Archive pour la catégorie 'Marie Vierge'

SOLENNITÉ DE L’ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE – JEAN PAUL II 2001

14 août, 2014

http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/homilies/2001/documents/hf_jp-ii_hom_20010815_assunzione-maria_fr.html

SOLENNITÉ DE L’ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE

HOMÉLIE DU PAPE JEAN PAUL II

Mercredi 15 août 2001

1. « Le dernier ennemi détruit, c’est la Mort » (1 Co 15, 26).

Les paroles de Paul, qui viennent de retentir au cours de la deuxième lecture, nous aident à comprendre le sens de la solennité que nous célébrons aujourd’hui. En Marie, élevée au ciel au terme de sa vie terrestre, resplendit la victoire définitive du Christ sur la mort, entrée dans le monde à cause du péché d’Adam. C’est le Christ, le « nouvel » Adam, qui a vaincu la mort, en s’offrant en sacrifice sur le Calvaire, dans un geste d’amour obéissant au Père. Il nous a ainsi sauvés de l’esclavage du péché et du mal. Dans le triomphe de la Vierge, l’Eglise contemple Celle que le Père a choisie comme vraie Mère de son Fils unique, en l’associant intimement au dessein salvifique de la Rédemption.
C’est pour cela que Marie, comme le montre bien la liturgie, est un signe réconfortant pour notre espérance. En la contemplant, enlevée dans l’exultation de la foule des anges, l’histoire humaine tout entière, avec ses lumières et ses ombres, s’ouvre à la perspective de la béatitude éternelle. Si l’expérience quotidienne nous permet de nous rendre compte que le pèlerinage terrestre est placé sous le signe de l’incertitude et de la lutte, la Vierge élevée dans la gloire du Paradis nous assure que le secours divin ne nous fera jamais défaut.

2. « Un signe grandiose apparut au ciel: une Femme! Le soleil l’enveloppe » (Ap 12,1).
Contemplons Marie, très chers frères et soeurs ici rassemblés en ce jour si cher à la dévotion du peuple chrétien. Je vous salue avec une grande affection. Je salue en particulier M. le Cardinal Angelo Sodano, le premier de mes collaborateurs, ainsi que l’Evêque d’Albano et son Auxiliaire, en les remerciant de leur présence courtoise. Je salue en outre le curé, ainsi que les prêtres qui l’aident dans sa tâche, les religieux et les religieuses et tous les fidèles présents, en particulier les consacrés salésiens, la communauté de Castel Gandolfo et celle des Villas pontificales. J’étends ma pensée aux pèlerins des différents groupes linguistiques qui ont voulu s’unir à notre célébration. Je souhaite à chacun de vivre dans la joie la solennité de ce jour, qui est riche d’occasions de méditation.
Un grand signe apparaît pour nous dans le ciel aujourd’hui: la Vierge Mère! L’auteur sacré du livre de l’Apocalypse nous en parle à travers un langage prophétique dans la première lecture. Quel prodige extraordinaire se trouve devant nos yeux stupéfaits! Habitués à fixer les réalités de la terre, nous sommes invités à regarder vers le Haut: vers le ciel, qui est notre Patrie définitive, où la Très Sainte Vierge nous attend.
L’homme moderne, peut-être plus encore que par le passé, est pris par des intérêts et des préoccupations matérielles. Il recherche la sécurité et, souvent, il fait l’expérience de la solitude et de l’angoisse. Et que dire ensuite de l’énigme de la mort? L’Assomption de Marie est un événement qui nous touche de près justement parce que l’homme est destiné à mourir. Mais la mort n’est pas le dernier mot. Elle est – comme nous l’affirme le mystère de l’Assomption de la Vierge – le passage vers la vie à la rencontre de l’Amour. Elle est le passage vers la béatitude céleste réservée à ceux qui oeuvrent pour la vérité et la justice et s’efforcent de suivre le Christ.
3. « Désormais toutes les générations me diront bienheureuse » (Lc 1, 48). Ainsi s’exprime la Mère du Christ lorsqu’elle rencontre sa parente âgée, Elisabeth. L’Evangile nous a reproposé, il y a peu, le Magnificat que l’Eglise chante chaque jour. C’est la réponse de la Madone aux paroles prophétiques de sainte Elisabeth: « Bienheureuse celle qui a cru en l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur » (Lc 1, 45).
En Marie, la promesse se fait réalité: Bienheureuse est la Mère et bienheureux serons-nous, nous, ses fils, si, comme elle, nous écoutons et nous mettons en pratique la Parole du Seigneur.
Puisse la solennité de ce jour ouvrir notre coeur à cette perspective supérieure de l’existence. Que la Vierge, que nous contemplons aujourd’hui resplendissante à la droite du Fils, aide l’homme d’aujourd’hui à vivre en croyant « en l’accomplissement de la Parole du Seigneur ».
4. « Aujourd’hui, les fils de l’Eglise sur la terre célèbrent dans la joie le passage de la Vierge à la cité divine, la Jérusalem céleste » (Laudes et hymni, VI). C’est ce que chante la liturgie arménienne aujourd’hui. Je fais miennes ces paroles, en pensant au pèlerinage apostolique au Kazakhstan et en Arménie que j’accomplirai, si Dieu le veut, dans un peu plus d’un mois. Je Te confie, Marie, l’issue de cette nouvelle étape de mon service de l’Eglise et du monde. Je Te demande d’aider les croyants à être les sentinelles de l’espérance qui ne déçoit pas, et à proclamer sans cesse que le Christ est vainqueur du mal et de la mort. Illumine, ô Femme fidèle, l’humanité de notre temps afin qu’elle comprenne que la vie de tout homme ne finit pas dans une poignée de poussière, mais est appelée à un destin d’éternel bonheur.

Marie, qui es la « joie du ciel et de la terre », veille et prie pour nous et pour le monde entier, maintenant et toujours. Amen!

ASSOMPTION DE LA VIERGE MARIE – HOMÉLIE

14 août, 2014

http://www.homelies.fr/homelie,,3925.html

ASSOMPTION DE LA VIERGE MARIE

VENDREDI 15 AOÛT 2014

Famille de Saint Joseph

Homélie Messe

« En ce jour-là, Marie se mit en route rapidement vers la Ville de la montagne » du Seigneur, vers la Jérusalem céleste. Sa hâte est à la mesure de son désir : il y a si longtemps qu’elle languissait de rejoindre son Bien-Aimé. Et voilà qu’enfin a retenti sa voix : « Lève-toi mon amie, viens ma toute belle. Car voici que l’hiver est passé, la saison des pluies est finie, elle s’en est allée. Lève-toi, mon amie, viens ma toute belle ! Ma colombe, blottie dans le rocher, montre-moi ton visage, fais-moi entendre ta voix, car ta voix est douce et ton visage est beau » (Ct 2, 10-15).
Accourant à son appel, la Vierge murmure : « Mon bien-aimé est à moi, et moi je suis à lui » (Ct 2, 16). Elle entre dans la Cité Sainte et se prosterne devant son Fils et son Dieu. Le Roi des Rois vient à sa rencontre et lui temps son bras ; tel l’Epoux introduisant son Epouse dans sa demeure, ensemble ils s’avancent. Un murmure d’admiration parcourt l’assemblée des Anges et des Saints. Intrigués ils se demandent : « Qui est celle-ci qui monte du désert, appuyée sur son bien-aimé ? » (Ct 8, 5). Mais « quand ils entendirent la salutation de Marie », ils tressaillirent de bonheur et « s’écrièrent d’une voix forte : “Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles, notre Roi de gloire, est béni. Comment avons-nous ce bonheur que la mère du Roi des Rois et du Seigneur des Seigneurs vienne jusqu’à nous ? Car lorsque nous avons entendu tes paroles de salutation, l’Esprit Saint a tressailli d’allégresse au-dedans de nous” ».
L’éclat de la Beauté de la Vierge rejaillit sur tous les habitants des cieux qui lui font une haie d’honneur en proclamant : « Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur ! » Et tous dans le Temple s’écrient : « Amen ! Amen ! ». Oui les cieux sont tout illuminés en ce jour où la Lumière divine peut pleinement se refléter sur le pur miroir de l’humanité très Sainte de la Vierge immaculée, Mère du Très-Haut, que Celui-ci couronne de gloire inégalée.
Bien sûr, c’est au ciel que se passe cette fête ; mais comment n’y participerions-nous pas ? N’est-elle pas des nôtres celle qui monte en gloire, portée par les Anges ? N’est-elle pas une enfant de la terre, cette jeune fille qui a accueilli le Germe divin tombé du ciel ? N’est-elle pas notre Mère celle que Jésus nous a laissé en héritage du haut de la Croix ? Oui, vraiment, elle est nôtre. Il est dès lors juste et bon que nous soyons pleinement associés à la joie des habitants des cieux, et que descende sur nous une rosée de grâces proportionnée à notre statut de pèlerins.
Souvenons-nous cependant que l’amour vrai est désintéressé ; il se réjouit pour le bonheur de l’autre, sans rien attendre en retour. Réjouissons-nous donc gratuitement pour la joie de Marie, qui retrouve à la fois son Fils, son Seigneur, son Epoux et son Dieu. Et réjouissons-nous aussi de la gloire de notre Mère des cieux que notre Seigneur intronise à sa droite, la couronnant Reine du ciel et de la terre, tandis que les chœurs des Anges entonnent le chant du Psaume : « Ecoute ma fille, regarde et tend l’oreille ; oublie ton peuple et la maison de ton père : le roi sera séduit par ta beauté. Il est ton Seigneur, prosterne-toi devant lui. Fille de roi, elle est là dans sa gloire, vêtue d’étoffes d’or ; on la conduit toute parée vers le roi. Des jeunes filles ses compagnes lui font cortège ; on les conduit parmi les chants de fête : elles entrent au palais du roi » (Ps 45[44] 11-16).
Oui que « ton âme exalte ton Seigneur », ô Marie ; « qu’exulte ton esprit en Dieu ton Sauveur » : il a plongé son regard de miséricorde sur toi dès le premier moment de ta conception ; il s’est épris de toi et t’a mystérieusement préservée de tout péché, car « il voulait te présenter à son Fils, toute resplendissante, sans tache, ni ride, ni rien de tel, mais sainte et immaculée » (Eph 5, 27), digne demeure du Très-Haut. Aussi « toutes les générations te diront bienheureuse » et ne se lasseront jamais de chanter tes louanges pour les siècles des siècles.
Car « le Puissant fit pour toi des merveilles » : il a fait éclater en toi sa sainteté et proclamé sur toi le Nom de son Fils, te recréant parfaitement à son image.
Toute ta grandeur, ô Marie, s’est de t’être pleinement ouverte au don de Dieu sans jamais t’en exalter, car tu avais compris mieux que personne que « Dieu est grand dans les grandes choses, immense dans les toutes petites » (St Augustin) ; c’est pourquoi tu t’es faite la plus petite, laissant à Dieu le soin de t’élever auprès de lui, dans les hauteurs.
Quant à nous, il nous faut hélas redescendre sur terre ; mais remplis de la joyeuse espérance que nous donne le verset suivant du même Psaume 44 : « A la place de tes pères te viendront des fils ; sur toute la terre tu feras d’eux des princes ». Soyons-en sûrs : la Reine de l’univers, qui a reçu de son Seigneur tout pouvoir pour dispenser ses trésors de grâce, veille sur chacun de nous avec une maternelle sollicitude, afin que nous vivions dès à présent en fils de Roi, puisque nous le sommes.

« Que notre âme altérée coure donc à cette source,
et que notre misère recoure à ce trésor de compassion.
Nous t’avons accompagnée de nos vœux, Vierge bénie,
tandis que tu montais vers ton Fils,
et nous t’avons suivie, au moins de loin.

Que ta bonté désormais fasse connaître au monde
la grâce que tu as trouvée auprès de Dieu :
Obtiens par tes prières le pardon des coupables,
la guérison des malades,
la consolation des affligés,
aide et délivrance pour ceux qui sont en péril.

Et pour nous, tes petits serviteurs,
qui en ce jour de fête et de liesse
chantons les louanges du très doux nom de Marie,
obtiens, Reine de clémence,
les grâces de ton Fils Jésus-Christ Notre-Seigneur,
qui est, au-dessus de toute chose,
le Dieu béni à jamais » (St Bernard).
Père Joseph-Marie

L’ASSOMPTION DU CORPS ET DE LA VIERGE MARIE – PÈRE MATTA EL MASKINE

12 août, 2014

http://www.spiritualite-orthodoxe.net/vie-de-priere/index.php/livres-traduits-en-francais/la-communion-d-amour/dormition-assomption-vierge-marie

L’ASSOMPTION DU CORPS ET DE LA VIERGE MARIE

PÈRE MATTA EL MASKINE

Chapitre XVII de la Communion d’Amour

Ce jour 1 nous permet d’honorer le corps de la Vierge. L’assomption de son corps manifeste combien le ciel l’honore au plus haut point. Et la doctrine orthodoxe en ce qui concerne les honneurs rendus au corps des saints n’est pas une invention gratuite. Après le long entretien avec Dieu, au cours duquel Moïse avait reçu les commandements et toute la Loi, son visage rayonnait d’une telle lumière que les Israélites ne pouvaient le regarder en face. La lumière que reflétait son visage était une lumière divine, celle qui manifeste la présence de Dieu. Dieu était ainsi rendu visible sur le visage de Moïse, et c’est pourquoi le peuple pécheur ne pouvait regarder son visage, car le péché et Dieu ne peuvent se rencontrer face à face. Aussi Moïse portait-il un voile, voile dans lequel saint Paul voit un symbole de l’aveuglement spirituel du peuple2 .
Et saint Paul poursuit : Si le ministère de la Loi – qui conduit à la condamnation et à la mort – se traduisait par une telle gloire, visible aux yeux de chair, par un tel resplendissement du visage, combien le ministère de justice ne l’emporte t-il pas en gloire?
Nous appuyant sur cela, nous pouvons dire à propos de la Vierge, de son corps et de son visage :
Si le visage de Moïse, alors qu’il· avait reçu de simples paroles écrites par le doigt de Dieu, rayonnait pour manifester la gloire qu’avait revêtu son corps, combien plus grande la gloire qui a revêtu le corps de la Vierge alors qu’elle a reçu en son sein la Parole même de Dieu, la personne du Fils de Dieu, prenant chair de sa chair après la préparation opérée par l’Esprit Saint et alors que la puissance du Très-Haut la prenait entièrement sous son ombre, intérieurement et extérieurement. Quelle gloire a alors envahi le corps de la Vierge ! Ou, pour reprendre les paroles de l’apôtre Paul, si le ministère de condamnation, ministère reçu par Moïse avec la Loi, lui a conféré une gloire qui a rempli son corps humain d’une lumière divine, combien plus le ministère de justice confié à la Vierge par la descente de la Lumière véritable en son sein et son incarnation à partir de son corps !
Nous savons tous comment Dieu a mis fin à la vie de Moïse et l’a lui-même enterré sur le mont Nebo, loin de la vue de son peuple, de peur qu’ils ne s’égarent et n’en viennent à adorer son corps qui, semble-t-il, continuait à rayonner même après sa mort. C’est pourquoi le livre du Deutéronome dit de lui: personne ne connait l’emplacement de son tombeau jusqu’à ce jour3 .
D’autre part, l’Épître de Jude fait spécialement mention du corps de Moïse. Alors que l’archange Michel, luttant contre le diable, lui disputait le corps de Moïse, il lui dit : « Que le Seigneur te châtie ! »4 . On peut donc supposer que l’archange Michel avait été chargé de garder le corps ou de l’enlever au ciel et que, tandis que le diable essayait de le remettre à terre ou d’en révéler l’emplacement pour égarer le peuple, au cours de la lutte qui les opposait, l’archange invoqua l’aide du Seigneur, comme chef des armées célestes.
Si donc Dieu s’est personnellement chargé de l’ensevelissement de Moïse et a assigné à l’archange Michel la tâche de garder le corps – ou peut-être, selon la tradition juive, de l’enlever au ciel -, et cela parce que le corps de Moïse reflétait la lumière et la gloire de Dieu depuis qu’il s’était tenu en présence de Dieu pendant quarante jours et avait reçu les tables de la Loi, on ne peut dire que la coutume orthodoxe d’honorer les corps ne repose sur rien.
Combien plus encore Dieu et le Christ lui-même ont-ils pris soin du corps de la Vierge, après sa mort. Ce corps avait connu l’habitation permanente de l’Esprit Saint, la plénitude de la grâce; la puissance du Très-Haut l’avait pris sous son ombre et la Parole de Dieu avait résidé pendant neuf mois dans ses entrailles ! Assurément, aucun texte ne nous dit que le corps de la Vierge rayonnait de la lumière céleste, mais nous savons que c’est l’effet de la  » kénose » 5 que le Christ a choisie et qui a voilé la gloire de sa divinité. Pendant sa vie terrestre, le corps du Christ lui-même n’a pas rayonné cette lumière, sinon – pour peu de temps – au jour de la Transfiguration. Et pourtant, il était la Lumière véritable 6 , la Lumière du monde 7 , qui rayonne éternellement et pour tous,
Il est donc évident que le dessein de Dieu impliquait que la gloire du Christ soit voilée, et donc aussi celle de la Vierge, de peur que la foi au Christ ne se dévoie, que l’humiliation de la croix ne soit éclipsée et que la vénération de la Vierge ne devienne un culte, une apothéose qui ne conviennent qu’à Dieu.
Comme la mort de Moïse, celle de la Vierge devait être discrète. D’autant plus que, lorsqu’elle est survenue, l’Évangile s’était répandu et on proclamait déjà que le Christ était le Fils de Dieu, Dieu en toute vérité, né de la Vierge Marie. C’est pour cette raison que ni les évangiles, ni les épîtres ne mentionnent la dormition de la Vierge et que – pendant les trois premiers siècles – l’assomption de son corps n’a été connue que par une tradition secrète. Il ne fallait pas qu’elle retienne exagérément l’attention et que le culte dû à Dieu s’en trouve dévoyé.
Il a fallu que Dieu lui-même se charge de l’ensevelissement du corps de Moïse, parce qu’il rayonnait de la lumière divine, et c’est l’archange Michel qui en a reçu la garde. Nous ne devons donc pas nous étonner d’entendre la tradition dire que le Christ lui-même est venu, à la mort de la Vierge, recevoir son âme sainte et l’enlever au ciel. Quant à son corps, il a sans aucun doute été confié à la garde de l’archange Michel jusqu’à ce qu’il soit enlevé au ciel au temps fixé. Ainsi le corps de la Vierge, objet de l’attention du Père céleste depuis le moment de l’annonciation et réceptacle de la conception divine, n’a pas cessé d’être honoré jusqu’au moment où Dieu l’a enlevé tandis qu’il était entouré d’honneurs par les anges.
Notre vénération de l’assomption du corps de la Vierge fait partie intégrante de notre foi dans les réalités eschatologiques – celles qui ont trait à la vie qui vient. On sait bien que la résurrection des corps est le propre de l’œuvre du Christ dans le monde à venir. Et si l’assomption de la Vierge n’est pas, à strictement parler, un acte de résurrection, c’est un état de transfiguration où le corps a été transporté par les puissances angéliques, comme préparation d’une résurrection ultérieure, que celle-ci soit déjà accomplie maintenant ou reste à accomplir.
Le Nouveau Testament offre de nombreux exemples de transfigurations. C’est dans sa propre personne que le Christ a inauguré cette action eschatologique, dans la chair qu’il a prise de nous, sur la montagne de la Transfiguration, avec Pierre, Jean et Jacques, rendant son corps plus brillant que le soleil, prémices et prototype de ce que sera le nôtre lorsque sa rédemption sera complète. Depuis lors, l’humanité – et même la création toute entière – gémissent dans les douleurs de l’enfantement 8 .Et jusqu’à présent, nous attendons notre adoption en tant que fils, la rédemption de notre corps 9 . Toute la création, et non seulement nos corps, est appelée à être transfigurée. Les vêtements du Christ devenus étincelants10 , plus blancs que neige, indiquent clairement que le Christ est la Lumière du monde et de la création et que toutes les créatures recevront leur nouvelle forme du Christ qui vient.
La vénération des corps saints et lumineux est un acte eschatologique, c’est un prolongement dans le temps présent du jour de la Transfiguration, un acte de foi en la réalité de la vie future. Depuis le jour de la Transfiguration, le Christ n’a pas cessé de répandre sa lumière sur les corps et les visages des saints. Le désert de Scété en témoigne et a reçu une part abondante de la lumière céleste.
Sept pères éminents ont témoigné avoir vu saint Macaire le Grand rayonner de lumière dans l’obscurité de sa cellule. À l’heure de sa mort, les pères assis autour de saint Sisoës ont constaté que son visage resplendissait comme le soleil et que cette lumière allait en augmentant alors qu’il rendait le souffle. La lumière finit par devenir aussi éblouissante que l’éclair et la cellule fut remplie d’une odeur d’encens.
On rapporte encore que Dieu a donné un tel honneur à abba Pambo, qu’il était difficile de le regarder en face à cause du rayonnement qui émanait de lui: il paraissait un roi sur son trône.
Les disciples de saint Arsène, entrant à l’improviste dans la cellule où il se trouvait en prière, ont trouvé son corps lumineux, comme de feu.
On a également vu saint Joseph le Grand en prière, les mains levées : ses doigts semblaient dix langues de feu.
Ces exemples de visages et de corps illuminés – et d’autres encore – ne peuvent se comprendre que comme un prolongement de la Transfiguration du Christ à travers la Pentecôte, par la descente de l’Esprit Saint reposant sur les corps sous forme de langues de feu, pour les préparer à la transfiguration et à la résurrection à venir. La vénération des corps des saints, dans l’Orthodoxie, prolonge la joie communiquée à saint Pierre par la lumière qui rayonnait du Christ et qui lui avait fait dire avec foi, encore que de manière irréfléchie: Rabbi, il est bon pour nous d’être ici 11 .
Le Seigneur transfiguré est présent dans ses saints. Sa lumière et son Esprit Saint brillent dans leurs esprits et dans leurs corps. La sanctification se manifeste parfois, au-delà de l’âme et de l’esprit, dans le corps lui-même. Bien que le corps soit encore en ce monde, il n’est déjà plus de ce monde. Il se nourrit à la fois du pain terrestre et du pain céleste, il est illuminé à la fois par la lumière de ce monde et par la lumière céleste. N’est-ce pas la réponse à l’invitation de l’apôtre: Glorifiez donc Dieu dans votre corps 12 ?
En commémorant aujourd’hui l’assomption du corps de la Vierge, nous glorifions bien le Seigneur qui continue à être glorifié chaque jour dans ses saints : Que le nom de notre Seigneur Jésus soit glorifié en vous et vous en lui 13 .

Extrait de « La Communion d’Amour, Abbaye de Bellefontaine, SO 55 – 1992, 302 p. »
Traduction: Jacques Porthault et Père Wadid, St Macaire

Notes:
1. Dans l’Église copte, la fête de l’Assomption du corps de la Vierge Marie se célèbre le 22 août. Les autres Églises orthodoxes fêtent la Dormition de la Mère de Dieu le 15 août (le 28, selon l’ancien calendrier utilisé par les églises de rite slavon)
2. Cf 2 CO 3,7-18. Cité librement dans ce qui suit.
3. DT 34, 6-7 : « Il l’enterra…. ».
4. Jude 9, citant Za 3,2 qui vise une dispute au sujet du grand prêtre Yehoshua.
5. Le mot kénose transcrit du grec traduit l’abaissement, l’anéantissement volontaire. Voir Ph 2,7 : Il se vida de lui-même.
6. Jn 1,9.
7. Jn 8,12.
8. Rm 8,22.
9. Rm 8,23.
10. Mc 9,3.
11. Mc 9,5.
12.1 Co 6,20.
13. 2 Th 1, 12.

LE DEVENIR DE LA MÈRE DE DIEU – Le « Transitus Mariae

12 août, 2014

http://bible.archeologie.free.fr/merededieu.html

LE DEVENIR DE LA MÈRE DE DIEU – Le « Transitus Mariae »

(beaucoup de belles photos sur le site, voir)

A condition de les utiliser avec prudence, les documents apocryphes sont susceptibles de contenir des informations véridiques complémentaires du canon des Ecritures. Toutefois la crédibilité de ces documents est laissée à l’appréciation de chacun. Ainsi la vie de personnages bibliques tels que la mère de Jésus se trouve enrichie d’épisodes inconnus dans la Bible, qui peuvent être confrontés aux recherches sur le terrain, parfois avec succès.

Marie dans les textes canoniques
Ce que le Nouveau Testament nous apprend de la vie de la Vierge figure essentiellement dans les évangiles de Matthieu et de Luc. Peu d’informations sont fournies pour la période de la mission de son fils à travers la terre sainte. Marie resta probablement à Nazareth jusqu’à la mort de Jésus à Jérusalem. Elle assista effondrée à son supplice et à sa mise au tombeau. Quelques instants avant d’expirer, Jésus crucifié demanda à l’apôtre Jean de la prendre sous son toit.
Après la mort de Jésus, il n’est pratiquement plus question de Marie dans le Nouveau Testament, si ce n’est qu’elle semble avoir été présente auprès des apôtres le jour de la Pentecôte (Act. 1, 11-13). Il est possible que saint Jean l’ait hébergée conformément à la demande du crucifié.
La Bible ne donne aucune information sur les dernières années de sa vie. Mais d’autres sources documentaires existent comme les textes apocryphes, dont quelques-uns parlent de la mort de Marie. Ce type de documents semble faire écho à des lieux de pèlerinage qui sont visités depuis des siècles.
L’un des plus anciens de ces textes est le Transitus Mariae (littéralement « passage de Marie »), un traité du IIème siècle attribué à l’évêque Méliton de Sardes, et qui relate les circonstances du décès de la Vierge. Il rapporte que l’ange Gabriel lui serait apparu une seconde fois pour lui annoncer sa mort prochaine. Marie demanda d’être assistée de la présence les apôtres. Les disciples de Jésus rentrèrent donc de leurs missions respectives, et ce fut en leur présence que la Vierge rendit l’âme. Le corps de Marie fut porté dans une sépulture de la vallée du Cédron ; trois jours plus tard il fut « emporté en Paradis ». Cet événement appelé l’Assomption dans la tradition chrétienne, est l’élévation posthume du corps de Marie vers le Ciel.

La mort de Marie à Jérusalem
Jérusalem compte aujourd’hui deux monuments en rapport avec la mort de Marie : l’abbaye de la Dormition et l’église de l’Assomption.
L’abbaye de la Dormition commémore le lieu traditionnel où la Vierge serait décédée. Bâtie sur le mont Sion au sud du rempart actuel et à proximité du Cénacle, elle fut construite entre 1900 et 1910 par des moines bénédictins allemands. L’imposant monument de style néo-byzantin est conçu sur un plan circulaire, et se remarque extérieurement par sa massive rotonde au toit conique entourée de quatre flèches. L’intérieur se distingue par la splendeur des mosaïques multicolores qui ornent les parois des chapelles latérales. Au sous-sol se trouve une crypte, au centre de laquelle repose un gisant de la mère de Jésus en bois et en ivoire. Nous savons seulement que cette église a été construite à la place de plusieurs sanctuaires successifs qui ont perpétué le souvenir de l’évènement au cours des siècles.
Certaines versions du Transitus Mariae fournissent quelques détails quant au lieu de l’inhumation de Marie. Elles précisent que son tombeau se trouve à Gethsémané, et qu’il s’agit d’une petite chambre taillée dans le rocher ; il possèderait dans sa paroi orientale une banquette sur laquelle le corps fut déposé.
Sur le mont des Oliviers, l’église de l’Assomption est bâtie autour d’une « tombe de la Vierge » qui marque le lieu traditionnel de sa sépulture. On y accède par une cour rectangulaire entourée d’un mur et qui intègre la façade d’une église médiévale. A sa droite, un étroit couloir mène à la grotte de Gethsémané. L’entrée de l’église de l’Assomption s’ouvre sur un large escalier qui descend vers un ensemble de tombes souterraines. Le niveau inférieur est une nécropole du Ier siècle, transformée en église et taillée en forme de croix. C’est dans la branche de droite que se trouve la tombe de Marie. Elle consiste en un petit monument cubique qui occupe le centre de l’espace. Ses deux entrées étroites mènent à un volume réduit, contenant un sarcophage de marbre scellé dans la paroi rocheuse.
En 1972, des pluies torrentielles provoquèrent une inondation qui noya totalement la tombe de Marie. Cette catastrophe fit quelques dégats, mais elle fut aussi l’occasion de faire des fouilles fort instructives. Ce fut l’oeuvre des archéologues franciscains dirigés par le père Bellarmino Bagatti.
L’examen des caveaux de la nécropole montra d’abord qu’elle fut bien en usage à partir du Ier siècle. D’autre part, l’édicule de la tombe de Marie qui était jusque-là entièrement recouvert de plâtre, fut débarrassé de son enduit et montra les murs maçonnés qui le constituaient. A l’intérieur, les fouilleurs soulevèrent le couvercle de marbre de la tombe, et y trouvèrent une banquette sépulcrale fort endommagée. Il est certain que les pélerins des siècles passés l’avaient largement « échantillonnée ». Enfin, l’arrière du choeur de l’église souterraine révéla un étrange couloir ascendant taillé en biseau, dont l’extrémité était obturée. Où ce passage menait-il ? Son examen montra que c’était en fait l’ancienne entrée du cimetière, condamnée au moment de la transformation du site en église. Son style était typique des entrées de tombes de la vallée du Cédron. Ainsi, tous les indices sont a priori compatibles avec la tradition littéraire de la sépulture de Marie.

Marie à Ephèse
La présence à Jérusalem de deux monuments relatifs à la mort de Marie n’empêche pas un tout autre lieu de constituer une alternative pour l’endroit supposé de son décès et de son inhumation. En effet, certains documents rapportent que l’apôtre Jean l’aurait emmenée vivre à Ephèse, et qu’elle y serait réellement décédée. Jean l’aurait hébergée selon le souhait qu’avait exprimé le Christ crucifié.
Le riche patrimoine archéologique d’Ephèse compte effectivement une église de la Vierge Marie, construite au IVème ou au Vème siècle sur les restes d’un temple d’Hadrien. Ce sanctuaire disposé tout en longueur comprend quelques pans de murs où alternent la brique et le calcaire, des alignements de colonnes de marbre, des sols en mosaïques et un intéressant baptistère.
Cette église fut la première au monde à être dédiée à Marie. Elle est devenue plus tard une cathédrale dans les murs de laquelle se déroula un évènement-clef de l’histoire religieuse chrétienne : le concile d’Ephèse (431). Troisième concile oecuménique de l’Eglise, ce rassemblement d’évêques décida en particulier d’accorder à la Vierge le titre de « Mère de Dieu ». En 1930, on découvrit dans le narthex de cette église une plaque inscrite du VIème siècle, par laquelle l’évêque Hypatius confirmait la tenue du concile dans ce sanctuaire.
Mais l’élement le plus spectaculaire se trouve à quelques kilomètres au sud de l’ancienne métropole. Parmi les documents se rapportant à la vie de Marie à Ephèse, figure un recueil de révélations étonnantes faites il y a seulement deux siècles par une religieuse allemande, Anne-Catherine Emmerich (1774-1824). Sans avoir jamais quitté sa Westphalie natale, cette grande mystique dit avoir eu des visions surnaturelles de la maison d’Ephèse dans laquelle la Vierge Marie aurait vécu. Ses révélations contiennent de nombreux détails descriptifs sur cette habitation. Les paroles de la religieuse furent recueillies et publiées au XIXème siècle par l’écrivain allemand Clemens Brentano.
En 1881, l’abbé français Julien Gouyet fit une excursion dans les environs d’Ephèse en cherchant d’éventuelles traces de ce lieu oublié. A son retour il déclara avoir retrouvé la maison de Marie à partir des indications de la voyante allemande. Mais ses affirmations ne furent pas prises au sérieux.
La décennie suivante vit cependant la redécouverte du même site par deux enseignants d’un lycée français religieux implanté à Izmir, à proximité d’Ephèse. En 1891, une religieuse de l’hôpital français d’Izmir entendit pendant un repas la lecture d’un extrait de la « Vie de la Vierge » d’Anne-Catherine, qui décrivait précisément la maison de Marie implantée dans la région d’Ephèse. Interpellée par la quantité de détails concrets qu’il contenait, elle suggéra à deux pères lazaristes, Eugène Poulin et Henri Jung, d’aller vérifier ces révélations sur le terrain.
Les deux prêtres se montrèrent fort sceptiques, mais acceptèrent néanmoins de se rendre sur place, persuadés de ne rien trouver. Une petite expédition se mit en route en suivant les indications du livre d’Anne-catherine, qui les conduisit à faire l’ascension du mont Bülbül-Dag, au sud d’Ephèse. Parvenus sur un plateau difficilement accessible, les explorateurs aperçurent un rocher en à-pic et les ruines d’un château, éléments conformes à la description donnée. Dans un bosquet d’arbres et tout près d’une source, ils trouvèrent les pans de murs délabrés d’une petite chapelle désaffectée. En comparant les détails de l’édifice au contenu du texte d’Anne-Catherine, il s’aperçurent que sa forme et ses dimensions coïncidaient avec une exactitude qui les stupéfia. Ils furent dès lors convaincus d’avoir retrouvé la maison de Marie.
L’édifice était composé de deux pièces successives, terminées par une abside en demi-cercle et deux pièces latérales. D’après Anne-Catherine, l’habitation avait été transformée en chapelle après sa mort. Les deux premières pièces étaient séparées par une cheminée centrale. L’abside abritait l’oratoire de Marie, la pièce de droite était sa chambre à coucher et celle de gauche un cellier. Dans la chambre, la couchette était appuyée contre le mur le long duquel une saillie horizontale avait servi de support.
La concordance constatée entre le texte et le terrain incita les pères à organiser d’autres expéditions sur place, qui confirmèrent les observations faites et suscitèrent la réalisation de véritables fouilles. Dans les années 1898-99, des sondages furent réalisés dans le sous-sol de l’édifice. On retrouva un ancien dallage, puis des restes calcinés d’un ancien foyer, et au fond le chevet d’origine polygonal de l’oratoire. Chaque résultat obtenu correspondait en tout point à ce qui était annoncé dans le document. Une enquête menée auprès de la population locale révéla qu’une vieille tradition associait ce lieu à la maison de Marie.
L’authenticité du site fut officiellement reconnue, d’abord en 1899 par l’archevêque d’Izmir, puis en 1967 par le pape Paul VI. Dès lors les visites et les pélerinages affluèrent. La maison fut reconstruite à partir de ses ruines, et le lieu fut appelé en turc Meryem Ana Evi (maison de la mère Marie), ou encore Panaya Kapulu (porte de la toute-sainte).
Les révélations d’Anne-Catherine Emmerich ne se limitent pas à une description statique du site. Elles relatent également des épisodes de la vie quotidienne de Marie alors qu’elle séjournait dans sa demeure. Elles décrivent le traumatisme psychologique dû au souvenir de la terrible mort de son fils, dont elle ne se remit jamais. Elles indiquent que la Vierge aménagea un chemin de croix à l’extérieur, toujours marqué aujourd’hui. Elles relatent comment elle décéda et fut inhumée par les apôtres, dans une tombe rupestre qu’ils trouvèrent vide trois jours plus tard.
Bien que la religieuse allemande fasse état d’une sépulture de Marie à Ephèse, une telle tombe n’a pas encore été retrouvée. Mais la voyante explique également pourquoi il existe aussi un tombeau de Marie à Jérusalem. Selon elle, Marie s’étant rendue âgée et malade dans la ville sainte, aurait choisi un tombeau pour elle-même sur le mont des Oliviers. Elle aurait pourtant pu regagner Ephèse où elle serait décédée, laissant inutilisée la sépulture réservée à Jérusalem.

Références :
[1] – « L’Assomption racontée », 26 nov. 2009 (prophetesetmystiques.blogspot.com).
[2] – « La maison de Marie à Ephèse » (ac-emmerich.fr).
[3] – A. P. Timoni (Mgr) : « Panaghia-Capouli, ou maison de la Sainte Vierge près d’Ephèse ». Librairie religieuse H. Oudin, Paris, Poitiers 1896 (livres-mystiques.com).

 

05/08 – DÉDICACE DE STE MARIE AUX NEIGES

5 août, 2014

http://www.introibo.fr/05-08-Dedicace-de-Ste-Marie-aux#somm

05/08 – DÉDICACE DE STE MARIE AUX NEIGES

Dom Guéranger, l’Année Liturgique

Rome, que Pierre, au premier de ce mois, a délivrée de la servitude, offre un spectacle admirable au monde. Sagesse, qui depuis la glorieuse Pentecôte avez parcouru la terre, en quel lieu fut-il vrai à ce point de chanter que vous avez foulé de vos pieds victorieux les hauteurs superbes [1] ? Rome idolâtre avait sur sept collines étalé son faste et bâti les temples de ses faux dieux ; sept églises apparaissent comme les points culminants sur lesquels Rome purifiée appuie sa base désormais véritablement éternelle.
Or cependant, par leur site même, les basiliques de Pierre et de Paul, celles de Laurent et de Sébastien, placées aux quatre angles extérieurs de la cité des Césars, rappellent le long siège poursuivi trois siècles autour de l’ancienne Rome et durant lequel la nouvelle fut fondée. Hélène et son fils Constantin, reprenant le travail des fondations de la Ville sainte, en ont conduit plus avant les tranchées ; toutefois l’église de Sainte-Croix-en-Jérusalem, celle du Sauveur au Latran, qui furent leur œuvre plus spéciale, n’en restent pas moins encore au seuil de la ville forte du paganisme, près de ses portes et s’appuyant aux remparts : tel le soldat qui, prenant pied dans une forteresse redoutable, investie longtemps, n’avance qu’à pas comptés , surveillant et la brèche qui vient de lui donner passage, et le dédale des voies inconnues qui s’ouvrent devant lui.
Qui plantera le drapeau de Sion au centre de Babylone ? Qui forcera l’ennemi dans ses dernières retraites, et chassant les idoles vaincues, fera son palais de leurs temples ? O vous à qui fut dite la parole du Très-Haut : Vous êtes mon Fils, je vous donnerai les nations en héritage [2] ; ô très puissant, aux flèches aiguës renversant les phalanges [3], écoutez l’appel que tous les échos de la terre rachetée vous renvoient eux-mêmes : Dans votre beauté, marchez au triomphe, et régnez [4]. Mais le Fils du Très-Haut a aussi une mère ici-bas ; le chant du Psalmiste, en l’appelant au triomphe, exalte aussi la reine qui se tient à sa droite en son vêtement d’or [5] : si de son Père il tient toute puissance [6], de son unique mère il entend recevoir sa couronne [7], et lui laisse en retour les dépouilles des forts [8]. Filles de la nouvelle Sion, sortez donc, et voyez le roi Salomon sous le diadème dont l’a couronné sa mère au jour joyeux où, prenant par elle possession de la capitale du monde, il épousa la gentilité [9].
Jour, en effet, plein d’allégresse que celui où Marie pour Jésus revendiqua son droit de souveraine et d’héritière du sol romain ! A l’orient, au plus haut sommet de la Ville éternelle, elle apparut littéralement en ce matin béni comme l’aurore qui se lève, belle comme la lune illuminant les nuits, plus puissante que le soleil d’août surpris de la voir à la fois tempérer ses ardeurs et doubler l’éclat de ses feux par son manteau de neige, terrible aussi plus qu’une armée [10] ; car, à dater de ce jour, osant ce que n’avaient tenté apôtres ni martyrs, ce dont Jésus même n’avait point voulu sans elle prendre pour lui l’honneur, elle dépossède de leurs trônes usurpés les divinités de l’Olympe. Comme il convenait, l’altière Junon, dont l’autel déshonorait l’Esquilin, la fausse reine de ces dieux du mensonge fuit la première à l’aspect de Marie, cédant les splendides colonnes de son sanctuaire souillé à la seule vraie impératrice de la terre et des deux.
Quarante années avaient passé depuis ces temps de Silvestre où « l’image du Sauveur, tracée sur les murs du Latran, apparut pour la première fois, dit l’Église, au peuple romain » [11]. Rome, encore à demi païenne, voit aujourd’hui se manifester la Mère du Sauveur ; sous la vertu du très pur symbole qui frappe au dehors ses yeux surpris, elle sent s’apaiser les ardeurs funestes qui firent d’elle le fléau des nations dont maintenant elle aussi doit être la mère, et c’est dans l’émotion d’une jeunesse renouvelée qu’elle voit les souillures d’autrefois céder la place sur ses collines au blanc vêtement qui révèle l’Épouse [12].
Déjà, et dès les temps de la prédication apostolique, les élus que le Seigneur, malgré sa résistance homicide, recueillait nombreux dans son sein, connaissaient Marie, et lui rendaient à cet âge du martyre des hommages qu’aucune autre créature ne reçut jamais : témoin, aux catacombes, ces fresques primitives où Notre-Dame, soit seule, soit portant l’Enfant-Dieu, toujours assise, reçoit de son siège d’honneur, la louange, les messages, la prière ou lès dons des prophètes, des archanges et des rois [13]. Déjà dans la région transtibérine, au lieu où sous Auguste avait jailli l’huile mystérieuse annonçant la venue de l’oint du Seigneur, Calliste élevait vers l’an 222 une église à celle qui demeure à jamais le véritable fons olei, la source d’où sort le Christ et s’écoule avec lui toute onction et toute grâce. La basilique que Libère, aimé de Notre-Dame, eut la gloire d’élever sur l’Esquilin, ne fut donc pas le plus ancien monument dédié par les chrétiens de Rome à la Mère de Dieu ; la primauté qu’elle prit dès l’abord, et conserva entre les églises de la Ville et du monde consacrées à Marie, lui fut acquise par les circonstances aussi solennelles que prodigieuses de ses origines.
Es-tu entré dans les trésors de la neige, dans mes réserves contre l’ennemi pour le jour du combat ? disait à Job le Seigneur [14]. Au cinq août donc, pour continuer d’emprunter leur langage aux Écritures [15], à l’ordre d’en haut, les trésors s’ouvrirent, et la neige s envolant comme l’oiseau précipita son arrivée, et sa venue fut le signal soudain des jugements du ciel contre les dieux des nations. La tour de David [16] domine maintenant les tours de la cité terrestre ; inexpugnable en la position qu’elle a conquise, elle n’arrêtera qu’avec la prise du dernier fort ennemi ses sorties victorieuses. Qu’ils seront beaux vos pas dans ces expéditions guerrières, ô fille du prince [17], ô reine dont l’étendard, par la volonté de votre Fils adoré, doit flotter sur toute terre enlevée à la puissance du serpent maudit ! L’ignominieuse déesse qu’un seul de vos regards a renversée de son piédestal impur, laisse Rome encore déshonorée par la présence de trop de vains simulacres. O notre blanche triomphatrice, aux acclamations des nations délivrées, prenez la voie fameuse qu’ont suivie tant de triomphateurs aux mains rougies du sang des peuples ; traînant à votre char les démons démasqués enfin, montez à la citadelle du polythéisme, et que la douce église de Sainte-Marie in Ara cœli remplace au Capitole le temple odieux de Jupiter. Vesta, Minerve, Cérès, Proserpine, voient leurs sanctuaires et leurs bois sacrés prendre à l’envi le titre et les livrées de la libératrice dont leur fabuleuse histoire offrit au monde d’informes traits, mêlés à trop de souillures. Le Panthéon, devenu désert, aspire au jour où toute noblesse et toute magnificence seront pour lui dépassées par le nom nouveau qui lui sera donné de Sainte-Marie-des-Martyrs. Au triomphe de votre Assomption dans les cieux, quel préambule, ô notre souveraine, que ce triomphe sur terre dont le présent jour ouvre pour vous la marche glorieuse !
La basilique de Sainte-Marie-des-Neiges, appelée aussi de Libère son fondateur, ou de Sixte troisième du nom qui la restaura, dut à ce dernier de devenir le monument de la divine maternité proclamée à Éphèse ; le nom de Sainte-Marie-Mère, qu’elle reçut à cette occasion, fut complété sous Théodore Ier [18], qui l’enrichit de sa relique la plus insigne, par celui de Sainte-Marie de la Crèche : nobles appellations que résume toutes celle de Sainte-Marie Majeure, amplement justifiée par les faits que nous avons rapportés, la dévotion universelle, et la prééminence effective que lui maintinrent toujours les Pontifes romains. La dernière dans l’ordre du temps parmi les sept églises sur lesquelles Rome chrétienne est fondée, elle ne cédait le pas au moyen âge qu’à celle du Sauveur ; dans la procession de la grande Litanie au 25 avril, les anciens Ordres romains assignent à la Croix de Sainte-Marie sa place entre la Croix de Saint-Pierre au-dessous d’elle et celle de Latran qui la suit [19]. Les importantes et nombreuses Stations liturgiques indiquées à la basilique de l’Esquilin, témoignent assez de la piété romaine et catholique à son endroit. Elle eut l’honneur de voir célébrer des conciles en ses murs et élire les vicaires de Jésus-Christ ; durant un temps ceux-ci l’habitèrent, et c’était la coutume qu’aux mercredis des Quatre-Temps, où la Station reste toujours fixée dans son enceinte, ils y publiassent les noms des Cardinaux Diacres ou Prêtres qu’ils avaient résolu de créer [20].
Quant à la solennité anniversaire de sa Dédicace, objet de la fête présente, on ne peut douter qu’elle n’ait été célébrée de bonne heure sur l’Esquilin. Elle n’était pas encore universelle en l’Église, au XIIIe siècle ; Grégoire IX en effet, dans la bulle de canonisation de saint Dominique qui était passé le six août de la terre au ciel, anticipe sa fête au cinq de ce mois comme étant libre encore, à la différence du six occupé déjà, comme nous le verrons demain, par un autre objet. Ce fut seulement Paul IV qui, en 1558, fixa définitivement au quatre août la fête du fondateur des Frères Prêcheurs ; or la raison qu’il en donne est que la fête de Sainte-Marie-des-Neiges, s’étant depuis généralisée et prenant le pas sur la première, aurait pu nuire dans la religion des fidèles à l’honneur dû au saint patriarche, si la fête de celui-ci continuait d’être assignée au même jour [21]. Le bréviaire de saint Pie V promulguait peu après pour le monde entier l’Office.
Quels souvenirs, ô Marie, ravive en nous cette fête de votre basilique Majeure ! Et quelle plus digne louange, quelle meilleure prière pourrions-nous vous offrir aujourd’hui que de rappeler, en vous suppliant de les renouveler et de les confirmer à jamais, les grâces reçues par nous dans son enceinte bénie ? N’est-ce pas à son ombre, qu’unis à notre mère l’Église en dépit des distances, nous avons goûté les plus douces et les plus triomphantes émotions du Cycle inclinant maintenant vers son terme ?
C’est là qu’au premier dimanche de l’Avent a commencé l’année, comme dans « le lieu le plus convenable pour saluer l’approche du divin Enfantement qui devait réjouir le ciel et la terre, et montrer le sublime prodige de la fécondité d’une Vierge » [22]. Débordantes de désir étaient nos âmes en la Vigile sainte qui, dès le matin, nous conviait dans la radieuse basilique « où la Rose mystique allait s’épanouir enfin et répandre son divin parfum. Reine de toutes les nombreuses églises que la dévotion romaine a dédiées à la Mère de Dieu, elle s’élevait devant nous resplendissante de marbre et d’or, mais surtout heureuse de posséder en son sein, avec le portrait de la Vierge Mère peint par saint Luc, l’humble et glorieuse Crèche que les impénétrables décrets du Seigneur ont enlevée à Bethléhem pour la confier à sa garde. Durant la nuit fortunée, un peuple immense se pressait dans ses murs, attendant l’heureux instant où ce touchant monument de l’amour et des abaissements d’un Dieu apparaîtrait porté sur les épaules des ministres sacrés, comme une arche de nouvelle alliance, dont la vue rassure le pécheur et fait palpiter le cœur du juste » [23].

Hélas ! quelques mois écoulés à peine nous retrouvaient dans le noble sanctuaire, « compatissant cette fois aux douleurs de notre Mère dans l’attente du sacrifice qui se préparait » [24]. Mais bientôt, quelles allégresses nouvelles dans l’auguste basilique ! « Rome faisait hommage delà solennité pascale à celle qui, plus que toute créature, eut droit d’en ressentir les joies, et pour les angoisses que son cœur maternel avait endurées, et pour sa fidélité à conserver la foi de la résurrection durant les cruelles heures que son divin Fils dut passer dans l’humiliation du tombeau » [25]. Éclatant comme la neige qui vint du ciel marquer le lieu de votre prédilection sur terre, ô Marie, un blanc troupeau de nouveau-nés sortis des eaux formait votre cour gracieuse et rehaussait le triomphe de ce grand jour. Faites qu’en eux comme en nous tous, ô Mère, les affections soient toujours pures comme le marbre blanc des colonnes de votre église aimée, la charité resplendissante comme l’or qui brille à ses lambris, les œuvres lumineuses comme le cierge de la Pâque, symbole du Christ vainqueur de la mort et vous faisant hommage de ses premiers feux.

 

5 AOÛT : DÉDICACE DE SAINTE MARIE-MAJEURE

5 août, 2014

http://missel.free.fr/Sanctoral/08/05.php

5 AOÛT : DÉDICACE DE SAINTE MARIE-MAJEURE

Depuis sa fondation, « Santa Maria Maggiore » est la principale basilique de Rome et de toute la Chrétienté consacrée au culte de la Vierge Marie. Si l’image de la Vierge qu’on y vénère et que la légende attribue au saint évangéliste Luc, est dite « Salus Populi Romani » (Salut du Peuple Romain), le pape Eugène III (1145-1153), dans une inscription qu’il fit mettre au-dessus du portail de l’église, invoquait Marie « comme via, vita, salus, totius gloria mundi » (voie, vie, salut, gloire du monde entier).
Une très belle légende médiévale raconte que le saint pape Libère (352-366) construisit une église au sommet de l’Esquilin, sur le lieu où la neige était tombée, dans la nuit du 4 au 5 Août, pour indiquer au patricien Giovanni, à son épouse et au Pontife lui-même l’emplacement sur lequel devait s’élever une basilique dédiée à la Vierge. La basilique actuelle fut, en réalité, construite au cinquième siècle par le pape Sixte III (432-440), au lendemain de la définition dogmatique de la maternité divine de Marie par le concile d’Ephèse (431) contre l’hérésie nestorienne qui admettait qu’on appelât Marie « Mère du Christ-homme », mais non pas « Mère de Dieu. »
Les pèlerins peuvent encore admirer les magnifiques mosaïques commandées par Sixte III pour illustrer la très haute dignité de Marie Mère de Dieu : celles qui se trouvent de chaque côté de la nef centrale, au-dessus des colonnes, représentent des scènes de l’Ancien Testament, tandis que celles de l’arc triomphal montrent certains épisodes de l’Enfance du Christ, représenté comme Dieu aux côtés de sa Mère ; au centre, on voit l’inscription apposée par Sixte III : « Xystus episcopus plebi Dei » (Sixte, évêque, au peuple de Dieu). Dès cette époque, l’église fut appelée basilique de Santa Maria et aussi dite, à partir du sixième siècle, ad Præsepe (de la Crèche), puis ad Nives (des Neiges) ou Liberiana, à partir du douzième siècle où l’on commença de l’intituler Santa Maria Maggiore, pour indiquer qu’il s’agit de la plus vénérable et de la plus précieuse des églises consacrées à la Sainte Vierge.
La structure intérieure de la basilique, à trois nefs séparées par une élégante colonnade, n’a pratiquement pas subi de changements au cours des temps, encore que le pape Nicolas IV (1288-1292), pour agrandir le presbyterium, fit démolir l’abside que Sixte III avait adossée à l’arc triomphal, et en fit construire une autre, sept mètres plus loin, dont la décoration fut confiée à Giacomo Torriti qui réalisa la merveilleuse mosaïque représentant, au centre, le Couronnement de la Vierge et, dans la partie inférieure, la scène de la Dormition. Après la mort de Nicolas IV, les cardinaux Giacomo et Pietro Colonna commandèrent la décoration de la façade extérieure à Filippo Rusuti qui, en mosaïque, représenta les principaux épisodes de la légende de la neige.
Au quinzième siècle, le cardinal Guillaume d’Estouteville (1412-1483), archevêque de Rouen, fit couvrir d’une voûte les deux nefs latérales ; un peu plus tard, le pape Alexandre VI Borgia (1492-1503) fit réaliser, au-dessus de la nef centrale, par Antonio da Sangallo le Vieux, un splendide plafond à caissons qui fut doré avec le premier or venu d’Amérique, offert au Pape par les monarques espagnols. Sixte Quint (1585-1590) fait aménager devant la basilique une place en étoile et commande à Domenico Fontana (1543-1607) l’aménagement de l’oratoire de la Crèche, placé sous l’autel majeur où le pape célèbre ordinairement la première messe de Noël : le reliquaire des bois de la Crèche sera offert par le roi Philippe III d’Espagne et la reine Marguerite. A la fin du seizième siècle, le cardinal Domenico Pinelli (1587-1611), archiprêtre de la basilique, commanda, pour les espaces qui sont entre les fenêtres de la nef centrale, les fresques des scènes de la vie de la Vierge. Sous le pontificat de Benoît XIV (1740-1758), l’architecte Ferdinando Fuga, chargé de restaurer toute l’église, donna son emplacement définitif au maître-autel dont il édifia le baldaquin.
A l’intérieur de la basilique, de nombreuses chapelles s’ouvrent le long des deux nefs latérales, sans altèrer l’harmonie de l’édifice. Sur la droite, Sixte V (1585-1590) fit construire une chapelle grandiose (la Sixtine) où il fit transporter par Domenico Fontana la chapelle médiévale de la Crèche ; il y fit mettre son tombeau et celui de Pie V.
En face, à gauche, Paul V Borghèse (1605-1621), fit édifier une chapelle très richement décorée (la Pauline) pour recevoir l’image de la Vierge dite Salus Populi Romani ; il y fit mettre son tombeau et celui de Clément VIII Aldobrandini. C’est aussi à Paul V, que l’on doit l’agrandissement du baptistère et de la sacristie, au-dessus desquels l’architecte Flaminio Ponzio construisit des logements pour les chanoines.
La façade extérieure de l’abside, ½uvre de Carlo Rainaldi, qui recouvre celle de Nicolas IV, fut réalisée sous le pontificat de Clément X Altieri (1670-1676). La façade principale fut créée par Ferdinando Fuga sur ordre de Benoît XIV Lambertini. Un nouveau portail remplaça celui d’Eugène III, précédemment restauré par Grégoire XIII Boncompagni (1572-1585). Dans la loge supérieure on conserva les mosaïques de F. Rusuti (XIII-XIVe siècle) qui, autrefois, ornaient l’extérieur de la façade. C’est à Ferdinando Fuga qu’on doit l’aménagement du périmètre extérieur de la basilique et la construction, à gauche du portail, d’une deuxième série de logements canoniaux, symmétrique à celle de Flaminio Ponzio. Le tout forme une sorte d’écrin précieux qui renferme le joyau qu’est la basilique paléochrétienne de Sixte III, scintillante mais sobre, conçu comme un appel, permanent et sensible, à la prière.
La Vierge Salus Populi Romani, vénérée sur le maître-autel de la Chapelle Pauline qui est, selon la légende, attribuée à saint Luc, est assurément un tableau très ancien dont il est impossible de préciser la datation. Selon une tradition séculaire, le saint pape Grégoire le Grand aurait, en 590, ordonné une procession de l’effigie sacrée jusqu’à la basilique Saint-Pierre pour implorer la fin de l’épidémie de peste qui sévissait alors dans la ville. Dieu entendit cette supplique et le fit savoir par un signe : l’archange saint Michel, rengainant une épée ensanglantée, apparut au sommet du mausolée d’Hadrien, tandis que les ch½urs angéliques chantaient le Regina Cæli ; depuis, le mausolée est appelé le Château Saint-Ange. L’image sacrée fut honorée dans un des deux ciboriums érigés dans la nef centrale, près de l’autel papal, jusqu’à ce qu’elle fût transférée solennellement (27 janvier 1613) dans la chapelle construite par le pape Paul V Borghese. Dès le Moyen-Age, les Papes et les fidèles eurent une dévotion toute spéciale pour cette image que, souvent, à l’occasion de grandes calamités ou d’importantes fêtes mariales, on portait en procession à travers les rues de la ville, comme cela se fit encore assez récemment. C’est devant cette précieuse images que Pie V fit faire les actions de grâces après la bataille de Lépante (1571), ce qu’ordonna aussi Innocent XI Odescalchi (1676-1689) après la délivrance de Vienne (1683) et Clément XI Albani (1700-1721) après la victoire de Peterwardein (1716). C’est devant elle encore que, le 6 juin 1987, Jean-Paul II inaugura avec la récitation du Rosaire, retransmise dans le monde entier, l’Année Mariale extraordinaire, en préparation du troisième millénaire de la naissance de Notre Sauveur.

Prière
Nous vous saluons, Marie, Mère de Dieu, trésor sacré de tout l’univers, astre sans déclin, couronne de la virginité, sceptre de la foi orthodoxe temple indestructible, demeure de l’incommensurable, Mère et Vierge, cause de qui est appelé béni, dans les saints évangiles, celui qui vient au nom du Seigneur.
Nous vous saluons, vous qui avez contenu dans votre sein virginal celui que les cieux ne peuvent contenir ; vous par qui la Trinité est glorifiée et adorée sur toute la terre ; par qui le ciel exulte ; par qui les anges et les archanges sont dans la joie ; par qui les démons sont mis en déroute ; par qui le tentateur est tombé du ciel ; par qui la créature déchue est élevée au ciel ; par qui le monde entier captif de l’idolâtrie est parvenu à la connaissance de la vérité ; par qui le saint baptême est accordé à ceux qui croient, avec l’huile d’allégresse ; par qui, sur toute la terre,les Eglises ont été fondées ; par qui les nations païennes sont amenées à la conversion.
Et que dirai-je encore ? C’est par vous que la lumière du Fils unique de Dieu a brillé pour ceux qui demeuraient dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort ; c’est par vous que les prophètes ont annoncé l’avenir, que les Apôtres proclament le salut aux nations, que les morts ressuscitent, et que règnent les rois, au nom de la sainte Trinité.
Y-a-t-il un seul homme qui puisse célébrer dignement les louanges de Marie ? Elle est mère et vierge à la fois. Quelle merveille ! Merveille qui m’accable ! Qui a jamais entendu dire que le constructeur serait empêché d’habiter le temple qu’il a lui-même édifié ? Osera-t-on critiquer celui qui donne à sa servante le titre de mère ?
Voici donc que le monde entier est dans la joie. Qu’il nous soit donné de vénérer et d’adorer l’unité, de vénérer et d’honorer l’indivisible Trinité en chantant les louanges de Marie toujours Vierge, c’est-à-dire de la sainte Église, et celles de son Fils et de son Epoux immaculé : car c’est à lui qu’appartiennent la gloire pour les siècles des siècles. Amen.

LA VIERGE MARIE DANS NOTRE VIE (LE CARMEL)

15 juillet, 2014

http://www.ocd.pcn.net/mad_fr.htm

(Ce que je propose, se poursuit avec avec une deuxième partie: Orientations et Suggestions)

LA VIERGE MARIE DANS NOTRE VIE

Spiritualité mariale du Carmel

INTRODUCTION

L’une des notes caractéristiques de la spiritualité du Carmel est la présence de la Vierge Marie dans notre vie, la communion avec sa personne, l’imitation de ses vertus, le culte de spéciale vénération qui lui est rendu. Le Carmel, selon une expression médiévale, est « entièrement à Marie ».
Il ne s’agit donc pas d’une note secondaire du charisme, mais de l’une des expressions les plus intimes et les plus chères de notre tradition.
Le Chapitre 3 de la Première Partie des Constitutions se présente comme une nouveauté importante dans la législation des Carmélites Déchaussées. Pour la première fois, un thème de fondement spirituel aussi important que l’esprit marial de l’Ordre reçoit une place de choix et donne forme, par de brèves touches synthétiques, au sens global de la consécration religieuse et de la vie contemplative des Carmélites Déchaussées. IL ne fait aucun doute que la conscience de l’esprit marial de l’Ordre a toujours été vive dans le Carmel. Mais la richesse doctrinale du Concile Vatican II quant à la place de Marie dans le mystère du Christ et de l’Eglise, ainsi que les orientations de quelques documents post-conciliaires, spécialement l’Exhortation de Paul VI Marialis Cultus, aient offert aux textes législatifs la possibilité d’un traitement adéquat de l’un des points de base de notre spiritualité.
Ce Chapitre 3, bien que bref, nous propose une excellente synthèse d’histoire et de spiritualité mariales, traçant le modèle d’une consécration religieuse qui doit être, selon la plus pure tradition du Carmel, une imitation de Marie. Méditant la Parole de Dieu, il indique le point de convergence entre la spiritualité carmélitaine et l’imitation de Marie qui « méditait toutes ces choses dans son coeur » (cf Lc 2,19.51). Ce texte, selon une tradition ininterrompue d’amour et de vénération envers Notre-Dame, concentre cette consécration spéciale au service et au culte de la Vierge qui caractérise le Carmel, dans la célébration liturgique et la dévotion personnelle et communautaire.
Le début du n° 53 des Constitutions résume bien les motifs et les aspects de cette vie mariale:
« Appelées à faire partie de l’Ordre de la bienheureuse Vierge Marie du Mont-Carmel, les carmélites déchaussées appartiennent à une famille consacrée particulièrement à l’amour et au culte de la sainte Mère de Dieu, entendre à la perfection évangélique en communion avec elle ».
Nous pouvons en tirer les phrases clés qui seront développées tout an long de ce commentaire.
« L’Ordre de la Bienheureuse Vierge Marie du Mont-Carmel »: dans ce titre est explicitement affirmé le sens plein de notre identité comme Ordre lié à Marie. « Le Carmel est totalement marial » (Léon XIII), comme le reconnaît 1′Église.
La présence de la Vierge dans nos communautés accroît notre « esprit de famille » par la constante et commune référence à la Vierge, présence maternelle au milieu de ses enfants; le don de nous-mêmes à son amour et à son culte, en vertu d’une consécration toute spéciale, détermine l’intensité du culte marial, à l’intérieur de la plus pure tradition liturgique et spirituelle de l’Eglise, particulièrement bien remise en évidence par les orientations du dernier Concile.
La consécration religieuse et la vie chrétienne vécues dans le Carmel ont pour but, selon la spiritualité de l’Ordre, la perfection de la charité, de l’amour de Dieu et du prochain; la marche vers la sainteté qui caractérise notre vie a, en Marie, non seulement le modèle le plus élevé mais aussi la compagnie la plus efficace; notre vie carmélitaine possède en l’amour de la Vierge son exemple le plus signifiant; en outre, la doctrine et l’expérience de nos Saints montrent que Marie est la Mère gui accompagne notre cheminement dans la vie spirituelle pour que, avec son aide, nous parvenions « au sommet du Mont de la perfection qui est le Christ ».
L’empreinte mariale, si présente à notre histoire et à notre spiritualité, doit se manifester par une vie qui reflète à travers ses enfants la présence vivante de la Mère. Cette dernière imprime à nos communautés un caractère de profondeur spirituelle, de simplicité personnelle et communautaire, d’harmonie et de charité, du fait que nous désirons imiter les attitudes les plus caractéristiques de la vie de la Vierge, que Paul VI a résumées dans une belle page de Marialis Cultus n° 57.
Parmi les caractéristiques de la Carmélite Déchaussée, il est mentionné l’esprit d’oraison et de contemplation. En Marie, ces caractéristiques sont des attitudes permanentes: méditation de 1′Écriture, mémoire des merveilles de Dieu dans son histoire personnelle et dans celle de son peuple, communion attentive aux mystères de son Fils. Telle est bien aussi une constante du Carmel thérésien: s’identifier le plus parfaitement possible aux sentiments et à l’oeuvre du Christ et de son Esprit. En d’autres termes, la dimension ecclésiale de notre vocation contemplative trouve en Marie son degré le plus élevé, qu’il s’agisse de sa consécration totale à sa mission maternelle envers l’Église (sur terre et maintenant au ciel) ou du caractère caché et fécond du service de l’oraison et de la communion avec le Christ pour l’Église: fervente intercession pour le salut de tous les hommes et invocation constante de l’envoi de l’Esprit-Saint en une continuelle Pentecôte.
L’abnégation évangélique elle-même doit avoir un caractère marial: en sa qualité de première disciple du Seigneur, elle est le modèle de l’abnégation évangélique: Elle exercice en effet les attitudes du disciple si soulignées par la spiritualité mariale des Saints du Carmel: l’humilité, l’obéissance à la volonté du Père, la pauvreté, l’oubli de soi, le service désintéressé, la communion aux souffrances du Christ pour son Corps qui est l’Église. L’abnégation évangélique de Marie, Immaculée et Sainte, est centrée sur l’essentiel, intérieure; de même pour nous, sans nous détourner de l’essentiel, nous devons nous mortifier volontairement, choisir l’austérité, opter pour le refus de tout ce qui pourrait obscurcir le sens totalement marial d’une vie qui tend à la pureté du coeur.
Par ces quelques traits doctrinaux, énoncés par les Constitutions et présents dans la féconde tradition spirituelle de l’Ordre, c’est tout le sens de notre vocation carmélitaine qui est globalement présenté. Nous y retrouvons cette note mariale qui est demeurée inchangée dans l’histoire de notre famille religieuse et qui est même allée en s’enrichissant, spécialement à travers la vie des témoins les plus éminents de notre vocation.

I. – LA SPIRITUALITÉ MARIALE DE L’ORDRE
Le n° 54 des Constitutions présente, en son texte et en ses notes, une synthèse de la spiritualité mariale de l’Ordre, dans ses origines que dans l’expérience de sainte Thérèse et de saint Jean de la Croix. Un texte législatif, sobre et dense, ne pouvait tracer d’une autre manière les lignes maîtresses d’une histoire.
1. Aux origines de notre dévotion mariale
Trois mots résument les traits les plus sûrs qui ont marqué notre spiritualité mariale aux origines: le lieu du Mont-Carmel, le nom marial de l’Ordre, la mention explicite de la consécration de l’Ordre au service de la Vierge.
a. Le lieu : une chapelle en l’honneur de la Vierge Marie sur le Mont Carmel
Un pèlerin anonyme des débuts du XIII siècle nous donne dans un document sur les pèlerinages en Terre Sainte le premier témoignage historique marial concernant l’Ordre en parlant d’ »une belle petite église de Notre-Dame » (que les ermites latins, appelés « frères du Carmel »), avaient dans le Wadi ‘ain es-Siah; une autre rédaction du même manuscrit parle d’une « église de Notre-Dame ».
Par la suite, le titre de la Vierge sera donné à tout le monastère lorsque la chapelle sera agrandie notablement, comme il apparaît dans divers documents anciens (cf Bullarium Carmelitanum, I, pp. 4 et 28). Ce fait primordial de la chapelle du Mont Carmel dédiée à la Mère de Dieu est significatif, car c’est de là que la plus ancienne dévotion des Carmes envers la Vierge tire son origine. Une petite chapelle érigée en son honneur, et probablement ornée de son image, indique que les ermites du Mont Carmel voulaient vivre entièrement à la suite du Christ sous le regard d’amour de la Vierge Mère; c’est elle qui préside à la naissance d’une nouvelle expérience ecclésiale. De là le fait qu’on la reconnaît comme Patronne, selon les paroles du Général Pierre de Millaud au roi d’Angleterre Edouard I à propos de la Vierge Marie (« à la louange et à la gloire de laquelle l’Ordre lui-même a été fondé spécialement »: cf ibidem, 606-607). Affirmation que la tradition postérieure confirmera constamment.
b. Le nom : « Frères de la Bienheureuse Vierge Marie du Mont Carmel »
. Tel est le titre de l’Ordre tel qu’il apparaît dans quelques documents pontificaux, comme la Bulle d’Innocent IV Ex parte dilectorum » I-1252 : « De la part des fils aimés, les ermites frères de l’Ordre de Sainte Marie du Mont Carmel »… (Analecta Ordinis Carmelitarum 2 (1911-1912) p.128). Dans un document postérieur (20-2-1233), Urbain IV, dans la Bulle Quoniam, ut ait, fait référence au « Prieur Provincial de l’Ordre de la Bienheureuse Marie du Mont Carmel en Terre Sainte » et ajoute que « sur le Mont Carmel se trouve le lieu de l’origine de cet Ordre où va s’édifier un nouveau monastère en l’honneur de Dieu et de la glorieuse Vierge sa Patronne » (Bullarium Carmelitanum I, p.88).
Ce nom, qui est signe de familiarité et d’intimité avec la Vierge, a été reconnu par l’Église et sera par la suite source de spiritualité pour les auteurs carmélitains postérieurs, qui parleront de « patronage de la Vierge » et de sa qualité de « Soeur » des Carmes.
c. La consécration à la Vierge
Le Carmel professe sa totale consécration à la Vierge Marie dans son engagement total au service de Jésus-Christ comme Seigneur de la Terre Sainte, selon le sens de « suite » et de service que présente la Règle dans son contexte historique et géographique. C’est ce que manifeste un texte législatif ancien du Chapitre de Montpellier tenu en 1287: « Nous implorons l’intercession de la glorieuse Vierge Marie, Mère de Dieu, à la suite et en l’honneur de laquelle a été fondée notre religion du Mont-Carmel » (cf Acta del Capitolo Generale de Montpellier, Acta cap.gen., Ed. Wessels-Zimmermann, Roma, 1912, p. 7). Cette consécration spéciale, qui est liée au souvenir de la « suite du Christ », aura une conséquence logique dans la formule de la profession qui inclura la mention explicite de la Vierge Marie.
2. Une tradition spirituelle vivante
Parmi les données historiques évoquées et qui appartiennent aux origines de l’expérience mariale du Carmel, les Constitutions signalent les éléments les plus significatifs de la spiritualité mariale de sainte Thérèse et de saint Jean de la Croix. Cependant nous pouvons condenser en quelques orientations la richesse doctrinale de l’esprit marial de l’Ordre, tel qu’il a été vécu depuis les origines et tel qu’il a été enrichi par la dévotion et les écrits spirituels de quelques carmes insignes.
a. Les titres d’amour et de vénération
On peut affirmer que la tradition carmélitaine ancienne a exprimé les liens d’amour avec la Vierge à travers une série de titres relatifs au mystère de Marie, mais perçus avec une saveur spéciale à partir de l’expérience du Carmel. Ainsi, aux origines, prédomine la dénomination de « Patronne de l’Ordre », mais l’expression plus douce de « Mère » va son chemin, comme il ressort de formules anciennes des Chapitres et des Constitutions: « En l’honneur de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de la glorieuse Vierge, Mère de notre Ordre du Carmel »; « Pour la louange de Dieu et de la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu et notre Mère » (Constitutions de 1369).
Dans l’ancienne Flos Carmeli, il est parlé de « douce Mère » (« Mater mitis ») et Jean de Chimineto parle de Marie comme « source de miséricordes et Notre Mère ». Ces deux appellations sont en relation avec le mystère de la Vierge Mère dans l’extension de sa maternité à tous les hommes. A ces titres, il faut ajouter celui de « Soeur », assumé par les Carmes du XIV siècle dans la littérature dévotionnelle qui raconte les origines de l’Ordre avec les ermites du Mont Carmel.
D’un autre point de vue doctrinal, dans la contemplation du mystère de la Vierge, les Carmes ont mis en relief sa Virginité, admirant en elle le modèle du choix d’une vie virginale dans le Carmel et sa relation avec la contemplation. Pour les mêmes raisons, les Carmes ont toujours pris part parmi les défenseurs de l’Immaculée Conception de la Vierge, au cours des controverses du Moyen Age, soit au niveau de la théologie, ou soit par l’introduction de cette fête dans le calendrier de l’Ordre qui la célèbre avec une particulière dévotion. De là l’insistance des auteurs carmes sur la contemplation filiale de la Vierge très pure et l’engagement à l’imiter dans cette attitude spirituelle, représentée symboliquement par la cape blanche, vêtement traditionnel.
b. Privilèges marials de l’Ordre
L’histoire et la spiritualité mariale de l’Ordre, surtout durant les XIV-XVI siècles, vont en s’enrichissant de motifs dévotionnels qui développent la tradition historique primitive. La Vierge Marie est l’authentique Protectrice de l’Ordre dans les moments difficiles de son évolution et de son expansion en Occident. Le Catalogue des Saints Carmes a recueilli la vision que le Général de l’Ordre, Simon Stock, a eue vers l’an 1251 lorsque la Vierge lui apparut et lui remit l’habit de l’Ordre assurant le salut éternel pour tous ceux qui le porteraient avec dévotion. Il est attribué au Pape Jean XXII un document communément appelé Bulle Sabbatine (3 mars 1322) et dans lequel est relatée la vision de la Vierge qui lui promettait sa protection personnelle en échange de l’aide qu’il donnerait aux Carmes; la Bulle fait allusion au privilège d’une libération des peines du Purgatoire pour tous ceux qui auront porté dignement le Saint Scapulaire: moyennant l’intercession de la Vierge, ils seront délivrés le samedi suivant leur mort.
Ces deux faits ont polarisé l’attention populaire sur la dévotion mariale proposée par les Carmes et ont monopolisé, en un certain sens, la vision spirituelle que l’Ordre a eue du mystère de Marie.
Depuis le XIV siècle, l’Ordre a voulu célébrer, par une fête spéciale, la commémoration solennelle de la Vierge Marie du Mont-Carmel, les grâces reçues de la Vierge; cette fête avait pour but de rappeler la protection de Marie et de manifester l’action de grâces de l’Ordre. Dans le choix de la date a influé, comme on sait, l’approbation partielle de l’Ordre obtenue au Concile de Lyon II, le 17 juillet 1274, alors que l’Ordre était en danger de disparaître. Ultérieurement, la date du 16 juillet a été considérée comme la date de l’apparition de la Vierge à saint Simon Stock et le souvenir de la protection de la Vierge s’est concentré dans la gratitude particulière pour ce qui constitue la somme et le résumé de l’amour de la Vierge pour les Carmes : le Saint Scapulaire.
c. Spiritualité mariale de l’Ordre : Marie modèle et Mère
Une note caractéristique de l’attitude des Carmes envers la Vierge Marie est le désir d’imiter ses vertus à l’intérieur de leur vocation religieuse. Déjà le théologien carme bien connu Jean Baconthorp (1294-1348) avait essayé de faire un parallèle entre la vie du carme et la vie de la Vierge Marie, dans son commentaire de la Règle; il s’agissait d’un principe exégétique de grande importance, car il centre la dévotion sur l’imitation. Un autre grand mariologue, Arnold Botius (1445-1499), a magnifié dans son oeuvre, à propos du Patronage marial de l’Ordre, le sens d’intimité avec la Vierge, la filiation spéciale du carme, la communion des biens avec la Mère, le sens de la « fraternité » avec elle. Le bienheureux Baptiste Mantouan (1447-1516), dans sa production poétique, est un chantre insigne de la Vierge. Fidèles interprètes de la tradition carmélitaine, le P. Michel de Saint-Augustin (1621-1684) et sa dirigée Marie de Sainte-Thérèse (1623-1677), ont porté à sa perfection le sens de l’intimité avec la Vierge et de la conformité intérieure à son mystère.
Bien que ce ne soit pas ici le lieu pour développer la doctrine de tous ces auteurs, nous avons voulu rendre témoignage à la riche tradition doctrinale et spirituelle que l’on trouvera dans les représentants du Carmel thérésien.
d. Liturgie et dévotion populaire
Les Carmes ont particulièrement exprimé leur consécration à la Vierge au moyen de la liturgie. Ils ont édifié des églises à sa mémoire et vénéré son image. Les anciens rituels de l’Ordre, à partir du XIII siècle, montrent la ferveur liturgique du Carmel dans la célébration des fêtes mariales de l’Eglise et dans l’adoption de nouvelles célébrations qui en d’autres lieux et dans d’autres Ordres ne sont pas accueillies avec tant de ferveur (par exemple: la fête de l’Immaculée Conception). La fête de la commémoration solennelle de la Vierge du Mont-Carmel devient sa fête principale. L’ancien rite hiérosolomitain réserve à Marie de multiples invocations dans les Heures Canoniques: antiennes mariales à la fin de chaque heure et solennisation spéciale du « Salve Regina » à Complies.
En l’honneur de Marie, on célèbre des messes votives et son nom est introduit fréquemment dans les textes liturgiques de la vêture et de la Profession. On peut dire que la liturgie carmélitaine a laissé de profondes traces d’esprit marial dans la tradition spirituelle et a modelé intérieurement la consécration que l’Ordre a professée à la Vierge. À côté de la liturgie, des pratiques caractéristiques de dévotion populaire fleurissent, tels l’ »Angelus », le chapelet et d’autres propres à l’Ordre, unies à la dévotion au Scapulaire.
3. La spiritualité mariale dans le Carmel thérésien
La deuxième partie du n°54 des Constitutions présente la continuité logique de l’expérience mariale du Carmel chez sainte Thérèse et saint Jean de la Croix : « Sainte Thérèse de Jésus et saint Jean de la Croix ont confirmé et rénové la piété mariale du Carmel… ». Suit une brève et substantielle synthèse de la pensée mariale des deux saints. Dans l’espace du bref commentaire qu’offrent ces pages, il vaut la peine d’élargir un peu plus la vision que les Constitutions présentent de ce point de vue, pour voir jusqu’à quel point le thème marial a été enrichi par les Saints de l’Ordre et comment il reste actuellement représenté dans notre spiritualité à partir de l’expérience et de la doctrine de Thérèse de Jésus, de Jean de la Croix et des autres témoins du Carmel thérésien.

LE CARDINAL LUSTIGER MÉDITE LE MAGNIFICAT

30 juin, 2014

http://www.paris.catholique.fr/311-20-Le-cardinal-Lustiger-medite.html

LE CARDINAL LUSTIGER MÉDITE LE MAGNIFICAT

La liturgie du 15 août, pour l’Assomption de la Vierge Marie, nous donne d’entendre l’évangile de la Visitation. A cette occasion, Mgr Lustiger propose aux lecteurs de Paris Notre-Dame une méditation sur le Magnificat de la Vierge Marie. Une bonne manière d’entrer dans ce mystère et surtout dans ce que Dieu nous demande aujourd’hui.

[| »Mon âme exalte le Seigneur ;
Exulte mon esprit en Dieu mon Sauveur.
Il s’est penché sur son humble servante ;
désormais tous les âges me diront bienheureuse.
Le Puissant fit pour moi des merveilles : saint est son Nom ». (Lc 1, 46-55)|]

D’abord, nous aurions tort de comprendre ces mots qui nous sont si familiers comme une sorte d’improvisation où la Vierge Marie ferait des confidences sur son état d’esprit. Si vous regardez attentivement votre bible, vous voyez dans la marge une colonne entière de références de citations de l’Ancien Testament. Le langage du Magnificat est totalement biblique. Si vous en aviez le temps, il vaudrait la peine de relire dans la bible ces différents passages et de découvrir pourquoi la Vierge Marie a retenu ces mots qui ne sont pas d’elle mais qui ont nourri sa prière. C’est elle qui parle d’une manière très personnelle et pourtant c’est la Parole de Dieu qui est sa parole. Nous sommes à l’opposé de l’entreprise poétique quand nous cherchons à dire les choses et à traduire nos sentiments avec une expression neuve et originale. Marie représente le destin le plus singulier dans toute l’histoire de l’humanité, au centre de l’ouvre du salut. Or son langage est celui que Dieu lui-même a mis sur ses lèvres au jour unique de la Visitation et qu’il ne cesse de mettre sur les lèvres des croyants. Le « je » du Magnificat est celui de Marie. Et par le « je » de Marie, c’est toute l’histoire d’Israël qui nous est rappelée. Le « je » de Marie c’est le « je » de tous les croyants qui l’ont précédée. Mais, le « je » de Marie, c’est aussi le nôtre. Par sa bouche, c’est l’Eglise entière qui parle, l’Eglise concrète constituée « d’âge en âge », de « génération en génération » par ces hommes et ces femmes qui se sont succédés dans l’histoire et dont nous faisons partie. Qui a chanté ce chant ? Marie, une fois ou plusieurs fois, nous n’en savons rien. Mais combien plus, des milliards de fois plus, les générations successives de chrétiens qui ont pris ces mots, en ont reçu une lumière et ont trouvé le sens de leur vie dans ce mystère donné à chacun de nous en Marie. Le Magnificat, loin d’être une projection sur Marie toute seule, nous prend, avec Marie, dans le faisceau lumineux de l’histoire du salut et nous fait entrer dans notre vocation, alors même que nous rendons grâce à Dieu pour l’appel qu’elle a reçu et la grâce qui lui est faite, à elle, pour nous. Enfin, lorsque Marie prononce ces paroles, elle porte Jésus en son sein. Le récit de la Visitation est cet extraordinaire dialogue sans paroles des deux enfants dans le sein de leur mère, enfants-prophètes qui tressaillent de joie l’un à l’égard de l’autre. Les merveilles que chante Marie, elles lui sont d’abord données, en sa chair et son cour. Le Magnificat propose à notre méditation et à notre adoration le plus extrême réalisme de l’Incarnation dans sa condition la plus secrète et la plus fragile. Il nous place devant la réalité charnelle, humaine du Verbe de Dieu fait homme : Dieu lui-même veut se rendre présent parmi nous en celle qui, en ce moment précis de l’histoire du salut, est « la Demeure de Dieu parmi les hommes » (Ap 21,3), figure de l’Eglise. Le « je » de Marie, c’est à la fois elle, Marie ; c’est la Parole de Dieu, l’histoire d’Israël, toute l’Eglise. Les merveilles que Dieu fait pour elle sont les merveilles qu’il fait pour nous et pour toute l’humanité appelée à la sainteté. Et ce « je » de Marie est totalement centré sur Dieu. Le sujet du verbe, c’est le Seigneur (« il fit, il s’est penché. Saint est son Nom »).

« Son amour s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent ». L’idée que nous nous faisons de l’amour dans la culture contemporaine est floue, parfois dévalorisée et réduite à la réalité physique, et souvent marquée par la fragilité, l’inconsistance ou la seule affectivité. Lorsque nous entendons Marie employer ce mot, nous pouvons mettre dessous les synonymes suggérés par les diverses traductions. Son amour, c’est-à-dire sa miséricorde, sa bienveillance, sa tendresse, sa fidélité. « Sur ceux qui le craignent ». Dans la bible, l’expression « les craignant-Dieu » ne recouvre d’aucune façon une crainte d’esclave ou une notion de servitude. Ce n’est ni la peur du gendarme, ni celle du knout, ni celle du surveillant, ni celle du tyran ! La crainte de Dieu, « commencement de la sagesse » dit le livre de La Sagesse, exprime ce qu’un être humain, découvrant Dieu, saisit dans ce vis-à-vis : Dieu est plus grand que lui. La crainte de Dieu (le mot est trompeur en français) n’est pas faite de peur, mais d’un infini et confondant respect devant un amour si grand que nous nous en jugeons indignes et dont cependant nous voulons faire la règle de notre vie. La crainte de Dieu est empreinte non seulement de déférence respectueuse, mais surtout du sentiment de notre propre indignité et de la nécessité pour nous de donner toute notre vie à Dieu, en découvrant ainsi la réalité de Dieu. C’est l’éblouissement de l’amour véritable. Car l’amour véritable n’est pas un amour où on est seul à aimer et dont on se grise de façon narcissique, tel le jeune et beau Narcisse – qui se contemple dans le miroir de l’eau et finit par se noyer dans sa propre image ! « L’amour qui s’étend d’âge en âge » est l’amour du Tout Autre qui se fait tout proche. La crainte de Dieu est l’amour véritable par lequel le vis-à-vis de Dieu et de sa créature est donné comme une grâce. Cette découverte fondamentale d’une telle relation à Dieu est peut-être un des aspects de la grâce du Renouveau [charismatique NDLR], offerte à notre siècle. Siècle souvent de grande sécheresse spirituelle et de profond oubli de la réalité divine, car l’idée chrétienne – la Révélation que le Christ a faite du mystère de Dieu-Amour – s’est effacée devant la puissance grandissante de l’homme. Plus qu’une découverte de l’affectivité ou de la sensibilité, le Renouveau a été, par le don de l’Esprit, la re-découverte, l’irruption de Dieu lui-même en notre siècle qui s’était séparé de Dieu en s’enfermant dans sa propre suffisance. Le Renouveau n’est pas un renouveau fabriqué par l’homme, mais c’est le Renouveau que Dieu opère dans les hommes en les changeant, en se manifestant « à nouveau » à eux, en ouvrant la porte qu’ils ont fermée sur eux-mêmes pour empêcher Dieu. « Son amour s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent ». C’est la découverte de Dieu et que Dieu nous aime. Et parce qu’il nous aime, nous pouvons, pauvrement, l’aimer. Notre amour n’est que la réponse à son amour ; il est toujours insuffisant, toujours en deçà ; mais il est notre joie.

[|
« Déployant la force de son bras,
il disperse les superbes ;
il renverse les puissants de leur trône,
il élève les humbles ».|]

Toutes ces expressions se trouvent dans l’Ecriture. Souvent on s’étonne du petit air révolutionnaire que prend le Magnificat et on l’a parfois interprété comme un chant subversif, la Carmagnole version évangélique ! Quels sont ces humbles que Dieu élève ? Et s’agirait-il d’une subversion systématique de l’ordre établi ? En vérité, cette phrase nous pose, aujourd’hui plus que jamais, la question de l’ensemble du projet humain. Quel monde l’homme se construit-il pour lui-même ? Quels sont ces puissants, les superbes, les orgueilleux ? Pour répondre je prendrai comme guide cette parole de Jésus : « Là où est ton trésor, là est ton cour » (Mt 6, 21). Quel est le trésor dans lequel l’homme investit son cour, c’est-à-dire sa liberté ? Le mot « cour » dans la bible dépasse largement les sentiments pour signifier l’intelligence, la capacité de choix, tout ce qui constitue un destin humain. Bref, c’est le choix que l’homme fait de ce à quoi il va consacrer non seulement son temps, son énergie, mais lui-même. Il va s’y donner au point d’être pris entièrement. On en a des exemples multiples à l’échelle de toute une civilisation ou à l’échelle des destins personnels. Prenez un sportif de compétition : l’entraînement est tel qu’il ne fait plus que cela, il est son sport ; c’est la condition de sa réussite. Le tout est de savoir ce qu’on fait de sa vie. Chacun de nous est bien obligé de répondre lorsqu’il se pose lui-même un certain nombre de questions ou lorsque le Seigneur lui en pose ! Rappelez-vous la parabole de Jésus (Lc 12, 16-21) : un homme riche avait accumulé des richesses ; il s’était dit : « Je vais démolir mes greniers pour en construire de plus grands ; j’y rassemblerai tout mon blé et mes biens. Et je me dirai : Repose-toi, fais bombance ! » – « Insensé, cette nuit même on te redemandera ta vie et ce que tu as accumulé, qui l’aura ? » Jésus le dit encore d’une autre manière : « Que sert à l’homme de gagner l’univers s’il vient à perdre son âme ? » (Lc 9, 25) ou « Que donnera l’homme qui ait valeur de sa vie, en échange de son âme ? » (Mt 16, 26). Réponse : rien ; elle n’a pas de prix. Prenez une civilisation maintenant. Que sommes-nous en train de construire ? La mondialisation dont on parle tant, sur quoi repose-t-elle ? Sur le calcul financier et économique. L’univers social dans lequel nous vivons, univers de l’image, de la représentation, des apparences, sur quoi repose-t-il ? Quel univers construisons-nous ? Vers quelles fascinations notre civilisation conduit-elle ? D’abord, la fascination du pouvoir jusqu’à la violence la plus extrême ; et le pouvoir engendre la guerre. Nous le voyons dans les Balkans, dans le Caucase, en Afrique – au Burundi, au Rwanda : l’épreuve de ces peuples est terrible ; l’héroïsme des chrétiens qui résistent à cette idole de la violence remplit d’admiration et force le respect. Donc, la volonté de puissance, l’amour de l’argent, la possession des biens, l’ambition de maîtriser la vie. Mais au prix de combien de meurtres ? Combien de gens sacrifiés et de victimes de toute espèce ? Et encore, l’érotisation d’une société, souvent pour des raisons bassement mercantiles. Bref, on n’en finirait pas d’énumérer les traits d’un paganisme moderne, idolâtrique. Il a pour caractéristique première que l’homme s’investit dans les objets de son désir et en devient prisonnier. Et ce faisant, il entend déployer sa propre suffisance, mais il arrive à la négation de lui-même. C’est l’image de Babel. Alors, quel monde voulons-nous construire ? Ce monde suffit-il à combler le cour de l’homme ? A cette question fondamentale dont nous sommes les témoins, Marie déjà dans son Magnificat répondait par une phrase jugée subversive, nous montrant par toute sa vie le chemin. Pour nous, êtres humains « créés à l’image et à la ressemblance de Dieu », la seule réalité qui soit à notre mesure dépasse radicalement l’homme. Nous sommes faits pour Dieu. Non pas comme des esclaves seraient faits pour leur maître ou des outils pour ceux qui les manient. Nous sommes faits pour Dieu comme l’aimé pour celui qui l’aime ; et celui qui aime trouve sa joie dans celui dont il tient la vie. Nous sommes faits pour Dieu. Seul, lui, notre Créateur, notre Père, notre Rédempteur est le terme que nous pouvons proposer à l’ambition humaine. Car seul il correspond à notre désir le plus profond et il nous rend libres à l’égard de tout. Comme l’a écrit saint Augustin : « Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cour est sans repos tant qu’il ne repose en toi » (en latin : « Fecisti nos ad te, Domine ; et inquietum est cor nostrum donec requiescat in te »). Ce qu’il faut compléter par « Ama et fac quod vis » : « Aime et fais ce que tu veux ». Les humbles sont précisément ceux qui ne veulent pas se prendre eux-mêmes pour leur propre fin, mais qui acceptent de tout recevoir – et de se recevoir – de la main de Dieu. Sinon, toutes choses deviennent périlleuses lorsque l’homme en fait le but exclusif de son existence ; elles se retournent tôt ou tard contre lui. Ainsi en va-t-il du mauvais usage des techniques et du savoir-humain (le courant écologique, pour sa part, le met en évidence) avec leur lot de conséquences néfastes sur l’alimentation, la nature, l’urbanisme, etc. Comme si l’homme abusait de ce qu’il se proposait comme objectif ; comme si, à un moment donné, il ne parvenait plus à maîtriser, dans un juste équilibre, les réalités auxquelles il se consacre ; comme s’il allait toujours au-delà de la limite, au prix d’une destruction de soi-même ; comme s’il était incapable non pas de mesurer exactement son effort, mais de garder la bonne cible. Il croyait trouver une porte, un chemin de liberté et il se heurte à un mur. Il croyait vivre et il se tue. Il croyait construire une société conviviale et il déclenche la haine. Il croyait produire des richesses et il fait des pauvres. Il croyait aimer la vie et il la limite jusqu’à la détruire. Il croyait en la puissance de sa raison et de son intelligence et il tombe dans le mensonge. Il y a une perversion des meilleures choses parce qu’on ne s’en sert pas de la bonne façon ; comme celui qui voudrait se saisir d’un couteau en le prenant par la lame, il se blesserait lui-même. Rien de tout cela n’est Dieu. L’homme se construit des dieux avec des choses qui ne sont pas dignes de lui. Seul Dieu est digne de l’homme parce que c’est Dieu qui nous a faits, je le répète, à son image et à sa ressemblance. Cette humilité de la Vierge Marie qui reconnaît le don de Dieu lui permet de recevoir aussi en ce don toutes les réalités que l’homme, par ailleurs, veut s’approprier. Le monde nous est donné par Dieu, encore faut-il ne pas oublier Celui qui nous le donne. Nous sommes faits pour l’adorer et, recevant toutes choses de sa main, nous en servir pour notre bien et le bien de nos frères. A partir du moment où nous oublions le Donateur, le don lui-même est perdu. Jésus le dit dans une formule paradoxale : « A celui qui a il sera donné ; à celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera retiré » (Mt 13, 12). En perdant le Donateur, nous perdons la réalité humaine, historique, dans laquelle l’homme grandit. Cette strophe du Magnificat nous montre en peu de mots le but de l’existence humaine, ce pour quoi nous sommes faits, où est le vrai bonheur. En même temps, elle trace le chemin d’une civilisation où la vie de l’homme trouve sa dimension véritable dans l’accueil de l’amour qui vient de Dieu, qui est Dieu.

[| »Il comble de biens les affamés
il renvoie les riches
les mains vides ».|]

De quelle faim s’agit-il ? De la faim la plus fondamentale comme le suggère la béatitude de Jésus en saint Matthieu (5, 6) : « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, ils seront rassasiés ». De quelle justice s’agit-il ? Non seulement de la justice entre tous les hommes, l’équité dans la distribution des biens ou la considération des personnes ; mais de la justice divine : la sainteté même de Dieu qui est la perfection de la vie humaine. La faim qui apparaît en notre siècle est finalement, quoi qu’on en dise, la faim de la vie avec Dieu. Dans le verset précédent, nous avons vu comment la Vierge Marie nous met sur le chemin de la construction d’une société humaine digne de ce nom, avec le combat constant que cela implique de par le choix de nos libertés. Ici, elle nous montre et veut nous faire découvrir l’appétit insatiable de l’homme pour celui qui l’a créé. Ces dernières décennies, nous avons vu une résurgence, une remontée à la conscience commune de l’Occident des recherches de type dit « spirituel ». Alors que notre siècle, avait parié sur une destruction de la religion avec « la mort de Dieu », sur une raison ou une science triomphante qui aurait remplacé toutes les autres sources de comportement. Aujourd’hui, à nouveaux frais, on s’aperçoit avec le foisonnement du « spirituel » que la dimension religieuse fait partie de la condition humaine, que l’homme est un animal à fabriquer du divin ou, plutôt, à diviniser toutes choses. Sous couvert soit de bouddhisme ou de religion orientale, soit de technique psychologique ou de méthode de méditation, beaucoup de nos contemporains se sont engagés sans trop savoir où ils allaient ni pourquoi, si ce n’est en raison de cette recherche intérieure qui les habite. Ils se sont trompés, ceux qui prédisaient que tout cela appartenait à un âge révolu de l’humanité. Au contraire, dans le vide et la sécheresse actuels, l’instinct religieux réapparaît, foisonnant jusqu’à se fabriquer de nouveaux dieux. On a été étonné de la crédulité de certains contemporains face à des inventions fantasmatiques qui comblent leur soif ou leur faim par une nourriture creuse, telle une drogue, qui endort cette faim. Dans certains pays, en particulier de l’Est qui, pendant un demi-siècle, parfois presque un siècle, ont été sous la dure loi d’un athéisme d’Etat et de la persécution de la religion, des peuples entiers ont été dépossédés de leur mémoire et de leurs traditions chrétiennes, comme culture. En raison de cette déculturation de la foi chrétienne, ils sont dans un état de désert inouï. Et on s’aperçoit que dans ce désert calciné les gens se jettent sur n’importe quel substitut et peuvent prendre « des vessies pour des lanternes ». Le Curé d’Ars disait plus cruellement : « Laissez un village sans prêtre, bientôt ils adoreront les bêtes ». Sur de grandes étendues de l’humanité le déracinement de la mémoire chrétienne, au sens de la présence de l’Evangile, peut engendrer une fausse expérience spirituelle qui asservit plus lourdement encore. Il y a là un enjeu capital pour notre mission en ce siècle. En effet, la raison humaine n’est pas suffisante pour fournir un outil critique permettant de discerner entre les idoles qui aliènent, les mensonges qui falsifient comme une drogue le désir de Dieu ou de vie mystique et la rencontre véritable de Dieu. La législation actuelle sur les sectes, telle qu’on la voit s’élaborer pour les pays européens en est la preuve. Vous savez les débats qui existent entre les Etats-Unis et l’Europe à ce sujet ; et, sur ce point, nous ne sommes probablement qu’au début d’une période difficile. Comment distinguer la vraie mystique de la fausse mystique ? Comment reconnaître le véritable chemin qui conduit à découvrir le mystère de Dieu et avancer dans cette direction, au lieu de s’engager dans une impasse pour se repaître d’expériences illusoires qui asservissent l’homme ou le laissent sur sa faim ? Nous savons, nous, que seul Dieu, Vivant et Vrai, est capable de nous désapprendre des idoles et des fausses visions que l’homme se donne à lui-même. Voilà des millénaires que le Seigneur a commencé à faire comprendre la différence entre le vrai prophète et le faux prophète, entre le Dieu vivant et les dieux morts. Voilà des millénaires qu’un croyant a eu l’audace de regarder le sphinx dans le blanc des yeux en lui faisant les cornes et de lui dire avec le psalmiste : « Il a des yeux et il ne voit pas, il a des oreilles et il n’entend pas. Que ceux qui les ont faits leur deviennent semblables » (Ps 115, 5). Il fallait avoir de l’audace et le courage de la foi pour braver ainsi la fascination de ces idoles majestueuses ! Les idoles de notre temps le sont moins et sont moins esthétiquement accomplies que le Sphinx d’Egypte ; mais leur fascination ne s’en exerce pas moins. Alors, le témoignage d’une vie spirituelle forte qui ouvre un vrai chemin de liberté intérieure ; qui humanise en plénitude en nous libérant de nous-mêmes tout en nous donnant le goût de Dieu, l’expérience véritable de la prière qui n’est pas superstitieuse mais nous fait grandir et entrer dans le mystère de Dieu en nous identifiant au Christ (la prière chrétienne n’est rien d’autre que de suivre le Christ), sont le seul chemin pour aider notre monde à trouver sa liberté et la voie qui le mènera à la vérité. Nous sommes responsables en notre temps d’une plus grande exigence spirituelle chrétienne. Précisément parce qu’il existe un foisonnement de revendications ou de demandes spirituelles. Il y a un siècle, dans une atmosphère de rationalisme desséché, on pouvait se dire : toute reconnaissance de la force du religieux est un peu un réconfort pour le croyant. Aujourd’hui, la crédulité est générale et les gens risquent de prendre n’importe quoi pour argent comptant, fût-ce les superstitions les plus grossières ; regardez la place que les horoscopes occupent dans l’univers médiatique ! Pensez à l’imaginaire de la science-fiction. Beaucoup de jeunes, parmi les moins armés et les moins éduqués à l’esprit critique, le prennent pour un intermédiaire presque réel. On est très loin des contes de fées d’autrefois avec toute l’extension de l’image virtuelle ! Il y a là une fascination et une perversion de la liberté humaine. Certes, le travail de la raison consiste à dire : ne prenez pas des vessies pour des lanternes, car, pour parler comme le psalmiste : « Ils ont des yeux et ils ne voient pas. ». Mais la vraie réponse au problème actuel est de montrer où est la Vie. Et comment montre-t-on où est la Vie ? En vivant. Comment montre-t-on où est Dieu ? En priant. Comment l’amour de Dieu se fait-il découvrir ? En rendant témoignage de l’amour qu’il nous porte et en commençant à l’aimer ; en entrant dans cette grâce qui nous est faite d’être « rassasiés de son amour ». Car « Il comble de bien les affamés » chante Marie. La faim de l’homme est rassasiée. Tandis que Jésus promettra à ses disciples : « Celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura plus jamais soif. Celui qui mangera de ce Pain que je lui donnerai vivra pour l’éternité ; il aura en lui la vie éternelle » (Jn 6, 35. 58). Cette nourriture divine est Dieu lui-même. Nous devons à nos frères contemporains ce témoignage qui seul peut les libérer.

[| »Il relève Israël, son serviteur
il se souvient de son amour,
de la promesse faite à nos pères
en faveur d’Abraham
et de sa race à jamais ».|]

« Israël, son serviteur ». Déjà lorsque Marie répond à l’Ange de l’Annonciation qu’elle est « la servante du Seigneur », « son humble servante » dans le Magnificat, ce mot éveille immédiatement en résonance le « Serviteur » tel qu’Isaïe le décrit, à la fois Israël, un peuple, et le Messie, « le » Serviteur souffrant dont il est écrit : « C’était nos souffrances qu’il portait, nos péchés dont il était accablé. Nous le croyions châtié, humilié, mais il nous apportait la rédemption, la libération et la guérison » (cf. Is 53, 4-5). C’est Jésus, Fils de Dieu, fils d’Abraham, fils de David, qui a pris chair dans le sein de la Vierge Marie ; c’est Jésus dans sa réalité historique et singulière qui est l’objet de l’action de grâce de Marie. Mais, en même temps, elle nous met sur la voie de notre propre Magnificat. Car, dire « qu’il relève Israël son serviteur, qu’il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères », c’est évoquer la résurrection du Seigneur, avant même que Marie ne puisse le savoir ou le pressentir. Le « relevé d’entre les morts » est le secret ultime que le Christ confiera à ses apôtres, lors de la purification du Temple : « Détruisez ce Temple, en trois jours je le relèverai » (Jn 2, 19 sq). Saint Jean ajoute : « Lorsque Jésus se releva d’entre les morts, ses disciples se souvinrent qu’il avait parlé ainsi et ils crurent à l’Ecriture ainsi qu’à la parole qu’il avait dite ». Nous aussi, le Christ ressuscité nous charge d’en « être les témoins » (cf. Lc 24, 48). Avec Marie, il nous invite à participer à cet acte de rédemption. Dans la situation présente du monde où nous vivons, nous savons que nous sommes les bénéficiaires d’une grâce incommensurable : avoir part à cette promesse faite aux pères, être entré dans cette alliance pour laquelle Dieu a disposé de son peuple et singulièrement de la Vierge Marie. N’a-t-il pas voulu que « depuis la fondation du monde nous soyons les uns et les autres appelés et choisis pour rendre témoignage à son amour » ? (cf. Ep 1, 4). Toute l’histoire du salut est ainsi évoquée ; non pas seulement comme un spectacle devant nos yeux, mais comme un acte dans lequel nous sommes impliqués : la rédemption du monde ici et maintenant, l’ouvre de Dieu en train de s’accomplir en son Fils Jésus. Car l’unique Sauveur des hommes, c’est le Christ Jésus. Car l’unique Sauveur des hommes, c’est le Christ Jésus. Il est « la Voie, la Vérité, la Vie » (Jn 14, 6). Il n’est pas une forme possible de l’idéal humain. Il n’est pas une expression supérieure de l’homme transfiguré. Il est celui que la Vierge Marie porte dans son sein et qui, Verbe de Dieu fait homme, au jour de la Visitation fait bondir de joie Jean Baptiste dans le sein de sa mère (Lc 1, 41). Il est celui qui est mort, crucifié à Jérusalem, et qui est ressuscité au jour de Pâques. Ses apôtres l’ont vu ; Thomas a touché ses plaies. Il est celui dont le corps livré pour la multitude est la source de Vie qui repose sur nos lèvres et habite notre cour. Il est celui qui nous a donné son Esprit saint. Et nous, nous sommes chrétiens, non seulement en raison des déterminations de l’histoire, des cultures et des civilisations. Nous ne sommes pas chrétiens seulement comme en Asie d’autres sont bouddhistes ou comme ailleurs d’autres sont musulmans. Certes, c’est une ouvre de grâce qui passe par ces conditions de la naissance. Mais Dieu nous a choisis et appelés pour que le mystère de la rédemption s’accomplisse et se déploie dans le temps de l’histoire. La grâce qui vous est donnée d’être disponibles à l’appel du Christ, de rendre témoignage à son amour, en un mot, la mission, n’est donc pas une spécialité parmi d’autres, un choix parmi d’autres offerts à l’Eglise comme certains auront une activité de caractère social, d’autres s’occuperont de loisir, d’éducation, d’autres auront une plus grande sensibilité à tel aspect du christianisme, chacun dans ce grand magasin ecclésial étant attiré par l’article de son choix, faisant de la mission une option toute facultative ! Non ! Car c’est la volonté de Dieu que son serviteur soit dans le monde celui par qui la vie est donnée. Volonté de Dieu que la Vierge Marie accueille et reçoit : « Qu’il me soit fait selon ta Parole », rejoignant d’avance ce que Jésus dira à Gethsémani : « Non pas ma volonté, Père, mais la tienne » (Lc 22, 42), « Non pas ce que je veux, mais ce que tu veux » (Mc 14, 36). Ce consentement à la volonté de Dieu est un enfantement de la liberté humaine par ce mystère d’amour qu’est le mystère de la Croix. Et nous y sommes associés. Pourquoi ? Comment ? Non seulement par le don de notre vie et l’offrande de nous-mêmes, unis au Christ, grâce à l’Esprit qui nous habite et nous rend semblables au Fils ; mais aussi en annonçant ce mystère pour que d’autres naissent à la vie, comme Dieu le veut. Ceux à qui nous annonçons cette Parole et qui l’accueillent, Dieu les a destinés à poursuivre, à leur tour, son ouvre de salut à travers les siècles, les cultures et les nations jusqu’à ce que le Jour du Seigneur soit accompli, avec le Jugement ultime de toutes choses. Il nous échappe et nous n’avons pas à nous en tourmenter. « Ne jugez pas, dit le Seigneur, et Dieu ne vous jugera pas » (Mt 7, 1) ; le Jugement ne vous appartient pas ; c’est Dieu lui-même qui juge et lui seul. « Lorsque Dieu essuiera toute larme de nos yeux » (Ap 7, 17), que « toutes les nations seront rassemblées devant le trône du Fils de l’Homme » (Mt 25, 32), lorsque nous verrons enfin la vérité de toutes les vies humaines, l’histoire de l’humanité nous apparaîtra sous un jour dont nous ne savons rien actuellement, si ce n’est que Dieu est miséricordieux et veut que tous les hommes soient sauvés. Mais il veut aussi que l’homme, dans sa liberté, respecte l’amour pour lequel il est fait, la vérité dont il a faim et dont il doit se rassasier, la beauté de la vie que Dieu en son Fils Jésus est venu lui « donner en abondance » (Jn 10, 10). Disciples de Jésus, nous sommes appelés à être le Christ présent en ce monde et dans l’histoire. Puisque Dieu vous a choisis, personne ne vous remplacera. Là où vous êtes, vous êtes les yeux du Christ, vous êtes les mains du Christ, vous êtes les pieds du Christ, vous êtes la parole du Christ. Nous n’en sommes pas dignes, ni les uns ni les autres. C’est pourquoi il nous faut sans cesse nous convertir et recevoir cette « miséricorde de Dieu qui s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent ». C’est pourquoi il nous faut sans cesse recourir à l’intercession maternelle de Marie et de l’Eglise qui nous replonge dans ce flux de grâce et nous donne le courage de la foi. Le Christ lui-même est à l’ouvre en tous ceux qui, par la maternité de la Vierge et de l’Eglise, sont enfantés à la vie de Dieu. La fête de l’Assomption de la Vierge Marie n’est que l’anticipation de ce jour ultime auquel nous aurons accès.

En attendant, quelques repères :
La Promesse. « Il se souvient de la promesse faite à nos pères en faveur d’Abraham et de sa descendance à jamais ».
La descendance : tous ceux aussi dont Jésus parle au soir de la dernière Cène : « Je ne prie pas seulement pour eux, dit-il, au Père (pensant à ses disciples présents autour de lui), mais pour tous ceux qui croiront en moi grâce à leur parole, grâce à leur témoignage » (Jn 17, 20).
Les témoins : vous et le Christ en vous qui accomplit l’ouvre du salut.

LA MADONE ET LE JONGLEUR – PAR ALBINO LUCIANI (Pape Jean Paul I)

22 avril, 2014

http://www.30giorni.it/articoli_id_1394_l4.htm

LA MADONE ET LE JONGLEUR

PAR ALBINO LUCIANI

(Pape Jean Paul I)

Le patriarche de Venise, qui aimait séjourner l’été dans le couvent des Servites de Marie près du sanctuaire marial de Pietralba dans le Haut-Adige, se rendait souvent dans la bibliothèque des frères. En feuilletant une anthologie française, il tomba sur un récit d’Anatole France qu’il avait lu enfant, cinquante ans plus tôt, et qu’il raconta et commenta sur le Messaggero di Sant’Antonio de décembre 1976.

Saint Luc avait déjà noté que Marie n’avait pu porter au temple «qu’un couple de tourterelles, l’offrande des pauvres», (Lc 2,23). Et beaucoup de prières laissent voir que les pauvres se sont toujours sentis privilégiés auprès d’elle. Le suc de ces prières est le suivant: “Intercédez auprès de Dieu pour moi: ma qualité de pauvre homme est mon seul titre pour vous demander votre intercession”. Une prière de ce genre traverse les siècles et en parallèle circule une nouvelle sur les pauvres de Marie. Apparue en France au XIIIe siècle et racontée par des prédicateurs populaires, elle fut transcrite par l’écrivain Anatole France sous le titre: Le jongleur de Notre-Dame.
Barnabé de Compiègne était un jongleur qui allait de ville en ville en faisant des exercices de grande habilité. Mais souvent, l’hiver, il n’avait pas de travail et souffrait de la faim. Il avait une dévotion particulière à la Madone et il la priait alors ainsi: «Notre-Dame, prenez soin de ma vie jusqu’au moment où il plaira à Dieu que je meure et, quand je serai mort, faites-moi avoir la joie du Paradis». Par un soir pluvieux et glacial, il rencontra sur la route un frère et, conversant avec lui, il décida d’abandonner l’art qui l’avait rendu célèbre pour chanter, en tant que moine, les louanges de la Vierge. Quand il arriva au couvent, il remarqua que les frères rivalisaient dans les honneurs qu’ils rendaient à la Vierge et son ignorance le mit tout de suite mal à l’aise. Il se dit à lui-même: «Voilà, le prieur compose des traités sur la Vierge Marie; Frère Macrobe les recopie sur de très fines feuilles de parchemin que frère Alexandre orne ensuite de miniatures charmantes. D’autres composent des hymnes ou sculptent des statues en Son honneur. Mais moi, je ne sais rien faire, rien». «Je suis bien malheureux, Notre-Dame», disait-il à la Vierge «de n’avoir pour vous servir ni sermons édifiants, ni peintures fines, ni vers coulant avec élégance. Je n’ai rien, malheureusement». Et il s’abandonnait à la tristesse. Mais un matin, il se leva tout content, il courut à la chapelle, y resta plus d’une heure et y retourna après le déjeuner. Il y alla dès lors tous les jours et avait perdu sa tristesse. «Pourquoi Barnabé allait-il si souvent à la chapelle?», commençaient à se demander les frères. Ainsi le prieur décida-t-il d’aller voir ce qu’il faisait et il vit à travers les fentes de la porte que Barnabé faisait devant l’autel de la Madone, tête en bas, ses jeux de prestige avec les six balles de cuivre et les douze couteaux dont il avait l’habitude de se servir sur les places. Il crut qu’il était devenu fou et, criant au sacrilège, il s’apprêtait à le faire sortir de force de la chapelle, lorsqu’il vit la Madone descendre les gradins de l’autel, s’approcher de Barnabé et essuyer, avec un pan de son manteau, la sueur qui tombait du front de son jongleur. Le bon prieur se prosterna alors à terre en murmurant: «Heureux les simples d’esprit parce qu’ils verront Dieu».
Dans ce conte Marie ne nettoie pas la plume du prieur mais essuie la sueur du pauvre Barnabé: c’est vers lui, pauvre jongleur, fatigué, en sueur, par terre, qu’elle descend de son trône et c’est lui qu’elle daigne réconforter avec un pan de son manteau couleur d’azur. C’est précisément parce que nous sommes pauvres que la Vierge nous aide maintenant et à l’heure de notre mort. Celui qui voudrait raconter à nouveau le petit conte d’Anatole France, aujourd’hui où les gens ont soif de simplicité authentique, devrait souligner comme son image dans le conte correspond à l’image la plus vraie de Marie qui a dit dans son cantique: «Dieu a renversé les puissants des trônes et a élevé les humbles».

STABAT MATER – LE TEXTES (français et latin)

7 avril, 2014

http://www.fatrazie.com/TexteSM.htm

STABAT MATER – LE TEXTES (français et latin)

Stabat mater dolorosa
juxta crucem lacrimosa
dum pendebat Filius.
Cujus animam gementem
constristatam et dolentem
pertransivit gladius.

O quam tristis et afflicta
fuit illa benedicta
mater Unigenti.

Quae maerebat et dolebat
pia mater dum videbat
nati poenas incliti

Quis est homo qui non fleret
matrem Christi si videret
in tanto supplicio?

Quis non posset contristari
Christi matrem contemplari
dolentem cum Filio?

Pro peccatis suae gentis
vidit Jesum in tormentis
et flagellis subditum.

Vidit suum dulcem natum
moriendo desolatum
dum emisit spiritum.

Eia Mater, fons amoris,
me sentire vim doloris
fac ut tecum lugeam.

Fac ut ardeat cor meum
in amando Christum Deum
ut sibi complaceam.

Sancta Mater, istud agas,
crucifixi fige plagas
cordi meo valide.

Tui nati vulnerati
tam dignati pro me pati
paenas mecum divide.

Fac me vere tecum flere
crucifixo condolere
donec ego vixero.

Juxta crucem tecum stare
et me sibi sociare
in planctu desidero.

Virgo virginum praeclara
mihi jam non sis amara
fac me tecum plangere.

Fac ut portem Christi mortem
passionis fac consortem
et plagas recolere.

Fac me plagis vulnerari
fac me cruce inebriari
et cruore Filii.

Flammis ne urar succensus
per te Virgo sim defensus
in die judicii.

Christe,cum sit hinc exire,
da per matrem me venire
ad palmam victoriae.

Quando corpus morietur
fac ut animae donetur
paradisi gloria.

 

Debout, la mère des douleurs
Près de la croix était en pleurs
Quand son Fils pendait au bois.
Alors, son âme gémissante
Toute triste et toute dolente
Un glaive la transperça.

Qu’elle était triste, anéantie,
La femme entre toutes bénie,
La Mère du Fils de Dieu!

Dans le chagrin qui la poignait,
Cette tendre Mère pleurait
Son Fils mourant sous ses yeux.

Quel homme sans verser de pleurs
Verrait la Mère du Seigneur
Endurer si grand supplice?

Qui pourrait dans l’indifférence
Contempler en cette souffrance
La Mère auprès de son Fils?

Pour toutes les fautes humaines,
Elle vit Jésus dans la peine
Et sous les fouets meurtri.

Elle vit l’Enfant bien-aimé
Mourir tout seul, abandonné,
Et soudain rendre l’esprit.

O Mère, source de tendresse,
Fais-moi sentir grande tristesse
Pour que je pleure avec toi.

Fais que mon âme soit de feu
Dans l’amour du Seigneur mon Dieu:
Que je lui plaise avec toi.

Mère sainte, daigne imprimer
Les plaies de Jésus crucifié
En mon cœur très fortement.

Pour moi, ton Fils voulut mourir,
Aussi donne-moi de souffrir
Une part de ses tourments.

Pleurer en toute vérité
Comme toi près du crucifié
Au long de mon existence.

Je désire auprès de la croix
Me tenir, debout avec toi,
Dans ta plainte et ta souffrance.

Vierge des vierges, toute pure,
Ne sois pas envers moi trop dure,
Fais que je pleure avec toi.

Du Christ fais-moi porter la mort,
Revivre le douloureux sort
Et les plaies, au fond de moi.

Fais que ses propres plaies me blessent,
Que la croix me donne l’ivresse
Du sang versé par ton Fils.

Je crains les flammes éternelles;
O Vierge, assure ma tutelle
A l’heure de la justice.

O Christ, à l’heure de partir,
Puisse ta Mère me conduire
A la palme de la victoire.

A l’heure où mon corps va mourir,
A mon âme fais obtenir
La gloire du paradis.

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