LE SECRET DE LA PRIÈRE – DU CARDINAL NEWMAN
13 octobre, 2016http://www.foi-et-contemplation.net/prier/cardinal-newman/sermon-01.php
LE SECRET DE LA PRIÈRE – DU CARDINAL NEWMAN
I – L’intercession
» Faites toujours par l’Esprit toutes sortes de prières et de supplications, et, pour cela, veillez en toute persévérance et priez tous les saints «
(Eph. . VI, 18) – Parochial sermons, III, pp. 350 – 366)
Quiconque a de l’Évangile quelque connaissance sait que la prière y est spécialement recommandée. Mais peut-être n’a-t-on pas fait attention au genre de prière que réclament très exactement les auteurs inspirés. La prière pour nous-mêmes est le plus évident des devoirs, dans la mesure où liberté nous est donnée de nous y livrer, liberté concédée distinctement et miséricordieusement par le Christ quand il est venu. Voilà qui découle clairement de la situation même ; mais il nous commande aussi expressément, avec cette promesse nous concernant, de » demander, et il nous sera donné « . Quoique la prière soit en elle-même le premier et le plus élémentaire des devoirs du chrétien, les apôtres, il y a lieu de l’observer, insistent spécialement sur une autre de ses formes : la prière pour autrui, pour nous-mêmes en communion avec les autres, pour l’Église et pour le monde, afin qu’il puisse s’y incorporer. L’intercession est la caractéristique du culte, le privilège de la céleste adoption, l’intelligence spirituelle parfaite. Tel est le sujet sur lequel je veux maintenant attirer votre attention.
1. Voyons tout d’abord les injonctions expresses de l’Écriture. Prenons à titre d’exemple ce texte : » Faites en tout temps par l’Esprit toutes sortes de prières et de supplications, jusqu’à en perdre le sommeil, veillant avec une persévérance continuelle et priant pour tous les saints (Eph, VI, 18). Observez l’ardeur de l’intercession ici préconisée : » en tout temps « , toute supplication » et » jusqu’à en perdre le sommeil « . De même dans l’Epitre aux Colossiens : » Persévérez dans la prière, apportez-y de la vigilance, avec action de grâces, tout en priant aussi pour nous… » (Col., IV, 2-3). Encore : » Frères, priez pour nous » (I Thess., V, 25). et, entrant dans le détail : » Je vous exhorte en premier lieu à supplier, à prier, à intercéder, à rendre grâces, pour tous les hommes ; pour les rois et ceux qui ont l’autorité… Je veux donc que tous les hommes prient en tout lieu » (I Tim., II, 1-2,8).
Qu’on parcoure les épîtres, et que l’on compte le nombre des exhortations qui s’y rencontrent à prier simplement pour soi-même. L’on en trouvera peu ou pas du tout, celles qui paraissent telles au premier abord n’ayant réellement trait qu’au bien de l’Église. Ainsi, pour en venir aux mots qui font suite au texte, saint Paul, en réclamant de ses frères des prières, semble plaider pour lui-même, mais il continue en expliquant pourquoi : c’est » afin qu’il puisse faire connaître l’Évangile, ou, c’est » afin que la parole du Seigneur puisse se donner libre cours et être glorifiée » ou, encore, comme il le dit en un passage : » Que celui qui parle une langue inconnue prie pour qu’il puisse interpréter « , ce qui est aussi une demande en faveur de l’édification de l’Église (II Thess., III, 1 ; I Cor., XIV, 2-5).
Considérons au surplus le propre exemple de saint Paul tout à fait en accord avec ses exhortations : » Je ne cesse de rendre grâces pour vous, faisant mention de vous dans mes prières afin que le Dieu de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père de Gloire, puisse vous donner l’esprit de sagesse et la révélation de sa connaissance (Eph., I, 16.) » Je remercie mon Dieu chaque fois que je me souviens de vous, toujours, chaque fois que je prie pour vous tous, adressant ma requête avec joie » (Philipp., I, 3-4) » Nous remercions Dieu, le père de notre Seigneur Jésus-Christ, faisant mention de vous dans nos prières » (Col.,I 3 ; I Thess., I, 2). Les exemples de prières signalées dans le livre des Actes sont de même nature, c’est-à-dire presque entièrement des intercessions, comme celles dont on se sert dans les ordinations, les confirmations, les guérisons, les missions et autres. Par exemple : » Comme ils intercédaient devant le Seigneur et jeûnaient, l’Esprit Saint dit : » Mettez à part Barnabé et Saul pour l’œvre à laquelle je les ai destinés « , et, quand ils eurent prié et jeûné, ils imposèrent sur eux les mains et les envoyèrent « . Et encore, à propos de la guérison d’une femme du nom de Tabitha, à Joppé : » Pierre fit sortir tout le monde, s’agenouilla et pria. Puis, se tournant vers le corps, il dit : Tabitha ! Lève-toi » (Actes, XIII, 2-3 ; IX, 40)
2. Telle est la leçon qui se dégage des paroles et des actes des apôtres et de leurs frères. Il n’en pouvait être autrement, étant donné que le christianisme est une religion sociale et qu’il l’est avant tout. Si les chrétiens sont faits pour vivre ensemble, ils doivent prier ensemble, et la réunion de leurs prières doit nécessairement avoir un caractère d’intercession, étant donné qu’ils les offrent les uns pour les autres, pour l’ensemble et pour eux-mêmes, en tant que faisant partie de cet ensemble. Dans la mesure où l’unité est un devoir proprement évangélique, la prière évangélique prend un caractère social, et l’intercession devient une preuve de l’existence d’une Église catholique.
Conséquemment, les exemples d’intercession qui précèdent sont fournis par les chrétiens. Que l’on compare d’autre part les prières venant de personnes non chrétiennes, qui nous ont été conservées, et l’on trouvera qu’elles n’ont pas le caractère d’intercession. Nous savons, par exemple, qu’il fut répondu à la prière de saint Pierre, dans la chambre haute de la maison de Simon, par la révélation de la vocation des gentils. Vue à la lumière des textes déjà cités, nous pouvons conclure que, si telle était la réponse, telle avait été la prière, c’est-à-dire se rapportant aux autres. D’un autre côté, Corneille, n’étant pas encore chrétien, fut aussi gratifié d’une réponse à sa prière : » Ta prière est entendue ; fais venir Simon dont le surnom est Pierre ; il te dira ce que tu dois faire. » Pouvons-nous douter, partant de ces paroles de l’ange, que ses prières aient été offertes pour lui spécialement ? De même, lors de la conversion de saint Paul, il est dit : » Voici qu’il prie. » Il est évident qu’il priait pour lui, mais observons que c’était avant qu’il ne fût chrétien. Ainsi, si nous devons juger de l’importance relative des devoirs religieux par les exemples qui nous restent de la manière dont on les doit accomplir, nous pouvons dire que l’intercession est la prière qui distingue un chrétien de ceux qui ne le sont pas.
3. Mais l’exemple de saint Paul nous découvre une seconde raison d’une telle distinction. L’intercession est l’observance propre du chrétien, parce que, seul, il est en mesure de l’offrir. Elle est la fonction de ceux qui sont justifiés et obéissants, des fils de Dieu qui » ne marchent pas selon la chair, mais selon l’esprit « , non des gens charnels et non régénérés. Cela est évident pour la raison naturelle. L’aveugle qui fut guéri dit du Christ : » Nous savons que Dieu n’écoute pas les pêcheurs, mais, si quelqu’un adore Dieu et fait sa volonté, c’est celui-là qu’il écoute » (Jean, IX, 31). Saul, le persécuteur, ne pouvait manifestement pas intercéder comme Paul l’Apôtre. Il avait d’abord à être baptisé et pardonné. Ce serait présomption et extravagance chez un pêcheur, avant sa régénération, de faire autre chose que de confesser ses péchés et de détourner de lui sa colère. À ce moment, il n’est pas encore sorti de lui-même, n’ayant pu s’y essayer ; il a assez à régler en son dedans. Sa conscience lui pèse lourdement, et il n’a pas » les ailes d’une colombe pour voler et se reposer « .
Pas n’est besoin, dis-je, d’aller jusqu’à l’Écriture pour établir un point si évident. Nos premières prières doivent toujours être pour nous-mêmes. Notre propre salut est notre affaire personnelle ; tant que nous n’avons pas fait effort pour nous le procurer, tant que nous n’essayons pas de vivre religieusement et que nous ne prions pas pour en être rendus capables, et même jusqu’à ce que nous y ayons progressé, se serait hypocrisie, ou tout au moins outrecuidance, que de s’occuper des autres. Je ne veux pas dire par là que la prière pour soi vient toujours en premier lieu dans l’ordre du temps et l’intercession en second. Grâces à Dieu, nous avons commencé par une vie de pureté et d’innocence. L’intercession n’est jamais plus indiquée que lorsque a été complètement aboli le péché et que le cœur est le plus affectionné et le moins égoïste.
Je ne nie pas qu’un souci de l’âme des autres ne puisse être le premier signe qu’un homme commence à penser à la sienne propre, où que les personnes qui ressentent de la culpabilité en elles-mêmes prient souvent pour ceux qu’elles révèrent et aiment, lorsqu’elles sont sous l’influence de la crainte ou d’une angoisse morale, en proie à quelque autre forte émotion, ou, peut-être, à d’autres moments. Il n’ y a pas moins quelque chose d’incongru et d’inconsistant, de la part de quelqu’un, à se permettre d’intercéder tout en étant habituellement en état de péché.
Il reste vrai aussi que la plupart des hommes, plus ou moins, s’éloignent de Dieu, souillent leur robe baptismale, ont besoin de la grâce du repentir et d’être rappelés à la nécessité de la prière pour eux-mêmes comme première étape, avant d’en venir à toute autre. » Dieu n’écoute pas les pêcheurs « , la nature nous le dit, mais nul, sauf Dieu lui-même, ne pourrait dire s’il écoutera ceux qui ne le sont pas et les entendra, car, » nous avons beau avoir fait ce qu’il faut, nous n’en sommes pas moins des serviteurs inutiles et ne pouvons demander de récompense pour nos services « . Mais il nous a promis cette grâce dans l’Écriture, ainsi que le montreront les textes qui vont suivre.
» La prière fervente d’un juste a beaucoup d’utilité » (Jacques, V, 16), nous dit par exemple saint Jacques, et saint Jean : « Tout ce que nous demandons, nous le recevons de Lui, parce que nous gardons Ses commandements et faisons ce qui est agréable en Sa présence » (I Jean, III, 22.). Pesons au surplus avec soin les recommandations solennelles de notre Seigneur un peu avant sa crucifixion et qui, bien que s’adressant en premier lieu à ses apôtres, concernent à leur manière tous ceux qui » croient en Lui grâce à leur parole « . Nous verrons que l’obéissance ferme, mûrie, habituelle, la sainteté à longueur de vie est considérée par Lui comme la condition de ses faveurs intimes et du pouvoir d’intercession. » Si vous demeurez en moi, dit-il, et que mes paroles demeurent en vous, vous demanderez ce que vous voudrez, et cela vous sera accordé. La gloire de mon Père est que vous portiez beaucoup de fruit ; ainsi serez-vous mes disciples. Comme le Père m’a aimé, ainsi je vous ai aimés ; demeurez dans mon amour. Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour. Vous serez mes amis si vous faites ce que je vous commande. Désormais, je ne vous appelle plus mes serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître, mais je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître » (Jean XV, 7-15). Partant de cette grâce concernant le privilège particulier à l’Évangile qui nous vaut d’être les amis du Christ, il est certain que, de même que la prière du repentir nous obtient à nous, pêcheurs, le baptême et la justification, de même le don supérieur qui nous vaut d’être reçus en faveur et exaucés dépend du fait d’ » ajouter à notre foi la vertu « .
Venons-en aux exemples qui nous sont donnés de saintes gens de la première alliance, dont l’obéissance et le privilège furent des anticipations de l’Évangile. Saint Jacques, à la suite du passage de son épître déjà cité, parle ainsi d’Élie : » Élie fut un homme sujet aux mêmes passions que nous ; il pria de tout son pouvoir pour qu’il ne plût pas, et il ne plut pas sur terre l’espace de trois ans et six mois » (Jacques V., 17. 8). Le saint homme Job fut désigné par le Dieu Tout-Puissant pour se faire l’intercesseur de ses frères égarés. Moïse, » l’homme fidèle dans toute la maison » de Dieu, nous est un autre exemple remarquable du pouvoir d’intercession, tant sur la montagne qu’en d’autres occasions, quand il plaida pour son peuple rebelle, ou dans la bataille avec Amalech, quand Israël continuait à étendre ses conquêtes aussi longtemps que restaient jointes ses mains en prière. Nous avons là un emblème frappant de cette prière continue, instante, inlassable, de personnes » élevant leurs mains saintes » qui, sous l’Évangile, prévaut près du Dieu Tout-Puissant.
De même, dans le livre de Jérémie, Moïse et Samuel nous sont présentés comme des médiateurs si puissants que seuls les péchés des Juifs étaient trop grands pour le succès de leurs prières. De même, il résulte du livre d’Ézéchiel que trois hommes comme Noé, Daniel et Job suffirent en quelques cas à sauver du jugement les nations infidèles. Dix personnes auraient pu sauver Sodome, Abraham, bien qu’il ne pût sauver cette cité réprouvée de Dieu, n’en fut pas moins capable de sauver Lot de la ruine, de même qu’à un autre moment il intercéda avec succès pour Abimelech. Le fait que le Seigneur lui avait confié ses intentions concernant Sodome était naturellement un honneur spécial et le désignait comme un ami de Dieu. » Cacherai-je à Abraham ce que je vais faire, voyant qu’Abraham deviendra sûrement une grande et puissante nation et qu’en lui seront bénies toutes les nations du monde ? » Suit la raison » » Car je l’ai choisi pour qu’il ordonne à ses fils et à sa famille après lui de garder la voie du Seigneur en pratiquant la justice et la droiture et qu’ainsi le Seigneur accomplisse les promesses qu’il lui a faites (Gen., XVIII, 17-19).
4. L’histoire des relations de Dieu avec Abraham nous apporte une leçon supplémentaire qui doit toujours venir à l’esprit, quand on parle du privilège des saints sur terre comme intercesseurs entre Dieu et l’homme. Il est possible d’imaginer une personne qui, craignant que la croyance en cette intercession ne s’oppose à la vraie acceptation de la doctrine de la croix, se sente déconcertée en la voyant dans les textes cités plus haut, si nettement liée à l’obéissance. Je dis bien déconcertée, car je n’envisagerai pas le cas de ceux, et il en est, qui, lorsque le texte de l’Écriture semble en contradiction avec lui-même, et qu’une partie paraît différer de l’autre, ne croient pas qu’il leur soit permis d’être déconcertés, se refusent à suspendre leur jugement et n’attendent pas la lumière, n’admettant pas que le plan divin est plus étendu et plus profond que leur propre capacité, mais faussent par de fallacieux arguments ce qui, dans les conseils divins, est déjà harmonieux, quoique ne l’étant pas pour eux. Je m’adresse aux personnes déconcertées ; elles devraient observer que le Dieu Tout-Puissant a, dans l’exemple même d’Abraham, notre père spirituel, prévu cet autre aspect sous lequel les plus spirituellement élevées des créatures de chair doivent se tenir sans cesse en sa présence. Il est dit ailleurs de lui : » Abraham crut dans le Seigneur, et cela lui fut imputé à justice (Gen. XV, 6.), ainsi que le fait remarquer saint Paul quand il discourt sur le caractère libre de la grâce de Dieu dans notre rédemption.
C’est par la foi qu’Abraham lui-même, bien que parfait en œvres, fut justifié. Cela nous étant rapporté dans le livre de la Genèse, semble suggérer en quelque sorte à qui cherche avec inquiétude, que sa difficulté ne peut être qu’apparente, que Dieu, tandis qu’il révèle une doctrine, n’a pas moins de souci de l’autre, ne récompensant pas ses serviteurs, quoiqu’il les récompense, en raison des œvres dues à leurs propres efforts. D’autre part, c’est un avertissement pour nous, qui insistons à juste titre sur les prérogatives qui nous sont conférées par sa grâce, de toujours nous souvenir que c’est la grâce seule qui nous ennoblit et nous relève à ses yeux. Abraham est notre père spirituel et, tel il est, tels sont ses enfants.
En nous, comme en lui, la foi doit être le fondement de tout ce qui est agréable à Dieu. C’est » par la foi que nous nous maintenons « , par la foi que nous sommes justifiés, ( » Radix justificationis : la racine de la justification « , nous dit-d’elle le concile de Trente). par la foi que nous obéissons, par la foi que nos œvres sont sanctifiées. La foi nous applique toujours davantage la grâce de notre baptême ; elle nous découvre la vertu de toutes les autres prescriptions de l’Évangile, de la sainte communion en particulier, qui est la plus haute. C’est par la foi que nous l’emportons » à l’heure de la mort et au jour du jugement « .
La manière distincte et la force avec laquelle cela nous est dit dans les épîtres, et son caractère évident, même pour la raison naturelle, est peut-être le motif pour lequel il y est moins souvent question du devoir de la prière. L’instinct même de la foi y conduit sans obligation explicite, et les sacrements garantissent son observance. En voilà assez de dit, par manière de précaution, concernant l’influence de la foi sur notre salut : elle favorise celui-ci, sans pourtant faire tort au rôle distinct des œvres, en donnant de la force à notre intercession.
Laissez-moi observer ici une particularité de l’Écriture, qui est de parler comme s’il y avait des récompenses distinctes attachées aux grâces distinctes, selon les paroles de notre Seigneur : » À celui qui a, il sera donné davantage » (Matt., XIII, 12). De sorte que ce qui a été dit pour mettre en contraste foi et œvres n’est qu’un exemple d’une règle générale. Ainsi, dans le sermon sur la montagne, les béatitudes sont appelées sur des vertus distinctes respectivement : » Bienheureux les doux, car ils posséderont la terre » ; » Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu « , (Matt. XIII, 12) et le reste de même.
Je n’essaierai pas de préciser ce que sont ces grâces particulières, ce que sont ces récompenses, comment l’une rend apte à l’autre, quel lien réel il y a entre la récompense et la grâce, ou dans quelle mesure une grâce peut être distinguée d’une autre réalité. Nous savons que tout dépend de la racine qui est la foi et qu’il n’y a, dans les différentes personnes, qu’une différence de développement. Au surplus, nous voyons dans l’Écriture que la même récompense n’est pas invariablement assignée à la même grâce, comme si, en raison de l’union intime entre toutes les grâces, les récompenses qui s’y attachent pourraient, ce qui a lieu en fait, se prêter et s’échanger l’une et l’autre. Il nous y est dit assez cependant pour diriger nos esprits vers l’existence du principe lui-même, bien que nous soyons incapables d’en pénétrer la justification et les conséquences. C’est un peu d’après ce principe que nos Articles (Allusion aux XXXIX Articles qui peuvent être considérés comme la charte et, si l’on peut dire, le Credo de l’Église anglicane.) attribuent la justification à la foi seule, comme un symbole du caractère libre de la grâce de notre rédemption, (On reconnaît ici le point de vue cher à Newman qui consiste à enlever aux articles en questions leur caractère calviniste et à montrer qu’ils sont susceptibles d’une interprétation catholique) exactement comme, dans la parabole du pharisien et du publicain, notre Seigneur semble imputer celle-ci à l’humilité et, dans ses paroles à la » femme pécheresse « , à l’amour autant qu’à la foi, tandis que saint Jacques, lui, la rend solidaire des actes. En d’autres cas, la récompense suit son cours naturel. Ainsi le don de la sagesse est le résultat ordinaire de l’épreuve religieusement supportée ; le courage, de l’endurance. C’est de cette manière que saint Paul déduit une série de dons spirituels l’un de l’autre, l’épreuve de la patience, l’espérance de l’épreuve, le courage et la confiance de l’espérance.
Je n’ajouterai que deux exemples tirés de l’Ancien Testament. Le commandement dit : » Honore ton père et ta mère, afin que tu aies de longs jours « , promesse qui s’exécute d’une manière signalée dans le cas même des réchabites, qui n’étaient pourtant pas d’Israël. Nous apprenons encore par l’histoire de Daniel que l’illumination ou autre pouvoir miraculeux est la récompense du jeûne et de la prière. : » En ces jours, moi, Daniel, je m’affligeai trois semaines pleines. Je ne mangeai pas de bon pain ni ne goûtai de viande et de vin, ni ne fis la moindre onction jusqu’à ce que trois semaines fussent révolues, après quoi le Seigneur me dit : » Ne crains pas Daniel, car, depuis le premier jour où tu as disposé ton cœur à comprendre et à te mortifier devant ton Dieu, tes paroles ont été entendues, et c’est pourquoi je viens…Je viens pour te faire comprendre ce qui doit arriver à ton peuple dans les derniers jours (Ex. ; XX 12 ; Jér XXXV,18,19 ; Dan., X, 2-14). Comparez à ce passage la vision de saint Pierre concernant les gentils, alors qu’il priait et jeûnait, ainsi que les paroles de notre Seigneur concernant la manière de chasser l’ » esprit sourd et muet » : » Cette sorte de démon ne peut être chassé que par le jeûne et par la prière » (Marc, IX, 28). C’est au prix de telles conditions que l’intercession est le don de ceux qui obéissent ainsi que des saints.
5. Pourquoi ne pas vouloir admettre ce qu’il y a une si grande consolation à connaître ? Pourquoi refuser de croire au pouvoir transformant et à l’efficacité du sacrifice de notre Seigneur ? S’il est mort, ce n’est pas pour une fin banale, mais pour élever l’homme, qui était semblable à la poussière des champs, jusque dans » les lieux célestes « . Il n’est pas mort pour le laisser comme il était, pêcheur, ignorant et misérable ; il n’est pas mort pour voir la possession qu’il s’était acquise aussi faible en bonnes œvres, aussi corrompue, aussi misérable spirituellement, aussi découragée qu’avant sa venue. Il est mort plutôt pour renouveler l’homme à sa propre image, pour faire de lui un être en qui il puisse prendre ses délices et sa joie, pour le rendre » participant de la nature divine « , pour le remplir au-dedans et au-dehors d’un flot de grâces et de gloire , pour verser sur lui don sur don, vertu sur vertu, puissance sur puissance, l’un agissant sur l’autre et travaillant tous de concert jusqu’à ce qu’il devienne un ange sur terre, au lieu d’être un rebelle et un exilé. Il est mort pour lui obtenir ce privilège qui implique ou comprend tous les autres et lui donne la plus étroite ressemblance avec lui-même, le privilège d’intercession. Telle est, dis-je, la prérogative spéciale du chrétien, et, s’il ne l’exerce pas, c’est que certainement il ne s’est pas élevé jusqu’à la conception de sa place réelle parmi les être crées.
Qu’on ne dise pas qu’il est un fils d’Adam et a plus tard à subir un jugement. Je le sais, mais il est quelque chose de plus. À quel point il peut être avancé dans cette condition plus haute, à quel point il languit encore dans sa condition première, c’est là, pour ce qui est des individus, le secret de Dieu. Chaque chrétien est en réalité, en un certain sens, à la fois dans l’une et dans l’autre : vu en lui-même, il ne cesse de prier pour son pardon, et de confesser son péché ; vu dans le Christ par contre, » il a accès à cette grâce en laquelle nous nous tenons fermes et se réjouit dans l’espérance de la gloire de Dieu » (Rom., V, 2). Considéré à sa place dans » l’Église du premier-né enrôlé dans les Cieux « , ayant sa dette originelle annulée par le baptême et toutes les pénalités subséquentes par l’absolution, se tenant en présence de Dieu intègre et sans reproche, admis parmi ses bien-aimés, portant des vêtements de justice, oint avec l’huile et une couronne sur la tête, en habit royal et sacerdotal, comme un héritier d’éternité, plein de grâce et de bonnes œvres et marchant dans tous les commandements du Seigneur sans blâme, quelqu’un de tel, je le répète, est en bonne situation pour intercéder. Il est fait sur le modèle et dans la plénitude du Christ ; Il est ce qu’est le Christ. Le Christ intercède là-haut, et lui ici-bas.
Pourquoi s’attarderait-il sur le seuil, priant pour son pardon, lui a qui il a été permis de partager la grâce de la passion du Seigneur, de mourir avec lui et de ressusciter ? Il est désormais capable de plus grandes choses. Sa prière prend, dès lors, une porte plus élevée ; il ne se considère plus simplement lui-même, mais les autres aussi. Il est admis dans la confidence de son maître et sauveur. Il lit dans l’Écriture ce que beaucoup n’y peuvent voir, le cour de sa providence et les règles de son gouvernement en ce monde. Il voit les événements de l’histoire avec un regard divinement illuminé. Il voit qu’existe, parmi nous, un grand conflit entre le bien et le mal. Il reconnaît, dans les chefs d’États, les guerriers, les rois et le peuple, dans les révolutions et les changements, l’affliction et la prospérité, non pas simplement les effets du hasard, mais des instruments et des témoins du Ciel et de l’enfer. De sorte qu’il est en un sens un prophète, non un serviteur obéissant sans connaître les plans et les desseins de son maître, voire un » ami intime » et un confident du fils unique de Dieu, calme, recueilli, résolu et serein, au milieu de ce monde agité et infortuné.
O mystère de bénédiction, trop grand pour qu’on puisse s’y arrêter sans être pris de vertige ! Mieux vaut, pour ceux qui sont ainsi favorisés, ne pas connaître de façon certaine leur privilège ; mieux vaut pour eux qu’ils ne puissent le deviner que timidement ou plutôt, dirai-je, comme si leurs yeux étaient retenus, qu’ils soient habitués tout autant qu’obligés à le contempler comme extérieur à eux, déposé qu’il est dans une Église dont ils ne sont que les membres, et privilège de tous les saints en tous temps et en tous lieux, sans se demander avec curiosité si, plus qu’à d’autres, il leur est particulier, ou faire plus que d’en jouir comme d’un dépôt dont ils useront avec des succès divers. Mieux vaut cela pour eux, car quel cœur mortel pourrait supporter de savoir qu’il approche du Dieu incarné au point d’être un de ceux qui vont jusqu’à la perfection de la sainteté et se tiennent sur les marches mêmes du trône du Christ ?
Quelqu’un, pour conclure, demande-t-il comment savoir s’il est assez avancé en sainteté pour intercéder ? C’est qu’il se méprend complètement sur la doctrine que nous venons de considérer. Le privilège de l’intercession est un don confié à tous les chrétiens qui ont une conscience claire et sont en pleine communion avec l’Église. À Dieu le secret des choses, c’est-à-dire le fait de savoir jusqu’à quel point chacun de nous est réellement avancé dans la sainteté et quel est son pouvoir réel sur le monde invisible. Deux choses nous regardent simplement : c’est d’exercer notre privilège et de nous en rendre de plus en plus dignes. Le serviteur paresseux et inutile cacha le talent de son maître dans un mouchoir. Que ce péché ne soit pas le nôtre pour ce qui est du plus grand de tous les privilèges.
Alors que, par les paroles et les œvres, nous pouvons seulement instruire et influencer le petit nombre, par nos prières, nous pouvons apporter un bénéfice au monde entier et chaque individu en faisant partie, haut ou bas de condition, ami, étranger et ennemi. N’est-il pas redoutable dès lors de faire un retour sur notre passé, même à ce point de vue ? Ne pouvons-nous pas dire que notre roi, notre pays, notre Église, nos institutions et nos milieux sociaux respectifs se seraient trouvés en bien meilleure situation, si nous avions prié habituellement pour eux d’une manière plus fervente et plus grave ? Comment est-il juste de nous plaindre de difficultés nationales ou personnelles ; dans quelle mesure blâmer et dénoncer les gens mal intentionnés et puissants, si nous n’avons usé que faiblement de l’intercession qui nous était offerte dans la litanie, les psaumes et la sainte communion ? Comment nous justifier à nos yeux pour les âmes qui, à notre époque, ont vécu dans le péché et y sont mortes, les âmes qui se sont perdues et attendent maintenant le jugement, les infidèles, les blasphémateurs, les libertins, les avares, les concussionnaires ou encore ceux qui nous ont quittés avec des signes de foi douteuse, pénitents du lit de mort, mondains, trompeurs, ambitieux, déréglés, badins, entêtés, en voyant, pour ce que nous en savons, que nous avions pour mission d’influencer ou de retourner leur destinée présente et que nous ne l’avons pas fait ?
Secondement et finalement, si tant de choses dépendent de nous, » quelle manière de personnes ne devons-nous pas en être en toute sainte conversation et piété ? ». Oh ! que désormais nous puissions être plus diligents que nous n’avons été, en gardant sans souillure et éclatant le miroir de nos cœurs de manière à refléter l’image du Fils de Dieu en présence du Père, exemple de la poussière et des souillures de ce monde, de l’envie et de la jalousie, de la contestation et de la discussion, de l’amertume et de la dureté, de l’indolence et de l’impureté, des soucis et des mécontentements, des fourberies et des bassesses, de l’arrogance et des fanfaronnades. Oh ! puissions nous travailler, non par nos propres forces, mais avec la puissance de Dieu, le Saint Esprit, à être sobres, chastes, tempérants, doux, affectueux, fidèles, humbles, résignés en toute circonstance, en tout temps, au milieu de toutes sortes de gens, parmi les épreuves et les tristesses de cette vie mortelle. Puisse Dieu nous accorder cette possibilité selon Sa promesse, par Son fils, notre Sauveur Jésus-Christ !