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LE MONACHISME CHRÉTIEN EN OCCIDENT

7 septembre, 2015

http://www.clio.fr/bibliotheque/le_monachisme_chretien_en_occident.asp

LE MONACHISME CHRÉTIEN EN OCCIDENT

IVAN GOBRY

Professeur honoraire de l’université de Reims Ancien membre du Conseil scientifique de l’université de la Citoyenneté européenne (Conseil de l’Europe) Ancien professeur à l’Institut Catholique de Paris

Le monachisme d’Occident est issu du monachisme d’Orient. Il est d’ailleurs presque aussi ancien que lui, puisque nous en trouvons des éléments dès le début du IIIe siècle. Cependant, il est, dans ses laborieuses origines, beaucoup moins vigoureux et plus clairsemé. Il lui faudra trois siècles pour s’étendre dans la moitié de l’empire où le latin est la langue véhiculaire… Son extension, sa diversité et son devenir nous sont expliqués par Ivan Gobry, dont l’ouvrage Les Moines en Occident fait autorité.
De la Gaule à l’Italie
Le monachisme occidental vit le jour en Gaule, mais dans une Gaule où le parler du clergé était encore le grec, puisque ses premiers évêques venaient d’Orient : à Lyon. Le premier monastère attesté en Occident est en effet celui de l’île Barbe (Insula Barbara) sur la Saône, au nord de la ville. En 202, quand éclata la persécution de Septime Sévère, qui provoqua le martyre de l’évêque Irénée et de neuf mille de ses fidèles, deux chrétiens, Étienne et Pérégrin, se réfugièrent sur cette île où ils vécurent en ermites ; rejoints bientôt par plusieurs compagnons, ils formèrent une communauté qui se donna pour supérieur un nommé Dorothée – nom qu’avait porté un célèbre père des déserts d’Égypte. Vers 240, cette communauté était assez connue pour qu’un riche propriétaire, Longin, lui fît bâtir un monastère en dur et une chapelle sous le vocable de Saint-André, culte populaire en Grèce. Les moines d’Occident devançaient les fondations de Byzance et de l’Égypte.
Il fallut attendre une vingtaine d’années pour voir élever, vers 260, le monastère d’Issoire, initiative de saint Austremoine, premier évêque d’Auvergne. Dès le début du IVe siècle, cette région nous apparaît parsemée d’implantations monastiques.
Ce fut alors seulement que le monachisme pénétra à Rome, un siècle après Lyon. En 307, sainte Aglaé, richissime propriétaire convertie au christianisme après des années de luxe et de débauche, édifia sur la via Latina un oratoire sur le corps du martyr Boniface, son amant qui l’avait imitée dans la conversion, et, à côté, un monastère où elle se retira et vécut dans la pénitence avec un certain nombre de ses servantes. Quelques années plus tard, en 313, Constantin promulguait le fameux édit de Milan, qui accordait la liberté de culte aux chrétiens, et les femmes de sa famille se dévouèrent à la cause monastique. Sainte Hélène, mère de l’empereur, fit construire à Trèves, l’une des capitales de l’Occident, une bâtisse pour abriter la communauté réunie par l’abbé Jean. Vers 342, à Rome même, Constantina, fille de Constantin, éleva près du mausolée qu’elle s’était préparé (et qu’on appela plus tard Sainte-Constance) une basilique et un monastère féminin dédiés à sainte Agnès.
Huit ans plus tard, Eusèbe, évêque de Verceil, devançant l’initiative de saint Augustin à Hippone, établissait près de sa cathédrale, à son retour d’Orient, une communauté de clercs. Il fut imité en 397 par Gaudence, évêque de Novare, qui avait appartenu à ce groupe informel, dans lequel il faut voir plutôt les premiers chanoines réguliers.
Le rôle déterminant de saint Anthanase
Ce fut surtout sous l’influence de ce patriarche d’Alexandrie que se propagea le monachisme en Occident. En 335, Constantin l’ayant exilé de son siège, il se réfugia à Trèves, où il vécut pendant deux ans, psalmodiant l’office divin avec quelques moines qu’il avait amenés avec lui. À cet exemple, un certain nombre de petits groupes érémitiques se constituèrent sur les bords de la Moselle ; le plus important fut celui qu’établit à Cardo saint Castor, et qui devint une importante communauté, régie par une règle qui ne fut sans doute pas rédigée.
Ce fut probablement à cette communauté, ou à une autre moins importante, qu’appartint saint Martin quand, en 341, il demanda son congé de l’armée pour se consacrer à Dieu ; jusqu’au jour où, accompagnant à Poitiers Maximin, évêque de Trèves, il y trouva un groupe d’ascètes dirigé par saint Hilaire, futur évêque de la ville, et s’y incorpora. Puis, après un voyage en Italie durant lequel il constitua deux ermitages, il retourna à Poitiers ; il fonda alors près de Ligugé un monastère de laïcs, puis, devenu archevêque de Tours, un monastère de clercs à Marmoutier (371). En 339, Athanase, de nouveau exilé, s’arrêta à Rome ; sous son influence, sainte Marcelle, une riche veuve, transforma son palais en monastère – exemple suivi en 380 par sainte Paule.
En 370, Évagre d’Antioche, ami de saint Jérôme, traduisit en latin la fameuse Vie de saint Antoine, première de toutes les hagiographies, rédigée par saint Athanase, et fit connaître ainsi en Occident la vie des monastères d’Égypte. Elle fut lue à Rome par un clerc irlandais, saint Kiaran, qui, en 402, retourna dans sa patrie, où il fonda à Saghir le premier monastère de l’île. Quand, trente ans plus tard, le Breton saint Patrick débarqua en Irlande, il trouva le vieil abbé entouré de ses fils, et l’ordonna évêque.
Le monachisme continua à s’implanter anarchiquement dans les Gaules : en 390 avec saint Théodule à Agaune, aujourd’hui Saint-Maurice en Valais ; en 394 avec saint Paulin à Nole, dans la région de Naples ; en 405 avec saint Honorat dans l’île de Lérins en Provence ; en 410 avec saint Budoc dans l’île des Lauriers au nord de l’Armorique ; en 422 avec saint Germain à Auxerre. Il est certain qu’un mouvement plus ample, mais constitué, lui aussi, de monastères isolés, se produisit en Italie ; à notre déconvenue, contrairement à ce qui eut lieu pour la Gaule, il ne trouva pas d’historiens, et nous ne le connaissons que par un ensemble d’allusions et de déductions. Heureusement, saint Grégoire le Grand, après avoir mentionné, dans ses Dialogues, quelques monastères du centre de l’Italie à la fin du Ve siècle, nous a laissé l’histoire de saint Benoît de Nursie.
Saint Benoît, l’artisan le plus important de l’expansion du monachisme
Il se retira en solitaire à Subiaco vers l’an 500 ; trois ans plus tard, il se trouvait à la tête d’une petite communauté. Pendant ce temps, saint Fintan fondait Cluan-Ednech en Irlande, saint Pol de Léon se faisait ermite en Armorique, saint Mars bâtissait Royat, saint Césaire établissait une communauté de clercs à Arles, saint Hilaire de Galliata élevait son monastère non loin de Ravenne ; et dans toute l’Italie florissaient des maisons religieuses semblables à celle de Subiaco. En 535, six ans après avoir transporté sa communauté grandissante dans les nouveaux locaux du Mont-Cassin, Benoît rédigea la règle qui en ordonnait la vie. Elle passa inaperçue. On connaissait d’ailleurs de nombreuses règles à l’est de la Gaule et dans le nord de l’Italie : celles des Quatre Pères, de Saint-Macaire, Règle orientale, écrites successivement à Lérins ; les Institutions de Cassien à Marseille ; les règles de Saint-Césaire à Arles, de Saint-Eugippe à Lucullanum près de Naples ; celle du Maître en un lieu ignoré d’Italie centrale. Dans les trente années qui suivirent la rédaction de la règle du Mont-Cassin parurent celles de Saint-Aurélien à Arles, de Tarnat et de Saint-Ferréol dans la vallée du Rhône… sans compter l’abondance des règles des abbayes de l’Irlande. Cependant, aucune ne subsista. Deux siècles après avoir timidement régi quelques monastères italiens, la règle de saint Benoît s’imposa à l’Occident entier.
Il y avait eu pourtant, dans l’intervalle, la règle de saint Colomban. Ce fameux moine irlandais, débarqué en 590 sur la côte d’Armorique, entre Saint-Malo et Cancale, avec douze compagnons, avait élevé dans la forêt vosgienne un triple monastère, Luxeuil-Anegray-Fontaines. Puis, chassé par Brunehaut, il avait pérégriné à travers les Alpes, pour aboutir finalement à Bobbio, au sud de Milan, où il bâtit une nouvelle abbaye et mourut bientôt (615). Lui et ses premiers disciples avaient établi dix monastères. Mais, après la mort de Colomban, plus de quatre-vingt-dix autres adoptèrent sa règle. On pouvait s’attendre à une plus grande extension ; or, cette règle était à la fois terrible et imprécise sur bien des points. Petit à petit, la règle de saint Benoît, bien plus équilibrée et humaine, lentement découverte, se substitua à elle. D’ailleurs, dès 628, on constate que, dans la plupart des monastères issus de Luxeuil, s’est constituée une règle mixte, qui associe des articles de la règle bénédictine à ceux de la règle colombanienne. Ainsi les plus célèbres : les congrégations de Saint-Wandrille, de Jumièges (fondée par saint Philibert), de Saint-Amand. Pendant ce temps, le moine Augustin, prieur de l’abbaye bénédictine Saint-André de Rome, envoyé par le pape saint Grégoire le Grand pour convertir les Anglo-Saxons, fondait le premier monastère bénédictin d’Angleterre et devenait archevêque de Cantorbéry (597). En un siècle, plus de cent autres s’y ajoutèrent. En 610, le concile de Rome, convoqué par Boniface IV, confirma la règle de saint Benoît pour tous les monastères d’Angleterre. En 745, le concile national des Francs, présidé par saint Boniface, archevêque de Mayence, décréta la soumission de tous les monastères du royaume à cette même règle.
L’épanouissement du monachisme occidental se poursuivit sous la protection de Pépin le Bref, de Charlemagne et de Louis le Pieux. Mais il fut bientôt victime de deux fléaux qui produisirent sa décadence. Le premier fut l’accaparement des abbayes par des laïcs, qui disposèrent du sort et des biens des religieux. L’autre fut l’invasion des Normands païens, puis des Sarrasins musulmans, qui ruinèrent la majorité des monastères et massacrèrent un grand nombre de moines.

De Cluny à Cîteaux et Clairvaux
Après la débâcle, le renouveau de la vie monastique fut l’œuvre de Cluny. Au départ, en 909, cette modeste formation, œuvre de Guillaume Ier d’Aquitaine, passa presque inaperçue. Mais la soif de vie religieuse était telle que Cluny, en deux siècles, créa ou s’unit à douze cents monastères, dont neuf cents en France. La nouveauté du gouvernement consistait dans une centralisation qui plaçait toutes les maisons de l’ordre sous l’autorité de l’abbé de Cluny. C’était donc la valeur personnelle de celui-ci qui décidait du respect de la règle et de l’élan de la ferveur dans l’ensemble de l’ordre. Or, durant deux siècles, les abbés qui se succédèrent furent des hommes exceptionnels. En outre, ils eurent des abbatiats d’une longue durée, ce qui leur permit de donner continûment leur marque à cette puissante réforme. Après le premier abbé, saint Bernon (909-927), cette durée alla croissant : saint Odon dirigea pendant quinze ans, saint Aymar pendant vingt-trois ans, saint Mayeul pendant vingt-neuf ans, saint Odilon (994-1049) pendant cinquante-cinq ans, saint Hugues (1049-1109) pendant soixante ans.
Après la mort de ce géant du monachisme, Cluny commença à donner des marques de déclin. Le flambeau fut repris par Cîteaux. Cette abbaye, bourguignonne comme Cluny, fut fondée en 1098 par saint Robert, abbé de Molesmes, qui voulait, avec quelques compagnons, vivre intensément la vie bénédictine dans le labeur et le dénuement. Ses successeurs à la tête de la jeune abbaye, saint Aubry (1099-1109), saint Étienne Harding (1109-1133), Raynard (1133-1151), furent dignes de lui et procurèrent à l’ordre nouveau une extension dans toute l’Europe, tout en s’employant à le garder dans sa ferveur.
Mais l’artisan le plus admirable de cette multiplication et de cette sainteté fut saint Bernard, premier abbé de Clairvaux, qui compte parmi les plus fameux génies du christianisme. Fondateur, il établit soixante-neuf monastères, qui à leur tour en créèrent plus de cent. Homme d’Église, il fut un zélé serviteur de la papauté dans les luttes qu’elle eut à soutenir contre le pouvoir temporel ; prédicateur, il laissa plus de quatre cents sermons d’une puissante éloquence ; théologien, il a été rangé parmi les docteurs de l’Église.
Du XIe et XIIe siècles, une floraison d’instituts pleins de la même ferveur
Le plus célèbre est l’ordre des Chartreux, fondé en 1084 par saint Bruno dans le massif alpin de la Grande Chartreuse, et qui associe dans le même monastère la vie érémitique à la vie cénobitique. Mais d’autres ont trouvé une place prestigieuse dans l’histoire. En Italie, ce furent l’ordre des Camaldules, institué en 1012 par saint Romuald à Camaldoli en Toscane ; l’ordre de Vallombreuse, fondé en 1046 par saint Jean Gualbert à Vallombrosa, en Toscane encore ; celui de Flore (1194), par le fameux abbé cistercien Joachim, qui fut inquiété par les autorités ecclésiastiques à cause de ses fantaisies théologiques ; celui de Monte Vergine, dans les Pouilles (1119) par saint Guillaume de Verceil ; celui de Pulsano (1118), dans la même région, par saint Jean de Matera.
L’Ouest de la France fut fertile en fondations, à l’origine des ermitages. Le principal inspirateur de ce mouvement fut le bienheureux Vital de Mortain, qui suscita en 1093 l’ordre de Savigny. À son exemple, saint Robert d’Arbrissel établit en 1099 l’ordre de Fontevraud, avec cette particularité que l’autorité de cet ordre mixte revint à l’abbesse de Fontevraud, les prieurés masculins lui étant soumis comme les féminins. Autre disciple de Vital, Géraud de Salles parsema le Sud-Ouest de petits monastères, qui constituèrent les éphémères congrégations de Cadouin, de Grandselve et de Dalon. Saint Étienne de Muret fonda dans le Limousin en 1078 l’ordre de Grandmont, qui compta cent cinquante et une maisons ; saint Étienne d’Obazine, dans la même région, vers 1130, celui d’Obazine. Tous ces instituts avaient en commun la pratique d’une terrible ascèse et d’une très grande pauvreté.
Au XIIIe siècle, les ordres mendiants suscitèrent l’enthousiasme et attirèrent une multitude de recrues. Ce fut certes, numériquement, au détriment des ordres monastiques ; mais ceux-ci gardèrent en bonne partie leur ferveur.
Un déclin amorcé au XVIe siècle et confirmé au XVIIIe siècle
Il en alla autrement quand, au début du XVIe siècle, deux événements leur portèrent un coup irréparable. L’un, externe, fut la Réforme qui, dans la moitié de l’Europe, confisqua les monastères, chassa ou massacra les religieux ; l’autre, interne, fut, en 1516 le concordat de Bologne entre Léon X et François Ier, qui laissait au roi de France la nomination des évêques et des abbés dans son royaume, où se trouvaient le plus grand nombre de monastères. Le roi, évidemment, ne nomma pas les prélats les plus saints, mais les plus ambitieux et les plus dévoués à sa personne, et il s’en suivit une décadence des instituts monastiques.
Un renouveau apparut au XVIIe siècle grâce à la création de nouvelles congrégations ferventes : chez les Cisterciens, celle d’Allemagne ; en France, celle de la Stricte Observance, au sein de laquelle brilla l’abbé de Rancé, réformateur de la Trappe ; chez les Bénédictins, les congrégations de Saint-Vanne et de Saint-Maur, toujours en France. Cet essor fut combattu au XVIIIe siècle par les gouvernements des pays latins, gagnés à la franc-maçonnerie, et anéantis, en France et en Italie, par la Révolution française. Le beau mouvement de restauration du XIXe siècle ne put relever ces ruines qu’en faible partie.
Ce court exposé historique ne permet pas de dresser un bilan de l’œuvre monastique en Occident, qui fut fondamentale non seulement dans le domaine spirituel, mais dans les domaines économique, culturel et caritatif.

Ivan Gobry
Janvier 2001

LE MONACHISME COPTE ET LA PAROLE DE DIEU

12 février, 2014

http://www.aimintl.org/index.php?option=com_content&view=article&id=888&Itemid=100159&lang=it

LE MONACHISME COPTE ET LA PAROLE DE DIEU

F. Guido Dotti, moine de Bose (Italie)

“Le monachisme copte nous rappelle avec force que la Parole de Dieu est et reste une lampe pour nos pas à tout moment de notre existence”.

On disait au sujet du Père Sérapion qu’il rencontra une fois à Alexandrie un pauvre transi de froid. Il se dit en lui-même : « Comment moi, qui passe pour être un ascète, suis-je vêtu d’une tunique alors que ce pauvre ou plutôt le Christ se meurt de froid ? Assurément si je le laisse mourir je serai condamné comme homicide au jour du jugement » ; et, se dépouillant comme un valeureux athlète, il donna au pauvre le vêtement qu’il portait. Et il s’assit avec le petit évangile qu’il portait toujours sous son aisselle. Vint à passer un gardien de la paix ; lorsqu’il le vit nu, il lui dit : « Abbé Sérapion, qui t’a dépouillé ? » Et sortant le petit évangile il lui dit : « C’est celui-ci qui m’a dépouillé. » Et se levant de là il rencontra quelqu’un qu’on arrêtait pour une dette et qui n’avait pas de quoi payer. Ayant vendu le petit évangile, cet immortel Sérapion paya la dette de cet homme. Et il rentra dans sa cellule nu. Lors donc que son disciple le vit nu, il lui dit : « Abbé, où est ta petite tunique ? » L’ancien lui dit : « Mon enfant, je l’ai envoyée là où nous en aurons besoin. » Le frère lui dit : « Où est le petit évangile ? » L’ancien répondit : « Pour de bon, mon enfant, celui qui me disait chaque jour : “Vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres” (Mt 19, 21), je l’ai vendu et le lui ai donné pour trouver plus de confiance en lui au jour du jugement. »
litcopte1Une réflexion sur la présence de la Parole de Dieu dans la vie quotidienne des moines du désert égyptien ne peut que partir de l’apophtegme qu’on vient de lire parce que, hier comme aujourd’hui, la Bible est utilisée dans le monachisme copte comme la source primaire de l’action de l’homme, sa référence fondamentale dans la recherche quotidienne d’une vie selon l’Évangile. Et c’est la perspective monastique que je voudrais examiner dans ces pages, car s’il est une tradition chrétienne dans laquelle le monachisme a toujours été un miroir fidèle – aux temps de plus grande splendeur comme dans ceux de décadence – de la vitalité de l’Église tout entière, c’est bien celle du monde copte : sans parcourir dans leur intégralité les mille sept cents ans de l’histoire de la présence chrétienne en Égypte, je chercherai à indiquer quel a été le rapport avec l’Écriture chez les « Pères du désert » lors de leur apparition au début du IVe siècle et quelle est l’importance du texte biblique, et évangélique en particulier, dans la vie et dans le témoignage actuel, telle que j’ai pu la connaître par la fréquentation des monastères coptes et dans l’amitié fraternelle avec certains moines.
Sans aucun doute, parmi les éléments divers qui ont donné vie au phénomène monastique ancien dans la région qui va de l’Égypte à la Syrie et qui ont continué à en modeler la forme – devenue ensuite exemplaire pour le monachisme tout entier, même en Occident – l’Écriture apparaît comme l’un des plus décisifs. Certains textes d’Évangile, en particulier les paroles de Jésus sur le renoncement, la suivance, le fait de porter sa croix, apparaissent, au début du monachisme du désert, comme des sources premières capables d’inspirer tant l’acte ponctuel de l’anachorèse, du retrait à l’écart, que le vécu quotidien dans la prière, dans le travail et dans la recherche de la volonté de Dieu. Ce sont des paroles performatives, qui ont progressivement tissé l’existence des ermites, des anachorètes et des cénobites, en donnant sens et direction à la recherche constante du salut : les Écritures étaient écoutées, lues et méditées de sorte à ce qu’on en connaisse la « lettre » et qu’on parvienne à l’« esprit », en vue de les conserver dans le cœur et afin qu’elles offrent une source de discernement sur les aspects fondamentaux de la vie : aux temps d’obscurité, de difficulté ou de combat, comme lors des moments plus radieux de leur existence, c’était l’Écriture qui fournissait la clé pour pénétrer le sens de l’existence et purifier les rapports avec soi-même, avec les autres et avec Dieu. Les Pères du désert arrivaient à une telle assimilation de la parole de Dieu contenue dans les Écritures que ceux qui les approchaient les considéraient comme des « porteurs de la Parole » dans la vie quotidienne ; ils les écoutaient comme d’authentiques sequentiae sancti evangelii, des passages vivants de l’Évangile de vie.
En lisant les apophtegmes des Pères, on a souvent l’impression que les moines du désert vivaient et « parlaient » la Parole, et ceci parce que l’Écriture était pour eux prière et travail, dialogue avec Dieu et labeur quotidien pour transformer le « c’est écrit » en une « lettre vivante », un témoignage crédible du fait que le pain de la Parole est véritablement un aliment capable non seulement de nourrir pour la vie éternelle, mais également de modeler la vie quotidienne, ici et maintenant. On peut parfois sourire devant certains littéralismes, mais ils sont révélateurs de ce qui a probablement été la réaction immédiate et spontanée des premiers auditeurs de la prédication de Jésus : les paraboles, les gestes, les silences, les attitudes de Jésus étaient saisis par les premiers chrétiens et par les moines comme des exemples concrets, praticables, accessibles pour rendre efficace, réelle, quotidienne la suivance, le cheminement derrière Jésus en un temps où il n’était plus possible de le suivre physiquement sur les routes de la Galilée et de la Judée.
D’Antoine, qui écoute la parole de l’Évangile : « Va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres » (Mt 19,21) et qui vend immédiatement tous ses biens et se retire auprès d’un père spirituel, jusqu’à Sérapion qui vend le livre de l’Évangile pour mettre en pratique ce qui était écrit dans ce livre, les apophtegmes des Pères du désert nous apparaissent comme de simples paraphrases de l’Évangile, des manières différentes d’exprimer dans un langage non verbal ce que l’Écriture annonce comme la volonté du Seigneur. Et, notons bien, la Parole de Dieu est « lampe pour le chemin » non seulement au niveau de l’ascèse personnelle, mais aussi et plus encore dans les rapports fraternels, dans l’accueil de l’autre, dans le service auprès du frère : toute norme aussi autorisée qu’elle soit, toute règle la plus « sainte », toute tradition même ancienne, est soupesée et subordonnée au commandement de l’Évangile : le jeûne peut être rompu pour accueillir un hôte, l’écoute du frère dans l’angoisse peut prendre la place de la récitation des Psaumes, le fruit du travail quotidien doit être partagé avec ceux qui sont dans le besoin, la miséricorde envers le pécheur doit prendre le dessus sur la justice établie par la loi.
À une époque où la majeure partie des personnes, et par conséquent aussi des moines, était analphabète, dans une culture où la tradition orale était le véhicule ordinaire pour la transmission du savoir, dans une économie où les livres étaient un bien extrêmement rare et précieux, il était demandé aux novices qui s’approchaient de la vie monastique qu’ils connaissent par cœur « au moins » l’Évangile et les Psaumes, de sorte à pouvoir nourrir quotidiennement leur vie spirituelle. Du reste, le disciple qui se mettait à l’école d’un « Abba » recevait une « parole » qui, le plus souvent, n’était qu’un verset de l’Évangile, ou de l’Écriture, une parole qu’il devait répéter sans cesse jusqu’à ce qu’il ne l’ait mise en pratique !
Cette pratique est suivie aujourd’hui encore : le Psautier, les Évangiles et les écrits de saint Paul sont le pain quotidien pour des moines souvent bien instruits dans les disciplines les plus diverses ; c’est toujours l’Écriture qui constitue la parole décisive dans la vie monastique. Il est surprenant, parfois, lorsqu’on écoute un dialogue entre deux moines, d’entendre le recours fréquent à des expressions bibliques, à des apophtegmes des Pères qui renvoient à l’Évangile : vraiment, « la bouche parle de la plénitude du cœur » et l’Écriture écoutée, lue, méditée et priée devient le trésor intarissable d’où tirer « des choses anciennes et des choses nouvelles ». La constante répétition silencieuse d’un verset biblique, la prière commune à l’église – durant laquelle chaque moine reçoit à plusieurs reprises, de celui qui en a la charge et lui passe devant, les paroles initiales d’un Psaume afin qu’il le récite intégralement par cœur, et de sorte que tous puissent ainsi accomplir le mandat de réciter le Psautier tout entier en un seul jour –, l’usage habituel des paroles de l’Écriture pour exprimer des sentiments et des mouvements du cœur témoignent aujourd’hui encore du fait que la « centralité de la Parole » dans la vie d’un chrétien ne dépend pas d’un savoir théorique, d’études exégétiques approfondies, de la connaissance des langues dans lesquelles ont été écrits l’Ancien et le Nouveau Testament, mais plutôt de la capacité qu’a la Parole de pénétrer le cœur de celui qui l’écoute et de la réponse que la personne tout entière – âme, esprit et corps – donne à cette parole à travers son propre mode de penser, de parler et d’agir dans l’aujourd’hui de l’histoire.
Je voudrais m’arrêter en particulier sur certains passages bibliques qui reviennent chaque jour dans la prière commune monastique, durant l’office du matin. Avant tout, le Cantique de la mer (Ex 15), ce chant entonné par Myriam, la sœur de Moïse, immédiatement après le passage de la Mer Rouge et la libération de l’esclavage en Égypte ainsi que de l’armée du Pharaon. Il peut surprendre que des chrétiens égyptiens chantent sur des tons d’exultation une hymne où l’on rend grâce à Dieu pour avoir défait l’Égypte, pour avoir jeté à la mer cheval et chevalier ! Mais cette donnée est révélatrice de la capacité de lecture spirituelle de l’Écriture : les adversaires défaits ne sont pas les Égyptiens en tant que peuple – en un certain sens les « ancêtres » de ceux qui aujourd’hui entonnent ce chant – mais bien les forces contraires à Dieu, qui maintiennent les croyants en esclavage, qui les empêchent de rendre un culte au Seigneur, qui font obstacle au chemin vers la libération. Vraiment, la joie pour la liberté retrouvée des enfants de Dieu n’a pas peur de prendre à son compte le langage et les expressions d’un peuple qui a défait, par l’entremise de la main prodigieuse de Dieu, ses propres ancêtres : aujourd’hui les chrétiens égyptiens chantent – comme les juifs, et comme toute autre ethnie sur la terre – leurs louanges au Seigneur qui a réalisé des merveilles et qui a anéantit dans la mer l’armée de l’Égypte !
Plus significatifs encore pour la vie spirituelle du moine sont les trois passages d’Évangile qui sont proclamés chaque matin durant la prière : le passage sur les vierges folles et les vierges sages (Mt 25, 1-13), l’épisode de la femme pécheresse à laquelle beaucoup a été pardonné parce qu’elle a beaucoup aimé (Lc 7, 36-50) et l’invitation à la vigilance dans l’attente du Seigneur (Lc 12, 35-40). L’application à la vie monastique – ou mieux, à la vie chrétienne vécue radicalement – des deux premiers passages apparaît assez bien établie : l’invitation à la vigilance, à ne pas faire manquer l’huile de la charité durant l’attente, le fait de se savoir éveillés et de se trouver prêts dès que retentit la voix qui annonce l’Époux est un topos, une exhortation récurrente dans la spiritualité monastique et dans la catéchèse. De même, la figure de la pécheresse qui demande silencieusement et obtient le pardon de Jésus grâce à la pénitence et aux gestes d’attention pour le corps du Seigneur – les pieds du voyageur lavés avec les larmes, séchés avec les cheveux, baisés et enduits de parfum – devient l’image emblématique de chaque croyant, pécheur pardonné et appelé à aimer intensément en vertu de l’amour donné et reçu. Mais la lecture spirituelle du second passage lucanien est plus prégnante encore, en particulier le verset 37 : « Heureux ces serviteurs que le maître en arrivant trouvera en train de veiller ! En vérité, je vous le dis, il se ceindra, les fera mettre à table et, passant de l’un à l’autre, il les servira. » Dans l’interprétation monastique, l’accent n’est pas tant placé sur la vigilance des serviteurs – le passage des dix vierges y exhorte déjà – mais plutôt sur l’attitude déconcertante du Seigneur à son retour : lui, le patron, le maître, se ceindra pour servir les disciples vigilants ! L’attitude du service jusqu’à l’extrême que le Seigneur Jésus a vécue dans sa chair humaine résumée dans l’épisode du lavement des pieds, que l’évangéliste Jean raconte au lieu du partage du pain et du vin du dernier repas – sera celle que le Seigneur aura lorsqu’il reviendra dans la gloire : même le Seigneur glorieux sera au service de l’homme !
Quel enseignement plus chargé d’autorité et plus efficace pourrions-nous recevoir pour notre vie quotidienne, quelle « incarnation » plus concrète et actuelle de la Parole pourrions-nous trouver pour nos vies vécues les uns à côté des autres, dans l’écoute, dans l’accueil et dans le service réciproques ? Vraiment, le monachisme copte nous rappelle avec force que la parole de Dieu est et reste une « lampe pour nos pas » à tout moment de notre existence, jusqu’au don total de notre vie, jusqu’au jour grand et glorieux du retour du Seigneur, un retour dans la gloire, certes, mais une gloire qui porte l’inscription indélébile du sceau du service et de l’amour.

INITIATION AU MONACHISME DES PREMIERS SIÈCLES CHRÉTIENS – CHAPITRE I –

18 novembre, 2013

http://www.scourmont.be/studium/dupont/

INITIATION AU MONACHISME DES PREMIERS SIÈCLES CHRÉTIENS

CHAPITRE I  -

(seule une partie des ailes 4 , suivie par jusqu’à 9 – seulement à la partie 4 , suivie par jusqu’à 9,  IVol. 1 : Égypte et Palestine)

LES ANTECEDENTS

DU MONACHISME CHRETIEN

1. DANS L’ANCIEN TESTAMENT
En scrutant l’Ancien Testament (même si vous utilisez un super ordinateur en six langues… mais rien ne vaut de faire le travail par soi-même!), on ne trouve pas de « moines » à proprement parler. Par contre, on trouve quelques traits de spiritualité monastique. C’est ce dont je vais vous entretenir présentement et qui vous permettra de mieux comprendre combien le monachisme chrétien est radicalement nouveau ; il est évangélique; il est une bonne nouvelle vécue.
Cette trace de spiritualité monastique est le naziréat. Qu’est-ce? Le mot signifie « consacré », et, très précisément le terme hébreu signifie « vœu ». Regardons tout d’abord les textes puis nous déduirons la structure de cette consécration.
- Gen. 49,26 « Que les bénédictions du Seigneur viennent sur la tête de Joseph, sur le front du consacré d’entre ses frères ». (Cf en parallèle : Dt, 33,16). Vous me direz que cela n’apporte pas grand chose! Mais tout de même on apprend ainsi que cette pratique du naziréat est très ancienne, qu’elle est antérieure à Moïse. Ce texte s’éclaire par d’autres : (Soit dit en passant, cette méthode d’étude de textes les uns par les autres est spécifiquement de la lectio divina).
- Juges 13,5-7 : « Le rasoir ne passera pas sur sa tête car l’enfant sera nazir de Dieu ».(il s’agit de Samson). Voir aussi Juges 13,13-14.
- Juges 16,17 : « Le rasoir n’a jamais passé sur ma tête car je suis nazir de Dieu depuis le sein de ma mère. »
De ces passages du Livre des Juges, on déduit que le naziréat se signale par :
. la chevelure jamais coupée
. l’abstinence même de raisin, de toute nourriture impure
. le nazir (ici Samson) est un charismatique : il est agité par l’esprit de Dieu (Juges 13,25).
. Il ne se sépare pas du reste du peuple, et ceci est radicalement différent de ce que pratiquera le monachisme chrétien.
- 1 Sam.1,11 : « Alors je le donnerai au Seigneur pour toute sa vie et le rasoir ne passera pas sur sa tête ».
- Mais le principal texte concernant le naziréat dans l’Ancien Testament se trouve dans le Livre des Nombres, 6,11 sq. :
 » Quand un homme ou une femme entend s’acquitter d’un vœu, le vœu de naziréat, par lequel il est voué au Seigneur, il s’abstiendra de vin et de boissons fermentées, il ne boira pas le vinaigre que l’on tire de l’un ou de l’autre, il ne boira aucun jus de raisin, il ne mangera ni raisins frais ni raisins secs. Durant tout le temps de sa consécration il ne prendra aucun produit du cep de vigne, depuis le verjus jusqu’au marc. Aussi longtemps qu’il sera consacré par son voeu, le rasoir ne passera pas sur sa tête; jusqu’à ce que soit écoulé le temps par lequel il s’est voué au Seigneur, il sera consacré et laissera croître librement sa chevelure. Durant tout le temps de sa consécration au Seigneur, il ne s’approchera pas d’un mort, ni par son père, ni par sa mère (…) car il porte sur sa tête la consécration de son Dieu. Durant tout le temps de son naziréat, il est consacré au Seigneur  » .
Puis aux versets 13 et suivants, vous avez le rituel du nazir. A la fin de sa consécration (car vous avez remarqué que ce vœu peut être temporaire ou définitif), le nazir est emmené à l’entrée de la tente du Rendez-vous où il offre un sacrifice pour le péché, puis un sacrifice de communion. Il reçoit du prêtre et présente au Seigneur les oblats du sacrifice de communion. Alors il peut boire du vin.
Il est encore un autre exemple de nazir, à la charnière de l’Ancien et du Nouveau Testament : c’est Jean, le Baptiste (Luc 1, 15) : « Il ne boira pas ni vin, ni boisson forte, il sera nazir dès le sein de sa mère ». Vous me direz qu’il n’est pas écrit explicitement que Jean Baptiste est nazir, et qu’en plus il n’est pas mentionné qu’il gardait sa chevelure sans la couper, signe par excellence du nazir. C’est vrai, mais souvenez-vous de Samson dont nous venons de parler : la force de Dieu (de l’Esprit de Dieu) est liée à sa chevelure. En Luc il est dit que Jean est rempli de l’Esprit-Saint. Peut-être cette force implique-t-elle que Jean ne s’est jamais coupé les cheveux (pour être signe). De plus, Jean précède le Christ, il attend sa venue; il est un veilleur, ce qui sera l’une des fonctions essentielles du moine.

EN RÉSUMÉ DE CETTE COURTE ÉTUDE, NOUS POUVONS CONCLURE QUE:
Ne pas se couper les cheveux ……………. signifie que la force de Dieu agit sur le nazir.
Ne pas boire de boisson fermentée …….. signifie le rejet de la vie facile.
Ne pas approcher un cadavre……….. .signifie que l’on appartient spécialement à Dieu.
A ces trois signes du naziréat, on peut ajouter : la durée, temporaire ou définitive, parfois dès le sein maternel, sans limite de temps.
Notons que l’on ne trouve pas toujours les trois éléments. Par exemple, pour Samuel, il n’est pas dit qu’il s’abstenait de vin.
Vous remarquerez aussi que dans son vœu le nazir n’est tenu qu’à des pratiques – ou absences de pratiques – « extérieures » et non pas forcément morales, fondamentales, ni spirituelles. Ces pratiques sont cependant des signes d’une consécration à Dieu.

1.2. Il y a d’autres traces de « monachisme » dans l’Ancien Testament. Je ne les développerai pas ici car vous étudierez cela plus en détail au cours d’Ecriture Sainte, mais je vous citerai simplement : ELIE, cette grande figure biblique. Elie, lié aussi à Jean Baptiste. Et par là, je voudrais vous faire prendre conscience (mais nous y reviendrons) que le monachisme est lié au prophétisme. Ce lien atteint son apogée avec Jésus, le prophète par excellence, le moine par excellence.

2. DANS LE NOUVEAU TESTAMENT
2.1. JESUS, plus libre dans son comportement et plus libéral que Jean Baptiste. « Il mange et boit avec les pécheurs » etc… Et pourtant, Jésus reçoit le baptême de pénitence, lui qui n’a pas péché. Il passe quarante jours au désert (avec tout le symbolisme du nombre quarante : une vie, une génération…). Il lance l’appel à tout quitter pour le suivre (cf. Mt 16,21-28 et montre en même temps l’impossibilité de suivre deux maîtres. Tout cela manifeste une rupture radicale avec la Loi, aussi radicale que celle de Jean.
2.2. Saint PAUL recommande l’état de virginité qui permet d’être au Seigneur sans partage, sans division (« simple » = monos); voyez le grand texte de 1 Co. 7. De la deuxième Lettre de Paul à Timothée (2,4), les moines vont retenir le principe que les militaires en service ne se laissent pas impliquer dans les affaires séculières. De même si les moines veulent plaire à Dieu, à Celui auquel ils se sont voués, ils sont tendus vers lui, préoccupés de lui seul : « tendu de tout mon être , je cours en avant vers le prix que Dieu m’appelle à recevoir là-haut en Christ Jésus. » (Phil. 3,13-14). Cette tension vers le Christ – que Grégoire de Nysse appellera épectase, est toute monastique.
Autrement dit, le moine est un veilleur qui attend le retour du Christ. Cette spiritualité donnera naissance aux Pères neptiques (nepsis = veille).

3. LES ESSENIENS
Avant d’aller plus loin dans les antécédents du monachisme chrétien, je voudrais vous parler d’un mouvement communautaire juif contemporain de Jean Baptiste et de Jésus, les esséniens.
3.1. Qu’est-ce que c’est ?
Pline l’Ancien, Philon en parlent. Cette secte – car c’était une secte juive – a eu une influence réelle sur la première communauté chrétienne et sur le monachisme des premiers siècles chrétiens. On connaît les esséniens non seulement par les textes anciens, mais aussi par le lieu où ils s’étaient établis : Qumrân, au bord de la Mer Morte, là où l’on a retrouvé en 1947 les restes d’un véritable monastère.
Cette communauté juive habitait un vaste bâtiment dressé sur un promontoire dominant la Mer Morte ainsi que vingt-cinq grottes. Les bâtiments, avec huit cours intérieures, comprenaient un réfectoire, une cuisine, des salles de réunion, une lingerie, deux poteries, huit citernes (de différentes tailles). L’eau y était amenée par des canaux. On a même décelé les traces d’un barrage.
En 68, lorsqu’elle dut fuir devant le général romain Vespasien et la dixième légion romaine – qui détruisirent la plupart des locaux – la communauté enveloppa ses manuscrits dans des jarres en terre cuite qu’elle cacha dans des grottes. On a retrouvé, dix-neuf siècles plus tard, toute cette précieuse bibliothèque. Le climat très sec de la région a permis la conservation intacte de ces manuscrits pendant deux mille ans.
3.2. Quel est le projet de vie de cette communauté ?
On le connaît par l’un des manuscrits qui est la Règle de la Communauté. Cette règle aurait été écrite entre 100 et 75 avant Jésus-Christ.
Le supérieur est le Maître de Justice. Les points les plus saillants de la Règle sont les suivants :
obéissance au supérieur et obéissance mutuelle
correction fraternelle
humilité
amour fraternel.
A travers tout ce texte on dégage une « spiritualité », un appel à la perfection et à la sainteté. Mais vous allez le constater, cette soif de perfection et de sainteté est assez élitiste et même « puriste ». On retrouvera cela périodiquement dans la vie de l’Eglise : des chrétiens puristes au point de devenir une secte, que ce soit au II ème siècle avec Montan et Tertullien, ou au Moyen-Age avec les cathares.
La sainteté, dans la Règle de la communauté, se traduit par la communion avec le monde céleste : Dieu et les anges. La perfection se traduit par l’observance exacte de toute la Loi.
Autre point-clé de cette Règle de vie : la conversion et le culte que l’on vit dans l’action de grâce jubilante. Enfin, le célibat fait partie de toutes ces sectes dont je vous parlais à l’instant. Les relations conjugales vont être considérées comme mauvaises (ce qui est chrétiennement faux). Mais à Qumrân, on trouvera, liée au célibat, la conviction d’exercer une fonction sacerdotale. Ceci est intéressant pour la grave question, plus tardive, du célibat des prêtres.
Signalons aussi la place, dans cette règle, de l’interprétation des Ecritures et du discernement des esprits. Vous voyez, nous avons là un ensemble très charismatique.
3.3. Comment se passait une journée?
. Avant le lever du soleil, la communauté se rassemble dans une grande salle de réunion pour la prière matinale.
. Puis chacun vaque à son travail (travail qui a lieu dans l’enceinte du monastère) : potier, teinturier, copiste, jardinier, cuisinier, boulanger…
. A 11 heures a lieu le bain de purification pour lequel on revêt un pagne de lin.
. Succède à cela le repas communautaire : élément très important de la vie à Qumrân. C’est une véritable liturgie à laquelle ne participent que ceux qui sont définitivement engagés dans la communauté. Pour ce repas on revêt des vêtements sacrés. Lorsque tous les membres sont à leur place, le boulanger distribue un pain à chacun, puis le cuisinier remet une écuelle à chacun. Ensuite a lieu la prière de bénédiction (on ne mange pas avant). A la fin du repas, on dit les grâces. A la sortie, on défait ses vêtements sacrés et on retourne au travail jusqu’au soir.
. Repas du soir.
. Veillée nocturne quand le soleil se couche jusque tard dans la nuit. Cette veillée dure trois heures et demie.
3.4. Les membres de la communauté
On commence par une année de postulat, puis une année de noviciat. Après quoi on s’engage par un serment que l’on renouvelle chaque année. Pendant les deux années probatoires, on s’initie à l’idéal d’ascèse et de sainteté de la communauté : vie de prière, vie de travail, vie d’étude de la Loi.
Cette communauté était-elle mixte? On n’a pas de certitudes absolues sur ce point. Mais on a retrouvé des ossements de femmes. Il semble donc que oui.

3.5 LE MONACHISME DE QUMRÂN ET LA SPIRITUALITÉ CHRÉTIENNE
Ils sont issus d’un même germe : l’idéal communautaire et fraternel esquissé dans l’Ancien Testament, ainsi que la vocation à être un peuple saint par une pratique parfaite de la volonté divine. Mais la différence essentielle est que les gens de Qumrân se situent dans une perspective vétéro-testamentaire, c’est-à-dire une perspective légaliste, même lorsqu’ils s’efforcent de se laisser conduire par l’Esprit de Vérité. Le monachisme chrétien se réfère à la personne de Jésus.
Jean Baptiste a peut-être cheminé quelque temps avec les esséniens. En tous cas il s’en serait séparé car tel que nous le présente l’Evangile, il ne vivait pas en communauté.
Jésus a donné à ses disciples (surtout aux Apôtres) une forme de vie communautaire et fraternelle proche de celle des esséniens. Par exemple, la déclaration de Jésus à Simon : « Tu es Pierre… » est un parallèle d’une hymne essénienne plus ancienne. Jésus apparaît comme ré-éditant, de façon nouvelle, le rôle du Maître de Justice. Mais Jésus se démarque aussi radicalement de certaines pratiques esséniennes telles celle d’éviter les souillures, celles concernant le mariage, etc….

LES ANTECEDENTS DU MONACHISME CHRETIEN

6 mai, 2011

du site:

http://eocf.free.fr/text_cours_monachisme_egypte_1.htm

INITIATION AU MONACHISME DES PREMIERS SIÈCLES CHRÉTIENS

Égypte et Palestine

par Soeur Véronique DUPONT, osb, Venière

CHAPITRE I

LES ANTECEDENTS DU MONACHISME CHRETIEN

1. DANS L’ANCIEN TESTAMENT

En scrutant l’Ancien Testament (même si vous utilisez un super ordinateur en six langues… mais rien ne vaut de faire le travail par soi-même!), on ne trouve pas de « moines » à proprement parler. Par contre, on trouve quelques traits de spiritualité monastique. C’est ce dont je vais vous entretenir présentement et qui vous permettra de mieux comprendre combien le monachisme chrétien est radicalement nouveau ; il est évangélique; il est une bonne nouvelle vécue.
Cette trace de spiritualité monastique est le naziréat. Qu’est-ce? Le mot signifie « consacré », et, très précisément le terme hébreu signifie « voeu ». Regardons tout d’abord les textes puis nous déduirons la structure de cette consécration.
- Gen. 49,26 « Que les bénédictions du Seigneur viennent sur la tête de Joseph, sur le front du consacré d’entre ses frères ». (Cf en parallèle : Dt, 33,16). Vous me direz que cela n’apporte pas grand chose! Mais tout de même on apprend ainsi que cette pratique du naziréat est très ancienne, qu’elle est antérieure à Moïse. Ce texte s’éclaire par d’autres : (Soit dit en passant, cette méthode d’étude de textes les uns par les autres est spécifiquement de la lectio divina).

- Juges 13,5-7 : « Le rasoir ne passera pas sur sa tête car l’enfant sera nazir de Dieu ».(il s’agit de Samson). Voir aussi Juges 13,13-14.
- Juges 16,17 : « Le rasoir n’a jamais passé sur ma tête car je suis nazir de Dieu depuis le sein de ma mère. »
De ces passages du Livre des Juges, on déduit que le naziréat se signale par :
. la chevelure jamais coupée
. l’abstinence même de raisin, de toute nourriture impure
. le nazir (ici Samson) est un charismatique : il est agité par l’esprit de Dieu (Juges 13,25).
. Il ne se sépare pas du reste du peuple, et ceci est radicalement différent de ce que pratiquera le monachisme chrétien.
- 1 Sam.1,11 : « Alors je le donnerai au Seigneur pour toute sa vie et le rasoir ne passera pas sur sa tête ».
- Mais le principal texte concernant le naziréat dans l’Ancien Testament se trouve dans le Livre des Nombres, 6,11 sq. :
 » Quand un homme ou une femme entend s’acquitter d’un vœu, le vœu de naziréat, par lequel il est voué au Seigneur, il s’abstiendra de vin et de boissons fermentées, il ne boira pas le vinaigre que l’on tire de l’un ou de l’autre, il ne boira aucun jus de raisin, il ne mangera ni raisins frais ni raisins secs. Durant tout le temps de sa consécration il ne prendra aucun produit du cep de vigne, depuis le verjus jusqu’au marc. Aussi longtemps qu’il sera consacré par son voeu, le rasoir ne passera pas sur sa tête; jusqu’à ce que soit écoulé le temps par lequel il s’est voué au Seigneur, il sera consacré et laissera croître librement sa chevelure. Durant tout le temps de sa consécration au Seigneur, il ne s’approchera pas d’un mort, ni par son père, ni par sa mère (…) car il porte sur sa tête la consécration de son Dieu. Durant tout le temps de son naziréat, il est consacré au Seigneur  » .
Puis aux versets 13 et suivants, vous avez le rituel du nazir. A la fin de sa consécration (car vous avez remarqué que ce vœu peut être temporaire ou définitif), le nazir est emmené à l’entrée de la tente du Rendez-vous où il offre un sacrifice pour le péché, puis un sacrifice de communion. Il reçoit du prêtre et présente au Seigneur les oblats du sacrifice de communion. Alors il peut boire du vin.
Il est encore un autre exemple de nazir, à la charnière de l’Ancien et du Nouveau Testament : c’est Jean, le Baptiste (Luc 1, 15) : « Il ne boira pas ni vin, ni boisson forte, il sera nazir dès le sein de sa mère ». Vous me direz qu’il n’est pas écrit explicitement que Jean Baptiste est nazir, et qu’en plus il n’est pas mentionné qu’il gardait sa chevelure sans la couper, signe par excellence du nazir. C’est vrai, mais souvenez-vous de Samson dont nous venons de parler : la force de Dieu (de l’Esprit de Dieu) est liée à sa chevelure. En Luc il est dit que Jean est rempli de l’Esprit-Saint. Peut-être cette force implique-t-elle que Jean ne s’est jamais coupé les cheveux (pour être signe). De plus, Jean précède le Christ, il attend sa venue; il est un veilleur, ce qui sera l’une des fonctions essentielles du moine.
En résumé de cette courte étude, nous pouvons conclure que: Ne pas se couper les cheveux ……………. signifie que la force de Dieu agit sur le nazir. Ne pas boire de boisson fermentée …….. signifie le rejet de la vie facile. Ne pas approcher un cadavre……….. .signifie que l’on appartient spécialement à Dieu. A ces trois signes du naziréat, on peut ajouter : la durée, temporaire ou définitive, parfois dès le sein maternel, sans limite de temps. Notons que l’on ne trouve pas toujours les trois éléments. Par exemple, pour Samuel, il n’est pas dit qu’il s’abstenait de vin. Vous remarquerez aussi que dans son vœu le nazir n’est tenu qu’à des pratiques – ou absences de pratiques – « extérieures » et non pas forcément morales, fondamentales, ni spirituelles. Ces pratiques sont cependant des signes d’une consécration à Dieu. .2. Il y a d’autres traces de « monachisme » dans l’Ancien Testament. Je ne les développerai pas ici car vous étudierez cela plus en détail au cours d’Ecriture Sainte, mais je vous citerai simplement : ELIE, cette grande figure biblique. Elie, lié aussi à Jean Baptiste. Et par là, je voudrais vous faire prendre conscience (mais nous y reviendrons) que le monachisme est lié au prophétisme. Ce lien atteint son apogée avec Jésus, le prophète par excellence, le moine par excellence.

2. DANS LE NOUVEAU TESTAMENT
2.1. JESUS, plus libre dans son comportement et plus libéral que Jean Baptiste. « Il mange et boit avec les pécheurs » etc… Et pourtant, Jésus reçoit le baptême de pénitence, lui qui n’a pas péché. Il passe quarante jours au désert (avec tout le symbolisme du nombre quarante : une vie, une génération…). Il lance l’appel à tout quitter pour le suivre (cf. Mt 16,21-28 et montre en même temps l’impossibilité de suivre deux maîtres. Tout cela manifeste une rupture radicale avec la Loi, aussi radicale que celle de Jean.
2.2. Saint PAUL recommande l’état de virginité qui permet d’être au Seigneur sans partage, sans division (« simple » = monos); voyez le grand texte de 1 Co. 7. De la deuxième Lettre de Paul à Timothée (2,4), les moines vont retenir le principe que les militaires en service ne se laissent pas impliquer dans les affaires séculières. De même si les moines veulent plaire à Dieu, à Celui auquel ils se sont voués, ils sont tendus vers lui, préoccupés de lui seul : « tendu de tout mon être , je cours en avant vers le prix que Dieu m’appelle à recevoir là-haut en Christ Jésus. » (Phil. 3,13-14). Cette tension vers le Christ – que Grégoire de Nysse appellera épectase, est toute monastique.
Autrement dit, le moine est un veilleur qui attend le retour du Christ. Cette spiritualité donnera naissance aux Pères neptiques (nepsis = veille).

3. LES ESSENIENS
Avant d’aller plus loin dans les antécédents du monachisme chrétien, je voudrais vous parler d’un mouvement communautaire juif contemporain de Jean Baptiste et de Jésus, les esséniens.
3.1. Qu’est-ce que c’est ?
Pline l’Ancien, Philon en parlent. Cette secte – car c’était une secte juive – a eu une influence réelle sur la première communauté chrétienne et sur le monachisme des premiers siècles chrétiens. On connaît les esséniens non seulement par les textes anciens, mais aussi par le lieu où ils s’étaient établis : Qumrân, au bord de la Mer Morte, là où l’on a retrouvé en 1947 les restes d’un véritable monastère.
Cette communauté juive habitait un vaste bâtiment dressé sur un promontoire dominant la Mer Morte ainsi que vingt-cinq grottes. Les bâtiments, avec huit cours intérieures, comprenaient un réfectoire, une cuisine, des salles de réunion, une lingerie, deux poteries, huit citernes (de différentes tailles). L’eau y était amenée par des canaux. On a même décelé les traces d’un barrage.
En 68, lorsqu’elle dut fuir devant le général romain Vespasien et la dixième légion romaine – qui détruisirent la plupart des locaux – la communauté enveloppa ses manuscrits dans des jarres en terre cuite qu’elle cacha dans des grottes. On a retrouvé, dix-neuf siècles plus tard, toute cette précieuse bibliothèque. Le climat très sec de la région a permis la conservation intacte de ces manuscrits pendant deux mille ans.
3.2. Quel est le projet de vie de cette communauté ?
On le connaît par l’un des manuscrits qui est la Règle de la Communauté. Cette règle aurait été écrite entre 100 et 75 avant Jésus-Christ.
Le supérieur est le Maître de Justice. Les points les plus saillants de la Règle sont les suivants :
obéissance au supérieur et obéissance mutuelle
correction fraternelle
humilité
amour fraternel.
A travers tout ce texte on dégage une « spiritualité », un appel à la perfection et à la sainteté. Mais vous allez le constater, cette soif de perfection et de sainteté est assez élitiste et même « puriste ». On retrouvera cela périodiquement dans la vie de l’Eglise : des chrétiens puristes au point de devenir une secte, que ce soit au II ème siècle avec Montan et Tertullien, ou au Moyen-Age avec les cathares.
La sainteté, dans la Règle de la communauté, se traduit par la communion avec le monde céleste : Dieu et les anges. La perfection se traduit par l’observance exacte de toute la Loi.
Autre point-clé de cette Règle de vie : la conversion et le culte que l’on vit dans l’action de grâce jubilante. Enfin, le célibat fait partie de toutes ces sectes dont je vous parlais à l’instant. Les relations conjugales vont être considérées comme mauvaises (ce qui est chrétiennement faux). Mais à Qumrân, on trouvera, liée au célibat, la conviction d’exercer une fonction sacerdotale. Ceci est intéressant pour la grave question, plus tardive, du célibat des prêtres.
Signalons aussi la place, dans cette règle, de l’interprétation des Ecritures et du discernement des esprits. Vous voyez, nous avons là un ensemble très charismatique.
3.3. Comment se passait une journée?
. Avant le lever du soleil, la communauté se rassemble dans une grande salle de réunion pour la prière matinale.
. Puis chacun vaque à son travail (travail qui a lieu dans l’enceinte du monastère) : potier, teinturier, copiste, jardinier, cuisinier, boulanger…
. A 11 heures a lieu le bain de purification pour lequel on revêt un pagne de lin.
. Succède à cela le repas communautaire : élément très important de la vie à Qumrân. C’est une véritable liturgie à laquelle ne participent que ceux qui sont définitivement engagés dans la communauté. Pour ce repas on revêt des vêtements sacrés. Lorsque tous les membres sont à leur place, le boulanger distribue un pain à chacun, puis le cuisinier remet une écuelle à chacun. Ensuite a lieu la prière de bénédiction (on ne mange pas avant). A la fin du repas, on dit les grâces. A la sortie, on défait ses vêtements sacrés et on retourne au travail jusqu’au soir.
. Repas du soir.
. Veillée nocturne quand le soleil se couche jusque tard dans la nuit. Cette veillée dure trois heures et demie.
3.4. Les membres de la communauté
On commence par une année de postulat, puis une année de noviciat. Après quoi on s’engage par un serment que l’on renouvelle chaque année. Pendant les deux années probatoires, on s’initie à l’idéal d’ascèse et de sainteté de la communauté : vie de prière, vie de travail, vie d’étude de la Loi.
Cette communauté était-elle mixte? On n’a pas de certitudes absolues sur ce point. Mais on a retrouvé des ossements de femmes. Il semble donc que oui.
Ils sont issus d’un même germe : l’idéal communautaire et fraternel esquissé dans l’Ancien Testament, ainsi que la vocation à être un peuple saint par une pratique parfaite de la volonté divine. Mais la différence essentielle est que les gens de Qumrân se situent dans une perspective vétéro-testamentaire, c’est-à-dire une perspective légaliste, même lorsqu’ils s’efforcent de se laisser conduire par l’Esprit de Vérité. Le monachisme chrétien se réfère à la personne de Jésus.
Jean Baptiste a peut-être cheminé quelque temps avec les esséniens. En tous cas il s’en serait séparé car tel que nous le présente l’Evangile, il ne vivait pas en communauté.
Jésus a donné à ses disciples (surtout aux Apôtres) une forme de vie communautaire et fraternelle proche de celle des esséniens. Par exemple, la déclaration de Jésus à Simon : « Tu es Pierre… » est un parallèle d’une hymne essénienne plus ancienne. Jésus apparaît comme ré-éditant, de façon nouvelle, le rôle du Maître de Justice. Mais Jésus se démarque aussi radicalement de certaines pratiques esséniennes telles celle d’éviter les souillures, celles concernant le mariage, etc….

4. LES SOURCES EVANGELIQUES DE LA VIE MONASTIQUE
« Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5,48).
Aussi ancien que les origines du christianisme, l’idéal spirituel des moines plonge ses racines dans l’enseignement même du Christ. La Parole de Jésus « Si tu veux être parfait, va, vends tes biens et donnes-en le prix aux pauvres et tu auras un trésor dans les cieux, puis viens, suis-moi » (Mt 19,21) entendue par une multitude de moines, est un condensé de toute la vie monastique :
- Etre parfait : appel à la perfection évangélique « comme votre Père céleste est parfait ».
- va : se mettre en route.
- Vends tes biens : la pauvreté.
-Donnes-en le prix aux pauvres : la charité, « les bonnes œuvres » selon saint Benoît.
-Et tu auras un trésor dans les cieux : la récompense, la vie éternelle.
- Puis viens, suis-moi : Chercher Jésus, le suivre par la Croix jusqu’à la gloire de la Résurrection. » Celui qui veut venir à ma suite, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive »… »Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi.. » . Dans ce « Viens, suis-moi » se trouve aussi la relation du Maître et du disciple, c’est la suite du Christ, la vie monastique, la vie évangélique toute pure.
Cependant pour bien saisir cela il convient de remarquer que les textes évangéliques ont été compris après comme un appel à la vie monastique sous l’inspiration de l’Esprit-Saint dans les coeurs. L’expérience a fait comprendre le texte comme « pour moi » (cf. saint Antoine), mais ceux qui ne répondent pas de la même manière ne sont pas infidèles à l’Evangile.

5. LA PREMIERE COMMUNAUTE CHRETIENNE ET LES FONDEMENTS DE LA VIE MONASTIQUE
Dès le début les Actes des Apôtres (4,32) nous montrent la première communauté chrétienne ne faisant « qu’un cœur et qu’une âme; (…) ils se montraient assidus à l’enseignement des Apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières. Toute âme était dans la crainte car beaucoup de prodiges et de signes se faisaient par les apôtres. Tous ceux qui avaient cru étaient ensemble et avaient tout en commun; chaque jour, d’un commun accord, ils fréquentaient assidûment le Temple, et rompant le pain à la maison, ils prenaient leur nourriture avec allégresse et simplicité de cœur ; ils louaient Dieu et trouvaient faveur auprès de tout le peuple et le Seigneur ajoutait chaque jour à leur groupe ceux qui étaient sauvés ». (2,42-47). Dans ce texte, on retrouve toutes les composantes de la vie parfaite selon l’Evangile, composantes qui vont devenir celles de la vie monastique :
- Les pratiques ascétiques : le jeûne (Ac. 13,2-3; 14,23); la mise en commun des biens (Ac. 4,32-37); le travail manuel (1Th. 4,11; 2Th 3, 10-12).
- La prière : « Priez sans cesse » (1Th 5,17) et la liturgie (Ac 2,42-47).
- La lecture : publique dans les assemblées (1Th. 5,27; Col.4,16) ou privée (qui deviendra la lectio divina) (1Tm 4,13).
- la crainte de Dieu (Ac. 2,43) et la plus radicale ascèse : celle de la virginité consacrée et du martyre.
Dans cette communauté primitive, certaines femmes vont exprimer très vite le désir de vivre au milieu de la communauté chrétienne avec la ferme intention de garder la continence pour l’amour du Christ. Ce sont les veuves et les vierges. On voit aussi bientôt des hommes garder la chasteté pour ce même amour du Seigneur (cf. 1Co. 7). Ce sont les ascètes. La décision de virginité se prend dans son coeur, en pleine possession de sa volonté, écrit saint Paul.

6. LES VEUVES
Dès la naissance du christianisme des femmes résolurent de ne pas se remarier et de faire profession (intérieure et publique), irrévocablement, de veuvage pour l’amour du Christ. Organisées en diaconies, elles aidaient à la préparation matérielle du baptême, de l’agape, au soin des infirmes et dans les ministères de compassion. Elles assuraient aussi un ministère de prière (cf. 1Tm. 5,3-16, la Didascale syriaque et les Constitutions apostoliques).

7. LES VIERGES
Depuis les origines des relations de Dieu avec l’homme, la virginité n’a cessé d’être le mode d’expression le plus radical, hormis le martyre, de l’amour de l’homme pour Dieu, en réponse à l’amour premier de Dieu.
Avec Jésus, l’appel se fait pressant pour ceux qui en reçoivent le don et il attire des disciples qui vivront dans la virginité ou la chasteté. L’Eglise primitive fait une place de choix aux vierges dans les assemblées. Avant la fin des grandes persécutions de l’empire romain, on voit apparaître un peu partout dans le monde chrétien la soif du don total au Christ sinon par le martyre, du moins par la virginité – qui est un autre martyre. Dès les premiers siècles, les Pères exhortent les fidèles dans cette voie d’ascèse et d’amour radical.
Je vais vous donner brièvement un aperçu des premiers textes patristiques sur la spiritualité de la virginité (I-IIIe siècle), et plus spécialement sur les motivations spirituelles qui ont suscité cette vie dans la virginité.
La virginité consacrée est une conséquence du désir d’imiter Jésus qui, né vierge, est demeuré vierge; la virginité de Jésus étant la préfiguration en acte de son sacrifice total. C’est un motif d’amour absolu qui ne se « justifie » pas. Son but est vraiment sponsal : l’union intime avec le Verbe de Dieu. Cela se trouve exprimé de diverses manières qui sont toutes différentes facettes de la même réalité fondamentale :
. Imitation de Jésus pour être en communion avec lui, en vivant comme il a vécu pendant son séjour sur la terre (cf. le Pseudo-Clément).
. Plaire à Dieu, vivre avec lui et demeurer toujours en sa présence; goûter le repos du Père et du Fils (cf. Actes de Paul).
. Vivre au-delà des commandements et du devoir, dans le Royaume de l’amour de telle sorte que l’âme soit non plus « servante inutile » mais servante de l’amour, c’est-à-dire en vérité épouse du Christ à qui elle est consacrée tout entière (cf. Origène).
. Vivre en altitude, les yeux du coeur toujours fixés sur la vie céleste, dans la demeure de Dieu (cf. Méthode d’Olympe).
La vierge, ou l’ascète, ne se marie pas, non par une volonté de vie solitaire mais parce qu’il n’est plus seul : Dieu règne en son coeur et l’a uni à lui pour l’éternité : « Le royaume de Dieu est semblable à des noces… » (Mt. 22,2).
Etre vierge pour être à Dieu sans partage, telle est bien la motivation essentielle de saint Paul en 1Co. 7, 25-40, motivation développée très tôt par les Pères parce que vécue très tôt par des ascètes ou des vierges qui aspiraient à être totalement au Christ, à faire régner en eux les vertus mêmes de Jésus.
Une autre motivation, eschatologique celle-ci, apparaît également dans les premiers écrits patristiques: la virginité consacrée comme annonce prophétique de la vie éternelle.
Remarquons que ces textes patristiques sont pétris d’Ecriture Sainte, surtout néo-testamentaire. En ce sens, ils sont une vraie spiritualité pour la vie chrétienne.
Il convient également de dire un mot de l’anthropologie sous-jacente à ces premiers écrits chrétiens. Je ne vais pas en développer ici l’étude car ce n’est pas directement notre propos d’une part, et d’autre part nous verrons cela au cours de patristique, mais remarquons brièvement que l’homme est UN. On ne peut dissocier son corps de son âme ni de son esprit. Autrement dit, la virginité du corps appelle la virginité du coeur, et la virginité du coeur appelle la virginité – ou la chasteté – du corps. Tout l’être est consacré à Dieu; tout désir, charnel ou spirituel, est tendu vers l’unique bien : l’amour de Dieu. Il s’agit d’un vrai mariage que l’ascète ou la vierge contracte avec le Christ auquel il appartient désormais tout entier.
La virginité n’est pas un but en soi, mais un moyen de sanctification, en même temps que la préfiguration de la vie après la résurrection. La virginité est consacrée, vouée à Dieu, pour vivre une union plus parfaite, plus absolue, avec Dieu.
La virginité, ou la vie ascétique, va être très liée au baptême. Elle va même en être une conséquence qui sera considérée comme allant de soi dans certaines églises. En Orient syrien par exemple où l’on trouvera une tendance très marquée à lier baptême et renonciation à la vie matrimoniale (d’ailleurs, comme on le verra au cours d’histoire de l’Eglise, lors du baptême, on remettait aux jeunes filles la couronne de la virginité).
Clément de Rome, Ignace d’Antioche, Hermas, Justin font état des vierges et des continents (les ascètes). L’Eglise subventionne les vierges (ainsi que les veuves), et de cette sorte, elle exerce un contrôle sur leur fidélité et les invite à remplir un service social (pastoral dirait-on aujourd’hui). Les groupes ascétiques d’hommes et de femmes vont devenir de plus en plus nombreux. Ils identifient la vie évangélique à la pauvreté, au célibat, à la séparation du monde tout en vivant dans le monde, mais ils n’imposent pas aux autres chrétiens leur conception du renoncement total et ils voient dans l’humilité la garantie suprême de la sagesse. Ces groupes d’ascètes vont être de toutes sortes. Des exagérations et des déviations vont apparaître. On peut les résumer en deux catégories : . Les encrates (= les « tempérants ») qui imposent ce mode de vie à toute la communauté chrétienne. Ils s‘abstiennent de vin et de toute boisson fermentée et sont souvent végétariens. Ils s’abstiennent également de relations sexuelles, sont opposés au mariage et à la procréation.
. Les relations vont être parfois si étroites entre un ascète et une vierge, ou entre des ascètes et des vierges, qu’ils vont vivre dans la continence sous le même toit. Mais vous percevez là l’absence de témoignage et le danger. L’Eglise va rapidement intervenir … (cf. la Lettre aux Vierges du pseudo-Clément).
Ce grand mouvement ascétique des trois premiers siècles a gagné rapidement tout le monde chrétien et a préparé ainsi la naissance du monachisme.

8. LE MARTYRE
Le martyre est la forme éminente de la sainteté chrétienne. Victoire sur Satan, le martyre est une configuration à la passion du Christ et à sa résurrection. C’est la véritable « suite du Christ ». Etre martyr, c’est devenir un vrai disciple (cf. Ignace d’Antioche). Dans la spiritualité du martyre, on trouve aussi tout l’aspect rédempteur : donner sa vie pour ses frères.
« Le martyre est la réponse de toute âme un peu fière au Crucifié » (Père Vallée).
« Les martyrs sont les imitations de la vraie charité, les copies du Christ souffrant, les athlètes du Christ » (cf. Apophtegmes).
Nous étudierons la spiritualité du martyre plus profondément aux cours d’Histoire de l’Eglise et de Patrologie.

9. LA NAISSANCE DU MONACHISME
Baptême, martyre, vie monastique sont de même nature, une unique vocation. Le monachisme est né dans les Eglises lorsque les persécutions sévissaient encore. A la fin des grandes persécutions (Edit de Milan, en 313), on va présenter le moine comme un substitut du martyr pour faire saisir qu’il s’agit du même mystère, enraciné dans la participation à la mort et à la résurrection du Christ. Il ne s’agit pas d’un lien historique comme si la vie monastique était liée à un affaiblissement de la ferveur dans les communautés chrétiennes après les persécutions, mais la fin des persécutions favorise le développement du monachisme au grand jour. La vie monastique va alors se propager comme une traînée de poudre. Mais où a-t-elle pris naissance? On ne sait, Dieu le sait. Dans l’Eglise primitive, elle a poussé naturellement, là où Dieu est présent. Elle naît de manière spontanée et simultanément en diverses régions du Bassin Méditerranéen. Elle est un fruit naturel de la maturité des communautés chrétiennes. Elle ne s’est pas répandue à partir d’un centre qui serait l’Egypte comme on l’a écrit si souvent. La référence à l’Egypte n’est venue que dans un second temps. A cause du modèle remarquable que représentait le monachisme égyptien, on ne s’est pas contenté d’y puiser les leçons d’expérience, on a voulu s’y attacher en s’inventant des origines égyptiennes. Le cas du monachisme syrien, antérieur historiquement, est particulièrement frappant. Ce mythe littéraire a été considéré ensuite comme historique. La référence au monachisme égyptien n’en reste pas moins fondamentale. Il a été en quelque sorte choisi comme « père » par des monachismes qui ne sont pas nés de lui. En Occident, principalement à travers Cassien, il garde un caractère de « source » : non pas la source de la vie monastique, mais la source d’une certaine manière de la vivre.
Si ce grand mouvement de la fuite du monde pour suivre Jésus radicalement connaît un grand essor en Egypte, ce n’est pas un hasard. En effet, à Alexandrie la communauté chrétienne était très fervente, en pleine croissance, et tout près se trouve … le DESERT.
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