Archive pour la catégorie 'Pape Benoit'

BENOÎT XVI – AUDIENCE GÉNÉRALE – préparation de la Naissance du Sauveur 23.12.09

9 décembre, 2019

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fr Greccio il borgo deove è nato il presepio

La crèche de Greccio, le Borgo où est né le berceau

BENOÎT XVI – AUDIENCE GÉNÉRALE – préparation de la Naissance du Sauveur 23.12.09

Mercredi 23 décembre 2009

Chers frères et sœurs,

Avec la neuvaine de Noël, que nous célébrons ces jours-ci, l’Eglise nous invite à vivre de manière intense et profonde la préparation de la Naissance du Sauveur, désormais imminente. Le désir, que nous portons tous dans le cœur, est que la prochaine fête de Noël nous offre, au milieu de l’activité frénétique de notre époque, une joie sereine et profonde pour nous faire toucher du doigt la volonté de notre Dieu et de nous donner un courage nouveau.
Pour mieux comprendre la signification du Noël du Seigneur je voudrais évoquer brièvement l’origine historique de cette solennité. En effet, l’année liturgique de l’Eglise ne s’est pas développé au commencement en partant de la naissance du Christ, mais de la foi en sa résurrection. C’est pourquoi la fête la plus ancienne de la chrétienté n’est pas Noël, mais Pâques; la résurrection du Christ fonde la foi chrétienne, elle est à la base de l’annonce de l’Evangile et elle fait naître l’Eglise. Etre chrétiens signifie donc vivre de manière pascale, en se laissant prendre dans la dynamique qui voit le jour avec le baptême et qui conduit à mourir au péché pour vivre avec Dieu (cf. Rm 6, 4).
Le premier à affirmer avec clarté que Jésus naquit le 25 décembre a été Hippolyte de Rome, dans son commentaire au Livre du prophète Daniel, écrit vers l’an 204. Certains exégètes remarquent ensuite que, ce jour-là, était célébrée la fête de la Consécration du Temple de Jérusalem, instituée par Judas Maccabée en 164 avant Jésus Christ. La coïncidence de dates signifierait alors qu’avec Jésus, apparu comme lumière de Dieu dans la nuit, se réalise véritablement la consécration du temple, l’Avènement de Dieu sur cette terre.
Dans la chrétienté, la fête de Noël a pris une forme définitive au IVe siècle, lorsqu’elle prit la place de la fête romaine du « Sol invictus », le soleil invincible; ainsi fut mis en évidence que la naissance du Christ est la victoire de la vraie lumière sur les ténèbres du mal et du péché. Toutefois, l’atmosphère spirituelle particulière et intense qui entoure Noël s’est développée au Moyen-Age, grâce à saint François d’Assise, qui était profondément amoureux de l’homme Jésus, du Dieu-avec-nous. Son premier biographe, Thomas de Celano, dans la Vita seconda raconte que saint François « plus que toutes les autres solennités, célébrait avec un ineffable soin le Noël de l’Enfant Jésus, et il appelait fête d’entre les fêtes le jour où Dieu, s’étant fait petit enfant, avait pris la tétée à un sein humain » (Sources franciscaines, n. 199, p. 492). C’est à cette dévotion particulière au mystère de l’Incarnation que doit son origine la fameuse célébration de Noël à Greccio. Elle fut probablement inspirée à saint François par son pèlerinage en Terre Sainte et par la crèche de Sainte-Marie-Majeure à Rome. Ce qui animait le Poverello d’Assise était le désir de faire l’expérience, de manière concrète, vivante et actuelle, de l’humble grandeur de l’événement de la naissance de l’Enfant Jésus et d’en communiquer la joie à tous.
Dans la première biographie, Thomas de Celano parle de la nuit de la crèche de Greccio de manière vivante et touchante, en offrant une contribution décisive à la diffusion de la plus belle tradition de Noël, celle de la crèche. La nuit de Greccio, en effet, a redonné à la chrétienté l’intensité et la beauté de la fête de Noël, et a éduqué le Peuple de Dieu à en saisir le message le plus authentique, la chaleur particulière, et à aimer et adorer l’humanité du Christ. Cette approche particulière de Noël a offert à la foi chrétienne une nouvelle dimension. La Pâque avait concentré l’attention sur la puissance de Dieu qui vainc la mort, inaugure la vie nouvelle et enseigne à espérer dans le monde qui viendra. Avec saint François et sa crèche étaient mis en évidence l’amour désarmé de Dieu, son humilité et sa bonté qui, dans l’Incarnation du Verbe, se manifeste aux hommes pour enseigner une nouvelle manière de vivre et d’aimer.
Thomas de Celano raconte que, en cette nuit de Noël, la grâce d’une vision merveilleuse fut accordée à François. Il vit couché immobile dans la mangeoire un petit enfant, qui fut réveillé du sommeil précisément par la proximité de François. Et il ajoute: « Cette vision n’était pas discordante des faits car, par l’œuvre de sa grâce qui agissait au moyen de son saint serviteur François, l’Enfant Jésus fut ressuscité dans le cœur de beaucoup de personnes qui l’avaient oublié, et il fut profondément imprimé dans leur mémoire pleine d’amour » (Vita prima, op. cit., n. 86, p. 307). Cette évocation décrit avec beaucoup de précision ce que la foi vivante et l’amour de François pour l’humanité du Christ ont transmis à la fête chrétienne de Noël: la découverte que Dieu se révèle sous la tendre apparence de l’Enfant Jésus. Grâce à saint François, le peuple chrétien a pu percevoir qu’à Noël, Dieu est vraiment devenu l’« Emmanuel », le Dieu-avec-nous, dont ne nous sépare aucune barrière et aucune distance. Dans cet Enfant, Dieu est devenu si proche que nous pouvons le tutoyer et entretenir avec lui une relation confidentielle de profonde affection, de la même façon que nous le faisons avec un nouveau-né.
En effet, dans cet Enfant se manifeste Dieu-Amour: Dieu vient sans armes, sans la force, parce qu’il n’entend pas conquérir, pour ainsi dire, de l’extérieur, mais il entend plutôt être librement accueilli par l’homme; Dieu se fait Enfant sans défense pour vaincre l’orgueil, la violence, la soif de possession de l’homme. En Jésus, Dieu a assumé cette condition pauvre et désarmante pour nous vaincre par l’amour et nous conduire à notre véritable identité. Nous ne devons pas oublier que le titre le plus grand de Jésus Christ est précisément celui de « Fils », Fils de Dieu; la dignité divine est indiquée par un terme, qui prolonge la référence à l’humble condition de la mangeoire de Bethléem, bien que correspondant de manière unique à sa divinité, qui est la divinité du « Fils ».
En outre, sa condition d’Enfant nous indique comment nous pouvons rencontrer Dieu et jouir de sa présence. C’est à la lumière de Noël que nous pouvons comprendre les paroles de Jésus: « Si vous ne changez pas pour devenir comme les petits enfants, vous n’entrerez point dans le Royaume des cieux » (Mt 18, 3). Celui qui n’a pas compris le mystère de Noël, n’a pas compris l’élément décisif de l’existence chrétienne. Celui qui n’a pas accueilli Jésus avec le cœur d’un enfant, ne peut pas entrer dans le royaume des cieux: tel est ce que François a voulu rappeler à la chrétienté de son époque et de tous les temps, jusqu’à aujourd’hui. Nous prions le Père pour qu’il accorde à notre cœur cette simplicité qui reconnaît le Seigneur dans l’Enfant, précisément comme le fit François à Greccio. Il pourrait alors aussi nous arriver ce que Thomas de Celano — se référant à l’expérience des pasteurs dans la Nuit Sainte (cf. Lc 2, 20) — raconte à propos de ceux qui furent présents à l’événement de Greccio: « Chacun s’en retourna chez lui empli d’une joie ineffable » (Vita prima, op. cit., n. 86, p. 479).
Tel est le vœu que j’adresse avec affection à vous tous, à vos familles et à ceux qui vous sont chers. Bon Noël à vous tous!

BENOÎT XVI – AUDIENCE GÉNÉRALE – Le culte que les chrétiens doivent rendre à Dieu dans la pensée de saint Paul (2009)

3 juin, 2019

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saint Paul  dans l’aréopage

BENOÎT XVI – AUDIENCE GÉNÉRALE – Le culte que les chrétiens doivent rendre à Dieu dans la pensée de saint Paul (2009)

Mercredi 7 janvier 2009

Chers frères et sœurs,

En cette première audience générale de 2009, je désire adresser à tous mes vœux fervents pour la nouvelle année qui vient de commencer. Ravivons en nous l’engagement à ouvrir au Christ notre esprit et notre cœur, pour être et vivre comme ses véritables amis. Sa compagnie aura pour effet que cette année, malgré ses inévitables difficultés, soit un chemin plein de joie et de paix. En effet, ce n’est que si nous restons unis à Jésus, que l’année nouvelle sera bonne et heureuse.
L’engagement d’union avec le Christ est l’exemple que nous offre également saint Paul. En poursuivant les catéchèses qui lui sont consacrées, nous nous arrêtons aujourd’hui pour réfléchir sur l’un des aspects importants de sa pensée, celui qui concerne le culte que les chrétiens sont appelés à exercer. Par le passé, on aimait parler d’une tendance plutôt anti-cultuelle de l’apôtre, d’une « spiritualisation » de l’idée du culte. Aujourd’hui, on comprend mieux que Paul voit dans la Croix du Christ un tournant historique, qui transforme et renouvelle radicalement la réalité du culte. C’est en particulier dans trois textes de la Lettre aux Romains qu’apparaît cette nouvelle vision du culte.
1. Dans Rm 3, 25, après avoir parlé de la « rédemption accomplie dans le Christ Jésus », Paul continue par une formule mystérieuse pour nous et dit ceci: Dieu « l’a exposé, instrument de propitiation par son propre sang moyennant la foi ». Avec cette expression pour nous plutôt étrange – « instrument de propitiation » – saint Paul fait allusion à ce qu’on appelle la « propitiation » du temple antique, c’est-à-dire le couvercle de l’arche de l’alliance, que l’on pensait être un point de contact entre Dieu et l’homme, un point de sa présence mystérieuse dans le monde des hommes. Le grand jour de la réconciliation – « yom kippur » -, cette « propitiation » était aspergée avec le sang d’animaux sacrifiés – un sang qui portait symboliquement les péchés de l’année écoulée au contact de Dieu, et ainsi les péchés jetés dans l’abîme de la bonté divine étaient presque absorbés par la force de Dieu, dépassés, pardonnés. La vie commençait à nouveau.
Saint Paul évoque ce rite et dit: ce rite était l’expression du désir que l’on puisse réellement mettre toutes nos fautes dans l’abîme de la miséricorde divine et les faire ainsi disparaître. Mais avec le sang des animaux, ce processus ne se réalise pas. Un contact plus réel entre faute humaine et amour divin était nécessaire. Ce contact a eu lieu dans la croix du Christ. Le Christ, vrai Fils de Dieu, qui s’est fait vrai homme, a assumé en lui toute notre faute. Il est lui-même le lieu de contact entre la misère humaine et la miséricorde divine; dans son cœur se dilue la masse triste du mal accompli par l’humanité et la vie se renouvelle.
En révélant ce changement, saint Paul nous dit: Avec la croix du Christ – l’acte suprême de l’amour divin devenu amour humain – le vieux culte comprenant des sacrifices d’animaux dans le temple de Jérusalem est terminé. Ce culte symbolique, culte de désir, est à présent remplacé par le culte réel: l’amour de Dieu incarné en Christ et porté à sa plénitude dans la mort sur la croix. Ce n’est donc pas la spiritualisation d’un culte réel, mais au contraire le culte réel, le vrai amour divin-humain remplace le culte symbolique et provisoire. La croix du Christ, son amour à travers la chair et le sang est le culte réel, qui correspond à la réalité de Dieu et de l’homme. Déjà avant la destruction extérieure du temple, selon Paul, l’ère du temple et de son culte est terminée: Paul se trouve ici en parfaite harmonie avec les paroles de Jésus, qui avait annoncé la fin du temple et annoncé un autre temple « pas fait de mains d’homme » – le temple de son corps ressuscité (cf. Mc 14, 58; Jn 2, 19sq). Cela est le premier texte.
2. Le deuxième texte dont je voudrais aujourd’hui parler se trouve dans le premier verset du chapitre 12 de la Lettre aux Romains. Nous l’avons écouté et je le répète encore: « Je vous exhorte donc, frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos personnes en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu: c’est là le culte spirituel que vous avez à rendre ». Dans ces paroles a lieu un paradoxe apparent: alors que le sacrifice exige généralement la mort de la victime, Paul en parle en revanche en relation avec la vie du chrétien. L’expression « offrir vos personnes », étant donné le concept qui suit de sacrifice, prend la nuance cultuelle de « donner en oblation, offrir ». L’exhortation à « offrir les corps » se réfère alors à la personne tout entière; en effet, dans Rm 6, 13, il invite à « s’offrir soi-même ». Du reste, la référence explicite à la dimension physique du chrétien coïncide avec l’invitation à « glorifier Dieu dans votre corps » (cf. 1 Co 6, 20): il s’agit d’honorer Dieu dans l’existence quotidienne la plus concrète, faite de visibilité relationnelle et perceptible.
Un comportement de ce genre est qualifié par Paul de « sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu ». C’est précisément ici que nous rencontrons le terme « sacrifice ». Dans l’usage courant, ce terme fait partie d’un contexte sacré et sert à désigner l’égorgement d’un animal, dont une partie peut être brûlée en l’honneur des dieux et une autre partie peut être consommée par ceux qui font l’offrande au cours d’un banquet. Paul l’applique en revanche à la vie du chrétien. En effet, il qualifie un tel sacrifice en se servant de trois adjectifs. Le premier – « vivant » – exprime la vitalité. Le deuxième – « saint » – rappelle l’idée paulinienne d’une sainteté liée non pas à des lieux ou à des objets, mais à la personne même des chrétiens. Le troisième – « agréable à Dieu » – rappelle peut-être la fréquente expression biblique du sacrifice « en parfum d’apaisement » (cf. Lv 1, 13.17; 23, 18; 26, 31; etc.).
Immédiatement après, Paul définit ainsi cette nouvelle façon de vivre: tel est « votre culte spirituel ». Les commentateurs du texte savent bien que l’expression grecque (ten logiken latreían) n’est pas facile à traduire. La Bible latine traduit: « rationabile obsequium ». Le même mot « rationabile » apparaît dans la première prière eucharistique, le Canon romain: dans celui-ci, on prie pour que Dieu accepte cette offrande comme « rationabile ». La traduction française habituelle « culte spirituel » ne reflète pas toutes les nuances du texte grec (ni du texte latin). Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas d’un culte moins réel, ou même uniquement métaphorique, mais d’un culte plus concret et réaliste – un culte dans lequel l’homme lui-même, dans sa totalité d’être doté de raison, devient adoration, glorification du Dieu vivant.
Cette formule paulinienne, qui revient ensuite dans la Prière eucharistique romaine, est le fruit d’un long développement de l’expérience religieuse au cours des siècles précédant le Christ. Dans cette expérience, on rencontre des développements théologiques de l’Ancien Testament et des courants de la pensée grecque. Je voudrais au moins montrer quelques éléments de ce développement. Les Prophètes et de nombreux Psaumes critiquent avec force les sacrifices sanglants du temple. Le Psaume 50 (49), dans lequel c’est Dieu qui parle, dit par exemple: « Si j’ai faim, je n’irai pas te le dire, car le monde est à moi et son contenu. Vais-je manger la chair des taureaux, le sang des boucs, vais-je le boire? Offre à Dieu un sacrifice d’action de grâces… » (vv. 12-14). Dans le même sens, le Psaume suivant, 51 (50) dit: « … Car tu ne prends aucun plaisir au sacrifice: un holocauste tu n’en veux pas. Le sacrifice à Dieu c’est un esprit brisé; d’un cœur brisé, broyé, Dieu n’a point de mépris » (vv. 18sq). Dans le Livre de Daniel, à l’époque de la nouvelle destruction du temple par le régime hellénistique (ii siècle av. j.c.), nous trouvons un nouveau pas dans la même direction. Au milieu du feu, – c’est-à-dire de la persécution, de la souffrance – Azarias prie ainsi: « Il n’est plus, en ce temps, chef, prophète ni prince, holocauste, sacrifice, oblation ni encens, lieu où te faire des offrandes et trouver grâce auprès de toi. Mais qu’une âme brisée et un esprit humilié soient agréés de toi, comme des holocaustes de béliers et de taureaux… que tel soit notre sacrifice aujourd’hui devant toi et qu’il te plaise » (Dn 3, 38sq). Dans la destruction du sanctuaire et du culte, dans cette situation de manque de tout signe de la présence de Dieu, le croyant offre comme véritable holocauste, le cœur plein de contrition – son désir de Dieu.
Nous voyons un développement important, beau, mais avec un danger. Il y a une spiritualisation, une moralisation du culte: le culte devient uniquement une chose du cœur, de l’esprit. Mais il manque le corps, il manque la communauté. On comprend par exemple que le Psaume 51 et également le Livre de Daniel, malgré la critique du culte, souhaitent le retour au temps des sacrifices. Mais il s’agit d’un temps renouvelé, d’un sacrifice renouvelé, dans une synthèse qui n’était pas encore prévisible, ou ne pouvait pas encore être pensée.
Revenons à saint Paul. Il est l’héritier de ces développements, du désir du vrai culte, dans lequel l’homme lui-même devient gloire de Dieu, adoration vivante avec tout son être. Dans ce sens, il dit aux Romains: « Offrez vos personnes en hosties vivantes… c’est là le culte spirituel » (Rm 12, 1). Paul répète ainsi ce qu’il avait déjà indiqué dans le chapitre 3: le temps des sacrifices d’animaux, des sacrifices de remplacement, est terminé. Le temps est venu du culte véritable. Mais il y a là aussi le risque d’un malentendu: on peut facilement interpréter ce nouveau culte dans un sens moralisant: en offrant notre vie, c’est nous qui faisons le vrai culte. De cette manière, le culte avec les animaux serait remplacé par le moralisme: l’homme lui-même accomplirait tout à lui seul, avec son effort moral. Et cela n’était certainement pas l’intention de saint Paul. Mais la question demeure: Comment devons-nous donc interpréter ce « culte spirituel, raisonnable »? Paul suppose toujours que nous sommes devenus « un dans le Christ Jésus » (Ga 3, 28), que nous sommes morts dans le baptême (cf. Rm 1) et que nous vivons à présent avec le Christ, pour le Christ, en Christ. Dans cette union – et seulement ainsi – nous pouvons devenir en Lui et avec Lui « hostie vivante », offrir le « culte vrai ». Les animaux sacrifiés auraient dû remplacer l’homme, le don de soi de l’homme, et ils ne pouvaient pas le faire. Jésus Christ, dans son don au Père et à nous, n’est pas un remplacement, mais il porte réellement en lui l’être humain, nos fautes et notre désir; il nous représente réellement, il nous assume en lui. Dans la communion avec le Christ, réalisée dans la foi et dans les sacrements, nous devenons, malgré tous nos manquements, un sacrifice vivant: le « culte vrai » s’accomplit.
Cette synthèse se trouve à la fin du Canon romain, dans lequel on prie afin que cette offrande devienne « rationabile » – que se réalise le culte spirituel. L’Eglise sait que, dans la Très Sainte Eucharistie, le don de soi du Christ, son sacrifice véritable devient présent. Mais l’Eglise prie pour que la communauté célébrante soit vraiment unie au Christ, soit transformée; elle prie, afin que nous-mêmes devenions ce que nous ne pouvons pas être avec nos forces: une offrande « rationabile » qui plaît à Dieu. Ainsi, la prière eucharistique interprète les paroles de saint Paul de manière juste. Saint Augustin a éclairci tout cela de façon merveilleuse dans le 10 livre de sa Cité de Dieu. Je ne cite que deux phrases: « Tel est le sacrifice des chrétiens: Bien qu’étant nombreux, nous ne sommes qu’un seul corps dans le Christ »… « Toute la communauté (civitas) rachetée, c’est-à-dire la congrégation et la société des saints, est offerte à Dieu à travers le Prêtre suprême qui s’est donné lui-même » (10, 6: ccl 47, 27sq).
3. Pour finir, encore une très brève parole sur le troisième texte de la Lettre aux Romains concernant le nouveau culte. Saint Paul s’exprime ainsi dans le chapitre 15: « En vertu de la grâce que Dieu m’a faite d’être un officiant (hierourgein) du Christ Jésus auprès des païens, ministre de l’Evangile de Dieu, afin que les païens deviennent une offrande agréable, sanctifiée dans l’Esprit Saint » (15, 15sq). Je ne voudrais souligner que deux aspects de ce texte merveilleux à propos de la terminologie unique dans les lettres pauliniennes. Tout d’abord, saint Paul interprète son action missionnaire parmi les peuples du monde pour construire l’Eglise universelle comme action sacerdotale. Annoncer l’Evangile pour unir les peuples dans la communion du Christ ressuscité est une action « sacerdotale ». L’apôtre de l’Evangile est un véritable prêtre, il accomplit ce qui est le centre du sacerdoce: il prépare le vrai sacrifice. Et le deuxième aspect: l’objectif de l’action missionnaire est – ainsi pouvons-nous dire – la liturgie cosmique: que les peuples unis dans le Christ, le monde, devienne comme tel gloire de Dieu, « offrande agréable, sanctifiée dans l’Esprit Saint ». Ici apparaît l’aspect dynamique, l’aspect de l’espérance dans le concept paulinien du culte: le don de soi du Christ implique la tendance à attirer chacun à la communion de son corps, d’unir le monde. Ce n’est qu’en communion avec le Christ, l’Homme-modèle, un avec Dieu, que le monde devient tel que nous le désirons tous: miroir de l’amour divin. Ce dynamisme est toujours présent dans l’Eucharistie – ce dynamisme doit inspirer et former notre vie. Et avec ce dynamisme, nous commençons la nouvelle année. Merci de votre patience.

BENOÎT XVI – MERCREDI 31 AOÛT 2011, la « via pulchritudinis »

29 avril, 2019

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fr Marc Chagall, Le Christ et le peintre

Chagall, le Christ e le peintre

BENOÎT XVI – MERCREDI 31 AOÛT 2011

AUDIENCE GÉNÉRALE

Castel Gandolfo

Chers frères et sœurs,

Ces derniers temps, j’ai rappelé à plusieurs reprises la nécessité pour chaque chrétien de trouver du temps pour Dieu, pour la prière, parmi les nombreuses préoccupations qui remplissent nos journées. Le Seigneur lui-même nous offre de nombreuses occasions pour que nous nous souvenions de Lui. Aujourd’hui, je voudrais m’arrêter brièvement sur l’une des voies qui peuvent nous conduire à Dieu et nous aider également à le rencontrer: c’est la voie des expressions artistiques, qui font partie de la via pulchritudinis — «voie de la beauté» — dont j’ai parlé à plusieurs reprises et dont l’homme d’aujourd’hui devrait retrouver la signification la plus profonde.
Il vous est sans doute parfois arrivé, devant une sculpture ou un tableau, les vers d’une poésie ou en écoutant un morceau de musique, d’éprouver une émotion intime, un sentiment de joie, c’est-à-dire de ressentir clairement qu’en face de vous, il n’y avait pas seulement une matière, un morceau de marbre ou de bronze, une toile peinte, un ensemble de lettres ou un ensemble de sons, mais quelque chose de plus grand, quelque chose qui «parle», capable de toucher le cœur, de communiquer un message, d’élever l’âme. Une œuvre d’art est le fruit de la capacité créative de l’être humain, qui s’interroge devant la réalité visible, s’efforce d’en découvrir le sens profond et de le communiquer à travers le langage des formes, des couleurs, des sons. L’art est capable d’exprimer et de rendre visible le besoin de l’homme d’aller au-delà de ce qui se voit, il manifeste la soif et la recherche de l’infini. Bien plus, il est comme une porte ouverte vers l’infini, vers une beauté et une vérité qui vont au-delà du quotidien. Et une œuvre d’art peut ouvrir les yeux de l’esprit et du cœur, en nous élevant vers le haut.Mais il existe des expressions artistiques qui sont de véritables chemins vers Dieu, la Beauté suprême, et qui aident même à croître dans notre relation avec Lui, dans la prière. Il s’agit des œuvres qui naissent de la foi et qui expriment la foi. Nous pouvons en voir un exemple lorsque nous visitons une cathédrale gothique: nous sommes saisis par les lignes verticales qui s’élèvent vers le ciel et qui attirent notre regard et notre esprit vers le haut, tandis que, dans le même temps, nous nous sentons petits, et pourtant avides de plénitude… Ou lorsque nous entrons dans une église romane: nous sommes invités de façon spontanée au recueillement et à la prière. Nous percevons que dans ces splendides édifices, est comme contenue la foi de générations entières. Ou encore, lorsque nous écoutons un morceau de musique sacrée qui fait vibrer les cordes de notre cœur, notre âme est comme dilatée et s’adresse plus facilement à Dieu. Il me revient à l’esprit un concert de musiques de Jean Sébastien Bach, à Munich , dirigé par Leonard Berstein. Au terme du dernier morceau, l’une des Cantate, je ressentis, non pas de façon raisonnée, mais au plus profond de mon cœur, que ce que j’avais écouté m’avait transmis la vérité, la vérité du suprême compositeur, et me poussait à rendre grâce à Dieu. A côté de moi se tenait l’évêque luthérien de Munich et, spontanément, je lui dis: «En écoutant cela, on comprend que c’est vrai; une foi aussi forte est vraie, de même que la beauté qui exprime de façon irrésistible la présence de la vérité de Dieu. Mais combien de fois des tableaux ou des fresques, fruit de la foi de l’artiste, dans leurs formes, dans leurs couleurs, dans leur lumière, nous poussent à tourner notre pensée vers Dieu et font croître en nous le désir de puiser à la source de toute beauté. Ce qu’a écrit un grand artiste, Marc Chagall, demeure profondément vrai, à savoir que pendant des siècles, les peintres ont trempé leur pinceau dans l’alphabet coloré qu’est la Bible. Combien de fois, alors, les expressions artistiques peuvent être des occasions de nous rappeler de Dieu, pour aider notre prière ou encore la conversion du cœur! Paul Claudel, célèbre poète, dramaturge et diplomate français, ressentit la présence de Dieu dans la Basilique Notre-Dame de Paris, en 1886, précisément en écoutant le chant du Magnificat lors de la Messe de Noël. Il n’était pas entré dans l’église poussé par la foi, il y était entré précisément pour chercher des arguments contre les chrétiens, et au lieu de cela, la grâce de Dieu agit dans son cœur.
Chers amis, je vous invite à redécouvrir l’importance de cette voie également pour la prière, pour notre relation vivante avec Dieu. Les villes et les pays dans le monde entier abritent des trésors d’art qui expriment la foi et nous rappellent notre relation avec Dieu. Que la visite aux lieux d’art ne soit alors pas uniquement une occasion d’enrichissement culturel — elle l’est aussi — mais qu’elle puisse devenir surtout un moment de grâce, d’encouragement pour renforcer notre lien et notre dialogue avec le Seigneur, pour nous arrêter et contempler — dans le passage de la simple réalité extérieure à la réalité plus profonde qu’elle exprime — le rayon de beauté qui nous touche, qui nous «blesse» presque au plus profond de notre être et nous invite à nous élever vers Dieu. Je finis par une prière d’un Psaume, le psaume 27: «Une chose qu’au Seigneur je demande, la chose que je cherche, c’est d’habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, de savourer la douceur du Seigneur, de rechercher son palais» (v. 4). Espérons que le Seigneur nous aide à contempler sa beauté, que ce soit dans la nature ou dans les œuvres d’art, de façon à être touchés par la lumière de son visage, afin que nous aussi, nous puissions être lumières pour notre prochain. Merci.

BENOÎT XVI – AUDIENCE – PSALM 123, 1-6.8 – (2005)

22 avril, 2019

http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2005/documents/hf_ben-xvi_aud_20050622.html

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Le roi David, du choeur Psautier, Mlano

BENOÎT XVI – AUDIENCE – PSALM 123, 1-6.8 – (2005)

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 22 juin 2005

Notre aide est dans le nom du Seigneur

Lecture: Ps 123, 1-6.8

1. Voilà devant nous le Psaume 123, un chant d’action de grâce entonné par la communauté en prière qui élève à Dieu sa louange pour le don de la libération. Le Psalmiste proclame en ouverture cette invitation: « A Israël de le dire! » (v. 1), encourageant ainsi tout le peuple à élever une action de grâce vivante et sincère au Dieu sauveur. Si le Seigneur ne s’était pas rangé du côté des victimes, celles-ci, avec leurs forces limitées, auraient été impuissantes à se libérer et leurs adversaires, semblables à des monstres, les auraient déchirées et anéanties.
Même si l’on a pensé à quelque événement historique particulier, comme la fin de l’exil de Babylone, il est plus probable que le Psaume soit un hymne visant à rendre grâce au Seigneur pour les dangers auxquels on a échappé et à implorer de Lui la libération de tout mal. En ce sens, celui-ci demeure un Psaume toujours actuel.
2. Après l’évocation initiale de certains « hommes » qui sautaient sur les fidèles et étaient capables de les « avaler tout vifs » (cf. vv. 2-3), le cantique se divise en deux moments. Dans la première partie dominent les flots en furie, symbole dans la Bible du chaos dévastateur, du mal et de la mort: « Alors les eaux nous submergeaient, le torrent passait sur nous, alors il passait sur notre âme en eaux écumantes » (vv. 4-5). L’orant éprouve à présent la sensation de se trouver sur une plage, miraculeusement sauvé de la furie impétueuse de la mer.
La vie de l’homme est entourée des pièges des méchants qui non seulement attentent à son existence, mais veulent aussi détruire toutes les valeurs humaines. Voyons comment ces dangers existent aussi à présent. Mais – nous pouvons en être sûrs aujourd’hui aussi – le Seigneur se dresse pour protéger le juste et le sauve, comme on le chante dans le Psaume 17: « Il envoie d’en-haut et me prend, il me retire des grandes eaux, il me délivre d’un puissant ennemi, d’adversaires plus forts que moi [...] Yahvé fut pour moi un appui: il m’a dégagé, mis au large, il m’a sauvé car il m’aime » (vv. 17-20). Le Seigneur nous aime vraiment: telle est notre certitude et tel est le motif de notre grande confiance.
3. Dans la seconde partie de notre cantique d’action de grâce, on passe d’une image maritime à une scène de chasse, typique de plusieurs Psaumes de supplique (cf. Ps 123, 6-8). Voici, en effet, l’évocation d’un fauve qui tient sa proie entre ses dents, ou d’un filet de chasseur qui capture un oiseau. Mais la bénédiction exprimée par le Psaume nous fait comprendre que le destin des fidèles, qui était un destin de mort, a été radicalement changé par une intervention salvifique: « Béni Yahvé qui n’a point fait de nous la proie de leurs dents! Notre âme comme un oiseau s’est échappée du filet de l’oiseleur. Le filet s’est rompu et nous avons échappé » (vv. 6-7).
La prière devient ici un souffle de soulagement qui s’élève du plus profond de l’âme: même lorsque toutes les espérances humaines tombent, la puissance libératrice de Dieu peut apparaître. Le Psaume peut donc se conclure par une profession de foi, entrée depuis des siècles dans la liturgie chrétienne comme prémices idéales de chacune de nos prières: « Adiutorium nostrum in nomine Domini, qui fecit caelum et terram – Notre secours est dans le nom de Yahvé qui a fait le ciel et la terre » (v. 8). En particulier, le Tout-Puissant se range du côté des victimes et des persécutés « qui crient vers lui jour et nuit » et « il leur fera prompte justice » (cf. Lc 18, 7-8).
4. Saint Augustin effectue un commentaire détaillé de ce Psaume. Dans un premier temps, il observe que ce Psaume est chanté de façon adéquate par les « membres du Christ [...] dans leur allégresse ». Puis, en particulier, « les martyrs ont chanté ce cantique, ils sont délivrés et tressaillent avec le Christ qui leur redonnera incorruptibles ces mêmes corps qu’ils ont eu dans la corruption, et dans lesquels ils ont tant souffert: ils seront pour eux des ornements de justice ». Et saint Augustin parle des martyrs de tous les siècles, également de notre siècle.
Mais, dans un deuxième temps, l’Evêque d’Hippone nous dit que nous aussi, et pas seulement les bienheureux au ciel, nous pouvons chanter ce Psaume dans l’espérance. Il déclare: « Soit donc que les martyrs chantent ce cantique dans la réalité de leur bonheur, soit que nous le chantions par l’espérance, et que nous unissions nos transports à leurs couronnes, en soupirant après cette vie que nous n’avons pas et que nous ne pourrons avoir, si nous ne l’avons pas désirée ici-bas, chantons avec eux ».
Saint Augustin revient alors à la première perspective et explique: « Voilà qu’ils [les saints] ont jeté les yeux sur les quelques tribulations qu’ils ont endurées, et du lieu de bonheur et de sûreté où ils sont établis, ils regardent par où ils sont passés, et où ils sont arrivés; et comme il était difficile d’échapper à tant de maux sans la main du libérateur, ils redisent avec joie: « Si le Seigneur n’eût été avec nous ». Tel est le commencement de leur cantique; ils n’ont point dit encore d’où ils sont délivrés, tant est grande leur joie » (Discours sur le Psaume 123, 3: Nuova Biblioteca Agostiniana, XXVIII, Roma 1977, p. 65).

* * *

CATÉCHÈSE DE BENOÎT XVI, LA  »BEAUTÉ DE LA CRÉATION » 2007)

5 février, 2019

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CATÉCHÈSE DE BENOÎT XVI, LA  »BEAUTÉ DE LA CRÉATION » 2007)

Audience générale du saint Père

Le Pape Benoît XVI à l’Audience Générale : « Dans la Création nous trouvons l’échelle pour monter vers Dieu ». Il invite les religieux à l’austérité
Dans la  »beauté de la Création » on peut voir le visage de Dieu, et donc  » la création devient presque une échelle pour monter vers Dieu, pour connaître Dieu  ». C’est ce qu’a affirmé Benoît XVI pendant l’audience générale, ce matin, Place Saint Pierre en s’arrêtant sur l’enseignement de Saint Jean Chrysostome, un des principaux pères apostoliques, qui a vécu entre le quatrième et cinquième siècle.
Le Pape se référait à la Genèse, dans laquelle le premier pas indique que  »par la transparence de Dieu dans la création, nous pouvons percevoir, presque voir Dieu, monter vers Dieu  ».  » Ce Dieu créateur est même un Dieu de la condescendance  ».  » Nous sommes des faibles – a expliqué le Saint Père devant plus de vingt mille fidèles présents, nos yeux sont faibles, et c’est pourquoi Dieu, dit Chrysostome, envoie à l’homme déchu et étranger, une lettre, la Sainte Écriture, de sorte que création et écriture se complètent.

Texte intégral de la catéchèse du Saint Père

Chers frères et sœurs !
Nous poursuivons aujourd’hui notre réflexion sur saint Jean Chrysostome. Après la période passée à Antioche, il fut nommé en 397, évêque de Constantinople, la capitale de l’Empire romain d’Orient. Dès le début, Jean projeta la réforme de son Eglise : l’austérité du palais épiscopal devait constituer un exemple pour tous : clergé, veuves, moines, personnes de la cour et riches. Malheureusement, un grand nombre d’entre eux, concernés par ses jugements, s’éloignèrent de lui. Plein d’attention à l’égard des pauvres, Jean fut également appelé l’« aumônier ». En effet, en administrateur attentif, il avait réussi à créer des institutions caritatives très appréciées. Son esprit d’entreprise dans les divers domaines fit de lui pour certains un dangereux rival. Toutefois, en véritable pasteur, il traitait chacun de manière cordiale et paternelle. En particulier, il avait toujours des accents tendres pour la femme et des attentions spéciales pour le mariage et la famille. Il invitait les fidèles à participer à la vie liturgique, qu’il rendit splendide et attrayante grâce à une créativité de génie.
Malgré son bon cœur, il ne connut pas une vie tranquille. Pasteur de la capitale de l’Empire, il se trouva souvent impliqué dans des questions et des intrigues politiques, en raison de ses relations permanentes avec les autorités et les institutions civiles. De même, sur le plan ecclésiastique, ayant déposé en Asie en 401 six évêques illégitimement élus, il fut accusé d’avoir franchi les limites de sa juridiction, et devint ainsi la cible d’accusations faciles. Un autre prétexte contre lui fut la présence de plusieurs moines égyptiens, excommuniés par le patriarche Théophile d’Alexandrie et qui s’étaient réfugiés à Constantinople. Une vive polémique naquit ensuite en raison des critiques faites par Jean Chrysostome à l’égard de l’impératrice Eudoxie et de ses courtisanes, qui réagirent en jetant sur lui le discrédit et des insultes. On arriva ainsi à sa déposition, lors du synode organisé par le patriarche Théophile lui-même en 403, avec pour conséquence une condamnation à un premier bref exil. Après son retour, l’hostilité suscitée contre lui par la protestation contre les fêtes en l’honneur de l’impératrice – que l’évêque considérait païennes et luxueuses – et l’expulsion des prêtres chargés des baptêmes lors de la veillée pascale de 404 marquèrent le début de la persécution des fidèles de Chrysostome, qu’on appelait les « Johannites ».
Jean dénonça alors les faits, par écrit, à l’évêque de Rome, Innocent Ier. Mais il était désormais trop tard. En l’an 406, il dut à nouveau s’exiler, cette fois à Cucuse, en Arménie. Le pape était convaincu de son innocence, mais n’avait pas le pouvoir de l’aider. Un Concile, voulu par Rome pour parvenir à une pacification entre les deux parties de l’Empire et entre leurs Eglises, ne put avoir lieu. Le voyage épuisant de Cucuse vers Pytius, un objectif qu’il n’atteint jamais, devait empêcher les visites des fidèles et briser la résistance de l’exilé, épuisé : sa condamnation à l’exil fut une véritable condamnation à mort ! Les nombreuses lettres de son exil, dans lesquelles Jean manifeste ses préoccupations pastorales avec des accents de participation et de douleur pour les persécutions contre les siens, sont émouvantes. La marche vers la mort s’arrêta à Comana dans le Ponto. C’est là que Jean, moribond, fut conduit dans la chapelle du martyre saint Basilisque, où il rendit son esprit à Dieu et fut enseveli, martyr à côté d’un martyr (Pallade, Vie 119). C’était le 14 septembre 407, fête de l’Exaltation de la sainte Croix. Sa réhabilitation eut lieu en 438 avec Théodose II. Les reliques du saint évêque, déposées dans l’église des Apôtres, à Constantinople, furent ensuite transportées à Rome en 1204, dans la Basilique constantinienne primitive, et elles reposent à présent dans la chapelle du Chœur des Chanoines de la Basilique Saint-Pierre. Le 24 août 2004, une partie importante de ces reliques fut donnée par le pape Jean-Paul II au patriarche Bartholomée Ier de Constantinople. La mémoire liturgique du saint est célébrée le 13 septembre. Le bienheureux Jean XXIII le proclama patron du Concile Vatican II.
On dit de Jean Chrysostome que, lorsqu’il fut assis sur le trône de la nouvelle Rome, c’est-à-dire de Constantinople, Dieu fit voir en lui un deuxième Paul, un docteur de l’Univers. En réalité, chez Chrysostome, il existe une unité substantielle entre la pensée et l’action, à Antioche comme à Constantinople. Seuls le rôle et les situations changent. En méditant sur les huit œuvres accomplies par Dieu dans la séquence des six jours dans le commentaire de la Genèse, Chrysostome veut reconduire les fidèles de la création au Créateur : « C’est un grand bien », dit-il, « de connaître ce qu’est la créature et ce qu’est le Créateur ». Il nous montre la beauté de la création et la transparence de Dieu dans sa création, qui devient ainsi presque comme une « échelle » pour monter vers Dieu, pour le connaître. Mais à ce premier passage s’en ajoute un deuxième : ce Dieu créateur est également le Dieu de la condescendance (synkatabasis). Nous sommes faibles dans notre démarche de « monter », nos yeux sont faibles. Et ainsi, Dieu devient le Dieu de la condescendance, qui envoie à l’homme déchu et étranger une lettre, l’Ecriture Sainte, si bien que la Création et l’Ecriture se complètent. Dans la lumière de l’Ecriture, de la Lettre que Dieu nous a donnée, nous pouvons déchiffrer la création. Dieu est appelé « père tendre » (philostorgios) (ibid.), médecin des âmes (Homélie 40, 3 sur la Genèse), mère (ibid.) et ami affectueux (Sur la providence 8, 11-12). Mais, à ce deuxième passage – tout d’abord la Création comme « échelle » vers Dieu, et ensuite la condescendance de Dieu à travers une lettre qu’il nous a donnée, l’Ecriture Sainte – s’ajoute un troisième passage. Dieu ne nous transmet pas seulement une lettre : en définitive, il descend lui-même, il s’incarne, il devient réellement « Dieu avec nous », notre frère jusqu’à la mort sur la Croix. Et à ces trois passages – Dieu est visible dans la création, Dieu nous donne une lettre, Dieu descend et devient l’un de nous – s’ajoute à la fin un quatrième passage. A l’intérieur de la vie et de l’action du chrétien, le principe vital et dynamique de l’Esprit (Pneuma), qui transforme les réalités du monde. Dieu entre dans notre existence elle-même à travers l’Esprit Saint et il nous transforme de l’intérieur de notre cœur.
C’est dans ce cadre que Jean, précisément à Constantinople, dans le commentaire continu des Actes des Apôtres, propose le modèle de l’Eglise primitive (Ac 4, 32-37), comme modèle pour la société, en développant une « utopie » sociale (presque une « cité idéale »). En effet, il s’agissait de donner une âme et un visage chrétien à la ville. En d’autres termes, Chrysostome a compris qu’il n’est pas suffisant de faire l’aumône, d’aider les pauvres ponctuellement, mais il est nécessaire de créer une nouvelle structure, un nouveau modèle de société ; un modèle fondé sur la perspective du Nouveau Testament. C’est la nouvelle société qui se révèle dans l’Eglise naissante. Jean Chrysostome devient donc réellement ainsi l’un des grands Pères de la Doctrine sociale de l’Eglise : la vieille idée de la « polis » grecque doit être remplacée par une nouvelle idée de cité inspirée par la foi chrétienne. Chrysostome soutenait avec Paul (cf. 1 Co 8, 11) le primat de chaque chrétien, de la personne en tant que telle, également de l’esclave ou du pauvre. Son projet corrige ainsi la vision grecque traditionnelle de la « polis », de la cité, dans laquelle de larges couches de la population étaient exclues des droits de citoyen, alors que dans la cité chrétienne, tous sont frères et sœurs avec des droits égaux. Le primat de la personne est également la conséquence du fait que c’est réellement à partir d’elle que l’on construit la cité, alors que dans la « polis » grecque, la patrie était au-dessus de l’individu, qui était totalement subordonné à la cité dans son ensemble. Ainsi, Chrysostome définit la vision d’une société construite par la conscience chrétienne et il nous dit que notre « polis » est une autre, « notre patrie est dans les cieux » (Ph 3, 20) et, même sur cette terre, cette patrie nous rend tous égaux, frères et sœurs, et nous oblige à la solidarité.
Au terme de sa vie, dans son exil aux frontières de l’Arménie, « le lieu le plus reculé du monde », Jean, se rapportant à sa première prédication de 386, reprit le thème qui lui était cher du dessein que Dieu poursuit à l’égard de l’humanité : c’est un dessein « indicible et incompréhensible », mais certainement guidé par Lui avec amour (cf. Sur la Providence 2, 6). Telle est notre certitude. Même si nous ne pouvons pas déchiffrer les détails de l’histoire personnelle et collective, nous savons que le dessein de Dieu est toujours inspiré par son amour. Ainsi, malgré ses souffrances, Chrysostome réaffirmait la découverte que Dieu aime chacun de nous avec un amour infini, et désire donc le salut de tous. Pour sa part, le saint évêque coopéra généreusement à ce salut, sans ménager ses forces, toute sa vie. En effet, il considérait comme le but ultime de son existence cette gloire de Dieu, que – désormais mourant – il laissa comme dernier testament : « Gloire à Dieu pour tout ! » (Pallade, Vie 11).

 

BENOÎT XVI – La conversion de Paul (3.9.2008)

21 janvier, 2019

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Conversion de Saint Paul, Parmigianino

BENOÎT XVI – La conversion de Paul (3.9.2008)

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 3 septembre 2008

Chers frères et sœurs,

La catéchèse d’aujourd’hui sera consacrée à l’expérience que saint Paul fit sur le chemin de Damas et donc sur ce que l’on appelle communément sa conversion. C’est précisément sur le chemin de Damas, au début des années 30 du i siècle, et après une période où il avait persécuté l’Eglise, qu’eut lieu le moment décisif de la vie de Paul. On a beaucoup écrit à son propos et naturellement de différents points de vue. Il est certain qu’un tournant eut lieu là, et même un renversement de perspective. Alors, de manière inattendue, il commença à considérer « perte » et « balayures » tout ce qui auparavant constituait pour lui l’idéal le plus élevé, presque la raison d’être de son existence (cf. Ph 3, 7-8). Que s’était-il passé?
Nous avons à ce propos deux types de sources. Le premier type, le plus connu, est constitué par des récits dus à la plume de Luc, qui à trois reprises raconte l’événement dans les Actes des Apôtres (cf. 9, 1-19; 22, 3-21; 26, 4-23). Le lecteur moyen est peut-être tenté de trop s’arrêter sur certains détails, comme la lumière du ciel, la chute à terre, la voix qui appelle, la nouvelle condition de cécité, la guérison comme si des écailles lui étaient tombées des yeux et le jeûne. Mais tous ces détails se réfèrent au centre de l’événement: le Christ ressuscité apparaît comme une lumière splendide et parle à Saul, il transforme sa pensée et sa vie elle-même. La splendeur du Ressuscité le rend aveugle: il apparaît ainsi extérieurement ce qui était sa réalité intérieure, sa cécité à l’égard de la vérité, de la lumière qu’est le Christ. Et ensuite son « oui » définitif au Christ dans le baptême ouvre à nouveau ses yeux, le fait réellement voir.
Dans l’Eglise antique le baptême était également appelé « illumination », car ce sacrement donne la lumière, fait voir réellement. Ce qui est ainsi indiqué théologiquement, se réalise également physiquement chez Paul: guéri de sa cécité intérieure, il voit bien. Saint Paul a donc été transformé, non par une pensée, mais par un événement, par la présence irrésistible du Ressuscité, de laquelle il ne pourra jamais douter par la suite tant l’évidence de l’événement, de cette rencontre, avait été forte. Elle changea fondamentalement la vie de Paul; en ce sens on peut et on doit parler d’une conversion. Cette rencontre est le centre du récit de saint Luc, qui a sans doute utilisé un récit qui est probablement né dans la communauté de Damas. La couleur locale donnée par la présence d’Ananie et par les noms des rues, ainsi que du propriétaire de la maison dans laquelle Paul séjourna (cf. Ac 9, 11) le laisse penser.
Le deuxième type de sources sur la conversion est constitué par les Lettres de saint Paul lui-même. Il n’a jamais parlé en détail de cet événement, je pense que c’est parce qu’il pouvait supposer que tous connaissaient l’essentiel de cette histoire, que tous savaient que de persécuteur il avait été transformé en apôtre fervent du Christ. Et cela avait eu lieu non à la suite d’une réflexion personnelle, mais d’un événement fort, d’une rencontre avec le Ressuscité. Bien que ne mentionnant pas de détails, il mentionne plusieurs fois ce fait très important, c’est-à-dire que lui aussi est témoin de la résurrection de Jésus, de laquelle il a reçu directement de Jésus lui-même la révélation, avec la mission d’apôtre. Le texte le plus clair sur ce point se trouve dans son récit sur ce qui constitue le centre de l’histoire du salut: la mort et la résurrection de Jésus et les apparitions aux témoins (cf. 1 Co 15). Avec les paroles de la très ancienne tradition, que lui aussi a reçues de l’Eglise de Jérusalem, il dit que Jésus mort crucifié, enseveli, ressuscité, apparut, après la résurrection, tous d’abord à Céphas, c’est-à-dire à Pierre, puis aux Douze, puis à cinq cents frères qui vivaient encore en grande partie à cette époque, puis à Jacques, puis à tous les Apôtres. Et à ce récit reçu de la tradition, il ajoute: « Et en tout dernier lieu, il est même apparu à l’avorton que je suis » (1 Co 15, 8). Il fait ainsi comprendre que cela est le fondement de son apostolat et de sa nouvelle vie. Il existe également d’autres textes dans lesquels la même chose apparaît: « Nous avons reçu par lui [Jésus] grâce et mission d’Apôtre » (cf. Rm 1, 5); et encore: « N’ai-je pas vu Jésus notre Seigneur? » (1 Co 9, 1), des paroles avec lesquelles il fait allusion à une chose que tous savent. Et finalement le texte le plus diffusé peut être trouvé dans Ga 1, 15-17: « Mais Dieu m’avait mis à part dès le sein de ma mère, dans sa grâce il m’avait appelé, et, un jour, il a trouvé bon de mettre en moi la révélation de son Fils, pour que moi, je l’annonce parmi les nations païennes. Aussitôt, sans prendre l’avis de personne, sans même monter à Jérusalem pour y rencontrer ceux qui étaient les Apôtres avant moi, je suis parti pour l’Arabie; de là, je suis revenu à Damas ». Dans cette « auto-apologie » il souligne de manière décidée qu’il est lui aussi un véritable témoin du Ressuscité, qu’il a une mission reçue directement du Ressuscité.
Nous pouvons ainsi voir que les deux sources, les Actes des Apôtres et les Lettres de saint Paul, convergent et s’accordent sur un point fondamental: le Ressuscité a parlé à Paul, il l’a appelé à l’apostolat, il a fait de lui un véritable apôtre, témoin de la résurrection, avec la charge spécifique d’annoncer l’Evangile aux païens, au monde gréco-romain. Et dans le même temps, Paul a appris que, malgré le caractère direct de sa relation avec le Ressuscité, il doit entrer dans la communion de l’Eglise, il doit se faire baptiser, il doit vivre en harmonie avec les autres apôtres. Ce n’est que dans cette communion avec tous qu’il pourra être un véritable apôtre, ainsi qu’il l’écrit explicitement dans la première Epître aux Corinthiens: « Eux ou moi, voilà ce que nous prêchons. Et voilà ce que vous avez cru » (15, 11). Il n’y a qu’une seule annonce du Ressuscité car le Christ est un.
Comme on peut le voir, dans tous ces passages Paul n’interprète jamais ce moment comme un fait de conversion. Pourquoi? Il y a beaucoup d’hypothèses, mais selon moi le motif était tout à fait évident. Ce tournant dans sa vie, cette transformation de tout son être ne fut pas le fruit d’un processus psychologique, d’une maturation ou d’une évolution intellectuelle et morale, mais il vint de l’extérieur: ce ne fut pas le fruit de sa pensée, mais de la rencontre avec Jésus Christ. En ce sens, ce ne fut pas simplement une conversion, une maturation de son « moi », mais ce fut une mort et une résurrection pour lui-même: il mourut à sa vie et naquit à une autre vie nouvelle avec le Christ ressuscité. D’aucune autre manière on ne peut expliquer ce renouveau de Paul. Toutes les analyses psychologiques ne peuvent pas éclairer et résoudre le problème. Seul l’événement, la rencontre forte avec le Christ, est la clé pour comprendre ce qui était arrivé; mort et résurrection, renouveau de la part de Celui qui s’était montré et avait parlé avec lui. En ce sens plus profond, nous pouvons et nous devons parler de conversion. Cette rencontre est un réel renouveau qui a changé tous ses paramètres. Maintenant il peut dire que ce qui auparavant était pour lui essentiel et fondamental, est devenu pour lui « balayures »; ce n’est plus un « gain », mais une perte, parce que désormais seul compte la vie dans le Christ.
Nous ne devons toutefois pas penser que Paul ait été ainsi enfermé dans un événement aveugle. Le contraire est vrai, parce que le Christ ressuscité est la lumière de la vérité, la lumière de Dieu lui-même. Cela a élargi son cœur, l’a ouvert à tous. En cet instant il n’a pas perdu ce qu’il y avait de bon et de vrai dans sa vie, dans son héritage, mais il a compris de manière nouvelle la sagesse, la vérité, la profondeur de la loi et des prophètes, il se l’est réapproprié de manière nouvelle. Dans le même temps, sa raison s’est ouverte à la sagesse des païens; s’étant ouvert au Christ de tout son cœur, il est devenu capable d’un large dialogue avec tous, il est devenu capable de se faire tout pour tous. C’est ainsi qu’il pouvait réellement devenir l’apôtre des païens.
Si l’on en revient à présent à nous-mêmes, nous nous demandons: qu’est-ce que tout cela veut dire pour nous? Cela veut dire que pour nous aussi le christianisme n’est pas une nouvelle philosophie ou une nouvelle morale. Nous ne sommes chrétiens que si nous rencontrons le Christ. Assurément, il ne se montre pas à nous de manière irrésistible, lumineuse, comme il l’a fait avec Paul pour en faire l’apôtre de toutes les nations. Mais nous aussi nous pouvons rencontrer le Christ, dans la lecture de l’Ecriture Sainte, dans la prière, dans la vie liturgique de l’Eglise. Nous pouvons toucher le cœur du Christ et sentir qu’il touche le nôtre. C’est seulement dans cette relation personnelle avec le Christ, seulement dans cette rencontre avec le Ressuscité que nous devenons réellement chrétiens. Et ainsi s’ouvre notre raison, s’ouvre toute la sagesse du Christ et toute la richesse de la vérité. Prions donc le Seigneur de nous éclairer, de nous offrir dans notre monde de rencontrer sa présence: et qu’ainsi il nous donne une foi vivace, un cœur ouvert, une grande charité pour tous, capable de renouveler le monde.

BENOÎT XVI – AUDIENCE GÉNÉRALE 27.6.2012 – Lettre aux Philippiens

2 janvier, 2019

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ancienne ville de Philippes, prison de Saint-Paul

BENOÎT XVI – AUDIENCE GÉNÉRALE 27.6.2012 – Lettre aux Philippiens

Salle Paul VI

Chers frères et sœurs,

Notre prière est faite, comme nous l’avons vu lors des mercredis passés, de silences et de mots, de chants et de gestes qui font participer la personne tout entière : de la bouche à l’esprit, du cœur au corps entier. C’est une caractéristique que nous retrouvons dans la prière juive, en particulier dans les Psaumes. Je voudrais aujourd’hui parler de l’un des chants ou hymnes les plus anciens de la tradition chrétienne, que saint Paul nous présente dans ce qui est, d’une certaine manière, son testament spirituel : la Lettre aux Philippiens. En effet, il s’agit d’une Lettre que l’Apôtre dicte alors qu’il est en prison, peut-être à Rome. Il sent sa mort prochaine, car il affirme que sa vie sera offerte en sacrifice (cf. Ph 2, 17).
Malgré cette situation de grave danger pour son intégrité physique, saint Paul, dans tout ce texte, exprime la joie d’être un disciple du Christ, de pouvoir aller à sa rencontre, au point de voir la mort non comme une perte, mais comme un gain. Dans le dernier chapitre de la Lettre, il y a une invitation pressante à la joie, caractéristique fondamentale de la condition du chrétien et de la prière. Saint Paul écrit : « Soyez toujours dans la joie du Seigneur; laissez-moi vous le redire: soyez dans la joie » (Ph 4, 4). Mais comment peut-on se réjouir face à une condamnation à mort désormais imminente ? D’où, ou plutôt de qui, saint Paul tire-t-il la sérénité, la force, le courage d’aller à la rencontre du martyre et de l’effusion de sang ?
Nous trouvons la réponse au cœur de la Lettre aux Philippiens, dans ce que la tradition chrétienne appelle carmen Christo, le chant au Christ, ou plus communément « hymne christologique » ; un chant dans lequel toute l’attention est centrée sur les « sentiments » du Christ, c’est-à-dire sur sa façon de penser et sur son attitude concrète et vécue. Cette prière commence par une exhortation : « Ayez entre vous les dispositions que l’on doit avoir dans le Christ Jésus » (Ph 2, 5). Ces sentiments sont présentés dans les versets qui suivent: l’amour, la générosité, l’humilité, l’obéissance à Dieu, le don de soi. Il s’agit non seulement et pas simplement de suivre l’exemple de Jésus, comme quelque chose de moral, mais de faire participer toute l’existence à sa manière de penser et d’agir. La prière doit conduire à une connaissance et à une union dans l’amour toujours plus profondes avec le Seigneur, pour pouvoir penser, agir et aimer comme Lui, en Lui et pour Lui. Exercer cela, apprendre les sentiments de Jésus, représente la voie de la vie chrétienne.
Je voudrais à présent m’arrêter brièvement sur plusieurs éléments de ce chant riche, qui résume tout l’itinéraire divin et humain du Fils de Dieu et qui englobe toute l’histoire humaine : du fait d’être dans la condition de Dieu, à l’incarnation, à la mort en croix et à l’exaltation dans la gloire du Père est également implicite le comportement d’Adam, de l’homme depuis le début. Cet hymne au Christ part de son être « en morphe tou Theou », dit le texte grec, c’est-à-dire d’être « sous la forme de Dieu », ou mieux dans la condition de Dieu. Jésus, vrai Dieu et vrai homme, ne vit pas son « être comme Dieu » pour triompher ou pour imposer sa suprématie, il ne le considère pas une possession, un privilège, un trésor à garder jalousement. Au contraire, « il se dépouilla », il se vida lui-même en assumant, dit le texte grec, la « morphe doulos », la « forme d’esclave », la réalité humaine marquée par la souffrance, par la pauvreté, par la mort; il s’est pleinement assimilé aux hommes, en dehors du péché, de manière à se comporter comme un serviteur complètement dévoué au service des autres. À cet égard, Eusèbe de Césarée — ive siècle — affirme : « Il a pris sur lui la fatigue des membres qui souffrent. Il a faites siennes nos humbles maladies. Il a souffert et pâti pour notre cause : et cela en conformité avec son grand amour pour l’humanité » (La démonstration évangélique, 10, 1, 22). Saint Paul poursuit en traçant le cadre historique dans lequel s’est réalisé cet abaissement de Jésus : « il s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir » (Ph 2, 8). Le Fils de Dieu est devenu vraiment homme et il a accompli un chemin dans la complète obéissance et fidélité à la volonté du Père, jusqu’au sacrifice suprême de sa propre vie. Plus encore, l’apôtre spécifie « jusqu’à mourir et à mourir sur une croix ». Sur la croix Jésus Christ a atteint le plus haut degré de l’humiliation, car la crucifixion était la peine réservée aux esclaves et non aux personnes libres : « mors turpissima crucis », écrit Cicéron (cf. In Verrem, v, 64, 16).
Dans la Croix du Christ l’homme est racheté et l’expérience d’Adam est renversée : Adam, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, prétendit être comme Dieu par ses propres forces, se mettre à la place de Dieu, et il perdit ainsi la dignité originelle qui lui avait été donnée. Jésus, en revanche, était « dans la condition de Dieu », mais il s’est abaissé, il s’est plongé dans la condition humaine, dans la fidélité totale au Père, pour racheter l’Adam qui est en nous et redonner à l’homme la dignité qu’il avait perdue. Les Pères soulignent qu’Il s’est fait obéissant, en restituant à la nature humaine, à travers son humanité et son obéissance, ce qui avait été perdu par la désobéissance d’Adam.
Dans la prière, dans la relation avec Dieu, nous ouvrons notre esprit, notre cœur, notre volonté à l’action de l’Esprit Saint pour entrer dans cette même dynamique de vie, comme l’affirme saint Cyrille d’Alexandrie, dont nous célébrons aujourd’hui la fête : « L’œuvre de l’Esprit cherche à nous transformer par l’intermédiaire de la grâce dans la copie parfaite de son humiliation » (Lettres Festales 10, 4). La logique humaine, en revanche, recherche souvent la réalisation de soi-même dans le pouvoir, dans la domination, dans des moyens puissants. L’homme continue à vouloir construire avec ses propres forces la tour de Babel pour atteindre par lui-même la hauteur de Dieu, pour être comme Dieu. L’Incarnation et la Croix nous rappellent que la pleine réalisation se trouve dans la conformation de notre volonté humaine à celle du Père, dans le fait de se vider de notre égoïsme, pour nous remplir de l’amour, de la charité de Dieu et ainsi devenir vraiment capables d’aimer les autres. L’homme ne se trouve pas lui-même en restant enfermé en lui-même, en s’affirmant lui-même. L’homme ne se retrouve qu’en sortant de lui-même; ce n’est qu’en sortant de nous-mêmes que nous nous retrouvons. Et si Adam voulait imiter Dieu, cela n’est pas un mal en soi, mais il s’est trompé sur l’idée de Dieu. Dieu n’est pas un être qui veut uniquement la grandeur. Dieu est amour qui se donne déjà dans la Trinité, puis dans la création. Et imiter Dieu veut dire sortir de soi-même, se donner dans l’amour.
Dans la seconde partie de cet « hymne christologique » de la Lettre aux Philippiens, le sujet change ; ce n’est plus le Christ, mais Dieu le Père. Saint Paul souligne que c’est justement par l’obéissance à la volonté du Père que « Dieu l’a élevé au-dessus de tout; il lui a conféré le Nom qui surpasse tous les noms » (Ph 2, 9). Celui qui s’est profondément abaissé en prenant la condition d’esclave, est exalté, élevé au-dessus de toute chose par le Père, qui lui donne le nom de « Kyrios », « Seigneur », la suprême dignité et seigneurie. Face à ce nom nouveau, en effet, qui est le nom même de Dieu dans l’Ancien Testament, « qu’au Nom de Jésus, aux cieux, sur terre et dans l’abîme, tout être vivant tombe à genoux, et que toute langue proclame : “Jésus Christ est le Seigneur”, pour la gloire de Dieu le Père » (vv. 10-11). Le Jésus qui est exalté est celui de la Dernière Cène, qui dépose ses vêtements, se ceint d’une serviette, se penche pour laver les pieds des Apôtres et leur demande: « Comprenez-vous ce que je viens de faire ? Vous m’appelez Maître et Seigneur, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres » (Jn 13, 12-14). C’est de cela qu’il est important de toujours nous souvenir dans notre prière et dans notre vie : « l’ascension à Dieu advient précisément dans la descente de l’humble service, dans la descente de l’amour, qui est l’essence de Dieu et donc la force vraiment purificatrice, qui rend l’homme capable de percevoir et de voir Dieu » (Jésus de Nazareth, 2007).
L’hymne de la Lettre aux Philippiens nous offre ici deux indications importantes pour notre prière. La première est l’invocation « Seigneur » adressée à Jésus Christ, assis à la droite du Père : il est l’unique Seigneur de notre vie, au milieu de tant de « dominateurs » qui veulent l’orienter et la guider. C’est pourquoi il est nécessaire d’avoir une échelle de valeurs où le primat revient à Dieu, pour affirmer avec saint Paul : « Je considère tout cela comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur » (Ph 3, 8). La rencontre avec le Ressuscité lui a fait comprendre qu’il est l’unique trésor pour lequel il vaille la peine de consacrer sa propre existence.
La deuxième indication est la prostration, « tous les genoux se plient » sur la terre comme aux cieux, ce qui rappelle une expression du Prophète Isaïe, où il indique l’adoration que toutes les créatures doivent à Dieu (cf. 45, 23). La génuflexion devant le Très Saint Sacrement, ou le fait de se mettre à genoux dans la prière, expriment justement l’attitude d’adoration devant Dieu, également avec le corps. D’où l’importance d’accomplir ce geste non par habitude et en hâte, mais avec une profonde conscience. Lorsque nous nous agenouillons devant le Seigneur, nous confessons notre foi en Lui, nous reconnaissons qu’il est l’unique Seigneur de notre vie.
Chers frères et sœurs, dans notre prière, fixons notre regard sur le Crucifié, arrêtons-nous plus souvent en adoration devant l’Eucharistie, pour faire entrer notre vie dans l’amour de Dieu, qui s’est abaissé avec humilité pour nous élever jusqu’à Lui. Au début de la catéchèse, nous nous sommes demandé comment saint Paul pouvait se réjouir face au risque imminent du martyre et de son effusion de sang. Cela n’est possible que parce que l’Apôtre n’a jamais éloigné son regard du Christ jusqu’à se configurer à lui dans la mort, « dans l’espoir de parvenir à ressusciter d’entre les morts » (Ph 3, 11). Comme saint François devant le crucifix, disons nous aussi: Très Haut, Dieu de gloire, illumine les ténèbres de mon cœur, donne-moi une foi droite, une espérance certaine, sens et discernement pour accomplir ta vraie et sainte volonté. Amen (cf. Prière devant le crucifix : FF [276]).

BENOÎT XVI – ANGÉLUS – IIIe Dimanche de l’Avent, 11 décembre 2005

15 décembre, 2018

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presepietto mio 2010

mon petit berceau de 2010

BENOÎT XVI – ANGÉLUS – IIIe Dimanche de l’Avent, 11 décembre 2005

Place Saint-Pierre

Chers frères et sœurs !

Après avoir célébré la solennité de l’Immaculée Conception de Marie, nous entrons ces jours-ci dans le climat suggestif de la préparation au Saint Noël prochain, et nous voyons déjà ici que l’arbre a été installé. Dans la société de consommation actuelle, ce temps subit malheureusement une sorte d’ »empoisonnement » commercial, qui risque d’en altérer l’esprit authentique, caractérisé par le recueillement, la sobriété et une joie non pas extérieure, mais intime. Il est donc providentiel que, presque comme une porte d’entrée au Noël, ait lieu la fête de Celle qui est la Mère de Jésus, et qui mieux que quiconque peut nous guider pour connaître, aimer, adorer le Fils de Dieu fait homme. Laissons-La donc nous accompagner ; que ses sentiments nous animent, afin que nous nous disposions, le cœur sincère et l’esprit ouvert, à reconnaître dans l’Enfant de Bethléem le Fils de Dieu venu sur terre pour notre rédemption. Marchons avec Elle dans la prière, et accueillons l’invitation répétée que nous adresse la liturgie de l’Avent à demeurer dans l’attente, une attente vigilante et joyeuse, parce que le Seigneur ne tardera pas : Il vient libérer son peuple du péché.
Dans de nombreuses familles, suivant une belle tradition consolidée, immédiatement après la fête de l’Immaculée, on commence à construire la crèche, comme pour revivre avec Marie ces jours pleins de trépidation qui précédèrent la naissance de Jésus. Construire la crèche dans la maison peut se révéler un moyen simple, mais efficace de présenter la foi pour la transmettre à ses enfants. La crèche nous aide à contempler le mystère de l’amour de Dieu, qui s’est révélé dans la pauvreté et la simplicité de la grotte de Bethléem. Saint François d’Assise fut à ce point frappé par le mystère de l’incarnation qu’il voulut le reproposer à Greccio dans la crèche vivante, devenant de cette façon le précurseur d’une longue tradition populaire qui conserve aujourd’hui encore sa valeur pour l’évangélisation. La Crèche peut en effet nous aider à comprendre le secret du véritable Noël, parce qu’elle parle de l’humilité et de la bonté miséricordieuse du Christ qui, « s’est fait pauvre, de riche qu’il était » (2 Co 8, 9) pour nous. Sa pauvreté enrichit ceux qui l’embrassent et le Noël apporte la joie et la paix à ceux qui, comme les pasteurs de Bethléem, accueillent les paroles de l’Ange : « Et ceci vous servira de signe : vous trouverez un nouveau-né, enveloppé de langes, et couché dans une crèche » (Lc 2, 12). Cela demeure le signe, pour nous aussi, hommes et femmes de l’An 2000. Il n’y a pas d’autre Noël.
Comme le faisait le bien-aimé Jean-Paul II, dans peu de temps, moi aussi, je bénirai les Bambinelli (Enfants-Jésus) que les enfants de Rome placeront dans la Crèche de leur maison. À travers ce geste de bénédiction, je voudrais invoquer l’aide du Seigneur afin que toutes les familles chrétiennes se préparent à célébrer avec foi les prochaines fêtes de Noël. Que Marie nous aide à entrer dans le véritable esprit de Noël.

 

BENOÎT XVI – SOLENNITÉ DE L’IMMACULÉE CONCEPTION (2w005)

7 décembre, 2018

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CHAPELLE PAPALE POUR LE 40 ANNIVERSAIRE DE LA CLÔTURE DU CONCILE VATICAN II

HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI

SOLENNITÉ DE L’IMMACULÉE CONCEPTION

Jeudi 8 décembre 2005

Chers frères dans l’épiscopat et dans le sacerdoce,
Chers frères et soeurs,

Il y a quarante ans, le 8 décembre 1965, sur l’esplanade de la Basilique Saint-Pierre, le Pape Paul VI concluait solennellement le Concile Vatican II. Il avait été inauguré, selon la volonté de Jean XXIII, le 11 octobre 1962, qui était alors la fête de la Maternité de Marie, et il fut conclu le jour de l’Immaculée. Un cadre marial entoure le Concile. En réalité, il s’agit de beaucoup plus qu’un cadre: c’est une orientation de tout son chemin. Il nous renvoie, comme il renvoyait alors les Pères du Concile, à l’image de la Vierge à l’écoute, qui vit dans la Parole de Dieu, qui conserve dans son coeur les paroles qui viennent de Dieu et, les rassemblant comme dans une mosaïque, apprend à les comprendre (cf. Lc 2, 19.51); il nous renvoie à la grande Croyante qui, pleine de confiance, se remet entre les mains de Dieu, s’abandonnant à sa volonté; il nous renvoie à l’humble Mère qui, lorsque la mission de son Fils l’exige, s’efface et, dans le même temps, à la femme courageuse qui, alors que les disciples s’enfuient, demeure au pied de la croix. Paul VI, dans son discours à l’occasion de la promulgation de la Constitution, conciliaire sur l’Eglise, avait qualifié Marie de « tutrix huius Concilii » – « protectrice de ce Concile » (cf. Oecumenicum Concilium Vaticanum II, Constitutiones Decreta Declarationes, Cité du Vatican 1966, p. 983) et, à travers une allusion au récit de la Pentecôte rapporté par Luc (Ac 1, 12-14), il avait dit que les Pères s’étaient réunis dans la salle du Concile « cum Maria, Matre Iesu » et que, également en son nom, ils en seraient à présent sortis (p. 985).
Dans ma mémoire demeure inscrit de manière indélébile le moment où, en entendant ses paroles: « Mariam Sanctissimam declaramus Matrem Ecclesiae » – « Nous déclarons la Très Sainte Vierge Marie Mère de l’Eglise », les Pères se levèrent spontanément de leurs chaises et applaudirent debout, rendant hommage à la Mère de Dieu, à notre Mère, à la Mère de l’Eglise. De fait, à travers ce titre, le Pape résumait la doctrine mariale du Concile et donnait la clef pour sa compréhension. Marie n’a pas seulement un rapport singulier avec le Christ, le Fils de Dieu qui, comme homme, a voulu devenir son fils. Etant totalement unie au Christ, elle nous appartient également totalement. Oui, nous pouvons dire que Marie est proche de nous comme aucun autre être humain, car le Christ est homme pour les hommes et tout son être est une « présence pour nous ». Le Christ, disent les Pères, en tant que Tête, est inséparable de son Corps qui est l’Eglise, formant avec celle-ci, pour ainsi dire, un unique sujet vivant. La Mère du Chef est également la Mère de toute l’Eglise; elle est, pour ainsi dire, totalement expropriée d’elle-même; elle s’est entièrement donnée au Christ et, avec Lui, elle nous est donnée en don à tous. En effet, plus la personne humaine se donne, plus elle se trouve elle-même.
Le Concile entendait nous dire cela: Marie est tellement liée au grand mystère de l’Eglise qu’elle et l’Eglise sont inséparables, tout comme sont inséparables le Christ et elle. Marie reflète l’Eglise, elle l’anticipe dans sa personne, et, dans tous les épisodes douloureux qui frappent l’Eglise qui souffre et qui oeuvre, elle reste toujours l’étoile du salut. C’est elle qui est son centre véritable en qui nous avons confiance, même si bien souvent, ce qui est autour pèse sur notre âme. Le Pape Paul VI, dans le contexte de la promulgation de la Constitution sur l’Eglise, a mis tout cela en lumière à travers un nouveau titre profondément enraciné dans la Tradition, précisément dans l’intention d’illuminer la structure intérieure de l’enseignement sur l’Eglise développé au cours du Concile. Le Concile Vatican II devait s’exprimer sur les composantes institutionnelles de l’Eglise: sur les Evêques et sur le Pontife, sur les prêtres, les laïcs et les religieux dans leur communion et dans leurs relations; il devait décrire l’Eglise en chemin, « qui enferme des pécheurs dans son propre sein, et est donc à la fois sainte et appelée à se purifier… » (Lumen gentium, n. 8). Mais cet aspect « pétrinien » de l’Eglise est inclu dans l’aspect « marial ». En Marie, l’Immaculée, nous rencontrons l’essence de l’Eglise d’une manière qui n’est pas déformée. Nous devons apprendre d’elle à devenir nous-mêmes des « âmes ecclésiales », comme s’exprimaient les Pères, pour pouvoir nous aussi, selon la parole de saint Paul, nous présenter « immaculés » devant le Seigneur, tels qu’Il nous a voulus dès le commencement (Col 1, 321; Ep 1, 4).
Mais à présent nous devons nous demander: Qu’est-ce que signifie « Marie l’Immaculée »? Ce titre a-t-il quelque chose à nous dire? La liturgie d’aujourd’hui éclaire pour nous le contenu de cette parole à travers deux grandes images. Il y a tout d’abord le récit merveilleux de l’annonce à Marie, la Vierge de Nazareth, de la venue du Messie. Le salut de l’Ange est tissé de fils de l’Ancien Testament, en particulier du prophète Sophonie. Celui-ci fait voir que Marie, l’humble femme de province qui est issue d’une lignée sacerdotale et qui porte en elle le grand patrimoine sacerdotal d’Israël, est « le saint reste » d’Israël auquel les prophètes, au cours de toutes les périodes de douleurs et de ténèbres, ont fait référence. En elle est présente la véritable Sion, celle qui est pure, la demeure vivante de Dieu. En elle demeure le Seigneur, en elle il trouve le lieu de Son repos. Elle est la maison vivante de Dieu, qui n’habite pas dans des édifices de pierre, mais dans le coeur de l’homme vivant. Elle est le germe qui, dans la sombre nuit d’hiver de l’histoire, jaillit du tronc abattu de David. En elle s’accomplit la parole du Psaume: « La terre a donné son fruit » (67, 7). Elle est le surgeon, duquel dérive l’arbre de la rédemption et des rachetés. Dieu n’a pas essuyé un échec, comme il pouvait sembler au début de l’histoire avec Adam et Eve, ou bien au cours de l’exil à Babylone, et comme il semblait à nouveau à l’époque de Marie, quand Israël était devenu un peuple sans importance dans une région occupée, avec bien peu de signes reconnaissables de sa sainteté. Dieu n’a pas failli. Dans l’humilité de la maison de Nazareth vit l’Israël saint, le reste pur. Dieu a sauvé et sauve son peuple. Du tronc abattu ressurgit à nouveau son histoire, devenant une nouvelle force vive qui oriente et envahit le monde. Marie est l’Israël saint; elle dit « oui » au Seigneur, se met pleinement à sa disposition et devient ainsi le temple vivant de Dieu.
La deuxième image est beaucoup plus difficile et obscure. Cette métaphore, tirée du Livre de la Genèse, nous parle à partir d’une grande distance historique, et ne peut être éclaircie qu’avec beaucoup de peine; ce n’est qu’au cours de l’histoire qu’il a été possible de développer une compréhension plus profonde de ce qui y est référé. Il est prédit qu’au cours de toute l’histoire, la lutte entre l’homme et le serpent se poursuivra, c’est-à-dire entre l’homme et les puissances du mal et de la mort. Cependant, il est également préannoncé que « la lignée » de la femme vaincra un jour et écrasera la tête du serpent, de la mort; il est préannoncé que la lignée de la femme – et en elle la femme et la mère elle-même – vaincra et qu’ainsi, à travers l’homme, Dieu vaincra. Si nous nous mettons à l’écoute de ce texte avec l’Eglise croyante et en prière, alors nous pouvons commencer à comprendre ce qu’est le péché originel, le péché héréditaire, et aussi ce que signifie être sauvergardé de ce péché héréditaire, ce qu’est la rédemption.
Quelle est la situation qui nous est présentée dans cette page? L’homme n’a pas confiance en Dieu. Tenté par les paroles du serpent, il nourrit le soupçon que Dieu, en fin de compte, ôte quelque chose à sa vie, que Dieu est un concurrent qui limite notre liberté et que nous ne serons pleinement des êtres humains que lorsque nous l’aurons mis de côté; en somme, que ce n’est que de cette façon que nous pouvons réaliser en plénitude notre liberté. L’homme vit avec le soupçon que l’amour de Dieu crée une dépendance et qu’il lui est nécessaire de se débarasser de cette dépendance pour être pleinement lui-même. L’homme ne veut pas recevoir de Dieu son existence et la plénitude de sa vie. Il veut puiser lui-même à l’arbre de la connaissance le pouvoir de façonner le monde, de se transformer en un dieu en s’élevant à Son niveau, et de vaincre avec ses propres forces la mort et les ténèbres. Il ne veut pas compter sur l’amour qui ne lui semble pas fiable; il compte uniquement sur la connaissance, dans la mesure où celle-ci confère le pouvoir. Plutôt que sur l’amour, il mise sur le pouvoir, avec lequel il veut prendre en main de manière autonome sa propre vie. Et en agissant ainsi, il se fie au mensonge plutôt qu’à la vérité et cela fait sombrer sa vie dans le vide, dans la mort. L’amour n’est pas une dépendance, mais un don qui nous fait vivre. La liberté d’un être humain est la liberté d’un être limité et elle est donc elle-même limitée. Nous ne pouvons la posséder que comme liberté partagée, dans la communion des libertés: ce n’est que si nous vivons d’une juste manière, l’un avec l’autre et l’un pour l’autre, que la liberté peut se développer. Nous vivons d’une juste manière, si nous vivons selon la vérité de notre être, c’est-à-dire selon la volonté de Dieu. Car la volonté de Dieu ne constitue pas pour l’homme une loi imposée de l’extérieur qui le force, mais la mesure intrinsèque de sa nature, une mesure qui est inscrite en lui et fait de lui l’image de Dieu, et donc une créature libre. Si nous vivons contre l’amour et contre la vérité – contre Dieu -, alors nous nous détruisons réciproquement et nous détruisons le monde. Alors nous ne trouvons pas la vie, mais nous faisons le jeu de la mort. Tout cela est raconté à travers des images immortelles dans l’histoire de la chute originelle et de l’homme chassé du Paradis terrestre.
Chers frères et soeurs! Si nous réfléchissons sincèrement sur nous et sur notre sur histoire, nous constatons qu’à travers ce récit est non seulement décrite l’histoire du début, mais l’histoire de tous les temps, et que nous portons tous en nous une goutte du venin de cette façon de penser illustrée par les images du Livre de la Genèse. Cette goutte de venin, nous l’appelons péché originel. Précisément en la fête de l’Immaculée Conception apparaît en nous le soupçon qu’une personne qui ne pèche pas du tout est au fond ennuyeuse; que quelque chose manque à sa vie: la dimension dramatique du fait d’être autonomes; qu’être véritablement hommes comprenne également la liberté de dire non, de descendre au fond des ténèbres du péché et de vouloir agir tout seuls; que ce n’est qu’alors que l’on peut exploiter totalement toute l’ampleur et la profondeur du fait d’être des hommes, d’être véritablement nous-mêmes; que nous devons mettre cette liberté à l’épreuve, également contre Dieu, pour devenir en réalité pleinement nous-mêmes. En un mot, nous pensons au fond que le mal est bon, que nous avons au moins un peu besoin de celui-ci pour faire l’expérience de la plénitude de l’être. Nous pensons que Méphistophélès – le tentateur – a raison lorsqu’il dit être la force « qui veut toujours le mal et qui accomplit toujours le bien » (J.W. v. Goethe, Faust I, 3). Nous pensons que traiter un peu avec le mal, se réserver un peu de liberté contre Dieu est au fond un bien, et peut-être même nécessaire.
Cependant, en regardant le monde autour de nous, nous pouvons voir qu’il n’en est pas ainsi, c’est-à-dire que le mal empoisonne toujours, il n’élève pas l’homme, mais l’abaisse et l’humilie, il ne le rend pas plus grand, plus pur et plus riche, mais il lui cause du mal et le fait devenir plus petit. C’est plutôt cela que nous devons apprendre le jour de l’Immaculée: l’homme qui s’abandonne totalement entre les mains de Dieu ne devient pas une marionnette de Dieu, une personne consentante ennuyeuse; il ne perd pas sa liberté. Seul l’homme qui se remet totalement à Dieu trouve la liberté véritable, l’ampleur vaste et créative de la liberté du bien. L’homme qui se tourne vers Dieu ne devient pas plus petit, mais plus grand, car grâce à Dieu et avec Lui, il devient grand, il devient divin, il devient vraiment lui-même. L’homme qui se remet entre les mains de Dieu ne s’éloigne pas des autres en se retirant dans sa rédemption en privé; au contraire, ce n’est qu’alors que son coeur s’éveille vraiment et qu’il devient une personne sensible et donc bienveillante et ouverte.
Plus l’homme est proche de Dieu et plus il est proche des hommes. Nous le voyons en Marie. Le fait qu’elle soit totalement auprès de Dieu est la raison pour laquelle elle est également si proche de tous les hommes. C’est pourquoi elle peut être la Mère de toute consolation et de toute aide, une Mère à laquelle devant chaque nécessité quiconque peut oser s’adresser dans sa propre faiblesse et dans son propre péché, car elle comprend tout et elle est pour tous la force ouverte de la bonté créatrice. C’est en Elle que Dieu imprime son image, l’image de Celui qui suit la brebis égarée jusque dans les montagnes et parmi les épines et les ronces des péchés de ce monde, se laissant blesser par la couronne d’épine de ces péchés, pour prendre la brebis sur ses épaules et la ramener à la maison. En tant que Mère compatissante, Marie est la figure anticipée et le portrait permanent de son Fils. Nous voyons ainsi que même l’image de la Vierge des Douleurs, de la Mère qui partage la souffrance et l’amour, est une véritable image de l’Immaculée. Son coeur, grâce au fait d’être et de ressentir avec Dieu, s’est agrandi. En Elle, la bonté de Dieu s’est beaucoup approchée et s’approche beaucoup de nous. Ainsi Marie se trouve devant nous comme signe de réconfort, d’encouragement, d’espérance. Elle s’adresse à nous en disant: « Aie le courage d’oser avec Dieu! Essaye! N’aie pas peur de Lui! Aie le courage de risquer avec la foi! Aie le courage de risquer avec la bonté! Aie le courage de risquer avec le coeur pur! Engage-toi avec Dieu, tu verras alors que c’est précisément grâce à cela que ta vie deviendra vaste et lumineuse, non pas ennuyeuse, mais pleine de surprises infinies, car la bonté infinie de Dieu ne se tarit jamais! »
En ce jour de fête, nous voulons rendre grâce au Seigneur pour le grand signe de sa bonté qu’il nous a donné en Marie, sa Mère et Mère de l’Eglise. Nous voulons le prier de placer Marie sur notre chemin comme une lumière qui nous aide à devenir nous aussi lumière et à porter cette lumière dans les nuits de l’histoire. Amen.

BENOÎT XVI – 4 DICEMBRE – SAINT JEAN DAMASCÈNE (2009)

5 décembre, 2018

http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2009/documents/hf_ben-xvi_aud_20090506.html

fr of-Saint-John-Damascene (1)

Saint Jean Damascene (Mère de Dieu des trois mains, monastère du Mont Athos)

BENOÎT XVI – 4 DICEMBRE – SAINT JEAN DAMASCÈNE (2009)

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 6 mai 2009

Chers frères et sœurs,

Je voudrais parler aujourd’hui de Jean Damascène, un personnage de premier plan dans l’histoire de la théologie byzantine, un grand docteur dans l’histoire de l’Eglise universelle. Il représente surtout un témoin oculaire du passage de la culture chrétienne grecque et syriaque, commune à la partie orientale de l’Empire byzantin, à la culture de l’islam, qui s’est imposée grâce à ses conquêtes militaires sur le territoire reconnu habituellement comme le Moyen ou le Proche Orient. Jean, né dans une riche famille chrétienne, assuma encore jeune la charge – remplie déjà sans doute par son père – de responsable économique du califat. Mais très vite, insatisfait de la vie de la cour, il choisit la vie monastique, en entrant dans le monastère de Saint-Saba, près de Jérusalem. C’était aux environs de l’an 700. Ne s’éloignant jamais du monastère, il consacra toutes ses forces à l’ascèse et à l’activité littéraire, ne dédaignant pas une certaine activité pastorale, dont témoignent avant tout ses nombreuses Homélies. Sa mémoire liturgique est célébrée le 4 décembre. Le Pape Léon XIII le proclama docteur de l’Eglise universelle en 1890.
En Orient, on se souvient surtout de ses trois Discours pour légitimer la vénération des images sacrées, qui furent condamnés, après sa mort, par le Concile iconoclaste de Hiéria (754). Mais ces discours furent également le motif fondamental de sa réhabilitation et de sa canonisation de la part des Pères orthodoxes convoqués par le second Concile de Nicée (787), septième Concile œcuménique. Dans ces textes, il est possible de retrouver les premières tentatives théologiques importantes de légitimer la vénération des images sacrées, en les reliant au mystère de l’Incarnation du Fils de Dieu dans le sein de la Vierge Marie.
Jean Damascène fut, en outre, parmi les premiers à distinguer, dans le culte public et privé des chrétiens, l’adoration (latreia) de la vénération (proskynesis): la première ne peut être adressée qu’à Dieu, suprêmement spirituel, la deuxième au contraire peut utiliser une image pour s’adresser à celui qui est représenté dans l’image même. Bien sûr, le saint ne peut en aucun cas être identifié avec la matière qui compose l’icône. Cette distinction se révéla immédiatement très importante pour répondre de façon chrétienne à ceux qui prétendaient universel et éternel l’observance de l’interdit sévère de l’Ancien Testament d’utiliser des images dans le culte. Tel était le grand débat également dans le monde islamique, qui accepte cette tradition juive de l’exclusion totale d’images dans le culte. Les chrétiens, en revanche, dans ce contexte, ont débattu du problème et trouvé la justification pour la vénération des images. Damascène écrit: « En d’autres temps, Dieu n’avait jamais été représenté en image, étant sans corps et sans visage. Mais à présent que Dieu a été vu dans sa chair et a vécu parmi les hommes, je représente ce qui est visible en Dieu. Je ne vénère pas la matière, mais le créateur de la matière, qui s’est fait matière pour moi et a daigné habiter dans la matière et opérer mon salut à travers la matière. Je ne cesserai donc pas de vénérer la matière à travers laquelle m’a été assuré le salut. Mais je ne la vénère absolument pas comme Dieu! Comment pourrait être Dieu ce qui a reçu l’existence à partir du non-être?… Mais je vénère et respecte également tout le reste de la matière qui m’a procuré le salut, car pleine d’énergie et de grâces saintes. Le bois de la croix trois fois bénie n’est-il pas matière? L’encre et le très saint livre des Evangiles ne sont-ils pas matière? L’autel salvifique qui nous donne le pain de vie n’est-il pas matière?…. Et, avant tout autre chose, la chair et le sang de mon Seigneur ne sont-ils pas matière? Ou bien tu dois supprimer le caractère sacré de toutes ces choses, ou bien tu dois accorder à la tradition de l’Eglise la vénération des images de Dieu et celle des amis de Dieu qui sont sanctifiés par le nom qu’ils portent, et qui, pour cette raison, sont habités par la grâce de l’Esprit Saint. N’offense donc pas la matière: celle-ci n’est pas méprisable; car rien de ce que Dieu a fait n’est méprisable » (Contra imaginum calumniatores, I, 16, ed; Kotter, pp. 89-90). Nous voyons que, à cause de l’incarnation, la matière apparaît comme divinisée, elle est vue comme la demeure de Dieu. Il s’agit d’une nouvelle vision du monde et des réalités matérielles. Dieu s’est fait chair et la chair est devenue réellement demeure de Dieu, dont la gloire resplendit sur le visage humain du Christ. C’est pourquoi, les sollicitations du Docteur oriental sont aujourd’hui encore d’une très grande actualité, étant donnée la très grande dignité que la matière a reçue dans l’Incarnation, pouvant devenir, dans la foi, le signe et le sacrement efficace de la rencontre de l’homme avec Dieu. Jean Damascène reste donc un témoin privilégié du culte des icônes, qui deviendra l’un des aspects les plus caractéristiques de la théologie et de la spiritualité orientale jusqu’à aujourd’hui. Il s’agit toutefois d’une forme de culte qui appartient simplement à la foi chrétienne, à la foi dans ce Dieu qui s’est fait chair et s’est rendu visible. L’enseignement de saint Jean Damascène s’inscrit ainsi dans la tradition de l’Eglise universelle, dont la doctrine sacramentelle prévoit que les éléments matériels issus de la nature peuvent devenir un instrument de grâce en vertu de l’invocation (epiclesis) de l’Esprit Saint, accompagnée par la confession de la foi véritable.
Jean Damascène met également en relation avec ces idées de fond la vénération des reliques des saints, sur la base de la conviction que les saints chrétiens, ayant participé de la résurrection du Christ, ne peuvent pas être considérés simplement comme des « morts ». En énumérant, par exemple, ceux dont les reliques ou les images sont dignes de vénération, Jean précise dans son troisième discours en défense des images: « Tout d’abord (nous vénérons) ceux parmi lesquels Dieu s’est reposé, lui le seul saint qui se repose parmi les saints (cf. Is 57, 15), comme la sainte Mère de Dieu et tous les saints. Ce sont eux qui, autant que cela est possible, se sont rendus semblables à Dieu par leur volonté et, par l’inhabitation et l’aide de Dieu, sont dits réellement dieux (cf. Ps 82, 6), non par nature, mais par contingence, de même que le fer incandescent est appelé feu, non par nature mais par contingence et par participation du feu. Il dit en effet: Vous serez saint parce que je suis saint (Lv 19, 2) » (III, 33, col. 1352 A). Après une série de références de ce type, Jean Damascène pouvait donc déduire avec sérénité: « Dieu, qui est bon et supérieur à toute bonté, ne se contenta pas de la contemplation de lui-même, mais il voulut qu’il y ait des êtres destinataires de ses bienfaits, qui puissent participer de sa bonté: c’est pourquoi il créa du néant toutes les choses, visibles et invisibles, y compris l’homme, réalité visible et invisible. Et il le créa en pensant et en le réalisant comme un être capable de pensée (ennoema ergon) enrichi par la parole (logo[i] sympleroumenon) et orienté vers l’esprit (pneumati teleioumenon) » (II, 2, PG, col. 865A). Et pour éclaircir ultérieurement sa pensée, il ajoute: « Il faut se laisser remplir d’étonnement (thaumazein) par toutes les œuvres de la providence (tes pronoias erga), les louer toutes et les accepter toutes, en surmontant la tentation de trouver en celles-ci des aspects qui, a beaucoup de personnes, semblent injustes ou iniques (adika), et en admettant en revanche que le projet de Dieu (pronoia) va au-delà des capacités cognitives et de compréhension (agnoston kai akatalepton) de l’homme, alors qu’au contraire lui seul connaît nos pensées, nos actions et même notre avenir » (II, 29, PG, col. 964C). Du reste, Platon disait déjà que toute la philosophie commence avec l’émerveillement: notre foi aussi commence avec l’émerveillement de la création, de la beauté de Dieu qui se fait visible.
L’optimisme de la contemplation naturelle (physikè theoria), de cette manière de voir dans la création visible ce qui est bon, beau et vrai, cet optimisme chrétien n’est pas un optimisme naïf: il tient compte de la blessure infligée à la nature humaine par une liberté de choix voulue par Dieu et utilisée de manière impropre par l’homme, avec toutes les conséquences d’un manque d’harmonie diffus qui en ont dérivées. D’où l’exigence, clairement perçue par le théologien de Damas, que la nature dans laquelle se reflète la bonté et la beauté de Dieu, blessées par notre faute, « soit renforcée et renouvelée » par la descente du Fils de Dieu dans la chair, après que de nombreuses manières et en diverses occasions Dieu lui-même ait cherché à démontrer qu’il avait créé l’homme pour qu’il soit non seulement dans l’ »être », mais dans le « bien-être » (cf. La foi orthodoxe, II, 1, PG 94, col. 981°). Avec un enthousiasme passionné, Jean explique: « Il était nécessaire que la nature soit renforcée et renouvelée et que soit indiquée et enseignée concrètement la voie de la vertu (didachthenai aretes hodòn), qui éloigne de la corruption et conduit à la vie éternelle… C’est ainsi qu’apparut à l’horizon de l’histoire la grande mer de l’amour de Dieu pour l’homme (philanthropias pelagos)… ». C’est une belle expression. Nous voyons, d’une part, la beauté de la création et, de l’autre, la destruction accomplie par la faute humaine. Mais nous voyons dans le Fils de Dieu, qui descend pour renouveler la nature, la mer de l’amour de Dieu pour l’homme. Jean Damascène poursuit:  » Lui-même, le Créateur et le Seigneur, lutta pour sa créature en lui transmettant à travers l’exemple son enseignement… Et ainsi, le Fils de Dieu, bien que subsistant dans la forme de Dieu, abaissa les cieux et descendit… auprès de ses serviteurs… en accomplissant la chose la plus nouvelle de toutes, l’unique chose vraiment nouvelle sous le soleil, à travers laquelle se manifesta de fait la puissance infinie de Dieu » (III, 1. PG 94, coll. 981C-984B).
Nous pouvons imaginer le réconfort et la joie que diffusaient dans le cœur des fidèles ces paroles riches d’images si fascinantes. Nous les écoutons nous aussi, aujourd’hui, en partageant les mêmes sentiments que les chrétiens de l’époque: Dieu veut reposer en nous, il veut renouveler la nature également par l’intermédiaire de notre conversion, il veut nous faire participer de sa divinité. Que le Seigneur nous aide à faire de ces mots la substance de notre vie.

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