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CÉLÉBRATION DES VÊPRES DE LA SOLENNITÉ DE LA CONVERSION DE L’APÔTRE PAUL (2008)

25 janvier, 2017

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CÉLÉBRATION DES VÊPRES DE LA SOLENNITÉ DE LA CONVERSION DE L’APÔTRE PAUL

EN CONCLUSION DE LA SEMAINE DE PRIÈRE POUR L’UNITÉ DES CHRÉTIENS

HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI

Basilique Saint-Paul-hors-les-Murs

Vendredi 25 janvier 2008

Chers frères et sœurs,

la fête de la Conversion de saint Paul nous place à nouveau en présence de ce grand Apôtre, choisi par Dieu pour être son « témoin devant tous les hommes » (Ac 22, 15). Pour Saul de Tarse, le moment de la rencontre avec le Christ ressuscité sur le chemin de Damas marqua le tournant décisif de sa vie. C’est alors que se réalisa sa transformation complète, une véritable conversion spirituelle. En un instant, par une intervention divine, le persécuteur acharné de l’Eglise de Dieu se retrouva être un aveugle titubant dans l’obscurité, mais avec désormais une grande lumière dans son cœur, qui allait le porter, sous peu, à devenir un ardent apôtre de l’Evangile. La conscience que seule la grâce divine avait pu accomplir une semblable conversion ne quitta jamais Paul. Alors qu’il avait déjà donné le meilleur de lui-même, se consacrant inlassablement à la prédication de l’Evangile, il écrivit avec une ardeur renouvelée: « J’ai travaillé plus qu’eux tous: oh! non pas moi, mais la grâce de Dieu qui est avec moi » (1 Co 15, 10). Inlassable comme si l’œuvre de la mission dépendait entièrement de ses efforts, saint Paul fut toutefois toujours animé par la profonde persuasion que toute sa force provenait de la grâce de Dieu agissant en lui.
Ce soir, les paroles de l’Apôtre sur le rapport entre effort humain et grâce divine résonnent, remplies d’une signification tout à fait particulière. Au terme de la Semaine de Prière pour l’unité des chrétiens, nous sommes encore plus conscients de ce que l’œuvre de la recomposition de l’unité, qui requiert toute notre énergie et nos efforts, est vraiment infiniment supérieure à nos possibilités. L’unité avec Dieu et avec nos frères et sœurs est un don qui vient d’en-Haut, qui jaillit de la communion d’amour entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et qui croît et se perfectionne en elle. Il n’est pas en notre pouvoir de décider quand ou comment cette unité se réalisera pleinement. Seul Dieu pourra le faire! Comme saint Paul, nous aussi nous faisons reposer notre espérance et notre confiance « dans la grâce de Dieu qui est avec nous ». Chers frères et sœurs, c’est ce que veut implorer la prière que nous élevons ensemble vers le Seigneur, afin que ce soit Lui qui nous éclaire et qui nous soutienne dans notre recherche constante d’unité.
L’exhortation de Paul aux chrétiens de Thessalonique assume alors toute sa valeur: « Prier sans cesse » (1 Th 5, 17), qui a été choisi comme thème de la Semaine de prière de cette année. L’Apôtre connaît bien cette communauté née de son activité missionnaire et nourrit pour elle de grandes espérances. Il en connaît aussi bien les mérites que les faiblesses. Parmi ses membres, en effet, les comportements, attitudes et débats susceptibles de créer des tensions et des conflits ne manquent pas; et Paul intervient pour aider la communauté à cheminer dans l’unité et dans la paix. En conclusion de son épître, avec une bonté presque paternelle, il ajoute une série d’exhortations très concrètes, en invitant les chrétiens à favoriser la participation de tous, à soutenir les faibles, à être patients, à ne rendre à personne le mal pour le mal, à rechercher toujours le bien, à être toujours plus joyeux et à rendre grâces en toute circonstance (cf. 1 Th 5, 12-22). Au centre de ces exhortations, il demande impérativement de « prier sans cesse ». De fait, les autres admonitions perdraient de leur force et de leur cohérence si elles n’étaient pas soutenues par la prière. L’unité avec Dieu et avec les autres se construit avant tout par une vie de prière, par la recherche constante de la « volonté de Dieu sur vous dans le Christ Jésus » (cf. 1 Th 5, 18).
L’invitation adressée par saint Paul aux Thessaloniciens est toujours actuelle. Face aux faiblesses et aux péchés qui empêchent encore la pleine communion des chrétiens, chacune de ces exhortations a conservé sa pertinence, mais ceci est particulièrement vrai pour l’impératif « prier sans cesse ». Que deviendrait le mouvement œcuménique sans la prière personnelle ou commune, afin « que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi » (Jn 17, 21)? Où trouver l’ »élan supplémentaire » de foi, de charité et d’espérance dont notre recherche de l’unité a tant besoin aujourd’hui? Notre désir d’unité ne devrait pas se limiter à des occasions ponctuelles, mais devrait devenir partie intégrante de toute notre vie de prière. Les artisans de la réconciliation et de l’unité, à chaque phase de l’histoire, ont été des hommes et des femmes formés par la Parole de Dieu et par la prière. C’est la voie de la prière qui a ouvert la route au mouvement œcuménique, tel que nous le connaissons aujourd’hui. A partir du milieu du XVIII siècle, divers mouvements de renouveau spirituel sont apparus, désireux de contribuer par le biais de la prière à la promotion de l’unité des chrétiens. Depuis le début, des groupes de catholiques, animés par des personnalités religieuses de renom, ont activement participé à des initiatives similaires. La prière pour l’unité a également été soutenue par mes vénérés Prédécesseurs, comme le Pape Léon XIII qui, dès 1895, recommandait l’introduction d’une neuvaine de prière pour l’unité des chrétiens. Ces efforts, accomplis selon les possibilités de l’Eglise de l’époque, entendaient réaliser la prière prononcée par Jésus lui-même au Cénacle « afin que tous soient un » (Jn 17, 21). Il n’existe donc pas d’œcuménisme authentique qui ne s’enracine pas dans la prière.
Cette année, nous célébrons le centième anniversaire de l’ »Octave pour l’unité de l’Eglise ». Il y a cent ans, le Père Paul Wattson, à l’époque encore ministre épiscopalien, conçut une octave de prière pour l’unité, qui fut célébrée pour la première fois à Graymoor (New York) du 18 au 25 janvier 1908. Ce soir, c’est avec une grande joie que j’adresse mes salutations au Ministre général et à la délégation internationale des Frères et des Sœurs franciscaines de l’Atonement, Congrégation fondée par le Père Paul Wattson et qui promeut son héritage spirituel. Dans les années trente du siècle dernier, l’octave de prière connut d’importantes adaptations sous l’impulsion de l’abbé Paul Couturier, de Lyon, lui aussi grand promoteur de l’œcuménisme spirituel. Son invitation à « prier pour l’unité de l’Eglise telle que le Christ la désire et selon les instruments qu’il désire », permit aux chrétiens de toutes les traditions de s’unir en une seule prière pour l’unité. Nous rendons grâce à Dieu pour le grand mouvement de prière qui, depuis cent ans, accompagne et soutient ceux qui croient dans le Christ, dans leur recherche d’unité. La barque de l’œcuménisme n’aurait jamais quitté le port si elle n’avait pas été poussée par ce vaste courant de prière et par le souffle de l’Esprit Saint.
En même temps que la Semaine de prière, de nombreuses communautés religieuses et monastiques ont invité et aidé leurs membres à « prier sans cesse » pour l’unité des chrétiens. En cette occasion qui nous voit réunis, évoquons en particulier la vie et le témoignage de Sœur Marie-Gabrielle de l’Unité (1914-1936), sœur trappiste du monastère de Grottaferrata (actuellement Vitorchiano). Quand sa supérieure, encouragée par l’abbé Paul Couturier, invita les sœurs à prier et à faire don d’elles-mêmes pour l’unité des chrétiens, Sœur Marie-Gabrielle se sentit immédiatement concernée et n’hésita pas à consacrer sa jeune existence à cette grande cause. Nous célébrons aujourd’hui même le vingt-cinquième anniversaire de sa béatification par mon prédécesseur, le Pape Jean-Paul II. Cet événement eut lieu dans cette basilique, le 25 janvier 1983 précisément, durant la célébration de clôture de la Semaine de Prière pour l’Unité. Dans son homélie, le Serviteur de Dieu souligna les trois éléments sur lesquels se construit la recherche de l’unité: la conversion, la croix et la prière. C’est sur ces trois éléments que se fondèrent aussi la vie et le témoignage de Sœur Marie-Gabrielle. L’œcuménisme a un fort besoin, aujourd’hui comme hier, du grand « monastère invisible » dont parlait l’abbé Paul Couturier, de cette vaste communauté de chrétiens de toutes les traditions qui, sans bruit, prient et offrent leur vie pour que l’unité se réalise.
En outre, depuis exactement quarante ans, les communautés chrétiennes du monde entier reçoivent pour la Semaine des méditations et des prières préparées conjointement par la Commission « Foi et Constitution » du Conseil œcuménique des Eglises et par le Conseil pontifical pour la Promotion de l’Unité des Chrétiens. Cette heureuse collaboration a permis d’élargir le vaste cercle de prière et de préparer ses contenus d’une manière plus appropriée. Ce soir, je salue cordialement le Rév. Samuel Kobia, Secrétaire général du Conseil œcuménique des Eglises, venu à Rome afin de s’unir à nous pour le centenaire de la Semaine de prière. Je suis heureux de la présence des membres du « Groupe mixte de travail », que je salue affectueusement. Le Groupe mixte est l’instrument de coopération entre l’Eglise catholique et le Conseil œcuménique des Eglises dans notre recherche commune d’unité. Et, comme chaque année, j’adresse aussi mes fraternelles salutations aux Evêques, aux prêtres, aux pasteurs des diverses Eglises et Communautés ecclésiales qui ont des représentants ici à Rome. Votre participation à cette prière est l’expression tangible des liens qui nous unissent en Jésus Christ: « Que deux ou trois soient réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux » (Mt 18, 20).
Dans cette basilique historique, le 28 juin prochain, s’ouvrira l’année consacrée au témoignage et à l’enseignement de l’Apôtre Paul. Que sa ferveur inlassable pour construire le Corps du Christ dans l’unité, nous aide à prier sans cesse pour la pleine unité de tous les chrétiens! Amen!

 

BENOÎT XVI – (2Cor 1,3-14.19-20)

23 janvier, 2017

http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/it/audiences/2012/documents/hf_ben-xvi_aud_20120530.html

25 JANVIER CONVERSION DE SAINT PAUL

BENOÎT XVI – (2Cor 1,3-14.19-20)

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint-Pierre

Mercredi 30 mai 2012

Chers frères et sœurs,

au cours de ces catéchèses, nous méditons sur la prière dans les lettres de saint Paul et nous essayons de percevoir la prière chrétienne comme une véritable rencontre personnelle avec Dieu le Père, dans le Christ, par l’intermédiaire de l’Esprit Saint. Aujourd’hui, au cours de cette rencontre, entrent en dialogue le «oui» fidèle de Dieu et l’«amen» confiant des chrétiens. Je voudrais souligner cette dynamique, en m’arrêtant sur la deuxième lettre aux Corinthiens. Saint Paul envoie cette lettre passionnée à une Eglise qui a mis plusieurs fois en doute son apostolat, et il ouvre son cœur afin que les destinataires soient rassurés sur sa fidélité au Christ et à l’Evangile. Cette deuxième Lettre aux Corinthiens commence par l’une des prières de bénédiction les plus profondes du Nouveau Testament. Elle récite: «Béni soit Dieu, le Père de Notre Seigneur Jésus Christ, le Père plein de tendresse, le Dieu de qui vient tout réconfort. Dans toutes nos détresses, il nous réconforte; ainsi, nous pouvons réconforter tous ceux qui sont dans la détresse, grâce au réconfort que nous recevons nous-mêmes de Dieu» (2 Co 1, 3-4).
Paul vit donc une grande épreuve, il a dû traverser de nombreuses difficultés et douleurs, mais il n’a jamais cédé au découragement, soutenu par la grâce et par la proximité du Seigneur Jésus Christ, pour lequel il était devenu apôtre et témoin en remettant entre ses mains son existence. Précisément pour cela, Paul commence cette Lettre par une prière de bénédiction et d’action de grâce à l’égard de Dieu, car à aucun moment de sa vie d’apôtre du Christ, le soutien du Père miséricordieux, du Dieu de toute consolation ne lui a fait défaut. Il a souffert terriblement, il le dit précisément dans cette Lettre, mais dans toutes ces situations, où aucune autre voie ne semblait s’offrir, il a reçu la consolation et le réconfort de Dieu. Pour annoncer le Christ, il a subi également des persécutions, jusqu’à être enfermé en prison, mais il s’est toujours senti intérieurement libre, animé par la présence du Christ et désireux d’annoncer la parole d’espérance de l’Evangile. Ainsi, de prison, il écrit à Timothée, son fidèle collaborateur. Enchaîné, il écrit: «Mais on n’enchaîne pas la Parole de Dieu! C’est pourquoi je supporte tout pour ceux que Dieu a choisis, afin qu’ils obtiennent eux aussi le salut par Jésus Christ, avec la gloire éternelle» (2 Tm 2, 9b-10). Dans ses souffrances pour le Christ, il fait l’expérience du réconfort de Dieu. Il écrit: «De même que nous avons largement part aux souffrances du Christ, de même, par le Christ, nous sommes largement réconfortés» (2 Co 1, 5).
Dans la prière de bénédiction qui introduit la deuxième Lettre aux Corinthiens domine ainsi, à côté du thème de la douleur, le thème de la consolation, qu’il ne faut pas comprendre comme un simple réconfort, mais surtout comme un encouragement et une exhortation à ne pas se laisser vaincre par l’épreuve et par les difficultés. C’est une invitation à vivre toute situation en union avec le Christ, qui assume sur lui toute la souffrance et le péché du monde pour apporter lumière, espérance, rédemption. Et ainsi, Jésus nous rend capables de réconforter à notre tour ceux qui traversent toutes sortes d’épreuves. La profonde union avec le Christ dans la prière, la confiance en sa personne, conduisent à la disponibilité de partager les souffrances et les épreuves des frères. Paul écrit: «Si quelqu’un faiblit, je partage sa faiblesse; si quelqu’un vient à tomber, cela me brûle» (2 Co 11, 29). Ce partage ne naît pas d’une simple bienveillance, ni uniquement de la générosité humaine ou de l’esprit d’altruisme, mais jaillit de la consolation du Seigneur, du soutien inébranlable de «cette puissance extraordinaire [qui] ne vient pas de nous, mais de Dieu» (2 Co 4, 7).
Chers frères et sœurs, notre vie et notre chemin sont souvent marqués par des difficultés, des incompréhensions, des souffrances. Nous le savons tous. Dans la relation fidèle avec le Seigneur, dans la prière constante, quotidienne, nous pouvons nous aussi, concrètement, sentir la consolation qui vient de Dieu. Et cela renforce notre foi, parce que cela nous fait faire l’expérience de manière concrète du «oui» de Dieu à l’homme, à nous, à moi, dans le Christ; cela fait sentir la fidélité de son amour, qui va jusqu’au don de son Fils sur la Croix. Saint Paul affirme: «Le Fils de Dieu, le Christ Jésus, que nous avons annoncé parmi vous, Silvain, Timothée et moi, n’a pas été à la fois “oui” et “non”; il n’a jamais été que “oui”. Et toutes les promesses de Dieu ont trouvé leur “oui” dans sa personne. Aussi est-ce par le Christ que nous disons “amen”, notre “oui”, pour la gloire de Dieu» (2 Co 1, 19-20). Le «oui» de Dieu n’est pas tronqué, il n’est pas entre «oui» et «non», mais il est un simple et très sûr «oui». Et à ce «oui», nous répondons avec notre «oui», avec notre «amen» et ainsi sommes-nous assurés dans le «oui» de Dieu.
La foi n’est pas prioritairement une action humaine, mais un don gratuit de Dieu, qui s’enracine dans sa fidélité, dans son «oui», qui nous fait comprendre comment vivre notre existence en l’aimant Lui et nos frères. Toute l’histoire du salut est une révélation progressive de cette fidélité de Dieu, malgré nos infidélités et nos reniements, dans la certitude que «les dons de Dieu et son appel sont irrévocables», comme le déclare l’Apôtre dans la Lettre aux Romains (11, 29).
Chers frères et sœurs, la façon d’agir de Dieu — bien différente de la nôtre — nous apporte consolation, force et espérance parce que Dieu ne retire pas son «oui». Face aux différends dans les relations humaines, souvent aussi familiaux, nous sommes portés à ne pas persévérer dans l’amour gratuit, qui coûte engagement et sacrifice. En revanche, Dieu ne se lasse pas de nous, il ne se lasse jamais d’être patient avec nous et avec son immense miséricorde il nous précède toujours, il vient le premier à notre rencontre, ce «oui» qui est le sien est absolument fiable. Dans l’événement de la Croix, il nous offre la mesure de son amour, qui ne calcule pas et qui n’a pas de mesure. Saint Paul dans sa Lettre à Tite écrit: «Dieu, notre Sauveur, a manifesté sa bonté et sa tendresse pour les hommes» (Tt 3, 4). Et pour que ce «oui» se renouvelle chaque jour «il nous a consacrés, il a mis sa marque sur nous, et il nous a fait une première avance sur ses dons» (2 Co 1, 21b-22).
C’est en effet l’Esprit Saint qui rend continuellement présent et vivant le «oui» de Dieu en Jésus Christ et crée dans notre cœur le désir de le suivre pour entrer totalement, un jour, dans son amour, lorsque nous recevrons une demeure non construite par des mains humaines dans les cieux. Il n’y a personne qui ne soit touché et interpellé par cet amour fidèle, capable d’attendre aussi ceux qui continuent à répondre avec le «non» du refus ou du durcissement du cœur. Dieu nous attend, il nous cherche toujours, il veut nous accueillir dans la communion avec Lui-même pour donner à chacun de nous la vie, l’espérance et la paix en plénitude.
Sur le «oui» fidèle de Dieu se greffe l’«amen» de l’Eglise qui retentit dans chaque action de la liturgie: «amen» est la réponse de la foi qui termine toujours notre prière personnelle et communautaire, et qui exprime notre «oui» à l’initiative de Dieu. Dans la prière, nous répondons souvent par habitude avec notre «amen», sans en saisir la signification profonde. Ce terme dérive de ‘aman qui, en hébreu et en araméen, signifie «rendre stable», «consolider» et, en conséquence, «être certain», «dire la vérité». Si nous regardons l’Ecriture Sainte, nous voyons que cet «amen» est prononcé à la fin des psaumes de bénédiction et de louange, comme, par exemple, dans le Psaume 41: «Dans mon innocence tu m’as soutenu et rétabli pour toujours devant ta face. Béni sois le Seigneur, Dieu d’Israël, depuis toujours et pour toujours! Amen! Amen!» (vv. 13-14). Ou bien il exprime l’adhésion à Dieu au moment où le peuple d’Israël revient plein de joie de l’exil babylonien et prononce son «oui», son «amen» à Dieu et à sa Loi. Dans le Livre de Néhémie on raconte que, après ce retour «Esdras ouvrit le livre; tout le peuple le voyait, car il dominait l’assemblée. Quand il ouvrit le livre, tout le monde se mit debout. Alors Esdras bénit le Seigneur, le Dieu très grand, et tout le peuple, levant les mains, répondit: “Amen! Amen!”» (Ne 8, 5-6).
Dès le début, l’«amen» de la liturgie juive est donc devenu l’«amen» des premières communautés chrétiennes. Et le livre de la liturgie chrétienne par excellence, l’Apocalypse de saint Jean, commence par l’«amen» de l’Eglise: «A lui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, qui a fait de nous le royaume et les prêtres de Dieu son Père, à lui gloire et puissance pour les siècles des siècles. Amen» (Ap 1, 5b-6). Il en est de même dans le premier chapitre de l’Apocalypse. Et ce même livre se termine par l’invocation «Amen, viens, Seigneur Jésus» (Ap 22, 21).
Chers amis, la prière est la rencontre avec une Personne vivante à écouter et avec qui dialoguer; c’est la rencontre avec Dieu qui renouvelle sa fidélité inébranlable, son «oui» à l’homme, à chacun de nous, pour nous apporter son réconfort au milieu des tempêtes de la vie et nous faire vivre, unis à Lui, une existence pleine de joie et de bien, qui trouvera son accomplissement dans la vie éternelle.
Dans notre prière nous sommes appelés à dire «oui» à Dieu, à répondre par cet «amen» de l’adhésion, de la fidélité de toute notre vie à Lui. Cette fidélité nous ne pouvons jamais la conquérir avec nos propres forces, elle n’est pas seulement le fruit de notre engagement quotidien; celle-ci vient de Dieu et est fondée sur le «oui» du Christ, qui affirme: ma nourriture est de faire la volonté du Père (cf. Jn 4, 34). C’est dans ce «oui» que nous devons entrer, entrer dans ce «oui» du Christ, dans l’adhésion à la volonté de Dieu, pour parvenir avec saint Paul à affirmer que ce n’est pas nous qui vivons, mais que c’est le Christ lui-même qui vit en nous. Alors, l’«amen» de notre prière personnelle et communautaire enveloppera et transformera toute notre vie, une vie de consolation en Dieu, une vie plongée dans l’Amour éternel et inébranlable. Merci.

BENOÎT XVI – LA PRÉSENCE DE L’ESPRIT DANS NOS COEURS DANS LES LETTRES DE SAINT PAUL (2006)

28 décembre, 2016

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BENOÎT XVI – LA PRÉSENCE DE L’ESPRIT DANS NOS COEURS DANS LES LETTRES DE SAINT PAUL (2006)

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 15 novembre 2006

Chers frères et soeurs,

Aujourd’hui aussi, comme déjà dans les deux catéchèses précédentes, nous revenons à saint Paul et à sa pensée. Nous nous trouvons devant un géant non seulement du point de vue de l’apostolat concret, mais également de celui de la doctrine théologique, extraordinairement profonde et stimulante. Après avoir médité la dernière fois sur ce que Paul a écrit à propos de la place centrale que Jésus Christ occupe dans notre vie de foi, nous examinons aujourd’hui ce qu’il dit sur l’Esprit Saint et sur sa présence en nous, car ici aussi, l’Apôtre a quelque chose d’une grande importance à nous enseigner.
Nous connaissons ce que saint Luc nous dit de l’Esprit Saint dans les Actes des Apôtres, en décrivant l’événement de la Pentecôte. L’Esprit de Pentecôte apporte avec lui une impulsion vigoureuse à assumer l’engagement de la mission pour témoigner de l’Evangile sur les routes du monde. De fait, le Livre des Actes rapporte toute une série de missions accomplies par les Apôtres, tout d’abord en Samarie, puis sur la bande côtière de la Palestine, et enfin vers la Syrie. Ce sont surtout les trois grands voyages missionnaires accomplis par Paul qui sont rapportés, comme je l’ai déjà rappelé dans une précédente rencontre du mercredi. Cependant, dans ses Lettres, saint Paul nous parle de l’Esprit d’un autre point de vue également. Il n’illustre pas uniquement la dimension dynamique et active de la troisième Personne de la Très Sainte Trinité, mais il en analyse également la présence dans la vie du chrétien, dont l’identité en reste marquée. En d’autres termes, Paul réfléchit sur l’Esprit en exposant son influence non seulement sur l’agir du chrétien, mais également sur son être. En effet, c’est lui qui dit que l’Esprit de Dieu habite en nous (cf. Rm 8, 9; 1 Co 3, 16) et que « envoyé par Dieu, l’Esprit de son Fils est dans nos coeurs » (Ga 4, 6). Pour Paul donc, l’Esprit nous modèle jusque dans nos profondeurs personnelles les plus intimes. A ce propos, voilà quelques-unes de ses paroles d’une importance significative: « En me faisant passer sous sa loi, l’Esprit qui donne la vie dans le Christ Jésus m’a libéré, moi qui étais sous la loi du péché et de la mort… L’Esprit que vous avez reçu ne fait pas de vous des esclaves, des gens qui ont encore peur; c’est un Esprit qui fait de vous des fils; poussés par cet Esprit, nous crions vers le Père en l’appelant: « Abba! »" (Rm 8, 2.15). On voit donc bien que le chrétien, avant même d’agir, possède déjà une intériorité riche et féconde, qui lui a été donnée dans le Sacrement du Baptême et de la Confirmation, une intériorité qui l’établit dans une relation de filiation objective et originale à l’égard de Dieu. Voilà notre grande dignité: celle de ne pas être seulement des images, mais des fils de Dieu. Et cela est une invitation à vivre notre filiation, à être toujours plus conscients que nous sommes des fils adoptifs dans la grande famille de Dieu. Il s’agit d’une invitation à transformer ce don objectif en une réalité subjective, déterminante pour notre penser, pour notre agir, pour notre être. Dieu nous considère comme ses fils, nous ayant élevés à une dignité semblable, bien que n’étant pas égale, à celle de Jésus lui-même, l’unique véritable Fils au sens plein. En lui nous est donnée, ou restituée, la condition filiale et la liberté confiante en relation au Père.
Nous découvrons ainsi que pour le chrétien, l’Esprit n’est plus seulement l’ »Esprit de Dieu », comme on le dit normalement dans l’Ancien Testament et comme l’on continue à répéter dans le langage chrétien (cf. Gn 41, 38; Ex 31, 3; 1 Co 2, 11.12; Ph 3, 3; etc.). Et ce n’est pas non plus un « Esprit Saint » au sens large, selon la façon de s’exprimer de l’Ancien Testament (cf. Is 63, 10.11; Ps 51, 13), et du Judaïsme lui-même dans ses écrits (Qumràn, rabbinisme). En effet, à la spécificité de la foi chrétienne appartient la confession d’un partage original de cet Esprit de la part du Seigneur ressuscité, qui est devenu Lui-même « l’être spirituel qui donne la vie » (1 Co 15, 45). C’est précisément pour cela que saint Paul parle directement de l’ »Esprit du Christ » (Rm 8, 9), de l’ »Esprit de Fils » (Ga 4, 6) ou de l’ »Esprit de Jésus Christ » (Ph 1, 19). C’est comme s’il voulait dire que non seulement Dieu le Père est visible dans le Fils (cf. Jn 14, 9), mais que l’Esprit de Dieu s’exprime aussi dans la vie et dans l’action du Seigneur crucifié et ressuscité!
Paul nous enseigne également une autre chose importante: il dit qu’il n’existe pas de véritable prière sans la présence de l’Esprit en nous. Il écrit en effet: « Bien plus, l’Esprit vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut. L’Esprit lui-même intervient pour nous par des cris inexprimables. Et Dieu, qui voit le fond des coeurs, connaît les intentions de l’Esprit: il sait qu’en intervenant pour les fidèles, l’Esprit veut ce que Dieu veut » (Rm 8, 26-27). C’est comme dire que l’Esprit Saint, c’est-à-dire l’Esprit du Père et du Fils, est désormais comme l’âme de notre âme, la partie la plus secrète de notre être, d’où s’élève incessamment vers Dieu un mouvement de prière, dont nous ne pouvons pas même préciser les termes. En effet, l’Esprit, toujours éveillé en nous, supplée à nos carences et il offre au Père notre adoration, avec nos aspirations les plus profondes. Cela demande naturellement un niveau de grande communion vitale avec l’Esprit. C’est une invitation à être toujours plus sensibles, plus attentifs à cette présence de l’Esprit en nous, à la transformer en prière, à ressentir cette présence et à apprendre ainsi à prier, à parler avec le Père en tant que fils dans l’Esprit Saint.
Il existe également un autre aspect typique de l’Esprit que nous enseigne saint Paul: il s’agit de son lien avec l’amour. En effet, l’Apôtre écrit: « Et l’espérance ne trompe pas, puisque l’amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5, 5). Dans ma Lettre encyclique « Deus caritas est », je citais une phrase très éloquente de saint Augustin: « Tu vois la Trinité quand tu vois la charité » (n. 19), et je poursuivais en expliquant: « En effet, l’Esprit est la puissance intérieure qui met leur coeur [des croyants] au diapason du coeur du Christ, et qui les pousse à aimer leurs frères comme Lui les a aimés » (ibid.). L’Esprit nous introduit dans le rythme même de la vie divine, qui est vie d’amour, en nous faisant personnellement participer aux relations qui existent entre le Père et le Fils. Il n’est pas sans signification que Paul, lorsqu’il énumère les divers fruits de l’Esprit, place l’amour à la première place: « Mais voici ce que produit l’Esprit: amour, joie, paix, etc. » (Ga 5, 22). Et puisque, par définition, l’amour unit, cela signifie tout d’abord que l’Esprit est Créateur de communion au sein de la communauté chrétienne, comme nous le disons au début de la Messe selon une expression paulinienne: « Que la communion de l’Esprit Saint [c'est-à-dire celle qu'Il opère] soit avec vous tous » (2 Co 13, 13). D’autre part, cependant, il est également vrai que l’Esprit nous incite à nouer des relations de charité avec tous les hommes. C’est pourquoi, lorsque nous aimons, nous donnons de l’espace à l’Esprit, nous lui permettons de s’exprimer en plénitude. On comprend ainsi pourquoi Paul rapproche dans la même page de la Lettre aux Romains les deux exhortations: « Laissez jaillir l’Esprit » et « Ne rendez à personne le mal pour le mal » (Rm 12, 11.17).
Enfin, l’Esprit constitue selon saint Paul des arrhes généreuses qui nous ont été données par Dieu lui-même, comme avance et comme garantie de notre héritage futur (cf. 2 Co 1, 22; 5, 5; Ep 1, 13-14). Nous apprenons ainsi de Paul que l’action de l’Esprit oriente notre vie vers les grandes valeurs de l’amour, de la joie, de la communion et de l’espérance. C’est à nous qu’il revient d’en faire chaque jour l’expérience, en suivant les suggestions intérieures de l’Esprit, aidés dans notre discernement par la direction éclairante de l’Apôtre.

BENOÎT XVI – ETIENNE, LE PROTOMARTYR

26 décembre, 2016

http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2007/documents/hf_ben-xvi_aud_20070110.html

BENOÎT XVI – ETIENNE, LE PROTOMARTYR

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 10 janvier 2007

Chers frères et soeurs,

Après la période des fêtes, nous revenons à nos catéchèses. J’avais médité avec vous sur les figures des douze Apôtres et de saint Paul. Puis nous avons commencé à réfléchir sur les autres figures de l’Eglise naissante et ainsi, nous voulons aujourd’hui nous arrêter sur la figure de saint Etienne, fêté par l’Eglise le lendemain de Noël. Saint Etienne est le plus représentatif d’un groupe de sept compagnons. La tradition voit dans ce groupe la semence du futur ministère des « diacres », même s’il faut souligner que cette dénomination est absente dans le Livre des Actes. L’importance d’Etienne découle dans tous les cas du fait que Luc, dans son livre important, lui consacre deux chapitres entiers.
Le récit de Luc part de la constatation d’une sous-division établie au sein de l’Eglise primitive de Jérusalem: celle-ci était certes entièrement composée de chrétiens d’origine juive, mais certains d’entre eux étaient originaires de la terre d’Israël et étaient appelés « Hébreux », tandis que d’autres de foi juive vétérotestamentaire provenaient de la diaspora de langue grecque et étaient appelés « Hellénistes ». Voici le problème qui se présentait: les plus démunis parmi les hellénistes, en particulier les veuves dépourvues de tout soutien social, couraient le risque d’être négligés dans l’assistance au service quotidien. Pour remédier à cette difficulté, les Apôtres, se réservant la prière et le ministère de la Parole comme devoir central propre, décidèrent de charger « sept hommes de bonne réputation, remplis de l’Esprit et de sagesse » afin d’accomplir le devoir de l’assistance (Ac 6, 2-4), c’est-à-dire du service social caritatif. Dans ce but, comme l’écrit Luc, sur l’invitation des Apôtres, les disciples élirent sept hommes. Nous connaissons également leurs noms. Il s’agit de: « Etienne, homme rempli de foi et de l’Esprit Saint, Philippe, Prochore, Nicanor, Timon, Parménas et Nicolas prosélyte d’Antioche. On les présenta aux Apôtres et, après avoir prié, ils leur imposèrent les mains » (Ac 6, 5-6).
Le geste de l’imposition des mains peut avoir diverses significations. Dans l’Ancien Testament, ce geste a surtout la signification de transmettre une charge importante, comme le fit Moïse avec Josué (cf. Mb 27, 18-23), désignant ainsi son successeur. Dans ce sillage, l’Eglise d’Antioche utilisera également ce geste pour envoyer Paul et Barnabé en mission aux peuples du monde (cf. Ac 13, 3). C’est à une imposition analogue des mains sur Timothée, pour lui transmettre une fonction officielle, que font référence les deux Epîtres de Paul qui lui sont adressées (cf. 1 Tm 4, 14; 2 Tm 1, 6). Le fait qu’il s’agisse d’une action importante, devant être accomplie avec discernement, se déduit de ce que l’on lit dans la Première Epître à Timothée: « Ne te hâte pas d’imposer les mains à qui que ce soit. Ne te fais pas complice des péchés d’autrui » (5, 22). Nous voyons donc que le geste d’imposition des mains se développe dans la lignée d’un signe sacramentel. Dans le cas d’Etienne et de ses compagnons, il s’agit certainement de la transmission officielle, de la part des Apôtres, d’une charge et, dans le même temps, d’une façon d’implorer la grâce de Dieu pour qu’ils l’exercent.
La chose la plus importante à souligner est que, outre les services caritatifs, Etienne accomplit également une tâche d’évangélisation à l’égard de ses compatriotes, de ceux qu’on appelle « hellénistes », Luc insiste en effet sur le fait que celui-ci, « plein de grâce et de puissance » (Ac 6, 8), présente au nom de Jésus une nouvelle interprétation de Moïse et de la Loi même de Dieu, il relit l’Ancien Testament à la lumière de l’annonce de la mort et de la résurrection de Jésus. Cette relecture de l’Ancien Testament, une relecture christologique, provoque les réactions des Juifs qui perçoivent ses paroles comme un blasphème (cf. Ac 6, 11-14). C’est pour cette raison qu’il est condamné à la lapidation. Et saint Luc nous transmet le dernier discours du saint, une synthèse de sa prédication. Comme Jésus avait montré aux disciples d’Emmaüs que tout l’Ancien Testament parle de lui, de sa croix et de sa résurrection, de même saint Etienne, suivant l’enseignement de Jésus, lit tout l’Ancien Testament d’un point de vue christologique. Il démontre que le mystère de la Croix se trouve au centre de l’histoire du salut raconté dans l’Ancien Testament, il montre que réellement Jésus, le crucifié et le ressuscité, est le point d’arrivée de toute cette histoire. Et il démontre donc également que le culte du temple est fini et que Jésus, le ressuscité, est le nouveau et véritable « temple ». C’est précisément ce « non » au temple et à son culte qui provoque la condamnation de saint Etienne, qui, à ce moment-là – nous dit saint Luc -, fixant les yeux vers le ciel vit la gloire de Dieu et Jésus qui se trouvait à sa droite. Et voyant le ciel, Dieu et Jésus, saint Etienne dit: « Voici que je contemple les cieux ouverts: le Fils de l’homme est debout à la droite de Dieu » (Ac 7, 56). Suit alors son martyre, qui, de fait, est modelé sur la passion de Jésus lui-même, dans la mesure où il remet au « Seigneur Jésus » son esprit et qu’il prie pour que les péchés de ses meurtriers ne leur soient pas imputés (cf. Ac 7, 59-60).
Le lieu du martyre de saint Etienne à Jérusalem est traditionnellement situé un peu à l’extérieur de la Porte de Damas, au nord, où s’élève à présent précisément l’église Saint-Etienne, à côté de la célèbre Ecole Biblique des Dominicains. La mort d’Etienne, premier martyr du Christ, fut suivie par une persécution locale contre les disciples de Jésus (cf. Ac 8, 1), la première qui ait eu lieu dans l’histoire de l’Eglise. Celle-ci constitua l’occasion concrète qui poussa le groupe des chrétiens juifs d’origine grecque à fuir de Jérusalem et à se disperser. Chassés de Jérusalem, ils se transformèrent en missionnaires itinérants: « Ceux qui s’étaient dispersés allèrent répandre partout la Bonne Nouvelle de la Parole » (Ac 8, 4). La persécution et la dispersion qui s’ensuit deviennent mission. L’Evangile se diffusa ainsi en Samarie, en Phénicie et en Syrie, jusqu’à la grande ville d’Antioche, où selon Luc il fut annoncé pour la première fois également aux païens (cf. Ac 11, 19-20) et où retentit aussi pour la première fois le nom de « chrétiens » (Ac 11, 26).
Luc note en particulier que les lapidateurs d’Etienne « avaient mis leurs vêtements aux pieds d’un jeune homme appelé Saul » (Ac 7, 58), le même qui, de persécuteur, deviendra un éminent apôtre de l’Evangile. Cela signifie que le jeune Saul devait avoir entendu la prédication d’Etienne, et qu’il connaissait donc ses contenus principaux. Et saint Paul était probablement parmi ceux qui, suivant et entendant ce discours, « s’exaspéraient contre lui, et grinçaient des dents » (Ac 7, 54). Et nous pouvons alors voir les merveilles de la Providence divine. Saul, adversaire acharné de la vision d’Etienne, après sa rencontre avec le Christ ressuscité sur le chemin de Damas, reprend la lecture christologique de l’Ancien Testament effectuée par le Protomartyre, il l’approfondit et la complète, et devient ainsi l’ »Apôtre des Nations ». La Loi est accomplie, ainsi enseigne-t-il, dans la Croix du Christ. Et la foi en Christ, la communion avec l’amour du Christ est le véritable accomplissement de toute la Loi. Tel est le contenu de la prédication de Paul. Il démontre ainsi que le Dieu d’Abraham devient le Dieu de tous. Et tous les croyants en Jésus Christ, en tant que fils d’Abraham, participent de ses promesses. Dans la mission de saint Paul s’accomplit la vision d’Etienne.
L’histoire d’Etienne nous dit beaucoup de choses. Par exemple, elle nous enseigne qu’il ne faut jamais dissocier l’engagement social de la charité de l’annonce courageuse de la foi. Il était l’un des sept, chargé en particulier de la charité. Mais il n’était pas possible de dissocier la charité et l’annonce. Ainsi, avec la charité, il annonce le Christ crucifié, jusqu’au point d’accepter également le martyre. Telle est la première leçon que nous pouvons apprendre de la figure de saint Etienne: charité et annonce vont toujours de pair. Saint Etienne nous parle surtout du Christ, du Christ crucifié et ressuscité comme centre de l’histoire et de notre vie. Nous pouvons comprendre que la Croix reste toujours centrale dans la vie de l’Eglise et également dans notre vie personnelle. Dans l’histoire de l’Eglise ne manquera jamais la passion, la persécution. Et c’est précisément la persécution qui, selon la célèbre phrase de Tertullien, devient une source de mission pour les nouveaux chrétiens. Je cite ses paroles: « Nous nous multiplions à chaque fois que nous sommes moissonnés par vous: le sang des chrétiens est une semence » (Apologetico 50, 13: Plures efficimur quoties metimur a vobis: semen est sanguis christianorum). Mais dans notre vie aussi la croix, qui ne manquera jamais, devient bénédiction. Et en acceptant la croix, en sachant qu’elle devient et qu’elle est une bénédiction, nous apprenons la joie du chrétien également dans les moments de difficulté. La valeur du témoignage est irremplaçable, car c’est à lui que conduit l’Evangile et c’est de lui que se nourrit l’Eglise. Que saint Etienne nous enseigne à tirer profit de ces leçons, qu’il nous enseigne à aimer la Croix, car elle est le chemin sur lequel le Christ arrive toujours à nouveau parmi nous.

BENOÎT XVI – IL S’EST FAIT HOMME

21 décembre, 2016

http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2013/documents/hf_ben-xvi_aud_20130109.html

BENOÎT XVI – IL S’EST FAIT HOMME

AUDIENCE GÉNÉRALE

Salle Paul VI

Mercredi 9 janvier 2013

Chers frères et sœurs,

En ce temps de Noël, nous nous arrêtons une fois de plus sur le grand mystère de Dieu qui est descendu de son Ciel pour entrer dans notre chair. En Jésus, Dieu s’est incarné, il est devenu homme comme nous, et ainsi, il nous a ouvert la voie vers son Ciel, vers la pleine communion avec Lui.
En ces jours, a retenti à plusieurs reprises dans nos églises le terme « Incarnation » de Dieu, pour exprimer la réalité que nous célébrons au cours du Saint Noël : le Fils de Dieu s’est fait homme, comme nous le récitons dans le Credo. Mais que signifie cette parole centrale pour la foi chrétienne ? Incarnation dérive du latin « incarnatio ». Saint Ignace d’Antioche — fin du premier siècle — et, surtout, saint Irénée, ont utilisé ce terme en réfléchissant sur le Prologue de l’Évangile de saint Jean, en particulier sur l’expression : « Et le Verbe s’est fait chair » (Jn 1, 14). Ici, la parole « chair », selon l’usage juif, indique l’homme dans son intégralité, tout l’homme, mais précisément sous l’aspect de sa caducité et temporalité, de sa pauvreté et contingence. Cela pour nous dire que le salut apporté par Dieu qui s’est fait chair en Jésus de Nazareth touche l’homme dans sa réalité concrète et dans toutes les situations où il se trouve. Dieu a assumé la condition humaine pour la guérir de tout ce qui la sépare de Lui, pour nous permettre de l’appeler, dans son Fils unique, par le nom d’« Abba, Père », et être véritablement fils de Dieu. Saint Irénée affirme : « C’est la raison pour laquelle le Verbe s’est fait homme et le Fils de Dieu, Fils de l’homme : afin que l’homme, en entrant en communion avec le Verbe et en recevant ainsi la filiation divine, devienne fils de Dieu » (Adversus haereses 3, 19, 1: pg 7, 939 ; cf. Catéchisme de l’Église catholique, n. 460).
« Le Verbe s’est fait chair » est l’une de ces vérités à laquelle nous nous sommes tant habitués que la grandeur de l’événement qu’elle exprime ne nous touche presque plus. Et en effet, au cours de cette période de Noël, dans laquelle cette expression revient souvent dans la liturgie, on est parfois plus attentifs aux aspects extérieurs, aux « couleurs » de la fête, qu’au cœur de la grande nouveauté chrétienne que nous célébrons : quelque chose d’absolument impensable, que seul Dieu pouvait opérer et que nous ne pouvons pénétrer que par la foi. Le Logos, qui est auprès de Dieu, le Logos qui est Dieu, le Créateur du monde (cf. Jn 1, 1), pour lequel furent créées toutes les choses (cf. 1, 3), qui a accompagné et accompagne les hommes dans leur histoire avec sa lumière (cf. 1, 4-5 ; 1, 9), devient un parmi les autres, prend demeure parmi nous, devient l’un de nous (cf. 1, 14). Le Concile œcuménique Vatican ii affirme : « Le Fils de Dieu… a travaillé avec des mains d’homme, il a pensé avec une intelligence d’homme, il a agi avec une volonté d’homme, il a aimé avec un cœur d’homme. Né de la Vierge Marie, il est vraiment devenu l’un de nous, en tout semblable à nous, hormis le péché » (Const. Gaudium et spes, n. 22). Il est alors important de retrouver l’émerveillement face à ce mystère, de nous laisser envelopper par la grandeur de cet événement : Dieu, le vrai Dieu, Créateur de tout, a parcouru comme homme nos routes, en entrant dans le temps de l’homme, pour nous transmettre sa vie même (cf. 1 Jn 1, 1-4). Et il l’a fait non pas avec la splendeur d’un souverain, qui assujettit le monde par son pouvoir, mais avec l’humilité d’un enfant.
Je voudrais souligner un deuxième élément. Pour Noël, on échange généralement quelques dons avec les personnes les plus proches. Parfois, cela peut être un geste fait par convention, mais il exprime généralement de l’affection, c’est un signe d’amour et d’estime. Dans la prière sur les offrandes de la Messe de la nuit de la solennité de Noël, l’Église prie ainsi : « Accepte, ô Père, notre offrande en cette nuit de lumière, et pour ce mystérieux échange de dons, transforme-nous dans le Christ ton Fils, qui a élevé l’homme à tes côtés dans la gloire ». La pensée du don est donc au cœur de la liturgie et rappelle à notre conscience le don originel de Noël : en cette nuit sainte, Dieu, en se faisant chair, a voulu se faire don pour les hommes, il s’est donné lui-même pour nous ; Dieu a fait de son Fils unique un don pour nous, il a assumé notre humanité pour nous donner sa divinité. Cela est un grand don. Dans notre action d’offrir également, il n’est pas important que le cadeau soit coûteux ou non ; qui ne parvient à donner un peu de soi-même donne toujours trop peu ; plus encore, on tente parfois justement de remplacer le cœur et l’effort de don de soi par l’argent, par les choses matérielles. Le mystère de l’Incarnation est là pour indiquer que Dieu n’a pas fait cela : il n’a pas donné quelque chose, mais il s’est donné lui-même dans son Fils unique. Nous trouvons ici le modèle de notre action d’offrir, pour que nos relations, en particulier les plus importantes, soient guidées par la gratuité de l’amour.
Je voudrais proposer une troisième réflexion : le fait de l’Incarnation, de Dieu qui se fait homme comme nous, nous montre le réalisme inouï de l’amour divin. L’action de Dieu, en effet, ne se limite pas aux paroles, nous pourrions même dire qu’Il ne se contente pas de parler, mais il se plonge dans notre histoire et assume en lui la fatigue et le poids de la vie humaine. Le Fils de Dieu s’est fait vraiment homme, il est né de la Vierge Marie, en un temps et en un lieu déterminés, à Bethléem sous le règne de l’empereur Auguste, sous le gouverneur Quirinius (cf. Lc 2, 1-2) ; il a grandi dans une famille, il a eu des amis, il a formé un groupe de disciples, il a instruit les apôtres pour continuer sa mission, il a terminé le cours de sa vie terrestre sur la croix. Cette manière d’agir de Dieu est un puissant encouragement à nous interroger sur le réalisme de notre foi, qui ne doit pas être limitée au domaine du sentiment, des émotions, mais doit entrer dans le concret de notre existence, doit toucher par conséquent notre vie de tous les jours et l’orienter aussi de manière pratique. Dieu ne s’est pas arrêté aux paroles, mais nous a indiqué comment vivre, en partageant notre propre expérience, à l’exception du péché. Le catéchisme de saint Pie X, que certains d’entre nous ont étudié dans leur jeunesse, avec la concision qui le caractérise, à la question : « Pour vivre selon Dieu, que devons-nous faire ? », donne cette réponse : « Pour vivre selon Dieu, nous devons croire les vérités révélées par Lui et observer ses commandements avec l’aide de sa grâce, qui s’obtiennent à travers les sacrements et la prière ». La foi a un aspect fondamental, qui intéresse non seulement l’esprit et le cœur, mais toute notre vie.
Je propose un dernier élément à votre réflexion. Saint Jean affirme que le Verbe, le Logos, était dès le début auprès de Dieu, et que tout a été fait au moyen du Verbe et rien de ce qui existe n’a été fait sans Lui (cf. Jn 1, 1-3). L’évangéliste fait clairement allusion au récit de la création qui se trouve dans les premiers chapitres du Livre de la Genèse, et il le relit à la lumière du Christ. Il s’agit d’un critère fondamental dans la lecture chrétienne de la Bible : l’Ancien et le Nouveau Testament doivent toujours être lus ensemble et, à partir du Nouveau, s’ouvre le sens le plus profond également de l’Ancien. Ce même Verbe, qui existe depuis toujours auprès de Dieu, qui est Dieu Lui-même et au moyen duquel et en vue duquel tout a été créé (cf. Col 1, 16-17), s’est fait homme : le Dieu éternel et infini s’est plongé dans la finitude humaine, dans sa créature, pour reconduire à Lui l’homme et toute la création. Le Catéchisme de l’Église catholique affirme : « La première création trouve son sens et son sommet dans la nouvelle création dans le Christ, dont la splendeur dépasse celle de la première » (n. 349). Les Pères de l’Église ont rapproché Jésus d’Adam, au point de le définir « deuxième Adam » ou l’Adam définitif, l’image parfaite de Dieu. Avec l’Incarnation du Fils de Dieu a lieu une nouvelle création, qui donne la réponse complète à la question « Qui est l’homme ? ». Ce n’est qu’en Jésus que se manifeste de manière accomplie le projet de Dieu sur l’être humain : Il est l’homme définitif selon Dieu. Le Concile Vatican ii le réaffirme avec force : « En réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné… Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation » (Const. Gaudium et spes, n. 22 ; cf. Catéchisme de l’Église catholique, n. 359). Dans cet enfant, le Fils de Dieu contemplé dans le Noël, nous pouvons reconnaître le véritable visage, non seulement de Dieu, mais le véritable visage de l’être humain ; et ce n’est qu’en nous ouvrant à l’action de sa grâce et en cherchant chaque jour à le suivre, que nous réalisons le projet de Dieu sur nous, sur chacun de nous.
Chers amis, en cette période nous méditons la grande et merveilleuse richesse du Mystère de l’Incarnation, pour laisser le Seigneur nous illuminer et nous transformer toujours plus à l’image de son Fils fait homme pour nous.

CÉLÉBRATION DES PREMIÈRES VÊPRES DE L’AVENT (2010) – HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI

16 décembre, 2016

http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/homilies/2010/documents/hf_ben-xvi_hom_20101127_vespri-avvento.html

CÉLÉBRATION DES PREMIÈRES VÊPRES DE L’AVENT (2010) – HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI

Basilique vaticane

Samedi 27 novembre 2010

Chers frères et sœurs,

Avec cette célébration des Vêpres, le Seigneur nous donne la grâce et la joie d’inaugurer la Nouvelle Année liturgique à partir de sa première étape: l’Avent, la période qui fait mémoire de la venue de Dieu parmi nous. Chaque début comporte une grâce particulière, car il est béni par le Seigneur. Au cours de cet Avent, il nous sera donné, une fois de plus, de faire l’expérience de la proximité de Celui qui a créé le monde, qui oriente l’histoire et qui a pris soin de nous jusqu’à arriver au sommet de sa complaisance: en se faisant homme. C’est précisément le grand et fascinant mystère du Dieu avec nous, et même du Dieu qui se fait l’un de nous, que nous célébrerons au cours des prochaines semaines, en nous mettant en marche vers Noël. Au cours du temps de l’Avent, nous sentirons l’Eglise nous prendre par la main et, à l’image de la Très Sainte Vierge Marie, nous exprimer sa maternité en nous faisant faire l’expérience de l’attente joyeuse de la venue du Seigneur, qui nous embrasse tous dans son amour qui sauve et réconforte.
Tandis que nos cœurs tendent vers la célébration annuelle de la naissance du Christ, la liturgie de l’Eglise oriente notre regard vers le but ultime: la rencontre avec le Seigneur, qui viendra dans la splendeur de la gloire. C’est pourquoi, nous qui, dans chaque Eucharistie, «annonçons sa mort, proclamons sa résurrection dans l’attente de sa venue», nous veillons dans la prière. La liturgie ne se lasse jamais de nous encourager et de nous soutenir, en plaçant sur nos lèvres, au cours des jours de l’Avent, le cri par lequel se conclut toute la Sainte Ecriture, dans la dernière page de l’Apocalypse de Jean: «Viens, Seigneur Jésus!» (22, 20).
Chers frères et sœurs, notre rassemblement ce soir en vue de commencer le chemin de l’Avent s’enrichit d’un autre motif important: avec toute l’Eglise, nous voulons célébrer solennellement une veillée de prière pour la vie naissante. Je désire exprimer mes remerciements à tous ceux qui ont répondu à cette invitation et à ceux qui se consacrent de façon spécifique à accueillir et à protéger la vie humaine dans ses diverses situations de fragilité, en particulier à ses débuts et dans ses premiers pas. Le début de l’Année liturgique nous fait vivre précisément à nouveau l’attente de Dieu qui se fait chair dans le sein de la Vierge Marie, de Dieu qui se fait petit, devient enfant; il nous parle de la venue d’un Dieu proche, qui a voulu reparcourir la vie de l’homme, depuis ses débuts, et ce pour la sauver totalement, en plénitude. Et ainsi, le mystère de l’Incarnation du Seigneur et le début de la vie humaine sont intimement et harmonieusement liés entre eux au sein de l’unique dessein salvifique de Dieu, Seigneur de la vie de tous et de chacun. L’Incarnation nous révèle avec une lumière intense et de façon surprenante que chaque vie humaine possède une dignité très élevée, incomparable.
L’homme présente une originalité indéniable par rapport à tous les autres êtres vivants qui peuplent la terre. Il se présente comme sujet unique et singulier, doté d’intelligence et de volonté libre, et composé de réalité matérielle. Il vit de façon simultanée et indissociable dans la dimension spirituelle et dans la dimension corporelle. C’est ce que suggère également le texte de la Première Lettre aux Thessaloniciens, qui a été proclamée: «Que le Dieu de la paix lui-même — écrit saint Paul — vous sanctifie totalement, et que votre être entier, l’esprit, l’âme et le corps, soit gardé sans reproche à l’Avènement de notre Seigneur Jésus Christ» (5, 23). Nous sommes donc esprit, âme et corps. Nous faisons partie de ce monde, liés aux possibilités et aux limites de la condition matérielle; dans le même temps, nous sommes ouverts à un horizon infini, capables de dialoguer avec Dieu et de l’accueillir en nous. Nous œuvrons dans les réalités terrestres et à travers elles, nous pouvons percevoir la présence de Dieu et tendre vers Lui, vérité, bonté et beauté absolue. Nous goûtons des fragments de vie et de bonheur et nous aspirons à la plénitude totale.
Dieu nous aime de façon profonde, totale, sans distinction; il nous appelle à l’amitié avec Lui; il nous fait participer à une réalité au delà de toute imagination et de toute pensée et parole: sa vie divine elle-même. Avec émotion et gratitude, nous prenons conscience de la valeur, de la dignité incomparable de toute personne humaine et de la responsabilité que nous avons envers tous. «Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation… par son incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme» (Const. Gaudium et spes, n. 22).
Croire en Jésus Christ exige également de porter un regard nouveau sur l’homme, un regard de confiance, d’espérance. Du reste, l’expérience même et la juste raison attestent que l’être humain est un sujet capable d’entendre et de vouloir, conscient de lui-même et libre, unique et irremplaçable, sommet de toutes les réalités terrestres, qui exige d’être reconnu comme valeur en lui-même et mérite toujours d’être accueilli avec respect et amour. Il a le droit de ne pas être traité comme un objet à posséder ou comme une chose que l’on peut manipuler selon son bon vouloir, de ne pas être réduit à un simple instrument au bénéfice des autres et de leurs intérêts. La personne est un bien en elle-même et il faut toujours rechercher son développement intégral. Ensuite, l’amour envers tous, s’il est sincère, tend spontanément à devenir une attention préférentielle pour les plus pauvres et les plus faibles. C’est dans cette optique que s’inscrit la sollicitude de l’Eglise pour la vie naissante, la plus fragile, la plus menacée par l’égoïsme des adultes et par l’obscurcissement des consciences. L’Eglise réaffirme sans cesse ce qu’a déclaré le Concile Vatican II: «La vie, une fois conçue, doit être protégée avec le plus grand soin» (ibid., n. 51).
Il existe des tendances culturelles qui cherchent à anesthésier les consciences par des motivations qui sont des prétextes. A propos de l’embryon dans le sein maternel, la science elle-même met en évidence son autonomie capable d’interagir avec sa mère, la coordination de processus biologiques, la continuité du développement, la complexité croissante de l’organisme. Il ne s’agit pas d’une accumulation de matériel biologique, mais d’un nouvel être vivant, dynamique et merveilleusement ordonné, un nouvel individu de l’espèce humaine. Il en a été ainsi pour Jésus dans le sein de Marie; il en a été ainsi pour chacun de nous, dans le sein de sa mère. Avec l’antique auteur chrétien Tertullien, nous pouvons affirmer: «Il est déjà un homme celui qui le sera» (Apologétique, IX, 8); il n’y a aucune raison de ne pas le considérer comme une personne dès sa conception.
Malheureusement, après la naissance également, la vie des enfants continue à être exposée à l’abandon, à la faim, à la misère, à la maladie, aux abus, à la violence, à l’exploitation. Les multiples violations de leurs droits qui sont commises dans le monde blessent douloureusement la conscience de chaque homme de bonne volonté. Devant le triste panorama des injustices commises contre la vie de l’homme, avant et après la naissance, je fais mien l’appel passionné du Pape Jean-Paul II à la responsabilité de tous et de chacun: «Respecte, défends, aime et sers la vie, toute la vie humaine! C’est seulement sur cette voie que tu trouveras la justice, le développement, la liberté véritable, la paix et le bonheur!» (Enc. Evangelium vitae, n. 5). J’exhorte les acteurs de la politique, de l’économie et de la communication sociale à faire ce qui est en leur pouvoir, pour promouvoir une culture toujours respectueuse de la vie humaine, pour créer des conditions favorables et des réseaux de soutien à l’accueil et au développement de celle-ci.
Nous confions à la Vierge Marie, qui a accueilli le Fils de Dieu fait homme par sa foi, dans son sein maternel, avec une sollicitude prévenante, en l’accompagnant de façon solidaire et vibrante d’amour, la prière et l’engagement en faveur de la vie naissante. Nous le faisons dans la liturgie — qui est le lieu où nous vivons la vérité et où la vérité vit avec nous — en adorant la divine Eucharistie, dans laquelle nous contemplons le Corps du Christ, ce Corps qui s’incarna en Marie par l’œuvre de l’Esprit Saint, et qui naquit d’elle à Bethléem, pour notre salut. Ave, verum corpus, natum de Maria Virgine!

 

SOLENNITÉ DE L’IMMACULÉE CONCEPTION – HOMÉLIE DU PAPE JEAN-PAUL II

6 décembre, 2016

https://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/homilies/1979/documents/hf_jp-ii_hom_19791208_immaculate-conception.html

SOLENNITÉ DE L’IMMACULÉE CONCEPTION

HOMÉLIE DU PAPE JEAN-PAUL II

Basilique Sainte-Marie-Majeure

Samedi 8 décembre 1979

« Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ qui nous a bénis par toutes sortes de bénédictions spirituelles, … dans le Christ. C’est ainsi qu’il nous a choisis, dès avant la création du monde pour être saints et immaculés en sa présence » (Ep 1, 3-4).
Dans ce passage de son Épître aux Éphésiens, saint Paul trace l’image de l’Avent. Et il s’agit de cet Avent éternel qui trouve son origine en Dieu lui-même « dès avant la création du monde », car déjà la « création du monde » fut le premier pas de la venue de Dieu à l’homme, le premier acte de l’Avent. En effet tout le monde visible a été créé pour l’homme comme l’atteste le livre de la Genèse. Le début de l’Avent en Dieu est son éternel projet de création du monde et de l’homme, un projet né de l’amour. Cet amour est manifesté par l’éternel choix de l’homme en le Christ, Verbe incarné. « …Il nous a élu en lui, dès avant la création pour être saints et immaculés en sa présence. »
Marie est présente dans cet éternel Avent. Parmi tous les hommes que le Père a élu dans le Christ, Marie l’a été de manière toute particulière et exceptionnelle parce qu’elle a été élue dans le Christ pour être la Mère du Christ. Et ainsi, mieux que n’importe lequel parmi les hommes « prédestinés par le Père » à la dignité de « fils et filles adoptifs de Dieu » Marie a été prédestinée de manière tout à fait spéciale « à la louange de gloire de sa grâce » dont le Père « nous a gratifiés dans son Fils bien-aimé » (cf. Ep 1, 6).
La gloire sublime de sa grâce toute spéciale devait être sa divine maternité : Mère du Verbe Éternel ! Dans le Christ elle a reçu également la grâce de l’Immaculée Conception. De cette manière, Marie est insérée dans ce premier Avent éternel de la Parole, prédisposé par l’amour du Père pour la création et pour l’homme.
2. Le deuxième Avent a un caractère historique. Il s’accomplit dans le temps entre la chute du premier homme et la venue du Rédempteur. La liturgie d’aujourd’hui nous parle également de cet Avent et nous montre comment Marie y est insérée dès les origines. En effet, quand s’est manifesté le premier péché, avec la honte inattendue de nos premiers parents, alors également Dieu révéla pour la première fois le Rédempteur du monde, annonçant aussi sa Mère. Il l’a fait en disant les paroles dans lesquelles la tradition voit « le proto Évangile » c’est-à-dire comme l’embryon et la « pré-annonce » de l’Évangile lui-même, de la Bonne Nouvelle.
Voici ces paroles : « J’établirai une inimitié entre toi et la femme, entre ta race et sa race : celle-ci t’écrasera ta tête, et, toi, tu la viseras au talon » (Gn 3, 15).
Ce sont des paroles mystérieuses. Tout archaïques qu’elles soient, elles révèlent le futur de l’humanité et de l’Église. Ce futur est vu dans la perspective d’une lutte entre l’Esprit des ténèbres, celui qui est « menteur et père du mensonge » (Jn 8, 44) et le Fils de la femme qui doit venir parmi les hommes comme « la voie, la vérité et la vie » (Jn 14, 6).
C’est ainsi que dès les origines Marie est présente dans ce deuxième Avent historique. Elle a été promise, en même temps que son Fils, rédempteur du monde. Et attendue également avec lui. Le Messie-Emmanuel (« Dieu avec nous ») est attendu comme Fils de la Femme, Fils de l’Immaculée.
3. La venue du Christ ne constitue pas seulement l’accomplissement du deuxième Avent : elle constitue également, en même temps, la révélation du troisième Avent, de l’Avent définitif. Par l’ange Gabriel que Dieu lui avait envoyé à Nazareth, Marie entendit les paroles suivantes :
« Voici que tu concevras et enfanteras un fils et tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand et on l’appellera Fils du Très-Haut… ; il régnera sur la maison de Jacob à jamais et son règne n’aura jamais de fin » (Lc 1, 31-33).
Marie est le commencement du troisième Avent parce qu’elle a mis au monde celui qui réalisera ce choix éternel dont il nous a été donné lecture dans l’épître aux Éphésiens. En le réalisant, il en fera le fait culminant de l’histoire de l’humanité. Il lui donnera la forme concrète de l’Évangile, de l’eucharistie, de la Parole et des sacrements. Et ainsi ce choix éternel pénétrera la vie des âmes humaines et la vie de cette communauté particulière qui se nomme l’Église.
L’histoire de la famille humaine et l’histoire de chaque homme mûriront par l’opération de Jésus-Christ, à la mesure des fils et des filles d’adoption. « C’est en lui encore que nous sommes devenus les héritiers désignés d’avance selon le plan préétabli de celui qui mène toutes choses au gré de sa volonté » (Ep 1, 11).
Marie est l’origine de ce troisième Avent, et elle s’y maintient en permanence, toujours présente (comme l’a si merveilleusement exprimé le Concile Vatican II au huitième chapitre de la Constitution sur l’Église Lumen Gentium). De même que le deuxième Avent nous rapproche de celle dont le Fils devait « écraser la tête du serpent », ainsi le troisième Avent nous éloigne d’elle tout en nous permettant de demeurer sans cesse en présence du Fils, tout proches d’elle. Cet Avent n’est autre que l’attente de l’accomplissement définitif des temps : il est simultanément le temps de la lutte et des contrastes, poursuivant ainsi la prévision originelle : « J’établirai une inimitié entre toi et la femme… » (Gn 3, 15).
La différence consiste dans le fait que nous connaissons déjà le nom de la femme. Elle est l’Immaculée Conception. On la connaît pour sa virginité et pour sa maternité. Elle est la Mère du Christ et de l’Église, Mère de Dieu et des hommes : Marie de notre Avent.

 

BENOÎT XVI – ANDRÉ, LE PROTOCLET

30 novembre, 2016

http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2006/documents/hf_ben-xvi_aud_20060614.html

BENOÎT XVI – ANDRÉ, LE PROTOCLET

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 14 juin 2006

Chers frères et soeurs,

Dans les deux dernières catéchèses, nous avons parlé de la figure de saint Pierre. A présent, nous voulons, dans la mesure où les sources nous le permettent, connaître d’un peu plus près également les onze autres Apôtres. C’est pourquoi nous parlons aujourd’hui du frère de Simon Pierre, saint André, qui était lui aussi l’un des Douze. La première caractéristique qui frappe chez André est son nom: il n’est pas juif, comme on pouvait s’y attendre, mais grec, signe non négligeable d’une certaine ouverture culturelle de sa famille. Nous sommes en Galilée, où la langue et la culture grecques sont assez présentes. Dans les listes des Douze, André occupe la deuxième place, comme dans Matthieu (10, 1-4) et dans Luc (6, 13-16), ou bien la quatrième place comme dans Marc (3, 13-18) et dans les Actes (1, 13-14). Quoi qu’il en soit, il jouissait certainement d’un grand prestige au sein des premières communautés chrétiennes.
Le lien de sang entre Pierre et André, ainsi que l’appel commun qui leur est adressé par Jésus, apparaissent explicitement dans les Evangiles. On y lit: « Comme il [Jésus] marchait au bord du lac de Galilée, il vit deux frères, Simon, appelé Pierre, et son frère André, qui jetaient leurs filets dans le lac: c’était des pêcheurs. Jésus leur dit: « Venez derrière moi, et je vous ferai pêcheurs d’hommes »" (Mt 4, 18-19; Mc 1, 16-17). Dans le quatrième Evangile, nous trouvons un autre détail important: dans un premier temps, André était le disciple de Jean Baptiste; et cela nous montre que c’était un homme qui cherchait, qui partageait l’espérance d’Israël, qui voulait connaître de plus près la parole du Seigneur, la réalité du Seigneur présent. C’était vraiment un homme de foi et d’espérance; et il entendit Jean Baptiste un jour proclamer que Jésus était l’ »agneau de Dieu » (Jn 1, 36); il se mit alors en marche et, avec un autre disciple qui n’est pas nommé, il suivit Jésus, Celui qui était appelé par Jean « Agneau de Dieu ». L’évangéliste rapporte: ils « virent où il demeurait, et ils restèrent auprès de lui ce jour-là » (Jn 1, 37-39). André put donc profiter de précieux moments d’intimité avec Jésus. Le récit se poursuit par une annotation significative: « André, le frère de Simon-Pierre, était l’un des deux disciples qui avaient entendu Jean Baptiste et qui avaient suivi Jésus. Il trouve d’abord son frère Simon et lui dit: « Nous avons trouvé le Messie (autrement dit: le Christ) ». André amena son frère à Jésus » (Jn 1, 40-43), démontrant immédiatement un esprit apostolique peu commun. André fut donc le premier des Apôtres à être appelé à suivre Jésus. C’est précisément sur cette base que la liturgie de l’Eglise byzantine l’honore par l’appellation de Protóklitos, qui signifie précisément « premier appelé ». Et il est certain que c’est également en raison du rapport fraternel entre Pierre et André que l’Eglise de Rome et l’Eglise de Constantinople se sentent de manière particulière des Eglises-soeurs. Pour souligner cette relation, mon Prédécesseur, le Pape Paul VI, restitua en 1964 les nobles reliques de saint André, conservées jusqu’alors dans la Basilique vaticane, à l’Evêque métropolite orthodoxe de la ville de Patras en Grèce, où selon la tradition, l’Apôtre fut crucifié.
Les traditions évangéliques rappellent particulièrement le nom d’André en trois autres occasions, qui nous font connaître un peu plus cet homme. La première est celle de la multiplication des pains en Galilée. En cette circonstance, ce fut André qui signala à Jésus la présence d’un enfant avec cinq pains d’orge et deux poissons, « bien peu de chose » – remarqua-t-il – pour toutes les personnes réunies en ce lieu (cf. Jn 6, 8-9). Le réalisme d’André en cette occasion mérite d’être souligné: il remarqua l’enfant – il avait donc déjà posé la question: « Mais qu’est-ce que cela pour tant de monde! » (ibid.) -, et il se rendit compte de l’insuffisance de ses maigres réserves. Jésus sut toutefois les faire suffire pour la multitude de personnes venues l’écouter. La deuxième occasion fut à Jérusalem. En sortant de la ville, un disciple fit remarquer à Jésus le spectacle des murs puissants qui soutenaient le Temple. La réponse du Maître fut surprenante: il lui dit que de ces murs, il ne serait pas resté pierre sur pierre. André l’interrogea alors, avec Pierre, Jacques et Jean: « Dis-nous quand cela arrivera, dis-nous quel sera le signe que tout cela va finir » (Mc 13, 1-4). Pour répondre à cette question, Jésus prononça un discours important sur la destruction de Jérusalem et sur la fin du monde, en invitant ses disciples à lire avec attention les signes des temps et à rester toujours vigilants. Nous pouvons déduire de l’épisode que nous ne devons pas craindre de poser des questions à Jésus, mais que dans le même temps, nous devons être prêts à accueillir les enseignements, même surprenants et difficiles, qu’Il nous offre.
Dans les Evangiles, enfin, une troisième initiative d’André est rapportée. Le cadre est encore Jérusalem, peu avant la Passion. Pour la fête de Pâques – raconte Jean – quelques Grecs étaient eux aussi venus dans la ville sainte, probablement des prosélytes ou des hommes craignant Dieu, venus pour adorer le Dieu d’Israël en la fête de la Pâque. André et Philippe, les deux Apôtres aux noms grecs, servent d’interprètes et de médiateurs à ce petit groupe de Grecs auprès de Jésus. La réponse du Seigneur à leur question apparaît – comme souvent dans l’Evangile de Jean – énigmatique, mais précisément ainsi, elle se révèle riche de signification. Jésus dit aux deux disciples et, par leur intermédiaire, au monde grec: « L’heure est venue pour le Fils de l’homme d’être glorifié. Amen, amen, je vous le dis: si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul; mais s’il meurt, il donne beaucoup de fruit » (Jn 12, 23-24). Que signifient ces paroles dans ce contexte? Jésus veut dire: Oui, ma rencontre avec les Grecs aura lieu, mais pas comme un simple et bref entretien entre moi et quelques personnes, poussées avant tout par la curiosité. Avec ma mort, comparable à la chute en terre d’un grain de blé, viendra l’heure de ma glorification. De ma mort sur la croix proviendra la grande fécondité: le « grain de blé mort » – symbole de ma crucifixion – deviendra dans la résurrection pain de vie pour le monde; elle sera lumière pour les peuples et les cultures. Oui, la rencontre avec l’âme grecque, avec le monde grec, se réalisera à ce niveau auquel fait allusion l’épisode du grain de blé qui attire à lui les forces de la terre et du ciel et qui devient pain. En d’autres termes, Jésus prophétise l’Eglise des Grecs, l’Eglise des païens, l’Eglise du monde comme fruit de sa Pâque.
Des traditions très antiques voient André, qui a transmis aux Grecs cette parole, non seulement comme l’interprète de plusieurs Grecs lors de la rencontre avec Jésus que nous venons de rappeler, mais elles le considèrent comme l’apôtre des Grecs dans les années qui suivirent la Pentecôte; elles nous font savoir qu’au cours du reste de sa vie il fut l’annonciateur et l’interprète de Jésus dans le monde grec. Pierre, son frère, de Jérusalem en passant par Antioche, parvint à Rome pour y exercer sa mission universelle; André fut en revanche l’Apôtre du monde grec: ils apparaissent ainsi de véritables frères dans la vie comme dans la mort – une fraternité qui s’exprime symboliquement dans la relation spéciale des Sièges de Rome et de Constantinople, des Eglises véritablement soeurs.
Une tradition successive, comme nous l’avons mentionné, raconte la mort d’André à Patras, où il subit lui aussi le supplice de la crucifixion. Cependant, au moment suprême, de manière semblable à son frère Pierre, il demanda à être placé sur une croix différente de celle de Jésus. Dans son cas, il s’agit d’une croix décussée, c’est-à-dire dont le croisement transversal est incliné, qui fut donc appelée « croix de saint André ». Voilà ce que l’Apôtre aurait dit à cette occasion, selon un antique récit (début du VI siècle) intitulé Passion d’André: « Je te salue, ô Croix, inaugurée au moyen du Corps du Christ et qui as été ornée de ses membres, comme par des perles précieuses. Avant que le Seigneur ne monte sur toi, tu inspirais une crainte terrestre. A présent, en revanche, dotée d’un amour céleste, tu es reçue comme un don. Les croyants savent, à ton égard, combien de joie tu possèdes, combien de présents tu prépares. Avec assurance et rempli de joie, je viens donc à toi, pour que toi aussi, tu me reçoives exultant comme le disciple de celui qui fut suspendu à toi… O croix bienheureuse, qui reçus la majesté et la beauté des membres du Seigneur!… Prends-moi et porte-moi loin des hommes et rends-moi à mon Maître, afin que par ton intermédiaire me reçoive celui qui, par toi, m’a racheté. Je te salue, ô Croix; oui, en vérité, je te salue! ». Comme on le voit, il y a là une très profonde spiritualité chrétienne, qui voit dans la croix non pas tant un instrument de torture, mais plutôt le moyen incomparable d’une pleine assimilation au Rédempteur, au grain de blé tombé en terre. Nous devons en tirer une leçon très importante: nos croix acquièrent de la valeur si elles sont considérées et accueillies comme une partie de la croix du Christ, si elles sont touchées par l’éclat de sa lumière. Ce n’est que par cette Croix que nos souffrances sont aussi ennoblies et acquièrent leur sens véritable.
Que l’Apôtre André nous enseigne donc à suivre Jésus avec promptitude (cf. Mt 4, 20; Mc 1, 18), à parler avec enthousiasme de Lui à ceux que nous rencontrons, et surtout à cultiver avec Lui une relation véritablement familière, bien conscients que ce n’est qu’en Lui que nous pouvons trouver le sens ultime de notre vie et de notre mort.

BENOÎT XVI – JEAN, LE VOYANT DE PATMOS

22 novembre, 2016

http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2006/documents/hf_ben-xvi_aud_20060823.html

BENOÎT XVI – JEAN, LE VOYANT DE PATMOS

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 23 août 2006

Chers frères et soeurs,

Dans la dernière catéchèse, nous étions arrivés à la méditation sur la figure de l’Apôtre Jean. Nous avions tout d’abord cherché à voir ce que l’on peut savoir de sa vie. Puis, dans une deuxième catéchèse, nous avions médité le contenu central de son Evangile, de ses Lettres: la charité, l’amour. Et aujourd’hui, nous revenons encore une fois sur la figure de l’Apôtre Jean, en prenant cette fois en considération le Voyant de l’Apocalypse. Et nous faisons immédiatement une observation: alors que ni le Quatrième Evangile, ni les Lettres attribuées à l’Apôtre ne portent jamais son nom, l’Apocalypse fait référence au nom de Jean, à quatre reprises (cf. 1, 1.4.9; 22, 8). Il est évident que l’Auteur, d’une part, n’avait aucun motif pour taire son propre nom et, de l’autre, savait que ses premiers lecteurs pouvaient l’identifier avec précision. Nous savons par ailleurs que, déjà au III siècle, les chercheurs discutaient sur la véritable identité anagraphique du Jean de l’Apocalypse. Quoi qu’il en soit, nous pourrions également l’appeler « le Voyant de Patmos », car sa figure est liée au nom de cette île de la Mer Egée, où, selon son propre témoignage autobiographique, il se trouvait en déportation « à cause de la Parole de Dieu et du témoignage pour Jésus » (Ap 1, 9). C’est précisément à Patmos, « le jour du Seigneur… inspiré par l’Esprit » (Ap 1, 10), que Jean eut des visions grandioses et entendit des messages extraordinaires, qui influencèrent profondément l’histoire de l’Eglise et la culture occidentale tout entière. C’est par exemple à partir du titre de son livre – Apocalypse, Révélation – que furent introduites dans notre langage les paroles « apocalypse, apocalyptique », qui évoquent, bien que de manière inappropriée, l’idée d’une catastrophe imminente.
Le livre doit être compris dans le cadre de l’expérience dramatique des sept Eglises d’Asie (Ephèse, Smyrne, Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie, Laodicée), qui vers la fin du I siècle durent affronter des difficultés importantes – des persécutions et également des tensions internes – dans leur témoignage au Christ. Jean s’adresse à elles en faisant preuve d’une vive sensibilité pastorale à l’égard des chrétiens persécutés, qu’il exhorte à rester solides dans la foi et à ne pas s’identifier au monde païen si fort. Son objet est constitué en définitive par la révélation, à partir de la mort et de la résurrection du Christ, du sens de l’histoire humaine. La première vision fondamentale de Jean, en effet, concerne la figure de l’Agneau, qui est égorgé et pourtant se tient debout (cf. Ap 5, 6), placé au milieu du trône où Dieu lui-même est déjà assis. A travers cela, Jean veut tout d’abord nous dire deux choses: la première est que Jésus, bien que tué par un acte de violence, au lieu de s’effondrer au sol, se tient paradoxalement bien fermement sur ses pieds, car à travers la résurrection, il a définitivement vaincu la mort; l’autre est que Jésus, précisément en tant que mort et ressuscité, participe désormais pleinement au pouvoir royal et salvifique du Père. Telle est la vision fondamentale. Jésus, le Fils de Dieu, est sur cette terre un agneau sans défense, blessé, mort. Toutefois, il se tient droit, il est debout, il se tient devant le trône de Dieu et participe du pouvoir divin. Il a entre ses mains l’histoire du monde. Et ainsi, le Voyant veut nous dire: Ayez confiance en Jésus, n’ayez pas peur des pouvoirs opposés, de la persécution! L’Agneau blessé et mort vainc! Suivez l’Agneau Jésus, confiez-vous à Jésus, prenez sa route! Même si dans ce monde, ce n’est qu’un Agneau qui apparaît faible, c’est Lui le vainqueur!
L’une des principales visions de l’Apocalypse a pour objet cet Agneau en train d’ouvrir un livre, auparavant fermé par sept sceaux que personne n’était en mesure de rompre. Jean est même présenté alors qu’il pleure, car l’on ne trouvait personne digne d’ouvrir le livre et de le lire (cf. Ap 5, 4). L’histoire reste indéchiffrable, incompréhensible. Personne ne peut la lire. Ces pleurs de Jean devant le mystère de l’histoire si obscur expriment peut-être le sentiment des Eglises asiatiques déconcertées par le silence de Dieu face aux persécutions auxquelles elles étaient exposées à cette époque. C’est un trouble dans lequel peut bien se refléter notre effroi face aux graves difficultés, incompréhensions et hostilités dont souffre également l’Eglise aujourd’hui dans diverses parties du monde. Ce sont des souffrances que l’Eglise ne mérite certainement pas, de même que Jésus ne mérita pas son supplice. Celles-ci révèlent cependant la méchanceté de l’homme, lorsqu’il s’abandonne à l’influence du mal, ainsi que le gouvernement supérieur des événements de la part de Dieu. Eh bien, seul l’Agneau immolé est en mesure d’ouvrir le livre scellé et d’en révéler le contenu, de donner un sens à cette histoire apparemment si souvent absurde. Lui seul peut en tirer les indications et les enseignements pour la vie des chrétiens, auxquels sa victoire sur la mort apporte l’annonce et la garantie de la victoire qu’ils obtiendront eux aussi sans aucun doute. Tout le langage fortement imagé que Jean utilise vise à offrir ce réconfort.
Au centre des visions que l’Apocalypse présente, se trouvent également celles très significatives de la Femme qui accouche d’un Fils, et la vision complémentaire du Dragon désormais tombé des cieux, mais encore très puissant. Cette Femme représente Marie, la Mère du Rédempteur, mais elle représente dans le même temps toute l’Eglise, le Peuple de Dieu de tous les temps, l’Eglise qui, à toutes les époques, avec une grande douleur, donne toujours à nouveau le jour au Christ. Et elle est toujours menacée par le pouvoir du Dragon. Elle apparaît sans défense, faible. Mais alors qu’elle est menacée, persécutée par le Dragon, elle est également protégée par le réconfort de Dieu. Et à la fin, cette Femme l’emporte. Ce n’est pas le Dragon qui gagne. Voilà la grande prophétie de ce livre qui nous donne confiance. La Femme qui souffre dans l’histoire, l’Eglise qui est persécutée, apparaît à la fin comme une Epouse splendide, figure de la nouvelle Jérusalem, où il n’y a plus de larmes, ni de pleurs, image du monde transformé, du nouveau monde, dont la lumière est Dieu lui-même, dont la lampe est l’Agneau.
C’est pour cette raison que l’Apocalypse de Jean, bien qu’imprégnée par des références continues aux souffrances, aux tribulations et aux pleurs – la face obscure de l’histoire -, est tout autant imprégnée par de fréquents chants de louange, qui représentent comme la face lumineuse de l’histoire. C’est ainsi, par exemple, que l’on lit la description d’une foule immense, qui chante presque en criant: « Alléluia! le Seigneur notre Dieu a pris possession de sa royauté, lui, le Tout-Puissant. Soyons dans la joie, exultons, rendons-lui gloire, car voici les noces de l’Agneau. Son épouse a revêtu ses parures » (Ap 19, 6-7). Nous nous trouvons ici face au paradoxe chrétien typique, selon lequel la souffrance n’est jamais perçue comme le dernier mot, mais considérée comme un point de passage vers le bonheur, étant déjà même mystérieusement imprégnée par la joie qui naît de l’espérance. C’est précisément pour cela que Jean, le Voyant de Patmos, peut terminer son livre par une ultime aspiration, vibrant d’une attente fervente. Il invoque la venue définitive du Seigneur: « Viens, Seigneur Jésus! » (Ap 22, 20). C’est l’une des prières centrales de la chrétienté naissante, également traduite par saint Paul dans la langue araméenne: « Marana tha ». Et cette prière, « Notre Seigneur, viens! » (1 Co 16, 22), possède plusieurs dimensions. Naturellement, elle est tout d’abord l’attente de la victoire définitive du Seigneur, de la nouvelle Jérusalem, du Seigneur qui vient et qui transforme le monde. Mais, dans le même temps, elle est également une prière eucharistique: « Viens Jésus, maintenant! ». Et Jésus vient, il anticipe son arrivée définitive. Ainsi, nous disons avec joie au même moment: « Viens maintenant, et viens de manière définitive! ». Cette prière possède également une troisième signification: « Tu es déjà venu, Seigneur! Nous sommes certains de ta présence parmi nous. C’est pour nous une expérience joyeuse. Mais viens de manière définitive! ». Et ainsi, avec saint Paul, avec le Voyant de Patmos, avec la chrétienté naissante, nous prions nous aussi: « Viens, Jésus! Viens, et transforme le monde! Viens dès aujourd’hui et que la paix l’emporte! ». Amen!

 

BENOÎT XVI – Eschatologie – L’attente de la parousie dans l’enseignement de saint Paul

14 novembre, 2016

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 BENOÎT XVI – Eschatologie – L’attente de la parousie dans l’enseignement de saint Paul

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 12 novembre 2008

BENOÎT XVI

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 12 novembre 2008

Chers frères et sœurs,

Le thème de la résurrection, sur lequel nous nous sommes arrêtés la semaine dernière, ouvre une nouvelle perspective, celle de l’attente du retour du Seigneur, et nous conduit donc à réfléchir sur le rapport entre le temps présent, temps de l’Eglise et du Royaume du Christ, et l’avenir (éschaton) qui nous attend, lorsque le Christ remettra le Royaume au Père (cf. 1 Co 15, 24). Chaque discours chrétien sur les choses ultimes, appelé eschatologie, part toujours de l’événement de la résurrection: dans cet événement les choses ultimes sont déjà commencées et, dans un certain sens, déjà présentes.
C’est probablement en l’an 52 que Paul a écrit la première de ses lettres, la première Lettre aux Thessaloniciens, où il parle de ce retour de Jésus, appelé parousie, avent, présence nouvelle, définitive et manifeste (cf. 4, 13-18). Aux Thessaloniciens, qui ont leurs doutes et leurs problèmes, l’Apôtre écrit ainsi: « Jésus, nous le croyons, est mort et ressuscité; de même, nous le croyons, ceux qui se sont endormis, Dieu, à cause de Jésus, les emmènera avec son Fils » (4, 14). Et il poursuit: « Les morts unis au Christ ressusciteront d’abord. Ensuite, nous les vivants, nous qui sommes encore là, nous serons emportés sur les nuées du ciel, en même temps qu’eux, à la rencontre du Seigneur. Ainsi, nous serons pour toujours avec le Seigneur » (4, 16-17). Paul décrit la parousie du Christ avec un ton très vif et avec des images symboliques qui transmettent cependant un message simple et profond: à la fin nous serons toujours avec le Seigneur. Tel est, au-delà des images, le message essentiel: notre avenir est « être avec le Seigneur »; en tant que croyants dans notre vie nous sommes déjà avec le Seigneur; notre avenir, la vie éternelle, est déjà commencé.
Dans la deuxième Lettre aux Thessaloniciens Paul change la perspective; il parle des événements négatifs qui devront précéder l’événement final et conclusif. Il ne faut pas se laisser tromper – dit-il – comme si le jour du Seigneur était vraiment imminent, selon un calcul chronologique: « Frères, nous voulons vous demander une chose, au sujet de notre Seigneur Jésus Christ et de notre rassemblement auprès de lui: si on nous attribue une révélation, une parole ou une lettre prétendant que le jour du Seigneur est arrivé, n’allez pas aussitôt perdre la tête, ne vous laissez pas effrayer. Ne laissez personne vous égarer d’aucune manière » (2, 1-3). La suite de ce texte annonce qu’avant l’arrivée du Seigneur il y aura l’apostasie et que devra se révéler « l’homme de l’impiété », le « fils de perdition » (2, 3), qui n’est pas mieux défini et que la tradition appellera par la suite l’antéchrist. Mais l’intention de cette lettre de saint Paul est avant tout pratique; il écrit: « Et quand nous étions chez vous, nous vous donnions cette consigne: si quelqu’un ne veut pas travailler qu’il ne mange pas non plus. Or, nous apprenons que certains parmi vous vivent dans l’oisiveté, affairés sans rien faire. A ceux-la nous adressons dans le Seigneur Jésus Christ cet ordre et cet appel: qu’ils travaillent dans le calme pour manger le pain qu’ils auront gagné » (3, 10-12). En d’autres termes, l’attente de la parousie de Jésus ne dispense pas de l’engagement dans ce monde, mais au contraire crée une responsabilité devant le Juge divin à propos de nos actions dans ce monde. C’est justement ainsi que grandit notre responsabilité de travailler dans et pour ce monde. Nous verrons la même chose dimanche prochain dans l’évangile des talents, où le Seigneur nous dit qu’il nous a confié des talents à tous et que le Juge en demandera des comptes en disant: Avez-vous porté du fruit? L’attente du retour implique donc une responsabilité pour ce monde.
La même chose et le même lien entre parousie – retour du Juge/Sauveur – et notre engagement dans notre vie apparaît dans un autre contexte et sous de nouveaux aspects dans la Lettre aux Philippiens. Paul est en prison et attend la sentence qui peut le condamner à mort. Dans cette situation il pense à sa future présence auprès du Seigneur, mais il pense aussi à la communauté de Philippes qui a besoin de son père, de Paul, et écrit: « En effet, pour moi, vivre c’est le Christ, et mourir est un avantage. Mais si, en vivant en ce monde, j’arrive à faire un travail utile, je ne sais plus comment choisir. Je me sens pris entre les deux: je voudrais bien partir pour être avec le Christ, car c’est bien cela le meilleur; mais, à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire. J’en suis fermement convaincu; je sais donc que je resterai, et que je continuerai à être avec vous tous pour votre progrès et votre joie dans la foi. Ainsi, quand je serai de retour parmi vous, vous aurez en moi un nouveau motif d’orgueil dans le Christ Jésus » (1, 21-26). Paul n’a pas peur de la mort, au contraire: elle implique en effet d’être complètement avec le Christ. Mais Paul participe également des sentiments du Christ, qui n’a pas vécu pour lui-même, mais pour nous. Vivre pour les autres devient le programme de sa vie et démontre ainsi sa disponibilité parfaite à la volonté de Dieu, à ce que Dieu décidera. Il est surtout disponible, même à l’avenir, à vivre sur cette terre pour les autres, à vivre pour le Christ, à vivre pour sa présence vivante et ainsi pour le renouveau du monde. Nous voyons que cette présence auprès du Christ crée une grande liberté intérieure: liberté devant la menace de la mort, mais liberté aussi face à tous les engagements et toutes les souffrances de la vie. Il est simplement disponible pour Dieu et réellement libre.
Et interrogeons nous à présent, après avoir examiné les différents aspects de l’attente de la parousie du Christ: quelles sont les attitudes fondamentales du chrétien face aux choses ultimes: la mort, la fin du monde? La première attitude est la certitude que Jésus est ressuscité, est avec le Père et est ainsi justement avec nous, pour toujours. Et personne n’est plus fort que le Christ, parce qu’il est avec le Père, parce qu’il est avec nous. Nous nous sentons ainsi plus sûrs, libérés de la peur. Cela était un effet essentiel de la prédication chrétienne. La peur des esprits, des divinités était répandue dans tout le monde antique. Et aujourd’hui également les missionnaires trouvent la peur des esprits, des puissance négatives qui nous menacent, mêlés à de nombreux éléments positifs des religions naturelles. Le Christ vit, a vaincu la mort et a vaincu tous ces pouvoirs. Nous vivons dans cette certitude, dans cette liberté, dans cette joie. C’est le premier aspect de notre vie concernant l’avenir.
En deuxième lieu la certitude que le Christ est avec moi. Et comme dans le Christ le monde à venir est déjà commencé, cela nous donne aussi la certitude de l’espérance. L’avenir n’est pas un trou noir dans lequel personne ne s’oriente. Il n’en est pas ainsi. Sans le Christ, l’avenir est sombre même pour le monde d’aujourd’hui, il y a une grande crainte de l’avenir. Le chrétien sait que la lumière du Christ est plus forte, aussi vit-il dans une espérance qui n’est pas vague, dans une espérance qui donne de l’assurance et du courage pour affronter l’avenir.
Enfin, la troisième attitude. Le Juge qui revient – il est juge et sauveur en même temps – nous a laissé l’engagement de vivre dans ce monde selon son mode de vie. Il nous a remis ses talents. Aussi notre troisième attitude est-elle: une responsabilité pour le monde, pour nos frères face au Christ, et en même temps également une certitude de sa miséricorde. Les deux choses sont importantes. Nous ne vivons pas comme si le bien et le mal étaient égaux, parce que Dieu seul peut être miséricordieux. Il serait trompeur de dire cela. En réalité, nous vivons dans une grande responsabilité. Nous avons nos talents, nous sommes chargés de travailler pour que ce monde s’ouvre au Christ, soit renouvelé. Mais même en travaillant et en sachant dans notre responsabilité que Dieu est un vrai juge, nous sommes également certains que ce juge est bon, nous connaissons son visage, le visage du Christ ressuscité, du Christ crucifié pour nous. Aussi pouvons-nous être sûrs de sa bonté et aller de l’avant avec un grand courage.
Un autre élément de l’enseignement paulinien concernant l’eschatologie est celui de l’universalité de l’appel à la foi, qui réunit les Juifs et les Gentils, c’est-à-dire les païens, comme signe et anticipation de la réalité future, ce qui nous permet de dire que nous siégeons déjà dans les cieux avec Jésus Christ, mais pour montrer dans les siècles futurs la richesse de la grâce (cf. Ep 2, 6sq): l’après devient un avant pour mettre en évidence l’état de début de réalisation dans lequel nous vivons. Cela rend tolérables les souffrances du moment présent, qui ne sont cependant pas comparables à la gloire future (cf. Rm 8, 18). Nous marchons dans la foi et non dans une vision, et même s’il était préférable de partir en exil du corps et d’habiter auprès du Seigneur, ce qui compte en définitive, que l’on demeure dans le corps ou que l’on en sorte, est qu’on Lui soit agréables (cf. 2 Co 5, 7-9).
Enfin, un dernier point qui peut nous paraître un peu difficile. Saint Paul en conclusion de sa première Lettre aux Corinthiens, répète et fait dire aux Corinthiens une prière née dans les premières communautés chrétiennes de la région palestinienne: Maranà, thà!qui signifie littéralement « Notre Seigneur, viens! » (16, 22). C’était la prière de la première chrétienté et le dernier livre du Nouveau Testament, l’Apocalypse, se termine lui aussi par cette prière: « Seigneur, viens! ». Pouvons-nous nous aussi prier ainsi? Il me semble que pour nous aujourd’hui, dans notre vie, dans notre monde, il est difficile de prier sincèrement pour que périsse ce monde, pour que vienne la nouvelle Jérusalem, pour que vienne le jugement dernier et le juge, le Christ. Je pense que si sincèrement nous n’osons pas prier ainsi pour de nombreux motifs, nous pouvons cependant également dire d’une manière juste et correcte, avec la première chrétienté: « Viens, Seigneur Jésus! ». Bien sûr nous ne voulons pas qu’arrive la fin du monde. Mais d’autre part, nous voulons également que se termine ce monde injuste. Nous voulons également que le monde soit fondamentalement changé, que commence la civilisation de l’amour, qu’arrive un monde de justice, de paix, sans violence, sans faim. Nous voulons tout cela: et comment cela pourrait-il arriver sans la présence du Christ? Sans la présence du Christ, un monde réellement juste et renouvelé n’arrivera jamais. Et même si d’une autre manière, totalement et en profondeur, nous pouvons et nous devons dire nous aussi, avec une grande urgence dans les circonstances de notre époque: Viens, Seigneur! Viens à ta manière, selon les manières que tu connais. Viens où règnent l’injustice et la violence. Viens dans les camps de réfugiés, au Darfour, au Nord-Kivu, dans de nombreuses parties du monde. Viens où règne la drogue. Viens également parmi ces riches qui t’ont oublié, qui vivent seulement pour eux-mêmes. Viens là où tu n’es pas connu. Viens à ta manière et renouvelle le monde d’aujourd’hui. Viens également dans nos cœurs, viens et renouvelle notre vie, viens dans notre cœur pour que nous-mêmes puissions devenir lumière de Dieu, ta présence. Prions en ce sens avec saint Paul: Maranà, thà! « Viens, Seigneur Jésus! ». Et prions pour que le Christ soit réellement présent aujourd’hui dans notre monde et le renouvelle.

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