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MESSE CHRISMALE – HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI (5 avril 2012)

10 avril, 2012

http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/homilies/2012/documents/hf_ben-xvi_hom_20120405_messa-crismale_fr.html

MESSE CHRISMALE

HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI

Basilique vaticane

Jeudi Saint, 5 avril 2012

Chers frères et sœurs!

En cette messe nos pensées se tournent vers le moment où l’Évêque, par l’imposition des mains et la prière, nous a fait entrer dans le sacerdoce de Jésus Christ, de sorte que nous soyons « consacrés dans la vérité » (Jn 17, 19), comme Jésus, dans sa Prière sacerdotale, a demandé pour nous à son Père. Il est lui-même la Vérité. Il nous a consacrés, c’est-à-dire remis pour toujours à Dieu, afin que, à partir de Dieu et en vue de lui, nous puissions servir les hommes. Mais sommes-nous aussi consacrés dans la réalité de notre vie ? Sommes-nous des hommes qui agissent à partir de Dieu et en communion avec Jésus Christ ? Avec cette question le Seigneur se tient devant nous, et nous nous tenons devant lui. « Voulez-vous vivre toujours plus unis au Seigneur Jésus et chercher à lui ressembler, en renonçant à vous-mêmes, en étant fidèles aux engagements attachés à la charge ministérielle que vous avez reçue au jour de votre Ordination sacerdotale ? » C’est ainsi qu’après cette homélie, j’interrogerai individuellement chacun de vous et aussi moi-même. Par là, deux choses s’expriment surtout : ce qui est demandé c’est un lien intérieur, ou mieux, une configuration au Christ, et en ceci nécessairement un dépassement de nous-mêmes, un renoncement à ce qui est seulement nôtre, à la si vantée autoréalisation. Il est demandé que nous, que moi, je ne revendique pas ma vie pour moi-même, mais que je la mette à la disposition d’un autre – du Christ. Que je ne demande pas : qu’est-ce que j’en retire pour moi ?, mais : qu’est-ce que je peux donner moi pour lui et ainsi pour les autres ? Ou encore plus concrètement : comment doit se réaliser cette configuration au Christ, lequel ne domine pas, mais sert ; il ne prend pas, mais il donne – comment doit-elle se réaliser dans la situation souvent dramatique de l’Église d’aujourd’hui ? Récemment, un groupe de prêtres dans un pays européen a publié un appel à la désobéissance, donnant en même temps aussi des exemples concrets sur le comment peut s’exprimer cette désobéissance, qui devrait ignorer même des décisions définitives du Magistère – par exemple sur la question de l’Ordination des femmes, à propos de laquelle le bienheureux Pape Jean-Paul II a déclaré de manière irrévocable que l’Église, à cet égard, n’a reçu aucune autorisation de la part du Seigneur. La désobéissance est-elle un chemin pour renouveler l’Église ? Nous voulons croire les auteurs de cet appel, quand ils affirment être mus par la sollicitude pour l’Église ; être convaincus qu’on doit affronter la lenteur des Institutions par des moyens drastiques pour ouvrir des chemins nouveaux – pour ramener l’Église à la hauteur d’aujourd’hui. Mais la désobéissance est-elle vraiment un chemin ? Peut-on percevoir en cela quelque chose de la configuration au Christ, qui est la condition nécessaire de tout vrai renouvellement, ou non pas plutôt seulement l’élan désespéré pour faire quelque chose, pour transformer l’Église selon nos désirs et nos idées ?
Mais ne simplifions pas trop le problème. Le Christ n’a-t-il pas corrigé les traditions humaines qui menaçaient d’étouffer la parole et la volonté de Dieu ? Oui, il l’a fait, pour réveiller de nouveau l’obéissance à la vraie volonté de Dieu, à sa parole toujours valable. La vraie obéissance lui tenait justement à cœur, contre l’arbitraire de l’homme. Et n’oublions pas : il était le Fils, avec l’autorité et la responsabilité singulières de révéler l’authentique volonté de Dieu, pour ouvrir ainsi la route de la parole de Dieu vers le monde des gentils. Et enfin : il a concrétisé son envoi par sa propre obéissance et son humilité jusqu’à la Croix, rendant ainsi sa mission crédible. Non pas la mienne, mais ta volonté : c’est la parole qui révèle le Fils, son humilité et en même temps sa divinité, et qui nous indique la route.
Laissons-nous interroger encore une fois : est-ce qu’avec de telles considérations n’est pas défendu, en fait, l’immobilisme, le durcissement de la tradition ? Non. Celui qui regarde l’histoire de l’époque post-conciliaire, peut reconnaître la dynamique du vrai renouvellement, qui a souvent pris des formes inattendues dans des mouvements pleins de vie et qui rend presque tangibles la vivacité inépuisable de la sainte Église, la présence et l’action efficace du Saint Esprit. Et si nous regardons les personnes, dont sont nés et naissent ces fleuves frais de vie, nous voyons aussi que pour une nouvelle fécondité il est nécessaire d’être remplis de la joie de la foi ; sont aussi nécessaires la radicalité de l’obéissance, la dynamique de l’espérance et la force de l’amour.
Chers amis, il reste clair que la configuration au Christ est la condition nécessaire et la base de tout renouvellement. Mais peut-être que la figure du Christ nous apparaît parfois trop élevée et trop grande, pour pouvoir oser en prendre les mesures. Le Seigneur le sait. C’est pourquoi, il a pourvu à des « traductions » dans des ordres de grandeur plus accessibles et plus proches de nous. Pour cette raison justement, Paul sans timidité a dit à ses communautés : imitez-moi, mais j’appartiens au Christ. Il était pour ses fidèles une « traduction » du style de vie du Christ, qu’ils pouvaient voir et à laquelle ils pouvaient adhérer. À partir de Paul, tout au long de l’histoire il y a eu continuellement de telles « traductions » du chemin de Jésus en figures historiques vivantes. Nous prêtres nous pouvons penser à une grande foule de saints prêtres, qui nous précèdent pour nous indiquer la route : à commencer par Polycarpe de Smyrne et Ignace d’Antioche, en passant par les grands pasteurs comme Ambroise, Augustin et Grégoire le Grand, jusqu’à Ignace de Loyola, Charles Borromée, Jean-Marie Vianney, jusqu’aux prêtres martyrs du vingtième siècle et enfin jusqu’au Pape Jean-Paul II qui dans l’action et dans la souffrance nous a été un exemple dans la configuration au Christ, comme « don et mystère ». Les saints nous indiquent comment fonctionne le renouvellement et comment nous pouvons nous mettre à son service. Et ils nous font aussi comprendre que Dieu ne regarde pas aux grands nombres et aux succès extérieurs, mais rapporte ses victoires dans l’humble signe du grain de moutarde.
Chers amis, je voudrais encore brièvement m’arrêter à deux mots-clés du renouvellement des promesses sacerdotales, qui devraient nous pousser à réfléchir en ce moment de la vie de l’Église et de notre vie personnelle. Il y a avant tout le souvenir du fait que nous sommes – comme s’exprime Paul – « intendants des mystères de Dieu » (1 Co 4, 1), et que nous incombe le ministère de l’enseignement, le (munus docendi), qui est une partie de cette intendance des mystères de Dieu, où il nous montre son visage et son cœur, pour se donner lui-même à nous. Dans la rencontre des Cardinaux à l’occasion du récent Consistoire, divers Pasteurs, sur la base de leur expérience, ont parlé d’un analphabétisme religieux qui se répand dans notre société si intelligente. Les éléments fondamentaux de la foi, que dans le passé chaque enfant connaissait, sont toujours moins connus. Mais pour pouvoir vivre et aimer notre foi, pour pouvoir aimer Dieu et donc devenir capables de l’écouter de façon juste, nous devons savoir ce que Dieu nous a dit ; notre raison et notre cœur doivent être touchés par sa parole. L’Année de la foi, le souvenir de l’ouverture du Concile Vatican II, il y a 50 ans, doivent être pour nous une occasion d’annoncer le message de la foi avec un zèle nouveau et avec une nouvelle joie. Naturellement, nous le trouvons de manière fondamentale et essentielle dans la Sainte Écriture, que nous ne lirons et méditerons jamais assez. Mais en cela nous faisons tous l’expérience d’avoir besoin d’aide pour la transmettre avec rectitude dans le présent, afin qu’elle touche vraiment notre cœur. Cette aide nous la trouvons en premier lieu dans la parole de l’Église enseignante : les textes du Concile Vatican II et le Catéchisme de l’Église catholique sont des instruments essentiels qui nous indiquent de manière authentique ce que l’Église croit à partir de la Parole de Dieu. Et naturellement en fait partie aussi tout le trésor des documents que le Pape Jean-Paul II nous a donné et qui est encore loin d’avoir été exploité jusqu’au bout.
Toute notre annonce doit se mesurer sur la parole de Jésus Christ : « Mon enseignement n’est pas le mien » (Jn 7, 16). Nous n’annonçons pas des théories et des opinions privées, mais la foi de l’Église dont nous sommes des serviteurs. Mais ceci naturellement ne doit pas signifier que je ne soutiens pas cette doctrine de tout mon être et que je ne suis pas fixé solidement en elle. Dans ce contexte me vient souvent à l’esprit la parole de saint Augustin : qu’est ce qui est aussi mien que moi-même ? qu’est-ce qui est aussi peu mien que moi-même ? Je ne m’appartiens pas à moi-même et je deviens moi-même justement par le fait que je vais au-delà de moi-même et par le dépassement de moi-même je réussis à m’insérer dans le Christ et dans son Corps qui est l’Église. Si nous ne nous annonçons pas nous-mêmes et si intérieurement nous sommes devenus tout un avec Celui qui nous a appelés comme ses messagers si bien que nous sommes modelés par la foi et que nous la vivons, alors notre prédication sera crédible. Je ne fais pas de la réclame pour moi-même, mais je me donne moi-même. Le Curé d’Ars n’était pas un savant, un intellectuel, nous le savons. Mais par son annonce il a touché les cœurs des gens, parce que lui-même avait été touché au cœur.
Le dernier mot-clé que je voudrais encore évoquer s’appelle le zèle pour les âmes (animarum zelus). C’est une expression démodée qui aujourd’hui n’est presque plus utilisée. Dans certains milieux, le mot âme est même considéré comme un mot prohibé, parce que – dit-on – il exprimerait un dualisme entre corps et âme, divisant l’homme à tort. L’homme est certainement une unité, destiné avec son corps et son âme à l’éternité. Mais ceci ne peut signifier que nous n’avons plus une âme, un principe constitutif qui garantit l’unité de l’homme dans sa vie et au-delà de sa mort terrestre. Et naturellement comme prêtres nous nous préoccupons de l’homme tout entier, justement aussi de ses nécessités physiques – des affamés, des malades, des sans-toit. Toutefois, nous ne nous préoccupons pas seulement du corps, mais aussi des besoins de l’âme de l’homme : des personnes qui souffrent en raison de la violation du droit ou d’un amour détruit ; des personnes qui se trouvent dans l’obscurité à propos de la vérité ; qui souffrent de l’absence de vérité et d’amour. Nous nous préoccupons du salut des hommes dans leur corps et dans leur âme. Et en tant que prêtres de Jésus Christ, nous le faisons avec zèle. Les personnes ne doivent jamais avoir la sensation que nous accomplissons consciencieusement notre horaire de travail, mais qu’avant et après nous nous appartenons seulement à nous-mêmes. Un prêtre ne s’appartient jamais à lui-même. Les personnes doivent percevoir notre zèle, par lequel nous donnons un témoignage crédible pour l’Évangile de Jésus Christ. Prions le Seigneur de nous remplir de la joie de son message, afin qu’avec un zèle joyeux nous puissions servir sa vérité et son amour. Amen.

Vraiment, celui-ci etait Fils de Dieu! – Vendredi Saint 2011, Père Cantalamessa

4 avril, 2012

http://www2.cantalamessa.org/fr/predicheView.php?id=425

Vraiment, celui-ci etait Fils de Dieu!

Père Cantalamessa

2011-04-22- Prédication du Vendredi Saint 2011 en la basilique Saint-Pierre

(anné liturgique A)

Dans sa Passion – écrit saint Paul à Timothée – le Christ Jésus « a rendu son beau témoignage » (1 Tm 6, 13). On se demande: témoignage de quoi ? Pas de la vérité de sa vie et de sa cause. Beaucoup sont morts, et meurent encore aujourd’hui, pour une mauvaise cause, pensant qu’elle est juste. La résurrection elle, oui, rend témoignage de la vérité du Christ: « Dieu a offert à tous une garantie sur Jésus, en le ressuscitant des morts », dira l’apôtre à l’Aréopage d’Athènes (Ac 17, 31).
La mort ne témoigne pas de la vérité, mais de l’amour du Christ. Ou plutôt, elle constitue la preuve suprême de cet amour: « Nul n’a plus grand amour que celui-ci: donner sa vie pour ses amis » (Jn 15, 13). On pourrait objecter qu’il existe un amour plus grand que donner sa vie pour ses amis, et c’est donner sa vie pour ses ennemis. C’est justement ce que Jésus a fait: « Le Christ est mort pour des impies, écrit l’apôtre dans l’Epître aux Romains. A peine, en effet, voudrait-on mourir pour un homme juste; pour un homme de bien, oui, peut-être osera-t-on mourir ; mais la preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ, alors que nous étions encore pécheurs, est mort pour nous » (Rm 5, 6-8). « Il nous a aimés alors que nous étions ses ennemis, pour faire de nous ses amis »[1].
Une certaine « théologie de la croix » unilatérale peut nous faire oublier l’essentiel. La croix n’est pas seulement jugement de Dieu sur le monde, réfutation de sa sagesse et révélation de son péché. Elle n’est pas le NON de Dieu au monde, mais son ‘OUI’ d’amour: « L’injustice, le mal comme réalité – écrit le Saint-Père dans son dernier livre sur Jésus –, ne peut pas être simplement ignoré, ne peut être laissé là. Il doit être éliminé, vaincu. C’est là seulement la vraie miséricorde. Et puisque les hommes n’en sont pas capables, Dieu lui-même s’en charge maintenant – c’est là la bonté ‘inconditionnelle’ de Dieu »[2].
Mais comment avoir le courage de parler de l’amour de Dieu, alors que se déroulent sous nos yeux tant de tragédies humaines, comme la catastrophe qui s’est abattue sur le Japon, ou les hécatombes en mer des dernières semaines? Ne pas en parler du tout ? Mais garder totalement le silence serait trahir la foi et ignorer le sens du mystère que nous célébrons.
Il y a une vérité qui doit être proclamée haut et fort le Vendredi Saint. Celui que nous contemplons sur la croix est Dieu « en personne ». Il est aussi l’homme Jésus de Nazareth, oui, mais celui-ci et le Fils du Père éternel ne sont qu’une seule et même personne. Tant qu’on ne reconnaîtra pas et qu’on ne prendra pas au sérieux le dogme de foi fondamental des chrétiens – la première définition dogmatique formulée à Nicée – à savoir que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, Dieu lui-même, de même nature que le Père, la souffrance humaine restera sans réponse.
On ne peut pas dire que « la demande de Job est restée sans réponse », ni que la foi chrétienne ne donne pas de réponse par rapport à la souffrance humaine, si au départ on refuse la réponse que celle-ci dit avoir. Que faire pour garantir à quelqu’un qu’une certaine boisson ne contient pas de poison ? La boire avant lui, devant lui! C’est ce que Dieu a fait avec les hommes. Il a bu le calice amer de la passion. La souffrance humaine ne peut donc pas être empoisonnée, ne peut être seulement négativité, perte, absurdité, si Dieu lui-même a choisi de la goûter. Au fond du calice, il doit y avoir une perle.
Le nom de la perle, nous le connaissons: résurrection! « J’estime en effet que les souffrances du temps présent ne sont pas à comparer à la gloire qui doit se révéler en nous » (Rm 8, 18), et encore « Il essuiera toute larme de leurs yeux: de mort, il n’y en aura plus ; de pleur, de cri et de peine, il n’y en aura plus, car l’ancien monde s’en est allé » (Ap 21, 4).
Si la course pour la vie devait finir ici-bas, il y aurait vraiment de quoi désespérer à la pensée des millions et peut-être des milliards d’êtres humains qui partent avec un tel désavantage, cloués au point de départ par la pauvreté et le sous-développement, sans pouvoir même participer à la compétition. Mais il n’en est pas ainsi. La mort non seulement annule les différences, mais les renverse. « Or il advint que le pauvre mourut et fut emporté par les anges dans le sein d’Abraham. Le riche aussi mourut et on l’ensevelit, dans l’Hadès » (cf. Lc 16, 22-23). On ne peut pas appliquer de façon simpliste ce schéma à la réalité sociale, mais il est là pour nous avertir que la foi en la résurrection ne laisse personne dans la tranquillité de sa vie. Il nous rappelle que la formule « vivre et laisser vivre » ne doit jamais se transformer en « vivre et laisser mourir ».
La réponse de la Croix n’est pas seulement pour nous chrétiens, elle est pour tous, car le Fils de Dieu est mort pour tous. Il y a dans le mystère de la rédemption un aspect objectif et un aspect subjectif ; il y a le fait en soi et la prise de conscience, la réponse de foi à celui-ci. Le premier aspect s’étend au-delà du second. « L’Esprit Saint – dit un texte de Vatican II – offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal. »[3].
Une façon d’être associé au mystère pascal est justement la souffrance: « Souffrir – écrivait Jean-Paul II au lendemain de son attentat et de la longue période d’alitement qui s’ensuivit – signifie devenir particulièrement réceptif, particulièrement ouvert à l’action des forces salvifiques de Dieu offertes à l’humanité dans le Christ »[4]. La souffrance, toute souffrance, mais particulièrement celle des innocents, met en contact de façon mystérieuse, « connue seulement de Dieu », avec la croix du Christ.
Après Jésus, ceux qui ont « rendu leur beau témoignage » et qui « ont bu le calice » sont les martyrs! Les récits de leur mort s’intitulaient au début « passio », passion, comme celui des souffrances de Jésus, que nous venons tout juste d’entendre. Le monde chrétien est revisité par l’épreuve du martyre que l’on pensait révolue avec la chute des régimes totalitaires athées. On ne peut passer sous silence leur témoignage. Les premiers chrétiens honoraient leurs martyrs. Les actions de leur martyre étaient lues et diffusées dans l’Eglise avec un immense respect. Aujourd’hui même, en ce Vendredi Saint 2011, dans un grand pays d’Asie, les chrétiens ont prié et marché en silence dans les rues pour conjurer la menace qui plane sur eux.
Il y a une chose qui distingue les actes authentiques des martyrs de ceux légendaires, forgés sur le papier après la fin des persécutions. Dans les premiers, il n’y a pour ainsi dire pas trace de polémique contre les persécuteurs ; l’attention tout entière est concentrée sur l’héroïsme des martyrs, non sur la perversité des juges et des bourreaux. Saint Cyprien ira jusqu’à ordonner aux siens de donner vingt-cinq monnaies d’or au bourreau qui lui tranchera la tête. Ils sont les disciples de celui qui est mort en disant: « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». « Le sang de Jésus – nous rappelle le Saint-Père dans son dernier livre – parle un autre langage que celui d’Abel (cf. He 12, 24): il n’exige ni vengeance ni punition, mais il est réconciliation »[5].
De même, le monde s’incline devant les témoins modernes de la foi. Ainsi s’explique le succès inattendu en France du film « Des hommes et des dieux », qui relate l’histoire des sept moines cisterciens massacrés à Tibhirine en mars 1996. Et comment ne pas être admiratifs des paroles écrites dans son testament par Shahbaz Bhatti, homme politique catholique tué pour sa foi, le mois dernier ? Son testament nous est laissé à nous aussi, ses frères dans la foi, et ce serait de l’ingratitude de le laisser vite tomber dans l’oubli.
« De hautes responsabilités au gouvernement – écrivait-il – m’ont été proposées et on m’a demandé d’abandonner ma bataille, mais j’ai toujours refusé, même si je sais que je risque ma vie. Je ne cherche pas la popularité, je ne veux pas de positions de pouvoir. Je veux seulement une place aux pieds de Jésus. Je veux que ma vie, mon caractère, mes actions parlent pour moi et disent que je suis en train de suivre Jésus-Christ. Ce désir est si fort en moi que je me considérerai comme un privilégié si – dans mon effort et dans cette bataille qui est la mienne pour aider les nécessiteux, les pauvres, les chrétiens persécutés du Pakistan – Jésus voulait accepter le sacrifice de ma vie. Je veux vivre pour le Christ et pour Lui je veux mourir ».
On a l’impression de réentendre le martyr Ignace d’Antioche, lorsqu’il venait à Rome pour subir le martyre. Mais le silence des victimes ne justifie pas l’indifférence coupable du monde face à leur sort. « Le juste périt, et personne ne s’en inquiète, les hommes pieux sont moissonnés, et nul n’y prend garde » (Is 57,1)!
Les martyrs chrétiens ne sont pas les seuls, nous l’avons vu, à souffrir et mourir autour de nous. Que pouvons-nous offrir à celui qui ne croit pas, en dehors de notre certitude de foi qu’il y a un rachat pour la souffrance ? Nous pouvons souffrir avec qui souffre, pleurer avec qui pleure (Rm 12,15). Avant d’annoncer la résurrection et la vie, devant le deuil des sœurs de Lazare, Jésus « pleura  » (Jn 11, 35). En ce moment, souffrir et pleurer, en particulier, avec le peuple japonais, qui vient de sortir d’une des plus effroyables catastrophes naturelles de l’histoire. Nous pouvons aussi dire à ces frères en humanité que nous admirons leur dignité et l’exemple de tenue et de solidarité mutuelle qu’ils ont donné au monde.
La mondialisation produit au moins cet effet positif: la souffrance d’un peuple devient la souffrance de tous, suscite la solidarité de tous. Elle nous offre l’occasion de découvrir que nous formons une seule famille humaine, liée dans le bien comme dans le mal. Elle nous aide à dépasser les barrières de race, de couleur et de religion. Comme dit le verset d’un de nos poètes italiens, « Hommes, paix! Sur la terre penchée il y a trop de mystère »[6].
Mais nous devons aussi tirer la leçon d’évènements comme celui que nous venons d’évoquer. Séismes, cyclones et autres catastrophes qui frappent en même temps coupables et innocents ne sont jamais un châtiment de Dieu. Affirmer le contraire, signifie offenser Dieu et les hommes. Mais ils constituent un avertissement: dans ce cas, l’avertissement à ne pas nous bercer d’illusions en pensant que la science et la technique suffiront à nous sauver. Si nous ne savons pas nous imposer des limites, celles-ci justement peuvent devenir, nous le voyons, la menace la plus grave de toutes.
Il y eut un tremblement de terre au moment de la mort du Christ: « Quant au centurion et aux hommes qui gardaient Jésus, à la vue du séisme et de ce qui se passait, ils furent saisis d’une grande frayeur et dirent: ‘Vraiment, celui-ci était Fils de Dieu » (Mt 27, 54). Mais un autre séisme encore « plus grand » se produisit au moment de sa résurrection. « Et voilà que se fit un grand tremblement de terre: l’Ange du Seigneur descendit du ciel et vint rouler la pierre, sur laquelle il s’assit » (Mt 28,2). Il en sera toujours ainsi. A chaque tremblement de terre de mort succèdera un tremblement de terre de vie. Quelqu’un a dit: « Désormais seul un dieu peut nous sauver », « Nur noch ein Gott kann uns retten »[7]. Nous sommes assurés qu’il le fera car « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » (Jn 3, 16).
Nous nous apprêtons à chanter avec une conviction renouvelée et une gratitude émue les paroles de la liturgie: « Ecce lignum crucis, in quo salus mundi pependit: Voici le bois de la croix, auquel a été suspendu le salut du monde. Venite, adoremus: venez, adorons-Le ».

[Traduit de l'italien par ZENIT]

[1] S. Agostino, Commento alla Prima Lettera di Giovanni 9,9 (PL 35, 2051).
[2] Cf. J. Ratzinger – Benoît XVI, Jésus de Nazareth, Editions du Rocher 2011, p. 157
[3] Gaudium et spes, 22.
[4] Salvifici doloris, 23.
[5] J. Ratzinger – Benoît XVI, Jésus de Nazareth, Editions du Rocher 2011, p.215.
[6] G. Pascoli, I due fanciulli (Les deux enfants).
[7] Antwort. Martin Heidegger im Gespräch, Pfullingen 1988.

L’Évangile de la Résurrection. Méditations spirituelles

2 avril, 2012

http://www.esprit-et-vie.com/article.php3?id_article=2478

L’Évangile de la Résurrection. Méditations spirituelles

P. Philippe Rouillard, o.s.b.

Esprit & Vie n°210 – avril 2009, p. 52-53.

Heureux ceux qui, pendant le carême 2008, ont écouté ces six conférences ou méditations données par le P. Moingt en l’église Saint-Ignace à Paris. Faut-il rappeler que le P. Moingt est jésuite, qu’il a enseigné la théologie à Lyon et à Paris et a publié de nombreux ouvrages, et notamment L’Homme qui venait de Dieu, ou Dieu qui vient à l’homme  ? Mais ce savant professeur est aussi un spirituel, et tout simplement un sage.
C’est de la sagesse que de parler de la Résurrection pendant le carême, sans attendre Pâques, ou plutôt en passant ces six semaines dans l’attente et la préparation de la célébration pascale, qui est au cœur de notre année liturgique tout comme le mystère de la Résurrection est au cœur du christianisme.
C’est de la sagesse que de procéder avec méthode. On commence par interroger saint Paul et les auteurs des Évangiles, qui affirment, chacun à sa manière, que Jésus est ressuscité. Puis on essaie de comprendre comment la mort et la résurrection de Jésus nous ont libérés de la mort, comment la Résurrection a fait surgir une création nouvelle, comment la venue de l’Esprit du Ressuscité nous révèle peu à peu la Trinité de Dieu. Enfin, on découvre avec bonheur que ces sacrements du carême que sont l’eucharistie et la réconciliation nous donnent la possibilité d’entrer dans ce mystère de renouveau et nous pressent de l’annoncer aujourd’hui là où nous vivons.
La lecture et le commentaire des récits évangéliques et du début des Actes des Apôtres nous ouvrent les yeux, nous font voir ce que peut-être nous n’avions jamais vu. Dès le moment de sa mort, le Christ n’habite plus notre temps, mais un temps éminemment symbolique : il est ressuscité « le troisième jour », même si trente-six heures à peine se sont écoulées entre sa mort et sa Résurrection, dont personne n’est témoin. Il est monté vers son Père le jour même de Pâques (Jn 20, 17), mais il se montre à ses disciples et les entretient du Royaume de Dieu pendant quarante jours (Ac 1, 3), durée symbolique à laquelle la Bible recourt à maintes reprises. Quarante jours de présence, et quarante jours de carême, c’est « le temps du doute, de l’incertitude, de la tentation, de la recherche tâtonnante, mais aussi de la purification de l’esprit, de la confiance retrouvée, de la lente montée vers la lumière » (p. 29).
Avec la résurrection de Jésus, se relevant de la terre dont l’homme a été tiré, un germe nouveau se lève. Une vigoureuse traduction de Paul (2 Co 5, 17) nous est proposée : « Si quelqu’un est dans le Christ, c’est une créature nouvelle ; les temps anciens ont disparu, voici venus des temps nouveaux. » Il ne s’agit pas d’un second projet de Dieu qui viendrait se substituer au premier, voué à l’échec, mais de la refondation de l’histoire, qui se fait dans le Premier-né de la création devenu le Premier-né d’entre les morts (Col 1, 18). Nous sommes tous engagés dans cette nouvelle création, qui embrasse tous les temps.
Un autre aspect lumineux est ici développé, que l’on néglige trop souvent : la Résurrection est un lieu de révélation. Elle révèle d’abord Jésus lui-même tel qu’il ne pouvait pas être vu auparavant, tel qu’il l’avait laissé entrevoir avant d’appeler Lazare hors du tombeau : « Je suis la Résurrection et la Vie. » Elle révèle Dieu le Père, ce Père que personne n’a jamais vu, mais qui se manifeste dans ses actions éclatantes. Enfin, elle révèle l’Esprit, qui est à l’œuvre non seulement dans les premiers temps de l’Église, mais en toute œuvre de relèvement et de résurrection jusqu’à la fin des temps.
Le dernier chapitre réserve une surprise au lecteur : il lit que l’annonce de la Résurrection aujourd’hui se fait par le mémorial eucharistique et le ministère de la réconciliation, et il s’attend donc à être orienté vers un confessionnal. Erreur : on lui dit qu’avec les autres chrétiens ressuscités il est responsable du ministère de réconciliation dont toute la communauté a la charge : il doit donc, avec ses frères, s’efforcer de réconcilier l’Église avec le monde, veiller en particulier à ce que n’y soient pas tolérées des pratiques discriminatoires et inégalitaires, et collaborer aux mouvements qui luttent contre les multiples formes d’injustice et d’aliénation. En somme, il doit aider tout homme à entrer dans le mystère de la Résurrection et de la vie nouvelle.
Voilà un livre inépuisable, un livre de sagesse, à ne pas lire seulement en carême ou au Temps pascal, mais à garder toute l’année à portée de main.

Sermon XIII, pour la fête des Rameaux et sur l’ânon, Saint Cyrille d’Alexandrie

30 mars, 2012

http://missel.free.fr/Annee_A/careme/rameaux_4.html

Sermon XIII, pour la fête des Rameaux et sur l’ânon

Saint Cyrille d’Alexandrie

Voici le mystère caché de l’économie du salut qui correspond cet événement : lorsque dans les enfers le Christ met en émoi la prison d’en bas, les puissances supérieures crient aux inférieures : «Portes levez vos frontons[1] », afin qu’entre celui qui dit « Je suis la porte[2] ». Et les puissances adverses répliquent, frappées de stupeur : « Qui est ce roi de gloire ? »
Les hôtes de la Jérusalem terrestre s’enquiétèrent : « Qui est ce roi de gloire ? » Et lorsque le Christ monte vers la Jérusalem d’en haut, les puissances spirituelles, le voyant incarné (alors qu’elles ne l’ont jamais vu du fait de sa nature incorporelle), s’étonnent du mode surprenant de son ascension et, intriguées, se demande les unes aux autres : « Qui est celui-là qui se présente incarné dans les espaces incorporels ? »
Mais ce dont on peut s’étonner, c’est de les voir s’enquérir, ces puissances royales : «Qui est celui-là qui se présente ? », alors qu’au Jour de sa nativité sur la terre elles ont proclamé et chanté : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime ![3] » C’est d’elles que les enfants des Hébreux, dans leur louange ont appris à dire aujourd’hui : « Hosanna, béni celui qui vient au nom du Seigneur, paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux ![4] »
On pouvait voir en Sion comment les célestes et les terrestres se faisaient écho et se saluaient réciproquement. Ceux d’en haut disaient : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre ! », et ceux d’en bas répondaient : « Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux ! » Les anges disaient : « Paix sur la terre ! » et les hommes s’écriaient : « Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux ! » Les anges disaient : « Paix sur la terre ! » et les hommes s’écriaient : « Paix dans le ciel ! »
Et pourquoi cela ? Parce qu’il était là, celui qui proclamait à tous : « Paix à vous ![5] », celui que priait le prophète en disant : « Seigneur notre Dieu, donne-nous la paix ![6] », c’est-à-dire : envoie ton Fils unique, afin que par lui tu te réconcilies avec nous, en voyant notre nature t’être unie par lui.
Les chœurs célestes, voyant cette paix, ont proclamé : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre ! » C’est la réconciliation parfaite de Dieu avec ses ennemis. Et à leur tour les enfants l’apprenant, se sont écriés : « Hosanna, paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux ! » Car ce qui fut ennemi a été rendu fraternel, les célestes et les terrestres offrant au Christ céleste et terrestre une seule et même louange et adoration.
C’est ainsi que ceux d’en haut exhortent ceux d’en bas à offrir leur louange : « Qu’adorent le Seigneur toutes les familles des nations ![7] » Et ceux d’en bas font écho à ceux d’en haut : « Que l’adorent tous les anges de Dieu ![8] » David proclame à tous : « Joie au ciel, exulte la terre ![9] » Et les enfants répondent : « Hosanna, béni celui qui vient au nom du Seigneur ! »

[1] Psaume XXIV 7.
[2] Evangile selon saint Jean, X 9.
[3] Evangile selon saint Luc, II 14.
[4] Evangile selon saint Luc, XIX 38.
[5] Evangile selon saint Jean, XX 19.
[6] Isaïe, XXVI 12.
[7] Psaume XLVI 7.
[8] Psaume XLVII 7.
[9] Psaume XLVI 11.

PAPE BENOÎT XVI: CÉLÉBRATION DU DIMANCHE DES RAMEAUX, 2009

30 mars, 2012

http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/homilies/2009/documents/hf_ben-xvi_hom_20090405_palm-sunday_fr.html

CÉLÉBRATION DU DIMANCHE DES RAMEAUX

HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI

Place Saint-Pierre
XXIV Journée Mondiale de la Jeunesse
Dimanche 5 avril 2009

Chers frères et sœurs,
Chers jeunes,

Uni à une foule grossissante de pèlerins, Jésus était monté à Jérusalem pour la Pâques. Au cours de la dernière étape de son périple, près de Jéricho, Il avait guéri l’aveugle Barthimée qui, lui demandant pitié, l’avait invoqué comme Fils de David. À présent – étant désormais capable de voir – il s’était avec gratitude mêlé au groupe des pèlerins. Quand, aux portes de Jérusalem, Jésus monte sur un âne – l’animal symbole de la royauté davidique – la joyeuse certitude éclate spontanément au milieu des pèlerins : C’est Lui, le Fils de David ! C’est pourquoi ils saluent Jésus avec l’acclamation messianique : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! », et ils ajoutent : « Béni le Règne qui vient, celui de notre Père David. Hosanna au plus haut des cieux ! » (Mc 11, 9s). Nous ne savons pas précisément comment les pèlerins enthousiastes pouvaient imaginer ce que fut le Règne de David à venir. Mais nous, avons-nous vraiment compris le message de Jésus, Fils de David ? Avons-nous compris ce qu’est le Règne dont Il a parlé au cours de l’interrogatoire devant Pilate ? Comprenons-nous ce que cela signifie que ce Royaume n’est pas de ce monde ? Ou bien désirerions-nous à l’inverse qu’il soit de ce monde ?
Saint Jean, dans son Évangile, après le récit de l’entrée à Jérusalem, rapporte une série de parole de Jésus, à travers lesquelles il explique l’essentiel de ce royaume d’un genre nouveau. Dans une première lecture de ces textes, nous pouvons distinguer trois images du Royaume dans lesquelles, toujours de façon toujours différente, se reflète le même mystère. Jean raconte avant tout que, parmi les pèlerins qui durant la fête « voulaient adorer Dieu », il y avait aussi des Grecs (cf. 12, 20). Prêtons attention au fait que le véritable but de ces pèlerins était d’adorer Dieu. Ceci correspond parfaitement à ce que Jésus dit à l’occasion de la purification du Temple : « Ma maison s’appellera maison de prière pour toutes les nations » (Mc 11, 17). Le véritable but du pèlerinage doit être celui de rencontrer Dieu ; de l’adorer et ainsi de mettre dans l’ordre juste la relation fondamentale de notre existence. Les grecs sont des personnes à la recherche de Dieu ; à travers leur vie, ils sont en chemin vers Dieu. Ainsi, par l’intermédiaire de deux Apôtres de langue grecque, Philippe et André, font-ils parvenir leur demande au Seigneur : « Nous voudrions voir Jésus » (Jn 12, 21). Voilà une parole importante ! Chers amis, c’est pour cela que nous nous sommes réunis ici : nous voulons voir Jésus. Dans ce but, l’année dernière, des milliers de jeunes sont allés à Sydney. Certes, il devait y avoir des attentes multiples pour ce pèlerinage. Mais l’objectif essentiel était celui-ci : nous voulons voir Jésus.
À l’égard de cette requête, qu’a dit et fait Jésus alors ? L’Évangile ne laisse pas apparaître clairement si une rencontre entre ces Grecs et Jésus a eu lieu. Le regard de Jésus va bien au-delà. Le cœur de sa réponse à la demande de ces personnes est : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il donne beaucoup de fruit » (Jn 12, 24). Cela signifie : il n’est plus important maintenant qu’ait lieu un dialogue plus ou moins bref avec quelques personnes, qui s’en retourneront ensuite chez elles. Comme grain de blé mort et ressuscité, je viendrai, de façon totalement nouvelle et au-delà des limites du moment présent, à la rencontre du monde des Grecs. Par la Résurrection, Jésus dépasse les limites de l’espace et du temps. Ressuscité, Il est en chemin vers l’étendue du monde et de l’histoire. Oui, ressuscité, il va chez les Grecs et parle avec eux, il se montre à eux de sorte que eux, les lointains, deviennent proches et, dans leur propre langue, dans leur propre culture, sa parole advient sur un mode nouveau et est comprise d’une façon nouvelle – advient son Royaume. Nous pouvons ainsi reconnaître deux caractéristiques essentielles de ce Règne. La première est que ce Royaume s’institue à travers la croix. Puisque Jésus se donne totalement, il peut en tant que ressuscité appartenir à tous et se rendre présent à tous. Dans la Sainte Eucharistie, nous recevons le fruit du grain de blé tombé en terre, la multiplication des pains qui se poursuit jusqu’à la fin du monde dans tous les temps. La seconde caractéristique est celle-ci : sa Royauté est universelle. L’antique espérance d’Israël s’accomplit : la royauté de David ne connaît plus de frontière. Elle s’étend « d’une mer à l’autre » (Zach 9, 10). – c’est-à-dire embrasse le monde entier. Cependant, ceci n’est possible que parce qu’elle n’est pas la souveraineté d’un pouvoir politique, mais qu’elle se fonde uniquement sur la libre adhésion de l’amour – un amour qui, pour sa part, répond à l’amour de Jésus Christ qui s’est donné pour tous. Je pense que nous devons apprendre toujours à nouveau les deux choses, surtout l’universalité, la catholicité. Cela signifie que personne ne peut prendre pour l’absolu soi-même, sa culture, son temps et son monde. Cela demande que tous, nous nous accueillons mutuellement, renonçant à une part de ce qui nous est propre. L’universalité inclut le mystère de la Croix – le dépassement de soi-même, l’obéissance à la parole de Jésus qui nous est commune dans l’Église qui nous est commune. L’universalité est toujours un dépassement de soi-même, un renoncement à quelque chose de personnel. L’universalité et la croix vont ensemble. C’est seulement ainsi que la paix se crée.
La parole concernant le grain de blé tombé en terre fait partie de la réponse de Jésus aux Grecs, elle est sa réponse. Toutefois, il formule ensuite une nouvelle fois la loi fondamentale de l’existence humaine : « Celui qui aime sa vie la perd ; celui qui s’en détache en ce monde la garde pour la vie éternelle » (12, 25). C’est-à-dire, qui veut garder sa vie pour lui, vivre seulement pour lui-même, rapporter tout à soi et jouir de toutes les opportunités – c’est proprement lui qui perd la vie. Celle-ci devient ennuyeuse et vide. Ce n’est que dans l’abandon de soi-même, dans le don désintéressé du je en faveur du tu, dans le « oui » à une vie plus grande – celle de Dieu -, que notre vie devient grande et belle. Ce principe fondamental, que le Seigneur établit, est en dernière analyse purement et simplement identique au principe de l’amour. En effet, l’amour signifie : s’abandonner soi-même, se donner, ne pas vouloir se posséder soi-même, mais devenir libre de soi-même : ne pas se replier sur soi – (en pensant) qu’adviendra-t-il de moi ? -, mais regarder en avant, vers l’autre – vers Dieu et vers les hommes que Lui m’envoie. Et ce principe de l’amour, qui marque le chemin de l’homme, est encore une fois identique au mystère de la croix, au mystère de mort et de résurrection que nous rencontrons dans le Christ. Chers amis, il est peut-être relativement facile d’accepter cela comme le sens profond de la vie. Dans la réalité concrète, cependant, il ne s’agit pas de simplement reconnaître un principe, mais d’en vivre la vérité, la vérité de la croix et de la résurrection. Et pour cela, à nouveau, une unique et grande résolution ne suffit pas. Il est certainement important, essentiel d’oser poser une fois le grand choix décisif, d’oser le grand « oui » que le Seigneur nous demande à un certain moment de notre vie. Mais le grand « oui » du moment décisif dans notre vie – le « oui » à la vérité que le Seigneur nous propose – doit ensuite être quotidiennement reconquis dans les situations de chaque jour dans lesquels, toujours de nouveau, nous devons abandonner notre moi, nous mettre à disposition, quand au fond nous voudrions à l’inverse nous accrocher à notre moi. Le renoncement, le sacrifice font aussi partie d’une vie droite. Qui promet une vie sans ce don de soi-même toujours renouvelé, trompe les gens. Il n’existe pas de vie réussie sans sacrifice. Si je jette un regard rétrospectif sur ma vie personnelle, je dois dire que ce sont précisément les moments où j’ai dit « oui » à un renoncement, qui ont été les moments importants et décisifs de ma vie.
Enfin, saint Jean a accueilli dans l’écho qu’il donne des paroles du Seigneur pour le « Dimanche des Rameaux », une forme modifiée de la prière de Jésus dans le jardin des oliviers. Il y a avant tout l’affirmation : « Mon âme est bouleversée » (Jn 12, 27). L’effroi de Jésus apparaît ici, souligné fortement par les autres évangélistes – son effroi devant le pouvoir de la mort, devant tout l’abîme du mal qu’Il voit et dans lequel il doit descendre. Le Seigneur souffre nos angoisses avec nous, il nous accompagne à travers l’ultime angoisse jusqu’à la lumière. Puis viennent en saint Jean, les deux demandes de Jésus. La première, exprimée seulement au conditionnel : « Que puis-je dire ? Dirai-je ? : Père, délivre-moi de cette heure ? » (Jn 12, 27). En tant qu’être humain, Jésus aussi se sent poussé à demander que lui soit épargnée la terreur de la Passion. Nous aussi pouvons prier ainsi. Nous aussi, nous pouvons nous plaindre au Seigneur comme Job le fît, lui présenter toutes les demandes qui, face à l’injustice du monde et au trouble de notre propre moi, surgissent en nous. Devant Lui nous ne devons pas nous réfugier dans des phrases pieuses, dans un monde factice. Prier signifie toujours aussi lutter avec Dieu, et comme Jacob nous pouvons lui dire : « Je ne te lâcherai que si tu me bénis » (Gn 32, 27). Mais vient ensuite la seconde demande de Jésus : « Glorifie ton nom ! » (Jn 12, 28). Dans les synoptiques, cette demande résonne ainsi : « Que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne » (Lc 22, 42). En définitive, la gloire de Dieu, sa seigneurie, sa volonté sont toujours plus importantes et plus vraies que mes pensées et que ma volonté. C’est là l’essentiel dans notre prière et dans notre vie : apprendre cet ordre juste de la réalité, l’accepter profondément ; faire confiance à Dieu et croire qu’Il fait la chose juste ; que sa volonté est la vérité et l’amour ; que ma vie devient bonne si j’apprends à adhérer à cet ordre. Vie, mort et résurrection de Jésus sont pour nous la garantie que nous pouvons véritablement nous fier à Dieu. Et c’est de cette façon que se réalise son royaume.
Chers amis, au terme de cette liturgie, les jeunes venus d’Australie remettront la Croix de la Journée Mondiale de la Jeunesse à leurs homologues venus d’Espagne. La Croix est en chemin d’un côté du monde à l’autre, d’une mer à une autre. Et nous, nous l’accompagnons. Nous progressons avec elle sur la route qu’elle trace et nous trouvons ainsi notre route. Quand nous touchons la Croix, ou plutôt, quand nous la portons, nous touchons le mystère de Dieu, le mystère de Jésus Christ. Ce mystère est que Dieu a tant aimé le monde – nous – qu’il a donné son Fils unique pour nous (cf. Jn 3, 16). Nous touchons le mystère merveilleux de l’amour de Dieu, l’unique vérité authentiquement rédemptrice. Mais nous touchons aussi la loi fondamentale, la norme constitutive de notre vie, c’est-à-dire le fait que sans le « oui » à la Croix, sans le cheminement en communion avec le Christ jour après jour, la vie ne peut aboutir. Plus nous sommes capables de quelques renoncements, par amour de la grande vérité et du grand amour – par amour de la vérité et par amour de Dieu -, plus grande et plus riche est notre vie. Qui veut garder sa vie pour soi-même, la perd. Qui donne sa vie – quotidiennement dans les petits gestes, qui sont constitutifs de la grande décision -, celui-ci la trouvera. C’est là la vérité exigeante, mais aussi profondément belle et libératrice, dans laquelle nous voulons pas à pas entrer au cours de ce parcours de la Croix d’un continent à l’autre. Que le Seigneur daigne bénir ce chemin ! Amen.

Vendredi Saint – 22 avril 2011 _ Homélie

21 avril, 2011

du site:

http://www.homelies.fr/messe,vendredi.saint,3624.html

Vendredi Saint – 22 avril 2011

Famille de Saint Joseph

Homélie-Messe  

« Venez et vous verrez » (Jn 1, 39). Cette invitation adressée par Jésus à ses premiers disciples, prend ici tout son sens. Il nous faut oser venir à sa suite et contempler la Passion de « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1, 29).
Comment aurions-nous reconnu que Dieu est amour, don sans mesure, si nous ne l’avions vu dans la chair se donner comme il le fit ? Jésus n’a pas que donné son temps, son enseignement, sa compassion active ; il s’est donné non seulement comme des parents se donnent à leurs enfants : tout cela ne suffisait pas pour exprimer son amour. Il a voulu aller plus loin encore et nous aimer « jusqu’au bout » il nous a livré sa vie. Et ce don ultime, il ne l’a pas fait seulement à ceux qui le chérissaient – ses disciples, ses proches, qui eussent été reconnaissants – mais il s’est offert aussi et surtout à ceux qui le haïssaient, car il n’est pas venu pour sauver les justes, mais les pécheurs.
« En ceci Dieu prouve son amour envers nous : Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs » (Rm 5, 8).
Comment aurions-nous pu imaginer que Dieu est don de soi inconditionnel, offert même aux mécréants que nous sommes et à qui il propose gratuitement sa vie immortelle, si nous ne l’avions contemplé dans la Passion du Fils unique ? Jésus crucifié nous révèle l’horrible état de notre humanité livrée au malin plaisir de l’Ennemi auquel elle fut asservie par le péché. Mais il nous dit en même temps que désormais Dieu n’est plus absent de ce monde hostile : « Jésus s’est livré » afin d’être solidaire de l’homme jusque dans sa déchéance.
“Je crois au Dieu livré” : y a-t-il pauvreté plus radicale que celle de la Crèche, déréliction plus grande que celle de la Croix, abandon plus total que celui de l’Eucharistie ? “S’il fallait ajouter mille mort en Croix pour ton salut, je le ferai avec joie, et pour toi seul”, nous dit Jésus. Comment avoir peur d’un tel Dieu ? Où est-il le dieu vengeur, castrateur, ennemi de l’homme, jaloux de son bonheur ? Que la contemplation du vrai visage de Dieu – celui qu’il nous révèle sur la Croix – purifie nos conscience de ses idoles lancinantes, chasse toute peur, pour que nous puissions accueillir le don du Père en son Fils Jésus-Christ. Que le flot de tendresse jaillissant du Cœur du Christ chasse toute culpabilité et toute angoisse devant sa souffrance et sa mort. Elles sont nôtres les blessures de l’Agneau : comment nous les reprocherait-il, puisqu’ils nous les offre pour que nous y trouvions la guérison.
« Ils virent où il demeurait et ils demeurèrent auprès de lui, ce jour-là ; c’était environ la dixième heure » (Jn 1, 39), c’est-à-dire quatre heures de l’après-midi, l’heure de la mort de Jésus. C’est là qu’il nous faut demeurer avec lui, afin d’apprendre de Dieu lui-même qui nous sommes à ses yeux, le prix que nous avons pour lui. Pas un instant de repli sur lui-même : jusqu’au cœur de sa Passion, Jésus est tout donné : « Ne pleurez pas sur moi, pleurez plutôt sur vous-mêmes et vos enfants » ; « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34) ; « Aujourd’hui tu seras avec moi en Paradis » (Lc 23, 43) ; et enfin : « Femme, voici ton fils ; voici ta mère (Jn 19, 26-27) ». A tous ceux qui persévère dans la contemplation de l’Agneau immolé offert pour le salut du monde, Jésus donne sa Mère. C’est auprès d’elle que le disciple est désormais invité à demeurer pour découvrir à la lumière de l’Esprit dont elle est comblée, le vrai visage du Dieu qui se fait proche ; c’est à son école qu’il peut apprendre à aimer en « esprit et vérité ».
« Je répandrai sur la maison de David et sur l’habitant de Jérusalem un esprit de bonne volonté et de supplication. Alors ils regarderont vers moi, celui qu’ils ont transpercé. Ils célèbreront le deuil sur lui, comme pour le fils unique. Ils le pleureront amèrement comme on pleure un premier-né. Ce jour-là une Source jaillira pour la maison de David et les habitants de Jérusalem en remède au péché et à la souillure » (Za 12, 10. 13, 1).
Demeurons au pied de cette Source, afin de pouvoir confesser, non par ouï dire mais parce que nous en aurons fait l’expérience personnelle : « Nous avons trouvé le Messie » (Jn 1, 41).

« Venez, faisons de notre amour
comme un encensoir immense et universel,
prodiguons cantiques et prières
à celui qui a fait de sa Croix
un encensoir à la divinité,
et nous a tous comblé de richesses par son Sang. » (Saint Ephrem)

Jeudi Saint avril 2011 – Homélie

20 avril, 2011

du site:

http://www.homelies.fr/homelie,jeudi.saint,3131.html

Jeudi Saint -  avril 2011

Famille de Saint Joseph

Homélie -Messe  

Le mystère que nous célébrons en trois jours, résume toute la mission de l’Incarnation et le porte à son accomplissement. Il tient en quelques mots : Jésus est celui qui nous a aimés. On ne peut rien dire d’autre de lui que cela : il a aimé. Aimé parfaitement, aimé jusqu’au bout. Saint Jean l’annonçait dès les premiers versets que nous avons entendus : « Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout ». Tout est dit. Tout va être accompli. Jésus entre souverainement dans sa Passion et va être consacré Grand Prêtre.
Fidèle à son habitude, saint Jean nous place dès l’introduction dans une perspective très ample : « avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout ».
L’évangéliste nous livre dans ce verset le sens et le but de l’Incarnation et du mystère pascal : sorti de Dieu qui l’a envoyé, Jésus, par la Croix, retourne vers lui avec le monde, pour le monde. Jésus a choisi de vivre ces heures par amour pour nous, pour nous faire vivre en Dieu. Voilà simplement ce que raconte le lavement des pieds.
La scène est très solennelle. Jésus quitte d’abord la table qu’il présidait. Nous voyons le Verbe de Dieu qui ne retient pas sa dignité et accepte volontairement l’abaissement. Jésus dépose ensuite son vêtement. Il nous l’a enseigné : le Bon Berger dépose sa vie, il s’en dessaisit. Puis Jésus lave les pieds de ses disciples. Nous y voyons ou le geste humiliant de l’esclave ou le geste déférent du disciple envers son maître ; nous voyons en tous cas que Jésus a choisi la dernière place. C’est en plongeant en cet abîme d’humilité que Jésus mène à son terme la mission du salut que le Père lui a confiée. En cette heure où il entre souverainement dans sa Passion, en cette heure où le Père a tout remis entre ses mains, notre Seigneur manifeste une autorité qui se traduit dans l’humilité du Serviteur.
Ce que nous contemplons ce soir est le mystère de Jésus Serviteur du Père.
L’attitude de saint Pierre nous introduit dans cette contemplation. Elle est d’abord superficielle : « Toi, Seigneur, tu veux me laver les pieds ! ». Pierre refuse le chemin d’humilité où Jésus s’engage et où il l’appellera. Mais Pierre ne refuse pas l’enseignement de Jésus en bloc. Son « Toi, Seigneur » montre qu’il refuse que ce soit Jésus, le Seigneur, qui prenne cette place. S’il est aussi vif, c’est parce qu’il est personnellement impliqué, parce qu’il est personnellement ébranlé. L’image qu’il avait de Jésus comme Seigneur ne lui permet pas de supporter ce spectacle.
Ce constat vaut pour nous. Découvrir que le Christ n’est pas vraiment tel que nous l’imaginons ou tel que nous voudrions qu’il soit, ébranle les fondements de notre relation avec lui, et, par conséquence, met en cause l’idée que nous nous faisons de nous-mêmes. C’est aussi en cela que la Passion est une épreuve décapante. Nous y découvrons notre Dieu sous un visage déconcertant, et souvent, avant de susciter la compassion, cela remet en cause ce que nous croyons être ou ce que pensions devoir devenir.
Jésus rassure Pierre. Il lui révèle alors que ce chemin d’humilité est la condition d’accès à la vie éternelle. Avoir part avec Jésus, c’est partager sa vie au ciel avec le Père.
Pierre réagit de nouveau très vivement. Devant la perspective d’une union parfaite et totale à Dieu, son enthousiasme se réveille, et il passe du tout ou rien. « Alors, Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! ». Nous entendons ici que cet enthousiasme n’est pas le signe d’une conversion. Pierre n’a pas quitté ses vieux schémas puisqu’il banalise le lavement des pieds. Il le met au même plan qu’une pratique hygiénique ou qu’un bain. Jésus est obligé de le reprendre : « Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver : on est pur tout entier. ». La logique de Pierre n’est pas celle de l’évangile. Jésus lave uniquement les pieds parce nous avons à recevoir petit à petit le don de Dieu. Il nous est livré tout entier, mais notre condition ne nous permet pas d’y accéder intégralement et instantanément. Jésus disait : « plus tard, tu comprendras ». Cela fait partie de notre chemin d’humilité, cela explique qu’il nous faut trois jours entiers pour méditer chaque année le mystère de Pâque et que sans cesse nous avons à recevoir de Dieu.
« Après leur avoir lavé les pieds, il reprit son vêtement et se remit à table. » Nous achevons le grand mouvement de l’Incarnation et de la Rédemption que raconte le lavement des pieds. Jésus, après avoir accompli le service de son Père, reprend la vie dont il s’était dessaisi, et retrouve le trône de gloire que le Père lui réserve.
« Comprenez-vous ce que je viens de faire ? », demande-t-il. Sans doute, nous le comprenons à présent. Suivre Jésus est marcher sur le chemin d’humilité qu’il a lui-même emprunté pour un jour partager avec lui sa gloire.
Mais Jésus nous pousse plus loin. « Vous m’appelez ‘Maître’ et ‘Seigneur’, et vous avez raison, car vraiment je le suis ». Il insiste par trois fois pour dire qu’il est le Seigneur. Autrement dit, le geste du lavement des pieds est fait par Jésus qui est et n’a jamais cessé d’être ‘Seigneur’. Le lavement des pieds est un service qui ne peut être accompli que par le Seigneur.
Quand il poursuit « Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres » il ne fait donc pas un raisonnement à fortiori. Jésus ne veut pas seulement dire : « puisque le seigneur s’est montré humble, vous qui n’êtes que des disciples, ne vous prenez pas pour plus que vous êtes, et restez humbles ». Car le lavement des pieds n’est pas pratiqué par les disciples mais par le maître.
Ce soir est donc particulièrement émouvant. Jésus va nous quitter, et avant de partir, il nous demande de prendre sa suite. Il nous dit : vous qui êtes mes disciples, maintenant conduisez-vous en maîtres ; vous qui m’avez suivi et écouté, maintenant montrez le chemin. C’est ce que rapporte saint Jean : « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous ».
Le mystère que nous célébrons est donc celui d’une royauté tellement humble qu’elle nous associe à son œuvre de salut. En s’abaissant à nos pieds, Jésus nous transmet quelque chose de sa seigneurie, et la déposition du vêtement montre que ce geste du lavement des pieds tire son efficacité du don de la vie.
Que le prêtre, dans quelques instants, dépose à son tour son vêtement liturgique pour s’abaisser aux pieds de certains d’entre nous, montre que notre présence ici ce soir nous engage personnellement dans ce mouvement spirituel. C’est cela célébrer l’eucharistie. Non seulement accueillir le don ineffable qui nous est fait, mais choisir de nous offrir nous-mêmes en Christ pour qu’il nous ramène enfin, dans la communion et la joie, dans la maison du Père.
Frère Dominique

La stupeur de la foi naît de petits indices

18 avril, 2011

du site:

http://www.30giorni.it/fr/articolo.asp?id=22636

Archives de 30Giorni

La stupeur de la foi naît de petits indices

Les apôtres Pierre et Jean au sépulcre vide. Pierre vit. Jean vit et crut. Interview de Jean Galot, professeur émérite de Christologie à l’Université Pontificale Grégorienne

Interview de Jean Galot par Gianni Valente

      C’étaient des pêcheurs de Galilée, des esprits concrets. Pas question de visions intérieures. Après ce qui s’était passé au Calvaire, ils étaient rentrés chez eux où ils s’étaient enfermés «par crainte des juifs». Lui, il était mort, vraiment; aussi, pour ces malheureux, tout avait-il réellement pris fin.
      Mais ce dimanche matin, devant le sépulcre vide, au cœur de cette résignation douloureuse mais réaliste, quelque chose se produisit.
      Le jésuite Jean Galot, 81 ans, professeur émérite de Christologie à l’Université Pontificale Grégorienne, est récemment revenu sur les questions posées par cette scène. Dans un essai, publié par La Civiltà Cattolica, un essai bourré de références à des études exégétiques et à des enquêtes documentées sur les usages funéraires de l’ancien monde juif, il accompagne Jean et Pierre sur le seuil du sépulcre. Et il cherche à comprendre pourquoi, en ce moment précis, Jean eut le sentiment pour la première fois, pour la toute première fois, qu’ils avaient au contraire gagné.
      L’essai du père Galot a reçu le titre très suggestif de Voir et croire. Car c’est ainsi que tout a recommencé. Tout a recommencé lorsque les disciples de Jésus-Christ, qui l’avaient vu mort,l’ont, avec les mêmes sens, vu et touché ressuscité.      
      Rappelons les faits. Ce matin-là, Marie de Magdala est revenue en disant que la pierre du sépulcre avait été enlevée…
      JEAN GALOT: Et tout de suite, à cette nouvelle, deux disciples, Pierre et Jean, ont couru au sépulcre pour voir ce qui s’était passé. Jean, qui courait plus vite, est arrivé le premier, mais il n’est pas entré. Il s’est contenté de glisser depuis la porte un œil en direction des linges qui étaient encore là. Puis Pierre est arrivé, il est entré le premier dans le sépulcre, il a vu ce qu’il y avait. Jean est entré derrière lui…
      Par rapport à ce qu’ils découvrent là, le récit de l’Évangile marque la différence de réaction des deux hommes: Pierre «vit», Jean «vit et crut»…
      GALOT: Pierre est frappé, troublé presque, par ce qu’il voit, mais il n’éprouve que de la perplexité. Chez Jean, il y a de la stupéfaction parce qu’il y a en lui une première intuition, une intuition embryonnaire du mystère de la résurrection.
      Que signifie cette différence de réaction?
      GALOT: Cela ne veut pas dire que la foi de Pierre soit moindre que celle de Jean. Mais cela indique une différence de tempérament entre les deux apôtres. La foi de Pierre a, pour m’exprimer ainsi, besoin de plus de temps. Pierre a besoin de temps pour saisir la réalité de ce qu’il voit. Lorsque Jésus avait demandé aux apôtres: «Vous, qui dites-vous que je suis?», cette question avait été posée après une longue période de vie commune, durant laquelle Jésus avait fait apparaître ce qu’Il était. En cette occasion, c’est Pierre qui a répondu de façon surprenante. Il avait eu le temps d’observer et de méditer. La rapidité de sa réponse était le résultat d’une vie commune prolongée dans le temps. Au sépulcre, Jean saisit ou tout au moins commence à apercevoir, bien qu’il n’y ait que peu d’indices, comment les choses se sont réellement passées. À savoir que le corps n’a pas été enlevé, mais que Jésus est sorti vivant, dans son corps ressuscité, des linges qui l’enveloppaient. Un autre épisode, survenu par la suite, confirme que Jean était d’un naturel plus intuitif. Lorsque Jésus apparaît sur la rive du lac et qu’il invite les apôtres à jeter les filets à droite de la barque, face à la pêche miraculeuse, c’est Jean qui reconnaît tout de suite Jésus: «Le disciple que Jésus aimait dit alors à Pierre: “C’est le Seigneur!”. À ces mots: “C’est le Seigneur!”, Simon Pierre mit son vêtement – car il était nu –, et se jeta à l’eau» (Jn 21, 7). Dans ce cas aussi, Jean reconnaît tout de suite l’auteur du miracle, tandis que Pierre semble plus concentré sur le résultat du miracle, préoccupé des problèmes que pose la quantité des poissons. C’est une situation analogue à celle dans laquelle les deux disciples se sont trouvés lors de leur visite au sépulcre vide: Pierre a concentré son regard sur ce qui témoignait de la disparition du corps, tandis que Jean y a saisi le signe de la résurrection. Le regard plus pénétrant de Jean a commencé à entrer, à travers le sépulcre et les signes qui restaient de la présence de Jésus, dans la foi pascale.
      Cette intelligence plus grande des indices, même les plus petits, a-t-elle quelque chose à voir avec le fait que Jean était le disciple préféré de Jésus?
      GALOT: La prédilection que Jésus avait pour lui l’aidait à ouvrir les yeux, à faire coïncider, autant qu’il était possible, sa façon de voir les choses avec celle du Christ. Mais la rapidité de son intuition ne l’a pas empêché de se montrer respectueux de l’autorité de Pierre. Il ne revendique pour lui aucune autorité, aucune primauté. Il arrive le premier au sépulcre, mais il s’arrête sur le seuil et attend que Pierre entre le premier, bien qu’il soit curieux de voir ce qu’il y a à l’intérieur. Et puis il aurait certainement eu envie de partager avec son ami Pierre le début d’intuition qu’il avait au sujet de ce qui s’était passé dans le sépulcre, mais il se rendait compte que le temps de ce partage, de cette correspondance du regard, n’était pas encore arrivé. Alors, il ne presse pas les choses, il n’impose pas l’acuité de son regard, il respecte le temps nécessaire à Pierre pour arriver à reconnaître la même réalité.
      Mais qu’y avait-il là, à l’intérieur? Qu’ont vu vraiment les deux apôtres?
      GALOT: Des études exégétiques récentes ont précisé le contenu réel du texte, en signalant certaines imprécisions des traductions courantes qui peuvent en fausser la compréhension. Une première erreur, très répandue, consiste à traduire par bandelettes le mot grec otónia, qui désignait en fait tous les linges funéraires qui enveloppaient le défunt, y compris le linceul, le drap plus ample qui entourait la totalité du corps. De plus, à en croire de nombreuses traductions courantes, les deux apôtres auraient vu les linges tombés à terre et le suaire (le mouchoir enroulé qui était noué autour du visage du défunt pour tenir la bouche fermée) placé «à l’écart, plié en un lieu différent». Or, selon des traductions récentes et attentives, faites sur la base d’une stricte analyse grammaticale du texte original, tous les linges étaient restés à leur place. Le suaire n’avait pas été déplacé mais gisait au milieu des linges. On le distinguait, en relief, sous le linceul désormais affaissé.
      Ces détails sont-ils vraiment si importants?
      GALOT: Ils aident à saisir ce qui a provoqué la stupeur et le début de foi chez Jean. Si le corps avait été emporté par quelqu’un, les linges ne seraient pas restés intacts au même endroit et le suaire aurait été retiré et mis à part, au moment de la disparition, comme semblent justement l’indiquer les traductions courantes. Or si le corps de Jésus avait disparu, tout le reste – les linges, le suaire – était resté au même endroit. Le suaire était lui-même resté enfoui sous les linges, à sa place initiale. Jean, peut-être, a compris intuitivement à cette vue que ce n’était pas quelqu’un qui avait emporté le corps de Jésus, mais que celui-ci était sorti vivant du sépulcre, se soustrayant de façon mystérieuse, contrairement aux lois du déplacement des corps, au linceul et au suaire qui l’entouraient, laissant toutes les choses en place. C’étaient-là les signes d’une intervention surnaturelle qui avait enlevé le corps de Jésus de l’endroit où il se trouvait, sans déplacer aucun des linges utilisés pour la sépulture. C’est pour cela que l’on peut dire que là, devant les linges qui gisaient, Jean a commencé à reconnaître l’événement de la résurrection.
      Un événement que Jésus avait annoncé à plusieurs reprises…
      GALOT: Toutes les fois que Jésus avait fait allusion à sa passion, il avait ajouté que le troisième jour le Fils de l’homme ressusciterait. Et pourtant, après sa crucifixion, personne ne se rappelait ces paroles. Et nombreux seront ceux qui ne se les rappelleront pas même après qu’ils l’auront vu ressuscité. Ils les avaient tous oubliées, sauf Marie, celle qui avait porté en son sein pendant neuf mois ce corps, celui-là même que l’on avait crucifié. On peut dire que durant ces trois jours Marie a été la seule à garder toute l’espérance du monde. Jean lui-même avait entendu plusieurs fois les paroles de Jésus qui annonçaient la résurrection. Il avait assisté avec Pierre et Jacques à l’événement de la transfiguration, lorsque Jésus leur avait recommandé de ne raconter à personne ce qu’ils avaient vu «si ce n’est quand le fils de l’homme serait ressuscité d’entre les morts». Ils avaient observé cette recommandation «tout en se demandant entre eux ce que signifiait “ressusciter d’entre les morts” ( Mc 9, 9. 10). Jean aurait donc dû être prêt à accueillir le mystère de la résurrection. Et pourtant, ces paroles ne lui reviennent à la mémoire que lorsqu’il voit le linceul et le suaire restés intacts dans le sépulcre, après que Jésus en est sorti vivant. Le début de son adhésion à la foi, comme le rapporte le texte de l’Évangile, naît de ce qu’il a vu dans le sépulcre. Il naît d’indices petits, mais réels et visibles.
      Comment se développe pour Jean ce début? Est-ce à travers une réflexion religieuse?
      GALOT: Dans cette première expérience près du sépulcre vide, Jean n’avait eu qu’une idée vague et indirecte de la résurrection de Jésus Christ. Constatant son absence du sépulcre, il a peut-être eu l’intuition d’un événement surnaturel. Mais ce sont seulement les apparitions de Jésus durant les quarante jours qui suivent et les contacts concrets avec le Christ ressuscité qui lui permettent de fonder avec certitude sa mission de témoin. Dans leurs rencontres, Jésus se manifeste pour susciter la foi, pour procurer à la foi un fondement objectif plus évident. Il n’hésite pas à montrer son corps avec insistance, un corps qui porte encore les marques de la crucifixion. Il renforce le fait de voir pour faire surgir celui de croire. Avec la multiplication des indices, Jean passe d’une première intuition à la reconnaissance d’une réalité inimaginable, d’un fait réel qui se révèle plus grand et plus surprenant que toute attente.
      Et cela arrive à un groupe de juifs vivant dans la peur et la résignation, peu enclins aux visions mystiques, après que tout était achevé.
      GALOT: Le point de départ du mouvement de la foi, à commencer par les indices du sépulcre vide, est toujours une réalité visible. C’est là un facteur important, parce qu’il apporte un démenti à ceux qui interprètent la foi dans la résurrection de Jésus-Christ comme une pure conviction intime. Il balaie toutes les thèses idéalistes selon lesquelles les disciples se sont convaincus que Jésus était ressuscité, en projetant dans cette auto-suggestion leurs sentiments personnels et subjectifs d’amour à l’égard de leur Maître. Mais c’est au contraire parce qu’ils ont vu le Seigneur ressuscité qu’ils ont cru. La foi naît de la reconnaissance de réalités visibles. Ce n’est pas une construction mentale subjective qui se serait créé son propre objet. Saint Augustin, dans le De Civitate Dei, souligne comment, sur ce point, le fait chrétien est exactement l’opposé de la dynamique du sentiment religieux qui naît de l’homme. Un sentiment qui est représenté par la religion impériale qui divinise les destinataires de ses propres dévotions: «Illa illum amando esse deum credidit; ista istum Deum esse credendo amavit», «Rome, comme elle aimait Romulus, le crut Dieu. L’Église, au contraire, comme elle reconnut que Jésus-Christ était Dieu, l’aima».
      Aujourd’hui, de nombreux maîtres spirituels enseignent, dans l’Église, que la pureté intérieure de la foi n’a pas besoin d’indices extérieurs. Une foi qui dépend du fait de voir et de toucher serait, à les entendre, grossière et rustre.
      GALOT: Ce n’est pourtant pas ce que dit le témoignage des apôtres. Leur foi est tout entière dans la simplicité d’une constatation. Elle commence en eux lorsqu’ils l’ont vu et l’ont touché ressuscité. Quand Pierre cherche à trouver quelqu’un pour remplacer Judas dans le collège apostolique, il n’a qu’un seul critère de jugement: celui qui succédera à Judas devra être un témoin non de la vie mais de la résurrection de Jésus. Les apôtres sont les témoins oculaires de la résurrection de Jésus. Et tout est confié et suspendu à leur expérience, vu que Jésus n’a pas laissé d’enseignement écrit, de doctrine spirituelle codifiée. Bref, à l’origine de la foi de l’Église dans la résurrection, il y a eu le fait de voir. Et la foi de l’Église ne pourra jamais être séparée de cette vue initiale et trouvera toujours son fondement dans l’expérience faite par les apôtres et dans leur témoignage. Comme l’écrit, toujours dans le De Civitate Dei, saint Augustin: «Resurrexit tertia die sicut apostoli suis etiam sensibus probaverunt». «Il est ressuscité le troisième jour, comme les apôtres l’ont vérifié également avec leurs sens».

Dimanche de Pâques, 12 avril 2009 – Pape Benoît

13 avril, 2011

du site:

http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/homilies/2009/documents/hf_ben-xvi_hom_20090412_pasqua_fr.html
     
Messe de Pâques

HOMÉLIE DU SAINT-PÈRE

Dimanche de Pâques, 12 avril 2009

Chers Frères et Sœurs !

« Le Christ, notre agneau pascal, a été immolé » (1 Co 5, 7) ! Cette exclamation de saint Paul que nous avons écoutée dans la deuxième lecture, tirée de la première Lettre aux Corinthiens, retentit en ce jour. C’est un texte qui date d’une vingtaine d’années à peine après la mort et la résurrection de Jésus, et pourtant – comme c’est typique de certaines expressions pauliniennes – il reflète déjà, en une synthèse impressionnante, la pleine conscience de la nouveauté chrétienne. Le symbole central de l’histoire du salut – l’agneau pascal – est ici identifié à Jésus, qui est justement appelé « notre Pâque ». La Pâque juive, mémorial de la libération de l’esclavage en Égypte, prévoyait tous les ans le rite de l’immolation de l’agneau, un agneau par famille, selon la prescription mosaïque. Dans sa passion et sa mort, Jésus, se révèle comme l’Agneau de Dieu « immolé » sur la croix pour enlever les péchés du monde. Il a été tué à l’heure précise où l’on avait l’habitude d’immoler les agneaux dans le Temple de Jérusalem. Lui-même avait anticipé le sens de son sacrifice durant la Dernière Cène en se substituant – sous les signes du pain et du vin – aux aliments rituels du repas de la Pâque juive. Ainsi nous pouvons dire vraiment que Jésus a porté à son accomplissement la tradition de l’antique Pâque et l’a transformée en sa Pâque.
A partir de cette signification nouvelle de la fête pascale, on comprend aussi l’interprétation des « azymes » donnée par saint Paul. L’Apôtre fait référence à un antique usage juif : selon lequel, à l’occasion de la Pâque, il fallait faire disparaître de la maison le moindre petit reste de pain levé. Cela représentait, d’une part, le souvenir de ce qui était arrivé à leurs ancêtres au moment de la fuite de l’Égypte : sortant en hâte du pays, ils n’avaient pris avec eux que des galettes non levées. Mais, d’autre part, « les azymes » étaient un symbole de purification : éliminer ce qui est vieux pour donner place à ce qui est nouveau. Alors, explique saint Paul, cette tradition antique prend elle aussi un sens nouveau, à partir précisément du nouvel « exode » qu’est le passage de Jésus de la mort à la vie éternelle. Et puisque le Christ, comme Agneau véritable, s’est offert lui-même en sacrifice pour nous, nous aussi, ses disciples – grâce à Lui et par Lui – nous pouvons et nous devons être une « pâte nouvelle », des « azymes » libres de tout résidu du vieux ferment du péché : plus aucune méchanceté ni perversité dans notre cœur.
« Célébrons donc la fête… avec du pain non fermenté : la droiture et la vérité ». Cette exhortation qui conclut la brève lecture qui vient d’être proclamée, résonne avec encore plus de force dans le contexte de l’Année paulinienne. Chers Frères et Sœurs, accueillons l’invitation de l’Apôtre ; ouvrons notre âme au Christ mort et ressuscité pour qu’il nous renouvelle, pour qu’il élimine de notre cœur le poison du péché et de la mort et qu’il y déverse la sève vitale de l’Esprit Saint : la vie divine et éternelle. Dans la séquence pascale, comme en écho aux paroles de l’Apôtre, nous avons chanté : « Scimus Christum surrexisse a mortuis vere » – « nous le savons : le Christ est vraiment ressuscité des morts ». Oui, c’est bien là le noyau fondamental de notre profession de foi, c’est le cri de victoire qui nous unit tous aujourd’hui. Et si Jésus est ressuscité et est donc vivant, qui pourra jamais nous séparer de Lui ? Qui pourra jamais nous priver de son amour qui a vaincu la haine et a mis la mort en échec ?
Que l’annonce de Pâques se répande dans le monde à travers le chant joyeux de l’Alléluia ! Chantons-le avec les lèvres, chantons-le surtout avec le cœur et par notre vie, par un style de vie similaire aux « azymes », c’est-à-dire simple, humble et fécond en bonnes actions. « Surrexit Christus spes mea : / precedet vos in Galileam – le Christ, mon espérance, est ressuscité !  Il vous précèdera en Galilée ». Le Ressuscité nous précède et nous accompagne sur les routes du monde. C’est Lui notre espérance, c’est Lui la paix véritable du monde ! Amen.

Jean Paul II – Dimanche de Pâques 2005

11 avril, 2011

du site:

http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/messages/urbi/documents/hf_jp-ii_mes_20050327_easter-urbi_fr.html

MESSAGE URBI ET ORBI

DU SAINT-PÈRE JEAN-PAUL II

Dimanche de Pâques

27 mars 2005

1. Mane nobiscum, Domine!
Reste avec nous, Seigneur! (cf. Lc 24, 29)
par ces paroles les disciples d’Emmaüs
invitèrent le mystérieux Voyageur
B rester avec eux, alors que parvenait à son terme
le premier jour après le sabbat
au cours duquel l’incroyable était arrivé.
Selon la promesse, le Christ était ressuscité;
mais eux ne le savaient pas encore.
Toutefois, au long de la route, les paroles du Voyageur
avaient progressivement réchauffé leur coeur.
C’est pourquoi ils l’avaient invité: «Reste avec nous».
Puis, assis autour de la table du repas,
ils l’avaient reconnu à la «fraction du pain».
Et aussitôt il avait disparu.
Devant eux restait le pain rompu,
et dans leur coeur, la douceur de ses paroles.

2. Chers Frères et Soeurs,
la Parole et le Pain de l’Eucharistie,
mystère et don de la Pâque,
demeurent au cours des siècles comme la mémoire éternelle
de la passion, de la mort et de la résurrection du Christ!
Aujourd’hui, Pâque de Résurrection, nous aussi,
avec tous les chrétiens du monde nous répétons:
Jésus, crucifié et ressuscité, reste avec nous!
Reste avec nous, ami fidèle et soutien assuré
de l’humanité en marche sur les routes du temps!
Toi, Parole vivante du Père,
mets confiance et espérance dans le coeur de ceux qui cherchent
le vrai sens de leur existence.
Toi, Pain de vie éternelle, nourris l’homme
affamé de vérité, de liberté, de justice et de paix.

3. Reste avec nous, Parole vivante du Père,
et enseigne-nous des paroles et des gestes de paix:
paix pour la terre consacrée par ton sang
et baignée du sang de tant de victimes innocentes;
paix pour les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique,
là oj tant de sang continue aussi à être versé;
paix pour toute l’humanité, toujours menacée
par le danger de guerres fratricides.
Reste avec nous, Pain de vie éternelle,
rompu et distribué aux convives:
donne-nous, à nous aussi, la force d’une solidarité généreuse
envers les multitudes qui, aujourd’hui encore,
souffrent et meurent de misère et de faim,
qui sont décimées par des épidémies mortelles
ou touchées par de terribles catastrophes naturelles.
Par la force de ta Résurrection
que tous soient aussi rendus participants d’une vie nouvelle.
4. Nous aussi, hommes et femmes du troisième millénaire,
nous avons besoin de Toi, Seigneur ressuscité!
Reste avec nous maintenant et jusqu’à la fin des temps.
Fais que le progrès matériel des peuples
n’estompe jamais les valeurs spirituelles
qui sont l’âme de leur civilisation.
Soutiens-nous, nous t’en prions, sur notre chemin.
En Toi nous croyons, en Toi nous espérons,
parce que Toi seul tu as les paroles de la vie éternelle (cf. Jn 6, 68).
Mane nobiscum, Domine! Alléluia !

  

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