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« MIEUX VAUT SE MARIER QUE BRÛLER ». MÊME SI C’EST EN SECONDES NOCES – par Sandro Magister

13 avril, 2015

http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1351018?fr=y

« MIEUX VAUT SE MARIER QUE BRÛLER ». MÊME SI C’EST EN SECONDES NOCES

Les Églises orthodoxes appliquent aux divorcés cette formule de l’apôtre Paul. Et il y a des gens qui voudraient qu’une telle pratique soit également introduite dans l’Église catholique. L’un d’eux est un théologien du diocèse de Bologne, dont l’archevêque est le cardinal Caffarra

par Sandro Magister

ROME, le 2 avril 2015 – Le Jeudi Saint, on peut entendre cet avertissement, plus que jamais d’actualité, qui avait été adressé par l’apôtre Paul aux chrétiens de Corinthe : « Quiconque mange le pain ou boit la coupe du Seigneur indignement… mange et boit sa propre condamnation ».
De cet avertissement l’Église catholique a tiré l’interdiction de donner la communion aux divorcés remariés.
Toutefois, dans les Églises orthodoxes, c’est une pratique différente qui a prévalu. Elle en arrive à bénir les secondes noces et à permettre la communion eucharistique aux divorcés remariés.
Les gens qui souhaitent que cette pratique soit également introduite dans l’Église catholique citent en effet les Églises orthodoxes comme un exemple de « miséricorde » qu’il conviendrait d’imiter. Ils se réfèrent, pour soutenir leur point de vue, à une remarque sibylline formulée par le pape François, le 28 juillet 2013, à bord de l’avion qui le ramenait de Rio de Janeiro à Rome :
« Les orthodoxes suivent la théologie de l’économie, comme ils l’appellent, et ils donnent une seconde possibilité [de mariage], ils le permettent. Je crois que ce problème, on doit l’étudier dans le cadre de la pastorale du mariage ».
Mais, à la veille de la première session du synode consacré à la famille, au mois d’octobre dernier, l’archevêque Cyril Vasil, secrétaire de la congrégation pour les Églises orientales au Vatican, a lancé une mise en garde contre une interprétation « naïve » de la pratique des Églises orthodoxes en matière de mariage.
Les remariages – a-t-il expliqué – sont entrés dans la pratique des Églises orientales à une époque tardive, vers la fin du premier millénaire. Ils y ont été introduits sous l’influence envahissante de la législation impériale byzantine, dont les Églises étaient les exécutrices. Et, à l’heure actuelle, la dissolution d’un premier mariage est encore pour ces Églises, dans presque tous les cas, la simple transcription d’un jugement de divorce qui a été rendu par l’autorité civile.
Vasil est une autorité en la matière. Slovaque de rite grec, jésuite, il a été doyen de la faculté de droit canonique de l’Institut Pontifical Oriental de Rome. Son essai consacré au divorce et aux remariages dans les Églises orthodoxes a été inclus dans un livre à plusieurs auteurs qui a été publié à la veille du synode et qui contient des textes rédigés par cinq cardinaux, tous opposés à l’accès des divorcés remariés à la communion :

« Permanere nella verità di Cristo. Matrimonio e Comunione nella Chiesa cattolica », Cantagalli, Sienne, 2014.
Les passages marquants de l’essai de Vasil sont reproduits dans cet article de www.chiesa :
> Divorce et remariages. La conciliante « oikonomia » des Églises orthodoxes
Cependant les experts ne sont pas tous d’accord avec lui.

Enrico Morini est professeur d’histoire des Églises orthodoxes à l’université d’état de Bologne et à la faculté de théologie d’Émilie-Romagne. Il a écrit – en note à un essai publié dans « Memorie Teologiche » [Mémoires Théologiques], la revue en ligne de sa faculté – le texte suivant à propos de la dissolution du lien nuptial et de la possibilité de contracter un second mariage, qui sont admis par les Églises orthodoxes :
« Cette donnée incontestable qu’est la modulation de la pratique ecclésiastique en tenant compte de la législation civile en matière de mariage paraît présentée par Cyril Vasil de manière négative, comme une adultération sécularisante de l’enseignement évangélique, presque comme une approbation donnée à des lois d’état qui sont en opposition avec la loi divine. Il me semble, au contraire, qu’elle constitue une pratique qui, avec sagesse, applique à la pastorale le critère salvifique de la miséricorde, sans compromettre pour autant le principe de l’indissolubilité. Dans les problématiques aigües qui sont suscitées par le contexte sociologique actuel, elle représente, à mon avis, une alternative valide à l’hypothèse de l’admission des divorcés remariés à la communion sacramentelle. En effet cette pratique, au lieu de permettre à des personnes qui vivent objectivement en état de péché d’accéder au sacrement, assainit plutôt la situation de péché au moyen d’une ratification ecclésiale non sacramentelle, qui valorise ce qu’il y a de positif dans une union naturelle, stable et fidèle ».
L’essai écrit par Morini peut être lu dans son intégralité sur le site web de « Memorie Teologiche » :
> Il matrimonio nella dottrina e nella prassi canonica della Chiesa ortodossa
Par ailleurs on pourra en lire ci-dessous les passages les plus marquants.
On notera que Morini est diacre et qu’il préside la commission per l’œcuménisme du diocèse de Bologne, diocèse dont l’archevêque est Carlo Caffara. Celui-ci est l’un des cinq cardinaux qui ont apporté leur contribution à l’ouvrage cité plus haut et le pape François lui témoigne une estime croissante :
> Cote des valeurs du synode. Kasper en baisse, Caffarra en hausse
Cela signifie qu’un diocèse dirigé par un évêque « intransigeant » peut très bien constituer un exemple de dialogue ouvert et fructueux entre des personnes ayant des points de vue différents ou même opposés, dans le respect réciproque et aux niveaux de compétence les plus élevés.
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LE MARIAGE DANS L’ÉGLISE ORTHODOXE
par Enrico Morini

1. Théologie du mariage chrétien
Pour comprendre la réglementation de l’Église orthodoxe en matière de mariage, il est nécessaire de partir des prémisses théologiques. […]
Quelle est l’essence du sacrement de mariage ? Les époux sont des icônes vivantes – c’est-à-dire des images qui impliquent la présence réelle de ce qui est représenté – de deux associations surnaturelles parallèles, dans la mesure où l’une implique l’autre : l’union du Dieu Verbe, dans l’incarnation, avec la nature humaine et celle du Christ, Verbe incarné, avec l’Église. […]
Conséquences :
a. La nécessité absolue de l’hétérosexualité du mariage. L’union homosexuelle n’est pas simplement un désordre : c’est un monstre, qui profane la sacralité même du mariage, c’est une contrefaçon sacrilège de l’union divino-humaine et de l’union Christ-Église. Elle annihile le caractère iconique du mariage. […]
b. L’unité du mariage, qui exclut de la manière la plus absolue la polygamie simultanée, mais également la polygamie consécutive, après un ou plusieurs veuvages. En effet […], comme tous les autres sacrements, le mariage chrétien ne concerne pas seulement la vie terrestre, mais aussi la vie éternelle : par conséquent la grâce du sacrement ne cesse pas avec la mort, mais elle constitue une union éternelle entre ceux qui l’ont reçu. L’exercice du mariage cesse –comme l’a dit le Seigneur « neque nubent neque nubentur » – mais pas la grâce sacramentelle.
c. Son indissolubilité est tout aussi absolue. Si le mariage est une icône de l’incarnation, il ne peut pas être temporaire. Tout comme la consécration virginale dans le monachisme – pour laquelle, dans la religion orthodoxe, les dispenses ne sont pas admises – il se projette dans l’éternité. La grâce d’un sacrement – comme on le sait bien en ce qui concerne le baptême et la confirmation – ne peut pas être supprimée. […]
2. Mariage civil et cohabitations

Ce cadre théologique comporte des retombées bien précises lorsqu’il s’agit de porter un jugement, par exemple, le mariage civil et les cohabitations.
L’union entre un homme et une femme, contractée conformément aux lois civiles – ou conformément aux lois religieuses d’une autre confession – avec une volonté de stabilité et de fidélité réciproque, fait entrevoir en elle le mystère divino-humain du mariage, même si elle ne réalise pas le mystère du mariage humain et même si elle ne reproduit pas l’image de l’archétype divin. C’est un fait naturel et non pas surnaturel. […]
Toutefois, bien qu’elle ne soit pas un sacrement, elle constitue tout de même un lien sacré, dans la mesure où elle laisse entrevoir la véritable icône. Même si les deux époux ne sont pas transformés par la grâce divine, il y a néanmoins dans leur union une certaine présence de la grâce. Celle-ci sera encore plus réduite, évidemment, dans les cohabitations hors des liens du mariage qui, si elles ne comportent pas d’intention de stabilité et de fidélité, sont purement et simplement de la débauche.
C’est pour toutes ces raisons que l’Église de l’antiquité, avant que le rite chrétien du mariage ne se soit imposé, acceptait les mariages civils comme étant salvifiques.
3. L’économie ecclésiastique
L’Église s’est trouvée tout de suite confrontée au fait que non seulement la législation civile permettait aux veufs de contracter un second mariage, mais qu’elle prenait également en considération la dissolution du lien nuptial avec la possibilité de contracter un nouveau mariage.
Afin de résoudre ce grave problème pastoral – qui ne s’est pas seulement posé à l’Église de l’antiquité mais qui a aussi pris, à notre époque, une forme aigüe en raison de la sécularisation de la société et de l’affirmation de la laïcité de l’état – l’Église d’Orient a élaboré le concept d’“économie”. […]
Techniquement parlant, l’économie ecclésiastique est la possibilité d’accorder, sous une forme temporaire ou permanente, des dérogations par rapport à une prescription normative, sans pour autant invalider en aucune manière la validité de la prescription elle-même. Une telle procédure, grâce à laquelle on atténue la dureté d’une loi dans le moment même où l’on en réaffirme la validité, est justifiée uniquement par l’objectif supérieur de faciliter l’obtention du salut éternel dans les situations où la loi, si elle était appliquée dans toute sa rigueur, pourrait y faire obstacle.
L’Église, qui concrétise dans le temps et dans l’Histoire l’œuvre salvifique du Christ, est seule à pouvoir apporter des dérogations à la lettre de la loi. En agissant de cette façon, en effet, elle ne fait rien d’autre que d’imiter l’infinie miséricorde divine, qui veut que « tous les hommes soient sauvés » (1 Tim 2, 4) et elle considère par conséquent qu’elle est autorisée à accorder des dérogations même aux prescriptions qui remontent au Christ lui-même, ce qui fait que, en apparence, elle se montre parfois plus indulgente que son Seigneur lui-même. […]
De manière plus conceptuelle, l’économie canonique pourrait être définie comme la « pastorale de la miséricorde », qui parvient à adoucir les duretés de la loi, sans que la validité de celle-ci soit compromise en aucune manière. […]
4. Le mariage des veufs
C’est dans la Sainte Écriture que se trouverait le témoignage relatif au premier recours à l’économie en matière de mariage. L’apôtre Paul enseigne, dans la perspective d’une attente eschatologique imminente, que la virginité est préférable au mariage, mais que, en tout état de cause, « mieux vaut se marier que brûler de désir » (1 Cor 7, 8-9). S’il s’agit là d’une indication générale, elle est a fortiori valable pour les veufs, à qui il est d’autre part recommandé de ne pas se marier (1 Cor 7, 40). […] Par conséquent un second mariage est permis aux veufs en guise de remède contre la débauche. […]
Étant donné que ce mariage à caractère médicinal ne peut pas reproduire avec la perfection nécessaire le modèle nuptial divino-humain, il ne s’agit pas à proprement parler d’un sacrement : en effet il est en contradiction avec le principe de l’unité du mariage qui, appartenant à l’ordre surnaturel, se projette dans l’éternité. Cependant la mère Église le bénit tout de même : à la fois en raison du caractère salvifique en tout état de cause que comporte une union stable et fidèle et dans le but d’aider les nouveaux époux à éviter le péché de débauche.
Voilà pourquoi a été préparé, à l’usage des personnes qui contractaient un second mariage, un rite dans lequel le couronnement des époux n’était pas prévu à l’origine et qui est caractérisé par le fait que :
a. Les prières qui sont prononcées par le prêtre ont un caractère pénitentiel.
b. Les deux époux se voient imposer des pratiques pénitentielles, qui comportent entre autres une longue période pendant laquelle ils doivent s’abstenir de la communion eucharistique. […]
5. Le mariage des divorcés
Le caractère le plus frappant de la réglementation canonique de l’Église orthodoxe – mais il est le fruit d’une profonde cohérence – c’est le fait que, dans cette Église, le second mariage des divorcés est assimilé à celui des veufs.
Le divorce est contraire à la nature, dans la mesure où les deux époux deviennent une seule chair, et il est contraire à la loi divine, parce que Dieu l’a interdit : « Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni ». Cependant l’homme, qui a en lui la liberté de pécher, a également la terrible possibilité de détruire, par le péché, l’intégrité de la communion matrimoniale, de provoquer la mort morale – non pas la mort sacramentelle, parce que le mariage est intrinsèquement indissoluble – du mariage lui-même. […].
On peut dire que, des deux aspects, sacramentel et contractuel, du mariage chrétien – que la manière de voir orientale considère comme plus distincts que la conception occidentale – c’est l’aspect contractuel qui est dissous par le divorce.
Cette concession est faite par l’Église non pas sur la base de la simple volonté des époux – dans les pays de religion orthodoxe l’Église s’est toujours opposée à ce que les lois civiles permettent le divorce par consentement mutuel – mais en présence de faits peccamineux graves, pouvant être qualifiés de « crimina » contre le mariage. […] il s’agit principalement :
a. De l’adultère commis par l’un des époux.
b. De l’abandon du domicile conjugal.
c. Des actes de violence, ceux-ci pouvant aller jusqu’à la tentative de mettre fin aux jours du conjoint.
d. De l’apostasie du christianisme par l’un des époux. […]
Il faut souligner que la rupture du mariage est toujours un acte répréhensible, dans la mesure où elle brise l’icône des noces divino-humaines et que, par conséquent, elle affecte en profondeur la relation qui existe entre les époux et Dieu. C’est pour cette raison que le coupable ne peut pas se réconcilier avec Dieu seulement par le sacrement de pénitence et qu’il est privé de la communion sacramentelle pendant un certain temps, même s’il ne se remarie pas. Une telle sanction signifie que le coupable a commis une faute contre la foi chrétienne, mais elle se présente toutefois comme une privation de communion seulement temporaire, dans la mesure où l’Église a pour but le salut des hommes et non pas leur condamnation.
Au contraire celui des deux époux qui n’est pas coupable, s’il reste continent, ne fait l’objet d’aucune sanction. Cependant, dans le cas où on lui permet de contracter un second mariage afin de lui éviter de « brûler de désir », les pénitences habituelles lui sont également imposées, de même que l’on prescrit à un malade les médicaments qui lui sont nécessaires. Ces pénitences montrent que le second mariage est une dérogation à la loi divine et qu’elle est justifiée – en tant qu’application miséricordieuse de la même loi – par la faiblesse de la chair.
L’exigence fondamentale, en effet, est d’éviter la débauche, qui serait mortelle pour le salut de l’individu. En tant que relation non stable et avec des personnes différentes, celle-ci est encore plus destructrice du mystère dont le mariage est l’image. Elle peut être assimilée à la polygamie simultanée et elle constitue le plus grand mal qui puisse exister dans l’éthique du mariage. En effet une relation sexuelle stable, entre un homme et une seule femme, est en tout état de cause une image affaiblie du mystère, même si cette relation est extrêmement imparfaite en dehors du sacrement, alors que la débauche ne peut jamais être une telle image. […]
L’évêque grec-catholique Dimitrios Salachas a écrit : « La pastorale de l’Église doit rechercher la solution qui soit la plus acceptable pour chacune des deux parties et pour leurs enfants. Dans un grand nombre de cas, une nouvelle union matrimoniale est inévitable mais, du point de vue de l’Église, ce nouveau mariage ne peut pas avoir la même plénitude sacramentelle que le premier : il faut alors recourir au rite utilisé pour les gens qui se marient deux fois ». […]

6. Conclusions
Il ne faut pas se laisser tromper par les différences qui existent entre les deux Églises, la catholique et l’orthodoxe, en ce qui concerne la réglementation relative au mariage. En effet il existe entre elles un consensus théologique de base, fondé sur l’unité et l’indissolubilité du sacrement, et la différence qui existe dans la pratique s’explique uniquement par une différence dans le relevé des données empiriques.
Pour l’Occident – qui, dans une conception principalement juridique, identifie contrat et sacrement – il peut arriver que des mariages qui ont été contractés et vécus soient déclarés nuls uniquement parce qu’une clause sociale – et non pas une clause théologique – n’a pas été totalement respectée.
Pour l’Orient orthodoxe, en revanche, ces mêmes mariages seraient parfaitement valides, dans la mesure où l’aspect contractuel n’est pas considéré comme un élément constitutif du sacrement, ce que sont plutôt les éléments essentiels iconiques du mystère du Verbe incarné.
Je voudrais conclure avec ces quelques phrases écrites par l’historien et théologien russo-américain John Meyendorff, qui résument de manière efficace le point de vue de l’Église orthodoxe :
« L’Église a toujours été compréhensive envers la faiblesse humaine et elle n’a pas cherché à imposer l’Évangile en utilisant des prescriptions purement formelles. Seule une consécration consciente de la vie tout entière au Christ rend compréhensible toute la signification et la plénitude de la doctrine évangélique à propos du mariage. Mais cette consécration reste inaccessible à beaucoup de gens ».
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Traduction française par Charles de Pechpeyrou, Paris, France.

LE MARIAGE, PARTIE INTÉGRANTE DU SACREMENT DE LA CRÉATION – JEAN-PAUL II (1982)

3 avril, 2014

http://christus.fr/le-mariage-partie-integrante-du-sacrement-de-la-creation-jean-paul-ii/

LE MARIAGE, PARTIE INTÉGRANTE DU SACREMENT DE LA CRÉATION – JEAN-PAUL II

JEAN-PAUL II, AUDIENCE GÉNÉRALE, MERCREDI 6 OCTOBRE 1982, CYCLE THÉOLOGIE DU CORPS.

1. Nous continuons l’analyse du texte classique d’Éphésiens 5, 22-33. À ce propos il convient de citer quelques phrases contenues dans l’une des analyses précédentes consacrées à ce thème : « L’homme paraît dans le monde visible comme la plus haute expression du don divin car il porte en soi la dimension intérieure du don. Et, avec celle-ci, il apporte dans le monde sa ressemblance particulière avec Dieu, grâce à laquelle il transcende et domine également sa propre visibilité dans le monde, sa dimension corporelle, sa masculinité ou féminité, sa nudité. Autre reflet de cette ressemblance, la conscience primordiale de la signification conjugale du corps, conscience pénétrée du mystère de l’innocence originaire ». (.P. II, 20/02/1980) Ces phrases résument en quelques mots le résultat des analyses consacrées aux premiers chapitres de la Genèse, en relation avec les paroles par lesquelles le Christ, dans son entretien avec les pharisiens au sujet du mariage et de son indissolubilité, se référait à l’origine. D’autres phrases de cette analyse posent le problème du sacrement primordial : « Et ainsi, dans cette dimension se constitue un sacrement primordial, entendu comme signe qui transmet efficacement dans le monde visible le mystère invisible caché en Dieu de toute éternité. Voilà le mystère de la vérité et de l’amour, le mystère de la vie divine à laquelle l’homme participe réellement … C’est l’innocence originaire qui ouvre cette participation … » (20/02/1980).
2. Il convient de revoir le contenu de ces affirmations à la lumière de la doctrine paulinienne exprimée dans l’épître Aux Éphésiens, et en tenant principalement compte de Ep 5, 22-33 inséré dans le contexte général de l’épître. Du reste, cet écrit nous le permet, car son auteur lui-même se réfère, au verset 31 de ce chapitre 5, à l’origine et précisément aux paroles instituant le mariage dans le livre de la Gn 2, 24. En ce sens pouvons-nous entrevoir dans ces paroles un énoncé concernant le sacrement primordial? Ces précédentes analyses de l’origine biblique nous ont menés progressivement à cela, en considération du don de l’existence fait à l’homme et dans la grâce qu’était l’état d’innocence et de justice primordiales. L’épître Aux Éphésiens nous amène à aborder ces situations – c’est-à-dire l’état de l’homme avant le péché originel – en nous plaçant au point de vue du mystère caché en Dieu de toute éternité. En effet, dans les premières phrases de l’épître nous lisons « Dieu, Père de notre Seigneur Jésus-Christ … nous a bénis par toutes sortes de bénédictions spirituelles, aux cieux, dans le Christ. C’est ainsi qu’il nous a élus en lui, dès avant la création du monde pour être saints et immaculés en sa présence, dans l’amour… » (Ep 1, 3-4).
3. L’épître Aux Éphésiens nous ouvre le monde surnaturel de l’éternel mystère, des desseins éternels de Dieu le Père à l’égard de l’homme. Ces desseins sont antérieurs à la création de l’homme. En même temps, ces desseins divins commencent déjà à se réaliser dans toute la réalité de la création. Si au mystère de la Création appartient également l’état d’innocence originaire de l’homme créé, comme homme et comme femme, à l’image de Dieu, cela signifie que le don primordial que Dieu confère à l’homme contient le fruit de l’élection, dont nous parle l’épître Aux Éphésiens : « Il nous a élus … pour être saints et immaculés en sa présence » Ep 1, 4 C’est cela que les paroles du livre de la Genèse semblent souligner, quand le Créateur-Elohim trouve que l’être humain, homme et femme, paru en sa présence, est un bien digne de le satisfaire : « Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et voilà que c’était très bien » Gn 1, 31. Ce n’est qu’après le péché, après la rupture de l’alliance originaire avec le Créateur, que l’homme éprouva le besoin de se cacher du Seigneur Dieu : « J’ai entendu ta voix dans le jardin et j’ai eu peur, parce que je suis nu, et je me suis caché » (Gn 3, 10).
4. Au contraire, avant le péché, l’homme portait dans l’âme le fruit de l’éternelle élévation dans le Christ, Fils éternel du Père. Par la grâce de cette élection, l’être humain – homme et femme – était saint et immaculé en présence de Dieu. Cette sainteté et cette pureté primordiales (ou originaires) s’exprimaient également dans le fait que, même si tous deux « étaient nus, ils n’en avaient point honte » Gn 2, 25 ainsi que nous avons cherché à le mettre en évidence dans les analyses précédentes. Confrontant le témoignage de l’origine, décrite dans les premiers chapitres du livre de la Genèse, et le témoignage de l’épître Aux Éphésiens, il faut en déduire que la réalité de la création de l’homme « était déjà », imprégnée, de l’éternelle élection de l’homme « dans le Christ « : appelé à la sainteté par la grâce de l’adoption comme fils : étant « déterminé d’avance » que nous serions « pour Lui des fils adoptifs par Jésus-Christ. Tel fut le plaisir de sa volonté, à la louange de gloire de sa grâce dont il nous a gratifiés dans le Bien-aimé » (Ep 1, 5-6).
5. L’être humain – homme et femme – participa dès l’origine à ce don surnaturel. Ce don a été donné en considération de Celui qui de toute éternité était, comme Fils, le Bien-aimé, même si – selon la dimension du temps et de l’histoire – elle a précédé l’incarnation de ce Fils bien- aimé et également la « Rédemption » que nous trouvons en lui, « par son sang » Ep 1, 7. La Rédemption devait devenir la source de la gratification surnaturelle de l’homme après le péché et, en un certain sens, malgré le péché. Cette gratification surnaturelle qui eut lieu avant le péché originel, c’est-à-dire la grâce de la justice et de l’innocence originaires – gratification qui était le fruit de l’élection de l’homme dans le Christ avant les siècles – s’est accomplie précisément par égard pour Lui, pour ce « Bien-aimé » unique, tout en anticipant chronologiquement sa venue dans le corps. Dans les dimensions du mystère de la Création, l’élection à la dignité de fils adoptif fut le propre seulement du premier Adam, c’est-à-dire de l’être humain créé à l’image et à la ressemblance de Dieu en tant qu’homme et femme.
6. Dans ce contexte, comment s’établit la réalité du sacrement, du sacrement primordial? Dans l’analyse de l’origine dont nous avons cité un passage, nous avons dit que le sacrement, entendu comme signe visible, se constitue avec l’homme en tant que corps, moyennant sa visible masculinité et féminité. Le corps en effet, et seulement lui est capable de rendre visible ce qui est invisible : le spirituel et le divin. Il a été créé pour transférer dans la réalité visible du monde le mystère, caché en Dieu de toute éternité et ainsi d’en être le signe (J.P. II, 20/02/1980).
Ce signe a, en outre, sa propre efficacité, comme je l’ai également dit : « L’innocence originaire liée à la signification conjugale du corps » fait que l’être humain « se sent dans son corps d’homme ou de femme, sujet de sainteté » J.P. II, 20/2/1980 . Se sent et il l’est « depuis l’origine ». Cette sainteté conférée originairement à l’homme par le Créateur appartient à la réalité du sacrement de la création. Les paroles de Gn 2, 24 « l’homme… s’attachera à sa femme et ils deviendront une seule chair » prononcées sur le fond de cette réalité originaire au sens théologique constituent le mariage comme partie intégrante et, en un certain sens, centrale du sacrement de la création. Elles constituent – ou plutôt, confirment peut-être simplement – le caractère de son origine. Selon ces paroles, le mariage est sacrement en tant que partie intégrante et, dirais-je, point central du sacrement de la création. En ce sens il est un sacrement primordial.
7. L’institution du mariage exprime, selon Gn 2, 24, non seulement le début de la communauté humaine fondamentale qui, par la force de procréation qui lui est propre (« Fructifiez et multipliez-vous », Gn 1, 28), sert à continuer l’oeuvre de création, mais en même temps elle exprime l’initiative salvifique du Créateur, correspondant à l’éternelle élection de l’homme dont parle l’épître Aux Éphésiens. Cette initiative salvifique vient de Dieu-Créateur et son efficacité surnaturelle s’identifie avec l’acte même de la création de l’homme à l’état de l’innocence originaire. C’est dans cet état que l’élection éternelle de l’homme dans le Christ fructifia dès l’acte même de sa création. Et, ainsi, il faut reconnaître que le sacrement originaire de la création tire son efficacité du « Fils bien-aimé » Ep 1, 6 (où il est question de « la grâce qu’il nous a donnée dans son Fils bien-aimé »). Puis, s’il s’agit du mariage, on peut déduire que – institué dans le contexte du sacrement de la création pris globalement, c’est-à-dire à l’état de l’innocence originelle – il devait servir non seulement à prolonger l’oeuvre de la création, c’est-à-dire de la procréation, mais aussi à répandre sur les générations humaines successives le même sacrement de la création, c’est- à-dire les fruits de l’élection éternelle de l’homme par le Père dans le Fils éternel : ces fruits dont Dieu a gratifié l’homme dans l’acte même de la création.
L’épître Aux Éphésiens nous permet, semble-t-il, de comprendre ainsi le livre de la Genèse et la vérité sur l’origine de l’homme et du mariage qui y est contenue.

TDC 087 – LE MARIAGE COMME SACREMENT, SELON SAINT PAUL AUX EPHÉSIENS

2 avril, 2014

http://www.theologieducorps.fr/tdc/tdc-087-mariage-comme-sacrement-selon-saint-paul-aux-ephesiens

TDC 087 – LE MARIAGE COMME SACREMENT, SELON SAINT PAUL AUX EPHÉSIENS

Par Incarnare, le lundi 07/09/2009

1. Nous entamons aujourd’hui un nouveau chapitre sur le thème du mariage, en lisant ce que dit saint Paul aux Ephésiens: « Que les femmes soient soumises à leur mari, comme au Seigneur Jésus; car, pour la femme, le mari est la tête, tout comme, pour l’Eglise, le Christ est à la tête, lui qui est le Sauveur de son corps. Eh bien! si l’Eglise se soumet au Christ, qu’il en soit toujours de même pour les femmes à l’égard de leur mari. Vous, les hommes, aimez votre femme, à l’exemple du Christ: il a aimé l’Eglise, il s’est livré pour elle; il voulait la rendre sainte en la purifiant par l’eau du baptême et la parole de vie; il voulait se la présenter à lui-même, cette Eglise, resplendissante, sans tache ni ride, ni aucun défaut; il la voulait sainte et immaculée. C’est comme cela que le mari doit aimer sa femme: comme son propre corps. Celui qui aime sa femme s’aime lui- même. Jamais personne n’a méprisé son propre corps: au contraire, on le nourrit, on en prend soin. C’est ce que fait le Christ pour l’Eglise, parce que nous sommes les membres de son corps A cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’unira à sa femme et tous deux ne feront plus qu’un. Ce mystère est grand; je le dis en pensant au Christ et à l’Eglise! Bref, en ce qui vous concerne, que chacun aime sa femme comme lui-même, et que la femme respecte son mari » Ep 5,22-33.
2. Il nous faut soumettre à une analyse approfondie ce texte de Ep 5, comme auparavant nous avons analysé toutes les paroles du Christ qui semblaient avoir une signification capitale pour la théologie du corps. Il s’agissait des paroles dans lesquelles le Christ se réfère au « commencement » Mt 19,4 Mc 10,6, au « coeur » humain, dans le Sermon sur la Montagne Mt 5,28 et à la résurrection future Mt 22,30 Mc 12,25 Lc 20,35 Ce qui est dit dans ce passage de l’épître aux Ephésiens constitue pour ainsi dire le couronnement de ces autres mots clés. Si, à partir de ceux-là on a pu dégager une théologie du corps dans ses grandes lignes évangéliques, à la fois simples et fondamentales, il faut, d’une certaine manière, présupposer cette théologie pour interpréter ce passage de l’épître aux Ephésiens. Par conséquent, si l’on veut interpréter ce passage, il faut le faire à la lumière de ce que le Christ nous a dit sur le corps humain. Il a parlé de la concupiscence (du coeur) à l’homme historique, et par conséquent à l’homme tout court. Et il a aussi fait ressortir, d’un côté, les perspectives du commencement, c’est-à-dire de l’innocence originelle et de la justice et, de l’autre, les perspectives eschatologiques de la résurrection des corps quand « on ne prendra plus femme ni mari » Lc 20,35. Tout cela fait partie de l’optique théologique de la « Rédemption de notre corps » Rm 8,23.
3. Ce que dit l’auteur de la lettre aux Ephésiens (*) est également centré sur le corps; et cela aussi bien dans son sens métaphorique, c’est-à-dire à propos du corps du Christ qui est l’Eglise, que dans son sens propre, c’est-à-dire à propos du corps humain dans sa masculinité et sa féminité, dans son destin de s’unir dans le mariage, comme le dit Gn 2,24 « L’homme quittera son père et sa mère, il s’unira à sa femme et tous deux ne feront plus qu’un ».
De quelle manière ces deux significations du corps apparaissent-elles et convergent-elles dans ce passage de l’épître aux Ephésiens. Et pourquoi y apparaissent-elles et convergent-elles? Voilà des questions qu’il faut se poser, et il ne faut pas l’attendre à avoir des réponses immédiates et directes, mais plutôt, autant que possible, il faut approfondir à longue échéance, ces réponses auxquelles nous ont préparés nos analyses précédentes. En effet, ce passage de l’épître aux Ephésiens ne peut être compris correctement que dans son large contexte biblique; il faut le voir comme le couronnement des thèmes et des vérités qui ponctuent la Parole de Dieu révélée dans l’Ecriture sainte, tels le flux et le reflux de larges vagues. Ce sont des thèmes centraux et des vérités essentielles. C’est pour cela que ce texte de l’épître aux Ephésiens est également un texte clé classique.
Note (*) – La question de savoir si l’épître aux Ephésiens est de saint Paul ou pas, paternité reconnue par certains exégètes et refusée par d’autres, peut trouver une solution dans une supposition qui se place entre les deux opinions et que nous ferons nôtre comme hypothèse de travail, à savoir que saint Paul confia à son secrétaire quelques idées et que celui-ci, par la suite, les développa et les rédigea. – C’est à cette solution provisoire de la question que nous pensons quand nous parlons de l’auteur de l’épître aux Ephésiens, de l’apôtre et de saint Paul.
4. C’est un texte bien connu dans la liturgie qui l’utilise toujours en rapport avec le sacrement de mariage. La lex orandi de l’Eglise voit dans ce texte une référence explicite à ce sacrement: et la lex orandi annonce et en même temps exprime la lex credendi. Ceci étant admis, il nous faut tout de suite nous demander comment on voit, dans ce texte classique de l’épître aux Ephésiens, la vérité sur la sacramentalité du mariage. De quelle façon s’y exprime-t- elle, y est-elle confirmée? On va voir que la réponse à ces questions ne peut être immédiate et directe, mais progressive, et n’être donnée qu’à longue échéance. Cela se vérifie dès le premier coup d’oeil sur ce texte qui nous renvoie au livre de la Genèse, et donc au commencement, et qui, dans sa description des rapports entre le Christ et l’Eglise, reprend chez les prophètes de l’Ancien Testament leur analogie bien connue avec l’amour nuptial entre Dieu et le peuple élu. Il serait difficile de dire comment l’épître aux Ephésiens traite de la sacramentalité du mariage sans étudier ces rapports. On verra aussi comment cette réponse doit passer par toutes les dimensions des problèmes qu’on a déjà analysés, c’est-à-dire par la théologie du corps.
5. Le sacrement ou la sacramentalité – au sens le plus général de ce terme – concerne les corps et présuppose une théologie du corps. Le sacrement, en effet, dans son sens généralement reçu, est un signe visible. Le corps signifie aussi ce qui est visible, le caractère visible du monde et de l’homme. Par conséquent, d’une certaine manière – bien qu’en un sens plus général -, le corps entre dans la définition du sacrement puisqu’il est le signe visible d’une réalité invisible, c’est-à-dire de la réalité spirituelle, transcendante, divine. C’est dans ce signe – et à travers ce signe – que Dieu se donne à l’homme dans sa vérité transcendante et dans son amour. Le sacrement est un signe de la grâce, et c’est un signe efficace. Non seulement il l’indique et l’exprime de façon visible, il en est le signe, mais il la produit et contribue efficacement à faire en sorte que la grâce fasse partie de l’homme et qu’en lui se réalise et s’accomplisse l’oeuvre du salut, l’oeuvre établie d’avance par Dieu de toute éternité et qui a été pleinement révélée en Jésus-Christ.
6. Je dirais que déjà, dans ce premier coup d’oeil jeté sur ce texte classique de l’épître aux Ephésiens, nous voyons dans quelle direction devront se poursuivre nos analyses suivantes. Il est indispensable que ces analyses commencent par une compréhension préliminaire du texte en lui-même; cependant, elles doivent nous conduire ensuite, si l’on peut dire, par-delà les limites du texte, à comprendre, si possible jusqu’au fond, quelle richesse de vérité révélée par Dieu est contenue dans le cadre de cette merveilleuse page. En empruntant la célèbre expression de GS 22, on peut dire que ce passage que nous avons choisi dans l’épître aux Ephésiens « manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation »: en tant qu’il partage l’expérience de l’incarnation. En effet Dieu, en le créant à son image, dès le commencement le créa « homme et femme » Gn 1,27
Au cours de nos analyses suivantes nous chercherons – surtout à la lumière de ce texte de l’épître aux Ephésiens – à comprendre plus profondément le sacrement, en particulier le mariage en tant que sacrement: en premier lieu dans sa dimension de l’Alliance et de la grâce, et ensuite dans sa dimension de signe sacramentel.

- 28 juillet 1982