Archive pour la catégorie 'méditation sur l’histoire du salut'

BENOÎT XVI – 13 FÉVRIER 2013 – (SUR LES TENTATIONS)

19 janvier, 2016

http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2013/documents/hf_ben-xvi_aud_20130213.html 

BENOÎT XVI – 13 FÉVRIER 2013 – (SUR LES TENTATIONS)

AUDIENCE GÉNÉRALE

Salle Paul VI

Mercredi 13 février 2013

Chers frères et sœurs,

Comme vous le savez, j’ai décidé – merci pour votre sympathie –, j’ai décidé de renoncer au ministère que le Seigneur m’a confié le 19 avril 2005. Je l’ai fait en pleine liberté pour le bien de l’Église, après avoir longuement prié et avoir examiné ma conscience devant Dieu, bien conscient de la gravité de cet acte, mais en même temps conscient de n’être plus en mesure d’accomplir le ministère pétrinien avec la force qu’il demande. La certitude que l’Église est du Christ me soutient et m’éclaire. Celui-ci ne cessera jamais de la guider et d’en prendre soin. Je vous remercie tous pour l’amour et la prière avec lesquels vous m’avez accompagné. Merci, j’ai senti presque physiquement au cours de ces jours qui ne sont pas faciles pour moi, la force de la prière que me donne l’amour de l’Église, votre prière. Continuez à prier pour moi, pour l’Église, pour le futur Pape. Le Seigneur nous guidera. Chers frères et sœurs,

Aujourd’hui, Mercredi des Cendres, nous commençons le temps liturgique du Carême, quarante jours qui nous préparent à la célébration de la Sainte Pâque ; il s’agit d’un temps d’engagement particulier dans notre chemin spirituel. Le nombre quarante apparaît à plusieurs reprises dans l’Écriture Sainte. En particulier, comme nous le savons, celui-ci rappelle les quarante ans au cours desquels le peuple d’Israël a effectué son pèlerinage dans le désert : une longue période de formation pour devenir le peuple de Dieu, mais également une longue période au cours de laquelle la tentation d’être infidèles à l’alliance avec le Seigneur était toujours présente. Quarante furent également les jours de chemin du prophète Élie pour atteindre le Mont de Dieu, l’Horeb ; ainsi que la période que Jésus passa dans le désert avant de commencer sa vie publique et où il fut tenté par le diable. Dans la catéchèse d’aujourd’hui, je voudrais m’arrêter précisément sur ce moment de la vie terrestre du Seigneur, que nous lirons dans l’Évangile de dimanche prochain. Avant tout, le désert, où Jésus se retire, est le lieu du silence, de la pauvreté, où l’homme est privé des appuis matériels et se trouve face aux interrogations fondamentales de l’existence, il est poussé à aller à l’essentiel et précisément pour cela, il lui est plus facile de rencontrer Dieu. Mais le désert est également le lieu de la mort, car là où il n’y a pas d’eau, il n’y a pas non plus de vie, et c’est le lieu de la solitude, dans lequel l’homme sent la tentation de façon plus intense. Jésus va dans le désert, et là, il subit la tentation de quitter la voie indiquée par le Père pour suivre d’autres voies plus faciles et qui appartiennent au monde (cf. Lc 4, 1-13). Ainsi, il se charge de nos tentations, porte avec Lui notre pauvreté, pour vaincre le malin et nous ouvrir la voie vers Dieu, le chemin de la conversion. Réfléchir sur les tentations auxquelles est soumis Jésus dans le désert est une invitation pour chacun de nous à répondre à une question fondamentale : qu’est-ce qui compte véritablement dans ma vie ? Dans la première tentation, le diable propose à Jésus de changer une pierre en pain pour apaiser sa faim. Jésus répond que l’homme vit également de pain, mais pas seulement de pain : sans une réponse à la faim de vérité, à la faim de Dieu, l’homme ne peut pas se sauver (cf. vv. 3-4). Dans la seconde tentation, le diable propose à Jésus la voie du pouvoir : il l’emmène plus haut et lui offre la domination du monde ; mais ce n’est pas la voie de Dieu : Jésus sait bien que ce n’est pas le pouvoir du monde qui sauve le monde, mais le pouvoir de la croix, de l’humilité, de l’amour (cf. vv. 5-8). Dans la troisième tentation, le diable propose à Jésus de se jeter du pinacle du Temple de Jérusalem et de se faire sauver par Dieu à travers ses anges, c’est-à-dire d’accomplir quelque chose de sensationnel pour mettre Dieu lui-même à l’épreuve ; mais la réponse est que Dieu n’est pas un objet auquel imposer nos conditions : c’est le Seigneur de tout (cf. vv. 9-12). Quel est le cœur des trois tentations que subit Jésus ? C’est la proposition d’instrumentaliser Dieu, de l’utiliser pour ses propres intérêts, pour sa propre gloire et pour son propre succès. Et donc, en substance, de prendre la place de Dieu, en l’éliminant de son existence et en le faisant sembler superflu. Chacun devrait alors se demander : quelle place a Dieu dans ma vie ? Est-ce lui le Seigneur ou bien est-ce moi ? Surmonter la tentation de soumettre Dieu à soi et à ses propres intérêts ou de le reléguer dans un coin et se convertir au juste ordre de priorité, donner à Dieu la première place, est un chemin que tout chrétien doit parcourir toujours à nouveau. « Se convertir », une invitation que nous écouterons à plusieurs reprises pendant le Carême, signifie suivre Jésus de manière à ce que son Évangile soit un guide concret de la vie ; cela signifie laisser Dieu nous transformer, cesser de penser que nous sommes les seuls artisans de notre existence ; cela signifie reconnaître que nous sommes des créatures, que nous dépendons de Dieu, de son amour, et que c’est seulement en « perdant » notre vie que nous pouvons la gagner en Lui. Cela exige d’effectuer nos choix à la lumière de la Parole de Dieu. Aujourd’hui, on ne peut plus être chrétiens simplement en conséquence du fait de vivre dans une société qui a des racines chrétiennes : même celui qui naît dans une famille chrétienne et qui est éduqué religieusement doit, chaque jour, renouveler le choix d’être chrétien, c’est-à-dire donner à Dieu la première place, face aux tentations que la culture sécularisée lui propose continuellement, face au jugement critique de beaucoup de contemporains. Les épreuves auxquelles la société actuelle soumet le chrétien, en effet, sont nombreuses, et touchent la vie personnelle et sociale. Il n’est pas facile d’être fidèles au mariage chrétien, de pratiquer la miséricorde dans la vie quotidienne, de laisser une place à la prière et au silence intérieur. Il n’est pas facile de s’opposer publiquement à des choix que beaucoup considèrent évidents, tels que l’avortement en cas de grossesse non-désirée, l’euthanasie en cas de maladies graves, ou la sélection des embryons pour prévenir des maladies héréditaires. La tentation de mettre de côté sa propre foi est toujours présente et la conversion devient une réponse à Dieu qui doit être confirmée à plusieurs reprises dans notre vie. On trouve des exemples et des encouragements dans les grandes conversions comme celle de saint Paul sur le chemin de Damas, ou de saint Augustin, mais même à notre époque d’éclipse du sens du sacré, la grâce de Dieu est à l’œuvre et accomplit des merveilles dans la vie d’un grand nombre de personnes. Le Seigneur ne se lasse pas de frapper à la porte de l’homme dans des milieux sociaux et culturels qui semblent engloutis par la sécularisation, comme ce fut le cas pour le Russe orthodoxe Paul Florensky. Après une éducation complètement agnostique, au point d’éprouver une véritable hostilité envers les enseignements religieux donnés à l’école, le scientifique Florensky s’exclame : « Non, on ne peut pas vivre sans Dieu ! », et change complètement sa vie, au point de se faire moine. Je pense aussi à la figure d’Etty Hillesum, une jeune Hollandaise d’origine juive qui mourra à Auschwitz. Initialement éloignée de Dieu, elle le découvre en regardant en profondeur à l’intérieur d’elle-même et elle écrit : « Un puits très profond est en moi. Et Dieu est dans ce puits. Parfois, j’arrive à le rejoindre, le plus souvent la pierre et le sable le recouvrent : alors Dieu est enterré. Il faut à nouveau le déterrer » (Journal, 97). Dans sa vie dispersée et inquiète, elle retrouve Dieu au beau milieu de la grande tragédie du XXe siècle, la Shoah. Cette jeune fille fragile et insatisfaite, transfigurée par la foi, se transforme en une femme pleine d’amour et de paix intérieure, capable d’affirmer : « Je vis constamment en intimité avec Dieu ». La capacité de s’opposer aux séductions idéologiques de son temps pour choisir la recherche de la vérité et s’ouvrir à la découverte de la foi est témoignée par une autre femme de notre temps, l’américaine Dorothy Day. Dans son autobiographie, elle confesse ouvertement qu’elle est tombée dans la tentation de tout résoudre avec la politique, en adhérant à la proposition marxiste : « Je voulais aller avec les manifestants, aller en prison, écrire, influencer les autres et laisser mon rêve au monde. Que d’ambition et que de recherche de moi-même y avait-il dans tout cela ! ». Le chemin vers la foi dans un milieu aussi sécularisé était particulièrement difficile, mais la Grâce agit quoi qu’il en soit, comme elle le souligne : « Il est certain que je sentis plus souvent le besoin d’aller à l’église, de m’agenouiller, d’incliner la tête en prière. Un instinct aveugle, pourrait-on dire, car je n’étais pas consciente de prier. Mais j’allais, je m’insérais dans l’atmosphère de la prière… ». Dieu l’a conduite à une adhésion consciente à l’Église, dans une vie consacrée aux déshérités.  À notre époque, on constate de nombreuses conversions entendues comme le retour de qui, après une éducation chrétienne peut-être superficielle, s’est éloigné pendant des années de la foi et redécouvre ensuite le Christ et son Évangile. Dans le Livre de l’Apocalypse nous lisons : « Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi » (3, 20). Notre homme intérieur doit se préparer à être visité par Dieu, et c’est précisément pour cela qu’il ne doit pas se laisser envahir par les illusions, par les apparences, par les choses matérielles. En ce Temps de Carême, en l’Année de la foi, renouvelons notre engagement sur le chemin de la conversion, pour surmonter la tendance à nous refermer sur nous-mêmes et pour laisser, en revanche, de la place à Dieu, en regardant la réalité quotidienne avec ses yeux. Nous pourrions dire que l’alternative entre la fermeture sur notre égoïsme et l’ouverture à l’amour de Dieu et des autres correspond à l’alternative des tentations de Jésus: à savoir, l’alternative entre le pouvoir humain et l’amour de la Croix , entre une rédemption vue du seul point de vue du bien-être matériel et une rédemption comme œuvre de Dieu, auquel nous donnons la primauté dans l’existence. Se convertir signifie ne pas se refermer dans la recherche de son propre succès, de son propre prestige, de sa propre position, mais faire en sorte que chaque jour, dans les petites choses, la vérité, la foi en Dieu et l’amour deviennent la chose la plus imprtante.             

PAROLE DE DIEU ET PRIÈRE CHRÉTIENNE par Jean Lévêque,

9 juin, 2014

http://j.leveque-ocd.pagesperso-orange.fr/parole.pri.htm

PAROLE DE DIEU ET PRIÈRE CHRÉTIENNE

par Jean Lévêque, carme, de la Province de Paris

Jésus-Christ plénitude de la Révélation

Seule la foi en Dieu qui s’intéresse à l’homme nous permet de saisir les Écritures comme sa parole vivante pour aujourd’hui. Seule l’adhésion à Jésus envoyé de Dieu, mis à mort et maintenant dans la gloire, nous ouvre au sens ultime et définitif des paroles que Dieu a prononcées dans l’histoire et qu’il a voulu transmettre au monde entier. Dieu, qui ne cesse d’agir (Jn 5, 17), a longuement commenté son œuvre par ceux qui la racontaient sous forme de récits imagés ou de fresques catéchétiques, par les psalmistes qui la chantaient, par les sages qui la méditaient, ou par les prophètes qui la dévoilaient aux croyants ou qui l’annonçaient pour l’avenir. Puis le Fils unique, de sa voix d’homme, a « raconté » Dieu que personne n’a jamais vu (Jn 1,15). Et désormais ce que le croyant écoute et interroge comme parole de Dieu, c’est à la fois ce récit du Fils et toute la gangue de prophéties, de souvenirs et de témoignages qui fait corps, en amont et en aval, avec l’événement « Jésus-Christ ».

La Parole de Dieu, incarnée dans une culture, déborde toute limite
et s’adresse aujourd’hui à toute personne humaine

Chaque fois que nous ouvrons les Ecritures, notre foi, même hésitante, même balbutiante, est déjà impliquée et requise. Nous lisons pour mieux croire, et déjà il nous faut croire pour lire. Pour nous, disciples du Christ, toute écoute de la Parole est compromettante, et toute fréquentation de l’Écriture nous replace devant les multiples paradoxes de la Révélation.
La parole de Dieu est à la fois d’hier et d’aujourd’hui, non seulement parce qu’aujourd’hui je m’y réfère, mais surtout parce qu’aujourd’hui encore Dieu continue de parler par ces textes qui sont porteurs de l’Esprit et de la vie (Jn 6, 63). Je dois rejoindre cette parole en son lieu et en son temps, en traversant toute une distance culturelle, mais en même temps cette parole, de par une pertinence qui est le secret de Dieu, me rejoint en mon temps et en mes lieux, pour affranchir ma pensée et éclairer mon agir.
L’Écriture est parole de Dieu en langage d’hommes, car c’est toujours un homme qui dit ce que Dieu a dit. Dieu, pour se dire à nous, utilise les richesses d’une ou deux langues humaines, mais il en assume aussi les contraintes et les limites.
L’Écriture est parole pour tous les peuples dans les mots d’un seul peuple. Le message, de soi universel, s’incarne dans une culture particulière, et pour que chaque peuple de la terre «entende annoncer dans sa langue les merveilles de Dieu (Ac 2,11), un labeur herméneutique sera nécessaire, qui est de nos jours à peine commencé.
Autre paradoxe, qui n’est pas moindre: Dieu, qui parle toujours à partir de lui-même, a confié sa parole à une communauté vivante et confessante. Le même Dieu, qui a voulu que sa parole fût écrite, a voulu, dans un même dessein, la communauté missionnaire qui la porte depuis la première heure. Il n’y a jamais eu d’Ecriture sans Église, et en ce qui concerne la nouvelle Alliance, c’est la même communauté qui a commencé à vivre du message de Jésus, en a témoigné, puis a mis par écrit ses témoignages, et ultérieurement a fixé les frontières des Ecritures où elle reconnaissait sa foi. C’est elle encore qui recueille en sa mémoire le trésor des interprétations que les peuples proposent en tout temps et en tout lieu de cette parole advenue une fois pour toutes.
Enfin le disciple du Christ, appelé à vivre personnellement de sa parole, l’accueille toujours au sein du peuple des croyants, dont il reçoit à la fois la lumière pour sa compréhension du message et l’impulsion pour sa fidélité. Le lieu privilégié pour cette écoute croyante est la liturgie de la parole, liée par Jésus lui-même à l’Eucharistie de sa dernière cène.

la Parole de Dieu, forme de sa présence,
source de lumière, de force et de liberté

Accueillie dans la foi en dépit de ces paradoxes parfois déroutants, la Parole accomplit progressivement en nous son œuvre d’engendrement des fils et des filles de Dieu (Jc 1,18; 1 P 1, 23).
L’écoute de la Parole nous apporte la certitude, sensible ou non, de la présence de Dieu. Dans sa condition terrestre, nul homme ne peut voir Dieu; mais par le fait même qu’il s’adresse à nous, Dieu atteste sa présence et son désir de réciprocité. En faisant place à sa parole à l’intime de nous-mêmes, nous nous rendons à notre tour présents à lui; et plus sa parole nous devient familière, plus notre relation à lui tend à la permanence. Comme Jésus le dit lui-même en Jn 15, 7 : lorsque ses paroles demeurent en nous, nous demeurons en lui.
La Parole, qui nous rejoint dans notre quotidien, projette sa lumière sur le dessein de Dieu, sur Dieu lui-même, et sur les chemins qu’il aime prendre pour se révéler et se donner à nous. Elle illumine notre propre cheminement vers Dieu (Ps 119,130; Ep 1, 18 ; 2 P 1, 19), sans que nous puissions retenir à volonté cette lumière, pas plus que les Hébreux au désert ne pouvaient garder la manne (Ex 16, 17-21), et souvent seule est éclairée la route d’aujourd’hui. « Ta parole est une lanterne (nër) pour mes pas », dit le Psalmiste (Ps 119, 105), et l’image prend ici tout son sens: la lanterne ne projette qu’une lueur assez pauvre; mais la merveille, avec une lanterne, c’est que la lumière avance avec celui qui la porte. De même, à l’ordinaire, la Parole n’éclaire pas loin devant; mais le croyant verra toujours assez clair pour faire dans la foi les deux pas que Dieu lui demande. Souvent aussi la lumière de la Parole laisse dans l’ombre notre route et se fixe comme obstinément sur Dieu, son Christ, et leur mystère. Nous sommes alors invités à rejoindre notre projet de croyants par le détour de l’adoration.
À la mesure même de la lumière qu’elle diffuse en nous, la Parole est source de force. Elle dit, pour aujourd’hui et pour l’eschaton, le sens de ce que nous vivons, personnellement et communautairement; elle enclôt d’avance notre survie dans la vie de Dieu et du Ressuscité; elle rappelle de mille manières l’alliance que Dieu a passée pour toujours avec les hommes, et confronte chaque jour le disciple du Christ au oui décisif de son baptême. En toute joie et toute épreuve, le croyant se découvre ainsi précédé et attendu, compris et pardonné, et il acquiert progressivement «la sagesse pour le salut» (2 Tm 3,15). Saint Paul parle, en ce sens, de la «constance» et du «réconfort» qu’apportent les Ecritures (Rm 15,4) et qui permettent d’avancer dans l’espérance.
Enfin la Parole, en nous faisant entrer dans les vues de Dieu, nous établit peu à peu dans la liberté. « Si vous demeurez dans ma parole, dit Jésus, vous êtes vraiment mes disciples, vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres » (Jn 8, 31s). Plus profonde encore que toute liberté politique et toute autonomie intérieure, la liberté à laquelle le Maître nous fait accéder est sa propre liberté de Fils, à l’aise pour toujours dans la maison du Père (Jn 8, 35), et le chemin pour y parvenir est l’écoute du disciple qui se laisse remodeler par la parole du Christ. Celui-ci est à lui seul toute la vérité de Dieu, tout ce que Dieu dévoile de lui-même, et le lien est direct entre l’accueil de la parole, l’accueil du Fils qui est vérité, et la nouvelle liberté du chrétien: « Si le Fils vous libère, vous serez vraiment libres » (Jn 8,36).

s’imprégner patiemment et humblement de cette Parole

Dans le concret de notre vie de croyants, l’écoute de la Parole ne connaît pas d’autre loi que la foi de l’Eglise, ni d’autre contrainte que notre respect de Dieu qui parle. Chacun entend avec son cœur et scrute avec son intelligence; chacun se libère pour l’écoute selon son désir de lumière, et le temps que nous accordons chaque jour à l’accueil de la Parole mesure souvent la gratuité de notre amour de Dieu. Le disciple chrétien se fait un devoir et une joie d’aborder la Parole avec toutes ses ressources intellectuelles et d’amener peu à peu sa culture biblique au niveau de sa culture générale.
Mais de toute façon, quel que soit le travail consenti pour une meilleure connaissance de la Parole, la prière se situe à un autre niveau. Non pas que recherche et prière soient le moins du monde antagonistes; mais après le travail qui fait parler le texte, la prière, toujours humblement, se propose de laisser Dieu parler par ce texte, ou de ressaisir pour parler à Dieu les mots que lui-même nous a donnés. «Unifie mon cœur pour qu’il révère ton Nom », demandait le Psalmiste (Ps 86, 11). Cette grâce d’intégration, Dieu l’accorde dans l’acte de la prière. L’homme, peu à peu, sans préjudice de l’intellect, laisse vivre en lui-même le cœur et le désir. Un instant son attention adhère encore au texte, pour laisser s’imprimer une image, pour recadrer une scène, suivre des yeux un personnage ou les phases de l’action. Mais souvent il n’y a rien à voir, ou le regard lui-même se recueille, et la Parole, alors, pénètre par lente imprégnation. Dans la paix que Dieu donne, la prière se fait pauvre: seuls rebondissent, de loin en loin au fond du cœur, quelques mots qui nous disent Dieu ou qui nous disent à Dieu.
À vrai dire la pauvreté requise est bien plus radicale encore, car seul l’Esprit de Dieu nous introduit dans sa parole. Jésus le souligne dans son discours d’adieux : «Le Paraclet, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses et vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit. Lorsque viendra l’Esprit de la vérité, il vous guidera dans la vérité tout entière» (Jn 14, 26; 16, 13). Seul l’Esprit du Ressuscité peut rendre vivantes en nous ses paroles. Il enseigne en remémorant, et la vérité qu’il déploie pour nous au long du temps de la mission est toujours déjà dans ce que Jésus nous a dit. La prière de l’Église et notre propre prière sont portées constamment par cette anamnèse actualisante qui est l’œuvre du Paraclet : «Il me glorifiera, disait Jésus, parce qu’il recevra de ce qui est à moi et il vous l’annoncera» (Jn 16,14). Ainsi, partout dans l’Eglise où la Parole est annoncée, commentée, partagée, et dans chaque cœur où elle est accueillie, l’Esprit est à l’œuvre, glorifiant le Fils, révélant son unité indicible avec le Père. Cela passe par nous; cela se passe en nous. C’est, pour tout baptisé, le quotidien de sa vie trinitaire.

A propos de l’espérance au temps de l’Ancien Testament

24 mars, 2011

du site:

http://bouquetphilosophique.pagesperso-orange.fr/esperancedesanciens.html

A propos de l’espérance au temps de l’Ancien Testament
 
Au regard de l’espérance lumineuse qui fait courir les chrétiens aujourd’hui, celle des hommes de l’Ancien Testament paraît bien terne ! On peut en effet être surpris que l’auteur du livre de l’Ecclésiaste – qui se présente comme un sage sous les traits du roi Salomon –  reconnaisse avec lucidité et grande vénération que Dieu a « implanté au tréfonds de l’être humain le sens de l’éternité » (Ecclésiaste 3.11, La Bible du Semeur)… avant de confesser finalement l’aspect décevant de la vie humaine qui s’achève par la vieillesse et la mort (Ecclésiaste 12.1-7, 3.19-20) !
Paradoxalement, tandis que depuis longtemps les adeptes de certaines religions polythéistes de l’ancien Orient croient fermement à la résurrection et à une vie future, les enfants d’Israël, eux, s’ouvrent en dernier à cette croyance… et semblent voués inexorablement à la désespérance quant à l’au-delà ! Ce n’est en fait que tardivement, vers la fin de l’Exil (soit entre 550 et 539 avant Jésus-Christ), qu’ils découvrent – ou redécouvrent (1) – progressivement l’idée d’éternité. Un comble pour le peuple qui deviendra celui de l’espérance ! Attardons-nous un instant sur ces questions.

Une vision d’éternité commune à tous les peuples anciens
La croyance en une « survie de l’individu » après la mort semble remonter aux origines de l’espèce humaine et de tout temps, dans toutes les civilisations, ce qui peut paraître étonnant, une grande majorité s’est ralliée à l’idée que l’homme est immortel par nature.
« Ce qui est commun aux religions, [écrit le scientifique et ancien ministre Claude Allègre] depuis celles des Sumériens ou des Égyptiens en passant par celles des Perses, des Babyloniens, des Assyriens, des Indiens ou des Chinois jusqu’à celles qui inspirent les Sepik de Nouvelle-Guinée ou les Indiens d’Amazonie, c’est qu’elles ont toutes développé le concept de dieu, de transcendance et d’au-delà, faisant toutes espérer aux meilleurs, l’immortalité (2). »
Plus de 2000 ans avant J.-C., l’Egypte pharaonique est certainement l’une des premières civilisations à s’édifier dans la perspective de l’éternité. Les Egyptiens en effet, tout en reconnaissant la brièveté du temps terrestre, croient en une autre forme d’existence. Osiris, mort et ressuscité, devenu dieu de l’au-delà, leur apporte l’assurance d’une survie éternelle.
Environ 13 siècles plus tard, sur la base d’une espérance similaire, le philosophe persan Zoroastre (fondateur du zoroastrisme, ancienne religion de la Perse) promet à ses disciples l’avènement d’un sauveur suprême, Saoshyant, qui présidera à la résurrection et à l’émergence d’une vie éternelle après la mort. Notons que le zoroastrisme, religion dualiste fondée sur la lutte permanente entre un Dieu bon (Ahura Mazdâ) et un démon (Ahriman) enseigne aussi le libre arbitre, le jugement final, l’enfer, le paradis et la victoire finale du bien sur le mal. Ce qui représente, soit dit en passant, une sorte de préfiguration du christianisme… en tout cas, une incontestable révolution religieuse au début du VIIe siècle avant J.-C. !
Curieusement donc, en ce qui concerne cette idée de survie post mortem, les Hébreux restent imperméables à toute influence, égyptienne notamment. Face à la vision d’éternité commune à beaucoup de religions antiques, ils ne se lassent pas de nourrir une vague espérance dont ils semblent se satisfaire, mais qui toutefois se précise graduellement au cours des siècles.

De l’espérance terrestre à l’espérance céleste
Ce n’est en effet qu’à l’époque de la rédaction du livre de Daniel que le peuple juif arrive enfin à croire peu à peu en la résurrection et en une vie après la mort. Durant de très nombreux siècles, étonnamment celui-ci se contente d’une espérance terrestre sans vision d’éternité, ou tout au plus d’une espérance en une survie nationale.
Tout d’abord, une espérance à courte vue
Ainsi, pendant longtemps, c’est le modèle de la rétribution – strictement terrestre – qui dicte la pensée des enfants d’Israël. Ceux-ci croient que Dieu « rétribue » ici-bas les hommes selon leurs actes, autrement dit que les justes sont récompensés par une longue vie tranquille et prospère tandis que les pécheurs sont condamnés à une vie malheureuse, courte et sans descendance… en attendant avec frayeur – justes comme pécheurs, d’ailleurs – le sort qui les attend, le sheol (3) où tous resteront abandonnés à jamais.
Mentionnons à cet égard quelques textes bibliques attestant cette espérance à courte vue : « Les jours de nos années s’élèvent à soixante-dix ans, et pour les plus robustes, à quatre-vingt ans. […] Enseigne-nous à bien compter nos jours, […] Rassasie-nous chaque matin de ta bonté, et nous serons toute notre vie dans la joie et l’allégresse. Réjouis-nous autant de jours que tu nous as humiliés, autant d’années que nous avons vu le malheur » (Psaume 90.10-15) ; « Donne-nous encore des jours comme ceux d’autrefois ! » (Lamentations 5.21) ; « Voici ce que je veux repasser en mon cœur, ce qui me donnera de l’espérance. Les bontés de l’Éternel ne sont pas épuisées, ses compassions ne sont pas à leur terme » (Lamentations 3.21-22) ; « Soutiens-moi pour que je vive, tu l’as promis, ne déçois pas mon espérance » (Psaume 119.116, BFC) ; « Oui, le bonheur et la grâce m’accompagneront tous les jours de ma vie, et j’habiterai dans la maison de l’Eternel jusqu’à la fin de mes jours » (Psaume 23.6) ; « L’Eternel m’a châtié, mais il ne m’a pas livré à la mort » (Psaume 118.18).
Comme il se dégage de nombreux passages de l’Ancien Testament, Dieu – dans un premier temps – répond à ses enfants sans leur proposer davantage : « Je te sauverai, et tu ne tomberas pas sous l’épée, ta vie sera ton butin, parce que tu as eu confiance en moi, dit l’Éternel » (Jérémie 39.18) ; « Celui qui m’écoute […] vivra tranquille et sans craindre aucun mal » (Proverbes 1.33) ; « Il m’invoquera, et je lui répondrai. Je serai avec lui dans la détresse, je le délivrerai et je le glorifierai. Je le rassasierai de longs jours, et je lui ferai voir mon salut » (Psaume 91.15-16) ; « N’oublie pas mes enseignements, […] car ils prolongeront les jours et les années de ta vie, et ils augmenteront ta paix » (Proverbes 3.1-2) ; « Ils [les justes] ne sont pas confondus au temps du malheur, et ils sont rassasiés aux jours de la famine » (Psaume 37.19) ; « Ceux qui espèrent en l’Éternel posséderont le pays » (Psaume 37.9) ; « Aimez le Seigneur votre Dieu, obéissez-lui, restez-lui fidèlement attachés, c’est ainsi que vous pourrez vivre et passer de nombreuses années dans le pays que le Seigneur a promis de donner à vos ancêtres Abraham, Isaac et Jacob » (Deutéronome 30.20, BFC)… Pour ne citer que ces versets !

L’espérance collective, une perspective nouvelle pour Israël
Bien que la croyance en la rétribution soit historiquement ancrée dans la réalité quotidienne du peuple d’Israël, certains en voyant « le bonheur des méchants » (Psaume 73.3) – ou en quelque sorte, l’inversion de cette théorie de la rétribution – ont du mal à comprendre la justice de Dieu et se mettent à réfléchir. C’est le cas du roi David (Psaume 37) et du psalmiste Asaph (Psaume 73).
Job, héros des temps anciens, fait aussi partie de ceux qui osent remettre en cause la croyance classique (Job 12.13-25). « Contre cette corrélation rigoureuse [la liaison entre la souffrance et le péché personnel], Job s’élève avec toute la force de son innocence. Il ne nie pas les rétributions terrestres, il les attend, et Dieu les lui accordera finalement […] Mais c’est pour lui un scandale qu’elles lui soient refusées présentement et il cherche en vain le sens de son épreuve. Il lutte désespérément pour retrouver Dieu qui se dérobe et qu’il persiste à croire bon (4). »
Dans l’un de ses « grands textes », il arrive finalement à la conclusion que le bien et le mal ont leur sanction outre-tombe plutôt qu’ici-bas, une avancée théologique considérable ! C’est ainsi qu’au-delà de l’espoir d’être délivré de ses maux en ce monde, il ose affirmer – certes, de façon imprécise, la traduction de ce passage reste difficile – son espérance en la résurrection : « Pour ma part, je sais que celui qui me rachète est vivant et qu’il se lèvera le dernier sur la terre. Quand ma peau aura été détruite, en personne je contemplerai Dieu. C’est lui que je contemplerai, et il me sera favorable. Mes yeux le verront, et non ceux d’un autre » (Job 19.25-27).
Pour d’autres hommes de l’Ancien Testament également confrontés à l’injustice, l’espérance individuelle se mue alors en espérance collective. Si la réussite des méchants offre un spectacle révoltant, « le Seigneur s’intéresse à la vie de ceux qui sont irréprochables, le pays dont ils sont les héritiers leur est acquis pour toujours » (Psaume 37.18, BFC). Au VIIIe siècle av. J.-C., le prophète Esaïe à même l’intuition que son peuple « ressuscitera » : « Mon peuple, tes morts reprendront vie, alors les cadavres des miens ressusciteront ! Ceux qui sont couchés en terre se réveilleront et crieront de joie » (Esaïe 26.19). Vers la même époque, Osée, un autre porte-parole de Dieu, invite Israël à se repentir et évoque l’espérance d’une rénovation nationale : « Venez, retournons à l’Eternel ! Car il a déchiré, mais il nous guérira. Il a frappé, mais il bandera nos plaies. Il nous rendra la vie […] il nous relèvera, et nous vivrons devant lui » (Osée 6.1-2).
Mais c’est en réalité la grande épreuve de la déportation à Babylone qui amène les Juifs à s’interroger sur la « juste rétribution » de Dieu. En cette période particulièrement troublée, le prophète Jérémie, toujours soucieux du bien de ses compatriotes, se demande pourquoi ceux-ci lui manifestent tant de haine : « Seigneur, tu es trop juste pour que je m’en prenne à toi. Pourtant, j’aimerais discuter de justice avec toi. Pourquoi le chemin des méchants les mène-t-il au succès ? Et ceux qui te sont infidèles, pourquoi vivent-ils tranquilles ? » (Jérémie 12.1, BFC).
« Au-delà de la ruine qu’il voit approcher pour le peuple infidèle, il [Jérémie] entrevoit une sorte de résurrection dans le cadre d’une nouvelle alliance avec Dieu [le retour des survivants d’Israël et la reconstruction de Jérusalem, chapitre 31]. Il témoigne alors de sa confiance en la victoire de Dieu par un surprenant geste d’espoir [l’acquisition d’un champ, acte symbolique, chapitre 32] (5). »
Après le châtiment, il y aura donc un rétablissement, un avenir pour le peuple de Dieu… de quoi raviver l’espérance : « Je rétablirai le peuple de Juda et le peuple d’Israël, et je les rétablirai dans leur ancienne situation » (Jérémie 33.7, BFC). « Je multiplierai les descendants de mon serviteur David […] ils seront aussi nombreux que les étoiles qu’on ne peut compter dans le ciel » (Jérémie 33.22, BFC).
Quant à Ezéchiel – en dépit des circonstances dramatiques de l’époque –, il est l’un des rares prophètes de l’Ancien Testament à proclamer aussi explicitement qu’il y a une espérance pour Israël. Ainsi, dans sa célèbre vision des ossements desséchés (Ezéchiel 37.1-14), la renaissance de la nation d’Israël s’exprime pleinement. Bien qu’il s’agisse plutôt là d’une promesse de survie collective pour le peuple d’Israël, autrement dit d’une « résurrection nationale », on peut y voir en outre l’amorce de l’idée de résurrection individuelle. Citons quelques extraits de ce passage intéressant : « Voici ce que dit le Seigneur, l’Eternel : Esprit, viens des quatre vents, souffle sur ces morts et qu’ils revivent ! […] Je vais ouvrir vos tombes et je vous en ferai sortir, vous qui êtes mon peuple, et je vous ramènerai sur le territoire d’Israël » (Ezéchiel 37.9-12).

En route vers l’espérance céleste
En fait, le point de départ – discret – de ce lent cheminement vers le ciel peut être relevé dans le livre des Psaumes où certains versets portent en germe la notion de résurrection : « Non, Seigneur, tu ne m’abandonnes pas à la mort, tu ne permets pas que moi, ton fidèle, je m’approche de la tombe. Tu me fais savoir quel chemin mène à la vie. On trouve une joie pleine en ta présence, un plaisir éternel près de toi » (Psaume 16.10-11, BFC) ; « Eternel, tu as fait remonter mon âme du séjour des morts, tu m’as fait revivre loin de ceux qui descendent dans la tombe » (Psaume 30.4) ; « Dieu sauvera mon âme du séjour des morts » (Psaume 49.16) ; « Ta bonté envers moi est grande, et tu délivres mon âme des profondeurs du séjour des morts » (Psaume 86.13) ; « C’est lui qui délivre ta vie de la tombe, qui te couronne de bonté et de compassion » (Psaume 103.4).
Mais c’est surtout le livre de Daniel (6) qui nous éclaire un peu plus sur l’évolution de la conception de l’au-delà chez les Juifs. C’est bien d’une résurrection personnelle suivie d’une vie éternelle que les justes hériteront : « A cette époque-là [pouvons-nous lire dans Daniel 12.1-3] se dressera Michel, le grand chef, celui qui veille sur les enfants de ton peuple. Ce sera une période de détresse telle qu’il n’y en aura pas eu de pareille depuis qu’une nation existe jusqu’à cette époque-là. A ce moment-là, ceux de ton peuple qu’on trouvera inscrits dans le livre seront sauvés. Beaucoup de ceux qui dorment dans la poussière de la terre se réveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour la honte, pour l’horreur éternelle. Ceux qui auront été perspicaces brilleront comme la splendeur du ciel, et ceux qui auront enseigné la justice à beaucoup brilleront comme les étoiles, pour toujours et à perpétuité. »
Cependant, ce n’est vraiment qu’à partir du deuxième siècle avant Jésus-Christ que l’espérance en la résurrection devient une réalité pour le peuple juif. A la mort d’Alexandre le Grand, la Palestine « passe sous l’autorité des monarchies hellénistiques, des Lagides d’Egypte d’abord, puis des Séleucides de Syrie. La politique d’hellénisation radicale instaurée par Antiochus IV Epiphane (175-164 av. J.-C.), doublée d’une intolérance agressive vis-à-vis des Juifs, suscite un grand mouvement de révolte. Ce mouvement, à la fois national et religieux, est conduit par le prêtre Mattathias et son fils Judas, dit Maccabée. […] Antiochus IV s’efforce d’imposer aux Juifs les mœurs et la religion grecques. La pratique du judaïsme devient passible de mort (7) ».
Dans ce contexte de résistance et de répression féroce – où le dogme de la rétribution ici-bas est tragiquement mis en échec –, les nombreux martyrs, fidèles à la loi de Moïse, s’interrogent sérieusement sur la justice divine. Torturés et mis à mort pour leur foi, ils finissent par croire réellement que Dieu les ressuscitera et que leur rétribution sera d’outre-tombe.
Le deuxième livre des Maccabées, probablement écrit vers 120-100 avant J.-C., décrit justement l’héroïque résistance de sept frères « Maccabées » et de leur mère (modèles des premiers martyrs juifs) qui préfèrent être torturés à mort plutôt que de toucher à la viande de porc interdite par la loi. Citons ici quelques versets de ce livre deutérocanonique de l’Ancien Testament témoignant de cette foi naissante en la résurrection :
« Au moment de rendre le dernier soupir, il [le second supplicié] dit : Scélérat que tu es, tu nous exclus de la vie présente, mais le roi du monde, parce que nous serons morts pour ses lois, nous ressuscitera pour une vie éternelle » (2 Maccabées 7.9, TOB).
« On soumit le quatrième aux mêmes tortures cruelles. Sur le point d’expirer, il dit : Mieux vaut mourir de la main des hommes en attendant, selon les promesses faites par Dieu, d’être ressuscité par lui » (2 Maccabées 7.13-14, TOB).
« Eminemment admirable et digne d’une excellente renommée fut la mère, qui voyait mourir ses sept fils en l’espace d’un seul jour et le supportait avec sérénité, parce qu’elle mettait son espérance dans le Seigneur. Elle exhortait chacun d’eux dans la langue de ses pères. Remplie de nobles sentiments et animée d’un mâle courage, cette femme leur disait : Je ne sais pas comment vous avez apparu dans mes entrailles ; ce n’est pas moi qui vous ai gratifiés de l’esprit et de la vie, […] Aussi bien le Créateur du monde, qui a formé l’homme à sa naissance et qui est à l’origine de toute chose, vous rendra-t-il dans sa miséricorde et l’esprit et la vie, parce que vous vous sacrifiez maintenant vous-mêmes pour l’amour de ses lois » (2 Maccabées 7.20-23, TOB).
Enfin, on peut mentionner le livre de la Sagesse, autre apocryphe rédigé vers la même époque (Ier siècle avant J.-C.) dans lequel on trouve, quoique de façon larvée, le thème de la résurrection : « Les âmes des justes, elles, sont dans la main de Dieu et nul tourment ne les atteindra plus. Aux yeux des insensés, ils passèrent pour morts, et leur départ sembla un désastre, […] Pourtant, ils sont dans la paix. Même si, selon les hommes, ils ont été châtiés, leur espérance était pleine d’immortalité » (Sagesse 3.1-4).
Comme le remarque Jean Civelli, prêtre à Fribourg (Suisse), « cette idée d’une résurrection des morts ne devait plus s’oublier dans le judaïsme. Ce sont les Pharisiens qui la recueillirent, contrairement au parti des Sadducéens, parti des prêtres et de la noblesse du Temple de Jérusalem, qui, eux, n’acceptèrent pas ce qu’ils considéraient comme une doctrine fausse, car ils ne la trouvaient pas dans la Loi de Moïse (cf. Marc 12.18 et Actes 23.8). […] Le sceau définitif de cette foi en la résurrection sera donné par Jésus lui-même, dans sa propre résurrection (8) ».
« La croyance en la résurrection, qui va se développer dans le monde sémitique, [affirme de son côté, Marie Lucien, docteur en théologie de l'Université de Strasbourg] apparaît comme une nouveauté radicale et impressionnante […] La résurrection personnelle de chaque homme deviendra alors l’espérance commune aux trois religions monothéistes issues du monde sémitique, le judaïsme, le christianisme et l’islam (9). »

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Après avoir ainsi esquissé à grands traits l’histoire de l’espérance religieuse en Israël, une question demeure cependant : pourquoi cette dernière est restée si longtemps une piètre espérance… avant que finalement le Nouveau Testament ne la porte à son plus haut degré ? A défaut de pouvoir répondre ici avec certitude à cette question, nous voulons par contre dire toute notre admiration pour les hommes de l’Ancien Testament ayant fait le bon choix de faire confiance à Dieu et de marcher avec lui en se contentant de sa faveur et de l’assurance du pardon de leurs péchés… portés seulement par l’espérance d’une longue vie prospère – ici-bas – et en dépit du système simpliste des rétributions temporelles ne fonctionnant pas toujours.
Alors que nous, croyants du XXIe siècle, pouvons nous enorgueillir de notre belle espérance solidement ancrée dans la résurrection de Jésus-Christ – ce qui ne nous laisse plus aucune excuse pour notre incrédulité –, puissions-nous également faire nôtres les propres louanges de ces héros de la foi… pourtant adressées à un Dieu qu’ils n’imaginaient pas si généreux : « Je chanterai l’Eternel tant que je vivrai, je célébrerai mon Dieu tant que j’existerai. […] Je veux me réjouir en l’Eternel » (Psaume 104.33-34).
 
Claude Bouchot
 
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1. En effet, il est raisonnable de penser qu’Adam et les premiers patriarches bénéficièrent déjà d’une révélation divine particulière concernant l’au-delà qui leur était réservé. En tout cas, l’auteur de l’épître aux Hébreux en est convaincu lorsqu’il fait l’éloge de la foi des ancêtres illustres tels qu’Abel, Hénoc, Noé et Abraham : « C’est dans la foi que tous ces hommes sont morts. Ils n’ont pas reçu les biens que Dieu avait promis, mais ils les ont vus et salués de loin. Ils ont ouvertement reconnu qu’ils étaient des étrangers et des exilés sur la terre. Ceux qui parlent ainsi montrent clairement qu’ils recherchent une patrie. […] En réalité, ils désiraient une patrie meilleure, c’est-à-dire la patrie céleste » (Hébreux 11.13-16, BFC). Hélas, les Hébreux semblent avoir vite oublié « l’espérance de la vie éternelle, promise avant tous les siècles par le Dieu qui ne ment point » (Tite 1.2).
2. Allègre Claude, Dieu face à la science, Paris : Fayard, 1997, p. 223 (LP).
3. « Sheol est un terme hébraïque intraduisible, désignant le « séjour des morts », la « tombe commune de l’humanité », le puits, sans vraiment pouvoir statuer s’il s’agit ou non d’un au-delà. La Bible hébraïque le décrit comme une place sans confort, où tous, juste et criminel, roi et esclave, pieux et impies se retrouvent après leur mort pour y demeurer dans le silence et redevenir poussière » (L’encyclopédie libre Wikipédia, Sheol, [En ligne]
http://www.wikipedia.org/, consulté en décembre 2010).
4. La Bible de Jérusalem, Introduction au livre de Job, Paris : Editions du Cerf, 1981, p. 650.
5. La Bible Expliquée, Introduction au livre de Jérémie, Villiers-le-Bel : Société biblique française, 2004, p. 897-AT.
6. A noter que, presque unanimement, les théologiens libéraux contemporains mettent en doute l’authenticité historique du livre de Daniel en datant celui-ci du IIe siècle av. J.-C. seulement et en l’attribuant à un auteur inconnu, alors que la tradition juive et chrétienne – reposant à cet égard sur un solide fondement – le situait au VIe siècle avant notre ère… c’est-à-dire à l’époque où vivait justement Daniel !
7. Simon Marcel, « 2000 ans de christianisme », Vol. 1, Le monde juif, berceau du christianisme, Paris : Aufadi – S.H.C. International, 1975, p. 14, 18.
8. Civelli Jean, La résurrection des morts : et si c’était vrai ?, Saint-Maurice : Editions Saint-Augustin, 2001, p. 24-25.
9. Lucien Marie, Le message de Jésus : une spiritualité universelle inusitée, Paris : Editions L’Harmattan, 2009, p. 135-136.
 
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Le « salut », au premier siècle et aujourd’hui

20 septembre, 2010

du site:

http://plestang.free.fr/salut.htm

Le « salut », au premier siècle et aujourd’hui

Quel sens avaient les mots « salut » et « être sauvé » pour les hommes du premier siècle? Quel sens ont-ils pour nous aujourd’hui?

Le salut, pour les juifs

En Marc 10,25-26, Jésus dit: « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu! »;
et les disciples s’interrogent: « Mais alors, qui peut être sauvé? »
Je me suis demandé quelle idée du salut les disciples pouvaient avoir en tête, si du moins ce passage d’évangile rapporte une conversation réelle; et ce que le « royaume de Dieu » pouvait être pour eux.
Les disciples attendaient manifestement un royaume messianique terrestre, comme on le voit encore après la résurrection, où ils demandent:
 » … est-ce maintenant que tu vas rétablir le Royaume pour Israël? » (Actes 1,6)
Dans la tradition juive, la richesse était la récompense d’une vie juste: être riche était une bénédiction, être pauvre une malédiction (cf. par exemple Ps 112 v.3). Sans doute les prophètes et certains psaumes avaient-ils introduit la notion de pauvres aimés du Seigneur (p.ex. Ps 74,19 « la vie de tes pauvres ») et d’un reste d’Israël qui est un « peuple de pauvres » (Sophonie 3,12); mais les disciples étaient « lents à croire ce qu’ont annoncé les prophètes » (Luc 24,25)!
Et donc l’idée que les riches ne puissent pas participer au futur « royaume » messianique (terrestre) était pour eux extrêmement déroutante.
Par ailleurs, qu’entendaient-ils par « être sauvés »?
Peut-être faut-il ici se rappeler les prophètes apocalyptiques, qui annonçaient un « jour du Seigneur », jour terrible:
« Qui supportera le jour de sa venue? Qui se tiendra debout lors de son apparition? » (Malachie 3,2)
Mais le texte ajoute:
« Ils seront pour le Seigneur ceux qui présentent l’offrande comme elle doit l’être » (Malachie 3,3)
Donc les prophètes annoncent qu’un « reste » d’Israël subsistera après que Dieu soit venu pour le jour du jugement (voir p.ex. Sophonie 1,14 à 2,3); ce reste ne comprendra que ceux qui auront été préservés de l’anéantissement.
Survie et existence après la mort se mélangent en fait ici.
Or qu’en est-il des morts? C’est assez flou semble-t-il dans la théologie juive de cette époque: il y a le shéol, conçu au départ comme le séjour de tous les morts (cf. par exemple Job 3,13-17); mais peu à peu on distingue plusieurs catégories parmi les morts:
« Beaucoup de ceux qui dorment dans le sol poussiéreux se réveilleront,
les uns pour la vie éternelle,
les autres pour l’opprobre, pour l’horreur éternelle » (Daniel 12,2) (1)
La « vie éternelle » mentionnée ici n’est peut-être pas différente du royaume messianique évoqué plus haut: Saint Paul lui-même, dans ses premières lettres, suppose encore que certains des chrétiens ne mourront pas, car le Christ reviendra pour instaurer son royaume avant qu’ils ne soient morts.
Donc le salut, pour les apôtres avant la Pentecôte (et aussi un peu après?), c’était sans doute faire partie de ce reste qui ne serait pas détruit lors de la venue définitive du Messie.

Le salut, pour les païens

A l’époque où les premiers chrétiens commencent à répandre la Bonne Nouvelle dans le bassin méditerranéen, la notion de salut existe aussi chez les Grecs et les Romains.
De nombreuses religions de salut, des « mystères » de salut existent dans les villes.
Il s’agit, comme chez les peuples primitifs, de se ménager la faveur des dieux par des actes appropriés.
En fait beaucoup de nos contemporains ne sont pas moins primitifs, lorsqu’ils ont des pratiques ou des croyances superstitieuses…
Le « salut » consiste pour ces païens simplement à espérer que tout se passera bien, qu’ils auront une vie harmonieuse, réussie, heureuse. Qu’ils seront « délivrés » des malheurs, malchances ou « malédictions ».
Mais le fait qu’il faille renouveler souvent ces pratiques montre qu’il s’agit d’un salut bien limité, et qui dépend de la pratique religieuse jour après jour…

Le salut, pour les chrétiens des premiers siècles

On ne fera ici qu’une brève présentation d’un sujet immense, qui demanderait une analyse de tous les textes du Nouveau Testament!
Jésus, selon que nous pouvons en juger d’après les évangiles, s’exprime à la fois pour ses contemporains et pour les générations suivantes; c’est une des raisons sans doute pour lesquelles il approche la question du salut par des touches successives, et non par un exposé direct qui serait incompréhensible à ses interlocuteurs… et peut-être à nous!
C’est Jésus qui apporte le salut (p.ex. Lc 19,9): après sa mort, entré dans sa gloire (Luc 24,26), il nous « prendra avec lui » (Jn 14,3).
Il s’agit de croire en Jésus (Actes 16,31), et, par le baptême, de recevoir le pardon de ses péchés et le don de l’Esprit (Actes 2,38). On devient alors destinataire de la promesse (Actes 2,39).
« Sauvez-vous (…) de cette génération dévoyée » (Actes 2,40)
Nous sommes libérés du péché (Rom 6,22); le salut est une réalité à la fois encore à venir et déjà présente:
« Nous avons été sauvés, mais c’est en espérance » (Romains 8,24)
« Autrefois vous étiez ténèbres; maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur » (Ephésiens 5,8)
Le message adressé aux païens est en substance le suivant: le vrai Dieu s’est manifesté (Actes 17,24-30); il vous propose d’entrer dans son amour.
« Celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière » (1 Pierre 2,9)

Le salut, aujourd’hui

Plutôt que de partir, pour cette réflexion, de la théologie développée par l’Eglise depuis 20 siècles, et de chercher à expliquer par exemple ce que cela veut dire que « Jésus-Christ, mort pour nos péchés » et quel genre de salut cela nous apporte, on adoptera ici une approche plus empirique, plus proche peut-être de la notion de salut que peuvent avoir les hommes d’aujourd’hui.
- Le salut, cela veut dire mettre son amour en Jésus et espérer: l’histoire collective, l’histoire individuelle, prennent un tout autre sens quand on devient croyant, quand on croit que Jésus est vraiment ressuscité, et qu’il est vraiment le témoin d’une puissance d’amour avec laquelle nous pouvons entrer en relation.
- Le salut, c’est vivre autrement dès aujourd’hui: l’Esprit d’amour, que nous accueillons en nous, transforme peu à peu notre comportement; le salut, c’est de sentir que l’on n’est plus bloqué indéfiniment dans les mêmes échecs dans notre vie personnelle et nos relations; que tout peut s’ouvrir, s’assouplir, s’illuminer.
- Le salut, c’est penser que l’existence continue à s’épanouir après la mort: le chrétien, de même qu’il a quatre mille ans d’histoire judéo-chrétienne derrière lui, a une éternité d’amour devant lui; la mort est une étape, non une fin et un échec définitif; nous continuerons ensuite à monter dans l’amour mutuel, dans l’amour infini révélé en Jésus-Christ.
Jésus apporte le salut parce qu’il nous découvre toutes ces perspectives; il est à la fois lumière et point d’appui: ce qu’il a vécu, il nous propose de le vivre; il nous fait comprendre les richesses de bonheur auxquelles cela conduit.
Le contraire du salut, c’est l’enfer… mement, en nous mêmes (au lieu de nous ouvrir à la rencontre avec les autres), en nos problèmes. C’est pourquoi certains chrétiens disent « Jésus est la solution »!
Le royaume, exactement comme à l’époque de Jésus, est à la fois une réalité présente et une réalité « de l’au-delà »: chaque acte qui est fait dans un véritable esprit d’amour est signe et présence du royaume; il y a de grands témoins, comme Mère Teresa ou Guy Gilbert, et chacun d’entre nous est amené aussi à poser de tels actes, à vivre le royaume par son comportement. Le royaume est aussi la perspective dans laquelle nous vivons nos vies, et vers laquelle nous pensons continuer à aller dans l’au-delà.
Dire que « les riches ne peuvent pas entrer dans le royaume, être sauvés », c’est au fond un peu ce que disent aussi les Béatitudes (Luc 6,20-26): il faut se reconnaître pauvre devant Dieu, et ne pas tenir plus à nos richesses qu’à l’amour (Mt 6,24).
Entrer dans le royaume, c’est entrer dans un mode de vie basé sur l’amour, en dialogue avec Dieu qui est la source de cet amour. C’est vivre le salut, tel qu’il a été décrit ci-dessus.
Qu’en est-il enfin des non-chrétiens? S’ils ne deviennent pas chrétiens, ou n’ont jamais entendu parler de Jésus, ou le refusent, sont-ils « sauvés »?
D’une part bien entendu chacun d’eux peut poser de véritables actes d’amour et donc participer ainsi à la réalité du royaume: il y a des saints « laïques » ou anticléricaux! D’autre part le plan de Dieu sur le monde est mystérieux, c’est à dire qu’il dépasse notre compréhension; il paraît logique que, si ce n’est pas dans cette vie, au moins au delà, chacun puisse bénéficier de ces « torrents d’amour » que Dieu nous a révélés.

Qu’il est précieux ton amour, ô mon Dieu!
A l’ombre de tes ailes tu abrites les hommes:
ils savourent les festins de ta maison;
aux torrents du paradis tu les abreuves.

Ps. 36 (35),8-9 (Traduction liturgique)