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OBSÈQUES DU SOUVERAIN PONTIFE JEAN-PAUL II (8 avril 2005) – HOMÉLIE DU CARD. JOSEPH RATZINGER

8 avril, 2015

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OBSÈQUES DU SOUVERAIN PONTIFE JEAN-PAUL II (8 avril 2005)

HOMÉLIE DU CARD. JOSEPH RATZINGER

Place Saint-Pierre

Vendredi 8 avril 2005

«Suis-moi», dit le Seigneur ressuscité à Pierre; telle est sa dernière parole à ce disciple, choisi pour paître ses brebis. «Suis-moi» – cette parole lapidaire du Christ peut être considérée comme la clé pour comprendre le message qui vient de la vie de notre regretté et bien-aimé Pape Jean-Paul II, dont nous déposons aujourd’hui le corps dans la terre comme semence d’immortalité – avec le cœur rempli de tristesse, mais aussi de joyeuse espérance et de profonde gratitude.
Tels sont les sentiments qui nous animent, Frères et Sœurs dans le Christ, présents sur la place Saint Pierre, dans les rues adjacentes et en divers autres lieux de la ville de Rome, peuplée en ces jours d’une immense foule silencieuse et priante. Je vous salue tous cordialement. Au nom du Collège des Cardinaux, je désire aussi adresser mes salutations respectueuses aux Chefs d’État, de Gouvernement et aux délégations des différents pays. Je salue les Autorités et les Représentants des Églises et des Communautés chrétiennes, ainsi que des diverses religions. Je salue ensuite les Archevêques, les Évêques, les prêtres, les religieux, les religieuses et les fidèles, venus de tous les continents; et de façon particulière les jeunes, que Jean-Paul II aimait définir comme l’avenir et l’espérance de l’Église. Mon salut rejoint également tous ceux qui, dans chaque partie du monde, nous sont unis par la radio et la télévision, dans cette participation unanime au rite solennel d’adieu à notre Pape bien-aimé.
Suis-moi – depuis qu’il était jeune étudiant Karol Wojtyła s’enthousiasmait pour la littérature, pour le théâtre, pour la poésie. Travaillant dans une usine chimique, entouré et menacé par la terreur nazie, il a entendu la voix du Seigneur: Suis-moi! Dans ce contexte très particulier il commença à lire des livres de philosophie et de théologie, il entra ensuite au séminaire clandestin créé par le Cardinal Sapieha et, après la guerre, il put compléter ses études à la faculté de théologie de l’université Jagellon de Cracovie. Très souvent, dans ses lettres aux prêtres et dans ses livres autobiographiques, il nous a parlé de son sacerdoce, lui qui fut ordonné prêtre le 1er novembre 1946. Dans ces textes, il interprète son sacerdoce en particulier à partir de trois paroles du Seigneur. Avant tout celle-ci: «Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis afin que vous partiez, que vous donniez du fruit, et que votre fruit demeure» (Jn 15, 16). La deuxième parole est celle-ci: «Le vrai berger donne sa vie pour ses brebis» (Jn 10, 11). Et finalement: «Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour» (Jn 15, 9). Dans ces trois paroles, nous voyons toute l’âme de notre Saint-Père. Il est réellement allé partout, et inlassablement, pour porter du fruit, un fruit qui demeure. «Levez-vous, allons!», c’est le titre de son avant-dernier livre. «Levez-vous, allons!» – par ces paroles, il nous a réveillés d’une foi fatiguée, du sommeil des disciples d’hier et d’aujourd’hui. «Levez-vous, allons!» nous dit-il encore aujourd’hui. Le Saint-Père a été ensuite prêtre jusqu’au bout, parce qu’il a offert sa vie à Dieu pour ses brebis, et pour la famille humaine tout entière, dans une donation de soi quotidienne au service de l’Église et surtout dans les épreuves difficiles de ces derniers mois. Ainsi, il s’est uni au Christ, le bon pasteur qui aime ses brebis. Et enfin, «demeurez dans mon amour»: le Pape, qui a cherché la rencontre avec tous, qui a eu une capacité de pardon et d’ouverture du cœur pour tous, nous dit, encore aujourd’hui, avec ces différentes paroles du Seigneur: en demeurant dans l’amour du Christ nous apprenons, à l’école du Christ, l’art du véritable amour.
Suis-moi! En juillet 1958, commence pour le jeune prêtre Karol Wojtyła une nouvelle étape sur le chemin avec le Seigneur et à la suite du Seigneur. Karol s’était rendu comme d’habitude avec un groupe de jeunes passionnés de canoë aux lacs Masuri pour passer des vacances avec eux. Mais il portait sur lui une lettre qui l’invitait à se présenter au Primat de Pologne, le Cardinal Wyszyński et il pouvait deviner le but de la rencontre: sa nomination comme évêque auxiliaire de Cracovie. Laisser l’enseignement académique, laisser cette communion stimulante avec les jeunes, laisser le grand combat intellectuel pour connaître et interpréter le mystère de la créature humaine, pour rendre présent dans le monde d’aujourd’hui l’interprétation chrétienne de notre être – tout cela devait lui apparaître comme se perdre soi-même, perdre précisément ce qui était devenu l’identité humaine de ce jeune prêtre. Suis-moi – Karol Wojtyła accepta, entendant la voix du Christ dans l’appel de l’Église. Et il a compris ensuite jusqu’à quel point était vraie la parole du Seigneur: «Qui cherchera à conserver sa vie la perdra. Et qui la perdra la sauvegardera» (Lc 17, 33). Notre Pape – nous le savons tous – n’a jamais voulu sauvegarder sa propre vie, la garder pour lui; il a voulu se donner lui-même sans réserve, jusqu’au dernier instant, pour le Christ et de ce fait pour nous aussi. Il a fait ainsi l’expérience que tout ce qu’il avait remis entre les mains du Seigneur lui était restitué de manière nouvelle. Son amour du verbe, de la poésie, des lectures, fut une part essentielle de sa mission pastorale et a donné une nouvelle fraîcheur, une nouvelle actualité, un nouvel attrait à l’annonce de l’Évangile, même lorsque ce dernier est signe de contradiction.
Suis-moi ! En octobre 1978, le Cardinal Wojtyła entendit de nouveau la voix du Seigneur. Se renouvelle alors le dialogue avec Pierre, repris dans l’Évangile de cette célébration: «Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? Sois le pasteur de mes brebis !» À la question du Seigneur, Karol, m’aimes-tu ? l’Archevêque de Cracovie répond du plus profond de son cœur: «Seigneur, tu sais tout: tu sais bien que je t’aime». L’amour du Christ fut la force dominante de notre bien-aimé Saint-Père; ceux qui l’ont vu prier, ceux qui l’ont entendu prêcher, le savent bien. Ainsi, grâce à son profond enracinement dans le Christ, il a pu porter une charge qui est au-delà des forces purement humaines: être le pasteur du troupeau du Christ, de son Église universelle. Ce n’est pas ici le moment de parler des différents aspects d’un pontificat aussi riche. Je voudrais seulement relire deux passages de la liturgie de ce jour, dans lesquels apparaissent des éléments centraux qui l’annoncent. Dans la première lecture, saint Pierre nous dit – et le Pape le dit aussi avec saint Pierre: «En vérité, je le comprends: Dieu ne fait pas de différence entre les hommes; mais, quelle que soit leur race, il accueille les hommes qui l’adorent et qui font ce qui est juste. Il a envoyé la Parole aux fils d’Israël, pour leur annoncer la paix par Jésus Christ : c’est lui, Jésus, qui est le Seigneur de tous» (Ac 10, 34-36). Et, dans la deuxième lecture, – saint Paul, et avec saint Paul notre Pape défunt – nous exhorte à haute voix : «Mes frères bien-aimés que je désire tant revoir, vous, ma joie et ma récompense; tenez bon dans le Seigneur, mes bien-aimés» (Ph 4, 1).
Suis-moi ! En même temps qu’il lui confiait de paître son troupeau, le Christ annonça à Pierre son martyre. Par cette parole qui conclut et qui résume le dialogue sur l’amour et sur la charge de pasteur universel, le Seigneur rappelle un autre dialogue, qui s’est passé pendant la dernière Cène. Jésus avait dit alors : «Là où je m’en vais, vous ne pouvez pas y aller». Pierre lui dit : «Seigneur, où vas-tu ?». Jésus lui répondit : « Là où je m’en vais, tu ne peux pas me suivre pour l’instant; tu me suivras plus tard» (Jn 13, 33.36). Jésus va de la Cène à la Croix, et à la Résurrection – il entre dans le mystère pascal; Pierre ne peut pas encore le suivre. Maintenant – après la Résurrection – ce moment est venu, ce «plus tard». En étant le Pasteur du troupeau du Christ, Pierre entre dans le mystère pascal, il va vers la Croix et la Résurrection. Le Seigneur le dit par ces mots, «Quand tu étais jeune … tu allais où tu voulais, mais quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller» (Jn 21, 18). Dans la première période de son pontificat, le Saint-Père, encore jeune et plein de force, allait, sous la conduite du Christ, jusqu’aux confins du monde. Mais ensuite il est entré de plus en plus dans la communion aux souffrances du Christ, il a compris toujours mieux la vérité de ces paroles: «C’est un autre qui te mettra ta ceinture …». Et vraiment, dans cette communion avec le Seigneur souffrant, il a annoncé infatigablement et avec une intensité renouvelée l’Évangile, le mystère de l’amour qui va jusqu’au bout (cf. Jn 13, 1).
Il a interprété pour nous le mystère pascal comme mystère de la Divine miséricorde. Il écrit dans son dernier livre la limite imposée au mal «est en définitive la Divine miséricorde» (Mémoire et identité, p. 71). Et en réfléchissant sur l’attentat, il affirme : «En souffrant pour nous tous, le Christ a conféré un sens nouveau à la souffrance, il l’a introduite dans une nouvelle dimension, dans un nouvel ordre: celui de l’amour [...]. C’est la souffrance qui brûle et consume le mal par la flamme de l’amour et qui tire aussi du péché une floraison multiforme de bien» (ibid., p. 201-202).
Animé par cette perspective, le Pape a souffert et aimé en communion avec le Christ et c’est pourquoi le message de sa souffrance et de son silence a été si éloquent et si fécond.
Divine miséricorde : le Saint-Père a trouvé le reflet le plus pur de la miséricorde de Dieu dans la Mère de Dieu. Lui, qui tout jeune avait perdu sa mère, en a d’autant plus aimé la Mère de Dieu. Il a entendu les paroles du Seigneur crucifié comme si elles lui étaient personnellement adressées: «Voici ta Mère». Et il a fait comme le disciple bien-aimé : il l’a accueillie au plus profond de son être (eis ta idia : Jn 19, 27) – Totus tuus. Et de cette Mère il a appris à se conformer au Christ.
Pour nous tous demeure inoubliable la manière dont en ce dernier dimanche de Pâques de son existence, le Saint-Père, marqué par la souffrance, s’est montré encore une fois à la fenêtre du Palais apostolique et a donné une dernière fois la Bénédiction Urbi et Orbi. Nous pouvons être sûrs que notre Pape bien-aimé est maintenant à la fenêtre de la maison du Père, qu’il nous voit et qu’il nous bénit. Oui, puisses-tu nous bénir, Très Saint Père, nous confions ta chère âme à la Mère de Dieu, ta Mère, qui t’a conduit chaque jour et te conduira maintenant à la gloire éternelle de son Fils, Jésus Christ, notre Seigneur. Amen.

DISCOURS AU PRÉSIDENT D’IRLANDE, S.E.M. PATRICK J. HILLERY* (1989)

16 mars, 2015

http://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/speeches/1989/april/documents/hf_jp-ii_spe_19890420_pres-rep-irlanda.html

DISCOURS AU PRÉSIDENT D’IRLANDE, S.E.M. PATRICK J. HILLERY*

20 avril 1989

Monsieur le Président,

(en gaélique) «Soyez cent mille fois le bienvenu au Vatican».

1. J’ai le grand plaisir de vous accueillir ici aujourd’hui et, par votre intermédiaire, d’adresser mes chaleureuses salutations au peuple irlandais bien-aimé qui occupe incontestablement une place particulière dans le cœur du successeur de l’apôtre Pierre. Dans le dessein de Dieu envers son Église, la prédication de saint Patrick aux Irlandais apparaît comme une des illustrations les plus extraordinaires de l’Évangile, comparable au semeur qui est sorti pour aller semer. Des grains sont tombés sur la bonne terre et ont donné de nombreux fruits (cf. Mt 13, 8). La contribution particulière que l’Irlande a apportée à l’évangélisation de l’Europe et au développement de la culture européenne, ainsi qu’à l’expansion missionnaire mondiale de l’Église en des temps plus récents, a créé des liens sacrés entre votre pays et le Saint-Siège.
Au cours de mon inoubliable visite de 1979, j’ai expérimenté personnellement la profondeur de cette «union de charité entre l’Irlande et la Sainte Église romaine» (Homélie au Phoenix Park, 29 septembre 1979). En raison de tout ceci, j’ai considéré ma visite comme «une grande dette envers Jésus-Christ, qui est le Seigneur de l’histoire et l’auteur de notre salut» (Ibid.). Notre rencontre de ce jour est une reconnaissance solennelle et une célébration joyeuse de cette authentique amitié qui, pour ma part, embrasse tout le peuple d’Irlande, sans oublier ceux qui suivent d’autres traditions religieuses.
2. L’Irlande moderne fut fondée selon la vision d’une société capable de répondre aux aspirations les plus profondes de son peuple et d’assurer le respect de la dignité et des droits de tous ses citoyens. Cette vision est liée au désir ardent et incessant d’une réalisation effective des valeurs chrétiennes et humaines les plus profondes qui n’ont jamais cessé de résonner dans les esprits et les cœurs des Irlandais. L’Irlande peut certainement être fière des progrès réalisés. Les difficultés – même très sérieuses – n’ont pas manqué, mais elle est, dans son ensemble. Une société chaleureuse et bienveillante, sûre du rôle de la loi et enracinée dans les idéaux les plus élevés de justice, de liberté et de paix.
Dans le forum international, l’Irlande occupe une place d’une importance particulière. Des millions de personnes vivant dans d’autres parties du monde font remonter leurs origines à ce pays et un grand nombre d’Irlandais et d’Irlandaises de l’Église, ainsi que des volontaires dans les activités sociales et de développement, œuvrent dans presque tous les coins de la terre. Il faut également souligner le fait que votre pays s’est efforcé d’être un partenaire engagé et actif dans les organisations telles que les Nations Unies et la Communauté européenne.
Vous-même, en qualité de Ministre des affaires étrangères, avec négocié l’entrée de l’Irlande dans la Communauté européenne et avez servi comme Vice-Président de la Commission des Communautés européennes en assumant une responsabilité particulière pour les affaires sociales. J’ai noté, d’après la lecture de Jean Monet, que l’an dernier, vous avez transmis à l’Institut de l’Université européenne la profondeur de votre engagement personnel à l’idéal d’une communauté européenne commune qui tient compte en même temps de la richesse de ses différentes cultures et de l’unicité de l’histoire de chaque peuple. La voix de l’Irlande en Europe et dans le monde est particulièrement adaptée pour être une voix d’amitié, de bonne volonté et de paix. L’Irlande peut contribuer à la sagesse d’une réflexion calme et impartiale sur les leçons de l’histoire, une réflexion menée dans le contexte du profond humanisme chrétien qui est son ethos le plus authentique.
3. Comme vous le savez, Excellence, dans la basilique Saint-Pierre, se trouve une chapelle dédiée, au grand saint irlandais saint Colomban. La mosaïque derrière l’autel montre Colomban et ses disciples en tant que «pelegrinantes pro Christo», ambassadeurs et messagers de l’Évangile du Christ. Que de fois ce rôle n’a-t-il pas été réitéré par des Irlandais et des Irlandaises qui ont été et continuent d’être des témoins du Christ dans chaque continent! La mosaïque porte cette inscription: «Si tollis libertatem tollis dignitatem» – si vous enlevez la liberté à l’homme, vous détruisez sa dignité (Lettre n. 4, A. Attala, in S. Columbani Opera, Dublin 1957, p. 34). La phrase peut avoir été prononcée non seulement par saint Colomban au début du 7ème siècle, mais aussi par l’un de vos patriotes ou par un contemporain qui considère le monde et s’aperçoit avec regret et tristesse que tous les peuples ne sont pas vraiment libres. En plus des anciennes oppressions, les sociétés modernes sont exposées à de nouvelles formes de sujétion. Ces nouveaux esclavages sont particulièrement destructeurs de la dignité humaine.
C’est ce que j’avais à l’esprit pendant ma visite en Irlande, il y a dix ans, lorsque j’ai parlé d’une confrontation de valeurs et de tendances étrangères à la société irlandaise. Les sociétés avancées voient trop souvent les principes les plus sacrés «minés par de faux semblants» (cf. Homélie au Phoenix Park, n. 3). L’égoïsme prend la place du courage moral et de la solidarité. La propre valeur est alors mesurée en termes d’avoir, non d’être. Par conséquent, se crée un climat composé de petites et grandes in justices, et d innombrables formes de violence. Ce qui est accepté comme véritable liberté n’est en réalité qu’une nouvelle forme d’esclavage.
Dans de telles circonstances, les paroles conservées dans la chapelle de saint Colomban retentissent comme un écho dans toute leur sagesse et leur avertissement: si la véritable liberté – la disposition à choisir le bien et la vérité – est perdue, alors la dignité, la valeur et les droits inaliénables de la personne sont menacés. L’Irlande possède les ressources spirituelles et humaines pour poursuivre la voie du véritable développement qui doit respecter et encourager toutes les dimensions de la personne humaine, dans l’exercice d’une solidarité juste et généreuse, spécialement envers les membres les plus faibles de la société. Je sais, Excellence, que vous partagez cet intérêt et cette conviction. Je puis vous assurer que ma prière fréquente pour vos concitoyens reflète la confiance que l’Irlande réussira à relever ce défi.
4. Comme pays, l’Irlande se tient fermement du côté de la paix et les Irlandais chérissent la paix dans leurs cœurs. Cependant, la vie de toute l’île est bouleversée par le climat de mort, d’intimidation et de violence qui a causé tant de souffrances aux deux communautés dans le nord de l’Irlande au cours de ces vingt dernières années. Ce type de violence qui est perpétré dans l’Irlande du Nord n’offre aucune solution aux problèmes réels de la société. Ce n’est pas la méthode qui a été choisie démocratiquement par le peuple, de chaque côté. Elle n’offre aucune vérité capable d’attirer et de convaincre les esprits et les cœurs des personnes. Son seul argument est la terreur et la destruction qu’elle engendre.
Seule l’authentique bonne volonté de s’engager dans le dialogue et des gestes courageux de réconciliation vont au cœur même des causes sous-jacentes de la complexe situation actuelle de conflit. Comme je l’ai écrit dans le Message de cette année pour la Journée mondiale de la paix, là où cohabitent des communautés marquées par différentes origines ethniques, traditions culturelles ou croyances religieuses, chacune a droit à son identité collective qui doit être protégée et encouragée (cf n.3). En même temps, toutes doivent examiner consciencieusement la légitimité de leurs revendications à la lumière de la vérité qui inclue développements historiques et réalité présente. Agir différemment impliquerait le risque de rester prisonnier du passé, sans aucune perspective d’avenir (cf n.11).
Mais l’avenir est déjà devant nous. Il est représenté par les jeunes d’Irlande, catholiques et protestants, qui aspirent désespérément à hériter d’un pays en paix et d’une société construite sur la justice et le respect de tous ses membres. Lorsqu’ils constatent combien la jeunesse de l’Europe réagit positivement à l’unité croissante entre les peuples des différents pays et de différentes cultures, ne réclament-ils pas la même chance pour eux? Qui pourrait revendiquer le droit de leur refuser leur avenir et leur liberté?
Un impératif moral plane sur toutes les parties en cause, afin de parvenir à un consensus politique qui respecterait les droits légitimes et les aspirations de tout le peuple d’Irlande du Nord. Pourtant, des signes d’espoir ne manquent pas et nous prierons en toute confiance pour qu’un processus guidé par la raison et le consentement mutuel ne tarde pas à mettre fin à l’effusion de sang et à assurer une juste réconciliation et une reconstruction pacifique. Que Dieu soutienne la persévérance et le courage de ceux qui travaillent de manière réaliste et animés d’un amour fraternel, pour accélérer l’arrivée de ce jour.

*L’Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française n.20 p.4.

 

LETTRE DU PAPE JEAN-PAUL II AUX PERSONNES ÂGÉES – 1999

5 mars, 2015

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LETTRE DU PAPE JEAN-PAUL II AUX PERSONNES ÂGÉES – 1999

A mes frères et sœurs âgés!

Le nombre de nos années? soixante-dix,
quatre-vingts pour les plus vigoureux!
Leur plus grand nombre n’est que peine et misère;
elles s’enfuient, nous nous envolons (Ps 90 [89], 10)

1. Soixante-dix ans était un grand âge à l’époque où le Psalmiste écrivait ces mots, et peu nombreux étaient ceux qui allaient au-delà; aujourd’hui, grâce aux progrès de la médecine et à toutes les améliorations des conditions économiques et sociales, dans beaucoup de régions du monde la durée de la vie s’est considérablement allongée. Il reste toujours vrai, cependant, que les années passent vite; le don de la vie, malgré la peine et la misère qui la marquent, est trop beau et trop précieux pour que nous puissions nous en lasser.
Âgé moi aussi, j’ai ressenti le désir d’engager le dialogue avec vous. Et je le fais avant tout en rendant grâce à Dieu pour les dons et les faveurs qu’il m’a accordés en abondance jusqu’à aujourd’hui. Je revois en pensée les étapes de mon existence, qui s’entremêle avec l’histoire d’une grande partie de ce siècle, et je vois affleurer les visages d’innombrables personnes, dont quelques-unes me sont particulièrement chères: les souvenirs d’événements ordinaires et extraordinaires, souvenirs de moments de joie et d’autres marqués par la souffrance. Mais surtout je vois se tendre la main providentielle et miséricordieuse de Dieu le Père, qui “ prend le plus grand soin de tout ce qui existe ” (1) et qui “ nous écoute, si nous demandons quelque chose selon sa
volonté ” (1 Jn 5, 14). A Lui, je dis comme le Psalmiste: “ Mon Dieu, tu m’as instruit dès ma jeunesse, jusqu’à présent j’ai proclamé tes merveilles. Au jour de la vieillesse et des cheveux blancs, ne m’abandonne pas, ô mon Dieu, et je dirai aux hommes de ce temps ta puissance, à tous ceux qui viendront tes exploits ” (Ps 71 [70], 17-18).
Ma pensée se tourne avec affection vers vous toutes, chères personnes âgées de toutes langues et de toutes cultures. Je vous adresse cette lettre au cours de l’année que l’Organisation des Nations unies a voulu opportunément consacrer aux personnes âgées, pour attirer l’attention de toute la société sur la situation de ceux qui, en raison du poids des ans, doivent souvent affronter de multiples et difficiles problèmes.
Sur ce thème, le Conseil pontifical pour les Laïcs a déjà présenté toute une série de précieuses réflexions.(2) Par la présente lettre, je voudrais seulement vous exprimer ma proximité spirituelle dans l’esprit de celui qui, année après année, sent croître en lui une compréhension toujours plus grande de cette étape de la vie et qui éprouve donc le besoin d’un contact plus immédiat avec ses contemporains, pour s’entretenir de ce qui constitue l’expérience commune, plaçant tout sous le regard de Dieu, qui nous enveloppe de son amour et qui, par sa providence, nous soutient et nous conduit.
2. Chers frères et sœurs, se remémorer le passé pour tenter une sorte de bilan est spontané à notre âge. Ce regard rétrospectif permet d’évaluer plus sereinement et plus objectivement les personnes et les situations rencontrées tout au long du chemin. L’écoulement du temps fait s’évanouir les contours des événements et en adoucit les côtés douloureux. Malheureusement soucis et tribulations sont largement présents dans l’existence de chacun. Il s’agit parfois de problèmes et de souffrances qui mettent à dure épreuve la résistance psychophysique et qui ébranlent peut-être la foi elle-même. Mais l’expérience enseigne que les souffrances quotidiennes elles-mêmes contribuent souvent, avec la grâce du Seigneur, à la maturité des personnes, en trempant leur caractère. Au-delà des événements particuliers, la réflexion qui s’impose le plus est celle qui concerne le temps qui s’écoule inexorablement. “ Le temps fuit et sans retour ”, jugeait déjà le vieux poète latin.(3) L’homme est plongé dans le temps: en lui, il naît, il vit et il meurt. Avec la naissance se trouve fixée une date, la première de sa vie, et, avec la mort, une autre, l’ultime: l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin de sa vie terrestre, comme le souligne la tradition chrétienne, en gravant ces lettres de l’alphabet grec sur les pierres tombales.
Mais si fragile et mesurée que soit l’existence de chacun d’entre nous, nous sommes confortés par la pensée que, parce que nous avons une âme spirituelle, nous survivons à la mort elle-même. La foi nous ouvre à “ une espérance qui ne déçoit pas ” (cf. Rm 5, 5), en nous indiquant la perspective de la résurrection finale. Ce n’est pas pour rien que l’Eglise, dans la solennité de la Veillée pascale, fait usage de ces mêmes lettres, en référence au Christ vivant hier, aujourd’hui, et toujours: “ Commencement et fin de toutes choses, Alpha et Oméga; à lui le temps et l’éternité ”.(4) L’aventure humaine, même soumise au temps, est située par le Christ dans la perspective de l’immortalité. Il “ s’est fait homme parmi les hommes, afin de rattacher la fin au commencement, c’est-à-dire l’homme à Dieu ”.(5)

Un siècle complexe vers un avenir plein d’espérance
3. En me tournant vers les personnes âgées, j’ai conscience que je parle à des personnes, et de personnes, qui ont accompli un long parcours (cf. Sg 4, 13). Je parle à des personnes de mon âge; je peux donc facilement chercher une analogie dans ma vie personnelle. Notre vie, chers frères et sœurs, a été inscrite par la Providence dans ce vingtième siècle, qui a reçu du passé un lourd héritage et qui a été le témoin d’événements nombreux et extraordinaires.
Comme tant d’autres époques de l’histoire, la nôtre a enregistré ombres et lumières. Tout n’a pas été sombre. Beaucoup d’aspects positifs y ont contrebalancé le négatif ou en ont émergé comme une bienfaisante réaction de la conscience collective.
Il est vrai cependant — et il serait aussi injuste que dangereux de l’oublier! — qu’il y a eu des souffrances inouïes, qui ont marqué la vie de millions et de millions de personnes. Il suffit de penser aux conflits qui ont explosé sur les divers continents à la suite de contestations territoriales entre Etats ou de haines interethniques. Il faut considérer comme tout aussi graves les conditions d’extrême pauvreté qui affectent des couches entières de la société dans l’hémisphère sud, le phénomène honteux de la discrimination raciale et la violation systématique des droits humains dans de nombreux pays. Et que dire ensuite des grands conflits mondiaux?
Dans la première moitié de ce siècle, il y en eut deux, avec une quantité jamais vue de morts et de destructions. La première guerre mondiale faucha des millions de soldats et de civils, brisant une multitude de vies humaines au sortir de l’adolescence, ou même de l’enfance. Et que dire de la seconde guerre mondiale? Survenue après quelques dizaines d’années de paix relative dans le monde, spécialement en Europe, elle fut plus tragique encore que la précédente, avec de terribles conséquences pour la vie des nations et des continents. Ce fut une guerre totale, une mobilisation inouïe de la haine, qui s’abattit brutalement même sur des populations civiles sans défense et qui détruisit des générations entières. Le tribut payé à la folie meurtrière de la guerre, sur les différents fronts, fut incalculable, comme furent aussi terrifiants les massacres perpétrés dans les camps d’extermination, vrais Golgotha de l’époque contemporaine.
Sur la seconde moitié du siècle a pesé, durant des années, le cauchemar de la guerre froide, autrement dit de l’affrontement entre les deux grands blocs idéologiques opposés, l’Est et l’Ouest, dans une course folle aux armements et sous la menace constante d’une guerre atomique, capable de conduire à l’extinction de l’humanité.(6) Grâce à Dieu, cette page obscure s’est achevée avec la chute des régimes totalitaires oppressifs en Europe; c’est là un fruit de la lutte pacifique qui a fait usage des armes de la vérité et de la justice.(7) Il s’est ainsi engagé un processus de dialogue et de réconciliation, laborieux mais profitable, visant à instaurer une convivialité plus sereine et plus solide entre les peuples.
Mais trop de pays sont encore bien loin de connaître les bienfaits de la paix et de la liberté. C’est une grande inquiétude qu’a suscitée, ces derniers mois, le violent conflit qui a éclaté dans la région des Balkans, qui fut déjà les années précédentes le théâtre d’une terrible guerre d’inspiration ethnique: d’autres sangs ont été versés, d’autres destructions ont eu lieu, d’autres haines ont été alimentées. Maintenant que finalement la fureur des armes s’est apaisée, on commence à penser à la
reconstruction, dans la perspective du nouveau millénaire. Mais en attendant, continuent d’éclater, sur d’autres continents, de multiples foyers de guerre, parfois avec des massacres et des violences trop vite oubliés par la presse.
4. Si ces souvenirs et cette actualité douloureuse nous attristent, nous ne pouvons oublier que notre siècle a vu se lever à l’horizon de nombreux signes positifs, qui constituent autant de motifs d’espérance pour le troisième millénaire. Ainsi on a vu croître — malgré bien des contradictions, spécialement quant au respect de la vie de tout être humain — la conscience des droits humains universels, proclamés dans des déclarations solennelles qui engagent les peuples.
Dans le cadre des rapports nationaux et internationaux inspirés par la valorisation des identités culturelles et en même temps par le respect des minorités, on a vu également se développer le sens du droit des peuples à se gouverner eux-mêmes. L’écroulement des régimes totalitaires, comme ceux de l’Est de l’Europe, a fait croître la perception universelle de la valeur de la démocratie et du libre marché, sans pour autant supprimer l’immense défi d’avoir à conjuguer liberté et justice sociale.
Il faut également considérer comme un grand don de Dieu le fait que les religions s’efforcent, avec toujours plus de détermination, de nouer un dialogue qui en fait un élément fondamental de paix et d’unité pour le monde.
Et que dire de la croissance, dans la conscience commune, de la reconnaissance de la dignité de la femme? Il y a encore, indubitablement, beaucoup de chemin à parcourir, mais la voie est tracée. Autre motif d’espérance: l’intensification des communications qui, favorisées par la technologie actuelle, permettent de dépasser les frontières traditionnelles, en faisant de nous comme des citoyens du monde.
Un autre domaine de maturation est la nouvelle sensibilité écologique, qui mérite d’être encouragée. Les grands progrès de la médecine et des sciences qui se consacrent au bien-être de l’homme sont aussi des facteurs d’espérance.
Ainsi donc, nous ne manquons pas de motifs pour lesquels nous devons rendre grâce à Dieu. Cette fin de siècle se présente, malgré tout, avec un grand potentiel de paix et de progrès. Des épreuves mêmes par lesquelles notre génération est passée émerge une lumière capable d’éclairer les années de notre vieillesse. Ainsi est confirmé un principe cher à la foi chrétienne: “ Non seulement les tribulations ne détruisent pas l’espérance, mais elles en sont le fondement ”.(8)
Il est alors significatif qu’au moment où le siècle et le millénaire s’achèvent et que pointe déjà l’aube d’une nouvelle saison pour l’humanité, nous nous arrêtions pour méditer sur la réalité de la fuite du temps, non pour nous résigner à un destin inexorable, mais pour donner pleine valeur aux années qu’il nous reste à vivre.

L’automne de la vie
5. Qu’est-ce que la vieillesse? Parfois, on parle d’elle comme de l’automne de la vie — comme le faisait déjà Cicéron (9) —, suivant l’analogie suggérée par les saisons et les phases successives de la nature. Il suffit de regarder la variété du paysage, tout au long de l’année, sur les montagnes ou dans les plaines, dans les champs, les vallées, les bois, sur les arbres et sur les plantes. Il y a une étroite ressemblance entre les biorythmes humains et les cycles de la nature, dont fait partie l’automne.
En même temps toutefois, l’homme se distingue de toutes les autres réalités qui l’environnent parce qu’il est une personne. Façonné à l’image et à la ressemblance de Dieu, il est un sujet conscient et responsable. Et c’est aussi par sa dimension spirituelle qu’il vit la succession de diverses étapes, toutes également fugitives. Saint Éphrem le Syrien aimait comparer la vie aux doigts d’une main, soit pour mettre en évidence que sa durée ne dépasse par un empan, soit pour indiquer que, comme
chacun des doigts, chaque étape de la vie a sa caractéristique, “ les doigts représentant les cinq marches que l’homme gravit successivement ”.(10)
S’il est vrai, donc, que l’enfance et la jeunesse constituent pour l’être humain la période où il se forme, où il vit projeté vers l’avenir et où, prenant conscience de ses potentialités, il bâtit ses projets pour l’âge adulte, en revanche, la vieillesse ne manque pas de certains avantages, car — comme l’observe saint Jérôme —, en atténuant la force des passions, elle “ accroît la sagesse, elle donne des conseils plus avisés ”.(11) En un certain sens, c’est l’époque privilégiée de la sagesse, qui est en général le fruit de l’expérience, parce que “ le temps est un grand maître ”.(12) On connaît la prière du Psalmiste: “ Apprends-nous la vraie mesure de nos jours: que nos cœurs pénètrent la sagesse ” (Ps 90 [89], 12).

Les personnes âgées dans la Sainte Ecriture
6. “ La jeunesse et les cheveux noirs ne sont qu’un souffle ”, observe Qohélet (11, 10). La Bible n’hésite pas à attirer l’attention, parfois avec un franc réalisme, sur la précarité de la vie et sur la fuite inexorable du temps: “ Vanité des vanités, … vanité des vanités, tout est vanité ” (Qo 1, 2): qui ne connaît le sévère avertissement de cet ancien Sage? Nous, les personnes âgées, qui sommes instruites par l’expérience, nous le comprenons fort bien.
Malgré ce réalisme désenchanté, l’Ecriture garde une vision très positive de la valeur de la vie. L’homme reste toujours fait “ à l’image de Dieu ” (cf. Gn 1, 26) et chaque âge a sa beauté et ses tâches. Dans la parole de Dieu, le grand âge est en si grande vénération que la longévité est considérée comme signe de la bienveillance divine (cf. Gn 11, 10-32). Avec Abraham, homme dont on souligne que le grand âge est un privilège, cette bienveillance prend le sens d’une promesse: “ Je ferai de toi un grand peuple et je te bénirai, je magnifierai ton nom et tu deviendras une bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront et je réprouverai ceux qui te maudiront et par toi seront bénies toutes les familles de la terre ” (Gn 12, 2-3). A ses côtés, il y a Sara, femme qui voit vieillir son propre corps, mais qui fait l’expérience, dans les limites d’une chair désormais flétrie, de la puissance de Dieu qui supplée l’insuffisance humaine.
Moïse est un homme âgé lorsque Dieu lui confie la mission de faire sortir d’Egypte le peuple élu. Ce n’est pas durant sa jeunesse mais pendant sa vieillesse qu’il accomplit, sur ordre du Seigneur, les grandes œuvres en faveur d’Israël. Parmi d’autres exemples que nous offrent les personnes âgées, je voudrais citer l’histoire de Tobie, qui s’efforce, avec courage et humilité, d’observer la loi divine, de venir en aide aux nécessiteux, de supporter avec patience la cécité, jusqu’à ce qu’il constate
l’intervention décisive de l’ange de Dieu (cf. Tb 3, 16-17); et il y a encore l’histoire d’Eléazar, dont le martyre témoigne d’une force et d’une générosité peu communes (cf. 2 M 6, 18-31).
7. Rayonnant de la lumière du Christ, le Nouveau Testament compte, lui aussi, d’éloquentes figures de vieillards. L’Evangile de Luc s’ouvre par la présentation de deux époux “ avancés en âge ” (1, 7), Elisabeth et Zacharie, les parents de Jean-Baptiste. La miséricorde du Seigneur (cf. Lc 1, 5-25. 39-79) se tourne vers eux: on annonce à Zacharie, désormais âgé, la naissance d’un fils. C’est lui-même qui le souligne: “ Moi, je suis un vieillard et ma femme est avancée en âge ” (Lc 1, 18). Tandis que Marie vient lui rendre visite, sa vieille cousine Elisabeth, remplie de l’Esprit Saint, s’exclame: “ Bénie es-tu entre les femmes et béni le fruit de ton sein ” (Lc 1, 42) et, à la naissance de Jean-Baptiste, Zacharie entonne l’hymne du Benedictus. Voilà un admirable couple de vieillards, envahi par un profond esprit de prière.
Au Temple de Jérusalem, où ils ont amené Jésus pour l’offrir au Seigneur, ou plutôt, selon la Loi, pour le racheter comme premier-né, Marie et Joseph font la rencontre du vieillard Syméon qui, depuis longtemps, attendait le Messie. Prenant l’Enfant dans ses bras, Syméon bénit Dieu et s’écrie dans le Nunc dimittis: “ Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix… ” (Lc 2, 29).
Près de lui, nous trouvons Anne, une veuve de quatre-vingt-quatre ans qui, fréquentant assidûment le Temple, éprouve à cette occasion la joie de voir Jésus. L’évangéliste note qu’elle “ louait Dieu et parlait de l’enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem ” (Lc 2, 38).
Membre estimé du Sanhédrin, Nicodème est un homme âgé. Il se rend de nuit chez Jésus pour ne pas attirer l’attention. Le divin Maître lui révèle qu’Il est le Fils de Dieu, venu pour sauver le monde (cf. Jn 3, 1-21). Nous retrouverons Nicodème au moment de l’ensevelissement du Christ, lorsque, apportant un mélange de myrrhe et d’aloès, il triomphera de la peur et s’affirmera comme disciple du Crucifié (cf. Jn 19, 38-40). Quels témoignages réconfortants! Ils nous montrent qu’à tout âge le
Seigneur demande à chacun d’apporter ses talents. Le service de l’Evangile n’est pas une question d’âge. Et que dire de Pierre, appelé dans sa vieillesse à témoigner de sa foi par le martyre? Un jour, Jésus lui avait dit: “ Quand tu étais plus jeune, tu mettais toi-même ta ceinture, et tu allais où tu voulais; mais quand tu auras vieilli, tu étendras les mains, et un autre te ceindra et te mènera là où tu ne voudrais pas ” (Jn 21, 18). Ce sont des paroles qui me touchent de près en tant que successeur de Pierre et qui me font éprouver avec force le besoin de tendre les mains vers celles du Christ, par obéissance à son commandement: “ Suis-moi! ” (Jn 21, 19).
8. Comme en une synthèse des témoignages éclatants de vieillards que l’on trouve dans la Bible, le Psaume 92 [91] proclame: “ Le juste grandira comme un palmier, il poussera comme un cèdre du Liban… Vieillissant, il fructifie encore, il garde sa sève et sa verdeur pour annoncer: “Le Seigneur est droit” ” (13. 15-16). Et l’Apôtre Paul, faisant écho au Psalmiste, note dans la lettre à Tite: “ Que les vieillards soient sobres, dignes, pondérés, robustes dans la foi, la charité, la constance. Que, pareillement, les femmes âgées aient le comportement qui sied à des saintes…; qu’elles soient de bon conseil, pour apprendre aux jeunes à aimer leur mari et leurs enfants ” (2, 2-5).
A la lumière de l’enseignement de la Bible et selon son langage, la vieillesse se présente donc comme un “ temps favorable ” à l’achèvement de l’aventure humaine et elle entre dans le dessein de Dieu sur l’homme comme le temps où tout concourt à ce que l’homme puisse mieux saisir le sens de la vie et parvienne à la “ sagesse du cœur ”. “ La vieillesse honorable — remarque le livre de la Sagesse — n’est pas celle que donnent de longs jours, elle ne se mesure pas au nombre des années; c’est cheveux blancs pour les hommes que l’intelligence, c’est un âge avancé qu’une vie sans tache ” (4, 8-9). Elle constitue l’étape définitive de la maturité humaine et elle est l’expression de la bénédiction divine.

Gardiens d’une mémoire collective
9. Dans le passé, on nourrissait un grand respect pour les personnes âgées. Le poète latin Ovide écrivait à ce sujet: “ Grand était jadis le respect qu’inspirait une tête chenue ”.(13) Déjà des siècles auparavant, le poète grec Phocylide donnait ce conseil: “ Respecte les cheveux blancs: ces hommages que tu rends à ton père, rends-les de même au vieux sage ”.(14)
Et de nos jours? Si l’on s’arrête un instant pour analyser la situation actuelle, on constate que chez quelques peuples la vieillesse est estimée et valorisée; chez d’autres, au contraire, elle l’est beaucoup moins à cause d’une mentalité qui prône l’utilité immédiate et la productivité de l’homme. Une telle attitude amène souvent à déprécier ce qu’on appelle le troisième ou le quatrième âge, et les personnes âgées elles-mêmes en viennent à se demander si leur existence est encore utile.
Avec une insistance croissante, on va jusqu’à proposer l’euthanasie pour résoudre les situations difficiles. Malheureusement, ces derniers temps, le concept d’euthanasie a perdu peu à peu, pour beaucoup de gens, la connotation d’horreur qu’elle suscite naturellement lorsqu’on est sensible au respect de la vie. Il peut arriver, il est vrai, que, dans les cas de maladies graves accompagnées de souffrances insupportables, les personnes éprouvées soient poussées à l’exaspération, et leurs proches ou ceux qui sont chargés de les soigner peuvent se sentir enclins, par une compassion mal comprise, à tenir pour raisonnable la solution de la “ mort douce ”. A ce propos, il faut rappeler que la loi morale permet de renoncer à ce qu’on appelle “ acharnement thérapeutique ” (15) et qu’elle réclame seulement les soins qui entrent dans les exigences normales de l’assistance médicale, laquelle est surtout destinée, dans les maladies incurables, à alléger la douleur. Mais toute autre est l’euthanasie, entendue comme provocation directe de la mort! Malgré les intentions et les circonstances, elle demeure un acte intrinsèquement mauvais, une violation de la loi divine, une offense à la dignité de la personne humaine.(16)
10. Il est urgent de se replacer dans la perspective juste qui consiste à considérer la vie dans son ensemble. Et cette perspective juste, c’est l’éternité, dont la vie, dans chacune de ses étapes, est une préparation significative. Le temps de la vieillesse, lui aussi, a son rôle à jouer dans ce processus de maturation progressive de l’être humain en marche vers l’éternité. De cette maturation, tout le groupe social auquel appartient la personne âgée ne pourra que tirer profit.
Les personnes âgées aident à prendre tous les événements d’ici-bas avec plus de sagesse, car les vicissitudes les ont dotées d’expérience et de maturité. Elles sont les gardiennes de la mémoire collective et, pour cette raison, les interprètes privilégiées de l’ensemble de valeurs et d’idéaux communs qui règlent et guident la convivialité sociale. Les exclure, c’est, au nom d’une modernité sans mémoire, refuser le passé où s’enracine le présent. Les personnes âgées, par leur expérience et leur maturité, sont en mesure de proposer aux jeunes des conseils et des enseignements précieux.
Sous cet angle, les aspects fragiles de l’humanité, liés de manière plus visible à la vieillesse, constituent alors un appel à l’interdépendance et à la nécessaire solidarité qui unissent entre elles les générations, parce que chacun a besoin de l’autre et s’enrichit des dons et des charismes de tous.
A cet égard, les réflexions d’un poète qui m’est cher ont une résonance significative: “ Ce n’est pas seulement l’avenir qui est éternel, pas seulement. [...] Oui, le passé appartient aussi à l’éternité: tout ce qui est déjà passé ne reviendra pas tout d’un coup comme il était, [...] il reviendra comme Idée, mais il ne reviendra pas en tant que lui-même ”.(17)

“ Honore ton père et ta mère ”
11. Pourquoi alors ne pas continuer à témoigner envers les personnes âgées du respect que les saines traditions de nombreuses cultures, sur tous les continents, ont mis en valeur? Pour les peuples des régions gagnées à l’influence de la Bible, la référence a été, de tout temps, le commandement du Décalogue “ Honore ton père et ta mère ”; ce devoir est d’ailleurs universellement admis. Sa mise en pratique, totale et cohérente, n’a pas seulement fait jaillir l’amour des enfants pour leurs parents, elle a mis aussi en évidence les liens étroits qui existent entre les générations. Là où le précepte est accueilli et fidèlement observé, les personnes âgées savent qu’elles ne courent pas le risque d’être considérées comme un poids mort ou encombrant.
Au contraire, ce qu’enseigne le commandement, c’est de faire preuve de respect envers ceux qui nous ont précédés et tout ce qu’ils ont fait de bien: “ ton père et ta mère ” indiquent le passé, le lien d’une génération à l’autre, la condition qui rend possible l’existence même d’un peuple. Selon la double rédaction proposée par la Bible (cf. Ex 20, 2-17; Dt 5, 6-21), ce commandement divin occupe la première place dans la seconde Table de la Loi, celle qui concerne les devoirs de l’être humain envers lui-même et envers la société. C’est aussi le seul commandement auquel est associée une promesse: “ Honore ton père et ta mère, afin que se prolongent tes jours sur la terre que te donne Yahvé ton Dieu ” (Ex 20, 12; cf. Dt 5, 16).
12. “ Tu te lèveras devant une tête chenue, tu honoreras la personne du vieillard ” (Lv 19, 32). Honorer les personnes âgées implique un triple devoir à leur égard: les accueillir, les assister et mettre en valeur leurs qualités. Dans beaucoup de milieux, tout cela se pratique presque spontanément, comme par une habitude très ancienne. Ailleurs, en particulier dans les nations les plus évoluées sur le plan économique, c’est un devoir d’opérer une inversion de tendance pour faire en sorte que ceux qui avancent en âge puissent vieillir dans la dignité, sans devoir craindre d’être réduits à ne compter pour rien. Il faut se convaincre qu’il appartient à une civilisation pleinement humaine de respecter et d’aimer les personnes âgées, pour que, malgré l’affaiblissement de leurs forces, elles se sentent partie prenante de la société. Cicéron avait déjà observé que “ le poids de l’âge est plus léger pour qui se sent respecté et aimé de la jeunesse ”.(18)
L’esprit humain, du reste, tout en participant du vieillissement du corps, reste en un sens toujours jeune s’il vit tourné vers l’éternel; de cette éternelle jeunesse, il fait la plus vive des expériences lorsque, au témoignage intérieur de la bonne conscience, s’ajoute l’affection prévenante et reconnaissante des personnes aimées. L’homme alors, comme l’écrit saint Grégoire de Nazianze, “ ne vieillira pas dans son esprit: il acceptera la dissolution comme le moment décidé selon la loi de la liberté humaine. Avec douceur, il passera dans l’au-delà, où il n’y a ni immaturité, ni vieillesse, mais où tous ont la perfection de l’âge spirituel ”.(19)
Nous connaissons tous des exemples éloquents de vieillards d’une jeunesse et d’une vigueur d’esprit surprenantes. Celui qui s’en approche est stimulé par leur conversation et réconforté par leur exemple. Puisse la société valoriser pleinement les personnes âgées, qui, dans certaines régions du monde — je pense en particulier à l’Afrique —, sont estimées à bon droit comme des “ bibliothèques vivantes ” de sagesse, des gardiennes d’un patrimoine inestimable de témoignages humains et spirituels. S’il est vrai que sur le plan physique elles ont en général besoin d’aide, il est tout aussi vrai que, dans leur grand âge, elles peuvent aussi soutenir les jeunes dans leur marche au moment où ils s’ouvrent à leur avenir et en cherchent les voies.
Tandis que je parle des personnes âgées, je ne peux pas ne pas me tourner aussi vers les jeunes pour les inviter à se tenir à leurs côtés. Je vous exhorte, chers jeunes, à le faire avec amour et générosité. Les anciens peuvent vous apporter beaucoup plus que vous ne sauriez l’imaginer. Le livre du Siracide donne cet avertissement à ce sujet: “ Ne néglige pas le discours des vieillards, car eux-mêmes ont appris de leurs pères ” (8, 9); “ tiens-toi dans l’assemblée des vieillards; y a-t-il quelqu’un de sage? attache-toi à lui ” (6, 34); car “ quelle belle chose que la sagesse ” des personnes âgées (25, 5)!
13. Quant à la communauté chrétienne, elle peut recevoir beaucoup de la présence sereine de ceux qui sont avancés en âge. Je pense surtout à l’évangélisation: son efficacité ne dépend pas principalement des résultats de l’action. Dans combien de familles, les petits-enfants reçoivent-ils de leurs grands-parents les premiers rudiments de la foi! Mais il y a bien d’autres domaines où peut s’étendre l’apport bénéfique des personnes âgées. L’Esprit agit comme il veut et où il veut, se servant souvent de voies humaines qui, aux yeux du monde, apparaissent de peu de valeur. Nombreux sont ceux qui trouvent compréhension et réconfort auprès des personnes âgées, seules ou malades, mais capables de redonner courage par un conseil affectueux, par la prière silencieuse, par le témoignage d’une souffrance accueillie dans l’abandon et la patience! C’est vraiment lorsque diminuent leurs énergies et que se réduisent leurs capacités d’agir que nos frères et sœurs âgés deviennent d’autant plus précieux dans le dessein mystérieux de la Providence.
De ce point de vue aussi, et non seulement en raison d’une évidente exigence psychologique des personnes âgées elles-mêmes, le lieu le plus naturel pour vivre la condition de la vieillesse reste le cadre dans lequel elles se sentent “ chez elle ”, parmi les leurs, parmi leurs connaissances et leurs amis, et où elles peuvent rendre encore quelques services. A mesure que, avec l’allongement moyen de la vie, le nombre des personnes âgées augmente, il deviendra toujours plus urgent de promouvoir cette culture d’une vieillesse accueillie et valorisée, et non reléguée au ban de la société. L’idéal serait que les personnes âgées restent en famille, avec la garantie d’aides sociales efficaces pour les nécessités croissantes propres à leur âge ou à la maladie. Toutefois, il y a des cas où les circonstances recommandent ou imposent l’entrée dans une maison de retraite, afin que les
personnes âgées puissent jouir de la compagnie d’autres personnes et profiter d’une assistance spécialisée. Ces institutions sont donc dignes d’éloge et l’expérience montre qu’elles peuvent rendre un service précieux dans la mesure où elles s’inspirent de critères non seulement d’efficacité dans l’organisation, mais aussi d’attention affectueuse. Dans ce domaine, tout est plus facile si les relations établies par les familles, les amis, les communautés paroissiales, avec les résidents âgés sont de nature à les aider à se sentir aimés et encore utiles à la société. Et comment ne pas exprimer ici mon admiration et ma gratitude à toutes les Congrégations religieuses et aux groupes de bénévoles qui se dévouent avec un soin spécial à l’assistance des personnes âgées, surtout des plus pauvres, de celles qui sont abandonnées ou en difficulté?
Chères personnes âgées, vous qui vous trouvez dans des conditions précaires, de santé ou autres, je vous suis proche par le cœur. Quand Dieu permet que nous souffrions de maladie, de solitude ou en raison d’autres motifs liés à notre grand âge, il nous donne toujours la grâce et la force de nous unir avec plus d’amour au sacrifice de son Fils et de participer avec plus d’intensité à son projet de salut. Soyons-en persuadés: il est notre Père, un Père riche d’amour et de miséricorde!
Je pense de manière spéciale à vous, veufs et veuves, qui êtes restés seuls pour parcourir la dernière étape de votre vie; à vous, religieux et religieuses âgés, qui, pendant de longues années, avez servi dans la fidélité la cause du Royaume des Cieux; à vous, chers frères dans le sacerdoce et dans l’épiscopat, qui, atteints par la limite d’âge, avez quitté la responsabilité directe du ministère pastoral. L’Eglise a encore besoin de vous. Elle apprécie les services que vous vous sentez encore en mesure d’accomplir dans de nombreux champs d’apostolat; elle compte sur votre prière continuelle; elle est à l’écoute de vos conseils expérimentés et elle s’enrichit du témoignage évangélique que vous donnez jour après jour.

“ Tu m’apprendras le chemin de la vie
devant ta face, débordement de joie ” (Ps 16 [15], 11)

14. Au fil des années, il est naturel de se familiariser avec la pensée du “ déclin ”. S’il en était autrement, le fait même de voir les rangs s’éclaircir dans nos familles, nos connaissances et nos amis nous le rappellerait: nous nous en rendons compte en plusieurs occasions, par exemple lorsque nous nous retrouvons dans des réunions familiales, dans des rencontres entre amis d’enfance, d’école, d’université, de service militaire, entre confrères de séminaire… La frontière entre la vie et la mort traverse ainsi nos communautés et elle s’approche inexorablement de nous. Si la vie est un pèlerinage vers la patrie céleste, la vieillesse est la période où il est le plus naturel de regarder le seuil de l’éternité.
Et pourtant, nous aussi, les personnes âgées, ce n’est pas sans peine que nous nous résignons à envisager ce passage. En lui en effet, dans la condition humaine marquée par le péché, il y a quelque chose d’obscur qui nécessairement nous attriste et nous fait peur. Comment en serait-il autrement? L’homme a été fait pour la vie, tandis que la mort — comme nous l’explique la Sainte
Ecriture dès ses premières pages (cf. Gn 2-3) — n’était pas prévue dans le projet initial de Dieu, mais elle est survenue à la suite du péché, fruit de “ l’envie du diable ” (Sg 2, 24). On comprend donc pourquoi, devant cette réalité de ténèbres, l’homme réagit et se rebelle. Il est significatif, à ce propos, que Jésus lui-même, “ ayant été éprouvé en toute chose, comme nous, à l’exception du péché ” (He 4, 15), ait connu la peur devant la mort: “ Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ” (Mt 26, 39). Et comment oublier ses larmes sur la tombe de son ami Lazare, alors même qu’il s’apprêtait à le ressusciter (cf. Jn 11, 35)?
Quoique d’un point de vue biologique la mort soit compréhensible par la raison, il n’est pas possible de la vivre de manière “ naturelle ”. Elle est contraire à l’instinct le plus profond de l’homme. Comme le soulignait le Concile, “ c’est en face de la mort que l’énigme de la condition humaine atteint son point culminant. L’homme n’est pas seulement tourmenté par la douleur et la dissolution progressive de son corps, mais plus encore par la peur d’un anéantissement durable ”.(20) Il est certain que la douleur serait inconsolable si la mort était la destruction totale, la fin de tout. C’est pourquoi la mort pousse l’homme à se poser les questions fondamentales sur le sens de la vie: qu’y a-t-il derrière le mur d’ombre de la mort? Celle-ci constitue-t-elle le terme définitif de la vie ou existe-t-il quelque chose au-delà?
15. Depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, les réponses réductrices n’ont pas manqué dans la culture de l’humanité, réponses qui limitent la vie à notre existence terrestre. Dans l’Ancien Testament lui-même, quelques commentaires au Livre de Qohélet imaginent la vieillesse comme un édifice en démolition et la mort comme sa destruction totale et définitive (cf. 12, 1-7). Mais c’est précisément à la lumière de ces réponses pessimistes que prend toute sa valeur la vue pleine d’espérance qui émane de toute la Révélation et en particulier de l’Evangile: “ Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais le Dieu des vivants ” (Lc 20, 38). L’Apôtre Paul atteste que le Dieu qui donne la vie aux morts (cf. Rm 4, 17) donnera aussi la vie à nos corps mortels (cf. ibid. 8, 11). Et Jésus affirme de lui-même: “ Moi, je suis la Résurrection et la vie; qui croit en moi, même s’il meurt, vivra; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais ” (Jn 11, 25-26).
Le Christ, ayant franchi le seuil de la mort, a révélé qu’au-delà, il y a bien une vie, dans ce “ territoire ” non exploré par l’homme qu’est l’éternité. Il est le premier Témoin de la vie immortelle; en Lui l’espérance de l’homme se révèle comblée d’éternité. “ Si la loi de la mort nous afflige, la promesse de l’immortalité nous apporte la consolation ”.(21) Après ces paroles que la Liturgie offre
aux croyants comme réconfort à l’heure où ils disent un dernier adieu à une personne bien-aimée vient une annonce de l’espérance: “ Pour tous ceux qui croient en toi, Seigneur, la vie n’est pas détruite, elle est transformée; et lorsque prend fin leur séjour sur la terre, ils ont déjà une demeure éternelle dans les cieux ”.(22) Dans le Christ, cette réalité dramatique et bouleversante qu’est la mort est rachetée et transformée, jusqu’à apparaître comme une “ sœur ” qui nous conduit dans les bras du Père.(23)
16. La foi éclaire ainsi le mystère de la mort et elle donne de la sérénité à la vieillesse, qui n’est plus considérée ni vécue comme l’attente passive d’un événement destructeur, mais comme la promesse de parvenir à la pleine maturité. Ce sont des années qu’il faut vivre en s’abandonnant avec foi entre les mains de Dieu le Père et de sa miséricordieuse Providence; c’est une période qu’il faut employer, de façon inventive, à approfondir sa vie spirituelle, en priant plus intensément et en se dévouant à ses frères dans la charité.
Il faut donc louer toutes les initiatives sociales qui permettent aux personnes âgées de continuer à s’entretenir sur les plans physique et intellectuel, et dans leur vie de relations, aussi bien que de se rendre utiles en mettant au service des autres leur temps, leurs capacités et leur expérience. C’est ainsi qu’on garde et qu’on développe le goût de la vie, ce premier don de Dieu. D’autre part, un tel goût de vivre ne va pas à l’encontre du désir d’éternité qui mûrit chez tous ceux qui font une expérience spirituelle profonde, comme le montre bien la vie des saints.
L’Evangile nous remet en mémoire, à ce sujet, les paroles du vieillard Syméon, qui se déclare prêt à mourir, puisqu’il a pu tenir dans ses bras le Messie qu’il attendait: “ Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix selon ta parole; car mes yeux ont vu ton salut ” (Lc 2, 29-30). L’Apôtre Paul a le sentiment d’être comme écartelé entre le désir de continuer à vivre pour annoncer l’Evangile et le désir “ d’être libéré du corps pour être avec le Christ ” (Ph 1, 23). Tandis que saint Ignace d’Antioche s’en allait tout joyeux subir le martyre, il affirmait qu’il entendait dans son cœur la voix du Saint-Esprit, comme une “ eau ” vive jaillissant intérieurement et lui murmurant l’invitation: “ Viens vers le Père ”.(24) On pourrait multiplier les exemples. Ceux-ci ne jettent aucune ombre sur la valeur de la vie terrestre, qui est belle malgré ses limites et ses souffrances, et
qui doit être vécue jusqu’au bout. Mais ils nous rappellent qu’elle n’est pas la valeur dernière, que, selon la vision chrétienne, ce déclin de l’existence apparaît comme un “ passage ”, comme un pont jeté de la vie à la vie, entre la joie fragile et incertaine de cette terre et la joie pleine et entière que le Seigneur réserve à ses serviteurs fidèles: “ Entre dans la joie de ton Maître! ” (Mt 25, 21).

Un présage de vie
17. Dans cet esprit, en vous souhaitant, chers frères et sœurs âgées, de vivre sereinement les années que le Seigneur a préparées pour chacun, je me sens poussé, par un désir spontané, à vous faire part en toute sincérité des sentiments qui m’animent en cette dernière étape de ma vie, après plus de vingt ans de ministère sur le Siège de Pierre et dans l’attente du troisième millénaire, désormais à nos portes. Malgré les limitations qui surviennent avec l’âge, je conserve le goût de la vie. J’en rends grâce au Seigneur. Il est beau de pouvoir se dépenser jusqu’à la fin pour la cause du Royaume de Dieu!
En même temps, j’éprouve une grande paix quand je pense au moment où le Seigneur m’appellera: de la vie à la vie! C’est pourquoi monte souvent à mes lèvres, sans aucun sentiment de tristesse, une prière que le prêtre récite après la célébration eucharistique: In hora mortis meæ voca me, et iube me venire ad te – à l’heure de la mort, appelle-moi, et ordonne-moi de venir à toi. C’est la prière de l’espérance chrétienne, qui n’ôte rien à la joie de l’heure présente, tandis qu’elle confie le lendemain à la protection de la divine bonté.
18. “ Iube me venire ad te! ”: c’est là le désir le plus profond du cœur humain, même en celui qui n’en a pas conscience.
Donne-nous, ô Seigneur de la vie, d’en prendre une conscience lucide et de savourer toutes les saisons de notre vie comme un don riche de promesses futures!
Fais-nous accueillir ta volonté avec amour, en nous remettant chaque jour entre tes mains miséricordieuses!
Et lorsque viendra le moment du “ passage ” ultime, accorde-nous de l’affronter avec une âme sereine, sans rien regretter de ce que nous laisserons. Car te rencontrer, après t’avoir cherché longtemps, ce sera retrouver toute valeur authentique expérimentée ici sur la terre, avec tous ceux qui nous ont précédés sous le signe de la foi et de l’espérance.
Et toi, Marie, Mère de l’humanité en marche, prie pour nous “ maintenant et à l’heure de notre mort ”! Tiens-nous toujours étroitement unis à Jésus, ton Fils bien-aimé et notre frère, le Seigneur de la vie et de la gloire!
Amen!

Du Vatican, le 1er octobre 1999.

JEAN PAUL II – L’ENGAGEMENT POUR UN AVENIR DIGNE DE L’HOMME – LECTURE: 1 JN 2, 12-14

29 janvier, 2015

http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/audiences/2001/documents/hf_jp-ii_aud_20010124_fr.html

JEAN PAUL II

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 24 janvier 2001

L’ENGAGEMENT POUR UN AVENIR DIGNE DE L’HOMME – LECTURE: 1 JN 2, 12-14

1. Si nous jetons un regard sur le monde et sur son histoire, il semble, à première vue, que domine l’étendard de la guerre, de la violence, de l’oppression, de l’injustice, de la dégradation morale. Il nous semble, comme dans la vision du chapitre 6 de l’Apocalypse, que sur les landes désolées de la terre chevauchent les chevaliers qui, tour à tour, tiennent la couronne du pouvoir triomphateur, l’épée de la violence, la balance de la pauvreté et de la faim, la faux affilée de la mort (cf. Ap 6, 1-8).
Face à la tragédie de l’histoire et à l’immoralité qui se diffuse, on en vient à répéter la question que le prophète Jérémie adresse à Dieu, se faisant la voix de nombreuses personnes qui souffrent et qui sont opprimées: « Tu es trop juste, Yahvé, pour que j’entre en contestation avec toi. Cependant, je parlerai avec toi de questions de droit: Pourquoi la voie des méchants est-elle prospère? Pourquoi tous les traîtres sont-ils en paix? » (12, 1). A la différence de Moïse, qui du haut du Mont Nebo, contemple la terre promise (cf. Dt 34, 1), nous nous penchons sur un monde tourmenté, dans lequel le Royaume de Dieu éprouve de la difficulté à se frayer un chemin.
2. Saint Irénée, au IIème siècle, trouvait une explication à cela dans la liberté de l’homme qui, au lieu de suivre le projet divin de coexistence pacifique (cf. Gn 2), déchire les relations avec Dieu, avec l’homme et avec le monde. L’Evêque de Lyon écrivait donc: « Ce qui est imparfait n’est pas l’art de Dieu, qui est en mesure de donner un fils à Abraham à partir de pierres, mais c’est celui qui ne le suit pas qui est la cause de sa propre perfection manquée. Ce n’est pas, en effet, la lumière qui manque à cause de la faute de ceux qui se sont aveuglés, mais ceux qui se sont aveuglés qui demeurent dans l’obscurité à cause de leur faute, alors que la lumière continue à briller. La lumière n’assujettit personne par la force, et Dieu ne contraint personne à accepter son art » (Adversus haereses IV, 39, 3).
Il y a donc besoin d’un effort de conversion permanent qui redresse la route de l’humanité, afin qu’elle choisisse librement de suivre « l’art de Dieu », c’est-à-dire son dessein de paix et d’amour, de vérité et de justice. C’est cet art qui se révèle pleinement dans le Christ, et que Paulin de Nola, qui s’était converti, faisait sien avec ce touchant programme de vie: « Mon seul art est la foi et la musique est le Christ » (Carme XX, 32).
3. Avec la foi l’Esprit Saint dépose également dans le coeur de l’homme la semence de l’espérance. En effet, la foi est, comme le dit l’Epître aux Hébreux, « la garantie des biens que l’on espère, la preuve des réalités qu’on ne voit pas » (11, 1). Dans un contexte souvent marqué par le découragement, par le pessimisme, par des choix de mort, d’inertie et de superficialité, le chrétien doit s’ouvrir à l’espérance qui naît de la foi. Cela apparaît dans la scène évangélique de la tempête qui se déchaîne sur le lac: « Maître, maître, nous périssons! », s’écrient les disciples. Et le Christ leur demande: « Où est votre foi? » (Lc 8, 24-25). En ayant foi dans le Christ et dans le Royaume de Dieu, on n’est jamais perdu, et l’espérance du calme serein réapparaît à l’horizon. Pour un avenir digne de l’homme, il est également nécessaire de faire refleurir la foi active qui engendre l’espérance. A propos de celle-ci, un poète français a écrit: « L’espérance est l’attente impatiente du bon semeur, elle est l’inquiétude de celui qui se présente comme candidat à l’éternité. L’espérance est l’infinité de l’amour » (Charles Péguy, Le portique du mystère de la seconde Vertu).
4. L’amour pour l’humanité, pour son bien-être matériel et spirituel, pour un progrès authentique, doit animer tous les croyants. Tout acte accompli pour créer un avenir meilleur, une terre plus habitable et une société plus fraternelle participe, même si c’est de façon indirecte, à l’édification du Royaume de Dieu. Précisément dans la perspective de ce Royaume, « l’homme, l’homme vivant, constitue la route première et fondamentale de l’Eglise » (Evangelium vitae, n. 2; cf. Redemptor hominis, n. 14). C’est la voie que le Christ a lui-même suivie, en se faisant dans le même temps la « voie » de l’homme (cf. Jn 14, 6).
Sur cette voie, nous sommes tout d’abord appelés à effacer la peur de l’avenir. Celle-ci tenaille souvent les jeunes générations, en les conduisant par réaction à l’indifférence, au refus face aux engagements dans la vie, à l’anéantissement de soi-même dans la drogue, la violence, la déchéance. Il faut ensuite manifester la joie pour chaque enfant qui naît (cf. Jn 16, 21), afin qu’il soit accueilli avec amour et qu’on lui offre la possibilité de grandir physiquement et en esprit. De cette façon, on collabore à l’oeuvre même du Christ, qui a ainsi défini sa mission: « Moi, je suis venu pour qu’on ait la vie et qu’on en abondance » (Jn 10, 10).
5. En ouverture, nous avons écouté le message que l’Apôtre Jean adresse aux pères, aux fils, aux personnes âgées et aux jeunes, afin qu’ils continuent ensemble à lutter et à espérer, dans la certitude qu’il est possible de vaincre le mal et le Malin, en vertu de la présence efficace du Père céleste. Montrer l’espérance est une tâche fondamentale de l’Eglise. Le Concile Vatican II nous a laissé à ce propos une note lumineuse: « On peut légitimement penser que l’avenir est entre les mains de ceux qui auront su donner aux générations de demain des raisons de vivre et d’espérer » (Gaudium et spes, n. 31). Dans cette perspective, j’ai plaisir à reproposer l’appel à la confiance que j’ai lancé dans mon discours aux Nations unies, en 1995: « Nous ne devons pas avoir peur de l’avenir [...] Nous sommes capables de sagesse et de vertu. Avec ces dons et avec l’aide de la grâce de Dieu, nous pouvons construire dans le siècle qui est sur le point d’arriver et pour le prochain millénaire, une civilisation digne de la personne humaine, une vraie culture de la liberté.
Nous pouvons et nous devons le faire! Et, en le faisant, nous pourrons nous rendre compte que les larmes de ce siècle ont préparé la voie d’un nouveau printemps de l’esprit humain » (cf. Insegnamenti XVIII/2 [1995], p. 744, cf. ORLF n. 41, du 10 octobre 1995).

JEAN-PAUL II, LES DROITS DE L’HOMME ET LA FOI EN DIEU

22 janvier, 2015

http://www.revue-kephas.org/11/2/editorial.html

JEAN-PAUL II, LES DROITS DE L’HOMME ET LA FOI EN DIEU

Bruno le Pivain

Avril–Juin 2011

On a coutume de rappeler le fort engagement du Bienheureux Jean-Paul II pour la défense et la promotion des droits de l’homme, sur tous les fronts, dans tous les continents. À n’en pas douter, ce fut en effet un souci permanent dans son pontificat, maintes fois réaffirmé.
On a pu souvent cependant confondre cette insistance avec un blanc-seing ferme et définitif accordé sans sourciller à la théorie qui verrait dans l’assomption de ces droits la divinisation de la Raison affranchie de la loi naturelle et coupée de la foi en Dieu, certains pour s’y engouffrer jusqu’à transformer le catholicisme en une sorte d’humanisme horizontal, un humanisme contre l’homme puisqu’il est sans Dieu, où le mot « tolérance » devient la clé de voûte de tous les dogmes, d’autres pour fustiger ce pape des « droits de l’homme sans Dieu » qui désertait son premier devoir et introduisait une rupture dans la Tradition de l’Église. Défaut de compréhension ? Dans le premier cas, c’est comme si l’on n’aimait pas vraiment Dieu, un peu encombrant par ce qu’il pourrait contrarier notre vie mondaine et consumériste ; dans le deuxième cas, c’est comme si l’on n’aimait pas l’homme et cette enveloppe charnelle dont on voudrait se dispenser pour n’avoir pas su l’apprivoiser. Dans l’un et l’autre cas, c’est la grâce reçue sous le régime de l’Incarnation qui n’est pas reçue en vérité, matérialisme individualiste ou spiritualisme orgueilleux.
Étrange interprétation de toute façon – la même en l’un et l’autre cas – qui contredit visiblement le témoignage éclatant de la sainteté d’un homme fidèle à la grâce – ou il faudrait trouver au lutteur de Dieu une incohérence profonde, lui dont toute la vie fut un doigt levé vers le ciel – et ignore son enseignement constant sur la primauté de Dieu dans la vie des hommes.
Est-ce bien le même qui affirmait le 10 octobre 1980, dès les premiers mots d’un discours au Congrès international sur évangélisation et athéisme, pour situer le cours de son propos : « Comme il est facile de le constater, l’athéisme est sans conteste l’un des phénomènes majeurs, et il faut même dire, le drame spirituel de notre temps » ? Constat que l’on peut facilement rapprocher des premières lignes de l’un des ouvrages majeurs du Cardinal de Lubac, Le drame de l’humanisme athée :
Sous les innombrables courants de surface qui portent dans tous les sens la pensée de nos contemporains, il nous a semblé en effet qu’il existait un courant profond, ancien déjà, ou plutôt une sorte d’immense dérive : par l’action d’une partie considérable de son élite pensante, l’humanité occidentale renie ses origines chrétiennes et se détourne de Dieu. […] De plus en plus, l’athéisme contemporain se veut se veut positif, organique, constructif.1
Jean-Paul II le situe quant à lui de façon précise dans l’histoire : « Voici que, en un gigantesque défi, l’homme moderne, depuis la Renaissance, s’est dressé contre ce message de salut, et s’est mis à refuser Dieu au nom même de sa dignité d’homme. » Poursuivant le raisonnement et l’adaptant à l’époque – trente ans après –, il constate l’évolution des sociétés occidentales, à partir de ces influences idéologiques. Celles-ci, d’une certaine manière, ont disparu dans leur expression formelle, faute aussi de serviteurs suffisamment instruits ou aguerris. C’est aussi ce que constatait, non sans humour, Etienne Gilson, dans ce remarquable opuscule qui faisait suite aux Constantes philosophiques de l’être, L’athéisme difficile. Au sortir des années 70, celles du déclin des idéologies d’après-guerre et de la montée en puissance du matérialisme… d’après-guerre – le deuxième est moins astreignant et plus flatteur, plus sûr aussi à première vue –, l’athéisme n’est plus seulement réservé à une aristocratie de la pensée ; il s’est diffusé dans toutes les couches de la société occidentale via les moyens de communication, « l’opinion publique » et le mode de vie consumériste. Mais plus encore, parce que les chrétiens sont dans le monde et ne sont pas toujours armés, spirituellement, intellectuellement ou moralement pour y faire face, cet état d’esprit va se répandre chez eux, être même véhiculé par les baptisés, cette fois avec plus d’autorité puisqu’ils sont sensés connaître les chemins du Royaume des cieux :
D’abord réservé à un petit groupe d’esprits, l’intelligentsia qui se considérait comme une élite, l’athéisme est aujourd’hui devenu un phénomène de masse qui investit les Églises. Bien plus, il les pénètre de l’intérieur, comme si les croyants eux-mêmes, y compris ceux qui se réclament de Jésus-Christ, trouvaient en eux une secrète connivence ruineuse de la foi en Dieu, au nom de l’autonomie et de la dignité de l’homme. C’est d’un « véritable sécularisme » qu’il s’agit, selon l’expression de Paul VI dans son Exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi : « Une conception du monde d’après laquelle ce dernier s’explique par lui-même sans qu’il soit besoin de recourir à Dieu ; Dieu devenu ainsi superflu et encombrant. Un tel sécularisme, pour reconnaître le pouvoir de l’homme, finit donc par se passer de Dieu et même par renier Dieu ». Tel est le drame spirituel de notre temps.
La conséquence est inévitable, à cause de la tendance incoercible de l’être humain vers le bonheur : l’homme va se tromper de ciel, ou d’espérance – c’est ce que relevait Benoît XVI dans sa deuxième encyclique en appelant à entrer dans la « grande espérance », Dieu n’étant plus qu’une projection de ses désirs ou des fantasmes. C’est le drame ici, non seulement de l’humanisme athée, mais d’un catholicisme aplati en humanisme, qui justifie toutes les démissions et encourage tous les compromis, jusqu’à dénaturer la charité elle-même.
En germe, l’on retrouve aussi dans cette puissante intervention tout le fil de la réflexion de la grande encyclique Fides et Ratio, où le pasteur reste le philosophe :
Qu’est-ce que la vie ? Qu’est-ce que l’amour ? Qu’est-ce que la mort ? Depuis qu’il y a des hommes qui pensent, ces questions fondamentales n’ont cessé d’habiter leur esprit. Depuis des millénaires, les grandes religions se sont efforcées d’y apporter leurs réponses. L’homme lui-même n’apparaissait-il pas, au regard pénétrant des philosophes, comme étant, indissociablement, homo faber, homo ludens, homo sapiens, homo religious ?
Le raisonnement qui suit entre en plein cœur d’un débat qui a beaucoup agité les théologiens sur l’interprétation du Concile et sur la doctrine même de Paul VI : quelle place tient l’homme dans le monde ? Par rapport à Dieu ? Est-il à lui-même sa propre fin ? N’a-t-on pas absolutisé la dignité de l’homme, jusqu’à rendre inutile le salut et l’intervention divine ? Il convient ici de reprendre soigneusement les explications de Jean- Paul II, qui procède étape par étape. Voici tout d’abord la citation maintes fois reprise de Paul VI lors de la clôture du Concile :
L’humanisme laïque et profane, a dit Paul VI lors de la clôture du Concile, est apparu dans sa terrible stature et a en un certain sens défié le Concile. La religion du Dieu qui s’est fait homme s’est rencontrée avec la religion – car c’en est une – de l’homme qui se fait Dieu. Qu’est-il arrivé ? Un choc, une lutte, un anathème ? Cela pouvait arriver, mais cela n’a pas eu lieu. La vieille histoire du Samaritain a été le modèle de la spiritualité du Concile.
Voici ensuite ce commentaire qui reprend à son compte le constat de son prédécesseur, et qui, lu sans lunettes déformantes, apporte la réponse entière au dilemme apparent :
Telle est la conviction de notre humanisme plénier, qui nous porte au-devant même de ceux qui ne partagent pas notre foi en Dieu, au nom de leur foi en l’homme – et c’est là le tragique malentendu à dissiper. À tous, nous voulons dire avec ferveur : nous aussi, autant et plus que vous, s’il est possible, nous avons le respect de l’homme. Aussi voulons-nous vous aider à découvrir et à partager avec nous la joyeuse nouvelle de l’amour de Dieu, de ce Dieu qui est la source et le fondement de la grandeur de l’homme, lui-même fils de Dieu, et devenu notre frère en Jésus-Christ.
On le constate : il est bien question de dissiper un « tragique malentendu », celui qui mettrait en concurrence la dignité de l’homme et la nécessité du salut, donc de la grâce, et arrêteraient ceux qui « ne partagent pas notre foi en Dieu au nom de leur foi en l’homme ». Malentendu contraire en effet aussi bien à l’Évangile qu’à la Tradition de l’Église tout entière, au bon sens tout simplement. Si Dieu s’est incarné en son Fils, c’est bien par amour pour l’homme, et par amour infini, jusqu’à la mort sur la Croix. On sait la clé de l’Évangile : « Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé » (Jn 3, 17). Ce n’est pas péché que de servir l’homme (« Le Fils de l’Homme n’est pas venu dans le monde pour être servi, mais pour servir » (Mc 10, 45), que d’aimer l’homme, que de professer un « humanisme plénier », c’est- à-dire une doctrine de la Rédemption qui permette à l’homme de vivre en plénitude, racheté de ce qui le diminue ou le tue, dans sa vocation d’image de Dieu et d’enfant adoptif.
Si l’on doutait encore, voici la suite, qui vient confirmer le paragraphe précédent :
Qu’y a-t-il apparemment de commun, en effet, entre des pays où l’athéisme théorique, pourrait-on dire, est au pouvoir, et d’autres au contraire dont la neutralité idéologique professée recouvre un véritable athéisme pratique ? Sans doute la conviction que l’homme est, à lui seul, le tout de l’homme. Certes, le psalmiste déjà allait, répétant : « Insensés, ceux qui disent qu’il n’y a pas de Dieu ». Et l’athéisme n’est pas d’aujourd’hui. Mais il était comme réservé à notre temps d’en faire la théorisation systématique, indûment prétendue scientifique, et d’en mettre en œuvre la pratique à l’échelle de groupes humains et même d’importants pays.
Cette conviction profonde habitait le Bienheureux Jean-Paul II, qui a pu à loisir étayer son raisonnement, au-delà des heures de prière où apparaît le juste rapport entre l’homme et Dieu, aussi bien sous les régimes nazi ou communiste que dans l’Occident sécularisé contre lequel il mit en garde les pays de l’est tout de suite après la chute du mur de Berlin. Il n’est ici que de reprendre les discours ou homélies prononcés en Tchécoslovaquie en avril 1990, qui ne sont qu’une application pratique et un rappel des enseignements délivrés lors de ce Congrès, ou d’une autre manière la grande encyclique Laborem exercens (14 septembre 1981) qui renvoie dos à dos communisme et capitalisme matérialistes.
Suit alors, après cet état des lieux sans concession, l’exhortation de l’homme de foi et d’espérance, du pasteur. Si l’on cherche quelque part une clé pour discerner les chemins de la Nouvelle évangélisation, si l’on veut savoir le pourquoi du discours de Benoît XVI aux Bernardins, l’initiative du Parvis des Gentils – sur laquelle nous reviendrons dans le prochain numéro de Kephas –, la création du Conseil Pontifical pour la Nouvelle évangélisation, il suffit de lire ces quelques mots :
Et pourtant, comment ne pas le reconnaître avec admiration, l’homme résiste devant ces assauts répétés et ces feux croisés de l’athéisme pragmatiste, néopositiviste, psychanalytique, existentialiste, marxiste, structuraliste, nietzscheen… L’envahissement des pratiques et la déstructuration des doctrines n’empêchent pas, bien au contraire, parfois même elles suscitent, au cœur même des régimes officiellement athées, comme au sein des sociétés dites de consommation, un indéniable réveil religieux. Dans cette situation contrastée, c’est un véritable défi que l’Église doit affronter, et une tâche gigantesque qu’il lui faut réaliser, et pour laquelle elle a besoin de la collaboration de tous ses fils : réacculturer la foi dans les divers espaces culturels de notre temps, et réincarner les valeurs de l’humanisme chrétien.
Et de citer Pascal, en cette phrase jamais vraiment explorée qui renvoie elle aussi dos à dos les critiques des deux bords : « l’homme passe infiniment l’homme ». Cela suppose une attitude d’âme hardie, résolue, lucide, une conscience droite et sans faux-fuyants :
L’athéisme proclame la disparition nécessaire de toute religion, mais il est lui-même un phénomène religieux. N’en faisons pas, pour autant, un croyant qui s’ignore. Et ne ramenons pas ce qui est un drame profond à un malentendu superficiel. Devant tous les faux dieux sans cesse renaissants du progrès, du devenir, de l’histoire, sachons retrouver le radicalisme des premiers face aux idolâtres du paganisme antique, et redire avec saint Justin : « Certes, nous l’avouons, nous sommes les athées de ces prétendus dieux. »
Pourtant, la nature a horreur du vide, et la vie entière de Jean-Paul II l’illustre à sa manière, avec cette foi qui soulève les montagnes, mais aussi germe en silence et se développe sans bruit, ainsi que le relève encore Henri de Lubac à la lecture de L’idiot de Dostoïevski :
En ce siècle, l’Europe est devenue savante. L’Europe perd la foi. Versillov, cet homme plein de songes, contemple avec effroi ce crépuscule, et il entend sonner sur elle un glas d’enterrement. Il pleure sur « la vieille idée qui s’en va. Mais l’athéisme occidental n’aura qu’un temps. Car « l’homme ne peut vivre sans Dieu » (L’Adolescent), et les pauvres femmes du peuple l’emporteront sur les savants, parce qu’en elles s’exprime, plus simplement mais plus complètement aussi que par la voix de l’homme souterrain, l’élan incoercible de l’âme faite à l’image de Dieu.2
C’est d’ailleurs le Père de Lubac, précisément, que cite Jean-Paul II :
Il n’est pas vrai que l’homme ne puisse organiser la terre sans Dieu. Ce qui est vrai, c’est que, sans Dieu, il ne peut en fin de compte que l’organiser contre l’homme. L’humanisme exclusif est un humanisme inhumain.
Qu’on nous pardonne ici de citer le long extrait qui va suivre. À sa petite place, c’est très exactement l’objectif qui a présidé à la naissance de la revue Kephas. Il reste aujourd’hui d’une singulière actualité pour tous les catholiques ; il est même d’une urgence renouvelée, à l’heure où tant de forces se dispersent dans des arguties byzantines, dans des discussions de salon qui se concluent sur le constat amer – mais rassurant par son unanimité et le sérieux appliqué de son argumentation – des dérives du monde moderne et des dangers qui le guettent, dans des heures passées à courir sur internet et ses magistères virtuels – quoiqu’il s’y trouve aussi beaucoup de bon, voire de très bon, et de très utiles outils de discernement ou d’information – ou dans des foliocules à la quête de la dernière information croustillante. Rarement le devoir du catholique dans le monde moderne aura-t-il été décrit avec autant de précision, de lucidité et de force, d’intelligence et de foi :
Quelle invitation à revenir au cœur de notre foi : « Le Rédempteur de l’homme, Jésus-Christ, est le centre du cosmos et de l’histoire ». L’écroulement du déisme, la conception profane de la nature, la sécularisation de la société, la poussée des idéologies, l’émergence des sciences humaines, les ruptures structuralistes, le retour de l’agnosticisme, et la montée du néopositivisme technicien ne sont- ils pas autant de provocations pour le chrétien à retrouver dans un monde vieillissant toute la force de la nouveauté de l’Évangile toujours neuf, source inépuisable de renouvellement : « Omnem novitatem attulit, semetipsum afferens ? ». Et saint Thomas d’Aquin, à onze siècles de distance, prolongeait le mot de saint Irénée : « Christus initiavit nobis viam novam. »
C’est au chrétien qu’il appartient d’en donner témoignage. Il porte certes ce trésor dans des vases d’argile. Mais il n’en est pas moins appelé à placer la lumière sur le candélabre, pour qu’elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. C’est le rôle même de l’Église, dont le Concile nous rappelait qu’elle est porteuse de Celui qui, seul, est Lumen Gentium. Ce témoignage doit être à la fois un témoignage de pensée et un témoignage de vie. Puisque vous êtes des hommes d’étude, j’insisterai en terminant sur la première exigence, la seconde en effet nous concerne tous.
Apprendre à bien penser était une résolution que l’on professait hier volontiers. C’est toujours une nécessité première pour agir. L’apôtre n’en est pas dispensé. Que de baptisés sont devenus étrangers à une foi qui jamais peut-être ne les avait vraiment habités parce que personne ne la leur avait bien enseignée ! Pour se développer, le germe de la foi a besoin d’être nourri de la parole de Dieu, des sacrements, de tout l’enseignement de l’Église et ceci dans un climat de prière. Et, pour atteindre les esprits tout en gagnant les cœurs, il faut que la foi se présente pour ce qu’elle est, et non pas sous de faux revêtements. Le dialogue du salut est un dialogue de vérité dans la charité.
Qui s’y dérobera ? Il est bien question de l’homme, et de Dieu.

Bienheureux Jean-Paul II : le pape des droits de l’homme et l’athlète de Dieu. C’est tout comme, si l’on sait lire et voir.

Henri de Lubac, Le drame de l’humanisme athée, Spes 1950, p. 7.
Henri de Lubac, Le drame de l’humanisme athée, p. 336–337

JEAN-PAUL II ET MARIE

18 décembre, 2014

http://www.eglise.catholique.fr/vatican/les-papes-recents/beatification-de-jean-paul-ii/jean-paul-ii-et-la-priere/366977-jean-paul-ii-et-marie/

JEAN-PAUL II ET MARIE

Publié le 23 mars 2011

Evêque de Grenoble-Vienne, Mgr Guy de Kerimel nous éclaire sur la devise du pape Jean-Paul II, sa dévotion à Marie et la prière du chapelet.

Totus tuus (Tout à Toi, Marie)

de Kérimel Guy – Grenoble Vienne

« C’est l’abréviation de la forme la plus complète de la consécration à la Mère de Dieu qui est : ‘Je suis tout à toi et tout ce qui est à moi est à toi. Je te reçois dans tout ce qui est à moi. Prête-moi ton cœur, Marie’ » dit Jean-Paul II, à propos de la devise qu’il a choisie1 .
De la dévotion mariale de son enfance, le jeune Karol Wojtyla passe à une véritable lumière sur le rôle de Marie dans le mystère du salut, grâce à la lecture du « Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge Marie »2 qui le conduit à s’offrir au Christ, par les mains de Marie. « Grâce à saint Louis-Marie Grignion de Montfort, j’ai compris que l’authentique dévotion à la Mère de Dieu est véritablement christocentrique, profondément enracinée dans le mystère trinitaire… Cette forme de piété n’a cessé de mûrir en moi et de porter ses fruits »3 .
Prêtre, évêque, puis Pape, Karol Wojtyla, devenu Jean-Paul II, aime prier le chapelet ; il fréquente les sanctuaires mariaux de Pologne et du monde entier. On se souvient de l’attentat qui a failli lui coûter la vie, place St Pierre à Rome, le 13 mai 1981, jour de la fête de Notre-Dame de Fatima ; Jean-Paul II fut convaincu de l’intervention de Marie pour lui conserver la vie, et il donna la balle qui l’avait atteint au sanctuaire de Fatima : elle est insérée dans la couronne de la statue de la Vierge Marie. Plus tard, il fera déclarer que le troisième secret de Fatima le concernait et prédisait l’attentat dont il avait été victime4 .
La Vierge Marie, si fortement présente dans sa vie personnelle, l’est aussi dans la prédication de Jean-Paul II, au nom de sa mission d’ « affermir ses frères » (cf. Luc 22, 32). Il invite les chrétiens à redécouvrir « la vérité objective sur la Mère de Dieu »5 , dans leur vie personnelle et dans la vie de l’Eglise : « Je voudrais vous résumer en deux paroles la sublime leçon de l’Evangile de Marie : La Vierge est Mère, la Vierge est Modèle »6 .

Mère et Modèle
Marie est la Mère de Dieu. Au pied de la croix, elle devient Mère des disciples de son Fils, la Mère de tout être humain pour lequel Jésus a donné sa vie : « On découvre la valeur réelle de ce qu’a dit Jésus à sa Mère à l’heure de la Croix : ‘Femme, voici ton fils’, puis au disciple : ‘Voici ta mère’ (Jean 19, 26-27). Ces paroles déterminent la place de Marie dans la vie des disciples du Christ… »7 . « La maternité de Marie est un don, un don que le Christ lui-même fait personnellement à chaque homme »8 .
Le chrétien, disciple du Christ, est donc invité à accueillir Marie chez lui et à établir une relation filiale envers la Mère de Dieu qu’il reçoit pour Mère : « l’offrande de soi est la réponse à l’amour d’une personne, et en particulier l’amour de la mère » 9. La relation des disciples à Marie « trouve son commencement dans le Christ, mais on peut dire qu’en définitive il est orienté vers Lui »10 .
« Vierge et mère, Marie demeure pour l’Eglise un ‘modèle permanent’ »11 . « Comme Marie qui a cru la première, accueillant la parole de Dieu qui lui était révélée à l’annonciation et lui restant fidèle en toutes ses épreuves jusqu’à la Croix, ainsi l’Eglise devient Mère lorsque, accueillant avec fidélité la parole de Dieu, ‘par la prédication et par le baptême, elle engendre, à une vie nouvelle et immortelle, des fils conçus du Saint-Esprit et nés de Dieu »12. Elle est « modèle d’une vie engagée avec Dieu et avec les hommes, dans le dessein de salut et la fidélité à son peuple »13 .
Que la Vierge Marie marche avec nous, dans notre pèlerinage de foi qui nous conduit à la rencontre du Christ Ressuscité !

+ Guy de Kerimel
Evêque de Grenoble-Vienne

1 Jean-Paul II, « Ma vocation, don et mystère », p. 43, Bayard Editions, Cerf, Fleurus Mame, Téqui, 1996.
2 Saint Louis-Marie Grignion de Montfort, 1673-1716, « Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge ».
3 Jean-Paul II, « Entrez dans l’Espérance », Plon-Mame, Paris, 1994, p. 307.
4 Déclaration du Cardinal Angelo Sodano, à la fin de la messe à Fatima, le 13 mai 2000.
5 Jean-Paul II, « Entrez dans l’Espérance », op. cit., p. 308.
6 Jean-Paul II, au sanctuaire marial de Suyapa, au Honduras, le 8 mars 1983 ; « La très sainte Vierge Marie », allocutions et écrits de Jean-Paul II, présentés par l’abbé Paul, p. 132, Téqui, 1985.
7 Encyclique « Redemptoris Mater » 1987, 44.
8 Ibid., 45.

JEAN-PAUL II : ROYAUME DE PAIX ET DE BÉNÉDICTION PS 71, 12-13.17-19

2 décembre, 2014

http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/audiences/2004/documents/hf_jp-ii_aud_20041215_fr.html

JEAN-PAUL II

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 15 décembre 2004

ROYAUME DE PAIX ET DE BÉNÉDICTION

LECTURE: PS 71, 12-13.17-19

1. La Liturgie des Vêpres, que nous suivons à travers la série de ses Psaumes, nous propose en deux étapes distinctes le Psaume 71, un hymne royal et messianique. Alors que nous avons déjà médité sur la première partie (cf. vv. 1-11), se trouve à présent devant nous le deuxième mouvement poétique et spirituel de ce chant consacré à la figure glorieuse du roi Messie (cf. vv. 12-19). Nous devons cependant immédiatement signaler que le finale des deux derniers versets (cf. vv. 18-19) est en réalité un ajout liturgique successif au Psaume.
Il s’agit, en effet, d’une brève mais intense bénédiction, qui devait sceller le deuxième des cinq livres dans lesquels la tradition hébraïque avait divisé le recueil des 150 Psaumes: ce deuxième livre avait commencé par le Psaume 41, celui de la biche assoiffée, symbole lumineux de la soif spirituelle de Dieu. C’est à présent un chant d’espérance dans une ère de paix et de justice qui conclut cette séquence de Psaumes et les paroles de la bénédiction finale sont une exaltation de la présence efficace du Seigneur dans l’histoire de l’humanité, où « il accomplit des merveilles » (Ps 71, 18), ainsi que dans l’univers créé comblé de sa gloire (cf. v. 19).
2. Comme il apparaissait déjà dans la première partie du Psaume, l’élément décisif pour reconnaître la figure du roi messianique est surtout la justice et son amour pour les pauvres (cf. vv. 12-14). Ces derniers n’ont que lui comme point de référence et source d’espérance, dans la mesure où il est le représentant visible de leur unique défenseur et patron, Dieu. L’histoire de l’Ancien Testament enseigne qu’en réalité, les souverains d’Israël n’ont que trop souvent oublié cet engagement, opprimant les faibles, les humbles et les pauvres.
C’est pourquoi le regard du Psalmiste se pose à présent sur un roi juste, parfait, incarné par le Messie, l’unique souverain prêt à racheter « de l’oppression, de la violence » les opprimés (cf. v. 14). Le verbe hébreu utilisé est le terme juridique du protecteur des derniers et des victimes, également appliqué à Israël « racheté » de l’esclavage lorsqu’il était opprimé par la puissance du pharaon.
Le Seigneur est le « racheteur-rédempteur » primordial qui oeuvre de façon visible à travers le roi-Messie, en protégeant « la vie et le sang des pauvres », ses protégés. Or, « vie » et « sang » sont la réalité fondamentale de la personne, il s’agit de la représentation des droits et de la dignité de chaque être humain, des droits souvent violés par les puissants et les violents de ce monde.
3. Le Psaume 71 se termine, dans sa version originale, avant l’antienne finale que l’on a déjà mentionnée, par une acclamation en l’honneur du roi-Messie (cf. vv. 15-17). Celle-ci est semblable à un son de trompette qui accompagne un choeur de voeux et de souhaits adressés au souverain, pour sa vie, pour son bien-être, pour sa bénédiction, pour la permanence de son souvenir au cours des siècles.
Nous nous trouvons naturellement en présence d’éléments qui appartiennent au style des poésies de cour, avec l’emphase qui leur est propre. Mais ces paroles acquièrent désormais leur vérité dans l’action du roi parfait, attendu et espéré, le Messie.
Selon une caractéristique des poésies messianiques, toute la nature est concernée par une transformation qui est tout d’abord sociale: le froment des moissons sera tellement abondant qu’il deviendra comme une mer d’épis qui ondoient jusqu’au sommet des montagnes (cf. v. 16). Tel est le signe de la bénédiction divine qui se répand en plénitude sur une terre pacifiée et sereine. Toute l’humanité, oubliant et effaçant même chaque division, convergera vers ce souverain de justice, accomplissant ainsi la grande promesse faite par le Seigneur à Abraham: « Bénies seront en lui toutes les races de la terre » (v. 17; cf. Gn 12, 3).
4. Dans la figure de ce roi-Messie, la tradition chrétienne a perçu le portrait de Jésus Christ. Saint Augustin, dans son Commentaire sur le Psaume 71, relisant précisément le chant dans une optique christologique, explique que les humbles et les pauvres, au secours desquels le Christ vient, sont « le peuple des croyants en lui ». Rappelant les rois que le Psaume avait auparavant mentionnés, il précise même que « dans ce peuple sont aussi compris les rois qui l’adorent. Ils n’ont pas, en effet, dédaigné être humbles et pauvres, c’est-à-dire confesser humblement leurs propres péchés et reconnaître qu’ils ont besoin de la gloire et de la grâce de Dieu, afin que ce roi, fils du roi, les libérât du puissant », c’est-à-dire de Satan, le « calomniateur », le « puissant ». « Mais notre Sauveur a humilié le calomniateur, et il est entré dans la maison du puissant, en emportant ses vases après l’avoir enchaîné; il « a libéré le petit du puissant, et le pauvre qui n’avait personne pour le secourir ». En effet, aucune puissance créée n’aurait été capable d’accomplir cela: ni celle de quelque homme juste, ni même celle de l’ange. Il n’y avait personne en mesure de nous sauver; voilà alors qu’il est venu lui-même, en personne, et qu’il nous a sauvés » (71, 14: Nuova Biblioteca Agostiniana, XXVI, Roma 1970, pp. 809-811).

SAN JEAN PAUL II – SOLENNITÉ DE L’ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE (2001)

22 octobre, 2014

http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/homilies/2001/documents/hf_jp-ii_hom_20010815_assunzione-maria_fr.html

22 OCTOBRE SAN JEAN PAUL II

SOLENNITÉ DE L’ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE

HOMÉLIE DU PAPE JEAN PAUL II

Mercredi 15 août 2001

1. « Le dernier ennemi détruit, c’est la Mort » (1 Co 15, 26).

Les paroles de Paul, qui viennent de retentir au cours de la deuxième lecture, nous aident à comprendre le sens de la solennité que nous célébrons aujourd’hui. En Marie, élevée au ciel au terme de sa vie terrestre, resplendit la victoire définitive du Christ sur la mort, entrée dans le monde à cause du péché d’Adam. C’est le Christ, le « nouvel » Adam, qui a vaincu la mort, en s’offrant en sacrifice sur le Calvaire, dans un geste d’amour obéissant au Père. Il nous a ainsi sauvés de l’esclavage du péché et du mal. Dans le triomphe de la Vierge, l’Eglise contemple Celle que le Père a choisie comme vraie Mère de son Fils unique, en l’associant intimement au dessein salvifique de la Rédemption.
C’est pour cela que Marie, comme le montre bien la liturgie, est un signe réconfortant pour notre espérance. En la contemplant, enlevée dans l’exultation de la foule des anges, l’histoire humaine tout entière, avec ses lumières et ses ombres, s’ouvre à la perspective de la béatitude éternelle. Si l’expérience quotidienne nous permet de nous rendre compte que le pèlerinage terrestre est placé sous le signe de l’incertitude et de la lutte, la Vierge élevée dans la gloire du Paradis nous assure que le secours divin ne nous fera jamais défaut.
2. « Un signe grandiose apparut au ciel: une Femme! Le soleil l’enveloppe » (Ap 12,1).
Contemplons Marie, très chers frères et soeurs ici rassemblés en ce jour si cher à la dévotion du peuple chrétien. Je vous salue avec une grande affection. Je salue en particulier M. le Cardinal Angelo Sodano, le premier de mes collaborateurs, ainsi que l’Evêque d’Albano et son Auxiliaire, en les remerciant de leur présence courtoise. Je salue en outre le curé, ainsi que les prêtres qui l’aident dans sa tâche, les religieux et les religieuses et tous les fidèles présents, en particulier les consacrés salésiens, la communauté de Castel Gandolfo et celle des Villas pontificales. J’étends ma pensée aux pèlerins des différents groupes linguistiques qui ont voulu s’unir à notre célébration. Je souhaite à chacun de vivre dans la joie la solennité de ce jour, qui est riche d’occasions de méditation.
Un grand signe apparaît pour nous dans le ciel aujourd’hui: la Vierge Mère! L’auteur sacré du livre de l’Apocalypse nous en parle à travers un langage prophétique dans la première lecture. Quel prodige extraordinaire se trouve devant nos yeux stupéfaits! Habitués à fixer les réalités de la terre, nous sommes invités à regarder vers le Haut: vers le ciel, qui est notre Patrie définitive, où la Très Sainte Vierge nous attend.
L’homme moderne, peut-être plus encore que par le passé, est pris par des intérêts et des préoccupations matérielles. Il recherche la sécurité et, souvent, il fait l’expérience de la solitude et de l’angoisse. Et que dire ensuite de l’énigme de la mort? L’Assomption de Marie est un événement qui nous touche de près justement parce que l’homme est destiné à mourir. Mais la mort n’est pas le dernier mot. Elle est – comme nous l’affirme le mystère de l’Assomption de la Vierge – le passage vers la vie à la rencontre de l’Amour. Elle est le passage vers la béatitude céleste réservée à ceux qui oeuvrent pour la vérité et la justice et s’efforcent de suivre le Christ.
3. « Désormais toutes les générations me diront bienheureuse » (Lc 1, 48). Ainsi s’exprime la Mère du Christ lorsqu’elle rencontre sa parente âgée, Elisabeth. L’Evangile nous a reproposé, il y a peu, le Magnificat que l’Eglise chante chaque jour. C’est la réponse de la Madone aux paroles prophétiques de sainte Elisabeth: « Bienheureuse celle qui a cru en l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur » (Lc 1, 45).
En Marie, la promesse se fait réalité: Bienheureuse est la Mère et bienheureux serons-nous, nous, ses fils, si, comme elle, nous écoutons et nous mettons en pratique la Parole du Seigneur.
Puisse la solennité de ce jour ouvrir notre coeur à cette perspective supérieure de l’existence. Que la Vierge, que nous contemplons aujourd’hui resplendissante à la droite du Fils, aide l’homme d’aujourd’hui à vivre en croyant « en l’accomplissement de la Parole du Seigneur ».
4. « Aujourd’hui, les fils de l’Eglise sur la terre célèbrent dans la joie le passage de la Vierge à la cité divine, la Jérusalem céleste » (Laudes et hymni, VI). C’est ce que chante la liturgie arménienne aujourd’hui. Je fais miennes ces paroles, en pensant au pèlerinage apostolique au Kazakhstan et en Arménie que j’accomplirai, si Dieu le veut, dans un peu plus d’un mois. Je Te confie, Marie, l’issue de cette nouvelle étape de mon service de l’Eglise et du monde. Je Te demande d’aider les croyants à être les sentinelles de l’espérance qui ne déçoit pas, et à proclamer sans cesse que le Christ est vainqueur du mal et de la mort. Illumine, ô Femme fidèle, l’humanité de notre temps afin qu’elle comprenne que la vie de tout homme ne finit pas dans une poignée de poussière, mais est appelée à un destin d’éternel bonheur.
Marie, qui es la « joie du ciel et de la terre », veille et prie pour nous et pour le monde entier, maintenant et toujours. Amen!

MERCREDI 22 OCTOBRE 2014 – ST JEAN-PAUL II, « LE GÉANT DE DIEU » (1920-2005)

22 octobre, 2014

http://www.levangileauquotidien.org/main.php?language=FR&module=saintfeast&localdate=20141022&id=14007&fd=0

MERCREDI 22 OCTOBRE 2014 – ST JEAN-PAUL II, « LE GÉANT DE DIEU » (1920-2005)

Saint Jean-Paul II « Le Géant de Dieu » Pape (263e) de 1978 à 2005

« Au vu de la dimension extraordinaire avec laquelle ces Souverains Pontifes ont offert au clergé et aux fidèles un modèle singulier de vertu et ont promu la vie dans le Christ, tenant compte des innombrables requêtes partout dans le monde, le Saint-Père François, faisant siens les désirs unanimes du peuple de Dieu, a disposé que les célébrations de saint Jean XXIII, Pape, et de saint Jean-Paul II, Pape, soient inscrites dans le Calendrier Romain général, la première le 11, la deuxième le 22 octobre, avec le degré de mémoire facultative. […] »
De la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, 29 mai 2014, solennité de l’Ascension du Seigneur.
« Frères et sœurs, n’ayez pas peur d’accueillir le Christ et d’accepter son pouvoir ! Aidez le Pape et tous ceux qui veulent servir le Christ et, avec la puissance du Christ servir l’homme et l’humanité entière ! N’ayez pas peur ! Ouvrez, ouvrez toutes grandes les portes au Christ ! À sa puissance salvatrice ouvrez les frontières des États, les systèmes économiques et politiques, les immenses domaines de la culture, de la civilisation, du développement. N’ayez pas peur ! »
Ces paroles mémorables, prononcées le 22 octobre 1978 dans l’homélie du début du pontificat (>>> Vidéo Extraits du discours du pape) restent, désormais, sculptées dans les cœurs de tous les chrétiens et des hommes de bonne volonté du monde entier.
Ce que le Pape demandait à tous, lui même l’a fait en premier : il a ouvert au Christ la société, la culture, les systèmes politiques et économiques, en inversant, avec la force d’un géant qui venait de Dieu, une tendance qui pouvait sembler irréversible.
Karol Józef Wojtyla, devenu Jean-Paul II à son élection au Siège apostolique d’octobre 1978, est né le 18 mai 1920 à Wadowice, petite ville située à 50 km de Cracovie. Il est le plus jeune des trois enfants de Karol Wojtyla et d’Émilie Kaczorowska. Sa mère mourut en 1929. Son frère aîné Edmund, qui fut médecin, est décédé en 1932 ; leur père, ancien sous-officier, en 1941. Leur sœur Olga était décédée avant la naissance de Karol.
Il fut baptisé le 20 juin 1920, dans l’église paroissiale de Wadowice, par le prêtre François Zak, fit sa Première Communion à neuf ans et reçut la Confirmation à dix-huit ans. Ses études secondaires près l’École Marcin Wadowita de Wadowice achevées, il s’inscrit en 1938 à l’Université Jagellon de Cracovie et à un cours de théâtre. L’Université ayant été fermée en 1939 par l’occupant nazi, le jeune Karol dut travailler sur un chantier de l’usine chimique Solvay afin de gagner sa vie et d’échapper à la déportation en Allemagne.
À compter de 1942, ressentant l’appel au sacerdoce, il suivit les cours de formation du Séminaire clandestin de Cracovie. Il fut à la même époque l’un des promoteurs du Théâtre Rapsodique, lui aussi clandestin.
Après la Seconde Guerre mondiale, il poursuivit ses études au Grand Séminaire de Cracovie à peine rouvert, et également à la Faculté de théologie de l’Université Jagellon, jusqu’à son ordination sacerdotale à Cracovie le Ier novembre 1946 des mains du cardinal Adam Stefan Sapieha. Il fut ensuite envoyé à Rome par le cardinal Sapieha et poursuivit ses études doctorales sous la direction du dominicain français, le P. Garrigou-Lagrange. Il soutint en 1948 sa thèse en théologie consacrée à la Foi dans l’œuvre de saint Jean-de-la-Croix (Doctrina de fide apud Sanctum Ioannem a Cruce). Durant ce séjour romain, il occupa son temps libre pour exercer son ministère pastoral auprès des émigrés polonais de France, de Belgique et des Pays-Bas.
Il rentra en 1948 en Pologne pour être vicaire en diverses paroisses de Cracovie et aumônier des étudiants jusqu’en 1951 où il reprit ses études philosophiques et théologiques.
En 1953, il soutint à l’Université catholique de Lublin une thèse intitulée « Mise en valeur de la possibilité de fonder une éthique catholique sur la base du système éthique de Max Scheler ». Il accéda ensuite à l’enseignement professoral de la théologie morale et d’éthique sociale au Grand Séminaire de Cracovie et à la Faculté de théologie de Lublin.
Le 4 juillet 1958, Pie XII (Eugenio Pacelli, 1939-1958) le nomma Évêque titulaire d’Ombi et auxiliaire de Cracovie et, le 28 septembre suivant, il reçut la consécration épiscopale des mains de l’Archevêque Eugeniusz Baziak, en la cathédrale du Wawel (Cracovie).
Le 13 janvier 1964, il fut nommé Archevêque de Cracovie par le Bx Paul VI (Giovanni Battista Montini, 1963-1978) qui, le 26 juin 1967, l’éleva au cardinalat, du titre de S. Cesareo in Palatio, une diaconie élevée au rang presbytéral pro illa vice (pour l’occasion). Après avoir participé au Concile Vatican II (1962-1965), où il offrit notamment une importante contribution à l’élaboration de la constitution Gaudium et Spes, le Cardinal Wojtyla prit part à toutes les assemblées du Synode des Évêques.
Au cours du second Conclave de 1978, il fut élu Pape par les Cardinaux le 16 octobre et prit le nom de Jean-Paul II. Le 22 octobre, Jour du Seigneur, il entamait solennellement son ministère de 263e successeur de l’Apôtre Pierre. Son pontificat de près de 27 années allait être l’un des plus longs de l’histoire de l’Église.
Jean-Paul II a exercé son ministère pétrinien avec un inlassable esprit missionnaire, prodiguant toutes ses énergies, poussé par la sollicitude pastorale envers toutes les Églises et par la charité ouverte à l’humanité tout entière. En vingt-six années de pontificat, le Pape Jean-Paul II a accompli 104 voyages apostoliques hors d’Italie et 146 visites dans ce pays. Comme Évêque de Rome, il a visité 317 des 333 paroisses de son diocèse.
Plus qu’aucun de ses prédécesseurs, il a rencontré le Peuple de Dieu et les Responsables des nations : aux 1166 audiences générales du mercredi ont participé plus de 17.600.000 pèlerins, sans compter toutes les autres audiences spéciales et les cérémonies religieuses [plus de 8 millions de pèlerins seulement au cours du Grand Jubilé de l'An 2000] ; outre les millions de fidèles qu’il a rencontrés au cours de ses visites pastorales en Italie et dans le monde. Nombreuses sont les personnalités gouvernementales reçues en audience : il suffit de rappeler les 38 visites officielles et les 738 audiences ou rencontres de chefs d’État, ainsi que les 246 audiences et rencontres de premiers ministres.
Son amour pour les jeunes l’a poussé à lancer en 1985 les Journées mondiales de la Jeunesse, et les 19 JMJ de son pontificat ont rassemblé des millions de jeunes dans diverses parties du monde. D’autre part, son attention à la famille s’est exprimée par la tenue de Rencontres mondiales des Familles entreprises à son initiative en 1994.
Il a promu avec succès le dialogue avec les juifs et avec les représentants des autres religions, les invitant parfois à des rencontres de prière pour la paix, en particulier à Assise.
Sous sa direction l’Église s’est approchée du troisième millénaire et a célébré le grand Jubilé de l’An 2000, selon les orientations indiquées dans la Lettre apostolique Tertio Millennio Adveniente. Celle-ci s’est ensuite ouverte à la nouvelle époque, en recevant ses indications dans la Lettre apostolique Novo Millennio Ineunte, dans laquelle il montrait aux fidèles le chemin de l’avenir.
Avec l’Année de la Rédemption, l’Année mariale et l’Année de l’Eucharistie il a promu le renouveau spirituel de l’Église.
Il a donné une impulsion extraordinaire aux canonisations et aux béatifications, pour montrer d’innombrables exemples de la sainteté d’aujourd’hui, qui soient un encouragement pour les hommes de notre temps. Jean-Paul II a procédé à 147 cérémonies de béatification (1338 bienheureux) et à 51 de canonisation (482 saints). Il a proclamé Docteur de l’Église sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus.
Il a considérablement élargi le Collège des Cardinaux, en en créant 231 en neuf Consistoires, plus un in pectore, dont le nom n’a jamais été révélé. Il a également présidé six réunions plénières du Sacré Collège.
Jean-Paul II a présidé quinze Synodes des Évêques : six Assemblées ordinaires (1980, 1983, 1987, 1990, 1994 et 2001), une générale extraordinaire (1985), huit spéciales (1980, 1991, 1994, 1995, 1997, 1998 [2] et 1999).
Il a prononcé 20.351 discours pendant son seul pontificat dont 3.438 hors d’Italie. Au nombre de ses documents majeurs, on compte quatorze encycliques, quinze exhortations apostoliques, onze constitutions apostoliques et quarante-cinq lettres apostoliques.
À titre privé, en tant que Docteur, a également publié cinq livres : Entrer dans l’espérance (octobre 1994) ; Don et Mystère : en ce 50ème anniversaire de mon ordination sacerdotale (novembre 1996) ; Triptyque romain – Méditations poétiques (mars 2003) ; Levez-vous et allons ! (mai 2004) et Mémoire et Identité (février 2005).
Les seuls écrits officiels représentent plus de 80.000 pages ; à cela il faut ajouter des publications à titre personnel et sans doute des milliers de lettres et documents privés divers.
Il a promulgué le Catéchisme de l’Église catholique, à la lumière de la Tradition, interprétée avec autorité par le Concile Vatican II. Il a également réformé les Codes de droit canonique latin et oriental, a créé de nouvelles institutions et réorganisé la Curie romaine.
Jean-Paul II est décédé au Vatican le 2 avril 2005 à 21 h 37, tandis qu’on entrait déjà dans le Jour du Seigneur, Octave de Pâques et Dimanche de la Divine Miséricorde.
Les funérailles se sont déroulées le >>> 08/04/05 alors que, depuis son décès, plus de trois millions de fidèles étaient venus à Rome saluer sa dépouille, attendant jusqu’à 24 heures avant d’entrer dans la basilique Saint Pierre.
Le 28 avril, le nouveau pape Benoît XVI a accordé la dispense des 5 années après la mort pour l’ouverture de la Cause en béatification-canonisation de Jean-Paul II. La procédure canonique a été ouverte le 28 juin suivant par le card. Camillo Ruini, Vicaire général pour le diocèse de Rome.
Jean-Paul II (Karol Józef Wojtyla) a été officiellement élevé aux honneurs des autels le dimanche Ier mai 2011, au cours de la messe de béatification, sur la place Saint-Pierre de Rome, présidée par le pape Benoît XVI (>>> Homélie).
Le 27 avril 2014 sa Sainteté le pape Francesco a proclamé Saints ses prédécesseurs Jean XXIII et Jean-Paul II. Un moment de joie et de prière pour les 800.000 et plus fidèles qui du monde entier ont conflué dans la place Saint-Pierre, mais aussi le début d’un voyage eternel dans la gloire de l’Église Catholique.

Pour un approfondissement : >>> Canonisation des bienheureux Jean XXIII et Jean-Paul II
http://www.vatican.va/special/canonizzazione-27042014/index_fr.html

AUDIENCE GÉNÉRALE DE JEAN-PAUL II : LECTURE: PH 2, 6-9 (2003)

12 septembre, 2014

http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/audiences/2003/documents/hf_jp-ii_aud_20031119_fr.html

AUDIENCE GÉNÉRALE DE JEAN-PAUL II

Mercredi 19 novembre 2003

CHRIST, SERVITEUR DE DIEU – LECTURE: PH 2, 6-9

1. La Liturgie des Vêpres comprend, outre les Psaumes, également quelques cantiques bibliques. Celui qui vient d’être proclamé est certainement l’un des plus significatifs et de forte teneur théologique. Il s’agit d’un hymne inséré dans le deuxième chapitre de la Lettre de saint Paul aux chrétiens de Philippes, la ville grecque qui fut la première étape de l’annonce missionnaire de l’Apôtre en Europe. Le Cantique est considéré comme l’expression de la liturgie chrétienne des origines et c’est une joie pour notre génération de pouvoir s’associer, après deux millénaires, à la prière de l’Eglise apostolique.
Le Cantique révèle une double trajectoire verticale, un mouvement tout d’abord descendant, puis ascendant. En effet, d’un côté, il y a la descente humiliante du Fils de Dieu quand, dans l’Incarnation, il devient homme par amour des hommes. Il tombe dans la kenosis, c’est-à-dire dans le « dépouillement » de sa gloire divine, poussé jusqu’à la mort sur la croix, le supplice des esclaves qui en a fait le dernier des hommes, le transformant en véritable frère de l’humanité souffrante, pécheresse et rejetée.
2. De l’autre côté, voilà l’ascension triomphale qui s’accomplit dans la Pâque, lorsque le Christ est rétabli par le Père dans la splendeur de la divinité et est célébré comme le Seigneur par tout l’univers et par tous les hommes désormais rachetés. Nous nous trouvons face à une grandiose relecture du mystère du Christ, en particulier du mystère pascal. Saint Paul, outre à proclamer la résurrection (cf. 1 Co 15, 3-5), a également recours à la définition de la Pâque du Christ comme « exaltation », « élévation », « glorification ».
De l’horizon lumineux de la transcendance divine, le Fils de Dieu a donc franchi la distance infinie qui existe entre le Créateur et la créature. Il ne s’est pas accroché comme à une proie à sa « nature égale à Dieu », qui lui revient par nature et non par usurpation: il n’a pas voulu conserver jalousement cette prérogative comme un trésor, ni l’utiliser à son propre avantage. Au contraire, le Christ « dépouilla », « humilia » sa propre personne et apparut pauvre, faible, destiné à la mort infamante de la crucifixion. C’est précisément de cette humiliation extrême que part le grand mouvement ascensionnel décrit dans la deuxième partie de l’hymne paulinien (cf. Ph 2, 9-11).
3. Dieu « exalte » à présent son Fils en lui conférant un « nom » glorieux, qui, dans le langage biblique, indique la personne elle-même et sa dignité. Or, ce nom est « Kyrios », « Seigneur », le nom sacré du Dieu biblique, appliqué à présent au Christ ressuscité. Celui-ci place dans une attitude d’adoration l’univers, décrit selon la tripartition du ciel, de la terre et des enfers.
Dans le final de l’hymne, le Christ glorieux apparaît ainsi comme le Pantokrator, c’est-à-dire le Seigneur tout-puissant qui trône de manière triomphale dans les absides des basiliques paléochrétiennes et byzantines. Il porte encore les signes de la passion, c’est-à-dire de sa véritable humanité, mais il se révèle à présent dans la splendeur de la divinité. Proche de nous dans la souffrance et dans la mort, le Christ nous attire à présent à Lui dans la gloire, en nous bénissant et en nous faisant participer à son éternité.
4. Nous concluons notre réflexion sur l’hymne paulinien en laissant la parole à saint Ambroise, qui reprend souvent l’image du Christ qui « se dépouilla lui-même », en s’humiliant et comme en s’annulant (exinanivit semetipsum) dans l’incarnation et dans l’offrande de sa propre personne sur la croix.
En particulier, dans le Commentaire du Psaume CXVIII, l’Evêque de Milan s’exprime ainsi: « Le Christ, pendu sur la croix… fut transpercé par la lance et il s’en écoula du sang et de l’eau plus doux que tout onguent, victime agréable à Dieu, répandant dans le monde entier le parfum de la sanctification… Alors Jésus, transpercé, répandit le parfum du pardon des péchés et de la rédemption. En effet, devenu homme, de Verbe qu’il était, il avait été profondément limité, et il est devenu pauvre, bien qu’étant riche, pour nous enrichir de sa misère (cf. 2 Co 8, 9); il était puissant, il s’est manifesté comme un misérable, si bien qu’Hérode le méprisait et se moquait de lui; il savait ébranler la terre, et pourtant, il restait accroché à ce tronc; il enfermait le ciel dans une étreinte de ténèbres, il mettait le monde en croix, et pourtant, il avait été mis en croix; il baissait la tête, et pourtant, le Verbe en sortait; il avait été anéanti, et pourtant, il remplissait toute chose. Il est descendu étant Dieu, il est monté étant un homme; le Verbe est devenu chair afin que la chair puisse revendiquer pour elle le trône du Verbe à la droite de Dieu; il était entièrement couvert de plaies, et pourtant, un onguent s’en écoulait, il apparaissait déchu, et pourtant, on le reconnaissait comme Dieu » (III, 8, SAEMO IX, Milan-Rome 1987, pp. 131.133).

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