Archive pour la catégorie 'Père Cantalamessa'

P. Cantalamessa:Pour être capable de corriger les autres il faut savoir se laisser corriger

7 septembre, 2008

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http://www.zenit.org/article-18720?l=french

Pour être capable de corriger les autres il faut savoir se laisser corriger

Commentaire de l’évangile du dimanche 7 septembre, par le P. Cantalamessa

ROME, Vendredi 5 septembre 2008 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le commentaire de l’Evangile du dimanche 7 septembre proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.

Evangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 18, 15-20

Jésus disait à ses disciples : « Si ton frère a commis un péché, va lui parler seul à seul et montre-lui sa faute. S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère. S’il ne t’écoute pas, prends encore avec toi une ou deux personnes afin que toute l’affaire soit réglée sur la parole de deux ou trois témoins. S’il refuse de les écouter, dis-le à la communauté de l’Église ; s’il refuse encore d’écouter l’Église, considère-le comme un païen et un publicain. Amen, je vous le dis : tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel. Encore une fois, je vous le dis : si deux d’entre vous sur la terre se mettent d’accord pour demander quelque chose, ils l’obtiendront de mon Père qui est aux cieux. Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux. »

© Copyright AELF – Paris – 1980 – 2006 Tous droits réservés

Si ton frère commet un péché…

Dans l’Evangile de ce dimanche nous lisons : « Si ton frère a commis un péché, va lui parler seul à seul et montre-lui sa faute. S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère ». Jésus parle de n’importe quel type de péché ; pas seulement du péché commis contre nous. Dans ce cas, en effet, il est pratiquement impossible de savoir si ce qui nous pousse, c’est le zèle pour la vérité, ou notre amour propre blessé. Ce serait en tout cas davantage de l’autodéfense que de la correction fraternelle. Lorsque la faute est commise contre nous, le premier devoir n’est pas la correction mais le pardon.

Pourquoi Jésus dit-il : « Va lui parler seul à seul et montre-lui sa faute » ? Tout d’abord par égard pour la réputation de ton frère, pour sa dignité. Le pire serait de vouloir corriger un mari en présence de sa femme ou une femme en présence de son mari, un père devant ses enfants, un maître devant ses élèves, ou un supérieur devant ceux qui dépendent de lui. C’est-à-dire en présence des personnes dont on tient particulièrement au respect et à l’estime. La chose se transforme immédiatement en procès public. Ce sera bien difficile pour la personne d’accepter la correction de bon gré. Il en va de sa dignité.

Il dit « seul à seul » aussi pour donner à la personne la possibilité de se défendre et d’expliquer son action en toute liberté. Très souvent en effet, ce qui peut apparaître comme une faute à un observateur extérieur, ne l’est pas dans les intentions de celui qui l’a commise. Une explication franche dissipe beaucoup de malentendus. Mais cela n’est plus possible lorsque les faits sont portés à la connaissance de plusieurs.

Lorsque, pour différentes raisons, il n’est pas possible de corriger fraternellement, seul à seul, la personne qui a commis la faute, il y a une chose qu’il faut absolument éviter de faire à sa place, c’est divulguer inutilement la faute de ce frère, parler mal de lui, voire même le calomnier, en faisant comme si ce qui n’est pas prouvé l’était, ou en exagérant sa faute. « Ne médisez pas les uns des autres », dit l’Ecriture (Jc 4, 11). Ce n’est pas parce qu’on désigne maintenant le « bavardage » par un autre terme, celui de « gossip » (1) qu’il devient une chose moins laide et moins déplorable.

Un jour, une femme alla se confesser auprès de saint Philippe Neri, s’accusant d’avoir mal parlé de quelques personnes. Le saint lui donna l’absolution mais également une étrange pénitence. Il lui demanda de rentrer chez elle, de prendre une poule et de revenir le voir, en la plumant soigneusement tout le long du chemin. Lorsqu’elle fut de retour devant lui, il lui dit : « Maintenant rentre chez toi et ramasse une à une les plumes que tu as laissé tomber en venant ici ». La femme lui fit observer que cela était impossible : le vent les avait sûrement dispersées un peu partout depuis. Mais c’est précisément là que l’attendait saint Philippe Neri. « Tu vois, lui dit-il, de même qu’il est impossible de ramasser les plumes une fois dispersées par le vent, il est impossible de retirer des commérages et des calomnies une fois qu’ils ont été prononcés ».

En revenant au thème de la correction, il faut reconnaître que le fait de réussir à donner une correction ne dépend pas toujours de nous (malgré nos meilleures dispositions, l’autre peut ne pas l’accepter, il peut se raidir) ; en revanche, le fait de réussir à recevoir une correction dépend toujours et exclusivement de nous. En effet, je pourrais très bien être la personne qui « a commis le péché » et l’autre pourrait être le « correcteur » : le mari, la femme, l’ami, le confrère ou le père supérieur.

En somme, il n’y a pas que la correction active, mais aussi la correction passive ; il n’y a pas que le devoir de corriger mais aussi celui de se laisser corriger. Et c’est d’ailleurs là que l’on voit si une personne est suffisamment mûre pour corriger les autres. Celui qui veut corriger les autres doit aussi être prêt à se laisser corriger à son tour. Lorsque vous voyez que l’on fait une observation à une personne et que vous l’entendez répondre avec simplicité : « Tu as raison, merci de me l’avoir fait remarquer ! », vous pouvez exprimer votre respect, vous êtes devant un vrai homme ou une vraie femme.

Il faudrait toujours lire l’enseignement du Christ sur la correction fraternelle en même temps que ce qu’il dit à une autre occasion : « Qu’as-tu à regarder la paille qui est dans l’œil de ton frère ? Et la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ! Comment peux-tu dire à ton frère : ‘frère, laisse-moi ôter la paille qui est dans ton œil’, toi qui ne vois pas la poutre qui est dans ton œil ? » (Lc 6, 41 s.).

Ce que Jésus nous a enseigné concernant la correction peut être également très utile dans l’éducation des enfants. La correction est l’un des devoirs fondamentaux des parents. « Quel est le fils que ne corrige son père ? », dit l’Ecriture (He 12, 7) ; et encore : « Redresse la plante tant qu’elle est encore tendre si tu ne veux pas qu’elle grandisse de travers pour toujours ». Le renoncement total à toute forme de correction est l’un des pires services que l’on puisse rendre aux enfants et malheureusement, cela est très fréquent aujourd’hui.

Il faut seulement éviter que la correction se transforme en acte d’accusation ou en critique. Il faut plutôt circonscrire le reproche à la faute commise, ne pas la généraliser en blâmant en bloc toute la personne et sa conduite. Il faut au contraire profiter de la correction pour souligner tout le bien que l’on reconnaît chez l’enfant et le fait qu’on attend beaucoup de lui, afin que la correction apparaisse davantage comme un encouragement que comme une disqualification. C’est la méthode qu’utilisait saint Jean Bosco avec les jeunes.

Dans les cas concrets, ce n’est pas facile de comprendre s’il vaut mieux corriger ou laisser courir, parler ou se taire. Pour cela, il est important de tenir compte de la règle d’or, valable dans tous les cas, que l’Apôtre donne dans la deuxième lecture : « Frères, ne gardez aucune dette envers personne, sauf la dette de l’amour mutuel… l’amour ne fait rien de mal au prochain ». Saint Augustin a tout synthétisé dans le dicton « Aime et fais ce que tu veux ». Il faut s’assurer avant tout qu’il y a dans notre cœur une disposition fondamentale d’accueil de la personne. Ensuite, peu importe ce que nous déciderons de faire, que ce soit corriger ou nous taire, ce sera bien, car l’amour « ne fait rien de mal au prochain ».

(1) Terme anglais utilisé fréquemment en italien, ndlr

Traduit de l’italien par Zenit

Le pique-nique le plus joyeux de l’histoire du monde

1 août, 2008

du site: 

http://www.zenit.org/article-18584?l=french

Le pique-nique le plus joyeux de l’histoire du monde

Commentaire de l’évangile du dimanche 3 août, par le P. Cantalamessa

ROME, Jeudi 31 juillet 2008 (ZENIT.org)

Nous publions ci-dessous le commentaire de l’Evangile du dimanche 3 août, proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.

Evangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 14, 13-21

Jésus partit en barque pour un endroit désert, à l’écart. Les foules l’apprirent et, quittant leurs villes, elles suivirent à pied. En débarquant, il vit une grande foule de gens ; il fut saisi de pitié envers eux et guérit les infirmes. Le soir venu, les disciples s’approchèrent et lui dirent : « L’endroit est désert et il se fait tard. Renvoie donc la foule : qu’ils aillent dans les villages s’acheter à manger ! »
Mais Jésus leur dit : « Ils n’ont pas besoin de s’en aller. Donnez-leur vous-mêmes à manger. »
Alors ils lui disent : « Nous n’avons là que cinq pains et deux poissons. »
Jésus dit : « Apportez-les moi ici. »
Puis, ordonnant à la foule de s’asseoir sur l’herbe, il prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction ; il rompit les pains, il les donna aux disciples, et les disciples les donnèrent à la foule. Tous mangèrent à leur faim et, des morceaux qui restaient, on ramassa douze paniers pleins. Ceux qui avaient mangé étaient environ cinq mille, sans compter les femmes et les enfants.

Tous mangèrent et furent rassasiés

Un jour, Jésus se retira dans un lieu solitaire, le long du rivage de la mer de Galilée. Mais lorsqu’il voulut débarquer, il trouva une grande foule qui l’attendait. « Il fut saisi de pitié envers eux et guérit les infirmes ». Il leur parla du royaume de Dieu. Entre temps, le soir était venu. Les apôtres lui suggèrent de renvoyer la foule, afin qu’elle se procure à manger dans les villages voisins. Mais, à leur plus grand étonnement, Jésus leur dit, de façon à ce que tout le monde entende : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ! ». « Nous n’avons là – lui répondent-ils déconcertés – que cinq pains et deux poissons ». Jésus ordonne de les lui porter. Il invite tout le monde à s’asseoir. Il prend les cinq pains et les deux poissons, prie, rend grâce au Père, puis ordonne de distribuer le tout à la foule. « Tous mangèrent à leur faim et, des morceaux qui restaient, on ramassa douze paniers pleins ». Il y avait 5000 hommes, sans compter, dit l’Evangile, les femmes et les enfants. Ce fut le pique-nique le plus joyeux de l’histoire du monde !

Que nous dit cet évangile ? Tout d’abord que Jésus se préoccupe et « prend pitié » de tout l’homme, corps et âme. Aux âmes il distribue la parole, aux corps la guérison et la nourriture. Vous me direz : alors pourquoi ne le fait-il pas aussi aujourd’hui ? Pourquoi ne multiplie-t-il pas le pain pour les millions d’affamés qui sont sur la terre ? L’évangile de la multiplication des pains contient un détail qui peut nous aider à trouver la réponse. Jésus ne claqua pas des doigts et ne fit pas apparaître, comme par magie, le pain et les poissons à volonté. Il leur demanda ce qu’ils avaient ; il les invita à partager le peu qu’ils avaient : cinq pains et deux poissons. Il fait la même chose aujourd’hui. Il demande que nous mettions en commun toutes les ressources de la terre. On sait que, tout au moins du point de vue alimentaire, notre terre serait en mesure de faire vivre un nombre d’êtres humains plus élevé qu’actuellement. Mais comment pouvons-nous accuser Dieu de ne pas fournir suffisamment de pain pour tous, lorsque chaque année nous détruisons des millions de tonnes de réserves alimentaires, que nous appelons « excédents », pour ne pas baisser les prix ? Une meilleure distribution, une plus grande solidarité et partage : la solution est là.

Je le sais : ce n’est pas si simple. Il y a la manie des armements, il y a des gouvernants irresponsables qui contribuent à maintenir de nombreuses populations dans des situations de famine. Mais une part de responsabilité retombe également sur les pays riches. Nous sommes à présent cette personne anonyme (un jeune garçon, selon l’un des évangélistes) qui a cinq pains et deux poissons; mais nous les mettons de côté et nous nous gardons bien de les donner pour qu’ils soient partagé

s entre tous.En raison du style de la description (« il prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction ; il rompit les pains, il les donna aux disciples »), la multiplication des pains et des poissons a toujours fait penser à la multiplication de cet autre pain qui est le corps du Christ. C’est pourquoi les plus anciennes représentations de l’Eucharistie nous montrent un panier avec cinq pains et, à côté, deux poissons, comme la mosaïque découverte à Tagba, en Palestine, dans l’église élevée sur le lieu de la multiplication des pains, ou la célèbre fresque des catacombes de Priscille.

Au fond, ce que nous accomplissons en ce moment est aussi une multiplication des pains : le pain de la parole de Dieu. J’ai fractionné le pain de la parole et internet a multiplié mes paroles, si bien que, cette fois aussi, plus de cinq mille hommes ont mangé et ont été rassasiés. Une tâche demeure : « ramasser les morceaux qui restent », faire parvenir la parole également à ceux qui n’ont pas participé au banquet. Se faire les « répétiteurs » et les témoins du message.

Père Cantalamessa: Nativité de saint Jean-Baptiste

25 juin, 2008

l’homélie de Père Cantalamessa est de la fête du 2007  par conséquent les lectures ne correspondent pas, de quelque manière la signification de la fête est la même , du site:

 

 

http://www.cantalamessa.org/fr/omelieView.php?id=100

 

Y A-T-IL UN SALUT POUR LES ENFANTS MORTS SANS BAPTÊME ? 

Nativité de saint Jean-Baptiste
C – 2007-06-24 >Luc 1, 57-66.80


On célèbre cette année la fête de la Nativité de saint Jean-Baptiste à la place du XIIe dimanche du temps ordinaire. Il s’agit d’une fête très ancienne qui remonte au IVème siècle. Pourquoi la date du 24 juin ? Lorsque l’ange annonça la naissance du Christ à Marie, il lui dit qu’Elizabeth, sa parente, était au sixième mois. Jean-Baptiste devait donc naître six mois avant Jésus et la chronologie était ainsi respectée (la date du 24 au lieu du 25 juin est due à la manière dont calculaient les anciens, non en jour mais en calende, ide, et none). Ces dates ont naturellement une valeur liturgique et symbolique et non historique. Nous ne connaissons ni le jour ni l’année exacte de la naissance de Jésus et par conséquent, pas plus de Jean-Baptiste. Mais que cela change-t-il ? L’important pour la foi est le fait qu’il soit né et non quand il est né.

Le culte de Jean-Baptiste se diffusa rapidement et celui-ci devint l’un des saints auquel sont consacrées le plus d’églises dans le monde. Vingt-trois papes prirent son nom. Au dernier d’entre eux, le pape Jean XXIII, on a appliqué la phrase du quatrième Evangile qui dit du Baptiste : « Il y eut un homme envoyé de Dieu ; son nom était Jean ». Peu de personnes savent que les noms des sept notes de musique (do, ré, mi, fa, sol, la, si, do) ont un lien avec Jean- Baptiste. Elles sont tirées de la première syllabe des sept vers de la première strophe de l’hymne liturgique composé en honneur de Jean-Baptiste.

L’Evangile parle du choix du nom de Jean. Mais ce que disent la première lecture et l’antienne du psaume de la fête est également important. La première lecture, du livre d’Isaïe, dit : « J’étais encore dans le sein maternel quand le Seigneur m’a appelé ; j’étais encore dans les entrailles de ma mère quand il a prononcé mon nom. Il a fait de ma bouche une épée tranchante, il m’a protégé par l’ombre de sa main ; il a fait de moi sa flèche préférée, il m’a serré dans son carquois ». L’antienne du psaume revient sur le fait que Dieu nous connaît depuis le sein maternel : « C’est toi qui as créé mes reins, qui m’as tissé dans le sein de ma mère… J’étais encore inachevé, tu me voyais ».

Nous avons une idée très réductive et juridique de la personne, qui engendre une grande confusion dans le débat sur l’avortement. Il semble qu’un enfant acquière la dignité de personne au moment où les autorités humaines la lui reconnaissent. Pour la Bible, une personne est celle qui est connue de Dieu et que Dieu appelle par son nom ; et Dieu, nous est-il dit, nous connaît depuis le sein maternel, il nous voyait alors que nous étions « encore inachevés », dans le sein maternel. La science nous dit que l’embryon renferme tout l’homme en devenir, projeté dans les plus infimes détails ; la foi ajoute qu’il ne s’agit pas uniquement d’un projet inconscient de la nature mais d’un projet d’amour du Créateur. La mission de Jean-Baptiste est entièrement tracée avant sa naissance : « Toi aussi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut ; car tu marcheras devant le Seigneur, pour lui préparer les voies ».

L’Eglise a estimé que Jean-Baptiste a déjà été sanctifié dans le sein maternel, par la présence du Christ ; c’est pour cette raison qu’elle célèbre la fête de sa naissance. Ceci nous donne l’occasion d’évoquer une question délicate, qui a pris aujourd’hui une importance particulière à cause des millions d’enfants qui, surtout en raison de la diffusion effrayante de l’avortement, meurent sans avoir reçu le baptême. Que dire de ces enfants ? Sont-ils eux aussi d’une certaine manière sanctifiés dans le sein maternel ? Il y a-t-il un salut pour eux ?

Sans hésiter je réponds : bien sûr que le salut existe pour eux. Jésus ressuscité dit également d’eux : « Laissez venir à moi les petits enfants ». L’idée selon laquelle les enfants non baptisés étaient destinés aux Limbes, un lieu intermédiaire dans lequel on ne souffre pas mais dans lequel on ne jouit pas non plus de la vision de Dieu, s’est répandue à partir du Moyen-âge. Mais il s’agit d’une idée qui n’a jamais été définie comme vérité de foi de l’Eglise. Il s’agissait d’une hypothèse des théologiens qu’à la lumière du développement de la conscience chrétienne et de la compréhension des Ecritures, nous ne pouvons plus maintenir.

Cette opinion, que j’exprimai, il y a quelque temps, dans l’un de ces commentaires de l’Evangile, fut l’objet de réactions diverses. Certains exprimèrent de la reconnaissance pour cette prise de position qui leur ôtait un poids sur le cœur, d’autres me reprochèrent de donner trop de poids à la doctrine traditionnelle et de diminuer ainsi l’importance du baptême. La discussion est aujourd’hui close car récemment, la Commission théologique internationale, qui travaille pour la congrégation pour la Doctrine de la foi a publié un document affirmant précisément cela.

Il me semble utile de revenir sur ce thème à la lumière de cet important document pour expliquer certaines des raisons qui ont conduit l’Eglise à tirer cette conclusion. Jésus a institué les sacrements comme moyens ordinaires pour le salut. Ceux-ci sont donc nécessaires et celui qui, alors qu’il peut les recevoir, les refuse contre sa conscience ou les néglige, compromet sérieusement son salut éternel. Mais Dieu ne s’est pas lié à ces moyens. Il peut sauver également à travers des chemins extraordinaires, lorsque la personne, sans aucune faute de sa part, est privée du baptême. Il l’a fait par exemple avec les Saints Innocents, morts eux aussi sans baptême. L’Eglise a toujours admis la possibilité d’un baptême de désir et d’un baptême de sang, et tant de ces enfants ont vraiment connu un baptême de sang, même s’il est de nature différente…

Je ne crois pas que la clarification de l’Eglise encourage l’avortement ; si c’était le cas, ce serait véritablement tragique et il faudrait se préoccuper sérieusement, non pas du salut des enfants non baptisés mais de celui des parents baptisés. Ce serait se moquer de Dieu. Cette déclaration donnera en revanche un peu de soulagement aux croyants qui, comme chacun, s’interrogent, effarés, sur le sort atroce de tant d’enfants dans le monde aujourd’hui.

Revenons maintenant à Jean-Baptiste et à la fête de dimanche. Lorsqu’il annonça à Zacharie la naissance de son fils, l’ange lui dit : « Ta femme Elizabeth t’enfantera un fils, et tu l’appelleras du nom de Jean. Tu auras joie et allégresse, et beaucoup se réjouiront de sa naissance » (Lc 1, 13-14). Beaucoup en effet se sont réjouis de sa naissance, et vingt siècles plus tard, nous continuons à parler de cet enfant.

Je voudrais faire de ces paroles également un souhait pour tous les pères et les mères qui, comme Elizabeth et Zacharie, vivent le moment de l’attente ou de la naissance d’un enfant : puissiez-vous également éprouver de la joie et de l’allégresse pour l’enfant que Dieu vous a confié et vous réjouir de sa naissance toute votre vie et pour l’éternité !

Père Cantalamessa: La perte de la crainte de Dieu a fait grandir en nous la peur

21 juin, 2008

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http://www.zenit.org/article-18253?l=french

La perte de la crainte de Dieu a fait grandir en nous la peur

Le P. Cantalamessa commente l’évangile du dimanche 22 juin

ROME, Vendredi 20 juin 2008 (ZENIT.org

) – Nous publions ci-dessous le commentaire de l’Evangile du dimanche 22 juin proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.

Evangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 10, 26-33Jésus disait aux douze Apôtres : « Ne craignez pas les hommes ; tout ce qui est voilé sera dévoilé, tout ce qui est caché sera connu. Ce que je vous dis dans l’ombre, dites-le au grand jour ; ce que vous entendez dans le creux de l’oreille, proclamez-le sur les toits. Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent pas tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps. Est-ce qu’on ne vend pas deux moineaux pour un sou ? Or, pas un seul ne tombe à terre sans que votre Père le veuille. Quant à vous, même vos cheveux sont tous comptés. Soyez donc sans crainte : vous valez bien plus que tous les moineaux du monde.

Celui qui se prononcera pour moi devant les hommes, moi aussi je me prononcerai pour lui devant mon Père qui est aux cieux. Mais celui qui me reniera devant les hommes, moi aussi je le renierai devant mon Père qui est aux cieux.

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Craignez, mais n’ayez pas peur !

L’évangile de ce dimanche soulève plusieurs points mais ils se résument tous dans cette phrase apparemment contradictoire : « Craignez, mais n’ayez pas peur ». Jésus dit : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent pas tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps ». Nous ne devons ni craindre les hommes ni avoir peur d’eux. Nous devons en revanche craindre Dieu mais nous ne devons pas avoir peur de lui.

Il y a donc une différence entre peur et crainte, et nous allons essayer ici de comprendre pourquoi, et en quoi elle consiste. La peur est une manifestation de notre instinct fondamental de conservation. C’est une réaction à une menace contre notre vie, la réponse à un danger réel ou présumé : du danger le plus grand qui est celui de la mort aux dangers particuliers qui menacent notre tranquillité, notre sécurité physique ou notre monde affectif.Selon qu’il s’agisse de dangers r

éels ou imaginaires on parle de peurs justifiées et de peurs injustifiées ou pathologiques. Les peurs, comme les maladies, peuvent être aiguës ou chroniques. Les peurs aiguës ont été déterminées par une situation de danger extraordinaire. Si je suis sur le point d’être renversé par une voiture ou si je commence à sentir la terre trembler sous mes pieds à cause d’un tremblement de terre, ce sont des peurs aiguës. Ces frayeurs disparaissent comme elles sont apparues, à l’improviste et sans préavis, lorsque le danger disparaît, en laissant au pire un mauvais souvenir. Les peurs chroniques sont celles qui cohabitent avec nous, que nous traînons depuis notre naissance ou notre enfance, qui grandissent avec nous, qui deviennent partie intégrante de notre être, et auxquelles nous finissons même parfois par nous attacher. Nous les appelons les complexes ou phobies : claustrophobie, agoraphobie, etc.

L’évangile nous aide à nous libérer de toutes ces peurs en révélant le caractère relatif et non absolu des dangers qui les provoquent. Il y a une partie de nous que rien ni personne au monde ne peut vraiment nous ôter ou abîmer : pour les croyants c’est l’âme immortelle, pour tous, le témoignage de notre propre conscience.La crainte de Dieu est tr

ès différente de la peur. La crainte de Dieu est une chose que l’on doit apprendre : « Venez, mes fils, écoutez-moi, dit un psaume, que je vous enseigne la crainte du Seigneur » (Ps 33, 12). Il n’est pas nécessaire en revanche d’apprendre la peur à l’école ; elle apparaît à l’improviste face au danger ; les choses se chargent elles-mêmes de nous inspirer la peur.

Mais c’est le sens même de la crainte de Dieu qui est différent de la peur. C’est une composante de la foi : elle naît du fait de savoir qui est Dieu. C’est le sentiment qui nous saisit devant le spectacle grandiose et solennel de la nature. C’est le fait de se sentir petits face à quelque chose d’immensément plus grand que nous ; c’est l’étonnement, l’émerveillement mêlés d’admiration. Devant le miracle du paralytique qui se lève et se met à marcher, on lit dans l’évangile que « Tous furent saisis de stupeur et… rendaient gloire à Dieu. Remplis de crainte, ils disaient : Aujourd’hui nous avons vu des choses extraordinaires’ ! » (Lc 5, 26). La crainte est ici tout simplement un autre nom de la stupeur et de la louange.Ce type de crainte est un compagnon et un alli

é de l’amour : c’est la peur de déplaire à la personne aimée que l’on retrouve chez toute personne réellement amoureuse, même dans l’expérience humaine. Il est souvent appelé « principe de la sagesse » car il conduit à faire les bons choix dans la vie. C’est même un des sept dons de l’Esprit Saint (cf. Is 11, 2) !

Comme toujours, l’évangile ne fait pas qu’éclairer notre foi. Il nous aide également à comprendre la réalité de tous les jours. Notre époque a été définie comme une époque d’angoisse (W. H. Auden). L’angoisse, fille de la peur, est devenue la maladie du siècle et on dit qu’elle est devenue l’une des causes principales de l’augmentation des infarctus. Comment expliquer cela si nous avons aujourd’hui tellement plus de sécurités économiques que par le passé, d’assurances sur la vie, de moyens pour lutter contre les maladies et retarder la mort ?C’est parce que dans notre soci

été, la sainte crainte de Dieu a diminué, pour ne pas dire complètement disparu. « Il n’y a plus aucune crainte de Dieu ! ». Nous le disons parfois un peu à la légère mais cette affirmation contient une vérité tragique. Plus la crainte de Dieu diminue, plus la peur des hommes augmente ! Ceci n’est pas difficile à expliquer. Lorsque nous oublions Dieu, nous replaçons toute notre confiance dans les choses d’ici-bas, c’est-à-dire dans les choses que, selon le Christ « le voleur peut approcher et la mite peut ronger ». Des choses aléatoires qui peuvent nous manquer d’un moment à l’autre, que le temps (la mite) ronge inexorablement. Des choses que tout le monde ambitionne et qui déchaînent donc la concurrence et la rivalité (le fameux « désir mimétique » dont parle René Girard), des choses qu’il faut défendre les dents serrées et parfois le fusil à la main.

Au lieu de nous libérer de la peur, la perte de la crainte de Dieu nous a pétris de ces peurs. Regardons ce qui se passe dans la relation entre parents et enfants dans notre société. Les parents ont perdu la crainte de Dieu et les enfants ont perdu la crainte des parents ! Le reflet et l’équivalent sur la terre de la crainte de Dieu est la crainte révérencielle des enfants envers leurs parents. La Bible associe continuellement les deux choses. Mais le fait de ne plus craindre et respecter leurs parents, rend-il les enfants et les adolescents d’aujourd’hui plus libres et plus sûrs d’eux-mêmes ? Nous savons que c’est tout le contraire.

Le moyen de sortir de la crise est de redécouvrir la nécessité et la beauté de la sainte crainte de Dieu. Jésus nous explique justement dans l’évangile de dimanche que la confiance en Dieu est une compagne inséparable de la crainte. « Est-ce qu’on ne vend pas deux moineaux pour un sou ? Or, pas un seul ne tombe à terre sans que votre Père le veuille. Quant à vous, même vos cheveux sont tous comptés. Soyez donc sans crainte : vous valez bien plus que tous les moineaux du monde ! » Dieu ne veut pas nous inspirer la crainte mais la confiance. Le contraire de cet empereur romain qui disait : « Oderint dum metuant », qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent ! C’est aussi ce que devraient faire les parents sur terre : ne pas inspirer la crainte mais la confiance. C’est précisément de cette manière qu’on encourage le respect, l’admiration, la confiance, tout ce qui correspond à la « sainte crainte ».

Père Cantalamessa: (sur Jean 21, 1-19)

7 mai, 2008

du site:

http://www.cantalamessa.org/fr/omelieView.php?id=47antalamessa

du Père Cantalamessa 

Dimanche 22 avril
C – 2007-04-22

sur : Jean 21, 1-19

Lorsquon lit lEvangile de Jean on constate qu’à lorigine il se terminait au chapitre 20. Si ce nouveau chapitre 21 fut ajouté, cest parce que l’évangéliste lui-même ou lun de ses disciples a senti le besoin dinsister encore une fois sur la réalité de la résurrection. Cest en effet lenseignement que lon tire de ce passage de lEvangile : que Jésus est bien ressuscité, avec un vrai corps ; que ce nest pas une façon de parler. « Nous avons mangé et bu avec lui après sa résurrection dentre les morts », dira Pierre dans les Actes des apôtres, en se référant sans doute précisément à cet épisode (Ac 10, 41).

La scène décrivant Jésus en train de manger du poisson grillé avec ses apôtres est suivie du dialogue entre Jésus et Pierre. Trois questions : « Maimes-tu ? » ; trois réponses : « Tu sais que je taime » ; trois conclusions : « Pais mes brebis ! ». Par ces paroles Jésus confère de fait à Pierre et, selon linterprétation catholique, à ses successeurs la tâche de pasteur suprême et universel du troupeau du Christ. Il lui confère le primat quil lui avait promis lorsquil avait dit : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise. Je te donnerai les clés du Royaume des Cieux » (Mt 16, 18-19).

Le plus émouvant dans cette page de lEvangile est que Jésus reste fidèle à la promesse faite à Pierre, alors que Pierre, lui, na pas tenu celle quil lui avait faite de ne jamais le trahir, au prix même de sa vie (cf. Mt 26, 35). (La triple demande de Jésus sexplique par le désir de donner à Pierre la possibilité deffacer son triple reniement au cours de la passion). Dieu donne toujours aux hommes une deuxième possibilité ; souvent une troisième, une quatrième, un nombre infini de possibilités. Il ne raye pas les personnes de son livre à la première erreur de leur part. Alors, que ce passe-t-il ? La confiance et le pardon du Maître ont fait de Pierre une personne nouvelle, forte, fidèle jusqu’à la mort. Il a conduit le troupeau du Christ dans les moments difficiles du commencement, lorsquil fallait sortir de Galilée et se lancer sur les routes du monde. Pierre sera enfin en mesure de tenir sa promesse de donner sa vie pour le Christ. Si nous apprenions la leçon que renferme lattitude du Christ envers Pierre, et faisions confiance à notre prochain, même sil sest trompé une fois, que de personnes en moins souffriraient d’échec dans leur vie et que de laissés-pour-compte en moins il y aurait sur terre !

Le dialogue entre Jésus et Pierre peut-être transposé dans la vie de chacun dentre nous. Commentant ce passage de lEvangile, saint Augustin affirme : « En interrogeant Pierre, Jésus interrogeait également chacun de nous ». La question : « Maimes-tu ? » sadresse à tous les disciples. Le christianisme nest pas un ensemble de doctrines et de pratiques ; cest quelque chose de beaucoup plus intime et profond. Cest une relation damitié avec la personne de Jésus Christ. Au cours de sa vie terrestre il avait très souvent demandé aux personnes : « Est-ce que tu crois ? » mais jamais : « Maimes-tu ? ». Il ne le fait que maintenant, après avoir donné la preuve, à travers sa passion et sa mort, de combien Lui il nous a aimés.

Jésus explique que la manière de laimer est de servir les autres : « Maimes-tu ? Pais mes brebis ». Il ne veut pas recevoir les fruits de cet amour, il veut que ce soient ses brebis à les recevoir. Il est le destinataire de lamour de Pierre, mais pas son bénéficiaire. Cest comme sil lui disait : « Je considère que ce que tu feras pour mon troupeau, cest à moi que tu lauras fait ». Notre amour pour le Christ ne doit pas non plus demeurer quelque chose dintimiste et de sentimental, mais il doit sexprimer dans le service aux autres, dans le bien que nous faisons à notre prochain. Mère Teresa de Calcutta disait toujours : « Le fruit de lamour est le service et le fruit du service est la paix ».

Père Cantalamessa: Avec le Christ nous n’avons rien à craindre

22 avril, 2008

du site:

http://www.cantalamessa.org/fr/omelieView.php?id=256

Avec le Christ nous n’avons rien à craindre

Dimanche 10 février
A – 2008-02-10 >Matthieu 4, 1-11

Le démon, le satanisme et autres phénomènes du même genre sont aujourd’hui très actuels et inquiètent fortement notre société. Notre monde technologique et industrialisé est imprégné d’occultisme, de spiritisme et pullule de magiciens, de sorciers, de diseurs d’horoscopes, de vendeurs d’envoûtements, d’amulettes, ainsi que de véritables sectes sataniques. Chassé par la porte, le diable est revenu par la fenêtre. En d’autres termes, chassé par la foi, il est revenu par la superstition.

L’épisode des tentations de Jésus dans le désert, que nous lisons le premier dimanche de carême, nous aide à faire un peu la lumière sur ce thème. Tout d’abord, le démon existe-t-il ? C’est-à-dire, le mot démon renvoie-t-il vraiment à une entité personnelle, dotée d’intelligence et de volonté, ou s’agit-il simplement d’un symbole, d’une manière d’indiquer la somme du mal moral du monde, l’inconscient collectif, l’aliénation collective, etc. ? De nombreuses personnes, parmi les intellectuels, ne croient pas au démon au premier sens du terme. Mais il faut noter de grands écrivains et penseurs, comme Goethe, Dostoïevsky, ont pris très au sérieux l’existence de satan. Baudelaire, qui n’était certes pas un saint, a dit que « la plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas ».

La preuve principale de l’existence du démon dans les Evangiles n’est pas l’un des nombreux épisodes de libération de personnes possédées, car les croyances antiques sur l’origine de certaines maladies peuvent avoir influencé l’interprétation de ces faits. La preuve, c’est Jésus qui est tenté dans le désert par le démon. La preuve, ce sont aussi les nombreux saints qui ont lutté dans la vie contre le prince des ténèbres. Ils ne sont pas des « Don Quichotte » qui ont lutté contre des moulins à vent. C’était au contraire des hommes très concrets, avec une psychologie très saine.
Si tant de personnes trouvent absurde de croire au démon c’est parce qu’elles se basent sur les livres, parce qu’elles passent leur vie dans les bibliothèques ou à leur bureau, alors que ce ne sont pas les livres qui intéressent le démon mais les personnes, et surtout, précisément, les saints. Que peut savoir sur satan celui qui n’a jamais été confronté à la réalité de satan mais seulement à son idée, c’est-à-dire aux traditions culturelles, religieuses, ethnologiques sur satan ? Celui-ci traite en général ce sujet avec beaucoup d’assurance et de supériorité, en considérant tout comme de « l’obscurantisme médiéval ». Mais ceci est une fausse sécurité. C’est comme celui qui se vanterait de ne pas avoir peur des lions, en donnant comme preuve le fait qu’il a vu beaucoup de peintures et de photographies de lions, et n’a jamais eu peur. D’autre part, il est tout à fait normal et cohérent que celui qui ne croit pas en Dieu ne croit pas au diable. Il serait même tragique qu’une personne qui ne croit pas en Dieu croit au diable !

Cependant, la chose la plus importante que la foi chrétienne a à nous dire n’est pas que le démon existe, mais que le Christ a vaincu le démon. Le Christ et le démon ne sont pas pour les chrétiens deux princes égaux et contraires, comme dans certaines religions dualistes. Jésus est l’unique Seigneur ; satan n’est qu’une créature « qui a mal tourné ». Si un pouvoir sur les hommes lui est accordé, c’est pour que les hommes aient la possibilité de choisir librement un camp et aussi pour « qu’ils ne s’enorgueillissent pas » (cf. 2 Co 12, 7), en se croyant autosuffisants et en croyant ne pas avoir besoin de rédempteur. « Le vieux satan est fou – dit le refrain d’un negro spiritual. Il a tiré un coup de feu pour détruire mon âme, mais il a mal visé et a détruit mon péché ».

Avec le Christ nous n’avons rien à craindre. Rien ni personne ne peut nous faire de mal, si nous ne le voulons pas. Depuis la venue du Christ, satan est comme un chien attaché : il peut aboyer de toutes ses forces et tirer tant qu’il veut sur sa laisse, mais si nous ne nous approchons pas de lui, il ne peut pas mordre. Au désert, Jésus s’est libéré de satan pour nous libérer de satan ! C’est la bonne nouvelle avec laquelle nous entamons notre marche de carême vers Pâques.

Traduit de l’italien par Zenit

dimanche III de carême, P. Raniero Cantalamessa: La Samaritaine, ou de la vie éternelle

23 février, 2008

P. Raniero Cantalamessa, ofmcap

du site:

http://www.cantalamessa.org/fr/omelieView.php?id=270

Dimanche 24 février
A – 2008-02-24

La Samaritaine, ou de la vie éternelle

Jean 4, 5-42

Dans l’Evangile de ce dimanche, Jésus fait une proposition radicale à la Samaritaine et à tous ceux qui, d’une certaine manière, se reconnaissent dans ce qu’elle vit : chercher une autre « eau », donner un sens nouveau et un nouvel horizon à leur vie. Un horizon éternel ! « L’eau que je lui donnerai deviendra en lui source jaillissante pour la vie éternelle ». Le mot éternité est un mot tombé en « désuétude ». Il est devenu une sorte de tabou pour l’homme moderne. On se dit que cette pensée peut détourner les gens de leur engagement historique et concret à changer le monde, que c’est un moyen de s’évader, une manière de « gaspiller au ciel les trésors destinés à la terre », comme le disait Hegel.Mais quel en est le résultat ? La vie, la souffrance humaine, tout devient immensément plus absurde. On a perdu la mesure. Sans le contrepoids de l’éternité, toute souffrance, tout sacrifice, apparaît absurde, démesuré, ils nous « déséquilibrent », nous jettent à terre. Saint Paul a écrit : « Car la légère tribulation d’un instant nous prépare, jusqu’à l’excès, une masse éternelle de gloire ». Par rapport à l’éternité de la gloire, le poids de la peine lui semble « léger » (lui qui dans la vie a tant souffert !) précisément parce qu’il est momentané (« d’un instant »). Il ajoute : « les choses visibles en effet n’ont qu’un temps, les invisibles sont éternelles » (2 Co 4, 17-18).

Le philosophe Miguel de Unamuno (qui était pourtant un penseur « laïc »), répondait en ces termes à un ami qui lui reprochait sa recherche d’éternité, comme s’il y voyait de l’orgueil et de la présomption : « Je ne dis pas que nous méritons un au-delà, et que la logique nous le démontre, je dis que nous en avons besoin, que nous le méritions ou pas, c’est tout. Je dis que ce qui passe ne me satisfait pas, que j’ai soif d’éternité, et que sans cela, tout m’est indifférent. Sans cette éternité, il n’y a plus aucune joie de vivre… C’est trop facile de dire : ‘Il suffit de vivre, il suffit de se contenter de cette vie’. Et ceux qui ne s’en contentent pas ? » Ce n’est pas celui qui désire l’éternité qui prouve ne pas aimer la vie, mais celui qui ne la désire pas, dans la mesure où il se résigne aussi facilement à la pensée que celle-ci doive prendre fin.

L’Eglise, mais aussi la société, aurait beaucoup à gagner à redécouvrir le sens de l’éternité. Cela l’aiderait à retrouver un équilibre, à relativiser les choses, à ne pas tomber dans le désespoir face aux injustices et à la souffrance qui existent dans le monde – tout en les combattant -, à vivre de manière moins frénétique.
Toute personne a, dans sa vie, à un moment donné, une intuition de l’éternité, une sensation, même si celle-ci est confuse… Il faut veiller à ne pas chercher l’expérience de l’infini dans la drogue, dans le sexe effréné et dans d’autres choses, porteuses, en définitive, uniquement de désillusion et de mort. « Tout homme qui boit de cette eau aura encore soif », dit Jésus à la Samaritaine. Il faut chercher l’infini vers le haut, et non vers le bas ; au-delà de la raison, non pas en deçà, dans l’ébriété irrationnelle.

Il est clair qu’il ne suffit pas de savoir que l’éternité existe, il faut aussi savoir comment l’atteindre. Il faut se demander, comme le jeune homme riche de l’Evangile : « Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? ». Dans le poème « L’Infini », Leopardi parle d’une haie qui « dérobe au regard tant de pans de l’extrême horizon ». Que représente pour nous cette « haie »? L’obstacle qui nous empêche de porter notre regard vers l’extrême horizon, l’horizon éternel ? Ce jour-là, la Samaritaine comprit que quelque chose devait changer dans sa vie si elle voulait obtenir la « vie éternelle », car nous la retrouvons peu après transformée, en train d’évangéliser, racontant à tous, sans complexe, ce que Jésus lui a dit.

Au désert, Jésus s’est libéré de satan, pour nous en libérer

9 février, 2008

08-02-2008, du site:


http://www.zenit.org/article-17244?l=french

Au désert, Jésus s’est libéré de satan, pour nous en libérer

Méditation de l’Evangile du dimanche 10 février, par le P. Cantalamessa

ROME, Vendredi 8 février 2008 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le commentaire de l’Evangile du dimanche 10 février, premier dimanche de carême, proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.

Evangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 4, 1-11

Alors Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le démon. Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim. Le tentateur s’approcha et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. »
Mais Jésus répondit : « Il est écrit : Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »
Alors le démon l’emmène à la ville sainte, à Jérusalem, le place au sommet du Temple et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. »
Jésus lui déclara : « Il est encore écrit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »
Le démon l’emmène encore sur une très haute montagne et lui fait voir tous les royaumes du monde avec leur gloire.
Il lui dit : « Tout cela, je te le donnerai, si tu te prosternes pour m’adorer. »
Alors, Jésus lui dit : « Arrière, Satan ! car il est écrit : C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, et c’est lui seul que tu adoreras. »
Alors le démon le quitte. Voici que des anges s’approchèrent de lui, et ils le servaient.

© Copyright AELF – Paris – 1980 – 2006 tous droits réservés

Le démon, le satanisme et autres phénomènes du même genre sont aujourd’hui très actuels et inquiètent fortement notre société. Notre monde technologique et industrialisé est imprégné d’occultisme, de spiritisme et pullule de magiciens, de sorciers, de diseurs d’horoscopes, de vendeurs d’envoûtements, d’amulettes, ainsi que de véritables sectes sataniques. Chassé par la porte, le diable est revenu par la fenêtre. En d’autres termes, chassé par la foi, il est revenu par la superstition. L’

épisode des tentations de Jésus dans le désert, que nous lisons le premier dimanche de carême, nous aide à faire un peu la lumière sur ce thème. Tout d’abord, le démon existe-t-il ? C’est-à-dire, le mot démon renvoie-t-il vraiment à une entité personnelle, dotée d’intelligence et de volonté, ou s’agit-il simplement d’un symbole, d’une manière d’indiquer la somme du mal moral du monde, l’inconscient collectif, l’aliénation collective, etc. ? De nombreuses personnes, parmi les intellectuels, ne croient pas au démon au premier sens du terme. Mais il faut noter de grands écrivains et penseurs, comme Goethe, Dostoïevsky, ont pris très au sérieux l’existence de satan. Baudelaire, qui n’était certes pas un saint, a dit que « la plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas ».

La preuve principale de l’existence du démon dans les Evangiles n’est pas l’un des nombreux épisodes de libération de personnes possédées, car les croyances antiques sur l’origine de certaines maladies peuvent avoir influencé l’interprétation de ces faits. La preuve, c’est Jésus qui est tenté dans le désert par le démon. La preuve, ce sont aussi les nombreux saints qui ont lutté dans la vie contre le prince des ténèbres. Ils ne sont pas des « Don Quichotte » qui ont lutté contre des moulins à vent. C’était au contraire des hommes très concrets, avec une psychologie très saine. Si tant de personnes trouvent absurde de croire au d

émon c’est parce qu’elles se basent sur les livres, parce qu’elles passent leur vie dans les bibliothèques ou à leur bureau, alors que ce ne sont pas les livres qui intéressent le démon mais les personnes, et surtout, précisément, les saints. Que peut savoir sur satan celui qui n’a jamais été confronté à la réalité de satan mais seulement à son idée, c’est-à-dire aux traditions culturelles, religieuses, ethnologiques sur satan ? Celui-ci traite en général ce sujet avec beaucoup d’assurance et de supériorité, en considérant tout comme de « l’obscurantisme médiéval ». Mais ceci est une fausse sécurité. C’est comme celui qui se vanterait de ne pas avoir peur des lions, en donnant comme preuve le fait qu’il a vu beaucoup de peintures et de photographies de lions, et n’a jamais eu peur. D’autre part, il est tout à fait normal et cohérent que celui qui ne croit pas en Dieu ne croit pas au diable. Il serait même tragique qu’une personne qui ne croit pas en Dieu croit au diable !

Cependant, la chose la plus importante que la foi chrétienne a à nous dire n’est pas que le démon existe, mais que le Christ a vaincu le démon. Le Christ et le démon ne sont pas pour les chrétiens deux princes égaux et contraires, comme dans certaines religions dualistes. Jésus est l’unique Seigneur ; satan n’est qu’une créature « qui a mal tourné ». Si un pouvoir sur les hommes lui est accordé, c’est pour que les hommes aient la possibilité de choisir librement un camp et aussi pour « qu’ils ne s’enorgueillissent pas » (cf. 2 Co 12, 7), en se croyant autosuffisants et en croyant ne pas avoir besoin de rédempteur. « Le vieux satan est fou – dit le refrain d’un negro spiritual. Il a tiré un coup de feu pour détruire mon âme, mais il a mal visé et a détruit mon péché ».

Avec le Christ nous n’avons rien à craindre. Rien ni personne ne peut nous faire de mal, si nous ne le voulons pas. Depuis la venue du Christ, satan est comme un chien attaché : il peut aboyer de toutes ses forces et tirer tant qu’il veut sur sa laisse, mais si nous ne nous approchons pas de lui, il ne peut pas mordre. Au désert, Jésus s’est libéré de satan pour nous libérer de satan ! C’est la bonne nouvelle avec laquelle nous entamons notre marche de carême vers Pâques.

Traduit de l’italien par Zenit

P. Cantalamessa : L’espérance fait littéralement des miracles

22 décembre, 2007

du site: 

http://www.zenit.org/article-16919?l=french

P. Cantalamessa : L’espérance fait littéralement des miracles

Homélie du dimanche 23 décembre

ROME, Vendredi 21 décembre 2007 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le commentaire de l’Evangile du dimanche 23 décembre, proposé par le père Raniero Cantalamessa, OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.

Evangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 1, 18-24Voici quelle fut l’origine de Jésus Christ. Marie, la mère de Jésus, avait été accordée en mariage à Joseph ; or, avant qu’ils aient habité ensemble, elle fut enceinte par l’action de l’Esprit Saint.
Joseph, son époux, qui était un homme juste, ne voulait pas la dénoncer publiquement ; il décida de la répudier en secret.
Il avait formé ce projet, lorsque l’ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse : l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; elle mettra au monde un fils, auquel tu donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : Le-Seigneur-sauve), car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. »
Tout cela arriva pour que s’accomplît la parole du Seigneur prononcée par le prophète : Voici que la Vierge concevra et elle mettra au monde un fils, auquel on donnera le nom d’Emmanuel, qui se traduit : « Dieu-avec-nous ».
Quand Joseph se réveilla, il fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit chez lui son épouse.

© Copyright AELF – Paris – 1980 – tous droits réservésVoici quelle fut l’origine de Jésus Christ

Il y a un point commun entre les trois lectures de ce dimanche : elles parlent toutes d’une naissance : « Voici que la jeune femme est enceinte, elle enfantera un fils, et on l’appellera Emmanuel, (c’est-à-dire : Dieu-avec-nous) » (1ère lecture) ; « Jésus Christ… selon la chair… est né de la race de David » (2ème lecture) ; « Voici quelle fut l’origine de Jésus Christ… » (Evangile). Nous pourrions l’appeler, le « Dimanche des naissances » !

Nous ne pouvons pas ne pas nous poser immédiatement la question : pourquoi y a-t-il aussi peu de naissances en Italie et dans d’autres pays occidentaux ? La raison principale de cette faible natalité n’est pas essentiellement économique. Sinon, les naissances devraient augmenter à mesure que l’on se rapproche des couches plus aisées de la société, ou à mesure que l’on remonte du sud vers le nord du monde, alors que nous savons que c’est exactement le contraire.

La raison de cela est plus profonde. C’est le manque d’espérance, avec ce que cela comporte : confiance dans l’avenir, élan vital, créativité, poésie et joie de vivre. Si se marier est toujours un acte de foi, mettre au monde un enfant est toujours un acte d’espérance. Rien ne se fait dans le monde sans espérance. Nous avons besoin de l’espérance comme nous avons besoin de l’oxygène pour respirer. Lorsqu’une personne est sur le point de s’évanouir on crie à ceux qui l’entourent : « Donnez-lui quelque chose de fort à respirer ! ». On devrait faire la même chose avec celui qui est sur le point de se laisser aller, de baisser les bras face à la vie : « Donnez-lui une raison d’espérer ! ». Lorsque dans une situation humaine, l’espérance renaît, tout semble différent, même si en réalité rien n’a changé. L’espérance est une force primordiale. Elle fait littéralement des miracles.

L’Evangile a une chose essentielle à offrir au monde, en ce moment de l’histoire : l’Espérance avec un E majuscule, en tant que vertu théologale, c’est-à-dire qui a pour auteur et garant, Dieu lui-même. Les espérances terrestres (maison, travail, santé, réussite des enfants…), même si elles sont réalisées, déçoivent inexorablement s’il n’y a pas quelque chose de plus profond qui les soutienne et les élève. Regardons ce qui se passe avec la toile d’araignée. La toile d’araignée est une œuvre d’art. Elle a une symétrie, une élasticité, une fonctionnalité parfaites ; elle est bien tendue, horizontalement, de tous les côtés, par des fils. Mais elle est soutenue au centre par un fil qui vient d’en haut, le fil que l’araignée a tissé en descendant. Si l’on endommage l’un des fils latéraux, l’araignée sort, le répare rapidement et retourne à sa place. Mais si vous cassez le fil qui vient d’en haut, tout s’effondre. L’araignée sait qu’il n’y a plus rien à faire et s’éloigne. L’Espérance théologale est, pour notre vie, le fil qui vient d’en haut, celui qui soutient toute la trame de nos espérances.

En ce moment, alors que nous sentons si fortement le besoin d’espérance, la fête de Noël peut représenter une occasion pour inverser la tendance. Souvenons-nous de ce que dit un jour Jésus. « Celui qui accueille un enfant en mon nom, m’accueille ». Ceci vaut pour celui qui accueille un enfant pauvre et abandonné, pour celui qui adopte ou nourrit un enfant du tiers-monde ; mais ceci vaut avant tout pour deux parents chrétiens qui, en s’aimant, dans la foi et l’espérance, s’ouvrent à une vie nouvelle. Je suis sûr que de nombreux couples, pris d’angoisse à l’annonce d’une grossesse, auront ensuite le sentiment de pouvoir faire leurs les paroles de l’oracle d’Isaïe de Noël : « Tu as prodigué l’allégresse, tu as fait grandir la joie… un enfant nous est né, un fils nous a été donné ».

Traduit de l’italien par Gisèle Plantec

Deuxième prédication de l’Avent : Jean Baptiste, « plus qu’un prophète »

16 décembre, 2007

 du site:

 http://www.zenit.org/article-16865?l=french

 

Deuxième prédication de l’Avent : Jean Baptiste, « plus qu’un prophète »

Proposée par le P. Cantalamessa, au pape et à la curie romaine

ROME, Vendredi 14 décembre 2007 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de la deuxième prédication de l’Avent prononcée ce vendredi matin, au Vatican, dans la chapelle Redemptoris Mater, par le P. Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale, en présence du pape et de membres de la curie romaine.

P. Raniero Cantalamessa

Deuxième prédication de l’Avent

JEAN BAPTISTE, « PLUS QU’UN PROPHETE »

La dernière fois, j’ai essayé, en partant du texte de la Lettre aux Hébreux 1, 1-3 de définir l’image de Jésus qui ressort de la confrontation avec les prophètes. Mais entre le temps des prophètes et celui de Jésus, il y a une figure spéciale qui sert de charnière entre les premiers et le second : Jean Baptiste. Rien dans le Nouveau Testament n’éclaire mieux la nouveauté du Christ que la confrontation avec Jean Baptiste.

Le thème de l’accomplissement, du tournant décisif, ressort clairement des textes dans lesquels Jésus lui-même parle de sa relation avec le Précurseur. Les experts reconnaissent aujourd’hui que les déclarations à ce sujet qui figurent dans les Evangiles ne sont ni des inventions ni des adaptations apologétiques de la communauté postérieure à la Pâque, mais remontent essentiellement au Jésus historique. Certaines d’entre elles deviennent même incompréhensibles si on les attribue à la communauté chrétienne posté

rieure (1).Le meilleur moyen d’entrer en harmonie avec la liturgie de l’Avent est d’entreprendre une r

éflexion sur Jésus et Jean Baptiste. La figure et le message du Précurseur sont précisément au coeur de l’Evangile du deuxième et du troisième Dimanche de l’Avent. Il y a une progression dans l’Avent : la première semaine, la voix qui domine est celle du prophète Isaïe qui annonce le Messie de loin ; la deuxième et la troisième semaine, c’est celle de Jean Baptiste qui annonce le Christ présent ; la dernière semaine, le prophète et le Précurseur laissent la place à la Mère qui le porte dans son sein.

Dans cette chapelle, nous avons le Précurseur devant les yeux à deux moments : sur le mur latéral nous le voyons en train de baptiser Jésus, penché sur lui en signe de reconnaissance de sa supériorité ; sur le mur du fond, dans l’attitude de la Deesis

typique de l’iconographie byzantine.

1. Le grand tournant

Le texte le plus complet dans lequel Jésus s’exprime sur sa relation avec Jean Baptiste est le passage de l’Evangile que la liturgie nous fera lire dimanche prochain à la messe. De sa prison, Jean envoie ses disciples demander à Jésus : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » (Mt 11, 2-6 ; Lc 7, 19-23).

Jean a l’impression que la prédication du Maître de Nazareth qu’il avait lui-même baptisé et présenté à Israël, prend une direction bien différente de la direction flamboyante à laquelle il s’attendait. Il prêche davantage la miséricorde présente, offerte à tous, justes et pé

cheurs, que le jugement imminent de Dieu.Le passage le plus significatif de tout le texte est l’

éloge que Jésus fait de Jean Baptiste après avoir répondu à sa question : « Qu’êtes-vous allés voir… ? …Un prophète ? Oui, je vous le dis, et bien plus qu’un prophète… Amen, je vous le dis : Parmi les hommes, il n’en a pas existé de plus grand que Jean Baptiste ; et cependant le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui. Depuis le temps de Jean Baptiste jusqu’à présent, le Royaume des cieux subit la violence, et des violents cherchent à s’en emparer. Tous les Prophètes, ainsi que la Loi, ont parlé jusqu’à Jean. Et, si vous voulez bien comprendre, le prophète Élie qui doit venir, c’est lui. Celui qui a des oreilles, qu’il entende ! » (Mt 11, 11-15).

Une chose apparaît clairement dans ces paroles : entre la mission de Jean Baptiste et celle de Jésus il s’est passé une chose décisive qui représente une ligne de séparation entre deux époques. Le barycentre de l’histoire s’est déplacé : l’élément le plus important ne se trouve plus dans un avenir plus ou moins imminent, mais est « maintenant et ici », dans le royaume qui est déjà à l’œuvre dans la personne du Christ. Un saut de qualité s’est produit entre les deux prédications : le plus petit dans le nouvel ordre est supérieur au plus grand dans l’ordre précé

dent.Ce th

ème de l’accomplissement et du tournant décisif est confirmé dans de nombreux autres passages de l’Evangile. Il suffit de rappeler quelques paroles de Jésus comme : « Il y a ici bien plus que Jonas !… Il y a ici bien plus que Salomon ! » (Mt 12, 41-42). « Mais vous, heureux vos yeux parce qu’ils voient, et vos oreilles parce qu’elles entendent ! Amen, je vous le dis : beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu ! » (Mt 13, 16-17). Toutes celles que l’on a surnommées les « paroles du royaume » – on peut penser à celles du trésor caché et de la perle précieuse – expriment, chaque fois de manière différente, la même idée de fond : avec Jésus, l’heure décisive de l’histoire a sonné, devant lui s’impose la décision dont dépend le salut.

C’est cette constatation qui a amené les disciples de Bultmann a se séparer de leur maître. Bultmann situait Jésus dans le judaïsme, faisant de lui les prémisses du christianisme, pas encore un chrétien ; il attribuait en revanche le grand tournant à la foi de la communauté née après la Pâque. Bornkamm et Conzelmann se sont rendus compte de l’incohérence de cette thèse : le « tournant décisif » est déjà amorcé par la prédication de Jésus. Jean appartient aux « prémisses » et à la préparation, mais avec Jésus on est déjà

dans le temps de l’accomplissement.Dans son livre

« Jésus de Nazareth », le Saint-Père confirme cette conquête de l’exégèse plus sérieuse et mise à jour. Il écrit : « Pour qu’on en vienne à ce choc radical, pour qu’on recoure à l’extrémité qui consistait à livrer Jésus aux Romains, il avait bien fallu que se produise et que se dise quelque chose de dramatique. Ce qu’il y a de scandaleux et de grand se situe justement au commencement, et l’Eglise naissante a dû faire un long chemin pour en mesurer toute la grandeur, pour la saisir progressivement dans un processus de remémoration’ réflexive. [...] Non, ce qu’il y a de grand, de nouveau et de scandaleux est justement le fait de Jésus. Tout cela se développe dans la foi et dans vie de la communauté, mais ce n’est pas là que cela est créé. Oui, la communauté‘ ne se serait pas d’abord constituée et n’aurait pas survécu, si une réalité extraordinaire ne l’avait pas précédée » (2).

Dans la théologie de Luc il est évident que Jésus occupe « le centre du temps ». Par sa venue il a divisé l’histoire en deux parties, créant un « avant » et un « après » absolus. Aujourd’hui est en train de s’affirmer, surtout dans la presse laïque, l’habitude d’abandonner la manière traditionnelle de dater les événements « avant Jésus Christ » ou « après Jésus Christ » (ante Christum natum e post Christum natum)

, en faveur de la formule plus neutre « avant l’ère vulgaire » et « de l’ère vulgaire ». Il s’agit d’un choix motivé par le désir de ne pas heurter la sensibilité des peuples d’autres religions qui utilisent la chronologie chrétienne ; en ce sens, elle est à respecter, mais pour les chrétiens le rôle « discriminant » de la venue du Christ pour l’histoire religieuse de l’humanité reste incontesté.

2. Il vous baptisera dans l’Esprit Saint

Maintenant, comme toujours, nous allons partir de la certitude exégétique et théologique mise en lumière pour en venir à notre vie aujourd’hui.

La comparaison entre Jean Baptiste et Jésus est cristallisée dans le Nouveau Testament par la comparaison entre le baptême de l’eau et le baptême de l’Esprit. « Moi, je vous ai baptisés avec de l’eau, mais lui vous baptisera avec l’Esprit Saint » (Mc 1, 8 ; Mt 3, 11 ; Lc 3, 16). « Et moi, je ne le connaissais pas, dit Jean Baptiste dans l’Evangile de Jean, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, celui-là m’avait dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint’ » (Jn 1, 33). Et Pierre, chez Corneille : « Je me suis alors rappelé cette parole du Seigneur. Jean, disait-il, a baptisé avec de l’eau mais vous, vous serez baptisés dans l’Esprit Saint »

(Ac 11, 16).Que signifie affirmer que J

ésus est celui qui baptise dans l’Esprit Saint ? Cette expression ne sert pas seulement à différencier le baptême de Jésus de celui de Jean ; elle sert aussi à distinguer toute la personne et l’œuvre du Christ de celles de son Précurseur. En d’autres termes, dans toute son œuvre, Jésus est celui qui baptise dans l’Esprit Saint. Baptiser a ici un sens métaphorique ; cela signifie inonder, envelopper de toutes parts, comme fait l’eau avec les corps qui y sont immergés.

Jésus « baptise dans l’Esprit Saint » dans le sens où il reçoit et donne l’Esprit « sans mesure » (cf. Jn 3, 34), qui « répand » son Esprit (Ac 2, 33) sur toute l’humanité rachetée. Cette expression se réfère davantage à l’événement de la Pentecôte qu’au sacrement du baptême. « Jean, lui, a baptisé avec de l’eau, mais vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés sous peu de jours » (Ac 1, 5), dit Jésus aux apôtres, en faisant bien sûr référence à la Pentecô

te qui allait avoir lieu quelques jours plus tard.L’expression

« baptiser dans l’Esprit » définit donc l’œuvre essentielle du Messie qui, déjà dans les prophètes de l’Ancien Testament se présente comme orientée à régénérer l’humanité à travers une grande et universelle effusion de l’Esprit de Dieu (cf. Jl 3, 1 ss.). Si nous appliquons tout cela à la vie et au temps de l’Eglise, nous devons conclure que Jésus ressuscité ne baptise pas dans l’Esprit Saint uniquement à travers le sacrement du baptême mais, de manière différente, également à d’autres moments : dans l’Eucharistie, dans l’écoute de la Parole, et, en général, à travers tous les moyens de grâce.

Saint Thomas d’Aquin écrit : « Il y a une mission invisible de l’Esprit chaque fois que s’accomplit un progrès dans la vertu ou une augmentation de grâce… ; lorsque quelqu’un passe à une nouvelle activité ou à un nouvel état de grâce » (3). La liturgie même de l’Eglise enseigne cela. Toutes ses prières et ses hymnes à l’Esprit Saint commencent par le cri : « Viens ! » : « Viens Esprit Créateur », « Viens, Esprit Saint ». Et pourtant, celui qui prie ainsi a déjà reçu une fois l’Esprit. Cela signifie que l’Esprit est quelque chose que nous avons reçu et que nous devons recevoir toujours à nouveau.

3. L’effusion de l’Esprit

Dans ce contexte il faut évoquer ce que l’on a appelé le « baptême de l’Esprit », une expérience vécue depuis un siècle par des millions de croyants de presque toutes les dénominations chrétiennes. Il s’agit d’un rite fait de gestes d’une grande simplicité, accompagnés par des dispositions de repentir et de foi dans la promesse du Christ : « Le Père donnera l’Esprit Saint à ceux qui l’en prient ».

Il s’agit d’un renouvellement et d’une activation, non seulement du baptême et de la confirmation mais de tous les événements de grâce de notre état : ordination sacerdotale, profession religieuse, mariage. La personne intéressée s’y prépare, à travers une bonne confession mais aussi en participant à des rencontres de catéchèse, dans lesquelles il redécouvre de manière vivante et joyeuse les principales vérités et réalités de la foi : l’amour de Dieu, le péché

, le salut, la vie nouvelle, la transformation dans le Christ, les charismes, les fruits de l’Esprit. Le tout dans un climat de profonde communion fraternelle.Parfois en revanche, tout se passe de mani

ère spontanée, en dehors de tout plan précis, et on est comme « surpris » par l’Esprit. Un homme a donné ce témoignage : « J’étais dans l’avion et je lisais le dernier chapitre d’un livre sur l’Esprit Saint. A un moment donné, c’est comme si l’Esprit Saint était sorti des pages du livre et était entré dans mon corps. Les larmes commencèrent à ruisseler de mes yeux. Je me mis à prier. J’étais submergé par une force qui me dépassait totalement » (4).

L’effet le plus courant de cette grâce est que l’Esprit Saint, qui était un objet de foi intellectuelle plus ou moins abstrait, devient un fait d’expérience. Karl Rahner a écrit : « On ne peut nier que l’homme puisse faire ici-bas des expériences de grâce, qui lui donnent un sentiment de libération, lui ouvrent des horizons complètement nouveaux, s’impriment profondément en lui, le transforment, et façonnent, même pour longtemps, son comportement chrétien le plus profond. Rien n’interdit d’appeler ces expériences effusion de l’Esprit »

(5).A travers ce que l’on appelle justement

« effusion de l’Esprit » [littéral. « baptême de l’Esprit », ndlr] on fait l’expérience de l’onction de l’Esprit Saint dans la prière, de sa puissance dans le ministère pastoral, de son réconfort dans l’épreuve, de sa présence comme guide dans les choix. Avant même de le percevoir dans la manifestation des charismes, on le perçoit comme Esprit qui transforme intérieurement, donne le goût de la louange de Dieu, ouvre l’esprit à la compréhension des Ecritures, enseigne à proclamer Jésus « Seigneur » et donne le courage d’assumer des tâches nouvelles et difficiles, au service de Dieu et de son prochain.

Cette année, c’est le quarantième anniversaire de la retraite qui marqua, en 1967, la naissance du Renouveau charismatique dans l’Eglise catholique que l’on estime avoir touché, en quelques années, pas moins de quatre-vingts millions de catholiques. Voici comment l’une des personnes présentes à cette première retraite décrivait les effets de l’effusion de l’Esprit :

« Notre foi est devenue vive : notre croyance est devenue une sorte de connaissance. À l’improviste, le surnaturel est devenu plus réel que le naturel. En bref, Jésus est devenu une personne vivante pour nous… La prière et les sacrements sont vraiment devenus notre pain quotidien et non plus de pieuses pratiques’. Un amour pour les Écritures que je n’aurais jamais cru possible, une transformation de nos relations avec les autres, un besoin et une force de témoigner au-delà de toute attente ; tout cela fait maintenant partie de notre vie. L’expérience initiale du baptême dans l’Esprit ne nous a pas donné une émotion extérieure particulière mais la vie s’est remplie de calme, de confiance, de joie et de paix… Nous avons chanté le Veni creator Spiritus avant chaque rencontre, en prenant au sérieux ce que nous disions et nous n’avons pas été déçus… Nous avons aussi été inondés de charismes et tout cela nous a mis dans une parfaite atmosphère œcuménique » (6).

Nous voyons tous clairement que ce sont précisément les choses dont l’Eglise a le plus besoin aujourd’hui pour annoncer l’Evangile à un monde devenu réfractaire à la foi et au surnaturel. Il n’est pas dit que tous soient appelés à faire l’expérience de la grâce d’une nouvelle Pentecôte de cette manière. Cependant, nous sommes tous appelés à ne pas rester en dehors de ce « courant de grâce » qui traverse l’Eglise de l’après Concile. Jean XXIII parla, à son époque, d’une « nouvelle Pentecôte » ; Paul VI est allé plus loin et a parlé d’une « perpétuelle Pentecôte », d’une Pentecôte continuelle. Cela vaut la peine de réentendre les paroles qu’il prononça au cours d’une audience générale :

« Nous nous sommes demandés souvent [...] quel est le besoin premier et dernier pour notre Église bénie et très chère [...]. Nous devons le dire, presque anxieux et en priant parce que c’est son mystère et sa vie, vous le savez : l’Esprit, l’Esprit-Saint, animateur et sanctificateur de l’Église, son souffle divin, le vent de ses voiles, son principe unificateur, sa source intérieure de lumière et de force, son soutien et son consolateur, sa source de charismes et de chants, sa paix et sa joie, son gage et son prélude de vie bienheureuse et éternelle (cf. Lumen gentium, 5). L’Église a besoin de sa perpétuelle Pentecôte ; elle a besoin de feu dans le cœur, de parole sur les lèvres, de prophétie dans le regard [...] L’Église a besoin d’acquérir de nouveau l’anxiété, le goût, la certitude de sa vérité » (7).

Le philosophe Heidegger concluait son analyse de la société par un cri d’alarme : « Seul un dieu peut nous sauver ». Ce Dieu qui peut nous sauver, et qui nous sauvera, nous chrétiens, le connaissons : c’est l’Esprit Saint ! L’aromathérapie est aujourd’hui très à la mode. Il s’agit de l’utilisation des huiles essentielles, qui distillent un parfum, pour maintenir en forme ou pour soigner certains troubles. Internet est rempli d’annonces pour l’aromathérapie. Celles-ci ne se limitent pas à promettre un bien-être physique comme soigner le stress ; il y a aussi les « parfums de l’âme », par exemple le parfum pour obtenir « la paix intérieure »

.Les m

édecins invitent à se méfier de cette pratique qui n’est pas prouvée scientifiquement et qui comporte même dans certains cas, des contre-indications, mais, ce que je veux dire, c’est qu’il existe une aromathérapie sûre, infaillible, qui ne comporte aucune contre-indication : celle qui est faite avec l’arôme spécial, le « saint chrême de l’âme » qui est l’Esprit Saint ! Saint Ignace d’Antioche a écrit : « Le Seigneur a reçu sur la tête une onction parfumée (myron) pour répandre l’incorruptibilité sur l’Eglise » (8). Nous ne pourrons être à notre tour « la bonne odeur du Christ » dans le monde (2 Co 2, 15) que si nous recevons cet « arôme ».

L’Esprit Saint est avant tout un spécialiste des maladies du mariage et de la famille, qui sont les grands malades d’aujourd’hui. Le mariage consiste à se donner l’un à l’autre, c’est le sacrement du don. L’Esprit Saint est le don devenu personne ; c’est le don du Père au Fils et du Fils au Père. Là où il arrive renaît la capacité de se donner et avec elle la joie et la beauté de vivre ensemble, pour les époux. L’amour de Dieu qu’il « répand dans nos cœurs » ravive toutes les autres expressions d’amour et en premier lieu l’amour conjugal. L’Esprit Saint peut véritablement faire de la famille « la principale agence de paix », comme la définit le Saint-Père dans le message pour la prochaine Journé

e mondiale de la paix.Il existe de nombreux exemple de mariages morts, ressuscit

és à une vie nouvelle par l’action de l’Esprit. Précisément ces jours-ci, j’ai recueilli le témoignage émouvant d’un couple que je pense faire écouter lors de mon émission télévisée sur l’Evangile pour la fête du baptême de Jésus…

L’Esprit ravive naturellement aussi la vie des consacrés qui consiste à faire de sa vie un don et une oblation d’ « agréable odeur » à Dieu pour ses frères (cf. Ep 5, 2).

4. La nouvelle prophétie de Jean Baptiste

Revenons à Jean Baptiste. Il peut nous éclairer sur la manière d’accomplir notre tâche prophétique dans le monde d’aujourd’hui. Jésus définit Jean Baptiste « plus qu’un prophète », mais où est la prophétie dans son cas ? Les prophètes annonçaient un salut à venir ; mais le Précurseur n’annonce pas un salut à venir ; il indique un salut qui est présent. Dans quelle mesure peut-on alors l’appeler prophète ? Isaïe, Jérémie, Ezéchiel, aidaient le peuple à dépasser la barrière du temps ; Jean Baptiste aide le peuple à dépasser la barrière, plus grande encore, des apparences contraires, du scandale, de la banalité et de la pauvreté avec lesquelles l’heure fatidique se manifeste.

Il est facile de croire à quelque chose de grandiose, de divin, lorsqu’il se projette dans un avenir indéfini : « en ces jours », « les derniers jours », dans un cadre cosmique, avec les cieux qui distillent la douceur et la terre qui s’ouvre pour faire germer le Sauveur. C’est plus difficile quand on doit dire : « Le voici ! Il est là ! C’est lui ! »

.Par les paroles :

« Au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas ! » (Jn 1, 26), Jean Baptiste a inauguré la nouvelle prophétie, celle du temps de l’Eglise, qui ne consiste pas à annoncer un salut à venir et lointain, mais à révéler la présence cachée du Christ dans le monde, à arracher le voile qui se trouve devant les yeux des personnes, à secouer leur indifférence, en répétant avec Isaïe : « Voici que je vais faire une chose nouvelle, déjà elle pointe, ne la reconnaissez-vous pas ? » (cf. Is 43, 19).

Il est vrai que vingt siècles se sont écoulés depuis et nous savons sur Jésus beaucoup plus de choses que Jean. Mais le scandale demeure. Au temps de Jean le scandale venait du corps physique

de Jésus, de sa chair si semblable à la nôtre, à l’exception du péché. Aujourd’hui encore, c’est son corps, sa chair qui présente des difficultés et qui scandalise : son corps mystique, si semblable au reste de l’humanité, y compris, malheureusement, le péché.

« Le témoignage de Jésus – lit-on dans l’Apocalypse – c’est l’esprit de prophétie » (Ap 19, 10), c’est-à-dire que pour rendre témoignage à Jésus il faut un esprit de prophétie. Cet esprit de prophétie existe-t-il dans l’Eglise ? Le cultive-t-on ? L’encourage-t-on ? Ou croit-on, tacitement, pouvoir s’en passer, en misant davantage sur les moyens et les talents humains ?

Jean Baptiste nous enseigne que pour être prophète, une grande doctrine et une grande éloquence ne sont pas nécessaires. Ce n’est pas un grand théologien ; il a une christologie pauvre et rudimentaire. Il ne connaît pas encore les titres les plus élevés de Jésus : Fils de Dieu, Verbe, ni même celui de Fils de l’homme. Et pourtant, il réussit à transmettre la grandeur et l’unicité du Christ ! Il utilise des images extrêmement simples, des images de paysan. « Je ne suis pas digne de lui retirer ses sandales ». Le monde et l’humanité apparaissent, à travers ses paroles, comme contenus dans un crible que lui, le Messie, tient et secoue dans ses mains. Devant lui se dé

cide qui reste et qui tombe, qui est le bon grain et qui est l’ivraie que le vent disperse.En 1992 a eu lieu une retraite sacerdotale

à Monterrey au Mexique, à l’occasion des 500 ans de la première évangélisation de l’Amérique latine. Environ 70 évêques et 1700 prêtres étaient présents. Au cours de l’homélie de la messe de clôture, j’avais parlé du besoin urgent de prophétie qui existe dans l’Eglise. Après la communion il y a eu une prière pour une nouvelle Pentecôte en petits groupes répartis dans la grande basilique. J’étais resté dans le chœur. A un moment donné, un jeune prêtre s’est approché de moi en silence, s’est agenouillé devant moi et avec un regard que je n’oublierai jamais il m’a dit : « Bendígame, Padre, quiero ser profeta de Dios! » (Bénissez-moi, Père, je veux être un prophète de Dieu). J’ai été saisi car je voyais qu’il était manifestement touché par la grâce.Nous pourrions humblement faire nôtre le désir de ce prêtre : « Je veux être un prophète de Dieu ». Petit, inconnu de tous, peu importe, mais un prophète qui, comme le disait Paul VI, a « le feu dans le coeur, la parole sur les lèvres, la prophétie dans le regard ».

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NOTES

(1) Cf. J. D.G. Dunn, Christianity in the Making, I. Jesus remembered, Grand Rapids. Mich. 2003, parte III, cap. 12, trad. ital. Gli albori del Cristianesimo, I, 2, Paideia, Brescia 2006, pp. 485-496.

(2) Benoît XVI, Jésus de Nazareth

, Flammarion 2007, p. 352(3) S. Tommaso d’Aquino,

Somma teologica, I,q. 43, a. 6, ad 2.; cf. F. Sullivan, in Dict.Spir. 12, 1045.

(4) In « New Covenant »(Ann Arbor, Michigan), Giugno 1984, p.12.

(5) K. Rahner, Erfahrung des Geistes. Meditation auf Pfingsten, Herder, Freiburg i. Br. 1977.

(6) Témoignage rapporté dans P. Gallagher Mansfield, As by a New Pentecost

, Steubenville. (7) Discours lors de l’audience g

énérale du 29 novembre 1972, Paul VI

(8) S. Ignazio d’Antiochia, Agli Efesini

17.

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Traduit de l’italien par Gisèle Plantec/J.M. Coulet

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