Archive pour la catégorie 'Orthodoxie'

Du repentir à l’adoption filiale (Orthodoxie)

28 juillet, 2010

du site:

http://www.pagesorthodoxes.net/metanoia/sophrony-repentir-adoption.htm

Du repentir à l’adoption filiale

par Archimandrite Sophrony

Bénie soit cette heure que notre bon Seigneur nous accorde ! En paix et dans le calme, nous allons parler de divers aspects de notre longue voie. Quelle est merveilleuse, cette voie ! Elle surpasse notre intelligence. Notre esprit s’épuise à suivre l’exemple du Christ, notre Dieu, venu apporter sur terre le feu de l’amour du Père.

Sur quel point vais-je m’arrêter aujourd’hui ? Il me semble devoir aborder la question posée par l’une des personnes présentes. Je vais donc parler du repentir, de l’adoption filiale. Même si, dans leurs formes ultimes, certaines choses échappent à toute formulation humaine, nous allons faire preuve de folie et parler, dans la mesure de nos forces, de ces réalités qui sont infiniment, inexplicablement grandes et sublimes.

Que de fois ai-je répété – et je le fais encore aujourd’hui pour éviter toute équivoque – que nous commençons notre  » voyage  » par un petit pas, celui du repentir ; mais la fin de la voie chrétienne est, selon notre manière de comprendre les choses, la déification de l’homme. Nombre de personnes, pusillanimes, sont gênées, mal à l’aise, lorsque nous osons parler de ces réalités. Si seulement elles savaient de quelle crainte notre âme est remplie, combien nous redoutons de nous tromper – ne serait-ce que par un seul mot – sur l’amour très saint du Père, le plus Saint de tous !

Mais comment aborder ce thème ? Laissons de côté certains détails et parlons de ce qui est le plus essentiel. La prédication du Christ commence par le mot metanoeite,  » repentez-vous  » (Mt 4,17). L’analyse de cette expression nous révèle, comme dans bien d’autres paroles du Christ, plusieurs niveaux de signification. Il convient ici de distinguer entre deux modes du repentir : un premier, qui se trouve dans les limites de l’éthique ; un second, qui dépasse la morale et se situe dans l’éternité, c’est-à-dire en Dieu. Nous appellerons le premier mode acte éthique et le second, qui signale le passage d’une  » orbite  » temporelle à une  » orbite  » éternelle, acte ontologique. Nous n’essaierons pas ici de résoudre le problème de savoir s’il est possible de passer du temporel à l’éternel, de l’éthique à l’ontologique.

Comme exemple d’un beau et profond acte de repentir, nous avons d’abord celui du jeune homme riche de l’Évangile, qui avait soif d’éternité divine et qui demanda au Christ ce qu’il devait faire pour passer du temps à l’éternité. Le Seigneur regarda ce jeune homme avec amour et lui dit :  » Observe les commandements « . « Lesquels ? « .  » Eh bien, ceux-ci et ceux-là… »  » J’ai observé tout cela depuis ma jeunesse. Que me manque-t-il encore ?  » Le Seigneur alors lui dit : «   Si tu veux être parfait, laisse tous tes biens, toutes tes connaissances et, devenu pauvre, suis-moi.  » Le jeune homme ne supporta pas cette parole (cf. Mt 19, 16-22).

Nous pouvons aborder le problème de la manière suivante : d’un point de vue moral, éthique, ce jeune homme se trouvait à un niveau élevé. Mais il existe un autre niveau, supérieur, qui concerne la « sphère  » divine, incréée, de l’Être éternel et sans commencement. Ainsi, un premier essai d’explication permet de montrer qu’il existe, parmi les hommes, divers niveaux d’état spirituel.

Pour la raison humaine, la possibilité d’un  » passage  » de la suite des nombres à l’infini mathématique ou, par analogie, d’un saut qualitatif du temporel à l’éternel, semble exclue, car nous sommes là en présence de deux ordres qui ne peuvent être comparés, qui sont radicalement incommensurables.

Prenons un autre exemple. Il y avait prés de Jérusalem deux soeurs, Marthe et Marie. Le Christ les aimait toutes les deux, et toutes deux aimaient le Christ et croyaient qu’il était le Messie. Et voici que lorsqu’il vint chez elles, Marthe fut très occupée par l’accueil et les soins du ménage. Marie, en revanche, touchée par l’Esprit dont il était porter, s’assit aux pieds du Christ, assoiffée de ses paroles.

Qu’arriva-t-il ? Quand Marthe, encombrée par les travaux, les soucis quotidiens et toutes les pénibles tâches ménagères, demanda au Christ  :  » Dis à Marie de m’aider « , il répondit avec douceur :  » Marthe, Marthe, tu te préoccupes maintenant avec beaucoup d’amour des soins du service, mais Marie a choisi la meilleure part, et cette part ne lui sera plus ôtée  » (cf. Lc 10, 38-42).

Vous voyez la différence : d’un côté, il y a le plan de l’amour éthique ou visible, c’est-à-dire des relations humaines normales, qui sont bien sûr très louables. De l’autre, il y a le plan de l’amour spirituel, qui nous donne accès à l’éternité divine. Le Seigneur dit ailleurs : Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point (Mt 24, 35). Lorsque nous répétons ces paroles du Christ, le passage suivant nous vient immédiatement à l’esprit : En arché én o Logos…  » Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu  » (Jn 1,1).

Voyez comme ces deux soeurs vivaient proches l’une de l’autre et, en même temps, quelle immense distance les séparait dans leur soif respective : l’une, Marie, était prête à accueillir le Christ dans une certaine négligence ou – comment dire ? – dans les conditions ordinaires – de la vie quotidienne, sans préparatifs particuliers ; l’autre, Marthe, était encline à manifester son amour par toutes sortes de signes extérieurs. Notez bien la différence de niveaux  : d’un côté, un état qui ne dépasse pas les limites de I’  » âge  » que nous avons appelé  » éthique « - par  » âge « , j’entends le degré de notre croissance spirituelle. De l’autre,  » Au commencement était le Verbe « … Ou, pour passer à une terminologie quelque peu différente : le second plan n’est déjà plus éthique, psychique, mais proprement ontologique, spirituel. Nous trouvons encore dans l’Évangile un certain nombre de pensées et d’idées très profondes conduisant à la résolution de suivre le Christ.

Ces derniers temps, nous avons observé sur terre un phénomène paradoxal  : d’une part, l’écrasement, avec une invraisemblable cruauté, de toute l’humanité ; d’autre part, l’exploration, l’élucidation du principe de la personne humaine. Qu’est-ce que l’homme comme personne ? Où se tourne l’intellect de la personne ? Lorsque le principe de la personne commence à se développer en nous, quand bien même nous serions en prison, nous sommes déjà libres en esprit dans les espaces illimités du cosmos. L’homme ne voit plus ce qui est extérieur ; il vit par ce qui est intérieur. Mais le langage humain ne peut exprimer la nature de cette contemplation des gouffres infinis.

Que dire de ces abîmes qui s’ouvrent devant l’homme quand il se plonge dans l’amour du Christ ? Quel en est le caractère ? Quelle en est l’origine ? Cet infini qui s’ouvre devant lui, lui est-il extérieur ou est-il l’état de son propre intellect créé à l’image de l’intellect du Créateur, de Dieu lui-même ? Autrement dit, ces abîmes proviennent-ils de l’énergie qui procède de Dieu ou manifestent-ils une possibilité de la nature humaine en soi ? Nous ne pouvons ni le comprendre ni le préciser. C’est uniquement par un repentir de nature ontologique que nous pourrons entrer dans cet univers. Et même alors, cela reste pour l’homme un mystère.

Au début de ma vie monastique au Mont Athos, mon père spirituel m’avait donné ce conseil :  » Veille à ne pas adresser à Dieu, qui est grand, de petites requêtes, mais demande-lui seulement de grandes choses « . En agissant ainsi, il se produit ce paradoxe : l’homme le plus pauvre, qui ne possède rien, se voit soudain investi des richesses infinies de Dieu dans toute sa création. Le Seigneur nomma le Père  » Intellect « ,  » Esprit  » : Dieu est Esprit (Jn 4, 24). Et nous, nous demandons : comment cet Esprit peut-il nous toucher sans nous consumer ? L’entrée dans cet état se fait tout doucement, dans les conditions de la vie courante ; mais, s’il en a la possibilité, l’homme se libère physiquement de tout et ne vit que par Dieu. Nous pouvons percevoir que ce monde est créé par l’intellect et par la volonté de cet Esprit que nous appelons  » Dieu « ,  » Dieu le Père « , et qui a dit : Créons l’homme à notre image et à notre ressemblance (cf. Gn 1, 26).

Il nous est difficile de choisir un point de départ pour parler de cette immense tragédie qui nous écrase tous et qui m’a écrasé, moi-même, des milliers de fois : les souffrances du monde entier depuis des millénaires, depuis l’instant où retentit la parole : Que la lumière soit (Gn 1, 3). On ne peut pas comprendre comment Dieu a pu créer cet univers où les souffrances atteignent un tel paroxysme. De quoi s’agit-il ? Qu’a fait Adam ? Pardonnez-moi, mon esprit saute d’un sujet à un autre, c’est pourquoi je m’exprime lentement…

Dans l’éthique chrétienne, nous sommes frappés par l’image d’un Homme seul, d’un Homme abandonné de tous, montant au Golgotha pour prendre sur ses épaules le poids de toutes les passions du monde. Moi, comme homme, je ne sais que dire de cet Homme qui monte seul pour prendre sur lui tout le poids de la malédiction de la Terre depuis le commencement des âges.

Ainsi donc, d’un point de vue éthique, nous ne voyons pas de manifestation plus grande, rien de plus sublime et de plus saint que le Christ. C’est de cela que je voudrais vous parler, parce que si notre intellect peut bien saisir la réalité de l’Être de Dieu, il ne peut pas encore connaître le caractère de ce grand Esprit.

Dans mes années de jeunesse, il m’est arrivé de lire les vers d’un grand poète :

Qui de son pouvoir et de son ire
Du néant m’a fait sortir ? (Pouchkine, N.d.R.)

En constatant que nous souffrons, que le monde entier souffre, le poète se demande quelle sorte d’esprit peut bien être le Créateur de ce monde. Et voici que son Fils vient pour parler avec l’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu (cf. Gn 1, 26). En lui, nous contemplons la pensée éternelle de Dieu le Créateur sur l’homme. Dans la mesure où le Dieu-Homme apparu sur terre est bon comme Dieu Lui-même, nous ne pouvons plus, pour autant bien sûr que cela nous soit montré par le Saint-Esprit, nous détacher de ce grand acte de l’Être divin. Cela signifie que ce n’est pas notre Créateur qui est responsable de ces souffrances, mais la créature, potentiellement semblable à Dieu.

Et voici que nous invoquons son Nom :  » Seigneur Jésus-Christ, Fils du Père, toi qui ôtes le péché du monde, aie pitié de nous. Toi qui enlèves le péché du monde, reçois notre prière. Toi qui sièges à la droite du Père, seul tu es véritablement saint  » (cf. Doxologie des Matines). Notre admiration devant ce Modèle à l’image duquel l’homme a été créé ne connaît pas de fin.

Ainsi donc, à partir du moment où l’homme est entré par son esprit et son coeur dans cette  » sphère  » divine son intellect s’y trouvera immergé en permanence. Comment, dès lors, pourrait-il s’en éloigner ? Mais tout cela dépasse notre intelligence, nos possibilités ; aucune tentative de notre intellect ne doit être prise pour une révélation des profondeurs de la Divinité elle-même.

Voilà mes chers frères… Pardonnez-moi ! C’est parce qu’il ne me reste plus beaucoup de temps pour parler avec vous que je me hâte. Je ne prétends pas du tout vous dire autre chose que ce «   battement de coeur  » par lequel le monde vit. Il est redoutable pour nous de continuer de parler, parce que le Seigneur nous appelle à le suivre. Où va-t-il ? Au jardin de Gethsémanl, de nuit. Et, après cela, il monte au Golgotha.

Ainsi donc, en devenant chrétiens, en voyant les souffrances du monde entier, nous commençons à comprendre dans une certaine mesure le  » langage  » du Christ. Jean et Jacques lui demandèrent de s’asseoir à sa droite et à sa gauche. Le Christ leur répondit  :  » Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire et recevoir le baptême dont je vais être baptisé ?  » Ils lui dirent :  » Nous le pouvons.  » Notre Père à tous, le Christ leur répondit avec amour :  » Oui. Vous boirez ma coupe et vous recevrez mon baptême  » – ce baptême qu’il allait lui-même recevoir (cf. Mc 10, 37-40).

Comme les Pères de l’Église l’ont dit avec sagesse, nous avançons peu à peu à partir de petites choses ; nous sommes ainsi amenés à découvrir la grandeur des détails. Et c’est cela, l’homme véritable, image de Dieu. Notre combat – le combat ascétique des moines – a pour but de restaurer en nous cette image, assombrie par le péché et les viles passions. Ainsi notre intellect régénère et commence à voir les choses sous un autre angle, dans une nouvelle lumière ; mais cela ne signifie pas qu’il soit déjà libéré des passions. Alors nous aussi, comme esprits, nous buvons la  » coupe  » du Seigneur et sommes baptisés de son  » baptême « .

Aujourd’hui, le monde se détourne du Christ. C’est l’aspect le plus affligeant, Ie plus tragique, le plus terrible des événements de notre temps. Perdre le Christ une seconde fois, comme Adam l’a perdu au Paradis, comment est-ce possible ?

Il nous faut supporter les petites afflictions de notre vie quotidienne et ne pas tomber dans la colère, la haine ou quoi que ce soit de ce genre ; ainsi, nous verrons la souffrance de l’homme et non pas ses mauvais côtés. Même dans les plus petits détails de la vie, demeurez en esprit là où est le Seigneur, au-delà du  » voile  » du Huitième Jour. Demeurez là en esprit, mais, par le corps, accoutumez-vous à vivre dans les conditions concrètes de votre vie. L’esprit de l’homme est placé dans ces conditions pour commencer à percevoir l’Être. Le Seigneur se comporte souvent avec nous comme s’il ne comprenait pas notre faiblesse. On ne pourrait pas supporter ce monde si le Christ n’était pas Dieu. Mais s’il est Dieu, tout est possible. Et nous disons à ce Père – car il est notre Père ! – dans toutes nos souffrances :  » Gloire à toi, Dieu Très-Haut, gloire à toi dans les siècles des siècles. « 

Je ne me souviens pas si j’ai déjà répondu à la question que l’un d’entre vous m’avait posée par écrit :  » Quand Israël a-t-il reçu l’adoption filiale ?  » Il me faut peut-être dire deux mots à ce sujet.

Lorsque dans la prière nous nous tournons vers Dieu, nous n’allons pas, selon le conseil du père spirituel Athonite dont je vous ai parlé plus haut, lui demander de petites choses ; on s’adresse à Dieu, qui est grand, pour de grandes choses. Cependant, ici aussi, distinguez le  » moment  » où se termine le monde éthique et celui où commence l’ontologie divine… On trouve dans les Psaumes l’expression suivante : Je suis à toi, sauve-moi (Ps 118, 94). Lorsque nous les prononçons, ces paroles peuvent nous paraître excessives. Comment moi, homme, puis-je dire à Dieu  :  » Je suis à toi, sauve-moi  » ? Dieu aurait-il donc besoin de moi ? Ce que je fais est-il si grand que Dieu doive venir à ma rencontre ? Il est pourtant un moment où Dieu dit soudain à l’homme : Tu es mon fils ; moi, aujourd’hui, je t’ai engendré (Ps 2, 7). Lorsque nous prions :  » Je suis à toi, sauve-moi », nous ne devons pas dépasser le plan éthique. Nous pouvons réellement demander l’adoption filiale, mais sans pouvoir l’affirmer à notre propre sujet comme un fait accompli. Cela n’est possible qu’à Dieu seul. C’est une démarche vraiment absurde que de rechercher, comme Adam au Paradis, la déification en se passant de Dieu. C’est seulement lorsque Dieu lui-même apporte ce correctif en disant :  » Oui, tu es mon fils « , que l’adoption prend un caractère définitif, éternel.

Dire  » Je suis à toi, sauve-moi « , sous-entend que, dans les limites de ma nature éthique,  » je ne vois personne de meilleur que toi. Mais cela ne signifie pas que je sois ton fils, du moins tant que tu ne témoignes pas toi-même que je le suis réellement « . Dans les trois évangiles synoptiques, il est écrit que l’on entendit la voix du Père proclamant à propos de Jésus : Celui-ci est mon Fils, écoutez-le (cf. Mt 17,5 ; Mc 9,7 ; Lc 9,3). Le témoignage du Père lui-même fut ainsi nécessaire pour confirmer avec force la réalité de l’affirmation que Jésus Christ est bien le Fils du Père.

Je crains de dépasser la mesure et de vous fatiguer au-delà des capacités humaines. Pardonnez-moi et terminons. Remercions la Mère de Dieu, qui a mis au monde le Verbe du Père, Verbe plus saint que tous les saints…

Transcription-adaptation d’un entretien du Père Sophrony,
le 1er février 1993, peu avant sa naissance au ciel,
avec les membres de sa communauté,
au Monastère de Saint-Jean-le-Baptiste en Angleterre.
Édité dans la revue Contacts, 45, 3 (no. 163), 1993

Concert offert par le patriarche Kirill Ier : allocution de Benoît XVI

27 mai, 2010

du site:

http://www.zenit.org/article-24565?l=french

Concert offert par le patriarche Kirill Ier : allocution de Benoît XVI

L’Europe doit lutter contre le risque d’amnésie de sa culture

ROME, Mercredi 26 mai 2010 (ZENIT.org) – Le concert en l’honneur de Benoît XVI offert par le patriarche de Moscou et de toutes les Russies, Kirill er a eu lieu dans la soirée du jeudi 20 mai 2010, en la Salle Paul VI du Vatican.

Au début de la cérémonie, le métropolite Hilarion, responsable du Département pour les relations extérieures du patriarcat de Moscou, a lu un message de Kirill Ier.

L’Osservatore Romano en français du 25 mai 2010 publie cette traduction de l’allocution prononcée par Benoît XVI à l’issue du concert.

«  Louez le nom du Seigneur, louez, serviteurs du Seigneur, Louez le Seigneur, car il est bon, le Seigneur, jouez pour son nom, car il est doux : Seigneur, ton nom est pour toujours; Seigneur, ton nom à jamais! Seigneur, ton souvenir d’âge en âge. Alleluia »

Vénérés frères,

Mesdames et Messieurs,

chers frères et soeurs,

Nous venons d’écouter il y a peu, dans une sublime mélodie, les paroles du Psaume 135, qui interprètent bien nos sentiments de louange et de gratitude au Seigneur, ainsi que notre intense joie intérieure pour ce moment de rencontre et d’amitié avec nos chers frères du patriarcat de Moscou. A l’occasion de mon anniversaire et du v anniversaire de mon élection comme Successeur de Pierre, Sa Sainteté Cyrille i, patriarche de Moscou et de toutes les Russies, a voulu m’offrir, avec les paroles très appréciées de son Message, cet extraordinaire interlude musical, présenté par le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département pour les relations extérieures du patriarcat de Moscou, ainsi qu’auteur de la Symphonie qui vient d’être interprétée.

J’exprime donc ma profonde gratitude avant tout à Sa Sainteté le patriarche Kirill. Je lui adresse mon salut le plus fraternel et cordial, en exprimant vivement le souhait que la louange au Seigneur et l’engagement en vue du progrès de la paix et de la concorde entre les peuples nous rapprochent toujours plus et nous fassent croître dans une harmonie d’intentions et d’actions. Je remercie ensuite de tout coeur le métropolite Hilarion, pour le salut qu’il a voulu m’adresser avec tant de courtoisie et pour son engagement oecuménique constant, en le félicitant pour sa créativité artistique, que nous avons eu l’occasion d’apprécier. Avec lui, je salue avec une profonde sympathie la délégation du patriarcat de Moscou, ainsi que les illustres représentants du gouvernement de la Fédération russe. J’adresse un salut cordial à Messieurs les cardinaux et aux évêques ici présents, en particulier à Monsieur le cardinal Walter Kasper, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, et à Mgr Gianfranco Ravasi, président du Conseil pontifical de la culture, qui ont organisé, avec leurs dicastères et en étroite collaboration avec les représentant du patriarcat, les « Journées de la culture et de la spiritualité russe au Vatican ». Je salue également les illustres ambassadeurs, les éminentes autorités et vous tous, chers amis, frères et soeurs, en particulier les communautés russes présentes à Rome et en Italie, qui participent à ce moment de joie et de fête.

Pour sceller cette occasion de façon véritablement exceptionnelle et suggestive, il a été fait appel à la musique, la musique de la Russie d’hier et d’aujourd’hui, qui nous a été proposée avec un grand talent par l’Orchestre national russe, dirigé par le maître Carlo Ponti, par le Choeur synodal de Moscou, et par la Chapelle des cors de Saint-Pétersbourg. J’adresse mes très vifs remerciements à tous les artistes pour le talent, l’engagement et la passion avec lesquels ils proposent à l’attention du monde entier les chefs-d’oeuvre de la tradition musicale russe. Dans ces oeuvres, dont nous avons eu aujourd’hui un aperçu significatif, est profondément présente l’âme du peuple russe et avec elle, la foi chrétienne, qui trouvent une extraordinaire expression précisément dans la Liturgie Divine et dans le chant liturgique qui l’accompagne toujours. En effet, il existe un lien étroit, originel, entre la musique russe et le chant liturgique: c’est dans la liturgie et de la liturgie que se libère en quelque sorte et prend son essor une grande partie de la créativité artistique des musiciens russes, pour donner vie à des chefs-d’oeuvre qui mériteraient d’être davantage connus dans le monde occidental. Nous avons eu aujourd’hui la joie d’écouter des pièces de grands artistes russes du xix et xx siècles, comme Moussorgsky et Rimski-Korsakov, Tchaïkosvski et Rachmaninov. Ces compositeurs, et ce dernier en particulier, ont su puiser au riche patrimoine musical et liturgique de la tradition russe, en le réélaborant et en l’harmonisant avec des sonorités et des expériences musicales de l’Occident et plus en phase avec la modernité. Je pense que c’est dans cette lignée que doit être située également l’oeuvre du métropolite Hilarion.

Dans la musique est déjà anticipée et se réalise donc d’une certaine manière la confrontation, le dialogue, la synergie entre l’Orient et l’Occident, ainsi qu’entre la tradition et la modernité. C’est précisément à une telle vision unitaire et harmonieuse de l’Europe que pensait le vénérable Jean-Paul ii, quand, re-proposant l’image, suggérée par Vjaceslav Ivanovic Ivanov, des « deux poumons » avec lesquels il faut recommencer à respirer, il souhaitait une nouvelle conscience des profondes racines culturelles et religieuses communes du continent européen, sans lesquelles l’Europe d’aujourd’hui serait comme privée d’une âme et marquée quoi qu’il en soit par une vision réductrice et partielle. C’est précisément pour réfléchir ultérieurement sur ces problématiques que s’est déroulé hier le symposium, organisé par le patriarcat de Moscou, par le dicastère pour la promotion de l’unité des chrétiens et par celui de la culture, sur le thème: « Orthodoxes et catholiques en Europe aujourd’hui. Les racines chrétiennes et le patrimoine culturel commun de l’Orient et de l’Occident ».

Comme je l’ai plusieurs fois affirmé, la culture contemporaine, et en particulier celle de l’Europe, court le risque de l’amnésie, de l’oubli et donc de l’abandon de l’extraordinaire patrimoine suscité et inspiré par la foi chrétienne, qui constitue l’ossature essentielle de la culture européenne, et pas seulement de celle-ci. Les racines chrétiennes de l’Europe sont en effet constituées, outre que par la vie religieuse et par le témoignage de générations de croyants, également par l’inestimable patrimoine culturel et artistique, orgueil et ressource précieuse des peuples et des pays où la foi chrétienne, dans ses diverses expressions, a dialogué avec les cultures et les arts, les a animés et inspirés, en favorisant et promouvant plus que jamais la créativité et le génie humain. Aujourd’hui aussi, de telles racines sont vivantes et fécondes, en Orient et en Occident, et peuvent, je dirais même plus doivent inspirer un nouvel humanisme, une nouvelle saison d’authentique progrès humain, pour répondre efficacement aux nombreux défis parfois cruciaux que nos communautés chrétiennes et nos sociétés doivent affronter, le premier étant celui de la sécularisation, qui non seulement pousse à faire abstraction de Dieu et de son projet, mais finit par nier la dignité humaine elle-même, en vue d’une société réglementée uniquement par des intérêts égoïstes.

Recommençons à faire respirer l’Europe à pleins poumons, à redonner une âme non seulement aux croyants, mais à tous les peuples du continent, à promouvoir la confiance et l’espérance, en les enracinant dans l’expérience millénaire de foi chrétienne! En ce moment ne peut manquer le témoignage cohérent, généreux et courageux des croyants, pour que nous puissions envisager ensemble l’avenir commun comme un avenir où la liberté et la dignité de chaque homme et de chaque femme soient reconnues comme valeur fondamentale et où soit valorisée l’ouverture au Transcendant, l’expérience de foi comme dimension constitutive de la personne.

Dans la pièce musicale de Moussorgsky, intitulée L’ange proclama, nous avons écouté les paroles adressées par l’Ange à Marie, et donc à nous également: « O nations, réjouissez-vous! » Le motif de la joie est clair: le Christ est ressuscité du sépulcre « et il a ressuscité les morts ». Chers frères et soeurs, c’est la joie du Christ Ressuscité qui nous anime, qui nous encourage et qui nous soutient sur notre chemin de foi et de témoignage chrétien, pour offrir une joie véritable et une solide espérance au monde, pour donner des motifs valables de confiance à l’humanité, aux peuples de l’Europe, que je confie avec plaisir à l’intercession maternelle et puissante de la Vierge Marie.

Le Saint-Père a ensuite prononcé les paroles suivantes en russe:

Je renouvelle mes remerciements au patriarche Kirill, au métropolite Hilarion, aux représentants russes, à l’orchestre, aux choeurs, aux organisateurs et à toutes les personnes présentes.

Puis il a conclu en italien:

Que sur vous et vos proches descendent les Bénédictions abondantes du Seigneur.

Libreria Editrice Vaticana

Traduction française : L’Osservatore Romano – 25 mai 2010

Orthodoxie : L’Eglise de la Nouvelle Rome

7 mai, 2010

du site:

http://ilmsil.free.fr/branche6/les_grandes_religions/625Orthodoxie/Ortho1Leglisedelanouvellerome.htm

Orthodoxie

L’Eglise de la Nouvelle Rome

Dans le contexte occidental, le terme « orthodoxie » désigne, d’une manière générale, tout l’orient chrétien. Composé de deux termes grecs, orthos et doxa, ce concept indique, conformément à son étymologie, et simultanément : « l’opinion juste », « la juste doctrine », « la foi véritable », d’une part, et « la juste glorification » d’autre part. Et c’est de cette double acception que découle le sens théologique de l’orthodoxie : le chrétien orthodoxe est le fidèle de l’Eglise véritable qui est fondée sur la foi véritable, il est chargé d’une mission de glorification du seul vrai Dieu révélé définitivement en Jésus-Christ. En soulignant l’aspect de la foi juste et véritable, le terme d’orthodoxie s’oppose à celui d’hétérodoxie, concept qui souligne le caractère hérétique de celui qui n’accepte pas la foi définie par l’Eglise et qui adopte en conséquence des chemins déviés au lieu de suivre la droite ligne décrite par le magistère ecclésial. En ce sens étymologique, qui est également un sens théologique, tous les chrétiens peuvent revendiquer, quelle que soit leur confession, le titre d’orthodoxe.

Cependant, au cours des siècles, ce terme a pris un sens plus spécifique pour désigner les différentes communautés chrétiennes qui avaient accepté les décisions du concile oecuménique de Chalcédoine, véritable sommet de la réflexion théologique concernant le Christ Jésus. En 451, ce concile fixait la foi de l’Eglise en Jésus Christ d’une manière précise et irrévocable pour tous les siècles à venir : Nous enseignons tous à confesser (reconnaître) un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus Christ, le même parfait en divinité et parfait en humanité, le même vraiment Dieu et vraiment homme, composé d’une âme raisonnable et d’un corps, consubstantiel au Père selon la divinité, consubstantiel à nous selon l’humanité, « en tout semblable à nous sauf le péché » (He. 4, 15). Avant les siècles engendré du Père selon la divinité, et, né en ces derniers jours, né pour nous et pour notre salut, de Marie, la Vierge, mère de Dieu, selon l’humanité. Un seul et même Christ Seigneur, Fils unique, que nous devons reconnaître en deux natures, sans confusion, sans changement, sans division, sans séparation. La différence des natures n’est nullement supprimée par leur union, mais plutôt les propriétés de chacune sont sauvegardées et réunies en une seule personne et une seule hypostase. Il n’est ni partagé ni divisé en deux personnes, mais il est un seul et même Fils unique, Dieu Verbe, Seigneur Jésus-Christ, comme autrefois les prophètes nous l’ont enseigné de lui, comme lui-même Jésus-Christ nous l’a enseigné, comme le Symbole des Pères nous l’a fait connaître. D’après la décision finale des Pères conciliaires, il ne pouvait plus être proposé d’autre foi que celle décrite ainsi par eux-mêmes : Ces points ayant été déterminés avec une précision et un soin des plus extrêmes, le saint Concile oecuménique a défini qu’une autre foi ne pouvait être proposée, écrite, composée, pensée ou enseignée aux autres par qui que ce soit . Le chrétien orthodoxe est alors le fidèle qui accepte cette définition dogmatique relative à la personne du Christ.

Cependant, s’il est relativement facile de dater les origines du christianisme, s’il est également facile de situer les débuts de la Réforme protestante, il est beaucoup plus difficile de situer historiquement les origines de l’orthodoxie, en tant que confession chrétienne séparée de l’Eglise de Rome. Une certaine chronologie impose l’année 1054, date à laquelle les ambassadeurs romains, conduits par le cardinal Humbert, jettent l’anathème sur les patriarches byzantins, lesquels les déclarent, à leur tour, anathèmes : les discussions entre l’Eglise de Rome et l’Eglise de la nouvelle Rome, Constantinople, semblaient avoir atteint leur point de rupture sans appel.. Mais, en réalité, les événements des dix premiers siècles de christianisme avaient déjà effectué cette rupture : l’Eglise romaine s’était laissée gagner par le centralisme de l’empire romain et prétendait imposer son autorité sur l’ensemble des Eglises locales répandues à travers le monde soumis à l’autorité de l’Empire. Ce que les persécutions des premiers temps de l’Eglise n’avaient pas réussi à effectuer, l’organisation hiérarchique de l’Empire le fera d’une manière irréversible .

Un exemple du centralisme romain dans l’Eglise

Alors que le mouvement de l’évangélisation du monde s’est répandu à travers l’Empire romain, au cours du premier siècle de l’ère chrétienne, les chrétiens ne constituent pas encore une Eglise bien unifiée. Les multiples Eglises, fondées par les apôtres ou par les missionnaires qu’ils ont délégués, sont différentes et même assez indépendantes les unes des autres. De plus, à l’intérieur de chacune d’elles, des classes, des tendances, et même des factions se dressent, s’opposent et s’affrontent très fréquemment. Les lettres de l’apôtre Paul et les « sept lettres aux Eglises d’Asie » qui ouvrent le livre de l’Apocalypse de saint Jean en apportent une preuve assez évidente.

Ainsi, sur la question de l’obéissance au pouvoir civil, les avis sont divergents. Certains chrétiens insistent sur le respect et l’ordre qu’il convient d’entretenir vis-à-vis des autorités légitimes, tandis que d’autres expriment leur lassitude en face d’un pouvoir païen. L’orient demeure irréductible aux pressions que Rome exerce. L’hostilité s’installe en face de l’administration impériale, notamment sous le règne sanglant de l’empereur Néron. Cette hostilité n’est cependant le fait que d’une minorité, mais des voix importantes se font entendre pour réclamer l’unité des chrétiens dans ce domaine.

C’est dans ce contexte qu’il conviendrait de placer la lettre de Clément, responsable de l’Eglise qui séjourne à Rome, lettre adressée à la communauté de l’Eglise qui séjourne à Corinthe. Cette lettre de l’année 96 est un texte de Clément, que les écrivains chrétiens ultérieurs présenteront comme le troisième évêque des Romains, après Lin et Anaclet : il tient fermement le gouvernail de l’Eglise de Rome et il prétend aussi réglementer l’Eglise de Corinthe, ce qui est une nouveauté absolument radicale dans la conception de l’Eglise. Non pour justifier son autorité, mais simplement pour justifier du retard apporté au règlement de la crise corinthienne, Clément évoque brièvement le témoignage (marturion) rendu récemment, jusqu’à la mort, par les colonnes de l’Eglise, Pierre et Paul, qui ont péri, au milieu d’une multitude de frères, sans doute sous la persécution de Néron, en 64.

Ce sont ces événements tragiques qu’a connus l’Eglise de Rome qui ont empêché son évêque de se pencher plus rapidement sur les problèmes propres à l’Eglise de Corinthe. Que s’était-il passé dans cette Eglise de Corinthe ? Un conflit avait éclaté entre les presbytres, les prêtres, et certains individus qui les avaient destitués de leur charge. La lettre de Clément ne précise pas dans quelles conditions les choses se sont passées… mais, ce qui inquiète l’évêque de Rome, c’est le soulèvement des chrétiens contre l’autorité de leurs prêtres. Il souhaite que chacun rentre dans le rang, afin que l’ordre puisse régner de nouveau dans l’Eglise qui séjourne à Corinthe, qui séjourne, car le véritable lieu de l’Eglise ne se trouve pas sur cette terre, le domaine de l’Eglise se situe dans les cieux. Pour justifier l’obéissance due aux évêques et aux prêtres, Clément va employer un argument qui fera autorité dans les siècles futurs : il justifie l’ordre hiérarchique dans la filiation divine de Jésus-Christ. Jésus a été envoyé par Dieu, il a envoyé ses apôtres, qui ont établi les évêques, les prêtres et les diacres. Ce faisant, Clément fondait théologiquement ce que, par la suite, on appellera « la succession apostolique » : obéir aux prêtres, c’est obéir à Dieu ; aussi chaque fidèle doit il chercher à plaire à Dieu dans le rang qui est le sien.

Mais, de quel droit Clément intervenait-il dans les affaires d’une Eglise qui n’était pas la sienne ? Non content de mener son troupeau à la baguette, il étendait son pouvoir sur les autres Eglises. I1 ne fondait pas ce droit sur le privilège d’être le successeur de Pierre, ni même sur celui de représenter l’Eglise qui avait connu la présence et la mort des deux grands apôtres Pierre et Paul. Il semble que c’est simplement le prestige de la capitale impériale qui a donné à ce responsable ecclésiastique un aplomb tel qu’il se considérait comme chargé d’une fonction de présidence sur l’ensemble des Eglises. La réaction de l’Eglise de Corinthe ne nous est pas connue, mais ce qui est certain, c’est que l’impérialisme civil avait fini par triompher des chrétiens : le centralisme entrait dans l’Eglise.

L’autorité des évêques

Néanmoins, les évêques gardent leur pleine autorité sur la part du peuple de Dieu qui leur est confiée, car ils représentent ensemble et simultanément l’unité de la foi chrétienne gardée dans une communion unanime. L’action des évêques s’exerce d’abord sur la communauté qu’ils dirigent en succession des apôtres ; mais, de plus en plus, leur action se généralise, à partir du deuxième siècle : ils se rassemblent en synodes locaux pour régler telle ou telle question pastorale, et ils s’organisent en provinces religieuses, sur le modèle des provinces impériales.

Dans cette confédération d’Eglises, l’Eglise de Rome semble détenir une autorité particulière ; c’est ainsi que Polycarpe vient à Rome, en 155, pour traiter divers problèmes avec l’évêque de Rome, Anicet ; c’est ainsi que Denys de Corinthe écrit à Sôter et à l’Eglise des Romains. L’importance politique, culturelle et intellectuelle de la capitale ne cessait de rejaillir sur le caractère ecclésial : Rome n’est plus seulement considérée comme une des diverses traditions héritées des apôtres, elle est l’Eglise qui conserve la tradition de Pierre, et de ce fait se trouve investie d’une autorité particulière. Les communautés sont dirigées par un président, un épiscope ; elles sont fédérées parce qu’elles veulent assurer la tradition authentique de la foi en Jésus Christ ; elles reconnaissent une sorte de prééminence, une sorte de suprême présidence pour l’épiscope chargée de la capitale impériale. L’unité réside dans une adhésion commune à quelques points en matière de foi : l’Eglise catholique, c’est-à-dire celle qui a une vocation universelle, est la somme de toutes les Eglises locales, confiées à la responsabilité d’un évêque. Presque naturellement, une hiérarchisation des évêchés va s’opérer, selon l’ancienneté de la fondation ou selon le prestige du fondateur, ou même encore selon l’importance civile de la ville.

Le fossé se creuse entre l’occident et l’orient

Le message chrétien a retenti primitivement dans le monde oriental : les premiers missionnaires, à la suite des apôtres, ont été des Orientaux, et ils ont adopté la langue commune de l’époque, le grec, qui servait alors aux échanges entre les différentes nations et qui allait devenir la langue liturgique des premières générations chrétiennes. Seulement, dès la fin du deuxième siècle, le latin tend à se répandre de plus en plus comme seule langue officielle dans l’ensemble de l’empire romain. Et c’est sans doute là qu’il est possible de trouver la première distinction entre les chrétiens d’occident et ceux d’orient : un mouvement de latinisation vise à faire de cette langue la seule qui soit reconnue officiellement en Occident, alors que le monde oriental, tout en laissant au grec une certaine prédominance, admettra plus volontiers l’usage des dialectes locaux, tant pour l’usage liturgique que pour la lecture de la Bible.

Cette distinction linguistique serait sans grande importance si, de part et d’autre, les concepts théologiques recouvraient les mêmes acceptions. Or, il arrive très souvent que les mêmes terres finissent par donner lieu à des interprétations très différentes. Et, sans être une cause de division interne de l’Eglise, la querelle linguistique ne va pas tarder à donner le jour à une méconnaissance réciproque et à une séparation entre les deux cultures religieuses. Ce phénomène d’ignorance mutuelle ira s’aggravant avec la division de l’empire romain en un empire d’orient et en un empire d’0ccident, avec la création d’une nouvelle capitale, une nouvelle Rome, Constantinople, qui remplacera rapidement, aux yeux des Orientaux, l’antique capitale romaine. Et, par voie de conséquence, l’autorité privilégiée de l’Eglise de Rome sera mise également en question, signe que la prééminence de l’Eglise romaine tenait beaucoup plus à sa place dans la capitale impériale qu’à une succession apostolique de l’apôtre Pierre martyrisé dans cette ville.

La rupture sera donc plus une question politique qu’une simple affaire religieuse : la rivalité entre les deux capitales a joué un rôle considérable, indépendamment même des questions théologiques, puisque, face à certaines hérésies, Rome et Constantinople finissaient par trouver un accord, pour sauvegarder la vérité de la doctrine chrétienne. Les deux Eglises méritaient également le titre « d’orthodoxe », puisqu’elles détenaient ensemble et conjointement la doctrine dans sa pureté initiale. Pourtant, avec une grande souplesse, l’Eglise orientale s’adaptera facilement aux divisions administratives de l’empire, s’organisant en provinces ecclésiastiques, en métropoles, en supermétropoles, se tenant beaucoup plus à l’importance civile des localités qu’à la fondation des premières communautés à travers le pays par les apôtres ou par leurs disciples immédiats. C’est ainsi que la nouvelle capitale n’est d’abord qu’un petit évêché, en face des six supermétropoles de l’ensemble des deux empires : Rome, Alexandrie, Antioche, Césarée de Cappadoce, Ephèse et Héraclée de Thrace. Le deuxième concile oecuménique, en 381, mettra la nouvelle capitale à égalité d’honneur avec la supermétropole romaine, promotion qui sera consacrée au concile de Chalcédoine, en 451. En revanche, l’occident chrétien restera très attaché au principe de l’apostolicité, de la fondation de la communauté chrétienne romaine par les apôtres pierre et Paul : la ville éternelle reste le seul siège de la primauté pour l’Eglise d’occident alors que, sous la pression des invasions barbares, l’Empire se disloque de toutes parts.

Tandis que, grâce à l’empereur Constantin, les persécutions contre les chrétiens avaient cessé, des crises internes vont ébranler la foi de l’Eglise. Dans l’état de paix qui s’instaurait depuis l’édit de Milan, en 313, une doctrine théologique se développait, mettant en cause la personne même du Christ, le Fils éternel du Dieu Père.

Arius, prêtre d’Alexandrie, voulait conserver au Dieu Père la seule absolue divinité, renouant ainsi avec le caractère du monothéisme absolu, à la manière du judaïsme, faisant ainsi du Fils une créature particulière, mais une créature quand même : il lui refusait donc l’égalité avec Dieu. Son évêque le fit condamner par un concile local, mais l’affaire n’en resta pas là, elle s’étendit même hors des frontières de l’Egypte, au point que l’agitation se répandait dans tout l’empire romain. Constantin, décidé à faire du christianisme une religion d’Etat, convoqua un concile, le premier à être dit oecuménique, c’est-à-dire regroupant tous les évêques du monde connu, afin d’exprimer clairement la foi chrétienne. Ce fut le concile de Nicée, en 325, qui proclama que Jésus-Christ est « le Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles, engendré non pas créé, de même nature que le père ». Cependant, la crise arienne et ses conséquences n’étaient pas encore totalement expurgées de l’Eglise. Pour tenter d’en terminer avec ces erreurs et ces discussions, l’empereur Théodose, à son tour, convoqua un nouveau concile à Constantinople, en 381 ; mais à ce deuxième concile, les évêques occidentaux ne furent même pas invités. Ce concile réaffirma la foi de Nicée, c’est-à-dire l’unité absolue de Dieu inséparable de sa diversité, non moins absolue, dans les trois personnes, du Père, du Fils et de l’Esprit-Saint.

Ainsi, la réflexion théologique commençait dès le quatrième siècle, en se donnant également des concepts philosophiques ; elle allait se poursuivre jusqu’au second concile de Nicée, en 784. Elle était toujours centrée sur le problème du Christ, vrai Dieu et vrai homme, fils de Dieu et fils de Marie, laquelle est alors présentée comme « mère de Dieu », lors du concile d’Ephèse, en 431. Puisque le Christ est véritablement homme, il est possible de le représenter dans des images, ainsi que le permet le second concile de Nicée, favorisant un culte particulier à l’0rient, celui des icônes. Pendant ces cinq siècles de grande méditation sur le mystère du Christ et de son incarnation, les Eglises locales d’orient se sont organisées autour des patriarches, dont les sièges sont alors à Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem. Avec l’accession de Constantinople au titre de patriarcat, les sièges supermétropolitains de Césarée, d’Ephèse et d’Héraclée redeviennent simplement métropolitains. Le choix d’un siège à Jérusalem porte à cinq le nombre de sièges patriarcaux, puisque Rome garde aussi ce titre.

Les empereurs assument la tutelle du christianisme : s’il ne leur est pas donné de dire la foi de l’Eglise, ils n’hésitent pas à promouvoir l’unanimité religieuse sur toute l’étendue de leurs territoires, en consolidant les structures des communautés chrétiennes placées sous leur responsabilité. C’est ainsi qu’ils se chargent de la nomination de certains patriarches orientaux, alors que l’évêque de Rome est élu parmi le clergé de cette Eglise par les membres de la communauté chrétienne. Ce sont aussi les empereurs qui convoquent les conciles oecuméniques où sont discutées les questions relatives à la foi de l’Eglise : ces assemblées sont également sanctionnées selon l’autorité impériale Et, fait notable, les sept premiers conciles oecuméniques se réunissent sur le territoire du patriarcat grec, ce qui explique la large majorité de ce patriarcat sur l’ensemble de l’Eglise.

Mais il y a plus qu’une simple tutelle impériale ; les empereurs ne se contentent bientôt plus d’entériner les décisions ecclésiastiques sur le plan civil, ils se décident à imposer leur discipline à l’ensemble de l’Eglise, sans se soucier des particularismes grecs ou latins. L’Eglise d’orient se trouvera ainsi très facilement asservie au pouvoir politique, alors que l’Eglise d’occident cherchera à s’en libérer, imposant même sa propre autorité sur les décisions politiques des chefs des nations occidentales. Néanmoins, une grande communion de pensée et même une très grande solidarité unissent l’empereur de Constantinople et le patriarche de cette même ville.

La séparation Orient-Occident

La désagrégation de l’empire d’occident était compensée en Orient par la prédominance de l’empire autour de Constantinople. En Occident, l’administration ecclésiastique sombrait également dans l’anarchie, à l’exception de l’Italie centrale. Le prestige de l’ancienne capitale déclinait et la nouvelle Rome, Constantinople, espérait prendre le relais. Il en était de même dans l’organisation religieuse orientale. Le patriarche de Constantinople envisageait de prendre à son propre compte l’autorité qui était celle du pape, évêque de Rome, patriarche du plus vaste territoire chrétien dans le monde jadis soumis à l’autorité romaine. Tout le litige qui séparait l’Eglise de Rome et celle de Constantinople repose sur une conception différente du gouvernement de l’Eglise. Pour Rome, l’autorité venait du fait de la fondation de l’Eglise sur la grande colonne de l’Eglise qu’était l’apôtre Pierre, tandis que, pour l’Eglise d’Orient, le principe d’autorité ne résidait pas dans la personne du fondateur de la communauté, même si, ultérieurement, elle finira par invoquer le patronage de l’apôtre André, le premier appelé par le Seigneur Jésus : l’autorité ecclésiastique ne vient pas d’un type d’origine apostolique, mais bien plus du droit positif qui est conféré à une cité par les événements politiques. Cette opposition entre Rome et Constantinople ne pouvait qu’engendrer des conflits : le pape de Rome s’estimait parfois le droit, sinon le devoir, de déposer des patriarches grecs, en raison de la suprématie de droit divin qui lui était conférée en tant que successeur de Pierre, le prince des apôtres. Si le pape, tout autoritaire qu’il fut, n’avait pas été un sujet de l’empereur au même titre que les autres, la rupture entre les deux Eglises serait venue certainement de manière beaucoup plus rapide ; mais l’Italie était restée une base militaire et diplomatique, une sorte de plaque tournante dans le monde antique, aussi la rupture fut-elle souvent évitée.

Cette séparation ne fut jamais aussi proche qu’au début du neuvième siècle. Le couronnement de Charlemagne par le pape Léon, en l’an de grâce 800, inaugurait la création d’un nouvel empire chrétien en occident, au profit des barbares, francs et germaniques. En effet, pour les grecs, il ne pouvait y avoir qu’un seul empereur légitime, qu’un seul empire véritablement chrétien, celui de la nouvelle Rome. A ce déchirement très fortement politisé s’est aussi ajouté une problématique théologique : c’est la question de l’Esprit Saint dans la Trinité divine. Les théologiens de Charlemagne avaient irrité les chrétiens orientaux par leur attitude narquoise à l’égard des icônes ; ils les avaient, de plus, scandalisés en glissant, à la suite des Espagnols, le « Filioque » dans le très saint symbole de la foi, énoncé par les pères conciliaires de Nicée et de Constantinople. Dans le deuxième concile oecuménique, réuni dans la ville impériale, les pères avaient défini l’origine de l’Esprit Saint, en disant qu’il « procédait du Père ». Les Espagnols d’abord avaient ajouté « et du Fils » (en latin, Filioque) à cette affirmation : le Fils se trouvait uni au Père, dans la procession de l’Esprit. Si l’Eglise d’orient acceptait de reconnaître que la vie divine venait du père, principe et source de toute la divinité, si elle acceptait de reconnaître également que cette vie divine venait par le Fils, elle refusait de faire de la personne de l’Esprit une personne issue du Fils, de la même manière qu’elle est issue du père. Cela aurait pu être une simple querelle théologique, sans grande conséquence sur la vie des chrétiens, si les nouveaux empereurs carolingiens, puis germaniques, n’avaient ensuite accusé les Grecs d’avoir amputé le Symbole de la foi de la mention du « Filioque ». Cette question ne fut d’ailleurs pas la seule à troubler l’Eglise à cette époque… En 858, par la décision de l’empereur, Photius avait pris la place du patriarche Ignace qui avait été déposé.

Le pape se mêla de cette question ; et, simultanément, il envoyait des missionnaires latin en Bulgarie pour répandre la foi de l’Eglise romaine, en dénigrant les pratiques et les rites de l’Eglise de Constantinople. Photius n’apprécia guère cette décision papale qui empiétait sur sa propre juridiction territoriale et qui manifestait également un sentiment de suspicion à l’endroit de sa propre Eglise. Photius dénonça alors les erreurs des latins ; il réussit même à faire déposé le pape par un concile ; mais il fut lui-même déposé, rétabli, puis déposé de nouveau ; il mourut en communion avec l’Eglise de Rome, mais sans rien avoir renié de sa conduite antérieure.

La prétention des papes à diriger toute l’Eglise ne pouvait pas recevoir l’assentiment des Orientaux, qui tenaient à conserver l’autonomie des différents patriarcats, alors que Rome revendiquait un droit divin, par la succession pétrinienne, à exercer une influence directe sur les autres patriarcats de Constantinople, d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem.

Ainsi, il apparaît assez clairement que les origines de la séparation entre l’occident et l’orient chrétiens doivent se chercher non pas dans des questions théologiques mais bien davantage dans des conflits juridiques : les différents papes qui se succédaient à Rome souhaitaient transformer la primauté d’amour et de fondation apostolique en une réelle primauté juridique, avec un pouvoir de décision effectif sur toutes les Eglises locales. Certes, l’Eglise d’orient reconnaissait que le siège de Rome avait la primauté sur les autres et que le pape était ainsi le premier évêque de la chrétienté. Rome, ancienne capitale de l’Empire, avait toujours gardé la foi chrétienne intacte de toute souillure doctrinale, depuis la fondation de la communauté par les apôtres Pierre et Paul.

Le rêve d’une papauté byzantine

Après le retour dans le sein de l’Eglise et dans la communion de Rome du patriarche Photius, tout était rentré dans un ordre relatif : les deux Eglises ne se fréquentaient que très peu, le patriarche oubliant même souvent de mentionner le pape dans la prière publique. Le statu quo aurait pu durer plus longuement, sans l’affrontement de caractères de certains personnages qui portèrent à nouveau sur le plan politique des questions strictement religieuses.

Michel Cérulaire, patriarche de Constantinople, de 1043 à 1O58, était un homme particulièrement ambitieux. Alors qu’il était encore simplement laïc, il prit part à une conspiration ayant pour but de renverser l’empereur afin d’accéder lui-même au trône impérial. Cette entreprise échoua et Michel Cérulaire fut exilé ; il se fit moine, dirigeant alors son ambition vers le siège patriarcal de Constantinople, dont il rêvait de faire une sorte de papauté byzantine. Il devient en effet patriarche et pleinement convaincu de la dignité de la charge qui lui est alors confiée, il souhaite non seulement faire de Constantinople un siège apostolique égal en honneur et dignité à celui de Rome, mais supérieur : Constantinople ne peut-il pas revendiquer la présence sur son territoire de l’apôtre André, celui qui a été le premier appelé par le Seigneur Jésus ? Le siège apostolique de Constantinople pourrait supplanter la papauté romaine. Aussi Michel Cérulaire ne peut-il supporter les accords passés entre le pape et l’empereur, afin de protéger les chrétiens de Sicile, envahis par les armées normandes, d’autant plus que la Sicile et une partie du Sud de l’Italie sont placées sous la juridiction ecclésiastique de Constantinople.

La papauté visait à latiniser ces régions proches de Rome, mais la menace des Normands obligea le pape Léon IX à rechercher une alliance avec le patriarche de Constantinople lui-même. Léon IX envoie le cardinal Humbert, avec une mission de légat, auprès de Michel Cérulaire : ce cardinal-légat voulait imposer la volonté du pape partout. L’affrontement avec Michel Cérulaire ne pouvait être qu’inévitable. Devant la résistance du patriarche à se soumettre à l’autorité romaine, le cardinal Humbert essaya de le faire déposer, mais son clergé fit bloc pour le maintenir dans ses fonctions. Ne pouvant parvenir à une conciliation, Humbert déposa, le 16 juillet 1054, sur l’autel de sainte Sophie, une sentence d’excommunication, avant de quitter Constantinople. Vivement blessé, Michel Cérulaire, avec l’appui de l’empereur, convoqua un synode local qui excommunia le légat et les envoyés du pape.

Ainsi, à proprement parler, seul, le patriarche est excommunié par Humbert, et, seuls, les ambassadeurs du pape sont excommuniés par le synode local : les chrétiens Orientaux se sont abstenus de toute attaque directe contre le pape et contre l’Eglise latine. Le schisme n’était donc pas entièrement consommé ; et, des négociations furent entreprises de part et d’autre, en vue d’une entente commune, mais sans succès.

L’irréparable ne fut atteint qu’en 1204, lors de la quatrième croisade, par le pillage de la ville de Constantinople et de ses églises. Contre la volonté du pape Innocent III, les croisés avaient dévié de leur route pour gagner Constantinople ; ils s’emparèrent de la ville en 1203, sous prétexte d’introniser un nouvel empereur dans cette capitale de l’orient. L’intronisation officielle d’Alexis eut effectivement lieu : Alexis s’engageait à rétablir l’union de l’orient et de l’occident. Mais avant même qu’il n’ait pu mettre son projet à exécution, il était assassiné au cours d’une révolte.

Un des conjurés prit sa place à la tête de l’empire, ce qui permit aux Croisés d’intervenir une nouvelle fois dans cette capitale : la ville fut prise, et les Croisés se livrèrent au pillage systématique des palais et des églises. Mieux, ils placèrent un nouvel homme à la tête de l’empire, Baudoin de Flandre : un latin se trouvait ainsi à la tête de l’empire d’orient. Baudoin fit connaître au pape son intronisation en lui faisant serment d’allégeance et en lui laissant entendre que l’Eglise d’orient réintégrerait rapidement le giron de l’Eglise latine. Même si ce pape s’inquiétait des pillages qu’avait pu connaître la capitale de l’orient, il ne pouvait que se réjouir de la perspective d’une unité entre l’ensemble de la chrétienté. Certes, le but de la quatrième croisade lui avait totalement échappé ; mais il lui semblait qu’un autre dessein de Dieu venait de s’accomplir sous son pontificat.

Les Croisés, quant à eux, étaient devenus les occupants d’un territoire dont ils négligeaient totalement la culture et l’histoire religieuse. Mais l’Eglise orthodoxe n’était pas morte pour autant. Certes, l’installation d’un royaume latin à Constantinople pouvait se présenter comme une grande déchirure dans le monde oriental, mais les Eglises qui n’étaient pas soumises à la juridiction de Rome avaient gardé une très grande importance, que ne connaissaient pas celles qui avaient été soumises par la force au siège apostolique de Rome. Pourtant, des tentatives d’union eurent quand même lieu, mais elles se soldèrent régulièrement par des échecs, car les latins ne voulaient pas traiter avec les grecs, à moins que ceux-ci ne rentrent sans condition sous la conduite du pape : exiger ainsi une capitulation sans condition dans les domaines les plus litigieux de la doctrine et de la discipline ne pouvait naturellement pas recevoir l’assentiment des chrétiens grecs cultivés.

En 1259, un nouvel empereur d’origine grecque prend le pouvoir à Nicée et reprend Constantinople en 1261 : il devait fonder une nouvelle dynastie impériale : Michel VIII Paléologue. Aussitôt arrivé au pouvoir, il entreprend des tentatives d’union avec Rome : le pape Urbain IV répond favorablement à l’ouverture de nouvelles négociations. Mais celles-ci furent davantage placée sous le signe du politique que du religieux : l’Eglise orthodoxe refusa une nouvelle fois toute forme de latinisation dans l’étendue de son territoire. Pourtant, toujours sous le règne de Michel Paléologue, on faillit parvenir au but espérer. Au beau milieu de toutes les influences politiques, avait été élu un pape, dont le souci majeur était la réunification des chrétiens pour rétablir le contrôle de l’Eglise chrétienne sur Jérusalem et sur la Terre sainte, sous l’emprise musulmane : pour ce faire, il lui fallait réformer l’Eglise tout entière. Le pape Grégoire convoque un concile à Lyon, en 1274. Les envoyés de l’empereur acceptèrent toutes les conditions posées par Rome : ils commencèrent par promettre obéissance au pape au nom de l’empereur et en leur nom propre, ils reconnurent la primauté de juridiction du pape, ils acceptèrent que celui-ci soit mentionné dans la prière liturgique commune de l’assemblée chrétienne d’orient, ils acceptèrent même de chanter le « Credo », la profession de foi de Nicée et de Constantinople en mentionnant le « Filioque ».

L’union des chrétiens semblait en bonne voie, lorsque le pape Grégoire X mourut, en 1276 : ses successeurs immédiats ne le suivirent pas dans la voie spirituelle qu’il avait commencé de tracer, ils se laissèrent prendre au piège des manoeuvres politiques des rois chrétiens d’0ccident. L’oeuvre de réunification, entreprise par Michel Paléologue, ne survécut pas à la mort de cet empereur, en 1282 : il mourait excommunié par l’Eglise romaine qui n’avait pu obtenir sa complète soumission et excommunié par l’Eglise byzantine qui ne voulait pas souscrire au « Filioque » et à la doctrine de la primauté pontificale qui leur étaient imposés par le concile de Lyon.

D’autres tentatives de réunification virent le jour au quatorzième siècle, notamment parmi les intellectuels byzantins, cependant que la majorité du clergé et du peuple demeuraient hostile à une telle union, qui aurait nécessairement impliqué la reconnaissance du « Filioque » et de la primauté pontificale romaine.

La ruine de Constantinople

Les empereurs eux-mêmes, soucieux de sauvegarder l’intégrité de leurs territoires, cherchaient une alliance avec l’Eglise de Rome, en vue de résister à la pression de plus en plus forte des Turcs qui, au milieu du quatorzième siècle, entreprenaient la conquête des Balkans. L’empereur Jean V, à l’occasion d’un voyage à Rome, en 1369, embrasse, à titre privé, la foi catholique : c’est une tentative certainement sincère de conciliation, mais elle est sans lendemains, car sa foi personnelle et son adhésion tout aussi personnelle au catholicisme n’engagent nullement son peuple et n’apportent même pas un avantage matériel et militaire pour la défense de son Empire.

Mais ce fut certainement au concile de Florence que les plus grands efforts furent accomplis pour restaurer l’union de l’Eglise latine et de l’Eglise byzantine. Ce concile s’ouvrit à Ferrare, en 1438, avant d’être transféré à Florence l’année suivante pour s’achever en juillet 1439 par la proclamation de l’union. L’empereur Jean VIII conduisit lui-même la délégation des pères grecs entourant le patriarche de Constantinople, Joseph. Les byzantins étaient en position de faiblesse, d’une part parce qu’ils n’étaient qu’une petite minorité en comparaison de l’écrasante majorité des latins, et, d’autre part parce qu’ils devaient négocier au plus rapidement les conditions d’une entente pour que l’occident leur apporte une aide militaire conséquente devant le péril que les Turcs faisaient peser sur Constantinople. Le pape Eugène IV exigea une soumission sans réserve à la position de l’Eglise romaine dans toutes les questions en suspens, notamment le « Filioque » la primauté pontificale de l’évêque de Rome, le purgatoire et la liberté des rites. Malgré leur hâte à voir ce concile s’achever et se solder par une aide militaire très précieuse, les byzantins menèrent la discussion très longuement sur les problèmes les plus litigieux, tout en voulant restaurer l’unité chrétienne dans sa perfection. Le 5 Juillet 1439, l’union était signée par la grande majorité des pères orthodoxes, qui acceptaient, au nom de toute l’Eglise d’orient, la doctrine romaine sur le « Filioque » et sur la suprématie pontificale, dont l’expression finale était rédigée avec beaucoup d’ambiguïté, afin de ne pas échauffer la susceptibilité des grecs ; d’autre part, les grecs étaient reconnus dans leur droit de célébrer le mystère eucharistique avec du pain au levain et non pas avec du pain azyme, comme cela se faisait en Occident.

Les suites de cette union furent rapidement défectueuses : les byzantins ne tardèrent pas à s’apercevoir que toute l’union s’était faite au profit des latins, qui avaient profité de manière abusive de la position de faiblesse dans laquelle se trouvait l’Empire d’orient pour asseoir le prestige de l’Eglise romaine : les concessions étaient le fait d’une politique impériale. De plus, l’aide militaire promise tardait h venir… Et ce ne fut bientôt plus qu’une minorité, parmi les intellectuels et le clergé, qui demeurait favorable au principe de l’Union de Florence. Les latins, installés en Orient, se comportaient comme les occupants du pays ; le peuple, dans son ensemble, ne pouvait guère supporter une telle attitude, il s’apercevait que l’empereur avait échangé la pureté de la foi orthodoxe contre des avantages politiques plus que douteux, qui n’arrivaient pas. Dès leur retour dans leur pays, certains pères conciliaires qui avaient signé le décret de l’Union de Florence, renièrent leur propre signature. Officiellement, le décret d’union fut proclamé, dans la basilique sainte Sophie de Constantinople, le 12 juillet 1452, à peine quelques mois avant que les troupes musulmanes, conduites par Mahomet II, n’investissent Constantinople. Toutes les tentatives d’union entre l’Eglise d’orient et l’Eglise d’0ccident sombraient dans l’oubli en même temps que Constantinople tombait aux mains des Turcs.

LA VOIE DU BONHEUR (Saint NECTAIRE d’EGINE)

4 mai, 2010

du site:

http://www.orthodoxa.org/FR/orthodoxie/spiritualite/StNectaire1.htm

Saint NECTAIRE d’EGINE

Saint Nectaire d’Egine est sans aucun doute parmi les plus aimés et les plus vénérés saints de notre Eglise en ce XXe siècle. L’Evêque de la Pentapole, le Thaumaturge d’Egine est très populaire, bien entendu en Grèce mais aussi à travers toute la Diaspora Orthodoxe d’Occident où son culte s’est fortement répandu. Cela en raison de ses nombreuses intercessions et de ses innombrables guérisons miraculeuses. Ayant beaucoup souffert avec patience par amour pour le Christ, la calomnie, le mépris et les vexations, il a appris à se montrer compatissant pour les souffrances de ceux qui se confient en lui. Sa catéchèse, toute emprunte de profonde simplicité, nous montre combien il est proche de nos préoccupations spirituelles et particulièrement de celles des plus petits et des plus humbles d’entre nous.

LA VOIE DU BONHEUR

Rien n’est plus grand qu’un cœur pur, parce qu’un tel cœur devient le trône de Dieu. Et qu’y a-t-il de plus glorieux que le trône de Dieu ? Bien entendu, rien du tout ! Dieu dit à propos de ceux qui possèdent un cœur pur :  » J’habiterai et je circulerai au milieu d’eux ; je serai leur Dieu et ils seront mon peuple !  » ( 2 Cor. 6/16 ). Qui oserait encore affirmer être plus heureux que ces gens-là ? Car de quels biens prétendraient-ils être privés ? Ne trouve-t-on pas tous les dons et tous les bienfaits de l’Esprit Saint dans leurs âmes bienheureuses ? Que leur manque-t-il par conséquent ? Vraiment, ils ne souffrent de rien car ils gardent dans leur âme la plus précieuse des richesses : Dieu Lui-même. Combien se trompent les hommes lorsqu’ils font fi de leur propre personne pour aller prendre ailleurs du bonheur : en se rendant dans des terres lointaines, en parcourant le monde par de nombreux voyages, en rêvant de richesse et de gloire, en courant après la fortune et les vains plaisirs ou encore en voulant s’approprier les choses de ce monde, qui ne procurent que des lendemains amers ! L’édification de la tour du vrai bonheur en dehors de son propre cœur équivaut à vouloir construire un édifice qui reposerait sur des fondations instables et secouées par des tremblements fréquents. Sûrement qu’une telle bâtisse finira un jour par s’effondrer toute entière d’elle-même. Mes frères, le vrai bonheur n’existe qu’à l’intérieur de vous-mêmes et bienheureux est celui qui a compris cela. Scrutez donc votre cœur et prenez le temps de vous pencher sur votre propre état spirituel. A-t-il perdu son assurance en Dieu ? Est-ce que vos consciences se plaignent que vous vous détournez des commandements divins ? Vous accuse-t-elle, cette conscience, de pratiquer l’injustice et le mensonge, de négliger vos devoirs envers Dieu et votre prochain ? Examinez-la par conséquent scrupuleusement : il se pourrait bien que des pensées et des passions mauvaises fourmillent dans votre cœur et qu’ainsi il se soit engagé sur des routes tortueuses et infranchissables… Hélas, celui qui a négligé son propre cœur, celui-là s’est aussi volontairement privé de tous les biens pour les remplacer par de nombreux autres maux. C’est ainsi qu’il a chassé la joie loin de lui et le voilà maintenant plongé dans l’amertume, la tristesse et toutes sortes d’inquiétudes. Sans la paix intérieure, il est saisi par le trouble et la peur. L’amour parti c’est la haine qui s’y est installée. En se dépouillant des dons et des fruits que l’Esprit Saint lui a offerts au moment de son baptême, il est devenu un familier de tout ce qui fait de l’homme un être pouilleux et misérable. Mes Frères ! Le Dieu plein de miséricorde n’aspire qu’à notre bonheur aussi bien dans cette vie que dans l’autre. C’est pour cela qu’Il a fondé sa sainte Eglise. Afin de nous purifier par Elle de notre péché ; pour nous sanctifier ; pour nous réconcilier avec Lui ; pour nous combler de ses bénédictions célestes. Et les bras de cette Eglise vous sont très largement ouverts. Courons-y vite, nous qui avons le cœur lourd. Courons-y très vite et nous verrons que l’Eglise nous attend pour prendre sur Elle notre lourd fardeau, nous mettre en confiance avec Dieu et remplir notre cœur de félicité et de joie.

SAINT NECTAIRE D’EGINE: HYMNE A L’AMOUR DIVIN

4 mai, 2010

du site:

http://www.orthodoxa.org/FR/orthodoxie/spiritualite/hymneStNectaire.htm

SAINT NECTAIRE D’EGINE: HYMNE A L’AMOUR DIVIN

L’Eros (nous employons le mot éros dans le sens des Pères. C’est l’amour opérant, dynamique, qui propulse l’âme sortie d’elle-même, vers Dieu) divin, c’est l’amour parfait pour Dieu, manifesté comme désir insatiable du divin. L’éros divin naît dans le cœur purifié où habite la grâce divine.

L’éros pour Dieu est un don divin. Il est offert à l’âme innocente par la grâce divine qui la visite et se révèle à elle.

L’éros divin ne se lève chez personne sans une révélation divine. L’âme, qui n’a pas reçu de révélation, n’est pas sous l’influence de la grâce et demeure insensible à l’amour divin.

Les amants du divin ont été poussés vers l’amour divin par la grâce de Dieu, révélée à l’âme et qui agit dans le cœur purifié. C’est elle qui les a attirés vers Dieu.

Celui qui s’est épris de Dieu a d’abord été aimé de Dieu. Ce n’est qu’ensuite qu’il a aimé le divin.

L’amant du divin est devenu avant fils de l’amour, ensuite il a aimé le Père Céleste.

Le cœur de celui qui aime le Seigneur ne sommeille jamais ; il veille à cause de l’intensité de son amour.

Si l’homme dort par nécessité de sa nature, le cœur, lui, veille pour la louange de Dieu.

L’âme blessée par l’éros divin ne cherche plus rien en dehors du Bien Suprême; elle se détourne de tout, éprouve pour tout de l’indifférence.

L’âme, éprise de Dieu, se délecte des paroles de Dieu et passe son temps dans Ses tabernacles.

Elle élève la voix pour raconter les merveilles de Dieu et quand elle conserve, elle parle de Sa gloire et de Sa majesté.

Elle chante Dieu et Le loue sans cesse.

Elle Le sert avec zèle.

L’éros divin s’empare de toute cette âme, la change et se l’approprie.

L’âme, amoureuse de Dieu, a connu le divin et cette connaissance a enflammé son divin éros.

L’âme, amoureuse de Dieu, est bienheureuse, car elle a rencontré le Juge divin qui a comblé ses désirs.

Tout désir, toute affection, tout élan étranger à l’amour divin, elle le rejette loin d’elle, comme méprisable et indigne d’elle.

O combien l’amour du divin, porté par l’amour de Dieu, élève dans les airs l’âme amoureuse de Dieu ! Cet amour, telle une nuée légère, s’empare de l’âme et la transporte vers la source éternelle de l’amour, vers l’amour intarissable et la remplit de la lumière éternelle.

L’âme, blessée par l’éros divin, se réjouit en tout temps. Elle est dans l’allégresse, elle tressaille de joie, elle danse, car elle se trouve reposer dans l’amour du Seigneur comme sur une eau tranquille.

Rien de ce qui afflige en ce monde ne peut venir troubler sa quiétude et sa paix, rien de triste ne peut ôter sa joie et son allégresse.

L’amour enlève dans les airs l’âme amante du divin. Etonnée, elle se voit séparée de ses sens corporels, de son corps lui-même. En se livrant totalement à Dieu, elle s’oublie elle-même.

L’éros divin procure la familiarité avec Dieu ; la familiarité procure l’audace, l’audace le goût et le goût la faim.

L’âme, touchée par l’éros divin, ne peut plus penser à autre chose, ni rien désirer.

Elle soupire sans cesse et dit : « Seigneur, quand irai-je à Toi et quand verrai-je ta face ? Mon âme désire aller à Toi, ô Dieu, comme la biche soupire après les courants d’eau. »

Tel est l’éros divin qui fait de l’âme une captive.

O amour, véritable et constant !
O amour, ressemblance de l’image divine !
O amour, douce jouissance de mon âme !
O amour, divine plénitude de mon cœur !
O amour, méditation incessante de mon esprit!

Tu possèdes toujours mon âme, tu l’entoures de prévenances et de chaleur.

Tu la vivifies et tu l’élèves jusqu’à la divine affection.

Tu remplis mon cœur et le fais brûler d’amour divin, tu ranimes mon désir du Juge Suprême.

Par ta puissance vivifiante tu fortifies la force de mon âme ; tu la rends capable d’offrir à l’amour divin le culte qui lui revient.

Tu t’empares de mon esprit et le délivres de ses liens terrestres.
Tu le libères pour qu’il monte sans obstacle jusqu’à l’amour divin dans les cieux.
Tu es le trésor le plus précieux des fidèles, le don le plus. honorable des charismes divins.
Tu es l’éclat déiforme de mon âme et de mon cœur.
Tu es celui qui fait des fidèles des fils de Dieu.
Tu es la parure des croyants et tu honores tes amis.
Tu es le seul bien permanent, car tu es éternel.
Tu es le vêtement de beauté des amis de Dieu, qui se présentent ainsi vêtus devant l’amour divin.
Tu es les agréables délices, car tu es le fruit du Saint-Esprit.
Tu introduis les fidèles sanctifiés dans le royaume des cieux
Tu es le parfum suave des croyants.

Par toi, les fidèles communient au paradis des délices.
Par toi, la lumière du soleil spirituel se lève dans l’âme.
Par toi, s’ouvrent les yeux spirituels des croyants.
Par toi, les croyants participent à la gloire divine et à la vie éternelle.
Par toi, naît en nous le désir des cieux.

C’est toi qui rétablis le royaume de Dieu sur la terre.
C’est toi qui répands la paix sur les hommes.
C’est toi qui fais que la terre ressemble aux cieux.
C’est toi qui unis les hommes aux anges.
C’est toi qui fais monter nos chants harmonieux vers Dieu.
C’est toi qui, en tout, es vainqueur.
C’est toi qui es au-dessus de toute chose.
C’est toi qui en vérité gouvernes l’univers.
C’est toi qui diriges avec sagesse le monde.
C’est toi qui portes et conserves le tout.

TOI, tu ne chutes jamais !

O amour, plénitude de mon cœur !
O amour, image très douce de Jésus le très doux.
O amour, emblème sacré des disciples du Seigneur.
O amour, symbole de Jésus le doux.
Blesse mon cœur par ton désir,
Remplis-le de biens et de bonté, et d’allégresse.
Fais de lui l’habitacle du très Saint Esprit.
Brûle-le tout entier par la flamme divine, afin que ses passions misérables consumées, il soit sanctifié et entraîné à ta louange incessante.

Remplis mon cœur de la douceur de ton amour, afin que je n’aime que Jésus le très doux, le Christ mon Seigneur et que je Lui chante l’hymne sans fin, de toute mon âme, de tout mon cœur, de toute ma force, de tout mon esprit. Amen !

Hommage de Benoît XVI au « grand » cardinal Tomas Spidlik: Pour que l’Eglise « respire par ses deux poumons »

4 mai, 2010

J’ai rencontré à plusieurs reprises le cardinal, il était un homme profondément humble, doux, très profond, je mets ces postes avec une mémoire pleine d’affection, du site:

http://www.cardinalrating.com/cardinal_190__article_9683.htm

Hommage de Benoît XVI au « grand » cardinal Tomas Spidlik
Apr 26, 2010

Pour que l’Eglise « respire par ses deux poumons »

ROME, Mardi 20 avril 2010 (ZENIT.org) – La rencontre entre Jean-Paul II et le cardinal Tomas Spidlik a permis qu’ils aident l’Eglise « à respirer par ses deux poumons », a souligné Benoît XVI qui a prononcé ce matin à Saint-Pierre l’homélie des funérailles du cardinal Spidlik présidées par le cardinal doyen Angelo Sodano.

Le cardinal Spidlik s’est éteint vendredi soir à Rome à l’âge de 90 ans (cf. Zenit du 19 avril 2010), c’est-à-dire le jour de l’anniversaire de Benoît XVI. Un hommage lui a été également rendu hier, lors du déjeuner des cardinaux avec le pape, à l’occasion du 5e anniversaire de son élection.

Le pape a souligné le parallèle entre Jean-Paul II et le cardinal Spidlik : « Tous deux étaient portés à des réparties spirituelles et à plaisanter, bien qu’ils aient vécu des événements difficiles et sous certains aspects semblables dans leur jeunesse. La Providence les a fait se rencontrer et collaborer pour le bien de l’Eglise, spécialement pour qu’elle apprenne à respirer par ses « deux poumons », comme le pape slave aimait à le dire ».

Le pape a cité les dernières paroles du cardinal Spidlik : « Toute ma vie, j’ai cherché le visage de Jésus, maintenant je suis heureux et serein, parce que je vais aller le voir ». Benoît XVI y voit une pensée à la fois « simple » et « étonnante » : il a souligné la rencontre entre le désir de l’homme de voir le visage de Dieu et le désir de Jésus qui demande au Père que les hommes soient avec lui. C’est « une sorte d’embrassement sûr, fort, et doux », promesse de vie éternelle.

« Je pense, a dit le pape en évoquant la bonne humeur du défunt cardinal, que les grands hommes de foi qui vivent plongés dans cette grâce, ont le don de percevoir cette vérité avec une force particulière, et ils peuvent ainsi traverser de dures épreuves, comme le Père Tomas Spildik, sans perdre confiance, en gardant au contraire un vif sens de l’humour, qui est certainement un signe d’intelligence, mais aussi de liberté intérieure ».

« Cette liberté d’esprit, a-t-il ajouté, a son fondement objectif dans la résurrection du Christ », car « l’espérance et la joie de Jésus ressuscité sont aussi l’espérance et la joie de ses amis, grâce à l’action de l’Esprit Saint ».

C’est ce que manifestait, a fait observer Benoît XVI, la façon de vivre du P. Spidlik, « et ce témoignage devenait de plus en plus éloquent avec les années, parce qu’en dépit de son âge avancé, et ses inévitables maux, son esprit restait frais et jeune. Qu’est-ce sinon l’amitié du Seigneur ressuscité ? »

Evoquant le choix de la devise du cardinal – « Ex toto corde » (cf. Deutéronome 6, 4) -, le pape a souligné que sa vie a ainsi été en quelque sorte placée « à l’intérieur du commandement de l’amour », « inscrite dans le primat de Dieu et de la charité ». Et dans ce symbole du cœur « se rencontrent Orient et Occident ».

« L’homme qui accueille l’amour de Dieu pleinement, ex toto corde, a commenté le pape, accueille la lumière, et la vie, et devient à son tour lumière et vie dans l’humanité et dans l’univers (…). Mais qui est cet homme ? Qui est ce cœur du monde, sinon Jésus Christ ? C’est lui, a insisté Benoît XVI, la lumière et la vie ».

Le cardinal Spidlik était jésuite, c’est-à-dire, a souligné le pape, « un fils spirituel de saint Ignace qui place au centre de la foi et de la spiritualité la contemplation de Dieu dans le mystère du Christ ».

Le Christ est aussi « le principe formel de l’art chrétien », a fait remarquer Benoît XVI en mentionnant que le cardinal Spidlik a été « un inspirateur d’idées et de projets expressifs qui ont trouvé une synthèse importante » dans la chapelle Redemptoris Mater du palais apostolique du Vatican réalisée par l’atelier du P. Marko Ivan Rupnik, son fils spirituel pendant 30 ans.

« Que la Vierge, Mère de Dieu, accompagne l’âme de notre vénéré frère dans l’embrassement de la Sainte Trinité, où « de tout cœur », il louera éternellement son amour infini ».

Le cardinal Spidlik était un « spécialiste mondialement reconnu de la spiritualité chrétienne orientale », comme le rappelle Radio Vatican qui ajoute : « théologien, philosophe et écrivain, ce jésuite tchèque était une des personnalités les plus respectées du Vatican ».

Radio Vatican rappelle également que « sous le communisme, ses écrits livrés clandestinement en Tchécoslovaquie apportaient une nourriture spirituelle à de nombreux chrétiens vivant derrière le rideau de fer ».

En mars 1995, le cardinal Tomas Spidlik avait été invité par Jean-Paul II à prêcher la retraite de carême au Vatican : les textes ont été publiés au Cerf sous le titre : « Le Chemin de l’Esprit ».

Né en 1919 en Tchéquie, le cardinal Tomàs Špidlík s.j. a enseigné à Rome la théologie spirituelle, patristique et orientale. Depuis 1991, il vivait et travaillait au Centre Aletti de Rome. Parmi ses nombreux ouvrages, signalons notamment en français « La Spiritualité de l’Orient chrétien. Manuel systématique » (1978), « Les Grands Mystiques russes » (1979), « La Spiritualité de l’Orient chrétien. II. La Prière » (1988), « L’Idée russe. Une autre vision de l’homme » (1994), « Le Chemin de l’Esprit. Retraite au Vatican » (1996).  

par Serge BOULGAKOV: L’histoire d’une conversion

22 avril, 2010

du site:

http://www.biblisem.net/meditat/boulhist.htm

L’histoire d’une conversion

par

Serge BOULGAKOV
 

J’étais dans ma 24e année, mais, pendant près de dix ans déjà, la foi avait été sapée dans mon âme et, après des crises orageuses et des doutes, un vide religieux en prit possession. Oh, combien terrible est ce sommeil de l’âme qui peut durer une vie entière ! Avec la croissance intellectuelle et l’acquisition de connaissances scientifiques, mon âme s’immergeait imperceptiblement mais irrésistiblement dans la boue visqueuse du contentement de soi, dans l’estime de soi-même et la vulgarité. La lumière de mon enfance s’effaçait de plus en plus, remplacée par un crépuscule grisâtre. Soudain ceci vint… Des appels mystérieux retentirent dans mon âme, et elle se rua à leur rencontre…

Le soir approchait… Nous roulions à travers la steppe méridionale, embaumée par l’odeur de miel des herbes et du foin, dorée par la lumière douce du soleil couchant. Dans le lointain, les plus proches montagnes du Caucase bleuissaient déjà. Je les voyais pour la première fois. Et, contemplant avidement les montagnes, respirant l’air et la lumière, j’écoutais la révélation de la nature. Mon âme avait depuis longtemps, avec une douleur sombre et silencieuse, pris l’habitude de ne voir en la nature qu’un désert mort sous un voile de beauté, comme si elle portait un masque trompeur ; contre sa propre volonté l’âme ne pouvait se résigner à accepter la nature sans Dieu. Et tout à coup, mon âme se remplit de joie et trembla d’émotion joyeuse : et s’il y avait… s’il n’y avait pas de désert, de mensonge, de masque, de mort, mais Lui, le Père doux et aimant, si c’était Son voile, Son amour… Si… si les pieux sentiments de mon enfance, quand je vivais avec Lui, quand j’étais devant Sa Face, quand je L’aimais et tremblais de ma propre impuissance à L’approcher, si mes larmes et ma jeune ardeur, la douceur de la prière, ma pureté d’enfant dont je me moquais, que j’avais souillée, si tout cela était vrai, et l’autre, le vide porteur de mort rien qu’aveuglement et mensonge ? Mais est-ce possible ? N’ai-je pas su depuis mes années de séminaire que Dieu n’existait pas ? Peut-il y avoir un doute à ce sujet ? Puis-je m’avouer ces pensées à moi-même sans me sentir honteux de ma lâcheté, sans éprouver une terreur panique de la « science » et de son synédrion ? Oh, j’étais prisonnier de cette « science », cet épouvantail érigé par la foule des pseudo-intellectuels, pour les masses à demi éduquées, pour les imbéciles. Comme je te hais, émanation démoniaque, demi-éducation, peste des temps modernes, contagieuse pour les enfants et les adolescents. Et j’étais infecté alors moi aussi, et je répandais la contagion autour de moi…

Et de nouveau vous, ô montagnes du Caucase. J’ai vu votre glace étinceler d’une mer à l’autre, vos neiges qui rougissent sous le soleil matinal, vos sommets qui percent le ciel, et mon âme fondait d’extase. Et ce qui n’avait brillé qu’une seconde et qui s’était évanoui le soir dans la steppe, faisait maintenant retentir mon âme de chants, s’élevant en un hymne magnifique et solennel. Le premier jour de la création brillait devant mes yeux. Tout était clair, tout était paix et plein de joie retentissante. Mon cœur était prêt à se rompre d’extase. Il n’y a pas de vie et pas de mort, seulement un éternel et inchangeable maintenant. Nunc dimittis sonnait dans mon cœur et dans la nature. Et un sentiment inattendu s’éleva et grandit en moi, le sentiment de victoire sur la mort. À ce moment, je voulais mourir, mon âme avait un doux désir de la mort, pour se fondre joyeusement, en extase, avec ce qui étincelait et brillait de la beauté de la première création. Mais il n’y avait pas de mots, pas de Nom, il n’y avait pas de « Christ est ressuscité » chanté au monde et aux altitudes. Et ce moment de rencontre ne mourut pas dans mon âme, cette apocalypse, ce festin de noce, la première rencontre avec Sophia. Ce dont me parlaient les montagnes dans leur solennelle lumière, je le reconnus dans le doux et timide regard d’une jeune fille, sous d’autres cieux, sous d’autres montagnes. La même lumière brillait dans les yeux confiants, naïfs, craintifs et humbles, pleins de la sainteté de la souffrance. La révélation de l’amour me fit connaître un autre monde, un monde que j’avais perdu…

Puis vint une nouvelle vague d’enchantement par le monde. Avec le bonheur personnel vint la première rencontre avec l’Occident, et les premières extases : civilisation, confort, social-démocratie… Et soudain une rencontre merveilleuse et inattendue : La Madone Sixtine à Dresde. Tu as Toi-même touché mon cœur et il palpita à Ton appel. Là, les yeux de la Reine Céleste, marchant sur les nuages avec l’Enfant prééternel, pénétrèrent mon âme. Il y avait en eux un immense pouvoir de pureté et de sacrifice de soi prophétique – la connaissance de la souffrance, et la détermination à la souffrance librement consentie, et la même détermination prophétique pour le sacrifice se voyait dans les yeux remplis d’une sagesse non enfantine de l’Enfant. Ils savent ce qui Les attend, ce à quoi Ils sont destinés, et Ils vont librement faire don de Soi, pour remplir la volonté de Celui qui Les envoie. Elle va recevoir « l’arme dans le cœur », Lui va aller au Calvaire… Je ne pouvais me contrôler, ma tête tournait, mes yeux versaient des larmes joyeuses et pourtant amères, et avec elles la glace fondait dans mon cœur, et un nœud vital se dénouait. Ce n’était pas une émotion esthétique, non, c’était une rencontre, une nouvelle connaissance, un miracle… Involontairement, j’appelai (moi, marxiste), cette contemplation, prière.

Je revins de mes voyages à l’étranger – ayant perdu pied, ma foi en mes idéaux fortement ébranlée. Dans mon âme croissait « une volonté de foi », une détermination à faire le saut vers la rive opposée, détermination stupide du point de vue de la sagesse de ce monde – un saut du marxisme et de bien d’autres « ismes » qui lui succédèrent, vers la foi orthodoxe. Pourtant les années passèrent et je continuais à languir en dehors de l’enceinte, sans avoir la force de faire le pas décisif, d’aller me confesser et recevoir la communion, que mon âme exigeait de plus en plus fort. Je me souviens comment, une fois, le Jeudi Saint, étant entré dans une église (j’étais alors député à la Douma), je vis les gens recevoir la Sainte Communion aux sons émouvants de l’hymne eucharistique de ce jour… Je me précipitai en larmes hors de l’église et je marchai à travers les rues de Moscou en pleurant, accablé par mon impuissance et par mon indignité. Il en fut ainsi jusqu’à ce qu’une main ferme m’éleva.

Septembre. Un ermitage solitaire perdu dans la forêt. Une journée ensoleillée sur un paysage nordique familier. Mon cœur était toujours en proie à la confusion et à l’impuissance. J’avais saisi l’occasion de venir là dans le secret espoir de rencontrer Dieu. Mais une fois arrivé, ma détermination s’envola tout à fait. J’assistai aux vêpres, insensible et froid, et le service terminé, quand commencèrent les prières « préparatoires à la confession », je sortis, courus presque hors de l’église, « en pleurant amèrement ». Je marchai, plein d’angoisse, sans rien voir autour de moi, en direction de l’hôtel, et je repris conscience de moi-même… dans la cellule du vieil ermite. J’avais été amené là : j’avais pris la mauvaise direction, avec mon habituelle distraction, qui était augmentée par l’état dans lequel j’étais, mais en réalité – j’en étais certain – un miracle m’avait arrêté… Le Père, voyant l’approche du fils prodigue, s’était encore une fois hâté à sa rencontre. De l’ermite j’appris que tous les péchés humains n’étaient qu’une goutte dans l’océan de la miséricorde Divine. Je le quittai pardonné et réconcilié avec moi-même, tout tremblant et en larmes, me sentant comme porté par des ailes vers l’église. Sur le seuil je rencontrai mon compagnon qui m’avait vu quelques instants auparavant quitter l’église en désarroi ; il fut surpris et heureux. Il devint un témoin involontaire de ce qui m’était arrivé. « Le Seigneur est passé », disait-il plus tard.

Le soir arriva, et de nouveau le coucher du soleil, non plus méridional, mais nordique. Les coupoles de l’église se dessinaient nettement sur le ciel transparent, et les larges rangées des fleurs d’automne blanchissaient dans le crépuscule. Les forêts bleues s’effaçaient dans le lointain. Soudain, en plein silence, d’en haut, comme si le son venait du Ciel, retentit la cloche de l’église, puis tout se tut à nouveau. Ce ne fut qu’un moment plus tard qu’elle commença à sonner régulièrement et sans s’arrêter. On sonnait pour l’office du soir. Comme pour la première fois, comme si j’étais nouvellement né, j’écoutais les cloches de l’église, je sentais que moi aussi, ces cloches m’appelaient vers l’église des fidèles. Et le soir de ce jour béni, et plus encore le lendemain à la liturgie, je regardais tout avec des yeux nouveaux, car je savais que moi aussi j’étais appelé, que moi aussi je prenais effectivement part à tout cela ; que pour moi aussi Notre-Seigneur était monté en Croix et avait versé Son Sang béni : c’était pour moi aussi que les mains du prêtre préparaient la Sainte Communion, et l’Évangile de ce jour, le souper chez Simon le Lépreux – et le pardon de la pécheresse qui avait beaucoup aimé – me concernait aussi. Et j’étais admis à recevoir le Très Saint Corps de Notre-Seigneur.

Ainsi, à la base de la religion se trouve une expérience personnelle de la Divinité, et c’est là la seule source de son autonomie. Quoi que puisse faire la sagesse de ce monde, impuissante à comprendre la religion, faute de l’expérience nécessaire, ceux qui, une fois, ont contemplé Dieu dans leur cœur, possèdent une connaissance absolument juste de la religion, ils connaissent son essence.

Serge BOULGAKOV, La lumière sans déclin,
dans Histoire de la philosophie russe,
par N.O. Looski, Payot, 1964.

Recueilli dans La Russie retrouve son âme,
numéro de juin 1967 de la revue La Table ronde.
 

Transfigurés par la puissance du Saint-Esprit

10 avril, 2010

du site:

http://jerusalem.cef.fr/index.php/fraternites/vivre-la-liturgie/temps-liturgique/temps-pascal/transfigures-par-la-puissance-de-lesprit

Transfigurés par la puissance du Saint-Esprit

Le fondement de notre vie dans le Christ est le baptême. Quand nous recevons ce sacrement, nous obtenons la grâce du Saint-Esprit.
Elle répand en nous une lumière et une force intérieures qui nous rendent capables de rompre avec le mal, de repousser les tentations de l’égoïsme, de l’esprit de jouissance et de domination. C’est en ce sens que le baptême nous fait mourir au péché et ressusciter avec le Christ pour une vie nouvelle.??Mais le baptême ne nous communique pas cette vie nouvelle dans son état achevé, dans sa pleine maturité. Il nous en donne seulement le germe, et cette semence déposée dans nos cœurs ne peut croître et se développer que si nous y apportons librement notre concours. ??Le baptême laisse subsister en nous un attrait pour les plaisirs et les satisfactions égoïstes. Il faut donc que, en écoutant la Parole de Dieu telle qu’elle nous est transmise dans l’Église et en suppliant dans la prière le Seigneur de nous venir en aide, nous fassions violence à nos tendances mauvaises pour obéir à ce que Dieu nous demande, même si nous n’en ressentons ni le goût, ni l’envie.??En effet, à ce stade de la vie spirituelle, nous ne pouvons pas encore avoir conscience de cette vie nouvelle qui nous habite, nous ne pouvons pas encore éprouver d’une façon sensible le goût du bien, l’attrait pour les choses d’en haut. L’éveil de cette «sensibilité spirituelle» est un don que Dieu n’accorde ordinairement qu’à ceux qui ont longuement mené le «combat invisible». En attendant, seule la foi en la Parole de Dieu nous permet de connaître avec certitude ce qui est bien et ce qui est mal, et la grâce nous vient en aide d’une façon réelle, mais que nous ne «sentons» pas.??Nous ne sommes d’ailleurs pas laissés à nous-mêmes dans notre compréhension de la Parole de Dieu. Ce n’est pas en effet ce que nous comprenons par nous-mêmes, ce que nous ressentons, ce qui nous convient ou nous semble bon, ce avec quoi nous nous sentons à l’aise, qui est nécessairement vrai et bien. La vérité ne se révèle qu’à ceux qui sont unis dans l’amour, à ceux qui n’ont ensemble qu’un seul cœur et un seul esprit dans le Christ. En d’autres termes, c’est l’Église seule qui peut comprendre la Parole de son Seigneur, dans la lumière de l’Esprit-Saint. Lorsque tous les chrétiens, pendant des siècles et dans les lieux les plus divers, ont compris la Parole de Dieu d’une certaine façon et en ont interprété les exigences d’une manière déterminée, cette unanimité est le signe que l’Esprit-Saint est à l’œuvre, que cette compréhension de la Parole donnée à l’Église vient de lui. S’en écarter pour suivre son opinion propre, ou celle d’un groupe particulier, serait pécher contre l’amour, ce serait ce qu’on a appelé un «fratricide spirituel».??Ne croyons pas qu’il puisse y avoir, au sein du peuple de Dieu, une «évolution des mœurs» qui rendrait dépassé et périmé ce qui a été tenu «par tous, toujours et partout» dans l’Église. Quand il s’agit de points aussi fondamentaux que, par exemple, la nécessité de la prière, le sens du jeûne, la conception chrétienne du mariage et de la vie sexuelle, le respect absolu et l’amour de toute personne humaine, impliquant le refus de l’avortement, de l’euthanasie, du racisme, il y a simplement des comportements qui sont chrétiens, et des comportements qui ne le sont pas, même s’ils sont devenus ceux d’un plus ou moins grand nombre de gens qui se disent ou se croient chrétiens. Le christianisme ne connaît ni interdits ni «tabous» arbitraires ; mais il y a une manière de vivre qui correspond au germe de vie divine reçu au baptême, qui en procède et l’aide à se développer, et une manière de vivre qui le tue.

Le chrétien, certes, reste un pécheur. Mais au péché, il existe un remède : le repentir. Si nous reconnaissons notre péché, si nous le regrettons du fond du cœur, si nous implorons le pardon divin, si nous nous efforçons sincèrement de nous convertir, Dieu nous viendra en aide et nous pardonnera. Mais si nous essayons de nous justifier, si nous appelons le mal «bien», et le bien «mal», nous nous fermons par là même au repentir, nous commettons le péché contre l’Esprit.??Dans l’Église, il n’y a pas de différence entre la «morale» et la «spiritualité», il n’y a pas un minimum imposé à tous, et des exigences supérieures qui seraient le privilège d’une élite. C’est à tous que le Seigneur a dit : «Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait». Le plein développement de notre vie de fils de Dieu et de membres du Christ, commencée au baptême, est la loi de toute vie chrétienne. Ce n’est pas une loi qui s’imposerait de l’extérieur, un loi écrite sur des tables de pierre comme celle qui fut donnée à Moïse, c’est une loi inscrite dans nos cœurs par l’Esprit d’amour qui nous a été donné. Dans une certaine mesure, les moyens à mettre en œuvre varient pour chacun, selon son état de vie et les conditions particulières qui sont les siennes ; mais le but est le même pour tous : être transfigurés, par la puissance du Saint-Esprit, à l’image du Fils unique.

Archimandrite Placide Deseille

LA PRIÈRE, GAGE DE LA SANTÉ SPIRITUELLE (par Paul Evdokimov)

23 mars, 2010

du site:

http://www.pagesorthodoxes.net/priere/priere-evdokimov.htm

LA PRIÈRE, GAGE DE LA SANTÉ SPIRITUELLE

par Paul Evdokimov

« Priez sans cesse, » insiste saint Paul, car la prière est la source et la forme la plus intime de notre vie spirituelle. La vie de prière, sa densité, sa profondeur, son rythme, mesurent notre santé spirituelle et nous révèlent à nous-mêmes. C’est au niveau d’un esprit recueilli et silencieux que se place la vraie prière et que l’être est mystérieusement visité. « L’ami de l’Époux se tient là et l’entend » ; l’essentiel de l’état de prière est justement de « se tenir là », d’entendre la présence du Christ.

À ses débuts, la prière est agitée ; l’homme déverse tout le contenu psychique de son être ; mais dans la prière, le bavardage dissipe. Or, il « suffit de tenir ses mains élevées », dit saint Marc [le Moine]. La prière dominicale est brève. Un ermite la commençait au coucher du soleil, et la terminait en disant « amen « aux premiers rayons du soleil levant. Il ne s’agit pas de discours ; les spirituels se contentaient de prononcer le nom de Jésus mais, dans ce nom, ils contemplaient le Royaume.

Une grave déformation fait de la prière la répétition mécanique des formules. Or, selon les maîtres, il ne suffit pas d’avoir la prière, les règles, l’habitude ; il faut devenir prière, être la prière incarnée : faire de sa vie une liturgie, prier avec les choses les plus quotidiennes, vivre la communion incessante. Les spirituels citent l’histoire d’un ouvrier tanneur qui parle des trois formes de la prière : la demande, l’offrande et la louange, et montre comment elles deviennent l’état de prière et peuvent sanctifier tous les instants du temps, même pour celui qui n’en dispose pas. Le matin, pressé, cet homme très simple présentait tous les habitants d’Alexandrie devant la face de Dieu en disant : « Aie pitié de nous pécheurs «. Dans la journée, pendant son travail, son âme ne cessait de ressentir que toute son œuvre était comme une offrande : « À toi, Seigneur » ; et le soir, tout à la joie de se retrouver encore gardé en vie, son âme ne pouvait que dire : « Gloire à toi ». C’est la conception orante de la vie elle-même où le travail le plus modeste d’un ouvrier ou d’une ménagère et la création d’un génie sont accomplis au même titre d’offrande devant la face de Dieu, comme une tâche confiée par le Père.

Selon la Bible, le nom de Dieu est une forme et un lieu de sa présence. La « prière de Jésus » ou la « prière du cœur » libère ses espaces et y attire Jésus par l’invocation incessante : « Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur. » Cette prière du publicain évangélique contient tout le message biblique : la Seigneurie de Jésus, sa filiation divine, donc confession de la Trinité, l’abîme de la chute qui invoque l’abîme de la miséricorde divine. Cet prière résonne sans cesse au fond de l’âme, prend le rythme de la respiration, collée au souffle, même pendant le sommeil : « Je dors, mais mon esprit veille » (Cn 5, 2). Jésus attiré dans cœur, c’est la liturgie intériorisée et le Royaume dans l’âme apaisée. Le nom remplit l’homme comme son temple, le transmue en lieu de la présence divine.

L’invocation du nom de Jésus est à la portée de tout homme et dans toutes les circonstances de sa vie. Elle pose le nom comme un sceau divin sur toute chose. Saint Jean Chrysostome dit : « Que ta maison soit une église ; admire ton Maître ; que les enfants s’unissent à toi dans une prière commune. » Cette prière portera devant le Père 1es soucis et les souffrances de tous les hommes, leurs tristesses et leurs joies. Tout instant notre temps se rafraîchit à ce contact de feu des esprits en prière.

Dans les maisons des fidèles, on voit toujours l’icône placée haut, et au point dominant de la prière, elle guide le regard vers le Très-Haut et l’unique nécessaire. La contemplation orante traverse pour ainsi dire l’icône et ne s’arrête qu’au contenu vivant et présent qu’elle traduit. D’une habitation neutre, elle fait une « église domestique », de la vie d’un fidèle, une liturgie intériorisée et continuée. Le visiteur, en entrant, s’incline devant l’icône, recueille le regard de Dieu et ensuite salue le maître de maison. On commence par rendre honneur à Dieu et les honneurs rendus aux hommes viennent après. Point de mire, n’étant jamais une décoration, l’icône centre tout l’intérieur sur le rayonnement de l’au-delà qui règne sans partage. La petite veilleuse devant l’icône traduit le mouvement de l’esprit ; être un feu toujours en prière et en présence de l’invisible. C’est la dimension liturgique de la vie spirituelle.

La prière liturgique

La prière liturgique introduit d’emblée dans la conscience collégiale, selon le sens du mot liturgia, qui signifie l’œuvre commune. Elle enseigne le vrai rapport entre le moi et les autres, aide à nous déprendre de nous-mêmes et à faire nôtre la prière de l’humanité. Par elle, le destin de chacun nous devient présent. Le pronom liturgique n’est jamais au singulier.

La liturgie filtre toute tendance trop subjective, émotionnelle et passagère ; pleine d’une émotion saine et d’une vie affective puissante, elle offre sa forme achevée, rendue parfaite par de longs siècles et des générations qui ont prié de la même manière. J’entends la voix de Jean Chrysostome, de Basile, de Syméon et de tant d’autres ; ils ont laissé la trace de leur esprit adorant et m’associent à leur prière. Celle-ci pose la mesure et la règle, mais sollicite aussi la prière spontanée, personnelle, où l’âme chante et parle librement à son Seigneur.

Faut-il attendre le moment d’inspiration, au risque de ne le trouver jamais ? La prière comporte toujours un aspect d’effort. « Quand l’homme se met à prier, les obstacles cherchent à l’en empêcher… ; l’oraison exige une lutte, un combat «, disent les maîtres. Origène note au sujet de la prière que l’ascension d’une montagne élevée est fatigante. Les maîtres conseillent de faire « comme si » l’inspiration ne faisait pas défaut, et le miracle de la grâce s’opère.

Mais encore, « pourquoi prier ? Dieu ne sait-il pas ce qu’il nous faut ? » Dieu écoute notre prière ; il la rectifie et en fait un élément qui s’ajoute à sa décision. L’insistance de la veuve de l’Évangile arrache une réponse et exprime la puissance de la foi [cf. Lc 18, 1-8]. Peut-être que l’enfer dépend aussi de la violence des saints, de la flamme de leur prière et que le salut de tous, Dieu l’attend aussi de notre prière…

Avons-nous un temps suffisant pour prier ? Beaucoup plus que nous ne le pensons. Combien de moments de paresse et de distraction peuvent devenir instants de prière ? On peut offrir même le souci, s’il ouvre un dialogue avec Dieu. On peut offrir même l’épuisement qui empêche de prier et même l’impossibilité de prier. « La mémoire de Dieu, un soupir, sans même avoir formulé une seule parole, est déjà prière », dit saint Barsanuphe. Le starets Ambroise conseille : « Tous les jours, lisez un chapitre des Évangiles, et quand l’angoisse vous prend, lisez de nouveau jusqu’à ce qu’elle passe ; si elle revient, lisez de nouveau l’Évangile. » C’est le passage de « la parole écrite à la parole substantielle » (Nicodème l’Hagiorite) et ce passage est décisif pour la vie spirituelle. On consomme eucharistiquement la parole mystérieusement rompue, disent les Pères.

Extrait de : Paul Evdokimov, La nouveauté de l’Esprit,
Études de spiritualité, Bellefontaine (SO 20), 1977.

Message de Noël du patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie (2009)

5 janvier, 2010

du site:

http://www.egliserusse.eu/Message-de-Noel-du-patriarche-Cyrille-de-Moscou-et-de-toute-la-Russie_a909.html

Message de Noël du patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie

 Bienaimés dans le Seigneur membres de l’épiscopat,
Honorables Prêtres et Diacres,
Moines et Moniales aimés de Dieu,
Chers frères et sœurs !

En ce jour lumineux de la Nativité du Christ, je vous adresse mes vœux les plus cordiaux à l’occasion de cette grande fête.

Au cours de deux mille années, les chrétiens du monde entier, dans la joie et l’espérance, orientent leur regard spirituel vers l’événement qui représente une rupture dans l’histoire de l’humanité. La chronologie actuelle qui tire son origine de la Nativité et qui se trouve être la chronologie de l’ère chrétienne, témoigne par elle-même du caractère significatif de la venue du Christ Sauveur.

La grotte de Bethléem, où les animaux s’abritaient du froid de la nuit d’hiver, est l’image du monde qui un jour s’est éloigné de son Créateur et qui a ressenti l’affliction et les ténèbres de l’abandon de Dieu. Cependant, la nuit lumineuse de la Nativité a rempli de rayonnement non seulement la grotte qui a offert l’accueil à la très pure Vierge Marie, mais aussi toute la création, puisque par la naissance du Fils de Dieu, chaque homme qui vient dans le monde est illuminé par la Lumière de la vérité, comme en témoigne l’évangéliste Jean (Jn 1, 9).

Quelqu’un peut demander : que signifie la Lumière de la Vérité ? Nous trouvons la réponse à cette question dans le même récit évangélique de Jean. La Lumière de la vérité, c’est le Seigneur Lui-même, le Verbe de Dieu, lequel « s’est fait chair et a habité parmi nous, […] plein de grâce et de vérité » (Jn 1,14).

Par la Naissance du Sauveur, les hommes ont trouvé la possibilité d’avoir la grâce et la vérité (Jn 1, 17). La grâce est la force donnée par Dieu à l’homme en vue du salut. C’est précisément par cette force que les hommes sont vainqueurs du péché. Sans la grâce, on ne peut vaincre le mal, et donc vaincre tout ce qui obscurcit notre Vie.

La Vérité, c’est la valeur fondamentale de l’être. Si le fondement de la vie est le mensonge, l’erreur, alors la vie ne réussit pas. Certes, extérieurement, la vie d’un homme qui s’égare peut paraître entièrement réussie. Mais cela ne signifie pas que l’erreur soit anodine : tôt ou tard elle va apparaître, y compris sous forme de tragédie dans le destin humain.

La Lumière de la vérité, c’est la lumière divine, c’est la vérité divine. Elle est invariable et éternelle et elle ne dépend pas du fait que nous l’acceptons ou non. L’acception par l’homme de la vérité divine détermine avant tout le caractère de ses rapports avec les autres, la capacité, selon les paroles de l’Apôtre, de « porter les fardeaux les uns des autres » (Gal 6, 2), c’est-à-dire de faire preuve de solidarité avec le prochain, de participer aux joies et aux douleurs des autres. « A ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jn 13, 35) dit le Seigneur. Et pourtant, ces éternelles vérités divines qui seules sont capables de transfigurer notre vie, aujourd’hui cessent d’être des idéaux. Avec insistance, elles sont chassées de la conscience de l’homme moderne par l’irresponsabilité morale, l’égoïsme, la consommation, la négation du péché comme problème fondamental de l’existence humaine.

C’est précisément par la substitution de valeurs fausses aux valeurs véritables que s’explique la signification qui ne cesse de croître de ce qu’on appelle « le facteur humain » dans les événements tragiques qui emportent des centaines de vies humaines. C’est par là également qu’on explique aussi les crises qui, à l’échelle de la planète entière, ébranlent l’économie, la politique, le milieu qui nous entoure, la vie familiale, les rapports entre les générations et bien d’autres choses.

L’importance de la célébration de la Nativité du Christ consiste en ce qu’elle nous rend plus proches du Sauveur, nous aide à voir plus précisément son visage et de nous pénétrer de sa bonne nouvelle. Le Seigneur, encore et toujours mystérieusement, naît pour nous au plus profond de nos âmes « pour qu’on ait la vie et qu’on l’ait en surabondance » (Jn 10,10). L’événement de la nuit de Bethléem entre dans la vie contemporaine et nous aide à la voir d’un autre point de vue, parfois inhabituel et inattendu. Ce qui semblait le plus important et énorme, soudain apparaît comme étant de peu d’importance et éphémère, laissant la place à la grandeur et à la beauté de l’éternelle beauté divine.

Et c’est avec une force particulière que résonnent aujourd’hui les paroles du Sauveur : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin de l’âge » (Mt 28, 20). Ces paroles donnent l’espérance fondée sur la conviction solide que quelles que soient les tentations qui nous atteignent dans cette vie, le Seigneur n’abandonnera pas Son héritage.

L’année passée a été, dans notre Église, marquée par de nombreux événements importants. Le concile local qui s’est réuni à Moscou en la cathédrale Christ-Sauveur, après le décès de Sa Sainteté le Patriarche Alexis II, a élu son successeur. Fortifié par la prière et le soutien de l’épiscopat, du clergé et du troupeau des fidèles, dans l’espérance en la volonté divine, j’ai accepté le sort qui m’est échu du service patriarcal. Célébrant à Moscou, dans un nombre de diocèses de Russie, de même qu’en Ukraine, en Biélorussie et en Azerbaïdjan, j’ai connu la joie de la relation de prière avec notre pieux peuple orthodoxe, avec les gens jeunes et les gens âgés, avec ceux d’âge moyen et avec les enfants. Partout j’ai pu voir les visages rayonnants des gens, expression sincère d’une foi profonde. C’est devenu pour moi une expérience spirituelle très forte et un témoignage visible de l’unité de la Sainte Russie qui par la force de la foi de son peuple multinational surmonte les frontières sociales, de biens, d’âge, d’ethnies et autres, tout en conservant son unité spirituelle dans les conditions des réalités politiques contemporaines.

Cette unité est renforcée par l’Église une, dans laquelle, par la grâce de Dieu, est surmonté tout ce qui est temporaire et passager. Ici apparaît au regard humain l’authentique grandeur des valeurs intemporelles. C’est précisément pour cette raison que la Vérité divine doit servir d’orientation pour toute activité humaine, pour le développement et le mouvement en avant.

C’est une joie de voir qu’un nombre toujours plus grand de nos contemporains commence à reconnaître ses sources spirituelles, à apprécier sa tradition religieuse et culturelle. Et aujourd’hui, le triomphe de la fête est partagé, non seulement par les croyants fermement enracinés dans l’orthodoxie, mais aussi par ceux qui ne sont qu’en chemin vers la découverte de la foi salvatrice et, peut-être, pour la première fois traversent le seuil de l’Église, répondant dans leur cœur à l’appel évangélique.

En prière, je vous souhaite, éminents évêques, honorables pères, chers frères et sœurs, de nombreuses grâces du Christ, le divin enfant né à Bethléem, pour que par la grâce divine votre joie se multiplie, que soient guéries vos maladies, que vos afflictions soient consolées. Que la lumière de l’étoile de Bethléem soit un guide pour chacun d’entre nous et que le Seigneur bénisse les efforts dans le domaine de l’amélioration de la vie de l’Église, des états dans lesquels nous vivons, de nos sociétés, et qu’Il nous donne à tous de demeurer fidèlement dans la vérité évangélique.

+ Cyrille
PATRIARCHE DE MOSCOU ET DE TOUTE LA RUSSIE
Nativité du Christ
2009/2010, Moscou

Mardi 29 Décembre 2009

1...91011121314