Archive pour la catégorie 'Orthodoxie'

LA PRÉSENTATION DE MARIE AU TEMPLE PAR LE P. LEV GILLET (Orthodoxie)

31 janvier, 2013

http://www.orthodoxa.org/FR/orthodoxie/fetes/fete21_11.htm

LA PRÉSENTATION DE MARIE AU TEMPLE PAR LE P. LEV GILLET

(EGLISE ORTHODOXE D’ESTONIE)

Quelques jours après le commencement de l’Avent, l’Eglise célèbre la fête de la Présentation de la Sainte Vierge au Temple (21 Novembre). Il est juste que, au début du temps de préparation à Noël, notre pensée se porte vers la Mère de Dieu, dont l’humble et silencieuse attente doit être le modèle de notre propre attente pendant l’Avent. Plus nous nous rapprocherons de Marie par notre prière, notre docilité, notre pureté, plus se formera en nous Celui qui va naître.
Que Marie, toute petite enfant, ait été présentée au Temple de Jérusalem pour y vivre, désormais appartient au domaine de la légende, non à celui de l’histoire (D’après les Evangiles apocryphes [le pseudo-Jacques, le pseudo Matthieu], Marie aurait été amenée au temple par ses parents, à l’âge de trois ans, et elle y serait demeurée. La fête de la Présentation a d’abord été célébrée en Syrie [qui est justement le pays des apocryphes] vers le 6è siècle. Au 7 ou 8è siècle, des poèmes liturgiques grecs étaient composés en l’honneur de la Présentation. Néanmoins le ménologe de Constantinople, au 7è siècle ne mentionne pas encore cette fête. Elle était cependant célébrée à Constantinople au 11è siècle. Les papes d’Avignon,14è siècle, introduisirent la Présentation dans l’Occident latin. C’est en vain que le papre Pie 5, plus soucieux de vérité historique, la raya du bréviaire et du calendrier romains, au 16è siècle. Le pape Sixte 5, au même siècle, l’y remit). Mais cette légende constitue un gracieux symbole dont nous pouvons tirer les plus profonds enseignements spirituels.
Les trois lectures de l’Ancien Testament lues aux vêpres, le soir du 20 novembre (donc au début du 21 novembre, puisque la journée liturgique va du soir au soir), ont rapport au Temple. La première leçon (Exode, ch. 40) évoque les ordres donnés par Dieu à Moïse concernant la construction et l’arrangement intérieur du tabernacle. La deuxième leçon (1 Rois 7: 51-8:11) décrit la dédicace du Temple de Salomon. La troisième leçon (Ezéchiel 43:2744:4), déjà lue le 8 septembre, en la fête de la Nativité de la Vierge, nous parle de la porte du sanctuaire, fermée à tout homme et par laquelle Dieu seul entre. Ces trois textes ont symboliquement pour objet la Mère de Dieu elle-même, temple vivant et parfait.
Les évangiles lus à matines et à la liturgie sont ceux qui ont été lus lors de la fête du 8 septembre. (…) Quant à l’épître lue aujourd’hui (Hébreux 9:1-7), elle rappelle l’arrangement du sanctuaire et du « saint des saints » : ce texte lui aussi se rapporte symboliquement à Marie.
Le sens spirituel de la fête de la Présentation est développé dans les divers chants de l’office et de la liturgie. Les deux thèmes principaux que nous y trouvons sont les suivants. D’abord la sainteté de Marie. La petite enfant séparée du monde et introduite au Temple pour y demeurer évoque l’idée d’une vie séparée, consacrée, «présentée au Temple», une vie d’intimité avec Dieu : « Aujourd’hui la Toute Pure et toute sainte entre dans le Saint des Saints». Il est évident que l’Eglise fait ici une allusion spéciale à la virginité, mais toute vie humaine, dans des mesures diverses, peut être une vie «présentée au Temple», une vie sainte et pure avec Dieu. Le deuxième thème est la comparaison entre le Temple de pierre et le Temple vivant : «Le Temple très pur du Sauveur… est conduite aujourd’hui dans la maison du Seigneur, apportant avec elle la grâce de l’Esprit divin ». Marie, qui portera le Dieu-Homme dans son sein, est un temple plus sacré que le sanctuaire de Jérusalem ; il convenait que ces deux temples se rencontrassent, mais ici c’est le temple vivant qui sanctifie le temple bâti. La supériorité du temple vivant sur le temple de pierre est vraie d’une manière spéciale de Marie, parce qu’elle était l’instrument de l’Incarnation. Mais, d’une manière plus générale, cela est vrai de tout homme uni à Dieu : «Ne savez-vous que vous êtes le temple de Dieu » (1 Co 3,16) ?… « Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit (1 Co 6, 19) ?».
D’autres pensées, que les textes liturgiques n’expriment pas explicitement, nous sont cependant suggérées par cette fête. Si notre âme est un temple où Dieu veut demeurer, il convient que Marie y soit «présentée» : il faut que nous ouvrions notre âme à Marie, afin qu’elle vive dans ce temple, notre temple personnel. D’autre part, puisque l’Eglise entière, puisque toute l’assemblée des fidèles est le corps du Christ et le Temple de Dieu, considérons la fête d’aujourd’hui comme la Présentation de Marie dans ce Temple, la sainte Eglise universelle. Ce Temple qu’est l’Eglise catholique rend aujourd’hui hommage à ce Temple qu’est Marie.

« L’an de grâce du Seigneur » par Un moine de l’Eglise d’Orient Ed Cerf (p:78-80)

« L’Amour qui embrasse » par Nicolas P. Papas

19 décembre, 2012

http://www.iconsexplained.com/iec/iecf_citation_serge_boulgakov.htm

« L’Amour qui embrasse » par Nicolas P. Papas

Ré-imprimé avec permission, courtoisie Nicholas Papas

Traduit de l’anglais par P.W. de Ruyter avec l’aide d’un moine

L’icône « Plus spacieux que les Cieux » occupe une place très en vue dans une église orthodoxe, peut-être parce qu’elle exprime quelques unes de nos croyances essentielles au centre de notre Foi, principalement la volonté de notre Mère, l’Église, de nous recevoir avec ses bras grand-
ouverts qui nous attendent.
L’icône est souvent connue par son nom grec « Platytera Ton Ouranon », ou tout simplement « Platytera ». Dans la plupart des églises orthodoxes, on la retrouve à une place la mettant bien en évidence — en position haute dans l’abside — et souvent ses proportions énormes mettent toutes les autres icônes dans l’ombre. Ceci peut donner une impression un peu étrange à un visiteur non-orthodoxe. Ses grandes dimensions peuvent d’ailleurs causer un dilemme même chez les orthodoxes. Comment se peut-il, dans une église chrétienne, lieu où la vie tourne autour du Christ, qu’une image de Sa mère semble tout dominer? En réalité, il y a une image du Christ, le Tout-Puissant, reproduite à une place d’honneur : sur le plafond [ou dans le dôme, si le bâtiment de l'église en a un]. Deuxièmement, le Christ se trouve au centre du Platytera, sur les genoux de Marie.
Cela nous montre une équilibre dans la perspective, de l’Église, de la place et du rôle de Marie. Elle est essentielle et significative en raison de sa relation avec le Christ. Le Christ n’aurait pas pu naître sans son libre consentement. Elle est rendue significative par Celui qu’elle a porté. Elle fournit le trône. Elle est à l’arrière-plan. Ces caractéristiques révèlent son humilité, et paradoxalement l’icône la glorifie à sa manière propre, à cause de cela.
Elle est significative pour nous comme exemple de ce qui peut résulter d’une soumission libre à la bonté de Dieu. Elle est indispensable parce que, sans elle, la naissance du Christ n’aurait pas eu avoir lieu. La position architecturale de la Platytera nous enseigne clairement qu’elle est la personne par laquelle le ciel et la terre sont unis, parce que la peinture murale est l’endroit où le plafond et le plancher se rencontrent. Son icône « unit » l’icône du Christ représentée au plafond à nous qui sommes debout sur le plancher. 
Une chose remarquable s’est passée avec la venu de l’Esprit Saint à la Pentecôte: Dieu révéla à l’humanité que chacun a la capacité que Dieu demeure dans son intérieur. Cela représentait un concept radicalement différent pour les Juifs de cette époque qui voyaient le trône de Dieu comme une structure physique, le Temple à Jérusalem. Maintenant, tous les croyants pouvaient être comme Marie — la première et la plus belle exemple que le corps physique de chaque croyant « est un temple de l’Esprit Saint » (1 Corinthiens 6:19). En raison du fait que Marie est cet exemple premier et parfait de « temple », la sagesse du choix de l’emplacement de la Platytera s’avère confirmée. Dans une même manière la Pentecôte portait les gens à repenser leur croyance concernant la demeure exacte de Dieu. D’une façon concrète, il nous faut prendre conscience de cette question : comment Dieu vit-il en nous, les croyants?
Dans cette icône les mains de Marie sont ouvertes et tendues. C’est une attitude de prière. Nous pouvons voir clairement qu’elle prie toujours pour nous, comme la bonne mère qu’elle est. En même temps nous pouvons voir dans ses bras ouverts une invitation qui signifie son désir intense de nous laisser embrasser par elle. Dans un sens spirituel, personne ne peut nous embrasser plus parfaitement qu’elle. En tant que Marie est une image de « l’Église », nous pouvons voir comment nous sommes « embrassés ».
Comme chaque bonne mère, notre Mère l’Église voit tous nos besoins. Et avec l’Église, nos besoins les plus profonds et les plus vrais sont finalement comblés. Elle nous donne à manger avec le « Pain de Vie » (Jean 6:35), elle nous habille avec une « vêtement de salut » et un « manteau de justice » (Isaïe 61:10), elle nous lave de nos péchés (Actes 22:16) avec « l’eau qui régénère », elle nous donne à boire de la « Source de Vie », elle nous abrite « sous l’ombre » des Ses ailes (Psaume 17:8), et elle nous donne une place pour trouver du « repos pour nos âmes ». Notre bonne Mère qui nous aime inconditionnellement est toujours prête et elle nous attend. Dans la superbe image de la Platytera elle se montre prête à nous embrasser. C’est une image précise et véridique qui nous montre le mystère merveilleux de la volonté intense mais patiente de Dieu de nous donner l’amour inconditionnel. Il y a un message simple dans l’image de Marie « Platytera »: viens et laisse-toi embrasser par l’amour parfait. »

NATIVITÉ DE LA VIERGE MARIE – MÉDITATION SUR LA FÊTE AVEC LE PÈRE LEV GILLET

7 septembre, 2012

http://www.pagesorthodoxes.net/fetes/md-nativite1.htm

NATIVITÉ DE LA VIERGE MARIE

MÉDITATION SUR LA FÊTE AVEC LE PÈRE LEV GILLET

« UN MOINE DE L’ÉGLISE D’ORIENT »

Nativité de la Vierge Marie

L’année liturgique comporte, outre le cycle des dimanches et le cycle des fêtes commémorant directement Notre Seigneur, un cycle des fêtes des saints. La première grande fête de ce cycle des saints que nous rencontrons après le début de l’année liturgique est la fête de la nativité de la bienheureuse Vierge Marie, célébrée le 8 septembre [42]. Il convenait que, dès les premiers jours de la nouvelle année religieuse, nous fussions mis en présence de la plus haute sainteté humaine reconnue et vénérée par l’Église, celle de la mère de Jésus-Christ. Les textes lus et les prières chantées à l’occasion de cette fête nous éclaireront beaucoup sur le sens du culte que l’Église rend à Marie.
Au cours des vêpres célébrées le soir de la veille du 8 septembre, nous lisons plusieurs leçons tirées de l’Ancien Testament. C’est tout d’abord le récit de la nuit passée par Jacob à Luz (Gn 28, 10-17). Tandis que Jacob dormait, la tête appuyée sur une pierre, il eut un songe : il vit une échelle dressée entre le ciel et la terre, et les anges montant et descendant le long de cette échelle ; et Dieu lui-même apparut et promit à la descendance de Jacob sa bénédiction et son soutien. Jacob, à son réveil, consacra avec de l’huile la pierre sur laquelle il avait dormi et appela ce lieu Beth-el, c’est-à-dire  » maison de Dieu « . Marie, dont la maternité a été la condition humaine de l’Incarnation, est, elle aussi, une échelle entre le ciel et la terre. Mère adoptive des frères adoptifs de son Fils, elle nous dit ce que Dieu dit à Jacob (pour autant qu’une créature peut faire siennes les paroles du Créateur) :  » Je suis avec toi, je te garderai partout où tu iras… « . Elle, qui a porté son Dieu dans son sein, elle est vraiment ce lieu de Beth-el dont Jacob peut dire :  » Ce n’est rien de moins qu’une maison de Dieu et la porte du ciel « . La deuxième leçon (Ez 43, 27-44, 4) se rapporte au temple futur qui est montré au prophète Ézéchiel ; une phrase de ce passage peut s’appliquer très justement à la virginité et à la maternité de Marie :  » Ce porche sera fermé. On ne l’ouvrira pas, on n’y passera pas, car Yahvé le Dieu d’Israël y est passé. Aussi sera-t-il fermé  » [43]. La troisième leçon (Pr 9, 1-11) met en scène la Sagesse divine personnifiée :  » La Sagesse a bâti sa maison, elle a dressé ses sept colonnes… Elle a dépêché ses servantes et proclamé sur les hauteurs de la cité… « . L’Église byzantine et l’Église latine ont toutes deux établi un rapprochement entre la divine Sagesse et Marie [44]. Celle-ci est la maison bâtie par la Sagesse ; elle est, au suprême degré, l’une des vierges messagères que la Sagesse envoie aux hommes ; elle est, après le Christ lui-même, la plus haute manifestation de la Sagesse en ce monde.
L’Évangile lu aux matines du 8 septembre (Lc 1 : 39-49, 56) décrit la visite faite par Marie à Élisabeth. Deux phrases de cet évangile expriment bien l’attitude de l’Église envers Marie et indiquent pourquoi celle-ci a été en quelque sorte mise à part et au-dessus de tous les autres saints. Il y a d’abord cette phrase de Marie elle-même :  » Oui, désormais toutes les générations me diront bienheureuse, car le Tout-Puissant a fait pour moi de grandes choses  » [45]. Et il y a cette phrase dite par Élisabeth à Marie :  » Tu es bénie entre les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni « . Quiconque nous reprocherait de reconnaître et d’honorer le fait que Marie soit  » bénie entre les femmes  » se mettrait en contradiction avec l’Écriture elle-même. Nous continuerons donc, comme  » toutes les générations « , à appeler Marie  » bienheureuse « . Nous ne la séparerons d’ailleurs jamais de son Fils, et nous ne lui dirons jamais  » tu es bénie  » sans ajouter ou du moins sans penser :  » Le fruit de tes entrailles est béni « . Et s’il nous est donné de sentir parfois l’approche gracieuse de Marie, ce sera Marie portant Jésus dans son sein, Marie en tant que mère de Jésus, et nous lui dirons avec Élisabeth :  » Comment m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne à moi ? « 
À la liturgie du même jour, nous lisons, ajoutés l’un à l’autre (Lc 10, 38-42 – 11, 27-28), deux passages de l’évangile que l’Église répétera à toutes les fêtes de Marie et auxquels cette répétition même donne la valeur d’une déclaration particulièrement importante. Jésus loue Marie de Béthanie, assise à ses pieds et écoutant ses paroles, d’avoir choisi  » la meilleure part qui ne lui sera pas enlevée « , car  » une seule chose est utile « . Ce n’est pas que le Seigneur ait blâmé Marthe, si préoccupée de le servir, mais  » s’inquiète et s’agite pour beaucoup de choses « . L’Église applique à la vie contemplative, en tant que distincte de (nous ne disons pas : opposée à) la vie active, cette approbation donnée à Marie de Béthanie par Jésus. L’Église applique aussi cette approbation à Marie, mère du Seigneur, considérée comme le modèle de toute vie contemplative, car nous lisons dans d’autres endroits de l’évangile selon Luc :  » Marie … conservait avec soin, tous ces souvenirs et les méditait en son cœur… Et sa mère gardait fidèlement tous ces souvenirs en son cœur  » (Lc 2, 19, 51). N’oublions pas d’ailleurs que la Vierge Marie s’était auparavant consacrée, comme Marthe, et plus que Marthe, au service pratique de Jésus, puisqu’elle avait nourri et élevé le Sauveur. Dans la deuxième partie de l’évangile de ce jour, nous lisons qu’une femme  » éleva la voix  » et dit à Jésus :  » Heureuses les entrailles qui t’ont porté et les mamelles que tu as allaitées « . Jésus répondit :  » Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et la gardent « . Cette phrase ne doit pas être interprétée comme une répudiation de la louange de Marie par la femme ou comme une sous-estimation de la sainteté de Marie. Mais elle met exactement les choses au point ; elle montre en quoi consiste le mérite de Marie. Que Marie ait été la mère du Christ, c’est là un don gratuit, c’est un privilège qu’elle a accepté, mais à l’origine duquel sa volonté personnelle n’a pas eu de part. Au contraire, c’est par son propre effort qu’elle a entendu et gardé la parole de Dieu. En cela consiste la vraie grandeur de Marie. Oui, bienheureuse est Marie, mais non principalement parce qu’elle a porté et allaité Jésus ; elle est surtout bienheureuse parce qu’elle a été, à un degré unique, obéissante et fidèle. Marie est la mère du Seigneur ; elle est la protectrice des hommes : mais, d’abord et avant tout cela, elle est celle qui a écouté et gardé la Parole. Ici est le fondement  » évangélique  » de notre piété envers Marie. Un court verset, chanté après l’épître, exprime bien ces choses :  » Alléluia ! Écoute, ô ma fille et vois, et incline ton oreille  » (Ps 45, 10).
L’épître de ce jour (Ph 2, 4-11) ne mentionne pas Marie. Paul y parle de l’Incarnation : Jésus qui,  » de condition divine… s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave et devenant semblable aux hommes… « . Mais il est évident que ce texte a les rapports les plus étroits avec Marie et a été aujourd’hui choisi à cause d’elle. Car c’est par Marie qu’est devenue possible cette descente du Christ en notre chair. Nous revenons donc en quelque sorte à l’exclamation de la femme :  » Heureuses les entrailles qui t’ont porté… « . Et par suite l’évangile que nous avons lu est comme une réponse et un complément à l’épître :  » Heureux… ceux qui écoutent la parole… « .
Un des tropaires de ce jour établit un lien entre la conception du Christ-lumière, si chère à la piété byzantine, et la bienheureuse Vierge Marie :  » Ta naissance, ô vierge mère de Dieu, a annoncé la joie au monde entier, car de toi est sorti, rayonnant, le soleil de justice, Christ, notre Dieu « .
La fête de la nativité de Marie est en quelque sorte prolongée le lendemain (9 septembre) par la fête de Saint Joachim et Sainte Anne dont une tradition incertaine a fait les parents de la Vierge [46].

NOTES
[42] Nous ignorons absolument la date historique de la naissance de Marie. La fête du 8 septembre semble avoir pris naissance au VIe siècle en Syrie ou en Palestine. Rome l’adopta au VIIe siècle. Elle s’était déjà introduite à Constantinople ; nous avons au sujet de la Nativité une hymne de Romanos le mélode et plusieurs sermons de Saint André de Crète. Les Coptes d’Égypte et d’Abyssinie célèbrent la Nativité de Marie le 1er mai.
[43] On sait que l’Église orthodoxes, comme l’Église romaine, rejette l’hypothèse selon laquelle Marie, après la naissance de Jésus, aurait eu de Joseph plusieurs enfants. Cette théorie, soutenue au IVe siècle par Helvidius, fut combattue par Saint Ambroise, Saint Jérôme et Saint Augustin.
[44] Ce rapprochement est tout à fait indépendant des doctrines  » sophiologiques  » qu’ont soutenues certains philosophes et théologiens russes (Soloviev, Boulgakov, etc,).
[45] Nous n’ignorons pas que certains critiques modernes attribuent le Magnificat à Élisabeth, non à Marie. Cette attribution ne nous semble aucunement prouvée. Que les paroles du Magnificat aient été littéralement prononcées par Marie est une autre question : il suffit que ce cantique exprime d’une manière fidèle les sentiments de Marie.
[46] Les évangélistes canoniques ne disent rien du père et de la mère de Marie. Les légendes relatives à Joachim et Anne ont leur origine dans les évangiles apocryphes, notamment l’évangile dit de Jacques, que l’Église a rejetés et qui sont à bon droit suspects. Il n’est pas cependant exclu que certains détails authentiques, non mentionnés par les évangiles canoniques, aient trouvé place dans les apocryphes. La légende selon laquelle Anne aurait enfanté Marie à un âge avancé semble avoir été influencée par le récit biblique sur Anne, mère de Samuel. Rien n’indique qu’il faille identifier la mère de Marie avec Anne qui prophétisa dans le Temple au sujet de Jésus (Lc 2, 36-38), Mais il est certain que la mémoire des parents de Marie, sous le nom de Joachim et d’Anne, était honorée à Jérusalem dès le IVe siècle. Quoiqu’il en soit historiquement de ces noms et des détails biographiques, l’honneur rendu au père et à la mère de la très sainte Vierge est assurément légitime.

Extrait du livre L’An de grâce du Seigneur,
signé « Un moine de l’Église d’Orient »,
Éditions AN-NOUR (Liban) ;
Éditions du Cerf, 1988.

20 août, 2012

http://www.zenit.org/article-31605?l=french

ORTHODOXES RUSSES ET CATHOLIQUES POLONAIS ENSEMBLE POUR LA RÉCONCILIATION

Signature historique d’un message commun

Mariusz Frukacz
Traduction d’Anne Kurian
ROME, vendredi 17 août 2012 (ZENIT.org) – L’Eglise orthodoxe de Russie et l’Eglise catholique de Polonaise ont signé ce jour, 17 août 2012, un message commun pour la réconciliation des deux nations.
Cet évènement sans précédent prend place à l’occasion de la visite historique du patriarche orthodoxe de Moscou et de toute la Russie, Kirill Ier, en Pologne, du 16 au 19 août 2012 (cf. Zenit du mercredi 18 juillet 2012).
Le patriarche et Mgr Józef Michalik, président de la Conférence épiscopale polonaise ont signé le message adressé aux peuples polonais et russe, aujourd’hui, à Varsovie.
Ce message ouvre une nouvelle phase dans les rapports entre l’Eglise catholique en Pologne et l’Eglise orthodoxe en Russie. Il s’agit d’un plaidoyer pour le dialogue réciproque, qui pourrait être la base d’un processus de pardon et de réconciliation des deux nations.
Le document pose également la nécessité d’un témoignage commun des deux Eglises face aux nouveaux défis de la sécularisation actuelle.
« Dans notre histoire il y a eu des moments difficiles, et il ne sera pas facile de pardonner tout de suite mais le document crée de nouveaux fondements pour une nouvelle relation », a déclaré Mgr Józef Michalik sur la chaîne de télévision polonaise TVP Info.
« Si Dieu le veut, nous parviendrons à voir le moment où un polonais pourra appeler un russe « frère » et vice-versa », a poursuivi l’archevêque, qui a précisé que « ce document est strictement religieux, il est expression de la foi et il est donc un acte pastoral, non pas un acte politique ».
Le patriarche Kirill Ier, interrogé par une radio polonaise, a confirmé que « l’Eglise orthodoxe russe et l’Eglise catholique en Pologne sont prêtes à pardonner les péchés du passé et à demander à leurs fidèles d’écrire de nouvelles pages de l’histoire ».
A son arrivée en Pologne, le patriarche Kirill Ier a d’abord rencontré les représentants de la Conférence épiscopale polonaise, échangeant avec eux sur les perspectives de dialogue entre les deux Eglises, à Varsovie, le 16 août 2012.
« Quelle joie de pouvoir aujourd’hui prier ensemble Jésus-Christ », s’est réjoui Mgr Jozef Michalik, lors de cette rencontre.
En effet, a-t-il ajouté, « si aujourd’hui l’Eglise orthodoxe russe et l’Eglise catholique polonaise, veulent adresser un message pastoral aux fidèles des deux Eglises et à toutes les personnes de bonne volonté, ce moment devient un grand témoignage de foi ».
Pour l’archevêque, le message n’est donc « pas seulement un geste, mais une préoccupation commune pour le monde dans lequel nous vivons ».
Durant la rencontre, le patriarche orthodoxe a offert l’icône de la Vierge de Smolensk, écrite, selon la légende, par saint Luc évangéliste. L’Eglise catholique polonaise lui a offert une copie de l’icône de Notre Dame de Czestochowa, destinée à l’église orthodoxe en construction à Katyn, lieu de massacre de milliers de polonais sous le régime stalinien, en 1941.
Etaient présents notamment le cardinal Kazimierz Nycz, le cardinal Stanislaw Dziwisz, le cardinal Józef Glemp, Mgr Jozef Kowalczyk, primat de Pologne, Mgr Stanislaw Gadecki et Mgr Wojciech Polak, secrétaire général de la Conférence épiscopale.
Le P. Igor Kowalewski, secrétaire général de la Conférence épiscopale de la Fédération russe représentait l’Eglise catholique de Russie.
Du côté de l’Eglise orthodoxe, Mgr Sawa, métropolite de Varsovie et de toute l’Eglise orthodoxe en Pologne, Mgr Geremia, évêque de Wroclaw – Szczecin et Mgr Jerzy Pankowski évêque de l’Ordinariat militaire de l’Eglise orthodoxe, ont participé à la rencontre.
Le patriarche se rendra également à Bialystok, Suprasl, Hajnówka et au monastère du Mont Grabarka.

Éloges funèbres de la Mère de Dieu, Église de Jerusalem, rite grec-orthodoxe

13 août, 2012

http://www.mariedenazareth.com/14360.0.html?&L=0

Éloges funèbres de la Mère de Dieu, Église de Jerusalem, rite grec-orthodoxe

L’ordre grec du Saint Sépulcre veille sans arrêt sur le sépulcre de la Vierge à Gethsémani et célèbre avec grande pitié la mémoire de la Dormition de Notre Dame la Très sainte et Toute bénie Mère de Dieu et Toujours vierge Marie.

Voici un extrait de leur liturgie :

Deuxième stance, t. 5

Il est vraiment digne et juste, o Mère de Dieu, de te glorifier toi qui es le grand trésor de toutes les vertus et de toutes les grâces dont te comble notre Dieu.
Comme le buisson brûlait sans se consumer sur le Sinaï, Moïse le visionnaire t’a contemplée (cf. Ex 3, 3) ; en effet le feu divin a pris place en ton sein ,o Vierge, sans le consumer.
A tous ceux qui veulent moissonner les gerbes du salut divin, la terre vénérée à Gethsémani s’est toujours montrée terre féconde, o Virginale Mère.
Il est clair, o Vierge, il est pour nous évident que personne n’est capable, sans ta médiation, de marcher droit et de suivre comme on le doit les pas et les traces de ton Fils notre Dieu.
Les apôtres réunis en chœur et l’armée des anges ont formé ici un cercle pour te célébrer, virginale Mère, et nous nous trouvons là aussi.
Vivifie, o Vierge Toute immaculée, les fidèles qui près de toi se réfugient, en faisant usage de ton pouvoir de médiation auprès de ton Fils, le divin Maître Tout-Puissant.
Tu as obtenu sur la nature la victoire qui manquait au genre humain, étant donné que sans semence tu as conçu le Christ; mais tu meurs, en obéissant à la loi de la nature.
O merveille vraiment prodigieuse : une vierge pure allaite un enfant, et parmi les morts la Mère de la vie languit dans une tombe, préservée de la corruption.
Vierge mère, guide-nous vers le port serein et le refuge du salut, nous que submerge la marée déchaînée de crimes terribles qui menacent notre âme.
Ton sépulcre, o Vierge Toute immaculée, est pour nous l’escalier qui amène vers Dieu les fidèles qui chantent, pleins de foi, et qui glorifient ta Dormition. [...]
Virginale Epouse de l’unique Dieu, tu es la porte apparue sur la terre pour introduire l’Orient venu d’en haut en faveur des fidèles.
Les orateurs les plus adroits et les anges ne sont pas dignement capables, virginale Mère, de te célébrer toi qui es la Souveraine honorée plus que tous.
Ton corps et ton âme, tu les as conservés dans une condition cristalline irrépréhensible, o Vierge glorieuse et toute immaculée, et le Maître a été séduit par ta beauté.
Toi, le livre nouveau, le rouleau nouveau dans lequel le Verbe fut écrit par le Père, intercède pour que soient inscrits dans le livre de la vie ceux qui te chantent, o Vierge immaculée. [...]

Église de Jérusalem, patriarcat orthodoxe de Jérusalem, Éloges funèbres de la Mère de Dieu.
Le texte n’est pas dans les livres liturgiques grecs, mais il circule à Jérusalem sur des feuilles et des fascicules pour suivre le rite.
Cité dans : : G. Gharib e E. Toniolo (ed) Testi mariani del secondo Millennio. 1. Autori orientali, Città nuova Roma 2008, p. 738-739

27 JUILLET: SAINT PANTALÉON

26 juillet, 2012

http://www.levangileauquotidien.org/main.php?language=FR&module=saintfeast&localdate=20120727&id=5617&fd=0

27 JUILLET: SAINT PANTALÉON

Médecin, martyr
(† c. 303)

Saint Pantaléon vivait à Nicomédie. Son père était païen et sa mère chrétienne ; celle-ci mourut malheureusement bien trop tôt pour son enfant. Pantaléon, élevé dans la religion de Jésus-Christ, quoique non encore baptisé, subit l’influence de son père et finit par oublier les principes que sa mère lui avait inculqués dans son enfance.
Il s’attacha à l’étude de la médecine et y devint si célèbre, que l’empereur Maximien-Galère le choisit pour son médecin et voulut l’avoir à sa cour. Un prêtre chrétien, nommé Hermolaüs, résolut de ramener à la foi chrétienne un homme qui avait de si brillantes qualités ; il s’introduisit dans sa confiance et en vint à lui rappeler les vérités de la religion :
« À quoi, lui dit-il, vous serviront vos connaissances, si vous ignorez la science du salut ? »
Hermolaüs, voyant que ses paroles faisaient impression sur Pantaléon, le pressa davantage, et celui-ci lui déclara qu’il y penserait sérieusement. Ces heureuses dispositions s’affermirent par un miracle qu’il opéra en invoquant le nom de Jésus-Christ. Un jour qu’il se promenait dans la campagne, il rencontra un enfant mort, et, tout près de lui une vipère. Il ne douta point que l’enfant n’eût été la victime de ce reptile venimeux. Inspiré par la grâce, il s’adressa, plein de confiance, à Jésus-Christ, et dit : « Enfant, lève-toi, au nom de Jésus-Christ ! » Puis, se tournant vers la vipère : « Et toi, méchante bête, reçois le mal que tu as fait. » À l’instant l’enfant se relève vivant, et la vipère demeure inerte sur le sol. Pantaléon n’hésita plus à se faire baptiser.
Le salut de son père fut sa première pensée, et il employa tout pour y réussir, la raison, le sentiment, la piété filiale et surtout la prière ; il acheva sa conquête par un miracle. Un jour, un aveugle vint le trouver et lui dit : « J’ai depuis longtemps employé sans effet tous les remèdes ; on m’a dit que vous êtes très habile médecin ; pourriez-vous me secourir ? – Je vous guérirai, dit le médecin, si vous vous engagez à devenir chrétien. » L’aveugle promit avec joie et fut aussitôt guéri par l’invocation de Jésus-Christ. Son père, témoin de ce miracle, reçut le baptême avec l’aveugle guéri.
Pantaléon devint de plus en plus un apôtre de la foi; à la mort de son père il vendit tous ses biens, les employa en bonnes œuvres et ne se réserva que le produit de l’exercice de sa profession. Des médecins jaloux le dénoncèrent comme chrétien à l’empereur. Pantaléon fut condamné à divers supplices et fut enfin décapité.

Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’année, Tours, Mame, 1950.

19 JUILLET: SAINTE MACRINE – par saint Grégoire de Nysse

18 juillet, 2012

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19 JUILLET: SAINTE MACRINE

par saint Grégoire de Nysse

Sainte Macrine naquit vers 327, l’aînée de dix enfants d’une vieille famille chrétienne de Cappadoce dont la foi fut mise à l’épreuve pendant la grande persécution de Dioclétien (284-305) – un de ses aïeux maternels avait gagné la palme du martyre – et également sous Maximin (306-310, dont la persécution obligea ses grands-parents maternels de se réfugier dans les montagnes du Pont pendant sept ans. Sa grand-mère paternelle fut sainte Macrine l’Ancienne, disciple de saint Grégoire le Thaumaturge, évêque de Néo-Césarée dans le Pont, élève d’Origène à Césarée de Palestine. Ses parents, Basile l’Ancien et Émélie, bien que non mentionnées dans les synaxaires byzantins, sont célébrés en Occident le 30 mai. Parmi les frères de Macrine figurent quatre saints de l’Église : Basile le Grand et Grégoire de Nysse (deux des trois grands théologiens cappadociens) ; ainsi que Pierre, évêque de Sébaste (Synaxaire, 9 janvier), et saint Naucrace (8 juin). Moins connue que ses illustres frères, sainte Macrine est néanmoins considérée le « véritable chef spirituel de la famille » (Synaxaire, 1er janvier) : c’est elle qui, après le décès du père, convainquit sa mère de renoncer à la jouissance de la fortune familiale, de libérer leurs esclaves et servantes, et de transformer la maison familiale en monastère. Macrine dirigeait le monastère des femmes et son frère Pierre, celui des hommes.
En 379, après le décès de la mère, de Naucrace et de Basile (fin 378), et après de longues années de persécution et de division à l’intérieur de l’Église dues à l’hérésie arienne, Grégoire de Nysse, de retour d’un synode à Antioche, rend visite à sa sœur, malade et mourante. Après son décès, Grégoire écrit la Vie de sainte Macrine, qui passe en revue l’histoire de la famille et le rôle de Macrine ; il y décrit en particulier ses entretiens avec Macrine, son dernier jour et son ensevelissement. Les extraits de la Vie de sainte Macrine qui suivent portent sur la fondation du monastère, la vie de la communauté et les entretiens de Grégoire et Macrine.
Transformation de la maison familiale en monastère
7. Comme tout prétexte de vie trop matérielle leur avait déjà été enlevé, Macrine persuade sa mère de renoncer à son mode de vie accoutumé et à ses manières de grande dame, ainsi qu’aux services qu’elle avait jusqu’alors l’habitude de recevoir de ses servantes, pour prendre les sentiments du commun et partager le mode de vie des vierges qu’elle avait auprès d’elle, après en avoir fait, d’esclaves et de servantes qu’elles étaient, des sœurs et des égales. […]
11. Quand donc la mère eut été libérée du souci de l’éducation de ses enfants, ainsi que de la charge de leur instruction et de leur établissement, et qu’on eut procédé au partage entre les enfants de la plus grande part des ressources pour la vie matérielle, alors, comme on l’a déjà dit, la vie de cette vierge [Macrine] devient pour sa mère un guide vers ce genre de vie philosophique et immatériel [c’est-à-dire la vie spirituelle ou évangélique]. Elle, qui avait renoncé à toutes ses habitudes, amena sa mère à son propre degré d’humilité, l’ayant disposée à se mettre au même niveau que le groupe des vierges pour partager avec elles, comme une égale, même table, même couche et mêmes moyens d’existence, toute différence de rang étant supprimée de leur vie. Et telle était l’ordonnance de leur vie, telle l’élévation de leur philosophie et la noblesse de leur mode de vie, dans leur conduite de jour comme de nuit, qu’elles dépassent toute description. De même que les âmes délivrées de leur corps par la mort sont du même coup affranchies des préoccupations de cette vie, de même leur existence se tenait-elle à l’écart de celles-ci, loin de toute vanité mondaine, cependant qu’elle était réglée de manière à imiter le mode de vie angélique.
On ne voyait chez ces personnes ni colère, ni envie, ni haine, ni arrogance, ni rien de semblable ; tout désir de vanités – d’honneur ou de gloire, d’ambition ou d’orgueil et de tout ce qui leur ressemble – était banni. Leur plaisir, c’était la continence ; leur gloire, de n’être connues de personne ; leur fortune, de ne rien posséder, d’avoir secoué de leur corps, comme poussière, toute richesse matérielle. Leur travail, ce n’était aucune de ces tâches dont on se préoccupe dans cette vie, sinon accessoirement, mais seulement la méditation des réalités divines, la prière incessante, le chant ininterrompu des hymnes réparti également pendant tout le temps, de jour comme de nuit, si bien que ces occupations étaient à la fois leur travail et leur repos après le travail. Quelles paroles humaines pourraient mettre sous les yeux le tableau de ce mode de vie, chez ceux pour qui l’existence se trouvait aux confins de la nature humaine et de la nature incorporelle ? […]
Après de longues années de séparation, Grégoire rend visite à sa sœur malade
17. Lorsqu’elle [Macrine] me vit près de la porte, elle se souleva sur un coude, incapable d’accourir vers moi, car la fièvre avait déjà consumé ses forces. Cependant, prenant appui de ses mains sur le sol et se soulevant de son grabat autant qu’elle le pouvait, elle s’efforçait de me faire l’honneur de venir à ma rencontre. Pour moi, j’accourus auprès d’elle et, prenant dans mes mains son visage incliné à terre, je la redressai et lui fis reprendre la position allongée qu’elle avait auparavant. Et celle-ci de tendre la main vers Dieu et de dire :  » Tu m’as encore enrichie de cette grâce, ô Dieu, et tu ne m’as pas privée de ce que je désirais, puisque tu as poussé ton serviteur à faire une visite à ta servante.  » Et pour ne pas m’affliger davantage, elle essayait d’adoucir ses gémissements, elle s’efforçait comme elle le pouvait de cacher l’oppression de sa respiration, elle cherchait par tous les moyens à créer un climat plus joyeux, commençant à tenir elle-même de plaisants propos et nous en fournissant l’occasion par les questions qu’elle nous posait. Mais dans la suite de notre entretien fut évoqué le souvenir du grand Basile ; mon âme alors perdit courage et, dans ma tristesse, j’inclinai à terre mon visage, cependant que les larmes jaillissaient de mes yeux. Mais elle, loin de se laisser aller à partager notre douleur, fit de cette mention du saint le point de départ d’une plus haute philosophie, et elle se mit à développer de si grands sujets – dissertant sur la nature humaine, découvrant la divine providence cachée dans les épreuves et exposant ce qui a trait à la vie future comme si elle était inspirée par le Saint-Esprit – que mon âme se croyait dégagée, ou presque, de la nature humaine, soulevée qu’elle était par ses paroles et prenant place, sous la conduite de son discours, à l’intérieur des sanctuaires célestes.
18. Nous entendons raconter, dans l’histoire de Job que cet homme consumé en tout son corps par les abcès purulents des plaies qui le couvraient de toutes parts, ne permettait pas à sa sensibilité, grâce à ses réflexions, de tomber dans la douleur, mais, tout en souffrant dans son corps, il ne laissait pas faiblir son activité propre, ni n’interrompait son discours, qui touchait aux sujets les plus élevés. Je voyais un même comportement chez cette grande Macrine. La fièvre consumait toute sa force et l’entraînait vers la mort, mais elle, rafraîchissant son corps comme par une rosée, gardait, à l’exemple de Job, son esprit libre dans la contemplation des réalités d’en-haut, sans le laisser affecté par une telle faiblesse. Et si je ne craignais d’étendre mon récit à l’infini, je rapporterais en bon ordre toutes ses paroles, et comment elle s’était élevée par ses discours jusqu’à philosopher pour nous sur l’âme, jusqu’à nous exposer la cause de notre vie dans la chair, pourquoi l’homme existe, comment il se fait qu’il soit mortel et d’où vient la mort, quelle est enfin la libération qui nous fait passer de celle-ci à une vie nouvelle. Sur tous ces sujets, elle parlait comme si l’inspirait la puissance du Saint-Esprit, en exposant tous les points avec clarté et logique, mais aussi en toute facilité de parole, son discours s’écoulant comme l’eau d’une source lorsqu’elle ruisselle sans obstacle sur un terrain en pente [voir saint Grégoire de Nysse, Sur l’âme et la résurrection (Cerf, 1995), qui prend la forme d’un dialogue entre Grégoire et Macrine.]
Le repos de Grégoire
19. Lorsqu’elle eut achevé de parler :  » Il est temps pour toi, frère, dit-elle, de prendre un peu de repos, car le voyage doit t’avoir beaucoup fatigué.  » Pour moi, c’était une grande et véritable détente que de la voir et d’écouter ses nobles paroles, mais puisque ce lui était agréable, et pour montrer en toutes choses mon obéissance à celle dont je recevais l’enseignement, trouvant dans un des jardinets proches un lieu de repos agréable que l’on m’avait préparé, je pris un peu de repos à l’ombre des treilles. Mais il ne m’était pas possible d’en goûter l’agrément, car mon âme était bouleversée par la perspective de tristes événements. Ce que j’avais vu semblait en effet me révéler le sens de la vision de mon rêve : le spectacle que j’avais eu sous les yeux offrait bien en vérité les restes d’un saint martyr, restes  » morts au péché  » et resplendissants  » de la grâce de l’Esprit-Saint présente en eux « . J’expliquai cela à l’un de ceux qui m’avaient entendu auparavant raconter mon rêve. Mais alors que nous nous tenions, plus affligés encore – c’était bien naturel –, dans l’attente de tristes événements, elle devina, je ne sais comment, notre état d’esprit, et nous fit annoncer des nouvelles plus réconfortantes, nous encourageant à reprendre confiance et à concevoir à son endroit de meilleures espérances : elle avait en effet le sentiment d’une amélioration. Ce n’est pas pour nous abuser qu’elle nous faisait dire cela, et son affirmation était véridique, même si sur le moment nous n’en comprîmes pas le sens. De même en effet qu’un coureur, lorsqu’il a dépassé son adversaire et qu’il arrive près de la borne du stade, lorsqu’il est tout proche du prix de la course et voit la couronne du vainqueur, se réjouit en lui-même, comme s’il avait déjà obtenu le prix, et annonce sa victoire à ceux des spectateurs qui lui sont favorables, de même celle-ci, animée de pareils sentiments, nous donnait-elle à espérer à son sujet un sort plus favorable, elle qui déjà dirigeait son regard vers  » le prix de l’élection d’en haut  » et s’appliquait en quelque sorte la parole de l’Apôtre :  » Voici qu’est préparée pour moi la couronne de justice, que me donnera en retour le juste juge « , puisque  » j’ai combattu le bon combat, j’ai achevé la course, j’ai gardé la foi « . Pour nous donc, rassurés par ces bonnes nouvelles, nous commençâmes à goûter ce que l’on nous avait préparé : le menu en était varié et plein d’agrément, la grande Macrine ayant étendu jusque-là sa sollicitude.
Nouvelle rencontre
20. Lorsque nous fûmes à nouveau en sa présence – car elle ne nous laissa pas passer notre temps livré à nous-même –, elle entreprit de raconter ce qu’avait été sa vie depuis sa jeunesse, en exposant dans l’ordre tous les faits, comme dans un récit historique. Elle racontait aussi les événements de la vie de nos parents dont elle avait souvenance, tant ceux d’avant ma naissance que ceux des années qui suivirent. Le but de son récit, c’était l’action de grâces envers Dieu : c’est ainsi que, touchant la vie de nos parents, elle mettait en relief, non pas tant qu’elle ait été illustre et célèbre aux yeux de leurs contemporains de par leur richesse, mais plutôt qu’elle ait été mise à l’honneur grâce à la philanthropie divine. Les parents de notre père avaient été dépouillés de leurs biens pour avoir confessé le Christ ; l’aïeul du côté maternel avait été mis à mort pour avoir provoqué la colère de l’empereur, et toutes ses propriétés avaient été distribuées à d’autres maîtres. Malgré cela, les ressources de la famille avaient, grâce à leur foi, augmenté de telle manière que l’on ne pouvait citer personne, à cette époque, qui les dépassât. Par la suite, lorsque leur fortune fut partagée en neuf, selon le nombre des enfants, la part de chacun s’était, de par la bénédiction divine, à ce point accrue que la richesse de chacun des enfants surpassa la prospérité des parents. Macrine cependant ne garda à sa disposition aucun des biens qui lui avaient été attribués lors du partage entre frères et sœurs, mais, conformément au commandement divin, tout fut administré par les mains du prêtre. Par la grâce de Dieu, sa vie fut telle que jamais elle ne cessa d’exercer ses mains à la pratique des commandements, jamais elle ne compta sur un homme, jamais les ressources pour une vie honorable ne lui vinrent de quelque service ou don des hommes. Mais, tout en ne renvoyant pas les quémandeurs, elle ne se mit pas en quête de bienfaiteurs, car Dieu, par ses bénédictions, faisait croître secrètement, comme des semences, les maigres ressources qui lui venaient de ses travaux et les transformait en fruits abondants.
Macrine reprend son frère
21, Pour ma part, je lui racontai les difficultés dans lesquelles je m’étais trouvé, d’abord lorsque l’empereur Valens me fit exiler à cause de la foi, ensuite lorsque la confusion qui régnait dans les Églises m’entraîna dans des controverses et des luttes.  » Ne cesseras-tu pas, me dit-elle alors, de méconnaître les dons de Dieu ? Ne porteras-tu pas remède à l’ingratitude de ton âme ? Ne compareras-tu pas ton sort à celui de tes parents, bien qu’en vérité, aux yeux de ce monde, nous puissions tirer fierté d’apparaître comme bien nés et issus de bonne famille. Notre père, dit-elle, jouissait en son temps d’une grande considération pour sa culture, mais sa réputation ne s’étendait qu’aux tribunaux de la région ; par la suite, bien qu’il l’emportât sur les autres par sa maîtrise de la sophistique, sa renommée ne franchit pas les limites du Pont, mais il lui suffisait d’être connu dans sa patrie. Et toi, dit-elle, qui es célèbre par les villes, les peuples, les provinces, toi que des Églises délèguent et que d’autres appellent pour apporter de l’aide ou remettre de l’ordre, ne vois-tu pas la grâce qui t’est faite ? Ne comprends-tu pas d’où te viennent de si grands biens, et que ce sont les prières de tes parents qui te font accéder à cette élévation, alors que de toi-même tu n’as pas de dispositions pour cela, ou si peu ? « 
Dispositions de Macrine à son dernier jour
22. Pour moi, pendant qu’elle exposait cela, j’aurais voulu que s’allonge le jour, pour qu’elle ne cesse de nous faire entendre ces douces paroles. Mais le chant du chœur appelait à l’office du soir, et la grande Macrine, après m’avoir envoyé à l’église, se réfugiait à nouveau auprès de Dieu par la prière. La nuit survint sur ces entrefaites. Lorsque vint le jour, il m’apparut clairement, à la voir, que cette journée qui commençait serait la dernière de sa vie dans la chair, car la fièvre avait totalement consumé ses forces naturelles. Celle-ci, voyant la faiblesse de nos pensées, s’efforçait de nous distraire de cette désolante perspective, en dissipant à nouveau par ces belles paroles le chagrin de notre âme, mais maintenant avec un souffle court et oppressé. C’est alors surtout que ce que je voyais affectait mon âme de sentiments très partagés : d’une part la nature en moi était accablée de tristesse, comme on peut le comprendre, car je prévoyais que je n’entendrais plus désormais une telle voix, et je m’attendais à ce que la gloire commune de notre famille quitte bientôt la vie humaine ; mais d’autre part mon âme, comme transportée d’enthousiasme à ce spectacle, estimait qu’elle avait transcendé la nature commune. Ne ressentir, en ses derniers instants, aucun sentiment d’étrangeté à la perspective de la mort et ne pas craindre de quitter cette vie, mais méditer jusqu’à son dernier souffle, avec une sublime intelligence, sur ce qui dès le début avait fait l’objet de son choix touchant la vie d’ici-bas, cela me paraissait ne plus faire partie des réalités humaines. C’était plutôt comme si un ange avait pris providentiellement une forme humaine, un ange sans aucune attache avec la vie dans la chair, aucune affinité avec elle, dont il n’était pas surprenant que la pensée demeurât dans l’impassibilité, puisque la chair ne l’entraînait pas vers ses passions propres. Aussi elle me semblait manifester avec évidence, aux yeux de tous ceux qui étaient alors présents, ce divin et pur amour de l’époux invisible qu’elle nourrissait secrètement au plus intime de son âme et publier le désir qui animait son cœur de se hâter vers son bien-aimé, pour être au plus tôt avec lui, une fois libérée des liens de son corps. En vérité, c’est vers son amant que se dirigeait sa course, sans qu’aucun des plaisirs de la vie ne détourne à son profit son attention.
La dernière prière de Macrine
23. Du jour déjà s’était écoulée la plus grande part, et le soleil s’inclinait vers le couchant. Sa ferveur pourtant ne fléchissait pas, mais plus elle approchait du départ, plus violente était sa hâte d’aller vers son bien-aimé, comme si elle contemplait davantage la beauté de l’époux. Elle ne s’adressait plus à nous qui étions présents, mais à celui-là seul vers lequel elle tenait les yeux incessamment fixés. On avait en effet tourné sa couche vers l’Orient, et elle avait cessé de nous parler pour ne plus converser qu’avec Dieu dans la prière ; elle tendait vers lui ses mains suppliantes et murmurait d’une voix faible, en sorte que nous pouvions à peine entendre ses paroles. Je cite ici sa prière, pour que l’on ne puisse pas même douter qu’elle se trouvait auprès de Dieu et était entendue de lui. Elle disait :
24.  » C’est toi, Seigneur, qui as abrogé pour nous la crainte de la mort. C’est toi qui as fait pour nous, du terme de la vie d’ici-bas, le commencement de la vie véritable.
C’est toi qui pour un temps laisses se reposer nos corps par une dormition, et qui les réveilles à nouveau ‘au son de la dernière trompette’.
C’est toi qui à la terre donnes en dépôt notre terre, celle que tu as façonnée de tes mains, et qui fais revivre à nouveau ce que tu lui as donné, en transformant par l’immortalité et la beauté ce qui en nous est mortel et difforme.
C’est toi qui nous as arrachés à la malédiction et au péché, en devenant pour nous l’un et l’autre.
C’est toi qui as brisé les têtes du dragon, lui qui avait saisi l’homme dans sa gueule en l’entraînant au travers du gouffre de la désobéissance.
C’est toi qui nous as ouvert la route de la résurrection, après avoir brisé les portes de l’enfer, et, ‘réduit à l’impuissance celui qui régnait sur la mort’.
‘C’est toi qui à ceux qui te craignent as donné pour emblème’ le signe de la sainte Croix, pour anéantir l’Adversaire et donner la sécurité à nos vies.
Dieu éternel, ‘vers qui je me suis élancée dès le sein de ma mère’, ‘toi que mon âme a aimé’ de toute sa force, à qui j’ai consacré ma chair et mon âme depuis ma jeunesse et jusqu’en cet instant, mets auprès de moi un ange lumineux qui me conduise par la main au lieu du rafraîchissement, là où se trouve ‘l’eau du repos’, dans le sein des saints patriarches.
Toi qui as brisé la flamme de l’épée de feu et rendu au paradis l’homme crucifié avec toi et qui s’était confié à ta miséricorde, de moi aussi ‘souviens-toi dans ton royaume’ car moi aussi j’ai été crucifiée avec toi, moi ‘qui ai cloué ma chair par ta crainte et qui ai craint tes jugements’.
Que l’abîme effrayant ne me sépare pas de tes élus.
Que le Jaloux ne se dresse pas contre moi sur mon chemin, et que mon péché ne soit pas découvert devant tes yeux si, pour avoir été trompée par la faiblesse de notre nature, ai péché en parole, en acte ou en pensée.

Toi qui as sur la terre le pouvoir de remettre les péchés, ‘fais m’en remise, afin que je reprenne haleine’, et ‘qu’une fois dépouillée de mon corps’, je sois trouvée devant ta face ‘sans tache et sans ride’ dans la figure de mon âme, mais que mon âme entre tes mains soit accueillie, irréprochable et immaculée, ‘comme un encens devant ta face’. « 

Sainte Grégoire de Nysse, Vie de sainte Macrine,
Cerf, 1995. Le texte complet est disponible
au site www.jesusmarie.com.

Tropaire de sainte Macrine (ton 8)
L’amour de la sagesse ayant donné des ailes à ton esprit, sagement tu t’élevas au-dessus des mondaines voluptés et tu fus la charmante demeure du savoir divin ; toi qui, par l’ascèse et la perfection des vertus, devins une illustre épouse du Sauveur, prie-le pour qui te chante : Réjouis-toi, Macrine, sainte porteuse du Seigneur notre Dieu.
Kondakion de sainte Macrine (ton 4)
Tu as aimé de tout ton cœur, vénérable Macrine, le Dieu de bonté et, prenant sur tes épaules sa croix, avec amour tu l’as suivi pour trouver la rémission des péchés.

Saints Apôtres Pierre et Paul – Méditation du Père Lev Gillet

27 juin, 2012

http://orthodoxie.pagesperso-orange.fr/textes/feteStPierreStPaul.html

Saints Apôtres Pierre et Paul

RÉJOUIS-TOI, Ô PIERRE L’APÔTRE,
TOI LE GRAND AMI DU MAÎTRE, LE CHRIST NOTRE DIEU.
RÉJOUIS-TOI BIEN AIMÉ PAUL,
PRÉDICATEUR DE LA FOI ET DOCTEUR DE L’UNIVERS.
INTERCEDEZ TOUS DEUX AUPRÈS DU CHRIST NOTRE DIEU.
POUR LE SALUT DE NOS ÂMES

Méditation du Père Lev Gillet

Il existe un lien spirituel étroit entre cette fête et celle de la Pentecôte, car le témoignage des apôtres est le fruit direct de la descente du Saint-Esprit sur eux. L’importance de la fête de Saint Pierre et Saint Paul dans le cycle liturgique byzantin est indiquée par le fait qu’un carême spécial – dit «carême des apôtres» – prépare les fidèles à cette solennité. Cette période de jeûne, en pratique un jeûne assez adouci, commence le lundi qui suit le premier dimanche après la Pentecôte et prend fin avec la journée du 28 juin.
«Exaltons Pierre et Paul, ces deux grandes lumières de l’Eglise car ils brillent dans le firmament de la foi…». Ainsi chantons-nous aux vêpres de la fête, le soir du 28 juin. Aux matines comme aux vêpres, les hymnes semblent partager également la louange entre les deux apôtres, auxquels on s’adresse tour-à-tour. Toutefois l’évangile lu à matines concerne spécialement l’apôtre Pierre. Nous y entendons (Jean 21:14-25) Notre-Seigneur demander trois fois à Pierre : «m’aimes-tu ? ». La première fois, Jésus dit : «m’aimes-tu plus que ceux-ci ?». Trois fois Pierre répond avec une humilité à la fois attristée et fervente : «Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime». Et trois fois Jésus lui dit de paître le troupeau du Bon Pasteur : «Pais mes agneaux… Pais mes brebis…». Puis Jésus prédit à Pierre d’une manière voilée, «le genre de mort par lequel Pierre devait glorifier Dieu».
Cet évangile a deux choses à nous dire. Tout d’abord, il pose clairement la question unique, la question sur laquelle nous avons et nous aurons à répondre : «M’aimes-tu». Tout, dans la vie chrétienne, se réduit à cette question. Pouvons-nous répondre avec Pierre : «Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime» ? Nos actions ne donneraient-elles pas un lamentable démenti à cette affirmation ? Cependant, répondre simplement que nous n’aimons pas le Seigneur serait méconnaître et étouffer les aspirations – si faibles soient-elles – que le Saint-Esprit met dans nos cœurs et dirige vers le Christ. Disons donc à Jésus : «Seigneur, tu sais tout, tu sais que je t’aime. Je n’attends rien de moi; j’attends tout de la grâce».
Le deuxième enseignement donné par cet évangile concerne la nature de l’autorité dans l’Eglise. Le Seigneur confère ici à Pierre une autorité spéciale. On remarquera, d’abord que cette autorité est fondée sur une primauté d’amour – «m’aimes-tu plus que ceux-ci ?» et ensuite qu’elle consiste dans un service humble et désintéressé, – « pais mes agneaux ..». Toute prééminence parmi les chrétiens qui ne serait pas une prééminence d’amour et de service ne correspond pas aux intentions de Notre Seigneur. Toute autorité qui, dans l’Eglise, s’ exprimerait en termes de prestige, ou de possession matérielle, ou de domination deviendrait étrangère et hostile à cette sollicitude vraiment pastorale à laquelle Jésus appelle Pierre à participer. Sur ces paroles du Seigneur à Pierre seront jugés tous ceux qui revendiquent une autorité au sein de la communauté des fidèles.
La liturgie du 29 juin manifeste, par les textes qu’elle nous fait entendre, combien le ministère de Pierre et celui de Paul sont tous deux nécessaires et complémentaires. L’évangile (Matthieu 16:13-19) contient la confession de Pierre à Césarée de Philippes: «Tu es le Christ le Fils du Dieu vivant…» et la réponse de Jésus : «Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les Portes de l’enfer ne tiendront pas devant elle. Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux : quoique tu lies sur la terre sera tenu dans les cieux pour lié, et ce que tu délies sur la terre sera tenu dans les cieux pour délié».
Ce texte a soulevé bien des controverses. Mais il demeure certain que Jésus a voulu reconnaître et sanctionner par l’octroi d’un pouvoir spirituel éminent l’acte de foi que Pierre venait de formuler. L’épître (2 Corinthiens 11:21-12:9) énumère les titres de Paul, appelé directement à l’apostolat par le Christ, a être considéré comme égal ou même supérieur en autorité aux ministres de l’Evangile déjà régulièrement institués et reconnus : «Ils sont ministres du Christ ? Moi plus qu’eux…». Paul fonde cette affirmation, d’une part sur les souffrances qu’il a endurées, d’ autres part les les grâces et révélations qui lui ont été accordées. Une étude attentive du rapports de PauI et des Onze peut nous apprendre beaucoup sur la question de l’autorité dans l’église. Paul ne s’y est jamais élevé contre l’élément «institutionnel» représenté par l’apostolat «historique» des Onze.
Il a reçu l’imposition des mains de ceux qui étaient déjà reconnus comme possédant le Saint-Esprit. Il a soumis à l’approbation de l’église réunie à Jérusalem ses propres méthodes d’apostolat. Mais il n’ a jamais admis ni que sa vocation extraordinaire fût inférieure à la vocation normale des autres apôtres; ni que sa connaissance du Christ, toute spirituelle et reçue par grâce, fût moindre que la connaissance qu’avaient de Jésus ses premiers disciples; ni qu’il dût sacrifier ses propres convictions aux vues du plus autorisé des apôtres : «Quand Céphas vint à Antioche, je lui résistai en face, parce qu’il s’était donné tort. Plus l’Eglise sera dominée par le Saint-Esprit, plus elle surmontera toute tension entre l’ autorité régulièrement acquise et la liberté spirituelle. Une synthèse doit s’établir entre la tradition et l’inspiration. Pierre et Paul ne peuvent pas être séparés; et c’ est pourquoi l’Eglise les célèbre le même jour. Redisons avec elle :
«Réjouis-toi, ô Pierre l’Apôtre, toi le grand ami du Maître, Christ notre Dieu. Réjouis-toi bien aimé Paul, prédicateur de la foi et docteur de l’univers. A cause de cela, intercédez tous deux auprès du Christ notre Dieu pour le salut de nos âmes ».
L’Eglise veut associer tous les autres Apôtres à l’hommage qu’elle rend à Pierre et Paul. Aussi la journée du 30 juin est-elle dédiée à la commémoraison collective des Douze. Comme le dit le Kondakion du jour, «… en commémorant, aujourd’hui leur souvenir, nous glorifions celui qui les a glorifiés ».

Textes tirés du livre « L’an de grâce du Seigneur »
du Père Lev Gillet (« Un moine de l’Eglise d’orient ») aux éditions du Cerf

Jean 21:14-25
C’était déjà la troisième fois que Jésus se montrait à ses disciples depuis qu’il était ressuscité des morts.
Après qu’ils eurent mangé, Jésus dit à Simon Pierre: Simon, fils de Jonas, m’aimes-tu plus que ne m’aiment ceux-ci? Il lui répondit: Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime. Jésus lui dit: Pais mes agneaux.
Il lui dit une seconde fois: Simon, fils de Jonas, m’aimes-tu? Pierre lui répondit: Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime. Jésus lui dit: Pais mes brebis.
Il lui dit pour la troisième fois: Simon, fils de Jonas, m’aimes-tu? Pierre fut attristé de ce qu’il lui avait dit pour la troisième fois: M’aimes-tu? Et il lui répondit: Seigneur, tu sais toutes choses, tu sais que je t’aime. Jésus lui dit: Pais mes brebis.
En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais plus jeune, tu te ceignais toi-même, et tu allais où tu voulais; mais quand tu seras vieux, tu étendras tes mains, et un autre te ceindra, et te mènera où tu ne voudras pas.
Il dit cela pour indiquer par quelle mort Pierre glorifierait Dieu. Et ayant ainsi parlé, il lui dit: Suis-moi.
Pierre, s’étant retourné, vit venir après eux le disciple que Jésus aimait, celui qui, pendant le souper, s’était penché sur la poitrine de Jésus, et avait dit: Seigneur, qui est celui qui te livre?
En le voyant, Pierre dit à Jésus: Et celui-ci, Seigneur, que lui arrivera-t-il?
Jésus lui dit: Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe? Toi, suis-moi.
Là-dessus, le bruit courut parmi les frères que ce disciple ne mourrait point. Cependant Jésus n’avait pas dit à Pierre qu’il ne mourrait point; mais: Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe?
C’est ce disciple qui rend témoignage de ces choses, et qui les a écrites. Et nous savons que son témoignage est vrai.
Jésus a fait encore beaucoup d’autres choses; si on les écrivait en détail, je ne pense pas que le monde même pût contenir les livres qu’on écrirait.(retour au texte)

Matthieu 16:13-19
Jésus, étant arrivé dans le territoire de Césarée de Philippe, demanda à ses disciples: Qui dit-on que je suis, moi, le Fils de l’homme?
Ils répondirent: Les uns disent que tu es Jean Baptiste; les autres, Élie; les autres, Jérémie, ou l’un des prophètes.
Et vous, leur dit-il, qui dites-vous que je suis?
Simon Pierre répondit: Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant.
Jésus, reprenant la parole, lui dit: Tu es heureux, Simon, fils de Jonas; car ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais c’est mon Père qui est dans les cieux.
Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église, et que les portes du séjour des morts ne prévaudront point contre elle.
Je te donnerai les clefs du royaume des cieux: ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux. (retour au texte)

2 Corinthiens 11:21-12:9
J’ai honte de le dire, nous avons montré de la faiblesse. Cependant, tout ce que peut oser quelqu’un, -je parle en insensé, -moi aussi, je l’ose!
Sont-ils Hébreux? Moi aussi. Sont-ils Israélites? Moi aussi. Sont-ils de la postérité d’Abraham? Moi aussi.
Sont-ils ministres de Christ? -Je parle en homme qui extravague. -Je le suis plus encore: par les travaux, bien plus; par les coups, bien plus; par les emprisonnements, bien plus. Souvent en danger de mort, cinq fois j’ai reçu des Juifs quarante coups moins un,
trois fois j’ai été battu de verges, une fois j’ai été lapidé, trois fois j’ai fait naufrage, j’ai passé un jour et une nuit dans l’abîme.
Fréquemment en voyage, j’ai été en péril sur les fleuves, en péril de la part des brigands, en péril de la part de ceux de ma nation, en péril de la part des païens, en péril dans les villes, en péril dans les déserts, en péril sur la mer, en péril parmi les faux frères.
J’ai été dans le travail et dans la peine, exposé à de nombreuses veilles, à la faim et à la soif, à des jeûnes multipliés, au froid et à la nudité.
Et, sans parler d’autres choses, je suis assiégé chaque jour par les soucis que me donnent toutes les Églises.
Qui est faible, que je ne sois faible? Qui vient à tomber, que je ne brûle?
S’il faut se glorifier, c’est de ma faiblesse que je me glorifierai!
Dieu, qui est le Père du Seigneur Jésus, et qui est béni éternellement, sait que je ne mens point!…
A Damas, le gouverneur du roi Arétas faisait garder la ville des Damascéniens, pour se saisir de moi; mais on me descendit par une fenêtre, dans une corbeille, le long de la muraille, et j’échappai de leurs mains.
Il faut se glorifier… Cela n’est pas bon. J’en viendrai néanmoins à des visions et à des révélations du Seigneur.
Je connais un homme en Christ, qui fut, il y a quatorze ans, ravi jusqu’au troisième ciel (si ce fut dans son corps je ne sais, si ce fut hors de son corps je ne sais, Dieu le sait).
Et je sais que cet homme (si ce fut dans son corps ou sans son corps je ne sais, Dieu le sait) fut enlevé dans le paradis, et qu’il entendit des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à un homme d’exprimer.
Je me glorifierai d’un tel homme, mais de moi-même je ne me glorifierai pas, sinon de mes infirmités.
Si je voulais me glorifier, je ne serais pas un insensé, car je dirais la vérité; mais je m’en abstiens, afin que personne n’ait à mon sujet une opinion supérieure à ce qu’il voit en moi ou à ce qu’il entend de moi.
Et pour que je ne sois pas enflé d’orgueil, à cause de l’excellence de ces révélations, il m’a été mis une écharde dans la chair, un ange de Satan pour me souffleter et m’empêcher de m’enorgueillir.
Trois fois j’ai prié le Seigneur de l’éloigner de moi, et il m’a dit: Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse. Je me glorifierai donc bien plus volontiers de mes faiblesses, afin que la puissance de Christ repose sur moi.

DE SAINT SÉRAPHIM DE SAROV: LES INSTRUCTIONS SPIRITUELLES

5 juin, 2012

http://www.pagesorthodoxes.net/saints/seraphim/seraphim-instructions.htm

LES INSTRUCTIONS SPIRITUELLES

DE SAINT SÉRAPHIM DE SAROV

Dieu
Dieu est un feu qui réchauffe et enflamme les coeurs et les entrailles. Si nous sentons dans nos coeurs le froid qui vient du démon – car le démon est froid – ayons recours au Seigneur et il viendra réchauffer notre coeur d’un amour parfait,non seulement envers lui, mais aussi envers le prochain. Et la froidure du démon fuira devant sa Face. Là où est Dieu, il n’y a aucun mal… Dieu nous montre son amour du genre humain non seulement quand nous faisons le bien, mais aussi quand nous l’offensons méritant sa colère…Ne dis pas que Dieu est juste, enseigne saint Isaac le Syrien… David l’appelait  » juste « , mais son Fils nous a montré qu’il est plutôt bon et miséricordieux. Où est sa Justice? Nous étions des pécheurs, et le Christ est mort pour nous (Homélie 90).
Des raisons pour lesquelles
le Christ est venu en ce monde
1) L’amour de Dieu pour le genre humain.  » Oui, Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle  » (Jn 3, 16).
2) Le rétablissement dans l’homme déchu de l’image divine et de la ressemblance à cette image, comme le chante de l’Église (Premier Canon de Noël, chant 1).
3) Le salut des âmes.  » Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour condamner le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui  » (Jn 3, 17).

De la foi
Avant tout, il faut croire en Dieu,  » car il existe et se fait le rémunérateur de ceux qui le cherchent  » (He 11, 6). La foi, selon saint Antioche, est le début de notre union à Dieu… La foi sans les oeuvres est morte (Jc 2, 26). Les oeuvres de la foi sont : l’amour, la paix, la longanimité, la miséricorde, l’humilité, le portement de croix et la vie selon l’Esprit. Seule une telle foi compte. Il ne peut pas y avoir de vraie foi sans oeuvres.

De l’espérance
Tous ceux qui espèrent fermement en Dieu sont élevés vers lui et illuminés par la clarté de la lumière éternelle. Si l’homme délaisse ses propres affaires pour l’amour de Dieu et pour faire le bien, sachant que Dieu ne l’abandonnera pas, son espérance est sage et vraie. Mais si l’homme s’occupe lui-même de ses affaires et se tourne vers Dieu seulement quand il lui arrive malheur et qu’il voit qu’il ne peut s’en sortir par ses propres moyens – un tel espoir est factice et vain. La véritable espérance cherche, avant tout, le Royaume de Dieu, persuadée que tout ce qui est nécessaire à la vie d’ici-bas sera accordé par surcroît. Le coeur ne peut être en paix avant d’avoir acquis cette espérance.

De l’amour de Dieu
Celui qui est arrivé à l’amour parfait de Dieu vit en ce monde comme s’il n’y vivait pas. Car il se considère comme étranger à ce qu’il voit, attendant avec patience l’invisible… Attiré vers Dieu, il n’aspire qu’à le contempler…

De quoi faut-il munir l’âme ?
- De la parole de Dieu, car la parole de Dieu, comme dit Grégoire le Théologien, est le pain des anges dont se nourrissent les âmes assoiffées de Dieu.
Il faut aussi munir l’âme de connaissances concernant l’Église : comment elle a été préservée depuis le début jusqu’à nos jours, ce qu’elle a eu à souffrir. Il faut savoir ceci non dans l’intention de gouverner les hommes, mais en cas de questions auxquelles on serait appelé à répondre. Mais surtout il faut le faire pour soi-même, afin d’acquérir la paix de l’âme, comme dit le Psalmiste :  » Paix à ceux qui aiment tes préceptes, Seigneur « , ou  » Grande paix pour les amants de ta loi  » (Ps 118, 165).

De la paix de l’âme
Il n’y a rien au-dessus de la paix en Christ, par laquelle sont détruits les assauts des esprits aériens et terrestres.  » Car ce n’est pas contre les adversaires de chair et de sang que nous avons à lutter, mais contre les Principautés, contre les Puissances, contre les Régisseurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits du mal qui habitent les espaces célestes  » (Ep 6, 12). Un homme raisonnable dirige son esprit à l’intérieur et le fait descendre dans son coeur. Alors la grâce de Dieu l’illumine et il se trouve dans un état paisible et suprapaisible : paisible, car sa conscience est en paix ; suprapaisible, car au-dedans de lui il contemple la grâce du Saint-Esprit…
Peut-on ne pas se réjouir en voyant, avec nos yeux de chair, le soleil ? D’autant plus grande est notre joie quand notre esprit, avec l’oeil intérieur, voit le Christ, Soleil de Justice. Nous partageons alors la joie des anges. L’Apôtre a dit à ce sujet  » Pour nous, notre cité se trouve dans les cieux  » (Ph 3, 20). Celui qui marche dans la paix, ramasse, comme avec une cuiller, les dons de la grâce. Les Pères, étant dans la paix et dans la grâce de Dieu, vivaient vieux. Quand un homme acquiert la paix, il peut déverser sur d’autres la lumière qui éclaire l’esprit… Mais il doit se souvenir des paroles du Seigneur :  » Hypocrite, enlève d’abord la poutre de ton oeil, et alors tu verras clair pour enlever la paille de l’oeil de ton frère  » (Mt 7, 5).
Cette paix, Notre Seigneur Jésus Christ l’a laissée à ses disciples avant sa mort comme un trésor inestimable en disant :  » Je vous laisse ma paix, je vous donne la paix  » (Jn 14, 27). L’Apôtre en parle aussi en ces termes :  » Et la paix de Dieu qui surpasse toute intelligence gardera vos coeurs et vos pensées en Jésus-Christ  » (Ph 4, 7).Si l’homme ne méprise pas les biens de ce monde, il ne peut avoir la paix. La paix s’acquiert par des tribulations. Celui qui veut plaire à Dieu doit traverser beaucoup d’épreuves. Rien ne contribue plus à la paix intérieure que le silence et, si possible, la conversation incessante avec soi-même et rare avec les autres. Nous devons donc concentrer nos pensées, nos désirs et nos actions sur l’acquisition de la Paix de Dieu et crier incessamment avec l’Église :  » Seigneur ! Donne-nous la paix ! « 

Comment conserver la paix de l’âme ?
De toutes nos forces il faut s’appliquer à sauvegarder la paix de l’âme et à ne pas s’indigner quand les autres nous offensent. Il faut s’abstenir de toute colère et préserver l’intelligence et le coeur de tout mouvement inconsidéré. Un exemple de modération nous a été donné par Grégoire le Thaumaturge. Abordé, sur une place publique, par une femme de mauvaise vie qui lui demandait le prix de l’adultère qu’il aurait soi-disant commis avec elle, au lieu de se fâcher, il dit tranquillement à son ami : Donne-lui ce qu’elle demande. Ayant pris l’argent, la femme fut terrassée par un démon. Mais le saint chassa le démon par la prière.
S’il est impossible de ne pas s’indigner, il faut au moins retenir sa langue… Afin de sauvegarder la paix, il faut chasser la mélancolie et tâcher d’avoir l’esprit joyeux… Quand un homme ne peut suffire à ses besoins, il lui est difficile de vaincre le découragement. Mais ceci concerne les âmes faibles. Afin de sauvegarder la paix intérieure, il faut éviter de juger les autres. Il faut entrer en soi-même et se demander  » Où suis-je ? « Il faut éviter que nos sens, spécialement la vue, ne nous donnent des distractions : car les dons de la grâce n’appartiennent qu’à ceux qui prient et prennent soin de leur âme.

De la garde du coeur
Nous devons veiller à préserver notre coeur de pensées et d’impressions indécentes.  » Plus que sur toute chose, veille sur ton coeur, c’est de lui que jaillissent les sources de la vie  » (Pr 4, 23). Ainsi naît, dans le coeur, la pureté.  » Bienheureux les coeurs purs, car ils verront Dieu  » (Mt 5, 8).Ce qui est entré de bon dans le coeur, nous ne devons pas inutilement le répandre à l’extérieur : car ce qui a été amassé ne peut être à l’abri des ennemis visibles et invisibles que si nous le gardons, comme un trésor, au fond du coeur.
Le coeur, réchauffé par le feu divin, bouillonne quand il est plein d’eau vive. Si cette eau a été versée à l’extérieur, le coeur se refroidit et l’homme est comme gelé.

De la prière
Ceux qui ont décidé de vraiment servir Dieu doivent s’exercer a garder constamment son souvenir dans leur coeur et à prier incessamment Jésus Christ, répétant intérieurement : Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur… En agissant ainsi, et en se préservant des distractions, tout en gardant sa conscience en paix, on peut s’approcher de Dieu et s’unir à lui. Car, dit saint Isaac le Syrien, à part la prière ininterrompue, il n’y a pas d’autre moyen de s’approcher de Dieu (Homélie 69).
A l’église, il est bon de se tenir les yeux fermés, pour éviter les distractions ; on peut les ouvrir si l’on éprouve de la somnolence ; il faut alors porter son regard sur une icône ou sur un cierge allumé devant elle. Si pendant la prière notre esprit se dissipe, il faut s’humilier devant Dieu et demander pardon… car, comme dit saint Macaire  » l’ennemi n’aspire qu’à détourner notre pensée de Dieu, de sa crainte et de son amour  » (Homélie 2).
Lorsque l’intelligence et le coeur sont unis dans la prière et que l’âme n’est troublée par rien, alors le coeur s’emplit de chaleur spirituelle, et la lumière du Christ inonde de paix et de joie tout l’homme intérieur.

De la lumière du Christ
Afin de recevoir dans son coeur la lumière du Christ il faut, autant que possible, se détacher de tous les objets visibles. Ayant au préalable purifié l’âme par la contrition et les bonnes oeuvres, ayant, pleins de foi au Christ crucifié, fermé nos yeux de chair, plongeons notre esprit dans le coeur pour clamer le Nom de Notre Seigneur Jésus Christ ; alors, dans la mesure de son assiduité et de sa ferveur envers le Bien-Aimé, l’homme trouve dans le Nom invoqué consolation et douceur, ce qui l’incite à chercher une connaissance plus haute.
Quand par de tels exercices l’esprit s’est enraciné dans le coeur, alors la lumière de Christ vient briller à l’intérieur, illuminant l’âme de sa divine clarté, comme le dit le prophète Malachie :  » Mais pour vous qui craignez son Nom, le soleil de justice brillera, avec le salut dans ses rayons  » (Ml 3, 20). Cette lumière est aussi la vie, d’après la parole de l’Evangile :  » De tout être il était la vie, et la vie était la lumière de hommes  » (Jn 1, 4).
Quand l’homme contemple au-dedans de lui cette lumière éternelle, il oublie tout ce qui est charnel, s’oublie lui-même et voudrait se cacher au plus profond de la terre afin de ne pas être privé de ce bien unique – Dieu.

De l’attention
Celui qui suit la voie de l’attention ne doit pas se fier uniquement à son propre entendement, mais doit se référer aux Écritures et comparer les mouvements de son coeur, et sa vie, à la vie et à l’activité des ascètes qui l’ont précédé. Il est plus aisé ainsi de se préserver du Malin et de voir clairement la vérité.
L’esprit d’un homme attentif est comparable à une sentinelle veillant sur la Jérusalem intérieure. A son attention n’échappe ni  » le diable (qui) comme un lion rugissant, rôde cherchant qui dévorer  » (1 P 5, 8), ni ceux qui  » ajustent leur flèche à la corde pour viser dans l’ombre les coeurs droits  » (Ps 10, 2). Il suit l’enseignement de l’Apôtre Paul qui a dit :  » C’est pour cela qu’il vous faut endosser l’armure de Dieu, afin qu’au jour mauvais vous puissiez résister  » (Ep 6, 13).Celui qui suit cette voie ne doit pas faire attention aux bruits qui courent ni s’occuper des affaires d’autrui… mais prier le Seigneur :  » De mon mal secret, purifie-moi  » (Ps 18, 13).
Entre en toi-même et vois quelles passions se sont affaiblies en toi ; lesquelles se taisent, par suite de la guérison de ton âme ; lesquelles ont été anéanties et t’ont complètement quitté. Vois si une chair ferme et vivante commence à pousser sur l’ulcère de ton âme – cette chair vivante étant la paix intérieure. Vois aussi quelles passions restent encore – corporelles ou spirituelles ? Et comment réagit ton intelligence ? Entre-t-elle en guerre contre ces passions, ou fait-elle semblant de ne pas les voir ? Et de nouvelles passions ne se sont-elles pas formées ? En étant ainsi attentif, tu peux connaître la mesure de la santé de ton âme.

Extrait des Instructions spirituelles,
dans Irina Goraïnoff, Séraphim de Sarov,
Éditions Abbaye de Bellefontaine et Desclée de Brouwer, 1995.
Reproduit avec l’autorisation des Éditions Desclée de Brouwer.

POURQUOI JE SUIS CHRÉTIEN ORTHODOXE – par

2 février, 2012

http://www.pagesorthodoxes.net/foi-orthodoxe/temoignage-paul-ladouceur.htm

POURQUOI JE SUIS CHRÉTIEN ORTHODOXE

par Paul Ladouceur

Paul Ladouceur, québécois, est devenu Orthodoxe en France en 1994 suite à une recherche spirituelle dans les grandes traditions spirituelles de l’humanité. Retourné au Canada en 1996, il est le responsable du site web les Pages Orthodoxes La Transfiguration, du bulletin électronique Lumière du Thabor, et des Éditions La Transfiguration. Il est l’auteur de nombreux textes qui figurent aux Pages Orthodoxes, ainsi que du livre Sainte Marie de Paris 1891-1945, Une sainte des temps modernes (2004).

UN DIEU DE LUMIÈRE
L’image centrale de l’Orthodoxie qui me vient à l’esprit le plus souvent est celle du Christ en Gloire, lui qui est l’Un de sainte Trinité (deuxième antienne de la Divine Liturgie de saint Jean Chrysostome, ), devenu homme pour le salut du monde, et qui est monté aux cieux et siège à la droite du Père (Symbole de Foi). Dans les représentations, le Christ est figuré assis sur un trône céleste, avec la Sainte Mère de Dieu, la Vierge Marie, à sa droite, et il est entouré de saints et d’anges. On retrouve cette image souvent dans les églises orthodoxes, sous forme de fresque derrière l’autel (exemples : Centre Ste-Croix en Dordogne et l’Église de la Dormition de la Mère de Dieu à l’Atelier d’Iconographie Saint-Jean-Damascène en Vercors), ou d’une icône, souvent l’icône centrale d’une iconostase.
C’est l’image de la gloire divine, de la victoire du Christ sur la mort, de la Lumière, de la Vie et de la Vérité. C’est également un reflet de la promesse et du souhait de Dieu pour l’humanité, sa propre création : que chaque homme et chaque femme partage le royaume des cieux, la gloire divine, avec le Christ. Car Jésus, le Christ, l’oint de Dieu, est notre frère par son humanité, notre Dieu et Créateur par sa divinité. Nous sommes appelés à entrer dans le corps du Christ, qui est l’Église, l’union des saints sur terre et au ciel. Et nous sommes tous appelés à être saints, à participer à la sainteté de Dieu lui-même.
Une autre image très proche de celui du Christ en Gloire est l’icône de la Transfiguration, qui illustre le récit évangélique : Jésus, au sommet d’une montagne, s’entretient avec Moïse et Élie, est transfiguré devant trois de ses disciples, son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière (Matthieu 17,2). La Transfiguration du Christ est une préfiguration de la transfiguration de l’homme, rendue possible grâce à l’incarnation du Verbe de Dieu en la personne de Jésus, le Christ de Dieu.
A l’instar des images du Christ en Gloire et de la Transfiguration, la théologie orthodoxe, ainsi que la Liturgie orthodoxe, sont inondée de lumière, la lumière divine, inspirée par les textes de Saint Jean en particulier : Ce qui fut en lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes, et la lumière luit dans les ténébres, et les ténèbres ne l’ont pas saisie… Le Verbe était la lumière véritable, qui éclaire tout homme, il venait dans le monde (Jean 1, 4-5, 9); et : Dieu est lumière, en lui point de ténèbres (1 Jean 1,5). La lumière est un attribut de Dieu, une énergie divine par laquelle Dieu se manifeste à sa création, par exemple l’apparition du Christ à Saint Paul sur le chemin de Damas : Soudain une lumière venue du ciel l’enveloppa de sa clarté (Actes 9,3), ainsi qu’aux saints hésychastes, moines byzantins du Moyen-Âge, qui ont eu l’expérience de Dieu sous forme de lumière, la lumière incréée. Cette expérience mystique fait partie de la théologie orthodoxe, car l’orthodoxie ne reconnaît pas de séparation entre la théologie et la mystique, entre la connaissance et la pratique. La vraie connaissance de Dieu vient de l’expérience, de la pratique : Si tu es théologien, tu prieras vraiment, et si tu pries vraiment, tu es théologien, écrit Évagre le Pontique (Traité sur l’oraison, Ve siècle).

DANS TA LUMIÈRE, NOUS VERRONS LA LUMIÈRE
(Psaume 36)
Si les images du Christ en Gloire et de la Transfiguration peuvent parfois me sembler lointaines, inaccessibles, au-delà de ma séparation d’avec Dieu, de mon état de pécheur, une autre image populaire dans l’orthodoxie est beaucoup plus proche de ma faiblesse, celle de l’icône que l’on appelle la Résurrection ou la Descente aux Enfers. Le Christ est représenté aux enfers, le séjour des morts – de ceux qui sont séparés de Dieu. Le Christ est vêtu de vêtements blanc resplendissant, car il est le premier d’entre les ressuscités; par la mort il a vaincu la mort (Tropaire de Pâques). Le Christ saisit Adam par la main droite, tandis qu’Eve attend suppliante à sa gauche, ou parfois il prend Eve par la main gauche. Les Saints de l’Ancien Testament, dont on reconnaît David et Salomon, attendent parmi les morts. Adam, le premier homme, est le symbole de l’humanité déchue, séparée de Dieu par l’abus de la liberté accordée par Dieu, par l’orgueil qui l’a fait croire qu’il pourrait accéder à la sainteté de Dieu par ses propres moyens. Adam, c’est moi, dans mon enfer d’orgueil, du petit moi, de ma séparation de Dieu; c’est moi dans la misère de mon péché, des ténèbres qui m’entourent. Et le Christ, le nouvel Adam, l’homme nouveau, vient jusque dans mon enfer me prendre par la main pour me faire entrer dans son royaume, celui de la vie éternelle de Dieu lui-même. Je peux résister à la main du Seigneur, mon frère, et je résiste, et je sais que je résiste, mais la main est toujours tendue; je n’ai qu’à contempler l’icône pour m’en souvenir.
La Résurrection du Christ est la doctrine principale de l’orthodoxie. Jésus lui-même dit : Je suis la résurrection et la vie (Jean 11,25), et Saint Paul reconnaît l’importance de la Résurrection pour la foi chrétienne : Si le Christ n’est pas ressuscité, vide alors est notre message, vide aussi votre foi… le Christ est ressuscité d’entre les morts, prémices de ceux qui se sont endormis (1 Corinthiens 15,14&20). La Résurrection, c’est l’accomplissement de la promesse du Créateur à l’espèce humaine : voilà ce que Dieu souhaite pour nous tous, et voilà le moyen d’y parvenir. Pour parvenir à la résurrection, à la lumière, il faut passer par la mort, non seulement la mort physique, sort de tout homme, mais la mort de l’ego, du petit moi, des ténèbres. La Résurrection du Christ, et ainsi de tout chrétien, ne peut être séparée de la Crucifixion – ni la Crucifixion de la Résurrection. L’aboutissement de l’enseignement chrétien n’est pas la Crucifixion, mais la Résurrection.

UN DIEU DE MISÉRICORDE
L’orthodoxie attache beaucoup d’importance à la miséricorde, à la compassion, à l’amour de Dieu envers les hommes : Tu es un Dieu de miséricorde, plein d’amour pour les hommes (Divine Liturgie); Tu es un Dieu de bonté, plein d’amour pour les hommes (Divine Liturgie). La miséricorde prime la Loi, la Justice divine : le Seigneur est tendresse et miséricorde, longanime et plein de bonté (Psaume 103, 8); Dieu est le Père compatissant qui pardonne toutes nos offenses, qui nous guérit de toute maladie (Psaume 103, 3), le Père qui nous reçoit avec amour, joie et honneurs, après notre égarement dans les pays du péché, à l’exemple du Père dans la parabole du fils prodigue (Luc 15,11-32). En faisant le signe de croix, on touche successivement le front (l’intellect, l’esprit), la poitrine (le corps, la terre), l’épaule droite, qui signifie la justice ou la Loi, et on termine avec l’épaule gauche, l’amour et la miséricorde, qui tempère la Loi.
La spiritualité orthodoxe vise essentiellement l’individu devant son Dieu, la relation de chaque personne avec Dieu, car chacun est responsable devant Dieu : Chacun de nous, frères, rendra compte à Dieu pour soi-même (Romains 14,12). En fin de compte, le seul « intermédiaire » est le Christ lui-même : Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie; nul ne vient au Père que par moi (Jean 14,6). La relation avec Dieu est immédiate, directe et personnelle, car nous sommes aussi des fils de Dieu : La preuve que vous êtes des fils, c’est que Dieu a envoyé dans nos coeurs l’Esprit de son Fils qui crie Abba, Père! (Galates 4,6). L’Église, les saints, les prêtres, les pères spirituels, sont là comme exemples, pour donner conseil au fidèle, pour prier pour lui, pour l’aider à trouver le chemin, mais aucun ne peut prendre la responsabilité de cette relation personnelle entre le fidèle et Dieu. Le but de la vie spirituelle, donc de l’existence humaine, est l’union avec Dieu, la déification de l’homme, selon le langage des Pères de l’Église. L’expression de Saint Irenée de Lyon (fin IIe siècle) est reprise maintes fois dans les enseignements des Pères : Dieu s’est fait homme, afin que l’homme devienne dieu (Contre les hérésies…). Saint Séraphin de Sarov (XIXe siècle) disait que le vrai but de la vie chrétienne consiste en l’acquisition du Saint-Esprit de Dieu (Entretien avec Motovilov, p. 156).
Comment est-ce possible? N’est-ce pas une vocation qui nous dépasse entièrement, tellement elle est grandiose? N’est-ce pas réservée à quelques vrais saints de parmi nous? Non, nous sommes tous appelés à devenir des saints, à partager la sainteté que seul possède Dieu lui-même. L’enseignement spirituel de l’orthodoxie se réfère constamment à la phrase de la Genèse : Dieu créa l’homme selon son image et ressemblance (Genèse 1,27). Les Pères distinguent entre « image » et « ressemblance ». Depuis Adam, chaque être humain retient « l’image de Dieu », mais la séparation de Dieu, le péché, détruit la « ressemblance » à Dieu. L’oeuvre de notre vie consiste à restaurer cette ressemblance; c’est ainsi que nous devenons semblables à Dieu, que nous acquerrons l’Esprit-Saint de Dieu. Comment? La réponse est à la fois simple et difficile : suivre les commandements et l’exemple du Christ. Jésus lui-même nous enseigne qu’il y a deux grands commandements : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit; et : Tu aimeras ton prochain comme toi-même (Matthieu 22,37-39). En fin de compte, il n’y a qu’un commandement : aimer. Tout suit de ceci, y compris la moralité de la vie de tous les jours. Car la vie morale existe en fonction de la vie spirituelle, la relation avec Dieu; la vie morale, vue trop souvent comme une série d’interdictions, n’a de sens qu’à la lumière du commandement de l’amour, l’amour de Dieu et de son prochain. L’Évangile, les Pères, l’Église, nous proposent des moyens concrets et précis pour « vivre en Christ », les sacrements, en particulier la communion, la prière, la lecture sainte, les offices, les jeûnes… A chacun de choisir les pratiques qui lui conviennent, de préférence avec les prières et les conseils d’un père spirituel.

UN DIEU HUMBLE
Le Dieu Tout-Puissant, Créateur du ciel et de la terre, Lumière de lumière (Symbole de foi) est un Dieu humble, humble même devant sa propre création, cette humanité qui a abusé la liberté accordée par Dieu lui-même. L’incarnation est l’acte suprême de l’amour divin, mais aussi de l’humilité. Car, pour notre salut, le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous (Jean 1,14), il a été crucifié pour nous sous Ponce Pilate, a souffert et a été enseveli (Symbole de foi). Pour les juifs et les grecs des premiers siècles, la Crucifixion de Jésus Christ était un grand scandale : comment peut-on croire en la divinité de celui qui a terminé sa vie dans des conditions aussi humiliantes et honteuses? Le langage de la croix, en effet, est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui se sauvent, pour nous, il est puissance de Dieu. (…) Les juifs demandent des signes et les grecs cherchent la sagesse, nous proclamons, nous, un Christ crucifié, scandale pour les juifs et folie pour les païens… Ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes (1 Corinthiens 1,18; 22-25). L’abaissement de Dieu envers l’humanité est aussi un appel à chaque personne d’être humble, non seulement devant Dieu, mais devant ses frères et ses soeurs. L’orgueil étant le premier, et selon l’enseignement de beaucoup de Pères, le seul péché, l’humilité est le début de la vertu, de la sagesse, cette humilité que l’on appelle souvent dans les écrits des Pères la « crainte de Dieu ». La crainte de Dieu ne consiste pas à craindre la punition d’un Dieu puissant et vengeur, mais plutôt la reconnaissance de qui nous sommes devant un Dieu plein d’amour et de tendresse (Psaume 102, 4) à notre égard. La crainte de Dieu se traduit en amour de Dieu, car Dieu souhaite avant tout notre amour libre et inconditionnel, image de son amour envers nous. La spiritualité orthodoxe parle beaucoup de la métanoia, le repentir ou la conversion, le retournement de notre esprit vers l’image divine inscrite au tréfonds de nous-mêmes, vers Dieu lui-même et l’accomplissement de la vie de sainteté qui est notre raison d’être. Les prosternations fréquentes que font les orthodoxes, surtout pendant le Grand Carême, ne sont pas simplement un acte d’adoration et d’abaissement devant un Dieu terrible, mais un geste de reconnaissance de notre condition et d’amour et d’action de grâces à celui qui donne la vie (Symbole de foi). Comme si les Apôtres n’avaient pas bien assimilé son enseignement pendant son ministère, Jésus lui-même, à la dernière cène, renforce la leçon en lavant les pieds de ses disciples : C’est un exemple que je vous ai donné, pour que vous fassiez, vous aussi, comme moi j’ai fait pour vous (Jean, 13; 15). Le fidèle ne vit pas exclusivement pour lui-même, mais en tant que participant à la communion des saints, le salut et le bien-être de tous, du monde entier, est la responsabilité de chacun.

LA COMMUNION DES SAINTS
Les choses saintes aux saints! (Divine Liturgie). Ainsi annonce le prêtre au début de la cérémonie de la communion pendant la Divine Liturgie; puisque nous sommes appelés à être saints, il nous importe de participer aux saints Dons, le Corps et le Sang du Christ. Les offices de l’Église orthodoxe, en particulier la Divine Liturgie, favorisent le regard intérieur, à soi-même et à sa relation avec Dieu. La Divine Liturgie est d’une beauté, d’une dignité et solennité, d’une paix, qui maintiennent l’élément essentiel du sacré dans le culte public, ainsi que le sens de la participation aux « mystères divins ». Car la Divine Liturgie, la célébration de la Passion de notre Seigneur Jésus Christ et la communion au Corps immaculé et au Sang précieux du Christ (Prière de Communion) est un événement sacré, un mystère auquel nous participons mais dont nous ne pouvons pas saisir toute la signification.
La tradition orthodoxe attache une grande importance à l’homme entier : corps, âme, esprit. L’homme n’est pas un esprit malheureux condamné à vivre pour un temps dans un corps mauvais et corrompu, mais la plus belle création de Dieu, une unité de corps, âme et esprit; en cela, les Pères nous disent que l’homme est supérieur aux anges (!). Ainsi, la Divine Liturgie engage non seulement l’esprit, par les prières et les lectures, mais aussi tous les sens : la vision par les fresques, les icônes, les gestes du prêtre les bougies; l’ouïe par les prières et les chants; le toucher par les baisers des icônes et de la croix du prêtre; l’odorat par les encensements fréquents; le goûter par la sainte communion et les anaphores (le pain et le vin bénis mais non consacrés). Il en est ainsi à la chrismation et le sacrement des malades; chaque sens est béni de l’huile sainte.
L’orthodoxie accorde beaucoup d’attention à la personne, car c’est dans l’essentiel de chaque être humain que se trouve justement cette image du Créateur; chaque personne est unique, connue de Dieu par son nom, ce nom que Dieu répète à chaque instant : Je t’ai appelé par ton nom : tu es à moi (Isaïe 43,1); Il compte le nombre des étoiles, il appelle chacune par son nom (Psaume 146, 4). Dieu appelle chacun de nous par notre nom; c’est cet appel divin qui est la vie, l’existence. Le respect accordé au nom personnel se manifeste dans la Divine Liturgie de plusieurs façons. Les litanies, prières de demandes, prévoient à quelques reprises, l’insertion des noms des malades et des défunts pour lesquels on prie en particulier. En communiant les fidèles, le prêtre nomme chaque personne avec la formule : Le serviteur (la servante) de Dieu N. reçoit les précieux Corps et Sang de notre Seigneur, Dieu et Sauveur Jésus Christ, pour la rémission des ses péchés et la vie éternelle. Aussi, chaque fidèle peut préparer un diptyque, feuille ou carte à deux volets où sont inscrits les noms des vivants et des défunts pour lesquels le fidèle aimerait prier en particulier; les diptyques sont remis au prêtre, qui prie pendant la Liturgie pour les personnes nommées.
L’importance attachée au nom est surtout manifestée dans le respect accordé au nom du Seigneur, Jésus Christ, et à l’invocation du Nom en tous temps, en particulier dans la pratique de la Prière du Coeur ou la Prière de Jésus : Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi. De même que dans d’autres traditions spirituelles (islam, hindouisme, bouddhisme), une grande importance est donnée à l’invocation du Nom divin en tous temps comme pratique spirituelle.
L’orthodoxie maintient le lien direct avec les origines du christianisme, de l’Église et avec les Pères de l’Église. Après le Nouveau Testament, les écrits et les autorités essentiels de l’orthodoxie sont les Pères de l’Église, compris entre les Pères Apostoliques du 1er et du 2e siècle, les Pères du désert et les Pères jusqu’au 8e ou 9e siècle, ainsi que les sept « conciles oecuméniques » entre le 4e et le 8e siècle. Ce lien avec les origines du christianisme est reflété dans l’ecclésiologie de l’Église orthodoxe. L’Église orthodoxe est composée d’églises locales, un ou plusieurs évêques avec les prêtres et les fidèles qui leur sont rattachés. Il n’y a pas d’autorité suprême ou centrale dans l’orthodoxie, mais les églises principales sont en communion les unes avec les autres. Il y a cinq « Patriarches » traditionnels : Constantinople, Jérusalem, Antioche, Alexandrie et Moscou (Rome était le sixième, et le premier en honneur, jusqu’au schisme de Xe siècle), et un certain nombre d’églises autocéphales ou autonomes.

Dès mes premiers contacts avec l’orthodoxie, au Centre de Prière et de Méditation (Gorze, Lorraine) en septembre 1994, j’ai été très impressionné par la ferveur, l’enthousiasme, l’engagement et la joie du clergé et des fidèles orthodoxes que j’ai rencontré, impression confirmée par la suite de mes contacts avec la paroisse de Bruxelles, le Centre Ste-Croix, l’Atelier et la Chapelle de Saint-Jean-Damascène (Royans), les monastères de la Dormition-de-la Mère-de-Dieu (Asprès-sur-Buèch) et de Saint-Silouane (Saint-Mars-de-Locquenay). En fait, il s’agit de la communauté orthodoxe francophone, les « néo-orthodoxes », par rapport aux communautés traditionnelles orthodoxes des grecs, russes, roumains etc. Les orthodoxes d’origine française, belge et suisse sont devenus orthodoxes généralement par choix délibéré, personnel, fréquemment après une recherche spirituelle qui les ont amenés, souvent du catholicisme au Nouvel Age ou aux spiritualités orientales avant d’aboutir à l’orthodoxie : des personnes qui ont fait un chemin semblable au mien, et dont il m’est facile de reconnaître le cheminement. Il y a effectivement un vrai sens de « communauté chrétienne », d’identification, de solidarité, dans les paroisses francophones et entre les diverses paroisses, centres et monastères. Les orthodoxes sont une petite communauté éparpillée dans la grande masse de la population d’expression française en Europe, comparable sans doute aux premières communautés chrétiennes perdues dans la masse de l’Empire Romain.

UN DIEU SANS VISAGE ?
Pourquoi suis-je chrétien, orthodoxe, et non bouddhiste, comme un Jean Eracle, prêtre catholique devenu bonze bouddhiste (voir son récit autobiographique De la croix au lotus, Musée ethnographique de Genève, 1996), vu mon respect profond pour le bouddhisme? La réponse relève et de la foi, mystère inexplicable en soi, et de la raison, plus accessible. En dépit de mon admiration pour le bouddhisme, certains aspects du bouddhisme me troublent et ne me satisfont pas. En premier, bien sûr, l’absence d’un Dieu personnel, le Créateur et le Sauveur. Le Bouddha Sakyamuni n’est pas un dieu, il n’a jamais réclamé la divinité; au contraire, son enseignement ne comporte aucune notion d’un dieu suprême et personnel. Le Dieu personnel du christianisme, ainsi que d’autres religions théistes, permet au fidèle d’envisager une relation personnelle avec Dieu, dont le modèle existe dans la relation entre deux personnes sur terre, parent-enfant, homme-femme etc. La possibilité et la réalité de cette relation personnelle répond à un besoin essentiel de toute être humain. Aussi, en toute simplicité, je dis avec Lanza del Vasto : Si Dieu n’était personne, d’où viendrait la Personne? Les vivants ne naissent pas des morts, mais des vivants. (…) Si Dieu n’était personne, personne ne serait personne. La suprême personne est Présence infinie (Principes et préceptes du retour à l’évidence, p.157).
J’apprécie cependant – mais peut-être les théologiens chrétiens et les sages bouddhistes seraient unanimes à condamner mon interprétation – le concept central de la métaphysique bouddhique, la vacuité ou le vide (shûnyatâ en sanskrit, kû en japonais). Concept casse-tête pour les non-bouddhistes et sans doute pour beaucoup de bouddhistes également – on peut passer des années, sinon toute une vie, à méditer sur la Prâjnâparamitâ Sûtra, le Sûtra du coeur de la grande sagesse, qui tente d’expliquer, dans un texte condensé mais profond, la relation entre le vide et la forme entre le monde matériel que nous connaissons et le transcendental.
Il me semble que la vacuité a deux correspondances dans la théologie et la métaphysique chrétiennes. Pour rester dans le domaine des contradictions apparentes, si chères au bouddhisme zen en particulier (les koans), la vacuité bouddhique est semblable au concept de Dieu comme Plénitude; rien n’existe qui n’existe pas en Dieu; tout ce qui existe existe en Dieu : Tout fut par lui, et sans lui rien ne fut (Jean 1,3). Pourtant toute l’existence, toutes choses visibles et invisibles (Symbole de foi), n’épuise pas la Plénitude de Dieu, car Dieu n’existe pas (attention au sens!), pas comme nous connaissons l’existence, mais d’une autre façon qui nous dépasse entièrement, ainsi que celle de toute créature; il est le Tout-Autre. La théologie orthodoxe reconnaît que dans son essence, Dieu est inexprimable, inconcevable, invisible et incompréhensible (Saint Jean Chrysostome, Sur l’incompréhensibilité de Dieu, III) – et en même temps il est celui qui est partout présent et qui remplit tout (Invocation du Saint-Esprit). Le Tout-Autre est plus intime à l’âme qu’elle ne l’est elle-même (Saint Augustin, Confessions, III,6,11; aussi Maître Eckhart, Sermon 10). Simplement, Dieu est, et c’est ainsi qu’il s’est révélé à Moïse dans l’Ancien Testament : Je suis celui qui est (Exode 3,14), parole reprise par Jésus en affirmant sa divinité devant les Pharisiens : Avant qu’Abraham existât, Je Suis (Jean 8,57). Cet « est » divin, l’inexprimable existence-en-soi, n’est-il pas apparenté au vide bouddhique (ainsi qu’au sat hindou)? N’essaie-t-on pas d’exprimer, dans les limites de notre langage et de nos constructions mentales-métaphysiques, non seulement le même concept, mais la même expérience, le même vécu, celui de tout mystique?
Partant de ceci, je conçois la métaphysique bouddhique du vide dans une optique semblable à celle de la tradition de la théologie « négative » ou apophatique du christianisme, tradition retenue dans l’orthodoxie, mais presque oubliée dans la théologie occidentale. La théologie apophatique, reconnaissant l’insuffisance de notre langage et nos concepts pour décrire Dieu, l’Au-delà de tout (Grégoire de Naziance, IVe siècle), tente d’approcher Dieu en disant ce qu’il n’est pas, ainsi que par des apparentes contradictions. Le représentant le plus distingué de cette école était le Pseudo-Denys (VIe siècle), notamment dans son traité, court et mystérieux, sur La théologie mystique, texte qui a beaucoup influencé le mysticisme occidental du Moyen-Âge. Quelques expressions classiques : la translumineuse Ténèbre du silence… cette radieuse et resplendissante Ténèbre. Les correspondances entre le Prajnâpârmitâ Sûtra et la Théologie mystique sont frappantes; pour moi, ces textes parlent de l’expérience de la même Réalité.
La métaphysique bouddhique semble se rejoindre sur plusieurs points à la théologie apophatique de l’orthodoxie, mais il n’en reste pas moins que les questions fondamentales du Dieu personnel, de la Présence divine et de la création, ainsi que l’origine du mal, reste sans réponse dans le bouddhisme. Tout en respectant la voie bouddhiste, dont je peux apprendre beaucoup, ce n’est pas la mienne. L’orthodoxie enseigne que Dieu est ineffable et invisible, celui que notre esprit ne peut saisir ni cerner, le Dieu éternel et immuable (Divine Liturgie, p.45), mais elle ne s’arrête pas là, car Dieu s’est fait connaître, dans la création, dans le coeur de l’homme, et par l’incarnation du Fils de Dieu, notre Seigneur Jésus-Christ. Le Dieu du christianisme n’est pas seulement un concept métaphysique, l’Absolu, mais le Dieu vivant, personnel, notre Père (Prière dominicale), la source de la vie (Doxologie – Psaume 35, 10).

FOI ET RAISON
Toutes les explications élaborées ci-haut ne sont pas suffisantes pour répondre à la question « Pourquoi es-tu chrétien orthodoxe? » Les différents points évoqués expliquent, d’une certaine façon, une attirance au christianisme orthodoxe, mais n’expliquent pas le « pourquoi ». Il s’agit en partie d’un engagement, mais d’un engagement qui ne vient pas exclusivement de la volonté personnelle, car, en fin de compte, il n’y a pas de réponse définitive à la question; la vraie réponse relève de la foi et non du rationnel. La foi est en elle-même inexplicable, car il s’agit d’un don du Saint-Esprit, don qui n’est pas irrationnel, contre la raison, mais non-rationnel, au-delà de la raison.

À toi convient la louange,
à toi convient le cantique,
à toi convient la gloire,
Père, Fils et Saint-Esprit,
maintenant et toujours
et aux siècles des siècles.

Paul Ladouceur
Genève, août-septembre 1996

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