieu. Il ne se limite pas à « accomplir », mais il remplace la Torah. La conversation que le rabbin a avec son maître dans la synagogue, au retour de sa rencontre avec Jésus, est touchante : Le Ma

ître : « Ton Jésus a négligé quelque chose [de la Torah] ?

Rabbin Neusner : « Rien »

Le Maître : « Alors il a ajouté quelque chose ? »

Rabbin Neusner : « Oui, lui-même ».

Coïncidence intéressante : c’est la réponse même que donnait saint Irénée au IIe siècle à ceux qui se demandaient ce que le Christ avait apporté de nouveau en venant dans le monde. « Il a apporté toute nouveauté, écrivait-il, en apportant lui-même » (omnem novitatem attulit semetipsum afferens) (2). Neusner a soulign

é l’impossibilité de faire de Jésus un juif « normal » de son temps, ou un juif qui se détache des autres uniquement sur des points d’importance secondaire. Il a eu un autre très grand mérite, celui de montrer la futilité de toute tentative de séparer le Jésus historique du Christ de la foi. Il montre comment la critique peut ôter au Jésus de l’histoire tous ses titres : nier qu’il se soit (ou qu’on lui ait) attribué, de son vivant, le titre de Messie, de Seigneur, de Fils de Dieu. Après qu’on lui ait enlevé tout ce que l’on veut, ce qui reste dans les évangiles est plus que suffisant pour montrer qu’il ne se considérait pas comme un simple homme. De même qu’il suffit d’un fragment de cheveu, d’une goutte de sueur ou de sang pour reconstituer l’ADN complet d’une personne, il suffit d’une déclaration de l’Evangile, prise presque au hasard, pour démontrer que Jésus était conscient d’agir avec la même autorité que Dieu.

En bon juif, Neusner sait ce que signifie : « Le Fils de l’homme est maître du sabbat » [Mt 12, 8, ndlr], car le sabbat est « l’institution » divine par excellence. Il sait ce que cela signifie de dire : « Si tu veux être parfait, viens et suis-moi » : cela signifie remplacer l’ancien paradigme de sainteté qui consiste à imiter Dieu (« Soyez saints car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint ») par le nouveau paradigme qui consiste à imiter le Christ. Il sait que seul Dieu peut suspendre l’application du quatrième commandement comme le fait Jésus lorsqu’il demande à un homme de renoncer à ensevelir son père. Commentant ces déclarations de Jésus, Neusner s’exclame : « C’est le Christ de la foi qui parle ici » (3).

Dans son livre, le pape répond longuement et, pour un croyant, de manière convaincante et éclairante, à la difficulté du rabbin Neusner. Sa réponse me fait penser à celle que Jésus lui-même donna à ceux qui avaient été envoyés demander à Jean-Baptiste : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » En d’autres termes, Jésus n’a pas seulement revendiqué pour lui-même une autorité divine, mais il a également donné des signes et des garanties comme preuve : les miracles, son enseignement (qui ne se limite pas au sermon sur la montagne), l’accomplissement des prophéties, surtout celle qui a été prononcée par Moïse d’un prophète semblable et supérieur à lui ; puis sa mort, sa résurrection et la communauté née de lui qui accomplit l’universalité du salut annoncée par les prophètes.

3. « Encouragez-vous mutuellement »

Il convient ici de faire une observation : la question de la relation entre Jésus et les prophètes ne se pose pas seulement dans le cadre du dialogue entre le christianisme et le judaïsme, mais également au sein même de la théologie chrétienne, où les tentatives d’expliquer la personnalité du Christ en ayant recours à la catégorie des prophètes, n’ont pas manqué. Je suis convaincu de l’insuffisance radicale d’une christologie qui prétend isoler le titre de prophète et refonder toute la structure de la christologie sur ce titre. Cette tentative n’est d’ailleurs pas nouvelle du tout. Elle fut propos

ée dans l’antiquité par Paul de Samosate, Fotin et d’autres, en termes parfois presque identiques. A l’époque, dans une culture d’orientation métaphysique, on parlait du prophète le plus grand ; aujourd’hui, dans une culture d’orientation historique, on parle du prophète eschatologique. Mais eschatologique est-il vraiment différent de suprême ? Un prophète peut-il être le plus grand prophète sans être également prophète définitif, et le prophète définitif peut-il ne pas être aussi le plus grand des prophètes ?

Une christologie qui ne dépasse pas la catégorie de Jésus comme « prophète eschatologique » constitue il est vrai, conformément à l’intention de ceux qui la proposent, une mise à jour de la donnée antique, non pas de la donnée définie par les conciles mais de la donnée condamnée par les conciles. Mais je n’insiste pas sur cette question que j’ai trait

ée ici même, les années passées (4). Je voudrais plutôt passer tout de suite à une application pratique des réflexions présentées jusqu’à présent, qui nous aide à faire de l’Avent un temps de conversion et de réveil spirituel.

La conclusion que la Lettre aux Hébreux tire de la supériorité du Christ sur les prophètes et sur Moïse n’est pas une conclusion triomphaliste, mais parénétique ; elle n’insiste pas sur la supériorité du christianisme mais sur la plus grande responsabilité des chrétiens face à Dieu. Elle dit :

« C’est pourquoi nous devons nous attacher avec plus d’attention aux enseignements que nous avons entendus, de peur d’être entraînés à la dérive. Si déjà la parole promulguée par des anges s’est trouvée garantie et si toute transgression et désobéissance a reçu une juste rétribution, comment nous-mêmes échapperons-nous, si nous négligeons pareil salut ? (He 2, 1-3) ». « Encouragez-vous mutuellement chaque jour, tant que vaut cet aujourd’hui, afin qu’aucun de vous ne s’endurcisse par la séduction du péché » (He 3, 13).

Et au chapitre 10 elle ajoute : « Quelqu’un rejette-t-il la Loi de Moïse ? Impitoyablement il est mis à mort sur la déposition de deux ou trois témoins. D’un châtiment combien plus grave sera jugé digne, ne pensez-vous pas, celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, tenu pour profane le sang de l’alliance dans lequel il a été sanctifié, et outragé l’Esprit de la grâce ? » (He 10, 28-29). La parole avec laquelle nous voulons, en accueillant l’invitation de l’auteur, nous encourager mutuellement, est celle que la liturgie nous a fait entendre dimanche dernier et qui donne le ton de toute la premi

ère semaine de l’Avent : « Veillez ! ». Il est intéressant de noter une chose. Lorsqu’elle est reprise dans la catéchèse apostolique après Pâques, cette parole de Jésus prend presque toujours un caractère dramatique : non pas veillez, mais réveillez-vous, arrachez-vous au sommeil ! De l’état de veiller on passe à l’acte de se réveiller.

Il y a une constatation fondamentale : dans cette vie, nous risquons constamment de retomber dans le sommeil, c’est-à-dire dans un état où les facultés sont suspendues, un état d’assoupissement et d’inertie spirituelle. Les choses matérielles ont un effet anesthésiant sur l’âme. Pour cela, Jésus recommande : « Tenez-vous sur vos gardes, de peur que vos cœurs ne s’appesantissent dans la débauche, l’ivrognerie, les soucis de la vie » (Lc 21, 34).

Il peut nous être utile, comme examen de conscience, de réécouter la description que saint Augustin fait de cet état de demi-sommeil dans les Confessions :

« Ainsi, le fardeau du siècle pesait sur moi comme le doux accablement du sommeil ; et les méditations que j’élevais vers vous ressemblaient aux efforts d’un homme qui veut s’éveiller, et vaincu par la profondeur de son assoupissement, y replonge. [...] je ne doutais pas qu’il ne voulût mieux me livrer à votre amour que de m’abandonner à ma passion. Le premier parti me plaisait, il était vainqueur ; je goûtais l’autre, et j’étais vaincu. Et je ne savais que répondre à votre parole : Lève-toi, toi qui dort, Lève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera !’ ( Ephés. V, 14) Et vous m’entouriez d’évidents témoignages ; et convaincu de la vérité, je n’avais à vous opposer que ces paroles de lenteur et de somnolence : Tout à l’heure ! encore un instant ! laissez-moi un peu ! Mais ce tout à l’heure devenait jamais ; ce laissez-moi un peu durait toujours » (5).

Nous savons comment le saint finit par sortir de cet état. Il se trouvait dans un jardin, à Milan, déchiré par ce combat entre la chair et l’esprit ; il entendit les paroles d’un chant : « Prends, lis, prends, lis ». Il les prit comme une invitation de Dieu ; il avait avec lui le livre des lettres de Paul. Il l’ouvrit, résolu à prendre comme parole de Dieu pour lui le premier passage sur lequel il serait tombé. Il tomba sur le texte que nous avons entendu dimanche dernier dans la deuxième lecture de la messe :

« C’est l’heure désormais de vous arracher au sommeil ; le salut est maintenant plus près de nous qu’au temps où nous avons cru. La nuit est avancée. Le jour est arrivé. Laissons-là les oeuvres de ténèbres et revêtons les armes de lumière. Comme il sied en plein jour, conduisons-nous avec dignité : point de ripailles ni d’orgies, pas de luxure ni de débauche, pas de querelles ni de jalousies. Mais revêtez-vous du Seigneur Jésus Christ et ne vous souciez pas de la chair pour en satisfaire les convoitises » (Rm 13, 11-14). Une lumière de sérénité traversa le corps et l’âme d’Augustin et il comprit qu’avec l’aide de Dieu, il pouvait vivre chaste.

4. « Donne-moi la chasteté et la continence »

L’exemple d’Augustin m’amène à introduire dans mon discours une note d’actualité. La semaine dernière Rai Uno a diffusion un spectacle du comique Roberto Benigni qui a enregistré un taux d’écoute extrêmement élevé. Il s’agissait, à certains moments, d’une leçon de très haute communication religieuse, outre la dimension artistique et littéraire, dont nous aurions beaucoup à apprendre, nous prédicateurs : la capacité de faire parler le sentiment de l’éternel chez l’homme, l’émerveillement devant le mystère, l’art, la beauté et le simple fait d’exister. Malheureusement, sur un point pr

écis, peut-être non prémédité, le comique a lancé un message qui pourrait s’avérer dévastateur pour les jeunes, et qu’il convient de rectifier. Pour appuyer son invitation à ne pas avoir peur des passions, à faire l’expérience du vertige de l’amour également dans son aspect charnel, il a cité la phrase de saint Augustin qui dit à Dieu : « Donne-moi la chasteté et la continence, mais pas encore » (6). Comme s’il fallait d’abord tout essayer puis, éventuellement quand nous serons vieux et que cela ne nous coûtera plus, pratiquer la chasteté.

Le comique n’a pas dit combien saint Augustin a dû par la suite, se repentir d’avoir fait cette prière lorsqu’il était jeune, et combien de larmes cela lui aura coûté, de s’arracher à l’esclavage de la passion à laquelle il s’était abandonné. Il n’a pas rappelé la prière par laquelle le saint remplacera celle qu’il a citée, une fois la liberté retrouvée : « Tu me commandes d’être chaste ; eh bien, donne-moi ce que tu m’ordonnes et ordonnes-moi ce que tu veux ! » (7) Je ne crois pas que les jeunes d’aujourd’hui aient besoin d’

être encouragés à se « jeter », à « essayer », à rompre les barrières (tout les pousse à se jeter tête baissée dans cette direction avec les résultats tragiques que nous connaissons). Ils ont besoin de personnes qui suscitent en eux des motivations valides, non pas certes pour avoir peur de leur corps et de l’amour, mais au moins pour craindre d’abîmer l’un et l’autre.

Dans le chant de l’Enfer, que le comique a admirablement commenté, Dante fournit l’une de ces motivations profondes, qu’il ne fait toutefois que survoler. Le mal, c’est soumettre la raison à l’instinct, au lieu de soumettre l’instinct à la raison. « J’entendis qu’à ce tourment étaient condamnés les pécheurs charnels, qui soumettent la raison à la convoitise ». La convoitise a sa fonction si elle est soumise à la raison ; dans le cas contraire, elle devient l’ennemie et non l’alliée, de l’amour, conduisant aux délits les plus atroces, dont l’actualité récente nous a fourni des exemples. Mais venons-en plus directement

à nous. La vie spirituelle ne se réduit certes pas uniquement à la chasteté et à la pureté, mais il est certain que sans elles, tout effort dans les autres directions est impossible. Celle-ci est véritablement, comme l’appelle saint Paul dans le texte cité, une « arme de lumière » : une condition pour que la lumière du Christ se diffuse autour de nous et à travers nous.

Aujourd’hui, on a tendance à opposer les péchés contre la pureté et les péchés contre le prochain et l’on tend à considérer comme un vrai péché uniquement le péché contre le prochain ; on ironise parfois sur le culte excessif accordé dans le passé à la « belle vertu ». Ce comportement est en partie explicable ; dans le passé, la morale avait accentué de manière trop unilatérale les péchés de la chair, jusqu’à créer parfois de véritables névroses, au détriment de l’attention aux devoirs envers le prochain et au détriment de la vertu même de pureté qui était ainsi appauvrie et réduite à une vertu presque exclusivement négative, la vertu de savoir dire non. Mais maintenant on est pass

é à l’excès inverse et l’on tend à minimiser les péchés contre la pureté, au profit (souvent uniquement verbal) d’une attention au prochain. C’est une illusion de croire pouvoir concilier un authentique service à ses frères, qui demande toujours un sacrifice, de l’altruisme, l’oubli de soi et de la générosité, et une vie personnelle désordonnée, entièrement vouée à son propre plaisir et à satisfaire ses passions. On finit inévitablement par instrumentaliser nos frères, comme on instrumentalise notre corps. Celui qui ne sait pas dire « non » à lui-même, ne sait pas dire « oui » à ses frères.

L’une des « excuses » qui contribuent le plus à favoriser le péché d’impureté, dans la mentalité des personnes, et à le décharger de toute responsabilité, est que, de toute façon, il ne fait de mal à personne, il ne viole pas les droits et la liberté des autres, sauf – dit-on – s’il s’agit de violence charnelle. Mais à part le fait qu’il viole le droit fondamental de Dieu de donner une loi à ses créatures, cette « excuse » est fausse même à l’égard du prochain. Il n’est pas vrai que le péché d’impureté se limite à celui qui le commet. Dans le

Talmud juif on peut lire un apologue qui illustre bien la solidarité qui existe dans le péché et le tort que tout péché, même personnel, provoque aux autres : « Plusieurs personnes se trouvaient dans une barque. L’une d’entre elles prit une perceuse et commença à faire un trou sous son siège. Voyant cela, les autres passagers lui dirent : Qu’est-ce que tu fais ? Celle-ci répondit : en quoi cela vous regarde-t-il ? N’est-ce pas sous mon siège que je suis en train de faire un trou ? Mais les autres répliquèrent : oui, mais l’eau entrera et nous serons tous noyés ! ». N’est-ce pas ce qui est en train de se passer dans notre société ? L’Eglise elle-même sait le mal que l’on peut faire au corps tout entier avec les erreurs personnelles commises dans ce domaine. L’un des événements spirituels les plus importants de ces derniers mois a été la publication des « écrits personnels » de Mère Teresa de Calcutta. Le titre choisi pour le livre qui recueille ces écrits est la parole que le Christ lui a adressée au moment où il l’a appelée pour sa nouvelle mission : « Come, be my light », viens, sois ma lumière dans le monde. C’est une parole que Jésus adresse à chacun de nous et qu’avec l’aide de la Très Sainte Vierge Marie et l’intercession de la Bienheureuse de Calcutta, nous voulons accueillir avec amour et chercher à mettre en pratique pendant cet Avent.

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NOTES

(1) Cf. E.P. Sanders, Jesus and Judaism, London 1985, trad. italiana Gesù e il giudaismo, Marietti 1992.(2) Cf. S. Ireneo, Adv. Haer. IV, 34, 1

(3) Cf. Neusner, op. cit. 84

(4) Cf. Méditations de l’Avent 1989 recueillies dans le livre Gesú Cristo, il Santo di Dio, cap. VII, Edizioni San Paolo 1999(5) Saint Augustin,

Confessions, VIII, 5, 12

(6) Saint Augustin, Confessions

, cf. VIII, 7, 17

(7) Saint Augustin, Confessions, cf. X, 31, 45

Pourquoi Dieu nous cache-t-il l’heure de notre mort ?

30 novembre, 2007

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Pourquoi Dieu nous cache-t-il l’heure de notre mort ?

Homélie du dimanche 2 décembre, par le P. Cantalamessa

ROME, Vendredi 30 novembre 2007 (ZENIT.org

) Nous publions ci-dessous le commentaire de lEvangile du dimanche 2 décembre, proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.

Evangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 24, 37-44

L’avènement du Fils de l’homme ressemblera à ce qui s’est passé à l’époque de Noé.
A cette époque, avant le déluge, on mangeait, on buvait, on se mariait, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche.
Les gens ne se sont doutés de rien, jusqu’au déluge qui les a tous engloutis : tel sera aussi l’avènement du Fils de l’homme.
Deux hommes seront aux champs : l’un est pris, l’autre laissé.
Deux femmes seront au moulin : l’une est prise, l’autre laissée.
Veillez donc, car vous ne connaissez pas le jour où votre Seigneur viendra.
Vous le savez bien : si le maître de maison avait su à quelle heure de la nuit le voleur viendrait, il aurait veillé et n’aurait pas laissé percer le mur de sa maison.
Tenez-vous donc prêts, vous aussi : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra.

© Copyright AELF – Paris – 1980 – tous droits réservés

Veillez !

La première année du cycle liturgique triennal, dite année A, commence aujourdhui. Au cours de cette année, cest lEvangile de Matthieu qui nous accompagnera. Cet Evangile est caractérisé par : lampleur accordée aux enseignements de Jésus (les discours célèbres, comme celui de la montagne) et lattention au rapport Loi-Evangile (lEvangile est la « Loi nouvelle »). Il est considéré comme lEvangile le plus « ecclésiastique », de par le récit du primat à Pierre et lutilisation du terme Ecclesia, Eglise, que lon ne trouve pas dans les autres Evangiles.

La phrase clé de lEvangile de ce premier dimanche de lAvent est : « Veillez donc, car vous ne connaissez pas le jour où votre Seigneur viendraTenez-vous donc prêts, vous aussi : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra ». On se demande parfois pourquoi Dieu nous cache une chose aussi importante que lheure de sa venue, qui pour chacun de nous, pris individuellement, coïncide avec lheure de notre mort. La réponse traditionnelle est : « Pour que nous soyons vigilants, et que chacun soit conscient du fait que la mort peut survenir à tout moment » (cf. St Ephrem le Syrien). Mais la raison principale est que Dieu nous connaît ; il sait langoisse terrible quaurait signifié pour nous le fait de savoir à lavance lheure exacte, et de la voir sapprocher lentement et inexorablement. Cest ce qui fait le plus peur de certaines maladies. Davantage de personnes meurent aujourdhui de maladies subites de cœur, que de « maladies graves ». Et pourtant, ces dernières font beaucoup plus peur, car on a limpression quelles ôtent cette incertitude qui permet despérer.L

incertitude de lheure ne doit pas nous pousser à vivre de manière insouciante, mais faire de nous des veilleurs. Lannée liturgique commence mais lannée civile se termine. Une excellente occasion pour laisser un peu despace à une réflexion pleine de sagesse sur le sens de notre existence. La nature elle-même, en automne, nous invite à réfléchir sur le temps qui passe. Ce que le poète Giuseppe Ungaretti disait des soldats dans les tranchées sur le Karst, pendant la première guerre mondiale, vaut pour tous les hommes : « On est / Comme en automne / sur les arbres / les feuilles ». Cest-à-dire, sur le point de tomber à tout moment. Le temps passe et lhomme ne sen rend pas compte, disait Dante Alighieri.

Un philosophe antique a exprimé cette expérience fondamentale par une phrase restée célèbre : panta rei, cest-à-dire : tout passe. Dans la vie, cest comme sur l’écran de télévision : les émissions, les grilles de programmation, se succèdent et lune remplace lautre. L’écran reste le même mais les images changent. Il en est de même pour nous : le monde demeure, mais nous, nous partons, les uns après les autres. Que restera-t-il, dans quelques années ou quelques décennies, de tous les noms, des visages, des nouvelles qui remplissent la presse écrite et les journaux télévisés aujourdhui, de moi, de vous, de nous tous ? Absolument rien. Lhomme nest qu « un dessin créé par la vague sur la plage, que la vague successive efface ».Voyons ce que la foi a

à dire sur le fait que tout passe. « Or le monde passe avec ses convoitises ; mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement » (1 Jn 2, 17). Il y a donc quelquun qui ne passe pas, Dieu, et il existe aussi un moyen pour que nous ne passions pas complètement, nous non plus : faire la volonté de Dieu, cest-à-dire croire, adhérer à Dieu. Dans cette vie, nous sommes comme des personnes placées sur un radeau transporté par le courant dun fleuve en crue dirigé vers la haute mer, doù lon ne revient pas. A un moment donné, le radeau se retrouve près de la rive. Le naufragé dit : « Maintenant ou jamais ! » et saute sur la terre ferme. Quel soulagement lorsquil sent le rocher sous ses pieds ! Nous pourrions rappeler, pour conclure cette réflexion, les paroles que sainte Thérèse dAvila nous a laissées comme testament spirituel : « Que rien ne te trouble, que rien ne teffraie. Dieu seul suffit ». [Nada te turbe, nada te espante, solo Dios basta, ndlr]

Traduit de l’italien par Gisèle Plantec/jmc

Fête du Christ Roi : Le Christ règne-t-il en chacun de nous ?

25 novembre, 2007

du site:

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Fête du Christ Roi : Le Christ règne-t-il en chacun de nous ? 

Homélie du dimanche 25 novembre, par le P. Cantalamessa 

 

ROME, Vendredi 23 novembre 2007 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le commentaire de l’Evangile du Dimanche 25 novembre, proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.

Evangile de Jésus Christ selon saint Luc 23, 35-43

On venait de crucifier Jésus et le peuple restait là à regarder. Les chefs ricanaient en disant : « Il en a sauvé d’autres : qu’il se sauve lui-même, s’il est le Messie de Dieu, l’Élu ! »
Les soldats aussi se moquaient de lui. S’approchant pour lui donner de la boisson vinaigrée,
ils lui disaient : « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! »
Une inscription était placée au-dessus de sa tête : « Celui-ci est le roi des Juifs. »
L’un des malfaiteurs suspendus à la croix l’injuriait : « N’es-tu pas le Messie ? Sauve-toi toi-même, et nous avec ! »
Mais l’autre lui fit de vifs reproches : « Tu n’as donc aucune crainte de Dieu ! Tu es pourtant un condamné, toi aussi ! Et puis, pour nous, c’est juste : après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons. Mais lui, il n’a rien fait de mal. »
Et il disait : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton Règne. »
Jésus lui répondit : « Amen, je te le déclare : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. » 

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Jésus Christ roi de l’univers et des cœurs

La solennité du Christ Roi a été instituée assez récemment. Elle a été instituée par le pape Pie XI en 1925, en réponse aux régimes politiques athées et totalitaires qui niaient les droits de Dieu et de l’Eglise. Le cadre dans lequel est née cette fête est par exemple celui de la révolution mexicaine, lorsque de nombreux chrétiens marchèrent vers la mort en criant jusqu’au dernier souffle : « Viva Cristo Rey ! », vive le Christ Roi ! Mais si l’institution de cette fête est récente, il n’en est pas de même pour son contenu et son idée centrale qui est en revanche très ancienne et qui est née en quelque sorte avec le christianisme. L’expression « le Christ règne » trouve son équivalent dans la profession de foi : « Jésus est le Seigneur » qui occupe une place centrale dans la prédication des apôtres.

Le passage de l’Evangile est celui de la mort du Christ, car c’est à ce moment-là que le Christ commence à régner sur le monde. La croix est le trône de ce roi. « Une inscription était placée au-dessus de sa tête : ‘Celui-ci est le roi des Juifs’ ». Ce qui, pour ses ennemis devait être la justification de sa condamnation était, aux yeux du Père céleste, la proclamation de sa souveraineté universelle.

Pour comprendre que cette fête nous concerne de près, il suffit de se souvenir d’une distinction très simple. Il existe deux univers, deux mondes ou cosmos : le macrocosme qui est l’univers grand et extérieur à nous et le microcosme, ou petit univers, qui est chaque personne individuelle. La liturgie elle-même, dans la réforme qui a suivi le Concile Vatican II, a senti le besoin de mettre l’accent de la fête, non plus sur son caractère, en quelque sorte, politique, mais sur son aspect humain et spirituel.

L’oraison de la fête ne demande plus, comme dans le passé, d’ « accorder à toutes les familles des peuples de se soumettre à la douce autorité du Christ », mais de faire que « toute créature, libérée de l’esclavage du péché, le serve et le loue éternellement ».

On dit dans l’Evangile qu’au moment de la mort du Christ, au-dessus de sa tête était placée une inscription qui disait : « Celui-ci est le roi des Juifs » ; l’assistance le défiait de manifester ouvertement sa royauté et de nombreuses personnes, également parmi ses amis, s’attendaient à une démonstration spectaculaire de sa royauté. Mais il choisit de démontrer sa royauté en se préoccupant d’un seul homme, de surcroît un malfaiteur : « ‘Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton Règne’. Jésus lui répondit : ‘Amen, je te le déclare : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis’ ».

Dans cette perspective, la question la plus importante que nous devons nous poser lors de la fête du Christ Roi n’est pas s’il règne ou non dans le monde, mais s’il règne ou non en chacun de nous ; non pas si sa royauté est reconnue par les Etats et les gouvernements, mais si chacun de nous la reconnaît et la vit. Le Christ est-il le Roi et le Seigneur de ma vie ? Qui règne en moi, qui fixe les objectifs et établit les priorités : le Christ ou quelqu’un d’autre ? Selon saint Paul il existe deux manières de vivre possibles : pour soi ou pour le Seigneur (Rm 14, 7-9). Vivre « pour soi » signifie vivre comme celui qui possède en lui-même son principe et sa fin ; cela indique une existence renfermée sur elle-même, tendue uniquement vers sa propre satisfaction et sa propre gloire, sans aucune perspective d’éternité. Vivre « pour le Seigneur », en revanche, signifie vivre pour le Seigneur, c’est-à-dire dans la perspective du Seigneur, pour sa gloire et pour son règne.

Il s’agit vraiment d’une nouvelle existence, face à laquelle la mort elle-même a perdu son caractère irréparable. La plus grande contradiction dont l’homme ait jamais fait l’expérience – la contradiction entre la vie et la mort – a été dépassée. La contradiction la plus radicale n’est plus désormais entre « vivre » et « mourir », mais entre vivre « pour soi » et vivre « pour le Seigneur ». 

par Père Cantalamessa: Notre travail est une participation à l’œuvre créatrice et rédemptrice de Dieu

17 novembre, 2007

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http://www.zenit.org/article-16647?l=french

 

Notre travail est une participation à l’œuvre créatrice et rédemptrice de Dieu

Homélie du dimanche 18 novembre, par le P. Cantalamessa

ROME, Vendredi 16 novembre 2007 (ZENIT.org) Nous publions ci-dessous le commentaire de lEvangile du Dimanche 18 novembre, proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.

Evangile de Jésus Christ selon saint Luc 21, 5-19

Certains parlaient du Temple, admirant la beauté des pierres et les dons des fidèles. Jésus leur dit :
« Ce que vous contemplez, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit. » Ils lui demandèrent : « Maître, quand cela arrivera-t-il, et quel sera le signe que cela va se réaliser ? » Jésus répondit : « Prenez garde de ne pas vous laisser égarer, car beaucoup viendront sous mon nom en disant : ‘C’est moi’, ou encore : ‘Le moment est tout proche.’ Ne marchez pas derrière eux ! Quand vous entendrez parler de guerres et de soulèvements, ne vous effrayez pas : il faut que cela arrive d’abord, mais ce ne sera pas tout de suite la fin. »
Alors Jésus ajouta : « On se dressera nation contre nation, royaume contre royaume. Il y aura de grands tremblements de terre, et çà et là des épidémies de peste et des famines ; des faits terrifiants surviendront, et de grands signes dans le ciel. Mais avant tout cela, on portera la main sur vous et l’on vous persécutera ; on vous livrera aux synagogues, on vous jettera en prison, on vous fera comparaître devant des rois et des gouverneurs, à cause de mon Nom. Ce sera pour vous l’occasion de rendre témoignage. Mettez-vous dans la tête que vous n’avez pas à vous soucier de votre défense.
Moi-même, je vous inspirerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront opposer ni résistance ni contradiction. Vous serez livrés même par vos parents, vos frères, votre famille et vos amis, et ils feront mettre à mort certains d’entre vous. Vous serez détestés de tous, à cause de mon Nom. Mais pas un cheveu de votre tête ne sera perdu. C’est par votre persévérance que vous obtiendrez la vie. »

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Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus

L

Evangile de ce dimanche fait partie des célèbres discours sur la fin du monde, caractéristiques des derniers dimanches de lannée liturgique. Dans lune des premières communautés chrétiennes, celle de Thessalonique, il y avait, semble-t-il, des croyants qui tiraient de ces discours du Christ des conclusions erronées : il est inutile de se donner du mal, de travailler et de produire, car tout passe ; il vaut mieux vivre au jour le jour, sans prendre dengagement à long terme, en vivant par exemple de petits expédients.

Saint Paul leur répond dans la deuxième lecture : « Nous apprenons que certains parmi vous vivent dans l’oisiveté, affairés sans rien faire. A ceux-là, nous adressons dans le Seigneur Jésus Christ cet ordre et cet appel : qu’ils travaillent dans le calme pour manger le pain qu’ils auront gagné ». Au début du passage, saint Paul rappelle la règle quil a donnée aux chrétiens de Thessalonique : « Si quelquun ne veut pas travailler, quil ne mange pas non plus ».

C’était une nouveauté pour les hommes de l’époque. La culture à laquelle ils appartenaient méprisait le travail manuel, le considérait comme dégradant pour la personne ; c’était un travail à laisser aux esclaves et aux incultes. Mais ce nest pas la vision de la Bible. Dès la première page, celle-ci présente Dieu qui travaille pendant six jours et se repose le septième jour. Tout cela, avant encore que dans la Bible on parle du péché. Le travail fait donc partie de la nature originelle de lhomme, non de la faute et du châtiment. Le travail manuel est tout aussi digne que le travail intellectuel et spirituel. Jésus lui-même consacre une vingtaine dannées au travail manuel (en supposant quil ait commencé à travailler vers l’âge de treize ans), et seulement deux ans au travail intellectuel et spirituel.

Un laïc a écrit : « Quel sens et quelle valeur a notre travail de laïcs devant Dieu ? Il est vrai que nous, laïcs, nous nous consacrons à tant d’œuvres de bien (charité, apostolat, bénévolat) ; mais nous devons consacrer lessentiel de notre temps et de notre énergie au travail. Par conséquent, si le travail ne vaut rien pour le ciel, nous nous retrouverons avec bien peu pour l’éternité. Aucune des personnes que nous avons interpellées na pu nous fournir de réponses satisfaisantes. Elles nous disent : Offrez tout à Dieu !. Mais cela suffit-il ? »

Je réponds : Non, la valeur du travail nest pas seulement dans la « bonne intention » avec laquelle on laccomplit, ou dans loffrande de ce travail que lon présente à Dieu le matin ; il a aussi une valeur en soi, comme participation à l’œuvre créatrice et rédemptrice de Dieu et comme service à nos frères. « Par son travail – lit-on dans un texte du Concile – l’homme assure habituellement sa subsistance et celle de sa famille, s’associe à ses frères et leur rend service, peut pratiquer une vraie charité et coopérer à l’achèvement de la création divine. Bien plus, par l’hommage de son travail à Dieu, nous tenons que l’homme est associé à l’oeuvre rédemptrice de Jésus Christ » (Gaudium et Spes, 67).

Peu importe le travail que lon fait. Ce qui importe, cest comment on le fait. Ceci rétablit une certaine parité, au-delà de toutes les différences (parfois injustes et scandaleuses) de catégorie et de rémunération. Une personne qui eu des attributions très humbles dans la vie, peut « valoir » beaucoup plus quune personne qui a occupé des postes très prestigieux.

Le travail, disions-nous, est participation à laction créatrice de Dieu et à laction rédemptrice du Christ, et est source de croissance personnelle et sociale mais il est, on le sait, également fatigue, sueur et peine. Il peut ennoblir mais peut aussi vider et user. Le secret est de mettre le cœur dans ce que font les mains. Ce nest pas tant le poids ou le type de travail exercé qui fatigue, mais le manque denthousiasme et de motivation. La foi ajoute une motivation éternelle aux motivations terrestres du travail : nos œuvres, dit lApocalypse, nous accompagneront (cf. Ap 14, 13).

P. Cantalamessa : L’Ecriture apporte la preuve que les morts ressuscitent

9 novembre, 2007

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P. Cantalamessa : L’Ecriture apporte la preuve que les morts ressuscitent

Dieu se définit « Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob » et est un Dieu des vivants

 

ROME, Vendredi 9 novembre 2007 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le commentaire de l’Evangile du Dimanche 11 novembre, proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.

Evangile de Jésus Christ selon saint Luc 20, 27-38

Des sadducéens – ceux qui prétendent qu’il n’y a pas de résurrection – vinrent trouver Jésus,
et ils l’interrogèrent : « Maître, Moïse nous a donné cette loi : Si un homme a un frère marié mais qui meurt sans enfant, qu’il épouse la veuve pour donner une descendance à son frère.
Or, il y avait sept frères : le premier se maria et mourut sans enfant ; le deuxième, puis le troisième épousèrent la veuve, et ainsi tous les sept : ils moururent sans laisser d’enfants. Finalement la femme mourut aussi. Eh bien, à la résurrection, cette femme, de qui sera-t-elle l’épouse, puisque les sept l’ont eue pour femme ? »
Jésus répond : « Les enfants de ce monde se marient. Mais ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection d’entre les morts ne se marient pas, car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux anges, ils sont fils de Dieu, en étant héritiers de la résurrection.
Quant à dire que les morts doivent ressusciter, Moïse lui-même le fait comprendre dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur : le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob.
Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants ; tous vivent en effet pour lui. »

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Dieu n’est pas le Dieu des morts

En réponse à la question piège des sadducéens sur le sort de la femme qui a eu sept maris sur terre, Jésus réaffirme avant tout le fait de la résurrection, en corrigeant dans le même temps la représentation matérialiste et caricaturale qu’en font les sadducéens. La béatitude éternelle n’est pas un simple accroissement et un prolongement des joies terrestres, avec les plaisirs de la chair et de la table à satiété. L’autre vie est vraiment une autre vie, une vie de qualité différente. Elle est, certes l’accomplissement de toutes les attentes de l’homme sur la terre – et même infiniment plus – mais sur un autre plan. « Ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection d’entre les morts ne se marient pas, car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux anges ».

Dans la partie finale de l’Evangile, Jésus explique la raison pour laquelle il doit y avoir une vie après la mort. « Quant à dire que les morts doivent ressusciter, Moïse lui-même le fait comprendre dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur : le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants ; tous vivent en effet pour lui ». Mais où est, dans cette phrase, la preuve que les morts ressuscitent ? Si Dieu se définit « Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob » et est un Dieu des vivants et non des morts, cela signifie qu’Abraham, Isaac et Jacob vivent quelque part, même si, au moment où Dieu parle à Moïse, ceux-ci sont morts depuis des siècles.

Interprétant de manière erronée la réponse que Jésus donne aux sadducéens, certains ont affirmé que le mariage n’a aucune suite au ciel. Avec cette phrase Jésus rejette l’idée caricaturale que les sadducéens présentent de l’au-delà, comme s’il s’agissait d’un simple prolongement des relations terrestres entre les conjoints ; il n’exclut pas le fait que ceux-ci puissent retrouver, en Dieu, le lien qui les a unis sur la terre.

Est-il possible que deux époux, après une vie qui les a associés à Dieu dans le miracle de la création, n’aient plus rien en commun dans la vie éternelle, comme si tout avait été oublié, perdu ? Cela ne serait-il pas en opposition avec la parole du Christ qui dit que l’on ne doit pas séparer ce que Dieu a uni ? Si Dieu les a unis sur la terre, comment pourrait-il les séparer au ciel ? Une vie commune peut-elle finir dans le vide sans que soit démenti le sens même de la vie ici-bas qui est de préparer l’avènement du royaume, les cieux nouveaux et la terre nouvelle ?

L’Ecriture elle-même – et pas seulement le désir naturel des époux – confirme cette espérance. Le mariage, dit l’Ecriture, est « un grand sacrement » car il symbolise l’union entre le Christ et l’Eglise (Ep 5, 32). Est-il donc possible que cela soit annulé précisément dans la Jérusalem céleste, où l’on célèbre l’éternel banquet de noces entre le Christ et l’Eglise, dont le mariage est l’image ?

Selon cette vision, le mariage ne se termine pas avec la mort, mais il est transfiguré, spiritualisé. On lui enlève toutes les limites qui caractérisent la vie sur la terre. De la même manière, les liens entre parents et enfants ou entre amis ne tombent pas non plus dans l’oubli. Dans la préface de la messe des défunts, la liturgie dit qu’avec la mort « la vie est changée, elle n’est pas enlevée » ; cela vaut également pour le mariage qui est partie intégrante de la vie.

Que dire à ceux pour qui le mariage terrestre a été une expérience négative, d’incompréhension et de souffrance ? L’idée que le lien ne soit pas rompu même avec la mort n’est-elle pas pour eux davantage un motif de peur que de réconfort ? Non, car avec le passage du temps à l’éternité le bien demeure, le mal tombe. L’amour qui les a unis, même s’il n’a duré que peu de temps, demeure ; les défauts, les incompréhensions, les souffrances qu’ils se sont infligées mutuellement, s’évanouissent. De très nombreux conjoints n’expérimenterons le véritable amour entre eux, et avec cet amour, la joie et la plénitude de l’union qu’ils n’ont pas connues sur la terre, que lorsqu’ils serons réunis « en Dieu ». C’est aussi la conclusion de Goethe sur l’amour entre Faust et Marguerite : « Seul au ciel, l’inaccessible (c’est-à-dire l’union pleine et pacifique entre deux créatures qui s’aiment) deviendra réalité ». En Dieu on comprendra tout, on excusera tout, on pardonnera tout.

Et que dire de ceux qui ont été mariés, de manière légitime avec plusieurs personnes comme les veufs et les veuves remariés ? (Ce fut le cas présenté à Jésus, des sept frères qui avaient eu successivement la même femme pour épouse). Pour eux également, il convient de répéter la même chose : ce qu’il y a eu d’amour et de don authentiques avec chacun des maris et des femmes, cela étant objectivement un « bien » et venant de Dieu, ne sera pas annulé. Au ciel il n’y aura plus de rivalité en amour ou de jalousie. Ces choses n’appartiennent pas à l’amour vrai, mais à la limite intrinsèque de la créature.

Jésus ne condamne pas la richesse mais la mauvaise utilisation de la richesse

4 novembre, 2007

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Jésus ne condamne pas la richesse mais la mauvaise utilisation de la richesse

P. Raniero Cantalamessa : Homélie du dimanche 4 novembre

ROME, Vendredi 2 novembre 2007 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le commentaire de l’Evangile du Dimanche 4 novembre, proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.

Evangile de Jésus Christ selon saint Luc 19, 1-10

Jésus traversait la ville de Jéricho.
Or, il y avait un homme du nom de Zachée ; il était le chef des collecteurs d’impôts, et c’était quelqu’un de riche. Il cherchait à voir qui était Jésus, mais il n’y arrivait pas à cause de la foule, car il était de petite taille.
Il courut donc en avant et grimpa sur un sycomore pour voir Jésus qui devait passer par là.
Arrivé à cet endroit, Jésus leva les yeux et l’interpella : « Zachée, descends vite : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison. » Vite, il descendit, et reçut Jésus avec joie.
Voyant cela, tous récriminaient : « Il est allé loger chez un pécheur. »
Mais Zachée, s’avançant, dit au Seigneur : « Voilà, Seigneur : je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens, et si j’ai fait du tort à quelqu’un, je vais lui rendre quatre fois plus. »
Alors Jésus dit à son sujet : « Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison, car lui aussi est un fils d’Abraham. En effet, le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »
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Zachée, descends !

L’Evangile nous présente la merveilleuse histoire de Zachée. Jésus est arrivé à Jéricho. Ce n’est pas la première fois qu’il y vient et cette fois, en chemin, il a également guéri un aveugle (cf. Lc 18, 35 s.), ce qui explique pourquoi il est entouré d’une telle foule. Zachée, « chef des collecteurs d’impôts, et… riche », monte sur un arbre, le long du parcours du cortège, pour mieux le voir (A l’entrée de Jéricho on voit encore aujourd’hui un vieux mûrier qui aurait été celui de Zachée !). Arrivé à cet endroit, Jésus leva les yeux et l’interpella : ‘Zachée, descends vite : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison’. Vite, il descendit, et reçut Jésus avec joie. Voyant cela, tous récriminaient : ‘Il est allé loger chez un pécheur’ »
.Cet épisode souligne, encore une fois, l’attention de Jésus pour les humbles, les personnes rejetées ou méprisées. Ses concitoyens méprisaient Zachée, pour ses compromis avec l’argent et avec le pouvoir, et peut-être aussi parce qu’il était de petite taille ; pour eux, Zachée n’est qu’un « pécheur ». Jésus va en revanche le rencontrer chez lui ; il laisse tomber la foule des admirateurs qui l’ont accueilli à Jéricho et va chez Zachée, chez lui seul. Il fait comme le bon pasteur qui laisse les quatre-vingt-dix-neuf brebis pour aller chercher la centième qui s’

est perdue.Les actes et les paroles de Zachée contiennent également un enseignement. Elles concernent son attitude envers la richesse et envers les pauvres. De ce point de vue, l’épisode de Zachée doit être lu dans le contexte des deux passages qui le précèdent, celui du riche épulon et celui du jeune homme riche. Le riche épulon refusait au pauvre même les miettes qui tombaient de sa table ; Zachée donne la moitié de ses biens aux pauvres ; l’un profite seul de ses biens ou en fait profiter ses amis riches en mesure de lui rendre ce qu’il donne ; l’autre fait également profiter les autres, les pauvres, de ses biens. Comme on le voit, l’attention porte sur l’utilisation que l’on doit faire des richesses. Les richesses sont injustes lorsqu’on se les accapare, en les soustrayant aux plus faibles, lorsqu’on les utilisent pour vivre soi-même dans le luxe effréné ; elles cessent de devenir injustes lorsqu’elles sont le fruit de notre travail et sont également mises au service des autres et de la communauté.La confrontation avec l’épisode du jeune homme riche est également instructive. Jésus dit au jeune homme riche de vendre tout ce qu’il a et de le donner aux pauvres (Lc 18, 22) ; avec Zachée, il se contente de sa promesse de donner la moitié de ses biens aux pauvres. Zachée, en d’autres termes, reste riche. Le métier qu’il exerce (il est le chef des douaniers de la ville de Jéricho qui a le monopole de certains produits à l’époque très recherchés, même en Egypte par Cléopâtre), lui permet de rester riche même après avoir renoncé à la moitié

de ses biens. Ceci permet de rectifier une impression fausse que l’on peut avoir en lisant certains autres passages de l’Evangile. Ce n’est pas la richesse en soit que Jésus condamne sans appel, mais l’utilisation inique de cette richesse. Le salut existe aussi pour les riches ! Zachée en est la preuve. Dieu peut accomplir le miracle de convertir et sauver un riche sans nécessairement le réduire à l’état de pauvreté. Une espérance qu’il ne nia jamais et qu’il contribua même à entretenir, ne dédaignant pas fréquenter, lui, si pauvre, des riches et des chefs militaires.Il n’a certes jamais flatté les riches et n’a jamais cherché à atténuer les exigences de son Evangile lorsqu’il était en leur compagnie. Bien au contraire ! Avant de s’entendre dire : « Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison », Zachée a dû prendre une décision courageuse : donner aux pauvres la moitié de son argent et de ses biens accumulés, réparer les concussions faites dans son travail en en restituant le quadruple du montant. L’histoire de Zachée apparaît ainsi comme le miroir de la conversion évangélique qui est toujours et en même temps, conversion à Dieu et conversion à ses frères.

P. Cantalamessa : Si le désir de Dieu est continuel, la prière sera aussi continuelle

21 octobre, 2007

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P. Cantalamessa : Si le désir de Dieu est continuel, la prière sera aussi continuelle

Homélie du dimanche 21 octobre

ROME, Vendredi 19 octobre 2007 (ZENIT.org

) Nous publions ci-dessous le commentaire de lEvangile du dimanche 21 octobre, proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.

Evangile de Jésus Christ selon saint Luc 18, 1-8

Jésus disait une parabole pour montrer à ses disciples qu’il faut toujours prier sans se décourager: « Il y avait dans une ville un juge qui ne respectait pas Dieu et se moquait des hommes.
Dans cette même ville, il y avait une veuve qui venait lui demander : ‘Rends-moi justice contre mon adversaire.’
Longtemps il refusa ; puis il se dit : ‘Je ne respecte pas Dieu, et je me moque des hommes, mais cette femme commence à m’ennuyer : je vais lui rendre justice pour qu’elle ne vienne plus sans cesse me casser la tête.’ »
Le Seigneur ajouta : « Écoutez bien ce que dit ce juge sans justice !
Dieu ne fera-t-il pas justice à ses élus, qui crient vers lui jour et nuit ? Est-ce qu’il les fait attendre ?
Je vous le déclare : sans tarder, il leur fera justice. Mais le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ? »

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Il leur dit une parabole sur la nécessité de prier


LEvangile commence ainsi : « Jésus disait une parabole pour montrer à ses disciples qu’il faut toujours prier sans se décourager ». Il sagit de la parabole de la veuve importune. A la question : « Combien de fois faut-il prier ? », Jésus répond : toujours ! La prière, comme lamour, ne supporte pas le calcul des « fois ». Se demande-t-on peut-être combien de fois par jour une maman aime son enfant, ou un ami son ami ? On peut aimer à des degrés différents mais pas à des intervalles plus ou moins réguliers. Il en est de même pour la prière.

Cet idéal de prière continuelle sest réalisé de différentes manières, aussi bien en Orient quen Occident. La spiritualité orientale la mis en pratique avec la prière à Jésus : « Seigneur Jésus Christ, aie pitié de moi ! ». LOccident a formulé le principe dune prière continuelle, mais de manière plus souple, afin quil puisse être proposé à tous et pas seulement à ceux qui choisissent explicitement la vie monastique. Saint Augustin dit que lessence de la prière est le désir. Si le désir de Dieu est continuel, la prière est également continuelle, alors que si le désir intérieur est absent, on peut crier sans fin, pour Dieu, cest comme si on était muet. Mais ce désir secret de Dieu, fait de souvenir, de besoin dinfini, de nostalgie de Dieu, peut rester vivant, même si lon est contraint à faire autre chose : « Prier longuement ne signifie pas rester longtemps à genou ou les mains jointes, ou parler beaucoup, mais plutôt susciter un élan du cœur continuel et pieux, vers celui que nous invoquons ».

Jésus nous a donné lui-même lexemple de la prière continuelle. On dit de lui, dans les Evangiles, quil priait le jour, à la tombée de la nuit, tôt le matin, et quil passait parfois la nuit entière en prière. La prière était ce qui unissait toute sa vie.

Lexemple du Christ nous fait toutefois comprendre une autre chose importante. Il est illusoire de penser pouvoir prier sans cesse, faire de la prière une sorte de respiration constante de l’âme également au milieu des activités de tous les jours, si lon ne réserve pas aussi à la prière des temps fixes, pendant lesquels on sy consacre en faisant abstraction de toute autre préoccupation. Le Jésus que nous voyons prier sans cesse est aussi celui qui, comme tout autre juif de l’époque, sarrêtait trois fois par jour – au lever du soleil, laprès-midi au cours des sacrifices du temple, et au coucher du soleil – , se tournait vers le temple de Jérusalem et récitait les prières rituelles dont le Shema Israel (Ecoute Israël). Le jour du Sabbat il participait lui aussi, avec ses disciples, au culte dans la synagogue, et divers épisodes de lEvangile se déroulent précisément dans ce contexte.

LEglise a fixé, elle aussi, dès quelle a commencé à exister, un jour spécial à consacrer au culte et à la prière : le dimanche. Nous savons tous malheureusement ce quest devenu le dimanche dans notre société ; le sport, et en particulier le foot, qui était un facteur de divertissement et de détente, est devenu un facteur qui empoisonne le dimanche Nous devons faire tout notre possible afin que ce jour redevienne, comme il l’était dans les intentions de Dieu lorsquil commanda le repos festif, un jour de joie sereine qui renforce notre communion avec Dieu et entre nous, dans la famille et la société.

Les paroles que le martyr Saturnin et ses compagnons adressèrent en 305 au juge romain qui les avait fait arrêter pour avoir participé à la réunion dominicale, sont un encouragements pour nous, chrétiens modernes : « Le chrétien ne peut vivre sans lEucharistie dominicale. Ne sais-tu pas que le chrétien existe pour lEucharistie et lEucharistie pour le chrétien ? »

P. Cantalamessa : Seule la foi peut nous permettre d’atteindre Dieu

5 octobre, 2007

du site:

http://www.zenit.org/article-16341?l=french

 P. Cantalamessa : Seule la foi peut nous permettre d’atteindre Dieu 

Homélie du dimanche 7 octobre 

ROME, Vendredi 5 octobre 2007 (ZENIT.org)

 Nous publions ci-dessous le commentaire de l’Evangile du dimanche 7 octobre, proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale. Evangile de Jésus Christ selon saint Luc 17, 5-10

Les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! »
Le Seigneur répondit : « La foi, si vous en aviez gros comme une graine de moutarde, vous diriez au grand arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous obéirait.
« Lequel d’entre vous, quand son serviteur vient de labourer ou de garder les bêtes, lui dira à son retour des champs : ‘Viens vite à table’ ?
Ne lui dira-t-il pas plutôt : ‘Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et que je boive. Ensuite tu pourras manger et boire à ton tour.’
Sera-t-il reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ?
De même vous aussi, quand vous aurez fait tout ce que Dieu vous a commandé, dites-vous : ‘Nous sommes des serviteurs quelconques : nous n’avons fait que notre devoir.’ »
© http://www.aelf.orgAugmente en nous la foiL’Evangile d’aujourd’hui s’ouvre sur une demande des apôtres à Jésus : « Augmente en nous la foi ! » Au lieu de satisfaire leur désir, Jésus semble vouloir l’accroître. Il dit : « La foi, si vous en aviez gros comme une graine de moutarde… ». La foi est sans aucun doute le thème dominant de ce dimanche. Dans la première lecture on entend la célèbre affirmation de Habaquq reprise par saint Paul dans la Lettre aux Romains : « Le juste vivra par sa fidélité ». L’acclamation avant l’Evangile est également liée à ce thème : « Telle est la victoire qui a triomphé du monde : notre foi » (1 Jn 5, 4).

La foi a des significations nuancées. Je voudrais aujourd’hui considérer la foi dans son acception la plus commune et la plus élémentaire : croire ou ne pas croire en Dieu. Non pas la foi en fonction de laquelle on décide si l’on est catholique ou protestant, chrétien ou musulman, mais la foi en fonction de laquelle on décide si l’on est croyant, ou non croyant, croyant ou athée. Un texte de l’Ecriture dit : « Celui qui s’approche de Dieu doit croire qu’il existe et qu’il se fait le rémunérateur de ceux qui le cherchent » (He 11, 6). C’est le premier degré de la foi, sans lequel on ne peut en gravir d’autres.

Pour parler de la foi à un niveau aussi universel on ne peut pas se baser uniquement sur la Bible car cela n’aurait de valeur que pour nous chrétiens et, en partie pour les juifs, mais pas pour les autres. Heureusement, Dieu a écrit deux « livres » : l’un est la Bible et l’autre, la création. L’un est composé de lettres et de mots, l’autre de choses. Il n’est pas donné à tout le monde de connaître, ou de pouvoir lire le livre des Ecritures ; mais tous, où qu’ils vivent et quelle que soit leur culture, peuvent lire le livre de la création. La nuit, peut-être encore mieux que le jour. « Les cieux racontent la gloire de Dieu, et l’œuvre de ses mains, le firmament l’annonce… pour toute la terre en ressortent les lignes et les mots jusqu’aux limites du monde » (Ps 19, 5). Paul affirme : « Ce qu’il y a d’invisible depuis la création du monde se laisse voir à l’intelligence à travers ses œuvres » (Rm 1, 20).

Il est urgent de dissiper le malentendu très répandu selon lequel la science a désormais résolu le problème et expliqué le monde de manière exhaustive, sans qu’existe le besoin de recourir à l’idée d’un être extérieur, appelé Dieu. D’une certaine manière, la science nous rapproche aujourd’hui davantage de la foi en un créateur, que par le passé. Prenons la fameuse théorie qui explique l’origine de l’univers par le Big Bang, ou la grande explosion initiale. En un milliardième de milliardième de seconde, on passe d’une situation où il n’y a encore rien, ni espace ni temps, à une situation où le temps a commencé, où l’espace existe, et dans une particule infinitésimale de matière, il y a déjà, en puissance, l’univers de milliards de galaxies tel que nous le connaissons aujourd’hui.

A qui affirme : « Cela n’a pas de sens de se poser la question de ce qu’il y avait avant cet instant, car il n’existe pas un ‘avant’ puisque le temps n’existait pas encore », je réponds : « Comment peut-on ne pas se poser cette question ? ». « Remonter dans l’histoire du cosmos, affirme-t-on encore, c’est comme feuilleter les pages d’un livre immense en commençant par la fin. Arrivé au début, on s’aperçoit que c’est comme s’il manquait la première page ». Je crois que c’est précisément sur cette première page manquante que la révélation biblique a quelque chose à dire. On ne peut pas demander à la science de se prononcer sur cet « avant » qui est en dehors du temps, mais celle-ci ne devrait pas non plus fermer le cercle en faisant croire que tout est résolu.

On ne prétend pas « démontrer » l’existence de Dieu, dans le sens que nous donnons communément à ce terme. Ici bas, nous voyons comme dans un miroir ou à travers une énigme, dit saint Paul. Lorsqu’un rayon de lumière entre dans une pièce, ce que l’on voit n’est pas la lumière elle-même, mais la danse de la poussière qui reçoit et révèle la lumière. C’est ce qui se passe avec Dieu : nous ne le voyons pas directement mais nous voyons comme un reflet de Dieu, dans la danse des choses. Ceci explique pourquoi seul le « saut » de la foi peut nous permettre d’atteindre Dieu. 

Homélie du P. Cantalamessa (dimanche 16 septembre): La relation père-fils n’est pas moins importante que la relation homme-femme

15 septembre, 2007

du site: 

http://www.zenit.org/article-16162?l=french

La relation père-fils n’est pas moins importante que la relation homme-femme

Homélie du P. Cantalamessa (dimanche 16 septembre)

ROME, Vendredi 14 septembre 2007

(ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le commentaire de l’Evangile du dimanche 16 septembre, proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale. Evangile de Jésus Christ selon saint Luc 15, 1-32

Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter.
Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! »
Alors Jésus leur dit cette parabole :
« Si l’un de vous a cent brebis et en perd une, ne laisse-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour aller chercher celle qui est perdue, jusqu’à ce qu’il la retrouve ? Quand il l’a retrouvée, tout joyeux, il la prend sur ses épaules, et, de retour chez lui, il réunit ses amis et ses voisins ; il leur dit : ‘Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé ma brebis, celle qui était perdue !’ Je vous le dis : C’est ainsi qu’il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion.

Ou encore, si une femme a dix pièces d’argent et en perd une, ne va-t-elle pas allumer une lampe, balayer la maison, et chercher avec soin jusqu’à ce qu’elle la retrouve ? Quand elle l’a retrouvée, elle réunit ses amies et ses voisines et leur dit : ‘Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé la pièce d’argent que j’avais perdue !’

De même, je vous le dis : Il y a de la joie chez les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit. »

Jésus dit encore : « Un homme avait deux fils.
Le plus jeune dit à son père : ‘Père, donne-moi la part d’héritage qui me revient.’ Et le père fit le partage de ses biens. Peu de jours après, le plus jeune rassembla tout ce qu’il avait, et partit pour un pays lointain où il gaspilla sa fortune en menant une vie de désordre. Quand il eut tout dépensé, une grande famine survint dans cette région, et il commença à se trouver dans la misère. Il alla s’embaucher chez un homme du pays qui l’envoya dans ses champs garder les porcs. Il aurait bien voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui donnait rien. Alors il réfléchit : ‘Tant d’ouvriers chez mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim ! Je vais retourner chez mon père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi. Je ne mérite plus d’être appelé ton fils. Prends-moi comme l’un de tes ouvriers.’
Il partit donc pour aller chez son père. Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de pitié ; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. Le fils lui dit : ‘Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi. Je ne mérite plus d’être appelé ton fils…’ Mais le père dit à ses domestiques : ‘Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller. Mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds. Allez chercher le veau gras, tuez-le ; mangeons et festoyons. Car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé.’ Et ils commencèrent la fête.
Le fils aîné était aux champs. A son retour, quand il fut près de la maison, il entendit la musique et les danses. Appelant un des domestiques, il demanda ce qui se passait. Celui-ci répondit : ‘C’est ton frère qui est de retour. Et ton père a tué le veau gras, parce qu’il a vu revenir son fils en bonne santé.’ Alors le fils aîné se mit en colère, et il refusait d’entrer. Son père, qui était sorti, le suppliait. Mais il répliqua : ‘Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais désobéi à tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. Mais, quand ton fils que voilà est arrivé après avoir dépensé ton bien avec des filles, tu as fait tuer pour lui le veau gras !’ Le père répondit : ‘Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. Il fallait bien festoyer et se réjouir ; car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé ! »

© http://www.aelf.org

Le père courut à sa rencontreLa liturgie de ce dimanche prévoit la lecture de tout le chapitre quinze de l’Evangile de Luc, qui contient les trois paraboles dites « de la miséricorde » : la brebis perdue, la pièce d’argent perdue et le fils prodigue. « Un père avait deux fils… ». Ces trois ou quatre mots suffisent pour que celui qui a un minimum de familiarité avec l’Evangile s’exclame spontanément : parabole du fils prodigue ! J’ai déjà à d’autres occasions souligné la signification spirituelle de cette parabole ; je voudrais cette fois souligner un aspect peu développé mais extrêmement actuel et proche de la vie de cette parabole. Au fond, elle n’est que l’histoire d’une réconciliation entre père et fils et nous savons tous qu’une telle réconciliation est vitale, aussi bien pour le bonheur des parents que celui des enfants.

On pourrait se demander pourquoi la littérature, l’art, le monde du spectacle, la publicité, n’exploitent qu’un seul aspect des relations humaines : la relation sur fond érotique entre l’homme et la femme, entre mari et femme. Il semblerait qu’il n’existe pas autre chose dans la vie. La publicité et le monde du spectacle ne font que cuisiner le même plat avec mille sauces différentes. Nous omettons en revanche d’explorer un autre aspect des relations humaines, tout aussi universel et vital, une autre des grandes sources de joie de la vie : la relation père – fils, la joie de la paternité. En littérature, la seule œuvre qui traite vraiment de ce thème est la « Lettre au père », de F. Kafka (le célèbre roman « Pères et fils » de Tourguéniev ne traite pas en réalité de la relation entre pères et fils naturels mais entre générations différentes).

Si, en revanche, on creuse avec sérénité et objectivité dans le cœur de l’homme, on découvre que dans la majorité des cas, une relation réussie, intense et sereine avec ses enfants n’est pas, pour un homme adulte et mûr, moins important et moins épanouissant que la relation homme – femme. Et nous savons combien cette relation est également importante pour un fils ou une fille et le vide que laisse une rupture.

De même que le cancer attaque généralement les organes les plus sensibles chez l’homme et la femme, la puissance destructrice du péché et du mal attaque les centres les plus vitaux de l’existence humaine. Rien n’est plus soumis aux abus, à l’exploitation et à la violence que la relation homme – femme et rien n’est plus exposé à la déformation que la relation père – fils : autoritarisme, paternalisme, rébellion, refus, incommunicabilité.

Il ne faut pas généraliser. Il existe des cas de relations très belles entre père et fils et j’en ai moi-même connu plusieurs. Nous savons toutefois qu’il existe également, et ils sont plus nombreux, des cas négatifs de relations difficiles entre parents et enfants. Dans le livre d’Isaïe on lit cette exclamation de Dieu : « J’ai élevé des enfants, je les ai fait grandir, mais ils se sont révoltés contre moi » (Is 1, 2). Je crois qu’aujourd’hui, de nombreux parents savent, par expérience, ce que signifient ces paroles.

La souffrance est réciproque ; ce n’est pas comme dans la parabole, où la culpabilité est entièrement et uniquement celle du fils… Il existe des pères dont la souffrance la plus profonde dans la vie est celle d’être rejetés voire même méprisés par leurs enfants. Et il existe des enfants dont la souffrance la plus profonde et inavouée est celle de se sentir incompris, non estimés, voire même refusés par leur père.

J’ai insisté sur le côté humain et existentiel de la parabole de l’enfant prodigue. Mais il ne s’agit pas seulement de cela, c’est-à-dire d’améliorer la qualité de la vie en ce monde. Cela entre dans l’effort pour une nouvelle évangélisation, l’initiative d’une grande réconciliation entre pères et fils et le besoin d’une guérison profonde de leur relation. On sait combien la relation avec le père terrestre peut influencer, de manière positive ou négative, la relation avec le Père des Cieux et donc la vie chrétienne elle-même. Lorsque naquit le précurseur Jean-Baptiste, l’ange déclara que l’une de ses tâches aurait été de ramener le cœur des pères vers leurs enfants et le cœur des fils vers leurs pères (cf. Lc 1, 17). Une tâche plus actuelle que jamais.

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