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L’ASSOMPTION DU CORPS ET DE LA VIERGE MARIE – PÈRE MATTA EL MASKINE

12 août, 2014

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L’ASSOMPTION DU CORPS ET DE LA VIERGE MARIE

PÈRE MATTA EL MASKINE

Chapitre XVII de la Communion d’Amour

Ce jour 1 nous permet d’honorer le corps de la Vierge. L’assomption de son corps manifeste combien le ciel l’honore au plus haut point. Et la doctrine orthodoxe en ce qui concerne les honneurs rendus au corps des saints n’est pas une invention gratuite. Après le long entretien avec Dieu, au cours duquel Moïse avait reçu les commandements et toute la Loi, son visage rayonnait d’une telle lumière que les Israélites ne pouvaient le regarder en face. La lumière que reflétait son visage était une lumière divine, celle qui manifeste la présence de Dieu. Dieu était ainsi rendu visible sur le visage de Moïse, et c’est pourquoi le peuple pécheur ne pouvait regarder son visage, car le péché et Dieu ne peuvent se rencontrer face à face. Aussi Moïse portait-il un voile, voile dans lequel saint Paul voit un symbole de l’aveuglement spirituel du peuple2 .
Et saint Paul poursuit : Si le ministère de la Loi – qui conduit à la condamnation et à la mort – se traduisait par une telle gloire, visible aux yeux de chair, par un tel resplendissement du visage, combien le ministère de justice ne l’emporte t-il pas en gloire?
Nous appuyant sur cela, nous pouvons dire à propos de la Vierge, de son corps et de son visage :
Si le visage de Moïse, alors qu’il· avait reçu de simples paroles écrites par le doigt de Dieu, rayonnait pour manifester la gloire qu’avait revêtu son corps, combien plus grande la gloire qui a revêtu le corps de la Vierge alors qu’elle a reçu en son sein la Parole même de Dieu, la personne du Fils de Dieu, prenant chair de sa chair après la préparation opérée par l’Esprit Saint et alors que la puissance du Très-Haut la prenait entièrement sous son ombre, intérieurement et extérieurement. Quelle gloire a alors envahi le corps de la Vierge ! Ou, pour reprendre les paroles de l’apôtre Paul, si le ministère de condamnation, ministère reçu par Moïse avec la Loi, lui a conféré une gloire qui a rempli son corps humain d’une lumière divine, combien plus le ministère de justice confié à la Vierge par la descente de la Lumière véritable en son sein et son incarnation à partir de son corps !
Nous savons tous comment Dieu a mis fin à la vie de Moïse et l’a lui-même enterré sur le mont Nebo, loin de la vue de son peuple, de peur qu’ils ne s’égarent et n’en viennent à adorer son corps qui, semble-t-il, continuait à rayonner même après sa mort. C’est pourquoi le livre du Deutéronome dit de lui: personne ne connait l’emplacement de son tombeau jusqu’à ce jour3 .
D’autre part, l’Épître de Jude fait spécialement mention du corps de Moïse. Alors que l’archange Michel, luttant contre le diable, lui disputait le corps de Moïse, il lui dit : « Que le Seigneur te châtie ! »4 . On peut donc supposer que l’archange Michel avait été chargé de garder le corps ou de l’enlever au ciel et que, tandis que le diable essayait de le remettre à terre ou d’en révéler l’emplacement pour égarer le peuple, au cours de la lutte qui les opposait, l’archange invoqua l’aide du Seigneur, comme chef des armées célestes.
Si donc Dieu s’est personnellement chargé de l’ensevelissement de Moïse et a assigné à l’archange Michel la tâche de garder le corps – ou peut-être, selon la tradition juive, de l’enlever au ciel -, et cela parce que le corps de Moïse reflétait la lumière et la gloire de Dieu depuis qu’il s’était tenu en présence de Dieu pendant quarante jours et avait reçu les tables de la Loi, on ne peut dire que la coutume orthodoxe d’honorer les corps ne repose sur rien.
Combien plus encore Dieu et le Christ lui-même ont-ils pris soin du corps de la Vierge, après sa mort. Ce corps avait connu l’habitation permanente de l’Esprit Saint, la plénitude de la grâce; la puissance du Très-Haut l’avait pris sous son ombre et la Parole de Dieu avait résidé pendant neuf mois dans ses entrailles ! Assurément, aucun texte ne nous dit que le corps de la Vierge rayonnait de la lumière céleste, mais nous savons que c’est l’effet de la  » kénose » 5 que le Christ a choisie et qui a voilé la gloire de sa divinité. Pendant sa vie terrestre, le corps du Christ lui-même n’a pas rayonné cette lumière, sinon – pour peu de temps – au jour de la Transfiguration. Et pourtant, il était la Lumière véritable 6 , la Lumière du monde 7 , qui rayonne éternellement et pour tous,
Il est donc évident que le dessein de Dieu impliquait que la gloire du Christ soit voilée, et donc aussi celle de la Vierge, de peur que la foi au Christ ne se dévoie, que l’humiliation de la croix ne soit éclipsée et que la vénération de la Vierge ne devienne un culte, une apothéose qui ne conviennent qu’à Dieu.
Comme la mort de Moïse, celle de la Vierge devait être discrète. D’autant plus que, lorsqu’elle est survenue, l’Évangile s’était répandu et on proclamait déjà que le Christ était le Fils de Dieu, Dieu en toute vérité, né de la Vierge Marie. C’est pour cette raison que ni les évangiles, ni les épîtres ne mentionnent la dormition de la Vierge et que – pendant les trois premiers siècles – l’assomption de son corps n’a été connue que par une tradition secrète. Il ne fallait pas qu’elle retienne exagérément l’attention et que le culte dû à Dieu s’en trouve dévoyé.
Il a fallu que Dieu lui-même se charge de l’ensevelissement du corps de Moïse, parce qu’il rayonnait de la lumière divine, et c’est l’archange Michel qui en a reçu la garde. Nous ne devons donc pas nous étonner d’entendre la tradition dire que le Christ lui-même est venu, à la mort de la Vierge, recevoir son âme sainte et l’enlever au ciel. Quant à son corps, il a sans aucun doute été confié à la garde de l’archange Michel jusqu’à ce qu’il soit enlevé au ciel au temps fixé. Ainsi le corps de la Vierge, objet de l’attention du Père céleste depuis le moment de l’annonciation et réceptacle de la conception divine, n’a pas cessé d’être honoré jusqu’au moment où Dieu l’a enlevé tandis qu’il était entouré d’honneurs par les anges.
Notre vénération de l’assomption du corps de la Vierge fait partie intégrante de notre foi dans les réalités eschatologiques – celles qui ont trait à la vie qui vient. On sait bien que la résurrection des corps est le propre de l’œuvre du Christ dans le monde à venir. Et si l’assomption de la Vierge n’est pas, à strictement parler, un acte de résurrection, c’est un état de transfiguration où le corps a été transporté par les puissances angéliques, comme préparation d’une résurrection ultérieure, que celle-ci soit déjà accomplie maintenant ou reste à accomplir.
Le Nouveau Testament offre de nombreux exemples de transfigurations. C’est dans sa propre personne que le Christ a inauguré cette action eschatologique, dans la chair qu’il a prise de nous, sur la montagne de la Transfiguration, avec Pierre, Jean et Jacques, rendant son corps plus brillant que le soleil, prémices et prototype de ce que sera le nôtre lorsque sa rédemption sera complète. Depuis lors, l’humanité – et même la création toute entière – gémissent dans les douleurs de l’enfantement 8 .Et jusqu’à présent, nous attendons notre adoption en tant que fils, la rédemption de notre corps 9 . Toute la création, et non seulement nos corps, est appelée à être transfigurée. Les vêtements du Christ devenus étincelants10 , plus blancs que neige, indiquent clairement que le Christ est la Lumière du monde et de la création et que toutes les créatures recevront leur nouvelle forme du Christ qui vient.
La vénération des corps saints et lumineux est un acte eschatologique, c’est un prolongement dans le temps présent du jour de la Transfiguration, un acte de foi en la réalité de la vie future. Depuis le jour de la Transfiguration, le Christ n’a pas cessé de répandre sa lumière sur les corps et les visages des saints. Le désert de Scété en témoigne et a reçu une part abondante de la lumière céleste.
Sept pères éminents ont témoigné avoir vu saint Macaire le Grand rayonner de lumière dans l’obscurité de sa cellule. À l’heure de sa mort, les pères assis autour de saint Sisoës ont constaté que son visage resplendissait comme le soleil et que cette lumière allait en augmentant alors qu’il rendait le souffle. La lumière finit par devenir aussi éblouissante que l’éclair et la cellule fut remplie d’une odeur d’encens.
On rapporte encore que Dieu a donné un tel honneur à abba Pambo, qu’il était difficile de le regarder en face à cause du rayonnement qui émanait de lui: il paraissait un roi sur son trône.
Les disciples de saint Arsène, entrant à l’improviste dans la cellule où il se trouvait en prière, ont trouvé son corps lumineux, comme de feu.
On a également vu saint Joseph le Grand en prière, les mains levées : ses doigts semblaient dix langues de feu.
Ces exemples de visages et de corps illuminés – et d’autres encore – ne peuvent se comprendre que comme un prolongement de la Transfiguration du Christ à travers la Pentecôte, par la descente de l’Esprit Saint reposant sur les corps sous forme de langues de feu, pour les préparer à la transfiguration et à la résurrection à venir. La vénération des corps des saints, dans l’Orthodoxie, prolonge la joie communiquée à saint Pierre par la lumière qui rayonnait du Christ et qui lui avait fait dire avec foi, encore que de manière irréfléchie: Rabbi, il est bon pour nous d’être ici 11 .
Le Seigneur transfiguré est présent dans ses saints. Sa lumière et son Esprit Saint brillent dans leurs esprits et dans leurs corps. La sanctification se manifeste parfois, au-delà de l’âme et de l’esprit, dans le corps lui-même. Bien que le corps soit encore en ce monde, il n’est déjà plus de ce monde. Il se nourrit à la fois du pain terrestre et du pain céleste, il est illuminé à la fois par la lumière de ce monde et par la lumière céleste. N’est-ce pas la réponse à l’invitation de l’apôtre: Glorifiez donc Dieu dans votre corps 12 ?
En commémorant aujourd’hui l’assomption du corps de la Vierge, nous glorifions bien le Seigneur qui continue à être glorifié chaque jour dans ses saints : Que le nom de notre Seigneur Jésus soit glorifié en vous et vous en lui 13 .

Extrait de « La Communion d’Amour, Abbaye de Bellefontaine, SO 55 – 1992, 302 p. »
Traduction: Jacques Porthault et Père Wadid, St Macaire

Notes:
1. Dans l’Église copte, la fête de l’Assomption du corps de la Vierge Marie se célèbre le 22 août. Les autres Églises orthodoxes fêtent la Dormition de la Mère de Dieu le 15 août (le 28, selon l’ancien calendrier utilisé par les églises de rite slavon)
2. Cf 2 CO 3,7-18. Cité librement dans ce qui suit.
3. DT 34, 6-7 : « Il l’enterra…. ».
4. Jude 9, citant Za 3,2 qui vise une dispute au sujet du grand prêtre Yehoshua.
5. Le mot kénose transcrit du grec traduit l’abaissement, l’anéantissement volontaire. Voir Ph 2,7 : Il se vida de lui-même.
6. Jn 1,9.
7. Jn 8,12.
8. Rm 8,22.
9. Rm 8,23.
10. Mc 9,3.
11. Mc 9,5.
12.1 Co 6,20.
13. 2 Th 1, 12.

LA THÉOLOGIE ORTHODOXE OU « LA FLAMME DES CHOSES » – Paul Evdokimov

31 juillet, 2014

http://www.spiritualite-orthodoxe.net/paul_evdokimov_orthodoxie.html

LA THÉOLOGIE ORTHODOXE OU « LA FLAMME DES CHOSES »

« Dieu c’est fait homme, pour que l’homme puisse devenir dieu »

Article inspiré des cours de Père Razvan Ionescu
Un explication plus approfondie du mot Théologie

Reprise de l’intervention video Première partie – 1

D’après Orthodoxie (L’), Paul Evdokimov, Desclée de Brouwer, 1992; Pages 47-56.
La vision de Paul Evdokimov sur la théologie patristique: les commentaires de Père Razvan Ionescu sont en italique

Une théologie du mystère qu’on ne connaît que par révélation et participation – la metanoïa

L’Orient distingue d’une part  » l’intelligence  » orientée vers la coïncidence des opposés et débouchant sur  » l’unité et l’identité par la grâce 1, et d’autre part la  » raison », pensée discursive fondée sur le principe logique de contradiction et d’identité formelle et tournée vers le multiple, donc « déifuge ». Or, « l’intelligence réside dans le coeur, la pensée dans le cerveau 2 . Ce qui explique pourquoi la foi orthodoxe ne se définit jamais en termes d’adhésion intellectuelle, mais relève de l’évidence vécue, d’une « sensation du transcendant »: « Seigneur, la femme qui était tombée dans un grand nombre de péchés, ayant ressenti ta dignité… » 3. Il faut souligner l’aspect existentiel de la foi où s’opère la coïncidence foncière de l’amour et de la connaissance, inséparablement un dans le coeur-esprit,
- Il n’y a donc pas de division dans la personne humaine qui connait théologiquement.
ce qui dépasse l’intellectualisme et le sentimentalisme et correspond au terme évangélique très fort de metanoïa, revirement de toute l’économie de l’être humain.
- metanoïa de meta-noûs, c’est l’intelligence non pas dans le sens de ratio mais une intelligence plus profonde de l’homme dans sa complexité. C’est un renouveau de l’intelligence, c’est à dire un mouvement qui fait que la personne humaine voit les choses autrement à travers la grâce de Dieu.

La théologie comporte un élément doctrinal, la didascalie objective de l’Eglise, sa catéchèse, mais plus profondément dans sa sève même elle écoute ses saints, s’alimente à leur expérience pneumatophore du Verbe. Ainsi, comme le montre le titre d’un des écrits de Denys le pseudo Aréopagite : De la théologie mystique, celle-ci est théologie du mystère qu’on ne connaît que par révélation et participation. Elle saisit les paroles de Dieu à l’intérieur des « phanies », manifestations de Dieu. La transcendance divine nous apprend qu’on ne peut jamais aller vers Dieu qu’en partant de lui, qu’en se trouvant déjà en lui.
[Oeuvre complète de Saint Denys l'areopagite, Mgr Darboy, Maison de la Bonne presse, 1845 - Théologie Mystique à partir de la page 463 pdf, ou 286 livre., téléchargeable ici]
Par rapport aux orientations développées en Occident, qui développent une théologie de discours et surtout une explication rationnelle des choses, l’Orient est plus enclin à une théologie du mystère. C’est à dire que l’on touche le mystère à travers la théologie. Ceci ne veut pas dire pour autant que l’on épuise le mystère à travers notre discours mais justement la théologie a comme fonction de nous mettre devant le mystère de Dieu. Elle nous invite à le goûter et en le goûtant on se rend compte que c’est une profondeur sans fin.
Les développements théoriques, chez les Pères passent souvent et sans aucune interruption aux textes de prières et de dialogue avec Dieu.
- Paul Evdokimov met l’accent sur cette relation étroite entre ce que l’on écrit sur Dieu et notre prière.

Mystagogie ou initiation
Saint Isaac Saint Isaac le Syrien voit dans ces instants: « la flamme des choses ». C’est peut-être la meilleure définition de la théologie. Art, beaucoup plus que science systématique, elle découvre la vérité cachée des choses célestes et terrestres et initie à la participation-communion au monde éonique de Dieu.
- Le mot initie, initiation, est important car en théologie on parle d’une pédagogie mais aussi d’une mystagogie, c’est à dire une initiation, on se souvient des paroles du seigneur quand Il dit:  » Allez, faites des gens de toutes les nations des disciples, baptisez-les pour le nom du Père, du Fils et de l’Esprit saint; et apprenez-leur à garder tout ce que je vous ai commandé. Quant à moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des temps.  » Matthieu 28:19-20  » 4 donc quand Il dit « apprenez », cette pédagogie vient tout de suite après « baptisez », qui veut dire « initiez », ouvrez la porte du Royaume à travers la grâce de Dieu, la descente de l’Esprit Saint; à travers cette pentecôte personnelle. La pédagogie vient donc à la suite de la mystagogie, ce qui ne veut pas dire que dans l’Eglise seul le baptême est mystagogique, car toute expérience de l’Eglise nous parle d’une mystagogie mais l’expérience de l’Eglise nous parle aussi d’une pédagogie, on ne peut donc pas les séparer. La mystagogie est donc une initiation au mystère, une découverte du mystère.
Théognosie – Theo: Dieu; gnosis: connaissance – catéchèse – Vous voyez l’équilibre qui existe toujours dans les affirmations théologiques, on parle d’une initiation mais aussi d’un enseignement.
« voie expérimentale de l’union avec Dieu » Ce sont des mots extraordinaires car en fait si on parle de la théologie, en se référant à Theo et Logos, le Logos se rapporte soit à la parole, soit à la logique, un développement rationnel. Mais en même temps à l’école des Pères de l’Eglise c’est dans son aspiration ultime « voie expérimentale de l’union avec Dieu. »
Pour les Pères la théologie est avant tout la contemplation de la Trinité.
- Evdokimov fait une synthèse des Pères de l’Eglise. Par conséquent ce que nous faisons ici c’est une synthèse de synthèses.-
C’est cette connaissance par inhabitation du Verbe qui est la théologie mystique.
- Le saint Esprit vient et fait sa demeure en nous, si Dieu fait sa demeure en quelqu’un Il s’unit avec cette personne. Il ne peut pas vivre dans la chambre du coeur de quelqu’un sans être en communion avec cet être humain. C’est pourquoi quand on invite le Seigneur, on l’invite à venir en nous, à exprimer Sa présence et à s’unir avec nous.
Il s’agit bien de la « parousie » divine dans l’âme
- Paul Evdokimov utilise d’autres termes théologiques pour apporter une nouvelle lumière à la signification.
qui ne peut être saisie que par les yeux de la foi, « les yeux de la Colombe ». Il s’agit non de connaître quelque chose sur Dieu, mais d’ »avoir Dieu en soi ».
- Alors que les démarches théologiques essaient de construire un discours mais sans pouvoir véritablement construire quelque chose à partir de l’expérience concrète, les Pères se contentent d’exprimer leur expérience concrète personnelle par leur théologie. Toutefois ce n’est pas leur expérience particulière à eux, que personne ne peut interpréter, mais c’est une expérience personnelle qui entre dans l’expérience générale de l’Eglise.
La théologie devient la description en termes théologiques de la présence illuminante du Verbe. Ce n’est point une spéculation sur les textes mystiques rnais la voie mystique elle-même, génératrice d’unité. Elle postule le retour à la nudité de l’esprit, son dépouillement jusqu’à son état pré-conceptuel de pure réceptivité adamique:
- Cette expérience de Dieu, nous invite à découvrir un état de l’âme qu’on peut évoquer en pensant d’abord à Adam qui est appelé à goûter le Royaume de Dieu et Dieu Lui-même. Le centre même de notre culte se trouve dans la Cène eucharistique. Nous nous rassemblons pour goûter quelque chose ensemble, signe de communion. Dans le centre du culte chrétien, se trouve donc cette démarche de partager avec les autres notre nourriture qui n’est pas une nourriture de ce monde. Même si les choses matérielles qui contribuent à cette nourriture viennent de ce monde, à travers la bénédiction portée par liturgie la nourriture de ce monde devient également une nourriture qui n’est pas de ce monde, c’est à dire le Corps et le Sang du Seigneur que nous goûtons ensemble.

Le charisme d’oraison, prier sans cesse
« La contemplation était le privilège d’Adam au paradis  » et donc nécessite avant tout un « charisme de l’oraison  »
- C’est à dire la prière « . On imagine donc bien Adam vivre une vie qui était une contemplation de Dieu et nourrissait son être. Quand on parle de charisme d’oraison ça veut dire que la prière telle que nous l’apprenons aujourd’hui est une redécouverte d’une état qui fut paradisiaque: Adam priait. Quand on a demandé au Seigneur comment prier? Il a répondu: « Priez sans cesse « , ce qui signifie que la prière peut être une prière qui ne cesse pas. Ceci veut dire que l’être humain a une capacité de prière qui exprime quelque chose de sa nature. Il est capable par sa nature d’entretenir une relation avec Dieu à travers sa prière. La prière est comme une respiration de l’âme, c’est à dire que de la même façon que le corps respire et que sans respiration il ne vit plus, l’âme respire (Sans pour autant entrer dans un dualisme âme-corps). La prière fait partie du bon « fonctionnement » de l’être humain, il en a besoin mais c’est un charisme en même temps.
La théologie ainsi s’érige en ministère charismatique, car « personne ne peut connaître Dieu si ce n’est Dieu lui-même qui l’enseigne » et « il n’y a pas d’autre moyen de connaître Dieu que de vivre en lui… « ;- Sans la grâce de Dieu on n’est pas capable de Prier. Quand nous voulons prier véritablement il nous faut cette aide. Dieu nous donne son aide à condition que nous le cherchions parce qu’Il respecte complètement notre liberté. La grâce de Dieu est garante de la liberté humaine, c’est le péché qui empêche la liberté humaine. Savoir prier nécessite également un enseignement de la part de Dieu.
« parler de Dieu est une grande chose » ironise saint Grégoire le Théologien et justifie son titre en déclarant : « mais il est encore mieux de se purifier pour Dieu ».
- Nous avons donc vu que certains Pères nous parlent de la connaissance de Dieu, nous parlent de la théologie en tant que connaissance de Dieu. J’ai souligné que la théologie est « voie expérimentale de l’union avec Dieu ». Théologie veut donc dire connaissance de Dieu et pour connaître Dieu nous ne pouvons pas rester comme nous sommes à l’heure actuelle, il faut changer quelque chose en nous. Car même si nous arrivons dans ce monde avec un certain état de pureté, notre nature corrompue à travers notre personne fait que nous sommes enclins malheureusement au péché. La vie spirituelle est la guérison totale, absolue et ultime de notre nature humaine. Dans l’office pour les défunts on dit que Dieu a tellement aimé l’être humain, qu’Il ne l’a pas laissé comme ça, c’est la raison pour laquelle la mort est justement la délivrance. S’il n’y avait pas de mort, cette nature à l’origine de l’être humain donnerait une vie corrompue éternelle. Dieu donne une fin à l’être humain par Amour 5.

La divinisation de l’homme par la grâce
C’est un dialogue entre l’esprit de l’homme et l’Esprit de Dieu mais un dialogue générateur d’unité « déifiante »: « Dieu ne s’unit qu’à des dieux », dit saint Symeon?
- C’est vraiment une synthèse avec des mots forts, des mots clés des Pères de l’Eglise. Autrement dit, en reprenant la définition la plus noble de la vie théologique ou de la vie de l’Eglise: « Dieu c’est fait homme, pour que l’homme puisse devenir dieu ». Notre destin n’est pas uniquement l’accomplissement de la personne humaine mais son accomplissement en tant que dieu par la grâce de Dieu. Il n’y a pas de changement de nature en nous mais si on vit la Vie que Dieu vit, on se transforme petit à petit en des dieux.
Pour saint Macaire, un théologien est un enseigné de Dieu et c’est l’Esprit, selon saint Syméon, qui d’un érudit fait un théologien, car il s’agit non de s’instruire intellectuellement sur Dieu, mais de se remplir de Dieu : « Afin que l’ayant reçu en nous, nous devenions ce qu’il est ».
- c’est pour cela que les êtres qui commencent à chercher Dieu dans leur vie deviennent de plus en plus ressemblant à Dieu. Une vie améliorée en Christ est une vie qui fait que quelqu’un est plus ressemblant à Dieu.

La libération des passions, les théologiens chrétiens orthodoxes
Pour saint Basile « la vraie théologie libère des passions »
-Si l’homme se libère petit à petit des mauvaises passions, c’est à dire les comportements qui ne laissent pas se manifester pleinement en nous l’image de Dieu. En s’en libérant on est dans l’acquisition petit à petits des « propriétés » qui expriment ce que Dieu est.
« Une théologie sans action 6 est la théologie des démons » note saint Maxime. C’est au dynamisme de la foi que répond « le don spirituel de l’Esprit qui révèle le sens de la théologie »….
L’Orthodoxie s’est avérée très sobre pour délivrer le titre de « théologien » par excellence. Seules trois personnes le possèdent comme attribut de leur sainteté: saint Jean le Théologien, le plus mystique des quatre évangélistes, saint Grégoire le Théologien, « chantre de la sainte trinité » et saint Symeon le Nouveau Théologien, auteur des hymnes qui exaltent l’union.
- Si l’Eglise est prudente dans l’attribution de ce titre, ce n’est pas qu’elle ne veut pas le donner mais ces personnes étaient caractérisées par leur profondeur théologique: elles ont su la vivre et l’exprimer à la fois. La théologie ce ne se limite pas à la contemplation, car il y a des êtres humains qui contemplent Dieu sans pouvoir exprimer cette contemplation et d’après ce qu’ils disent sans l’aide de Dieu il n’est pas possible de l’exprimer à travers un discours. En effet, notre discours ne peut pas « tenir en sa main » l’ineffable. Il faut que Dieu nous aide pour pouvoir exprimer des choses qui dépassent notre intelligence.

La contemplation ou theoria
La théologie comporte l’élément de contemplation. Ce discours peut paraître très théorique mais la pratique mène à la contemplation, car notre pratique c’est de contempler Dieu, et la contemplation vient de « theoria ». Donc la theoria pour les Pères n’est pas une attitude passive devant Dieu où l’on n’aurait plus envie de bouger puisque ce serait Dieu qui s’occuperait de nous. En référence aux écrits de Père Dumitru staniloae, il est vrai que Dieu prend l’initiative et comble l’être humain de telle façon que l’être humain se trouve parfois dans « l’étonnement », dans les phases les plus élevées du mystère de Dieu, mais même dans cet état la contemplation « theoria » est très pratique. C’est une étape très active dans la vie de quelqu’un parce qu’il est pleinement là dedans. Alors qu’en science la théorie est relative a un schéma abstrait de faits que l’on interprète, dans l’Eglise la « theoria » veut dire contemplation. Toute contemplation de la vérité dans l’Eglise, à travers la parole, à travers les sens ou tout ce que l’on est, est une theoria.

Le cataphatisme et l’apophatisme, la conscience des limites, et Dieu sujet non pas objet.
On a l’impression en lisant des écrits de théologie que les mots sont compliqués, par exemple cataphatisme et apophatisme. La théologie apophatique 7 est la théologie négative, celle cataphatique est positive. revenons à Paul evdokimov:
La méthode cataphatique procède par affirmation, mais en définissant Dieu, en lui donnant des noms, elle limite et rend son propre enseignement incomplet,
- C’est à dire que si on prend un livre par exemple, on arrive à décrire de quoi il s’agit par ses caractéristiques: sa taille, couleur, etc. Mais essayons de faire la même chose avec Dieu. Qui a vu Dieu? D’une certaine façon personne n’a vu Dieu. Cependant à travers notre expérience on peut avoir été touché par cette présence de Dieu, donc on parle d’une certaine façon d’une vision de Dieu, en gardant bien sûr les proportions. C’est pourquoi quand on essaie d’exprimer notre expérience on se rend compte que nos paroles sont très pauvres, on n’arrive pas à dire qui est Dieu. Si l’on se met à ajouter des attributs, des qualificatifs selon ce que l’on peut comprendre, on se rend compte que l’on commence à fabriquer une idole puisqu’en fait ça ne correspond pas à Dieu, car Il dépasse tout ce que l’on peut dire sur Lui. Ce genre de réflexion existe depuis le commencement du christianisme.
Il faut donc le compléter par la méthode apophatique qui procède par des négations ou oppositons à tout ce qui est de ce monde. Donc la théologie positive n’est point dévaluée mais précisée exactement dans sa dimension propre et ses limites.
- C’est extraordinaire, cette conscience des limites. La science d’aujourd’hui les découvre également car son discours ne couvre pas une réalité beaucoup plus complexe que celle que l’on peut imaginer.
C’est que la théologie négative habitue à l’infranchissable distance salvatrice: « Les conceptions créent des idoles de Dieu, dit saint Grégoire de Nysse, l’étonnement seul saisit quelque chose ».
- C’est à dire que l’on n’est pas devant un objet « Dieu ». En effet, pour la théorie de la connaissance il faut un objet de connaissance. Or dans la définition courante de la science, l’objet Dieu n’existe pas, puisqu’Il n’est pas reconnu de manière universelle. Même pour le théologien définir Dieu comme objet de connaissance n’est pas facile car il n’est pas un objet, il est un sujet de notre connaissance. Si Lui (ou si eux pour les trois personnes), ne s’ouvre pas à notre connaissance on ne peut pas le connaitre.

La prière liturgique, élévation vers Dieu et communion avec les autres
Paul Evdokimov parle plus loin de la prière liturgique: elle nous mène vers cette union. Quand on parle de prière personnelle, cela ne veut pas dire prière individuelle, parce que quand la personne prie elle est en communion avec d’autres personnes. Plus elle prie, plus elle est en communion avec les autres. C’est très important de le comprendre. Le Père Dumitru Staniloae, le décrivait en prenant l’image d’une pyramide inversée, plus on prie, plus on s’approche de Dieu et plus on est entouré. Quand nous prions ordinairement, nous sommes seuls même au milieu de plein de gens car nous ne les aimons pas comme il le faudrait, ou nous n’arrivons pas à entretenir cette communion à travers notre amour, c’est Dieu qui nous enseigne l’Amour.
On parle de la prière liturgique car on a besoin de cette prière qui concerne le peuple de Dieu dans l’Eglise. C’est elle qui nous mène vers notre « déification »: on devient Dieu selon la grâce de Dieu.
En cherchant Dieu, c’est l’homme qui est trouvé par Dieu.

Notes: sur le site

LA PRÉSENCE DE L’ESPRIT-SAINT par Saint Séraphim de Sarov

21 juillet, 2014

http://www.pagesorthodoxes.net/foi-orthodoxe/esprit-saint-prieres.htm

LA PRÉSENCE DE L’ESPRIT-SAINT

par Saint Séraphim de Sarov

Extraits de « L’entretien avec Motovilov »

Comment alors, demandai-je au Père Séraphim, pourrais-je reconnaître en moi la présence de la grâce du Saint-Esprit ?
C’est fort simple, répondit-il. Dieu dit : Tout est simple pour celui qui acquiert la Sagesse (Pr 14,6). Notre malheur, c’est que nous ne la recherchons pas, cette Sagesse divine qui, n’étant pas de ce monde, n’est pas présomptueuse. Pleine d’amour pour Dieu et pour le prochain, elle façonne l’homme pour son salut. C’est en parlant de cette Sagesse que le Seigneur a dit : « Dieu veut que tous soient sauvés et parviennent à la Sagesse de la vérité » (1 Tm 2,4). A ses Apôtres qui manquaient de cette Sagesse, il dit : Combien vous manquez de Sagesse ! N’avez-vous pas lu les Écritures ? (Lc 24,25-27). Et l’Évangile dit qu’il « leur ouvrit l’intelligence afin qu’ils puissent comprendre les Écritures. » Ayant acquis cette Sagesse, les Apôtres savaient toujours si, oui ou non, l’Esprit de Dieu était avec eux et, remplis de cet Esprit, affirmaient que leur oeuvre était sainte et agréable à Dieu. C’est pourquoi, dans leurs Épîtres, ils pouvaient écrire : Il a plu au Saint-Esprit et à nous… (Ac 15,28), et c’est seulement persuadés qu’ils étaient de sa présence sensible, qu’ils envoyaient leurs messages. Alors, ami de Dieu, vous voyez comme c’est simple ?
Je répondis : Quand même, je ne comprends pas comment je peux être absolument sûr de me trouver dans l’Esprit-Saint ? Comment puis-je moi-même déceler en moi sa manifestation ?
Le Père Séraphim répondit : Je vous ai déjà dit que c’était très simple et je vous ai expliqué en détail comment les hommes se trouvaient dans l’Esprit-Saint et comment il fallait comprendre sa manifestation en nous… Que vous faut-il encore ?
– Il me faut, répondis-je, le comprendre vraiment bien…
Alors le Père Séraphim me prit par les épaules et les serrant très fort dit : Nous sommes tous les deux, toi et moi, en la plénitude de l’Esprit-Saint. Pourquoi ne me regardes-tu pas ?
– Je ne peux pas, Père, vous regarder. Des foudres jaillissent de vos yeux. Votre visage est devenu plus lumineux que le soleil. J’ai mal aux yeux…
Le Père Séraphim dit : N’ayez pas peur, ami de Dieu. Vous êtes devenu aussi lumineux que moi. Vous aussi vous êtes à présent dans la plénitude du Saint-Esprit, autrement vous n’auriez pas pu me voir.
Inclinant sa tête vers moi, il me dit à l’oreille : Remerciez le Seigneur de nous avoir accordé cette grâce indicible. Vous avez vu – je n’ai même pas fait le signe de la croix. Dans mon coeur, en pensée seulement, j’ai prié : « Seigneur, rends-le digne de voir clairement, avec les yeux de la chair, la descente de l’Esprit-Saint, comme à tes serviteurs élus lorsque tu daignas leur apparaître dans la magnificence de ta gloire ! » Et immédiatement Dieu exauça l’humble prière du misérable Séraphim. Comment ne pas le remercier pour ce don extraordinaire qu’à tous les deux il nous accorde ? Ce n’est même pas toujours aux grands ermites que Dieu manifeste ainsi Sa grâce. Comme une mère aimante, cette grâce a daigné consoler votre coeur désolé, à la prière de la Mère de Dieu elle-même… Mais pourquoi même regardez-vous pas dans les yeux ? Osez me regarder sans crainte ; Dieu est avec nous.
Après ces paroles, je levai les yeux sur son visage et une peur plus grande encore s’empara de moi. Imaginez-vous au milieu du soleil, dans l’éclat le plus fort de ses rayons de midi, le visage d’un homme qui vous parle. Vous voyez le mouvement de ses lèvres, l’expression changeante de ses yeux, vous entendez le son de sa voix, vous sentez la pression de ses mains sur vos épaules, mais en même temps vous n’apercevez ni ses mains, ni son corps, ni le vôtre, rien qu’une étincelante lumière se propageant tout autour, à une distance de plusieurs mètres, éclairant la neige qui recouvrait la prairie et tombait sur le grand starets et sur moi-même…

Extrait de l’Entretien avec Motovilov,
Irina Goraïnoff, Séraphim de Sarov, DDB, 1979.

L’ANCIEN TESTAMENT DANS L’ÉGLISE DU NOUVEAU TESTAMENT

21 juin, 2014

http://stranitchka.pagesperso-orange.fr/VO24/Ancien%20Testament1.html

L’ANCIEN TESTAMENT DANS L’ÉGLISE DU NOUVEAU TESTAMENT

par le protopresbytre Michel Pomazansky

[Première partie]

De nombreux siècles nous séparent du temps où les livres de l’Ancien Testament ont été écrits, particulièrement les premiers. Et il n’est plus facile pour nous de retourner en pensées dans les conditions de vie dans lesquelles ces livres inspirés ont été créés et qui sont décrites dans les livres eux-mêmes. Cela a donné naissance à de nombreuses interrogations qui peuvent troubler l’homme moderne. De telles interrogations surgissent particulièrement lorsque les gens essayent de concilier la vision scientifique contemporaine avec la simplicité des idées bibliques sur le monde. Des questions d’ordre général s’élèvent quant à savoir jusqu’à quel point la vision vétérotestamentaire peut correspondre à la vision néotestamentaire. Et souvent les gens se demandent : “À quoi bon l’Ancien Testament? Les enseignements et les écritures néotestamentaires ne sont-elles pas suffisantes?”
Pour ce qui est des ennemis de la chrétienté, leurs polémiques contre la foi chrétienne commencent de longue date par des attaques dirigées sur l’Ancien Testament. L’athéisme militant contemporain considère les récits de l’Ancien Testament comme un matériau le plus facilement utilisable pour parvenir à ses fins. Ceux qui sont passés par une période de doute religieux, voire de négation de la religion (particulièrement ceux qui sont passés par le système éducatif soviétique avec sa propagande antireligieuse), disent habituellement que la première pierre d’achoppement à leur foi a précisément surgi à ce niveau.
Le rapide survol des Écritures de l’Ancien Testament que nous proposons, ne peut pas répondre à toutes les questions qui se présentent à cet égard; mais nous pensons qu’il peut indiquer les principes de base devant permettre de résoudre nombre de ces interrogations.

Selon les Commandements du Sauveur et des Apôtres
L’Église chrétienne primitive résidait constamment en esprit dans la Cité Céleste, dans l’attente des choses à venir, mais elle organisait également l’aspect terrestre de son existence; en particulier, elle accumulait et prenait grand soin des trésors matériels de la Foi et en tout premier lieu des documents écrits concernant la Foi. Les plus importants des Écrits étaient les Évangiles, le récit sacré de la vie terrestre et des enseignements de notre Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu. Venaient ensuite tous les autres écrits des Apôtres. Puis venaient les livres sacrés des Hébreux, que l’Église garde précieusement comme des écrits sacrés.

Qu’est-ce qui rend les Écritures de l’Ancien Testament précieuses pour l’Église? Le fait que:
a / elles nous enseignent à croire en un Dieu Unique, Véritable, et à accomplir les commandements de Dieu
b/ elles parlent du Sauveur. Le Christ Lui-même le fait remarquer : “Vous scrutez les Écritures, parce que vous pensez avoir en elles la vie éternelle, or ce sont elles qui rendent témoignage de Moi.”, /Jn, V,39/dit-Il aux scribes Juifs. Dans la parabole sur le riche et Lazare, le Sauveur met ces paroles dans la bouche d’Abraham à propos des frères du riche: “Ils ont Moïse et les prophètes; qu’ils les écoutent” /Luc, XVI, 29/. “Moïse” signifie les cinq premiers livres de l’Ancien Testament; “les prophètes” – les seize derniers. En parlant avec Ses disciples, le Sauveur a encore mentionné le Psautier comme autre livre : “Tout ce qui est écrit de Moi dans la loi de Moïse, les prophètes et les psaumes doit être accompli” /Luc, XXIV,44/. Après la Sainte Cène, “quand ils eurent chanté une hymne, ils allèrent sur le Mont des Oliviers”, dit l’Évangéliste Matthieu /XXVI,30/: cela fait référence aux chants des psaumes. Les paroles du Sauveur et Son propre exemple sont suffisants pour que l’Église se comporte avec le plus grand respect à l’égard de ces livres – la loi de Moïse, les prophètes et les psaumes -, qu’elle les préserve et y puise son enseignement.
Dans le code hébraïque, c’est-à-dire le cycle des livres reconnus comme sacrés par les Juifs, il y avait, et il y reste encore, deux autres catégories de livres : les livres didactiques, dont seul le psautier a été mentionné, et les livres historiques. L’Église les a acceptés puisque les Apôtres en avaient ainsi décidé. Saint Paul écrit à Timothée: “Depuis l’enfance, tu connais les Saintes Écritures qui peuvent te donner la sagesse pour le salut par la foi en Christ Jésus” /II Tim., 3,15/. Ce qui veut dire que si on les lit avec sagesse, alors on peut trouver en elles la voie qui nous fortifie dans la foi chrétienne. L’Apôtre parlait de tous les livres de l’Ancien Testament, ce qui est rendu évident par ce qu’il dit ensuite : “Toute l’Écriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, pour reprendre, pour redresser, pour instruire dans la droiture.” (II Tim., 3,15-16).
L’Église a reçu les livres sacrés des Juifs dans la traduction grecque de la version des Septante, qui a été faite bien avant la Nativité du Christ. Cette traduction a été utilisée par les Apôtres, et c’est en grec qu’ils écrivaient leurs propres épîtres. Le canon contient aussi des livres sacrés d’origine hébraïque, qui cependant n’existaient qu’en grec, car ils avaient été composés après l’établissement de la liste officielle des livres sacrés juifs, sanctionnée en son temps par la Grande Synagogue. L’Église chrétienne Orthodoxe les inclut dans la collection des livres de l’Ancien Testament (dans la science biblique, on les a appelés livres “deutéro-canoniques”). Les Juifs n’utilisent pas ces livres dans leur vie religieuse.
En acceptant les Saintes Écritures de l’Ancien Testament, l’Église a montré qu’elle est l’héritière de l’Église de l’Ancien Testament qui s’est éteinte : non pas de l’aspect national du Judaïsme, mais du contenu religieux de l’Ancien Testament. Dans cet héritage, certaines choses ont une signification et une valeur éternelles, d’autres ont cessé d’exister et ont un sens uniquement comme souvenir du passé comme, par exemple, les règlements concernant le tabernacle, les sacrifices et les prescriptions pour la conduite journalière des Israélites. Par conséquent, l’Église utilise son héritage vétérotestamentaire de façon parfaitement indépendante, en accord avec sa compréhension du monde qui est plus complète et supérieure à celle de l’Ancien Israël.

Degré d’utilisation de l’Ancien Testament dans l’Église
Tout en admettant une totale reconnaissance de principe à la dignité des livres de l’Ancien Testament, l’Église chrétienne n’a pas eu en pratique l’opportunité de les utiliser toujours, partout et intégralement. Cela apparaît évident étant donné la quantité de ces textes qui occupent, dans la Bible, quatre fois plus de pages que le Nouveau Testament. Avant que les livres ne soient imprimés, ce qui veut dire durant les 1500 premières années de l’ère chrétienne, copier les livres, les collectionner et se les procurer était en soi une entreprise difficile. Seules quelques rares familles pouvaient en avoir une collection complète, mais certainement pas toutes les communautés chrétiennes. Comme source d’instruction de la Foi, comme guide de la vie du chrétien dans l’Église, le Nouveau Testament occupe, bien sûr, la première place. Le Psautier est le seul livre de l’Ancien Testament dont on puisse dire que l’Église l’a utilisé constamment, et l’utilise toujours pleinement, tant liturgiquement que pour accompagner la vie de chaque chrétien. Il en est ainsi depuis le temps des Apôtres jusqu’à nos jours et elle continuera de l’utiliser jusqu’à la fin des temps. Des autres livres de l’Ancien Testament, elle s’est limitée à des lectures choisies extraites de certains livres. En particulier, pour ce qui est de l’Église Russe, et bien qu’elle ait atteint une splendeur certaine dès le XI -XII ème siècles, avant l’invasion des Tatares, que cette plénitude de vie se fût exprimée dans la création liturgique, dans l’iconographie et dans l’architecture religieuse russes, qu’elle ait exercé son influence sur les monuments de la littérature de l’ancienne Russie, elle ne disposait cependant pas d’une collection complète des livres de l’Ancien Testament. Il n’y avait que des traductions de certains des livres les plus importants. C’est seulement à la fin du 15ème siècle que l’Archevêque Guennady de Novgorod a pu, avec beaucoup de difficultés, réunir les traductions slavonnes des livres de l’Ancien Testament. Et encore, ce ne fut que pour un seul archevêché, pour la cathédrale d’un seul évêque! Ce n’est qu’avec l’avènement de l’imprimerie que les Russes purent obtenir leur première Bible complète, publiée à la fin du XVI ème siècle, et connue sous le nom de Bible d’Ostrog. De nos jours, l’acquisition d’une Bible est devenue très accessible. Cependant, en pratique, l’utilisation purement liturgique des livres de l’Ancien Testament est restée identique à celle qui avait été établie originellement par l’Église.

“ Comprends-tu ce que tu lis ?”
Conformément au récit des Actes des Apôtres, lorsque l’Apôtre Philippe a rencontré un des eunuques de la Reine Candace sur la route avec le livre du prophète Isaïe dans sa main, il a demandé à l’eunuque : “Comprends-tu ce que tu lis?” Il lui répondit : “Comment le pourrais-je, si quelqu’un ne me guide ?” (Actes, VIII,31). Et Philippe l’instruisit si bien dans la conception chrétienne de ce qu’il lisait, que cette lecture de l’Ancien Testament fut immédiatement suivie, sur la route elle-même, du baptême de l’eunuque. L’Apôtre avait interprété à la lumière de la foi chrétienne ce que l’eunuque lisait. De même, c’est en nous fondant sur la Foi chrétienne que nous devons approcher la lecture de l’Ancien Testament, qui doit être compris dans le sens du Nouveau Testament, dans la lumière qui procède de l’Église. À cette fin, l’Église nous offre les commentaires patristiques des Saintes Écritures, préférant que ce soit par eux que nous assimilions le contenu des livres sacrés. Il est nécessaire de garder en mémoire que l’Ancien Testament est “l’ombre des biens à venir” (Heb., X,1). Sinon le lecteur pourrait ne pas recevoir l’édification nécessaire, comme nous en avertit l’Apôtre Paul. À propos des Juifs, il écrit : “jusqu’à ce jour, quand ils lisent Moïse, un voile est étendu sur leurs coeurs” (2 Cor., III,15). Chez eux, ce voile “reste non-levé quand ils font la lecture de l’Ancien Testament“ (ibid, 14), ce qui veut dire qu’ils ne sont pas éclairés spirituellement par la foi. Cependant, “dès que leurs cœurs se seront tournés vers le Seigneur” , poursuit l’Apôtre, “le voile sera ôté” (ibid.). Nous devons donc nous aussi lire ces livres d’un point de vue chrétien. C’est à dire qu’il convient de toujours garder les paroles du Seigneur à propos des Écritures : “elles rendent témoignage de Moi” (Jn, V,39). En effet, elles requièrent non seulement une lecture, mais une recherche. En elles se trouvent la préparation à la venue du Christ, les promesses, les prophéties, les préfigurations et les présages du Christ. C’est conformément à ce principe que sont choisis les extraits des lectures de l’Ancien Testament durant les offices liturgiques. Et même si l’Église nous les offre en édification, elle choisit des passages qui semblent écrits à la lumière de l’Évangile et qui parlent, par exemple, de la “vie éternelle”, des justes, de la “droiture selon la foi”, de la grâce. Si nous abordons les livres de l’Ancien Testament avec cet éclairage, alors nous pouvons y trouver une énorme richesse pour l’édification des chrétiens. Tout comme les gouttes de rosée sur les plantes brillent de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel lorsque la lumière du soleil vient les frapper, tout comme les brindilles des arbres couvertes de givre irisent de toutes les teintes lorsqu’elles reflètent le soleil, de même ces Écritures reflètent-elles ce qui est prédestiné à apparaître plus tard: les événements, les actes et l’enseignement de l’Évangile. Mais dès lors que le soleil se couche, ces mêmes gouttes de rosée et la pellicule de givre des arbres ne caressent plus nos yeux, bien qu’elles restent identiques à ce qu’elles étaient lorsque le soleil brillait. Il en est de même avec les Écritures de l’Ancien Testament. Sans la lumière des Évangiles elles deviennent caduques, “vieillies”, comme le dit l’Apôtre, et c’est ainsi que l’Église les appelle : “Ce qui est devenu ancien, ce qui est vieilli, est prêt de disparaître” (Héb., VIII,13). Le Royaume du peuple élu est arrivé à sa fin, le Royaume du Christ est apparu : “Jusqu’à Jean, c’était la Loi et les prophètes; depuis lors, le Royaume de Dieu est annoncé” (Luc, XVI,16).

Pourquoi faut-il connaître l’Ancien Testament ?
Nous écoutons les hymnes et les lectures à l’Église, et deux séries d’événements se révèlent à nos yeux : l’Ancien Testament et le Nouveau, en tant que sa préfiguration et son image, comme l’ombre et la vérité, comme la chute et le relèvement, comme la perte et l’acquisition. Dans les écrits patristiques et dans les hymnes liturgiques, cette comparaison entre l’Ancien et le Nouveau Testaments revient en permanence : Adam et le Christ, Ève et la Mère de Dieu. Là, le paradis terrestre, ici, le paradis Céleste. Par la femme vient le péché, par la Vierge le salut. Goûter le fruit mène à la mort, participer aux Saints Dons mène à la vie. Là, l’arbre interdit, ici, la Croix salvatrice. Là, il est dit : “par la mort tu mourras”, ici : “aujourd’hui tu seras avec Moi au paradis”. Là, le serpent flatteur, ici, Gabriel annonciateur de la bonne nouvelle. Là, il est dit à la femme : “dans la douleur tu enfanteras”; ici, on dit aux femmes près du tombeau : “réjouissez-vous”. Le parallèle est mené tout au long de l’intégralité des deux Testaments. Le salut des eaux dans l’arche, le salut dans L’Église. Les trois pèlerins chez Abraham, la vérité des Évangiles sur la Sainte Trinité. L’offrande d’Isaac en sacrifice, la mort du Sauveur sur la Croix. L’échelle que Jacob a vu en songe, la Mère de Dieu, échelle de la descente du Fils de Dieu sur terre. La vente de Joseph par ses frères, la trahison du Christ par Judas. L’esclavage en Egypte, l’esclavage spirituel de l’humanité au Malin. La sortie d’Egypte, le Salut en Christ. La traversée de la Mer Rouge, le Saint Baptême. Le buisson inconsumé, la virginité perpétuelle de la Mère de Dieu. Le Sabbat, le jour de la Résurrection. Le rite de la circoncision, le mystère du Baptême. La manne, la sainte Cène néotestamentaire du Seigneur. La loi de Moïse, la loi des Évangiles. Le Sinaï, le Sermon sur la Montagne. Le tabernacle, l’Église du Nouveau Testament. L’Arche de l’Alliance, la Mère de Dieu. Le serpent sur le bâton, le péché cloué par le Christ sur la Croix. Le bâton d’Aaron qui fleurit, la renaissance en Christ. Et nous pourrions continuer d’énumérer bien d’autres comparaisons.
Notre compréhension du Nouveau Testament exprimée dans nos hymnes, donne encore plus de relief aux événements vétérotestamentaires. Par quelle puissance Moïse a-t-il partagé les eaux de la mer ? Par le signe de la Croix : “En traçant devant lui le signe de la Croix avec son bâton, Moïse ouvrit la mer Rouge à Israël qui la passa à pied sec”. Qui conduisit les Juifs à travers la Mer Rouge ? Le Christ : “Le Christ, à bras étendu, précipita cheval et cavalier dans la mer Rouge, mais Il sauva Israël”. Le retour de la mer à sa forme première, après le passage des Israélites, était une préfiguration de l’incorruptible pureté de la Mère de Dieu. “Jadis, dans la mer Rouge, fut esquissée l’image de l’Épouse inépousée”. ( Dog. Théotokion, 5ème ton).
Durant la première et la cinquième semaines du Grand Carême, nous nous réunissons à l’église pour le canon de pénitence et de componction de saint André de Crète. Dans une longue séquence, passent devant nous des exemples de droiture et des exemples de chutes qui traversent tout l’Ancien Testament, puis viennent des exemples tirés du Nouveau Testament. Mais ce n’est qu’à la condition de connaître l’histoire sacrée de l’Ancien Testament, que nous pouvons profiter pleinement du contenu de ce canon.
C’est pourquoi une connaissance de l’histoire biblique n’est pas seulement nécessaire aux adultes. En instruisant nos enfants à l’Ancien Testament, nous les préparons à une participation plus consciente et à une meilleure compréhension des offices liturgiques.
Mais il est d’autres raisons encore plus importantes.
Dans les paroles du Sauveur, et dans les écrits des Apôtres, il est souvent fait référence à des personnages, à des événements et à des textes de l’Ancien Testament : Moïse, Elie, Jonas, au témoignage du prophète Isaïe et ainsi de suite.
Dans l’Ancien Testament sont données les raisons pour lesquelles le salut par la venue du Fils de Dieu était essentiel pour l’humanité.
Mais nous ne devons cependant pas perdre de vue tout ce que l’Ancien Testament apporte pour l’édification purement morale. “Le temps me manquerait” , écrit l’Apôtre Paul, “pour parler de Gédéon, et de Barac, et de Samson, et de Jephté, de David, de Samuel et des prophètes : par la foi ils ont conquis des royaumes, exercé la justice, obtenu l’effet des promesses, fermé la gueule des lions, éteint la violence du feu, échappé à la lame de l’épée, triomphé de la maladie, déployé leur vaillance au combat, mis en déroute des armées ennemies … eux dont le monde n’était pas digne; ils ont erré dans les déserts et les montagnes, dans les cavernes et dans les antres de la terre” (Heb., XI,32 -34;38). Nous devons également en tirer profit pour notre édification. L’Église place constamment devant les yeux de notre esprit l’image des Trois Enfants dans la fournaise de Babylone.
Avec et sans L’Église comme guide
Dans L’Église tout est à sa place. Dans L’Église toute chose a son poids spécifique et son éclairage adéquat. Cela s’applique également aux Écritures de l’Ancien Testament. Nous connaissons par coeur les Dix Commandements qui nous ont été donnés sur le Mont Sinaï, mais nous les comprenons bien plus profondément que ne le pouvaient les Juifs, parce que pour nous ils sont éclairés et approfondis par le Sermon du Sauveur sur la Montagne. Une législation morale et rituelle abondante nous est présentée par la loi de Moïse, toutefois, les mots : “Tu aimeras le Seigneur Ton Dieu de tout ton coeur, de tout ton être et de toute ton âme” et : “Tu aimeras ton prochain comme toi-même”, que l’on trouve au milieu de la masse des autres instructions de Moïse, n’ont commencé à briller pour nous de leur plein éclat que grâce à l’Évangile.
Ni le tabernacle, ni le temple de Salomon n’existent plus désormais; pourtant, nous étudions leur structure, parce que beaucoup de symboles du Nouveau Testament sont contenus dans leur institution. Dans L’Église nous entendons des lectures tirées des prophètes, mais ils ne nous sont pas offerts afin que nous puissions connaître le destin des peuples qui entouraient la Palestine, mais parce que ces lectures contiennent des prophéties sur le Christ et sur les événements de l’Évangile.
Mais voilà qu’un jour (c’était au 16e siècle, en Europe occidentale), une branche nombreuse de la chrétienté ne voulut plus être guidée par la Tradition ecclésiastique et rejeta toute la richesse de la Tradition de l’Église antique, décidant de ne garder que les Saintes Écritures, l’Ancien et le Nouveau Testaments, comme source unique et guide dans la foi. C’est ce que fit le Protestantisme. Rendons lui cette justice : il s’était enflammé du désir de la parole vivante de Dieu, il se mit à aimer la Bible. Mais il ne tint pas compte du fait que les Saintes Écritures avaient été collectées par L’Église, et qu’elles appartenaient à L’Église de par son héritage historique et apostolique. Il ne tint pas compte du fait que la Foi de L’Église est illuminée par la Bible, tout comme la Bible l’est par la Foi de L’Église, et qu’elles sont mutuellement nécessaires l’une à l’autre. Restés seuls avec les Saintes Écritures, ces chrétiens se sont mis à les étudier avec frénésie, dans l’espoir qu’en suivant leur chemin pas à pas, ils le verraient si clairement qu’il ne pourrait plus y avoir de différends à propos de la foi. La Bible, dont les trois quarts en terme de volume sont constitués de l’Ancien Testament, devint une référence constante. Ils l’étudièrent dans ses moindres détails, la contrôlèrent avec différents textes hébreux anciens, comptèrent combien de fois tel ou tel mot revenait dans les Saintes Écritures. Mais, ce faisant, ils commencèrent à perdre le juste rapport des valeurs. L’Ancien et le Nouveau Testaments leur apparurent comme deux sources équivalentes de la foi, se complétant mutuellement, comme deux aspects parfaitement égaux. Chez certains groupes de protestants, la prédominance quantitative des livres de l’Ancien Testament, comme le fait qu’ils sont placés avant dans la Bible, les amènent à penser que l’Ancien Testament occupe de même la première place en importance. C’est ainsi qu’apparurent les sectes judaïsantes. Ils se mirent à considérer le monothéisme (la foi en un seul Dieu) de l’Ancien Testament, comme étant supérieur au monothéisme du Nouveau Testament avec sa vérité divinement révélée d’un Seul Dieu dans la Sainte Trinité; les commandements donnés sur le Mont Sinaï devinrent plus importants que la doctrine des Évangiles; le sabbat, plus important que le jour de la Résurrection.
D’autres, s’ils n’ont pas suivi cette voie des judaïsants, ont cependant été incapables de discerner l’esprit de l’Ancien Testament de celui du Nouveau, l’esprit de l’esclavage de celui de la filiation, l’esprit de la loi de celui de la liberté. Sous l’influence de certains passages de l’Ancien Testament, ils ont rejeté la plénitude de la vénération divine telle qu’elle s’exprime dans l’Église chrétienne sous différentes formes impliquant l’esprit et le corps en même temps, ils ont rejeté les modes extérieurs d’expression de cette vénération et, en particulier, ils ont dédaigné ce symbole de la Chrétienté – la Croix – et autres représentations sacrées, se mettant ainsi d’eux-mêmes sous la condamnation de l’Apôtre : “Toi qui as les idoles en abomination, tu commets des sacrilèges” (Rom., II,22).
Un troisième groupe, troublé soit par la simplicité avec laquelle les anciens récits sont relatés, soit par la cruauté de l’antiquité, notamment telle qu’elle s’est manifestée dans les guerres, le nationalisme exacerbé des Juifs et d’autres aspects de l’ère pré-chrétienne, se sont mis à avoir une attitude critique à l’égard de ces récits, puis de la Bible elle-même dans son intégralité.
De même qu’il est impossible de ne manger que du pain sans eau, même si le pain est l’aliment le plus essentiel pour l’organisme, il est tout autant impossible d’être nourri spirituellement par les seules Écritures, sans le rafraîchissement de la grâce fourni par la vie dans l’Église. Les facultés théologiques protestantes, qui prétendent assurer la garde du christianisme et de ses sources en travaillant sur l’étude de la Bible, se retrouvent avec un goût amer dans la bouche. Ils se sont passionnés pour l’analyse critique des textes des Écritures, initialement de l’Ancien Testament, puis du Nouveau et, ce faisant, ils ont progressivement cessé de sentir la force spirituelle des Écritures et ont abordé les livres sacrés comme de simples documents de l’antiquité, en leur appliquant des méthodes et des techniques positivistes du 19ème siècle. Certains de ces théologiens se sont mis à rivaliser entre eux, inventèrent des théories sur l’origine de différents livres au mépris de l’antique tradition sacrée. Dans le but d’expliquer des cas de prophéties d’événements survenus ultérieurement et qui se trouvent inscrits dans les livres sacrés, ils se sont mis à dire que ces livres étaient en fait écrits à une date bien plus tardive, à l’époque même où ces événements se seraient produits. Les théories ont pu varier, mais la méthode elle-même ne pouvait que saper l’autorité des Saintes Écritures ainsi que la Foi chrétienne. Il est vrai que les simples croyants protestants ignoraient tout de cette prétendue “critique biblique” et, dans une certaine mesure, continuent à le faire. Mais comme les pasteurs sont passés par ces écoles théologiques, il n’est pas rare qu’ils aient eux-mêmes été les vecteurs de cette pensée critique au sein de leurs communautés. La période de cette critique biblique connaît maintenant un déclin certain, mais ce bouleversement a amené un grand nombre de sectes à perdre la foi dans les dogmes, à reconnaître uniquement l’enseignement moral de l’Évangile, oubliant qu’il est inséparable de la doctrine dogmatique.
Il arrive souvent que même les meilleures entreprises connaissent des aspects regrettables.
Ainsi, la traduction de la Bible en langues contemporaines a été un grand événement dans le domaine de la culture chrétienne. Nous devons admettre que dans une grande mesure, cette tâche a été accomplie par les Protestants. Cependant, nous devons aussi admettre que le souffle de la sainte et profonde antiquité des Écritures vétérotestamentaires est plus difficilement perceptible dans nos langues contemporaines. Lorsqu’on lit les Écritures dans ces langues, il est plus malaisé de prendre en compte l’immense distance qui sépare les deux époques, l’apostolique et la nôtre, et il s’ensuit une incapacité à comprendre et apprécier la simplicité des récits bibliques. Ce n’est pas sans raison que les Juifs préservent l’ancienne langue hébraïque des Écritures, et évitent même d’utiliser pour les prières et les lectures dans les synagogues des Bibles imprimées, préférant se servir de copies manuscrites de l’Ancien Testament sur parchemins.
Diffuser la Bible sur tous les continents par millions d’exemplaires fut également une grande œuvre. Mais là encore, pareille distribution massive n’a-t-elle pas amoindri, parmi les masses humaines, le respect dû au Livre des livres ?
Ce que nous venons de dire se rapporte à l’activité à l’intérieur du christianisme. Mais voilà que des circonstances externes sont apparues. La Bible s’est trouvée confrontée à des recherches scientifiques multiples : géologie, paléontologie, archéologie. Des profondeurs de la terre a surgi le monde du passé, jusqu’alors pratiquement inconnu, que la science contemporaine a daté d’un nombre vertigineux de millénaires. Les ennemis de la religion n’ont pas manqué d’utiliser ces données de la science comme armes contre la Bible, la mettant sur le banc des accusés en paraphrasant Pilate : “N’entends-Tu pas de combien de choses ils T’accusent ?” (Marc, XV,4).
Dans ces conditions nouvelles, nous devons nous renforcer dans l’idée de la sainteté de la Bible, de sa vérité, de sa valeur, de sa nature exceptionnelle et de sa grandeur comme Livre des livres, authentique livre de l’humanité. Notre devoir est de nous protéger nous-mêmes de tout trouble. Ce sont principalement les Saintes Écritures de l’Ancien Testament qui sont confrontées aux théories scientifiques contemporaines. Aussi, approchons-nous de plus près de l’Ancien Testament. Regardons-le pour ce qu’il est. En ce qui concerne la science, nous pouvons être pratiquement certains que la science objective et authentique rendra toujours témoignage de la Vérité de la Bible. Saint Jean de Cronstadt enseigne : “Lorsque tu doutes de la véracité d’une personne ou d’un événement décrits dans les Saintes Écritures, souviens-toi alors que “toute Écriture est inspirée de Dieu”, comme le dit l’Apôtre (2 Tim., III,16), et par conséquent est vraie, et ne peut contenir de personnages imaginaires, de fables, ou contes, bien qu’elle comprenne des paraboles dont n’importe qui peut voir que ce ne sont pas des récits authentiques, mais qu’elles sont écrites dans un langage figuré. Toute parole de Dieu est vérité une et indivisible; et si tu admets pour mensonge un récit, une phrase ou un simple mot, alors tu pécheras contre la vérité de toutes les Saintes Écritures, dont la Vérité première est Dieu Lui-même” (Saint Jean de Cronstadt, Ma Vie en Christ, Monastère de la Sainte Trinité, Jordanville N.Y. 1971, Vol I, p77).

L’inspiration divine des Écritures
En slavon et en russe nous qualifions habituellement les “Écritures” de “sacrées” (en grec : teroV, iera). “Sacré” signifie “sanctifié”, possédant la grâce, reflétant le souffle du Saint Esprit. Le terme “Saint” n’est systématiquement appliqué qu’aux Évangiles (en grec : ~agioV, agia, agion), et avant la lecture de l’Évangile, nous sommes appelés à prier afin d’être digne de l’entendre : “Et pour que nous soyons jugés dignes d’écouter le Saint Évangile, prions le Seigneur notre Dieu”. De plus, nous sommes obligés de l’écouter debout : “Sagesse ! Debout ! Écoutons le Saint Évangile !”, alors que lorsque nous écoutons les lectures de l’Ancien Testament, les Parémies, L’Église orthodoxe nous autorise à nous asseoir. Et même lorsque les psaumes sont lus, pas en tant que nos propres prières, mais lorsqu’ils sont plutôt offerts en méditation, pour notre édification, comme par exemple les cathismes des Matines, nous sommes aussi autorisés à nous asseoir. Ainsi, nous pouvons employer les paroles de l’Apôtre Paul en les appliquant aux Livres sacrés, et dire : “Une étoile diffère en éclat d’une autre étoile” (I Cor., XV, 41). Toutes les Écritures sont divinement inspirées, mais en fonction de l’objet traité, certains livres sont élevés au-dessus d’autres : là, les Juifs et la loi de L’Ancien Testament; ici, dans le Nouveau Testament, le Christ notre Sauveur et Son Enseignement Divin. Qu’est-ce qui confère aux Écritures leur inspiration divine ? Le fait que ces auteurs sacrés se trouvaient sous cette ombre et cette conduite qui, dans des moments de suprême spiritualité, devient illumination et, dans certains cas même, divine révélation. En ce qui concerne ce dernier point, ils disent habituellement d’eux-mêmes, “j’ai reçu la révélation du Seigneur”, ainsi que nous pouvons le lire dans les prophètes et chez les Apôtres Paul et Jean (dans l’Apocalypse [1] ). Mais par ailleurs, les auteurs utilisaient les moyens habituels d’acquisition du savoir. Ainsi, pour connaître le passé, ils s’en remettaient à la tradition orale. “Ô Dieu, ce que nous avons entendu de nos oreilles, ce que nos pères nous ont raconté, les œuvres que Tu as accomplies de leur temps, nous ne les cacherons pas de leurs enfants et proclamerons aux générations à venir la gloire et la puissance du Seigneur” (Ps 43). “Ô Dieu, de nos oreilles nous avons entendu, nos pères nous ont raconté, l’oeuvre que Tu as accompli dans les temps du passé” (Ps 77,2-3). Saint Luc, qui n’était pas du nombre des douze Apôtres, décrit les événements de l’Évangile “après avoir fait avec soin des recherches sur toutes ces choses depuis leur origine” (Luc, I,3). Les auteurs sacrés utilisent des documents écrits, des recensements de personnes, des généalogies familiales; ils citent des récits avec des indications de dépenses de construction, de quantités de matériel, de poids, de prix, etc. Dans les livres historiques de l’Ancien Testament nous trouvons des références à d’autres livres comme sources d’information ainsi, par exemple, dans le livre des Rois et des Chroniques : “Le reste des actions d’Achazia et ce qu’il a fait, cela n’est-il pas écrit dans le livre des Chroniques des rois d’Israël?” (2 Rois I,18). “Le reste des actions de Joatham, et tout ce qu’il a fait, cela n’est-il pas écrit dans le livre des Chroniques des rois de Juda” (2Rois, XV,36; 2 Chron. XII,15; XIII,22 et autres endroits). Les documents originaux sont également cités : le premier livre d’Esdras reproduit mot pour mot toute une série d’ordres et de rapports liés à la restauration du Temple de Jérusalem. Il ne faut pas croire que les auteurs sacrés étaient omniscients. Cette qualité n’est pas même donnée aux anges : elle n’appartient qu’à Dieu seul. Mais ces auteurs étaient saints. “Les fils d’Israël ne pouvaient fixer leurs regards sur la face de Moïse à cause de la gloire de son visage”, rappelle saint Paul (2 Cor,III,7). Cette sainteté des rédacteurs, la pureté de leur intelligence, de leur cœur, la conscience de la grandeur de leur mission et leur responsabilité à la remplir, étaient directement exprimés dans leurs écrits : dans la sainteté, la pureté et la droiture de leurs pensées, dans la vérité de leurs paroles, dans la distinction claire entre vérité et mensonge. Ils commençaient leurs récits portés par l’inspiration venue d’en haut et ainsi inspirés ils les poursuivaient. A certains moments, leur esprit était illuminé par des révélations particulières de la grâce d’en haut, et par une vision mystique dans le passé, comme chez le prophète Moïse dans le Livre de la Genèse, ou dans le futur, comme chez les prophètes plus tardifs ou les Apôtres du Christ. Il s’agit, comme nous pouvons naturellement le supposer, d’une vision comme dans un brouillard, une sorte de percée à travers un rideau. “Maintenant, nous voyons dans un miroir, d’une manière obscure; mais ensuite [dans l’âge à venir], nous verrons face à face” témoigne saint Paul (1 Cor., XIII,12). Que l’attention soit dirigée vers le passé ou le futur, dans la vision le temps n’est pas pris en compte; les prophètes voient “les choses éloignées comme si elles étaient proches”. C’est pourquoi les Évangélistes décrivent deux événements futurs, prédits par le Seigneur, la destruction de Jérusalem et la fin du monde, de façon telle qu’ils se fondent dans une seule perspective à venir : “Ce n’est pas à vous de connaître les temps ou les moments que le Père a fixés de Sa propre autorité”, dit le Seigneur (Actes I,7).
L’inspiration divine n’appartient pas aux seules Écritures Saintes. Comme nous le savons, la Sainte Église reconnaît la Sainte Tradition comme une source de foi égale aux Saintes Écritures. Car cette Tradition, qui exprime la voix de l’Église toute entière, est aussi la voix du Saint-Esprit vivant dans l’Église. Tous nos offices liturgiques sont également divinement inspirés, ainsi que la sainte Église le chante : “Honorons dignement les témoins de la vérité et les hérauts de la piété dans des hymnes divinement inspirées” (Kondakion aux saints Zenobius et Zénobia, Oct. 30) et tout particulièrement la Liturgie eucharistique, étant divinement inspirée, porte l’appellation plus élevée de “Divine Liturgie”.

Archiprêtre Michel Pomazansky,
L’Ancien Testament dans l’Église du Nouveau Testament, Jordanville, 1961, 38 p.
Traduction: C. Savykine

[1] Selon saint André de Césarée, dans ses commentaires sur L’Apocalypse, les révélations apparaissent pendant l’illumination de l’esprit, ou en visions envoyées pendant le sommeil ou dans un état de réveil au moyen de l’illumination divine. Évêque Dimitri, L’Apocalypse dans la perspective du 20ème siècle, Harbin, p.11.

LE MYSTÈRE DE L’ÉGLISE ET DE L’EUCHARISTIE À LA LUMIÈRE DU MYSTÈRE DE LA SAINTE TRINITÉ

17 juin, 2014

http://www.vatican.va/roman_curia/pontifical_councils/chrstuni/ch_orthodox_docs/rc_pc_chrstuni_doc_19820706_munich_fr.html

COMMISSION MIXTE INTERNATIONALE DE DIALOGUE THÉOLOGIQUE
ENTRE L’ÉGLISE CATHOLIQUE ROMAINE ET L’ÉGLISE ORTHODOXE

IIème RÉUNION PLÉNIÈRE

Munich, 30 juin – 6 juillet 1982

LE MYSTÈRE DE L’ÉGLISE ET DE L’EUCHARISTIE À LA LUMIÈRE DU MYSTÈRE DE LA SAINTE TRINITÉ
(cfr. Communiqué, p. 64 supra)

Fidèle au mandat reçu à Rhodes, ce rapport aborde le mystère de l’Église par un seul de ses aspects, mais un aspect particulièrement important dans la perspective sacramentelle de l’Église, à savoir le mystère de l’Église et de l’Eucharistie à la lumière du Mystère de la Sainte Trinité. En effet, on demandait de partir de ce que nous avons en commun et, en le développant, d’aborder de l’ intérieur et progressivement tous les points sur lesquels nous ne sommes pas en accord.
En rédigeant ce document, nous entendons montrer que ce faisant, nous exprimons ensemble une foi qui est la continuation de celle des apôtres.
Ce document marque la première étape de cet effort pour réaliser le programme de la commission préparatoire approuvé lors de la première réunion de la commission de dialogue.
Puisqu’il s’agit d’une première étape, abordant le mystère de l’Église par un seul de ses aspects, bien des points n’y sont pas encore traités. Ils le seront dans les étapes suivantes, telles qu’elles sont prévues dans le programme mentionné ci-dessus.

I
1. Le Christ, Fils de Dieu incarné, mort et ressuscité, est le seul qui a vaincu le péché et la mort. Parler de la nature sacramentelle du mystère du Christ, c’est donc évoquer la possibilité donnée à l’homme et, à travers lui, au cosmos, de faire l’expérience de la nouvelle création, Royaume de Dieu, hic et nunc, par les réalités sensibles et créées. Tel est le mode (tropos) dans lequel l’unique Personne et l’unique événement du Christ existent et opèrent dans l’histoire depuis la Pentecôte et jusqu’à la Parousie. Cependant, la vie éternelle, que Dieu a donnée au monde dans l’événement du Christ, son Fils éternel, est portée dans des vases d’argile. Elle n’est donnée encore qu’en avant-goût, comme arrhes.
2. A la dernière Cène, le Christ a affirmé qu’il donnait son Corps aux disciples pour la vie de la multitude, dans l’Eucharistie. Ce don y est fait par Dieu au monde, mais sous forme sacramentelle. A partir de ce moment, l’Eucharistie existe comme sacrement du Christ lui-même. Elle devient l’avant-goût de la vie éternelle, le remède d’immortalité, le signe du Royaume à venir. Le sacrement de l’événement du Christ passe ainsi dans le sacrement de l’Eucharistie. Sacrement qui nous incorpore pleinement au Christ.
3. L’incarnation du Fils de Dieu, sa mort et sa résurrection ont été réalisées dès le départ selon la volonté du Père, dans l’Esprit Saint. Cet Esprit, qui procède éternellement du Père et se manifeste par le Fils, a préparé l’événement du Christ et il l’a réalisé pleinement dans la résurrection. Le Christ, qui est le Sacrement par excellence, donné par le Père pour le monde, continue de se donner pour la multitude, dans l’Esprit, le seul qui vivifie (Jean, 6). Le sacrement du Christ est aussi une réalité qui ne peut exister que dans l’Esprit.
4. L’Église et l’Eucharistie:
a) Bien que les Evangélistes, dans le récit de la Cène, se taisent sur l’action de l’Esprit, il était pourtant conjoint plus que jamais au Fils incarné pour l’accomplissement de l’oeuvre du Père. Il n’est pas encore donné, reçu comme Personne, par les disciples (Jean 7, 39). Mais quand Jésus est glorifié, alors l’Esprit lui aussi se répand et se manifeste. Le Seigneur Jésus entre dans la gloire du Père et, en même temps, par l’effusion de l’Esprit, dans son tropos sacramentel en ce monde-ci. La Pentecôte, achèvement du mystère pascal, inaugure du même coup, les derniers temps. L’Eucharistie et l’Église, Corps du Christ crucifié et ressuscité, deviennent lieu des énergies de l’Esprit Saint.
b) Les croyants sont baptisés dans l’Esprit au nom de la Sainte Trinité pour former un seul corps (cf. 1 Cor 12,13) Quand l’Église célèbre l’Eucharistie, elle réalise «ce qu’elle est», Corps du Christ (1 Cor 10,17). Par le baptême et la chrismation, en effet, les membres du Christ sont joints par l’Esprit, greffés sur le Christ. Mais par l’Eucharistie, l’événement pascal se dilate en Église. L’Église devient ce qu’elle est appelée à être de par le baptême et la chrismation. Par la communion au Corps et au Sang du Christ, les fidèles croissent en cette divinisation mystérieuse qui accomplit leur demeure dans le Fils et le Père, par l’Esprit.
c) Ainsi, d’une part, l’Église célèbre l’Eucharistie comme expression, en ce temps-ci, de la liturgie céleste. Mais, d’autre part, l’Eucharistie édifie l’Église, en ce sens que par elle l’Esprit du Christ ressuscité façonne l’Église en Corps du Christ. C’est pourquoi l’Eucharistie est en vérité le Sacrement de l’Église, à la fois comme sacrement du don total que le Seigneur fait lui-même aux siens et comme manifestation et croissance du Corps du Christ, l’Église. L’Église pérégrinante célèbre l’Eucharistie sur la terre jusqu’à ce que son Seigneur vienne remettre la Royauté à Dieu le Père, afin que Dieu soit tout en tous. Elle anticipe ainsi le jugement du monde et sa transfiguration finale.
5. La mission de l’Esprit demeure conjointe à celle du Fils. La célébration de l’Eucharistie révèle les énergies divines manifestées par l’Esprit à l’oeuvre dans le Corps du Christ:
a) L’Esprit prépare la venue du Christ en l’annonçant par les Prophètes, en guidant vers lui l’histoire du peuple élu en le faisant concevoir de la Vierge Marie, en ouvrant les coeurs à sa Parole.
b) L’Esprit manifeste le Christ dans son oeuvre de Sauveur, l’Evangile qu’il est lui-même. La célébration eucharistique est l’Anamnèse (le Mémorial): vraiment, mais sacramentellement, aujourd’hui, l’Ephapax est et advient. La célébration de l’Eucharistie est le kairos par excellence du mystère.
c) L’Esprit transforme les Dons sacrés dans le Corps et le Sang du Christ (metabolè), pour que s’accomplisse la croissance du Corps qui est l’Église. En ce sens, la célébration entière est une épiclèse, qui s’explicite davantage à certains moments. L’Église est perpétuellement en état d’épiclèse.
d) L’Esprit met en communion avec le Corps du Christ ceux qui participent au même pain et au même calice. A partir de là, l’Église manifeste ce qu’elle est: le sacrement de la koinônia trinitaire, la «demeure de Dieu avec les hommes» (cf. Ap 21,4).
L’Esprit en actualisant ce que le Christ a fait une fois pour toutes — l’événement du mystère — l’accomplit en nous tous. Cette relation au mystère, plus évidente dans l’Eucharistie, se retrouve dans les autres sacrements, tous des actes de l’Esprit. C’est pourquoi l’Eucharistie est le centre de la vie sacramentelle.
6. La célébration eucharistique prise en son ensemble rend présent le mystère trinitaire de l’Église. On y passe de l’audition de la Parole, culminant dans la proclamation de l’Evangile — annonce apostolique de la Parole faite chair — à l’action de grâce envers le Père, au mémorial du sacrifice du Christ et à la communion en celui-ci grâce à la prière épiclétique faite dans la foi. Car, dans l’Eucharistie, l’épiclèse n’est pas uniquement une invocation pour la transformation sacramentelle du pain et de la coupe. Elle est aussi une prière pour le plein effet de la communion de tous au mystère révélé par le Fils.
De cette manière, la présence de l’Esprit lui-même s’étend par le partage du sacrement de la Parole faite chair, à tout le corps de l’Église. Sans vouloir encore résoudre les difficultés suscitées entre l’Orient et l’Occident au sujet de la relation entre le Fils et l’Esprit, nous pouvons déjà dire ensemble que cet Esprit qui procède du Père (Jean 15,26), comme de la seule source dans la Trinité, et qui est devenu l’Esprit de notre filiation (Rom 8,15) car il est aussi l’Esprit du Fils (Gal 4,6), nous est communiqué, particulièrement dans l’Eucharistie, par ce Fils sur lequel il repose, dans le temps et dans l’éternité (Jean 1,32).
C’est pourquoi le mystère eucharistique s’accomplit dans la prière qui conjoint les paroles par lesquelles la Parole faite chair a institué le sacrement et l’épiclèse dans laquelle l’Église mue par la foi, supplie le Père, par le Fils, d’envoyer l’Esprit pour que dans l’unique oblation du Fils incarné tout soit consommé dans l’unité. Par l’Eucharistie, les croyants s’unissent au Christ, qui s’offre au Père avec eux, et reçoivent le pouvoir de s’offrir en esprit de sacrifice les uns aux autres comme le Christ lui-même s’est offert au Père pour la multitude, se donnant ainsi aux hommes.
Cette consommation dans l’unité, accomplie inséparablement par le Fils et l’Esprit, agissant dans la référence au Père et à son dessein, est l’Église en sa plénitude.

II
1. En se référant au Nouveau Testament, on remarquera d’abord que l’Église désigne une réalité «locale». L’Église existe dans l’histoire comme Église locale. Pour une région, on parle plutôt des Églises, au pluriel. Il s’agit toujours de l’Église de Dieu, mais dans un lieu.
Or l’Église qui existe dans un lieu n’est pas formée, radicalement, par les personnes s’ajoutant pour la constituer. Il existe une «Jérusalem d’en haut», qui «descend de chez Dieu», une communion fondatrice de la communauté elle-même. L’Église est constituée par un don gratuit, celui de la nouvelle création.
Il est cependant clair que l’Église «qui est en» tel lieu se manifeste comme telle lorsqu’elle est «assemblée». Cette assemblée elle-même dont les éléments et les exigences sont indiqués par le Nouveau Testament, est pleinement telle lorsqu’elle est synaxe eucharistique. En effet, quand l’Église locale célèbre l’Eucharistie, l’événement advenu «une fois pour toutes» est actualisé et manifesté. Dans l’Église locale, il n’y a alors ni homme ni femme, ni esclave ni homme libre, ni juif ni grec. Une nouvelle unité se trouve communiquée, qui surmonte les divisions et restaure la communion dans l’unique Corps du Christ. Cette unité transcende l’unité psychologique, raciale, socio-politique ou culturelle. Elle est la «communion de l’Esprit Saint» rassemblant les enfants de Dieu dispersés. La nouveauté du baptême et de la chrismation porte alors tout son fruit. Et par la puissance du Corps et du Sang du Seigneur, rempli de l’Esprit Saint, le péché, qui ne cesse d’assaillir les chrétiens, faisant obstacle au dynamisme de «la vie pour Dieu dans le Christ Jésus» reçu au baptême, est guéri. Ceci vaut aussi du péché de division, dont toutes les formes contredisent le dessein de Dieu.
L’un des textes majeurs à rappeler est 1 Cor. 10, 15-17: un seul Pain, un seul Calice, un seul Corps du Christ dans la pluralité des membres. Ce mystère de l’unité dans l’amour de plusieurs personnes constitue proprement la nouveauté de la koinônia trinitaire communiquée aux hommes, dans l’Église, par l’Eucharistie. Tel est le but de l’oeuvre salvifique du Christ, répandue dans les derniers temps, depuis la Pentecôte.
C’est pourquoi l’Église trouve son modèle, son origine et sa fin dans le mystère du Dieu un en trois Personnes. Bien plus, l’Eucharistie ainsi comprise à la lumière du mystère trinitaire constitue le critère pour le fonctionnement de la vie ecclésiale en son entier. Les éléments institutionnels ne doivent être qu’un reflet visible de la réalité mystérique.
2. Le déroulement de la célébration eucharistique de l’Église locale montre comment la koinônia s’actualise dans l’Église célébrant l’Eucharistie. Dans la célébration de l’Eucharistie par la communauté entourant activement l’évêque ou le presbytre en communion avec lui, on relève les aspects suivants, intérieurs l’un à l’autre, même si tel ou tel moment de la célébration accentue particulièrement tel ou tel aspect.
La koinônia est eschatologique. Elle est la nouveauté qui vient dans les derniers temps. C’est pourquoi tout commence, dans l’Eucharistie comme dans la vie de l’Église, par la conversion et la réconciliation. L’Eucharistie présuppose la repentance (métanoia) et la confession (exomologèse), qui trouvent ailleurs leur expression sacramentelle propre. Mais l’Eucharistie remet et guérit aussi les péchés, puisqu’elle est le Sacrement de l’amour divinisant du Père, par le Fils, dans l’Esprit Saint.
Mais cette koinônia est également kérygmatique. Cela se vérifie dans la synaxe non seulement parce que la célébration «annonce» l’événement du mystère, mais aussi parce qu’elle l’actualise aujourd’hui dans l’Esprit. Cela implique l’annonce de la Parole à l’assemblée et la réponse de foi de tous. Ainsi s’actualise la Communion de l’assemblée dans le kérygme, donc l’unité dans la foi. L’orthodoxie est inhérante à la koinônia eucharistique. Cette orthodoxie s’exprime le plus clairement par la proclamation du symbole de la foi qui est le condensé de la tradition apostolique dont l’évêque est le témoin en vertu de sa succession. Ainsi l’Eucharistie est-elle indissociablement, Sacrement et Parole puis-qu’en elle c’est le Verbe incarné qui sanctifie dans l’Esprit. C’est pourquoi la liturgie tout entière, et non seulement la lecture des Saintes Ecritures, constitue une proclamation de la Parole sous forme de doxologie et de prière. Inversement, la parole proclamée est la Parole faite chair, et devenue sacramentelle.
La koinônia est à la fois ministérielle et pneumatique. C’est pourquoi l’Eucharistie en est la manifestation par excellence. Toute l’assemblée, chacun à son rang, est «liturge» de la koinônia, et elle ne l’est que par l’Esprit Saint. Tout en étant don du Dieu trinitaire, la koinônia est aussi réponse des hommes. Ceux-ci, dans la foi qui vient de l’Esprit et de la Parole, mettent en oeuvre la vocation et la mission reçues au baptême: devenir, chacun à son rang, membres vivants du Corps du Christ.
3. Le ministère de l’évêque ne s’épuise pas dans une fonction tactique ou pragmatique (parce qu’il faut bien un président), mais c’est une fonction organique. L’évêque, reçoit le don de la grâce épiscopale (1 Tim 4,14) dans le sacrement de la consécration, accomplie par les évêques qui ont eux-mêmes reçu ce don, grâce à l’existence d’une succession ininterrompue des chirotonies épiscopales, en commençant par les saints apôtres. Par le sacrement de l’ordination, l’Esprit du Seigneur «confère» à l’évêque, non pas juridiquement, comme une pure transmission du pouvoir, mais sacramentellement, l’exousia de Serviteur que le Fils a reçu du Père et qu’il a humainement accueilli par son consentement dans sa Passion.
La fonction de l’évêque est étroitement liée à l’assemblée eucharistique qu’il préside. L’unité eucharistique de l’Église locale implique la communion entre celui qui préside et le peuple auquel il livre la Parole du Salut et les dons eucharistiés. D’ailleurs, le ministre est aussi celui qui «reçoit» de son Église, fidèle à la tradition, cette parole qu’il transmet. Et la grande intercession qu’il fait monter vers le Père n’est autre que celle de son Église tout entière avec lui. Pas plus que celle-ci ne peut être coupée de son évêque, l’évêque ne peut être séparé de son Église.
L’évêque se tient au coeur de l’Église locale comme ministre de l’Esprit pour discerner les charismes et veiller à ce qu’ils s’exercent dans la concorde, en vue du bien de tous, dans la fidélité à la tradition apostolique. Il se situe au service des initiatives de l’Esprit pour que rien ne les empêche de contribuer à l’édification de la koinônia. Il est ministre d’unité, serviteur du Christ Seigneur, dont la mission est de «rassembler dans l’unité les enfants de Dieu». Et puisque l’Église est édifiée par l’Eucharistie, il est celui qui, revêtu de la grâce du ministère sacerdotal, préside à celui-ci.
Mais cette présidence doit être comprise. L’évêque préside à l’oblation qui est celle de sa communauté tout entière. Consacrant les dons pour qu’ils deviennent le Corps et le Sang que la communauté offre, il célèbre non seulement pour elle ni seulement avec elle et en elle, mais par elle. Il apparaît alors comme ministre du Christ faisant l’unité de son Corps, créant la communion par son corps. L’union de la communauté avec lui est d’abord de l’ordre du Mystérion, non primordialement de l’ordre juridique. C’est cette union exprimée dans l’Eucharistie qui se prolonge et s’actualise dans l’ensemble des relations «pastorales» du magistère, gouvernement, vie sacramentelle. La communauté ecclésiale est ainsi appelée à être l’ébauche d’une communauté humaine renouvelée.
4. Il y a communion profonde entre l’évêque et la communauté dont l’Esprit lui confère la responsabilité pour l’Église de Dieu. L’ancienne tradition l’évoquait, avec bonheur, par l’image des noces. Mais cette communion se situe à l’intérieur de la communion avec la communauté apostolique.
Dans la tradition ancienne (dont fait foi notamment la Tradition apostolique d’Hippolyte), l’évêque élu par le peuple — qui se porte garant de sa foi apostolique, en conformité avec ce que l’Église locale confesse — reçoit la grâce ministérielle du Christ par l’Esprit dans la prière de l’assemblée et par l’imposition des mains (chirotonia) des évêques voisins, témoins de la foi de leur propre Eglise. Son charisme, venant directement de l’Esprit, lui est donné dans l’apostolicité de son Église (reliée à la foi de la communauté apostolique) et dans celle des autres Églises représentées par leur évêque. Par là, son ministère s’insère dans la catholicité de l’Église de Dieu.
La succession apostolique dit donc plus qu’une pure transmission de pouvoirs. Elle est succession dans une Eglise, témoin de la foi apostolique, en communion avec les autres Églises, témoins de la même foi apostolique. La sedes (la cathedra) joue un rôle capital dans l’insertion de l’évêque au coeur de l’apostolicité ecclésiale. D’autre part, une fois ordonné, l’évêque devient dans son Église le garant de l’apostolicité, celui qui la représente au sein de la communion des Églises, son lien avec les autres Églises. C’est pourquoi, dans son Église, toute Eucharistie ne peut se célébrer en vérité que présidée par lui ou par un presbytre en communion avec lui. Sa mention dans l’anaphore est essentielle.
Par le ministère des presbytres, chargés de présider à la vie et à la célébration eucharistique des communautés qui leur sont confiés, celles-ci croissent dans la communion avec toutes les communautés dont l’évêque a la responsabilité première. Dans la situation actuelle, le diocèse lui-même est une communion de communautés eucharistiques. L’une des fonctions essentielles des presbytres est de les relier à l’Eucharistie de l’évêque et de les nourrir à la foi apostolique dont l’évêque est le témoin et le garant. Ils doivent aussi veiller à ce que, nourris du Corps et du Sang de celui qui a livré sa vie pour ses frères, les chrétiens soient des témoins authentiques de l’amour fraternel, dans le sacrifice réciproque nourri du sacrifice du Christ. En effet, selon la parole de l’apôtre, «si quelqu’un voit son frère dans le besoin et lui ferme ses entrailles, comment l’amour de Dieu demeurerait-il en lui?». L’Eucharistie détermine la manière chrétienne de vivre le mystére pascal du Christ et le don de Pentecôte. Grâce à elle s’opère une profonde transformation de l’existence humaine toujours confrontée à la tentation et à la souffrance.

III
1. Le Corps du Christ est unique. Il n’existe donc qu’une Église de Dieu. L’identité d’une assemblée eucharistique avec une autre, vient de ce que toutes, avec la même foi, célèbrent le même mémorial, que toutes par la manducation du même corps et la participation au même calice deviennent le même et unique Corps du Christ auquel elles ont été intégrées par le même baptême. S’il y a multiplicité de célébrations, il n’y a qu’un seul et unique mystère célébré auquel on participe. En outre, quand le fidèle communie au Corps et au Sang du Seigneur, il ne reçoit pas une partie du Christ, mais le Christ total.
De même, l’Église locale qui célèbre l’Eucharistie autour de l’évêque n’est pas une section du Corps du Christ. La multiplicité des synaxes locales ne divise pas l’Église, mais au contraire en manifeste sacramentellement l’unité. Comme la communauté des apôtres rassemblés autour du Christ, chaque assemblée Eucharistique est en vérité la Sainte Église de Dieu, le Corps du Christ, en communion avec la première communauté des disciples et toutes celles qui par le monde célèbrent et ont célébré le Mémorial du Seigneur. Elle est aussi en communion avec l’assemblée des saints dans le ciel qu’évoque chaque célébration.
2. Loin d’exclure la diversité sur la pluralité, la koinônia la suppose et elle guérit les blessures de la division, transcendant celle-ci dans l’unité.
Puisque le Christ est un pour la multitude, ainsi dans l’Église, qui est son Corps, l’un et le plusieurs, l’universel et le local, sont nécessairement simultanés. Plus profondément encore, parce que le Dieu un et unique est la communion de trois Personnes, l’Église une et unique est communion de plusieurs communautés, et l’Église locale communion de personnes. L’Église une et unique s’identifie à la koinônia des Églises. Unité et multiplicité apparaissent à ce point liées que l’une ne saurait exister sans l’autre. C’est cette relation constitutive de l’Église que les institutions rendent visibles et, pourrait-on dire historicisent.
3. Puisque l’Église catholique se manifeste dans la synaxe de l’Église locale, deux conditions surtout doivent être réalisées pour que l’Église locale qui célèbre l’Eucharistie soit en vérité dans la communion ecclésiale.
a) En effet, l’identité du mystère de l’Église vécu dans l’Église locale avec le Mystère de l’Église vécu par l’Église primitive — catholicité dans le temps — est fondamentale. L’Église est apostolique parce que fondée et sans cesse soutenue dans le Mystère du Salut révélé en Jésus Christ, transmis dans l’Esprit par ceux qui furent ses témoins, les apôtres. Ses membres seront jugés par le Christ et les apôtres (cf. Luc 22,30).
b) La reconnaissance mutuelle, aujourd’hui, entre cette Église locale et les autres Églises, est elle aussi capitale. Chacun doit reconnaître dans les autres, à travers les particularités locales, l’identité du Mystère de l’Église. Il s’agit d’une reconnaissance mutuelle de catholicité comme communion dans l’intégrité du mystère. Cette reconnaissance s’accomplit d’abord au plan régional. La communion dans un même patriarcat ou dans quelque autre forme d’unité régionale, est d’abord une manifestation de la vie de l’Esprit dans une même culture ou de mêmes conditions historiques. Elle implique également l’unité du témoignage et appelle l’exercice de la correction fraternelle dans l’humilité.
Cette communion à l’intérieur d’une même région doit se dépasser dans la communion entre Églises soeurs.
Mais cette reconnaissance mutuelle n’est vraie qu’aux conditions, exprimées dans l’Anaphore de Saint Jean Chrysostome et les premières anaphores antiochiennes. L’une est la communion dans le même kérygme, donc la même foi. Déjà contenue dans le baptême, cette exigence s’explicite dans la célébration eucharistique. Mais il faut en outre la volonté de la communion dans l’agapé et dans la diaconie, non en paroles seulement, mais en actes.
Tant permanence à travers l’histoire que reconnaissance mutuelle sont particulièrement évoquées lors de la synaxe eucharistique par la mention des Saints au Canon et aux dyptiques celle des responsables d’Église. On comprend ainsi pourquoi ces derniers sont signes de l’unité catholique dans la communion eucharistique, responsables, chacun à son plan, du maintien de la communion dans la symphonie universelle des Églises et leur fidélité commune à la tradition apostolique.
4. On retrouve donc entre ces Églises les liens de communion que le Nouveau Testament présente: communion dans la foi, dans l’espérance et dans l’amour, communion dans les sacrements, communion dans la diversité des charismes, communion dans la réconciliation, communion dans le ministère. De cette communion, l’agent est l’Esprit du Seigneur ressuscité. De par lui, l’Église universelle, catholique, intègre la diversité ou la pluralité en en faisant un de ses éléments essentiels. Cette catholicité représente l’accomplissement de la prière du chapitre 17 de l’Evangile selon Jean, reprise dans les épiclèses eucharistiques.
Le rattachement à la communion apostolique relie l’ensemble des évêques assurant l’épiskopé des Églises locales au collège des apôtres. Ils forment eux aussi un collège enraciné par l’Esprit dans le «une fois pour toutes» du groupe apostolique, témoin unique de la foi. Ceci signifie non seulement qu’ils doivent être unis entre eux par la foi, la charité, la mission, la réconciliation mais aussi qu’ils communient dans la même responsabilité et le même service de l’Église. Parce que dans son Église locale l’Église une et unique s’accomplit, chaque évêque ne peut séparer le souci de son Église du souci de l’Église universelle. Et lorsque par le sacrement de l’ordination, il reçoit le charisme de l’Esprit pour l’épiskopé d’une Église locale, la sienne, il reçoit du fait même le charisme de l’Esprit pour l’épiskopé de toute l’Église.
Dans le peuple de Dieu, il l’exerce en communion avec tous les évêques hic et nunc et charge d’Églises et en communion avec la tradition vivante que les évêques du passé ont transmise. La présence d’évêques de sièges voisins à son ordination épiscopale «sacramentalise» et actualise cette communion. Elle produit une osmose de sa sollicitude pour la communauté locale et du souci de l’Église répandue par toute la terre. L’épiskopé de l’Église universelle se trouve confiée, par l’Esprit à l’ensemble des évêques locaux, en communion les uns avec les autres. Cette communion s’exprime traditionnellement dans la pratique conciliaire. Nous aurons à examiner ultérieurement la manière dont celle-ci est conçue et réalisée, dans les perspectives de ce que nous venons de préciser.

 

L’ASCENSION DE NOTRE SEIGNEUR, DIEU ET SAUVEUR JÉSUS-CHRIST (1984)

30 mai, 2014

http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/L-Ascension-de-notre-Seigneur%2C-Dieu-et-Sauveur-J%C3%A9sus-Christ

L’ASCENSION DE NOTRE SEIGNEUR, DIEU ET SAUVEUR JÉSUS-CHRIST (1984)

[1] PRONONCÉE PAR LE PÈRE BORIS À LA CRYPTE LE 31 MAI 1984

Dieu est monté au milieu des acclamations, le Seigneur, au son de la trompette. (Ps 46,6)

Textes du pentécostaire
Lucernaire – ton 1

Le Seigneur est monté vers les cieux* pour envoyer au monde le Paraclet, * son trône est préparé dans le ciel ; * les nuages lui servent de marchepied, * les Anges s’étonnent de voir un homme au-dessus d’eux, * le Père accueille celui qui demeure éternellement dans son sein ; * l’Esprit ordonne par ses messagers : * Portes, levez vos frontons, * tous les peuples, battez des mains, * car le Christ est monté là où d’abord il était. (2 fois)
Seigneur, en ton Ascension, * les Chérubins furent saisis de stupeur * à te voir remontant sur les nuages, * toi le Dieu qui sièges au-dessus d’eux ; * et nous glorifions ta douce bonté : Seigneur, gloire à toi. (2 fois)
Sur la montagne sainte contemplant, * ô Christ, ton exaltation, * de ton visage, Reflet de la splendeur paternelle, * nous chantons l’aspect lumineux ; * nous prosternant devant ta Passion * et vénérant ta sainte Résurrection, * nous glorifions ton Ascension ; prends pitié de nous. (2 fois)
Seigneur, lorsque les Apôtres t’ont vu * enlevé au-dessus des nuées, * le cœur rempli de larmes et de chagrin, * ô Christ source-de-vie, ils te dirent en pleurant : * Maître, ne laisse pas orphelins * les serviteurs que tu aimas d’un tendre amour ; * mais, comme tu nous l’as promis, * envoie sur nous ton saint Esprit, * pour qu’il fasse briller sur nos âmes ta clarté. (2 fois)
Seigneur, ayant accompli le mystère du salut, * tu pris tes Disciples avec toi, * pour les mener sur le mont des Oliviers ; * et tu gravis le firmament du ciel ; * Seigneur qui pour moi t’es appauvri * jusqu’à revêtir mon humanité * et qui montes vers la gloire dont tu n’étais point séparé, * envoie du ciel ton saint Esprit * pour faire briller sur nos âmes ta clarté. (2 fois)

Gloire au Père … et maintenant …
Sans quitter le sein paternel, * partageant sur terre notre humanité, * très-doux Jésus, tu remontes en ce jour vers le ciel * glorieusement depuis la montagne des Oliviers, * relevant par compassion notre nature déchue * pour l’asseoir à côté du Père avec toi ; * les puissances incorporelles dans les cieux, * frappées d’admiration et d’effroi, * magnifient l’amour dont tu aimes les humains ; * et nous sur terre, avec elles nous glorifions * ta condescendance envers nous * et ton Ascension en disant : * Seigneur qui remplis d’une ineffable joie, * au jour de ton Ascension, * tes Disciples et la Mère de Dieu qui t’enfanta, * donne-nous aussi, par leurs prières, la joie de tes élus * et la grâce du salut.

Lecture des actes des Apôtres
(Ac I,1-12)
Mon premier livre, Théophile, je l’ai consacré à tout ce que Jésus s’est mis à faire et à enseigner jusqu’au jour où, après avoir donné ses ordres aux apôtres qu’il avait choisis, il fut enlevé au ciel par le Saint Esprit. Après sa passion, il leur apparut vivant, et leur en donna plusieurs preuves, se montrant à eux pendant quarante jours, et parlant des choses qui concernent le royaume de Dieu. Au cours d’un repas qu’il prenait avec eux, il leur recommanda de ne pas s’éloigner de Jérusalem, mais d’attendre ce que le Père avait promis, « ce que je vous ai annoncé, leur dit-il ; car Jean a baptisé d’eau, mais vous, dans peu de jours, vous serez baptisés du Saint Esprit. » Alors les apôtres réunis lui demandèrent : « Seigneur, est-ce en ce temps que tu rétabliras le royaume d’Israël ? » Il leur répondit : « Ce n’est pas à vous de connaître les temps ou les moments que le Père a fixés de sa propre autorité. Mais vous recevrez une puissance, le Saint Esprit descendant sur vous, et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée, dans la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. » Après avoir dit cela, il fut élevé pendant qu’ils le regardaient, et une nuée le déroba à leurs yeux. Et comme ils avaient les regards fixés vers le ciel pendant qu’il s’en allait, voici que deux hommes vêtus de blanc leur apparurent et dirent : « Hommes Galiléens, pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au ciel ? Ce Jésus, qui a été enlevé au ciel du milieu de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu aller au ciel. » Alors, depuis le mont des oliviers, qui est près de Jérusalem, à la distance d’un chemin de sabbat, ils s’en retournèrent à Jérusalem.

Lecture de l’Évangile selon Saint Luc
(Lc XXIV, 36-53)
Tandis que les disciples parlaient , Jésus se présenta au milieu d’eux, et leur dit : « La paix soit avec vous ! » Saisis de frayeur et d’épouvante, ils croyaient voir un esprit. Mais il leur dit : « Pourquoi êtes-vous troublés, et pourquoi pareilles pensées s’élèvent-elles dans vos cœurs ? Voyez mes mains et mes pieds, c’est bien moi ; touchez-moi et voyez : un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai. » Et en disant cela, il leur montra ses mains et ses pieds. Comme, dans leur joie, ils ne croyaient point encore, et qu’ils étaient dans l’étonnement, il leur dit : « Avez-vous ici quelque chose à manger ? » Ils lui présentèrent du poisson rôti et un rayon de miel. Il en prit, et il mangea devant eux. Puis il leur dit : « C’est là ce que je vous disais lorsque j’étais encore avec vous, qu’il fallait que s’accomplît tout ce qui est écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les prophètes, et dans les psaumes. » Alors il leur ouvrit l’esprit, afin qu’ils comprennent les Écritures. Et il leur dit : « C’est comme il est écrit : le Christ souffrira, et il ressuscitera des morts le troisième jour, et la repentance et le pardon des péchés seront prêchés en son nom à toutes les nations, à commencer par Jérusalem. Vous êtes témoins de ces choses. Et moi, j’enverrai sur vous ce que mon Père a promis ; mais vous, restez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez revêtus de la puissance venue d’en haut. » Il les conduisit jusque vers Béthanie, et, ayant levé les mains, il les bénit. Pendant qu’il les bénissait, il se sépara d’eux, et fut enlevé au ciel. Quant à eux, après l’avoir adoré, ils retournèrent à Jérusalem avec une grande joie ; et ils étaient continuellement dans le temple, louant et bénissant Dieu.

Homélie[1]
Au Nom du Père et du Fils et du Saint Esprit,
Depuis la Pentecôte jusqu’à la fin des temps l’Église se souvient, elle se souvient de chaque moment de la venue, de la vie sur terre de Jésus. Elle s’en souvient avec amour et elle nous invite et nous entraîne à pénétrer, toujours de plus en plus profondément, dans chacune de ces étapes de la vie de Jésus. Ces étapes sont elles-mêmes des étapes fondamentales pour notre propre existence, pour notre salut et pour la vie de l’Église, pour la vie du monde, pour la vie de l’homme.
Ce mystère de l’Ascension que l’Église célèbre aujourd’hui n’est pas moins important pour notre salut que la venue de Jésus, que l’Incarnation du Fils de Dieu que nous fêtons avec gloire et éclat. Bien souvent l’Ascension, surtout en Occident, passe inaperçue, du moins quant à son sens, à son contenu religieux, théologique, spirituel. Nous avons même tendance à la réduire à un récit mythologique ou légendaire. Il est vrai que ce mystère de l’Ascension ne peut pas être réduit à un événement purement historique, car s’il y a d’une part le moment même de l’élévation de Jésus, de sa séparation d’avec les apôtres, comme le dit l’Évangéliste Luc : « Il fut séparé d’eux », il y a d’autre part aussi une autre réalité dont aucun témoin oculaire ne pouvait et n’aurait jamais pu attester la véracité, la vérité qui dépasse toute compréhension humaine, c’est la traversée des cieux par Jésus, comme le chantent les textes liturgiques à la suite des psaumes, à la suite de l’épître aux Hébreux : « Il traversa les Cieux ». Là aussi il n’y a pas simplement la conception archaïque de la composition du cosmos et des cieux et d’un Dieu habitant le septième ciel, Jésus traversa les cieux, comme le confesse à la fin de son évangile saint Marc, Il fut élevé, Il fut enlevé au ciel et Il s’assit à la droite de Dieu. Tous les symboles de foi réitèrent cette confession de l’évangéliste Marc qui dit de manière absolument nette et tranchée : « Il fut élevé au ciel et s’est assis à la droite de Dieu » . De même dans la liturgie eucharistique que nous célébrons de dimanche en dimanche, ou dans les fêtes, l’Église se souvient également de celui qui a été élevé au ciel et qui est assis à la droite du Père. Nous sommes, je pourrais le dire, imbriqués dans ce mystère de l’Ascension, il n’est pas extérieur à nous et nous ne sommes pas extérieur à lui, c’est un mystère qui englobe et qui embrasse l’existence du cosmos tout entier. C’est dans la mesure où Jésus est élevé au ciel qu’il nous attire à Lui et qu’il nous entraîne derrière Lui dans ce mouvement ascensionnel qui est un aspect fondamental du salut et de la vie de l’Église et de chacun de nous. Quand le Fils de l’homme, disait Jésus, sera élevé de terre Il attirera tous les hommes à Lui, et l’Évangéliste ajoute « Il disait cela montrant de quelle mort Il devait mourir. »
Si nous allons au cœur même de cette image de l’Ascension, c’est-à-dire de l’élévation, il y a non seulement la Gloire mais aussi la Croix, ou plutôt, pour mettre ensemble ces deux réalités il y a la croix glorieuse, mais aussi on peut le dire autrement, il y a la gloire “kénotique”, c’est-à-dire la gloire souffrante, la gloire à travers la souffrance. Les deux sont tellement liés, tellement un, qu’on ne peut pas les décomposer en des moments différents. Bien sûr, nous vivons d’abord le Vendredi Saint et puis la Pâque, mais nous savons de toute notre certitude que la victoire du Christ sur les forces du mal et sur les ténèbres est déjà réalisée, est déjà accomplie au Vendredi Saint. Maintenant le Fils de l’Homme est glorifié et le Père est glorifié en Lui, maintenant le prince de ce monde est chassé dehors et la voix du Père se fait entendre : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore » : Donc nous sommes ici complètement dérangés de nos habitudes et de notre conception d’un temps spatial fait de moments qui se succèdent. Le mystère du Salut est un mystère unique dans lequel Dieu descend pour nous accueillir, pour nous assumer là où nous sommes, dans notre misère, dans notre déchéance, dans notre souffrance aussi et pour nous ramener vers le Père. L’image de l’Ascension c’est l’image de la montée que Jésus emploie souvent dans l’évangile de saint Jean. C’est une dimension constante de la prédication évangélique. Mais l’image de l’Ascension peut être aussi complétée par d’autres images comme, par exemple, celle de la parabole dans les synoptiques, du bon pasteur, du bon berger qui s’en va dans la montagne à la recherche de la brebis égarée et qui, l’ayant trouvée, la prend sur ses épaules et la ramène dans le bercail et il y a là une grande joie parmi les anges. On sent ici, dans les paraboles de Jésus, cette exultation évangélique particulièrement manifestée aujourd’hui dans la célébration de l’Ascension.
L’Ascension est ainsi un aspect essentiel du mystère du Salut. Un aspect incompréhensible, je dirais même plus difficile presque à accepter que l’Incarnation. Parce que l’Incarnation signifie une vérité qui nous est coutumière, trop coutumière peut-être, que Dieu s’est fait homme, que le Fils de Dieu s’est incarné dans le sein de la Vierge Marie, qu’Il a grandi, qu’Il est devenu adulte et qu’Il a assumé les souffrances, et qu’Il est mort et est ressuscité. Mais parler de l’Ascension ce n’est pas simplement parler du retour du Fils de Dieu, de ce Fils de Dieu qui n’a d’ailleurs jamais quitté le sein du Père. Il y a là une contradiction dont nous devons tenir ensemble les deux termes : d’une part le Fils ne s’est jamais séparé du Père, mais d’autre part Il est descendu jusqu’à nous et Il est entré dans ce chemin étroit de la nature humaine abîmée par le péché. Et lorsque Jésus revient vers le Père, Il ne revient pas seul. C’est bien sûr le Bon Pasteur qui prend la brebis égarée, mais cette brebis égarée fait un avec le Bon Pasteur, de telle manière que le Bon Pasteur Lui-même s’appellera l’Agneau. Par conséquent il y a cette unité, cette unité merveilleuse, cette unité incompréhensible, cette unité scandaleuse pour la raison humaine et pour celle des anges qui refuseront cette révélation et qui s’éloigneront de Dieu dans les domaines de l’enfer. Cette unité de la nature divine et de la nature humaine – de cette nature humaine créée bonne et belle par Dieu – a été assumée par Jésus, et Jésus s’élève avec elle, c’est-à-dire potentiellement, initialement déjà avec nous dans un chemin où Il entre comme le Précurseur, comme Celui qui ouvre la voie. Ce n’est plus Jean-Baptiste qui est précurseur de Jésus, mais c’est Jésus Lui-même qui devient notre précurseur, le plus grand devient humble pour nous ouvrir le chemin et désormais ce chemin est ouvert pour toujours.
Par conséquent dans notre propre vie ecclésiale, liturgique, spirituelle, personnelle, dans notre engagement dans le monde, cette Ascension devient un mouvement, un dynamisme nécessaire ; nous ne pouvons pas nous désigner par nous-mêmes, l’homme ne peut pas se désigner comme un être clos, comme un “en soi” qui entrerait ensuite dans une relation toujours difficile, toujours impossible avec un Dieu lointain. Non seulement Dieu est devenu proche, mais Il nous entraîne vers Sa transcendance, Il nous entraîne à travers les chemins infinis de la montée vers la gloire, et la lumière, et la joie, et vers l’amour de Dieu. C’est ce que la liturgie nous rappelle, elle le rappelle avec force, non seulement dans ce que nous appelons l’anamnèse – ou le mémorial de la liturgie – lorsque nous nous souvenons de l’événement de Jésus, mais lorsqu’elle nous invite à notre tour : « élevons nos cœurs », dit le prêtre, et l’Église entière par la voix de la chorale répond : « nous les élevons, nous les avons vers le Seigneur ». C’est à la fois une affirmation et aussi bien sûr une adhésion. Cette invitation de l’Église est une invitation de l’Esprit Saint Lui-même à élever nos cœurs. Nous faisons cette invitation nôtre, nous voulons maintenant véritablement déposer tous les soucis de ce monde, nous voulons élever nos cœurs vers le Royaume, vers le Trône de Dieu et de l’Agneau. Élever nos cœurs dans ce mouvement d’ascension qui appartient à la substance même de la liturgie, de la prière commune ou personnelle, élever nos cœurs c’est difficile parce que nos cœurs sont remplis à la fois de choses bonnes et mauvaises. Dans l’Évangile Jésus nous l’apprend que c’est dans le cœur de l’homme que se nichent toutes les passions, les pensées, les soucis, les désirs, la charité. À la fois les choses bonnes et mauvaises. Mais c’est ce cœur tel qu’il est, tel que nous ne pourrons pas par nous-mêmes encore le rétablir, le purifier, le renouveler, que nous élevons vers Dieu, avec nos proches qui sont dedans. Le cœur est un monde immense qui contient toute la réalité, toute la souffrance, tous les drames du monde entier qui font – que nous le sachions ou pas, d’ailleurs – écho en nous-mêmes. Par conséquent c’est ce cœur que nous élevons, et tous ensemble nous nous élevons d’un seul cœur, d’une seule voix et d’une seule âme vers le trône de Jésus, et alors par la grâce et la puissance de l’Esprit Saint s’opère la purification du cœur. C’est cela aussi la liturgie, l’Eucharistie, la purification du cœur durant laquelle le Seigneur brûle en nous tout ce qui n’a pas place dans le Royaume.
Voilà donc quelques aspects de ce mystère de l’Ascension. Il faut savoir aussi que cette purification, cette brûlure des choses mauvaises et cette illumination du cœur où il ne reste plus que la Grâce de Dieu se fait par la puissance de l’Esprit Saint. Dans le temps de la vie de Jésus, Jésus est d’abord monté pour nous envoyer l’Esprit Saint dans notre vie à nous, et depuis que l’Esprit Saint est en nous, nous sommes désormais attirés par une force d’attraction vers le haut, force qui contrebalance la force d’attraction vers le bas, d’où le dilemme et le choix entre la pesanteur et la grâce. La grâce est aussi une attraction, elle est l’attraction véritable vers le lieu de notre existence, vers Dieu, vers le Seigneur par la puissance de l’Esprit Saint. Par conséquent nous sommes maintenant dans l’attente de l’Esprit Saint ; Jésus s’élève et nous sommes dans un temps tout à tait unique de ces dix jours, de ces quelques jours où Jésus semble absent mais où les apôtres demeurent dans la joie, où ils sont dans une prière unanime et ils savent que par la promesse de Jésus que l’Esprit Saint va venir et qu’Il va les remplir. Ils sont ainsi dans l’attente et nous aussi maintenant nous sommes dans l’attente de l’Esprit Saint qui va nous remplir pour réanimer, pour réactiver notre mouvement d’ascension.
Sachons aussi que lorsque nous nous élevons vers le Père par Jésus, nous ne pouvons pas le faire seuls, car on ne s’élève pas seul.
Nous ne pouvons nous élever et nous sanctifier que tous ensemble, cela n’est possible que si nous le faisons d’un seul cœur, d’un seul amour. Nous avons beaucoup à faire .

 

L’AVEUGLE-NÉ (JEAN 9, 1-40) – MÉDITATION DU MOINE DE L’ÉGLISE D’ORIENT (PÈRE LEV GILLET)

28 mars, 2014

http://www.pagesorthodoxes.net/guerison/j-guerit.htm#ave

L’AVEUGLE-NÉ (JEAN 9, 1-40)

(5E DIMANCHE APRÈS PÂQUES)

MÉDITATION DU MOINE DE L’ÉGLISE D’ORIENT (PÈRE LEV GILLET)

Dimanche dernier — le dimanche de la Samaritaine — nous chantions à la liturgie l’antienne de communion suivante :  » Réjouis-toi et sois dans l’allégresse, porte de la divine lumière [c’est-à-dire la Vierge Marie], car Jésus après avoir disparu dans le tombeau, s’est levé encore plus lumineux que le soleil, illuminant par cela tous les croyants « . Il y a là un retour au thème théologique et liturgique de la lumière, qui est si caractéristique de la spiritualité byzantine ; il y a là, plus particulièrement, un rappel du lien entre le Résurrection du Christ et l’illumination des consciences : car un fait extérieur, fut-il même la Résurrection de notre Sauveur, n’a de valeur pratique pour les âmes que s’il peut se traduire en elles par une augmentation de cette Lumière intérieure qui doit diriger toute notre vie. La lumière du Christ est un thème pascal essentiel. C’est ce thème que développe le cinquième dimanche après Pâques, appelé  » Dimanche de l’aveugle « , où la commémoraison de la guérison d’un aveugle introduit l’idée de notre propre cécité et de notre guérison.
Nous entendons, à la liturgie, le récit évangélique de la guérison de l’aveugle (Jean 9, 1-38). Jésus rencontre un homme, aveugle de naissance ; ayant fait une mixture de boue et de salive, Jésus envoie l’homme se layer dans la piscine de Siloé. L’homme recouvre la vue et devient l’objet de la curiosité hostile et des questions insidieuses des Pharisiens. Ceux-ci peuvent bien déclarer que Jésus est un pécheur : l’homme proteste qu’un pécheur n’a pas la puissance de rendre la vue à un aveugle. Expulsé par les Pharisiens, l’ancien aveugle est retrouvé par Jésus (ce n’est pas lui qui retrouve Jésus, mais c’est Jésus qui le retrouve, et ce fait est riche de sens). Jésus lui demande s’il croit au Fils de Dieu.  » Qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? « . Jésus répond :  » Tu le vois ; c’est celui qui te parle  » (On se rappellera la phrase toute semblable dite par Jésus à la Samaritaine).  » Alors il dit : Je crois, Seigneur, et il se prosterna devant lui « .
Cet épisode est une illustration de la phrase du prophète Isaïe :  » Alors les yeux des aveugles se dessilleront  » (Isaïe 35, 5), et d’une parole de Jésus lui-même :  » L’Esprit du Seigneur… m’a envoyé annoncer aux aveugles le retour à la vue  » (Luc 4, 18). Il est certain que la cécité physique, tout en étant l’objet de la sollicitude de Jésus (et l’on sait combien les maladies des yeux causent de souffrances en Orient), symbolise ici la cécité spirituelle dont Jésus délivre les hommes. Mais la guérison, dans Évangile que nous venons de lire, n’est pas séparable de la bonne volonté et de la foi sincère de l’aveugle. Le commentaire le plus autorisé de cet épisode nous est donné par l’Église elle-même, qui, dans deux des antiennes de ce dimanche, s’exprime ainsi :

 » Christ, notre Dieu, Soleil de Justice qui dépasse tout entendement, toi qui, en le touchant, a ouvert les yeux de l’aveugle-né, ouvre les yeux de nos âmes et fait de nous des enfants de lumière… « .

 » Je viens vers toi, ô Christ, les yeux de l’âme aveuglés comme l’aveugle-né et je crie vers toi avec repentir Tu es la Lumière à la suprême clarté pour tous ceux qui sont dans les ténèbres « .

HOMÉLIE POUR LA FÊTE DE LA TRANSFIGURATION

14 mars, 2014

http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/Homelie-pour-la-fete-de-la-Transfiguration_a1845.html

HOMÉLIE POUR LA FÊTE DE LA TRANSFIGURATION

Frères, il nous arrive, à nous chrétiens, d’être interpellés par nos contemporains agnostiques ou ayant perdu la foi sur l’utilité et le caractère pratique du message du Christ. Certains d’entre nous sommes en effet tentés d’intellectualiser un peu trop notre foi, ou encore de la socialiser à outrance, au détriment de la dimension proprement sotériologique. Je ne dis pas qu’il ne faille pas impliquer notre intellect lorsque nous scrutons la Parole du Christ. Au contraire, notre foi serait vaine si elle n’avait l’adhésion intégrale de notre raison. Ce que je veux dire, c’est que nous ne pouvons réduire le christianisme à une théologie abstraite, de même qu’il ne peut être considéré comme le signe d’une identité particulière.
La foi chrétienne est tout à fait concrète et, si j’ose dire, pragmatique. Ou plutôt, elle est essentielle, puisqu’elle nous touche au plus profond de notre nature, elle transfigure notre être tout entier. Aujourd’hui, lorsque nous célébrons la Transfiguration de Jésus-Christ, c’est le moment de nous en rappeler.
Je vais dire une chose un peu écrue, en vous demandant de me pardonner cette façon de parler, mais si la Transfiguration du Christ ne concernait que lui, notre Seigneur et Sauveur, nos contemporains agnostiques auraient eu raison de se moquer de nous et du caractère purement abstrait et intellectuel de notre foi. Mais nous, croyants, nous savons fermement que la Transfiguration de Jésus ne concerne pas lui seul, le Verbe devenu chair, le Fils de Dieu devenu Fils de l’homme. Elle est l’icône de notre propre transfiguration qui est rendue possible non par nos mérites, mais par l’incarnation de Dieu. D’ailleurs, tout ce qui est accompli par le Christ est une figure de ce qui doit nous arriver : sa mort, sa résurrection, son ascension et, bien sûr, sa transfiguration. Le Seigneur Jésus est le premier-né d’entre les morts, il nous précède dans le Royaume de Dieu, il a la primauté de tout en toute chose, comme notre guide, les Prémices de l’humanité tout entière.
Ainsi, frères, célébrer la Transfiguration de Jésus-Christ, ce n’est pas commémorer un événement passé, sans lien immédiat avec le présent. Célébrer la Transfiguration du Seigneur, c’est d’abord contempler l’union parfaite et indissoluble de la divinité et de l’humanité dans l’unique Christ, c’est aussi découvrir, avec une fascination pleine de gratitude filiale, la gloire incroyable que Dieu a réservée à ses saints, à ceux qui, dans le Christ, deviennent ses fils. C’est de voir combien grand est l’amour de Dieu pour nous, combien merveilleux est le dessein salutaire de la Trinité qui cherche irrévocablement à conduire l’humanité vers sa propre sainteté et béatitude. Dieu n’abandonne pas son image. Et quand cette dernière s’éloigne de lui et se défigure dans le mal et le péché, le Créateur lui-même descend, l’assume et la transfigure au contact avec sa divinité toute pure. L’humanité tout entière est transfigurée dans le Christ Jésus qui montre cette gloire afin que nous n’ayons plus jamais d’autre désir que celui de l’union extraordinaire, mais réelle, vraie, avec la Source de la vie. La lumière divine dans l’humanité assumée du Seigneur nous est révélée pour que nous n’ayons d’autre désir, comme Pierre, que de demeurer éternellement sur la Montagne avec notre Sauveur.

Séminaire Russe
Homélie pour la fête de la Transfiguration du Seigneur (2012)

APPRENDRE À TROUVER LE TEMPS D’ÊTRE « MAINTENANT »

5 mars, 2014

http://www.meditation-chretienne.org/meditation_antoine_bloom_maintenant.htm

APPRENDRE À TROUVER LE TEMPS D’ÊTRE « MAINTENANT »

Trouverai-je le temps de tout faire ?
Je vous répondrai à la manière russe : « Si vous ne mourez pas avant, vous aurez le temps. Si vous mourez avant, vous n’aurez pas à le faire ! » .

Métropolite Antoine Bloom

Il y a donc, en ce qui concerne le temps, des moments où, sans entrer autant dans le détail, il est possible de percevoir que l’instant présent est là : le passé a irrémédiablement disparu, il n’a plus d’importance, sauf dans la mesure où il fait encore partie du présent, et on peut dire la même chose de l’avenir parce qu’il peut être ou ne pas être. C’est ce qui arrive par exemple lors d’un accident, dans une situation dangereuse qui exige que vous agissiez avec la rapidité de l’éclair : vous n’avez pas le temps de passer confortablement du passé dans l’avenir. Il vous faut être si totalement dans le présent que toutes vos énergies, tout votre être se trouvent condensés dans le « maintenant ».
Vous découvrez avec un vif intérêt que vous vous trouvez dans le maintenant. Vous connaissez le plan très, très mince dont la géométrie nous dit qu’il n’a pas d’épaisseur ; ce plan géométrique qui n’a aucune épaisseur, qui est « maintenant », se déplace le long des lignes du temps ou, plutôt, le temps se déploie sous ce plan et vous apporte, « maintenant », tout ce dont vous aurez besoin dans l’avenir.
Telle est la situation dans laquelle il nous faut apprendre à nous trouver et il nous faut apprendre cela d’une façon plus paisible. Nous devons, je pense, nous exercer à arrêter le temps et à nous tenir dans le présent, dans ce « maintenant » qui se trouve être aussi le point d’intersection du temps et de l’éternité.
Que pouvons-nous faire dans ce but ? Voici un premier exercice.
Vous pouvez vous y essayer lorsque vous n’avez absolument rien à faire, lorsque rien ne vous pousse de côté ou d’autre et que vous pouvez vous accorder cinq minutes, trois minutes, une demi-heure de loisir. Asseyez-vous et dites « Je suis assis ; je ne fais rien ; je suis résolu à ne rien faire pendant cinq minutes. »
Détendez-vous alors et pendant tout ce temps (au début vous ne pourrez pas tenir plus de deux ou trois minutes) répétez-vous : «Je me trouve en présence de Dieu, en présence de moi-même et de tout le mobilier qui m’entoure, je suis tranquille, sans bouger. »
Une précaution s’impose évidemment : il vous faut décréter que, durant les deux ou cinq minutes que vous vous êtes assignées pour apprendre que le présent existe, vous ne vous laisserez pas arracher à celui-ci par la sonnerie du téléphone ou le timbre de la porte d’entrée ou encore par une impulsion énergique et soudaine qui vous pousse à exécuter sur-le-champ quelque chose qui attend depuis dix ans !
Si vous apprenez à faire ainsi dans les moments perdus de vos journées, lorsque vous aurez appris à ne plus vous agiter intérieurement mais à rester complètement calme et heureux, paisible et serein, exercez-vous alors pendant un laps de temps un peu plus long que vous pourrez allonger encore par la suite.
Il arrivera évidemment un moment où il vous faudra vous protéger car si vous pouvez ne pas bouger pendant deux minutes, même si le téléphone sonne, vous pouvez penser qu’il en va autrement lorsqu’il s’agit d’un quart d’heure. Ditesvous alors que si vous étiez absent, vous n’ouvririez pas la porte et ne répondriez pas au téléphone. Ou encore, si vous avez plus de courage et êtes convaincu de l’importance de votre exercice, imitez mon père. Il mettait à la porte une note qui disait « Inutile de sonner. Je suis à la maison mais n’ai pas l’intention d’ouvrir. » Ce procédé est plus radical car les visiteurs comprennent tout de suite ; tandis que si vous écrivez : « Prière d’attendre cinq minutes », leur patience expire habituellement au bout de deux minutes !
Lorsque vous aurez acquis cette tranquillité, cette sérénité, il vous faudra apprendre alors à arrêter le temps non seulement lorsqu’il se traîne ou lorsqu’il doit s’arrêter de toute façon, mais aussi dans les moments où il s’accélère, où il se fait exigeant.
Voici comment procéder. Vous êtes en train de faire quelque chose que vous croyez utile ; vous êtes persuadé que si vous vous arrêtez la terre va s’arrêter aussi ; si, à un certain moment, vous décidez : « J’arrête ! », vous ferez des découvertes intéressantes. Vous découvrirez en premier lieu que la terre ne s’arrête pas et que tout l’univers – si vous pouvez réussir à vous le représenter – peut attendre cinq minutes pendant que votre attention est ailleurs.
Ce point est très important parce que souvent nous nous donnons le change en disant « Il faut que je fasse telle chose ; la charité, le devoir me le commandent, je ne puis la laisser ! » Vous le pouvez car à d’autres moments et par pure nonchalance vous laisserez ce travail et pour bien plus de cinq minutes. Aussi, la première chose à faire est de vous dire : « Quoi qu’il arrive, je m’arrête à tel endroit. »
La façon de procéder la plus simple est d’avoir un réveil. Remontez-en la sonnerie et dites : « Bon ! je travaille sans regarder l’heure jusqu’à ce que le réveil sonne. » Ce détail est très important car il faut que nous perdions l’habitude de regarder l’heure.
Lorsque vous allez en visite et que vous vous rendez compte que vous êtes en retard, vous regardez aussitôt votre montre ; mais, ce faisant, vous ne pouvez marcher aussi vite que si vous alliez droit votre chemin. Et que votre retard soit de sept, de cinq ou de trois minutes, vous n’en êtes pas moins en retard. Le mieux est donc de partir plus tôt ou, si vous êtes en retard, de presser le pas. Quand vous serez arrivé, vous aurez le temps de regarder votre montre, pour savoir combien vous devrez paraître navré lorsqu’on vous ouvrira.
Quand le réveil sonne, vous savez que, pendant les cinq minutes qui suivent, le monde a cessé d’exister et que vous êtes bien décidé à ne pas quitter le lieu dans lequel vous vous trouvez. Ce temps appartient à Dieu et vous vous installez dans ce temps de Dieu tranquillement, silencieusement, paisiblement. Au début, vous verrez combien c’est difficile et vous découvrirez soudain qu’il est de la première urgence que vous terminiez telle lettre, la lecture de tel passage. En réalité, vous vous apercevrez bien vite que vous pouvez très bien remettre cette occupation pendant trois, cinq, voire même dix minutes sans qu’aucune catastrophe ne se produise. Et si vous avez à faire un travail qui requiert toute votre attention, vous constaterez que vous pouvez vous en acquitter plus rapidement et tellement mieux !
Vous me direz : « Trouverai-je le temps de tout faire ? » Je vous répondrai à la manière russe : « Si vous ne mourez pas avant, vous aurez le temps. Si vous mourez avant, vous n’aurez pas à le faire ! » Et voici un autre dicton du même genre qui pourra vous aider un jour ou l’autre « Ne vous inquiétez pas de la mort. Quand elle sera là vous n’y serez plus mais tant que vous êtes là elle n’y est pas. » Le principe est le même pourquoi s’inquiéter d’une situation qui se dénouera d’elle-même ?
Une fois que vous aurez appris à ne plus vous agiter, vous pourrez faire n’importe quoi, à n’importe quel rythme, avec toute l’attention et la rapidité désirables, sans avoir l’impression que le temps vous échappe ou vous gagne de vitesse. Il en est alors comme de l’impression qu’on a lorsqu’on est en vacances.
Ainsi que je l’ai souligné plus haut, on peut aller vite ou lentement, sans s’occuper du temps, sans la moindre notion du temps parce qu’on ne fait que ce qu’on est en train de faire et qu’on ne poursuit aucun objectif précis.
Vous découvrirez qu’il vous est possible de prier dans toutes les situations et qu’il n’est pas au monde de circonstance qui puisse vous en empêcher. Le seul empêchement véritable à la prière intervient lorsque vous vous laissez happer par la tempête, lorsque vous laissez la tempête pénétrer en vous au lieu de la laisser faire rage autour de vous.

Antoine Bloom, extrait de « L’école de la prière » Edition du Seuil

L’ORIENT CHRÉTIEN ET L’APPORT DE LA RUSSIE

20 janvier, 2014

http://www.revue-kephas.org/03/3/Laubier49-61.html

L’ORIENT CHRÉTIEN ET L’APPORT DE LA RUSSIE

Juillet-Septembre 2003

Patrick de Laubier*

Lumière de l’Orient : c’est le titre de la Lettre apostolique du 2 mai 1995 de Jean-Paul II, qui écrit : « Nos frères orientaux sont tout à fait conscients d’être les porteurs vivants, avec nos frères orthodoxes, de cette tradition. Il est nécessaire que les fils de l’Église catholique de tradition latine puissent eux aussi connaître ce trésor dans sa plénitude et ressentir ainsi avec le pape le vif désir que soit rendue à l’Église et au monde la pleine manifestation de la catholicité de l’Église, exprimée non par une seule tradition, ni encore moins par une communauté opposée à l’autre ; et que nous puissions, nous aussi, apprécier pleinement ce patrimoine indivis de l’Église universelle révélé par Dieu. » (OL-1) Slave, il rappelle la proclamation des saints Cyrille et Méthode comme patrons de l’Europe (1985) et évoque notamment l’importance que la théologie orientale attribue à l’Esprit Saint auteur de la déification. En 1964, Paul VI et Athénagoras avaient abrogé les condamnations réciproques, mais l’unité plénière est encore à réaliser. Le Millénaire du baptême de la Rus’ de Kiev donna lieu à une lettre apostolique (Euntes in mundum) le 25 janvier 1988 et, en annexe, le 14 février 1988, fête des saints Cyrille et Méthode, à un message aux catholiques ukrainiens (Magnum baptismi donum), qui évoque le Concile de Florence (1439) et l’union de Brest (1596). Une célébration réunit les Ukrainiens de la diaspora à Rome, faute de pouvoir se tenir à Kiev où l’absence de liberté religieuse réduisit, jusqu’en 1990, les Gréco-catholiques (Uniates) à la clandestinité. L’encyclique Ut unum sint, publiée en mai 1995, traite longuement des rapports entre les Églises sœurs d’Orient et d’Occident : « C’est dans cette perspective que prend son sens le plus profond une expression que j’ai plusieurs fois employée : l’Église doit respirer avec ses deux poumons ! » Le pape en a parlé à propos de l’Europe et rappela que le baptême de la Rus’ s’était effectué lorsque l’Église était indivise. Enfin le pape va jusqu’à parler d’une conversion de la part de l’Église latine « afin qu’elle respecte et revalorise pleinement la dignité des Orientaux et qu’elle accueille avec gratitude les trésors spirituels que portent les Églises orientales catholiques au profit de la communion catholique tout entière, afin qu’elle montre de façon concrète, et beaucoup plus que par le passé, combien elle estime et admire l’Orient chrétien et combien elle considère comme essentielle la contribution de celui-ci pour vivre pleinement l’universalité de l’Église. » (OL – 23) Ajoutons qu’en 1996, lors de l’Angelus du 1er septembre, Jean-Paul II évoqua le souvenir de Vladimir Soloviev (1853–1900) en ces termes : « Pour lui, le fondement même de la culture est la reconnaissance de l’existence inconditionnelle de l’autre. D’où son refus d’un universalisme culturel de type monolithique, incapable de respecter et d’accueillir les multiples expressions de la civilisation. Il fut également cohérent avec cette vision lorsqu’il se fit le prophète ardent et passionné de l’œcuménisme, se consacrant à la réunification entre orthodoxes et catholiques. » (Osservatore Romano du 3 septembre 1996). Plus tard dans l’encyclique Fides et Ratio (1999), l’œuvre philosophique de V. Soloviev fut citée. Successivement nous verrons (I) la situation des Églises d’Orient aujourd’hui, puis l’esprit du monde chrétien d’Orient (II) et les données historiques et sociales du monde oriental chrétien (III) ; enfin le cas de la Russie fera l’objet d’une dernière partie (IV).

I. Les Églises orientales aujourd’hui1 Il y a 41 Églises orientales dont 19 sont rattachées à Rome. On peut distinguer trois grands groupes : – 1) d’abord celles qui sont rattachées à Rome, soit environ 10 millions de fidèles2 ; – 2) puis six Églises orientales orthodoxes, non rattachées à Rome, comptant environ 30 millions de fidèles3 ; – 3) enfin le groupe des Églises byzantines non rattachées à Rome, dont 14 sont autocéphales, avec un total de 135 millions de fidèles (80 millions pour le patriarcat de Moscou). Il faut ajouter 5 Églises dites autonomes avec des effectifs très faibles et 6 Églises canoniquement rattachées à Constantinople. Notons aussi plusieurs Églises orthodoxes non reconnues par les autres, comme les Vieux croyants russes), le Patriarcat de Kiev (Philaret) et l’Église de Macédoine. La totalité des fidèles appartenant aux Églises orientales est de l’ordre de 180 millions dont 10 millions, on l’a vu, sont rattachés à Rome.4 Les traditions théologiques orientales sont, pour l’essentiel, celles de l’Église catholique, à l’exception de la primauté romaine pour celles qui ne sont pas unies à Rome et leurs sacrements sont reconnus par l’Église catholique. Les progrès de l’œcuménisme sont à la fois considérables et insuffisants et même, dans certains cas, décevants. Considérables au plan des mentalités, car tous se proposent expressément l’unité visible. Décevants, surtout avec la plus importante des Églises byzantines, celle du Patriarcat de Moscou. Après la chute du communisme, on pouvait espérer un dialogue, mais il a été refusé par Moscou. Il faut comprendre que ce n’est pas facile. Je prends le cas de la liberté religieuse : elle a été reconnue par l’Église catholique dans une déclaration conciliaire qui n’a pas été adoptée sans mal puisque six projets consécutifs ont été nécessaires, pour recueillir une quasi-unanimité. L’Église russe sort de 70 ans de communisme précédés d’un asservissement ecclésial à l’époque tsariste. Dans cette situation de convalescence après tant d’épreuves, le dialogue œcuménique suscite chez elle la crainte et des frustrations. Les Églises orthodoxes sont d’ailleurs elles-mêmes divisées. Le Patriarcat de Moscou, qui compte le plus grand nombre de fidèles, dont près de la moitié en Ukraine, se trouve confronté à une Église romaine appartenant, dans la grande majorité des cas, au rite latin.5 L’Église doit respirer des deux poumons. Le génie occidental a engendré une contestation rationaliste et une sécularisation de la vie publique. Le génie oriental s’est souvent enfermé dans le nationalisme ou l’ethnicisme. En théologie, la menace arienne est souvent présente en Occident, par contraste avec des tentations monophysites en Orient. En respirant à deux poumons, ces maux peuvent être atténués sinon disparaître complètement. Sur une plus grande échelle, lorsque le christianisme se répandit dans l’empire romain, le bouddhisme pénétra dans l’empire chinois et fut, comme le christianisme, mais dans un tout autre esprit, une source de civilisation. Moines chrétiens en Occident et bouddhistes en Extrême-Orient furent des bâtisseurs de cultures. Un chrétien qui ne serait pas missionnaire, dans le plus grand respect des âmes, ne mériterait pas de le rester. Si l’on a employé hier des contraintes au service de la mission, nous savons aujourd’hui que les seuls moyens acceptables pour l’acculturation du christianisme sont ceux qu’énumèrent les Béatitudes. Pour cette grande œuvre missionnaire en Asie, les chrétiens orientaux n’ont-ils pas une vocation privilégiée ? On pense notamment à l’Inde dont 3% des habitants sont chrétiens. Il existe des Églises de rite oriental, comme les Malabars, rattachés à Rome, qui ont maintenant des évêques de cette tradition dans des diocèses indiens et même des territoires de mission propres depuis que les missionnaires étrangers ne peuvent plus obtenir des visas. L’Église orthodoxe russe, dans un pays qui a des frontières communes avec la Chine, n’est-elle pas appelée à y faire connaître le message chrétien ? L’unité des Églises est essentielle pour l’annonce de l’Évangile en Asie non seulement dans le rite latin, mais aussi dans le rite grec. À la Pentecôte, les apôtres parlaient toutes les langues.

II. L’esprit du monde chrétien oriental Les orientations philosophiques Successivement on examinera l’aspect théologique puis la liturgie et l’art. Les deux orientations fondamentales de l’esprit humain trouvent en Platon et en Aristote des expressions qui traversent toute l’histoire de la pensée chrétienne depuis les Pères de l’Église jusqu’à nos jours.6 « On a exposé la foi chrétienne, écrit Endre Ivanka, en se servant d’expressions philosophiques, lui donnant chaque fois une figure particulière, selon que l’on utilisait la philosophie platonicienne ou aristotélicienne à titre de langage conceptuel. Mais comme, dans l’histoire, les choses ont tourné de telle sorte que c’est une pensée théologique de facture aristotélicienne qui devint la caractéristique de l’Occident, tandis qu’une théologie à la manière des Pères grecs, formés par le platonisme, marquait plutôt l’Orient orthodoxe, l’opposition des deux styles de théologie, suivant leurs fondements philosophiques, revient en même temps à opposer la théologie occidentale actuelle et celle de l’Orient. »7

Et il poursuit : « Les deux perspectives se complètent nécessairement ; car la Révélation, ou la Parole de Dieu, contient à la fois l’être et le don ; et le don n’est pleinement saisi et religieusement honoré, qu’à partir de l’être. Pourtant, pris séparément, elles suscitent un style distinct, une orientation théologique distincte. Dans un cas, c’est l’aspect rationnel qui est le plus important pour comprendre la foi… L’autre manière de faire, de même qu’elle a un autre point de départ, se propose un autre but : non d’approfondir les doctrines de la foi révélée au moyen des catégories de la pensée conceptuelle, mais au contraire d’interpréter la situation de l’homme et du monde, tels que nous les connaissons, à partir des thèmes centraux de la vérité révélée… Dans un cas, la mystique est tout au plus un problème théologique… (et) ne peut en aucun cas devenir elle-même une manière de faire de la théologie. Pour l’autre façon de voir, au contraire, cette expérience immédiate du divin, cette connaissance immédiate de Dieu qui consiste à être élevé, ne fut-ce qu’un moment, à un état supérieur qui donne son sens à la vie humaine, est la théologie par excellence ».8 L’auteur conclut en opposant la « traduction » du surnaturel dans la sphère humaine et « l’élévation » ou mieux « l’illumination » de l’intellect humain dans la sphère surnaturelle. Les deux approches sont complémentaires, mais la première est menacée par le rationalisme et la seconde par une « gnose religieuse », un surnaturalisme, qui ne distingue plus entre le naturel et le surnaturel. Il faut corriger cette opposition simplifiée entre l’Orient et l’Occident, en rappelant, avec Ivanka, que saint Augustin et certains aspects de la tradition franciscaine relèvent pour une part du platonisme, tandis qu’un grand docteur de l’Orient, comme saint Jean Damascène, se propose, à l’instar de saint Thomas, d’offrir une exposition systématique de la foi chrétienne, sans utiliser, il est vrai, la méthode scolastique.9 L’aristotélisme est capable de fonder une philosophie d’inspiration chrétienne et d’affronter les objections de la science et de la philosophie moderne, tandis que le platonisme christianisé permet une théologie en lien plus étroit avec la mystique, mais ne peut fonder une philosophie d’inspiration chrétienne.10 On notera que le développement de la scolastique occidentale, à partir du deuxième millénaire, a été comme accompagné par l’existence des grandes mystiques féminines qui aujourd’hui comptent trois docteurs (sur 33) tandis que la tradition orientale ne reconnaît pas l’équivalent. En proclamant Thérèse docteur de l’Église, Jean Paul II lui a appliqué ce que Paul V déclara à propos de Catherine de Sienne : « Ce qui frappe plus que tout dans la sainte, c’est la sagesse infuse, c’est à dire l’assimilation brillante, profonde et exaltante des vérités divines et des mystères de la foi…, une assimilation certes favorisée par des dons exceptionnels, mais évidemment prodigieuse, due à un charisme de sagesse de l’Esprit Saint. »11

La liturgie byzantine et le mystère du Christ L’origine de la liturgie byzantine attribuée à saint Basile et à saint Chrysostome remonte à une période située entre les Conciles de Constantinople (381) et de Chalcédoine (451). Byzance se trouvait dans une zone ecclésiastique de tradition antiochienne, fort ancienne, puisqu’elle remontait aux apôtres et avait des liens étroits avec Jérusalem dont la liturgie se réclamait de Jacques, premier évêque de Jérusalem.12 Saint Jean Chrysostome, lui-même, avait été prêtre à Antioche avant d’occuper le siège patriarcal de Constantinople (398–404). Deux interprétations ont été proposées pour rendre compte de l’évolution liturgique. la première (Ferdinand Probst) suggère une liturgie primitive unique qui se serait diversifiée selon les régions et les langues ; la seconde (Anton Baumstark) voit au contraire une grande variété de rites dans les trois premiers siècles, qui aurait été suivie, entre 312 et la fin du premier millénaire, d’une stabilisation autour des rites romain et byzantin.13 Les deux interprétations ne sont pas contradictoires si l’on admet l’existence d’un kérygme initial issu de la communauté de Jérusalem. La liturgie de Saint Basile (330–379) est attribuée au grand docteur qui s’inspire d’une tradition cappadocienne anté-nicéenne. Celle de Saint Jean Chrysostome (349–407) a été placée sous ce nom prestigieux sans être vraiment de lui ; elle s’inspire de la tradition alexandrine et de celle de Jérusalem (Saint Jacques). Jusqu’aux Xe–XIe siècles, la liturgie de Saint Basile a prédominé puis elle fut évincée par celle de Saint Jean Chrysostome14, sauf pendant le Carême. À partir du VIe siècle, avec Justinien (527–565), le bâtisseur de Sainte-Sophie, le rite byzantin devient « impérial » et l’emporte peu à peu sur les traditions syriennes se réclamant de Jérusalem. L’invasion perse (605–627), puis celle de l’Islam (637–650), marquent le déclin des prestigieux patriarcats de Jérusalem, Alexandrie et Antioche, suivi de la conquête de l’Afrique chrétienne par les cavaliers d’Allah. Un siècle plus tard, Byzance connaît la grave crise iconoclaste (727–787) qui a eu pour conséquence la prédominance monastique dans l’évolution de la liturgie byzantine, ce qui marque, d’une certaine manière, un retour de l’influence de Jérusalem par l’intermédiaire des moines de Saint-Sabbas, en Judée, que Théodore le Studite associa à sa lutte contre l’iconoclasme. La vie du Christ, dans la liturgie de la messe, qui est au cœur de la « divinisation » chrétienne, est évoquée par Cabasilas (1322–1391) dans son « Explication de la divine liturgie. »15 « Dans les psalmodies et les lectures, comme dans tous les actes du prêtre à travers l’ensemble des rites, c’est toute l’économie de l’œuvre du Sauveur qui est signifiée : les premiers rites de la liturgie sacrée représentent les débuts de cette œuvre ; les seconds, la suite ; et les derniers, ce qui en fut la conséquence. C’est ainsi que les spectateurs de ces rites ont la possibilité d’avoir devant les yeux toutes ces divines réalités. »16 Plus loin, il précise que, jusqu’à la consécration, les rites symbolisent les événements antérieurs à la mort du Christ. Après la consécration, l’épiclèse symbolise la Pentecôte et la conversion des nations jusqu’à la fin des temps. La vie du Sauveur est ainsi mise sous nos yeux au cours de la liturgie et Cabasilas précise que les prières et les gestes ont aussi d’autres significations spirituelles et pratiques, mais chacun d’eux « symbolise quelque chose des œuvres du Christ, de ses actions ou de ses souffrances ». C’est ainsi que le transfert de l’Évangile durant la liturgie des catéchumènes, appelé petite entrée, renvoie à la manifestation encore obscure de la vie cachée, tandis que le transfert des oblats, pendant la liturgie des oblats, appelé grande entrée, symbolise la vie publique, puis la consécration nous fait revivre le triduum pascal. Revenant sur le détail du déroulement de la liturgie, Cabasilas évoque la prothèse, lorsque les dons ou oblats sont préparés avant d’être apportés sur l’autel pour la consécration. Ce rite suggère l’ancienne Alliance et ses sacrifices qui annonçaient l’unique sacrifice du Christ. Le Christ Lui-même à la Cène commence par bénir le pain et le vin qui seront ensuite consacrés. Les oblats constituent un fragment du pain tout entier pour symboliser la personne du Christ séparée de l’humanité pour être offerte. Durant la préparation des oblats, toute une symbolique de la Passion est figurée par les incisions, la lancette, tandis que le prêtre prononce les paroles appropriées tirées des psaumes et de l’Évangile. Les oblats, à ce moment, n’étaient encore que du pain et, selon Cabasilas, le corps du Seigneur « à son premier âge, car ce corps, lui aussi, fut dès le début une offrande ». Le prêtre couvre ces oblats d’un voile signifiant « qu’en effet la puissance du Dieu incarné était restée voilée jusqu’au temps fixé des prodiges et du témoignage venant du ciel. »17 Nous arrivons ensuite à la lecture des livres apostoliques (épîtres, actes des apôtres) suivie de celle de l’Évangile symbolisant la prédication de plus en plus manifeste du Christ dans sa vie publique. Puis vient la grande entrée avec le transfert solennel des oblats qui prend la forme d’une procession dans l’église. Une double symbolique est suggérée ici, notamment par l’hymne des chérubins : « Nous qui, dans ce mystère, sommes l’image des Chérubins, et qui, en l’honneur de la vivifiante Trinité, chantons l’hymne trois fois sainte. » Il y a d’abord l’idée d’un parallélisme entre la liturgie terrestre et la liturgie céleste célébrée par les anges, mais on trouve aussi une évocation de l’entrée de Jésus à Jérusalem lorsque le peuple l’acclame par le Hosanna : « Les oblats peuvent encore signifier l’ultime manifestation du Christ, au cours de laquelle Il excita au plus haut point la haine des Juifs, lorsqu’Il entreprit le voyage de sa patrie à Jérusalem, où Il devait être immolé ; lorsque, enfin, porté par une monture, Il entra dans la cité sainte, escorté et acclamé par la foule. »18 La tradition orientale accorde une importance toute particulière à ce moment de la vie du Christ, qui n’est évoqué, dans la liturgie romaine, qu’au Dimanche des rameaux. L’iconographie byzantine privilégie, elle aussi, cette entrée à Jérusalem. On peut y voir un héritage des somptueuses cérémonies de l’époque byzantine où l’empereur, qui garda au début le titre de Pontifex maximus, tenait une place toute particulière.19 La consécration est présentée par Cabasilas avec un remarquable réalisme qui, sans utiliser le terme latin de transsubstantiation, rejoint très exactement la doctrine catholique : « Car le pain n’est plus la figure du Corps du Seigneur, ni une simple offrande, portant l’image de la véritable offrande, ou contenant en soi, comme en un tableau, la représentation de la salutaire Passion : c’est maintenant l’offrande véritable elle-même, c’est le Corps même infiniment saint du Maître, ce corps qui a réellement reçu tous ces outrages, ces insultes, ces coups ; ce Corps qui a été crucifié, immolé, « qui a rendu sous Ponce Pilate le meilleur témoignage », qui a été souffleté, torturé, qui a enduré les crachats, qui a goûté au fiel. Pareillement, le vin est devenu le sang même qui a jailli du corps immolé. C’est ce Corps avec ce Sang, formé par le Saint-Esprit, né de la bienheureuse Vierge, qui a été enseveli, qui le troisième jour est ressuscité, qui est monté aux cieux, et qui est assis à la droite du Père. » On voit que Cabasilas ne se contente pas d’un silence adorateur devant ce grand mystère, il précise avec un réalisme saisissant « cette ineffable et incompréhensible œuvre rédemptrice du Sauveur à notre égard ». Il n’y a plus de pain, ni de vin, malgré les apparences. Plus loin, il évoque l’épiclèse, c’est-à-dire la prière à l’Esprit-Saint après les paroles consécratoires qui, pour les Orientaux, fait partie de la consécration proprement dite. Cabasilas reproche à « certains latins » de ne pas inclure l’épiclèse dans la consécration, et de fait saint Thomas enseigne que les seules paroles de la consécration suffisent, mais la prière du canon romain qui suit la transsubstantiation constitue un épiclèse, comme Cabasilas le note lui-même : « Nous t’en supplions, Dieu tout-puissant, ordonne que ces offrandes soient portées par les mains de ton saint Ange sur ton autel sublime, en présence de ta divine majesté : afin que nous tous, qui participons à ce sacrifice par la réception du Corps infiniment saint et du Sang de ton Fils, nous soyons remplis de bénédiction céleste et de grâce. » Les Grecs demandent à l’Esprit-Saint de « descendre sur les dons », tandis que le canon romain demande au « saint Ange » de porter les oblats à Dieu pour qu’Il les bénisse. On peut remarquer que les trois nouveaux canons prévus par le Concile Vatican II contiennent une invocation à l’Esprit-Saint plus explicite encore que le canon romain aussitôt avant les paroles consécratoires. Concluons sur ce point en disant l’accord des traditions catholique et orthodoxe sur l’essentiel de la consécration et de son effet, mais en notant que la liturgie byzantine est plus explicite sur l’action de l’Esprit-Saint que le canon romain. Les prières liturgiques et l’iconographie orientales sont d’ailleurs souvent plus riches que celles de l’Occident à propos de l’Esprit-Saint. Ceci traduit une plus grande attention spirituelle à la Troisième Personne de la Trinité chez les Orthodoxes. Les latins ont été, surtout depuis le deuxième millénaire, plus attentifs spirituellement à l’humanité douloureuse du Christ. Par ailleurs, la dévotion au Saint-Sacrement, en dehors de la messe, qui est si caractéristique de la tradition catholique depuis le XIIIe siècle, n’a pas son équivalent chez les Orientaux. L’Église est faite de ces contrastes qui, loin de l’appauvrir, comme le feraient des contradictions, l’enrichissent. Les prières pour les défunts « qui se sont endormi dans l’espérance d’une éternelle vie », sont commentées par Cabasilas, qui indique que les effets du sacrifice sont aussi le repos de l’âme des défunts. La tradition orthodoxe ne fait pas état du purgatoire, mais la célèbre icône de la Résurrection nous montre le Christ venant chercher les élus, à commencer par nos premiers parents, en brisant les portes de l’enfer. La communion des fidèles est précédée de la prière chantée par le chœur et se termine par : « Le Seigneur est Dieu et Il nous est apparu. » À la fois Résurrection du Christ et Parousie (présence). La communion est suivie d’une action de grâces : « Nous avons vu la Lumière véritable, nous avons reçu l’esprit céleste, nous avons trouvé la vraie foi ; adorons la Trinité indivisible, car c’est elle qui nous a sauvés. » On voit que la liturgie de Saint Jean Chrysostome peut être interprétée comme reprenant la vie du Christ dont le Corps est l’Église et les fidèles sont les membres. Bien d’autres formes symboliques pourraient être dégagées de cette magnifique liturgie dont Cabasilas s’est fait l’interprète autorisé.

L’art des icônes L’iconographie orientale a pris une importance croissante dans la piété populaire pour des raisons qui s’apparentent à la dévotion si répandues, en Orient, pour les reliques.20 « L’image du Christ », écrit André Grabar à propos de Byzance, « n’est pas une simple représentation de la nature humaine ; l’image de Marie et d’autres saints n’est pas seulement la représentation de leur apparence corporelle. Ces images portent en elles une empreinte de la nature divine de Jésus et de la sainteté. La vénération qu’on doit à l’icône est justifiée par cette présence en elle de cette parcelle du divin ou de la sainteté, sans nous faire oublier pour autant que ce culte s’adresse non pas à l’objet matériel qu’est l’icône, mais à l’être divin ou saint auquel elle doit sa part de l’intelligible. »21 Cette dévotion n’aura pas son équivalent en Occident, qui verra surtout dans l’image un instrument pédagogique pour représenter des mystères.22 À partir du XIIIe siècle en Occident la dévotion au Saint Sacrement ne cesse de progresser tandis qu’en Orient les saintes espèces restent cachées derrière l’iconostase. Le tabernacle des églises d’Occident, qui est au centre de la prière des fidèles, n’exclut pas les images et les statues, mais la réalité de la présence sacramentelle éclipse les images.23 Depuis le XVIe, l’adoration de l’hostie dans l’ostensoir devient de plus en plus fréquente et aujourd’hui, cette dévotion est devenue centrale dans la prière de l’Église latine. Ajoutons qu’en Occident des dévotions nouvelles issues de révélations privées reconnues par le Magistère24 ne cessent d’enrichir la piété des fidèles tandis qu’en Orient la stabilité des formes de la prière est la règle.25 On pourrait établir des rapprochements entre l’art oriental et des expressions artistiques italiennes, espagnoles ou latino-américaines, mais les conditions politiques et sociales, que nous allons maintenant examiner, ne permirent pas, le plus souvent, à l’Orient chrétien de donner toute sa mesure dans le domaine de l’art.

III. Les données historiques et sociales Les Églises orientales aussi bien pré-chalcédoniennes que byzantines n’ont pas connu la liberté politique qui a caractérisé l’Église romaine après la conversion de Constantin. Tantôt la domination provenait du prince chrétien, des empereurs byzantins aux tsars russes, tantôt de princes étrangers et à partir du VIe des conquérants musulmans. Le plus extraordinaire dans cette situation, c’est non pas l’asservissement, mais la liberté dont la papauté a bénéficié, le plus souvent face à de continuelles menaces, avec des périodes il est vrai, de contrôle extérieur par les empereurs et les rois d’Occident, mais sans comparaison avec la condition orientale. Dès les premiers siècles de l’empire chrétien, l’évêque de Rome est un cas spécial : « En théorie, écrit Duchesne, il n’y a pas de doute, c’était un sujet, car on est sujet ou souverain, et, dans l’empire il n’y avait pas d’autre souverain que l’empereur. Mais en réalité ! En réalité, l’empereur ne le nommait pas ; il se bornait à ratifier son élection faite à Rome par les romains… L’autorité qu’il exerçait ne lui venait pas de l’empereur… La succession de saint Pierre, le siège de saint Pierre, l’autorité de saint Pierre, voilà de quoi se réclamait le « Seigneur apostolique » et ce qui faisait son prestige. »26 Épargné par la conquête musulmane qui s’étendit sur les chrétientés d’Égypte, d’Afrique du nord et d’Espagne, à proximité immédiate de Rome, le siège apostolique romain connut bien des tentatives d’asservissement, notamment de la part des empereurs allemands et des rois de France, mais les États pontificaux assurèrent, pendant un millénaire et demi, l’indépendance politique du Saint-Siège. Rien de pareil avec les Églises orientales. « À Byzance », écrit Ostrogorsky, « l’empereur est l’élu de Dieu, sur lequel repose la providence divine… (Il) décide pratiquement de la nomination du patriarche… intervient aussi dans l’administration de l’Église. »27 Le Concile de Florence (1439) s’est tenu quatorze années avant la chute de Constantinople et plus de deux siècles après la quatrième croisade (1204), dont Jean-Paul II a tenu à regretter les dérives déplorables, et même criminelles, lors de sa visite à Athènes en mai 2002. Les vrais coupables furent les marchands vénitiens qui ont ourdi le complot et les croisés furent dûment excommuniés par Innocent III, pour avoir confondu, sous l’empire de la convoitise, Constantinople et Jérusalem. Ce formidable pillage médiéval d’or et de reliques fut suivi de l’instauration d’un empire latin dans la cité grecque qui ne s’en remit jamais. Pendant 57 ans, les 11 empereurs latins se comportèrent en colonisateurs et le dernier d’entre eux fut chassé à l’improviste par une troupe byzantine profitant d’une expédition des Latins vers l’île de Daphnusia, au profit, encore une fois, des Vénitiens. Ce n’était pas de cette manière que l’unité des chrétiens d’Orient et d’Occident pouvait s’effectuer ; tout au contraire, la haine fut renforcée de part et d’autre. Malgré ce lourd héritage de préventions, un authentique mouvement en faveur de l’union commença à se dessiner en Orient. L’empereur byzantin, Jean VIII Paléologue, prit l’initiative et se mit en relation avec Eugène IV, évêque de Rome. Ce dernier ne bénéficiait pas de la situation prestigieuse de son prédécesseur, Innocent III ; on peut même dire qu’il avait à peu près tout le monde contre lui. Le Concile de Bâle retentissait de théories conciliaristes, niant les prérogatives du successeur de Pierre. Le roi de France, Charles VII, allait bientôt imposer la « Pragmatique Sanction » gallicane de Bourges (1438), et tenter de rétablir la tutelle française héritée d’Avignon. En Italie, les condottieri, au service des princes ou à leur propre compte, organisaient le chaos. L’empereur byzantin devait choisir entre les « conciliaristes » de Bâle appuyés par les plus grands princes d’Occident et le pape légitime, Eugène IV. Celui-ci, sachant que les Grecs voulaient son approbation, avait transféré le Concile de Bâle à Ferrare et y arriva le jour même où l’assemblée de Bâle décidait de le suspendre (24 janvier 1438). Le 8 février, le Basileus, Jean VIII, débarqua à Venise avec une imposante délégation de 700 Grecs, et fut accueilli à Ferrare, le 4 mars, par Eugène IV. La session inaugurale, solennelle, eut lieu le 9 avril. Les autres sessions se succédèrent mais la menace de la peste entraîna le transfert du Concile à Florence. Au début de février 1439, le pape, l’empereur et le patriarche étaient enfin sur place et les sessions dogmatiques débutèrent pour s’achever le 4 juillet suivant avec le décret d’union. La délégation byzantine avait donc opté pour le pape au détriment de l’assemblée de Bâle, pour des raisons, notons-le, plus théologiques que politiques, sans se désintéresser pour autant de la menace turque sur Constantinople. Il fallut toutefois, d’interminables séances de discussion pour que les deux parties parviennent à trouver l’unité ecclésiale. Les résultats de cette mémorable entreprise furent rendus en grande partie vains après la chute dramatique de Constantinople, abandonnée à elle-même, malgré les efforts du pape. Les princes d’Occident, préoccupés de leurs seuls intérêts, n’intervinrent pas. Bessarion, un des plus éminents théologiens grecs, devint cardinal romain et fut même un candidat sérieux au trône de Pierre. Isidore de Kiev, dont dépendait la Russie, se rendit à Moscou et à Constantinople pour rendre officielle la fin du schisme. Il endura l’hostilité du prince de Moscou, opposé à l’Union, qui l’emprisonna. Une majorité du clergé orthodoxe, moines en tête, refusa l’union, notamment sous l’influence de Marc d’Ephèse, adversaire déterminé des latins. Scholarios, philosophe laïc, qui avait participé au Concile et signé le décret d’union, devint moine et changea d’avis sous l’influence de Marc d’Ephèse. Finalement il fut intronisé Patriarche de Constantinople par Mehmet II, le vainqueur de Byzance. Lorsque Moscou se proclama « troisième Rome », en 1589, la situation ne s’arrangea pas puisqu’en 1721, Pierre le Grand remplaça le patriarcat par un Synode dirigé par un fonctionnaire laïc nommé par le tsar. Le patriarcat fut rétabli en 1917 resta sans titulaire de 1925 à 1943 et se soumit au pouvoir soviétique de 1943 à 1990.28 Les Églises orientales des Balkans, du Moyen Orient et d’Afrique, à l’exception de l’Ethiopie, furent contrôlées par les Sultans, soit par l’intermédiaire de Constantinople, soit directement avec un régime spécial pour les Églises d’Orient rattachées à Rome et protégées par la France. La Russie intervint aussi au XIXe dans les Balkans et au Moyen-Orient en faveur des chrétiens orthodoxes et l’espérance de reconquérir Constantinople, la « deuxième Rome », est une des clés de la politique étrangère de l’empire tsariste, de Nicolas I (1825–1855) à Nicolas II (1894–1918).29 Cette sujétion historique des chrétiens d’Orient sous différents régimes politiques et religieux explique leurs attitudes de repliement confessionnel et même ethnique, leur absence d’esprit missionnaire et leur faible créativité culturelle, et certains caractères de leurs traditions théologiques, sans oublier la pauvreté matérielle et ses contraintes.

IV. Le cas de la Russie Georges Florovsky (1893–1979)30 a écrit une imposante synthèse de l’histoire spirituelle et théologique de l’Église orthodoxe russe et ukrainienne dont nous nous inspirons ici. Berdiaev pensait que cet ouvrage aurait pu avoir pour titre : « Impasses de la théologie russe ». C’est en Russie, la Russie orthodoxe, que le génie chrétien de l’Orient a manifesté au XIXe et au début du XXe, dans à peu près tous les domaines, le plus de créativité. Ce que Florovsky appelle la « Révolution de Pétersbourg » entreprise par Pierre le Grand au XVIIIe et le nationalisme grand russe au XIXe ont enfermé la Russie dans un système politico-religieux qui a bien failli l’étouffer avant même que les bolcheviks ne commencent leur œuvre de destruction physique de l’Église russe. Héritière de Byzance, la Russie orthodoxe a été d’emblée coupée de Rome qui s’est présentée à elle sous le visage du catholicisme polonais d’abord conquérant puis politiquement asservi, mais gardant tout le prestige du catholicisme latin et nourrissant un mépris pour ses conquérants. Il était difficile pour la Russie d’assumer simultanément l’héritage de Byzance et son rôle politique parmi les nations européennes, sans confondre le spirituel et le temporel et même sans asservir le premier au profit du second à l’âge des Lumières. Ses dirigeants se plurent à unir l’autocratie, l’orthodoxie et le nationalisme dans un système à dominante politique et même policière. Le génie de l’Orient chrétien se trouva comme atrophié et les énergies religieuses détournées s’engagèrent effectivement dans une impasse dangereusement explosive comme la suite le montra. L’histoire de l’uniatisme (gréco-catholiques) qui opposa Rome et Pétersbourg à partir du XVIe peut servir de fil rouge pour suivre un conflit ecclésiologique que le tsarisme tenta de régler par la force. Mais la science s’exprimait toujours en latin dans l’empire russe jusqu’au XVIIIe tandis que la théologie proprement orthodoxe n’avait pas d’expression originale à proposer à son clergé. Entre la Révolution de 1789 et celle de 1917, les idéologies sociales prétendirent prendre la place de la religion. C’est au milieu de ces tempêtes que l’Orthodoxie russe et avec elle le génie chrétien d’Orient durent se frayer un chemin qui aboutit justement à une impasse, laquelle transforma la vie religieuse russe en une tragédie. Georges Florovsky, qui voit dans la philosophie idéaliste allemande l’expression privilégiée de l’Occident, confond une branche sortie du tronc principal avec un arbre, plus que millénaire. L’expérience russe de la scolastique latine kiévienne au XVIIe avec Pierre Moghila, puis le retour à la scolastique latine en Russie au début du XIXe, avaient traumatisé la conscience russe qui crut perdre son identité orientale en se laissant latiniser. Pourtant, en écartant après 1840 la scolastique qui incluait cet « hellénisme chrétien » commun aux Occidentaux et aux Orientaux, les théologiens russes influencés par le mouvement piétiste comme Philarète, Métropolite de Moscou de 1821 à 1867, préparaient la voie à un « hellénisme païen » de facture idéaliste. Ce furent deux laïcs, Alexis S. Khomiakov (1804–1860) et Ivan Kireievsky (1806–1856), qui se firent les défenseurs d’une orthodoxie slavophile originale se réclamant de Pères et résolument hostiles à l’ecclésiologie romaine qu’ils opposaient à la Sobornost (conciliarité) orthodoxe.31 Vladimir Soloviev (1853–1900) sut le mieux exprimer le génie oriental chrétien. Son inspiration est platonicienne, plutôt qu’aristotélicienne, et, bien qu’elle reste parfois parasitée par l’idéalisme allemand et contient des traits gnostiques, son œuvre, très christocentrique, constitue un trésor pour l’Orient et pour l’Occident chrétiens.32 Personnalité mystérieuse et tragique, Soloviev fut un authentique pèlerin russe. Ce philosophe génial était en effet un poète sans domicile fixe et d’une générosité démesurée. Chevalier de la Sophia (Toinet), il s’éprit religieusement de la beauté sous toutes ses formes, féminines incluses. Sa passion pour l’unité des Églises était très profondément christocentrique, et contrairement à Dostoievski, Soloviev était marial. C’est d’ailleurs dans une chapelle dédiée à Notre-Dame de Lourdes que, le 18 février 1896, il récita la profession de foi du Concile de Trente et communia des mains d’un prêtre russe devenu catholique. Il déclara, en faisant cette démarche, vouloir demeurer toujours membre de l’Église orthodoxe. Il aimait les juifs et les Polonais que le régime tsariste persécutait. Seuls Pobiedonotsev, grand inquisiteur russe, et Tolstoi, inventeur d’un christianisme sans le Christ, échappaient à son universelle bienveillance. On peut dire de lui qu’il a été le véritable prophète de l’œcuménisme entre l’Orthodoxie russe et l’Église latine, même si son message reste encore trop souvent inécouté.

Conclusion Les chrétiens d’Orient se trouvent aujourd’hui dans des situations très différentes les unes des autres, mais dans la majorité des cas, la liberté politique est devenue une réalité qui avait manqué hier. Il incombe aux catholiques latins de porter un nouveau regard sur ce « deuxième poumon » de l’Église universelle, notamment en vue de la grande œuvre à laquelle Jean-Paul II convie les chrétiens du troisième millénaire, appelés à faire connaître le Christ aux peuples de l’immense Asie, qui, le plus souvent, ignorent l’Évangile.

* Patrick de Laubier (1935) est professeur honoraire de l’université de Genève (sociologie). Ordonné prêtre le 13 mai 2001 à Rome, il donne des cours à l’université du Latran et dans différentes institutions, notamment en Russie. Parmi ses ouvrages : Pour une civilisation de l’amour, Fayard ; L’eschatologie, Que-sais-je ? PUF ; L’avenir d’un passé, Rome, Saint Pétersbourg, Moscou, Téqui.

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