Archive pour la catégorie 'Pape Jean Paul I'

JEAN-PAUL Ier – (une ancienne prière, mon titre, en français il n’y a pas de titre )

15 mars, 2016

http://w2.vatican.va/content/john-paul-i/fr/audiences/documents/hf_jp-i_aud_27091978.html

JEAN-PAUL Ier – (une ancienne prière, mon titre , en français il n’y a pas de titre )

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 27 septembre 1978

« Mon Dieu, je vous aime de tout mon cœur, par-dessus toute chose. Vous, Bien infini, notre bonheur éternel et, par amour pour Vous, j’aime mon prochain comme moi-même et je pardonne les offenses reçues, ô Seigneur, que je vous aime toujours plus ! ».

C’est une prière très connue, entrelacée de phrases bibliques. C’est ma maman qui me l’a apprise. Encore maintenant, je la récite plusieurs fois par jour, et je vais tenter de vous l’expliquer, mot par mot, comme le ferait un catéchiste de paroisse. Nous en sommes à la troisième « lampe de sanctification » du Pape Jean XXIII : la charité. J’aime. A la Faculté de philosophie, le professeur me disait : Tu connais le campanile de St-Marc ? Oui ? Cela signifie qu’il a, de quelque manière, pénétré dans ton esprit : physiquement il est resté où il était, mais dans ton for intérieur il a imprimé comme son image intellectuelle. Toi, d’autre part, tu aimes le Campanile de Saint-Marc ? Cela signifie que, de l’intérieur, cette image te pousse, t’incline, pour ainsi dire te porte, te fait aller avec l’esprit vers le campanile qui est à l’extérieur. En somme, aimer signifie voyager, courir avec le cœur vers l’objet aimé. « L’Imitation de Jésus-Christ nous dit : qui aime « currit, volat, laetatur », court, vole, jubile (I.III, c. V, n. 4). Aimer Dieu, c’est donc voyager vers Dieu, avec le cœur. Un voyage merveilleux. Enfant, je m’extasiais devant les voyages décrits par Jules Verne (Vingt mille lieux sous les mers ; De la terre à la lune ; Le tour du monde en quatre-vingts jours, etc). Mais les voyages de l’amour envers Dieu sont infiniment plus intéressants. On les lit dans la vie des Saints. Par exemple, Saint Vincent de Paul, dont nous célébrons la fête aujourd’hui, est un géant de la charité : il a aimé Dieu mieux encore qu’un père et une mère. Il a été lui-même un père pour les prisonniers, les malades, les orphelins et les pauvres. Saint Pierre Claver, se consacrant tout à Dieu, signait comme suit : Pierre, esclave des nègres pour toujours. Le Voyage comporte également des sacrifices, mais ceci ne doit pas nous arrêter. Jésus est en croix : tu veux l’embrasser ? tu ne peux faire moins que de te pencher sur la croix et te laisser piquer par quelqu’épine de la couronne qui se trouve sur la tête du Seigneur (cf. St François de Sales, Œuvres, Annecy T. XXI, p. 153). Tu ne peux pas faire piètre figure comme le bon Saint Pierre qui savait bien crier « Vive Jésus » sur le Mont Thabor, là où régnait la joie, mais qui ne s’est même pas laissé voir aux côtés de Jésus, sur le Mont-Calvaire, où il y avait le risque et la douleur (cf. Fr. de Sales, Œuvres, T. XV, p. 140). L’amour pour Dieu est également un voyage mystérieux c’est-à-dire que je ne me mets pas en route, si Dieu ne prend pas d’abord l’initiative. « Nul ne peut venir à moi — a dit Jésus — si le Père ne l’attire (Jn 6, 44). Saint Augustin se demandait : mais alors, la liberté humaine ? c’est que Dieu, qui a voulu et édifié cette liberté, sait, Lui, comment la respecter, tout en amenant les cœurs au point qu’il a envisagé : parum est voluntate, etiam voluptate traheris ; Dieu ne t’attire pas seulement de la manière que tu voudrais, mais même de manière que tu savoures d’être attiré (Augustinus, In Jo. Evang. Tr., 26, 4). De tout mon cœur je souligne ici le terme « tout ». Dans la politique le totalitarisme est déplorable. Mais dans la religion, par contre, notre totalitarisme à l’égard de Dieu va très bien. Il est écrit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur , de toute ton âme, de toutes tes forces. Ces préceptes qu’aujourd’hui je te donne, tiens les fermes dans ton cœur ; tu les répéteras à tes fils ; tu en parleras quand tu seras assis chez toi, quand tu iras par les chemins, quand tu te coucheras et quand tu te tèveras. Tu les attacheras comme un signe sur ta main et ils serviront de fronteau entre tes yeux ; tu les inscriras sur le seuil de ta maison et sur les portes » (Deut 6, 5-9). Ce « tout » répété et soumis à la pratique avec tant d’insistance est vraiment l’étendard du christianisme maximum. Et c’est juste : Dieu est trop grand, il mérite trop de nous pour que nous puissions lui jeter, comme à un pauvre Lazzare quelques miettes de notre temps et de notre cœur. Dieu est un bien infini et il sera notre félicité éternelle : l’argent, les plaisirs, les succès de ce monde, comparés à Lui, sont à peine, des fragments de bien, de fugages moments de bonheur. Il ne serait pas sage de donner beaucoup de nous à ces choses et peu de nous à Jésus. Par-dessus toute chose. On en vient maintenant à une confrontation directe entre Dieu et l’homme, entre Dieu et le monde. Il ne serait pas juste de dire : « Ou Dieu ou l’homme ». On doit aimer et Dieu, et l’homme, ce dernier, toutefois, jamais plus que Dieu ou contre Dieu ou autant que Dieu. En d’autres mots : si l’amour de Dieu doit prévaloir, il n’est pas cependant, exclusif. La Bible déclare au sujet de Jacob qu’il est un saint (Dn 3) et qu’il est aimé de Dieu (Ma 1, 2; Rm 9, 13), elle le montre engagé dans sept années de labeur pour conquérir Rachel, pour en faire son épouse ; « et elles lui semblèrent seulement quelques journées, ces années, si grand était son amour pour elle » (Gn 29, 20). François de Sales nous offre quelque commentaire à cet égard : « Jacob, écrit-il, aimait Rachel de toutes ses forces, et de toutes ses forces, il aimait Dieu ; mais, pour autant, il n’aimait pas Rachel comme il aimait Dieu, ni Dieu comme il aimait Rachel. Il aimait Dieu comme son Dieu, pardessus toute chose et plus que lui-même ; il aimait Rachel comme son épouse, par-dessus toutes les autres femmes et comme lui-même. Il aimait Dieu d’un amour absolument et souverainement suprême et Rachel d’un amour marital suprême ; de ces amours, il n’en est pas un qui soit contraire à l’autre parce que celui pour Rachel ne viole pas la suprématie de l’amour pour Dieu » (Œuvr T. V, p. 175). Et par amour pour Vous, j’aime mon prochain. Nous sommes en présence ici de deux amours qui sont des « frères jumeaux » et inséparables. Certaines personnes, il est facile de les aimer ; pour d’autres, c’est difficile ; elles nous sont peu sympathiques, elles nous ont offensés, ou fait du mal ; ce n’est que si j’aime Dieu vraiment, sérieusement, que je parviendrai à les aimer en tant que fils de Dieu, et parce que Celui-ci me le demande. Jésus a également établi la manière d’aimer le prochain : pas seulement avec sentiment, mais avec les faits. Voici comment, a-t-il dit : Je vous demanderai : J’avais faim dans la personne de mes frères les plus humbles, m’avez-vous donné à manger ? M’avez-vous rendu visite, quand j’étais malade ? (cf. Mt 25, 34 et sv.). Le catéchisme traduit ces paroles de la Bible et d’autres dans la double liste des sept œuvres de miséricorde et des sept œuvres spirituelles. La liste n’est pas complète, et elle a besoin d’être remise à jour. Par exemple, pour les affamés, il n’est plus seulement question aujourd’hui de tel ou tel individu ; il s’agit de peuples entiers. Nous nous souvenons tous des nobles déclarations du Pape Paul VI : « Les peuples de la faim interpellent aujourd’hui, de manière dramatique, les peuples de l’opulence. L’Eglise tressaille devant ce cri d’angoisse et appelle chacun à répondre avec amour à son propre frère (Populorum Progressio, n. 3). A ce point-là, à la charité vient s’ajouter la justice, car — disait encore Paul VI — « la propriété privée ne constitue pas un droit inconditionnel et absolu pour quiconque. Personne n’est autorisé à réserver à son usage exclusif ce qui dépasse ses besoins, alors que d’autres manquent du nécessaire » (Populorum Progressio, n. 22). Par conséquent, « toute course exténuante aux armements, devient un intolérable scandale » (Populorum Progressio, n. 53). A la lumière de ces vigoureuses expressions, on voit combien nous sommes, individus et peuples, encore bien loin d’aimer autrui « comme nous mêmes », ce qui est le commandement de Jésus. Un autre commandement : « Je pardonne les offenses que j’ai reçues ». Il semble presque que le Seigneur donne la préséance au pardon sur le culte : « Quand donc tu présentes ton offrande à l’autel, si tu te souviens d’un grief que ton frère a contre toi, laisse-là ton offrande devant l’autel, et vas d’abord te réconcilier avec ton frère ; puis reviens, et présente ton offrande » (Mt 5, 23). Les dernières paroles de la prière sont : Seigneur, que je vous aime de plus en plus. Il s’agit ici également de l’obéissance à un commandement de Dieu qui, dans notre cœur, a mis la soif du progrès. Des palafittes, des cavernes et des premières cabanes, nous sommes passés aux maisons, aux palais, aux gratte-ciel ; des voyages à pied, à dos de mulet, ou de chameaux, aux carosses, aux trains, aux avions. Et l’on désire progresser encore, avoir des moyens toujours plus rapides, rejoindre des objectifs toujours plus éloignés. Mais — nous l’avons vu — aimer Dieu, cela aussi est un voyage : Dieu veut qu’il soit toujours plus intense, plus parfait. Il a dit à tous les siens : « Vous êtes la lumière du monde, le sel de la terre » (Mt 5, 8) ; « soyez parfaits comme est parfait votre Père céleste » (Mt 5, 48). Cela signifie aimer Dieu, non pas un peu, mais beaucoup, ne pas s’arrêter là où on est arrivé mais, avec Son aide, progresser dans l’amour.

Avec la bénédiction apostolique.

JEAN-PAUL Ier AUDIENCE GÉNÉRALE 1978

7 mai, 2015

http://w2.vatican.va/content/john-paul-i/fr/audiences/documents/hf_jp-i_aud_27091978.html

JEAN-PAUL Ier

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 27 septembre 1978

« Mon Dieu, je vous aime de tout mon cœur, par-dessus toute chose. Vous, Bien infini, notre bonheur éternel et, par amour pour Vous, j’aime mon prochain comme moi-même et je pardonne les offenses reçues, ô Seigneur, que je vous aime toujours plus ! ».
C’est une prière très connue, entrelacée de phrases bibliques. C’est ma maman qui me l’a apprise. Encore maintenant, je la récite plusieurs fois par jour, et je vais tenter de vous l’expliquer, mot par mot, comme le ferait un catéchiste de paroisse. Nous en sommes à la troisième « lampe de sanctification » du Pape Jean XXIII : la charité. J’aime. A la Faculté de philosophie, le professeur me disait : Tu connais le campanile de St-Marc ? Oui ? Cela signifie qu’il a, de quelque manière, pénétré dans ton esprit : physiquement il est resté où il était, mais dans ton for intérieur il a imprimé comme son image intellectuelle. Toi, d’autre part, tu aimes le Campanile de Saint-Marc ? Cela signifie que, de l’intérieur, cette image te pousse, t’incline, pour ainsi dire te porte, te fait aller avec l’esprit vers le campanile qui est à l’extérieur. En somme, aimer signifie voyager, courir avec le cœur vers l’objet aimé. « L’Imitation de Jésus-Christ nous dit : qui aime « currit, volat, laetatur », court, vole, jubile (I.III, c. V, n. 4). Aimer Dieu, c’est donc voyager vers Dieu, avec le cœur. Un voyage merveilleux. Enfant, je m’extasiais devant les voyages décrits par Jules Verne (Vingt mille lieux sous les mers ; De la terre à la lune ; Le tour du monde en quatre-vingts jours, etc). Mais les voyages de l’amour envers Dieu sont infiniment plus intéressants. On les lit dans la vie des Saints. Par exemple, Saint Vincent de Paul, dont nous célébrons la fête aujourd’hui, est un géant de la charité : il a aimé Dieu mieux encore qu’un père et une mère. Il a été lui-même un père pour les prisonniers, les malades, les orphelins et les pauvres. Saint Pierre Claver, se consacrant tout à Dieu, signait comme suit : Pierre, esclave des nègres pour toujours. Le Voyage comporte également des sacrifices, mais ceci ne doit pas nous arrêter. Jésus est en croix : tu veux l’embrasser ? tu ne peux faire moins que de te pencher sur la croix et te laisser piquer par quelqu’épine de la couronne qui se trouve sur la tête du Seigneur (cf. St François de Sales, Œuvres, Annecy T. XXI, p. 153). Tu ne peux pas faire piètre figure comme le bon Saint Pierre qui savait bien crier « Vive Jésus » sur le Mont Thabor, là où régnait la joie, mais qui ne s’est même pas laissé voir aux côtés de Jésus, sur le Mont-Calvaire, où il y avait le risque et la douleur (cf. Fr. de Sales, Œuvres, T. XV, p. 140). L’amour pour Dieu est également un voyage mystérieux c’est-à-dire que je ne me mets pas en route, si Dieu ne prend pas d’abord l’initiative. « Nul ne peut venir à moi — a dit Jésus — si le Père ne l’attire (Jn 6, 44). Saint Augustin se demandait : mais alors, la liberté humaine ? c’est que Dieu, qui a voulu et édifié cette liberté, sait, Lui, comment la respecter, tout en amenant les cœurs au point qu’il a envisagé : parum est voluntate, etiam voluptate traheris ; Dieu ne t’attire pas seulement de la manière que tu voudrais, mais même de manière que tu savoures d’être attiré (Augustinus, In Jo. Evang. Tr., 26, 4). De tout mon cœur je souligne ici le terme « tout ». Dans la politique le totalitarisme est déplorable. Mais dans la religion, par contre, notre totalitarisme à l’égard de Dieu va très bien. Il est écrit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur , de toute ton âme, de toutes tes forces. Ces préceptes qu’aujourd’hui je te donne, tiens les fermes dans ton cœur ; tu les répéteras à tes fils ; tu en parleras quand tu seras assis chez toi, quand tu iras par les chemins, quand tu te coucheras et quand tu te tèveras. Tu les attacheras comme un signe sur ta main et ils serviront de fronteau entre tes yeux ; tu les inscriras sur le seuil de ta maison et sur les portes » (Deut 6, 5-9). Ce « tout » répété et soumis à la pratique avec tant d’insistance est vraiment l’étendard du christianisme maximum. Et c’est juste : Dieu est trop grand, il mérite trop de nous pour que nous puissions lui jeter, comme à un pauvre Lazzare quelques miettes de notre temps et de notre cœur. Dieu est un bien infini et il sera notre félicité éternelle : l’argent, les plaisirs, les succès de ce monde, comparés à Lui, sont à peine, des fragments de bien, de fugages moments de bonheur. Il ne serait pas sage de donner beaucoup de nous à ces choses et peu de nous à Jésus. Par-dessus toute chose. On en vient maintenant à une confrontation directe entre Dieu et l’homme, entre Dieu et le monde. Il ne serait pas juste de dire : « Ou Dieu ou l’homme ». On doit aimer et Dieu, et l’homme, ce dernier, toutefois, jamais plus que Dieu ou contre Dieu ou autant que Dieu. En d’autres mots : si l’amour de Dieu doit prévaloir, il n’est pas cependant, exclusif. La Bible déclare au sujet de Jacob qu’il est un saint (Dn 3) et qu’il est aimé de Dieu (Ma 1, 2; Rm 9, 13), elle le montre engagé dans sept années de labeur pour conquérir Rachel, pour en faire son épouse ; « et elles lui semblèrent seulement quelques journées, ces années, si grand était son amour pour elle » (Gn 29, 20). François de Sales nous offre quelque commentaire à cet égard : « Jacob, écrit-il, aimait Rachel de toutes ses forces, et de toutes ses forces, il aimait Dieu ; mais, pour autant, il n’aimait pas Rachel comme il aimait Dieu, ni Dieu comme il aimait Rachel. Il aimait Dieu comme son Dieu, pardessus toute chose et plus que lui-même ; il aimait Rachel comme son épouse, par-dessus toutes les autres femmes et comme lui-même. Il aimait Dieu d’un amour absolument et souverainement suprême et Rachel d’un amour marital suprême ; de ces amours, il n’en est pas un qui soit contraire à l’autre parce que celui pour Rachel ne viole pas la suprématie de l’amour pour Dieu » (Œuvr T. V, p. 175). Et par amour pour Vous, j’aime mon prochain. Nous sommes en présence ici de deux amours qui sont des « frères jumeaux » et inséparables. Certaines personnes, il est facile de les aimer ; pour d’autres, c’est difficile ; elles nous sont peu sympathiques, elles nous ont offensés, ou fait du mal ; ce n’est que si j’aime Dieu vraiment, sérieusement, que je parviendrai à les aimer en tant que fils de Dieu, et parce que Celui-ci me le demande. Jésus a également établi la manière d’aimer le prochain : pas seulement avec sentiment, mais avec les faits. Voici comment, a-t-il dit : Je vous demanderai : J’avais faim dans la personne de mes frères les plus humbles, m’avez-vous donné à manger ? M’avez-vous rendu visite, quand j’étais malade ? (cf. Mt 25, 34 et sv.).
Le catéchisme traduit ces paroles de la Bible et d’autres dans la double liste des sept œuvres de miséricorde et des sept œuvres spirituelles. La liste n’est pas complète, et elle a besoin d’être remise à jour. Par exemple, pour les affamés, il n’est plus seulement question aujourd’hui de tel ou tel individu ; il s’agit de peuples entiers.
Nous nous souvenons tous des nobles déclarations du Pape Paul VI : « Les peuples de la faim interpellent aujourd’hui, de manière dramatique, les peuples de l’opulence. L’Eglise tressaille devant ce cri d’angoisse et appelle chacun à répondre avec amour à son propre frère (Populorum Progressio, n. 3). A ce point-là, à la charité vient s’ajouter la justice, car — disait encore Paul VI — « la propriété privée ne constitue pas un droit inconditionnel et absolu pour quiconque. Personne n’est autorisé à réserver à son usage exclusif ce qui dépasse ses besoins, alors que d’autres manquent du nécessaire » (Populorum Progressio, n. 22). Par conséquent, « toute course exténuante aux armements, devient un intolérable scandale » (Populorum Progressio, n. 53).
A la lumière de ces vigoureuses expressions, on voit combien nous sommes, individus et peuples, encore bien loin d’aimer autrui « comme nous mêmes », ce qui est le commandement de Jésus.
Un autre commandement : « Je pardonne les offenses que j’ai reçues ». Il semble presque que le Seigneur donne la préséance au pardon sur le culte : « Quand donc tu présentes ton offrande à l’autel, si tu te souviens d’un grief que ton frère a contre toi, laisse-là ton offrande devant l’autel, et vas d’abord te réconcilier avec ton frère ; puis reviens, et présente ton offrande » (Mt 5, 23).
Les dernières paroles de la prière sont : Seigneur, que je vous aime de plus en plus. Il s’agit ici également de l’obéissance à un commandement de Dieu qui, dans notre cœur, a mis la soif du progrès. Des palafittes, des cavernes et des premières cabanes, nous sommes passés aux maisons, aux palais, aux gratte-ciel ; des voyages à pied, à dos de mulet, ou de chameaux, aux carosses, aux trains, aux avions. Et l’on désire progresser encore, avoir des moyens toujours plus rapides, rejoindre des objectifs toujours plus éloignés. Mais — nous l’avons vu — aimer Dieu, cela aussi est un voyage : Dieu veut qu’il soit toujours plus intense, plus parfait. Il a dit à tous les siens : « Vous êtes la lumière du monde, le sel de la terre » (Mt 5, 8) ; « soyez parfaits comme est parfait votre Père céleste » (Mt 5, 48).
Cela signifie aimer Dieu, non pas un peu, mais beaucoup, ne pas s’arrêter là où on est arrivé mais, avec Son aide, progresser dans l’amour.

Avec la bénédiction apostolique.

LA MADONE ET LE JONGLEUR – PAR ALBINO LUCIANI (Pape Jean Paul I)

22 avril, 2014

http://www.30giorni.it/articoli_id_1394_l4.htm

LA MADONE ET LE JONGLEUR

PAR ALBINO LUCIANI

(Pape Jean Paul I)

Le patriarche de Venise, qui aimait séjourner l’été dans le couvent des Servites de Marie près du sanctuaire marial de Pietralba dans le Haut-Adige, se rendait souvent dans la bibliothèque des frères. En feuilletant une anthologie française, il tomba sur un récit d’Anatole France qu’il avait lu enfant, cinquante ans plus tôt, et qu’il raconta et commenta sur le Messaggero di Sant’Antonio de décembre 1976.

Saint Luc avait déjà noté que Marie n’avait pu porter au temple «qu’un couple de tourterelles, l’offrande des pauvres», (Lc 2,23). Et beaucoup de prières laissent voir que les pauvres se sont toujours sentis privilégiés auprès d’elle. Le suc de ces prières est le suivant: “Intercédez auprès de Dieu pour moi: ma qualité de pauvre homme est mon seul titre pour vous demander votre intercession”. Une prière de ce genre traverse les siècles et en parallèle circule une nouvelle sur les pauvres de Marie. Apparue en France au XIIIe siècle et racontée par des prédicateurs populaires, elle fut transcrite par l’écrivain Anatole France sous le titre: Le jongleur de Notre-Dame.
Barnabé de Compiègne était un jongleur qui allait de ville en ville en faisant des exercices de grande habilité. Mais souvent, l’hiver, il n’avait pas de travail et souffrait de la faim. Il avait une dévotion particulière à la Madone et il la priait alors ainsi: «Notre-Dame, prenez soin de ma vie jusqu’au moment où il plaira à Dieu que je meure et, quand je serai mort, faites-moi avoir la joie du Paradis». Par un soir pluvieux et glacial, il rencontra sur la route un frère et, conversant avec lui, il décida d’abandonner l’art qui l’avait rendu célèbre pour chanter, en tant que moine, les louanges de la Vierge. Quand il arriva au couvent, il remarqua que les frères rivalisaient dans les honneurs qu’ils rendaient à la Vierge et son ignorance le mit tout de suite mal à l’aise. Il se dit à lui-même: «Voilà, le prieur compose des traités sur la Vierge Marie; Frère Macrobe les recopie sur de très fines feuilles de parchemin que frère Alexandre orne ensuite de miniatures charmantes. D’autres composent des hymnes ou sculptent des statues en Son honneur. Mais moi, je ne sais rien faire, rien». «Je suis bien malheureux, Notre-Dame», disait-il à la Vierge «de n’avoir pour vous servir ni sermons édifiants, ni peintures fines, ni vers coulant avec élégance. Je n’ai rien, malheureusement». Et il s’abandonnait à la tristesse. Mais un matin, il se leva tout content, il courut à la chapelle, y resta plus d’une heure et y retourna après le déjeuner. Il y alla dès lors tous les jours et avait perdu sa tristesse. «Pourquoi Barnabé allait-il si souvent à la chapelle?», commençaient à se demander les frères. Ainsi le prieur décida-t-il d’aller voir ce qu’il faisait et il vit à travers les fentes de la porte que Barnabé faisait devant l’autel de la Madone, tête en bas, ses jeux de prestige avec les six balles de cuivre et les douze couteaux dont il avait l’habitude de se servir sur les places. Il crut qu’il était devenu fou et, criant au sacrilège, il s’apprêtait à le faire sortir de force de la chapelle, lorsqu’il vit la Madone descendre les gradins de l’autel, s’approcher de Barnabé et essuyer, avec un pan de son manteau, la sueur qui tombait du front de son jongleur. Le bon prieur se prosterna alors à terre en murmurant: «Heureux les simples d’esprit parce qu’ils verront Dieu».
Dans ce conte Marie ne nettoie pas la plume du prieur mais essuie la sueur du pauvre Barnabé: c’est vers lui, pauvre jongleur, fatigué, en sueur, par terre, qu’elle descend de son trône et c’est lui qu’elle daigne réconforter avec un pan de son manteau couleur d’azur. C’est précisément parce que nous sommes pauvres que la Vierge nous aide maintenant et à l’heure de notre mort. Celui qui voudrait raconter à nouveau le petit conte d’Anatole France, aujourd’hui où les gens ont soif de simplicité authentique, devrait souligner comme son image dans le conte correspond à l’image la plus vraie de Marie qui a dit dans son cantique: «Dieu a renversé les puissants des trônes et a élevé les humbles».

ALBINO LUCIANI, VRAI PASTEUR QUI SE VOYAIT COMME UN OISEAU TROGLODYTE (II)

10 octobre, 2012

http://www.zenit.org/article-32104?l=french

ALBINO LUCIANI, VRAI PASTEUR QUI SE VOYAIT COMME UN OISEAU TROGLODYTE (II)

Par Marco Roncalli, biographe de Jean-Paul Ier

Renzo Allegri

Traduction d’Hélène Ginabat

ROME, mercredi 10 octobre 2012 (ZENIT.org) – Jean-Paul Ier était « un vrai pasteur », « ferme sur la doctrine et les principes, mais plein de compréhension pour la fragilité humaine, proche des problèmes concrets des familles » et pourtant il se voyait comme un « de ces troglodytes qui piaillent sur la dernière branche de l’arbre », explique le biographe de Jean-Paul Ier. Sa devise ? « Humilitas ».
A l’occasion du 34ème anniversaire de l’élection de Jean-Paul Ier comme pape, puis de sa mort inattendue (26 août et 28 septembre), et du centenaire de sa naissance (17 octobre), Renzo Allegri a rencontré pour Zenit Marco Roncalli, auteur d’une biographie sur celui que l’on appelle désormais « le pape au sourire ».
(La première partie de l’interview a été publiée mardi 9 octobre)
Zenit – Et après le séminaire ?
Marco Roncalli – Il a été ordonné prêtre à 23 ans. Il a travaillé pendant deux ans dans la paroisse pour aider le curé, exerçant « ce menu apostolat parmi les gens que j’aimais tellement », disait-il. Puis il est retourné au séminaire comme enseignant et vice-directeur. Ce furent pour lui dix années supplémentaires de séminaire, de 1937 à 1947.
C’était les années de la Seconde guerre mondiale, des années difficiles, dramatiques, surtout pour l’Italie. Il les a vécues intensément, s’engageant aussi dans des activités à l’extérieur du séminaire. Il a réussi, pendant ces années-là, à obtenir summa cum laude un diplôme en théologie, à l’Université grégorienne à Rome. Mais il étudiait surtout les événements qui étaient en train de se dérouler dans le monde, la vie des hommes qui étaient en dehors du séminaire et pour lesquels il préparait les guides spirituels de l’avenir.
Puis, en 1947, ce fut le temps de l’action. Ce fut un moment difficile parce que c’est précisément à cette époque qu’il a eu de graves problèmes de santé et qu’il a dû entrer au sanatorium. Mais ses supérieurs le tenaient en grande estime et il fut nommé alors pro-vicaire du diocèse, puis vicaire général et, en 1958, évêque de Vittorio Veneto.
Il prit, comme devise de son blason, le mot « Humilitas » qu’il expliquait ainsi : « Je suis la poussière pure et pauvre ; dans cette poussière, le Seigneur a inscrit la dignité épiscopale de l’illustre diocèse de Vittorio Veneto ». Il n’a jamais eu une grande considération de lui-même. Il écrivait : « Certains évêques ressemblent à des aigles qui planent, avec des documents magistraux de haut niveau ; moi, j’appartiens à la catégorie des troglodytes qui piaillent sur la dernière branche de l’arbre ».
L’année 1962 a vu le début du concile Vatican II. Luciani était déjà évêque : comment l’a-t-il vécu ?
Avec beaucoup d’enthousiasme, mais dans l’effacement. On ne connaît pas ses interventions directes, mais il a toujours été présent à toutes les sessions. Il regardait cet événement avec étonnement. Il en parlait avec un langage sportif, le comparant à une « partie extraordinaire » où jouent « plus de 2000 évêques » et où « l’arbitre est le pape ». Mais cet événement a eu pour lui une signification immense. Il écrivait : « Le concile m’a obligé à redevenir étudiant et à me convertir aussi mentalement ». Après le concile, son action pastorale a connu un élan d’initiatives nouvelles, fortes, que beaucoup jugent, parfois, carrément révolutionnaires.
Dans quel sens ?
C’était des années de changement, de progrès économique aussi et dans la vie des chrétiens, se profilaient des problèmes nouveaux et nombreux. Luciani se montre un vrai pasteur, qui refuse de se laisser mettre dans les cases des stéréotypes habituels de « conservateur » ou « progressiste ». Il était ferme sur la doctrine et les principes, mais plein de compréhension pour la fragilité humaine, proche des problèmes concrets des familles.
A l’époque, dans notre pays, la présence d’immigrés appartenant à d’autres religions était déjà en augmentation. Il regardait ces personnes avec un cœur de père. Il écrivait : « Certains évêques sont effrayés ; mais alors, et si demain les bouddhistes viennent et font leur propagande ?… » ou encore « il y a quatre mille musulmans à Rome : ont-ils le droit de se construire une mosquée ? Il n’y a rien à dire : il faut les laisser faire ».
Compréhensif, disponible, ouvert, mais aussi intraitable sur la rigueur doctrinale et la discipline. Il a redit l’impossibilité de concilier christianisme et marxisme. Il a condamné les abus de ceux qui voulaient faire du concile « une arme pour désobéir, un prétexte pour légitimer toutes les « bizarreries » qui leur passent par la tête ». Il a toujours été dur avec les mouvements catholiques de la dissension. A Venise, comme cardinal, quand les étudiants universitaires de la Fédération universitaire catholique italienne (FUCI) se rangèrent du côté du « non » à l’abrogation de la loi sur le divorce, il a dissout l’association.
Si Luciani avait eu un pontificat plus long, quels changements, selon vous, aurait-il réalisé à l’intérieur de l’Eglise ?
Pendant les 33 jours de son pontificat, il a continué de se comporter dans la simplicité la plus absolue, comme il l’avait toujours fait. Quand, aussitôt après son élection, les cardinaux lui ont demandé quel nom il voulait prendre comme pape, il a choisit celui des deux papes qui l’avaient précédé, pour indiquer qu’il voulait se mettre dans la voie de la continuité. A la demande rituelle, il a répondu : « Je m’appellerai Giampaolo I ». Mais les cardinaux lui firent remarquer que ce nom, « Giampaolo » était trop « familier » pour un pape et c’est ainsi qu’il s’est adapté en prenant celui, plus solennel, de « Giovanni Paolo I ». Ses premières paroles aux cardinaux furent : « Qu’avez-vous fait ? Que Dieu vous pardonne ».
Dans les différents discours de ces 33 jours de pontificat, il a continué à se référer à la dimension absolue du message évangélique, en soulignant la pauvreté et le bon usage de la propriété. Il avait véritablement assimilé l’encyclique Populorum progressio de Paul VI et il aurait certainement promu une Eglise plus solidaire avec les pauvres, une plus grande communion et davantage de partage au sommet.
Il est le premier pape à avoir demandé de parler à la foule la première fois qu’il est apparu à la loggia de Saint-Pierre, ce qui était interdit par le maître des cérémonies pontificales, Virgilio Noè ; il a refusé le couronnement, la tiare, comme Paul VI, et la sedia gestatoria, sur laquelle on l’a parfois obligé de s’asseoir lors d’audiences générales. Pour parler plus spontanément, il laissait de côté les textes officiels, ce qui ne manquait pas d’alarmer les milieux de la curie romaine et de la diplomatie. Au cours des audiences, pour donner des leçons d’humanité, il invitait les enfants à dialoguer avec lui comme lorsqu’il était à Vittorio Veneto et à Venise.
Ces 33 jours ont suffi pour créer un changement de climat imprévisible dans l’Eglise. Bannissant toute forme de rhétorique, ils ont montré, par des paroles et par des gestes, la beauté du christianisme. S’il avait eu un long pontificat, il aurait certainement laissé un signe fort et incomparable.
Quelle est votre opinion sur la mort du pape Luciani ?
D’après les documents que j’ai examinés, je suis certain que sa mort est arrivée par des causes naturelles. Certain à cent pour cent. Mais il y a eu beaucoup d’hypocrisies : la première personne qui a trouvé le pape mort dans sa chambre fut la sœur qui lui apportait son café, donc une femme, ce qui a semblé inconvenant. A partir de là, on a commencé à raconter des histoires, à ajuster la vérité, à émettre des communiqués de presse embrouillés, ce qui a provoqué une confusion qui, avec les autres détails et les déclarations inopportunes, ont alimenté l’hypothèse du complot et de l’empoisonnement.

« JE DÉSIRE TE CONNAÎTRE » : LA PRIÈRE D’ALBINO LUCIANI ENFANT (I)

9 octobre, 2012

http://www.zenit.org/article-32102?l=french

« JE DÉSIRE TE CONNAÎTRE » : LA PRIÈRE D’ALBINO LUCIANI ENFANT (I)

(Première partie, plus demain, pas à moi, mais à partir du site Web de Zenith)

Par Marco Roncalli, biographe de Jean-Paul Ier

Renzo Allegri
Traduction d’Hélène Ginabat
ROME, lundi 8 octobre 2012 (ZENIT.org) – « J’ai eu la chance et la joie de découvrir un homme d’une incroyable épaisseur spirituelle » déclare l’auteur d’une imposante biographie sur Jean-Paul Ier. Il cite cette prière d’Albino Luicnao enfant : « Je n’ai pas fait d’études, je suis pauvre, mais je désire te connaître ».
Août, septembre et octobre évoquent trois événements importants liés à la vie de celui qui est désormais connu comme « le pape au sourire » : le 34èmeanniversaire de son élection sur le Siège de Pierre, le 26 août, celui de sa mort inattendue, le 28 septembre, et le centenaire de sa naissance le 17 octobre. Rencontre de Renzo Allegri avec l’auteur.
Zenit – Pourquoi Albino Luciani ?
Marco Roncalli – Quand j’ai commencé à travailler sur ce projet, je me suis retrouvé devant un fait singulier : un pape qui avait régné seulement 33 jours, un temps extrêmement bref pour avoir pu faire des choses importantes, mais qui avait malgré tout laissé parmi les croyants une fascination extraordinaire. Son activité en tant que pape ne justifiait pas cette fascination, il fallait donc en chercher la cause ailleurs. C’est-à-dire dans la vie d’Albino Luciani avant l’élection comme pape.
Un devoir difficile, parce que l’ample littérature qui a fleuri sur lui après sa mort, concernait surtout le roman policier de sa disparition. En réalité, il fallait découvrir et étudier toute la vie d’Albino Luciani. Tenant compte qu’il fut toujours une personnalité timide, réservée, jalouse de sa propre vie privée, j’ai dû affronter un travail de recherche épuisant. Mais j’ai eu la chance et la joie de découvrir un homme d’une incroyable épaisseur spirituelle.
Qui étaient les parents d’Albino Luciani ?
Albino était l’ainé de Giovanni Luciani et Bortola Tancon, un couple très pauvre et très éprouvé par la vie. Jean, veuf à quarante ans, avait eu cinq enfants d’un premier mariage : 3 fils, morts en bas âge et deux filles sourdes-muettes, qui furent confiées à des parents. A onze ans, il avait commencé à émigrer pour le travail et était resté dans différents pays en Europe et même en Amérique. Les difficultés et les souffrances avaient endurci son cœur : il militait dans le parti socialiste et avait oublié la foi de ses pères.
Bortola, 31 ans, avait passé elle aussi une partie de son existence loin de chez elle pour chercher du travail. Elle a connu Giovanni à Venise, où elle était femme de chambre et ils se sont mariés en 1911. Bortola était très croyante, pratiquante, pieuse et elle réussit, par sa bonté, à ramener son mari à la pratique religieuse.
Pourquoi ont-ils donné à leur fils ainé le prénom insolite d’Albino ?
Giovanni avait déjà donné ce nom à ses trois garçons nés du premier mariage et morts tout de suite après la naissance parce que Albino était le prénom d’un de ses compagnons d’émigration qui était mort dans un accident de chantier. Ce prénom lui rappelait les sacrifices terribles qu’il avait dû accepter à travers le monde. Après Albino, le couple a eu trois autres enfants, mais deux d’entre eux seulement ont survécu.
Que sait-on d’Albino Luciani enfant ?
Dès son enfance, il a dû affronter des situations de vie difficiles qui ont laissé des signes profonds dans son âme. Il a pratiquement grandi sans son père. En 1913, quand Albino avait un an, son père était en Argentine. Il est rentré pour la guerre de 1915-1918 et il est reparti après. C’est sa mère qui l’a élevé et éduqué et qui a transmis les valeurs chrétiennes à son fils. « Ma mère a été ma première maîtresse de catéchisme » aimait-il rappeler.
Les années de la guerre furent particulièrement dures dans cette partie du Veneto. Le frère d’Albino, Edoardo, racontait : « Il n’y avait que de l’herbe et les racines des plantes à faire cuire… De temps en temps, un morceau de pain fait de son et de sciure d’arbre… ». Albino, de constitution frêle, a porté toute sa vie les conséquences de ces années de misère. Il racontait lui-même être allé au sanatorium, avoir été hospitalisé huit fois et avoir subi quatre interventions chirurgicales.
Quel genre de classes a-t-il suivies ?
L’école élémentaire dans son pays natal, puis il est entré au séminaire. A l’école il travaillait bien. Il aimait lire et le curé ainsi que d’autres prêtres l’ont aidé en lui prêtant des livres. Il avait une grande facilité d’écriture. On a conservé une prière qu’il a écrite lorsqu’il était au cours élémentaire; elle est importante parce qu’elle révèle son style clair et concret, qui le caractérisera plus tard quand il sera adulte. « Seigneur, toi qui sais tout et qui peux tout, aide-moi à vivre. Je suis encore un jeune garçon, je n’ai pas fait d’études, je suis pauvre, mais je désire te connaître. Maintenant je ne sais pas vraiment qui tu es et je ne sais pas si je t’aime, mais j’aime le Pater noster, j’aime beaucoup l’Ave Maria, je prie pour les défunts de ma famille et pour mes proches. Aide-moi à comprendre… Je suis ton Albino. Amen ».
Quand a-t-il décidé de devenir prêtre ?
Sa vocation a éclos spontanément, quand il était encore enfant. Il semble qu’il ait désiré devenir frère franciscain ou jésuite. Mais le curé lui a conseillé le séminaire où il pouvait étudier et discerner, lorsqu’il aurait plus de maturité, de poursuivre ou non en vue du sacerdoce. A onze ans, il est entré au séminaire de Feltre. Evêque, il écrira : « Quand nous nous appelons mutuellement, entre hommes, l’appel est très clair… Quand Dieu appelle, c’est différent : il n’y a rien d’écrit ni de fort ou de très évident : c’est un léger murmure, à voix basse, un « pianissimo » qui effleure l’âme ».
Dans la pratique, il a toujours vécu loin du monde réel.
Mais il a toujours été attentif à ce qui se passait dans le monde réel. Même au séminaire, à travers les professeurs, arrivaient les idées politiques, religieuses et culturelles dont on débattait à cette époque. Albino Luciani était comme une éponge. Il écoutait, pensait, élaborait. Et surtout, il lisait. Pas seulement des livres à caractère religieux, mais surtout des livres de littérature qu’on ne trouvait pas toujours au séminaire et qui n’y étaient pas bien vus non plus. Quand il avait un peu d’argent, il les achetait en les commandant directement chez l’éditeur, sinon il se les faisait prêter. Pendant les années du lycée surtout, il a lu des livres de Molière, Verne, Walter Scott, Mark Twain, Dickens, Dostoievski, Tolstoï, Pouchkine, Camus, Silone, Péguy, Bernanos, Claudel, Pascal, Erasme, Montaigne, Chesterton, Goethe, Pétrarque, Eliot, Trilussa, Goldoni, Papini, Freud, Darwin, Haine, Nietzsche, Marx, Lénine, etc. Il a consacré ses mois d’été à mettre en ordre la vieille bibliothèque paroissiale de son village dont les livres s’entassaient dans le grenier du presbytère. Il a rédigé les fiches de plus de 1200 volumes, en indiquant pour chacune d’elles l’auteur, le titre, le lieu et la date d’édition, suivis d’une courte synthèse du contenu et d’une appréciation synthétique, réalisant ainsi un manuscrit volumineux de cent pages qui est encore conservé.
Il avait donc aussi une extraordinaire culture profane ?
Certainement. Il est difficile d’imaginer qu’il ait pu trouver tous ces livres au séminaire. Mais dans sa passion effrénée pour la lecture, il cherchait partout et cette passion effrénée a provoqué en lui une grave crise intérieure qui mit en sérieux danger sa vocation. C’est un frère capucin qui confessait alors au séminaire, saint Léopold Mandic, qui l’a aidé à surmonter ce moment difficile. Les conseils de ce saint furent providentiels pour le jeune Luciani qui, à partir de là, a gardé toute sa vie une photo du père Léopold dans son portefeuille, à côté de celle de sa mère.
Le jeune Luciani ne s’intéressait pas seulement à la littérature, mais aussi au cinéma, à l’art, au journalisme. Il aimait écrire et dirigeait aussi un petit journal, démontrant dès cette époque les qualités de clarté et de synthèse qui le distingueront plus tard dans ses livres.
(A suivre demain, 10 octobre 2012)
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JEAN-PAUL Ier, AUDIENCE GÉNÉRALE 1978 – AUJOURD’HUI J’ACCOMPLIS 70 ANS, CECI DES LÉGÈRES AVEC VOUS

5 mai, 2012

http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_i/audiences/documents/hf_jp-i_aud_27091978_fr.html  

AUJOURD’HUI J’ACCOMPLIS 70 ANS, AI CHERCHÉ QUELQUE CHOSE DE SPÉCIAL, DE JOLI, DE SIMPLE EN TANT QUE DES LÉGÈRES AVEC VOUS, DU PAPE JEAN-PAUL IER
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JEAN-PAUL Ier

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 27 septembre 1978

« Mon Dieu, je vous aime de tout mon cœur, par-dessus toute chose. Vous, Bien infini, notre bonheur éternel et, par amour pour Vous, j’aime mon prochain comme moi-même et je pardonne les offenses reçues, ô Seigneur, que je vous aime toujours plus ! ».

C’est une prière très connue, entrelacée de phrases bibliques. C’est ma maman qui me l’a apprise. Encore maintenant, je la récite plusieurs fois par jour, et je vais tenter de vous l’expliquer, mot par mot, comme le ferait un catéchiste de paroisse. Nous en sommes à la troisième « lampe de sanctification » du Pape Jean XXIII : la charité. J’aime. A la Faculté de philosophie, le professeur me disait : Tu connais le campanile de St-Marc ? Oui ? Cela signifie qu’il a, de quelque manière, pénétré dans ton esprit : physiquement il est resté où il était, mais dans ton for intérieur il a imprimé comme son image intellectuelle. Toi, d’autre part, tu aimes le Campanile de Saint-Marc ? Cela signifie que, de l’intérieur, cette image te pousse, t’incline, pour ainsi dire te porte, te fait aller avec l’esprit vers le campanile qui est à l’extérieur. En somme, aimer signifie voyager, courir avec le cœur vers l’objet aimé. « L’Imitation de Jésus-Christ nous dit : qui aime « currit, volat, laetatur », court, vole, jubile (I.III, c. V, n. 4). Aimer Dieu, c’est donc voyager vers Dieu, avec le cœur. Un voyage merveilleux. Enfant, je m’extasiais devant les voyages décrits par Jules Verne (Vingt mille lieux sous les mers ; De la terre à la lune ; Le tour du monde en quatre-vingts jours, etc). Mais les voyages de l’amour envers Dieu sont infiniment plus intéressants. On les lit dans la vie des Saints. Par exemple, Saint Vincent de Paul, dont nous célébrons la fête aujourd’hui, est un géant de la charité : il a aimé Dieu mieux encore qu’un père et une mère. Il a été lui-même un père pour les prisonniers, les malades, les orphelins et les pauvres. Saint Pierre Claver, se consacrant tout à Dieu, signait comme suit : Pierre, esclave des nègres pour toujours. Le Voyage comporte également des sacrifices, mais ceci ne doit pas nous arrêter. Jésus est en croix : tu veux l’embrasser ? tu ne peux faire moins que de te pencher sur la croix et te laisser piquer par quelqu’épine de la couronne qui se trouve sur la tête du Seigneur (cf. St François de Sales, Œuvres, Annecy T. XXI, p. 153). Tu ne peux pas faire piètre figure comme le bon Saint Pierre qui savait bien crier « Vive Jésus » sur le Mont Thabor, là où régnait la joie, mais qui ne s’est même pas laissé voir aux côtés de Jésus, sur le Mont-Calvaire, où il y avait le risque et la douleur (cf. Fr. de Sales, Œuvres, T. XV, p. 140). L’amour pour Dieu est également un voyage mystérieux c’est-à-dire que je ne me mets pas en route, si Dieu ne prend pas d’abord l’initiative. « Nul ne peut venir à moi — a dit Jésus — si le Père ne l’attire (Jn 6, 44). Saint Augustin se demandait : mais alors, la liberté humaine ? c’est que Dieu, qui a voulu et édifié cette liberté, sait, Lui, comment la respecter, tout en amenant les cœurs au point qu’il a envisagé : parum est voluntate, etiam voluptate traheris ; Dieu ne t’attire pas seulement de la manière que tu voudrais, mais même de manière que tu savoures d’être attiré (Augustinus, In Jo. Evang. Tr., 26, 4). De tout mon cœur je souligne ici le terme « tout ». Dans la politique le totalitarisme est déplorable. Mais dans la religion, par contre, notre totalitarisme à l’égard de Dieu va très bien. Il est écrit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur , de toute ton âme, de toutes tes forces. Ces préceptes qu’aujourd’hui je te donne, tiens les fermes dans ton cœur ; tu les répéteras à tes fils ; tu en parleras quand tu seras assis chez toi, quand tu iras par les chemins, quand tu te coucheras et quand tu te tèveras. Tu les attacheras comme un signe sur ta main et ils serviront de fronteau entre tes yeux ; tu les inscriras sur le seuil de ta maison et sur les portes » (Deut 6, 5-9). Ce « tout » répété et soumis à la pratique avec tant d’insistance est vraiment l’étendard du christianisme maximum. Et c’est juste : Dieu est trop grand, il mérite trop de nous pour que nous puissions lui jeter, comme à un pauvre Lazzare quelques miettes de notre temps et de notre cœur. Dieu est un bien infini et il sera notre félicité éternelle : l’argent, les plaisirs, les succès de ce monde, comparés à Lui, sont à peine, des fragments de bien, de fugages moments de bonheur. Il ne serait pas sage de donner beaucoup de nous à ces choses et peu de nous à Jésus. Par-dessus toute chose. On en vient maintenant à une confrontation directe entre Dieu et l’homme, entre Dieu et le monde. Il ne serait pas juste de dire : « Ou Dieu ou l’homme ». On doit aimer et Dieu, et l’homme, ce dernier, toutefois, jamais plus que Dieu ou contre Dieu ou autant que Dieu. En d’autres mots : si l’amour de Dieu doit prévaloir, il n’est pas cependant, exclusif. La Bible déclare au sujet de Jacob qu’il est un saint (Dn 3) et qu’il est aimé de Dieu (Ma 1, 2; Rm 9, 13), elle le montre engagé dans sept années de labeur pour conquérir Rachel, pour en faire son épouse ; « et elles lui semblèrent seulement quelques journées, ces années, si grand était son amour pour elle » (Gn 29, 20). François de Sales nous offre quelque commentaire à cet égard : « Jacob, écrit-il, aimait Rachel de toutes ses forces, et de toutes ses forces, il aimait Dieu ; mais, pour autant, il n’aimait pas Rachel comme il aimait Dieu, ni Dieu comme il aimait Rachel. Il aimait Dieu comme son Dieu, pardessus toute chose et plus que lui-même ; il aimait Rachel comme son épouse, par-dessus toutes les autres femmes et comme lui-même. Il aimait Dieu d’un amour absolument et souverainement suprême et Rachel d’un amour marital suprême ; de ces amours, il n’en est pas un qui soit contraire à l’autre parce que celui pour Rachel ne viole pas la suprématie de l’amour pour Dieu » (Œuvr T. V, p. 175). Et par amour pour Vous, j’aime mon prochain. Nous sommes en présence ici de deux amours qui sont des « frères jumeaux » et inséparables. Certaines personnes, il est facile de les aimer ; pour d’autres, c’est difficile ; elles nous sont peu sympathiques, elles nous ont offensés, ou fait du mal ; ce n’est que si j’aime Dieu vraiment, sérieusement, que je parviendrai à les aimer en tant que fils de Dieu, et parce que Celui-ci me le demande. Jésus a également établi la manière d’aimer le prochain : pas seulement avec sentiment, mais avec les faits. Voici comment, a-t-il dit : Je vous demanderai : J’avais faim dans la personne de mes frères les plus humbles, m’avez-vous donné à manger ? M’avez-vous rendu visite, quand j’étais malade ? (cf. Mt 25, 34 et sv.).
Le catéchisme traduit ces paroles de la Bible et d’autres dans la double liste des sept œuvres de miséricorde et des sept œuvres spirituelles. La liste n’est pas complète, et elle a besoin d’être remise à jour. Par exemple, pour les affamés, il n’est plus seulement question aujourd’hui de tel ou tel individu ; il s’agit de peuples entiers.
Nous nous souvenons tous des nobles déclarations du Pape Paul VI : « Les peuples de la faim interpellent aujourd’hui, de manière dramatique, les peuples de l’opulence. L’Eglise tressaille devant ce cri d’angoisse et appelle chacun à répondre avec amour à son propre frère (Populorum Progressio, n. 3). A ce point-là, à la charité vient s’ajouter la justice, car — disait encore Paul VI — « la propriété privée ne constitue pas un droit inconditionnel et absolu pour quiconque. Personne n’est autorisé à réserver à son usage exclusif ce qui dépasse ses besoins, alors que d’autres manquent du nécessaire » (Populorum Progressio, n. 22). Par conséquent, « toute course exténuante aux armements, devient un intolérable scandale » (Populorum Progressio, n. 53).
A la lumière de ces vigoureuses expressions, on voit combien nous sommes, individus et peuples, encore bien loin d’aimer autrui « comme nous mêmes », ce qui est le commandement de Jésus.
Un autre commandement : « Je pardonne les offenses que j’ai reçues ». Il semble presque que le Seigneur donne la préséance au pardon sur le culte : « Quand donc tu présentes ton offrande à l’autel, si tu te souviens d’un grief que ton frère a contre toi, laisse-là ton offrande devant l’autel, et vas d’abord te réconcilier avec ton frère ; puis reviens, et présente ton offrande » (Mt 5, 23).
Les dernières paroles de la prière sont : Seigneur, que je vous aime de plus en plus. Il s’agit ici également de l’obéissance à un commandement de Dieu qui, dans notre cœur, a mis la soif du progrès. Des palafittes, des cavernes et des premières cabanes, nous sommes passés aux maisons, aux palais, aux gratte-ciel ; des voyages à pied, à dos de mulet, ou de chameaux, aux carosses, aux trains, aux avions. Et l’on désire progresser encore, avoir des moyens toujours plus rapides, rejoindre des objectifs toujours plus éloignés. Mais — nous l’avons vu — aimer Dieu, cela aussi est un voyage : Dieu veut qu’il soit toujours plus intense, plus parfait. Il a dit à tous les siens : « Vous êtes la lumière du monde, le sel de la terre » (Mt 5, 8) ; « soyez parfaits comme est parfait votre Père céleste » (Mt 5, 48).

Cela signifie aimer Dieu, non pas un peu, mais beaucoup, ne pas s’arrêter là où on est arrivé mais, avec Son aide, progresser dans l’amour.

Avec la bénédiction apostolique.

«J’ai commencé à aimer la Vierge Marie… (sur Jean Paul I)

13 mars, 2012

http://www.30giorni.it/articoli_id_927_l4.htm

«J’ai commencé à aimer la Vierge Marie…

…avant même de la connaître… durant les soirées près du feu, sur les genoux maternels, la voix de maman qui récitait le rosaire…». C’est ainsi qu’Albino Luciani, pape pendant trente-trois jours du 26 août au 28 septembre 1978, a parlé de sa dévotion à la Vierge. Sa sœur Antonia raconte aujourd’hui…

par Stefania Falasca

Jean Paul I

Elle est prête aujourd’hui encore à se rendre au rendez-vous. Ponctuelle comme toujours. Ici, pendant ces soirées romaines de mai à la basilique Saint Côme et Saint Damien. Elle est entrée dans l’Église comme si elle allait à la rencontre de son enfance et il lui a semblé la retrouver. Là, à Canale. Dans ces soirées lointaines. Lorsque la place de l’Église à la tombée de la nuit est envahie par le vacarme des hirondelles et des enfants qui jouent au ballon avant que le tintement de la petite cloche ne leü appelle tous à la prière. Albino est là lui aussi parmi ces gamins qui courent derrière le ballon. Une vieille femme grommelle de temps autre contre des coups maladroits. La petite cloche sonne et les voilà à l’intérieur. Les hommes qui reviennent du travail et les femmes portant leurs enfants dans les bras se hâtent eux aussi. Nina court prendre sa place sur les marches de l’autel de l’Immaculée. Elle se met à genoux comme les autres enfants. Ils sont tous comme l’a décidé don Filippo: les enfants devant, tous les autres derrière, d’abord les hommes, puis les femmes. «C’est ainsi que commençait l’heure du rosaire», se souvient-elle, et les images défilent, nettes comme des photographies: «J’ai l’impression d’être là-bas… l’église pleine, les prières dites avec une grande dévotion, les chants… on commençait toujours par les chants à la Vierge. Quels beaux chants! Nom très doux, Ô ma belle espérance, Regarde ton peuple… je me les rappelle tous, je ne les ai plus jamais oubliés. Et cela me console tant aujourd’hui de les entendre à nouveau. En ce temps-là – continue-t-elle – on récitait le rosaire en latin et après les litanies don Filippo concluait en racontant des “fioretti”, c’est-à-dire de brefs épisodes de la vie de la Vierge ou de la dévotion des saints à la Vierge. Une année, il nous a raconté toute l’histoire de Lourdes. C’était la première fois que je l’entendais raconter…».
Ces soirées de mai, Nina se la rappelle toutes. Toutes à la suite comme les grains du chapelet qu’elle garde dans la poche de sa robe. Elle se rappelle la place de sa mère dans l’église, la place de Berto et celle d’Albino, les fleurs qu’elle allait cueillir pour “fleurir” l’autel de la Vierge, les premiers “ne m’oubliez pas” qui avaient pointé après la neige, et comme elle était contente de la tâche que don Filippo avait réservée aux petites filles. Elle se rappelle même ce mois de mai où furent déposées, à côté de l’Immaculée, les statues de sainte Agnès et de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, canonisée depuis peu. C’était en 1927. Nina était petite mais elle garde gravée dans sa mémoire cette procession de fillettes vêtues de blanc qui, depuis le village de Celat, portaient sur leurs épaules jusqu’à l’église de Canale les statues des deux saintes. Albino lui avait plusieurs fois raconté des détails de la vie de la petite sainte Thérèse et celle-ci lui était ainsi devenue particulièrement chère. «Chez nous», raconte-t-elle, «on récitait le rosaire à la maison durant toute l’année. Et aussi la supplique à la Vierge de Pompei. Durant les soirées d’hiver, nous allions avec maman chez nos grands-parents maternels et nous le récitions tous ensemble. J’ai des souvenirs précieux de ces soirées… elles ont fait notre vie, nos affections. Ce n’est qu’en mai et en octobre, les mois dédiés à la Vierge, que l’on allait à l’église pour réciter le rosaire et ceux qui ne pouvaient pas venir à cette heure-là ou qui habitaient trop loin, le récitaient devant les atriòl, les petits édicules sacrés qui se trouvent sur les routes. Il y en a beaucoup à Canale, dans nos vallées. «La dévotion à la Vierge», continue Nina «était très profonde chez nous». L’un de ces petits édicules se trouve précisément sur la route qui mène à la maison de Luciani, l’atriòl de Rividela, une ancienne image de Marie qui, autrefois, marquait un étape de la procession dite de Santa Cros. Elle avait lieu le 3 mai, le jour où l’on honorait la Sainte Croix. Ce jour-là, il n’y avait pas de récitation du rosaire à l’église. «La procession guidée par le curé», rappelle-t-elle, «partait à cinq heures et demie du matin et passait par tous les villages de la vallée. Lorsqu’elle arrivait devant l’atriòl de notre maison, on lisait un passage de l’Évangile, puis on allait à l’église pour la messe solennelle. Cette procession, je me la rappelle avec toutes les litanies, comme si c’était hier. Il y a en particulier un détail que je n’oublierai jamais. C’était une année où Pâques était tard et c’était précisément le jour où l’Albino devait rentrer au séminaire après les vacances. Je me rappelle que quand nous sommes arrivés là haut, dans le village de Carfon au-dessus de Canale, je me suis retournée pour regarder en bas vers la place et j’ai vu le car qui partait pour Belluno en emportant l’Albino. J’ai l’impression de le voir encore… j’ai éclaté en sanglots… à l’idée que le soir je ne retrouverais pas mon frère chez moi… Et c’était la même chose en octobre, lorsque vers le milieu du mois il rentrait au séminaire. Durant ces soirées d’octobre nous allions toujours à l’église ensemble. Il me prenait par la main. J’ai l’impression de le voir encore. Quand il s’en allait, je me mettais à sangloter… ses départs ont été les premières douleurs de ma vie…».
«Ainsi», raconte Nina, «passions-nous les mois de Marie de mon enfance. Et puis, s’il y a une chose que l’Albino m’a toujours recommandée, c’est de rester fidèle à la prière, en particulier au rosaire. Quand nous allions le voir à Venise il répétait toujours cela, et il le répétait aussi à ma fille Lina».

«Ainsi», raconte Nina, «passions-nous les mois de Marie de mon enfance. Et puis, s’il y a une chose que l’Albino m’a toujours recommandée, c’est de rester fidèle à la prière, en particulier au rosaire. Quand nous allions le voir à Venise il répétait toujours cela, et il le répétait aussi à ma fille Lina». Le rosaire fait de nous des enfants
«Il est impossible de concevoir notre vie, la vie de l’Église, sans le rosaire, les fêtes mariales, les sanctuaires mariaux et les images de la Vierge», écrivait Albino Luciani lorsqu’il était patriarche de Venise. Et ce qui montre avec quelle vénération pleine de tendresse et de reconnaissance il s’adressait à la Vierge et combien il avait à cœur la pratique du rosaire, ce n’est pas seulement le rappel constant qu’il en fait dans ses interventions et ses homélies, mais sa vie tout entière. Un jour, parlant du rosaire à l’occasion d’une fête mariale à Vérone, il dit: «Certains trouvent cette forme de prière dépassée, inadaptée à notre époque qui demande, dit-on, une Église qui soit tout entière esprit et charisme. L’amour, disait Charles de Foucauld, s’exprime en peu de mots, toujours les mêmes, des mots qu’il répète toujours. En répétant avec la voix et le cœur les Ave Maria, nous parlons comme des enfants à notre mère. Le rosaire, prière humble, simple et facile aide à s’abandonner à Dieu, à être des enfants». En 1975, invité par le diocèse de Sainte Marie, dans le sud du Brésil, à l’occasion du pèlerinage marial et du centenaire de l’immigration des habitants de la Vénétie dans ce pays, on lui demanda d’apporter avec lui une copie de la statue de la Vierge du Salut qui est l’objet d’une grande vénération à Venise. Luciani, qui n’aimait pas beaucoup les voyages, ne sut pas refuser cette fois-là. Arrivé au Brésil, il trouva devant lui deux cent mille personnes. Il était écrit sur une banderole: «Quand vous rentrerez en Italie, dites aux habitants de la Vénétie que nous restons fidèles à la dévotion à la Vierge». Ils avaient aussi élevé un monument de l’émigrant: un homme portant sur ses épaules le balluchon de l’expatrié; sur sa droite, sa femme vêtue des habits traditionnels de Vénétie et portant dans ses bras un enfant; du tablier de la femme on voyait s’échapper un morceau de chapelet. Luciani se rappela la lettre d’un émigré au Brésil que le curé avait lue à l’église, quand il était enfant. Et il se rappela avec quelle émotion il écoutait, enfant, les récits qui disaient la tristesse de la fête de Noël, là-bas, sans une église, sans même un prêtre pour dire la messe, avec une seule chapelle dépourvue de toute image de la Vierge. Il commença alors son homélie en disant: «Celui qui aime currit, volat, laetatur. Aimer signifie courir avec le cœur vers l’objet aimé. J’ai commencé à aimer la Vierge Marie avant même de la connaître… durant les soirées près du feu sur les genoux maternels, la voix de maman qui récitait le rosaire…». Et ayant encore sous les yeux la statue de la femme émigrante avec son rosaire, il dit: «Laissez-moi vous dire maintenant deux mots au sujet de Marie mère et sœur. Mère du Seigneur. On la voit aussi aux noces de Cana; elle manifeste un cœur de mère pour les deux époux qui se trouvent dans un grand embarras. C’est Elle qui obtient le miracle! Il semble presque que Jésus se soit inventé une loi pour lui-même: “Je fais le miracle, mais c’est Elle qui doit le demander!”. Nous devons donc l’invoquer souvent en tant que mère, nous devons avoir une grande confiance en Elle, la vénérer profondément. Saint François de Salles l’appelle même avec tendresse “notre grand-mère” pour avoir la consolation de jouer le rôle du petit-fils qui se jette avec une confiance totale dans ses bras. Mais Paul VI, qui a déclaré Marie Mère de l’Église, l’appelle souvent aussi sœur». «Marie», continua Luciani, «quoique privilégiée, quoique mère de Dieu, est aussi notre sœur. Soror enim nostra est, dit saint Ambroise. C’est vraiment notre sœur! Elle a vécu une vie comme la nôtre. Elle a dû elle aussi émigrer en Égypte. Elle a eu besoin d’aide elle aussi. Elle lavait le linge et la vaisselle, elle préparait les repas, elle balayait le sol. Elle a accompli toutes ces tâches communes mais d’une façon non commune parce que, dit le Concile, “quand elle vivait sur la terre la même vie que tous les autres, une vie remplie par les soucis de la famille et du travail, elle était toujours intimement unie à son Fils”. Si bien que la confiance, la Vierge nous l’inspire non seulement parce qu’elle est très miséricordieuse mais aussi parce qu’elle a vécu notre vie, elle a fait l’expérience de beaucoup de nos difficultés et nous devons la suivre et l’imiter spécialement dans la foi».
Nina se rappelle que, pendant les mois de Marie, on faisait des pèlerinages aussi à Canale. «Un de ces pèlerinages», raconte-t-elle, «a eu lieu en 1923 à l’occasion du Congrès eucharistique diocésain au sanctuaire de Sainte-Marie-des-Grâces, dans la vallée du Cordevole. Je me rappelle parce que, bien des années après, les femmes âgées en portaient encore l’insigne. On n’allait jamais très loin, on ne pouvait pas s’en aller des jours et des jours. Avec ma mère, quand nous étions petits, nous allions souvent à pied à la Vierge du Salut à Caviola. L’église de l’enfance du père Cappello. C’était une petite église qui, par la suite, a menaçé de s’écrouler; mais la dévotion était si grande que, quand, à la fin des années Quarante, on a décidé de la fermer pour la restaurer, les femmes sont allées protester chez le curé, elles ne voulaient pas que cette église soit fermée, pour aucune motif. Je me rappelle que l’Albino, un jour, m’a emmenée à la Vierge des Neiges près de Garès. “Allons lui porter ce cierge”, m’a-t-il dit. J’étais très petite et je l’ai accompagné contre la promesse d’une limonade; mais en chemin, il a dû me prendre dans ses bras et il est arrivé là-bas en me portant sur ses épaules». Albino a fait d’autres pèlerinages. «C’est don Filippo qui l’emmenait», raconte-t-elle. «Berto se rappellera certainement du pèlerinage que l’Albino a fait à la Vierge de Pietralba, parce qu’à son retour, trois jours après son départ», dit-elle en riant, «il est allé le réveiller en pleine nuit pour lui montrer le cadeau qu’il lui avait rapporté. Albino devait avoir treize ou quatorze ans. Il a raconté à Berto qu’ils avaient beaucoup marché, que durant une halte chez un prêtre ami de don Filippo, il s’était endormi sur sa chaise en écoutant les deux prêtres parler et puis aussi qu’ils s’étaient perdus… C’est-là la première fois que mon frère est allé à Pietralba». Le sanctuaire marial de Pietralba devint particulièrement cher à Luciani. Il y allait l’été lorsqu’il était évêque de Vittorio Veneto puis lorsqu’il était patriarche de Venise. La plus grande partie du temps qu’il séjournait là-haut, il le passait au confessionnal. Mais les sanctuaires mariaux auxquels Albino Luciani se rendit en pèlerinage sont très nombreux. Il accompagna plus d’une fois des pèlerinages diocésains à Lourdes, à Lorette et à Fatima. Au point que, dans une homélie dans l’église Sainte-Marie-des-Grâces à Venise, il dit ceci: «Lorsque je me suis préparé à parler dans ce sanctuaire marial, j’ai regardé rétrospectivement ma vie d’évêque. J’ai découvert avec surprise que j’ai accompli une partie de mon service pastoral auprès des sanctuaires». Invité un jour par le supérieur du couvent de la Vierge des Miracles de Motta di Livenza, il répondit: «Je viendrai volontiers. Quand j’étais petit j’entendais parler de la Vierge de Motta, mais je ne suis jamais arrivé à satisfaire mon désir [de m’y rendre]». Et lorsqu’il fut au couvent, durant l’homélie, il prononça ces paroles: «On écrit et on dit beaucoup de choses sur la Vierge, mais il faut faire en sorte de se faire comprendre de tous et de toucher les cœurs. Chose que l’on n’arrive pas à faire si l’on n’a pas soi-même le cœur touché: saint Alphonse était un grand homme, un théologien, mais il parlait de façon à se faire comprendre des petits, il avait le cœur touché lorsqu’il composait pour son peuple analphabète des chants qui ont été chantés dans toute l’Italie pendant plus de cent ans, spécialement durant les missions et les mois de mai. Don Bosco les a fait chanter par ses enfants. Il y en a une qui commence ainsi: Ô ma belle espérance, / mon doux amour, Marie, / tu es ma vie, / ma paix, c’est toi”. Celui qui écrivait ainsi sentait Marie proche de lui, il lui ouvrait son cœur avec confiance. Non seulement il parlait de Marie, mais il parlait à Marie, s’adressant à elle dans des prières très tendres qu’il intercalait continuellement. Le sentiment stérile et passager, le sentimentalisme, cela ne va pas, mais ce qui va bien c’est que le cœur, outre l’esprit et la volonté, participe à l’exercice du culte marial. “Que le beau nom de Marie ne quitte jamais tes lèvres”, écrivait saint Bernard, “ne quitte jamais ton cœur”». Le 29 juin 1978, trois mois exactement avant sa mort, Luciani revint à Canale pour la dernière fois. Le curé évoque la dernière image qu’il a gardée de lui: en entrant dans l’église, il l’a surpris dans la pénombre récitant son chapelet devant l’autel de l’Immaculée, là, à l’endroit précis où sa mère allait s’agenouiller. a