Archive pour la catégorie 'Noël 2010'

L’âne et le boeuf de la crèche

18 décembre, 2010

du site:

http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/0/17/57/33/fichiers-pdf/ane-et-boeuf-de-la-creche.pdf

L’âne et le boeuf de la crèche

Peut-on imaginer une crèche provençale sans l’âne et le boeuf ? Autant imaginer une bouillabaisse
sans rascasse !
Pourtant, ces deux paisibles animaux ne sont pas mentionnés dans les évangiles canoniques, mais seulement dans un évangile apocryphe du 6e siècle, l’Évangile du Pseudo-Matthieu : Le troisième jour après la naissance du Seigneur, Marie sortit de la grotte, entra dans une étable et déposa l’enfant dans la crèche, et le boeuf et l’âne l’adorèrent. Alors s’accomplit la parole du prophète Isaïe : « le boeuf a reconnu son maître et l’âne la crèche de son maître. » Ces animaux avaient l’enfant entre eux et l’adoraient sans cesse. Alors s’accomplit la parole du prophète Habacuc : « tu te feras connaître entre deux animaux. » Il faut noter que le Pseudo-Matthieu, comme bien des Pères de l’Église, lisait la Bible dans la Septante (la phrase citée n’existe pas dans le texte hébreu de Ha 3,2) ; la citation d’Isaïe est en Is 1,2-3. Origène (Homélie sur saint Luc) commente : Le boeuf est un animal pur, l’âne, un animal impur. « L’âne a connu la crèche de son maître » : ce n’est pas le peuple d’Israël qui a connu la crèche de son maître, mais un animal impur venant de chez les païens : « Or Israël ne m’a pas connu, dit l’Écriture (Is 1,3), et mon peuple ne m’a pas compris ». Comprenons le sens de cette crèche, efforçons-nous de découvrir le Seigneur, méritons de le connaître et d’assumer non seulement sa Nativité et sa Résurrection, mais aussi le second avènement glorieux de la majesté de celui à qui appartiennent la gloire et la puissance dans les siècles des siècles. Amen. En hébreu, boeuf se dit shor, et le verbe schour signifie célébrer, contempler ; âne se dit c hamor et le verbe chamor signifie foule…
Cette foule qui contemple (celui qui l’a sauvée ? celui qu’elle a transpercé ?) est bien
prophétique !
Pour nous, la présence de ces deux animaux autour de la crèche est signe d’une grande
espérance : les deux peuples – les païens et les croyants, les agités et les contemplatifs – sont
réunis en paix autour de la mangeoire où se trouve l’enfant Dieu.

René Guyon

Pensées de saint Pio da Pietrelcina sur Noël : «Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode…» Matthieu 2, 1

18 décembre, 2010

du site: 

http://www.30giorni.it/fr/articolo.asp?id=16408

«Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode…» Matthieu 2, 1

Pensées de saint Pio da Pietrelcina sur Noël

quelques pensées de padre Pio sur la Nativité
 
L’étoile qui indique le lieu où est né Jésus, dans la basilique de la Nativité, à Bethléem  
 
      La tendresse de Noël      
      «Toutes les fêtes de l’Église sont belles… la Pâque, oui, c’est la glorification… mais Noël a une tendresse, une douceur infantile qui prend mon cœur tout entier»      
     
      Des larmes de gratitude      
      «Comme Jésus me rend joyeux! Comme son esprit est suave! Mais je suis troublé et je ne réussis qu’à pleurer et à répéter: “Jésus, ma nourriture”»      
     
      Les vagissements de Jésus      
      «On n’entend que des vagissements, des pleurs du Dieu petit enfant, et avec ces pleurs et ces vagissements, il offre à la justice divine le premier rachat de notre réconciliation…»      
     
      Le plus petit parmi nous      
      «Que l’Enfant Jésus te remplisse de ses divins charismes, qu’il te fasse éprouver les joies des bergers et des anges et qu’il te revête tout entier du feu de cette charité pour laquelle il se fit le plus petit d’entre nous, et qu’il te fasse devenir petit enfant plein de douceur, de simplicité, d’amour»      
     
      Très doux Jésus      
      «Que le très doux Jésus vous apporte toutes les grâces, toutes les bénédictions, tous les sourires qu’il plaira à son infinie bonté…»
 
 Jésus appelle… et ils accourent, poussés par sa grâce      
      «Jésus appelle les pauvres et simples bergers grâce aux anges pour se manifester à eux. Il appelle les savants grâce à leur science. Et tous, poussés par le flux intérieur de sa grâce, accourent vers lui pour l’adorer. Il nous appelle tous grâce aux inspirations divines et il se communique à nous par sa grâce»      
     
      Notre justification comme pécheurs      
      «Notre justification est un miracle extrêmement grand que les Saintes Écritures comparent à la résurrection du divin Maître. Oui, ma chère, la justification de notre impiété est telle qu’on peut bien dire que Dieu a plus montré sa puissance dans notre conversion que lorsqu’il a tiré de rien le ciel et la terre, car il y a plus d’opposition entre le pécheur et la grâce qu’entre le rien et l’être. Le rien est moins loin de Dieu que le pécheur lui-même. En outre, dans la création c’est de l’ordre naturel qu’il s’agit, alors que dans la justification de l’impie c’est de l’ordre surnaturel et divin qu’il s’agit»      
     
      Jésus est à plus forte raison pour les pécheurs      
      «Jésus est pour tous, mais il est à plus forte raison pour les pécheurs. C’est lui-même qui nous le dit: “Je ne suis pas venu pour les justes, mais pour les pécheurs”. “Ce ne sont pas les sains qui ont besoin du médecin, mais les malades”. “Le Fils de l’homme est venu sauver ce qui était perdu”. “On festoiera plus au ciel pour la conversion d’un pécheur que pour la persévérance de quatre-vingt-dix-neuf justes”»      
     
      … il le fait pour te rendre plus humble      
      «Notre Seigneur t’aime tendrement, ma fille. Et s’Il ne te fait pas sentir la douceur de son amour, il le fait pour te rendre plus humble et plus abjecte à tes propres yeux. Ne cesse pas pour autant de recourir à sa sainte bénignité avec la plus grande confiance, en particulier au moment où nous nous le représentons quand il était petit enfant à Bethléem. En effet, ma fille, pour quelle raison prend-il cette douce et aimable condition d’enfant, sinon pour nous provoquer à l’aimer en toute confiance et à nous livrer amoureusement à lui?»      
     
      Demandons de nous revêtir d’humilité      
      «Demandons à ce divin Enfant de nous revêtir d’humilité, car nous ne pouvons goûter ce mystère plein de divines tendresses qu’avec cette vertu»

Saint Augustin – Sermon 185: Pour le jour de Noël

16 décembre, 2010

du site:

http://www.abbaye-champagne.com/themes/textes/augustin/patrologie/38/liturgique.htm

SAINT AUGUSTIN

Sermons sur les temps liturgiques

SERMON CLXXXIV. POUR LE JOUR DE NOEL. I. ABAISSEMENT ET ÉLÉVATION.
151

ANALYSE. — Si le Fils de Dieu en se faisant homme avait cessé d’être Dieu , on comprendrait la répugnance des sages du monde à croire ce mystère et l’inutilité pour nous de l’Incarnation. Mais en devenant ce que nous sommes, Jésus n’a rien perdu de ce qu’il était, et en s’abaissant jusqu’à nous, il veut nous élever jusqu’à lui. Que tous donc se réjouissent et contemplent avec ravissement les merveilles de cette naissance temporelle, où brille quelque éclat de la génération éternelle.
1. C’est aujourd’hui que revient et que brille parmi nous la solennité anniversaire de la naissance de Notre-Seigneur et Sauveur Jésus-Christ ; aujourd’hui que la Vérité s’est élevée de terre et que le jour issu du jour a paru pour être notre jour : réjouissons-nous donc et tressaillons d’allégresse. Eh ! que ne devons-nous point aux abaissements de cette incomparable Majesté? La foi des chrétiens le connaît et le cœur des impies n’y comprend rien. C’est que Dieu a caché ces merveilles aux sages et aux prudents et les a dévoilées aux petits (1). Que les humbles donc s’attachent à ces abaissements d’un Dieu, et appuyée sur ce puissant secours, leur faiblesse pourra s’élever jusqu’à sa hauteur. Pour ces sages et ces prudents qui ne cherchent en Dieu que grandeurs sans croire à ses abaissements, en ne voulant pas de ceux-ci ils n’atteindront pas à celles-là : esprits vains et légers, qui n’ont pour eux que l’enflure et l’orgueil, ils sont comme suspendus entre le ciel et la terre, toujours agités par le souffle des vents. Sans doute ils sont sages et prudents, mais pour ce monde et non. pour Celui qui a fait le monde. Ah ! s’ils avaient cette vraie sagesse, cette sagesse de Dieu qui n’est autre que Dieu même, ils comprendraient que Dieu a pu prendre un corps sans devenir corps ; ils comprendraient qu’il est devenu ce qu’il n’était pas, sans cesser d’être ce qu’il était ; qu’il est venu à nous comme homme, sans s’éloigner de son Père; qu’en demeurant ce qu’il était, il s’est montré ce que nous sommes; et qu’en incarnant sa puissance dans le corps d’un enfant, il ne l’a pas moins appliquée au gouvernement du monde. Lui qui a créé l’univers en demeurant dans le sein de son Père, a donné à une Vierge d’enfanter, pour venir à nous. N’y a-t-il pas un reflet de sa toute-puissance dans cette Vierge qui devient mère et qui reste Vierge après l’avoir mis au monde comme avant de le concevoir; qu’un homme trouve enceinte, sans qu’aucun ‘homme y ait contribué ; qui porte un homme dans son sein, sans le concours d’aucun homme, et qui sans rien perdre de son intégrité emprunte à sa fécondité un nouveau bonheur et une gloire nouvelle? Plutôt que d’ajouter foi à d’aussi étonnantes merveilles, (152) ces orgueilleux aiment mieux croire qu’elles sont de notre part de simples fictions. Aussi, ne pouvant se résoudre à voir l’humanité dans un Dieu fait homme, ils dédaignent le Christ ; et parce qu’ils sentent la divinité au-dessus de leurs mépris, ils ne croient pas en lui. Mais, plus ils dédaignent les abaissements d’un Dieu fait homme, plus nous devons les aimer; et plus il leur semble impossible qu’une Vierge ait donné le jour à un homme, plus nous y devons voir l’empreinte de la puissance divine.
2. Célébrons .donc cette naissance du Seigneur avec tout l’empressement et la solennité qui conviennent. Hommes et femmes, tressaillez de joie, car le Christ s’est fait homme en naissant d’une femme et en honorant ainsi les deux sexes. Que tous les hommes s’attachent au second homme, puisque tous ont été condamnés avec le premier. Une femme nous avait inoculé la mort ; une femme a pour nous enfanté la vie. Pour purifier la chair de péché, elle a donné naissance à une chair semblable seulement à la chair de péché (1). Ne condamnez donc pas la chair, détruisez seulement le péché pour faire vivre la nature. Pour rendre en lui une vie nouvelle au pécheur, un homme ne vient-il pas de naître sans péché?
Réjouissez-vous, saints jeunes hommes, qui vous êtes attachés, avec un soin particulier, à marcher sur les traces du Christ et qui avez renoncé aux unions charnelles. Ce n’est point par le moyen d’une union charnelle que le Christ s’est présenté à vous; ainsi voulait-il vous servir de modèle et vous faire la grâce de dédaigner l’union qui vous a fait naître. En effet n’êtes-vous pas redevables de votre naissance à cette union charnelle en dehors de laquelle le Christ vient vous convier à une union toute spirituelle ? et tout en vous appelant à des noces ne vous a-t-il pas accordé de mépriser d’autres noces? Ainsi vous ne voulez point pour vous de ce qu’il vous a donné l’existence ; c’est que vous aimez, plus que beaucoup d’autres, Celui qui n’est pas né comme vous.
Réjouissez-vous, vierges saintes: une Vierge a enfanté pour vous l’Epoux auquel vous pourrez vous attacher sans contracter aucune souillure; et en ne concevant ni en enfantant vous ne pourrez perdre le trésor que vous chérissez. Réjouissez-vous, justes : voici la naissance de Celui qui fait les justes. Réjouissez-vous, infirmes et malades: voici la naissance du Sauveur. Réjouissez-vous, captifs; voici la naissance du Rédempteur. Réjouissez-vous, serviteurs : voici la naissance de votre Seigneur. Réjouissez-vous , hommes libres: voici naître Celui qui donne la liberté, Réjouissez-vous, chrétiens : voici la naissance du Christ.
3. En naissant de sa Mère il fait de ce jour un jour mémorable pour tous les siècles, comme il a créé tous les siècles en naissant de son Père. Il ne pouvait avoir de mère dans sa génération éternelle; et il n’a point voulu d’homme pour père dans sa génération temporelle. Ainsi le Christ est né à la fois et d’un père et d’une mère, et sans père et sans mère : d’un père, comme Dieu, et d’une mère, comme homme; sans mère, comme Dieu, et sans père, comme homme. « Qui expliquera sa génération (1) » ; soit la première qui est en dehors d u temps, soit la seconde qui est en dehors de l’homme; soit la première qui est sans commencement, soit la seconde qui est sans précédent; soit la première qui n’a jamais été sans être, soit la seconde qui ne s’est jamais reproduite, ni avant ni après; soit la première qui n’a point de fin, soit la seconde qui a aujourd’hui son commencement, mais quand aura-t-elle une fin ? Il était donc juste que les prophètes annonçassent sa naissance future, que les cieux et les anges publiassent sa naissance accomplie. Il reposait dans une étable, et il gouvernait le monde; enfant sans parole, il était la Parole même; les cieux ne sauraient le contenir, et une femme le portait sur son sein; oui, elle dirigeait notre Roi, elle portait Celui qui nous porte, elle allaitait Celui qui nous nourrit de lui-même. Quelle incontestable faiblesse ! quel abaissement prodigieux ! et pourtant la divinité tout entière y est enfermée. L’enfant dépendait de sa mère, et sa puissance la conduisait; il prenait son sein, et il la nourrissait de la vérité.
Ah ! qu’il mette en nous le comble à ses dons, puisqu’il n’a pas dédaigné de partager nos commencements; qu’il nous rende fils de Dieu, puisqu’il a voulu, pour notre amour; devenir fils de l’homme.

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1. Matt. XI, 25.
1. Rom. VIII, 3.
1. Isaïe, LIII, 8.

«Noël à cœur d’année…»

16 décembre, 2010

du site:

http://www.spiritualite2000.com/page-1515.php

«Noël à cœur d’année…»

24 décembre 2006

Denis Gagnon

Dans le village voisin de celui de mon enfance vit une artiste. Elle fait des chansons comme d’autres pétrissent du pain. Ses refrains dégagent des odeurs qui vous réveillent les plus belles nostalgies. Elle vient de commettre un nouveau disque où elle se demande : «Qui suis-je…».
Parmi les toutes premières perles de Monique Miville-Deschênes, il en est une qui revient me hanter à chaque fin de décembre depuis au moins quarante ans : «Noël à cœur d’année, que ne viens-tu paraître!» Je n’en ai retenu que cette phrase. Elle me harcèle depuis la première guirlande pendue au plafond jusqu’au sapin sur le banc de neige à la fin des festivités.
Enfant, cela voulait dire pour moi : je voudrais que la féerie des fêtes demeure jour après jour. Les cloches et les boules dans le sapin vert, les petites lumières – même si elles brûlaient plus souvent qu’elles ne brillaient! – , le parfum du conifère, les boucles de ruban, les papiers d’emballage de cadeaux, l’étoile en haut de l’arbre.
Adulte, il me reste encore quelque chose de ce décor merveilleux, mais mes rêves «noëlliques» ont mûri avec moi. Ils s’ajustent à mes autres rêves. Cette année, je voudrais Noël au mois de juillet pour autre chose que le «Noël du campeur». Je souhaite Noël en février, en mai, en août, en septembre comme quelque chose de profondément humain. Mon «Noël à cœur d’année» serait avant tout un regard, des yeux qui voient au delà des apparences. Je désire des yeux qui rejoignent le meilleur de chaque être humain. Des yeux qui rencontrent d’autres yeux, sans avoir peur.
Il doit y avoir du bon dans les gros méchants terroristes… du bon à réveiller… un soupçon de tendresse… Il doit y avoir du bon dans le milliardaire près de ses sous, exploiteur du petit ouvrier… capable parfois de se laisser attendrir… Et dans ceux qui se replient sur leurs désirs égoïstes. Et dans tous ceux qui me tapent sur les nerfs… Et tous ceux que je voudrais ignorer ou faire disparaître de mon champ de vision… Je voudrais aimer l’ennemi, et pas seulement dans mes prières.
Je suis déraisonnable comme cela! Peut-être rêvez-vous à des Noël semblables? Peut-être vous laissez-vous envahir par l’utopie d’une fraternité universelle, vous aussi? La paix sur la terre aux gens de bonne volonté et aussi à ceux de mauvaise volonté?
Ne faut-il pas reprendre le chemin vers Bethléem? Ne faut-il pas retrouver l’enfant qui a porté la plus folle utopie dans l’histoire de l’humanité? Loin d’être une attrape-nigaud, loin d’être une fumisterie, le message de Bethléem a suscité les plus beaux gestes en proposant la compassion et l’amour pour gouverner la terre. Au delà des clichés usés, même en ayant perdu toute illusion, nous n’avons pas d’autre avenir que l’amour…
Nous ne pouvons pas échapper à cet «accommodement dé-raisonnable»!

Deuxième prédication de l’Avent, par le P. Raniero Cantalamessa

13 décembre, 2010

du site:

http://www.zenit.org/article-26365?l=french

Deuxième prédication de l’Avent, par le P. Raniero Cantalamessa

En présence du pape Benoît XVI et de la curie romaine

ROME, Dimanche 12 décembre 2010 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de la deuxième prédication de l’Avent prononcée vendredi 10 décembre par le P. Raniero Cantalamessa O.F.M. Cap., prédicateur de la Maison pontificale, en présence du pape Benoît XVI et de la curie romaine, dans la chapelle Redemptoris Mater, au Vatican.

P. Raniero Cantalamessa, ofmcap.

Deuxième prédication de l’Avent

« NOUS VOUS ANNONÇONS CETTE VIE ETERNELLE » (1 Jn 1,2)

La réponse chrétienne au sécularisme

1. Sécularisation et sécularisme

Dans cette méditation nous réfléchirons sur le deuxième écueil auquel se heurte l’évangélisation dans le monde moderne occidental : la sécularisation. Dans le Motu proprio par lequel le pape a institué le Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation, il est dit que celui-ci « est au service des Eglises particulières, en particulier dans les territoires de tradition chrétienne où se manifeste avec une plus grande évidence le phénomène de la sécularisation ».
La sécularisation est un phénomène complexe et ambivalent. Elle peut indiquer l’autonomie des réalités terrestres et la séparation entre le règne de Dieu et le règne de César et, dans ce sens, loin d’être contraire à l’Evangile, elle trouve en celui-ci une de ses racines profondes ; mais elle peut désigner aussi tout un ensemble d’attitudes contraires à la religion et à la foi et, dans ce cas, le terme de sécularisme est préférable. Le sécularisme est à la sécularisation ce que le scientisme est à la scientificité et le rationalisme à la rationalité.
En examinant les obstacles et les défis que la foi rencontre dans le monde moderne, nous nous réfèrerons exclusivement à l’acception négative de la sécularisation. Mais même délimitée ainsi, la sécularisation présente de nombreuses facettes selon les domaines dans lesquels elle se manifeste : la théologie, la science, l’éthique, l’herméneutique biblique, la culture en général, la vie quotidienne. Dans la présente méditation, je prends le terme dans son sens premier. Sécularisation, comme sécularisme, viennent en effet du mot « saeculum » qui, dans le langage courant, a fini par signifier le temps présent (« l’éon actuel », selon la Bible), en opposition à l’éternité (l’éon futur, ou « siècles des siècles », de la Bible). Dans ce sens, sécularisme est synonyme de temporalisme, de réduction du réel à la seule dimension terrestre.
Le rétrécissement de l’horizon de l’éternité, ou de la vie éternelle, produit sur la foi chrétienne l’effet du sable que l’on jette sur une flamme : il l’étouffe, l’éteint. La foi en la vie éternelle constitue une des conditions de possibilités d’évangélisation. « Si c’est pour cette vie seulement – s’exclame Paul – que nous avons mis notre espoir dans le Christ, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes  » (1 Co 15,19).

2. Ascension et déclin de l’idée d’éternité
Rappelons à grands traits l’histoire de la croyance en une vie après la mort ; elle nous aidera à mesurer la nouveauté introduite par l’Evangile dans ce domaine. Dans la religion juive de l’Ancien Testament, cette croyance s’affirme tardivement. Ce n’est qu’après l’exil, devant la faillite des attentes temporelles, que se fait jour l’idée de la résurrection de la chair et d’une récompense supraterrestre des justes et, mais tous ne partageaient pas cette croyance (les Sadducéens par exemple).
Ainsi se trouve démentie de manière éclatante la thèse de ceux (Feuerbach, Marx, Freud) qui expliquent la croyance en Dieu par le désir d’une récompense éternelle, une sorte de projection dans l’au-delà des attentes terrestres déçues. Israël a cru en Dieu, bien des siècles avant de croire en une récompense éternelle dans l’au-delà ! Ce n’est donc pas le désir d’une récompense éternelle qui a produit la foi en Dieu, mais c’est la foi en Dieu qui a produit la croyance dans une récompense supraterrestre.
La pleine révélation de la vie éternelle est achevée, dans le monde biblique, avec la venue du Christ. Jésus ne fonde pas la certitude de la vie éternelle sur la nature de l’homme, l’immortalité de l’âme, mais sur la « puissance de Dieu », qui n’est pas un « Dieu de morts, mais de vivants » (Lc 20,27-38). Après la Pâque, à ce fondement théologique, les apôtres ajouteront celui christologique : la résurrection du Christ d’entre les morts. C’est sur celle-ci que l’Apôtre fonde la foi en la résurrection de la chair et en la vie éternelle : « Si l’on prêche que le Christ est ressuscité des morts, comment certains parmi vous peuvent-ils dire qu’il n’y a pas de résurrection des morts ?…Mais non ; le Christ est ressuscité d’entre les morts, prémices de ceux qui se sont endormis » (1 Co 15, 12.20).
De même dans le monde gréco-romain, on assiste à une évolution dans la conception de l’au-delà. L’idée plus ancienne est que la vie véritable s’achève avec la mort ; après cette vie, il n’y a plus qu’une apparence de vie, dans un monde d’ombres. Une nouveauté est introduite avec l’apparition de la religion orphico-pythagorique. Selon celle-ci, le véritable moi de l’homme est l’âme qui, libérée de la prison (sema) du corps (soma), peut enfin vivre sa vraie vie. Platon va conférer à cette découverte une dignité philosophique, en la fondant sur la nature spirituelle, donc immortelle, de l’âme1.
Cette croyance restera, toutefois, largement minoritaire, réservée aux initiés aux mystères et aux disciples d’écoles philosophiques particulières. Auprès des masses persistera l’ancienne conviction que la vraie vie finit avec la mort. On connait les paroles que l’empereur Hadrien s’adresse à lui-même au moment de mourir :

Petite âme, âme tendre et flottante,
compagne de mon corps, qui fut ton hôte,
tu vas descendre dans ces lieux
pâles, durs et nus,
où tu devras renoncer aux jeux d’autrefois.
Un instant encore
Regardons ensemble les rives familières,
les objets que sans doute nous ne reverrons plus…2.

On comprend alors, compte tenu de ce contexte, l’impact que devait avoir l’annonce chrétienne d’une vie après la mort infiniment plus comblée et plus joyeuse que celle terrestre ; on comprend aussi pourquoi l’idée et les symboles de la vie éternelle sont aussi fréquents dans les sépultures chrétiennes des catacombes.
Mais qu’est-il advenu de l’idée chrétienne d’une vie éternelle pour l’âme et pour le corps, une fois qu’elle avait triomphé de l’idée païenne de l’« obscurité après la mort » ? A la différence de l’époque actuelle, dans laquelle l’athéisme s’exprime surtout dans la négation de l’existence d’un Créateur, au XIXe siècle il s’est manifesté plutôt dans la négation d’un au-delà. Reprenant la déclaration de Hegel, selon laquelle « les chrétiens gaspillent au ciel les énergies destinées à la terre », Feuerbach et surtout Marx ont combattu la croyance en une vie après la mort, sous prétexte que celle-ci écarte de l’engagement terrestre. On substitue l’idée d’une survie dans l’espèce et dans la société du futur à l’idée d’une survie personnelle en Dieu.
Peu à peu, avec la suspicion, le mot éternité est tombé dans l’oubli et le silence. Le matérialisme et le consumérisme ont fait le reste dans les sociétés opulentes, allant jusqu’à faire paraître inconvenant le fait même de parler encore d’éternité entre personnes cultivées et vivant avec leur temps. Tout cela a eu des conséquences manifestes sur la foi des croyants, qui est devenue sur ce point timide et réticente. Quand avons-nous entendu la dernière prédication sur la vie éternelle ? Nous continuons à réciter dans le Credo : « Et expecto resurrectionem mortuorum et vitam venturi saeculi » : « J’attends la résurrection des morts et la vie du monde à venir », mais sans trop attacher d’importance à ces paroles. Kierkegaard avait raison quand il écrivait : « L’au-delà est devenu une plaisanterie, une exigence tellement incertaine que plus personne ne la respecte, plus encore ne l’envisage, si bien que la pensée même qu’il a existé un temps où cette idée transformait l’existence tout entière, fait sourire »3.
Quelle est la conséquence pratique de cette éclipse de l’idée d’éternité ? Saint Paul parle de l’objectif de ceux qui ne croient pas en la résurrection des morts : « Mangeons et buvons, car demain nous mourrons » (l Co 15,32). Le désir naturel de vivre toujours, déformé, devient désir, ou frénésie, de vivre bien, c’est-à-dire agréablement, serait-ce au détriment des autres. La terre tout entière devient ce que Dante disait de l’Italie de son époque : « l’arpent de terre qui nous fait si féroces ». Avec la disparition de l’horizon de l’éternité, la souffrance humaine apparait doublement et irrémédiablement absurde.

3. L’éternité : une espérance et une présence
S’agissant du sécularisme, comme du scientisme, la réponse la plus efficace ne consiste pas à combattre l’erreur contraire, mais à faire resplendir à nouveau devant les hommes la certitude de la vie éternelle, en jouant sur la force intrinsèque que possède la vérité quand elle est accompagnée par le témoignage de la vie. « A une idée, écrivait un ancien Père, on peut toujours opposer une autre idée et à une opinion une autre opinion ; mais que pourra-ton opposer à une vie ? »
Nous devrions jouer aussi sur la correspondance d’une telle vérité avec le désir le plus profond, même réprimé, du cœur humain. A un ami qui lui reprochait sa soif d’éternité comme étant quasiment une forme d’orgueil et de présomption, Miguel de Unamuno, qui n’était certes pas un apologète, répondit dans une lettre :
« Je ne dis pas que nous méritons un au-delà, ni que la logique nous le prouve ; je dis que j’en ai besoin, que je le mérite ou pas, rien de plus. Je dis que ce qui passe ne me satisfait pas, que j’ai soif d’éternité et que, sans elle, tout m’indiffère. J’en ai besoin, j’en ai besoin ! Sans elle, il n’y a pas de joie de vivre et la joie de vivre ne signifie rien. Il est trop commode de dire : ‘Il faut vivre, il faut se contenter de la vie’. Et ceux qui ne s’en contentent pas ? »4.
Ce n’est pas celui qui désire l’éternité, ajoutait-il en cette même occasion, qui méprise le monde et la vie ici-bas, mais au contraire celui qui ne la désire pas : « J’aime tant la vie que la perdre me parait le pire des maux. Ceux qui jouissent de la vie, au jour le jour, sans se soucier de savoir s’ils devront la perdre à jamais ou pas, ceux-là ne l’aiment pas ». Saint Augustin ne disait pas autre chose : « Cui non datur semper vivere, quid prodest bene vivere ? », « A quoi sert la bonne vie si elle n’aboutit à la vie éternelle ? »5. « Tout au monde, excepté l’éternité, est vain », a chanté un de nos poètes 6.
Aux hommes de notre temps qui cultivent au fond de leur cœur ce besoin d’éternité, sans peut-être avoir le courage de l’avouer aux autres, ni se l’avouer à eux-mêmes, nous pouvons redire ce que Paul disait aux Athéniens : « Ce que vous adorez sans le connaître, je viens, moi, vous l’annoncer » (Ac 17,23).
La réponse chrétienne au sécularisme, au sens où nous l’entendons ici, ne se fonde pas, comme pour Platon, sur une idée philosophique – l’immortalité de l’âme -, mais sur un fait. Le siècle des lumières avait posé le célèbre problème de savoir comment atteindre l’éternité, alors qu’on est dans le temps, et comment donner un point de départ historique pour une conscience éternelle7. Autrement dit : comment peut-on justifier la prétention de la foi chrétienne de promettre une vie éternelle et de menacer d’un châtiment également éternel, pour des actes commis dans le temps.
L’unique réponse valable à ce problème est celle qui se fonde sur la foi en l’incarnation de Dieu. En Jésus Christ, l’éternel est entré dans le temps, s’est manifesté dans la chair ; devant lui il est possible de prendre une décision pour l’éternité. C’est ainsi que l’évangéliste Jean parle de la vie éternelle : « Nous vous annonçons cette Vie éternelle, qui était tournée vers le Père et qui nous est apparue » (1 Jn 1, 2).
Pour le croyant, l’éternité n’est pas, comme on le voit, uniquement une espérance, elle est aussi une présence. Nous en faisons l’expérience chaque fois que nous faisons un véritable acte de foi en Jésus Christ, car celui qui croit en lui « a la vie éternelle « (1 Jn 5,13) ; chaque fois que nous recevons la communion, dans laquelle « nous est donné le gage de la gloire future » (futurae gloriae nobis pignus datur) ; chaque fois que nous entendons les paroles de l’Evangile qui sont « paroles de vie éternelle » (Jn 6, 68). Saint Thomas, lui aussi dit que « la grâce est le commencement de la gloire »8.
Cette présence de l’éternité dans le temps s’appelle l’Esprit Saint, dont il est dit qu’il est « les arrhes de notre héritage » (Ep 1, 14 ; 2 Co 5, 5), et il nous a été donné pour que, ayant reçu les prémices, nous aspirions à la plénitude. « Le Christ – écrit saint Augustin – nous a donné les arrhes de l’Esprit Saint par lesquelles Lui, qui ne pouvait pas nous tromper, a voulu nous assurer l’accomplissement de sa promesse. Qu’a-t-il promis ? Il a promis la vie éternelle, dont l’Esprit Saint qu’il nous a donné est les arrhes »9.

4. Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ?
Entre la vie de foi dans le temps et la vie éternelle, il existe un rapport comparable à celui qui existe entre la vie de l’embryon dans le sein maternel et celle de l’enfant à sa naissance. Cabasilas écrit :
« Ce monde enfante le nouvel homme intérieur, celui qui a été créé par Dieu, et celui-ci façonné et conformé ici-bas, est enfanté parfait pour un monde parfait et éternellement jeune. De même que la nature prépare l’embryon, tant qu’il est dans une vie obscure, pour une vie dans la lumière, de même en est-il des saints [...]. Toutefois, pour l’embryon, la vie future est absolument future : il ne lui parvient aucun rayon de lumière, rien de cette vie. Il n’en est pas de même pour nous, puisque le siècle futur a été comme renversé et mêlé au temps [...] C’est pourquoi dès maintenant, il est accordé aux saints non seulement de disposer de la vie, mais de vivre et d’agir dans celle-ci »10.
Voici une petite histoire pour illustrer cette comparaison. Il y avait une fois deux jumeaux, un de sexe masculin et une autre de sexe féminin, tellement intelligents et précoces que, encore dans le sein maternel, ils parlaient entre eux. La petite fille demandait à son frère : « D’après toi, y a-t-il une vie après la naissance ? ». Il répondait : « Ne sois pas ridicule. Qu’est-ce qui te fait penser qu’il y a quelque chose en dehors de cet espace exigu et obscur où nous nous trouvons ? La petite fille, s’armant de courage, insistait : « Qui sait, peut-être existe-t-il une mère, bref quelqu’un qui nous a mis ici et qui prendra soin de nous ». Et lui : « Vois-tu une mère quelque part ? Ce que tu vois est tout ce qu’il y a ». Elle, à nouveau : « Ne sens-tu pas parfois, toi aussi, comme une pression sur la poitrine qui augmente de jour en jour et nous pousse en avant ? ». « A bien y réfléchir, répondait-il, c’est vrai ; je la sens tout le temps ». « Tu vois, concluait, triomphante, la petite soeur, cette douleur ne peut pas être pour rien. Je pense qu’elle nous prépare à quelque chose de plus grand que ce petit espace ».
Nous pouvons utiliser cette charmante historiette quand il nous faut annoncer la vie éternelle à des personnes qui ont perdu la foi en celle-ci, mais en conservent la nostalgie et attendent peut-être que l’Eglise, comme la petite fille, les aide à y croire.
Il y a des questions que les hommes ne cessent de se poser depuis que le monde est monde, et les hommes d’aujourd’hui ne font pas exception : « Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ?  ». Dans son Historia ecclesiastica Anglorum (Histoire ecclésiastique du peuple anglais), Bède le Vénérable relate comment la foi chrétienne a fait son entrée dans le nord de l’Angleterre. Quand les missionnaires venus de Rome arrivèrent dans le Northumberland, le roi Edwin convoqua un conseil des dignitaires pour décider s’il les autoriserait, ou pas, à diffuser le nouveau message. L’un d’eux se leva et déclara :
« Imagine, oh roi, cette scène. Tu es assis en train de dîner avec tes ministres et dignitaires : c’est l’hiver, le feu brûle et réchauffe la pièce tandis que, au-dehors, mugit la tempête et que la neige tombe. Un petit oiseau entre par une ouverture dans le mur et ressort aussitôt par l’autre. Tant qu’il est à l’intérieur, il est protégé de la tempête hivernale ; mais, ayant goûté une courte tiédeur, il disparait de la vue, se perdant dans l’obscurité de l’hiver d’où il est venu. Telle nous apparait la vie des hommes sur la terre : nous ignorons totalement ce qui la suit et ce qui la précède. Si cette doctrine nouvelle nous apporte quelque chose de plus sûr sur ceci, je dis qu’il faut l’accueillir  »11.
Qui sait ! Peut-être la foi chrétienne reviendra-t-elle en Angleterre et sur le continent européen pour la même raison pour laquelle elle y a fait son entrée : comme l’unique foi qui a une réponse sûre à apporter aux grandes interrogations de la vie terrestre. L’occasion la plus propice pour faire parvenir ce message est les funérailles. A cette occasion, les gens sont moins distraits que dans d’autres rites de passage (baptême, mariage), et s’interrogent sur leur propre destin. Quand on pleure sur un être cher, on pleure aussi sur soi-même.
J’ai écouté un jour un programme intéressant de la BBC anglaise sur les « funérailles laïques », avec l’enregistrement en direct d’une cérémonie. A un moment donné, le célébrant a dit à l’assistance : « Nous ne devons pas être tristes. Vivre une bonne vie, satisfaisante, durant soixante-dix ans (l’âge de la défunte) est quelque chose pour laquelle nous devons être reconnaissants ». Reconnaissants à qui ? me suis-je demandé. Ce genre de funérailles ne peut que rendre plus manifeste la défaite totale de l’homme face à la mort.
Sociologues et hommes de culture, appelés à expliquer le phénomène des funérailles laïques ou « humanistes », voyaient la cause de la diffusion de cette pratique dans certains pays du nord de l’Europe, dans le fait que les funérailles religieuses impliquent chez les personnes présentes une foi qu’elles ne partagent pas forcément. La proposition qu’ils avançaient était celle-ci : l’Eglise, lors de funérailles, devrait éviter toute allusion à Dieu, à la vie éternelle, à Jésus-Christ mort et ressuscité, et limiter son rôle à celui d’ « organisateur naturel et expérimenté des rites de passage » ! En d’autres termes, qu’elle se résigne à la sécularisation même de la mort !

5. Allons à la maison du Seigneur
Nous avons besoin d’une foi renouvelée dans l’éternité, non seulement pour l’évangélisation, c’est-à-dire pour l’annonce à faire aux autres, mais avant tout pour donner un nouvel élan à notre cheminement vers la sainteté. L’effritement de l’idée d’éternité agit aussi sur les croyants en diminuant leur capacité d’affronter avec courage la souffrance et les épreuves de la vie.
Prenons l’exemple d’un homme qui tient une balance à la main, ces balances qui se tiennent d’une seule main et qui ont d’un côté un plateau sur lequel on place les choses à peser et de l’autre une barre graduée qui soutient le poids ou la mesure. Si elle tombe à terre ou si la mesure est perdue, tout ce que l’on place sur le plateau fait se soulever la barre et s’incliner la balance vers le bas. N’importe quoi l’emporte, même une poignée de plumes.
C’est ce qui nous arrive quand nous perdons le contre-poids, la mesure de tout, qui est l’éternité : les choses et les souffrances terrestres jettent facilement notre âme à terre. Tout nous semble trop lourd, excessif. Jésus disait : « Si ta main ou ton pied sont pour toi une occasion de péché, coupe-les et jette-les loin de toi : mieux vaut pour toi entrer dans la Vie manchot ou estropié que d’être jeté avec tes deux mains ou tes deux pieds dans le feu éternel » (cf. Mt 18, 9-9). Mais nous qui avons perdu de vue l’éternité, nous trouvons déjà excessif qu’on nous demande de fermer les yeux devant un spectacle immoral.
Saint Paul ose écrire : « Car la légère tribulation d’un instant nous prépare, jusqu’à l’excès, une masse éternelle de gloire, à nous qui ne regardons pas aux choses visibles, mais aux invisibles ; les choses visibles en effet n’ont qu’un temps, les invisibles sont éternelles » (2 Co 4, 17-18). Le poids de la tribulation est léger justement parce qu’il est momentané, celui de la gloire est sans mesure justement parce qu’il est éternel. C’est pour cela que l’Apôtre lui-même peut affirmer : « J’estime en effet que les souffrances du temps présent ne sont pas à comparer à la gloire qui doit se révéler en nous » (Rm 8, 18).
Le cardinal Newman, que nous avons choisi comme maître spécial pendant cet Avent, nous oblige à ajouter une vérité qui manque aux réflexions faites jusqu’à présent sur l’éternité. Il le fait avec le petit poème « Le songe de Gerontius » mis en musique par le grand compositeur anglais Edgar Elgar. Un véritable chef-d’oeuvre pour ce qui est de la profondeur de la pensée, l’inspiration lyrique et l’intensité dramatique générale.
Il décrit le songe d’un ancien (c’est ce que signifie le nom Gerontius) qui sent que sa fin est proche. A ses pensées sur le sens de la vie, de la mort, sur l’abîme du néant dans lequel il est en train de tomber, se superposent les commentaires des assistants, la voix priante de l’Eglise : « Pars de ce monde, âme chrétienne » (proficiscere, anima christiana), les voix contradictoires des anges et des démons qui soupèsent sa vie et réclament son âme. La description du moment de la mort et du réveil dans un autre monde est particulièrement belle et profonde :

« J’ai dormi ; et maintenant je suis rafraîchi,
Un étrange rafraîchissement ; car je sens en moi
Une inexprimable légèreté et un sentiment
De liberté, comme si j’étais enfin moi-même,
Et jamais ne l’avais été auparavant. Comme c’est calme !
Je n’entends plus le battement agité du temps,
Ni mon souffle haletant, ni mes pulsations violentes,
Et un moment ne diffère pas de celui qui le fuit12.
Les dernières paroles que l’âme prononce dans le poème sont celles avec lesquelles est s’achemine, sereine et presque impatiente, vers le Purgatoire :
« Là, je chanterai mon Seigneur absent et mon Amour :
Enlevez-moi,
Afin que plus tôt je puisse me lever et monter,
Et le voir dans la vérité du jour sans fin ! »13

Pour l’empereur Hadrien, la mort était le passage de la réalité aux ombres, pour le chrétien John Newman c’était le passage des ombres à la réalité, ex umbris et imaginibus in veritatem comme il voulut que l’on écrive sur sa tombe.
Quelle est donc la vérité manquante que Newman nous empêche de taire ? Que le passage du temps vers l’éternité n’est pas rectiligne et égal pour tous. Il y a un jugement à affronter, un jugement qui peut avoir deux issues très différentes, l’enfer ou le paradis. La spiritualité de Newman est une spiritualité austère, qui a même une dimension rigoriste, comme celle du Dies irae, mais combien salutaire à une époque qui tendait à tout prendre à la légère et à plaisanter, comme disait Kierkegaard, avec la pensée de l’éternité !
Tournons donc avec un nouvel élan nos pensées vers l’éternité et répétons intérieurement, en reprenant les paroles du poète : « Tout au monde, excepté l’éternité, est vain ». Dans le psautier juif il y a un groupe de psaumes dis « psaumes des ascensions », ou « cantiques de Sion ». C’étaient les psaumes que chantaient les pèlerins israélites quand ils « montaient » en pèlerinage vers la cité sainte, Jérusalem. L’un d’eux commence ainsi : « Quelle joie quand on m’a dit : ‘Allons à la maison du Seigneur’ » (Ps 122, 1). Ces psaumes des ascensions sont désormais devenus les psaumes de ceux qui, dans l’Eglise, sont en chemin vers la Jérusalem céleste ; ce sont nos psaumes. Commentant les paroles initiales du psaume, saint Augustin disait à ses fidèles :
« Nous courrons parce que nous irons à la maison du Seigneur ; nous courrons parce que cette course ne fatigue pas ; parce que nous arriverons à un but où la fatigue n’existe pas. Nous courrons vers la maison du Seigneur et que notre âme se réjouisse pour ceux qui nous répètent ces paroles. Ceux-ci ont vu la patrie avant nous. Les apôtres l’ont vue et nous ont dit : Courrez, hâtez-vous, suivez-nous ! « Allons à la maison du Seigneur ! »14.
Nous avons devant nous, dans cette chapelle, une splendide représentation en mosaïque de la Jérusalem céleste, avec Marie, les apôtres et un long cortège de saints orientaux et occidentaux. Ils nous répètent en silence cette invitation. Accueillons-la et gardons-la en ce jour et durant toute notre vie.

Traduit de l’italien par Zenit
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1 Cf. M. Pohlenz, L’uomo greco, Firenze 1967, p. 173ss.
2 Animula vagula, blandula, traduction de Marguerite Yourcenar.
3 S. Kierkegaard, Postilla conclusiva, 4, in Opere, a cura di C. Fabro, Firenze 1972, p. 458.
4 Miguel de Unamuno, « Cartas inéditas de Miguel de Unamuno y Pedro Jiménez Ilundain, » ed. Hernán Benítez, Revista de la Universidad de Buenos Aires, vol. 3, no. 9 (janvier-mars 1949), pp. 135. 150.
5 S. Augustin, Trattati sul Vangelo di Giovanni, 45, 2 (PL, 35, 1720).
6 Antonio Fogazzaro, « A Sera, » in Le poesie, Milano, Mondadori, 1935, pp. 194-197.
7 G.E. Lessing, Über den Beweis des Geistes und der Kraft, ed. Lachmann, X, p.36.
8 S. Thomas d’Aquin, Somma teologica, II-IIae, q. 24, art.3, ad 2.
9 S. Augustin, Sermo 378,1 (PL, 39, 1673).
10 N. Cabasilas, Vita in Cristo, I,1-2, ed. a cura di U. Neri, Torino, UTET, 1971, pp.65-67.,
11 Bède le Vénérable, Historia ecclesiastica Anglorum, II, 13.
12 Le Songe de Gerontius, John Henry Newman, Traduction française publiée par l’éditeur d’Eugénie de Guérin
13 Ibid.
14 Saint Augustin, Enarrationes in Psalmos 121,2 (CCL, 40, p. 1802).

BETHLEEM DANS L’HISTOIRE

12 décembre, 2010

du site:

http://198.62.75.1/www1/ofm/sites/TSbistoire_Fr.html

BETHLEEM DANS L’HISTOIRE
  
L’histoire de Bethléem ressemble à celle de toutes les villes du monde: au cours des siècles, ses habitants n’ont pas joui d’une grande paix. Le lieu de la naissance du Sauveur est aujourd’hui une modeste ville. Rien de splendide en cet endroit choisi par le Seigneur, et nous pourrions paraphraser le prophète Michée en disant: « Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es qu’une des villes de Palestine, bien que de toi soit sorti le chef du peuple des croyants ».
Sous Hérode le Grand (37-4), la Palestine avait formé un seul Etat souverain, tout en étant vassal de Rome. A la mort du roi, comme Auguste avait aboli la dignité royale, le pays fut morcelé en plusieurs tétrarchies. En l’an 6 de l’ère chrétienne, sous le nom de Judée, il fut rattaché à la province impériale de Syrie, avec un procurateur résidant à Césarée-Maritime et directement responsable devant l’empereur. Des légions y furent envoyées en garnison, notamment la Xe légion Fretensis, qui séjournait à Jérusalem.
Si elle échappa au sort que Titus infligea à Jérusalem en 70, la ville de Bethléem fut par contre victime de la violence d’Hadrien, après la seconde révolte juive que Bar Kozeba avait fomentée contre les Romains (132-135).
Poussé par un calcul politique astucieux, Hadrien profana la sainteté de la grotte de la Nativité en faisant planter au-dessus un bosquet sacré en l’honneur de Tammouz-Adonis, de même qu’il avait érigé à Jérusalem, sur les lieux de la Passion et de la Résurrection, les statue de Vénus et de Jupiter. Comme les juifs étaient bannis, la population de Bethléem pouvait compter à cette époque de nombreux païens disposés à continuer des rites agrestes, autrefois communs en Orient. Des lieux de culte syncrétiste se trouvaient aussi en d’autres endroits; exemple : celui de Mambré. Minoritaires, les chrétiens d’origine juive, c’est-à-dire les judéo-chrétiens, ne pouvaient certainement pas s’opposer aux ordres impériaux. La Palestine fut donc officiellement païenne, comme tout le monde romain, jusqu’en 313, année où Constantin proclama la liberté du culte.
En 324, Hélène, mère de Constantin, visita la Terre sainte. Dès l’année suivante, à la demande de l’évêque Macaire de Jérusalem qu’il avait rencontré au premier concile œcuménique de Nicée, l’empereur affecta des sommes importantes à la construction d’églises. L’une d’elles fut érigée sur le lieu de la Nativité. Les traditions chrétiennes, jalousement gardées par les judéo-chrétiens, étaient tellement claires et enracinées que la localisation du site ne posa pas de problème: les travaux purent commencer en 326.
Bethléem devint très vite un centre important de vie monastique. Arrivé en 384, saint Jérôme s’y adonna pendant 36 ans à une extrême pénitence, tout en prenant une part active aux disputes théologiques contre les hérétiques et en se livrant à la tâche énorme dont l’avait charge le pape saint Damase, celle de réviser les vieilles traductions latines de la Bible et de composer une nouvelle version fondée sur les textes originaux hébreux et grecs (traduction dite La Vulgate).
En 386, la Romaine Paule, descendante des Gracques et des Scipions, s’établit à Bethléem avec sa fille Eustochium ; elle fut bientôt suivie de nombreuses femmes des grandes familles patriciennes de Rome. Paule consacra son immense fortune à l’érection de deux monastères (un pour saint Jérôme et ses disciples , un autre pour elle et ses religieuses) et d’un hospice pour les pèlerins. Saint Jérôme était le chef spirituel vénéré de toutes ces âmes qui s’efforçaient à Bethléem de vivre dans l’humilité, réchauffées par la lumière divine.
A la mort de saint Jérôme (420), la direction des monastères fut peut-être confiée à Eusèbe de Crémone, disciple du grand exégète. Il mourut malheureusement déjà deux ans plus tard et la vie monastique de Bethléem ne lui survécut pas longtemps.
Lorsque l’Empire romain fut divisé en deux, la Palestine fit partie de l’Orient (395). La prise de Rome par les Wisigoths d’Alaric (410) entraîna un afflux de réfugiés dans tout l’Orient. Nombre d’entre eux se dirigèrent vers Bethléem, au point que saint Jérôme se trouva dans l’impossibilité de les aider tous.
En 529, les Samaritains de Naplouse, en révolte contre Byzance, purent aisément saccager Bethléem, dont les murs délabrés n’offraient plus aucune résistance. Deux ans plus tard, à la demande de saint Sabas, délégué par le patriarche de Jérusalem, l’empereur Justinien fit reconstruire la basilique, édifier des églises et des monastères et entourer la ville d’une nouvelle enceinte de murs pour la protéger contre les attaques des pillards.
En guerre contre les Byzantins, les Perses de Chosroès II s’emparèrent de la Palestine en 614, accueillis avec faveur par les juifs qu’animait un esprit d’aversion contre le christianisme triomphant. Alors qu’ils avaient mis Jérusalem et ses environs à feu et à sang, les envahisseurs épargnèrent Bethléem. Ils renoncèrent à leurs projets de vandalisme à la vue d’une mosaïque de la basilique de la Nativité, où était représentée l’adoration des mages habillés en Perses. L’absence d’une description détaillée de l’ancienne basilique nous empêche de déterminer l’endroit où se trouvait cette mosaïque. Il est probable qu’elle décorait la partie supérieure de la façade. L’empereur Héraclius ne put libérer l’Empire d’Orient de ces envahisseurs et reconquérir la Palestine qu’en 629.
De nouveaux maîtres se présentèrent en 637 avec l’invasion des Arabes musulmans. Pour la première fois depuis trois siècles, Bethléem ne célébra pas la fête de Noël. Après avoir battu définitivement les Byzantins, le calife Omar occupa en 638 Jérusalem, dont le nom fut changé en el-Qouds, la Sainte. Il alla prier dans la basilique de la Nativité, instaura une politique de tolérance et garantit au patriarche Sophrone l’intégrité de l’église. La cohabitation des chrétiens et des musulmans fut supportable: les musulmans avaient le droit de prier dans l’abside sud, tournée exactement vers La Mecque, et les chrétiens veillaient à l’entretien de l’édifice. Cette communauté de la vie cultuelle n’est pas surprenante, les musulmans respectent le Christ comme prophète et honorent la Vierge Marie. On peut encore aujourd’hui rencontrer dans la basilique des pèlerins musulmans qui, après avoir visité Jérusalem et Hébron, s’arrêtent pour prier au lieu de la naissance de Jésus. Les musulmans vénéraient en outre la basilique parce qu’ils croyaient que les sépultures de David et de Salomon se trouvaient à proximité.
La conquête arabe entraîna toutefois le déclin de la vie chrétienne à Bethléem. Tandis qu’il existait au moins six couvents à l’époque de Justinien, le recensement des monastères de Terre sainte, le Commemoratorium de casis Dei, établi à la demande de Charlemagne en 808, relevait seulement 17 religieux à Bethléem (prêtres, moines, clercs et stylites).
Les successeurs d’Omar continuèrent la politique de tolérance jusqu’en 1009. Cette année-là, le fanatique calife égyptien el-Hâkim fit détruire le Saint-Sépulcre et déchaîna une véritable persécution contre les chrétiens. Mais Bethléem fut de nouveau épargnée, soit, selon les uns, qu’une intervention miraculeuse arrêtât el-Hâkim, soit, selon d’autres, que la basilique dût la protection au désir du calife de continuer à recevoir le tribut exigé des chrétiens depuis Omar.
En 1099, la ville ne put échapper à la furie des musulmans, qui la dévastèrent à l’approche des croisés. Craignant que la basilique ne fût détruite comme les autres églises, les habitants envoyèrent des messagers à Godefroi de Bouillon, caserné à Emmaüs, et l’invitèrent à s’emparer de leur ville. Godefroi chargea de cette mission Tancrède et cent cavaliers. Bientôt, au milieu de la jubilation de tous les chrétiens, le drapeau des croisés était hissé sur la basilique. La nuit de Noël 1100, le patriarche y couronna Baudouin premier roi de Jérusalem. Baudouin Il y reçut à son tour la couronne à Noël 1119. Ces rois évitaient ainsi le scandale de recevoir une couronne temporelle dans la ville où le Christ avait été couronné d’épines.
La conquête des croisés ouvrit un chapitre nouveau de l’histoire de Bethléem. Reconstruite, la ville devint une forteresse. On y érigea aussi un monastère pour les chanoines de Saint-Augustin chargés du service liturgique en latin. Les autorités de l’Eglise byzantine n’avaient pas accordé de prééminence particulière à la basilique : jusqu’aux croisades, celle-ci avait seulement constitué une paroisse du patriarcat de Jérusalem. En 1110, le roi Baudouin Ier obtint du pape Pascal II l’érection de la ville en siège épiscopal. Le diocèse eut d’ailleurs une existence brève et devint ensuite un siège titulaire.
En 1165-1169, l’empereur Manuel Porphyrogénète Comnène de Constantinople, le roi franc Amaury et l’évêque Raoul de Bethléem firent restaurer et décorer la basilique: l’édifice reçut une couverture de cèdre et de plomb; de nouvelles dalles de marbre remplacèrent le vieux pavement usé; un revêtement de marbre blanc orna les murs latéraux et un revêtement de mosaïque, la partie supérieure de la nef centrale; la voûte de la grotte de la Nativité fut décorée de mosaïques polychromes et dorées, dont certaines étaient faites de cubes de verre et de nacre.
Après la défaite de Hattîn et le départ des croisés (1187), Bethléem, comme la grande majorité des villes du Royaume franc, tomba au pouvoir de Saladin. A partir de 1192, à la demande d’Hubert Walter, évêque de Salisbury et ambassadeur de Richard Cœur de Lion, les musulmans autorisèrent de nouveau le culte latin pendant un certain temps contre le paiement d’un tribut par les fidèles.
Grâce à deux trêves (la première conclue entre l’empereur Frédéric II et le sultan d’Egypte Mélik el-Kàmil, la seconde entre le roi de Navarre et le sultan de Damas), Bethléem retourna sous l’autorité chrétienne de 1229 à 1244. Les chanoines de Saint-Augustin reprirent possession de leur siège et le monde chrétien eut de nouveau accès à la basilique.
En 1244, des bandes de Turcs Khwârizmiens triomphèrent des croisés et du sultan de Damas. Après le départ des Khwârizmiens, quelques années plus tard, le sort de la Palestine ne s’améliora pas sous les Mamelouks d’Egypte, dont le chef Baïbars expulsa les chrétiens de Bethléem et détruisit les murailles de la ville (1266). Le bannissement des chrétiens ne dura cependant pas longtemps. Les pèlerinages furent de nouveau tolérés; mais les chanoines de Saint-Augustin ne survécurent pas à ce second exil. Les nouveaux maîtres continuèrent à se servir des Lieux saints au profit des caisses de l’Etat et des poches des particuliers. Cette politique devait être largement exploitée plus tard par les Ottomans. Le Royaume franc prit fin en 1291. La Palestine demeura avec la Syrie sous l’autorité des Mamelouks, d’origine circassienne et turque, anciens esclaves devenus maîtres de l’Egypte en 1252. Au début du XIIIe siècle étaient arrivés en Terre sainte les premiers missionnaires franciscains. Pendant l’époque des croisades, comme chapelains et conseillers, ils procurèrent leur aide spirituelle aux combattants. Les périodes suivantes les virent plusieurs fois verser leur sang. Installés déjà au Cénacle en 1333, les « frères de la corde » entrèrent de 1335 à 1337 en possession des terrains sur lesquels s’élevaient le Cénacle et le Saint-Sépulcre; le 21 novembre 1342, Clément VI, par les bulles Gratias agimus et Nuper carissimae, leur concéda la garde des Lieux saints (Bullarium Franciscanum, Roma, 1902). En 1347, ils s’établirent définitivement à Bethléem, où ils travaillaient déjà depuis quelque temps, et obtinrent le droit d’officier dans la basilique. A la fin du XVe siècle existait encore l’enceinte des murs que renforçaient deux grosses tours, l’une à l’ouest sur le sommet de la colline, l’autre à proximité de la basilique. Sélim Ier de Constantinople, qui avait enlevé en 1517 la Palestine aux Mamelouks d’Egypte fit abattre l’enceinte et combler les fossés. Au XVIe siècle, Bethléem n’était plus qu’un village presque abandonné. Dans son Très dévot Voyage de Jérusalem (Anvers, 1608), Jean Zuallart, pèlerin en 1586, écrit: [ … 1 Bethléem moderne, qui est à present en pauvre estat, et mal habitée, n’y ayant plus que des petites cabanes, et vieux edifices ruinez: les Bethlehemites et habitans d’icelle sont tous pauvres gens Mores, c’est à dire Arabes Mahometistes et Chrestiens Suriens [ … 1 faisans des chapeletz et croix de bois, qu’ilz nous vendent, et pour ceste cause ilz ont accoustumez, d’enseigner à leurs enfans la langue Italienne [...] ».
Les Turcs avaient en fait manifesté de bonnes intentions au début, en essayant de donner au pays une saine administration et en encourageant un programme de reconstruction. (Qu’on se rappelle l’œuvre de Soliman le Magnifique qui releva en 1539-1542 les murailles de Jérusalem, encore admirées aujourd’hui.) Mais les Turcs avaient fini par exploiter et piller la région au point de l’acculer à la misère. Bethléem fut pendant 400 ans une des nombreuses victimes de la gabegie turque et connut en plus, à partir du XVIe siècle, les luttes sanglantes qui mirent aux prises les latins et les grecs pour l’hégémonie dans la basilique de la Nativité.
Les pères franciscains avaient en 1347 obtenu du sultan la possession de la grotte et, ensuite, acquis le droit de jouir de la basilique et de subvenir à son entretien. Le P. Gerardo Calveti, gardien du Mont-Sion, avait fait à la fin du XIVe siècle un voyage en Europe pour demander aux princes d’aider à la restauration du sanctuaire. En 1479, le père gardien Giovanni Tomacelli avait persuadé Philippe le Bon, duc de Bourgogne, et le roi Edouard IV d’Angleterre de pourvoir à la réfection du toit. Ces faits, outre l’existence de nombreux firmans des sultans, confirmaient les droits des latins. Mais, au XVIe siècle, grâce à l’avidité des pachas et des beys, les grecs réussirent très souvent à racheter les biens acquis par les franciscains; des lieux saints furent même plusieurs fois cédés successivement aux uns et aux autres.
De plus, le sort des frères mineurs dépendait des guerres qui opposaient les Ottomans et les Républiques maritimes. Ainsi, en 1537, comme pour se venger de la destruction de sa flotte par les Génois, Soliman II incarcéra pendant trois ans les franciscains de Jérusalem et de Bethléem, d’abord dans la Tour de David et ensuite à Damas. La victoire des Ottomans sur la république de Venise (1669) rendit désespérée la situation des franciscains et améliora celle des grecs, qui furent autorisés à prendre possession de la basilique et de la grotte de la Nativité.
En 1690, les latins recouvraient leurs droits sur la grotte. Ils remplacèrent en 1717 l’étoile, alors vétuste, qui marquait le lieu de la naissance de Notre-Seigneur, par une nouvelle étoile portant l’inscription latine: Hic de Virgine Maria Jesus Christus natus est. Les grecs reprirent en 1757 possession de la basilique et de l’autel de la Nativité et enlevèrent en 1847 l’étoile qui attestait les droits des latins. Grâce à l’intervention du gouvernement français auprès de la Sublime-Porte, une autre étoile latine fut placée en 1853 sous la table de l’autel. L’étoile enlevée aurait été cachée dans le couvent grec de Mâr Saba où, d’après un journaliste juif, elle se trouvait encore quelques années avant 1949. Il y eut plusieurs tentatives ultérieures pour détacher de nouveau l’étoile; des clous furent même enlevés en 1950.
La disparition de l’étoile de Bethléem a constitué une des occasions de la guerre de Crimée (et, incidemment, la cause première de la création du corps italien des bersagliers). Mais, pour ce développement de l’affaire de l’étoile, comme pour le problème connu sous le nom de statu quo, et qui intéresse aussi les autres lieux saints, disons seulement ici que les communautés latine, grecque orthodoxe et arménienne orthodoxe sont copropriétaires de la basilique. (Entre 1810 et 1829, les arméniens orthodoxes avaient en effet réussi à s’établir dans la basilique et à prendre possession du bras nord du transept.) Les grecs orthodoxes ont le droit d’officier à leur autel, de même que les arméniens orthodoxes. Dans la grotte de la Nativité, les latins sont propriétaires d’un escalier, de la Crèche, de la voûte, des parois longues, ainsi que du pavement, et ils ont le droit de célébrer la messe à l’autel des Mages. Les grecs orthodoxes possèdent la petite abside de la Nativité, où ils célèbrent la messe. Ils partagent ce droit avec les arméniens orthodoxes. Les syriens orthodoxes peuvent officier dans la basilique deux fois par an (Noël et Pâques) et les coptes orthodoxes une fois par an (Noël). Chacune des communautés copropriétaires détient une des trois clés qui ouvrent et ferment la petite porte de la basilique. Les grecs orthodoxes peuvent exercer leur droit d’ouvrir et de fermer cette porte le matin et le soir, lorsque la cloche latine sonne l’angélus.
Le 25 avril 1873 eut lieu une violente agression des grecs orthodoxes, qui blessèrent huit pères franciscains et saccagèrent la grotte de la Nativité, enlevant tout ce qui avait quelque valeur. A la suite de cet événement, le sultan fit mettre une sentinelle pour veiller sans relâche à la paix dans la grotte de la Nativité. Les attaques des grecs ne cessèrent pourtant pas, et d’autres frères mineurs furent victimes de coups et de blessures. Après la première guerre mondiale, la sentinelle anglaise ne servit pas non plus à grand-chose: l’année 1928 vit de nouvelles violences.
La situation se présente différemment aujourd’hui: les rapports sont cordiaux et un certain esprit de collaboration facilite la cohabitation des trois communautés.
Mais reprenons le cours des événements historiques avec l’année 1831. En Egypte, le pouvoir était alors exercé par un Albanais, Mohammed Ali, qui avait combattu contre Napoléon comme bin-bashi (plus grand) des bashibozuq (troupes irrégulières turques). Ce soldat courageux, doublé d’un homme d’Etat, était devenu gouverneur, mais il désirait faire de l’Egypte un Etat indépendant de Constantinople. Il engagea donc les hostilités contre la Turquie et, durant une campagne, envoya en Palestine une armée de 30000 hommes sous les ordres de son fils Ibrâhîm Pacha. A partir de 1831, et pendant dix ans, la région dépendit de l’Egypte. Les chrétiens expulsèrent les musulmans de Bethléem et Ibrâhîm Pacha, pour punir ces derniers de leurs continuels actes de brigandage, ordonna en 1834 la destruction de leur quartier. Depuis lors, la population de Bethléem a été en majorité chrétienne jusqu’à une époque récente. En 1988 la ville comptait quelque 45500 habitants dont 33500 musulmans et 12000 chrétiens. Avec les deux intifadas (1987 et 2000) l’émigration n’a fait qu’empirer spécialement dans la population chrétienne.
Retombée au pouvoir des Turcs en 1841 et passée sous le Mandat britannique de 1917 à 1948 comme toute la Palestine, puis sous le Royaume hachémite de Jordanie de 1948 à 1967, la localité a fait partie des territoires occupés par Israël de juin 1967 à 1994 date à laquelle, la cité est passée sous autorité palestinienne.

Papa Benoît: Solennité de l’Immaculée Conception (2005)

7 décembre, 2010

du site:

 http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/homilies/2005/documents/hf_ben-xvi_hom_20051208_anniv-vat-council_fr.html   
 
CHAPELLE PAPALE POUR LE 40 ANNIVERSAIRE DE LA CLÔTURE DU CONCILE VATICAN II

HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI

Solennité de l’Immaculée Conception

Jeudi 8 décembre 2005

Chers frères dans l’épiscopat et dans le sacerdoce,
Chers frères et soeurs,

Il y a quarante ans, le 8 décembre 1965, sur l’esplanade de la Basilique Saint-Pierre, le Pape Paul VI concluait solennellement le Concile Vatican II. Il avait été inauguré, selon la volonté de Jean XXIII, le 11 octobre 1962, qui était alors la fête de la Maternité de Marie, et il fut conclu le jour de l’Immaculée. Un cadre marial entoure le Concile. En réalité, il s’agit de beaucoup plus qu’un cadre: c’est une orientation de tout son chemin. Il nous renvoie, comme il renvoyait alors les Pères du Concile, à l’image de la Vierge à l’écoute, qui vit dans la Parole de Dieu, qui conserve dans son coeur les paroles qui viennent de Dieu et, les rassemblant comme dans une mosaïque, apprend à les comprendre (cf. Lc 2, 19.51); il nous renvoie à la grande Croyante qui, pleine de confiance, se remet entre les mains de Dieu, s’abandonnant à sa volonté; il nous renvoie à l’humble Mère qui, lorsque la mission de son Fils l’exige, s’efface et, dans le même temps, à la femme courageuse qui, alors que les disciples s’enfuient, demeure au pied de la croix. Paul VI, dans son discours à l’occasion de la promulgation de la Constitution, conciliaire sur l’Eglise, avait qualifié Marie de « tutrix huius Concilii » – « protectrice de ce Concile » (cf. Oecumenicum Concilium Vaticanum II, Constitutiones Decreta Declarationes, Cité du Vatican 1966, p. 983) et, à travers une allusion au récit de la Pentecôte rapporté par Luc (Ac 1, 12-14), il avait dit que les Pères s’étaient réunis dans la salle du Concile « cum Maria, Matre Iesu » et que, également en son nom, ils en seraient à présent sortis (p. 985).
Dans ma mémoire demeure inscrit de manière indélébile le moment où, en entendant ses paroles: « Mariam Sanctissimam declaramus Matrem Ecclesiae » – « Nous déclarons la Très Sainte Vierge Marie Mère de l’Eglise », les Pères se levèrent spontanément de leurs chaises et applaudirent debout, rendant hommage à la Mère de Dieu, à notre Mère, à la Mère de l’Eglise. De fait, à travers ce titre, le Pape résumait la doctrine mariale du Concile et donnait la clef pour sa compréhension. Marie n’a pas seulement un rapport singulier avec le Christ, le Fils de Dieu qui, comme homme, a voulu devenir son fils. Etant totalement unie au Christ, elle nous appartient également totalement. Oui, nous pouvons dire que Marie est proche de nous comme aucun autre être humain, car le Christ est homme pour les hommes et tout son être est une « présence pour nous ». Le Christ, disent les Pères, en tant que Tête, est inséparable de son Corps qui est l’Eglise, formant avec celle-ci, pour ainsi dire, un unique sujet vivant. La Mère du Chef est également la Mère de toute l’Eglise; elle est, pour ainsi dire, totalement expropriée d’elle-même; elle s’est entièrement donnée au Christ et, avec Lui, elle nous est donnée en don à tous. En effet, plus la personne humaine se donne, plus elle se trouve elle-même.
Le Concile entendait nous dire cela: Marie est tellement liée au grand mystère de l’Eglise qu’elle et l’Eglise sont inséparables, tout comme sont inséparables le Christ et elle. Marie reflète l’Eglise, elle l’anticipe dans sa personne, et, dans tous les épisodes douloureux qui frappent l’Eglise qui souffre et qui oeuvre, elle reste toujours l’étoile du salut. C’est elle qui est son centre véritable en qui nous avons confiance, même si bien souvent, ce qui est autour pèse sur notre âme. Le Pape Paul VI, dans le contexte de la promulgation de la Constitution sur l’Eglise, a mis tout cela en lumière à travers un nouveau titre profondément enraciné dans la Tradition, précisément dans l’intention d’illuminer la structure intérieure de l’enseignement sur l’Eglise développé au cours du Concile. Le Concile Vatican II devait s’exprimer sur les composantes institutionnelles de l’Eglise: sur les Evêques et sur le Pontife, sur les prêtres, les laïcs et les religieux dans leur communion et dans leurs relations; il devait décrire l’Eglise en chemin, « qui enferme des pécheurs dans son propre sein, et est donc à la fois sainte et appelée à se purifier… » (Lumen gentium, n. 8). Mais cet aspect « pétrinien » de l’Eglise est inclu dans l’aspect « marial ». En Marie, l’Immaculée, nous rencontrons l’essence de l’Eglise d’une manière qui n’est pas déformée. Nous devons apprendre d’elle à devenir nous-mêmes des « âmes ecclésiales », comme s’exprimaient les Pères, pour pouvoir nous aussi, selon la parole de saint Paul, nous présenter « immaculés » devant le Seigneur, tels qu’Il nous a voulus dès le commencement (Col 1, 321; Ep 1, 4).
Mais à présent nous devons nous demander: Qu’est-ce que signifie « Marie l’Immaculée »? Ce titre a-t-il quelque chose à nous dire? La liturgie d’aujourd’hui éclaire pour nous le contenu de cette parole à travers deux grandes images. Il y a tout d’abord le récit merveilleux de l’annonce à Marie, la Vierge de Nazareth, de la venue du Messie. Le salut de l’Ange est tissé de fils de l’Ancien Testament, en particulier du prophète Sophonie. Celui-ci fait voir que Marie, l’humble femme de province qui est issue d’une lignée sacerdotale et qui porte en elle le grand patrimoine sacerdotal d’Israël, est « le saint reste » d’Israël auquel les prophètes, au cours de toutes les périodes de douleurs et de ténèbres, ont fait référence. En elle est présente la véritable Sion, celle qui est pure, la demeure vivante de Dieu. En elle demeure le Seigneur, en elle il trouve le lieu de Son repos. Elle est la maison vivante de Dieu, qui n’habite pas dans des édifices de pierre, mais dans le coeur de l’homme vivant. Elle est le germe qui, dans la sombre nuit d’hiver de l’histoire, jaillit du tronc abattu de David. En elle s’accomplit la parole du Psaume: « La terre a donné son fruit » (67, 7). Elle est le surgeon, duquel dérive l’arbre de la rédemption et des rachetés. Dieu n’a pas essuyé un échec, comme il pouvait sembler au début de l’histoire avec Adam et Eve, ou bien au cours de l’exil à Babylone, et comme il semblait à nouveau à l’époque de Marie, quand Israël était devenu un peuple sans importance dans une région occupée, avec bien peu de signes reconnaissables de sa sainteté. Dieu n’a pas failli. Dans l’humilité de la maison de Nazareth vit l’Israël saint, le reste pur. Dieu a sauvé et sauve son peuple. Du tronc abattu ressurgit à nouveau son histoire, devenant une nouvelle force vive qui oriente et envahit le monde. Marie est l’Israël saint; elle dit « oui » au Seigneur, se met pleinement à sa disposition et devient ainsi le temple vivant de Dieu.
La deuxième image est beaucoup plus difficile et obscure. Cette métaphore, tirée du Livre de la Genèse, nous parle à partir d’une grande distance historique, et ne peut être éclaircie qu’avec beaucoup de peine; ce n’est qu’au cours de l’histoire qu’il a été possible de développer une compréhension plus profonde de ce qui y est référé. Il est prédit qu’au cours de toute l’histoire, la lutte entre l’homme et le serpent se poursuivra, c’est-à-dire entre l’homme et les puissances du mal et de la mort. Cependant, il est également préannoncé que « la lignée » de la femme vaincra un jour et écrasera la tête du serpent, de la mort; il est préannoncé que la lignée de la femme – et en elle la femme et la mère elle-même – vaincra et qu’ainsi, à travers l’homme, Dieu vaincra. Si nous nous mettons à l’écoute de ce texte avec l’Eglise croyante et en prière, alors nous pouvons commencer à comprendre ce qu’est le péché originel, le péché héréditaire, et aussi ce que signifie être sauvergardé de ce péché héréditaire, ce qu’est la rédemption.
Quelle est la situation qui nous est présentée dans cette page? L’homme n’a pas confiance en Dieu. Tenté par les paroles du serpent, il nourrit le soupçon que Dieu, en fin de compte, ôte quelque chose à sa vie, que Dieu est un concurrent qui limite notre liberté et que nous ne serons pleinement des êtres humains que lorsque nous l’aurons mis de côté; en somme, que ce n’est que de cette façon que nous pouvons réaliser en plénitude notre liberté. L’homme vit avec le soupçon que l’amour de Dieu crée une dépendance et qu’il lui est nécessaire de se débarasser de cette dépendance pour être pleinement lui-même. L’homme ne veut pas recevoir de Dieu son existence et la plénitude de sa vie. Il veut puiser lui-même à l’arbre de la connaissance le pouvoir de façonner le monde, de se transformer en un dieu en s’élevant à Son niveau, et de vaincre avec ses propres forces la mort et les ténèbres. Il ne veut pas compter sur l’amour qui ne lui semble pas fiable; il compte uniquement sur la connaissance, dans la mesure où celle-ci confère le pouvoir. Plutôt que sur l’amour, il mise sur le pouvoir, avec lequel il veut prendre en main de manière autonome sa propre vie. Et en agissant ainsi, il se fie au mensonge plutôt qu’à la vérité et cela fait sombrer sa vie dans le vide, dans la mort. L’amour n’est pas une dépendance, mais un don qui nous fait vivre. La liberté d’un être humain est la liberté d’un être limité et elle est donc elle-même limitée. Nous ne pouvons la posséder que comme liberté partagée, dans la communion des libertés: ce n’est que si nous vivons d’une juste manière, l’un avec l’autre et l’un pour l’autre, que la liberté peut se développer. Nous vivons d’une juste manière, si nous vivons selon la vérité de notre être, c’est-à-dire selon la volonté de Dieu. Car la volonté de Dieu ne constitue pas pour l’homme une loi imposée de l’extérieur qui le force, mais la mesure intrinsèque de sa nature, une mesure qui est inscrite en lui et fait de lui l’image de Dieu, et donc une créature libre. Si nous vivons contre l’amour et contre la vérité – contre Dieu -, alors nous nous détruisons réciproquement et nous détruisons le monde. Alors nous ne trouvons pas la vie, mais nous faisons le jeu de la mort. Tout cela est raconté à travers des images immortelles dans l’histoire de la chute originelle et de l’homme chassé du Paradis terrestre.
Chers frères et soeurs! Si nous réfléchissons sincèrement sur nous et sur notre sur histoire, nous constatons qu’à travers ce récit est non seulement décrite l’histoire du début, mais l’histoire de tous les temps, et que nous portons tous en nous une goutte du venin de cette façon de penser illustrée par les images du Livre de la Genèse. Cette goutte de venin, nous l’appelons péché originel. Précisément en la fête de l’Immaculée Conception apparaît en nous le soupçon qu’une personne qui ne pèche pas du tout est au fond ennuyeuse; que quelque chose manque à sa vie: la dimension dramatique du fait d’être autonomes; qu’être véritablement hommes comprenne également la liberté de dire non, de descendre au fond des ténèbres du péché et de vouloir agir tout seuls; que ce n’est qu’alors que l’on peut exploiter totalement toute l’ampleur et la profondeur du fait d’être des hommes, d’être véritablement nous-mêmes; que nous devons mettre cette liberté à l’épreuve, également contre Dieu, pour devenir en réalité pleinement nous-mêmes. En un mot, nous pensons au fond que le mal est bon, que nous avons au moins un peu besoin de celui-ci pour faire l’expérience de la plénitude de l’être. Nous pensons que Méphistophélès – le tentateur – a raison lorsqu’il dit être la force « qui veut toujours le mal et qui accomplit toujours le bien » (J.W. v. Goethe, Faust I, 3). Nous pensons que traiter un peu avec le mal, se réserver un peu de liberté contre Dieu est au fond un bien, et peut-être même nécessaire.
Cependant, en regardant le monde autour de nous, nous pouvons voir qu’il n’en est pas ainsi, c’est-à-dire que le mal empoisonne toujours, il n’élève pas l’homme, mais l’abaisse et l’humilie, il ne le rend pas plus grand, plus pur et plus riche, mais il lui cause du mal et le fait devenir plus petit. C’est plutôt cela que nous devons apprendre le jour de l’Immaculée: l’homme qui s’abandonne totalement entre les mains de Dieu ne devient pas une marionnette de Dieu, une personne consentante ennuyeuse; il ne perd pas sa liberté. Seul l’homme qui se remet totalement à Dieu trouve la liberté véritable, l’ampleur vaste et créative de la liberté du bien. L’homme qui se tourne vers Dieu ne devient pas plus petit, mais plus grand, car grâce à Dieu et avec Lui, il devient grand, il devient divin, il devient vraiment lui-même. L’homme qui se remet entre les mains de Dieu ne s’éloigne pas des autres en se retirant dans sa rédemption en privé; au contraire, ce n’est qu’alors que son coeur s’éveille vraiment et qu’il devient une personne sensible et donc bienveillante et ouverte.
Plus l’homme est proche de Dieu et plus il est proche des hommes. Nous le voyons en Marie. Le fait qu’elle soit totalement auprès de Dieu est la raison pour laquelle elle est également si proche de tous les hommes. C’est pourquoi elle peut être la Mère de toute consolation et de toute aide, une Mère à laquelle devant chaque nécessité quiconque peut oser s’adresser dans sa propre faiblesse et dans son propre péché, car elle comprend tout et elle est pour tous la force ouverte de la bonté créatrice. C’est en Elle que Dieu imprime son image, l’image de Celui qui suit la brebis égarée jusque dans les montagnes et parmi les épines et les ronces des péchés de ce monde, se laissant blesser par la couronne d’épine de ces péchés, pour prendre la brebis sur ses épaules et la ramener à la maison. En tant que Mère compatissante, Marie est la figure anticipée et le portrait permanent de son Fils. Nous voyons ainsi que même l’image de la Vierge des Douleurs, de la Mère qui partage la souffrance et l’amour, est une véritable image de l’Immaculée. Son coeur, grâce au fait d’être et de ressentir avec Dieu, s’est agrandi. En Elle, la bonté de Dieu s’est beaucoup approchée et s’approche beaucoup de nous. Ainsi Marie se trouve devant nous comme signe de réconfort, d’encouragement, d’espérance. Elle s’adresse à nous en disant: « Aie le courage d’oser avec Dieu! Essaye! N’aie pas peur de Lui! Aie le courage de risquer avec la foi! Aie le courage de risquer avec la bonté! Aie le courage de risquer avec le coeur pur! Engage-toi avec Dieu, tu verras alors que c’est précisément grâce à cela que ta vie deviendra vaste et lumineuse, non pas ennuyeuse, mais pleine de surprises infinies, car la bonté infinie de Dieu ne se tarit jamais! »
En ce jour de fête, nous voulons rendre grâce au Seigneur pour le grand signe de sa bonté qu’il nous a donné en Marie, sa Mère et Mère de l’Eglise. Nous voulons le prier de placer Marie sur notre chemin comme une lumière qui nous aide à devenir nous aussi lumière et à porter cette lumière dans les nuits de l’histoire. Amen.

Notre-Dame de l’Avent

4 décembre, 2010

du site:

http://viechretienne.eglisejura.com/index.php?p=232

Notre-Dame de l’Avent

Notre Dame de l’Avent,
Mère de toutes nos attentes,
toi qui as senti prendre chair en ton sein
l’Espérance de ton peuple, le Salut de Dieu,
soutiens nos maternités et nos paternités,
charnelles et spirituelles.

Mère de toutes nos espérances,
toi qui accueillis la puissance de l’Esprit
pour donner chair aux promesses de Dieu,
accorde-nous d’incarner l’Amour,
signe du Royaume de Dieu,
dans tous les gestes de notre vie.

Notre Dame de l’Avent,
Mère de toutes nos vigilances,
toi qui as donné un visage à notre avenir,
fortifie ceux qui enfantent dans la douleur
un monde nouveau de justice et de paix.

Toi qui as contemplé l’enfant de Bethléem,
rends-nous attentifs aux signes imprévisibles
de la tendresse de Dieu.

Notre Dame de l’Avent,
mère du Crucifié,
tends la main à tous ceux qui meurent
et accompagne leur nouvelle naissance
dans les bras du Père.

(ICI SUR LE SITE UN IMAGE DE MARIE)

Notre Dame de l’Avent, icône pascale,
accorde-nous cette joyeuse vigilance qui discerne,
dans la trame du quotidien,
les passages et la venue du Christ Seigneur.

Michel Hubaut

CÉLÉBRATION DES PREMIÈRES VÊPRES DU I DIMANCHE DE L’AVENT (2008)

26 novembre, 2010

du site:

http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/homilies/2008/documents/hf_ben-xvi_hom_20081129_vespri-avvento_fr.html

CÉLÉBRATION DES PREMIÈRES VÊPRES DU  I DIMANCHE DE L’AVENT

HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI

Basilique Vaticane

Samedi 29 novembre 2008

Chers frères et sœurs!

Avec cette liturgie des vêpres, nous commençons l’itinéraire d’une nouvelle année liturgique, en entrant dans le premier des temps qui la composent: l’Avent. Dans la lecture biblique que nous venons d’écouter, tirée de la Première Lettre aux Thessaloniciens, l’apôtre Paul utilise précisément ce terme: « venue », qui en grec se dit « parusia » et en latin « adventus » (1 Ts 5, 23). Selon la tradition commune de ce texte, Paul exhorte les chrétiens de Thessalonique à demeurer irrépréhensibles « pour la venue » du Seigneur. Mais dans le texte original on lit « dans la venue » , comme si l’avent du Seigneur était, plus qu’un point du temps dans l’avenir, un lieu spirituel où cheminer déjà dans le présent, pendant l’attente, et au sein duquel être justement parfaitement gardés dans toutes nos dimensions personnelles. En effet, c’est précisément cela que nous vivons dans la liturgie: en célébrant les temps liturgiques, nous actualisons le mystère – dans ce cas-là, la venue du Seigneur – de manière à pouvoir, pour ainsi dire, « cheminer en elle » vers sa pleine réalisation, à la fin des temps, mais en puisant déjà sa vertu sanctificatrice, étant donné que les temps derniers ont déjà commencé avec la mort et la résurrection du Christ.
Le terme qui résume cet état particulier, où l’on attend quelque chose qui doit arriver, mais que dans le même temps l’on entrevoit et l’on pressent, est « espérance ». L’Avent est par excellence la saison spirituelle de l’espérance, et en lui, l’Eglise tout entière est appelée à devenir espérance, pour elle-même et pour le monde. Tout l’organisme spirituel du Corps mystique assume, pour ainsi dire, la « couleur » de l’espérance. Tout le peuple de Dieu se remet en chemin attiré par ce mystère: que notre Dieu est « le Dieu qui vient » et qui appelle à aller à sa rencontre. De quelle manière? Tout d’abord sous cette forme universelle de l’espérance et de l’attente qui est la prière, qui trouve son expression éminente dans les Psaumes, paroles humaines à travers lesquelles Dieu lui-même a placé et place continuellement sur les lèvres et dans le cœur des croyants l’invocation de sa venue. Arrêtons-nous donc quelques instants sur les deux Psaumes sur lesquels nous venons de prier et qui se suivent également dans le Livre biblique: le 141 et le 142, selon la numérotation juive.
« Seigneur, je t’appelle: accours vers moi! / Ecoute mon appel quand je crie vers toi! / Que ma prière devant toi s’élève comme un encens, / et mes mains comme l’offrande du soir » (Ps 141, 1-2). C’est ainsi que commence le premier psaume des premières vêpres de la première semaine du Psautier: des paroles qui, au début de l’Avent, prennent une nouvelle « couleur », parce que l’Esprit Saint les fait résonner en nous toujours à nouveau, dans l’Eglise en chemin entre le temps de Dieu et le temps des hommes. « Seigneur… accours vers moi » (v. 1). C’est le cri d’une personne qui se sent en grave danger, mais c’est aussi le cri de l’Eglise parmi les multiples pièges qui l’entourent, qui menacent sa sainteté, cette intégrité irrépréhensible dont parle l’apôtre Paul, qui doit en revanche être conservée pour la venue du Seigneur. Et dans cette invocation résonne également le cri de tous les justes, de tous ceux qui veulent résister au mal, aux séductions d’un bien-être inique, de plaisirs qui offensent la dignité humaine et la condition des pauvres. Au début de l’Avent, la liturgie de l’Eglise fait à nouveau sien ce cri, et elle l’élève à Dieu « comme un encens » (v. 2). L’offrande des Vêpres de l’encens est en effet le symbole de la prière, de l’effusion des cœurs tournés vers Dieu, vers le Très-Haut, ainsi que « les mains que j’élève, en offrande du soir » (v. 2). Dans l’Eglise, l’on n’offre plus de sacrifices matériels, comme cela advenait également dans le temple de Jérusalem, mais on élève l’offrande spirituelle de la prière, en union avec celle de Jésus Christ, qui est dans le même temps Sacrifice et Prêtre de l’Alliance nouvelle et éternelle. Dans le cri du Corps mystique, nous reconnaissons la voix même de la Tête: le Fils de Dieu qui s’est chargé de nos épreuves et de nos tentations, pour nous donner la grâce de sa victoire.
Cette identification du Christ avec le Psalmiste est particulièrement évidente dans le deuxième Psaume (142). Ici, chaque parole, chaque invocation fait penser à Jésus dans la passion, en particulier à sa prière au Père sur le Gethsémani. Lors de sa première venue, à travers l’incarnation, le Fils de Dieu a voulu partager pleinement notre condition humaine. Naturellement, il n’a pas partagé le péché, mais pour notre salut il en a souffert toutes les conséquences. En priant le Psaume 142, l’Eglise revit chaque fois la grâce de cette compassion, de cette « venue » du Fils de Dieu dans l’angoisse humaine jusqu’à en toucher le fond. Le cri d’espérance de l’Avent exprime alors, dès le début et de la manière la plus forte, toute la gravité de notre état, notre besoin extrême de salut. Comme pour dire: nous attendons le Seigneur non à la manière d’une belle décoration sur un monde déjà sauvé, mais comme unique voie de libération d’un danger mortel. Et nous savons que Lui-même, le Libérateur, a dû souffrir et mourir pour nous faire sortir de cette prison (cf. v. 8).
Ces deux Psaumes nous mettent, pour ainsi dire, à l’abri de toute tentation d’évasion et de fuite de la réalité; ils nous préservent d’une fausse espérance, qui consisterait à entrer dans l’Avent et aller vers Noël en oubliant le caractère dramatique de notre existence personnelle et collective. En effet, une espérance fiable, qui ne soit pas trompeuse, ne peut qu’être une espérance « pascale », comme nous le rappelle chaque samedi soir le cantique de la Lettre aux Philippiens, avec laquelle nous louons le Christ incarné, crucifié, ressuscité et Seigneur universel. Tournons vers Lui notre regard et notre cœur, en union spirituelle avec la Vierge Marie, Notre Dame de l’Avent. Plaçons notre main dans la sienne et entrons avec joie dans ce nouveau temps de grâce que Dieu offre à son Eglise, pour le bien de l’humanité tout entière. Comme Marie et avec son aide maternelle, soyons dociles à l’action de l’Esprit Saint, pour que le Dieu de la paix nous sanctifie pleinement, et que l’Eglise devienne signe et instrument d’espérance pour tous les hommes. Amen!

L’AVENT – LA PRÉPARATION A LA VENUE DU SEIGNEUR.

26 novembre, 2010

du site:

http://www.salve-regina.com/Spiritualite/Avent.html

L’AVENT – LA PRÉPARATION A LA VENUE DU SEIGNEUR.

d’après Pius Parsch

Quand, après les nombreuses semaines qui suivent la Pentecôte, nous chantons les premières vêpres du dimanche de l’Avent, nous nous rendons immédiatement compte de la différence. Auparavant la liturgie était simple, calme ; maintenant elle est poétique, débordante de sentiment. Le premier chant :  » En ce jour la douceur coulera  » nous dit expressément que nous entrons dans un temps plein d’espérance joyeuse, un temps d’attente, d’aspirations et de joie.
Qu’est précisément pour nous l’Avent? Après ce que nous avons exposé plus haut, la chose est claire, c’est une préparation à la venue de grâce du Seigneur. Le martyrologe romain annonce pour le premier dimanche de l’Avent « Le premier dimanche du temps de préparation à la venue de Notre Seigneur Jésus-Christ ».
L’Avent est donc nettement un temps de désir, d’aspirations, d’attente. Pour que la nourriture soit profitable, il faut que le corps ait la sensation de la faim. Dieu non plus ne veut pas imposer sa grâce à des âmes rassasiées.  » Ceux qui ont faim, il les remplit de biens ; quant aux riches, il les renvoie les mains vides « . C’est là une des plus anciennes lois du royaume de Dieu. C’est pourquoi, pendant quatre semaines, l’Église nous fait ressentir la faim spirituelle, le besoin de Rédemption, afin de nous rendre dignes de recevoir la grâce de la Rédemption. Nous nous demandons comment éveille-t-elle en nous ce sentiment de faim spirituelle ? Elle le fait avec une grande maîtrise. Elle nous représente dramatiquement le premier avènement du Christ et, dans ce drame sacré, elle nous fait partager la faim spirituelle, l’ardent désir des plus nobles et des meilleurs hommes qui ont attendu la merveilleuse méthode éducative dont Dieu s’est servi pour préparer l’humanité à la venue du Rédempteur.
Cette préparation divine a été triple. Toute l’histoire sainte, l’Ancien Testament nous conduit comme un éducateur vers le Christ. Quand la plénitude des temps fut arrivée, Dieu envoya un précurseur spécial ; sa personne, sa vie annonçaient l’avènement du Christ. Enfin Dieu bâtit pour son Fils un temple de pierres précieuses : le corps et l’âme de la Mère de Dieu. Cette triple préparation à la venue du Christ doit nous instruire, nous aussi, à attendre, l’avènement de grâce du Christ. Nous comprenons maintenant pourquoi ces trois éléments occupent une place si large dans l’Avent : l’Ancien Testament, Saint Jean-Baptiste et la Sainte Vierge.
a) Le porte-parole et l’interprète de l’Ancien Testament est le prophète Isaïe. Il incarne à la fois a préparation de Dieu et les désirs de l’humanité.
Ce serait une méditation intéressante (on pourrait la faire les soirs d’Avent) de parcourir tout l’Ancien Testament et d’y rechercher les prophéties messianiques. On verrait comment, après s’être présentées en quelques traits obscurs, elles deviennent sans cesse plus précises, plus claires, plus vivantes. C’est ainsi que Dieu faisait l’éducation de l’humanité pour la conduire vers le Rédempteur. On passe ainsi du Protévangile (aux portes du paradis terrestre) à travers Noé, Abraham, la bénédiction de Jacob, Moïse, David, Salomon, jusqu’aux Prophètes dont Isaïe est le prince. Notre Mère l’Église a fait de cette révélation graduelle de Dieu un principe de sa liturgie. Nous le voyons particulièrement dans l’Avent.
L’Avent se partage en deux grandes parties : la première comprend les deux premières semaines de l’Avent. Pendant ces deux semaines, l’invitatoire salue le  » Roi qui va venir « . A partir du troisième dimanche, l’Église accentue son attente :  » Le Seigneur est tout près « . Dans la première partie, les deux dimanches représentent deux étapes. Le premier dimanche nous apporte le message : Le Roi vient ; le second annonce avec plus de précision : Il vient vers Jérusalem (c’est-à-dire dans l’Église). La seconde partie commence immédiatement avec un chant de joie :  » Réjouissez-vous dans le Seigneur; je vous le dis de nouveau, réjouissez-vous car le Seigneur est proche « . C’est la première étape. La seconde est constituée par les Quatre-Temps qui nous apportent un nouveau message : Le Seigneur vient comme Homme. Nous entendons la préhistoire de sa naissance. Une troisième étape est constituée par les antiennes O. Ce sont les jours de l’attente la plus pressante de l’Avent. Au soir de la vigile de Noël, enfin, nous nous tenons devant les portes qui s’ouvrent et donnent au monde le Sauveur.
Dieu a révélé le Rédempteur d’une manière progressive et l’Église l’imite dans sa liturgie. C’est ainsi également que les choses se passent dans la vie de notre âme Dans notre âme aussi, la lumière du Christ se fait de plus en plus claire jusqu’à ce que nous ayons atteint notre maturité et que nous puissions voir la face rayonnante du Rédempteur, à l’heure de notre mort.
Cependant Isaïe nous présente aussi les nobles fruits de l’Ancien Testament. Il est le représentant de tous les justes qui, avec toute l’ardeur de leur âme, ont imploré le Rédempteur. Il doit évoquer dans notre âme cette ardeur de désirs. C’est pourquoi son imploration :  » Cieux, répandez votre rosée; nuées, laissez tomber le juste (le Rédempteur) ; que la terre s’ouvre et fasse germer le Sauveur  » est devenue la prière d’Avent la plus connue de la chrétienté.
b) Quand je commençais à vivre de la vie de l’Église, je m’expliquais assez mal le rôle que joue saint Jean-Baptiste dans l’Avent. Mais, au cours des années, je compris de mieux en mieux qu’il y avait sa place. Sa vie, sa parole, sa personne sont une préparation à la venue du Christ. Dieu en a fait le précurseur, le héraut du premier avènement du Christ ; l’Église en fait le héraut et le précurseur de l’avènement du Christ par la grâce., Quand il parut jadis, il prêcha au peuple juif la pénitence et là conversion :  » Convertissez-vous, le royaume de Dieu est proche « . Il nous prêche la même chose aujourd’hui. Nous pouvons le dire, c’est le Baptiste qui a fait de l’Avent un temps de pénitence. Sa parole :  » Préparez les voies du Seigneur, rendez droits ses sentiers ; toute vallée sera comblée, toute montagne et toute colline sera abaissée ; ce qui est courbe sera redressé « , cette parole est pour nous une exhortation à un véritable renouvellement de vie.
c) Il y a une manifestation particulière de la bonté et de l’amabilité de Dieu dans le fait qu’il a rendu l’oeuvre de la Rédemption si humainement proche de nous. Le Rédempteur devait devenir un Enfant des hommes, se soumettre au cours de la nature, être conçu et enfanté. Ceci nous montre la condescendance de Dieu dans l’oeuvre de notre salut ; il ne voulait pas nous apparaître comme le Dieu terrible ; il voulait, être un véritable Emmanuel (Dieu avec nous). Aussi il a introduit une noble figure de femme dans le plan de la Rédemption ; elle devait y coopérer. Tout cela est si aimable et si touchant que la chrétienté – et on le comprend sans peine, ne peut détacher son regard de ce souvenir. Elle ne cesse de voir la Mère avec son divin Enfant. Comprenons-nous maintenant pourquoi l’Église nous fait marcher à travers l’Avent en compagnie de Marie et nous fait puiser nos méditations dans le cœur de Marie ? Si l’Avent est en premier lieu une préparation à la venue du Christ par la grâce, quel plus beau modèle pouvons-nous trouver que Marie qui reçut corporellement le Christ, lui donna asile et eut le droit d’être appelée sa vraie Mère? Oui le mystère, de la maternité divine, le plus sublime symbole de l’habitation de Dieu en nous, doit trouver une large place dans l’Avent. C’est pourquoi nous entendons sans cesse retentir la cloche de l’Ave.
C’est là un triple accord merveilleux Isaïe, Jean, Marie, une harmonie dont chaque son est d’une Mélodie rare : saints désirs, pénitence, union à Dieu. Voilà ce que doit être pour nous l’Avent.

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