Archive pour la catégorie 'Mariologie'

LA BEAUTÉ DE MARIE DANS SA CONFORMATION AU CHRIST

13 mai, 2019

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fr icona di maria del roveto ardente

Maria, icône du buisson ardent, article intéressant sur:  http://iconesalain.free.fr/Presentations/39.Marie.Buisson.Ardent.Presentation.htm

LA THEOTOKOS

(traduction google de l’italien)

LA BEAUTÉ DE MARIE DANS SA CONFORMATION AU CHRIST

Date: jeudi, 13 Septembre 2012

Sujet: mariologie

Un article de Stefano M. Mazzoni dans: « Riparazione mariana » n. 1 – 2011, pp. 7-9.

« Tu es toute belle, Marie », chante l’un des antiennes mariales les plus chères à la tradition chrétienne, reprenant les paroles que le Bien-aimé du Cantique des Cantiques adresse à sa bien-aimée (cf. Ct 4, 7); et en musique, en poésie, en art, les plus grands esprits de tous les temps ont exprimé leurs meilleures qualités pour dépeindre, améliorer et magnifier cette « beauté » de la Vierge. Mais quelle est la source de cette beauté, quelle est sa signification profonde? Il nous semble que la donnée essentielle de la vie de Marie, qui est aussi le secret de sa beauté, devrait être saisie dans une union intime, unique avec Dieu et, par conséquent, avec le Fils à qui elle a donné la chair.
La beauté du cosmos et de l’homme
Tout cela peut être lu dans le contexte plus général de l’histoire universelle du salut, une histoire qui attend l’accomplissement ultime de la transfiguration de toute créature, quand « tout sera transformé » (1 Cor 15,52) et la beauté du plan divin atteindra tous sa splendeur. Dans l’histoire de la création de la génération 1, l’action créatrice divine s’accompagne d’un refrain qui marque les différents moments, constituant une sorte de contemplation du cosmos qui se dessine progressivement, émergeant du chaos originel: « Et Dieu vit qu’il était bon ». Le texte hébreu original utilise le mot tôb , qui peut être traduit par « bon », mais aussi par « beau »; de manière significative la version grecque de la LXX traduit l’expression en utilisant le terme kalós, « Beau », plutôt qu’agathós , « bon »: il apparaît donc clairement l’intention de souligner la dimension de la beauté qui caractérise l’œuvre divine et qui est gravée dans la création. Le texte pourrait donc être traduit en italien également de la manière suivante: « Et Dieu vit: que c’est beau! » C’est l’exclamation de Dieu qui accueille devant son travail, à la manière de l’artiste qui contemple le résultat de son génie et la beauté de sa propre réalisation. La création est donc « belle » et est reconnue comme telle par le même artisan, qui répète la joyeuse exclamation à chaque nouvel élément ajouté: « Comme c’est bon! »
Le moment culminant de l’œuvre divine coïncide avec la création de l’homme; la création apparaît enfin complète et l’exclamation divine souligne, au moyen d’une variation, la réalisation de ce sommet: avec l’apparition de l’être humain sur la terre, Dieu reconnaît que ce qu’il a fait est non seulement « beau », mais « très beau ». L’homme est la créature qui fait le plein de beauté de la création, car elle reflète la beauté même de Dieu, dont il est unique – créé parmi les créatures – à l’image et à la ressemblance.
La beauté du christ
Cependant, la beauté et la grandeur originelles de l’homme, après sa chute en Eden, semblent floues; la fragilité humaine continue de menacer cette beauté et nécessite un travail de « restauration » qui restitue à l’homme l’image d’origine en tant que marque de la personne divine et reflet de sa beauté. Ceci est réalisé grâce au travail de Jésus-Christ, que la tradition chrétienne, utilisant les paroles du psalmiste, chante comme « le plus beau parmi les fils de l’homme » (Ps. 45). La figure du Christ devient celle du « nouvel Adam »; 2 L’humanité de Jésus porte en elle la beauté que Dieu avait pensé dans son dessein pour l’homme, une humanité transfigurée révélant cette lumière divine que tout homme est appelé à revêtir.
Il y a un moment particulièrement important dans la vie de Jésus dans lequel cette lumière brille et se manifeste dans toute sa splendeur: sur la montagne de la transfiguration, le visage de Jésus « brillait comme le soleil » (Mt 17,2), « changé de J’attends et son vêtement est devenu blanc et brillant « (Lc 9, 29); Jésus manifeste ainsi dans sa personne le reflet de la beauté de Dieu, qui se caractérise toutefois par un élément apparemment paradoxal; au moment le plus lumineux de la transfiguration, Jésus parle avec Moïse et Élie « de son exode » (Lc 9,31), c’est-à-dire du voyage qui le mène à Jérusalem vers la Croix.
La « beauté » du Christ ne concerne donc pas nos canons esthétiques, elle n’est pas faite « pour attirer nos regards » (Is 53,2); c’est plutôt celui du serviteur méprisé et humilié, qui prend sur lui les peines et les fautes des hommes pour les racheter. Dans cette perspective, on comprend également la description de l’évangéliste Jean de Jésus comme « le beau berger » (10:11) du mouton: beau, parce qu’il est prêt à offrir sa vie. Dans ce renversement des critères humains, la beauté trouve son fondement, selon la logique divine, dans l’humiliation qui devient, dans la disponibilité totale et le don de soi, l’exaltation et la glorification (cf. Fil 2, 6-11).
La beauté de marie
Si Jésus, déjà dans la tradition paulinienne, était appelé le « nouvel Adam », la dernière tradition patristique considère Marie comme la « nouvelle Ève ». 3 Même dans Marie resplendit l’humanité renouvelée, dont la beauté est retourné à sa splendeur d’ origine. Dans le judaïsme, la figure d’Ève, mère de tous les êtres vivants, est exaltée par sa beauté qui, en Éden, rayonnait de lumière et de pureté. 4 Cette beauté, assombrie par la désobéissance d’Ève, revient briller en Marie. Si Jésus est « le plus beau des fils de l’homme », Marie est la reine dont la beauté plaît au roi (cf. Ps 45,12).
Dans les récits évangéliques en particulier, la beauté de Marie est liée à sa capacité d’écouter, d’accepter la parole du Seigneur, de la garder et de méditer sur son cœur. 5Cela apparaît de manière exemplaire dans l’épisode de l’Annonciation: Marie accepte la parole de l’ange et y adhère avec toute son existence; l’ange, à son tour, la reconnaît comme « pleine de grâce » (Lc 1, 28) ou comme celle qui, grâce, la faveur de Dieu, s’est remplie et s’est transformée en une des fibres les plus profondes de son être. C’est cette grâce qui rend Marie « belle » et disposée à adhérer totalement au dessein lumineux de Dieu sur elle, sur le monde, sur les hommes. À partir du moment de l’Annonciation, toute la vie de Marie se caractérise par cette capacité d’écoute et de dévouement; La beauté de Marie brille dans sa manière de rechercher la volonté de Dieu dans chaque événement et de l’accomplir avec une totale disponibilité.
Le dessein de Dieu est maintenant réalisé à travers le travail de Jésus, le Christ. Marie, sa mère, doit apprendre à comprendre les voies du Fils en affrontant le scandale du rejet et de la Croix; elle aussi doit suivre le chemin du disciple derrière Jésus, prête à le suivre avec fidélité et ténacité. La beauté de Marie ne cesse de briller, même au moment le plus tragique de la vie de Jésus, celui de la crucifixion et de la mort. Au pied de la Croix, Marie contemple le visage défiguré du Fils: malgré le masque de douleur qui l’oblige presque à regarder au loin, Marie sait saisir la beauté du « plus beau des fils de l’homme » qui, geste suprême de l’amour, fait un don de sa vie pour le salut des hommes. Même en ce moment, Marie est appelée à être une vraie disciple, accueillir les paroles de Jésus qui lui montrent le chemin; La beauté de Mary brille dans son « intrépide » debout à côté de la croix de son Fils.
C’est la beauté d’une mère qui n’abandonne pas le fruit de son ventre même quand tout le monde semble l’avoir abandonné; c’est la beauté d’une femme qui sait espérer contre espoir; c’est la beauté de celle qui, unie à Jésus, participe à son don en se rendant disponible pour le donner à son tour, pour renoncer à l’exclusivité du lien du sang pour devenir la mère de tout homme et de toute femme qui croit en la parole de Jésus et la confie. à eux leur vie; c’est la beauté de l’amour qui rayonne de la Croix pour atteindre les plus lointains et qui, dans la maternité universelle de Marie, trouve un signe concret d’acceptation, de réconciliation, d’unité.
Le parcours de la transfiguration du disciple
La beauté de Marie trouve donc son fondement dans sa parfaite adhésion au Christ. Marie est la première disciple, celle qui suit le chemin obscur et parfois exaltant de la foi derrière Jésus, atteignant dans la réalisation de sa propre existence cette transfiguration qui la rend « plus pleinement conforme à son fils, le Seigneur des seigneurs » ( Lumen gentium , No. 60).
Chaque disciple, regardant Marie comme sa mère, sa soeur et son amie, est appelé à retracer son chemin vers la pleine conformation au Christ, au point d’être transfiguré et de participer, comme elle, à la sublime beauté qui émane de Dieu, source de toute beauté. La vie du disciple, sur le modèle de celle de Marie, sera donc marquée par la beauté; une vie riche et pleine, imprégnée par la volonté d’être un cadeau pour les autres et par le désir de transformer le monde, en préservant et en nourrissant chaque germe de beauté pour que tout s’épanouisse et que vous retrouviez la splendeur d’origine.
Selon les mots du grand écrivain russe Dostoïevski, on pourrait dire que c’est «la beauté qui sauvera le monde»: «Dostoïevski, dans son roman L’Idiot, pose une question sur les lèvres de l’Ipolit athée au prince Myskin. « Est-il vrai, prince, que vous ayez dit un jour que le monde le sauverait de la » beauté « ? Messieurs – cria-t-il à tout le monde – le prince dit que le monde sera sauvé par la beauté … Quelle beauté sauvera le monde? « . Le prince ne répond pas à la question (car un jour le Nazaréen devant Pilate n’avait répondu que par sa présence à la question « Qu’est-ce que la vérité? »: Jn 18:38). Il semblerait presque que le silence de Myshkin – qui se tient à côté d’une compassion infinie d’amour pour le jeune homme qui meurt de consommation à 18 ans – signifie que la beauté qui sauve le monde est l’amour qui partage la douleur ».6
Marie au pied de la croix est l’icône de cette beauté; le disciple de Jésus, regardant vers elle, est appelé à découvrir le sens d’une « belle » vie dans la gratuité de l’amour. Marie, la « toute belle », déjà pleinement conforme à son Fils, brille devant chaque homme et chaque femme comme « un signe d’espoir et de consolation » ( Lumen gentium , n. 68), nous montrant le but de notre voyage transfiguration vers la vraie « beauté ».

NOTES
1 Cf. par exemple, à cet égard, I. HÖVERJOHAG, «tôb», Theologisches Wörterbuch zum Alten Testament , III, p. 315-339.
2 Sur la relation entre Adam et Christ en relation avec les thèmes du péché, de la loi, du salut, relisons les pages denses de Paul dans Romains 5: 12-7.25.
3 Le premier auteur à avoir introduit le parallélisme Eva-Maria semble avoir été Giustino († 165); Après lui, plusieurs pères reprennent et développent le thème: voir, par exemple, Irénée de Lyon († 202), Ephrem le Syrien († 373), Épiphane de Salamine († 403), Peter Chrysologus († 450). Pour un aperçu concis de la pensée mariale de ces auteurs et d’autres auteurs, voir L. GAMBERO, Maria dans la pensée des Pères de l’Église., Edizioni Paoline, Cinisello Balsamo 1991.
4 Voir, en référence aux sources juives, A. SERRA, Miryam Figlia di Sion. La femme de Nazareth et le féminin à partir du judaïsme ancien , Paoline, Milan 1997, p. 163-167.
5 A. Serra souligne cet aspect de la beauté lié à l’écoute, considérant que Marie est profondément ancrée dans la réalité d’Israël: comment Israël s’est placé au Sinaï pour écouter la Torah et constitue ainsi le fondement de sa beauté. La beauté de Marie elle trouve son expression particulière dans le « fiat » renouvelé à chaque instant de sa vie (cf. l’étude citée dans la note précédente, surtout les pages 167-181).

6 CM MARTINI, Quelle beauté sauvera le monde?, Lettre pastorale pour l’année 1999-2000.

 

MARIE, NOUVEAU SINAÏ OÙ DIEU DESCEND

19 décembre, 2014

http://it.mariedenazareth.com/526.0.html?&L=0

MARIE, NOUVEAU SINAÏ OÙ DIEU DESCEND

(Non pas que ce est important, mais sur Serra, je faisais partie de mes études de mariologie)

La Tradition chrétienne possède une série importante de textes où la Vierge est comparée à un mont en général, et certains saluent en Marie le nouveau mont Sinaï.

Romanos le Mélode écrit († 560) :
« … moi, le doux, je suis enfin descendu des cieux, comme la manne, non plus sur le mont Sinaï, mais dans ton sein. » [1 ]

Jacques de Saroug († 521), lui, compare le sein de Marie à l’ombre de l’Esprit Saint au Sinaï recouvert de la nuée.[2 ]
« Quand Moïse annonça au peuple que le Sublime devait descendre, à peine furent-ils purifiés que le Père descendit alors sur la montagne ; ainsi le veilleur (Gabriel) apporta l’annonce à la fidèle (Marie) et, à peine l’eut-elle entendue qu’elle se prépara ; ainsi habita-t-il en elle. » [3 ]

En saint Ephrem († 373), on peut lire:
« Comme la montagne du Sinaï je t’ai reçu, pourtant je n’ai pas été brûlée par ton feu violent, car tu as dissimulé ce feu qui est le tien pour qu’il ne me nuise pas ; et ta flamme n’a pas brûlé, alors que les séraphins ne peuvent regarder. » [4 ]
Il faudrait encore citer André de Crête et d’autres auteurs…

Pourquoi ces auteurs ont-il salué en Marie le nouveau Sinaï ?
Les racines de ce parallèle se trouvent dans la Bible.
Au mont Sinaï, l’Ancienne Alliance fut ratifiée
Les auteurs de ce grand événement furent :
Dieu,
Moïse,
Le peuple.

Dieu, par l’intermédiaire de Moïse, parla aux tribus d’Israël en manifestant son projet d’établir avec elles un lien très particulier fondé sur l’accueil de sa Loi.
Et le peuple instruit par Moïse répondit de façon unanime :
« Moïse alors monta vers Dieu.
YHWH l’appela de la montagne et lui dit:
« Tu parleras ainsi à la maison de Jacob, tu déclareras aux Israélites: Vous avez vu vous-mêmes ce que j’ai fait aux Egyptiens, et comment je vous ai emportés sur des ailes d’aigles et amenés vers moi. Maintenant, si vous écoutez ma voix et gardez mon alliance, je vous tiendrai pour mon bien propre parmi tous les peuples, car toute la terre est à moi.Je vous tiendrai pour un royaume de prêtres, une nation sainte. Voilà les paroles que tu diras aux Israélites. »
Moïse alla et convoqua les anciens du peuple et leur exposa tout ce que YHWH lui avait ordonné, et le peuple entier, d’un commun accord, répondit: « Tout ce que YHWH a dit, nous le ferons. » Moïse rapporta à YHWH les paroles du peuple. »
(Exode 19,3-8)

« Moïse vint rapporter au peuple toutes les paroles de YHWH et toutes les lois, et tout le peuple répondit d’une seule voix ; ils dirent: « Toutes les paroles que YHWH a prononcées, nous les mettrons en pratique. » »
(Exode 24,3)

A partir de ce jour, Dieu devint l’Epoux d’Israël, et Israël épouse de Dieu. (cf. Ez 16,8)

A Nazareth aussi, comme déjà au Sinaï…
Nous avons trois acteurs :
Dieu,
l’ange,
Marie.

Dieu, par l’intermédiaire de l’ange Gabriel, fait connaître à Marie la tâche qu’il allait lui assigner : devenir mère de son Fils divin, en lequel est scellée l’Alliance nouvelle et éternelle entre le ciel et la terre. ( Lc 1,26-38).
Et Marie, opportunément instruite par l’ange, accueille la proposition divine par ces paroles célèbres :
« Je suis la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole ».
(Lc 1,38)
A la suite du Fiat de la Vierge, le Fils du Très- Haut s’incarna dans son sein et devint le fils de Marie.

Le Sinaï et Nazareth se rejoignent
La montagne majestueuse où commença l’antique alliance cède la place maintenant à l’humble bourgade de Galilée, où est inaugurée l’alliance nouvelle de Dieu, homme parmi les hommes dans le sein d’une femme.
Le Verbe vient demeurer en elle comme sur une montagne spirituelle ; Il descend de façon pacifique, douce, miséricordieuse.
A Nazareth, commença l’Alliance nouvelle.
Pour se rendre plus proche encore de nous, comme notre « allié », Dieu pris notre chair et notre sang, notre visage : en un mot, notre humanité.
La scène de l’Annonciation (Luc 1,26-38) révèle la façon avec laquelle Dieu demande son consentement pour donner cours à l’Alliance.

[1 ] Romanos le Mélode, Marie à la croix, strophe 6, Sources Chrétiennes n°128, p. 167
[2 ] A.Vona C., Omelie mariologiche di s. Giacomo di Sarug, Roma 1953, p. 144 et p. 147 (homelie sur l’Annonciation de la mère de Dieu), p. 212 (Homélie VI sur la nativité de notre Seigneur)
[3 ] Homélie VI sur la nativité de notre Seigneur traduit du syriaque par A.Vona C., Omelie mariologiche di s. Giacomo di Sarug, Introduzione, traduzione dal siriaco e commento, Roma 1953, p. 209
[4 ] Hymne à la Vierge n° 18, traduit par du Syriaque par G. Ricciotti, Turin, 1939, p. 92

A. SERRA
Cf. Aristide SERRA, La Donna dell’Alleanza, Prefigurazioni di Maria nell’Antico Testamento,
Messaggero di sant’Antonio – editrice, Padova 2006, p. 26-28 et p. 64
(www.edizionimessaggero.it)

N.B. on pourra retrouver ces éléments, en langue française, dans :
F. Breynaert, A l’écoute de Marie (préface Mgr Rey),
Brive 2007 (diffusion Mediapaul), tome 1, p. 15s.

Mère de Dieu et notre Mère – VI – Jean Galot

19 septembre, 2012

http://www.moscati.it/Francais2/Fr_Galot_Maria6.html

La Vierge Marie,

Mère de Dieu et notre Mère – VI

Notre Mère

Jean Galot s.j. – [Traduction par Françoise Matera]

Maternité spirituelle universelle
Le plus haut titre attribué à Marie est celui de « Mère de Dieu » : être mère du Fils de Dieu qui est Dieu est une dignité incomparable, qui suscite toujours notre admiration et nous fait comprendre l’audace de notre foi.
Il y a aussi une autre merveille dans la personne de Marie. Elle qui est Mère de Dieu Dieu est devenue notre mère spirituelle, mère de chacun d’entre nous dans l’ordre de la grâce. C’est la maternité qui a été établie et déclarée par le Christ peu avant sa mort sur la croix. L’évangéliste Jean nous a rapporté la parole qui a attribué à Marie cette maternité, plus précisément en relation avec son disciple bien-aimé: »Femme, voici ton fils « (Jean 19,26). Il dit au disciple: »Voici ta mère ». Il y a un effet immédiat: « A partir de ce moment-là, le disciple la prit chez lui »(19,27)
le disciple est confié à la maternité spirituelle de Marie ,Marie qui reçoit la mission de prendre soin de lui comme d’un fils.
En outre, le problème des moyens de subsistance de Marie et de son logement avait déjà été solutionné quand Jésus avait laissé Nazareth pour suivre sa mission publique et son activité de prédication : il avait dû s’occuper des conditions de vie de sa mère. La présence de la belle-sœur de Marie, la femme de Cléophée, auprès de la croix de Jésus, semble aussi indiquer que Marie, si elle en avait eu besoin, aurait trouvé de l’aide dans la famille.
En réalité, au moment où Jésus souffre sur la croix pour le salut de l’humanité, ce ne sont pas les soucis familiaux qui mobilisent le fond de sa pensée et ses forces. Il a renoncé à sa famille pour se consacrer à l’édification du règne de Dieu; il veut assurer le développement de ce règne. Il est conscient que ses disciples sont exposés à de nombreux dangers ; pour les détourner de leurs faiblesses, il les confie à la sollicitude d’une mère, la meilleure de toutes les mères. Celle qui a été choisie comme la coopératrice par excellence de l’œuvre de salut, pourra aider les disciples à rester fidèles et à accomplir leur mission.
Le choix du disciple bien-aimé pour l’institution de ce rapport filial avec Marie a une valeur symbolique. Il signifie que chaque disciple, en étant aimé spécifiquement par le Christ, reçoit Marie comme mère. Le don de Marie comme mère des disciples est le dernier don qu’a fait Jésus avant sa mort. Dans son sacrifice, le Sauveur avait tout donné pour le salut de tous les hommes. Il lui restait sa mère, près de lui, comme un trésor suprême. Et ce trésor, il le donne aussi à l’humanité.
Marie est le cadeau le plus précieux qui puisse être donné à l’humanité. Après les paroles adressées à Marie et au disciple bien-aimé, l’évangéliste souligne que le don de la croix est complet : Jésus savait « que désormais tout était achevé »(19,28). Toute la mission confiée par le Père au Fils avait été accomplie et l’amour qui voulait se révéler dans le drame de la rédemption s’était pleinement manifesté dans le don Marie comme mère.

Maternité singulière et universelle
Le don de Marie de la part de Jésus est complet : il ne reconnaît pas seulement sa mère pour ses qualités maternelles. Il l’appelle « femme » et l’institue mère avec une nouvelle maternité , qui prendra une grande importance dans le futur pour la vie de l’Eglise. Cette nouvelle maternité, dans sa formulation, avait une portée singulière parce qu’elle concernait un seul disciple. Mais à travers ce disciple, elle devait entraîner une relation avec chaque disciple et prendre ainsi une valeur universelle.
Dans sa première destination, la nouvelle maternité assumait une forme singulière, en vertu d’une intention particulière de Jésus. D’une part, le Sauveur crucifié s’immolait pour tous les hommes et désirait communiquer à tous le bénéfice du salut; c’est la raison pour laquelle il voulait étendre à toute l’humanité le don de sa mère. Mais d’autre part, il voulait que ce don parvienne à chaque disciple dans sa singularité. S’il avait proclamé d’une manière générale cette maternité, beaucoup auraient pu sous-estimer la valeur d’une affection maternelle offerte à tous. La forme trop globale de la maternité aurait nui à la qualité du don.
Jésus voulait pour chaque disciple une mère qui aurait été présente spirituellement dans la vie de chacun comme s’il avait été son seul fils, une mère qui se serait intéressée à toutes les particularités de son existence et aurait été prête à répondre à ses besoins et à ses désirs. Il avait apprécié, pendant son enfance et sa jeunesse à Nazareth, la présence de sa mère qui avait montré tant de bonté, de compréhension et de sollicitude. Il désirait pour tous les croyants une présence maternelle qui soit une aide pour la croissance dans la foi et dans l’amour.
C’est dans ce sens que la maternité de Marie conserve toujours sa valeur singulière. Mais elle prend une valeur universelle parce qu’elle s’étend à tous les chrétiens et aussi à tous les hommes: : tous sont appelés à partager la progéniture divine du Christ et à devenir les fils de Marie. Dans cette perspective générale, Marie est vénérée comme mère de l’Eglise et mère de toute l’humanité.
Mère de l’Eglise, Marie n’a pas seulement reçu une mission maternelle en faveur de chaque chrétien. Elle a été dotée d’une responsabilité maternelle dans le développement de toutes les manifestations de la grâce et dans la multiplication de tous les dons et charismes qui contribuent à la vitalité de l’Eglise. Comme une mère très désireuse de favoriser la bonne entente entre ses enfants, elle exerce une action constante pour faire triompher l’unité de l’Eglise sur toutes les tentatives de division entre chrétiens.
Parmi les tâches de l’activité maternelle de Marie, on trouve ses efforts pour faire progresser l’oecuménisme. Le rapprochement réciproque des diverses confessions chrétiennes doit surmonter beaucoup d’obstacles : invisiblement, Marie est toujours présente pour faciliter les bons rapports et les accords, même quand des différends naissent à propos de la doctrine mariale ou du culte marial. Avec une délicatesse maternelle, Marie assure la prédominance de l’harmonie et stimule tous les efforts de réconciliation.
Marie ne peut pas oublier qu’elle a été proclamée mère des disciples à un moment où la haine se déchaînait pour vaincre le Christ. C’était la haine qui s’exprimait dans les nombreuses insultes qui voulaient frapper celui qui répondait uniquement par un silence rempli de pardon. L’instauration de la nouvelle maternité de Marie faisait partie de la réponse. Marie est consciente que sa maternité est destinée à favoriser le pardon mutuel et tout ce qui, dans les relations entre les hommes contribue à développer l’amour mutuel.
Celle qui n’a jamais permis à son cœur la moindre déviation vers l’égoïsme, l’orgueil ou la vengeance, engage toute son affection maternelle pour aider ses fils à vivre dans un climat d’amour authentique.

Maternité en mission
Le Christ a confié la nouvelle maternité à Marie telle une mission. Maternité singulière, elle était destinée à renforcer l’influence de la nouvelle vie du Sauveur. Maternité universelle, elle était destinée à s’ étendre universellement à toute la communauté chrétienne.
Pour cette mission, Marie a reçu une grâce spéciale le jour de la Pentecôte. Nous savons qu’avant la Pentecôte, elle s’était unie à la prière de la première communauté.
Dans les actes des apôtres, il est dit qu’après l’Ascension, tous les apôtres, avec quelques femmes, persévéraient dans la prière en formant un seul coeur et une seule âme. Parmi ces femmes, une seule est citée : Marie (Actes 1,14). La mère de Jésus apparaît comme un modèle de prière assidue.
Plus précisément, la mère de Jésus s’unissait à la prière de la communauté en vue de la venue prochaine de l’Esprit Saint, annoncée par Jésus à ses disciples. Nous pourrions être étonnés que Marie ait besoin de se préparer par la prière à la venue de l’Esprit Saint. En effet, l’Esprit était déjà venue sur elle pour accomplir la merveille suprême de l’œuvre du salut, la conception miraculeuse de l’enfant Jésus. Il semblait que Marie ne pouvait plus recevoir d’autre don de l’Esprit.
Mais elle savait qu’elle avait besoin d’un nouveau don de l’Esprit Saint pour assumer la maternité spirituelle qui lui avait été attribuée. Pour devenir mère du Christ, elle avait reçu un don exceptionnel du Saint Esprit; maintenant, pour accomplir la mission de mère des disciples de Jésus, elle attendait un autre don, tout aussi exceptionnel. Elle priait donc pour obtenir ce don ; elle priait en même temps pour la venue de l’Esprit Saint dans toute l’Eglise, pour obtenir en surabondance une multitude de dons spirituels.
L’événement de la Pentecôtea répondu pleinement à la prière de Marie et aux supplications d’une communauté profondément unie. Comme les autres qui étaient présents, Marie fut remplie du souffle violent de l’Esprit et reçut une langue de feu pour répandre les merveilles de Dieu, ces merveilles dont elle était le témoin privilégié. Ceux qui pouvaient entendre le témoignage de Marie, pouvaient aussi comprendre, chacun dans sa langue, les paroles qui sortaient de sa bouche: Marie et les Apôtres accomplissaient les mêmes merveilles sous l’onction de l’Esprit Saint.
Après la Pentecôte, l’Esprit continua d’animer les Apôtres. Il animait plus particulièrement Marie qui avait été sa coopératrice par excellenceexcellence au moment de l’Annonciation. Il communiquait en abondance à Marie tous les dons spirituels spirituels utiles à l’exécution de sa mission. Il faisait porter beaucoup de fruits à sa maternité, donnant une portée supérieure à ses paroles, à ses actions, à son témoignage.

« Aimez-la comme je l’ai aimée »
Jésus ne se limitait pas à s’adresser à sa mère pour l’instituer mère de son disciple bien-aimé. Il s’adresse aussi au disciple en lui disant : « Voici ta mère », pour lui faire comprendre que ceux qui reçoivent une nouvelle mère doivent avoir un comportement filial. Ce comportement est tout simplement la conséquence de la proclamation de la maternité de Marie. La proclamation aurait pu suffire mais Jésus a voulu attirer l’attention expressément sur la réponse filiale qui sera la caractéristique du culte marial.
Ses paroles adressées à Jean ont eu un effet immédiat, un effet qui, en quelque sorte, nous surprend, mais qui montre que l’invitation à considérer Marie comme mère devait être faite: »A partir de là le disciple la prit chez lui »(Jean 19,27). Par ce comportement, le disciple montrait ses qualités intuitives que d’autres épisodes de l’évangile ont mis en lumière. Il a compris le désir ardent de Jésus ; au cours de la vie publique, il avait pris l’habitude de discerner à travers les liens d’amitié qui l’unissaient au Maître, les signes de ses aspirations et de sa volonté. Ainsi, il comprend l’intention de Jésus qui souhaite que sa mère, qu’il a donnée à l’humanité, soit accueillie de bon coeur et avec affection.
« Sainte Vierge du Sacré Coeur ». La vénération due à Marie répond à la volonté exprimée par Jésus lui-même, qu’il a donnée à chacun de nous au moment de sa Passion.
Dans cet accueil, nous pouvons découvrir la première manifestation du culte rendu à Marie. Depuis le début, déjà avant la naissance de l’Eglise, qui a eu lieu à laPentecôte, ce culte a été promu par Jésus lui-même. Le Maître aurait pu laisser à l’affection spontanée des cœurs chrétiens les premiers mouvements de développement du culte marial. Mais il voulait donner à ce culte une valeur supérieure, avec la garantie de son autorité divine, qui excluait tout doute ou hésitation.
En outre, en prononçant les paroles: « Voici ta mère » dans les souffrances de la croix, il donnait à ces paroles la force de la dernière volonté d’un mourant et la valeur d’une invitation qui devait être reçue comme particulièrement sacrée.
La vénération que l’on doit à Marie a donc répondu à une volonté du Christ, au point que cette vénération est toujours liée au culte rendu au Sauveur. Si Jésus n’avait pas exprimé clairement cette volonté, quelque doute aurait pu être émis sur l’importance du culte marial, au motif que Marie était absente pendant la vie publique, vu qu’elle vivait à Nazareth par volonté de son fils. Mais à l’heure de la croix, Marie était présente, intimement unie à son Fils et ce dernier soulignait la valeur de la proximité de sa mère en l’instituant mère des disciples, mère de l’Eglise.
Cette volonté du Christ était tout d’abord adressée à Marie , comme le montrent ces paroles : « Femme, voici ton Fils ». Jésus n’hésitait pas à demander à Marie d’accomplir son sacrifice maternel : la mère devait accepter de perdre son propre fils pour recevoir un autre fils. En l’appelant « femme », il la faisait renoncer au lien de la tendre affection qui l’unissait à lui pour s’ouvrir à une autre maternité.
Le mot « femme » pouvait sembler froid dans les relations d’un fils avec sa mère. Mais c’était le mot utilisé par Jésus dans les noces de Cana, quand il accepta le désir de miracle qui animait l’intervention de Marie. Il voulait attirer l’attention sur la distance qui, depuis le moment de son départ de Nazareth pour la vie publique, le séparait de sa mère. En tant que femme engagée dans l’œuvre de salut, Marie pouvait obtenir le miracle.
le Maître crucifié invite chaque disciple à accueillir Marie dans sa vie avec un cœur filial, pas comme s’ il s’agissait de sa propre mère, mais parce qu’elle est réellement sa mère, élevée à cette maternité spirituelle par le Sauveur lui-même.
Dans la dernière cène, Jésus avait laissé aux apôtres son commandement par excellence: »Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. A ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres »(Jean 13,34-35; cf. 15,12). ). Un précepte analogue ressort des paroles : « Voici ta mère ! » «  »Aimez votre mère comme je l’ai aimée, parce qu’elle est la mère de chacun d’entre vous ».
Aimer Marie comme le Christ signifie avant tout découvrir le vrai visage de Marie, comme il a été contemplé par celui qui, du regard, pénétrait le fond des âmes. Nombreux sont ceux qui sont tentés de se limiter à une connaissance superficielle de Marie. Il est vrai que les évangiles nous ont rapporté sur Marie des épisodes qui ont une signification profonde et méritent une réflexion très attentive. Mais souvent notre lecture du texte évangélique est trop rapide et nous retenons seulement ce qui semble évident, sans que nous ayons le temps de relire le texte pour en cueillir la richesse de la pensée cachée par l’Esprit Saint à travers les informations des évangélistes.
En effet, c’est l’Esprit qui doit être imploré pour nous révéler les merveilleux secrets de la vie intime de Marie et de sa coopération à l’œuvre qui a sauvé l’humanité. Il peut nous dévoiler pleinement le visage de Marie Marie comme visage maternel dans lequel s’est manifestée l’immensité de l’amour divin.
Le développement du culte marialet de la doctrine mariale montrent l’effort fourni par toute l’Eglise pour mieux connaître la mère de Jésus qui est notre mère. En la découvrant, il est possible de l’aimer avec plus de sincérité et de trouver dans sa présence et dans son visage une source de joie.
Aimer Marie a été la dernière invitation adressée par le Christ mourant pour l’humanité. . C’est une invitation à des efforts toujours nouveaux pour connaître et apprécier celle qui est la mère de Dieu et la mère de l’humanité rachetée. Les efforts n’ont pas de limite car aimer Marie comme le Christ lui-même l’a aimée, signifie s’engager dans un amour sans aucune frontière.

On ne naît pas enfant de Dieu. On le devient (par Ignace de la Potterie)

1 décembre, 2011

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On ne naît pas enfant de Dieu. On le devient

par Ignace de la Potterie

L’Église a célébré depuis peu avec la fête de Noël la naissance dans le temps de l’éternel Fils unique de Dieu. Une théologie de plus en plus répandue voudrait que chaque homme reçoive automatiquement, du fait de l’incarnation du Fils, l’attribution immédiate de la qualité d’enfant de Dieu. Dans le sens que chaque homme, qu’il le sache ou non, qu’il l’accepte ou non, vit déjà radicalement dans le Christ. Selon cette théologie, le Christ, avant même d’être le chef de l’Église, est le chef de tout ce qui est créé. Chaque homme lui appartient avant même d’être touché et transformé par son Esprit.
À l’appui de cette conception, on invoque cette déclaration de saint Thomas d’Aquin: «Si, donc, nous considérons en général toutes les époques du monde, le Christ est la tête de tous les hommes mais à des degrés divers» (Summa theologiae III, 8, 3), déclaration qui a été reprise par la constitution pastorale Gaudium et spes du dernier Concile en ces termes: «Par son incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme» (n° 22). Mais si l’on supprimait de la phrase de la Summa theologiae et de celle de la constitution Gaudium et spes les expressions «à des degrés divers» et «en quelque sorte», on ne respecterait pas toutes les données de la foi catholique. Et, en effet, le même Concile, dans la constitution dogmatique Lumen gentium (n° 13), suivant fidèlement la Tradition, distingue clairement entre l’appel de tous les hommes au salut et l’appartenance en acte des croyants à la communion de Jésus-Christ. Selon la méthode propre à toute la révélation biblique.
Si, par l’incarnation du Verbe, la qualité d’enfant de Dieu était attribuée immédiatement à chaque homme, le mystère du choix ou de l’élection et donc la foi, le baptême et l’Église n’auraient plus aucun rôle constitutif dans le salut: la mission de l’Église dans le monde se réduirait à faire prendre conscience à tous les hommes que ce salut est déjà présent, profondément inscrit en chacun d’eux. En somme, en vertu de l’incarnation du Verbe, chaque homme acquerrait automatiquement, indépendamment de la conscience qu’il pourrait en avoir, “l’existence dans le Christ”. Et il bénéficierait ainsi, en vertu de sa transcendance comme personne humaine, des effets salvifiques de la rédemption opérée par Jésus-Christ. Il serait un “chrétien anonyme”.
Erik Peterson, le célèbre exégète allemand qui s’est converti du luthérianisme au catholicisme, expliquait dans son ouvrage de 1933 Die Kirche aus Juden und Heiden (Le Mystère des Juifs et des Gentils dans l’Église), en commentant les chapitres 9 à 11 de l’Épître de saint Paul aux Romains, que le christianisme ne peut être réduit à un ordre purement naturel, dans lequel les effets de la rédemption opérée par Jésus-Christ seraient transmis à chacun génétiquement, par voie héréditaire, du seul fait que l’homme partagerait avec le Verbe incarné la nature humaine. Être enfant de Dieu n’est pas le résultat automatique et assuré de l’appartenance au genre humain. La qualité d’enfant de Dieu est toujours un don gratuit de la grâce, elle ne peut faire abstraction de la grâce donnée gratuitement dans le baptême, reconnue et reçue dans la foi. Un passage de saint Léon le Grand qui appartient à la liturgie de l’Avent, éclaire avec précision le rapport entre l’incarnation et le baptême: «Si celui qui seul est indemne de tout péché ne s’était pas uni à notre nature, l’humanité tout entière serait restée prisonnière sous l’esclavage du démon et nous n’aurions pu profiter de la victoire remportée par le Christ, parce que cette victoire aurait été obtenue en dehors de notre nature. Le sacrement de notre régénération a brillé pour nous en vertu de cette participation étonnante à notre nature: si la conception et la naissance du Christ ont été opérées par l’Esprit, c’est en vertu du même Esprit que nous-mêmes, qui sommes nés de la concupiscence de la chair, pouvons renaître». Et saint Augustin écrit dans le De Civitate Dei: «C’est pourquoi la nature corrompue par le péché engendre les citoyens de la cité terrestre, tandis que la grâce qui libère la nature du péché engendre les citoyens de la cité céleste. Aussi les premiers sont-ils appelés vases de colère et les autres vases de miséricorde. On en a un exemple aussi dans les deux fils d’Abraham. L’un, Ismaël, naquit selon la chair, de l’esclave Agar, l’autre, Isaac, naquit, selon la promesse, de Sarah qui était une femme libre. Tous les deux sont de la souche d’Abraham, mais le premier est né d’un rapport purement naturel tandis que le second est un don de la promesse qui est un signe de la grâce. Dans le premier cas se révèle un comportement humain, dans le second se révèle la grâce de Dieu».
Il suffit de revenir au Nouveau Testament et à la façon dont saint Jean, le disciple préféré, décrit la qualité d’enfant de Dieu pour montrer comment celle-ci n’est pas une possession immédiate et naturelle mais toujours un don gratuit que le Seigneur prodigue à celui qu’Il choisit et que l’on reçoit dans la foi («Ce n’est pas vous qui m’avez choisi mais c’est moi qui vous ai choisis» Jn 15, 16).
Trois textes de Jean traitent plus particulièrement de cette qualité d’enfant de Dieu promise par Jésus dont le chrétien fait l’expérience: un verset du Prologue (Jn 1, 12), qui parle de notre pouvoir de devenir enfants de Dieu; la première partie du dialogue avec Nicodème (Jn 3, 1-8), qui décrit tout ce qu’accomplit en nous l’Esprit Saint pour réaliser notre génération et notre naissance comme enfants de Dieu; enfin deux passages de la première Épître (1Jn 3, 6-9; 5, 18-19), où est montré comment le chrétien, lorsqu’il vit sa qualité d’enfant de Dieu, reçoit des bienfaits spirituels et moraux dans sa vie concrète et devient ainsi “impeccable”. Pour le sujet qui nous occupe, ce sont surtout les deux premiers passages cités ci-dessus qui sont significatifs.
Dans le Prologue (Jn 1, 12-14), Jean écrit: «Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, [c’est-à-dire] à ceux qui croient en Son nom: [le nom de celui qui] a été engendré par Dieu [egennete]. Oui, le Verbe s’est fait chair et il est venu habiter parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire, la gloire du Fils unique [monogenous] venu d’auprès de son Père [parà Patros] plein de la grâce de la vérité».
Il est important de noter surtout dans ce passage du Prologue l’usage du mot devenir (ginestai) sur lequel les commentaires ne disent presque rien. Ce choix linguistique est justement significatif de ce que veut dire pour saint Jean être enfant de Dieu: on devient enfant de Dieu, on ne l’est pas ab initio en vertu de sa seule nature humaine. La qualité d’enfant de Dieu n’est pas un donné acquis a priori, une possession statique, implicite dans la naissance naturelle. On devient enfant de Dieu – comme Jésus le dit dans le dialogue avec Nicodème – quand «on naît d’en haut», quand «on naît de l’eau et de l’Esprit». Et cela se produit quand un événement, le baptême et la foi, nous introduisent dans une nouvelle dynamique de l’être, mettent un dynamisme nouveau dans notre existence. Ce trésor fait de toute la vie un chemin, une progression, toujours précédés et accompagnés de ces faits de grâce opérés par le Seigneur qui viennent surprendre le cœur, nourrissant ainsi la foi. En somme, la qualité d’enfant de Dieu n’est pas une marque métaphysique inscrite dans le destin de chaque homme, qu’il le sache ou non, qu’il le veuille ou non. Elle est plutôt un don qui se reconnaît et se reçoit dans la foi; qui interpelle notre liberté, au point que Dieu lui-même, d’après l’image merveilleuse de saint Bernard, a attendu avec inquiétude le oui de Marie.
L’autre mot-clef du passage du Prologue est celui de pouvoir (exousian) qui indique lui aussi, non une possession mais un dynamisme. On ne devient pas enfant de Dieu de façon automatique, par loi de nature, mais par la foi: le pouvoir donné pour devenir enfant de Dieu, c’est la foi: non pas une foi vague et anonyme, pur souffle religieux commun, au moins dans certaines occasions de la vie, à tous les hommes, mais la foi de «qui croit en Son nom». Une expression que nous trouvons à plusieurs reprises chez saint Jean: la vraie foi consiste à «croire dans le nom du Fils unique de Dieu» (Jn 3, 18). Il s’en suit que notre qualité d’enfant de Dieu ne peut être qu’une participation à la qualité d’enfant de Dieu de celui qui s’est manifesté parmi nous comme «le Fils unique venu d’auprès de Son Père». Ce pouvoir de devenir enfant de Dieu, cette foi surgit et croît, comme il arrive à la foi des premiers disciples. Et ce qui est arrivé aux premiers disciples reste, précisément, l’expérience paradigmatique de la façon dont on devient enfant de Dieu. Car cette même présence qui a suscité la foi dans les premiers qu’elle a choisis continue à œuvrer dans le présent, au point de laisser étonné et d’éveiller la foi aujourd’hui encore dans le cœur des hommes que le Père lui donne (cf. Jn 17, 2).
Le dialogue avec Nicodème constitue le passage le plus long et le plus explicite sur ce thème de la qualité d’enfant de Dieu. Parmi les différents aspects abordés ici, il faut souligner surtout l’insistance de saint Jean sur l’action de l’Esprit Saint dans l’expérience que fait l’homme d’être enfant de Dieu. Jésus explique à Nicodème: «À moins de naître de l’eau et de l’Esprit, nul ne peut entrer au Royaume de Dieu» (Jn 3, 5). Ainsi donc la voie qui permet de devenir «enfants dans le Fils» n’est accessible qu’à celui qui naît de l’Esprit dans la foi et dans le baptême (que Jésus indique dans ce passage par le signe de l’eau).
Les théories qui réduisent la qualité d’enfant de Dieu à un automatisme, comme si c’était la marque d’une domination acquise que Dieu aurait gravée sur chaque homme, indiquent elles-mêmes souvent l’Esprit Saint comme l’artisan de cette opération. Selon ces théories, les hommes auraient par nature le titre d’enfants de Dieu en dehors de la foi, du baptême et du libre consentement, parce que, précisément, l’Esprit, dans sa liberté infinie, attribue à chacun, qu’il le sache ou non, qu’il le veuille ou non, les bienfaits de la rédemption.
Pierre baptise les néophytes, détail, Masaccio, chapelle Brancacci, église Santa Maria del Carmine, Florence
Or l’Évangile de saint Jean témoigne justement que l’Esprit Saint n’est pas une entité séparée et indépendante qui opérerait dans l’intime secret des consciences par une action parallèle à celle de Jésus-Christ, Fils de Dieu.
Toute la mission de l’Esprit Saint dans l’histoire du salut peut être exprimée par les paroles de saint Basile dans la liturgie du temps de Noël: «De même que le Père se rend visible dans le Fils, de même, le Fils se rend présent dans l’Esprit». Et Basile ajoute que c’est là la leçon de ce que Jésus a dit à la Samaritaine: «“Il faut adorer dans l’Esprit et dans la vérité”» (Jn 4, 23), se définissant clairement lui-même comme “la vérité”.
Il suffit de lire les promesses à propos du Paraclet que Jésus fait lui-même à ses disciples dans l’Évangile de Jean. L’Esprit «enseignera» en rappelant ce que Jésus a dit (Jn 14, 26); «il rendra témoignage» à Jésus (Jn 15, 26); «il ne parlera pas de lui-même, mais dira ce qu’il entend» (Jn 16, 13). L’Esprit Saint n’est donc pas une entité arbitraire; il est pourvu d’une intentionnalité claire bien que mystérieuse («L’Esprit souffle où il veut» Jn 3, 8), il accomplit certaines œuvres qui sont toujours en relation avec la mission et l’enseignement de Jésus. Comme l’Esprit est «l’Esprit de la vérité» (Jn 15, 26; Jn 16, 13), quelle autre vérité pourrait nous faire connaître l’Esprit sinon la vérité de celui qui a dit: «Je suis la vérité» (Jn 14, 6)? L’Esprit guide le chrétien vers Jésus-Christ, vers la vérité tout entière (Jn 16, 13); il l’aide à approfondir toujours plus le mystère de Jésus-Christ et à rester dans son souvenir. Il y a un passage de la constitution dogmatique Lumen gentium qui peut résumer tout ce que nous avons dit: «Le Christ élevé de terre a tiré à lui tous les hommes; ressuscité des morts, il a envoyé sur ses apôtres son Esprit de vie et par lui a constitué son corps, qui est l’Église, comme le sacrement universel du salut; assis à la droite du Père, il exerce continuellement son action dans le monde pour conduire les hommes vers l’Église, se les unir par elle plus étroitement et les faire participer à sa vie glorieuse en leur donnant pour nourriture son corps et son sang» (n° 48).
Si l’on ne naît pas enfant de Dieu et qu’on le devient1, il va de soi qu’être enfant de Dieu n’est jamais un motif de présomption ou de condamnation des autres. Comme l’a rappelé Jean Paul II dans l’encyclique Redemptoris missio «la foi que nous avons reçue» est un «don d’En-Haut sans mérite de notre part».
L’expérience du fait d’être enfant de Dieu n’est remplie au contraire que de gratitude pour le don immérité et d’espérance à l’égard de tous les hommes. Aussi ne s’agit-il pas de juger les mécréants, ceux qui sont loin ou même ceux qui peuvent sembler hostiles. Ne serait-ce que parce que chacun d’eux peut, quand il s’y attend le moins, rencontrer le fait chrétien. Comme l’écrivait Péguy en commentant un vers de Corneille, «Ce Dieu touche les cœurs lorsque moins on y pense. C’est la formule même de la morsure, c’est la formule de l’attaque, de l’atteinte, de la pénétration de la grâce. Mais elle implique si l’on veut que celui qui y pense, qui a l’habitude d’y penser, qui est recouvert de cet enduit de l’habitude est aussi celui qui donne le moins de prise et pour ainsi dire le moins de hasard de prise».
Cette gratitude ne juge personne, mais elle est magnanime et miséricordieuse, même devant l’erreur et le péché. Comme le fut François-Xavier, le disciple préféré qu’Ignace de Loyola avait envoyé évangéliser le lointain Orient. Face aux péchés, même les plus abjects, des païens, François-Xavier s’étonnait que, sans la foi, les sacrements et la prière filiale, ils n’en fissent pas de plus graves. Il écrit ainsi dans une lettre envoyée à ses compagnons de Cochin, en 1552: «Je ne suis pas étonné des péchés qui existent parmi bonzes et bonzesses, aussi nombreux soient-ils. Ce qui m’étonne, au contraire, c’est qu’ils n’en fassent pas plus qu’ils n’en font…».

1 Cf. I. de la Potterie, La figliolanza divina del cristiano secondo Giovanni, in Atti del VI Simposio di Efeso su san Giovanni apostolo, Université pontificale Antonianum, Rome 1996, p. 53-80.