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L’ANCIEN TESTAMENT DANS L’ÉGLISE DU NOUVEAU TESTAMENT
par le protopresbytre Michel Pomazansky
[Première partie]
De nombreux siècles nous séparent du temps où les livres de l’Ancien Testament ont été écrits, particulièrement les premiers. Et il n’est plus facile pour nous de retourner en pensées dans les conditions de vie dans lesquelles ces livres inspirés ont été créés et qui sont décrites dans les livres eux-mêmes. Cela a donné naissance à de nombreuses interrogations qui peuvent troubler l’homme moderne. De telles interrogations surgissent particulièrement lorsque les gens essayent de concilier la vision scientifique contemporaine avec la simplicité des idées bibliques sur le monde. Des questions d’ordre général s’élèvent quant à savoir jusqu’à quel point la vision vétérotestamentaire peut correspondre à la vision néotestamentaire. Et souvent les gens se demandent : “À quoi bon l’Ancien Testament? Les enseignements et les écritures néotestamentaires ne sont-elles pas suffisantes?”
Pour ce qui est des ennemis de la chrétienté, leurs polémiques contre la foi chrétienne commencent de longue date par des attaques dirigées sur l’Ancien Testament. L’athéisme militant contemporain considère les récits de l’Ancien Testament comme un matériau le plus facilement utilisable pour parvenir à ses fins. Ceux qui sont passés par une période de doute religieux, voire de négation de la religion (particulièrement ceux qui sont passés par le système éducatif soviétique avec sa propagande antireligieuse), disent habituellement que la première pierre d’achoppement à leur foi a précisément surgi à ce niveau.
Le rapide survol des Écritures de l’Ancien Testament que nous proposons, ne peut pas répondre à toutes les questions qui se présentent à cet égard; mais nous pensons qu’il peut indiquer les principes de base devant permettre de résoudre nombre de ces interrogations.
Selon les Commandements du Sauveur et des Apôtres
L’Église chrétienne primitive résidait constamment en esprit dans la Cité Céleste, dans l’attente des choses à venir, mais elle organisait également l’aspect terrestre de son existence; en particulier, elle accumulait et prenait grand soin des trésors matériels de la Foi et en tout premier lieu des documents écrits concernant la Foi. Les plus importants des Écrits étaient les Évangiles, le récit sacré de la vie terrestre et des enseignements de notre Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu. Venaient ensuite tous les autres écrits des Apôtres. Puis venaient les livres sacrés des Hébreux, que l’Église garde précieusement comme des écrits sacrés.
Qu’est-ce qui rend les Écritures de l’Ancien Testament précieuses pour l’Église? Le fait que:
a / elles nous enseignent à croire en un Dieu Unique, Véritable, et à accomplir les commandements de Dieu
b/ elles parlent du Sauveur. Le Christ Lui-même le fait remarquer : “Vous scrutez les Écritures, parce que vous pensez avoir en elles la vie éternelle, or ce sont elles qui rendent témoignage de Moi.”, /Jn, V,39/dit-Il aux scribes Juifs. Dans la parabole sur le riche et Lazare, le Sauveur met ces paroles dans la bouche d’Abraham à propos des frères du riche: “Ils ont Moïse et les prophètes; qu’ils les écoutent” /Luc, XVI, 29/. “Moïse” signifie les cinq premiers livres de l’Ancien Testament; “les prophètes” – les seize derniers. En parlant avec Ses disciples, le Sauveur a encore mentionné le Psautier comme autre livre : “Tout ce qui est écrit de Moi dans la loi de Moïse, les prophètes et les psaumes doit être accompli” /Luc, XXIV,44/. Après la Sainte Cène, “quand ils eurent chanté une hymne, ils allèrent sur le Mont des Oliviers”, dit l’Évangéliste Matthieu /XXVI,30/: cela fait référence aux chants des psaumes. Les paroles du Sauveur et Son propre exemple sont suffisants pour que l’Église se comporte avec le plus grand respect à l’égard de ces livres – la loi de Moïse, les prophètes et les psaumes -, qu’elle les préserve et y puise son enseignement.
Dans le code hébraïque, c’est-à-dire le cycle des livres reconnus comme sacrés par les Juifs, il y avait, et il y reste encore, deux autres catégories de livres : les livres didactiques, dont seul le psautier a été mentionné, et les livres historiques. L’Église les a acceptés puisque les Apôtres en avaient ainsi décidé. Saint Paul écrit à Timothée: “Depuis l’enfance, tu connais les Saintes Écritures qui peuvent te donner la sagesse pour le salut par la foi en Christ Jésus” /II Tim., 3,15/. Ce qui veut dire que si on les lit avec sagesse, alors on peut trouver en elles la voie qui nous fortifie dans la foi chrétienne. L’Apôtre parlait de tous les livres de l’Ancien Testament, ce qui est rendu évident par ce qu’il dit ensuite : “Toute l’Écriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, pour reprendre, pour redresser, pour instruire dans la droiture.” (II Tim., 3,15-16).
L’Église a reçu les livres sacrés des Juifs dans la traduction grecque de la version des Septante, qui a été faite bien avant la Nativité du Christ. Cette traduction a été utilisée par les Apôtres, et c’est en grec qu’ils écrivaient leurs propres épîtres. Le canon contient aussi des livres sacrés d’origine hébraïque, qui cependant n’existaient qu’en grec, car ils avaient été composés après l’établissement de la liste officielle des livres sacrés juifs, sanctionnée en son temps par la Grande Synagogue. L’Église chrétienne Orthodoxe les inclut dans la collection des livres de l’Ancien Testament (dans la science biblique, on les a appelés livres “deutéro-canoniques”). Les Juifs n’utilisent pas ces livres dans leur vie religieuse.
En acceptant les Saintes Écritures de l’Ancien Testament, l’Église a montré qu’elle est l’héritière de l’Église de l’Ancien Testament qui s’est éteinte : non pas de l’aspect national du Judaïsme, mais du contenu religieux de l’Ancien Testament. Dans cet héritage, certaines choses ont une signification et une valeur éternelles, d’autres ont cessé d’exister et ont un sens uniquement comme souvenir du passé comme, par exemple, les règlements concernant le tabernacle, les sacrifices et les prescriptions pour la conduite journalière des Israélites. Par conséquent, l’Église utilise son héritage vétérotestamentaire de façon parfaitement indépendante, en accord avec sa compréhension du monde qui est plus complète et supérieure à celle de l’Ancien Israël.
Degré d’utilisation de l’Ancien Testament dans l’Église
Tout en admettant une totale reconnaissance de principe à la dignité des livres de l’Ancien Testament, l’Église chrétienne n’a pas eu en pratique l’opportunité de les utiliser toujours, partout et intégralement. Cela apparaît évident étant donné la quantité de ces textes qui occupent, dans la Bible, quatre fois plus de pages que le Nouveau Testament. Avant que les livres ne soient imprimés, ce qui veut dire durant les 1500 premières années de l’ère chrétienne, copier les livres, les collectionner et se les procurer était en soi une entreprise difficile. Seules quelques rares familles pouvaient en avoir une collection complète, mais certainement pas toutes les communautés chrétiennes. Comme source d’instruction de la Foi, comme guide de la vie du chrétien dans l’Église, le Nouveau Testament occupe, bien sûr, la première place. Le Psautier est le seul livre de l’Ancien Testament dont on puisse dire que l’Église l’a utilisé constamment, et l’utilise toujours pleinement, tant liturgiquement que pour accompagner la vie de chaque chrétien. Il en est ainsi depuis le temps des Apôtres jusqu’à nos jours et elle continuera de l’utiliser jusqu’à la fin des temps. Des autres livres de l’Ancien Testament, elle s’est limitée à des lectures choisies extraites de certains livres. En particulier, pour ce qui est de l’Église Russe, et bien qu’elle ait atteint une splendeur certaine dès le XI -XII ème siècles, avant l’invasion des Tatares, que cette plénitude de vie se fût exprimée dans la création liturgique, dans l’iconographie et dans l’architecture religieuse russes, qu’elle ait exercé son influence sur les monuments de la littérature de l’ancienne Russie, elle ne disposait cependant pas d’une collection complète des livres de l’Ancien Testament. Il n’y avait que des traductions de certains des livres les plus importants. C’est seulement à la fin du 15ème siècle que l’Archevêque Guennady de Novgorod a pu, avec beaucoup de difficultés, réunir les traductions slavonnes des livres de l’Ancien Testament. Et encore, ce ne fut que pour un seul archevêché, pour la cathédrale d’un seul évêque! Ce n’est qu’avec l’avènement de l’imprimerie que les Russes purent obtenir leur première Bible complète, publiée à la fin du XVI ème siècle, et connue sous le nom de Bible d’Ostrog. De nos jours, l’acquisition d’une Bible est devenue très accessible. Cependant, en pratique, l’utilisation purement liturgique des livres de l’Ancien Testament est restée identique à celle qui avait été établie originellement par l’Église.
“ Comprends-tu ce que tu lis ?”
Conformément au récit des Actes des Apôtres, lorsque l’Apôtre Philippe a rencontré un des eunuques de la Reine Candace sur la route avec le livre du prophète Isaïe dans sa main, il a demandé à l’eunuque : “Comprends-tu ce que tu lis?” Il lui répondit : “Comment le pourrais-je, si quelqu’un ne me guide ?” (Actes, VIII,31). Et Philippe l’instruisit si bien dans la conception chrétienne de ce qu’il lisait, que cette lecture de l’Ancien Testament fut immédiatement suivie, sur la route elle-même, du baptême de l’eunuque. L’Apôtre avait interprété à la lumière de la foi chrétienne ce que l’eunuque lisait. De même, c’est en nous fondant sur la Foi chrétienne que nous devons approcher la lecture de l’Ancien Testament, qui doit être compris dans le sens du Nouveau Testament, dans la lumière qui procède de l’Église. À cette fin, l’Église nous offre les commentaires patristiques des Saintes Écritures, préférant que ce soit par eux que nous assimilions le contenu des livres sacrés. Il est nécessaire de garder en mémoire que l’Ancien Testament est “l’ombre des biens à venir” (Heb., X,1). Sinon le lecteur pourrait ne pas recevoir l’édification nécessaire, comme nous en avertit l’Apôtre Paul. À propos des Juifs, il écrit : “jusqu’à ce jour, quand ils lisent Moïse, un voile est étendu sur leurs coeurs” (2 Cor., III,15). Chez eux, ce voile “reste non-levé quand ils font la lecture de l’Ancien Testament“ (ibid, 14), ce qui veut dire qu’ils ne sont pas éclairés spirituellement par la foi. Cependant, “dès que leurs cœurs se seront tournés vers le Seigneur” , poursuit l’Apôtre, “le voile sera ôté” (ibid.). Nous devons donc nous aussi lire ces livres d’un point de vue chrétien. C’est à dire qu’il convient de toujours garder les paroles du Seigneur à propos des Écritures : “elles rendent témoignage de Moi” (Jn, V,39). En effet, elles requièrent non seulement une lecture, mais une recherche. En elles se trouvent la préparation à la venue du Christ, les promesses, les prophéties, les préfigurations et les présages du Christ. C’est conformément à ce principe que sont choisis les extraits des lectures de l’Ancien Testament durant les offices liturgiques. Et même si l’Église nous les offre en édification, elle choisit des passages qui semblent écrits à la lumière de l’Évangile et qui parlent, par exemple, de la “vie éternelle”, des justes, de la “droiture selon la foi”, de la grâce. Si nous abordons les livres de l’Ancien Testament avec cet éclairage, alors nous pouvons y trouver une énorme richesse pour l’édification des chrétiens. Tout comme les gouttes de rosée sur les plantes brillent de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel lorsque la lumière du soleil vient les frapper, tout comme les brindilles des arbres couvertes de givre irisent de toutes les teintes lorsqu’elles reflètent le soleil, de même ces Écritures reflètent-elles ce qui est prédestiné à apparaître plus tard: les événements, les actes et l’enseignement de l’Évangile. Mais dès lors que le soleil se couche, ces mêmes gouttes de rosée et la pellicule de givre des arbres ne caressent plus nos yeux, bien qu’elles restent identiques à ce qu’elles étaient lorsque le soleil brillait. Il en est de même avec les Écritures de l’Ancien Testament. Sans la lumière des Évangiles elles deviennent caduques, “vieillies”, comme le dit l’Apôtre, et c’est ainsi que l’Église les appelle : “Ce qui est devenu ancien, ce qui est vieilli, est prêt de disparaître” (Héb., VIII,13). Le Royaume du peuple élu est arrivé à sa fin, le Royaume du Christ est apparu : “Jusqu’à Jean, c’était la Loi et les prophètes; depuis lors, le Royaume de Dieu est annoncé” (Luc, XVI,16).
Pourquoi faut-il connaître l’Ancien Testament ?
Nous écoutons les hymnes et les lectures à l’Église, et deux séries d’événements se révèlent à nos yeux : l’Ancien Testament et le Nouveau, en tant que sa préfiguration et son image, comme l’ombre et la vérité, comme la chute et le relèvement, comme la perte et l’acquisition. Dans les écrits patristiques et dans les hymnes liturgiques, cette comparaison entre l’Ancien et le Nouveau Testaments revient en permanence : Adam et le Christ, Ève et la Mère de Dieu. Là, le paradis terrestre, ici, le paradis Céleste. Par la femme vient le péché, par la Vierge le salut. Goûter le fruit mène à la mort, participer aux Saints Dons mène à la vie. Là, l’arbre interdit, ici, la Croix salvatrice. Là, il est dit : “par la mort tu mourras”, ici : “aujourd’hui tu seras avec Moi au paradis”. Là, le serpent flatteur, ici, Gabriel annonciateur de la bonne nouvelle. Là, il est dit à la femme : “dans la douleur tu enfanteras”; ici, on dit aux femmes près du tombeau : “réjouissez-vous”. Le parallèle est mené tout au long de l’intégralité des deux Testaments. Le salut des eaux dans l’arche, le salut dans L’Église. Les trois pèlerins chez Abraham, la vérité des Évangiles sur la Sainte Trinité. L’offrande d’Isaac en sacrifice, la mort du Sauveur sur la Croix. L’échelle que Jacob a vu en songe, la Mère de Dieu, échelle de la descente du Fils de Dieu sur terre. La vente de Joseph par ses frères, la trahison du Christ par Judas. L’esclavage en Egypte, l’esclavage spirituel de l’humanité au Malin. La sortie d’Egypte, le Salut en Christ. La traversée de la Mer Rouge, le Saint Baptême. Le buisson inconsumé, la virginité perpétuelle de la Mère de Dieu. Le Sabbat, le jour de la Résurrection. Le rite de la circoncision, le mystère du Baptême. La manne, la sainte Cène néotestamentaire du Seigneur. La loi de Moïse, la loi des Évangiles. Le Sinaï, le Sermon sur la Montagne. Le tabernacle, l’Église du Nouveau Testament. L’Arche de l’Alliance, la Mère de Dieu. Le serpent sur le bâton, le péché cloué par le Christ sur la Croix. Le bâton d’Aaron qui fleurit, la renaissance en Christ. Et nous pourrions continuer d’énumérer bien d’autres comparaisons.
Notre compréhension du Nouveau Testament exprimée dans nos hymnes, donne encore plus de relief aux événements vétérotestamentaires. Par quelle puissance Moïse a-t-il partagé les eaux de la mer ? Par le signe de la Croix : “En traçant devant lui le signe de la Croix avec son bâton, Moïse ouvrit la mer Rouge à Israël qui la passa à pied sec”. Qui conduisit les Juifs à travers la Mer Rouge ? Le Christ : “Le Christ, à bras étendu, précipita cheval et cavalier dans la mer Rouge, mais Il sauva Israël”. Le retour de la mer à sa forme première, après le passage des Israélites, était une préfiguration de l’incorruptible pureté de la Mère de Dieu. “Jadis, dans la mer Rouge, fut esquissée l’image de l’Épouse inépousée”. ( Dog. Théotokion, 5ème ton).
Durant la première et la cinquième semaines du Grand Carême, nous nous réunissons à l’église pour le canon de pénitence et de componction de saint André de Crète. Dans une longue séquence, passent devant nous des exemples de droiture et des exemples de chutes qui traversent tout l’Ancien Testament, puis viennent des exemples tirés du Nouveau Testament. Mais ce n’est qu’à la condition de connaître l’histoire sacrée de l’Ancien Testament, que nous pouvons profiter pleinement du contenu de ce canon.
C’est pourquoi une connaissance de l’histoire biblique n’est pas seulement nécessaire aux adultes. En instruisant nos enfants à l’Ancien Testament, nous les préparons à une participation plus consciente et à une meilleure compréhension des offices liturgiques.
Mais il est d’autres raisons encore plus importantes.
Dans les paroles du Sauveur, et dans les écrits des Apôtres, il est souvent fait référence à des personnages, à des événements et à des textes de l’Ancien Testament : Moïse, Elie, Jonas, au témoignage du prophète Isaïe et ainsi de suite.
Dans l’Ancien Testament sont données les raisons pour lesquelles le salut par la venue du Fils de Dieu était essentiel pour l’humanité.
Mais nous ne devons cependant pas perdre de vue tout ce que l’Ancien Testament apporte pour l’édification purement morale. “Le temps me manquerait” , écrit l’Apôtre Paul, “pour parler de Gédéon, et de Barac, et de Samson, et de Jephté, de David, de Samuel et des prophètes : par la foi ils ont conquis des royaumes, exercé la justice, obtenu l’effet des promesses, fermé la gueule des lions, éteint la violence du feu, échappé à la lame de l’épée, triomphé de la maladie, déployé leur vaillance au combat, mis en déroute des armées ennemies … eux dont le monde n’était pas digne; ils ont erré dans les déserts et les montagnes, dans les cavernes et dans les antres de la terre” (Heb., XI,32 -34;38). Nous devons également en tirer profit pour notre édification. L’Église place constamment devant les yeux de notre esprit l’image des Trois Enfants dans la fournaise de Babylone.
Avec et sans L’Église comme guide
Dans L’Église tout est à sa place. Dans L’Église toute chose a son poids spécifique et son éclairage adéquat. Cela s’applique également aux Écritures de l’Ancien Testament. Nous connaissons par coeur les Dix Commandements qui nous ont été donnés sur le Mont Sinaï, mais nous les comprenons bien plus profondément que ne le pouvaient les Juifs, parce que pour nous ils sont éclairés et approfondis par le Sermon du Sauveur sur la Montagne. Une législation morale et rituelle abondante nous est présentée par la loi de Moïse, toutefois, les mots : “Tu aimeras le Seigneur Ton Dieu de tout ton coeur, de tout ton être et de toute ton âme” et : “Tu aimeras ton prochain comme toi-même”, que l’on trouve au milieu de la masse des autres instructions de Moïse, n’ont commencé à briller pour nous de leur plein éclat que grâce à l’Évangile.
Ni le tabernacle, ni le temple de Salomon n’existent plus désormais; pourtant, nous étudions leur structure, parce que beaucoup de symboles du Nouveau Testament sont contenus dans leur institution. Dans L’Église nous entendons des lectures tirées des prophètes, mais ils ne nous sont pas offerts afin que nous puissions connaître le destin des peuples qui entouraient la Palestine, mais parce que ces lectures contiennent des prophéties sur le Christ et sur les événements de l’Évangile.
Mais voilà qu’un jour (c’était au 16e siècle, en Europe occidentale), une branche nombreuse de la chrétienté ne voulut plus être guidée par la Tradition ecclésiastique et rejeta toute la richesse de la Tradition de l’Église antique, décidant de ne garder que les Saintes Écritures, l’Ancien et le Nouveau Testaments, comme source unique et guide dans la foi. C’est ce que fit le Protestantisme. Rendons lui cette justice : il s’était enflammé du désir de la parole vivante de Dieu, il se mit à aimer la Bible. Mais il ne tint pas compte du fait que les Saintes Écritures avaient été collectées par L’Église, et qu’elles appartenaient à L’Église de par son héritage historique et apostolique. Il ne tint pas compte du fait que la Foi de L’Église est illuminée par la Bible, tout comme la Bible l’est par la Foi de L’Église, et qu’elles sont mutuellement nécessaires l’une à l’autre. Restés seuls avec les Saintes Écritures, ces chrétiens se sont mis à les étudier avec frénésie, dans l’espoir qu’en suivant leur chemin pas à pas, ils le verraient si clairement qu’il ne pourrait plus y avoir de différends à propos de la foi. La Bible, dont les trois quarts en terme de volume sont constitués de l’Ancien Testament, devint une référence constante. Ils l’étudièrent dans ses moindres détails, la contrôlèrent avec différents textes hébreux anciens, comptèrent combien de fois tel ou tel mot revenait dans les Saintes Écritures. Mais, ce faisant, ils commencèrent à perdre le juste rapport des valeurs. L’Ancien et le Nouveau Testaments leur apparurent comme deux sources équivalentes de la foi, se complétant mutuellement, comme deux aspects parfaitement égaux. Chez certains groupes de protestants, la prédominance quantitative des livres de l’Ancien Testament, comme le fait qu’ils sont placés avant dans la Bible, les amènent à penser que l’Ancien Testament occupe de même la première place en importance. C’est ainsi qu’apparurent les sectes judaïsantes. Ils se mirent à considérer le monothéisme (la foi en un seul Dieu) de l’Ancien Testament, comme étant supérieur au monothéisme du Nouveau Testament avec sa vérité divinement révélée d’un Seul Dieu dans la Sainte Trinité; les commandements donnés sur le Mont Sinaï devinrent plus importants que la doctrine des Évangiles; le sabbat, plus important que le jour de la Résurrection.
D’autres, s’ils n’ont pas suivi cette voie des judaïsants, ont cependant été incapables de discerner l’esprit de l’Ancien Testament de celui du Nouveau, l’esprit de l’esclavage de celui de la filiation, l’esprit de la loi de celui de la liberté. Sous l’influence de certains passages de l’Ancien Testament, ils ont rejeté la plénitude de la vénération divine telle qu’elle s’exprime dans l’Église chrétienne sous différentes formes impliquant l’esprit et le corps en même temps, ils ont rejeté les modes extérieurs d’expression de cette vénération et, en particulier, ils ont dédaigné ce symbole de la Chrétienté – la Croix – et autres représentations sacrées, se mettant ainsi d’eux-mêmes sous la condamnation de l’Apôtre : “Toi qui as les idoles en abomination, tu commets des sacrilèges” (Rom., II,22).
Un troisième groupe, troublé soit par la simplicité avec laquelle les anciens récits sont relatés, soit par la cruauté de l’antiquité, notamment telle qu’elle s’est manifestée dans les guerres, le nationalisme exacerbé des Juifs et d’autres aspects de l’ère pré-chrétienne, se sont mis à avoir une attitude critique à l’égard de ces récits, puis de la Bible elle-même dans son intégralité.
De même qu’il est impossible de ne manger que du pain sans eau, même si le pain est l’aliment le plus essentiel pour l’organisme, il est tout autant impossible d’être nourri spirituellement par les seules Écritures, sans le rafraîchissement de la grâce fourni par la vie dans l’Église. Les facultés théologiques protestantes, qui prétendent assurer la garde du christianisme et de ses sources en travaillant sur l’étude de la Bible, se retrouvent avec un goût amer dans la bouche. Ils se sont passionnés pour l’analyse critique des textes des Écritures, initialement de l’Ancien Testament, puis du Nouveau et, ce faisant, ils ont progressivement cessé de sentir la force spirituelle des Écritures et ont abordé les livres sacrés comme de simples documents de l’antiquité, en leur appliquant des méthodes et des techniques positivistes du 19ème siècle. Certains de ces théologiens se sont mis à rivaliser entre eux, inventèrent des théories sur l’origine de différents livres au mépris de l’antique tradition sacrée. Dans le but d’expliquer des cas de prophéties d’événements survenus ultérieurement et qui se trouvent inscrits dans les livres sacrés, ils se sont mis à dire que ces livres étaient en fait écrits à une date bien plus tardive, à l’époque même où ces événements se seraient produits. Les théories ont pu varier, mais la méthode elle-même ne pouvait que saper l’autorité des Saintes Écritures ainsi que la Foi chrétienne. Il est vrai que les simples croyants protestants ignoraient tout de cette prétendue “critique biblique” et, dans une certaine mesure, continuent à le faire. Mais comme les pasteurs sont passés par ces écoles théologiques, il n’est pas rare qu’ils aient eux-mêmes été les vecteurs de cette pensée critique au sein de leurs communautés. La période de cette critique biblique connaît maintenant un déclin certain, mais ce bouleversement a amené un grand nombre de sectes à perdre la foi dans les dogmes, à reconnaître uniquement l’enseignement moral de l’Évangile, oubliant qu’il est inséparable de la doctrine dogmatique.
Il arrive souvent que même les meilleures entreprises connaissent des aspects regrettables.
Ainsi, la traduction de la Bible en langues contemporaines a été un grand événement dans le domaine de la culture chrétienne. Nous devons admettre que dans une grande mesure, cette tâche a été accomplie par les Protestants. Cependant, nous devons aussi admettre que le souffle de la sainte et profonde antiquité des Écritures vétérotestamentaires est plus difficilement perceptible dans nos langues contemporaines. Lorsqu’on lit les Écritures dans ces langues, il est plus malaisé de prendre en compte l’immense distance qui sépare les deux époques, l’apostolique et la nôtre, et il s’ensuit une incapacité à comprendre et apprécier la simplicité des récits bibliques. Ce n’est pas sans raison que les Juifs préservent l’ancienne langue hébraïque des Écritures, et évitent même d’utiliser pour les prières et les lectures dans les synagogues des Bibles imprimées, préférant se servir de copies manuscrites de l’Ancien Testament sur parchemins.
Diffuser la Bible sur tous les continents par millions d’exemplaires fut également une grande œuvre. Mais là encore, pareille distribution massive n’a-t-elle pas amoindri, parmi les masses humaines, le respect dû au Livre des livres ?
Ce que nous venons de dire se rapporte à l’activité à l’intérieur du christianisme. Mais voilà que des circonstances externes sont apparues. La Bible s’est trouvée confrontée à des recherches scientifiques multiples : géologie, paléontologie, archéologie. Des profondeurs de la terre a surgi le monde du passé, jusqu’alors pratiquement inconnu, que la science contemporaine a daté d’un nombre vertigineux de millénaires. Les ennemis de la religion n’ont pas manqué d’utiliser ces données de la science comme armes contre la Bible, la mettant sur le banc des accusés en paraphrasant Pilate : “N’entends-Tu pas de combien de choses ils T’accusent ?” (Marc, XV,4).
Dans ces conditions nouvelles, nous devons nous renforcer dans l’idée de la sainteté de la Bible, de sa vérité, de sa valeur, de sa nature exceptionnelle et de sa grandeur comme Livre des livres, authentique livre de l’humanité. Notre devoir est de nous protéger nous-mêmes de tout trouble. Ce sont principalement les Saintes Écritures de l’Ancien Testament qui sont confrontées aux théories scientifiques contemporaines. Aussi, approchons-nous de plus près de l’Ancien Testament. Regardons-le pour ce qu’il est. En ce qui concerne la science, nous pouvons être pratiquement certains que la science objective et authentique rendra toujours témoignage de la Vérité de la Bible. Saint Jean de Cronstadt enseigne : “Lorsque tu doutes de la véracité d’une personne ou d’un événement décrits dans les Saintes Écritures, souviens-toi alors que “toute Écriture est inspirée de Dieu”, comme le dit l’Apôtre (2 Tim., III,16), et par conséquent est vraie, et ne peut contenir de personnages imaginaires, de fables, ou contes, bien qu’elle comprenne des paraboles dont n’importe qui peut voir que ce ne sont pas des récits authentiques, mais qu’elles sont écrites dans un langage figuré. Toute parole de Dieu est vérité une et indivisible; et si tu admets pour mensonge un récit, une phrase ou un simple mot, alors tu pécheras contre la vérité de toutes les Saintes Écritures, dont la Vérité première est Dieu Lui-même” (Saint Jean de Cronstadt, Ma Vie en Christ, Monastère de la Sainte Trinité, Jordanville N.Y. 1971, Vol I, p77).
L’inspiration divine des Écritures
En slavon et en russe nous qualifions habituellement les “Écritures” de “sacrées” (en grec : teroV, iera). “Sacré” signifie “sanctifié”, possédant la grâce, reflétant le souffle du Saint Esprit. Le terme “Saint” n’est systématiquement appliqué qu’aux Évangiles (en grec : ~agioV, agia, agion), et avant la lecture de l’Évangile, nous sommes appelés à prier afin d’être digne de l’entendre : “Et pour que nous soyons jugés dignes d’écouter le Saint Évangile, prions le Seigneur notre Dieu”. De plus, nous sommes obligés de l’écouter debout : “Sagesse ! Debout ! Écoutons le Saint Évangile !”, alors que lorsque nous écoutons les lectures de l’Ancien Testament, les Parémies, L’Église orthodoxe nous autorise à nous asseoir. Et même lorsque les psaumes sont lus, pas en tant que nos propres prières, mais lorsqu’ils sont plutôt offerts en méditation, pour notre édification, comme par exemple les cathismes des Matines, nous sommes aussi autorisés à nous asseoir. Ainsi, nous pouvons employer les paroles de l’Apôtre Paul en les appliquant aux Livres sacrés, et dire : “Une étoile diffère en éclat d’une autre étoile” (I Cor., XV, 41). Toutes les Écritures sont divinement inspirées, mais en fonction de l’objet traité, certains livres sont élevés au-dessus d’autres : là, les Juifs et la loi de L’Ancien Testament; ici, dans le Nouveau Testament, le Christ notre Sauveur et Son Enseignement Divin. Qu’est-ce qui confère aux Écritures leur inspiration divine ? Le fait que ces auteurs sacrés se trouvaient sous cette ombre et cette conduite qui, dans des moments de suprême spiritualité, devient illumination et, dans certains cas même, divine révélation. En ce qui concerne ce dernier point, ils disent habituellement d’eux-mêmes, “j’ai reçu la révélation du Seigneur”, ainsi que nous pouvons le lire dans les prophètes et chez les Apôtres Paul et Jean (dans l’Apocalypse [1] ). Mais par ailleurs, les auteurs utilisaient les moyens habituels d’acquisition du savoir. Ainsi, pour connaître le passé, ils s’en remettaient à la tradition orale. “Ô Dieu, ce que nous avons entendu de nos oreilles, ce que nos pères nous ont raconté, les œuvres que Tu as accomplies de leur temps, nous ne les cacherons pas de leurs enfants et proclamerons aux générations à venir la gloire et la puissance du Seigneur” (Ps 43). “Ô Dieu, de nos oreilles nous avons entendu, nos pères nous ont raconté, l’oeuvre que Tu as accompli dans les temps du passé” (Ps 77,2-3). Saint Luc, qui n’était pas du nombre des douze Apôtres, décrit les événements de l’Évangile “après avoir fait avec soin des recherches sur toutes ces choses depuis leur origine” (Luc, I,3). Les auteurs sacrés utilisent des documents écrits, des recensements de personnes, des généalogies familiales; ils citent des récits avec des indications de dépenses de construction, de quantités de matériel, de poids, de prix, etc. Dans les livres historiques de l’Ancien Testament nous trouvons des références à d’autres livres comme sources d’information ainsi, par exemple, dans le livre des Rois et des Chroniques : “Le reste des actions d’Achazia et ce qu’il a fait, cela n’est-il pas écrit dans le livre des Chroniques des rois d’Israël?” (2 Rois I,18). “Le reste des actions de Joatham, et tout ce qu’il a fait, cela n’est-il pas écrit dans le livre des Chroniques des rois de Juda” (2Rois, XV,36; 2 Chron. XII,15; XIII,22 et autres endroits). Les documents originaux sont également cités : le premier livre d’Esdras reproduit mot pour mot toute une série d’ordres et de rapports liés à la restauration du Temple de Jérusalem. Il ne faut pas croire que les auteurs sacrés étaient omniscients. Cette qualité n’est pas même donnée aux anges : elle n’appartient qu’à Dieu seul. Mais ces auteurs étaient saints. “Les fils d’Israël ne pouvaient fixer leurs regards sur la face de Moïse à cause de la gloire de son visage”, rappelle saint Paul (2 Cor,III,7). Cette sainteté des rédacteurs, la pureté de leur intelligence, de leur cœur, la conscience de la grandeur de leur mission et leur responsabilité à la remplir, étaient directement exprimés dans leurs écrits : dans la sainteté, la pureté et la droiture de leurs pensées, dans la vérité de leurs paroles, dans la distinction claire entre vérité et mensonge. Ils commençaient leurs récits portés par l’inspiration venue d’en haut et ainsi inspirés ils les poursuivaient. A certains moments, leur esprit était illuminé par des révélations particulières de la grâce d’en haut, et par une vision mystique dans le passé, comme chez le prophète Moïse dans le Livre de la Genèse, ou dans le futur, comme chez les prophètes plus tardifs ou les Apôtres du Christ. Il s’agit, comme nous pouvons naturellement le supposer, d’une vision comme dans un brouillard, une sorte de percée à travers un rideau. “Maintenant, nous voyons dans un miroir, d’une manière obscure; mais ensuite [dans l’âge à venir], nous verrons face à face” témoigne saint Paul (1 Cor., XIII,12). Que l’attention soit dirigée vers le passé ou le futur, dans la vision le temps n’est pas pris en compte; les prophètes voient “les choses éloignées comme si elles étaient proches”. C’est pourquoi les Évangélistes décrivent deux événements futurs, prédits par le Seigneur, la destruction de Jérusalem et la fin du monde, de façon telle qu’ils se fondent dans une seule perspective à venir : “Ce n’est pas à vous de connaître les temps ou les moments que le Père a fixés de Sa propre autorité”, dit le Seigneur (Actes I,7).
L’inspiration divine n’appartient pas aux seules Écritures Saintes. Comme nous le savons, la Sainte Église reconnaît la Sainte Tradition comme une source de foi égale aux Saintes Écritures. Car cette Tradition, qui exprime la voix de l’Église toute entière, est aussi la voix du Saint-Esprit vivant dans l’Église. Tous nos offices liturgiques sont également divinement inspirés, ainsi que la sainte Église le chante : “Honorons dignement les témoins de la vérité et les hérauts de la piété dans des hymnes divinement inspirées” (Kondakion aux saints Zenobius et Zénobia, Oct. 30) et tout particulièrement la Liturgie eucharistique, étant divinement inspirée, porte l’appellation plus élevée de “Divine Liturgie”.
Archiprêtre Michel Pomazansky,
L’Ancien Testament dans l’Église du Nouveau Testament, Jordanville, 1961, 38 p.
Traduction: C. Savykine
[1] Selon saint André de Césarée, dans ses commentaires sur L’Apocalypse, les révélations apparaissent pendant l’illumination de l’esprit, ou en visions envoyées pendant le sommeil ou dans un état de réveil au moyen de l’illumination divine. Évêque Dimitri, L’Apocalypse dans la perspective du 20ème siècle, Harbin, p.11.