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(2e dimanche de l’Avent C – 9 décembre 2012)
DE L’ANCIEN AU NOUVEAU TESTAMENT SANS RUPTURE
La prédication de Jean le Baptiste : Luc 3, 1-6 Autres lectures : Baruch 5, 1-9; Psaume 125(126); Philippiens 1, 4-6.8-11
« Toi aussi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut; car tu marcheras par devant sous le regard du Seigneur, pour préparer ses routes, pour donner à son peuple la connaissance du salut par le pardon des péchés. » (Lc 1, 76-77)
Ainsi prophétisait le prêtre Zacharie à la naissance de son fils Jean. Au troisième chapitre de son évangile, après avoir décrit les circonstances de la naissance de Jésus, l’évangéliste revient à Jean dans la même ligne de la présentation qu’il en a faite pour sa naissance : La parole de Dieu fut adressée à Jean, fils de Zacharie, dans le désert (Lc 3, 2b), littéralement, arriva la parole de Dieu sur Jean, fils de Zacharie, dans le désert. Ainsi s’accomplit la prophétie du prêtre Zacharie sur son fils. Partant du Temple, la « Parole » passe par l’intermédiaire du prêtre Zacharie pour atterrir en quelque sorte sur Jean qui, lui, la transmettra à ses disciples dont on dit que Jésus en faisait partie. On passe ainsi sans rupture de l’Ancien au Nouveau Testament. Le genre littéraire adopté par Luc en fait foi. Celui-ci présente Jean à la manière des prophètes de l’Ancien Testament. « Luc reprend le flambeau de la littérature prophétique », écrira François Bovon dans son excellent ouvrage intitulé L’évangile selon saint Luc, qu’on ne saurait trop recommander au début de cette nouvelle année liturgique qui prend appui sur Luc. « Luc retravaille la tradition relative au Baptiste pour en faire une scène de vocation comme celles qui inaugurent les livres prophétiques » 1. Il rappelle, entre autres, les présentations des prophètes Osée, Jérémie et Aggée : La parole de Dieu fut adressée à Osée, fils de Beéri, au temps d’Ozias, de Yotam, d’Achaz et d’Ézéchias, rois de Juda, et au temps de Jéroboam, fils de Joas, roi d’Israël (Os 1, 1); À lui (Jérémie) fut adressée la parole de Yahvé, aux jours de Josias, fils d’Amon, roi de Judas, la treizième année de son règne … (Jr 1, 2); La deuxième année du roi Darius, le sixième mois, le premier jour du mois, la parole de Yahvé fut adressée par le ministère du prophète Aggée à Zorobabel… (Aggée 1,1).
« Arriva la parole… dans le désert »
Fils de prêtre et donc prêtre lui-même, Jean a quitté le Temple de Jérusalem pour aller vivre au désert. C’est là qu’il sera rejoint par la « Parole ». Arriva la parole de Dieu sur Jean le fils de Zacharie dans le désert (3, 2). « Arriva » ouvre la phrase, « désert » la ferme. Les deux termes servent d’encadrement à « Parole de Dieu sur Jean fils de Zacharie ». Avec une certaine soudaineté, le verbe arriver marque le début de quelque chose, le surgissement d’une nouvelle réalité, imprévue voire même imprévisible. Alors que le « désert », on le sait, demeure le lieu des grandes révélations divines. Passage obligé conduisant à la libération, c’est là que Dieu a entraîné, enseigné et nourri le peuple de son choix.
« Luc ne pense pas, écrit Bovon, que Dieu crée directement des événements historiques relevant par eux-mêmes de l’histoire du salut. Et pourtant sa Parole a des effets dans l’histoire, mais ceux-ci ne sont pas signalés de façon éclatante par la toute-puissance et la splendeur divines. Quand Dieu parle, il faut un médiateur, ici l’homme Jean. […] La Parole de Dieu suscite une histoire du salut quand des humains se laissent saisir par elle, écoutent, aiment, obéissent. » 2
Du désert au Jourdain
Si le désert aura été le lieu de la vocation de Jean, la « région du Jourdain » devient le lieu de la proclamation de la Parole. Il vint dans toute la région autour du Jourdain (v. 3). Marc et Matthieu situent l’action de Jean au désert, Luc, lui, le fait se déplacer en direction de la région du Jourdain. Sous l’action de la Parole, Jean se met en marche tout comme Israël autrefois se laissait guider par elle. À la différence de Marc et Matthieu qui laissent Jean au désert, Luc le fait bouger en direction de la « région du Jourdain ». La région du Jourdain… porte d’entrée de la Terre promise, oui, mais aussi vieille terre de péché associée à Sodome et Gomorrhe si l’on en croit le chapitre 13 du livre de la Genèse : Loth choisit pour lui toute la région du Jourdain et se déplaça vers l’orient. […] Loth vint camper jusqu’à Sodome dont les gens étaient des scélérats qui péchaient gravement contre le Seigneur (Gn 13, 11-13).
Le message de Jean
« Proclamant un baptême de conversion pour le pardon des péchés ».
Repris textuellement de Marc, tel est le résumé très dense du message de Jean. Comme en Matthieu et en Marc, le verbe « proclamer » est au participe présent. En grec, encore plus qu’en français, le participe fait d’un verbe un adjectif qualificatif. Jean est qualifié de porteur de la proclamation. La proclamation qu’il diffuse n’est pas la sienne. Il n’en est pas l’auteur. L’initiative ne vient pas de lui, elle vient de cette « Parole » qui est « arrivée » jusqu’à lui. Il porte le ballon, dirions-nous en termes sportifs, ballon qu’il n’a pas confectionné et qu’il a reçu pour le transmettre…
« Un baptême de conversion pour le pardon des péchés » : quatre noms apparaissent dans cette proclamation. D’abord le baptême qui est un geste conscient, concret, visible manifestant l’acquiescement à la conversion. « Ce n’est pas le rite qui donne le pardon, écrit Bovon, ni l’œuvre de Dieu seul, mais avec elle le mouvement de l’homme et de la femme qui, rentré en lui-même, se tourne vers Dieu à l’appel de la prophétie et du kérygme (proclamation) ». 3 Concernant le mot « conversion », la note en bas de page de la TOB apporte cette précision : « Plutôt que le sens recommandé par l’étymologie grecque (changement de mentalité), il faut y reconnaître le thème, capital dans l’Ancien Testament surtout depuis Jérémie, du changement de direction, du retour inconditionnel au Dieu de l’alliance. »4
Ce retour inconditionnel au Dieu de l’alliance conduit « au pardon des péchés ». En d’autres termes, comme l’écrit Bovon, « c’est Dieu qui donne le pardon et l’être humain se doit de l’accepter comme une invitation à une décision existentielle ». 5 Luc a déjà lancé ce thème du don lors de la naissance de Jean : « pour donner à son peuple la connaissance du salut par le pardon des péchés » (1, 77). Il le reprendra dans son livre des Actes des Apôtres en rapportant la réponse que firent au Sanhédrin Pierre et les apôtres après leur libération miraculeuse : « C’est lui que Dieu a exalté par sa droite comme Prince et Sauveur pour donner à Israël la conversion et le pardon des péchés » (Ac 5, 31). Quelques chapitres plus loin, Luc constatera que ce don de la conversion pour le pardon des péchés débordera les frontières d’Israël pour rejoindre les nations païennes lorsque après la visite de Pierre et ses compagnons au centurion Corneille, les Judéens s’exclameront en ces termes : Voilà que Dieu a donné aussi aux nations païennes la conversion qui mène à la vie (Ac 11, 18 ), reprenant comme en écho Isaïe cité par Luc : Tous verront le salut de Dieu (Is 40, 5) (Lc 3, 6), le verbe « voir » ayant en langage sémitique le sens de « avoir part ».
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1 François Bovon, L’Évangile selon saint Luc, Labor et Fides, 1991, p. 166 2 Idem, p. 166 3 Idem, p. 108 4 La Bible, traduction œcuménique, Cerf, 2010, p. 2100 5 Idem, p. 108 Claude Julien, F.CH.
Source: Le Feuillet biblique, no 2337. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Centre biblique de Montréal.