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DIMANCHE 6 AVRIL : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT – Ezékiel 37, 12-14; Romains 8, 8-11

4 avril, 2014

http://www.eglise.catholique.fr/foi-et-vie-chretienne/commentaires-de-marie-noelle-thabut.html

DIMANCHE 6 AVRIL : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT

PREMIERE ET DEUXIEME LECTURE – Ezékiel 37, 12-14; Romains 8, 8-11

PREMIERE LECTURE – Ezékiel 37, 12-14
12 Ainsi parle le SEIGNEUR Dieu.
Je vais ouvrir vos tombeaux
et je vous en ferai sortir
ô mon peuple,
et je vous ramènerai sur la terre d’Israël.
13 Vous saurez que je suis le SEIGNEUR,
quand j’ouvrirai vos tombeaux
et vous en ferai sortir,
ô mon peuple !
14 Je mettrai en vous mon esprit,
et vous vivrez ;
je vous installerai sur votre terre,
et vous saurez que je suis le SEIGNEUR :
je l’ai dit,
et je le ferai.
– Parole du SEIGNEUR.

Ce texte est très court mais on voit bien qu’il forme une entité : il est encadré par deux expressions similaires ; au début « Ainsi parle le SEIGNEUR Dieu », à la fin « Parole du SEIGNEUR ». Un cadre qui a évidemment pour but de solenniser ce qui est encadré. Chaque fois qu’un prophète juge utile de repréciser qu’il parle de la part du Seigneur, c’est parce que son message est particulièrement important et difficile à entendre.
Le message d’aujourd’hui, c’est donc ce qui est encadré : c’est une promesse répétée deux fois et adressée au peuple de Dieu, puisque Dieu dit « ô mon peuple » ; les deux fois, la promesse porte sur deux points : premièrement « je vais ouvrir vos tombeaux », deuxièmement « je vous ramènerai sur la terre d’Israël », ou « Je vous installerai sur votre terre », ce qui revient au même. Ces expressions nous permettent de situer le contexte historique : le peuple est en exil à Babylone, réduit à la merci des Babyloniens, il est anéanti (au vrai sens du terme, réduit à néant), comme mort, c’est pourquoi Dieu parle de tombeaux.
Et donc l’expression « je vais ouvrir vos tombeaux » signifie que Dieu va relever son peuple. Si vous avez la curiosité de vous reporter à votre Bible, au chapitre 37 d’Ezékiel, vous verrez que notre petit texte d’aujourd’hui fait suite à une vision du prophète qu’on appelle « la vision des ossements desséchés » et il en donne l’explication. Je vous rappelle cette vision : le prophète voit une immense armée morte, gisant dans la poussière ; et Dieu lui dit : tes frères sont tellement désespérés dans leur Exil qu’ils se disent morts, finis… eh bien, moi, Dieu, je les relèverai.
Et toute cette vision et son explication que nous avons lue aujourd’hui, évoquent cette captivité du peuple exilé et son relèvement par Dieu. Car, pour le prophète Ezékiel, c’est une certitude : le peuple ne peut pas être éliminé parce que Dieu lui a promis une Alliance éternelle que rien ne pourra détruire ; donc, quelles que soient les défaites, les brisures, les épreuves, on sait que le peuple survivra et qu’il retrouvera sa terre, parce qu’elle fait partie de la promesse. « Je vais ouvrir vos tombeaux, ô mon peuple, je vous ramènerai sur la terre d’Israël » : au fond ces phrases n’ont rien d’étonnant : depuis toujours, le peuple d’Israël sait que son Dieu est fidèle ; et l’expression « Vous saurez que je suis le SEIGNEUR » dit justement que c’est à sa fidélité à ses promesses que l’on reconnaît le vrai Dieu.
Mais pourquoi répéter deux fois à peu près les mêmes choses ? A dire vrai, la deuxième promesse ne se contente pas de répéter la première, elle l’amplifie : elle redit bien « J’ouvrirai vos tombeaux et je vous en ferai sortir, ô mon peuple ! Je vous installerai sur votre terre, et vous saurez que je suis le SEIGNEUR » et tout cela au fond c’est le retour à l’état antérieur avant le désastre de l’exil à Babylone ; mais dans cette deuxième promesse, il y a autre chose, il y a beaucoup plus, il y a du neuf, du jamais vu : « Je mettrai en vous mon esprit et vous vivrez » ; c’est la nouvelle Alliance qui est dite là : désormais la loi d’amour sera inscrite non plus sur des tables de pierre, mais dans les coeurs. Ou pour reprendre une autre formule d’Ezékiel, les coeurs humains ne seront plus de pierre mais de chair.
Ici, donc, il n’y a pas d’hésitation possible, la répétition de la formule « ô mon peuple » montre clairement que ces deux promesses annoncent un sursaut, une restauration du peuple. Il n’est pas question ici d’une résurrection individuelle : pas plus qu’aucun des prophètes de son époque, Ezéchiel n’envisage encore une chose pareille. En fait, le peuple d’Israël n’a découvert la foi en la Résurrection qu’au deuxième siècle av.J.C. Jusque-là, on affirmait que les morts descendent au « Shéol » ; un lieu sombre dont on ne sait rien ; mais aussi curieux que cela nous paraisse aujourd’hui, c’est un sujet dont on se préoccupait peu. Car la mort individuelle n’atteint pas l’avenir du peuple ; or, pendant bien longtemps, c’est l’avenir du peuple, et lui seul, qui comptait. Quand quelqu’un mourait, on disait qu’il était « couché avec ses pères », mais on n’envisageait pas de survie possible ; en revanche la survie du peuple a toujours été une certitude puisque le peuple est porteur des promesses de Dieu. On peut dire que, pendant des siècles, on s’est intéressé au lendemain du peuple et non à celui de l’individu.
Pour croire en la Résurrection individuelle, il faut combiner deux éléments :
D’abord s’intéresser au sort de l’individu : ce qui n’était pas le cas au début de l’histoire biblique : l’intérêt pour le sort de l’individu est une conquête, un progrès tardif. Ensuite, un deuxième élément est indispensable pour que naisse la foi en la Résurrection : il faut croire en un Dieu qui ne vous abandonne pas à la mort.
Cette certitude que Dieu n’abandonne jamais l’homme n’est pas née d’un coup ; elle s’est développée au rythme des événements concrets de l’histoire du peuple élu. L’expérience historique de l’Alliance est ce qui nourrit la foi d’Israël. Or l’expérience d’Israël est celle d’un Dieu qui libère l’homme, qui veut l’homme libre de toute servitude, qui intervient sans cesse pour le libérer ; un Dieu fidèle qui ne se reprend jamais. C’est cette foi qui guide toutes les découvertes d’Israël ; elle en est le moteur.
Cinq siècles après Ezékiel, vers 165 av.J.C., ces deux éléments conjugués, foi en un Dieu qui libère sans cesse l’homme, découverte de la valeur de toute personne humaine, ont abouti à la foi en la résurrection individuelle ; au terme de cette double évolution, il est apparu évident que Dieu libèrera l’individu de l’esclavage le plus terrible, définitif de la mort. Cette découverte est si tardive dans le peuple juif qu’au temps du Christ, cette foi n’était pas encore partagée par tout le monde puisqu’on désignait les Sadducéens par cette précision « ceux qui ne croient pas à la résurrection ».
Il n’est bien sûr pas interdit de penser que la prophétie d’Ezéchiel dépassait sa propre pensée sans le savoir lui-même ; l’Esprit de Dieu parlait par sa bouche et maintenant nous pouvons penser « Ezéchiel ne savait pas si bien dire ».

DEUXIEME LECTURE – Romains 8, 8-11
Frères,
8 sous l’emprise de la chair, on ne peut pas plaire à Dieu.
9 Or vous, vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair,
mais sous l’emprise de l’Esprit,
puisque l’Esprit de Dieu habite en vous.
Celui qui n’a pas l’Esprit du Christ ne lui appartient pas.
10 Mais si le Christ est en vous,
votre corps a beau être voué à la mort à cause du péché,
l’Esprit est votre vie, parce que vous êtes devenus des justes.
11 Et si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts
habite en vous,
celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts
donnera aussi la vie à vos corps mortels
par son Esprit qui habite en vous.

« Je mettrai mon esprit en vous et vous vivrez » annonçait le prophète Ezéchiel (dans notre première lecture) ; désormais, depuis notre baptême, nous dit Paul, c’est chose faite. Il emploie une expression imagée : « L’Esprit de Dieu habite en vous ». La prenant au pied de la lettre, un commentateur de ce passage parle de « changement de propriétaire ». Nous sommes devenus des maisons de l’Esprit : c’est lui qui commande désormais.
Il serait intéressant de se demander, dans tous les secteurs de notre vie, personnelle et communautaire, qui est aux postes de commande, qui est le maître de maison chez nous, ou si vous préférez, quel est notre objectif, qu’est-ce qui nous « fait courir », comme on dit. D’après Paul, il n’y a pas trente-six solutions : ou bien nous sommes sous l’emprise de l’Esprit, c’est-à-dire que nous nous laissons guider par l’Esprit, ou bien nous ne nous laissons pas inspirer par l’Esprit et c’est ce qu’il appelle « être sous l’emprise de la chair ». Etre sous l’emprise de l’Esprit, on voit bien ce que cela veut dire, il suffit de remplacer le mot Esprit par le mot Amour. Et dans la lettre aux Galates, Paul explique ce que sont les fruits de l’Esprit ; « joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi », en un mot l’amour décliné selon toutes les circonstances concrètes de nos vies.
J’ai bien dit les « circonstances concrètes » : pour Paul la vie selon l’Esprit ne veut pas dire la tête dans les nuages ; Paul est l’héritier de toute la tradition des prophètes : or tous affirment que notre relation à Dieu se vérifie dans la qualité de notre relation aux autres ; et dans les chants du serviteur, Isaïe affirme très fermement que vivre selon l’Esprit de Dieu, c’est aimer et servir nos frères. Et les prophètes ont toujours des mots très durs pour ceux qui croient plaire à Dieu par des cérémonies magnifiques pendant que des pauvres meurent de faim ou de chagrin à leur porte.
Une fois définie la vie selon l’Esprit, ce qui veut dire tout simplement la vie selon l’amour, on déduit très facilement ce que Paul entend par vie selon la chair : c’est le contraire, c’est-à-dire l’indifférence ou la haine ; pour le dire autrement, l’amour c’est le décentrement de soi, la vie sous l’emprise de la chair, c’est le centrement sur soi. Ma question de tout-à-l’heure « Qui commande ici ? « se transforme alors en « Qui est le centre de notre monde ? »
Il est clair que sous l’emprise de la chair, dans ce sens-là, c’est-à-dire centré sur soi, on ne peut pas être en harmonie avec Dieu, accordé à Dieu qui n’est qu’amour. « Sous l’emprise de la chair, on ne peut pas plaire à Dieu » dit Paul.
Au contraire, le Christ est le Fils bien-aimé en qui Dieu se complaît, c’est-à-dire qu’il est en harmonie parfaite avec Dieu précisément parce que le Christ n’est lui aussi qu’amour. Dans ce sens le récit des Tentations, que nous avons lu pour le premier dimanche de carême, était saisissant : c’est au chapitre 4 de Matthieu. Il nous montre Jésus centré uniquement sur Dieu et sur la Parole de Dieu. Il refuse résolument de se centrer sur sa faim ni même sur les besoins de sa mission de Messie :
Première tentation : après quarante jours de jeûne, Jésus a faim… la tentation n’est pas là, bien sûr. Avoir faim au bout de quarante jours de jeûne, c’est normal, c’est même plutôt bon signe ! La tentation, c’est d’exiger de Dieu un miracle pour son bénéfice personnel, c’est de se prendre pour le centre du monde, si j’ose dire. « Ordonne à ces pierres de devenir des pains » lui susurre le tentateur, le diviseur. Jésus préfère mettre la Parole au centre du monde et de sa vie « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». Le fruit de l’Esprit, c’est la maîtrise de soi, la patience, dit Paul.
Deuxième tentation : « Jette-toi du haut du Temple, Dieu sera bien obligé de te protéger » ; réponse de Jésus : « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu ». Le fruit de l’Esprit, c’est la confiance en Dieu.
Troisième Tentation : « Détourne-toi de Dieu, prosterne-toi devant moi, tu seras le maître des royaumes de la terre » ; mais Jésus est complètement centré sur son Père et non sur ce qu’il pourrait obtenir pour lui : « Le Seigneur ton Dieu tu adoreras, c’est à lui seul que tu rendras un culte ». Le fruit de l’Esprit qui les résume tous, c’est l’amour, dit encore Paul.
Si ce texte des tentations nous est proposé chaque année en début de Carême, c’est parce que le temps du Carême est justement une entreprise de décentrement de nous-mêmes pour nous centrer sur les autres et sur Dieu.
Un peu plus loin dans cette même lettre aux Romains, Paul dit que l’Esprit de Dieu fait de nous des fils, c’est lui qui nous pousse à appeler Dieu-Père ; j’ai envie de dire « tel Père, tel fils ». Ce qui en nous est amour vient de Dieu, c’est notre héritage de fils. « L’Esprit est votre vie » dit encore Paul. Traduisez « l’amour est votre vie » ; d’ailleurs, nous savons tous d’expérience que seul l’amour est créateur.
Tandis que ce qui n’est pas amour ne vient pas de Dieu et parce que cela ne vient pas de Dieu, c’est voué à la mort. La très bonne nouvelle de ce texte d’aujourd’hui, c’est que tout ce qui en nous est amour vient de Dieu et donc ne peut mourir. Comme dit Paul, « Celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous ».

L’AVEUGLE-NÉ (JEAN 9, 1-40) – MÉDITATION DU MOINE DE L’ÉGLISE D’ORIENT (PÈRE LEV GILLET)

28 mars, 2014

http://www.pagesorthodoxes.net/guerison/j-guerit.htm#ave

L’AVEUGLE-NÉ (JEAN 9, 1-40)

(5E DIMANCHE APRÈS PÂQUES)

MÉDITATION DU MOINE DE L’ÉGLISE D’ORIENT (PÈRE LEV GILLET)

Dimanche dernier — le dimanche de la Samaritaine — nous chantions à la liturgie l’antienne de communion suivante :  » Réjouis-toi et sois dans l’allégresse, porte de la divine lumière [c’est-à-dire la Vierge Marie], car Jésus après avoir disparu dans le tombeau, s’est levé encore plus lumineux que le soleil, illuminant par cela tous les croyants « . Il y a là un retour au thème théologique et liturgique de la lumière, qui est si caractéristique de la spiritualité byzantine ; il y a là, plus particulièrement, un rappel du lien entre le Résurrection du Christ et l’illumination des consciences : car un fait extérieur, fut-il même la Résurrection de notre Sauveur, n’a de valeur pratique pour les âmes que s’il peut se traduire en elles par une augmentation de cette Lumière intérieure qui doit diriger toute notre vie. La lumière du Christ est un thème pascal essentiel. C’est ce thème que développe le cinquième dimanche après Pâques, appelé  » Dimanche de l’aveugle « , où la commémoraison de la guérison d’un aveugle introduit l’idée de notre propre cécité et de notre guérison.
Nous entendons, à la liturgie, le récit évangélique de la guérison de l’aveugle (Jean 9, 1-38). Jésus rencontre un homme, aveugle de naissance ; ayant fait une mixture de boue et de salive, Jésus envoie l’homme se layer dans la piscine de Siloé. L’homme recouvre la vue et devient l’objet de la curiosité hostile et des questions insidieuses des Pharisiens. Ceux-ci peuvent bien déclarer que Jésus est un pécheur : l’homme proteste qu’un pécheur n’a pas la puissance de rendre la vue à un aveugle. Expulsé par les Pharisiens, l’ancien aveugle est retrouvé par Jésus (ce n’est pas lui qui retrouve Jésus, mais c’est Jésus qui le retrouve, et ce fait est riche de sens). Jésus lui demande s’il croit au Fils de Dieu.  » Qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? « . Jésus répond :  » Tu le vois ; c’est celui qui te parle  » (On se rappellera la phrase toute semblable dite par Jésus à la Samaritaine).  » Alors il dit : Je crois, Seigneur, et il se prosterna devant lui « .
Cet épisode est une illustration de la phrase du prophète Isaïe :  » Alors les yeux des aveugles se dessilleront  » (Isaïe 35, 5), et d’une parole de Jésus lui-même :  » L’Esprit du Seigneur… m’a envoyé annoncer aux aveugles le retour à la vue  » (Luc 4, 18). Il est certain que la cécité physique, tout en étant l’objet de la sollicitude de Jésus (et l’on sait combien les maladies des yeux causent de souffrances en Orient), symbolise ici la cécité spirituelle dont Jésus délivre les hommes. Mais la guérison, dans Évangile que nous venons de lire, n’est pas séparable de la bonne volonté et de la foi sincère de l’aveugle. Le commentaire le plus autorisé de cet épisode nous est donné par l’Église elle-même, qui, dans deux des antiennes de ce dimanche, s’exprime ainsi :

 » Christ, notre Dieu, Soleil de Justice qui dépasse tout entendement, toi qui, en le touchant, a ouvert les yeux de l’aveugle-né, ouvre les yeux de nos âmes et fait de nous des enfants de lumière… « .

 » Je viens vers toi, ô Christ, les yeux de l’âme aveuglés comme l’aveugle-né et je crie vers toi avec repentir Tu es la Lumière à la suprême clarté pour tous ceux qui sont dans les ténèbres « .

ROMAINS 5,1-5 – COMMENTAIRE

21 mars, 2014

http://www.portdusalut.com/Fete-de-la-Trinite-Romains-5-1-5#

ROMAINS 5,1-5 – COMMENTAIRE

(Ce commentaire a été écrit pour la fête de la Trinité, je propose aussi parce que les étapes de lecture sont très proches de celles de dimance)

Plus haut Paul a montré, en Abraham, le croyant, que c’est Dieu qui fait de nous des justes par la foi et non notre pratique de la loi. Il évalue à présent la condition nouvelle à laquelle nous sommes ainsi promus.
Il évalue ce qui change à partir du moment où l’on vit dans la foi.
« Il renonce à la prétention d’acquérir le salut par ses seules forces, notamment à travers des œuvres prétendues bonnes »Blanchart –Feu Nouveau 4
La première partie de l’épître aux romains pouvait être intitulée : « libération ou justification de tous ceux qui croient », la seconde partie pourrait être intitulée « la certitude de notre espérance »
A partir de ce chapitre 5 ce n’est plus la foi qui est au centre de l’exposé de Paul : son regard se porte maintenant vers l’avenir incertain plutôt que vers la grâce de ceux qui sont établis dans la foi.
Il commence par une argumentation fouillée à propos de la certitude de notre espérance, certitude basée sur sa propre expérience et sur l’écriture.
Paul cite les expériences positives qui, elles, donneront la certitude, mais il n’éludera pas pour autant les expériences négatives qui elles, peuvent conduire à l’espérance.
« Conscient de son impuissance à gagner le salut, l’homme peut reconnaître en la personne du Christ l’unique médiateur par lequel nous est accordé ce que Paul appelle l’accès au monde de la grâce » Blanchard.
v.1 Jadis pécheurs, « nous voici en paix avec Dieu », puisque la foi nous rend solidaires de Jésus.
A propos de la traduction Segond traduit « ayons la paix », d’autres traductions disent
« nous devrions avoir la paix ».
Ce qui apparaît dès le premier verset , c’est que la justification est un fait acquis, contrairement à la conception juive qui l’espérait partiellement pour l’avenir, elle est porteuse de la Paix : « je vous donne ma paix ».

Une question se pose : quelles sont les conséquences de cette _ justification ?
Le premier fruit de la justification par la foi, c’est l’humble reconnaissance de notre état de pécheur et l’accueil plein de confiance en la miséricorde du Seigneur, donc du don de la paix.
Le « shalom » biblique comporte toute une gamme de significations : harmonie, paix, bien être. Si Paul utilise ce terme c’est pour exprimer que le justifié vit maintenant dans une harmonie rétablie avec Dieu, avec le prochain, avec lui.
Car, nous sommes libérés par la foi : « ainsi donc justifiés par la foi »
La 2e partie du verset annonce plutôt une certitude liée à l’espérance dans l’avenir. : Paul regarde loin devant, vers l’avenir final d’une paix entière.
L’espérance chrétienne n’est pas un optimisme béat, ni une confiance naïve en un avenir facile ni une fuite de ce monde, encore moins une fuite de la réalité et du passé.
L’espérance chrétienne se fonde sur la certitude de Jésus-Christ mort-ressuscité, certitude basée sur son don d’amour dans sa passion-mort et la réponse de Dieu le ressuscitant. La certitude de l’espérance est avant tout basée sur ce que Dieu a fait et ne cesse de faire pour son Christ, son peuple et pour nous.
C’est de cette certitude dont il est question dans les v 5-11.
La foi nous rend solidaires de Jésus. En lui, nous reconnaissons le Christ qui exerce sur nos vies sa puissance de « Seigneur » ressuscité. Il nous installe dans le monde de la grâce et nous introduit dans le palais de Dieu.
v2. Second fruit : nous y avons accès : grâce à l’invitation du roi au festin des noces. L’idée d’accès fait penser à l’introduction dans la salle de festin du roi de ceux qui sont entrés revêtus de l’habit de noces. Le justifié est introduit dans un état de grâce, l’habit de noces, l’Esprit, l‘amour dont il est revêtu.
Notre sujet de fierté ce ne sont pas nos mérites, mais l’espérance de la gloire de Dieu.
Aussi l’œuvre du Christ nous assure que Dieu veut nous rendre participants et nous conduire à sa gloire, à sa présence intime et définitive, déjà dès maintenant.
V3 : Troisième fruit : la persévérance, fidélité, espérance.
Nous oublions souvent le passage obligé que nous connaissons lors des difficultés, des détresses, des occasions de découragement. C’est le parcours du Christ. Nous les supportons comme un test (la valeur éprouvée), sachant que Dieu ne nous trompe pas quand il nous appelle à espérer. Car Dieu nous a donné cet Esprit qui nous apprend l’amour que Dieu nous porte déjà.
V5 : c’est le verset central : « l’espérance ne trompe pas ». Le choix de ce verset se justifie pour cette fête de la Trinité : il fait la relation entre l’Esprit Saint et l’amour de Dieu pour les hommes et l’amour au sein de la Trinité. La bible de Jérusalem traduit » l’espérance ne déçoit pas » « Dieu a répandu l’amour dans nos cœurs par
l’Esprit Saint ». C’est l’Esprit qui nous garantit à la fois le salut, l’amour de Dieu et l’avenir.
Après avoir évoqué la foi, l’espérance, Paul évoque maintenant l’amour. S’agit-il de l’amour de Dieu pour nous ou de notre amour pour Dieu ? (les exégètes discutent)
L’amour que Dieu a pour nous, celui qu’il nous a manifesté et donné, celui que nous avons pu expérimenter par la foi et qui nous a rétablis dans l’amitié avec Dieu, cet amour nous pouvons maintenant le manifester aux autres.
La preuve de la justification acquise réside dans l’œuvre d’amour qui s’accomplit présentement en nous par l’Esprit.
« Voici le plus profond des changements intervenus et qui a rendu les autres possibles qui a eu lieu au tréfonds de nous mêmes, au point qui nous constitue chacun comme un être original. L’amour de Dieu et de l’Esprit Saint qu’il le véhicule, nous ont été donnés. On remarquera que l’ordre des facteurs énoncés par Paul pourrait être renversé : a Esprit Saint donné ; b) amour répandu en nous ; c) espérance qui nous permet la confrontation avec l’épreuve ; d) et qui se résout ainsi en persévérance ; e) nous pouvons dès lors considérer les épreuves qui nous surviennent comme une occasion de fierté. Justement parce que nous avons reçu tout ce qui était nécessaire » A. Maillot dans l’Epître aux Romains p 136-137
C’est l’expérience de Paul sur le chemin de Damas et il pense à l’expérience de tous ceux qui ont été baptisés en Christ. C’est l’expérience de l’Esprit comme un amour qui a été répandu dans son cœur.
Ce qui est certain c’est que l’espérance ne sera pas déçue. A la différence de l’AT qui restait dans le provisoire, le chrétien fait déjà l’expérience de ce qu’il vivra pleinement. Un avant goût de la divinité a été répandu dans nos cœurs, c’est le don de la paix lorsque l’Esprit vient en nous.

HOMÉLIE POUR LA FÊTE DE LA TRANSFIGURATION

14 mars, 2014

http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/Homelie-pour-la-fete-de-la-Transfiguration_a1845.html

HOMÉLIE POUR LA FÊTE DE LA TRANSFIGURATION

Frères, il nous arrive, à nous chrétiens, d’être interpellés par nos contemporains agnostiques ou ayant perdu la foi sur l’utilité et le caractère pratique du message du Christ. Certains d’entre nous sommes en effet tentés d’intellectualiser un peu trop notre foi, ou encore de la socialiser à outrance, au détriment de la dimension proprement sotériologique. Je ne dis pas qu’il ne faille pas impliquer notre intellect lorsque nous scrutons la Parole du Christ. Au contraire, notre foi serait vaine si elle n’avait l’adhésion intégrale de notre raison. Ce que je veux dire, c’est que nous ne pouvons réduire le christianisme à une théologie abstraite, de même qu’il ne peut être considéré comme le signe d’une identité particulière.
La foi chrétienne est tout à fait concrète et, si j’ose dire, pragmatique. Ou plutôt, elle est essentielle, puisqu’elle nous touche au plus profond de notre nature, elle transfigure notre être tout entier. Aujourd’hui, lorsque nous célébrons la Transfiguration de Jésus-Christ, c’est le moment de nous en rappeler.
Je vais dire une chose un peu écrue, en vous demandant de me pardonner cette façon de parler, mais si la Transfiguration du Christ ne concernait que lui, notre Seigneur et Sauveur, nos contemporains agnostiques auraient eu raison de se moquer de nous et du caractère purement abstrait et intellectuel de notre foi. Mais nous, croyants, nous savons fermement que la Transfiguration de Jésus ne concerne pas lui seul, le Verbe devenu chair, le Fils de Dieu devenu Fils de l’homme. Elle est l’icône de notre propre transfiguration qui est rendue possible non par nos mérites, mais par l’incarnation de Dieu. D’ailleurs, tout ce qui est accompli par le Christ est une figure de ce qui doit nous arriver : sa mort, sa résurrection, son ascension et, bien sûr, sa transfiguration. Le Seigneur Jésus est le premier-né d’entre les morts, il nous précède dans le Royaume de Dieu, il a la primauté de tout en toute chose, comme notre guide, les Prémices de l’humanité tout entière.
Ainsi, frères, célébrer la Transfiguration de Jésus-Christ, ce n’est pas commémorer un événement passé, sans lien immédiat avec le présent. Célébrer la Transfiguration du Seigneur, c’est d’abord contempler l’union parfaite et indissoluble de la divinité et de l’humanité dans l’unique Christ, c’est aussi découvrir, avec une fascination pleine de gratitude filiale, la gloire incroyable que Dieu a réservée à ses saints, à ceux qui, dans le Christ, deviennent ses fils. C’est de voir combien grand est l’amour de Dieu pour nous, combien merveilleux est le dessein salutaire de la Trinité qui cherche irrévocablement à conduire l’humanité vers sa propre sainteté et béatitude. Dieu n’abandonne pas son image. Et quand cette dernière s’éloigne de lui et se défigure dans le mal et le péché, le Créateur lui-même descend, l’assume et la transfigure au contact avec sa divinité toute pure. L’humanité tout entière est transfigurée dans le Christ Jésus qui montre cette gloire afin que nous n’ayons plus jamais d’autre désir que celui de l’union extraordinaire, mais réelle, vraie, avec la Source de la vie. La lumière divine dans l’humanité assumée du Seigneur nous est révélée pour que nous n’ayons d’autre désir, comme Pierre, que de demeurer éternellement sur la Montagne avec notre Sauveur.

Séminaire Russe
Homélie pour la fête de la Transfiguration du Seigneur (2012)

DEUXIEME LECTURE – 1 CORINTHIENS 2, 6 – 10

14 février, 2014

http://www.eglise.catholique.fr/foi-et-vie-chretienne/commentaires-de-marie-noelle-thabut.html

DEUXIEME LECTURE – 1 CORINTHIENS 2, 6 – 10

Frères, 6 c’est bien une sagesse que nous proclamons   devant ceux qui sont adultes dans la foi,   mais ce n’est pas la sagesse de ce monde   La sagesse de ceux qui dominent le monde  et qui déjà se détruisent. 7 Au contraire, nous proclamons la sagesse du mystère de Dieu,   sagesse tenue cachée,  prévue par lui dès avant les siècles,  pour nous donner la gloire. 8 Aucun de ceux qui dominent ce monde ne l’a connue,  car s’ils l’avaient connue,   ils n’auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire. 9 Mais ce que nous proclamons, c’est comme dit l’Ecriture,  ce que personne n’avait vu de ses yeux   ni entendu de ses oreilles,   ce que le coeur de l’homme n’avait pas imaginé,   ce qui avait été préparé pour ceux qui aiment Dieu. 10 Et c’est à nous que Dieu par l’Esprit,   a révélé cette sagesse.   Car l’Esprit voit le fond de toutes choses,   et même les profondeurs de Dieu. 

Dimanche dernier, la lettre de Paul opposait déjà sagesse humaine et sagesse de Dieu : « Votre foi, disait-il, ne repose pas sur la sagesse des hommes mais sur la puissance de Dieu. » Et il insistait pour dire que le mystère du Christ n’a rien à voir avec nos raisonnements humains : aux yeux des hommes, l’évangile ne peut que passer pour une folie : et sont considérés comme insensés ceux qui misent leur vie dessus. Soit dit en passant, cette insistance sur le mot « sagesse » nous surprend peut-être, mais Paul s’adresse aux Corinthiens, c’est-à-dire à des Grecs pour qui la sagesse est la vertu la plus précieuse.  Aujourd’hui, Paul poursuit dans la même ligne : oui, la proclamation du mystère de Dieu est peut-être une folie aux yeux du monde, mais il s’agit d’une sagesse combien plus haute, la sagesse de Dieu. « C’est bien une sagesse que nous proclamons devant ceux qui sont adultes dans la foi mais ce n’est pas la sagesse de ce monde… Au contraire, nous proclamons la sagesse du mystère de Dieu… »  A nous de choisir, donc : vivre notre vie selon la sagesse du monde, l’esprit du monde, ou selon la sagesse de Dieu. Les deux ont bien l’air totalement contradictoires ! Nous retrouvons là le thème des autres lectures de ce dimanche : la première lecture tirée du livre de Ben Sirac et le psaume 118/119 développaient tous les deux, chacun à sa manière, ce qu’on appelle le thème des deux voies : l’homme est placé au carrefour de deux routes et il est libre de choisir son chemin ; une voie mène à la vie, à la lumière, au bonheur ; l’autre s’enfonce dans la nuit, la mort, et n’offre en définitive que de fausses joies.  « Sagesse tenue cachée » : une des grandes affirmations de la Bible est que l’homme ne peut pas tout comprendre du mystère de la vie et de la Création, et encore moins du mystère de Dieu lui-même. Cette limite fait partie de notre être même.  Voici ce que dit le livre du Deutéronome : « Au SEIGNEUR notre Dieu sont les choses cachées, et les choses révélées sont pour nous et nos fils à jamais, pour que soient mises en pratique toutes les paroles de cette Loi. » (Dt 29, 28). Ce qui veut dire : Dieu connaît toutes choses, mais nous, nous ne connaissons que ce qu’il a bien voulu nous révéler, à commencer par la Loi qui est la clé de tout le reste.  Cela nous renvoie encore une fois au récit du paradis terrestre : le livre de la Genèse raconte que dans le jardin d’Eden, il y avait toute sorte d’arbres « d’aspect attrayant et bon à manger ; et il y avait aussi deux arbres particuliers : l’un, situé au milieu du jardin était l’arbre de vie ; et l’autre à un endroit non précisé s’appelait l’arbre de la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux. Adam avait le droit de prendre du fruit de l’arbre de vie, c’était même recommandé puisque Dieu avait dit « Tu pourras manger de tout arbre du jardin… sauf un ». Seul le fruit de l’arbre de la connaissance était interdit. Manière imagée de dire que l’homme ne peut pas tout connaître et qu’il doit accepter cette limite : « Au SEIGNEUR notre Dieu (sous-entendu et à lui seul) sont les choses cachées » dit le Deutéronome. En revanche, la Torah, la Loi, qui est l’arbre de vie, est confiée à l’homme : pratiquer la Loi, c’est se nourrir jour après jour de ce qui nous fera vivre.

 Je reviens sur cette formule : « Sagesse tenue cachée, prévue par lui dès avant les siècles… ». Paul insiste plusieurs fois dans ses lettres sur le fait que le projet de Dieu est prévu de toute éternité : il n’y a pas eu de changement de programme, si j’ose dire. Parfois nous nous représentons le déroulement du projet de Dieu comme s’il avait dû changer d’avis en fonction de la conduite de l’humanité. Par exemple, nous imaginons que, dans un premier temps, acte 1 si vous voulez, Dieu a créé le monde et que tout était parfait jusqu’au jour où, acte 2, Adam a commis la faute : et alors pour réparer, acte 3, Dieu aurait imaginé d’envoyer son Fils. Contre cette conception, Paul développe dans plusieurs de ses lettres cette idée que le rôle de Jésus-Christ est prévu de toute éternité et que le dessein de Dieu précède toute l’histoire humaine.  Par exemple, je vous rappelle la très belle phrase de la lettre aux Ephésiens : « Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu’il a d’avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement, réunir l’univers entier sous un seul chef (une seule tête), le Christ. » (Ep 1, 9-10). Ou bien, dans la lettre aux Romains, Paul dit « J’annonce l’évangile en prêchant Jésus-Christ, selon la Révélation d’un mystère gardé dans le silence durant des temps éternels, mais maintenant manifesté et porté à la connaissance de tous les peuples païens… » (Rm 16, 25-26).  « Pour nous donner la gloire » : la gloire, normalement, c’est un attribut de Dieu et de lui seul. Notre vocation ultime, c’est donc de participer à la gloire de Dieu. Cette expression est, pour Paul, une autre manière de nous dire le dessein bienveillant : le projet de Dieu, c’est de nous réunir tous ensemble en Jésus-Christ et de nous faire participer à la gloire de la Trinité.  « Ce que nous proclamons, c’est, comme dit l’Ecriture, ce que personne n’avait vu de ses yeux, ni entendu de ses oreilles, ce que le coeur de l’homme n’avait pas imaginé, ce qui avait été préparé pour ceux qui aiment Dieu ». L’expression « comme dit l’Ecriture » renvoie à une phrase du prophète Isaïe : « Jamais on n’a entendu, jamais on n’a ouï-dire, jamais l’oeil n’a vu qu’un dieu, toi excepté, ait agi pour qui comptait sur lui. » (Is 64, 3). Elle dit l’émerveillement du croyant biblique gratifié de la Révélation des mystères de Dieu.  Reste la fin de la phrase « Ce qui avait été préparé pour ceux qui aiment Dieu » : y aurait-il donc des privilégiés et des exclus ? Y aurait-il des gens pour qui cela n’était pas préparé ? Bien sûr que non : le projet de Dieu, son dessein bienveillant est évidemment pour tous ; mais ne peuvent y participer que ceux qui ont le coeur ouvert. Et de notre coeur, nous sommes seuls maîtres. D’une certaine manière, c’est le saut dans la foi qui est dit là. Le mystère du dessein de Dieu ne s’ouvre que pour les petits. Comme le disait Jésus, « Dieu l’a caché aux sages et aux savants, et il l’a révélé aux tout-petits ». Nous voilà tout-à-fait rassurés : tout-petits, nous le sommes, il suffit de le reconnaître.

ECOUTE… SOUVIENS-TOI

29 janvier, 2014

http://www.bible-notes.org/article-271-ecoute-souviens-toi.html

ECOUTE… SOUVIENS-TOI

ECOUTER, SE SOUVENIR

Moïse expose la loi une seconde fois (c’est le sens du mot Deutéronome) au peuple, « en deçà du Jourdain, dans la plaine » (Deut. 1 : 1). Il est parvenu au seuil du pays de la promesse : les auditeurs auxquels il s’est adressé en Sinaï sont tous morts, Caleb et Josué exceptés. Selon la parole de l’Eternel, tous ceux qui n’avaient pas cru sont tombés dans le désert. Les petits enfants d’alors sont maintenant devenus des hommes : une nouvelle génération s’est levée, qui doit entrer en Canaan !
Ce livre du Deutéronome a donc été adressé principalement à des « jeunes ». Le vénérable serviteur dont Dieu s’est servi est à la fin de sa carrière : ce livre contient en quelque sorte ses dernières recommandations à la jeune génération. L’intérêt qu’il présente pour les jeunes gens est donc d’autant plus grand.
Moïse n’est pas ici un Législateur sévère, mais cet homme « très doux, plus que tous les hommes qui étaient sur la face de la terre » (Nom. 12 : 3). Il laisse parler son coeur, plein d’amour pour le peuple de Dieu. Dès les premiers chapitres, son langage direct frappe : Moïse interpelle le peuple, en se servant non seulement d’un « vous » collectif, mais aussi d’un « tu » fréquemment employé. Chacun se sent personnellement désigné, comme si l’affectueux et pressant intérêt de Moïse se portait directement sur lui.
Remarquons aussi que le Seigneur a emprunté à ce livre les différentes paroles dont Il s’est servi pour répondre à Satan lors de la tentation.
Autant de raisons pour recommander vivement aux jeunes croyants la lecture d’un livre aussi attachant.
Rappelons les trois divisions que l’on trouve dans le Deutéronome :
– les quatre premiers chapitres : c’est un rappel du passé
– la deuxième partie, qu’on pourrait appeler législative, se subdivise elle-même en deux : du chapitre 5 au chapitre 11, Moïse présente aux Israélites tous les motifs qu’ils ont d’obéir, puis dans les chapitres 12 à 26, il leur enseigne la manière dont ils devront se conduire en Canaan.
– la troisième partie enfin, présente des vues prophétiques, en particulier avec le cantique de Moïse et les bénédictions qu’il adresse au peuple.
Ce qui ressort partout, comme le sujet principal du livre, c’est l’obéissance requise de la part du peuple. Deux expressions, sur lesquelles nous désirons nous arrêter un peu, reviennent sans cesse : « Ecoute » et « Souviens-toi ».
C’est le message clef du Deutéronome !

Ecouter
Ecouter, c’est le chemin de l’obéissance ; obéir c’est d’abord écouter. C’est une des choses qu’il est vraiment difficile de réaliser parce que nous sommes, par nature, désobéissants. Un enfant déjà a de la peine à obéir, et plus tard, quand sa personnalité s’épanouit, la volonté propre se manifeste plus nettement encore. Moïse le savait bien, d’où l’insistance avec laquelle, enseigné de Dieu, il répète : « Ecoute, Israël… ».
Ecouter, c’est véritablement prêter l’oreille. Comment entendre la voix du Seigneur, si on laisse les bruits de ce monde la couvrir ? Comme pour le prophète autrefois, le Seigneur n’est pas actuellement dans le « grand vent impétueux déchirant les montagnes et brisant les rochers », ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu, mais dans la « voix douce, subtile » (1 Rois 19) ; puissions-nous avoir l’oreille attentive : elle seule peut discerner une telle voix.
Mais comment, d’une manière effective, écouter ? C’est en lisant la Parole écrite de la part de Dieu pour notre instruction, en prenant l’attitude de Marie assise aux pieds de Jésus pour « écouter sa parole » (Luc 10 : 39). Lisons régulièrement le Saint Livre, pour nous-mêmes. Rien ne remplace ce contact personnel : ni une méditation, ni la lecture des écrits qui nous aident à comprendre cette Parole, si précieuses que soient ces lectures, à leur place.
Lisons-la avec prière, avec foi, demandant au Seigneur de l’éclairer et de la bénir pour nos âmes. Lisons-la dès l’enfance, n’écoutons pas l’Ennemi qui nous suggère de remettre à plus tard, quand nous serons en âge de mieux la comprendre. Pensons au contraire à Samuel, tout jeune, répondant : « Parle, Seigneur, car ton serviteur écoute » (1 Sam. 3 : 10). Mettons à profit nos jeunes années pour lire « les saintes lettres qui peuvent rendre sage à salut » par la foi qui est dans le Christ Jésus (2 Tim. 3 : 15). Durant ces années où la mémoire est encore fraîche, où le coeur ne s’est pas encore durci du fait des soucis de la vie, il est plus facile de se ménager chaque jour un moment de répit.
Soyons nombreux à faire, avec Salomon, cette prière : « Donne à ton serviteur un coeur qui écoute » (1 Rois 3 : 9). Disposons notre coeur à écouter, de façon à vivre une vie de dépendance et de communion. Seule cette dépendance rendra notre service utile. Ne désirerions-nous pas « ne plus vivre pour nous-mêmes, mais pour Celui qui pour nous est mort et a été ressuscité » (2 Cor. 5 : 15) ? Il ne peut en être ainsi que si notre coeur est attentif à écouter Sa voix. Bien des années après Moïse, Samuel insiste à son tour sur l’obéissance : « L’Eternel prend-il plaisir aux holocaustes et aux sacrifices comme à ce qu’on écoute la voix de l’Eternel ? Voici, écouter est meilleur que sacrifice, prêter l’oreille, meilleur que la graisse des béliers » (1 Sam. 15 : 22).
Ecouter pour apprendre, écouter pour servir ; par-dessus tout, considérer sans cesse l’exemple du Seigneur Jésus lui-même. En communion constante avec son Père, Il n’avait, penserions-nous, nul besoin d’écouter ; cependant, Il a voulu qu’il soit justement dit de lui : « l’Eternel me réveille chaque matin, il réveille mon oreille pour que j’écoute comme ceux qu’on enseigne. Le Seigneur l’Eternel m’a ouvert l’oreille, et moi je n’ai pas été rebelle, je ne me suis pas retiré en arrière » (Es. 50 : 4, 5). Il a déclaré, en entrant dans le monde : « Tu m’as creusé des oreilles… Voici, je viens… pour faire ta volonté » (Ps. 40 : 6, 7 ; Héb. 10 : 9).

Se souvenir
« Souviens-toi… » ; « et tu te souviendras… » ; « n’oublie pas… » : constamment, ces paroles reviennent dans la bouche de Moïse. Il fallait donc encore, il faut aussi aujourd’hui, il faut toujours, se souvenir. Cette exhortation peut paraître étrange, adressée à des jeunes gens. La jeunesse regarde vers l’avenir devant elle et non vers le passé, si proche pour elle du présent, et si peu riche encore d’expérience, mais bien propre cependant à témoigner de la miséricorde du Seigneur.
« Et tu te souviendras de tout le chemin par lequel l’Eternel t’a fait marcher… ». Si court qu’il ait été encore, le chemin est jalonné des soins du bon Berger.
Souvenons-nous de ce foyer chrétien où Dieu nous a sans doute fait naître, de ces moments passés en famille à lire le Saint Livre, des précieux instants de communion fraternelle dans l’Assemblée. Souvenons-nous des chrétiens qui nous ont entouré dès l’enfance, « souvenons-vous de nos conducteurs qui nous ont annoncé la parole de Dieu » (Héb. 12 : 7). Souvenons-nous de tous les moyens dont le Seigneur s’est servi pour nous instruire, nous retenir près de lui, nous avertir, nous encourager… Souvenons-nous aussi de nos inconséquences, et de la grâce qui s’est alors occupée de nous ; souvenons-vous des faux pas, des désobéissances, de tout ce que nous avons dû apprendre à notre sujet.
« Souviens-toi et n’oublie pas » (Deut. 9 : 7).
« Souviens-toi », dit Moïse, en rappelant des épisodes humiliants ou réconfortants survenus durant la traversée du désert. La jeune génération aurait pu chercher à dire : il s’agit de nos pères ! L’histoire du peuple était aussi la leur, ils étaient tous solidaires.
Chrétiens, il en est ainsi dans l’Eglise : c’est en vain que nous chercherions à nier notre responsabilité personnelle. Courbons la tête en constatant le déclin, mais relevons-la pour regarder en haut, avec confiance et reconnaissance en voyant la fidélité du Seigneur à tous égards.
Avant tout, souvenons-nous de notre délivrance, nous qui avons été « justifiés gratuitement » par la grâce de Dieu, par la « rédemption qui est dans le Christ Jésus » (Rom. 3 : 24) : « Que tous les jours de ta vie, tu te souviennes du jour de ta sortie d’Egypte… » (Deut. 16 : 3). Souvenons-nous de notre rédemption et surtout du Rédempteur.
Chers croyants, la voix du Seigneur lui-même s’adresse à votre coeur : « Faites ceci en mémoire de moi » (Luc 22 : 19). Nous oublions facilement, mais Lui n’oublie pas. Il nous a « gravés sur les paumes de ses mains » (Es. 49 : 16), des mains qui furent percées pour nous et qui gardent le souvenir des choses souffertes. Il réveille aussi nos affections, afin que nous fassions ce qui est précieux à son coeur, « en mémoire de Lui ».
Comme le peuple autrefois – sur le point d’entrer en Canaan – nous sommes sur le point d’arriver à la maison du Père. Bientôt le Seigneur prendra les siens auprès de Lui. Nous n’aurons plus besoin de prêter l’oreille pour écouter : nous connaîtrons comme nous avons été connus (1 Cor. 13 : 12). Nous contemplerons à jamais le Seigneur, nous le verrons tel qu’Il est (1 Jean 3 : 2). Mais le souvenir de ce qu’Il a fait, et de ce qu’Il a été pour nous, sera vivace durant l’éternité. En attendant, prenons garde à Sa voix qui nous redit, pour notre sûreté et notre bénédiction : « Ecoute… Souviens-toi ».

M. C. – article paru dans « La feuille aux jeunes »

MIS À PART DÈS LE SEIN DE MA MÈRE  » (biblique)

20 janvier, 2014

http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/1319.html

 » MIS À PART DÈS LE SEIN DE MA MÈRE « 

Approfondir  … Choisis par Dieu pour une mission divine, Jérémie et Paul sont « mis à part dès le sein maternel » : pour quels enjeux ? Parmi les personnages bibliques choisis par Dieu pour une mission divine, Jérémie et Paul sont  » mis à part dès le sein maternel ». Si l’expression n’est pas utilisée pour Samson, Jean-Baptiste ou Jésus, les parallèles sont pourtant nombreux. Quels sont les enjeux de cette mise à part ? Comment éclaire-t-elle la mission donnée à l’élu ? Et quelle liberté réserve-t-elle à l’appelé ? L’expression « mis à part » (ou « consacré » selon les traductions), signifie « choisi parmi un groupe pour être institué dans une mission ». Elle sous-entend une délimitation, une définition et une séparation. Dans l’Ancien Testament, elle qualifie la distinction entre le pur et l’impur, entre le profane et le sacré. Elle désigne également la mission confiée au peuple élu (Cf. Lv 20,26).

• Le choix de Dieu La mise à part s’inscrit dans le mouvement de l’appel de Dieu. Pour Jérémie, Paul, Samson ou Jean-Baptiste, choisis dès le sein de leur mère, l’initiative du choix revient à Dieu de manière absolue. La perception d’un Dieu qui façonne sa créature dans le sein maternel, qui en connaît d’emblée toute l’existence (Cf. Ps 139), est placée ici au cœur de la vocation. Cette tradition est complétée dans le Psaume 51 (50) où l’élu de Dieu se reconnaît pécheur dès le sein de sa mère, et donc déjà placé sous le regard de Dieu. On peut parler d’une « prédestination » de la part de Dieu qui raisonne comme un appel à orienter engager toute sa vie sur la voie qu’il nous ouvre. La mise à part est liée aussitôt à une mission. C’est là son fondement et son but. Jérémie est mis à part dès le sein maternel car Dieu « fait (de lui) un prophète pour les nations « . De même, Paul est mis à part pour voir se révéler le Fils et l’annoncer aux païens. Jean-Baptiste, lui, reçoit la mission d’être prophète du Très-Haut, de marcher devant, sous le regard du Seigneur, et de préparer ses chemins (Lc 1,16.76).

• La réponse de l’élu Pour accomplir sa mission, l’élu est supposé avoir une vie intime avec le Seigneur, une connaissance particulière. L’assurance de la présence du Seigneur avec lui ou de l’Esprit en lui, le rendra fidèle à sa mission. Sa fidélité ne lui vient pas d’une qualité personnelle qu’il détiendrait mais de sa capacité à accueillir la grâce de Dieu. Ainsi Jérémie se considère trop jeune ou incapable d’assumer sa mission au point de maudire le jour de sa naissance. Mais le Seigneur lui confirme son choix à plusieurs reprises pour lui ôter ses doutes. L’élu devient comme l’instrument du Seigneur. La consécration réduirait-elle la liberté de l’élu, puisque sa mise à part a lieu dès le sein de sa mère ? Le Seigneur appelle et suscite une réponse de l’élu. Celui-ci accepte d’accueillir sa grâce, son Esprit, devenir son mandataire et rester fidèle en dépit de l’adversité rencontrée. Les réticences de Jérémie à l’encontre de l’appel divin montrent qu’entre Dieu et son envoyé, s’instaure un dialogue. La liberté de l’élu se situe non pas du côté de l’appel, mais du côté de sa réponse et de son consentement à faire la volonté de Dieu. L’appelé ne connaît pas d’emblée la mission qui lui est confiée. Il la découvrira progressivement, se laissera modeler par elle, et aura à l’accepter librement (ou y renoncer) à chaque instant. Elle s’inscrit dans le dessein de Dieu, lequel échappe à l’élu. C’est dans ce oui à la volonté de Dieu que se dit la liberté de l’appelé. Jésus accomplit pleinement cette adhésion libre à la volonté du Père. Sa mise à part et sa mission sont exprimées dès l’Annonciation : le fruit du sein de Marie est saint et béni, recevra le nom de Jésus, sera grand et appelé fils du Très-Haut, recevra le trône de David son père et régnera pour toujours (Lc 1,31-32). Sa conception mystérieuse par l’action de l’Esprit Saint manifeste la volonté de Dieu. Sa mission accueillie et assumée, Jésus la vivra dans la connaissance intime du Père. Il priera pour la partager avec ceux que le Père lui a donnés et qu’il lui demande de consacrer alors (Jn 17). Mis à part et consacré pour la mission, Jésus vient accomplir et donner sens à toute vocation.

Christophe RAIMBAULT.

DES FEMMES ACCOMPAGNAIENT JÉSUS

14 janvier, 2014

http://www.ssccjm.org/spiritualite/femmesbible/lesfemmesdanslabible_desfemmesaccompagnejesus.html

DES FEMMES ACCOMPAGNAIENT JÉSUS

On comprend que des femmes qui avaient par Jésus recouvré leur intégrité physique ou morale, des femmes guéries « sauvées », se soient attachées à Jésus. Or, Jésus a laissé un groupe de femmes se joindre à celui de ses disciples. Nous ignorons dans quelle mesure il l’a provoqué. Mais c’est un fait, à la vérité exceptionnel et qui paraît unique en Palestine. « Jésus proclamait et annonçait la bonne nouvelle du Règne de Dieu. Les Douze étaient avec lui et aussi des femmes qui avaient été guéries d’esprits mauvais et de maladie : Marie, dite de Magdala, dont étaient sortis sept démons; Jeanne, femme de Chouza, intendant d’Hérode; Suzanne et beaucoup d’autres qui les aident de leurs biens. » L’on peut se demander comment était considéré de l’extérieur ce groupe de femmes dont beaucoup étaient d’anciennes malades et certaines sans doute d’anciennes prostituées. Jésus a accepté des présences qui ne devaient pas contribuer à sa réputation. Ce ne sont pas des femmes idéales qui suivent Jésus. On s’est souvent demandé pourquoi Jésus n’avait pas choisi de femmes dans le collège des Douze (ou parmi les soixante-douze). C’est une question pour le moins incongrue lorsqu’on connaît le statut de la femme juive au temps de Jésus. Elles ne pouvaient pas prêcher en public, encore moins dans les synagogues où elles n’avaient pas le droit de parler ni même d’être en vue. Comment ces femmes, à qui était refusé le « témoignage » auraient-elles pu porter un message public ? Du moins faut-il dire que, dès l’origine, la Bonne Nouvelle fut colportée à la fois par des hommes et par des femmes. Nous saurions bien peu de choses de ces femmes qui ont dû peu compter aux yeux de leurs collègues masculins si, par un de ces retournements dont Dieu seul a le secret, ces femmes, fidèles à Jésus jusqu’à la croix et à l’ensevelissement, n’allaient être les premières informées de la Résurrection.

Les femmes et la Résurrection Après la mort de Jésus, les hommes se cachent (Mc 16, 8; Jn 20, 19), mais les femmes, qu’ont-elles à perdre ? Leur reconnaissance et leur amour sont plus forts que la mort. Elles suivent une logique dont on pourrait dire qu’elle est celle du cœur, car enfin qui roulera la pierre du tombeau?… Or, la pierre est roulée, la tombe vide. C’est l’effroi et le message : « Pourquoi chez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici; il est ressuscité. » (Lc 24, 6). Les femmes sont donc chargées du message qui est le Roc de la foi chrétienne; c’est un point sur lequel on semble avoir peu réfléchi. Luc (encore lui) souligne que les hommes ne les ont pas crues; ces récits de femmes leur apparaissent comme un délire (Lc 24, 10-11). Pierre se rend au tombeau, et lorsque Jésus eut apparu à Pierre, la chose est sérieuse (Lc 24-34).

Prier avec les femmes de la Bible  Dans la plus ancienne confession de foi chrétienne sur la Résurrection (1 Co 15, 5), l’ordre des témoins de la Résurrection est hiérarchique : Pierre d’abord, ensuite les Douze. Il n’y est pas question des femmes; Juridiquement, leur témoignage n’est pas acceptable. Il ne semble pourtant pas que le Ressuscité ait suivi la même « logique » que celle de ses disciples masculins. Dans la finale de Marc (16, 14), Jésus reproche aux Onze leur incrédulité et la dureté de leurs cœurs parce qu’ils n’avaient pas cru à ceux qui l’avaient vu ressuscité. Or qui donc n’avait pas été cru, sinon en premier lieu les femmes ?

Beaucoup d’autres femmes En plus de celles évoquées, traversent l’Évangile : femmes en chair et en os, ou femmes fictives des paraboles de Jésus, tout aussi vivantes d’ailleurs. Femmes de tous âges et en toutes situations : adolescentes comme la fille de Jaïre ou vieilles femmes comme Élisabeth, Anne la prophétesse, ou la belle-mère de Pierre… jeunes filles dans la joyeuse attente d’une fête de mariage (les vierges folles ou les vierges sages), heureuses épouses, mères comblées ou mères désolées (la Syro-phénicienne, la veuve de Naïn), veuves (Anne, la veuve importune), célibataires comme peut-être Marthe et Marie, les sœurs de Lazare… femme qui accouche, femme qui moud son blé, pétrit son pain ou balaie sa maison; femmes qui bavardent avec leurs voisines ou pleurent sur le passage du condamné… Jésus a posé son regard sur chacune de ces femmes, sur chacune de ces situations. Il est le premier rabbi de la tradition juive à employer des personnages féminins dans ses paraboles. Cela est significatif. Si la femme est faite, comme l’homme, à l’image de Dieu, sa vie, si ordinaire qu’elle soit, a quelque chose à nous dire du mystère de Dieu. Dès lors, tout change pour la femme… Jésus, par son attitude, nous révèle le dessein d’amour de Dieu sur la femme tout autant que sur l’homme.

2. Les femmes et Paul Les affirmations de l’apôtre Paul au sujet des femmes, voilà le sujet le plus épineux dans le dossier; il a fait couler beaucoup d’encre et déverser bien des paroles, tant du côté de ceux et celles qui accusent Paul de misogynie que de ceux qui l’en défendent. Mon propos n’est pas d’envisager et de régler toutes les questions soulevées par les textes attribués à Paul. J’ai surtout l’intention de présenter les femmes que Paul nous fait connaître comme ses principales collaboratrices. Reste que sa visée fondamentale, Paul l’indique dans un passage célèbre : « Vous êtes tous, par la foi, fils de Dieu en Jésus-Christ… Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus ni l’homme ni la femme; car vous n’êtes qu’un dans le Christ. » (Ga 3, 26-28). En tous cas, sa pratique témoigne de l’estime qu’il porte à celles qui ont été ses collaboratrices dans la mission. Paul a eu le don de s’adjoindre d’importantes collaboratrices dont il a d’ailleurs plus d’une fois reconnu la valeur et le mérite dans ses lettres. Parmi toutes ces femmes, s’en détachent quelques-unes. Comme, par exemple, cette Phébée, que Paul salue comme sa « sœur et comme diaconesse de la communauté de Cenchrées », à Corinthe… Diaconesse : ce titre que Paul se donnait à lui-même et à son frère Timothée, il n’hésite pas ici à l’attribuer en toute égalité à sa « sœur » Phébée. C’est dire à quel point Paul valorisait le travail de cette femme missionnaire, animatrice et éducatrice de la foi dans sa communauté chrétienne locale (Romains 16, 1-3). Priscille fut une autre excellente collaboratrice de Paul au cours de ses voyages apostoliques (Actes 18, 1-4. 20-22. 24-26 ; Romains 16, 3-5). C’est à Corinthe qu’on la rencontre pour la première fois. Elle vient d’y entrer avec son mari Aquilas; elle a dû quitter Rome, car l’empereur Claude avait donné l’ordre d’expulser tous les Juifs de la ville. L’arrivée du couple à Corinthe change la vie de Paul : il ne met pas de temps à les connaître et à se lier d’une grande amitié avec eux. Il faut dire que les trois, Priscille, Aquilas et Paul, exercent le même métier : ils sont faiseurs de tentes. C’est en travaillant ensemble qu’ils découvrent une même passion pour l’annonce de la Bonne Nouvelle de la mort et de la résurrection de Jésus. Ils décident alors d’habiter ensemble : Priscille et son mari ouvrent leur maison à leur ami. C’est ainsi que Paul se consacre à la formation de ses amis pour en faire des collaborateurs dans la prédication de l’Évangile aux Corinthiens. Priscille est impressionnée par le témoignage de vie et l’engagement apostolique de son maître. Aussi, quand Paul lui laisse entendre qu’il va quitter Corinthe pour aller à Éphèse, elle veut le suivre. Aquilas consent bien volontiers à les accompagner. À sa grande joie, Paul découvre à Éphèse une Église solidement affermie. Il décide alors de ne pas s’y installer, escomptant que Priscille et son mari peuvent fort bien y poursuivre l’œuvre d’évangélisation. Sa confiance n’est pas déçue. Priscille ouvre sa maison pour y accueillir la communauté chrétienne. Appuyée sur son mari, elle prend l’initiative de s’offrir pour compléter la formation théologique et biblique d’un lettré juif d’Alexandrie : Apollos. Ce n’était pas tâche facile que d’avoir à enseigner à ce savant qui voulait prêcher Jésus Christ, mais ignorait tout de sa mort et de sa résurrection. Priscille le fait avec patience et tact. Elle réussit si bien qu’Apollos joue plus tard un rôle important à Corinthe. C’est d’ailleurs la préoccupation première de ce couple de laïcs que de préparer des ministres de la Parole pour animer les communautés naissantes. Après un certain temps, Priscille juge que sa mission est accomplie à Éphèse; la communauté locale qu’elle accompagne avec son mari s’est prise en charge : ils peuvent partir. C’est à Rome qu’ils décident de rentrer après la mort de l’empereur Claude. Là aussi Priscille ouvre sa maison aux chrétiens et chrétiennes de cette ville. C’est précisément en terminant la lettre adressée à cette communauté que Paul célèbre avec gratitude les mérites de Priscille et d’Aquilas. Il rend témoignage de leur engagement apostolique auprès des païens : « Saluez Priscille et Aquilas, mes coopérateurs dans le Christ Jésus; pour me sauver la vie, ils ont risqué leur tête et je ne suis pas seul à leur devoir de la gratitude : c’est le cas de toutes les Églises du monde païen; saluez aussi l’Église qui se réunit chez eux. » (Romains 16, 3-5). Priscille est une femme forte qui puise dans la mort et la résurrection de Jésus le courage de faire face à de grands défis : l’exil, les voyages longs et difficiles, le pouvoir des Apôtres, les persécutions; tout cela pour protéger Paul et ses compagnons. Priscille est une femme respectueuse de la personnalité de son mari; cela ne l’empêche pas d’affirmer et de développer la sienne; elle est capable de concilier leurs dons différents pour s’engager ensemble dans l’animation des Églises locales. Disciple de Paul, elle fait preuve de tact, d’imagination et d’esprit d’initiative pour former des ministres de la Parole. Faisant surgir des communautés chrétiennes partout où elle s’arrête, Priscille contribue remarquablement à l’expansion de l’Église.

  Sr Lise Plante, ss.cc.j.m.

LE CARDINAL LUSTIGER MÉDITE LE MAGNIFICAT

5 janvier, 2014

http://www.paris.catholique.fr/311-20-Le-cardinal-Lustiger-medite.html

LE CARDINAL LUSTIGER MÉDITE LE MAGNIFICAT

La liturgie du 15 août, pour l’Assomption de la Vierge Marie, nous donne d’entendre l’évangile de la Visitation. A cette occasion, Mgr Lustiger propose aux lecteurs de Paris Notre-Dame une méditation sur le Magnificat de la Vierge Marie. Une bonne manière d’entrer dans ce mystère et surtout dans ce que Dieu nous demande aujourd’hui.

[| »Mon âme exalte le Seigneur ;
Exulte mon esprit en Dieu mon Sauveur.
Il s’est penché sur son humble servante ;
désormais tous les âges me diront bienheureuse.
Le Puissant fit pour moi des merveilles : saint est son Nom ». (Lc 1, 46-55)|]

D’abord, nous aurions tort de comprendre ces mots qui nous sont si familiers comme une sorte d’improvisation où la Vierge Marie ferait des confidences sur son état d’esprit. Si vous regardez attentivement votre bible, vous voyez dans la marge une colonne entière de références de citations de l’Ancien Testament. Le langage du Magnificat est totalement biblique. Si vous en aviez le temps, il vaudrait la peine de relire dans la bible ces différents passages et de découvrir pourquoi la Vierge Marie a retenu ces mots qui ne sont pas d’elle mais qui ont nourri sa prière. C’est elle qui parle d’une manière très personnelle et pourtant c’est la Parole de Dieu qui est sa parole. Nous sommes à l’opposé de l’entreprise poétique quand nous cherchons à dire les choses et à traduire nos sentiments avec une expression neuve et originale. Marie représente le destin le plus singulier dans toute l’histoire de l’humanité, au centre de l’ouvre du salut. Or son langage est celui que Dieu lui-même a mis sur ses lèvres au jour unique de la Visitation et qu’il ne cesse de mettre sur les lèvres des croyants. Le « je » du Magnificat est celui de Marie. Et par le « je » de Marie, c’est toute l’histoire d’Israël qui nous est rappelée. Le « je » de Marie c’est le « je » de tous les croyants qui l’ont précédée. Mais, le « je » de Marie, c’est aussi le nôtre. Par sa bouche, c’est l’Eglise entière qui parle, l’Eglise concrète constituée « d’âge en âge », de « génération en génération » par ces hommes et ces femmes qui se sont succédés dans l’histoire et dont nous faisons partie. Qui a chanté ce chant ? Marie, une fois ou plusieurs fois, nous n’en savons rien. Mais combien plus, des milliards de fois plus, les générations successives de chrétiens qui ont pris ces mots, en ont reçu une lumière et ont trouvé le sens de leur vie dans ce mystère donné à chacun de nous en Marie. Le Magnificat, loin d’être une projection sur Marie toute seule, nous prend, avec Marie, dans le faisceau lumineux de l’histoire du salut et nous fait entrer dans notre vocation, alors même que nous rendons grâce à Dieu pour l’appel qu’elle a reçu et la grâce qui lui est faite, à elle, pour nous. Enfin, lorsque Marie prononce ces paroles, elle porte Jésus en son sein. Le récit de la Visitation est cet extraordinaire dialogue sans paroles des deux enfants dans le sein de leur mère, enfants-prophètes qui tressaillent de joie l’un à l’égard de l’autre. Les merveilles que chante Marie, elles lui sont d’abord données, en sa chair et son cour. Le Magnificat propose à notre méditation et à notre adoration le plus extrême réalisme de l’Incarnation dans sa condition la plus secrète et la plus fragile. Il nous place devant la réalité charnelle, humaine du Verbe de Dieu fait homme : Dieu lui-même veut se rendre présent parmi nous en celle qui, en ce moment précis de l’histoire du salut, est « la Demeure de Dieu parmi les hommes » (Ap 21,3), figure de l’Eglise. Le « je » de Marie, c’est à la fois elle, Marie ; c’est la Parole de Dieu, l’histoire d’Israël, toute l’Eglise. Les merveilles que Dieu fait pour elle sont les merveilles qu’il fait pour nous et pour toute l’humanité appelée à la sainteté. Et ce « je » de Marie est totalement centré sur Dieu. Le sujet du verbe, c’est le Seigneur (« il fit, il s’est penché. Saint est son Nom »).

« Son amour s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent ». L’idée que nous nous faisons de l’amour dans la culture contemporaine est floue, parfois dévalorisée et réduite à la réalité physique, et souvent marquée par la fragilité, l’inconsistance ou la seule affectivité. Lorsque nous entendons Marie employer ce mot, nous pouvons mettre dessous les synonymes suggérés par les diverses traductions. Son amour, c’est-à-dire sa miséricorde, sa bienveillance, sa tendresse, sa fidélité. « Sur ceux qui le craignent ». Dans la bible, l’expression « les craignant-Dieu » ne recouvre d’aucune façon une crainte d’esclave ou une notion de servitude. Ce n’est ni la peur du gendarme, ni celle du knout, ni celle du surveillant, ni celle du tyran ! La crainte de Dieu, « commencement de la sagesse » dit le livre de La Sagesse, exprime ce qu’un être humain, découvrant Dieu, saisit dans ce vis-à-vis : Dieu est plus grand que lui. La crainte de Dieu (le mot est trompeur en français) n’est pas faite de peur, mais d’un infini et confondant respect devant un amour si grand que nous nous en jugeons indignes et dont cependant nous voulons faire la règle de notre vie. La crainte de Dieu est empreinte non seulement de déférence respectueuse, mais surtout du sentiment de notre propre indignité et de la nécessité pour nous de donner toute notre vie à Dieu, en découvrant ainsi la réalité de Dieu. C’est l’éblouissement de l’amour véritable. Car l’amour véritable n’est pas un amour où on est seul à aimer et dont on se grise de façon narcissique, tel le jeune et beau Narcisse – qui se contemple dans le miroir de l’eau et finit par se noyer dans sa propre image ! « L’amour qui s’étend d’âge en âge » est l’amour du Tout Autre qui se fait tout proche. La crainte de Dieu est l’amour véritable par lequel le vis-à-vis de Dieu et de sa créature est donné comme une grâce. Cette découverte fondamentale d’une telle relation à Dieu est peut-être un des aspects de la grâce du Renouveau [charismatique NDLR], offerte à notre siècle. Siècle souvent de grande sécheresse spirituelle et de profond oubli de la réalité divine, car l’idée chrétienne – la Révélation que le Christ a faite du mystère de Dieu-Amour – s’est effacée devant la puissance grandissante de l’homme. Plus qu’une découverte de l’affectivité ou de la sensibilité, le Renouveau a été, par le don de l’Esprit, la re-découverte, l’irruption de Dieu lui-même en notre siècle qui s’était séparé de Dieu en s’enfermant dans sa propre suffisance. Le Renouveau n’est pas un renouveau fabriqué par l’homme, mais c’est le Renouveau que Dieu opère dans les hommes en les changeant, en se manifestant « à nouveau » à eux, en ouvrant la porte qu’ils ont fermée sur eux-mêmes pour empêcher Dieu. « Son amour s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent ». C’est la découverte de Dieu et que Dieu nous aime. Et parce qu’il nous aime, nous pouvons, pauvrement, l’aimer. Notre amour n’est que la réponse à son amour ; il est toujours insuffisant, toujours en deçà ; mais il est notre joie.

[|
« Déployant la force de son bras,
il disperse les superbes ;
il renverse les puissants de leur trône,
il élève les humbles ».|]

Toutes ces expressions se trouvent dans l’Ecriture. Souvent on s’étonne du petit air révolutionnaire que prend le Magnificat et on l’a parfois interprété comme un chant subversif, la Carmagnole version évangélique ! Quels sont ces humbles que Dieu élève ? Et s’agirait-il d’une subversion systématique de l’ordre établi ? En vérité, cette phrase nous pose, aujourd’hui plus que jamais, la question de l’ensemble du projet humain. Quel monde l’homme se construit-il pour lui-même ? Quels sont ces puissants, les superbes, les orgueilleux ? Pour répondre je prendrai comme guide cette parole de Jésus : « Là où est ton trésor, là est ton cour » (Mt 6, 21). Quel est le trésor dans lequel l’homme investit son cour, c’est-à-dire sa liberté ? Le mot « cour » dans la bible dépasse largement les sentiments pour signifier l’intelligence, la capacité de choix, tout ce qui constitue un destin humain. Bref, c’est le choix que l’homme fait de ce à quoi il va consacrer non seulement son temps, son énergie, mais lui-même. Il va s’y donner au point d’être pris entièrement. On en a des exemples multiples à l’échelle de toute une civilisation ou à l’échelle des destins personnels. Prenez un sportif de compétition : l’entraînement est tel qu’il ne fait plus que cela, il est son sport ; c’est la condition de sa réussite. Le tout est de savoir ce qu’on fait de sa vie. Chacun de nous est bien obligé de répondre lorsqu’il se pose lui-même un certain nombre de questions ou lorsque le Seigneur lui en pose ! Rappelez-vous la parabole de Jésus (Lc 12, 16-21) : un homme riche avait accumulé des richesses ; il s’était dit : « Je vais démolir mes greniers pour en construire de plus grands ; j’y rassemblerai tout mon blé et mes biens. Et je me dirai : Repose-toi, fais bombance ! » – « Insensé, cette nuit même on te redemandera ta vie et ce que tu as accumulé, qui l’aura ? » Jésus le dit encore d’une autre manière : « Que sert à l’homme de gagner l’univers s’il vient à perdre son âme ? » (Lc 9, 25) ou « Que donnera l’homme qui ait valeur de sa vie, en échange de son âme ? » (Mt 16, 26). Réponse : rien ; elle n’a pas de prix. Prenez une civilisation maintenant. Que sommes-nous en train de construire ? La mondialisation dont on parle tant, sur quoi repose-t-elle ? Sur le calcul financier et économique. L’univers social dans lequel nous vivons, univers de l’image, de la représentation, des apparences, sur quoi repose-t-il ? Quel univers construisons-nous ? Vers quelles fascinations notre civilisation conduit-elle ? D’abord, la fascination du pouvoir jusqu’à la violence la plus extrême ; et le pouvoir engendre la guerre. Nous le voyons dans les Balkans, dans le Caucase, en Afrique – au Burundi, au Rwanda : l’épreuve de ces peuples est terrible ; l’héroïsme des chrétiens qui résistent à cette idole de la violence remplit d’admiration et force le respect. Donc, la volonté de puissance, l’amour de l’argent, la possession des biens, l’ambition de maîtriser la vie. Mais au prix de combien de meurtres ? Combien de gens sacrifiés et de victimes de toute espèce ? Et encore, l’érotisation d’une société, souvent pour des raisons bassement mercantiles. Bref, on n’en finirait pas d’énumérer les traits d’un paganisme moderne, idolâtrique. Il a pour caractéristique première que l’homme s’investit dans les objets de son désir et en devient prisonnier. Et ce faisant, il entend déployer sa propre suffisance, mais il arrive à la négation de lui-même. C’est l’image de Babel. Alors, quel monde voulons-nous construire ? Ce monde suffit-il à combler le cour de l’homme ? A cette question fondamentale dont nous sommes les témoins, Marie déjà dans son Magnificat répondait par une phrase jugée subversive, nous montrant par toute sa vie le chemin. Pour nous, êtres humains « créés à l’image et à la ressemblance de Dieu », la seule réalité qui soit à notre mesure dépasse radicalement l’homme. Nous sommes faits pour Dieu. Non pas comme des esclaves seraient faits pour leur maître ou des outils pour ceux qui les manient. Nous sommes faits pour Dieu comme l’aimé pour celui qui l’aime ; et celui qui aime trouve sa joie dans celui dont il tient la vie. Nous sommes faits pour Dieu. Seul, lui, notre Créateur, notre Père, notre Rédempteur est le terme que nous pouvons proposer à l’ambition humaine. Car seul il correspond à notre désir le plus profond et il nous rend libres à l’égard de tout. Comme l’a écrit saint Augustin : « Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cour est sans repos tant qu’il ne repose en toi » (en latin : « Fecisti nos ad te, Domine ; et inquietum est cor nostrum donec requiescat in te »). Ce qu’il faut compléter par « Ama et fac quod vis » : « Aime et fais ce que tu veux ». Les humbles sont précisément ceux qui ne veulent pas se prendre eux-mêmes pour leur propre fin, mais qui acceptent de tout recevoir – et de se recevoir – de la main de Dieu. Sinon, toutes choses deviennent périlleuses lorsque l’homme en fait le but exclusif de son existence ; elles se retournent tôt ou tard contre lui. Ainsi en va-t-il du mauvais usage des techniques et du savoir-humain (le courant écologique, pour sa part, le met en évidence) avec leur lot de conséquences néfastes sur l’alimentation, la nature, l’urbanisme, etc. Comme si l’homme abusait de ce qu’il se proposait comme objectif ; comme si, à un moment donné, il ne parvenait plus à maîtriser, dans un juste équilibre, les réalités auxquelles il se consacre ; comme s’il allait toujours au-delà de la limite, au prix d’une destruction de soi-même ; comme s’il était incapable non pas de mesurer exactement son effort, mais de garder la bonne cible. Il croyait trouver une porte, un chemin de liberté et il se heurte à un mur. Il croyait vivre et il se tue. Il croyait construire une société conviviale et il déclenche la haine. Il croyait produire des richesses et il fait des pauvres. Il croyait aimer la vie et il la limite jusqu’à la détruire. Il croyait en la puissance de sa raison et de son intelligence et il tombe dans le mensonge. Il y a une perversion des meilleures choses parce qu’on ne s’en sert pas de la bonne façon ; comme celui qui voudrait se saisir d’un couteau en le prenant par la lame, il se blesserait lui-même. Rien de tout cela n’est Dieu. L’homme se construit des dieux avec des choses qui ne sont pas dignes de lui. Seul Dieu est digne de l’homme parce que c’est Dieu qui nous a faits, je le répète, à son image et à sa ressemblance. Cette humilité de la Vierge Marie qui reconnaît le don de Dieu lui permet de recevoir aussi en ce don toutes les réalités que l’homme, par ailleurs, veut s’approprier. Le monde nous est donné par Dieu, encore faut-il ne pas oublier Celui qui nous le donne. Nous sommes faits pour l’adorer et, recevant toutes choses de sa main, nous en servir pour notre bien et le bien de nos frères. A partir du moment où nous oublions le Donateur, le don lui-même est perdu. Jésus le dit dans une formule paradoxale : « A celui qui a il sera donné ; à celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera retiré » (Mt 13, 12). En perdant le Donateur, nous perdons la réalité humaine, historique, dans laquelle l’homme grandit. Cette strophe du Magnificat nous montre en peu de mots le but de l’existence humaine, ce pour quoi nous sommes faits, où est le vrai bonheur. En même temps, elle trace le chemin d’une civilisation où la vie de l’homme trouve sa dimension véritable dans l’accueil de l’amour qui vient de Dieu, qui est Dieu.

[| »Il comble de biens les affamés
il renvoie les riches
les mains vides ».|]

De quelle faim s’agit-il ? De la faim la plus fondamentale comme le suggère la béatitude de Jésus en saint Matthieu (5, 6) : « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, ils seront rassasiés ». De quelle justice s’agit-il ? Non seulement de la justice entre tous les hommes, l’équité dans la distribution des biens ou la considération des personnes ; mais de la justice divine : la sainteté même de Dieu qui est la perfection de la vie humaine. La faim qui apparaît en notre siècle est finalement, quoi qu’on en dise, la faim de la vie avec Dieu. Dans le verset précédent, nous avons vu comment la Vierge Marie nous met sur le chemin de la construction d’une société humaine digne de ce nom, avec le combat constant que cela implique de par le choix de nos libertés. Ici, elle nous montre et veut nous faire découvrir l’appétit insatiable de l’homme pour celui qui l’a créé. Ces dernières décennies, nous avons vu une résurgence, une remontée à la conscience commune de l’Occident des recherches de type dit « spirituel ». Alors que notre siècle, avait parié sur une destruction de la religion avec « la mort de Dieu », sur une raison ou une science triomphante qui aurait remplacé toutes les autres sources de comportement. Aujourd’hui, à nouveaux frais, on s’aperçoit avec le foisonnement du « spirituel » que la dimension religieuse fait partie de la condition humaine, que l’homme est un animal à fabriquer du divin ou, plutôt, à diviniser toutes choses. Sous couvert soit de bouddhisme ou de religion orientale, soit de technique psychologique ou de méthode de méditation, beaucoup de nos contemporains se sont engagés sans trop savoir où ils allaient ni pourquoi, si ce n’est en raison de cette recherche intérieure qui les habite. Ils se sont trompés, ceux qui prédisaient que tout cela appartenait à un âge révolu de l’humanité. Au contraire, dans le vide et la sécheresse actuels, l’instinct religieux réapparaît, foisonnant jusqu’à se fabriquer de nouveaux dieux. On a été étonné de la crédulité de certains contemporains face à des inventions fantasmatiques qui comblent leur soif ou leur faim par une nourriture creuse, telle une drogue, qui endort cette faim. Dans certains pays, en particulier de l’Est qui, pendant un demi-siècle, parfois presque un siècle, ont été sous la dure loi d’un athéisme d’Etat et de la persécution de la religion, des peuples entiers ont été dépossédés de leur mémoire et de leurs traditions chrétiennes, comme culture. En raison de cette déculturation de la foi chrétienne, ils sont dans un état de désert inouï. Et on s’aperçoit que dans ce désert calciné les gens se jettent sur n’importe quel substitut et peuvent prendre « des vessies pour des lanternes ». Le Curé d’Ars disait plus cruellement : « Laissez un village sans prêtre, bientôt ils adoreront les bêtes ». Sur de grandes étendues de l’humanité le déracinement de la mémoire chrétienne, au sens de la présence de l’Evangile, peut engendrer une fausse expérience spirituelle qui asservit plus lourdement encore. Il y a là un enjeu capital pour notre mission en ce siècle. En effet, la raison humaine n’est pas suffisante pour fournir un outil critique permettant de discerner entre les idoles qui aliènent, les mensonges qui falsifient comme une drogue le désir de Dieu ou de vie mystique et la rencontre véritable de Dieu. La législation actuelle sur les sectes, telle qu’on la voit s’élaborer pour les pays européens en est la preuve. Vous savez les débats qui existent entre les Etats-Unis et l’Europe à ce sujet ; et, sur ce point, nous ne sommes probablement qu’au début d’une période difficile. Comment distinguer la vraie mystique de la fausse mystique ? Comment reconnaître le véritable chemin qui conduit à découvrir le mystère de Dieu et avancer dans cette direction, au lieu de s’engager dans une impasse pour se repaître d’expériences illusoires qui asservissent l’homme ou le laissent sur sa faim ? Nous savons, nous, que seul Dieu, Vivant et Vrai, est capable de nous désapprendre des idoles et des fausses visions que l’homme se donne à lui-même. Voilà des millénaires que le Seigneur a commencé à faire comprendre la différence entre le vrai prophète et le faux prophète, entre le Dieu vivant et les dieux morts. Voilà des millénaires qu’un croyant a eu l’audace de regarder le sphinx dans le blanc des yeux en lui faisant les cornes et de lui dire avec le psalmiste : « Il a des yeux et il ne voit pas, il a des oreilles et il n’entend pas. Que ceux qui les ont faits leur deviennent semblables » (Ps 115, 5). Il fallait avoir de l’audace et le courage de la foi pour braver ainsi la fascination de ces idoles majestueuses ! Les idoles de notre temps le sont moins et sont moins esthétiquement accomplies que le Sphinx d’Egypte ; mais leur fascination ne s’en exerce pas moins. Alors, le témoignage d’une vie spirituelle forte qui ouvre un vrai chemin de liberté intérieure ; qui humanise en plénitude en nous libérant de nous-mêmes tout en nous donnant le goût de Dieu, l’expérience véritable de la prière qui n’est pas superstitieuse mais nous fait grandir et entrer dans le mystère de Dieu en nous identifiant au Christ (la prière chrétienne n’est rien d’autre que de suivre le Christ), sont le seul chemin pour aider notre monde à trouver sa liberté et la voie qui le mènera à la vérité. Nous sommes responsables en notre temps d’une plus grande exigence spirituelle chrétienne. Précisément parce qu’il existe un foisonnement de revendications ou de demandes spirituelles. Il y a un siècle, dans une atmosphère de rationalisme desséché, on pouvait se dire : toute reconnaissance de la force du religieux est un peu un réconfort pour le croyant. Aujourd’hui, la crédulité est générale et les gens risquent de prendre n’importe quoi pour argent comptant, fût-ce les superstitions les plus grossières ; regardez la place que les horoscopes occupent dans l’univers médiatique ! Pensez à l’imaginaire de la science-fiction. Beaucoup de jeunes, parmi les moins armés et les moins éduqués à l’esprit critique, le prennent pour un intermédiaire presque réel. On est très loin des contes de fées d’autrefois avec toute l’extension de l’image virtuelle ! Il y a là une fascination et une perversion de la liberté humaine. Certes, le travail de la raison consiste à dire : ne prenez pas des vessies pour des lanternes, car, pour parler comme le psalmiste : « Ils ont des yeux et ils ne voient pas. ». Mais la vraie réponse au problème actuel est de montrer où est la Vie. Et comment montre-t-on où est la Vie ? En vivant. Comment montre-t-on où est Dieu ? En priant. Comment l’amour de Dieu se fait-il découvrir ? En rendant témoignage de l’amour qu’il nous porte et en commençant à l’aimer ; en entrant dans cette grâce qui nous est faite d’être « rassasiés de son amour ». Car « Il comble de bien les affamés » chante Marie. La faim de l’homme est rassasiée. Tandis que Jésus promettra à ses disciples : « Celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura plus jamais soif. Celui qui mangera de ce Pain que je lui donnerai vivra pour l’éternité ; il aura en lui la vie éternelle » (Jn 6, 35. 58). Cette nourriture divine est Dieu lui-même. Nous devons à nos frères contemporains ce témoignage qui seul peut les libérer.

[| »Il relève Israël, son serviteur
il se souvient de son amour,
de la promesse faite à nos pères
en faveur d’Abraham
et de sa race à jamais ».|]

« Israël, son serviteur ». Déjà lorsque Marie répond à l’Ange de l’Annonciation qu’elle est « la servante du Seigneur », « son humble servante » dans le Magnificat, ce mot éveille immédiatement en résonance le « Serviteur » tel qu’Isaïe le décrit, à la fois Israël, un peuple, et le Messie, « le » Serviteur souffrant dont il est écrit : « C’était nos souffrances qu’il portait, nos péchés dont il était accablé. Nous le croyions châtié, humilié, mais il nous apportait la rédemption, la libération et la guérison » (cf. Is 53, 4-5). C’est Jésus, Fils de Dieu, fils d’Abraham, fils de David, qui a pris chair dans le sein de la Vierge Marie ; c’est Jésus dans sa réalité historique et singulière qui est l’objet de l’action de grâce de Marie. Mais, en même temps, elle nous met sur la voie de notre propre Magnificat. Car, dire « qu’il relève Israël son serviteur, qu’il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères », c’est évoquer la résurrection du Seigneur, avant même que Marie ne puisse le savoir ou le pressentir. Le « relevé d’entre les morts » est le secret ultime que le Christ confiera à ses apôtres, lors de la purification du Temple : « Détruisez ce Temple, en trois jours je le relèverai » (Jn 2, 19 sq). Saint Jean ajoute : « Lorsque Jésus se releva d’entre les morts, ses disciples se souvinrent qu’il avait parlé ainsi et ils crurent à l’Ecriture ainsi qu’à la parole qu’il avait dite ». Nous aussi, le Christ ressuscité nous charge d’en « être les témoins » (cf. Lc 24, 48). Avec Marie, il nous invite à participer à cet acte de rédemption. Dans la situation présente du monde où nous vivons, nous savons que nous sommes les bénéficiaires d’une grâce incommensurable : avoir part à cette promesse faite aux pères, être entré dans cette alliance pour laquelle Dieu a disposé de son peuple et singulièrement de la Vierge Marie. N’a-t-il pas voulu que « depuis la fondation du monde nous soyons les uns et les autres appelés et choisis pour rendre témoignage à son amour » ? (cf. Ep 1, 4). Toute l’histoire du salut est ainsi évoquée ; non pas seulement comme un spectacle devant nos yeux, mais comme un acte dans lequel nous sommes impliqués : la rédemption du monde ici et maintenant, l’ouvre de Dieu en train de s’accomplir en son Fils Jésus. Car l’unique Sauveur des hommes, c’est le Christ Jésus. Car l’unique Sauveur des hommes, c’est le Christ Jésus. Il est « la Voie, la Vérité, la Vie » (Jn 14, 6). Il n’est pas une forme possible de l’idéal humain. Il n’est pas une expression supérieure de l’homme transfiguré. Il est celui que la Vierge Marie porte dans son sein et qui, Verbe de Dieu fait homme, au jour de la Visitation fait bondir de joie Jean Baptiste dans le sein de sa mère (Lc 1, 41). Il est celui qui est mort, crucifié à Jérusalem, et qui est ressuscité au jour de Pâques. Ses apôtres l’ont vu ; Thomas a touché ses plaies. Il est celui dont le corps livré pour la multitude est la source de Vie qui repose sur nos lèvres et habite notre cour. Il est celui qui nous a donné son Esprit saint. Et nous, nous sommes chrétiens, non seulement en raison des déterminations de l’histoire, des cultures et des civilisations. Nous ne sommes pas chrétiens seulement comme en Asie d’autres sont bouddhistes ou comme ailleurs d’autres sont musulmans. Certes, c’est une ouvre de grâce qui passe par ces conditions de la naissance. Mais Dieu nous a choisis et appelés pour que le mystère de la rédemption s’accomplisse et se déploie dans le temps de l’histoire. La grâce qui vous est donnée d’être disponibles à l’appel du Christ, de rendre témoignage à son amour, en un mot, la mission, n’est donc pas une spécialité parmi d’autres, un choix parmi d’autres offerts à l’Eglise comme certains auront une activité de caractère social, d’autres s’occuperont de loisir, d’éducation, d’autres auront une plus grande sensibilité à tel aspect du christianisme, chacun dans ce grand magasin ecclésial étant attiré par l’article de son choix, faisant de la mission une option toute facultative ! Non ! Car c’est la volonté de Dieu que son serviteur soit dans le monde celui par qui la vie est donnée. Volonté de Dieu que la Vierge Marie accueille et reçoit : « Qu’il me soit fait selon ta Parole », rejoignant d’avance ce que Jésus dira à Gethsémani : « Non pas ma volonté, Père, mais la tienne » (Lc 22, 42), « Non pas ce que je veux, mais ce que tu veux » (Mc 14, 36). Ce consentement à la volonté de Dieu est un enfantement de la liberté humaine par ce mystère d’amour qu’est le mystère de la Croix. Et nous y sommes associés. Pourquoi ? Comment ? Non seulement par le don de notre vie et l’offrande de nous-mêmes, unis au Christ, grâce à l’Esprit qui nous habite et nous rend semblables au Fils ; mais aussi en annonçant ce mystère pour que d’autres naissent à la vie, comme Dieu le veut. Ceux à qui nous annonçons cette Parole et qui l’accueillent, Dieu les a destinés à poursuivre, à leur tour, son ouvre de salut à travers les siècles, les cultures et les nations jusqu’à ce que le Jour du Seigneur soit accompli, avec le Jugement ultime de toutes choses. Il nous échappe et nous n’avons pas à nous en tourmenter. « Ne jugez pas, dit le Seigneur, et Dieu ne vous jugera pas » (Mt 7, 1) ; le Jugement ne vous appartient pas ; c’est Dieu lui-même qui juge et lui seul. « Lorsque Dieu essuiera toute larme de nos yeux » (Ap 7, 17), que « toutes les nations seront rassemblées devant le trône du Fils de l’Homme » (Mt 25, 32), lorsque nous verrons enfin la vérité de toutes les vies humaines, l’histoire de l’humanité nous apparaîtra sous un jour dont nous ne savons rien actuellement, si ce n’est que Dieu est miséricordieux et veut que tous les hommes soient sauvés. Mais il veut aussi que l’homme, dans sa liberté, respecte l’amour pour lequel il est fait, la vérité dont il a faim et dont il doit se rassasier, la beauté de la vie que Dieu en son Fils Jésus est venu lui « donner en abondance » (Jn 10, 10). Disciples de Jésus, nous sommes appelés à être le Christ présent en ce monde et dans l’histoire. Puisque Dieu vous a choisis, personne ne vous remplacera. Là où vous êtes, vous êtes les yeux du Christ, vous êtes les mains du Christ, vous êtes les pieds du Christ, vous êtes la parole du Christ. Nous n’en sommes pas dignes, ni les uns ni les autres. C’est pourquoi il nous faut sans cesse nous convertir et recevoir cette « miséricorde de Dieu qui s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent ». C’est pourquoi il nous faut sans cesse recourir à l’intercession maternelle de Marie et de l’Eglise qui nous replonge dans ce flux de grâce et nous donne le courage de la foi. Le Christ lui-même est à l’ouvre en tous ceux qui, par la maternité de la Vierge et de l’Eglise, sont enfantés à la vie de Dieu. La fête de l’Assomption de la Vierge Marie n’est que l’anticipation de ce jour ultime auquel nous aurons accès.

En attendant, quelques repères :
La Promesse. « Il se souvient de la promesse faite à nos pères en faveur d’Abraham et de sa descendance à jamais ».
La descendance : tous ceux aussi dont Jésus parle au soir de la dernière Cène : « Je ne prie pas seulement pour eux, dit-il, au Père (pensant à ses disciples présents autour de lui), mais pour tous ceux qui croiront en moi grâce à leur parole, grâce à leur témoignage » (Jn 17, 20).
Les témoins : vous et le Christ en vous qui accomplit l’ouvre du salut.

LE VERBE S’EST FAIT CHAIR. AU FIL DU TEXTE : JN 1,1-18

3 janvier, 2014

http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/541.html

LE VERBE S’EST FAIT CHAIR. AU FIL DU TEXTE : JN 1,1-18

COMMENTAIRE AU FIL DU TEXTE  

Prologue à l’évangile L’évangile selon Jean s’ouvre par un texte admirable mais difficile : le Prologue. En quelques lignes il nous livre la nouveauté de la révélation chrétienne. Ecrit dans un langage poétique, d’une construction très élaborée, le texte de Jn 1,1-18 est rythmé en trois mouvements principaux. Il chante successivement la préexistence du Verbe (v. 1-5) sa présence auprès des hommes (v. 6-15), son incarnation en la personne de Jésus (v. 16-18). Au commencement (v.1-5)  »Au commencement était le Verbe » : c’est la reprise des premiers mots de la Bible où l’on nous dit qu’  »au commencement » Dieu créa le ciel et la terre. Le premier verset du Prologue rappelle donc le premier verset de la Bible, pour que nous contemplions le Verbe qui n’a pas été créé, qui existe de toute éternité, qui est  »auprès de Dieu ». On apprend ainsi que le Verbe n’existe pas pour lui-même, mais qu’il est tourné, tendu vers Dieu. C’est une manière de dire qu’il se reçoit de Dieu en même temps qu’il se donne à lui. Depuis toujours, il est vers Dieu, et il est Dieu. Comme tel, précise le Prologue, le Verbe a été le maître d’œuvre de la création, puisque tout a été fait par lui et que rien ne subsiste en dehors de lui. Du Verbe, ce texte nous dit enfin qu’il est inséparablement vie et lumière. Tout au long de son évangile, Jean appliquera ces deux mots à la figure de Jésus qu’il présentera comme la  »Lumière du monde » (8,12) et  »la Résurrection et la Vie » (11,25). Non sans évoquer le récit de la Genèse, ces mots s’inscrivent pourtant ici dans un contexte de résistance et d’opposition. Mais le texte du Prologue est ambigu, et les traducteurs hésitent. En traduisant  »la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée », on soulignera la force et la victoire du Verbe dans son combat contre les ténèbres. En traduisant  »et les ténèbres ne l’ont pas comprise », on mettra l’accent sur le refus de la Lumière par quelques-uns. Du Verbe lumière au Verbe fait chair (v.6-15) Nous voilà maintenant conduits sur terre. Après la contemplation du Verbe dans son éternité, le texte nous oriente vers un homme, Jean (il s’agit de Jean-Baptiste). Et l’évangéliste précise qu’il  »n’était pas la Lumière mais il était là pour lui rendre témoignage » (vv.7-8). Pourquoi une telle précision ? Pourquoi, dans le verset suivant, cette autre remarque :  »Le Verbe était la vraie Lumière » (v.9) ? On pourrait penser que la polémique prend ici le pas sur la méditation. Il n’en est rien. De manière décisive, le Prologue distingue le Verbe qui était  »dès le commencement tourné vers Dieu » et Jean-Baptiste, un homme venu de la part de Dieu. Mais il élève Jean-Baptiste au rang de témoin privilégié de la Lumière. Ce qui fera dire plus loin à l’auteur du Quatrième évangile :  »Ce qu’il a dit au sujet de cet homme est vrai » ( 10, 41). À cela s’ajoute pourtant un double constat douloureux concernant le Verbe.  »Il était dans le monde, dit le Prologue,  »lui par qui le monde s’était fait, mais le monde ne l’a pas reconnu. Il est venu chez les siens, et les siens ne l’ont pas reçu » (v.11). Heureusement, certains l’ont accueilli et ils sont devenus  »enfants de Dieu » (v.12). Nous sommes ici au cœur de la composition poétique du Prologue, exactement au milieu. Nous sommes également au cœur de la pensée johannique. La Première Lettre de Jean le réaffirmera : il n’y a pas de don plus grand que celui de devenir enfant de Dieu (1 Jn 3,1-2). Suit une dernière mention du Verbe. Des mots nouveaux apparaissent : chair, gloire, Fils unique, Père. Du Verbe, dont nous savions qu’il existe depuis toujours et que tout subsiste en lui, nous apprenons maintenant qu’il est entré dans l’histoire des hommes. Lui, le Fils unique, il a pris notre chair, et  »nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son Père… » (v.14). Mystère étonnant de la manifestation de la Gloire de Dieu dans et à travers l’incarnation du Verbe. Enfin le texte évoque une dernière fois Jean-Baptiste pour qu’on entende de ses lèvres l’aveu de sa dépendance radicale :  »Lui qui vient derrière moi, il a pris place devant moi… » (v.15). Jésus Christ (v. 16-18) Dans ces versets, le  »Verbe » disparaît et un nom apparaît : Jésus Christ (v.16). Face à un autre nom : Moïse. Comme pour relier – ou opposer ? – l’ancienne et la nouvelle alliance. Vient un ultime verset :  »Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fis unique qui est dans le sein du Père, c’est lui qui a conduit à le faire connaître » (v.18). Et voilà que tout s’éclaire : Jésus Christ, le Fils unique, est le Verbe fait chair. En lui, Dieu a livré à l’humanité la plénitude de sa grâce. Par lui, le Père s’est fait connaître. Tel est le cœur de la révélation chrétienne. En Jésus-Christ, Dieu  »a planté sa tente parmi nous ». Il s’est fait Parole vivante. Pour que nous découvrions son vrai visage et notre vrai visage. En Jésus Christ, le Verbe fait chair, la création a été saisie et transfigurée par celui qui est à l’origine de tout et qui entretient avec le Père une relation unique. Pour que nous reconnaissions en chaque être humain la lumière divine et que nous devenions enfants de Dieu.

 Pierre DEBERGÉ.

Note : Il a planté sa tente Le Verbe a  »habité » chez les hommes. Mieux, il a  »planté sa tente ». Pourquoi insister sur cette image ? Souvenons-nous : lors de l’exode et du séjour au désert, Le Seigneur avait fait construire une tente, lieu de rencontre entre lui et Moïse et signe de sa présence au milieu de son peuple. De plus la  »Gloire » du Seigneur remplissait cette tente (Exode 40,34-38). Pour le Quatrième évangile, la personne de Jésus est désormais le lieu saint où les hommes rencontrent Dieu.

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